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Le cinéma iranien rythme l’actualité à intervalles réguliers, tant sur un plan artistique que politique.
En témoignent le succès du film Une séparation, la popularité de la réalisatrice franco-iranienne
Marjane Satrapi (Persepolis ; Poulet aux Prunes) ou la médiatisation du cas de Jafar Panahi,
cinéaste iranien emprisonné en raison d’un de ses projets cinématographiques. Il constitue un
objet d’étude d’actualité, qui nous éclaire sur la place de la culture au sein de la société iranienne,
et sur l’importance que lui accorde le régime.
La Révolution islamique
Avec la Révolution de 1979 et la prise de pouvoir par les islamistes, le cinéma iranien doit évoluer
pour continuer à exister. L’islam interdit toute représentation de Dieu et nombre de religieux
abhorrent le cinéma, considéré comme « contraire aux bonnes mœurs ». L’industrie
cinématographique iranienne n’est pas supprimée pour autant. Au contraire le nouveau régime
protège le cinéma et instaure même « une véritable politique publique de la culture, définie
comme « islamique » ». Les dirigeants entendent utiliser le cinéma «pour projeter de manière
visible et exemplaire la société islamique à laquelle le régime prétend aboutir ». Pour Khomeiny, il
est possible d’adopter une technique occidentale sans pour autant en importer l’idéologie. La
révolution qui a détrôné le Shah reste néanmoins antioccidentale : de nombreux cinémas sont
détruits, et une partie du monde du cinéma quitte le pays. Les débuts du régime (1980-1982) ne
permettent pas de distinguer une politique culturelle cohérente, les nouveaux détenteurs du
pouvoir (nationalistes, communistes, islamistes) ayant des positions divergentes. Mais dès 1982
un Ministère de la culture et de l’orientation islamique est créé sous la houlette de Mohamad
Khatami, le futur Président de la République. Celui-ci initie une politique d’institutionnalisation du
cinéma iranien : soutien aux producteurs et aux exploitants et forme de protectionnisme en
matière culturelle, soutenant la production nationale par la taxation des importations de films
étrangers.
La même année un festival des films (Fajr) est créé. L’objectif est double : il s’agit à la fois de
commémorer la Révolution et de chercher à l’exporter dans le monde entier par le biais du
cinéma. Mais les textes de loi restent flous et font référence à une « morale islamique » à laquelle
les films doivent se conformer. En conséquence le pouvoir peut agir de manière discrétionnaire.
Néanmoins, une loi votée en 1996 détaille plus clairement ces exigences. Si la censure se
maintient de 1979 à 1997, date de l’élection d’un président « réformateur », l’Etat, loin d’étouffer
totalement le cinéma, l’encourage fortement. Cette politique culturelle étatique concourt à
expliquer la fécondité du cinéma iranien.
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Quatrième période : retour de la censure
Depuis 2005 et l’élection de Mahmoud Ahmadinejad, la censure s’est nettement renforcée,
processus doublé d’un désengagement de l’Etat de toute politique culturelle. Du point de vue de la
censure, cela se traduit par l’arrestation de nombreux cinéastes, par la création d’une Haute
Instance du cinéma présidée par Mahmoud Ahmadinejad lui-même. Cette instance contrôle toutes
les institutions cinématographiques du pays, ce qui limite considérablement la diffusion du cinéma
indépendant iranien, si elle ne l’étouffe pas. De plus, l’accès aux salles est devenu beaucoup plus
difficile et la production de films « commerciaux » se multiplie.
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carrière de cinéaste mais surtout à sa source d’inspiration principale : son pays. Il s’agit également
du point de vue des cinéastes iraniens ayant, comme Jafar Panahi, décidé de rester et ce au prix
de leur liberté. Mais quelles sont leurs motivations ?
Les « outsiders »
Il existe une véritable solidarité entre les cinéastes exilés et ceux restés en Iran, comme en
témoigne la pétition pour la libération de Jafar Panahi largement soutenue à l’extérieur comme à
l’intérieur de l’Iran. Ayant choisi la liberté d’expression, une garantie de la diffusion de leurs films
et une plus large rémunération, les « outsiders» se tournent vers un cinéma plus politique. Ainsi,
le film autobiographique Persepolis de Marjane Satrapi (2007) dénonce le régime islamiste et sa
politique de répression à travers les yeux d’une jeune iranienne. Ce thème est récurrent chez les
cinéastes iraniens ayant fait ce choix. Marjane Satrapi l’évoque également dans Poulet aux
prunes (2011), où elle semble avoir voulu symboliser son pays d’origine sous les traits d’un des
personnages clés du scénario, Irâne. Les cinéastes en exil se veulent les témoins de la situation
iranienne, en tente de faire réagir en interpelant la scène internationale sur la situation de leur
pays
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La population ne prend que rarement connaissance des films réalisés par le cinéma indépendant
iranien. Le régime la surveille mais garde également la haute main sur le monde des arts, par le
biais de de la Maison du cinéma et de la Haute Instance du cinéma. Sur deux cent films produits
en Iran chaque année (seuil fixé par la Haute Instance du cinéma), seuls vingt ne sont pas pro-
gouvernementaux ou pro-islamiques. Ces vingt films passés au travers des mailles de la censure,
ils restent peu susceptibles d’être vus par la population iranienne puisque seules 40 des 255
salles de cinéma en Iran ont officiellement le droit de diffuser des films. Peu de productions
indépendantes iraniennes sont donc connues de la population, à moins qu’elles ne suscitent un
succès international comme le film d’Asghar Farhadi Une Séparation (2011), vu par plus de 10%
de la société iranienne — ce qui constitue paradoxalement un pourcentage très important. De
manière générale, les Iraniens se sont toujours avérés doués pour contourner la censure : Patrice
Carré, journaliste à Cinécourt, parle d’une véritable « culture de la ruse » chez les Iraniens, qui
sont confrontés depuis longtemps à l’oppression et à la censure.
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Au-delà de ces codes, la suggestion joue également un rôle important. Elle s’observe dans A
propos d’Ellyd’Asghar Farhadi (2009), par les non-dits des personnages, ou dans Une
séparation qui ne dévoile pas la fin des événements, laissant le spectateur libre de toute
interprétation et réflexion. Pour les films ne parvenant pas à contourner la censure, le festival
annuel du cinéma iranien en exil reste une option non négligeable puisqu’il permet leur diffusion,
même restreinte.
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Les films parvenant à cet équilibre sont généralement ceux qui bénéficient d’un succès
international : le public occidental se sent touché par les thèmes traités et se montre curieux de
découvrir des codes esthétiques et éthiques différents des siens. Certains auteurs parlent même
d’une « mission universelle » du cinéma iranien. Le cinéma iranien s’exporte essentiellement en
Europe. Français et Allemands en sont friands et les films iraniens sont régulièrement présents
aux Festivals de Cannes et de Berlin. Ce cinéma s’exporte également là où les diasporas
iraniennes sont conséquentes, comme au Canada. Il s’exporte aussi en Inde, où Indiens et
Iraniens échangent techniques et conseils. Nombre d’Occidentaux se retrouvent dans les films
iraniens du fait du caractère contemporain, moderne, urbain des productions. La grande majorité
des films sont tournés à Téhéran. Contrairement au reste du pays, qui demeure très rural, les
immeubles ou la circulation dense de Téhéran rappellent les grandes villes occidentales. De
manière plus pragmatique, la couverture médiatique de l’Iran peut expliquer l’écho du cinéma
iranien en Occident. La censure, l’islamisme, la question nucléaire, les déclarations de Mahmoud
Ahmadinejad, les répressions, manifestations et emprisonnements des cinéastes mettent
régulièrement en lumière l’actualité iranienne, ce qui bénéficie également à ses productions
culturelles. L’intérêt pour l’Iran se traduit par une attention à la culture iranienne, qui passe
notamment par le cinéma. L’indignation face au traitement des cinéastes par le régime peut
également renforcer l’intérêt pour leurs réalisations. Poussé par la curiosité suscitée par le
« sensationnel », le spectateur occidental aurait presque la sensation de résister en allant voir un
film iranien.
Ceci n’est pas un film de Jafar Panahi conclut de manière éloquente cet aperçu du cinéma
iranien. Ce film, qui n’en est pas un, illustre les contraintes auxquelles sont confrontés les
cinéastes la population. Panahi se filme ou est filmé par un de ses amis, cinéaste également,
dans son appartement où il est assigné à résidence en attendant que la justice rende son
jugement. Troublant, peu esthétique, le film voit le réalisateur errer dans son luxueux
appartement. Visible par les fenêtres, Téhéran ressemble à n’importe quelle ville de pays
développé : un MacBook air, un iPhone et d’autres produits typiquement occidentaux figurent
dans le décor, signe que la fermeture des frontières et la propagande anti-occidentale n’ont
qu’une efficacité limitée. Panahi caresse son iguane domestique, regarde des films, téléphone à
son avocate qui lui explique que les réactions internationales (pétitions et chaise vide au Festival
de Cannes) ne suffiront pas à le sauver : seules les réactions nationales peuvent influer sur son
jugement car il ne relève pas d’une « question de justice mais d’une question de politique ». On
voit le réalisateur discuter avec l’étudiant qui s’occupe des poubelles de l‘immeuble, parallèlement
à ses études. Celui-ci explique qu’il fait des études d’art mais qu’il est conscient, malgré son
implication et ses efforts, qu’il ne trouvera jamais de travail. Jafar Panahi reçoit l’appel d’un ami
pendant la fête du feu (nouvel an persan, considéré comme contre-révolutionnaire). Ce dernier se
fait arrêter en plein milieu de la conversation par la police : il détenait une caméra. Panahi
souligne le poids étouffant de la société, l’angoisse constante de la population et la résistance de
la population, qui participe à la fête du feu en dépit des contraintes des autorités.) En dépit de la
mobilisation internationale en faveur du cinéaste, une cour d’appel iranienne a confirmé la
condamnation de Jafar Panahi pour atteinte à la morale à six ans de prison et vingt ans
d’interdiction de filmer, de voyager ou de s’exprimer Ce film permet de rendre compte des
difficultés de la société iranienne, soumise à un enfermement physique (frontières) mais surtout
psychologique et intellectuel. Nous verrons dans le prochain rapport de ce cycle d’étude consacré
à l’Iran que le football y constitue l’un des derniers espaces de liberté, où se mêlent slogans
religieux, mots grossiers et combat pour le droit des femmes.