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2018 - Enjeux de Ce Colloque - 9 Cippt PDF
2018 - Enjeux de Ce Colloque - 9 Cippt PDF
Christophe Dejours
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2018/2 n° 40 | pages 7 à 14
ISSN 1620-5340
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.inforevue-travailler-2018-2-page-7.htm
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à la consultation
en cabinet
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Rappel historique : Ce colloque marque un anniversaire de 20
ans. En octobre 1997, en effet avait lieu au Cnam, rue Saint-Martin, le
1er Cippt. Depuis 20 ans les choses ont beaucoup évolué :
– sur le terrain du travail d’abord avec les transformations en
profondeur de l’organisation du travail,
– dans la clinique, ensuite, par voie de conséquence,
– au plan scientifique enfin.
Mais l’année 2017, c’est aussi un autre anniversaire, le 30e anni-
versaire d’un séminaire qui a joué un rôle majeur dans l’avènement de
la psychodynamique du travail : le séminaire interdisciplinaire de psy-
chopathologie du travail publié sous le nom de « Plaisir et souffrance
au travail ».
Si je fais aussi une place à cet anniversaire, c’est parce que
ce séminaire a été le point de départ d’une démarche qui, depuis, ne
s’est jamais interrompue. À savoir que la psychodynamique du travail
repose, en son principe même, sur la confrontation interdisciplinaire.
La psychodynamique du travail est même née de l’interdisciplinarité,
au début des années 1970, par la confrontation entre psychanalyse et
ergonomie, sous la houlette d’Alain Wisner.
Dans le séminaire interdisciplinaire de 1986-1987 la confronta-
tion était avec :
– l’ergonomie (F. Daniellou, C. Teiger, D. Dessors),
– la médecine du travail (F. Doppler),
– la sociologie du travail (D. Duclos, N. Dodier),
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disciplinaire a été menée en psychodynamique du travail. Je m’en tien-
drai à souligner seulement que la confrontation n’est pas organisée en
vue d’ajouter des modules issus de chacune de ces disciplines à la cli-
nique du travail, juxtaposées ou emboîtées comme des pièces de Lego.
La clinique est et reste la clinique avant et après la confrontation inter-
disciplinaire. En revanche la théorie, elle, peut sortir transformée de cette
confrontation. Si l’on respecte toutefois les principes selon lesquels :
1 - Dans un premier temps il s’agit d’identifier les critiques perti-
nentes que chacune des disciplines est capable de formuler contre la
théorie en psychodynamique du travail.
2 – Dans un deuxième temps, il s’agit de tester la qualité des réponses
que la psychodynamique est en mesure de donner aux critiques de
chacune des disciplines successivement.
3 – Et, dans un troisième temps, il s’agit d’assumer théoriquement ce
que les réponses aux critiques portées par chaque discipline implique
comme remaniements de la théorie en psychodynamique du travail.
En d’autres termes, chaque confrontation se traduit en fin de compte
par des remaniements de la théorie. La psychodynamique du travail après
chaque confrontation interdisciplinaire reste la psychodynamique du tra-
vail, mais elle doit à chaque fois se transformer, se développer, s’affiner.
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Alain Supiot) 1.
– Avec l’économie, en particulier avec Christian du Tertre (Dossier :
« Économie, subjectivité, travail », in Travailler n° 29, 2013).
– Avec la psychanalyse dans de nombreuses sociétés à travers le
monde, en particulier la Fédération européenne de psychanalyse.
– Avec la production artistique qui est une véritable confrontation
interdisciplinaire.
C’est certainement parce qu’elle n’a cessé de se soumettre à
l’épreuve de la critique par les autres disciplines que la psychodynamique
du travail a acquis sa charpente scientifique et qu’elle aura probablement
encore de belles années devant elle.
La bataille scientifique fait rage. Si je parle de bataille scientifique,
c’est parce que dans le domaine qui est le nôtre, celui du travail vivant et
de la condition humaine, il y a une bataille. Cette bataille n’est pas de notre
fait : le travail est un enjeu politique majeur et la recherche scientifique
est nolens volens traversée par cette bataille politique, elle ne peut pas y
échapper. De ce fait, si la psychodynamique du travail a pu depuis toutes
ces années continuer à se développer, c’est parce qu’elle a provoqué, c’est
certain, un débat dans la communauté scientifique, où elle a trouvé, dans
chaque discipline, des alliés auxquels nous devons beaucoup. Mais elle a
aussi provoqué la levée d’un grand nombre d’adversaires. C’est normal,
mais c’est quand même aussi, à certains moments, une lutte.
Pour ce colloque, 20 ans après le premier, il ne s’agira pas de se
concentrer à nouveau sur la confrontation interdisciplinaire. Nous quitte-
rons délibérément la controverse avec l’extérieur de la psychodynamique
du travail, pour revenir vers nous, c’est-à-dire vers l’intérieur de notre
1. Chaignot Delage N., Dejours C. (dir.), 2017, Clinique du travail et évolution du droit,
Paris, Presses universitaires de France, 611 pages.
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discipline. En effet, c’est sur un autre champ que va, cette fois, se porter
notre effort. Non plus sur ce terrain de la théorie, mais sur celui de la PRA-
TIQUE, ou plus précisément des pratiques.
En 20 ans, les pratiques dans le champ de la psychodynamique du
travail se sont beaucoup transformées. Auparavant, c’est-à-dire entre les
années 1970 et les années 1990, la « clinique du travail » était, sans contes-
tation, le terrain réservé de la psychopathologie du travail et de la psycho-
dynamique du travail. Mais, depuis, les choses ont bien changé. La clinique
du travail est devenue l’enjeu de rivalités : des sociologues, des psychoso-
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ciologues, des ergonomes, des médecins du travail, des psychiatres, des
gestionnaires, se réclament aujourd’hui de la clinique du travail.
De facto, il faut le reconnaître : tant de pratiques se sont développées
dans le champ de la santé mentale au travail que, même pour les plus aver-
tis d’entre nous, il est parfois bien difficile de s’y retrouver ; indiscutable-
ment, beaucoup de praticiens qui se réclament aujourd’hui de la clinique
du travail ne se rangent pas du tout à la théorie en psychodynamique du
travail. Au contraire, ils clament leurs différences. C’est normal. Mais, ces
pratiques qui récusent la psychodynamique du travail et défendent d’autres
modèles théoriques ont en retour quand même un impact sur les pratiques
dans le champ même de la psychodynamique du travail. De sorte qu’en fin
de compte, même à l’intérieur de cette clinique du travail qui se réclame
spécifiquement de la psychodynamique du travail, il y a des pratiques qui
se sont différenciées. Ce champ de la pratique en psychodynamique du
travail ne peut plus être considéré comme un champ homogène. Il est plus
idoine, pour cette raison, de parler des pratiques en PDT. C’est ce que
signale le titre même donné à notre colloque.
Les débats que nous allons donc avoir sont des débats intérieurs à
la discipline.
Mais, de surcroît, il faut ajouter que la PDT, dans son principe même,
se partage depuis le début en deux espaces de pratiques.
Il y a d’un côté la pratique vouée à la prise en charge des patients
qui souffrent de pathologies liées au travail. Mais il y a aussi de l’autre
côté la pratique de l’intervention sur le terrain même du travail, dans les
entreprises, les administrations, l’industrie, l’agriculture, les services. Ce
sont deux pratiques très différentes, qui impliquent des règles de métier
différentes. Toutefois, qu’il s’agisse de la prise en charge des patients
ou de l’intervention de terrain, dans les deux cas, il faut l’affirmer et le
réaffirmer, la pratique repose d’abord et avant tout sur l’écoute : écou-
ter les patients dans le cabinet de consultation, écouter les travailleurs sur
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Je n’ai bien sûr pas le temps de développer ce point, pourtant essen-
tiel. Il sera discuté au cours du colloque. La compréhension du sens ne peut
pas reposer seulement sur l’intuition, l’empathie, la sensibilité, la sponta-
néité ou le talent de celui ou celle qui écoute. La compréhension du sens
est indissociable des concepts que l’on mobilise pour écouter. Ce sont les
concepts qui outillent et accroissent la sensibilité du praticien à la parole,
à ce qu’elle peut révéler, mais aussi à ce que parfois elle tente de dissimu-
ler… non seulement au praticien qui écoute, mais à celui, celle, ou ceux
qui parlent eux-mêmes 2. Pour essayer de saisir pourquoi la sensibilité à
la parole de l’autre dépend des concepts dont dispose celui qui écoute, je
donnerai l’exemple de Bob Dylan, prix Nobel 2016. On peut aimer Bob
Dylan. Mais pas de la même façon si l’on connaît l’anglais. Car alors on
n’entend pas la même chose que si l’on ne connaît pas la langue. Le texte,
la musique, la prosodie, ne prennent leur pleine valeur esthétique, c’est-à-
dire n’affectent la sensibilité de l’auditeur, que rapportés au sens d’un texte
dont ils contribuent à révéler l’épaisseur.
En PDT, les concepts que l’on mobilise dans l’écoute relèvent de
trois champs disciplinaires :
Une théorie du sujet : la psychanalyse.
Une théorie du travail : les sciences du travail.
Une théorie sociale : sociologie de l’éthique, sociologie du genre,
sociologie des rapports de domination.
Or, tous les praticiens ne mobilisent pas les mêmes registres de
savoir, ni les mêmes concepts. Tous les praticiens n’ont pas bénéficié des
mêmes formations. L’enseignement et la transmission de la PDT ne sont
pas les mêmes dans tous les pays où elle est mise en pratique.
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de tester les justifications que les uns et les autres nous sommes capables
de donner de nos pratiques, de façon que puisse se poursuivre dans de
bonnes conditions la délibération individuelle et collective sur les règles
que nous nous donnons pour toujours continuer à chercher les voies de
l’action rationnelle, dans la prise en charge des patients et dans l’interven-
tion sur le terrain. L’enjeu donc de ce colloque, une, c’est de marquer une
étape et si possible un progrès dans cette délibération collective.
Dans le contexte social et politique actuel qui pèse lourdement sur
l’exercice de nos métiers, où sont déployés beaucoup de moyens pour
empêcher les praticiens de la psychodynamique du travail de travailler
dans des conditions convenables, il est remarquable que vous soyez venus
si nombreux pour prendre part à ces débats. Et je vous en remercie.
Christophe Dejours
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