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L E S R E N D E Z- V O U S D E L' H I S T O I R E D E B L O I S
«Le changement
climatique est lié à des
enjeux de pouvoir, de
dette, de conquête»
Par Thibaut Sardier(https://www.liberation.fr/auteur/13881-thibaut-
sardier) et Nicolas Celnik(https://www.liberation.fr/auteur/19850-
nicolas-celnik) — 7 octobre 2020 à 17:06
«Christophe Colomb dans les Caraïbes, les Anglais et les Français en Amérique du Nord
expliquent qu’en défrichant, ils amélioreront le climat.» Illustration Hulton Archive. Getty
Images
À L I R E AU SSI
Gouverner l'air du temps(https://www.liberation.fr/debats/2020/10/07/gouverner-l-air-du-
temps_1801693)
F.L. : Les forêts étaient aussi vitales pour les communautés paysannes, en
tant que ressources indispensables pour le bois, le pâturage, l’engrais, le
gibier… Or l’Etat moderne s’est en partie construit à travers la mainmise qu’il
a acquise sur les forêts, et notamment sur celles qui étaient des «communs»
des populations rurales. D’où des conflits incessants, qui se transforment
parfois en insurrections. En France, la technocratie forestière - bras armé de
l’Etat dans les campagnes - accuse sans cesse les populations de mal gérer
leurs bois, et donc de dégrader le climat.
J.-B.F. : Ce prisme des forêts est aussi une façon de montrer l’importance de
la période révolutionnaire pour la question climatique. De nombreux débats à
l’Assemblée nationale concernent alors les forêts «nationales» confisquées à la
noblesse et au clergé. Ces bois fournissent à l’Etat français un gage stable pour
ses emprunts, mais il est aussi tentant de les vendre pour renflouer les caisses.
Sous la Révolution et dans les décennies suivantes, la question ressurgit sans
cesse au Parlement : et à chaque fois, on débat du changement climatique qui
J.-B.F. : A la fin des années 2000, quand nous sommes tombés sur ces
cartons, l’ambiance était plutôt optimiste. On s’émerveillait des COP et de la
gouvernance globale du climat. Des intellectuels comme Ulrich Beck
défendaient l’idée que nous étions entrés dans une nouvelle époque, la
«modernité réflexive», avec des sociétés enfin aptes à placer les questions de
risque et d’environnement au cœur du politique. Tout cela nous paraissait un
petit peu naïf au regard de la réflexivité climatique globale que nous
découvrions deux siècles avant.
F.L. : Nous avons alors cherché à faire deux choses. D’abord, exhumer
l’histoire de longue durée des débats, des savoirs et des luttes prenant pour
objet le changement climatique. Ensuite et en même temps, montrer comment
l’agir humain sur le climat a été, dans de nombreux contextes, au cœur
d’enjeux de pouvoir, d’affrontements politiques, de rapports de domination.
Dans le livre, nous analysons ainsi la place qu’occupe cette question dans toute
l’histoire de l’impérialisme européen. Entre le XVe et le XVIIIe siècle, cela
prend la forme d’une promesse : Christophe Colomb dans les Caraïbes, les
J.-B.F. : Oui, et c’est une arme très puissante. Elle permet d’agir au nom
d’intérêts supérieurs : la sauvegarde de l’agriculture, la protection contre les
catastrophes que provoquerait un dérèglement du cycle de l’eau…
grande échelle des plaines de l’Ouest, qui frappe les Etats-Unis dans l’entre-
deux-guerres. Cette catastrophe a une grande influence sur les politiques
environnementales étasuniennes, qui donnent le la après 1945 en plaçant au
centre la question des sols. Au total la menace d’un changement climatique
causé par les humains s’éclipse peu à peu des consciences entre la fin
du XIXe et les premières décennies du siècle suivant. L’interlude sera bref…
(1) Green Imperialism. Colonial Expansion, Tropical Island Edens and the Origins of
Environmentalism, 1600-1860.