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François Brigneau

½
Chroniques du mauvais temps

Avec 22 dessins de

Auto-édition FB
Couverture de François ALLOT
Maquette : Frank Marest - Frédérique Ferrey
SOMMAIRE

PREFACE ....................................................................p. 9

AVERTISSEMENT .....................................................p. 49

CHRONIQUES
I - PETITS FAITS VRAIS DE SOCIETE ..........................p. 51
II - LA FRANCE VUE DE FRANCE ................................p. 111
III - L'ETRANGER VU DE FRANCE ................................p. 199
IV - HISTOIRES JUIVES .................................................p. 235
V - AVANT LA CASSURE ..............................................p. 259
VI - LA CASSURE ..........................................................p. 269

SIX MOIS PLUS TARD ... (Fable) .............................p. 301

ANNEXES ...................................................................p. 307

s)
DU MEME AUTEUR

Les propos de Coco--Bel-CEil (Chroniques) *Froissart Publications FB


Bcllcs amics du temps passé (Roman) Froissart
Le manoir de Malheur-1' Amour (Roman) Froissart
Paul Monopol (Roman) *Froissart Publications FB

Lcs aventures dc Valentin Vey (Roman) :


I. Le notaire de Concameau Marte!
2. Le crimine) de guerre Marte)
3. La beauté qui meurt Marte)
(Gra11d prix de la li1téra111re policière)

L'aventure est finie pour eux (Rcportages) Gallimard


Quand !es arrnes se soni tues (nouveau titrc) *Publications FB
Deux femmes (Roman) Albin Miche)
Mon après-guerre (Souvenirs) •Le Clan-Présent
Mes Pamphlets (Chroniqucs) (épuisé) Le Clan
Jules l'impostcur (Histoire) *Préscnt • Martin Morin
Mon village à l'heure socialiste (Chroniques) *La Tablc ronde
39-40, L'année terriblc (Histoire) (épuisé) Publications F B
La Terreur, mode d'emploi (Histoirc) *Publications FB
24 "Dcmicrs calùcrs" *Publications FB

- doni : un certain racismc juif, La haine anti-Lc Pcn, Mais qui est donc le professeur
Faurisson ?, Le Jour où ils ruèrent Philippe Henriot, Devine qui vieni télé-diner ce soir?
"Mon" affaire Dreyfus, A Fresncs avcc Robert Brasillach, Le Racisme judiciaire. Un
hold-up raté (la dissolution), Xavier Vallat et la qucstion juive, Pour prendre congé.
etc ...

* Livres et cahiers encore disponibles aux Publications FB


21, rue Mademoiselle, 75015 Paris
PRÉFACE

••

:' aimais beaucoup les BBR. Cette fete, d'abord cham­


l petre, imaginée par Michel Collinot, en 1981, à la
Roche Coulon, et ces dernières années supérieurement
organisée par Serge Martinez à la Porte Dorée, était devenue,
au fil du temps, le premier des deux grands rassemblements
nationaux des sympathisants du Front. L'autre était le
Premier Mai. Mais, au Premier Mai, on avait à peine le temps
de se voir ... Tandis qu'aux BBR... Ceux qui croyaient au
ciel et ceux qui n'y croyaient pas, ceux qui se demandaient si
la France n'était pas morte en 1792 et ceux qui, malgré le
titre républicain - les Bleus-Blancs-Rouges -, savaient
qu' elle n'était pas née en 1789 ; ceux qui venaient de la
Droite trahie par la Droite ; ceux qui venaient de la Gauche
trompée par la Gauche ; ceux qui avaient cru au Général jus­
qu'à l'Algérie, ceux qui croyaient toujours au Maréchal, se
retrouvaient, à la fin de l'été, au début de l'année studieuse,
avec des visages heureux, des poignées de mains qui n' en
finissaient pas, des tapes dans le dos, des « Tu te rappelles ? »,
PRÉFACE

« Tu te souviens ? », des nouvelles des absents, des plaisan­


teries, des rires pour cacher l'émotion de se retrouver encore
une fois, tous ensemble, au coude à coude, au creur à creur,
dans le camp retranché de la France française.

Le Chant des partisans

En 1997, poussée sans doute par le désir de réconciliation, à


moins que ne la travaillat déjà la promotion de Charles de
Gaulle, le civil, le petit-fils du militaire, la direction du Front
national avait cru utile de nous faire écouter le Chant des
partisans. Ce fut un chant de guerre civile, dirigé autant
contre !es pétainistes que contre !es Allemands. La musique
serait inspirée de celle d'un hymne soviétique. Les paroles
sont françaises. Joseph Kessel, juif d'origine russe, et son
neveu, Maurice Druon, les avaient écrites à Londres où ils
résistaient dans !es services de la Propagande. En 39-40,
Kessel fit la guerre comme correspondant. C'est également
comme correspondant que Druon la termina en 44-45, quand
il revint d' Angleterre. Leur expérience du maquis n' avait pas
du !es inspirer beaucoup. Néanmoins le Chant des partisans
fait partie du folklore politique. Connaissant mon triste
passé, des amis, qui ne me voulaient pas forcément que du
bien, me demandaient si je n'étais pas choqué de l'entendre
aux BBR. Je répondais
- Non. Je regrette seulement de n'avoir pas avoir entendu
aussi Maréchal, nous voilà.
Et pour montrer que je n'avais rien oublié, je fredonnais,
incorrigible :
Maréchal, nous voilà
Devant toi, le sauveur de la France, etc...
Voilà en effet qui eut été symbolique de la réconciliation
-------- ;fY' (IJ(JfUR,
f>/Otufll'l. -------
...
française précomsee, depuis toujours, par Jcan-Marie
Le Pen. J'en profitais pour rappcler commcnt je fis sa
connaissance. C'était en 1948, au Moulin dc la Gaiette. J'y
tenais une réunion sur ]es prisons de l'Epuration et !'amnis­
tie. Un beau gaillard, grand, costaud, blond, souriant, vint me
trouver. M• Jacques Isorni, l'admirable défenseur du maré­
chal Pétain et de Robert Brasillach, lui avait demandé de
venir, avec quelques camarades, assurer le service d'ordre. Il
me dit son nom :
-Jean-Marie Le Pen.
Dr Jekyll et Mister Hide

. Aux BBR, j'occupais les 3 m2 que National Hebdo louait aux


Publications FB. La directrice, Anne Le Pape, et un colone}
d'aviation m'assistaient. Il profitait d'une perm' pour jouer
les garçons livreurs bénévoles. Il était si jeune que je l'avais
surnommé "le gamin". J'avais convaincu Jean Nouyrigat
d'ouvrir dans les coulisses du journal la succursale du Père
Tranquille. Efficace et prompt, il s'occupait des contròles de
ravitaillement. J'étais paré pour l'étape. Dans l'allégresse
puis l'application, je signais livres et cahiers. Attendant leur
tour, les lecteurs commentaient :
-Il va attraper la crampe de l'écrivain, disaient les uns.
-Il a une écriture de sergent-major, remarquaient les autres.
Et certains, penchés sur moi, suggéraient, à mi-voix :
- Vous devriez éditer vos chroniques. Pour les garder ce
serait plus facile.
Flatté de l'intéret, touché par la gentillesse, je répondais :
-Plus tard. Nous y pensons.
Je n'en étais pas moins décidé à n'en rien faire. Meme sì j'y
ai consenti deux fois < 1> le genre ne me plait guère. Je trouve
PRÉFACE

qu'il faudrait réécrire les articles qu'on décide de publier,


mais leur témoignage perdrait alors de son authenticité.
Pourquoi gacher un temps, déjà si limité, à réécrire des textes
déjà publiés, alors que l'on aimerait écrire tant de choses
nouvelles et diverses ? Et puis, soyons frane, s'il m'arrive
d'etre content de ce que j'écris au moment où j'écris, les
jours et les mois passés je n'aime pas me relire, remarquant
!es défauts plus que les qualités.
Me voici dans un esprit différent. Je n'irai plus signer aux
BBR, !es lauriers sont coupés, et j'éprouve le besoin puéril
de rappeler ce que j'ai signé à National Hebdo. J'y suis
demeuré onze ans. Roland Gaucher m' avait accueilli en
1987. Nous n'eGmes aucun conflit rédactionnel. Martin Peltier
lui succéda en 1993. Après quelques réglages et une période
d'adaptation, nous n'eGmes pas de différends. Ni Roland
Gaucher ni Martin Peltier ne passent pour avoir le caractère
facile. Je ne prétends pas l' avoir non plus. Avec le second, le
problème de I' age, le fameux fossé des générations, aurait pu
exister. Il n'en fut rien. Pendant onze ans, chaque semaine,
dans une grande liberté et avec un certain bonheur, j' ai
accompli mon travail de vieil écrivain de presse. Je connais­
sais une vieillesse heureuse : celle où l'on a l'impression de
servir encore à quelque chose.
A la fin de l'an dernier, brusquement, en quelques semaines,
tout s'est effondré. Une secousse sismique (et caractérielle) a
jeté à terre le fragile édifice. J'ai quitté NH parce que je ne
pouvais plus y rester. J'ai cessé d'écrire parce que je ne pou­
vais plus écrire. Si politiquement je considérais l'explosion
du Front national comme un suicide collectif, personnelle­
ment la manière dont s'accomplissait cette rupture me détrui­
sait physiquement et mentalement. J'étais groggy, sonné,
comme on dit d'un boxeur KO debout. Un jour, en souvenir
de la rentière de Grasse trouvée assassinée dans sa cave, j' ai
dit :

12
-Jean-Marie m'a tuer !
On a ri. A tort. Ce n'était pas une boutade et nous devions
etre nombreux dans cet état, à souffrir de mi Ile morts en
voyant un homme que nous estimions, que nous admirions,
que beaucoup d'entre nous considéraient comme un homme
d'Etat, ou plus exactement comme un homme possédant !es
qualités qui auraient pu en faire un homme d'Etat, se con­
duire comme un énergumène vociférateur, un histrion hysté­
rique, un Dr Jekyll définitivement métamorphosé en Mister
Hyde, et nous jouant un acte inédit du Père Ubu. J'étais
démoli. Je me sentais sali, atteint, ridiculisé, blessé par l'af­
fligeant spectacle auquel s'abaissait le président du Front
national. A huis clos, ou en privé, ce torrent d'insultes, d'ac­
cusations, de menaces : traitres, félons, vendus, je ne serai
pas César, j'égorgerai Brutus (avec les gestes), ce déferle­
ment de haine contre le compagnon d'armes de la veille était
déjà insupportable. Le pire, c'est qu'il se passait en public,
dans !es joumaux, à la radio, à la télé, devant l'ennemi fré­
tillant qui n' en croyait pas ses yeux émerveillés. Cette mise
à mort du Front national, il y avait si longtemps qu'il l'atten­
dait, si longtemps qu'il l'espérait. C'était son reve, son
obsession. Il lui avait consacré énormément d'efforts, d'ima­
gination, de ressources et !es siennes sont inépuisables.
Devant notre lente mais siìre progression, il redoutait de ne
jamais atteindre son but. On se souvient encore du concert de
lamentations et de colère que provoquèrent nos succès aux
Régionales, et le coup tactique qui faillit etre historique.
Cette destruction qui semblait s'éloigner, voilà qu'elle se
produisait aujourd'hui, de l'intérieur, en surface et en pro­
fondeur, dans les cadres et dans !es troupes, au moment
meme où le Front national était donné vainqueur de la course
européenne ... A une condition toutefois : que sa liste fùt
conduite par le tandem Le Pen - Mégret.
Malheureusement Le Pen refusait cette condition. Il la reje-
PRÉFACE

tait. On sait en quels termes. Il la déclarait contraire à la nou­


velle ligne du parti. Le combat contre la Bande des quatre
était remplacé par la guerre entre nous. Une guerre à mort !
Tel était l'ordre du Président. Qui n'était pas avec lui était
déclaré contre lui.
L'ombre de Stirbois

Le conflit Le Pen - Mégret ne datait pas d'hier. En 1991,j'en


avais eu un signe avant-coureur, une sorte d'avertissement.
Nous sommes au congrès de Nice. Je me trouve au deuxième
rang, dans le magnifique amphithéatre construit par Jacques
Médecin, à quelques mètres de la scène. Cari Lang vient de
terminer son discours. Il a parlé derrière un pupitre assez
haut, hérissé de micros. Cette hauteur ne l'a pas gené. Lang
est très grand. Mégret lui succède. Il a prévu la difficulté et
préparé un marchepied. Malheureusement quelqu'un a éloi­
gné celui-ci sous le pupi'tre. Mégret essaie de le récupérer en
tendant lajambe. Impossible. Il lui faut se baisser pour s'en
saisir. Quelques rires. Sur la scène la plupart des hauts digni­
taires du Front se tapent sur la cuisse et s'esclaffent. Alors la
salle ne se retient plus. Un énorme fou-rire la balaie. Le gag
est digne d'un Charlot. Mégret se redresse. Il a un petit sou­
rire crispé. Il a conservé son sang-froid. J'admire sa mai'trise.
Le voici debout sur sa marche. Quand il commence à parler
une vague d'applaudissements remplace les rires. Je suis sou­
lagé et note sur mon carnet : « Celui qui a monté le coup
n'avait peut-etre pas demandé l'accord de J.-M., mais il
devait savoir que la farce ne lui déplairait pas. » La présence
de Schoenhuber et l'accueil triomphal qu'il reçoit du congrès
font oublier l'incident.
Je m'en alarme d'autant moins que ce genre de rivalité entre
le n ° 1 et le ou !es possibles n ° 2 a toujours existé, de tous
temps, dans tous les partis, meme au Front national. Voici
encore une anecdote. Cette fois nous sommes en mars-
avril 1986. Le Front vient d'avoir 35 députés. Jean-Pierre
Stirbois nous rend visite à Présent. Vers 13 heures nous
allons boire une bière, chez l'Alsacien. Nous sommes sous le
porche. Stirbois dit le plus tranquillement du monde :
- Maintenant, il faut préparer l'après-Le Pen.
Le propos me stupéfie. Pi erre Durand est avec nous. C'est le
meilleur ami de Jean-Marie, le plus intime, le plus fidèle, le
plus complice. Stirbois devait savoir que ces propos seraient
vraisemblablement rapportés. Il ne s'en soucie pas, du moins
en apparence. Mais pourquoi envisager l'après-Le Pen au
soir de la grande première victoire du Front national ? Eut-on
songé remplacer Napoléon le soir d'Austerlitz ?
En 1986, Le Pen n'avait que 58 ans. Ce n'est pas l'age de la
retrai te. Sans doute ... Mais Stirbois n'en avait que 41. Il fai­
sait partie de la deuxième vague frontiste qui ne rejoignit le
chef charismatique qu'en 1977. Avec son équipe, il avait
entrepris une méthodique opération de quadrillage du parti,
qui le conduisit au secrétariat général. Officiellement nommé
en 1981, il s'y révéla dynamique, autoritaire, organisateur,
conquérant, audacieux, ambitieux, manreuvrier. Après deux
échecs électoraux dans l'Eure, il conclut des alliances de cir­
constance avec le RPR et l'UDF. Elu aux municipales de
Dreux, il en devint le maire-adjoint. Ce fut le fameux
Tonnerre de Dreux, qui marquait la percée du Front national.
« L'avenir nous appartient », écrivait Jean-Pierre Stirbois.
Les législatives de 1986 lui donnaient raison. La suite fut
moins heureuse. Malgré la phrase dite à Prése11t, sous le
porche, je n'eus conscience des différends opposant le
Président à son Secrétaire général que le 7 novembre 1988,
le surlendemain de l'accident où Stirbois avait trouvé la mort,
sur la route de Dreux à Paris. C'était chez Sébillon, à la Porte
Maillot, restaurant réputé pour ses hui'tres et son gigot. J' en
ai gardé_ un souvenir très vif. Roland Gaucher et moi atten-
PRÉFACE

dions Miche! Collinot. li était très en retard. Gaucher, sombre


et soucieux, ne parlait pus. C'est un homme qui peut etre très
secret. Collinot arrive à la fin. Il a les yeux rouges, le visage
gontlé de larmes. Le chagrin voute sa grande taille. Son pro­
pos est confus. ll fait allusion à des événements que j'ignore.
Peu doué pour l' int1igue, y répugnant meme, je n'ai aucun
gout pour les querelles d'appareils, les guéguerres de clans,
les complots. C' est dire que je suis inapte à l'organisation
sociale actuelle car la politique n'a pas le monopole de ces
activités de base. On les trouve dans toutes les entreprises de
plus de cinq employés. A travers ce que bredouille Collinot,
je comprends que Stirbois a laissé une note qui prend aujour­
d'hui l'importance d'un testament. Il est terrible pour Jean­
Marie Le Pen. Stirbois ne l'accuse de rien d'autre que de tra­
hir le mouvement avec I'aide de Mégret.
Al' ordinaire, Miche! Collinot est un ancien marchand de vin,
taillé comme une armoire bourguignonne, barbu comme une
foret vierge, bon vivant, jovial (mais sujet aux coups de
déprime), avec une idée par minute qu'il a le tort de croire
toutes géniales. Sa détresse n'en est que plus poignante. II
boit. Il mange. Il s'essuie les lèvres et le poil. Il pleure et se
demande:
- Que faut-il faire de ce texte ?
Je le répète : j'ignore tout ou presque tout des coulisses du
Front. Je livre pourtant mon avis. Il ne faut pas donner l'im­
portance qu'elle n'a pas à cette note que le destin a transfor­
mée en testament. Elle n'a pas été écrite dans ce but, avec la
sérénité et la lucidité nécessaires. Stirbois était très fatigué.
Cette fatigue est d'ailleurs la cause de l'accident mortel. Il
revenait d'un voyage épuisant en Nouvelle-Calédonie. lei sa
tache était sans fin. II ne quittait son bureau, et l'interminable
procession de réunions, discussions, rendez-vous, que pour
courir en province, de Fédération en Fédération, régler des
conflits. II était amer: Le Pen l'avait écarté de la campagne
présidentielle, au profit de Mégret. Il était déçu : après la dis­
solution de I' Assemblée nationale, sa candidature (dans les
Bouches-du-Rhòne) s'était soldée par un échec. Un échec
honorable, certes. 44 %, au scrutin majoritaire, dans la
conjoncture cela méritait les applaudissements des connais­
seurs.. . Mais enfin, un échec tout de meme. Si l'on ajoutait
des problèmes personnels à ces facteurs, honnetement on
voyait qu' il ne fallait pas prendre au pied de la lettre celte
note d' outre-tombe. Ce serait meme un service à rendre à la
mémoire de Stirbois que de ne pas ébruiter ce pseudo­
testament. Classer aux archives, top secret, et attendre, en
silence, telle était, à mon avis, la seule attitude que !es
responsables devaient observer.
Je prechais des convaincus. Il n'y eut pas de bavure, à ma
connaissance tout au moins. La cérémonie funèbre fut d'une
grande dignité. Devant Saint-Augustin, la foule attendait,
silencieuse, debout, comme au garde-à-vous. Les hommes
regardaient leurs souliers en ruminant sur le malheur. Les
femmes pleuraient dans leur mouchoir. Le ciel était gris et bas.
Il faisait froid. Il allait pleuvoir. J'étais avec mon ami Serge
Jeanneret, un homme cultivé, fin, nuancé, ancien cagoulard
devenu radical-nationaliste. Il aurait pu en raconter sur les pali­
nodies en politique. Le Pen fit un beau discours
- Nous savons aussi qu'il faut que le grain meure et que
c'est le meilleur qui, souvent, donne les meilleures récoltes.
L'émotion lui nouait la gorge. Nous étions trop loin pour
apercevoir les larmes que virent certains. Elles irritèrent le
clan Stirbois. « Comédien ! », dit-on. Je ne le crois pas. Je ne
nie pas les talents d'acteur de Jean-Marie Le Pen. Ils sont très
grands. Quel homme politique n'est-il pas entrainé à feindre
des sentiments qu'il n'éprouve pas toujours ? Dans le cas pré­
sent, je crois à la sincérité du président du Front national. Son
Secrétaire général n'était plus en mesure de mettre sa
construction en pé1il. Rien ne l'empechait de rendre hommage
f
PR É FACE

au disparu, rappeler une fois encore "J'avais un camarade" et


laisser libre cours à son chagrin.
L'ascension de Mégret

Pour le profane, non initié aux troublants mystères de


l'Eglise politicienne, le successeur de Jean-Pierre Stirbois ne
faisait pas de doute. Ce serait Bruno Mégret. Non seulement
il avait toutes !es qualités demandées à un Secrétaire général,
mais il devait à Jean-Marie Le Pen la fulgurante carrière qu' il
venait de réussir au sein du Front national.
Venant du RPR, via !es CAR (Comités d' Action
Républicaine), Mégret ne découvrit le FN qu'en 1985. Ses
titres (polytechnicien, ingénieur des Ponts et Chaussées) flat­
tèrent le Président. Qu' un Mégret quittat l'opposition clas­
sique pour rejoindre Le Pen, n' était-ce pas le signe de la ren­
verse et du succès ? En 1986, Mégret devenait député du
Front (baptisé Rassemblement national) et plus encore le
vice-président du groupe parlementaire. Encore un an et, en
1987, Le Pen chargeait Mégret de diriger la campagne prési ­
dentielle. Il le nommait président de son Comité de soutien.
Choix doublement heureux si l ' on considère les résultats. Le
24 avril 1988, Jean-Marie Le Pen obtenait un score jamais
atteint : plus de quatre millions de voix (4 351 465), 14,5 %
des suffrages exprìmés, ce qui, dans une élection législative
à la proportionnelle intégrale, seul thermomètre vrai de l' opi­
ni on, aurait valu une centaine de députés au Front national.
Le tempie en tremblait déjà.
La réussite de Mégret était éclatante. Songez donc qu'en
198 I , Le Pen n 'avait pu se présenter à I' élection présiden­
tielle, Stirbois, secrétaire général de son comité, ne réussis­
sant pas à rassembler les 500 signatures d'élus indispen­
sables à la candidature. Quelle transformation à vue ! Devant
la démonstration sur le terrain de ses dons d'organisateur
et de coordinateur, la nomination de Bruno Mégret était
(IJ(Jfde
-------- � fl'J'a tuP
fl. -------

acquise. Surprise, il n'en fut rien. Que se passa-t-il ? Le Pcn


prit-il soudain conscience de la médiocre taille de celui qu'il
n'allait pas tarder à baptiser Naboléon, « en toute amitié et en
toute affection » (discours de Toulon, septembre 1998) ? En
tout cas ce fut Cari Lang qui succéda à Stirbois.
ça jasait. On se perdait en conjectures. S'agissait-il d'un
coup d'arret à l'ascension fulgurante du jeune loup que les
vieux de la vieille, !es grognards de l'époque héroYque, et )es
jeunes solidaristes, arrivés avec Stirbois, considéraient du
meme ceil méfiant, pour ne pas dire hostile ? Cela y ressem­
blait. Et pourtant, cette manifestation de rejet s'accompagnait
de promotions nouvelles. Non seulement Mégret conservait
son poste de Délégué général et la haute main sur son équipe,
mais le Président en faisait un député européen en 1989, troi­
sième de liste derrière Le Pen et Martine Lehideux, un élu
régional en 1992, tete de liste dans les Bouches-du-Rhòne,
s'il vous plai't, avec la mairie de Marseille dans la tigne de
mire, à nouveau un député européen en 1994, et cette fois
second de liste denière le n ° 1 - le premier ticket Le Pen -
Mégret en somme -, un des quatre maires du Front lors des
municipales de 1995.
Certes, nous entendions parfois des remarques désobligeantes.
Nous étions les témoins de colères qui éclataient comme des
orages dans le ciel de Montretout. Il était évident que des que­
relles d'influence, de préséance et d'intendance divisaient et
opposaient l'état-major. Mais le Président paraissait s'en accom­
moder, et parfois s'y complaire. Il aimait s'habiller à Hong­
Kong, prétendant y faire des économies. Peut-etre oubliait-il de
compter le cout du voyage dans le prix de revient ? Est-ce au
cours des essayages qu'il fut conquis par la philosophie chi­
noise des contraires complémentaires du yang et du yin ? Ce
n'est pas impossible. Les voies de Dieu sont impénétrables. Il
considérait ces discordes subaltemes comme utiles. Mieux
valait entendre l'un dire à l'autre et l'autre dire à l'un ses
P RÉ F AC E
l
quatre vérités que d'avoir à les fonnuler lui-meme.
Cette situation n'était pas pour déplaire à Bruno Mégret.
Préférant le silence aux clameurs, il continuait à grignoter
son espace vital. Malgré quelques manifestations d'un cour­
roux d'essence divine, Neptune, quoique gardant le trident
levé, abandonnait à Mégret la fonnation des cadres, la librai­
rie, le contròle de fait de Français d 'abord, un luxueux
magazine sur papier glacé mais en couleur, bradé à des prix
de dumping, ce qui ne l'empechait pas d'etre plus distribué
que vendu, peut-etre parce que le contenu ne valait pas le
contenant. C'était cela l'important. Dans la classe dirigeante
du Front on lisait peu, mais on regardait beaucoup.
Mieux encore... Mégret, sans doute pour asseoir un peu plus
son autorité, caressait le projet de posséder son quotidien. Le
Pen ne s'opposa pas à la création du Peuple. C'était le titre
qui avait été choisi. Malheureusement il appartenait à la
CGT. Quoique la campagne de lancement fGt fortement
engagée, il fallut se rabattre sur Le Français. Les meilleurs
organisateurs ne sont pas toujours bien secondés. Il y eut un
Jéger flottement. Heureusement Mégret bénéficiait d'un
atout puissant : l'appui intégral de Pierre Durand. J'ai dit que
Durand était l'ami intime, le "petit frère" de Jean-Marie. On
le retrouvait comme trésorier, principal ou adjoint, poste
6 combien précieux, dans presque tous les mouvements, par­
tis, associations, créés par Le Pen. Enfin il assurait, aux cotés
de Jean Madiran, la direction de Présent. Je l'y avait poussé,
en 1981, avec ce titre, et presque à son corps défendant. Il ne
croyait pas à cette aventure exceptionnelle : à la fin du
XX· siècle, le premier quotidien "national" depuis L'Action
française, fondé par une poignée de joumalistes et d'écri­
vains et uniquement financé par le public qui avait envie de le
lire ! Pierre Durand avait tort de traìner les galoches. Ce fut
la grande situation de sa vie. Ce qui ne l'empechait pas de
favoriser la naissance d'un second quotidien de la Droite
nationale. Un journal au service du rivai n° 1 de son ami
intime, de son "grand frère" Jean-Marie Le Pen. Un quotidien
qui ne pourrait pas ne pas menacer l'existence déjà difficile
de Présent, le quotidien dont il était devenu l'un des deux
directeurs. La vie n' est pas simple.
Seuls les initiés, les intrigants, les courtisans et les jouma­
listes de la presse ennemie connaissaient les dessous du
puzzle, et encore pas tous. J'en apprenais plus en lisant
Libération, Le Monde, Le Canard, Le Figaro qu'en allant à
National Hebdo. Flattés d'entretenir des relations privilé­
giées avec des personnages aussi éminents que M. Zemmour
ou Mme Chombeau , des membres de la nomenklatura du
Front, et non des moindres, leur réservaient l'exclusivité de
leurs informations et de leurs potins. Ils croyaient servir leurs
clans. 11s minaient surtout notre camp. Mais enfin il n'y avait
encore rien d'alarmant. Les partis ne sont pas de grands
fleuves tranquilles. Tous connaissent leurs crues et leurs sai­
sons de basses eaux. Des courants les traversent et des
remous les creusent. La nature et les hommes les resserrent,
les détournent, leur font parfois barrage. Dans l'estuaire, la
marée les refoule et le mascaret les gonfie avant qu'ils s'en
aillent, tous, se noyer dans l'océan de l'histoire. Ainsi allaient
les choses. Ces oppositions souterraines, je craignais surtout
qu'elles ne soient responsables d'une certaine stagnation.
Depuis que le Front avait pignon sur rue, il me semblait qu'il
avançait moins. Avec l'embourgeoisement, l'autodénigre­
ment s'était installé. A entendre certains propos, l'inquiétude
me venait. Je me rassurais en faisant mon petit stratège en
chambre :
- Jean-Marie est un vieux routier. Un vieux finaud. Nous
avons déjà trop de fronts sur le poil pour qu'il aille ouvrir un
front intérieur au Front.
Ce fut au mois de juillet 1997 qu'une sonnette d' alam1e se
mit à tinter. Dans ma vie, j'ai fait souvent ce reve. Je suis
PRÉFACE

dans une petite gare de campagne, comme il en existait jadis,


avec sa lampisterie, ses barrières, ses quais déserts. Le soir
tombe. Des lumières jaunes et falotes s'allument et palpitent.
Un homme à casquette bianche sort et fait un geste à quel­
qu'un. Une sonnerie se met à tinter, grele. Elle s' arrete. Elle
repart. Elle insiste. Une voyageuse, qui attendait, court, un
enfant dans les bras. Là-bas, sous le pont, plus noir que la
nuit, une locomotive énorme, monstrueuse, allumée de
lueurs et de feux fonce en mugissant et j'entends toujours
grelotter la sonnette,la sonnette du danger.
En juillet 1997, le Bureau politique du Front national se
réunit en séminaire à Strasbourg. A l'ordre du jour, les
thèmes de la campagne des Régionales de 1998, avec deux
sujets majeurs : l'immigration et l'insécurité. Sur quoi le
Président donne la parole à Jean-Claude Martinez. On sait
depuis longtemps que Jean-Claude Martinez déteste Mégret.
Ils ont le meme age. Ils sont tous les deux riches en diplòmes.
Si Mégret est polytechnicien, master of science de
l'Université de Berkeley (Califomie),Martinez est agrégé de
droit public, lauréat du concours général, major de sa pro­
motion. C'est un esprit brillant, étincelant parfois, toujours
en effervescence,en ébullition. S'il aborde de graves sujets
la fiscalité,l'agriculture,il est aussi chansonnier moqueur et
persifleur. Comme il phosphore, dans tous les domaines, et
qu'il touche à tout,on ne le prend pas assez au sérieux. Il en
souffre et redouble ses pointes contre "l'horloger".
Cette fois il ne s'agit pas de moqueries perfides,distillées en
coulisses. C'est une attaque frontale de la politique du
Délégué général, une critique violente, acerbe, une diatribe,
un réquisitoire. Les membres du Bureau politique se regar­
dent,genés,et regardent le Président. Le Président ne regarde
que Ies dossiers posés devant lui. Le Président ne dit rien. Il
ne freine, ni n 'approuve. II écoute et, soudain, Jean-Claude
Martinez Iaisse tomber cette phrase terrible, qui est tout à la
fois un aveu, un défi et une provocation : lui et d'autrcs de
ses amis avaient tremblé à l'idée que Bruno Mégrct puisse
etre élu député le l cr juin 1997.
1997 : le commencement de la fin
Le séminaire extraordinaire du BP se tenait à huis-clos.
Naturellement tout se racontait le lendemain dans les salles
de rédaction: la virulence de Martinez, le silence de Le Pen,
la réplique de Mégret, calme jusqu'à la froideur, détaché
comme s'il n'avait pas été la cible de l'attaque. Il avait exa­
miné les résultats obtenus dans sa région par Jean-Claude
Martinez et n' en avait trouvé aucun qui put I' autoriser à don­
ner des leçons.
Quelques jours plus tard Jean-Marie Le Pen me téléphone,
pour me demander mon avis. C'était une habitude. « Qu 'e11
penses-tu ? » Pendant que je réfléchissais à ce que je pensais,
. il m'expliquait ce qu'il pensait. Généralement cela lui suffi­
sait. Cette fois je réussis à placer :
- J' ai trouvé cela déplaisant et complètement con.
C'est rapide, un peu vulgaire, peut-etre, mais suffisant. Il y a
un silence, ce qui me surprend. Avec Le Pen, ils sont rares.
Puis, sans irritation, il dit:
- Il fallait que certaines choses fussent dites.
- Par Maitinez ?
- Pourquoi pas ?
Là il s'énerve un peu. A sa façon inspirée, éloquente et
péremptoire, il chante !es mérites de Jean-Claude Martinez.
Parce qu'il est dr61e, on le prend pour un rigolo, on a tort.
C'est un grand esprit, perspicace, pe1tinent, lucide. Il sait
beaucoup de choses. C'est lui qui, le premier, a révélé le
scandale de la vache folle et dénoncé !es dangers. Il va.
Il monte. Il développe. Tout cela n' est pas faux.


PRÉF A CE

Personnellement je n'aì 1ìen contre les rigolos. Je ne fuis que


les sìnìstres. Jean-Claude Maitinez m'amuse. Il peut etre
d'une dròlerie épatante. Je me souviens d'un sketch qu'il
improvisa à la télévision avec la Mère du Peuple, Ariette
Laguìllier :
- Ariette ... Vous permettez que je vous appelle Ariette ?
Appelez-moi Jean-Claude.
Dit d'une voix pétillante et sucrée, avec les mines, l' ceil facé­
tieux derrière les lunettes, la bouche gourmande, le sourire
malin-calin, l'effet était irrésistible. Cela valait Bourvil dans
l' Eauferrugi11euse. Seulement Bourvil ne faisait pas de poli­
tique. Martinez, si. Je ne pouvais oublier qu'il avait été
membre de la section socialiste de Sète (Hérault) jusqu'en
1981. ]'r'ayant pas été retenu comme candidat ayant des
chances sérieuses d'etre élu, lors des législatives qui suivi­
rent l' élection de François Mitterrand à la présidence de l a
République, le gauchisme de Jean-Claude Martinez com­
mença à mollir. Il offrit sa candidature à l'UDF, puis au RPR.
Ils la refusèrent. Alors il se rabattit sur le Front national. Il y
entra au début de 1986. En mars il devenait député de
l'Hérault. C'était une promotion ultra-rapide. Elle se réalisait
au détriment d'Alain Jamet. Grièvement blessé durant la
guerre d' Algérie, ami de jeunesse de Pierre Durand, puis de
Jean-Marie Le Pen, militant du Front depuis sa fondation, fils
de Claude Jamet, normalien, agrégé de lettres, critique litté­
raire (spécialiste de Victor Hugo), écrivain (Fifi-roi), pacifiste,
homme de gauche épuré en 1944, frère de Dominique Jamet,
un des meilleurs joumalistes français de ces demières
années, Alain Jamet devait conduire la liste du
Rassemblement national dans l'Hérault. On le remplaça par
Jean-Claude Martinez dont il n 'avait, il faut le dire, ni le
brillant, ni la faconde, ni l'arrivisme.
Sitot à I'Assemblée nationale, celui-ci faillit tomber dans un
piège. Des joumalistes monteurs de coups lui firent miroiter
la possibilité d'entrer dans le gouvemement Chirac s'il quit­
tait le Front. Il y eu un rendez-vous, au Lutétia si mes souve­
nirs sont fidèles. La discussion commença, mais l'affaire
touma court. Martinez était-i l tenté ? Voulait-il piéger les
piégeurs ? On ne le sut jamais. Les avis sont partagés. Il resta
une ombre, une gene . . .
Quand Le Pen s'enthousiasme, ce sont des vétilles qui ne
sauraient ralentir son élan. Comme i l utilisa Mégret contre
Stirbois, il va utiliser Martinez contre Mégret. J'enregistre
l 'incident. II ne me surprend pas outre mesure. Je dois à la
vérité d'avouer que je n'en mesure pas l'importance. Ce ne
sera que bien des mois plus tard que tous ces directs sur
images, isolés et dispersés, se classeront, se relieront et se
mettront en marche pour former un film cohérent. Me retour­
nant sur ce passé encore vi vant, un peu perdu comme le Petit
Poucet dans sa foret, je découvrirai alors que les cailloux
laissés en chemin jalonnent l a route d'une catastrophe pré­
méditée. Mais les dés rouleront déjà et ce sera trop tard.
A la fin du mois de mars 1997, le X· Congrès du FN se tint à
Strasbourg. Rien à voir avec le séminaire de Juillet, encore
que le second sera une conséquence du premier. On se sou­
vient encore du climat d'émeute qui l'entourait. L'extreme
gauche, mobilisée, arrivait par trains gratuits. L'émeute cou­
vait, tandis que les séances du congrès se déroulaient dans le
calme et la sérénité. Les observateurs notaient l ' efficacité de
l'organisation, l' application des congressistes, le sérieux des
travaux, l a qualité des discours. C'était un grand congrès.
Lors de l'élection au comité centrai, Le Pen et Mégret arri­
vèrent largement en tete, devant Le Gallou (troisième) et
Gollnisch (quatrième). Instance supérieure du mouvement. le
congrès consacrait le ticket Le Pen - Mégret des Européennes
de 1 994. En revanche il refusait à Marine Le Pen le droit de
siéger au Comité centrai. Elle n'obtenait pas le nombre de
voix nécessaires. Les lepénistes ctièrent au complot. Le mot
f
P R É F ACE

est un peu gros pour une vacherie somme toute subalterne.


Qu'il y ait eu des consignes de vote contre la fille cadette du
Président semble par contre évident. « Je n 'en sais rien, mais
j'e11 suis siìr », selon la forte expression que l'on preta à
Charles Maurras.
Sur le premier vote, Le Pen ne broncha pas. Il n'était pas
besoin pourtant d'etre licencié en psychologie pour imaginer
les conclusions qu'il pouvait tirer de cet avertissement. Sur le
second, il réagit. Il passa outre. Il excipa d'un dysfonction­
nement des appareils enregistreurs et déclara Marine Le Pen
régulièrement élue. Ce n'était pas la première fois. A Port­
Marly, le précédent congrès avait blackboulé Jean-Michel
Dubois, auquel le Président voue une amitié dont les raisons
sont toujours restées mystérieuses. De Duboisje ne connais
qu'un bon mot. Sa femme venait de mettre au monde deux
jumeaux. Il expliqua :
- C'est parce que-queje suis bègue.
Antoine Blondin eut apprécié. Pour faire un conseiller de
premier pian, le bagage demeure un peu mince. Malgré le
veto du Congrès, Jean-Michel Dubois n'en fut pas moins
coopté au Comité centrai par volonté présidentielle. Le
passe-droit familial en faveur de Marine devenait banal. Je ne
le retins pas. Je jugeais normai le bon score de Mégret etje
ne le retins pas non plus. Je manque souvent de subtilité et
plus encore de méfiance.
L'affaire Susini me frappe davantage. Dans les premiers
jours du mois de mai 1997, j'apprends que Jean-Jacques
Susini sera candidat du Front à Marseille.
- Jean-Jacques est dans !es Bouches-du-Rhone en mission
commandée, me dit Pierre Desmaret, un journaliste replié
dans le Midi. Je l'avais eu dans mon service lorsque j'étais
rédacteur en chef de Minute. Nous avions conservé des rela­
tions d'amitié.
--------- o1QfJfJ ('Jo0J1J'!,a M/l_ --------­
"•

La nouvelle me stupéfie. J'avais connu un pcu Susini. Jc


l' avais caché chez moi deux ou Lrois semaines quand il était
traqué par la police. Au cours de celle hospitalité, Susini ne
cacha pas le peu d'estime qu' il nourrissait pour Le Pcn. Il
niait ses qualités politiques et ses possibilités de réussite. De
son coté, Le Pen détestait Susini. Il critiquait son comporte­
ment lors du procès des Barricades et son action dans l'OAS.
Il le trouvait dangereux et douteux. Il me reprochait de lui
avoir donné asile. Certes, depuis lors, du temps avait passé.
Il devait bien y avoir vingt ans que Jean-Jacques Susini ne
m'avai t pas donné signe de vie. Il n'était plus clandestin. Cet
antagonisme vite allumé et tranchant entre deux chefs m'était
cependant demeuré vivace en mémoire. J'interroge Le Pen
sur les raisons de celte surprenante alliance. Bonhomme, il
me répond, tout débordant d'une sagesse nouvelle :
- A quoi bon trafoer de vieilles querelles ? Et puis Susini ;
bien mérité quelques égards.
Dans Un hold-up raté, le "Dernier Cahier" que j'écris sur !es
élections de la dissolution, je me contente de noter : « C'est
une surprise ». Je ne suis pas dupe. Je gamberge ferme. Je me
refuse à admettre que Le Pen ait dépeché Susini dans la
PACA pour y contrer Mégret, parce que ce serait reconnaitre
que la guerre est déclarée. Je ne le crois pas. Je ne veux pas
le croire. Je suis comme !es copains : je n' aime pas voir ce
que je n'ai pas envie de voir. Roland Gaucher, lui, ne s'y est
pas trompé. Dans Militant, il analyse la manreuvre. Je la tem­
père en me disant que Gaucher a un compte à régler avec
Le Pen. ça continue de me turlupiner. Je pense aux cathos
frontistes de Marseille, Maurice Gros et ses amis. Ils
tenaient Mégret pour un dangereux pai"en. Maintenant ils ont
I ' antéchrist.
Sur ce, comme au Chatelet, la scène toume,le décor change.
Nous sommes le 31 mai , à Mantes-la-Folie. Mmie-Caroline
Le Pen, qui a quitté Neuilly-sur-Seine, banlieue douce , pour
PRÉFACE

Mantes, banlieue dure, est aiTivée en téte au premier tour,


devant le député-maire sortant RPR et la candidate socialiste
Annette Peulvast-Bergeal. Son père vient l'assister dans l�
demière visite du dernier marché. Le projet devait étre garde
secret, mais le secret existe-t-il quand il concern e le Front ?
En tout cas, les télés, radios et presse ont été prévenues. Par
qui ? Elles sont là. Le comité d'accueil coco-socialo- trotsko­
vert-Ras \'Front est en piace. Ses munitions sont prétes : bou­
lons, pierres, reufs. C'est l'ernbuscade civile dans toute sa
splendeur. Il serait préférable de l'éviter et de continuer à
rouler. La première voiture, celle des policiers s'arréte. Celle
de Le Pen s'immobilise. Il en sort. Aussitot c'est la tornade
anùllaise, \es cris, \es poings dressés, le bombardernent. Le
torse et le mufle en avant, Le Pen fait front. La télévision ne
le quitte pas. On ne voit pas ses agresseurs, mais on le voit
marcher sur eux, \es poings serrés. On l'entend les apostro­
pher :
- Je vais te faire courir, pédé.
Il plastronne un peu. Il a l'air à son affaire. Il ajoute.
- ça me rajeunit !
Et :
- Je n'aijarnais eu peur d'un homrne. De plusieurs non plus.
Ce qui pourrait passer pour de la forfanterie n'est que l'ex­
pression de la vérité. Il découvre l'instigatrice du guet-apens :
Mme Peulvast-Bergeal. Elle avait ceint son écharpe, pour
qu'on la reconnaisse. Maintenant, devant l'échauffourée, elle
a peur. Elle est recroquevillée contre un mur. Le Pen l'invee­
ti ve. Elle le regarde, horrifiée. Vingt fois, cinquante fois,
toutes les chafoes passeront et repasseront cette image.
France-Soir la publiera en première page, avec un titre en
caractères d'affiche : LE PEN u.. HA/NE. Dans mon fauteuil télé
à bascule, où je suis les érnissions pour Mathilde Cruz, un
cahier de notes sur les genoux,je rumine. Que diable est-il
allé faire dans celte galère ? Les militants vont étre ravis de
voir le chef en action. Mais l'électeur moyen ? Celui à qui
Le Pen fait peur, mais qui voterait Marie-Caroline parce
qu' elle est une jeune femme jolie, charmante, courageuse,
disant simplement des choses justes ? Jean-Marie a trop
d'expérience électorale pour n'y avoir pas pensé. Si l'un de
ses lieutenants s'était permis celte bavure,il l'aurait frictionné
au savon noir et au gant de crin. Il sait faire ... Alors pour­
quoi,pourquoi ? Je m'interroge. Après bien des hésitations et
avec beaucoup de regrets, il avait suivi le conseil de la plu­
part de ses amis,dont j'étais : il avait renoncé à se présenter
à ces élections législatives. Nice ne lui réussissait guère.
L'adversaire eut concentré ses forces contre lui. Un médiocre
résultat l'eut affaibli à l'intérieur comme à l'extérieur du
Front. Il écoutait nos arguments, fermé, et s'il finit par s'y
rendre, ce fut à contre-creur, pas convaincu, arcbouté sur un
de ses axiomes favoris : quand on va à la chasse,on n'est pas
sfir de ramener du gibier,mais si on n'y va pas,on est certain
de ne pas en avoir. Cette campagne électorale où il n'était pas
candidat, directement impliqué, en première ligne, avait diì
l'exaspérer. A Mantes il se défoulait. Il était au creur de la
mélée. Il montrait à la France entière, aux femmes, aux
hommes, aux jeunes, aux vieux, aux copains et à ceux qui
font comme si, que le grand-père avait de la moelle, une
sacrée péche, Jobic ! et qu'on le trouvait quand on le cher­
chait,et méme quand on ne le cherchait pas. Qu'importaient
les résultats. Il n'en était pas comptable. On lui avait demandé
de ne pas étre candidat et il ne l'était pas. Alors ? Je gam­
berge. Je trouve dix explications,mais pas celle-ci que j'enten­
dis un jour dans la bouche d'un lepéniste délirant :
- Ce sont Marie-Caroline et Philippe Olivier (son compa­
gnon, un des seconds de Mégret) qui ont monté le coup de
Mantes-la-Jolie,pour nuire au Président !
Sans commentaires.
PR ÉFACE

Après l'épisode sanglant du séminaire strasbourgeois, deux


incidcnts marquèrent mon été. Le premier appartient au
genre burlesque. N'ayant pas encore réussi à etre élu au suf­
frage universel président réel de la République française,
Jean-Marie Le Pen décide d'en devenir le président virtuel en
constituant un gouvemement fictif qui exercera ses pouvoirs
illusoires à l'hotel Crillon. Le choix était heureux. L'hotel
Crillon doit son nom à un illustre homme de guerre appelé
"le brnve des braves" par Henri IV. C'est un des hotels les
plus luxueux du monde, fréquenté uniquement par le gratin
du grntin. Les représentants du populisme triomphant n e
pouvaient rever mieux. Sur la piace de la Concorde, il fait
foce au Palais Bourbon qui, de l'autre coté de la Seine, ab1ite
l'Assemblée nationale. L'Elysée est à deux pas. On peut s'y
rendre à pied, en voisin. Le choix du Premier ministre révèle
bien les arrière-pensées du moment et la machin ation en
cours. Le Président choisit le meilleur, c'est-à-dire Jean­
Claude Martinez. L' objectif étant la provocation soumoise,
les portefeuilles les plus prestigieux ne sont pas réservés aux
mégrétistes. Le Conseil se réunit dans un salon de cinquante
places loué pour la circonstance 15 000 F la séance. La réus­
site d·une entreprise de celte ampleur n'a pas de prix. A la
porte, un huissier à collier annonce solennellement l'arrivée
des grands serviteurs de la VI' République. Je ne sais si ce
ministère d'entrainement exerce toujours son magistère. On
n·en entend plus parler. Lorsqu'il fonctionnait, il est vrai
qu·on n'en parlait pas davamage.
Le deuxième incident relève des histoires édifiantes, comme
aimaient en lire les creurs tendres quand il en existait encore.
Je vais étre décoré. Au mois d'avril, Ies deux Bruno, Mégret
et Gollnisch, m' ont averti par coun-ier séparé. Le Président et
le comité de la Fiamme ont décidé de distinguer mes mérites
ainsi quc mon dévoucment à la cause nationale en me confé­
rant la Fiamme d'Honneur du Front national. A l a lettre cir­
culaire dactylographiée, Bruno Gollnisch ajoutait quelques
mots à la piume. Il est émouvant de les lire aujourd'hui
Mon cher François,
Honneur à toi, l'ancien ! A toi dont la piume vaut mille épées et
dont le courage est un modèle.
PS. Le Racismejudiciaire m'a regontlé la mécanique. Si tu n'écrivais
pas tout cela, on aurait tendance à l' oublier. Et il est bon qu 'on ne
l'oublie pas . . . Ah ! le� salauds . . .
La cérémonie fixée au 1., mai fut remise à la fin du mois de
septembre, aux BBR. Le 19 de ce mois, Martin Peltier me
prévient. Bruno Mégret et quelques autres dirigeants du FN,
dont Martial Bild, venaient de décider d'interdire à l'étalage
Xavier Vallat et la Questionjuive, le "Dernier Cahier" que je
venais d'écrire à l'occasion du cinquantième anniversaire de
son procès en Haute Cour. J'écrivis aussitot au Délégué
général :
Je ne doute pas de la pertinence des raisons qui vous ont amené à
prendre cette décision. Pourtant mon premier rétlexe fut de manifester,
par mon absence aux BBR, contre le traitement qui m'était intligé. Et
puis j'ai pensé à notre combat, à votre combat à Vìtrolles, au plaisir
que nous allions donner à l'ennemi. J'ai décidé de ne pas gontler
l'incident. Je serai donc présent, à la piace que me loue Narional
Hebdo dans son stand, et j'y signerai )es ouvrages que vous n'aviez
pas interdits l'an passé. En revanche, je ne participerai pas à la céré­
monie de la Aamme où vous m'aviez prié. Il n'est pas souhaitable que
le Front national décore publiquement un homme dont vous ne tolérez
)es écrits que sous le manteau. De mon còté, je ne puis accepter d • etre
décoré - essentiellement pour mon travail de joumaliste et d'écri­
vain engagé - le jour où vous interdisez d'étalage, donc de vente.
mon dernier ouvrage, un de ceux qui me tiennent le plus à creur.
Cette distinction - que je n'avais pas sollicitée - c'est vous­
meme et le Secrétaire général, M. Bruno Gollnisch. qui me l'aviez
apprise en avril. Le Président ne m'en ajamais soufflé mot. Peut-etre
l'ignore-t-il ? Si ce n'est pas le cas, il vous reviendra, et à Bruno
Gollnisch, de lui expliquer )es raisons de ma carence et de lui
présenter mes excuses.
P RÉFAC E

Je regrettemì cette décoration. Je n'en ai jamais eu. Meme pas la


Fmncisque, ce doni je ne me consolerai jamais. La Fiamme du Front
national eut éclairé mon curriculum vitre si le Wlw s W/10 ne m'avait
pas chassé de ses colonnes, voilà cinq ans, pour des raisons qui ne sont
pas tellement éloignées des vòtres. Je me consolerai, cette fois, en me
disant que s'il me faut choisir entre la Fiamme d'Honneur et l' honneur
d'écrire (et d'éditer) Xavier Val/at et la Q11estio11 juive, j'ai la faiblesse
de preférer avoir écrit (et édité) Xavier Vallat.
Pour dactylographie, celte lettre est d' abord faxée à National
Hebdo. Jean-Claude Varanne, son directeur, l ' intercepte et la
communique au Président avant que le destinataire ne l ' ai t
reçue. On ne saurait lui en vouloir. I l n e fait que son travail
dont l'essentiel est de regarder, d'écouter, de rendre compre
avec diligence et d' appliquer les consignes avec rigueur.
Le Pen infonné, tout s' arrange aussi rapidement, artificielle­
ment et harmonieusement que le dénouement d'une comédie
de Molière. Je reçois de Bruno Gollnisch le mot suivant :
C'est moi le fautif. Ils ont repris une réglementation à l'édiction de
laquelte j' ai contribué en 96. J'en avais marre de voir !es télés, en
guise de recension des BBR, se précipiter sur te! ou te! bouquin
vantant !es mérites d'Adolf ou !es bienfaits de l'ordre SS. Je déteste
le "politiquement correct" mais je ne voìs aucune raison d'etre
plus germanophile que !es Allemands.
Naturellement cela ne visait pas tes ouvrages. Mais l a Joi vit de s a
vie propre et d u zèle de ceux qui l' appliquent.
Tout est rentré dans l'ordre aujourd'hui. Alors, vieux frère, viens
recevoir cette Fiamme à Iaquelle Jean-Marie tient beaucoup.
Tu nous ferais plaisir à tous.
Sur l'estrade, en m'enflammant, Jean-Marie Le Pen me mur­
mure à l'oreille, pour montrer qu'il était au parfum de l a
Francisque :
- Je n'ai pas mieux à te donner.
II rit. Je vois Mégret. Je lui présente mes excuses. Il est sur-
pris. Je lui raconte la carte de Gollnisch : « C'est mai le fau­
tif ». Il est encore plus surpris.
L'histoire m'enchante. Elle jure avec le feuilleton sordide
que l'on ne cesse de nous raconter. Elle prouve que rien n'est
perdu. Le pire peut toujours etre évité. Je me dope à l'angé­
lisme. Si j'ouvrais une auberge, je l'appellerais : "Au rendez­
vous des pas trop moches ". Malgré !es salades, le sordide
ambiant, le merdique vertical, horizontal et en profondeur, le
venin, la saloperie qui suinte, le tcha-tcha-tcha des cloportes,
il y aura du monde.
1998 : La fin du commencement.
Je dois ressembler au brave soldat Chveik. C'est un person­
nage du folklore antimilitariste des années 20. Toujours
battu, jamais abattu. C'est l'hiver. Il fait un froid de canard.
La cabane de Chveik est sans feu. L'eau gèle dans le broc.
Quand il sort, ses méchantes bottes s'enfoncent dans la neige
et elle tombe, du ciel gris, en flocons serrés sur les sapins
déjà blancs. Mais ça ne fait rien. Le brave soldat Chveik
chante :
C' est le doux printemps qui revient
Qui revient...
Le feu d'artifice des Régionales de 98 rend ridicule le mélo­
drame de la rupture du Front. La campagne a été tonique.
Venant de la classe politique et des médias, les vagues de
haine n'ont cessé de gronder et de déferler. Les vrais son­
dages doivent donc nous etre favorables. Cette fureur à son
paroxysme ne peut que nous souder. Comment pourrions­
nous nous déchirer devant elle ?
Après l'angélisme, c'est la logique qui me donne un moral
d'acier. On ne se soude bien que contre. Les faits me donnent
raison. Nous gagnons deux points. De 13 % et des poussières
aux demières Régionales, nous passons à 15 et quelques . . .
Naturellement, certains font l a fine bouche. Tout particuliè-
r

P RÉFACE

rement ceux qui annonçaient 18, 20 %, des chiffres ballon,


des chiffres bidon, dorés et dopés à la poudre de perlimpin­
pin. Cette manie me met en rage. Meme quand nous gagnons,
nous perdons, puisque nous sommes bien au-dessous des
résultats espérés. Reste que nous progressons sur des terrains
qui généralement ne nous étaient pas favorables et, surtout,
que le Front occupe une position d' arbitre dans la moitié des
régions.
Si l'UDF et le RPR continuent de souscrire à l'engagement
qu'ils prirent, au cours des forums organisés par l'internatio­
nale raciste juive, connue sous le nom étrange pour nous de
B'nar B'rith - en hébreu !es "Enfants de l' Alliance" - de
ne s'allier en aucun cas avec le Front national (Le Monde,
16 mars 1986), l'UDF et le RPR vont livrer à la gauche socialo­
communiste et à l'extreme gauche verts-trotsko ces régions
où ceux-ci sont minorité. Dans le cas contraire, si l'UDF et le
RPR rompent avec l'intemationale raciste juive (seuls !es
juifs peuvent faire partie des B'nai" B'rith), établissant avec le
Front national !es bases d'un accord minimum, une dizaine
de régions ne basculera pas à gauche et non des moindres :
Paris - Ile-de-France, Rh6ne-Alpes, la PACA se trouvent
dans ce cas de figure.
Etre arrivés à imposer cette situation constitue une victoire
forrnidable. Nos ennemis ne s'y trompent pas. Ils adjurent les
élus concemés de ne pas tomber dans le piège et leurs véhé­
mentes prières sont assorties de promesses, de menaces et de
pressions. A l'opposé, je note des réticences chez quelques­
uns de nos amis. Elles sontjustifiées. La manreuvre ne va pas
sans risques. Au stade de développement où il se trouve, le
Front national a le choix entre deux politiques. Une politique
dure, de continuer dans la solitude et l'isolement, sans com­
promissions, sans ententes négociées. Une politique plus
souple qui, à coups d'accords locaux et limités, nous permet­
trait de sortir de la quarantaine où nous sommes enfermés. Il
--------- o-{Q/J() (IJ()f�
�a � ---------
. ...
y a là un vrai sujet de débat, qui dépasse les querelles de
bonshommes. Je m'y préte volontiers. Je comprends les deux
positions. Par nature, la première me retient. Par réalisme, la
seconde m'attire. Que ce soit l'une ou l'autre, toutes deux
exigent un parti uni, soudé au feu comme je l'écrivais tout à
l'heure, solidaire, et manreuvrant au sifflet. Voilà ce que je
pensais en ce printemps de 1998. Je viens de l'écrire dans Avant
de prendre congé <2>, mon demier "Demier Cahier". Pennettez
que je me cite. Après avoir montré que je n'étais dupe ni des
dangers, ni des truquages de l'élection, je poursuivais :
. . . c'est la seule chance qui nous reste, une toute petite chance,
mais une chance, de conquérir le pouvoir - ambition haute -, de
peser sur la politique de notre pays - ambition moyenne -,
d'empécher le pire, ou de le freiner - ambition basse, celle qui
nous est tolérée pour l ' instant [ . . . ]
Si Jean-Marie Le Pen n'avait pas donné au mouvement nationaliste
français cet outil d'un rassemblement pour l'élection, formé, forgé,
soudé, tendu par elle, il n' existerait plus que dans les banquets d' anciens
combattants. Grace aux suffrages, ce qu'ils s'époumonent à appeler
l'extréme droite, dans l ' espoir de lui nuire toujours davantage, est
devenu le centre de la politique française. Les Régionales et leurs
turbulences ont fait du Front national !'arbitre et l'atout maitre de la
situation. C'est une chance. Devant la coalition de l'extréme
gauche, de la gauche et du parti communiste, et la trahison en rase
campagne des appareils parisiens de l'UDF et du RPR, jamais le
pays n'a eu, plus qu' aujourd'hui, besoin du Front national.
A la relecture, ces mots sonnent comme un glas. On pourrait
les croire venus d'un passé très lointain. Ils ne datent pour­
tant que de l'an demier, d'avril 1998 exactement. Une année
aura suffi pour que méme l'ambition basse nous soit inter­
dite alors que nous aurions pu étre, en nombre de voix,
devant l'UDF, les centristes et le RPR.
Ces phrases, je les sors de I'oubli où elles dormaient, bien au
frais, parce qu'elles sont révélatrices de mon état d'esprit au
lendemain des grands remous de 1997. Rien n'est résolu. En
PRÉFACE

décembre, en pleine campagne électorale, Le Pen est allé à


Munich, pour recevoir le livre que S choenhuber, ancien
Waffen SS et député européen, a écrit sur lui : Le Pen, le
rebelle. A une questi on du joumaliste-provocateur de service,
il nous a refait le coup du détail. Cela ne me choque pas, on
s'en doute. J'ai toujours et partout soutenu Le Pen dans cette
histoire. Le mot n'est peut-etre pas très heureux. On sait dans
quelles circonstances il fut prononcé. Le Pen demandait que
la liberté de discussion soit accordée aux historiens et spé­
cialistes. Est-ce scandaleux ? Mais, à Munich, il n'y avait pas
de surprise. Le Pen savait ce qui l' attendait. Le lieu et la date
étaient mal choisis. Tlze big orchestra de l' intox permanente
se mit à ronfler de tous ses orgues. Nos militants toussaient.
II fallait se remettre à expliquer le "détail". Je reçus une
dizaine de coups de fil de province. Certains se lamentaient.
D'autres rouspétaient. D'autres encore - plus grave - sus­
pectaient. Ces petites phrases qui échauffaient les esprits,
alors qu'il eut fallu apaiser, étaient-ce seulement des bévues
de hasard ? L'antagonisme demeurait aux aguets.
Le dimanche 8 février 1998, à 1 9 heures, Miche! Field, le
successeur d' Anne Sinclair à TFI, reçoit le président d u
Front national. Il évoque le ròle de Mégret. Que se passerait­
il lors de la succession, s'il prenait trop d'importance ? Des
millions de téléspectateurs voient le Président se fermer. Son
masque se durcit. Son rei! flamboie.
- Si tel était le cas un jour, je prendrais les mesures qui
s'imposeraient, répond-il d'un ton qui aurait glacé les creurs
les plus intrépides.
Ce sont des faits. Ils montrent à l'évidence que la tension n ' a
pas beaucoup baissé. Cela ne change rien à m a conviction :
l'intéret commun des deux hommes sera plus fort que leurs
divisions, plus fort que les ambitions exacerbées par les
jalousies, les rancreurs, les intrigues des courtisans, et àussi
par le temps, le terrible temps qui n' arrete jamais, le temps
qui passe et rétrécit inexorablement les chances. Conclusion
il ne se passera rien de définitif avant les Européennes. En
voici encore une preuve. Dans Avallt de prendre congé
(deuxième partie), Anne Le Pape me demande quelques scé­
na1ios d'avenir. Pas un n'envisage l 'éclatement du Front.
Quand on prétend regarder loin, il arri ve de ne pas voir le fossé
qui se creuse sous vos pas. Je vais donc tomber de plus haut.
Jean-Marie me téléphone. Le procès de Mantes a eu lieu à
Versailles. Le jugement est proche. Et si l'établissement en
profitait pour prononcer l'inégibilité du président du Front ?
- Ne t'en fais pas, dit-il, jovial. Le nom de Le Pt:n sera tou­
jours en tete de la liste des Européennes.
Il ne précise pas. Je songe à Marie-Caroline, à Marine, dont
on dit que c' est son père en jupon. Pas un instant je ne pense
à sa femme. Pourquoi ? Si je la connais peu, je la trouve sym­
pathique. La demière fois que je l'ai vue, c'était à Saint­
Nicolas du Chardonnet. L'abbé Laguérie célébrait une messe
à la mémoire de Jacques Perret. Jany Le Pen y représentait
son mari empeché. Après l'office, sans manières, elle nous
accompagna chez Amar, le Kabyle, manger le couscous. Le
gourbi convenait mal au manteau de fourrure et à la robe de
haute couture. Elle fut naturelle, pas appretée pour un sou.
Quoiqu' elle déclarat ne pas connaltre grand-chose de Perret,
elle se mela à notre conversation avec aisance. Tout le monde
s'accorda à la trouver épatante de simplicité. De là à l'imagi­
ner en tete de la liste maudite, entrant dans la cage aux fauves
où les chacals de la téloche l' auraient attendue en se pourlé­
chant les babines, il y avait un pas. Je n 'envisageais meme
pas qu'il put etre franchi.
Aux premiers colporteurs de la rumeur : « Jany n ° 1 », je
rétorque, catégorique et compact
- Impossible.
- Et pourquoi ?
PR ÉFAC E

- Jean-Marie a fait appel du jugement de Versailles. Parler


dès maintenant de la candidature de son épouse reviendrait à
considérer la Cour acquise à la décision du tribunal. Le Pen
a trop le sens et le gout de la bataille judiciaire pour com­
mettre un parei) impair.
Voilà qui est raisonné et parlé. Je n'oublie qu'un petit
"détail". Et si l'annonce précipitée de la candidature de Jany
Le Pen ne servait pas seulement à préparer le terrain et I' opi­
ni on ? Et si elle servait aussi à faire sortir Mégret du bois ? A
l'obliger à accepter ou à réagir ? En un mot comme e n cent,
à le provoquer, afin qu'il commette publiquement l a faute de
résister au Président ?
Cette éventualité m'a échappé. Je ne fréquente pas la Cour.
J'ignore que le projet est déjà engagé. Le Pen e n a parlé lors
du Conseil exécutif qui s'est tenu le lundi 6 juillet, au matin.
Il a exprimé sa volonté de présenter Jany Le Pen au cas où la
Cour d'appel confirmerait son inégibilité. Seul Bruno Mégret
a marqué son désaccord.
J'ignore aussi que le Délégué général et le Président se sont
vus en tete-à-tete pour en parler. Je ne l'apprendrai que plu­
sieurs mois plus tard, quand Jean-Marie Le Pen me commu­
nique le rapport secret de Franck Timmermans, où l' on peut
lire ceci :
8juillet 1998 - B. Mégret rencontre à Montretout le Président pour
lui expliquer les raisons de son désaccord et pour lui dire qu'il est
volontaire, à toutes fins utiles, pour conduire la l iste, mais qu' i l n e
pense pas opportun de parler des investitures européennes avant d e
connaitre l a décision de la Cour d'appel d e Versailles.
J.-M. Le Pen conteste évidemment son point de vue et énonce les
avantages que présenterait la candidature de sa femme . . .
Après un long débat explicatif entre eux, frane e t courtois, les deux
hommes se quittent en se mettant d' accord pour ne pas bruler les
étapes. Jean-Marie Le Pcn, pour prendre le temps de la réflexion,
(}JOJu.E-
________ � f?'atuP/l. -------

ira meme jusqu'à envisager de tenter un sondage panni les élccteurs


pour lenir compie du sentiment de la "base".

Je fais partie dé cette "base". Le Pen sonde lui-méme,


camme toujours moins pour entendre mes raisons que pour
m'exposer )es siennes.
- Qu' en penses-tu ?
- C'est une erreur Ge crois que j' ai meme dit : "connerie"),
et ressentie com me teli e par tous )es gens que j 'ai rencontrés.
- Mais non. Vous vous trompez. Avec Jany, nous allons
créer la surprise. C'est une femme élégante, parisienne, avec
du charyne. Elle a des origines grecques et hollandaises. C'est
ça, l'Europe. Elle fera entendre la voix nouvelle d'une
femme qui ne fait pas de politique. Elle plaira à tous ceux qui
en ont assez des rhéteurs et des idéologues. Je suis certain
qu'elle fera plus de voix que moi.
-Alors n'hésite pas. Si tu redeviens éligible, conserve-la en
n° 1, pour le succès de la liste.
Il rit, mais ne répond pas. Tout va s'enchainer très vite, dans
un mouvement irrésistible, celui du toboggan. On ne parie
plus que de Jany Le Pen. Lors d'un entretien avec Martin
Peltier, elle fond en larmes. Cette aventure l'effraie. Mais
Jean-Marie le veut. Je ne rencontre pas une personne qui y
soit favorable. Les fidèles, les grognards, ceux de la première
caravane à travers la France, avant Tixier, baissent la tete,
accablés. Ils se taisent ou, quand ils parlent, ils disent :
- Que veux-tu qu'on fosse ? Tu le connais ...
Bientot l'évidence s'impose. La candidature de Jany est une
machination pour empecher la candidature Mégret, si l'inéli­
gibilité est maintenue. On peut lire dans une interview du
Figaro :
Questio11 : N'y a+il pas aussi des ar!!uments en faveur de la
candidature de Mégret ?
PRÉFACE

Répcmse : Si on choisit quelqu'un d'autre qu'un membre de ma


familk, beaucoup peuvent y prétendre dans notre parti. Ce serait un
comble. en tout cas. que certains veuillent profi ter des coups qui me
sont portés pour se promouvoir dans le parti (21 juillet 1998).
Les appels téléphoniques de J.-M. se font plus rares. Sa voix
est devenue hargneuse. II suit alors une de ces fréquentes
cures d'amaigrissement qui le laissent épuisé ou surexcité.
L'un l'a vu assoupi, absent, comme vidé, dans u n entretien.
L'autre, à l'opposé, l'a trouvé vindicatif, emporté, aboyant
des reproches. Je ne l'ai jamais vu plus imperméable aux
remarques qui ne vont pas dans son sens. L'affrontement aura
Iieu à l'Université d'été qui se tient à Toulon. Les images que
la télévision diffuse avec une générosité inhabituelle permet­
tent de redouter le pire. On voit Mégret isolé, errant dans les
couloirs, essayant de sourire sans y parvenir. Des groupes se
forrnent. Sur les visages on lit l'animosité, la suspiscion. La
haine nous cernait. Elle nous divise. Le Pen traverse l ' arène
le torse bombé, dominateur et furibond. Si l 'on n ' a pas com­
pris, on va comprendre. Son discours est sans réplique.
Il n'y a en effet, etje le dis en toute amitié et en toute affection, il n'y
a qu'un seul numéro, le numéro 1, élu à l'unanimité par le Congrès.
Alors j'annonce que je serai en tele de la liste aux élections euro­
péennes. Si le complot politico-judiciaire monté contre moi à
Mantes-la-Jolie devait aboutir à mon inégibilité, c'est moi qui
constituerais la liste des 87 candidats.
Ni le Comité centrai, ni le Bureau politique, ni le Conseil
exécutif n 'auront leur mot à dire. C'est le n ° I et lui seul qui
retiendra !es noms des 87 candidats et camme le n ° I est
favorable à la candidature de son épouse, Jany Le Pen sera
téte de liste.
C'est une fin de non-recevoir publiquement donnée à Mégret.
Fin aout, le Délégué général a fait savoir qu'il poserait sa
candidature devant !es hautes instances du Front. Il a donné les
raisons de son comportement dans une grande i nterview,
--------- o-1el>'l (IJtJJ�
'-< f? {ul
� --------
..
mesurée et réfléchie, de Béatrice Absil, parue dans Présent,
qui souffrira beaucoup de J'avoir publiée. Aujourd 'hui
Le Pen dit non, catégoriquement. Pas question. C'est mai qui
décide. C'est moi qui choisis. II ne reste plus au Délégué
général qu'à se soumettre ou à se démettre.
II se soumet. Au Bureau politique du 8 septembre, il vote la
confiance. Cette concession ne calme pas les esprits. La pro­
vocation rebondit. Quinze jours plus tard on apprend que
Jean-Claude Martinez vient de se voir confier la charge de
diriger la campagne des Européennes. Il nommera les
membres de l'équipe. Il décidera de la stratégie. Jean-Claude
Martinez qui vient de déclarer à I'Evénemellt du leudi, où le
Front national est insulté et diffammé en permanence :
Mégret, c'est Kabila. Il agit avec une précipitation d'adolescent
(3 septembre 1998).
Je le fais remarquer à Jean-Claude Varanne. II répond
- Ce n'est pas Jean-Marie. C'est l'entourage.
Le petit peuple disait déjà, du temps de Pétain :
- Ah, si le Maréchal savait ça . . .
Je vois mal L e Pen accepter de son entourage une décision
qui n' aurait pas son aval.
Un matin d'octobre, il arrive chez mai en coup de vent. Il
veut me demander . un papier sur un Iivre injurieux à son
endroit. C'est une demande très rare. En onze ans, il n'a pas
dG me suggérer plus de quatre ou cinq articles. Ce n'est pas
la seule raison de sa visite. Il est pressé. Il ne va pas plus loin
que le jardin. Empourpré il me fait le numéro des Révoltés du
Bounty. L'index dressé vers le doux ciel pommelé de l'Ile­
de-France, il tempete :
-Les félons ! Ah, ah ! On Ies penclra à la grande vergue. Ah, ah !
Son rire n'est pas gai. On croirait le cri d'un cormoran
PRÉFACE

emporté dans une rafale de force 9. Jean-Marie a toujours


aimé !es images empruntées à la voile. Il est le commandant
vìssé à la barre dans le coup de torchon, conduisant l e bateau
à travers les brisants. Les embruns l'auréolent d'une poussière
humide et qui b1ille. J'aì envie de lui faire remarquer qu' à la
mer on ne dìt pas félon. On dìt mutin. Mais à quoi bon . . . Ce
n'est pas le moment de le titiller sur des problèmes de voca­
bulaire. Je le regarde, constemé. Dans ces moments-là, le
creur et la gorge serrés, je me dis que c'est foutu. Il repart,
vent arrière, avec un grand geste.
Le 19 novembre, au nom du libre Jozmzal, M. et Mme Serge
de Beketch réunissent la presse nationale à venir écouter
Jean-Marie Le Pen pour parler du Front dans l a tourmente et
des élections européennes. Il y a là Camil le-Marie Galic
(Rivarol), Claude Giraud (Monde et Vie), Jean Madiran
(Présent), Martin Peltier (National Hebdo), Emmanuel
Ratier (Faits et Documellts) et moi au titre des Publications
FB (qui ne publient plus rien), peut-ètre aussi parce que je
suis le doyen, cruel privilège, depuis la semi-retraile de notre
cher Henry Coston. Tous ceux qui sont là ont beaucoup d' ad­
miration pour le président du Front national. Ils n' ont cessé
de la lui témoigner. Depuìs la guerre que deux équipes rivales
se livrent au sein du Front, pour des questions d'hommes et
de méthodes plus que de politique, ils en ont dit le moins pos­
sible. Ce qu'ils pensent de cet événement que certains pren­
nent comme un match et qui leur apparait comme un drame,
ils l'ont gardé pour eux. Leur loyauté a été totale. Le plus en
poìnte a été Serge de Beketch. Un nombre important de
cadres et de militants réclamaient un Congrès extraordinaire
où les difficultés seraient mises à plat. Pourquoi se refuserait­
on à le leur accorder ? Ne serait-ce pas le moyen le moins
mauvais de rétablir la paix indispensable ? La proposition
nous semble exempte de "félonie". Nous nous préparons tous
à une soirée passionnante. Le Pen va dresser un tableau de la
situation, peut-etre l'étayer d'inforrnations que - nous ne
connaissons pas. Nous exposerons nos sentiments, dirons nos
craintes, donnerons nos opinions, échangerons nos argu­
ments en confiance, dans l'amitié. Tout y concourt. Le diner
est très réussi - ce qui n 'est pas si fréquent. Aux déjeuncrs
de Montretout, en pa11iculier, la chair est triste. Délicate
attention : !es somptueux plateaux d'huftres et de coquillages
(ah ! !es palourdes) rappellent la Trinité-sur-mer. Les vins
sont choisis avec gout. Dans !es difficultés que connait notre
presse des catacombes, on mesure !es sacrifices qu' exige
cette hospitalité. Le Pen n'en a cure. Il n'a pas un mot de gen­
tillesse pour nos hòtes. Il ne dissimule pas le peu de valeur
qu'il accorde à nos petits journaux. Il a pour certains d'entre
nous des expressions qui frisent l'outrage. L'un d'eux se voit
reprocher d'animer « unefeuille anarchiste ». C'est vrai que
Le Pen s'y connait. En février 1971, le mémoire pour le
diplòme d'Etudes supérieures de Sciences politiques qu'il
présenta au professeur Duverger et soutint (avec Jean-Loup
Vincent) traitait du "courant anarchiste en France depuis
1945".
Quand je rappelle l 'affaire Stirbois, il m'interrompt, rogue et
excédé :
- Dis tout de suite que je l ' ai tué !
Toujours le vieux truc : accuser en toute mauvaise foi, pour
ne pas avoir à revenir sur un épisode genant.
Il a l e mufle des jours de combat. Abrupt, accusateur, impé­
rieux, ingénieux dans l'amalgame, méprisant dans l'attaque,
il charge au galop. Claude Giraud est traitée sans ménage­
ment. Deux fois, Peltier se lève pour s' en aller. Serge le
retient. A la fin je m'échauffe. Debout, je lance :
- Tout cela ne change rien à la réalité. Il n'y a qu'une façon
de gagner !es Européennes , c'est de présenter le ticket
Le Pen - Mégret.
Ses poings se seITent. A son regard féroce, deux idées me tm-

4-V
P R É F ACE

versent : " Et si Le Pen préférait la défaite à une victoire qu'il


aurnit du partager ? Et s'il lui était impossible, physiquement
et mentalement, d'envisager sa succession, et donc d'y tra­
vailler, dans la sérénité et l'intelligence, pour le bien com­
mun ? C' est cela aussi, le courage. "
Celte nuit-là le sommeil me fuit. l'allume plusieurs foi s pour
écrire. Je retrouve cette note :
Jean-Marie. Sans cet égocentrisme forcené aurait-il réussi à résister
à tout ce à quoi il lui a fallu résister ? Ne jugeons pas mais
préparons-nous au pire. La fin du commencement de la fin. La fin
d'une espérance. La demière . . . Heureusement que j ' ai 80 ans.
Coupable et responsable
Au Front national, tous mes amis ou presque sont lepénistes.
Sans bien connaitre le camp Mégret, je me doute qu'il n'est
pas innocent de cette bagarre sordide qui ne fait que gagner
en intensité. Dans ce genre d' affaire, les torts sont toujours
melés. Les Juifs exceptés, nous savons tous que nous
sommes toujours responsables, en partie tout au moins, des
malheurs qui nous frappent. Les effets ont toujours des
causes. Si le Président a pris ombrage de la montée en puis­
sance du Délégué général, ce n'était certainement pas sans
raison. Il n'en reste pas moins que le responsable n° 1 de la
crise et de la scission qu'elle porte en elle est le numéro 1,
puisqu'il n'y a pas de second. En raison des services rendus,
de ses qualités intellectuelles, d'un certain génie prémoni­
toire (pas toujours), de son poids physique, de son courage et
aussi du système qu'il a instauré, Jean-Marie Le Pen a tous
)es droits au Front national. Il en est le despote, éclairé par les
illuminations de la Providence. Il y a tous les pouvoirs, ce qui
lui impose de grands devoirs. Quand il s'éc1ie en bombant l e
poitrail : « Qui afait le Front ? », i l doit s'attendre à c e qu'on
lui réponde : « Et qui le défait ? » Il est le comptable de
l'reuvre accomplie avec des centaines de milliers de Français
qui lui ont apporté Ieur temps, leur argent, leur réussite

4V
--------- o,\e(>') ()JQ(>J
!I�
f.u(!//, ---------
.,
professionnelle, leur liberté, parfois leur sang. Responsable
des triomphes, il est responsable des défaites. Responsable
des splendeurs, il est responsable des catastrophes, et notre
division est la pire qui pouvait arriver. Responsable et cou­
pable de l'échec, car la division, c'est l'impuissance, il lui
fallait tout mettre en reuvre pour réduire nos divisions et
mettre un terme aux querelles, cette maladie organique des
Gaulois. Il le sait mieux que tout le monde. Ne sait-il pas tout
mieux que tout le monde ? En aoGt, dans son fameux dis­
cours de Toulon, il déclarait encore
Restons vigilants, parce que • vous avez pu voir comment sont
interprétées, à notre détriment ou à notre avantage, les moindres
discussions et les moindres divergences. Mise en scène d'une façon
souvent impudique, cene tactique vise à troubler la raison de nos militants.
Or le metteur en scène du misérable feuilleton de nos misé­
rables querelles, qui est-ce, sinon lui ? Qui mime à la télévi­
sion César égorgeant Brutus ? Qui a l'impudeur d'expliquer
le choix politique de sa fille Marie-Caroline par l'arnour qui
la lie à Philippe Olivier, un des lieutenants de Mégret ? (Quel
sujet de rnélodrame politique ... ) Comme le lutteur dans les
foires de jadis faisait la parade sur l'estrade, qui se vante de
sa force, de ses muscles, de ses "pompes", de sa jeunesse qui
ne doit rien aux élixirs ? Quand on pousse à la réconciliation,
qui répond, superbe, et l'on entend Pierre Brasseur jouant
Frédéric LemaHre :
- Oui, qu'ils viennent, mais en chemise et la corde au cou.
Qui ose utiliser les mots de l'ennerni : « racistes, antisémites »
pour dénoncer les camarades de combat. La LICRA peut
pavoiser. Le Pen lui donne raison. Quel argument contre
nous dans !es prétoires !
Qui permet à Christian Baeckeroot d'écrire dans Le Figaro :
« C ' est autour de Mégret qu 'il y a le plus de s11bstit11ts i11tel­
lectuels du racisme » (6 novembre 1998) ?
PRÉFACE

Dans une conférence de presse, qui ose révéler aux joumalistes


cnnemìs quc Le Gallou a épousé la fille d' un Waffen SS ? Le
Gallou étant né cn 1948, on ne peut lui reprocher son com­
portement durant les années Ies plus sombres de notre h istore.
Alors Le Pen, dans une fureur frénétìque et aveugle, pour
nuire à Le Gallou, s'en prend à son beau-père. Il a bien changé,
Le Pen. En 1963, avec qui fonde-t-il la SERP ? Avec Léon
Gaultier, ancien Waffen SS, grièvement blessé sur l e front de
l'Est, ouvert du ventre aux poumons, et qui, pour c e fait
d'arrnes, touchait une pension de guerre de l'Etat allemand. . .
On a honte d'avoir à rappeler ces faits. Il est vrai q u ' à
l'époque, Jean-Marie Le Pen n'envìsageaìt pas de faire de
Charles de Gaulle son numéro 2.
Le Pen s'est beaucoup plaint des incidents (insultes, invec­
tives, coups) qui troublèrent le Conseìl natìonal du 5 décembre.
Mais n'était-ce pas provoquer ces incidents que d'exclure
deux jours auparavant deux éléments clés de l' équipe Mégret :
Hubert Fayard, chargé de mission au FN, membre du Comité
centrai, premier adjoint au maire de Vitrolles, et Nathalie
Debaille, chargée de mission à la Délégation générale et éga­
lement membre du Comìté centrai ?
Jusqu' à la fin du mois de décembre, j 'ai tenu com me j' ai pu.
Vous trouverez à la fin de ce livre, les chroniques qui se rap­
portent à cette pé1iode et à l'aggravation de l a situation, ainsi
que quelques précisions et documents en annexes. Quand est
venu le temps des purges (Françoise Monestier, PieJTe Vial,
Jean-François Galvaire) et des censures (Konk, Maitin
Peltier), j'ai compris qu'il fallait s'en aller.
Je n'ai pas écrìt une ligne politique depuis janvier. Je ne
comptais donner à ce recueil d'aiticles sur des sujets divers
qu'une courte présentation. Je ne me suis résolu à cette pré­
face qu'après avoir eu connaissance d'un discours d u prési­
dent du Front national, prononcé le 20 juin 1999, lors d ' une
réunion du CNC, à Ncuvy-sur-Barangeon. Voici le passage
qui ne me parait pas admissible :
Tout cela était paralysé par les insurgés, les révolutionnaires qui
bénéficiaient, ce qui est mirobolant, mirobolant, du soutien de ce
que ) 'on appelait autrefois la presse arnie et qui, par sa neutralité
entre les agresseurs et les agressés, s'est conduite comme une
presse ennemie.
J'avoue ne pas bien comprendre comment des monarchistes ou
des nationalistes, les maurrassiens du quotidien Absellt, ont pu
expliquer à leurs lecteurs qu'entre Le Pen qui représentait la léga­
lité, l'autorité et la hiérarchie, i l fallait choisir, meme contre Louis
XVI, Robespierre et Marat.
Car c'est bien de cela qu 'il s'agissait. On est tenu par ses principes
ou on n 'est rien du tout, ou I ' on n 'est rien du tout. Et moi je dis
que quand on ne choisit pas entre la vieille dame qui se fait voler
son sac et poignarder, et le voyou qui I' a volée et assommée,
eh bien, on est complice, plus ou moins, de l' assassin.
Dans le meme mouvement se comparer à Louis XVI et à une
vieille dame, Mégret devenant RobespietTe ou Jojo le suri­
neur, pour déclarer complice d'assassinar un journal qui vous
a soutenu pendant seize ans, comme dit Le Pen : c'est miro­
bolant ! Après le Chant des partisans, le Front chanterait-il
Du passé faisons table rase ? Je sais bien que Neuvy-sur­
Barangeon est l'ancien chateau de Bokassa. II y a des
comportements de rois nègres dont il vaudrait mieux faire
l'économie.
François Brigneau
( I ) Pampl,/e/s, nux Editions du Clan (épuisé) et M1111 village à l'h,·11� sodalistt
(Publicn1ions FB).
AVE RTI S S EMENT

1 - Ces chroniques parurent toutes dans National Hebdo


durant les mois et les années qui précèdent le suicide.
Quelques amis les ont rassemblées. J'ai respecté leur choix.
le n 'ai apporté que quelques modifications deforme. le n 'ai
rien touché aufond. le n 'ai modifié aucun desjugements que
je portais alors sur lean-Marie Le Pen et le Front national.
La vérité est la vérité. L'Histoire est l'Histoire. le n 'ai ni
l'envie, ni le droit, de la/arder. Au demeurant, sur l'essentiel,
je n 'ai pas le sentiment d 'avoir changé.
2 - Les Publications FB ayant cessé leur activité en 1998, cet
ouvrage est édité à compte d'auteur à la meme adresse :
Auto-édition FB
21, rue Mademoiselle,
75015 Paris.
3 - Toute reproduction est interdite sans autorisation écrite
de l'auteur.

le remercie celles et ceux qui m 'ont soutenu dans ce travail.


Sans leur aide, j'aurais renoncé.
I"
:· c H R O N I Q U E S
·' '

, , _. . I

I - Petits faits (vrais) de société


fl • • ·, ' • r :·, ... ,

·I• ', .: I

,. . .. . ·,, -
. .
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,
• 1 . :,

·, e poids des mots était inutile. Le


Les obsèques choc des photos suffisait. Cene
du roi fois, . il ne s' agissait plus
de la République d'images surprises à la sauvette, au
cours de reportages à l' abordage ou
par effraction. C' étaient des images
officielles prises avec l' assentiment des familles intéressées,
l' autorisation de M. Rousselet, l' exécuteur testamentaire, la
bénédiction du cardinal-archeveque, preuves incontour­
nables que la vie privée n'existe pas pour l'homme public. Le
spectacle était édifiant. On voyait la veuve de la main droite
et la veuve de la main gauche suivre, à petits pas, et dans le
recueillement général, le cercueil du roi de la République,
I nappé de tricolore. • •
I Le jour n'était pas �ncore le;é. La· veuve de la main droite
I était la première. Ses fils l' entouraient. Petite mais résolue,
el�e affrontait l' épreuve, impassible, à visage découvert, sans
chapeau ni voilette. On souffrait pour elle. Nom1al. Le cocu
est un ròle masculin. Il est ridicule. Il met les salles en gaieté.
Il n'y a pas de femme cocue. Il n'y a que des femmes�trom­
pées. On ne s'esclaffe pas quand elles passent. On les plaint.

s_0
-- P E T I T S FA I T S ( V R A I S ) D E S O C I É T É -

A deux pas venait la veuve de la main gauche, celle du cceur.


Avec chapeau et voilette, la tete haute, le regard dur, la
bouche commandante et le menton impérieux, elle donnait le
bras à la fille qu'elle avait eue, hors mariage, du premier
secrétaire du parti socialiste en chemin vers le trone. A vue
de nez, s'il avait fallu désigner la légitime, Mme Anne
Pingeot efit obtenu, sans hésitation, le premier prix.
Malgré la tension du moment, la situation tenait du vaudevil­
le. Le deuil sortait de l'immeuble où l'ancien roi de la
République vivait en concubinage avec son épouse de la main
gauche et leur fille, et où 1 'épouse de la main droite était venue
constater le décès de son mari, père de ses deux enfants. On
imagine !es effets que Feydeau aurait pu en tirer, dont le prin­
cipal ressort du comique consistait à mettre ensemble des per­
sonnes qui n'auraientjamais dfi se rencontrer.
On me trouvera bien frivole, et d'un ton peut-etre déplacé.
Pas du tout. Je suis dans la tradition de nos campagnes. Le
rire accompagne souvent la mort (comme une défense, sans
doute).
J'ai connu des veillées funèbres et des sorties de cimetière
qui n'engendraient pas la mélancolie. C'était à qui raconte­
rait la meilleure sur !es polissonneries du défunt, Arsène, un
gaillard s'il en fut, tu te souviens, avec la Toinette, l a fille au
Bombé, ça c'était de la manivelle, etc.
Dans le cas présent, la vérité m'oblige à dire que l ' envie ne
venait à personne de faire le boute-en-train. Les réflexions
étaient de tous ordres, sauf comiques. Ainsi je me disais, et il
n'y avait pas de quoi se taper sur les cuisses, que nous assis­
tions à la naissance d'un nouveau phénomène de société.
Désormais le glissement des mceurs et la non-observance des
signes extérieurs de la morale courante étaient affichés,
meme par des personnages qui, autrefois, prenaient un soin
extreme à les dissimuler.
-------- � (IJ()f,J,e,
,.-/atiJ/1/l_ -------

M. Mitterrand n'était pas le seul roi, républicain ou non, à


avoir eu deux ménages, en plus des distractions annexes. Mais
j'avais beau chercher, je ne m'en souvenais pas qui eut étalé
avec autant de complaisance et officialisé sa bigamie de fait.
C'est vrai que l 'adultère n'est plus puni par la loi pénale. Mais
il est toujours sanctionné par la loi civile. Socialement il
demeure une faute. Sans etre particulièrement à cheval sur les
principes, on peut estimer regrettable que le premier magistrat
de l'Etat ait pu s'en rendre coupable, avec autant d'ostentation.
Imaginons . . . Un de vos fils, marié, fonde une seconde famille,
une famille de complément. Vous ne lui en faites pas compliment
Il se cabre :
- Alors, maintenant, c'est mal de faire comme le président
de la République ?
Que répondre ? Surtout si vous etes socialiste, électeur du
Bourreau des creurs ?
Au risque de passer pour un vieux crouton, rabacheur et
rétrograde, je trouve qu'un chef d'Etat aurait toujours avan­
tage à se montrer exemplaire. S'il ne l ' est pas (personne n'est
parfait), i l se devrait de faire comme si, et afficher le moins
possible la réalité. Quand on est gardien des lois, l'hypocri­
sie peut devenir salutaire.
Je me disais aussi que le roi Mitterrand avait bien de la chance.
Sans la foudroyante évolution de l'Eglise catholique, la pré­
sence de ses deux régulières derrière son cadavre lui aurait­
e:ìe permis de bénéficier d'un double enterrement religieux ? . . .
Et meme de trois, puisque l 'hymne maçonnique monta, à
Jamac, pendant que le cercueil sortait de l 'église ? Rien n'est
moins sfir. . .
A cet instant, je songeais, avec un brio d'émotion, aux vieux
ligueurs d' Action française, les "manants du roi" comme les
appelait La Varende, bons époux, bons pères, bons catho-
- P E T I T S FA I T S ( V R A I S ) D E S O C I É T É -

liques, dont la dépouille demeurait sur le parvis, à la porte de


l'églìse, parce qu'ils avaient continué à lire Maurras . . , . ,
Aujourd'hui, c'était la plus haute figure· de l'Eglise j udéo­
catholico-humaniste, Son Eminence le èardinal-archevéque
Lustiger, qui officiait devant -un parterre de rois, de princes,
de grands de ce monde, qui n' avaient pas I' air convaincus
que tout est vanité.. . . . . , . ;,, . . . � ._ . . , . �
Seule ombre à la cérémonie : fin lettré; le roi a dfi troùver l e
sennon bien plat. Il l'était. Bossuet faisait mieux. O n n'en­
tendait pas la grande voix de. Dieu tonner dans le ciel zébré
d' éclairs. Tout était lisse, propret, sous cellophane, "clean",
camme à Monoprix. C'était du cardinal-archevéque. L'état
de santé du Saint-Père étant ce qu'il• est, le roi ne pouvait pré-
tendre à mieux. • •
.. . .
Je me disais encore
:·, .
- Deux femmes, deux églises, voilà !es demiers signes de
l'ambivalence du roi républicain, cet homme qui fut décoré
de la Francisque avant de passer à la Résistance, et élu à droite
avant de siéger à gauche ; ce ministre de l'Intérieur engagé
contre le FLN qui milita poi.Jr la défaite de l 'Algérie française ;
cet antigaulliste achamé dans l'opposition, devenu gaullièn
de stricle orthodoxie au pouvoir ; ce corrompu-corrupteur qui
dénonçait l'argent et ses vices, mais s'entourait d'affairistes
milliardaires ; ce haut dignitaire de la justice qui protégea
Bousquet le superbe, mais fit traquer et arréter l' h u mble
Touvier ; cet esprit supérieur, mais qui ne croyait qu' à lui­
meme, qui avait commencé par annoncer son gofit des coups
tordus, mais secrets, en naissant à Jamac. Avec ses deux
madames en deuil, sa fin était digne du début.
Il me vint pour tenniner deux remarques. L'une était saugrenue,
l'autre moins. Disons d'abord la seconde. Le lamentable éloge
anonné par Chirac, ajoulé à la prodigieuse apothéose ordonné par
!es médias, prouvait hien que la gauche était de retour. .. ,
--------- o,\QJ>')('J-,
- �a� --------
...
La première. Le roi de la gauche avait favorisé l'invasion des
mahométans en France depuis 198 1 . On avait dit que c'était
par idéologie, anti-nationalisme, etc. Et si c'était aussi par
volonté d' étendre et d' officialiser la bigamie, dont il avait tenu,
par-delà la tombe, à s'affirmer comme un fervent partisan ?
. (]Bjanvier 1996)
,,

· e pétrole jaillissant du désert


L'affaire transforma en guerre le problème
· • • se corse algérien. Ce qui entraina le
problème corse vers un chaos confus
et sanglant, c'est le soleil, la mer qui
étincelle et palpite comme un miroir
brisé, c'est cette ile, la plus belle de la Méditerranée, que l'on
pourrait transformer en paquebot-casino géant, à un peu moins
ou un peu plus d'une heure d'avion des nations cossues
d'Occident, un Titanic équipé pour les vacances, le plaisir et
les jeux, baptisé Las Vegas, et qui serait, de surcroit, un
super-Monopoly offert à tous les délices de l'immobilité.
Quelle tentation ! Et comment y résisterait-on quand, depuis
Urba, l'Etat de droit a étatisé le droit à la corruption, au
dessous-de-table, au racket et à la concussion ?
Si cette tentation n'avait pas existé, nous n' aurions jamais
quitté les rivages enchantés du particularisme corse . . . Les
chants des guitares pleurant dans la nuit, et pas seulement
pour les touristes, les conteurs inspirés qui, dans l' ombre des
arrière-boutiques, vous entrainaient derrière Napoléon,
quand la Corse occupait l'Europe . . . Et, au fond de la nature
secrète, sauvage et douce, contrastée, où l' on avait marché
dans le temps sur les traces de Colomba et de Mateo Falcone,
l'hospitalité corse, à l'antique, inoubliable, où tout avait le
gofit simple du pain, du vin et du creur.

- P ET I TS F A I T S ( V R A I S ) D E S O C I É T É -

Ces pastorales ne sont plus de saison. Autrefois, dans l a


Corse de la tradìtìon, on tuaìt pour l'honneur de l a famille et,
meme s'ìl étaìt parfoìs mal piacé, cela n'allait pas sans gran­
deur. Aujourd'huì, dans la Corse du progrès, on tue pour
ajouter un ìmpéìt perso aux impéìts de la fiscalité sociale o u
libérale-démocrate. Au pays du Petit Tondu, o n tue sans com­
plexe pour transformer les casemes en complexes h6teliers.
On tue pour installer des circuits de laveries automatiques
qui servìront à bianchir automatiquement l'argent sale. On
tue pour s'arroger le monopole du trafic et du fric.
Le monopole ! Le voilà le mot clé ! Celui qui résume toute la
situation. On tue et on se tue pour s'arroger le manopole du
crime et éliminer la concurrence jusque dans la mort. Ces
Al Capone au petit pied tuent pour s'arroger le manopole de
la Corse. lls veulent en faire le paradis des machines à sous,
jusqu'à ce qu'elle soit elle-meme une machine à sous, colos­
sale, gigantesque, la machine à sous symbole de l' armée des
machines à sous qu'ils y auront implantées, à coups de
Beretta 9 mm, s'il le faut.

La classe politique aux affaires à Paris a paru plus sensible au
meurtre de Claude Erignac, le préfet de la République, qu'elle
l'avait été, dans le passé, à la mise à mort de gendarmes de la
République, de soldats de la République, voire de civils aussi
républicains que ceux du continent, meme s'il leur arrivait de
voter bonapartiste par fidélité à l'histoire. La République est
la République de tous, mais elle compte plus quand elle est
incamée par un préfet que par un gendarme, un soldat ou un
quidam. Quoi qu'en dise laDégradation des Droits de l'homme,
l'égalité n'existe ni à la naissance, ni dans la vie, ni dans
la mort.

Avec son enflure naturelle, M. Chevènement a lourdement
insisté sur le mot République. La République par ci . . .
La République par là . . . La République ne tolérerait pas . . . La
République exigeait. . . La loi de la République . . . Le droit
républicain . . . Et patin, et couffin. Cette verbosité républicaine
finissait par donner des boutons. Si intolérante qu'elle se solt
montrée au long de ses différents numéros, la République a
tellement clamé qu' elle ne tolérerait jamais, pour se dépécher
de tolérer toujours, que ces rodomontades ne s'entendent
plus sans irritation. J'avais dix-sept ans, en 1936, quand
Albert Sarraut, éminent radsoc, président du Conseil et noble
figure de la Troisième, déclara solennellement, avec un mou­
vement tout à fait convaincant du menton, qu'il « ne tolére­
rait jamais que Strasbourg soit sous · le feu des canons alle­
mands ». Sur quoi le chancelier Hitler envoya ses soldats
réoccuper la rive gauche du Rhin. Sarraut ne bougea pas un
nougat. Il déchira l 'ordre de mobilisation qu'il avait préparé,
à tout hasard. Il ne fallait pas risquer de faire perdre au Front
Populaire les élections qui allaient avoir lieu au printemps. Je
ne l ' ai jamais oublié.
En outre si la mafia avait trempé dans le meurtre, comme le
ministre le laisse entendre, ce n' était pas au représentant de la
République, ni à la République elle-meme qu'elle en avait : la
République n ' a jamais empeché de faire des affaires. La
mafia avait simplement décidé de supprimer l'homme qui,
par ses fonctions, était capable de contrarier ses projets et
qui, par son caractère, était résolu à le faire. Ce n'était pas un
attentat idéologique. C' était un crime crapuleux. Il n'était pas
utile de tirer des accents déchirants du biniou républicain.
Si les tueurs appartenaient aux séparatistes - appelés natio­
nalistes pour nuire aux nationalistes français - il était tout
aussi abusif et malvenu de parler de la République avec des
trémolos de gorge. Les séparatistes sont aussi bons républi­
cains que M. Chevènement. S'ils en avaient la possibilité,
c'est une République corse qu'ils installeraient à Corte . . . Ce
n'est pas à la République qu'ils en ont. C'est à la France.
- P E T I T S F A I T S ( V R A I S ) D E S O C I É T É --

C'est la Frnnce qui aurait du mal à etre la France sans l a


Corse, comme elle aurait du mal à etre la France sans l a
Bretagne, le Pays basque, l a Provence et le comté d e Nice, l a
Savoie, I ' Alsace et la Lorraine, les Flandres, l a Normandie,
la Bourgogne et meme le Berry, n' est-ce pas, cher Francis
Bergeron ? M. Chevènement le sait très bien. S'il dit l a
République quand i l faudrait dire la France, c'est qu'il craint
qu'on )'accuse de parler comrne Le Pen.

M. Chevènement a demandé au « peùple corse » de.ne plus
etre « complice » par son silence. Va-t-il pour autant se trans­
fonner en délateur républicain ? On peut en douter. D'autant
plus que !es assassins courent toujours alors que je termine
celte chronique (I>. Les coups de filet annoncés avec fracas
n'ont ramené que du menu fretin politique. Il aura fallu l a
mort criminelle d'un préfet pour que l'on découvre que des
Corses possédaient des annes et des explosifs. Tout permet
de penser que sous le manteau bien dépenaillé du séparatisme,
le grand banditisme d'affaires va continuer de se développer
et de s'organiser. Jusqu'au jour où se produira un autre évé­
nement que, naturellement, la République ne tolérera pas,
mais qui permettra à M. Barre de revenir de Davos pour dire
aux Corses :
- Vous voulez l'indépendance ? Prenez-la !
(19 février 1998)
( I ) Et que J'assassin présumé n•a toujours pas été pris au moment où je corrige ceci
(aout 1 999)
. ,.
!

:· ' ,.
-1Ql)'J fl}tJJU!-
_________ o- f?'O. � --------
...
« Travail/ez, prenez de la peine... »
Le laboureur Pour le troisième centenaire de la mort
et ses enfants de Jean de la Fontaine
·et les nouvelles dispositions budgétaires
de Juppé-Chirac.

n laboureur, sentant sa mort prochaine, fit venir ses


enfants, leur parla sans témoins. Il avait été riche. Il ne
l 'était plus. · Mais, en ces temps d'humanitarisme
d'Etat et d'inquisition fiscale, meme quand on n'a plus à
transmettre que ses vérités demières, pour éviter les dénon-
• ciations on ne saurait etre trop prudent.
On l' appelait Magloire. Dans le pays, sa fortune était aussi
établie que sa générosité. Le fait n'est pas fréquent. Dur au
. travail, apre au gaio, le père Magloire donnait volontiers aux
offices et pas seulement des boutons. Il avait meme ses
pauvres. Un versificateur locai, qui comme beaucoup d'ar­
tistes cherchait toujours dix-neuf sous pour faire un frane, lui
avait composé une ode qui collll?ençait ainsi
. , Soyons chrétiens
- . Voilà Magloire, ·
• Notre espérance et mon soutien. . . •
Puis la mode des politiques de justice sociale et distributive
était venùe. · . Des gouvemements d'étiquettes différentes,
mais d'inspiration idèntique, décidèrent de tenir leurs pro­
messes électorales. L'initiative ne s'était jamais vue. Elle
pouvait conduire au pire. C' est ce qui arriva.
.. Plus progressistes les uns que les autres et aussi avides d' in­
novations que le désert de rosée, ces simili différents pou­
voirs gigognes se donnèrent la mission de rendre la charité
lai'que, obligatoire et financée par un impot nouveau, dit
impot SG, selon grosseur, comme les homards.
- P E T I TS F A I TS ( V R A I S ) D E S O C I É T É -

Aussitòt les pauvres se mirent à proliférer. On se serait cru


chez !es Chinois, adorateurs du Père et de sa Sainte Loi
« Croissez. et 11111/tipliez. » Il en venait de partout, de plus en
plus nombreux. Jamais on n'aurait cru le dénuement si étendu.
C'était normai. Autrefois, chacun s'appliquait à cacher ses
misères, par décence et fierté. « Il y a plus malheureux que
nous », disait-on pour se consoler. Mais aujourd'hui que l a
pauvreté était une maladie remboursée par l a Sécu, tout l e
monde avait intéret à la montrer et à l'outrer. Ainsi se multi­
plièrent !es nouveaux pauvres de M. Mitterrand.
Au début, le père Magloire essaya de continuer, comme
devant, à distribuer ses aumònes. Pour y arriver, i l vendit le
Pré du Bas, une belle terre grasse, le long de la Serpente, où
les breufs aimaient venir ruminer, en revant d' avenir, avec
des frites.
Tres vite, cela ne suffit plus. Le nombre des malheureux ne
cessant d'augmenter, il fallait augmenter d' autant le montant
des impots. Bientòt ce fut pour acquitter ceux-ci - plus les
taxes, les contributions volontaires mais obligatoires, les
retenues provisoirement définitives, sans parler des traites
aux intérets cumulatifs progressifs qu'i l avait bien fallu
signer pour le tracteur, la moissonneuse-lieuse, I' électrifica­
tion de l 'étable, la nourriture des vaches, avant que l a pro­
duction de Iait ne soit taxée - que le père Magloire dut se
séparer du Pré du Haut, une terre sèche, à moutons, d' où l' on
voyait le solei! monter sur le causse quand l ' aube violette
arrivait avec l 'odeur des fougères et des ceillets sauvages.
Suivirent aussi, dans le désordre, le petit bois de chataigniers,
Fantòmas, le taureau, et meme le Grand Domaine, la plaine
à blé, dont on était si fier quand revenait la lumière dorée des
moissons.
Rien que dans la ferme, !es traces laissées sur les murs par !es
meubles venus des anciens et qu'il avait fallu céder racon­
taient la longue route du déclin.
- Mes enfants, dit le Père Magloire, quand ils se furent ras­
semblés autour du lit, mes enfants, avant de passer, je vou­
drais vous demander pardon du mal que je vous ai fait. Je ne
vous ai dit que des mensonges, des somettes à curé. J' ai
honte. J'ai honte de vous avoir appris que rien n'était plus
important que le travail. Que la malédiction, c'était la fai­
néantise . . . L'oisiveté, la mère de tous les vices . . . « Propre à
rien », on ne connaissait pas de pire injure . . . Jusqu'à ce que
vous soyez devenus des hommes et meme après, je n'ai cessé
de vous rabacher des imbécillités : travaillez, prenez de la
peine, e' est le fonds qui manque le moins. Remuez votre
champ dès qu' on aura fait l' aoiìt. Creusez, fouillez, bechez,
ne laissez nulle piace où la main ne passe et repasse.
Labourez, semez et soyez achamés. Priez Dieu que la pluie
vienne à la saison des pluies, et qu'elle soit douce, et que la
chaleur monte quand il faut. Priez Dieu et craignez-le. Ne
••
J J---..J
� € t..'111· SUII.PRIS
E./J TAAÌAJ
I)� TR.AVl'IÌLLEA._/

comptez pas trop sur son infinie nùséricorde. Elle a des


limites. Ne récrinùnez jamais. Si vous ne savez pas pourquoi
il vous frappe, lui le sait. . . Des aneries . . . des aneries . . . En
mangeant la soupe, en fumant ma pipe, le soir, malgré la
fatigue qui vous plombait les yeux, ces paroles, je les ai répé-
- P E T I T S F A I T S ( V R A I S ) D E S O C I É T É --

tées, comme un perroquet,. tout gonflé de mon importance


que j'appelais mon expérience . . . N'ayez qu'une parole · et
qu'elle vaille l'écrit. .. Sot que j'étais ! . .. Je me vantais
d' avoir acheté la Pierre-qui-mousse et deux juments, la Grise
et Coquette, sans un papier, à la Saint-Martin, tope-là, juste
un canon à l'Auberge du Lion qui tete, et c'était fait ; cochon
qui s'en dédìt. . . Pauvre crétin ! . .. J'aurais voulu vous prépa­
rer à etre roulés dans la farine par n'importe quel beau cau­
seur, marchand de poudre de perlimpinpin; voleur de filles,
voleur de poules, voleur de biens, que je n'àurais pas agi
autrement. J'ai honte ... Pardonnez-moi.·. · : ,. . ,
La voix du Père Magloir� était tombée, camme l a'1t.1mière du .
jour. Il fallait faire un effort pour l'entendre. Les enfants qui
étaient devenus des parents à leur tour, faisaient toujours
cercle autour du lit où ils étaient nés; où leur mère était morte
et où leur père allait mourir aussi. •
- Je vous ai menti, murmurait le père Magloire. Je vous ai
trompés. C'était le contraire qu'il fallait enseigner. Ne tra­
vaillez pas. Soyez malpropres à tout. Défilez en clamant que
le travail est un droit, mais en réclamant d'en faire le moins
possible. N'économìsez pas. Faites des dettes. Plus elles
seront considérables, plus vous serez invulnérables. Exemple
Tapie. Exemple !es Etats nègres, à commencer par l e n6tre . ; .
Pardonnez-moi. Je vous ai empechés;. parfois en usant de
moyens qui n'étaient pas bien honnetes, de quitter cette terre,
parce qu'elle était la terre de mon père, du père du père de
mon père, et que je voulais qu'elle soit la v6tre. Toi, Gustave,
j' ai gardé poche restante ta lettre pour entrer aux Chemins de
fer. Toi, Léon, je t'ai refusé de marier la Josette des Quatre­
chemins, parce qu'elle n'avait que des idées de la ville sous
son indéfrisable. Je vous demande pardon . . . Je vous ai meme .
raconté des boniments à la graisse de chevaux de bois� Les •
yeux dans !es yeux, je vous ai dit : " Gardez-vous· de vendre
l'héritage que vous laisseront vos parents, un trésor est caché •
--------- o
,wy')r;()fdt,
- • r>Ja� --------
...
dedans ". Ce n'est point vrai. Il n'y a point de trésor et, si par
miracle vous en trouviez un, je vous en supplie, n'en soufflez
mot à personne, i l ne vous resterait rien, que des emmerde­
ments. Mes enfants . . . N'exigez rien de vous et demandez
tout aux autres, c'est votre père qui vous le dit à l'heure de sa
vérité.
Ce fut Jeanne, la fille atnée qui lui ferma les yeux. Elle se
chargea de prévenir- la mairie et la famiJle. Comme le curé,
qui restait au Gros-Bourg, ne se dérangeait plus pour les
enterrements, on se contenterait de faire dire une messe
dimanche. Après avoir convenu de se retrouver pour la
veillée, chacun s' en alla à ses demières taches de la journée.
Seuls demeurèrent les deux jumeaux, Albert et Jérome, char­
gés de la toilette du défunt.
- Le voilà tranquille, dit Albert:
. .
- Surtout qu'il est pa-parti sans lire le jou-joumal, dit
Jérome qui bégayait un peu. Les dé-.demières gateries de Ju­
juppé, ça l'aurait achevé . . .
- Il a pris les devants. Mais nous, qu'est-ce qu'on va faire ?
- . Que veux-tu qu'on-qu'on fasse ?
- Après tout-tout ce que le pé-père nous a déclaré, dit
Albert, qui ne pouvait s'empecher de bégayer aussi quand il
parlait à son frère, ori est o-obligé de faire quelque chose.
- Non, dit Jérome. C'est trop-trop tard. On est trop-trop
vieux pour chan-chailger de mentalité.
21 septembre 1995)
- P E T I T S F A I T S ( V R A I S ) D E S O C I É T É --

ous vivons des moments histo­


Épargnez•VOUS
riques. Les experts et spécia­
d'épargner
listes du gouvernement vien­
nent de découvrir la cause du malaise
économique où nous stagnons. C' est
l'épargne. En conséquence, après
avoir été invités pendant des années, de manière pressante et
cajoleuse, à confier leurs économies dans les différentes
caisses d'épargne, SICAV, groupements financiers divers
créés à cet effet pour assurer la pérennité de la France, les
épargnants devront payer la facture de la fracture sociale.
Pour une fois que les responsables sont déclarés coupables ,
on ne peut qu'applaudir.
Ce n'est pourtant pas sans mélancolie que je pense à ma pauvre
mère. Si elle nous regarde, de là-haut, elle doit avoir les sangs
retournés. En s'attaquant à l'épargne, c'est un des dogmes de
son église familiale que le gouvemement de M. Juppé cherche à
détruire. Je la revois, dans mes années d'enfance. Au début du
mois, mon père lui remettait son maigre salaire. Ma mère le divi­
sait en sept parts inégales auxquelles sept enveloppes étaient
affectées. Il y avait l'enveloppe des dépenses extraordinaires
prévues ; l'enveloppe des dépenses extraordinaires irnprévues ;
les quatre enveloppes des dépenses courantes et ordinaires heb­
domadaires ; enfin l'enveloppe dite du "livret", celle de
l' épargne. L'enveloppe distractions, sorties, loisirs, voyages,
était remplacée par un coup de sifflet long.
A la fin des années vingt, mon père devait gagner un peu plus
de mille francs par mois. Meme avec un logement de fonc­
tion et un potager, pour faire vivre quatre personnes ce n' était
pas le Pérou. Je n'aijamais entendu de plaintes. D'ailleurs on
parlait rarement d'argent à la maison. Parfois ma mère mur­
murait, avec un gros soupir : « le ne sais pas comment ça se
fait, mais je suis juste, ce mois-ci, je suis juste ... » Le plus
souvent, elle évitait le sujet. Un jour, elle avait trouvé sa mère
en larmes. La vieille femme regrettait d'etre "à charge".
Quand il n'y avait pas de dépenses extraordinaires impré­
vues, on ne mettait pas pour autant du beurre dans les épi­
nards (c'était un légume inconnu chez nous, la pomme de
terre étant la base des deux repas quotidiens). L'enveloppe
allait rejoindre celle du "livret". Ainsi mes parents purent
acheter la maison où mon père mourut. Elle était à deux
numéros de la bicoque de pecheur où il était né. Mon père
n'avait pas l'ame nomade . . .
A l ' époque, ce comportement n ' avait rien de particulier.
C'était un réflexe de pauvres gens qui savaient ne pouvoir
compter que sur eux-memes pour se préserver du pire. Les
temps étaient durs. Les grévistes ne pouvaient espérer que
leurs jours de grève leur fussent payés. Les chòmeurs ne
recevaient pas d'allocation. Pour les aider à survivre, après
etre allées mendier chez ]es paysans, les familles organisaient
des soupes populaires sous la halle. La mairie délivrait des
bons de charbon. Il y avait beaucoup de misère. Alors ma
mère ajoutait une huitième enveloppe. Celle de la charité.
Cela ne l'empechait pas de continuer à épargner. Comme
d' Aboville, elle épargnait, elle épargnait toujours.
Après la guerre, cette mentalité régressa. Une certaine prospé­
rité, le plein emploi, des systèmes d'Etat de protection sociale,
des retraites et de la santé rendirent moins nécessaires les
systèmes personnels de défense familiale. On annonçait l'age
d'or prédit par !es ancetres. On vivrait cent quatre-vingts ans,
comme dans la Bible, nourri de miei et abreuvé d' hydromel,
le nectar des Dieux. Les seuls problèmes qui se poseraient à
l'humanité radieuse seraient de distribution, de consommation
et de circulation automobile. Ce miracle s' accompagnait
d'une inflation galopante, d'une vie à crédit sans restriction
(« prenez tout de suite, vous paierez plus tard »), d'une
décomposition mercantile de la société qui rendait insolite et
meme ridicule toute idée d'épargne. On vivait au jour le jour
- P E T l T S F A I T S ( V R A I S ) D E S O C I É T É --

et sans avenir, puisque après nous le déluge !


Mais le déluge fut là plus vite que prévu. De l a prospérité,
année après année, on glissa dans la récession, et du plein
emploi dans le chòmage aggravé par l' immigration. Les
mauvaises habitudes, acquises durant le temps des vaches
grasses, rendaient insupportable la vie au temps des vaches
maigres. Le cosmopolitisme galopant avait détruit nos
immunités nationales. L'illusion européenne toumait au c au­
chemar. La drogue de la publicité et du crédit exaspérait le
manque. On continuait à vivre au jour le jour, mais sous le
déluge, qui ne pourrait que cro1tre et empirer, et avec la peur
de l' avenir. Menaçant et bouché, que pouvait-il réserver de
bon à nos enfants ? Alors le besoin d'épargner revint, comme
une réaction de défense des peuples menacés.
C' est lui que le gouvemement de M. Juppé accuse désorrnais
de tous les péchés d'Israel. Le bas de laine étouffe la France.
« Epargnez-vous d'épargner ! » C'est le cri du jour. Plus d'ar­
gent de còté. Laissez-le denière. Claquez-le. Jetez-le par !es
fenetres, c'est la mode nouvelle, mademoiselle, et le seul
moyen de faire repartir la machine. On disaitjadis : « L'lzomme
pense et lafemme dépense. » Maintenant que la femme pense
également, l'homme peut dépenser à son tour, et à tout va !
Vive les mange-bazars, !es gouffres à fric, !es prodigues.
N'oubliez jamais l'exemple du fils prodigue. C'était pour lui
qu' on sacrifiait le veau gras et que !es demoiselles dodelinaient
du corsage. Le fils économe, uniquement préoccupé de préser­
ver son pécule, n'avait droit qu'aux rogatons et aux souillons
de vaisselle. li faut le signaler à M. Juppé. La France qui déteste
la sélection adore les décorations. Créons l' Ordre du Veau
gras. Ceux qui auront cassé leur tirelire, pour vivre leur vie
dispendieusement, recevront des médailles, en grande pompe,
dans les flonflons de l'orphéon, et sur les banderoles des
estrades d'honneur on lira, en Iettres d'or : « Aux dépensiers
futi/es, la patrie reco1111aissa11te ! »
--------- o,tQJYI ('J()lu.R,
r,fatuP _________
Jl.

Nous vivons une révolution. Une révolution des mccurs, dcs


mentalités, en méme temps qu' une révolution économique et
politique. Il est bien évident que des invitations à la valse du
pognon, méme assorties de rubans, ne suffiront pas à détour­
ner !es Français du piège de l'épargne où ils sont depuis si
longtemps attirés, par atavisme. Il faudra les y contraindre
par des moyens autrement efficaces. J' en vois trois.
Malgré les déclarations solennelles et !es exigences du mys­
térieux "pacte républicain", le gouvernement du due de
Bordeaux augmentera !es imp6ts qui frappent !es revenus,
tout particulièrement ceux provenant de I' épargne.
En méme temps !es intéréts et avantages qui avaient été pro­
mis à grands sons de réclame, pour allécher l'épargnant
potentiel, seront abaissés.
Enfin, si cela ne suffit pas, on laissera à nouveau gonfler l'in­
flation, comme le fit l'avisé M. Barre, le meilleur économiste
du monde, l'homme à l'oseille cassée. Sous sa judicieuse
gouverne, plus on épargnait, plus ça vous coutait de l'argent.
On plaçait 100 francs. Un an plus tard on touchait 104 francs,
mais qui ne valaient plus que 90 francs. La dépréciation de la
monnaie était passée par là.
M. Juppé, dont on connatt le doigté et l ' aisance, va conjuguer
avec bonheur ces différents moyens. Leurs résultats ne peu­
vent qu'étre heureux. Quand il aura disparu dans la mer des
sondages, comrne le scaphandrier de Léo Ferré, M. Chirac le
remplacera par M. Séguin. Celui-ci continuera la polìtìque
qu'il préconise depuis toujours, sans avoir à en porter le poids
de la patemité. C'est un avantage. Après quoi le gouveme­
ment, qui aura toujours besoin d'argent, appellera au nom du
salut public les économies des épargnants qui, comme leur
nom l'indique, n'auront pas cessé d'épargner, contres vents,
marées, propagandes et brimades, dans les catacombes.
( 11 jam'Ìl'r 1996)

6!J
- P E T I T S F A I T S ( V R A I S ) D E S O C I É T É --

urprise ! Chirac encore plus


Ce désal'mant
mauvais que d'habitude ! . . . »
monsieur Chirac
Cette phrase, empruntée à Roger
Nimier - qui, lui, s' adressait à Jean­
Louis Barrault, lors d'une générale à
Marigny -, s'applique parfaitement au président de la
République, tel qu' il nous est apparu, jeudi à la télévision.
Il s'y montre rarement très bon.
Cette fois, il fut exécrable.
Le sujet était pourtant frémissant. Le chef de l'Etat venait
,ious annoncer la mort de l' Armée française, née en 1880 de
la conscription, dont on sait l'importance qui fut la sienne
dans l'histoire de France, et la place ardente, passionnelle et
controversée qu'elle occupait dans le creur des Français.
En meme temps, il esquissait l'ébauche du système rnilitaire
qui serait mis en place en six ans, et à tatons, pour la rem­
placer.
Il y avait de quoi fouetter l'imagination et la sensibilité. Mais
non. . . M. Chirac avait choisi d'en parler sur le ton d'un
grand commis, sans émotion ni fiamme. J'ai connu des épi­
ciers qui nous entretenaient de leurs sardines à l'huile et de
leurs cafés avee plus de ferveur.
Empesé, le visage comme lessivé, le regard fixe et vide, le
geste mécanique, la voix nasillarde, M. Chirac n'avait pas un
mot pour évoquer tous les drames qui pesèrent sur le destin
de I' Armée française depuis les commencements de la
III' République.
L'antimilitarisme, au premier chef. Ce n'est pas la droite, ce
n'est pas l'extreme droite qui essayèrent de dresser le peuple
contre I' Armée. C' est la gauche socialiste, c' est l' extreme
gauche, qui chantaient, et qui chantent toujours, ce couplet de
I' lntenzationale que M. Chevènement a dO oublier :
Déclarons la guerre aux Armées,
Crosses en l'air et rompons les rangs.
S'ils s'obstinent ces cannibales
A faire de nous des héros,
Ils sauront bientot que nos balles
Sont pour nos propres généraux.
Avant la guerre de 1914 circulait dans Ies Ecoles normales
d'instituteurs une revue tout à fait officielle, La Revue de
l 'Enseignemellt primaire. Elle publiait des poèmes comme
celui-ci, sobrement intitulé Le Soldat. Je ne resiste pas au
plaisir de vous en recopier trois strophes. Elles valent leur
pesant de bonnets phrygiens.
II a vingt ans, l 'heure splendide
De la jeunesse des humains.
II va rougissant !es chemins
De son accoutrement sordide,
Le pas lourd et le regard fou,
Le pioupiou . . .
Dans !es blés et dans !es luzernes,
Il passe, nouvel Attila,
Sur la terre qu'il travailla
Avant d'errer dans )es casernes
De la Provence et du Poitou,
Le pioupiou . . .
Nous lui crions : Fils de l a terre,
Le Peuple veut tous ses enfants
Sains, généreux et triomphants,
Au faite du grand phalanstère !
Déchire ta feuille d'écrou !
Viens, pioupiou . . .
(27 mars 1904)

"Nous", c'était naturellement La Revue de l 'E11seig11eme11t


primaire, qui appelait !es jeunes conscrits à déchirer leur
- P ET I T S F A I T S ( V R A I S ) D E S O C I É T É --

feuille de route appelée ici "feuille d' écrou", puisque


r Arn1ée française était un bagne.
Ainsi. dans les Ecoles normales d'instituteurs où se for­
maient les ·'hussards noirs de la République", une publica­
tion offtcielle pouvait-elle appeler les soldats à l a désertio n
en toute impunité.
Après avoir apprécié camme il convient le talent du poète, on
mesurera l'ampleur et l'épaisseur de la croisade contre
I' Armée, à la veille de la Première Guerre mondiale.
Cette croisade reprit de plus belle après la Victoire. Un des
chefs d'orchestre était Bernard Lecache. Il ten ait à
l'Humanité une rubrique intitulée Les Gueules de vaches.
Les G11e11les de vaclzes étaient !es officiers patriotes. Lecache
donnait leurs noms, garnisons, adresses, habitudes, lectures.
Il !es dénonçait à la vigilance des soviets de soldats. Cela ne
l'empecha pas de devenir un des personnages !es plus en vue
de la République du Grand Orient, de fonder la LICA, mère
de la LICRA, et de pousser frénétiquement à la guerre une
armée qu'il avait contribué à désarmer.
De 1918 à 1936, on peut dire sans craindre !es démentis que
la gauche socialiste, communiste, libe1taire, fut d'un anti­
militarisme absolu. En 1 932, alors qu'Hitler arrivait au pou­
voir, Aragon écrivait :
Les trois couleurs à la voirie,
Le drapeau rouge est le meilleur,
La France, jeune travailleur,
N'est aucunement ta patrie.
Sa patrie, c'était l'Union soviétique et son arrnée, l ' Armée
Rouge.
Dans le meme temps, cette gauche, qui condamnait l ' Armée
française de la conscription, devenait hystérique quand o n
évoquait l a possibilité d'une armée de métier. Jamais, j amais,
jamais . . . Le mot seul lui faisait horreur. D'abord parce qu'elle
s'était employée à déconsidérer le métier des armes. Ensuite
parce que l'armée de métier serait sans coup férir l'armée de
prétoriens dont le futur dictateur se servirait pour imposer
son pouvoir au peuple dit souverain.
Le fait que, sous Staline, Hitler et Mussolini, le service mili­
taire était obligatoire, ne troublait pas !es certitudes de la
gauche. L'armée de métier, jamais !
La réalité est plus forte que !es idéologies. Les fantastiques
progrès techniques imposèrent bientot une évidence : l'année
nouvelle n'avait plus besoin de l'ami Bidasse. Les soldats
qu'elle exigeait devaient étre des soldats techniciens de
métier, des professionnels. Peu à peu, celte mue commença
au sein meme de. la vieille année. Dans certaines armes et
dans certaines unités, le noyau des engagés grossit et !es
volontaires venus du contingent ne furent plus qu'un com­
plément, dont l ' ambition était d'étre considérés comme des
"pros".
Celte évolution était en cours lorsque le général de Gaulle la
stoppa. Sous son raion de fer - auquel la gauche entière
apporta son poids - il écrasa l'élite de l 'Année française
d' Algérie en l'opposant au contingent. Il s'ensuivit un schisme
masqué mais réel, un trouble, des interrogations, des doutes.
Ce furent !es causes du retard pris aujourd'hui et de l'urgence
qu'il y a à précipiter la transformation. Le cocasse, c'est que
de Gaulle publia en 1934 un livre intitulé : Vers l 'année de
métier. On n'a pas de pire ennemi que soi-meme.
M. Chirac pouvait difficilement le rappeler. Mais il pouvait
parler avec moins de détachement, et pas seulement en
termes économiques, des régiments qui vont etre dissous, et
des villes qui vont les perdre. C'est ignorer beaucoup du sen­
timent français que d'ignorer celui qui existe entre la popu­
lation civile et le régiment incamé par !es soldats, sous-offs,
- PETITS FAITS ( V R A I S ) D E S O C I É T É -

officiers, qui se sont succédé sous son uniforme et son numéro.


Quand le passé me revient, je nous revois, après la défaite de
40, défilant derrière nos musiques, dans les villes de la zone
libre. Je revois la foule sur \es bas-cotés de la rue, les fernmes
qui se signaient, ou qui pleuraient, parfois à genoux. Notre
vue leur rappelait-elle leurs garçons ou leurs maris prison­
niers ?
Les hommes, graves et sombres, se découvraient lentement.
Il y avait le vent dans les drapeaux, le roulement des tam­
bours, la reprise des cuivres. Alors, pour échapper à l' émo­
tion qui montait, tout en nous appliquant au pas cadencé et à
la position de "l'anne sur l'épaule, droite", nous cherchions
dans l'assistance à repérer un rninois mutin . . .
La ville de garnison qui perd son régiment devient veuve.
Elle subit une défaite sans appel. M. Chirac n' a pas dfi y pen­
ser. Sinon il n'en aurait pas parlé en expert-comptable.
(29 février 1996)

oute la semaine, j ' ai eu les


Sur la réforme boules. Comme ça . . . Je n'enten­
de la Poste dais parler que de la réforme de
(ex-PTI) la Poste. Réforme est un mot pour
lequelje nourris la plus vive méfiance.
Pas sur le papier, bien sfir. La modifi­
cation d'un système par l'observation, la réflexion, la déci­
sion, dans le but d'améliorer son fonctionnement et ses résul­
tats, il faudrait etre un àne baté, doublé d'un fieffé imbécile,
pour y etre hostile. Mais entre les principes et la réalité, il y
a une marge . . . Voyez l' école.
Rien que sous la Cinquième, nous avons eu la réforme
Boulloche, la réforme Louis Joxe, la réforme Guillaumat, la
dR,
-------- pi (IJorfl'J'a M--?_ -------
réforme Paye, la réforme Sudreau, la réforme Fouchet, la
réforme Peyrefitte, la réforme Edgar Faure, la réforme Haby,
la réforme Savary, la réforme Chevènement, la réforme
Monory, la réforme Jospin, la réforme Lang, la réforme
Bayrou. J'en oublie certainement et ce n'est pas fini, mais
c'est sans importance. Le résultat est suffisamment conster­
nant. La catastrophe . . .
Sur cinq Français, un ne sait pas lire et deux anonnent. L'autre
jour, dans le train qui va de Saint-Cloud à Saint-Lazare, j ' en­
tendais des jeunes gens et des jeunes filles de quinze-seize ans
parler. Je me croyais à l'étranger, chez !es Bachi-Bouzouk. Je
ne comprenais pas un mot sur deux, tant e' était jargon et pata­
quès, déformations, abréviations, onomatopées, hullulements
et sabir. En face de moi, une dame hochait la tete et, ]es yeux
au ciel, murmurait : « Pauvre France ! » C'était peut-etre ridi­
cule, mais il n'y avait rien d'autre à dire. Encore deux ou trois
réformes et ils seront fin prets pour entrer à la télévision
comme animateurs de jeux et variétés.
Alors, la réfo1me de la Poste, je tremble. II me suffit de revas­
ser à la Poste de ma jeunesse (on disait )es PIT) pour mesu­
rer )es dégats. Je vais encore me faire trailer de vieux réac,
Bon-Papa gateux, toujours à dire « De mon temps.. . De mon
temps. . . », ce qui n'est pas tout à fait faux, ni tout à fait vrai
non plus, car je sais bien que le passé n' était pas l' age d' or
que nous racontent nos souvenirs . . . Mais il n'empeche que,
de mon temps, i l y avait trois distributions de courrier par
jour, deux le matin, une l' après-midi. J'habitais pourtant un
petit port, au bout du Finistère, cinq mille habitants l'hiver,
quinze mille l' été. Le train mettait douze hèures ùepuis Paris
et il fallait changer. Il n'y avait pas d'avion. Mais !es jour­
naux auxquels mon père était abonné parvenaient toujours à
la date prévue.
Les facteurs faisaient partie de la famille. Pour ma mère, la
population male se divisait en deux catégories : ici, ceux qui
- P E T I T S F A I T S ( V R A I S ) D E S O C I É T É --

buvaient ; là, ceux qui ne buvaient pas. Elle disait :


- Je viens de voir Arsène Le Floch, le facteur du vendredi.
Il n'était pas tout seul, je vous le dis. La rue n'était pas assez
large pour lui. Quand il m'a vue, il a fait un grand geste du
bras et son képi à sauté par terre. Avec sa bo'ìte, il n'arrivait
pas à le ramasser. Je me demande comment il va finir sa tour­
née. Si c'est pas malheureux. de se mettre dans des états
pareils . . .
Ou :
- Vous avez remarqué Alexandre Le Goff, quand i l est entré
pour faire signer le recommandé. Je lui ai offert un verre de
vin. li a répondu : « Merci, madame. Jamais pendant le ser­
vice. » ça, c'est un homrne sérieux.. J'aurais bien voulu que
Lisette l'épouse, au lieu qu'elle s'entiche de ce charpentier.
- Un Espagnol, disait ma grand-rnère.
- Il n'est pas Espagnol. Il est de La Rochelle, disait ma
mère.
- C'est parei!, c'est le Midi . . . (Ma grand-mère, on ne l ' au­
rait jamais prise, aux PIT, pour trier le courrier.)
Le facteur était un personnage, et un parti très apprécìé. Il
avait un salaire fixe que ne menaçaient ni le chòmage, ni les
rigueurs des saisons. L'Administration lui foumissait deux
unifonnes, l'un pour l'hiver, l 'autre pour l'été, deux paires de
brodequins, et meme un vélo, avec un grelot en guise d'aver­
tisseur, si son service l'entrafoait dans la campagne.
On le saluait dans la rue. Il répondait, la main à la visière de
son képi, martial et débonnaire, et toujours de bonne humeur,
alors que les préposées des guichets l'avaient le plus souvent
mauva1se.
Cela est toujours vrai. Aujourd'hui, où la plupart des gens
sont reveches, les factrices attachées à ma rue sont aimables,
souriantes, prévenantes. Leurs remarques sur le fond de l 'air
ou le temps qui s'annonce ne manquent jamais de pertinence.
En revanche !es demoiselles des guichets sont visi blement
d'une naissance supérieure, à considérer la manière dont
elles toisent le malheureux qui s'est mélangé !es pinceaux
dans la rédaction de son mandat.
Au temps où je parie, !es PIT étaient ouverts six jours en
semaine et le dimanche matin. C'était pratique. Aujourd'hui,
ceux ou celles qui travaillent doivent consacrer une partie de
la matinée du samedi à leurs opérations postales. Il y a des
files d'attente partout. Il faut prendre un numéro. C'est la
Poste des technocrates où une lettre met souvent deux jours
pour venir de Paris à Saint-Cloud, distant de six ou sept kilo­
mètres.
Que va donner la réforme ? J' ai entendu sur LCI un repré­
sentant de l'intelligentsia de la Poste déclarer que l'on chan­
geait tout sans toucher à rien. Il faut donc craindre le pire. Ce
qui est en quelque sorte normai.
En effet la réforme d'une Administration consiste essentiel­
Iement à :
1 ° - Justifier l'existence des réformateurs attachés, au sein de
cette Administration, au service de la Prospective.
2 ° - Plaire à l ' idéologie dominante, aux idées fixes, lubies, de
la direction de cette Administration.
3 ° - Réaliser des économies de détail, meme genantes pour le
public, afin de permettre des dépenses de fond qui accroitront
le prestige de I' Administration.
4 ° - Prouver par des changements permanents qu'on est dans
le mouvement meme de la vie.
5° - Satisfaire (dans une mesure beaucoup moindre) quelques
revendications mineures du personnel. Lors des discussions, cette
précaution permettra d'établir le souci socia! de la direction.
- P E T I T S F A I T S ( V R A I S ) D E S O C I É T É --

L'avis de l'usager, ses souhaits, ses revendications, ne sont


jamais pris en considération. La technocratie supérieure s' en
fout. La base aussi. On s'en est aperçu pendant les grèves de
la fin de 1995. Les grévistes n' ont pas hésité à ruiner nos
petites entreprises de vente par correspondance, alors que
nous n'avions aucune responsabilité dans le conflit qui les
opposait à leur hiérarchie.
C'est pourquoi, au lieu de réformer, c'est former qu' il fau­
drait faire, former des hommes et des femrnes responsables,
conscients des besoins vitaux de ceux qui les font vivre. Rien
ne sert de changer l'ernballage si le contenu demeure ce qu' il
était La voilà la grande réforme, la réforme de fond, la réforme
essentielle, à laquelle il faudrait s'atteler.
En écrivant ces rnots, j' entends une petite voix qui me dit :
« A quoi bon ! Les hornmes étant ce qu'ils sont, cette réforme­
là serait sans doute aussi factice et vaine que les autres. »
(22 février 1996)

aut-il arreter le Tour, comme


Le Tour l'exige le Monde, ou plus
dans la seringue rnodesternent, se dernander s' il
faut l'arreter ?
•�
Poser la question, c'est d'abord poser
la question des victimes. Les seules victirnes, au demeurant :
les coureurs. Meme fortifiés aux hormones de croissance, ils
ne sont pas sans excuses. Le vélo n' est pas le foot. Il ne se
joue pas à vingt-deux pendant 90 minutes, avec un ballon,
sur un terrain de 1 1 O rnètres sur 90. Sur le Tour, le vélo se
pratique six ou sept heures par jour, par tous les terrips, sur
tous les terrains, depuis les rnontagnes où la neige s' accroche
eneore, aux plaines surchauffées qu' écrase le solei!. S ' ils
font partie d'une équipe, les coureurs sont seuls sur leur vélo.
--------- o,1Wf} ('J()f�
(YJ tu/1/l. --------

C'est une discipline qui exige une énergie et un couragc sur­


humains. Quand vous lirez ceci, ils sortiront des Alpes. La
semaine dernière, nous !es avons vus dans !es Pyrénées, sur
des routes patinoires et en lacets zigzaguant entre la falaise et
le ravin, dégringoler à tatons dans un brouillard comme on
n'en renco�tre plus que dans ]es romans policiers anglais.
C' était hallucinant.
Ajoutons, cela compte, gue le vélo n'est pas pour ses cham­
pions le pactole que le ballon est pour les stars du foot. Quant
aux porteurs de bidons, pédaleurs de seconde classe toujours
guettés par la voiture-balai, ils quittent le Tour de souffrance
aussi mitouilles qu'ils l'étaient en arrivant.
Telle est aussi la réalité. Elle suffit à prier les moralistes en
chambre, smtout ceux qui ne détestent pas se requinquer le
mora] au petit rhum avant d'affronter l'adversité, de mettre la
pédale douce sur la remontrance.
Cela rappelé, la compassion ne change rien. Les larmes de
Virenque, !es coups de gueule de Laurent Jalabert, Luc
Leblanc ou Jacki Durand n'empechent pas que l'air de ce
sp01t sous perfusion est devenu irrespirable.
- Nous faisons notre métier, répètent !es coureurs.
Mais est-ce faire son métier que de transgresser !es lois
écrites de ce métier, qu'ils ont choisi, en continuant de s'in­
jecter des produits interdits et dangereux ?
Ils ont de larges circonstances atténuantes. En meme temps
que le choix des braquets, ils ont appris celui des reconsti­
tuants et des remontants clandestins. Depuis que la draisienne
est devenue vélo, cette contrebande se pratique traditionnel­
lement dans le mensonge des employés et l'hypocrisie des
employeurs. Les premiers nient systématiquement l 'évidence
et le flagrant délit. La seringue en pogne, ils crient à l'erreur
judiciaire. Les seconds font semblant de condamner, au nom
de la morale, !es délits qu'ils couvrent en s'employant à
- P E T I T S F A I T S ( V R A I S ) D E S O C I É T É --

la fois d'en nùnimiser l'importance et de les chercher là où


ils ne sont plus. Jamais les coureurs ne se sont plus grave­
ment fortifiés qu'aujourd'hui. Jamais les contròles positifs
n' ont été moins nombreux. Jamais les tartuffes officiels ne
s'en sont félicités avec plus d'assurance.
Ces attitudes existent dans toutes les sociétés. Partout elles ont
conduit et conduisent à l' anarchie et au chaos. La société du
Tour de France n'échappe pas à la règle. Sourrùse à l' extérieur à
de féroces luttes d'intérets, la voici menacée d'effondrements
intérieurs. En refusant d'admettre la vérité, alors que la chimie
des savants remplaçait l'alchirrùe des sorciers, elle arrive au
mornent où les solutions, de plus en plus difficiles à prendre,
feront de plus en plus mal. L' organisation actuelle va devoir sol­
der l'arriéré. Ce sera lourd et douloureux . . .
Tant que l' Argent sera le moteur du cyclisme professionnel ;
tant que les examens ne distingueront pas les globules rouges
naturels des globules rouges fabriqués par l' EPO ; tant que
l'invention des drogues dures du sport aura une longueur
d'avance sur leur détection, il est peu probable que les
équipes changent de méthode. Il faudrait des mesures autori-
--------- ,i\QL)')(}JOJU!,
,- fl'Ja � --------
..
taires. Il n'est pas difficile de les décider. Mais quand l 'auto­
rité est partout critiquée et condamnée, en premier lieu par
Le Monde, les mesures autoritaires sont pratiquement impos­
sibles à appliquer.
Je vais donc regarder ce qui va se passer avec une curiosité
teintée de mélancolie. Ce qui arrive au Tour de France, ce
monument prestigieux et qui paraissait indestructible, on
peut redouter que ce soit aussi le mauvais tour qui est en train
d'arriver à la France. Elle aussi est dans la seringue et si
dopée aux idéologies funestes que le pire est à redouter.
(30 juillet 1998)

onnaissez-vousAriane Mnouchkire?
Oui ? Non ? Rayez la menti01
Pardon inutile. Certains la tiennent
Molière
pour une "idole", un monument que
l ' on peut actuellement visiter en
Avignon. Elle y donne un Tartuffe
islamisé, inspiré de Molière, mais présenté comme étant son
reuvre.
D' autres la considèrent comme une pétroleuse de théatre. Sa
scène est une barricade. Elle y fait monter ses troupes pour y
défendre des pièces à thèses qu' elle prend pour des pièces
d'idées. Trois ou quatre heures durant, jamais moins, on n'est
pas là pour rigoler, la révolution est d'un sérieux mortel, ses
comédiens s'affrontent avec une énergie du diable. Selon le
canevas permis par 1' idéologie unique, ils échangent leurs
répliques comme des balles et n'utilisent que des arguments­
massues. Après quoi le rideau tombe. Les morts se relèvent.
Vainqueurs et vaincus se retrouvent au bistrot où il répètent
ce qu'ils ont lu dans Libération et Le Monde. Le lendemain
on recommence à dénoncer le fascisme étemel, toujours
-
- P ETITS FAITS ( V R A I S ) DE S O C I É T É -

le meme, sous les différents masques historiques dont i l peut


s'affubler. Aujourd'hui, c'est celui de l'intégrisme islamique
que porte le Tartuffe d'Ariane Mnouchkine. Le sujet est d ' ac­
tualité. L'actualité, c'est la mode et, pour Ariane
Mnouchkine, tout ce qui est à la mode est sien.
Tartuffe en barbu de l'Islam, on dira pourquoi pas ? Il en a
déjà tant vu, le pauvre. Lucien Guitry, le père de Sacha, le
protégé de Sarah Bemhardt, l'un des grands comédiens de la
Belle Epoque, le jouait en auvergnat. Un jour, dans une peti te
ville d' Auvergne, il avait rencontré un curé épais, mafflu, les
cheveux longs et la soutane pleine de taches. Attablé dans un
restaurant, il biìfrait.
- ça va bien, monsieur le curé ?
- Cha va bien. Ch'est bon.
A l'ami qui l'accompagnait, Lucien Guitry s'écria :
- Je tiens mon Tartuffe.
Et Molière se mit à parler en auvergnat, ce à quoi il n ' avait
jamais pensé, lui qui s'y connaissait en accents de province
où l'Illustre Théatre avait longtemps toumé. Rappelons en
passant que le Tartuffe de Molière n'est pas un pretre, mais
un homme qui, par commodité sociale, feint de suivre les
enseignements de l'Eglise jusqu'à les dépasser.
Le Tartuffe de Jouvet était maigre. Comme lui, il avait les
joues creuses, l'reil enfoncé et brulant, la bouche mauvaise et
fanatique. Il était sorti tout droit des dessins de l ' anticlérica­
lisme révolutionnaire et républicain. Pourtant, le Tartuffe de
Molière est un fourbe bien en chair. Dorine l'a décrit :
. . .Il se porte à merveille,
Gros et gras, le teint frais et la bouche vermeille.
Plus près de nous, quand il était à Villeurbanne, Planchon
voulut un Tartuffe homosexuel. On se demande par quelle
lubie. La mode aussi, sans doute. Et Freud. . . Homosexuel ?
Mais comment serait-il aussi ardent et paillard dans les
jupons et autour du corsage d'Elmire, préférant les appats
épanouis de la mère, une belle femme dans la quarantaine,
aux charmes plus innocents de Mariane, la fille qu'Orgon,
mari et père, voudrait lui faire épouser ?
A Paiis, Planchon c01Tigea son tir. Son Tartuffe était jeune,
joli garçon, tentateur, avec des ombres sous le charme, le vice
velouté et sensible, si bien qu'Elmire ne s'en tirait pas sans
tentation ni trouble.
Le Ta1tuffe de Molière est tout différent, répétons-le. C' est
un goinfre :
Et fort dévotement il mangea deux perdrix
Avec une moitié de gigot en hachis.
Il n'est pas d'un aspect attirant. C'est un « vilain museau »,
dit Dorine. Mariane « l 'abhorre ». De comportement patelin,
c'est un pique-assiette calculateur mais grossier. Les femmes
ont percé son jeu. Si Orgon ne le voit pas, c'est parce que la
piété simulée de Tartuffe l'enchante et, surtout, parce que !es
aveuglements d'une foi poussée aux extremes se nourrissent
de sa niaiserie.
Tartuffe, c'est une canaille hypocrite ; un faux dévot qui
s'inscruste chez un vrai croyant en singeant la piété ; un
imposteur qui profite du délire religieux du mailre de maison
pour s'empiffrer, boire son vin, manger son ròt, essayer de
sauter sa femme en cachette et s'emparer de ses biens.
Hypocrite, imposteur, faux dévòt, on retrouve ces qualifica­
tifs dans !es titres des trois versions qu'eut Tartuffe. La pièce
est ciblée. Le nom du personnage est devenu celui d'un type
humain : celui d'un moralisateur sans morale qui fait des
dupes en prònant la religion la plus haute, mais en se gardant
bien d'en observer les enseignements !es plus élémentaires.
- P E T I T S F A I T S ( V R A I S ) D E S O C I É T É --

En un mot, Tartuffe est une comédie sur la duplicité humaine


dans un milieu où la religion catholique, parfois mal comprise,
est la règle. Ce n' est pas ce qui intéresse Ariane Mnouchkine
et ses principaux comédiens. Ceux-ci s'appellent : Brontis
Jodorowsky (Orgon), Shahrok Meshkin Chalam (Tartuffe),
Nirupama Mityanondant (Elmire), Renata Ramos Maza
(Mariane). Pour jouer le vieux répertoire français, c ' est un
choix qu'on pourrait discuter.
Il est vrai qu'ici nous ne sommes pas dans une maison bour­
geoise et catholique, à Paris, sous le règne du Roi Solei! et au
temps de la Contre-Réforme. Le Théàtre du Solei! - c ' est le
nom de la troupe d' Ariane Mnouchkine - nous a transpor­
tés quelque part dans le pays des imams et celui des mollahs.
Madame Pemelle, inoubliable personnage de bigole obsti­
née, qui ne comprend rien à rien mais en remontrerait à son
curé, a les yeux cemés de khol et fait marcher au sifflet per­
san ses suivantes porteuses de tchador.
Le Tartuffe de Molière était un aventurier qui escroquait un
nai'f en profitant d'une situation. Le Tartuffe de Mnouchkine,
de faux dévot est devenu vrai fanatique, une sorte d' agent du
FIS, violent, violeur, secoué de crises de rage.
Orgon, le personnage comique de la pièce, le benet qui fait
tout pour etre cocu et ruiné, r6le qui faisait rire et que tenait
Molière, porte le fez, la moustache et la barbe. Quand il
revient de voyage, Dorine enlève ses chaussures. Il s 'assied
comme un vizir. Il est l'autorité, le pouvoir absolu, le mari, le
père, le maitre, l'ordre, la loi, le représentant de Dieu dans la
famille, donc le mal. D'ailleurs il porte un grand manteau
noir. On pourrait le prendre pour un pretre. Ce n 'est pas par
hasard. Le noir est la couleur du mal. Ariane Mnouchkine
emprunte sa psychologie aux spectacles de catch. Elle a du se
souvenir de I' Ange Blanc. C'est la nouvelle culture.
Molière avait écrit une comédie sur l'escroquerie à la foi.
Mnouchkine joue un drame sur le machisme, le fanatisme et
--------- o-
W>') (IJ(J!Uf,
fl'J � --------- 'O.

••,

l'intégrisme - qui n'est pas seulement musulman. Dans Le


Monde, Brigitte Salino a tenu à le souligner, au cas où nous
ne l 'aurions pas compris. Le Tartuffe d' Ariane Mnouchkine
est :
Une mise à nu du pouvoir dans son désir de possession, de viol, de
meurtre. Un appel à la résistance humaine, active et collective.
Il faut voir les images que le Solei} en donne. Ells font oublier que
les barbus de Tartuffe sont peut-etre trop repérables. D'une menace
lointaine, ils deviennent les représentants d'un ordre proche. Celui
qui, par exemple, envoie des commandos anti-avortements dans
les hopitaux.
Bel exemple de détoumement de pièce. Le théatre engagé est
devenu le théatre enragé. Pardon, Molière !
(20 juillet 1995)
- P E T I T S F A I T S ( V R A I S ) D E S O C I É T É --

J
L'apothéose du Franchouillard
Mondial
e l'avoue. Inutile de faire le malin.
de football :
victoire
Quoique me piquant d'une certaine
de la France culture footballistique, je ne
voyais pas l'équipe de France gagner
le Mondial. Si nous étions arrivés en
demi-finales, j'aurais meme trouvé le résultat flatteur.
Compter au nombre des quatre meilleures équipes de l a pla­
nète, ce n'est pas rien. Or nous avons réussi l 'exploit de rem­
porter la coupe d'or, à la régulière, grace à vingt-deux
joueurs, grace à l' école française de football et au tissu
conjonctif de ses techniciens, grace au dévouement et au
bénévolat de dizaines de milliers d'éducateurs, de cadres, de
dirigeants . . .
Grace surtout à un homme de devoir, u n Français comme on
les aime, solide, modeste, courageux, enteté, opiniatre, fidèle à
ses principes, aux vertus de l'expérience, retenant les leçons
du passé, se méfiant des modes et des idéologies, sensible
néanmoins aussi sous une apparence assez rude, un homme,
quai ! Avec un prénom à l'ancienne qui dit naYvement le bon­
heur de la famille devant l'enfant qui vient de naitre : Aimé.
Un nom camme on en trouvait chez les paysans d'autrefois,
ceux qui ne faisaient pas de différence entre le droit du sang
et le droit du sol : Jacquet.
C'est pourquoi les intellos dogmatiques de L'Equipe, au pre­
mier rang desquels se trouve le père Ubureau, le directeur de
la rédaction, l'avaient surnommé le Franchouillard. Le mot
se veut méprisant pour tout ce qui appartient, dans la forme
et le fond, à la France traditionnelle. Il montrait Aimé
Jacquet, cachant des idées d'un autre age sous son béret
basque et déambulant, parmi les Dieux du stade, la baguette
de pain sous le bras. Un Franchouillard ! Ses mérites n'en ont
été que plus grands.
Le premier fut de vaincre. C' était ce dont la France des gra-
dins avait le plus besoin : une victoire, une victoire en chan­
tant, une victoire enchantée, contre des équipes réputées
supérieures à la notre
Pour réussir, M. Jacquet s'est servi de ce qu'il possédait. Il a
pris ce qu'il avait de meilleur : des techniciens blancs et des
joueurs tricolores. Il n ' a pas craint de rappeler à l' opinion
que nous avions été un grand empire colonia!, et que notre
colonisation, si décriée dans les écoles d'aujourd'hui, avait
beaucoup apporté aux peuples qu'elle civilisait, à commen­
cer par ce jeu dont elle leur enseignait !es règles, la science
et )es secrets.
L'équipe de France de M. Jacquet a démontré, comme au
tableau noir, que les éléments d'origine étrangère pouvaient
se fondre dans le corps de la nation, à condition d'etre choi­
sis et sélectionnés, de se soumettre aux lois, à la discipline,
aux exigences, aux contraintes du groupe, et d'apporter, avec
une solidarité sans failles, quelque chose qui ressemblait à
l'amour.
Malgré son air de Franchouillard et peut-etre à cause de lui,
M. Jacquet réussit alors une série de miracles complémen­
taires.
A un pays miné par l'individualisme, i l apprit que le football
n'était pas un divertissement de stars, mais un jeu d'équipe.
A une société fascinée par l' argent, i l révéla que des merce­
naires milliardaires et blasés avaient une fune et qu 'ils trou­
vaient un bonheur enfantin à gagner des matchs entre
copains, pour eux, pour leur entra1neur, et pour le pays dont
i ls portaient fièrement les couleurs.
A des populations qui s'en croyaient éloignées, i l fit décou­
vrir le frisson de la préférence nationale, celle qui faisait
exploser les villes de joie melée d'orgueil.
Alors vinrent !es matchs et les marches du succès, gravies les
- P E T I T S F A I T S ( V R A I S ) D E S O C I É T É --

unes après les autres, les victoires, la Victoire, déclenchant


celte vague de fond inoubliable de ferveur, le triomphe,
l'apothéose du Franchouillard, que l' outrance de ceux qui
voulaient se faire pardonner d'avoir p1is le train à l 'arrivée ne
réussit pas à gacher.

Le fiasco du père Ubureau


anni !es ingrédients du ciment qui souda I' équipe de
France, j'en ai oublié un : le sentiment d'inj ustice qui
révolta les joueurs, les techniciens et le public, devant
les attaques dont M. Jacquet fut la cible pendant quatre ans.
Les plus féroces, les plus venimeuses, les plus destructrices
vinrent de L'Equipe. Ce quotidien qui se veut le Journal
0fficiel du sport jouit d'un manopole de fait. Or, camme
disaient les tailleurs, une partie de sa rédaction porte à
gauche, ou à l'extreme gauche. Dans cette citadelle d u capi­
talisme de presse le plus absolu et verrouillé, on rencontre
beaucoup de soixante-huitards demeurés. Ainsi, le père
Ubureau, responsable de la teneur du journal, mélange de
jalousies cachées, d'ambitions réchauffées, de calculs sour­
nois, de servilité, d'autoritarisme, de prudence et d'audace,
appartint à la mouvance de la Ligue communiste révolution­
naire du camarade Krivine. Elle l'a beaucoup marqué.
Dans la guerre à mort qu'il engagea pour déstabiliser
M. Jacquet, le père Ubureau mela les mécanismes brutaux d u
profit à ceux, plus étranges, de l'idéologie. L'échec inél uc­
table du Franchouillard, entratnant l'élimination précoce de
l'équipe de France, aurait eu des conséquences fàcheuses sur
la vente de L'Equipe et les négoces adjacents. Le père
Ubureau se devait donc de protéger !es intérets d u grand
patronat.
D'autant plus qu'en abattant le Franchouillard, il détruisait le
symbole de la France française, l'ennemi abhorré du cosmo-
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�.
politisme et de l'intemationalisme de la Ligue communiste.
En somme, d'une pierre deux coups.
Pendant quatre ans, terrible et grotesque, le père Ubureau ne
cessa d'agresser Aimé Jacquet. Il refusait tout : ses sélec­
tions, ses méthodes d'entratnement, son calendrier, son sys­
tème de jeu. Meme ses victoires dans les matchs prépara­
toires, il Ies trouvait lugubres. Il eut préféré des défaites
flamboyantes et annonçait le naufrage corps et biens du foot­
ball français, dans le ridicule, de surcrott.
Tant que le remplacement de M. Jacquet paraissait possible,
cette politique, si outrancière qu'elle ffit, pouvait s'admettre.
Plus l'échéance se rapprochait, plus elle devenait absurde et
criminelle. En admettant que M. Ubureau dise vrai, le départ
de M. Jacquet eut ajouté le chaos à l 'incurie. Et s' il restait,
c'était l'équipe meme que L'Equipe démolissait.
Le père Ubureau n' en poursui vit pas moins sa besogne jusqu' à
ce que j ' ai dit : les premières marches du succès,
les victoires, la Victoire, le triomphe, l' apothéose du
Franchouillard. Alors, toute honte bue, mais pas plus gené
que cela du fiasco, le directeur de la rédaction de L'Equipe
réclama le pardon, au nom de la bonne foi et des Evangiles.
Nous étions loin de l'opium du peuple.
Il fit mieux. Camme on lui demandait pourquoi il n'avait pas
offert sa démission, I' ancien communiste révolutionnaire
répondit :
- J'y ai pensé. Mais mon patron m'a répondu qu'il n'en était
pas question (L'Equipe, 14 juillet 1998, éditorial, page 2).
Cette fois nous étions loin de la dictature du prolétariat.
L'exploité se déculottant devant l'exploiteur et se dépechant
de reprendre la démission qu'il avait " pensé " donner ! Quel
sujet de tableau pour l'édification des camarades !
(26 juil/et 1998)
- P E T I T S F A I T S ( V R A I S ) D E S O C I É T É --

' honneteté sous toutes ses formes


Ecole : est aujourd' hui une vertu en voie
l'héritage de disparition. Elle est devenue
de Mai 68 synonyme de sottise. C' est elle pourtant
qui m'oblige à confesser publiquement
les abominables sentiments qui
m'habitent. Quand je vois les tourments dont souffrent
actuellement les messieurs-dames du corps enseignant, ce
n'est pas de compassion que s'emplit mon cceur, comme il le
devrait : c'est de rigolade. J'ai honte, mais je ne puis m'en
empecher. C'est nerveux. Je rigole, comme Thérèse . . .
Cette réaction est d'autant plus répugnante que je suis fils
d'instituteur lai'que. Je suis né pour ainsi dire dans une école.
J'y ai grandi. J'y ai vécu jusqu'à la guerre. Ma mère a souf­
fert le martyre que son fils ne devienne pas, à son tour, un
instituteur de campagne, dans une école à la façade fleurie de
roses trémières. J'ai connu le petit monde des instits et des
profs dans sa diversité. Meme si les mceurs ont beaucoup
changé, si la rigueur et le devoir d'exemplarité ne sont plus
ce qu'ils étaient, je sais qu'il y a parmi eux de très braves
gens, dévoués à leurs classes, et que la dégradation des
conditions de leur travail plonge dans l' affliction.
Mais je sais aussi que le calvaire qu'ils connaissent dans les
établissements scolaires de certaines villes et banlieues peut
etre considéré comme une manifestation de la justice imma­
nente. Ce qu'ils subissent procède de la révolution de Mai 68
qui fut essentiellement une révolution idéologique et péda­
gogique de la nébuleuse enseignante.
Ce fut la victoire de l'école sans règle, sans respect, sans dis­
cipline, sans héritage. La grammaire était fasciste, le "par
cceur" réac. On savait d'intuition et d'imprégnation, sans
s'etre donné la peine d'apprendre. La culture étant de droit,
il n'était plus besoin de travailler pour essayer d'en acquérir
quelques rudiments. Les maitres étaient tutoyants-tutoyés.
Rien ne les grisait devantage que d'etre traités comme des
copains par les gamins. Il était interdit d'interdire. On fumait
pendant les cours. L'explosion sexuelle commençait à la sor­
tie de l ' école matemelle et, aujourd'hui, il n'est pas rare
d'entendre des mouflets de huit ans vanter les charmes de
Jeur ma1tresse, avec une connaissance du corps humain et de
ses plaisirs, une richesse d'expressions et d'images qui
étaient jadis le privilège des cochers.
Ce mouvement fut amplifié et précipité par l'immigration­
invasion africaine et nord-africaine. Dès son amorce. )es syn­
dicats et associations d'enseignants, )es partis politiques qui
les représentaient dans leur majorité, s'en firent les ardents
défenseurs, au nom de l'intemationalisme, de la France terre
d' accueil, de la fratemité universelle, etc.
J'essayais d'attirer l'attention des instituteurs et professeurs
que je connaissais sur cette colonisation à rebours. Je parlais
des races, des religions, des natures, des mentalités diffé­
rentes. Des croissances physiques qui ne coYncidaient pas
forcément. Dix ans ici et dix ans là, ce n 'était pas la meme
chose . . .
On me considérait d' un ceil navré. J'étais un raciste soumois,
obsessionnel, rétrograde et taré. Je disais :
- Attention, les gars . . . Ne faites pas trop les malins. C'est
vous qui allez etre en première ligne. Au contact. Vous allez
dérouiller les premiers. ça peut faire mal. Très mal. Toumer
vite au cauchemar, à l'enfer. Et après, pour la pleurniche,­
vous aurez le bonsoir.
Mon succès était immédiat. Je déclenchais des rires, en
rafales. Je me souviens du gros Poithou qui hoquetait de la
bedaine et pleurait des larmes de joie dans son haricot de
mouton. Comme comique social, j'étais imbattable.
- Mais, sé1ieusement, dans quelle époque vis-tu ? me
demandait-on. L' Afrique n' est plus celle de Savorgnan de
- P E T I T S F A I T S ( V R A I S ) D E S O C I É T É --

Brnzza. Tombouctou ne ressemble plus à la ville où René


Caillé était entré, déguisé en mahométan. On ne trouve plus
d'anthropophages qu'à la Foire du Tr6ne et, après la séance,
ils vont, comme tout le monde, se taper un couscous­
brochettes chez le Berbère . . .
J'étais heureux de les mettre en pareille gaieté. J'ai toujours
aimé distraire mes concitoyens. Pourtant la vérité m'oblige
à dire que les rires changèrent de camp lorsque mes amis
comptèrent dix bronzés gutturaux dans une classe de vingt­
cinq élèves, puis douze, puis quinze. Nous y sommes.
Certes, grace à la loi Fabius-Gayssot, les races n ' existent
plus. Il n'y a plus qu'une race unique : la race humaine. Elle
est née en 1789 comme nous l'a appris M• Badinter. Depuis
cette date, tous les hommes naissent libres et égaux en droits,
semblables, tribuables, assujettis à la Sécu et titulaires du
baccalauréat. Pourtant, dans les écoles, il apparait, et de plus
en plus, qu'il existe des étrangers (fussent-ils naturalisés). Ils
ne pensent pas comme nous. Ils ne sentent pas comme nous.
Ils ne réagissent pas comme nous. Ils n'aiment pas camme
nous. Certains conseillent de niquer sa mère. Ils ne se battent
pas comme nous. Ils ont très tot un goiìt très vif, trop vif, des
armes blanches. Meme ceux qui veulent s' assimiler y par­
viennent difficilement. Ceux qui sont résolus, et entrainés, à
ne pas s'assimiler, sont totalement inassimilables. Ils consti­
tuent des peuplades dans un peuple. Ils se sentent différents.
Ils entendent le montrer et le rester. C' est cela le droit à la
différence que les instituteurs reconnaissent aux étrangers,
mais refusent souvent aux Français.
Quand les immigrés étaient peu nombreux, une petite mino­
rité, la vie en commun pouvait etre sans heurts et meme har­
monieuse. Mais ils sont devenus le nombre, paifois la majo­
rité, presque toujours la force. Cela s'explique. Ils sont nour­
ris à l'européenne. Leur croissance est plus rapide que celle
des petits Français. Et puis il y a l'atavisme. Je ne me fais pas
--------- o� �(IJonli,
frJ � --------
a

..
beaucoup d'illusions sur l'ame humaine, quelle que soit la
couleur de la peau. Ce que j ' ai vu au Congo et au Maghreb,
ce qui se passe au Rwanda et en Algérie, m'incline pourtant
à penser qu'ils sont encore plus près que nous du sauvage,
lequel, quoi qu'en <lise Rousseau, n'était pas toujours bon.
Certes tous les enfants d'immigrés ne sont pas aussi féroces
que les "jeunes" en action que nous montre la télé. Mais,
dans ce genre de situation, ce sont les durs, les méchants qui
font la loi : la loi de la jungle. lls l'imposent d'abord aux
autres gosses qu'ils cognent, rançonnent, volent, violent, ter­
rorisent ; ensuite aux maitres, maitresses, profs, dont la vie,
dans certains établissements, est devenue le cauchemar et
I' enfer que je disais plus haut.
Un cauchemar et un enfer d'autant plus insupportables qu'ils
sont couverts par le conformisme idéologique et médiatique
actuel. Nos fameux "jeunes" le savent. Ils savent qu'ils sont
à l'abri derrière le mot tabou : racisme. Il suffit de le dénon­
cer chez les autres, tout en le pratiquant pour soi (putain de
ta race !), pour avancer à couvert, comme les Peau-Rouges
au Far West avançaient derrière leurs buissons.

ET IIJ OUS 01\J A.!.G-OL E ,


C O M M E:" M O N I Q U .S . . .

-
-
- P ET I T S F A I T S ( V R A I S ) D E S O C I É T É --

En privé, les membres du corps enseignant, au contact avec


celte rude réalité, en conviennent volontiers et gémissent.
Certains osent mème protester en public. A visage découvert,
ils déclarent qu'il faut que ça change. Ils en ont assez d'etre
salement injuriés, menacés, molestés. Assez d' avoir peur des
coups. Assez de recevoir des crachats, d'affronter des gestes
obscènes. Assez de trouver les pneus de la voiture crevés.
Comme on ne leur a appris qu'une arme : la grève, i l leur
arrive de la faire, au lieu de s'organiser pour résister effica­
cement aux loubards et casser les casseurs.
Leur protestation ne va guère plus loin. Elle manque d' am­
pleur, de solidarité. Les ch.ers collègues sont d'accord pour
défiler en criant : « Bayrou, des sous », mais pour venir en
renfort, au secours des camarades assiégés, minute, il faut
réfléchir. La plupart se refusent à condamner les idéologies
funestes qui les ont amenés où ils sont. Ils continuent à suivre
les syndicats, les lobbies, les partis politiques qui défendent
!es pédagogies soixante-huitardes et l'immigration-invasion.
11s nous regardent avec un mélange de mépris et d'aversion.
J'éprouve parfois l'impression bizarre qu'ils nous hai"ssent
d'avoir eu raison. En tout cas, ils nous en veulent d' avoir
annoncé ce qui arrive, et que, sur le terrain, les faits démon­
trent le bien-fondé de nos idées.
Dans ces conditions, je garde mes bons sentiments pour moi.
Je refuse de m'apitoyer sur leurs malheurs. 11s les ont voulus.
11s )es ont cherchés. Ils )es ont. Tant pis. 11s récoltent ce qu' ils
ont semé. 11s héritent de leur joli mois de Mai 1968. Il me
prend des envies de dire : c'est bien fait ! Je suis camme
Thérèse. Je rigole. . .
( 14 février 1996)
--------- o�()JOJU!,

Après Cayenne :
soyons positifs
e
- �a� -------­
...
,est l' enseignement majeur de
l ' époque. Soyez positifs ! Il
faut positiver ! Tout le monde
le répète sur tous les tons. A quelque
chose malheur est bon. En toutes cir­
constances, ne considérez que le còté
utile de la situation, le bénéfice. Après avoir ricané, sarcas­
tique, comme à l'accoutumée, j'y souscris à mon tour. Ainsi
les facheux événements de Cayenne ont enrichi mes connais­
sances. J'ai corrigé des erreurs et appris ce qu'étaient les
lycées à l'approche du troisième millénaire.
Autrefois, dans ma jeunesse, entre les deux guerres, les
lycéens étaient les adolescents les mieux considérés d'entre
nous. Quand il en passait un, raide comme la justice et fier
comme un petit banc, tout le quartier le montrait du doigt et
disait, d'une voix où l'admiration se mèlait à l'envie :
- C'est Jobic . . . le fils de la Poste . . . Il est au lycée de
Quimper. . . Parait qu'il en connait autant que ses profs . . . Il
ira loin, çui-là . . . Vous vous rendez compte ?
Le quartier se rendait compte. Pensif, il hochait la tète en
essayant d'imaginer les carrières dorées qu'ouvre le savoir.
Je n'eus jamais cette chance, sans qu'il m'en coiìtat outre
mesure, je dois l ' avouer. Orgueil de leurs mères, les lycéens
que je connaissais étaient toujours habillés en dimanche, ce
que je détestais. Boutonnés, des casquettes d'intemat avec
visière vernie noire vissées sur le sommet du crane, mème en
semaine ils étaient ficelés d'une eravate, quelle horreur !
N'ayant jamais eu de cou, j'ai toujours nourri une aversion
profonde pour les cravates. Elles m' allaient comme un licol.
J'avais l'air d'un bceuf, animai peu reluisant malgré son ròle
dans la crèche. Pour rien au monde je n' aurais voulu etre
lycéen. N' ayant pas de grandes ambitions pour leur garçon,
mes parents n'y pensaient pas. C'était parfait.
-- P E T I T S F A l T S ( V R A I S ) D E S O C I É T É --

Aujourd'hui tout est changé. Si j'en crois !es images de


Guyane, j' aurais très bien pu etre lycéen. Ils ne sont plus tirés
à quatre épingles. 11s sont fringués cornrne des épouvantails
à moineau. Chaussés de savates, vetus de pantalons trop com1s
et de chemìses trop grandes, le tout en coton fripé, ils pavoisent
sous des galurins de paille, pointus du haut et larges des bords,
pareils à ceux des sacrificateurs de bananes. Cela rn'aurait
enchanté de baguenauder ainsi dans les tumultes des seize ans.
J'ai toujours adoré me déguiser. Je revais d'années-lumière où
c'eGt été Mardi gras tous !es jours . . . Si c'était ça rnaintenant,
etre lycéen, vive le Iycée ! Ma course eGt été tout autre.
J'aurais fini dans les honneurs, !es lau1iers, !es palmes acadé­
mìques peut-etre . . . Ma mère se serait éteinte, un somire aux
lèvres, alors qu'elle s'en est allée angoìssée de laisser son
pauvre enfant mal adapté au monde hostile qui l 'entourait. A
quoi tient le destin ? A un chapeau. Je positivais Cayenne.
En plus, ainsi accoutrés, où courent-ils, ces lycéens ? Au
cours de math ? Tu rigoles, Anatole ! Ils vont rnanifester pour
le droit au bac en foutant le feu aux écoles et en mettant à sac
!es bijouteries des Chinois. Sans rique. Chirac !es approuve.
Il positive.
Il se plaignait que la jeunesse fGt amorphe. La voici ardente,
pleine de sève, de sang, de flammes. Lui qui ne manque
jamais une occasion de dénoncer violemment la violence, il
intime l'ordre à son ministre de l'Education intemationale, le
si complaisant, si ouvert, si disponible M. Bayrou, l 'espoir
chéri des belles-mamans, de satisfaire illico aux revendica­
tions des lycéens, si légitimes, si justifiées, dans notre société
où la culture est essentielle, le mani oc de I' a venir.
Les lycéens le savent. 11s positivent. Dans la société moderne,
du moment que tu demandes de la culture, encore de la cul­
ture, toujours de la culture, tu peux tout te pennettre. Hurle
et tu seras entendu. Frappe et on t'ouvrira. Brule, pi Ile, viole,
casse du flic et tu seras exaucé.
-------- o���
- . ��� ----------­
...
Chirac ne l'ignore pas. Il positive. Avec la mentaJité et· Ja;�
timentalité actuelles, que peut-il faire d'0a:utre ? Je :sniJ Jeor.
chef, donc je les suis ! S'il s'agissait de culture agricole ente
paysans blancs d'age moyen, pour ne pas dire dn moyen àge,
il pourrait faire donner la garde. Mais il s'agit de culture inteilo;
et de lycéens, souvent de couleur no�, violette ou métisse. On
ne peut donc que leur donner raison. Sinon l' oncle Tom, qui
appartient à la LICRA et à SOS-Racisme, sortirait de sa case
pour appeler la Conscience universelle au secours.
Il faut positiver. Quand tu ne peux pas etre contre, tu es pour.
Un Beur beurré jusqu'aux sourcils, malgré le Coran, veut
entrer dans une botte de nuit. Des videurs s'y opposent.
Chirac positive. Il donne raison au Beur et charge Toubon de
lui torcher dans la soirée une loi anti-videurs.
Quatte Maghrébins et un représentant de l'Afrique profonde,
ne confondant pas les droits de l'homme et les droits de la
femme, s' en prennent à une policière en civil. Dans un train
que les controleurs ne controlent plus, ils la frappent à coups
de poing, de pied et de cutter, la défoncent et la violent plu­
sieurs fois. Que fait Chirac ? Il positive.

LA POLICIERE POURSUIVIE ?

CST' ASSE2. ENIJUYç,(.)X .


VOOS E� AV/;l. G-RÌFFÉ UN
EAJ \/0()5 J>fe.ATTAfJT .
-
- P E T I T S F A I T S ( V R A I S ) D E S O C I É T É --

Dans le cas contraire, si la policière avait été noire et les


voyous blancs, on aurait fait passer ceux-ci pour des sympa­
thisants du Front national. L' affaire serait devenue d'Etat. On
aurnit vu le président de la République dans la rue et sur les
écrans. Le Pen aurait été empalé, une fois de plus. Après quoi
Hanin aurait fait un film sur le racisme et la tolérance.
Ce n'est pas le cas. C'est la policière qui est bianche et ses
bourreaux noirs ou basanés. Alors méfions-nous, taisons­
nous, des oreilles ennemies nous écoutent. Chirac positive,
en silence.
Quoique indignée par Munich et exaltée par la Résistance,
l'Opinion est devenue ultra-pacifiste. L'Armée n'a plus bonne
presse. Chirac positive. II transforme ses hommes de guerre en
soldats de la paix et lance le nouveau tube à la mode :
Monsieur d'Charette a dit à ses conscrits (bis)
Mes amis
Il va falloir distribuer du riz.
Prends ton frichti, Grégoire,
Tes sacs et les mangeoires.
Prends ton bidon pour boire,
Faut distribuer le riz
Aux Nègres de Zambie.

Qu'est-ce que vous voulez, c'est camme ça la réal-politique.


Meme pour Chirac, le Zambèze passe avant la Corrèze. C' est­
positif. Hier encore, un pauvre pédalo malade était un déchet
humain, objet de plus de mépris que de pitié. Aujourd' hui
c'est un séropositif. II passe à la télé. Après !es restos du
creur, on organise des souscriptions nationales pour fonder
les h6pitaux du cui. On positive.
Les événements de Cayenne auront eu le mérite de nous rap­
peler celte exigence. Chirac s'est employé à rafrai'chir les
esprits échauffés en disant aux lycéens, noirs et casseurs :
« le vous ai compris I », et à M. Bayrou, plus bonne pate à
rnodeler que jarnais : « Démerdez-vous, mon vieux. Et qu 'ça
saute ! » C'est ça etre gaulliste, donc positif. Il faut positiver.
(21 novembre 1996)

Mon petit garçon,


Lettre
à un lycéen

u me dernandes ce que je pense du « formidable


mouvement des lycéens ». Je vais te le dire. Mais
d' abord permets-rnoi de te féliciter. Rien ne rn' enchante
plus que de t' entendre ernployer le rnot juste. C' est le cas.
Forrnidable vient de forrnidare : craindre, redouter. Depuis
cinq siècles, il signifie : « qui inspire ou qui est de nature à
inspirer une grande crainte ». C'est exacternent ce que j'ai
éprouvé. J'ai eu peur.
Non pas à cause des casseurs. Si vieux croiìton que je sois, je
vis avec rnon ternps. Je sais bien que, désormais, on ne peut
organiser une fete foraine, un bal charnpetre, une rnanif
citoyenne sans que surgissent des bandes de « jeunes », pro­
tégées par SOS-Racisrne. La police laisse faire, soit qu'elle
ait des ordres de rnettre la pédale douce, soit qu'elle en ait ras
le bol d'arreter le soir des lascars qu'elle retrouve dans la rue
le rnatin. Et puis, cornrne disait un cornrnissaire jeudi, à la
télévision, ce n'est pas parce qu'on voit un rnanifestant arri­
ver casqué et porteur d'une barre de fer (on devrait dire une
barre de laisser-faire) qu'on peut l'appréhender. Et la pré­
sornption d'innocence si chère à Mrne Guigou ? De rneme, si
vous suspectez un basané crépu, autant arreter un blond aux
yeux clairs puisque les races n'existent pas et qu'il n'y a plus
- P ET I T S F A I T S ( V R A I S ) D E S O C I É T É -

de délit de faciès, sauf si vous avez les cheveux courts. Enfin,


les casseurs, ils ne font jamais que bruler les voitures qui sont
trop nombreuses et polluent, et piller les petits commerçants
qui sont de toutes façons condamnés par la nouvelle écono­
mie de marché. Donc ne radotons pas avec les casseurs.
J' ai eu peur en regardant sur mon écran, à Lille comme à
Grenoble, à Marseille camme à Rennes, des dizaines, des cen­
taines de milliers de jeunes gens et de jeunes filles, pareille­
ment fringués, se trémousser de l a meme manière devant les
caméras, désarticulés comme des pantins au bout de leurs
ficelles. J' ai eu peur que cette jeunesse, aussi naive et sans
défense, sous ses airs, que la jeunesse d' autrefois, ne soit vie­
time des illusions dont on l'a intoxiquée. J' ai eu peur qu'elle
soit le jouet de ce Mammouth désireux de chatier, sans risque,
l'impudent ministre qui se promettait de le dégraisser, alors
que le Mammouth ne pense qu'à se gaver toujours davantage.
J' ai eu peur pour vous. J' ai eu peur pour toi.
Je suis certain que ce n'est pas seulement l'envie de fo utre le
borde! dans le borde! qui vous motive, ni le besoin d'etre pris
en considération qui vous pousse. Je suis persuadé qu'il existe
d'excellentes raisons à votre agitation : Ies classes de cin­
quante élèves - encore que le fait doit etre rare, meme s'il
est présenté comme fréquent -, le manque de professeurs,
l'absentéisme de certains, la violence et l'insécurité chro­
nique qu'elle entraìne. Mais enfin, comment se fait-il que
vous ne dénonciezjamais l'immigration-invasion qui a beau­
coup aidé à la dégradation de la situation ? Seriez-vous igno­
rants à ce point ? Ou manipulés par Ies habiles agitateurs de
l'extreme gauche dont ]es réseaux, montés contre le Front
national, peuvent servir à d'autres opérations ?
Je ne vous entends pas non plus dénoncer cet Etat dans l 'Etat,
cette citadelle dans la cité, qu'est l'Education nationale. Elle
est essentiellement une construction de gauche, controlée par
la franc-maçonnerie, travrr<sée par des courants trotskistes et
--------- o',g/Y)()Joni!,
- ��� -------­
...
communistes libertaires. Son esprit est mauvais et quand
l'esprit est mauvais, il est rare que la matière soit bonne.
L'Education nationale est la première responsable du chaos
actuel, de l'impuissance des uns, de !'anarchie des autres, de
l'échec des méthodes d'enseignement que des idéologues ont
voulu imposer, de la colossale gabegie financière qui s' enfle
depuis quarante ans. L'Edu_cation nationale, c'est le tonneau
des Danai'des, le tonneau sans fond dans lequel, aux Enfers, !es
cinquante filles du roi Danaos étaient condamnées à verser de
l'eau, étemellement. L'Education nationale est une femme
prodigue qui dissipe à mesure qu'elle reçoit. Sais-tu que son
budget annue! atteint près de 500 milliards (343 de l'Etat, 143
des Régions) ? A considérer !es résultats, au rapport qualité­
prix, il n'y a pas photo, comme vous dites parfois.
Croire qu'une grève, ffit-elle nationale et accompagnée de
pantomimes, puisse changer le désolant cours des choses
relève d'une fatale erreur de jugement. J' ai vu et entendu une
charmante lycéenne, partagée entre le fou-rire et l'ultra­
sérieux, décréter d'un ton définitif : « Plus de promesses ! Du
concret ! Nousferons grève le temps qu 'ilfaudra, jusqu'à ce
que nous ayons obtenu du CON-CRET ! »
La pauvre chérie ! Si elle dit vrai nous y serons encore à
Pàques et meme à la Trinité. Le seul concret qu' elle puisse
espérer, c'est une table ronde. On y discutera gravement des
moyens à mettre en reuvre pour donner le bac à tout le monde
sans qu'il soit avoué en abaisser la valeur. N'est-ce pas le
fond de !'utopie que cache cette gesticulation ? Plus de
moyens, plus de maitres, plus d'argent dans l'espérance
qu'on en saura plus en travaillant moins.
Je crains, hélas, que la réalité soit tout opposée. Dans la
pétaudière où vous pataugez, l'élève moyen réussira plus
facilement en se réformant lui-meme qu' en essayant de
réformer en groupe l'Education nationale. Aller de la Nation
à la rue de Grenelle, déguisés en hommes et femmes-
- P ET I T S F A I T S ( V R A I S ) D E S O C I É T É -

sandwichs porteurs de pancartes pour l ' allègement des pro­


gr,.unmes, ne sert à rien. Il y a mieux à faire. Ecoute-moi,
mon garçon. Si tu veux etre mieux armé pour affronter la vie,
ne défile pas, ne te défile pas, applique-toi deux fois plus que
les autres. Fais comme si il n'y avait pas quarante-neuf autres
élèves dans ta classe. Comme si le prof était là. Comme si tu
ne risquais pas de te faire racketter le blouson, à la sartie, par
les défenseurs des Droits de l' homme. Au lieu d' aller rigoler,
il faut s'enfermer, s' achamer à apprendre, pour comprendre
et retenir, et, pour s'imposer cette discipline, à celle ou celui
qui t'invite à la manif de masse, répondre en citant le grand
chef fasciste : « Au lieu de te demander ce que ton pays fait
pour toi, demande-toi ce que tu fais pour ton pays. »
Rassure-toi. Je plaisante. Ce grand chef fasciste était un
démocrate. Il s' appelait John Fitzgerald Kennedy, président
des Etats-Unis, assassiné en 1963, on n'a jamais su très bien
pourquoi. Mais c'est vrai qu'aujourd'hui où tout est du, où
Ies droits sont sans devoirs, sa parole a des connotations
fiì.cheuses, et qu 'après Maastricht, après Amsterdam, tu pour­
rais me demander de quel pays je veux parler, sans que je
sache très bien quoi te répondre.
Voilà ce que je voulais te dire, mon petit garçon. En t'écri­
vant, le temps passé est remonté par bouffées et flashes. Je
n'ai jamais connu le lycée. Je n'ai connu que l'école primaire
dite supérieure. A J 'époque, J'égalitarisme n'avait pas encore
aplati le vocabulaire. On n 'éprouvait pas de honte d' apparte­
nir à la Basse-Bretagne, ni d'aller en Loire-Inférieure . . . J'ai
revecu en reve nos rentrées. Septembre et octobre étaient les
mois des grandes résolutions. Les cahiers neufs s'ouvraient
religieusement. Les premières pages étaient calligraphiées.
Tout le monde savait ses leçons par creur. Vous, depuis trois
semaines, vous faites des manifs. Je ne suis pas persuadé que
ce soit le meilleur moyen de vous préparer à résoudre les pro­
blèmes que vous pose et va vous poser une société o ù l ' on
_________ <w,'J('JIJJU!-
r
...
fl'Ja. � --------

n'arrete plus le progrès.


Excuse ces propos horriblement réacs. Si je suis aussi rabat­
joie, c'est que je t'aime, mon petit garçon, façon de parler
puisque tu vas dépasser le mètre quatre-vingts. Baisse-toi que
je t' embrasse, trois fois, comme en Comouaille.
Grand-père
P. S. : J'oubliais. Tu es majeur. Tu sais que les Régions ont
un devoir de financement et un droit de regard sur
l'Education nationale. Aux demières élections, pour qui as-tu
voté ? J'espère que ce n'est pas pour les responsables du fiasco
qui vous jette aujourd'hui dans les rues . . .

:J 1
(22 octobre 1998)

1 y a huit jours, au matin du 25, le


Les propos
Père Noel entra dans ma chambre-
du Père Noe
bureau au pas de chasseur. Il laissa
glisser la hotte de ses épaules. Il se frottait
'7!'.:!.:::.:::::::.!:!:z!'.::=� les mains, non pour se féliciter d'avoir
mené à bien son exercice, car il n'est
pas d'un naturel démonstratif, mais pour se réchauffer.
- Putain de gonze, il fait pas loche ! dit-il d'une voix où son­
naient les trompettes du Sud-Ouest, et en verlan (loche = chaud).
Offert par ma cadette, le thermomètre affichait quatre au­
dessous du Douste-Blazy. Dans le ciel d'un bleu boréal, le
soleil rosissait au levant.
- Salut, homme de bien, prends un siège, dis-je, avec l' em­
phase du théàtre d'autrefois. Bon toi ! ça boume ?
Le Père Noel et moi nous nous connaissons depuis la nuit des
temps . . . Le début des années vingt. . . ça fait un bail. . . Ce
- P E T I T S F A I T S ( V R A I S ) D E S O C I É T É --

qui nous aut01ise ces plaisanteries qu' on appelle, je ne sais


trop pourquoi, "de garçon de bains".
- Je deviens vieux, dit-il, et, camme ]es vieux, je ne suis
plus content de rien. Hier soir, j'en avais plein le dos d'en
avoir plein le dos, et ce matin, j' en ai plein de dos à la pen­
sée qu'il me faut attendre un an pour en avoir encore plein le
dos. La Mère Noel me dit parfois : « Tu deviens ùzfemal,
Gustave ! ». Je finirai par croire qu'elle a raison.
Sous ses gros sourcils blancs, ses gros yeux bleus riboulaient
dans sa grosse face rougie par le froid. Il ressemblait à un
drapeau national.
- Et puis j'en ai plein le dos des téléphones portables. C'est
ce qui fait fureur cette année. Et pour dire quai, je te le
demande ? « Allo, Zézette, c'est toi ? - Oui, c'est moi. - ça
va ? - Oui. Et toi, ça va ? - Oui, oui, ça va. . . - Alors si ça
va, ça va. - Je te télép/zone pour te dire que je pars de clzez
le crémier. - Parfait. - Je te téléplwnerai quand je serai
rendu clzez le marchand de marrons. . . - Très bien. Tu as mis
ta laine ? - Bien sur. - Fais attention. - Ne craùzs rien. »
Etc, etc. Siìr qu'il fallait une invention camme le portable
pour pennettre l'échange de dialogues aussi fulgurants. On
dirait du d'Onnesson. Devant le nombre de commandes, je
me suis demandé si les parents n'étaient pas les seuls à croire
encore au Père Noel et s'ils ne forçaient par leurs gamins à
nous demander ces engins de survie, demier exploit de la
technologie la plus sophistiquée. Je me demande aussi s'il
n'y a pas de moins en moins d'enfants qui aiment ce que j' ai
en magasin. Tu sais que je ne fait pas l' Américain, les
Martiens, l'Horreur. Or ça plait. Les mouflets dont ]es papas
sont canalplusmen sont généralement portés sur le vampire.
Je refuse. Je ne veux pas avoir de morts sur la conscience. Tu
imagines, un bambino, déguisé en Dracula, avec des crocs de
boucher, qui se découvre d'un coup dans la giace ? Il y a de
quoi tomber raide, vidé dr son sang. par l a peur. . . J'en ai eu
deux ou trois aussi qui voulaient des tronçonneuses. « Pour
jouer au massacre », précisaient-ils. Je t'en foutrais. Ils ont
eu des houppelandes de bergers landais et des échasses.
- Que veux-tu, dis-je pour dire quelque chose. Les mceurs
changent. C'est la vie. C'est la mode.
- Sans doute, dit le Père Noel. Mais il ne faut pas aller plus
vite que la musique. Les prévisionnistes avaient décidé que
Ies crèches classiques étaient périmées. Vu qu'il n'y a plus
d'étable nulle part et que tout le monde a la bougeotte, ça se
passait maintenant dans un hall d'aérogare. Vu aussi l'inva­
sion mécanique et maghrébine, le bceuf était remplacé par un
tracteur et des moutons. Vu la civilisation des Ioisirs, le
poney remplaçait l' àne. Pour Iutter contre le racisme, Marie
était une vierge noire et Jésus café au Iait. Quant aux Rois
Mages, ils rappliquaient des Galeries Lafayette en hélico. Eh
bien, nous avons fait un bide de première classe. Les prévi­
sionnistes se sont mis le doigt dans l'reil, je ne dirai pas jus­
qu' où pour ne pas faire rougir Ies dames. Sur 4 000 proto­
types d'essai, il en reste 3 892, ce qui tendrait à prouver que
Ies francs-maçons ne sont pas aussi nombreux qu'on le pré­
tend, puisqu'il est évident qu'on ne peut vouloir une crèche
comme celle-là que pour se moquer. . . Par contre, personne
ne prévoyait le succès des chiens. Phé-no-mé-nal ! Je ne sais
pas si e' est à cause de Beethoven I et II, ou de La belle et le
clochard, mais les toutous ont fait un malheur. Sauf chez
moi. La mort dans l'ame, j'ai fait la sourde oreille. Je ne vou­
Iais pas etre obligé, le jour des départs en vacances, d'aller
patrouiller dans le secteur, pour recueillir tous les chiens­
chiens qu'on n ' avait pas voulu amener à Flanelle-les-Bains.
Le Père Noel resta un moment silencieux. Il se caressait la
barbe d'un air pensif.
- A part ça, j ' ai fait deux observations, poursuivit-il. La pre­
mière constemante ; la seconde réjouissante.
- P E T I T S F A I T S ( V R A I S ) D E S O C I É T É --

- Commençons par la première, dis-je. Mieux vaut garder


toujours le meilleur pour la fin.
- Il y a de moins en moins d'enfants français de souche et
de plus en plus d'enfants de sol, nés en France, mais venus
d'ailleurs. Il est toujours fécond le ventre de l'immigration.
Au contraire, en ce qui concerne les Français AOC (appella­
tion d'origine controlée), il y a un sacré déficit. Ce n' est pas
surprenant. Louise de Vilmorin n'épousait pas André
Malraux, au motif qu'il n'y avait plus alors que !es curés qui
se mariaient. Maintenant, il n'y a plus que les pédés qui
déclarent avoir envie de convoler. Pour faire des familles
nombreuses, faudrait s'y prendre autrement. Pas besoin
d' avoir étudié Freud pour le savoir.
- Et l'observation réjouissante ?
- Sur !es farnilles nombreuses, qui existent quand meme, la
grande majorité est catho de droite et d'extreme droite. C'est
peut-etre la seule véritable espérance. La révolution nationale
par !es berceaux.
- On en aurait bien besoin.
- Tu l'a dit, bouffi ! Ecoute bien le Père Noel : l'avenir est
aux familles nombreuses à télévision modérée. Que !es
parents surveillent de très près la télévision de leurs petits.
Qu'ils ne !es laissent pas voir n'importe quoi n'importe
quand. Qu'ils limitent sérieusement le temps de petit écran et
le choix des émissions. Qu'ils s'entrainent à faire de la
contre-télé, de façon aussi soumoise que la télé fait de la
contre-France. Sinon, c'est l'imprégnation au goutte-à-goutte
du poison mondialiste, dont la répétition quotidienne a des
effets terriblement dévastateurs dans !es esprits et !es creurs.
Je le vois au courrier. Jadis, dans leurs Iettres, ]es enfants
racontaient qu'ils voulaient etre explorateur, marin, cosmo­
naute, pompier, coureur cycliste, policier, Robin des bois,
docteur ou doctoresse, Mère Térésa, maman au foyer, dan-
-------- o-,\QJl()(IJOJU!,
�a� -------­
..
seuse, écuyère, boulangère, artiste-peintre, maitresse d'école,
pianiste, infirmière ou Jeanne d' Are. Maintenant, ils ou elles
veulent faire de la télévision, point final ! Se trémousser, gri­
macer, anonner des fadaises à la téloche, quel pied. Lundi, un
freluquet pas plus haut que ta table m'a dit :
- Je veux etre médecin sans frontières.
- Pourquoi ?
- Parce qu'ils passent souvent à la télé.
Saint Kouchner, priez pour nous. Je te le dis, Françoué. Plus
de gosses, moins de télé, retour aux Iivres, aux jeux de plein
air et au Bon Dieu, c'est ça le salut !. . . Sur ce, shalom, ma
poule. Je me tire ailleurs. J'ai rencart chez Drucker, pour le
Noel des sans-papiers.
Après sa tirarle, j'étais interloqué. Il le vit. Il dit :
- Que veux-tu, au jour d'aujourd'hui, si tu ne te montres
pas, on a vite fait de l' oublier.
(2 janvier 1997)

vec ses cieux brouillés, sa


Le jour lumière qui change, ses jours
des Morts qui rétrécissent, l' odeur fade
des chrysanthèmes en pot, octobre
ramène l e sentiment de la mort. Par
calcul et recherche de l' anesthésie col-
lective, la société moderne l'a presque effacé. C'est peut-etre
ce qui l ' a détruit. Jadis, dans ma province tout au moins, le
sentiment de la mort accompagnait les etres dès la petite
enfance jusqu' à la tombe. On naissait et on mourait dans sa
maison. L' agonie pouvait durer longtemps. La famille et les
voisins la vivaient. De loin en loin, on voyait arriver le médecin
des corps, toujours affairé, supérieur, avec sa trousse noire.
- P E T I T S F A I T S ( V R A I S ) D E S O C I É T É --

On l'appelait « docteur ». A la fin, accompagné d'un enfant


de chreur, apparaissait le médecin des ames. Il apportait les
saìnts sacrements. On l'appelait « recteur ». Les gens se
signaient. Quand !es volets se tiraient, en plein jour, tout le
quartier savait. En revanche, dans la maison basse, la porte
d'entrée, encadrée de noir, demeurait ouverte pour inviter au
demìer adieu. Tous ces signes étaient familiers.
Il y avait des hommes et des femmes spécialisés dans la toi­
lette des défunts. Revetus de leurs plus beaux atours, ils repo­
saient sur le lit, la tete relevée par un oreiller. Souvent un cha­
pelet entourait leurs mains jointes. La mort ]es éclairait d'une
beauté mystérieuse, malgré leur teint de cire qu'aggravait la
lumière jaune des cierges. Ils semblaient pacifiés, délivrés.
Mais de quoi ? De cette pauvre vie qu'ils avaient eu tant de
mal à quitter ? Ils s'en étaient allés. Mais où ? Au ciel bien
siìr. Il eiìt été grossier d' en douter.
La veillée commençait. Elle durait au moins deux jours et
deux nuits. A chaque visiteur, c'était le meme mouvement
d'étreinte, de baisers, accompagné de petits cris, de plaintes,
de soupirs, de larmes. Des cousins-cousines, fachés depuis la
nuit des temps pour de ridicules questions d' héritage, se tom­
baient dans les bras, en pleurant. Le rituel voulait que !es
femmes commencent par s'agenouiller et prient. Elles s'ins­
tallaient ensuite sur des chaises, en demi-cercle. On ]es enten­
dait chuchoter. Elles rappelaient les vertus de la tante Marie
ou de l'oncle Yvon. Ceux qui partaient, la mort !es avait lavés
de leurs péchés comme, à marée descendante, la mer lavait la
plage. La veuve, qui avait parfois passé sa vie à se plaidre
amèrement de son époux, suffoquait de détresse dans ses san­
glots. De meilleur homme, il n'en existait pas. Bon comme le
bon pain, sous ses airs bourrus, toujours pret à donner la
main, dur au travail, dur au mal, et apportant toute la paye à
la maison. S'il lichait un petit verre de trop le samedi, le
samedi seulement, c'était rapport à la fatigue, pour remon-
ter son creur. Les larmes redoublaient. Tout cela dans la
pénombre de la chambre aux volets clos.
Sitot après avoir salué la défunte ou le défunt, les hommes se
retiraient dans la cuisine. La mort, ça creuse ceux qui restent.
Il y avait du pain, des saucisses froides, du lard, du bouillon
de poule. J' ai meme vu cuire des langoustines apportées dans
des sacs de cinq kilos. Pour la soif, on trouvait du cidre, du
mascara d' Algérie, quatorze degrés minimum, un vin d'homme,
du muscadet, de la goutte, du tafi a, du café. Forcément, le ton
montait. De temps à autre, quelqu'un venait de la chambre
mortuaire, pour demander de faire moins de bruit. ça repar­
tait, mezzo voce, bouche cousue, mais toujours dans la louange
du mort. lei on chantait surtout ses qualités professionnelles,
son courage et ses frasques. Un sacré gaillard ! Tu te
rappelles, l'année du grand hiver, qu'on pechait le sprat
jusque dans l 'arrière-port ? Il s'était levé une Angliche, une
artiste-peintre. Il la promenait partout avec son chevalet. Les
bons coins, il les connaissait. Il parlait l' anglais avec ses
mains : « Tes guetres sèchent-elles ? Yes, mes guetres sèchent. »
(Rires). Fallait voir le travail. Mais attention. Rigolade, rigo­
lade. Boulot, boulot. Le lendemain, le premier levé, c'était
Yvon. Sous les Glénan, il connaissait toutes les marques.
Selon l' heure, le jour, la lune, le vent, la marée, il savait où
passait le poisson. Je le verrai toujours à la sardine. Alors on
pechait au filet droit. Sur un mille, la mer, c'était une friture
d' argent. Debout, à l'arrière du canot, à contre-soleil, Yvon
semait sa rogue comme le paysan son grain. On nous l'avait
appris à I' école : « Le geste auguste du semeur. . . »
Les voix croisées ressuscitaient le mort. Le vieux grigou
gisant sous les cierges, se relevait, redevenait jeune, debout
dans son canot, et bénissait la mer.
Le jour de l 'enterrement, le glas sonnait longtemps, lente­
ment, pesamment. Chacun était obligé de penser à la mort, à
la sienne. Toutes les choses avaient une fin. Les choses de la
- P E T I T S FA I T S ( V R A I S ) D E S O C I É T É --

vie camme les autres. Un jour viendrait la fin des fins, la fin
demière, et le glas sonnerait pour tous. De la maison à l'église,
de l'église au cimetière, derrière le corbillard que tiraient des
chevaux richement harnachés, le cortège traversait la ville.
Le clergé venait devant. A l'époque il ne s'occupait pas
beaucoup de racisme ni de xénophobie. Il prenait le temps
d'accompagner jusqu'à la gare !es appelés au grand voyage.
Sur !es trottoirs les gens s'arretaient. Les hommes se décou­
vraient. Les femmes se signaient. La société participait.
Ces mceurs ont disparu. On nait à l'hòpital. On meurt à l'hò­
pital. Les morts y passent seuls leurs dernières nuits sur la
terre. La morgue, ce frigo à trépassés, a remplacé !es veillées.
Je n'entends plus sonner le glas. Les corbillards sont auto­
mobiles. Ils foncent. Le temps, c'est de l'argent. Les parents
et amis suivent camme ils peuvent, en voiture. On ne voit
plus guère de gens portant le deuil. La peine demeure, c'est
certain, aussi profonde, aussi vive, aussi durable qu'autre­
fois. Mais la mort n'est plus qu'une tragédie individuelle. La
société l'escamote, sauf dans des cas bien précis et limités.
Pour les morts juifs des camps de concentration, où la guerre
les avait enfermés, le devoir de mémoire doit etre constam­
ment répété. Pour les soldats, caporaux, sous-officiers, offi­
ciers tombés en 39-40, en 40-45, en Indochine, en Algérie,
pour les marins mitrai llés à Mers-el-Kébir, pour les Français
tués par les maquis communistes, pour ]es morts sous ]es
bombardements anglo-américains, moins on en parie, mieux
on se porte.
L'attitude vaut pour la mort courante. Achetez vos obsèques
à l'avance et n'y pensez plus. Tout est fait pour nous distraire
de ce qui donne pourtant un sens essentiel à la vie. Je me sou­
viens du Jour des Morts, dans mon enfance. Il se préparait
une semaine, au moins, à l'avance. Les tombes étaient
bichonnées. On refaisait les dorures. Les familles se retrou­
vaient au cimetière. Tout en s'occupant au sarclage des
-------- pi ('}(}fil.e.
()J'a tUl!rl_ -------

allées, chacun évoquait ses disparus. Là aussi, il n'y avait


plus que des souvenirs heureux et attendris. Sans grands
mots, parfois sans mots du tout, enfants et parents sentaient
d'instinct ce que la famille devait à ses morts. Cela suffisait
à établir l'importance des morts dans la patrie, qui est avant
tout un ensemble de familles ayant vécu cote à cote, sur une
meme terre, pendant des siècles et des siècles. Ce sentiment
donnait au jour des morts une importance particulière. C' était
une fete grave, émue, émouvante et joyeuse. Elle a bien
perdu de son éclat aujourd'hui. C'est forcé. Quand on veut
dénationaliser une nation, pour la dissoudre dans l ' intema­
tionale, le mondialisme, le cosmopolitisme et l'européisme,
pour la submerger par l'immigration-invasion, il faut détruire
ses racines en la coupant de son passé, c'est-à-dire de ses
morts. Comment la couper de ses morts si l' on ne commence
pas par endormir le sentiment de la mort ?
(29 octobre 1998)
CHRONIQUES

Il • La France vue de France

ravo, Monsieur Chirac ! Encore


Encore Bravo, bravo ! Votre dissolution
Monsieur Chirac ! surprise, c'était génial. Si, si . . .
Ne soyez pas modeste . . . Génial ! Se
dépecher d' etre raclé en 1997, pour ne
pas l'etre en 1998, fallait le trouver !
Et l' élan partagé ? Celui que donne le coup de pied au cui,
vigoureusement appliqué de bas en haut, par ce drole de
corps qu'est le corps électoral ? N'est-ce pas sublime ?
Le truqueur triqué ! Il y a de la tragédie dans ce gag-là et seul
le père Comeille pourrait vous preter son verbe pour l ' expri­
mer :
Nous partimes cinq cents mais par un coup du sort
A peine la moitié se retrouva au port.
Depuis une semaine, je suis dans l'admiration totale. Quelle
perspicacité dans la conception ! Quelle instantanéité dans la
décision ! Quelle maitrise dans la réalisation ! Quelle autorité
dans la finition ! Ah ! elle peut etre fière de vous l'Ecole des
Sciences Politiques où vous avez forgé votre exceptionnel
destin. Vous y étiez sumommé l'Hélicoptère w. Etonnant
---- LA F R A N C E V U E D E F R A N C E ----

sobriquet qui vous va à merveille. Vous savez décoller à la


verticale et brasser l' air comme un sémaphore à turbine. Il
n'y a que pour l'atterrissage que vous n'etes pas encore tout
à fait au point. Vous vous posez n'imporle quand, n ' importe
comment, en catastrophe, sans plus vous soucier des pois de
senteur que vous écrasez que des passagers que vous chahu­
tez. ça ne fait rien. C'est le mouvement qui est beau. Encore
bravo, Monsieur Chirac !
C'est vrai que chez vous la politique est une science. Une
science mathématique. Vous possédiez 485 députés d'une
fidélité à toute épreuve, malléables et corvéables à merci.
Rien à voir avec les godillots du général, de fabrication trop
militaire, qui finissent par échauffer les pinceaux, meme si
les pieds sont l'objet de soins constants. Vos parlementaires,
eux, ressemblaient plus à des charentaises, chaussons de tout
repos, en drap souple, fourrés pur molleton, avec semelles
antidérapantes, vu les virages brusques sur l'aile où vous
aimez montrer votre virtuosité, modèle spécial pour les
longues législatures qu'apprécient les majorités confortables
et assises.
Vos 485 serviteurs zélés ne demandaient rien d'autre que
d'aller douillettement au bout de leurs sacrifices. Nantis
d'avantages non négligeables et d'honneurs qui leur valaient
le respect des familles et les faveurs des attachées, il leur res­
tait une année de dévouement modéré à accomplir. Tout bai­
gnait. C'était du moins ce que vous assuriez. La reprise était
là. Nous allions commencer à recevoir le prix de nos efforts
et toucher !es dividendes de nos réformes. Il ne s' agissait
plus que d'un peu de patience. Après les vaches folles, élec­
triques et squelettiques, les vaches grasses, plantureuses et
débonnaires, arrivaient en ruminant la bonne herbe du Bon
Dieu. Dans la Iumière des mirages se levait l'age d'or. . .
Soudain l'inspiration vous saisissait. C'était l a dissolution. Il
n'y avait plus d'année sabbatique. Illico, sac, au dos, c 'était
,w;l()
--------- <r •
C"J(Jfl)!,
f? � --------

...
a.

au contraire le sabbat des sorcières et gare au balai. « Sortez


les sortants ! » Le cri sauvage courait dans les isoloirs. Vos
485 ratapoils se retrouvaient en première ligne, sans grand
mora!, il faut bien le dire. La tete basse, pensifs, trainant leur
havresac bourré de tracts et de dépliants, vos grognards, ceux
qui avaient connu )es deux batailles des cohabitations, la
débacle de 88, I' Austerlitz de 93, marchaient en échangeant
des propos désabusés
- C' est la Berezina.
- Waterloo, tu veux dire . . .
- Quelle idée d' aller chatouiller des élections-référendums,
quand on descend les cotes de popularité à tombeau ouvert,
avec, sur le porte-bagages, un Premier ministre qui va encore
plus vite que vous !
- Surtout quand on n'a pas cessé d'agonir le Front national :
« Vous etes des salauds . . . des fascistes . . . des racistes . . . des
extrémistes . . . des xénophobes . . . nous n 'avons pas les
memes valeurs . . . Mais que cela ne vous empeche pas de
voter pour moi, mes chers compatriotes. » ça ressemble à
quoi ?
- A rien.
- Cette fois, pour nous sauver, il n'y a plus Madonna et sa
culotte.
- Ce n 'est pas Line Renaud qui peut les remplacer.
- Quelle misère !
On devrait mieux écouter la base. Le bon sens terre à terre
vaut tous les calculs d' apothicaire. Résultats des courses.
Dimanche 1 "' juin. 20 heures. Vous aviez 485 députés. Vous
n'en avez plus que 245. 240 ont disparu, dans une mer sans
fond, par une nuit sans lune. A cause de vous. Bravo,
Monsieur Chirac !
---- L A F R A N C E V U E D E F R A N C E ----

Vous aviez un président de l' Assemblée nationale et un


Premier ministre. Vous n'en avez plus. Vous aviez un
gouvemement. Vous l'avez perdu dans votre coup de poker­
menteur. Vous avez installé un gouvemement socialo-commu­
niste pour une cohabitation qui pourrait durer cinq ans, car
vous allez y regarder à deux fois avant de dissoudre à nou­
veau. En 1995, lors du second tour de l'élection présidentielle,
vous aviez battu Jospin : 52,69 % contre 47,3 1 %. Deux ans
plus tard - le temps que !es électeurs apprécient votre poli­
tique, vos méthodes, vos valeurs et, en particulier, la façon
toute particulière que vous avez de tenir vos promesses -
c'est Jospin qui vous bat. Le PS seul fait plus que l ' UDF et
le RPR réunis. Ce Jospin qui n 'existait pas, politiquement, à
vous entendre . . . Votre Joinville, Moi"se Szafran l' a raconté
samedi, au Club de l'opinion. En 1995, lors d'un déjeuner,
avec plusieurs joumalistes, vous aviez confié que vous auriez
un septennat tranquille, l'opposi ti on socialiste manquant de
chef. Encore bravo, Monsieur Chirac !
Vous avez pratiqué la politique de la terre brGlée, mais dans
votre camp. C'est moins dangereux que chez l'ennemi . Vous
avez carbonisé Juppé, avant de le noyer sous vos larrnes et de
l'étouffer sous !es fleurs, en le congédiant comme un valet
hors service. Vous avez démoli Séguin qui flotte désorrnais
dans son paletot et Madelin, dont le charmant scurire est
devenu mécanique ; vous les avez ridiculisés en les assem­
blant dans un mariage blanc et burlesque qui rappelait celui
de Coluche et Thierry Le Luron. Vous avez offert la Corrèze
- la Corrèze ! - à Hollande. Vous avez sacrifié le féal
Toubon, le rempart de la Chance li erie. ça pourrai t faire des
dégats. Dimanche soir, sous son fard, il avait le teint encore
plus cireux que celui de Sarkozy. Si vous aviez l 'intention
dissimulée - que certains vous pretent - de gouvemer à
gauche et avec la Gauche, cette grande lessive est réussie.
Seulement voilà, est-ce que la Gauche a envie de gouvemer
avec vous ? Encore hravo, Monsieur Chirac !
Dans ces élections avancées et précipitées, un de vos objec­
tifs était de prendre le Front national de vitesse. C' est lui qui
vous a pris en force. Lundi matin, dans Le Figaro - dont on
sait comme il vous est acquis - M. Hugues Portelli, profes­
seur de Sciences politiques à l'Université Paris II - titrait :
Comment le FN a fait l 'élection. Plus que la mobilisation des
abstentionnistes du premier tour, e'est du comportement des
électeurs du Front national qu 'a dépendu l'issue du scrutin. »
C' est tout simple. Vous nous avez exclus de la société poli­
tique. Nous n'existons pas. Nous sommes des zombies.
Bravo, Monsieur Chirac ! Mais sans les voix des zombies,
vous n' aurez plus la rnajorité.
Merci pourtant. Merci d'avoir montré aux Françaises et aux
Français que, dans votre systèrne de représentativité politique,
il fallait quatre millions de voix au Front national pour obtenir
un député. C'est ce qu'on appelle l'égalité des chances.
Merci d'avoir permis aux électeurs français de faire do FN,
dans les urnes, le troisième parti de France, avant l'UDF
- rnerne si l'UDF a 108 députés avec 3 723 694 voix et si
nous n'en avons qu'un avec 3 824 000 suffrages.
--- L A F R A N C E V U E D E F R A N C E ----

Merci d'avoir aussi clairement désigné le parti de l'avenir


aux Français. Vive le Front national, parti de notre renaissance.
Et encore bravo, Monsieur Chirac !
(I) Maurice Szafran. Chirac ou la passion du pouvoir. Grasset 1986, page 33 .

(5 juin 1997)
Aucuns commentaires. Ils seraient trop douloureux.

epuis quelques semaines, la


"gauche plurielle" gauchit. On
Quand Jospin
annonce qu' à Brest l' extreme
jospine
gauche socialiste n'obtiendrait que 10 %
des suffrages. Son organisation, ses
réseaux et courroies de transmission,
ses techniques trotskistes de mobilisation de l'opini on par
l'utilisation des médias lui permettent de compter beaucoup
plus que ce modeste pourcentage. Les batailles internes sur
l'immigration et les naturalisations permettent à chacun de
s'en rendre compte.
De méme le poids du Parti communiste, dans l' alliance Hue­
Jospin, est beaucoup plus lourd que celui de ses deux rninistres
et de sa secrétaire d'Etat. Le vibrant hommage que le Premier
ministre lui a rendu devant I'Assemblée en témoigne.
Un livre vient de paraitre qui chiffre à 85 millions le nombre
des victimes causées par I' organisation communiste, à
laquelle le Parti communiste de France appartint jusqu' à
l' effondrement du système soviétique.
- Que comptez-vous faire pour que soient établies les res­
ponsabilités de ceux qui ont soutenu ces abominations ?
demande M. Voisin, député UDF de I' Ain, au gouvernement.
,\.et>')
--------- o - ()J()f�
f>Ja � --------
...
- Rien, répond en substance le Premier ministre Et il
explique pourquoi
Le Parti communiste français s'inscrit dans le Cartel des gauches.
dans le Front populaire, dans !es combats de la Résistance, dans
!es gouvernements de la gauche en 1 945. Il n'a jamais porté lui­
meme la main sur !es libertés. Meme s'il n'a pas pris ses distances
assez tot avec !es phénomènes du stalinisme, le Parti comrnuniste
a tiré !es leçons de son histoire. Il est représenté dans mon
gou vernement et j' en suis fier.
Que M. Jospin soit fier d'avoir des communistes dans son
gouvemement, s'il le dit, ce doit etre vrai. C'est d'ailleurs
tout ce qu'il y a de vrai dans son émouvante intervention.
Celle-ci n'est qu'un assemblage de contre-vérités. Reprenons
point par point.
LE CARTEL DES GAUCHES (1 924-1926). Celui-ci fut essen­
tiellement monté par la franc-maçonnerie. En 1924, Ies
réunions préparatoires se tinrent dans un tempie de la Grande
Loge, rue de Puteaux, au tempie de la loge L'Union
Plzilantropique, à Saint-Denis, et au Grand Orient, rue Cadet 01•
L'Intemationale communiste considérait la franc-maçonnerie
comme une ennemie. En 1922, le JVc Congrès de
l'lntemationale communiste avait pris la résolution suivante :
Celui qui, avant le premier janvier 1923, n'aura pas déclaré ouver­
tement à son organisation et rendu publique par la presse du parti sa
rupture complète avec la franc-maçonnerie est, par là-mème,
automatiquement exclu du Parti communiste, sans droit d'y jamais
adhérer à nouveau, à quelque moment que ce soit. La dissimulation
de son appartenance à la franc-maçonnerie sera considérée comme
pénétration dans le parti d'un agent de l'ennemi et flétrira l'individu
en cause d'une tache d' ignominie devant tout le prolétariat i:>.
Ce n'était pas de la plaisanterie. En 1924, le Parti commu­
niste ne pouvait donc pas s'inserire dans le Cartel des
gauches. Il en profila. Ce n'est pas la meme chose. Le groupe
communiste comptait 13 députés dans la chambre sortante.
---- L A F R A N C E V U E D E F R A N C E ----

lls revinrent 26, qui menèrent une vie d' enfer au président
Herriot, premier Président du conseil du Cartel (juin 24 -
avril 25), en partie à cause de la guerre du Rif, et à l a majo­
rité socialiste et radicale-socialiste. Ce fut l' époque où le
fameux capitaine Treint, un des dirigeants du PC, parlait de
« plumer la volaille socialiste ». Les socialistes étaient les
« social-traftres » et les « social-fascistes ». Dans un de ses
poèmes les plus fameux, Aragon commandait « Feu sur Léo11
Blum ». M. Jospin a du l'oublier.
LE FRONT POPULAIRE (1936- 1938). Bis repetita. Jusqu'aux
élections, le Parti communiste fut sur les estrades et à la tete
des défilés. Cela lui permit de profiter de l'élan. Sortis à 10,
les députés communistes revinrent à 73. En remerciement et
signe d'accord profond, ils refusèrent, immédiatement, de
prendre leurs responsabilités dans le gouvemement Blum. Le
seul ministère qu'ils réclamèrent fut le « ministère des
masses ». Ils commencèrent par déclencher les grèves tour­
nantes avec occupation d'usine. Elles genèrent considérable­
ment le pouvoir socialiste et provoquèrent des dévaluations
catastrophiques. Ensuite l ' action du Parti communiste
consista à essayer d'entrai'ner Léon B lum dans l a guerre
d'Espagne avant de déclarer la guerre à l ' Allemagne. Ce fut
Edouard Daladier, le troisième larron du Front popu, qui le
fit. Mais, entre temps, Staline s'était allié à Hitler (23 aout)
et, le 26 septembre 1939, l a Chambre du Front Populaire
votait la déchéance des députés communistes par 522 voix
contre 2. On notera que, dans cette chambre du Front popu­
laire, ]es socialistes étaient 206, les radicaux-socialistes 1 1 1 .
LES COMBATS DE LA RÉSISTANCE. Ils ne commencèrent que
tardivement pour le Parti communiste : au mois de juin 1 941,
alors que la France était envahie depuis un an. C 'est moins
contre ]es occupants que le Parti communiste se souleva que
contre I' Armée allemande qui, le 22 juin, de la B altique à l a
mer Noire, était entrée en URSS.
_________ a~,,w/'J()!�a�
U!- --------
...
Alors que la Résistance, de Londres, recommandait de ne pas
se lancer dans les attentats individuels, le Parti communiste
les déclencha. Ils entrafneront les exécutions d' otages de
Chateaubriand et de Nantes. Désormais le terrorisme engen­
drant le contre-terrorisme, qui provoquera une recrudescence
du terrorisme, allaient changer le visage de l 'Occupation. Ce
que voulait Moscou.
M. Jospin semble considérer que la Résistance est la prolon­
gation du Carte] des gauches et du Front populaire. C'est
abuser. Il y avait beaucoup de résistants de droite à Vichy, à
Londres et sur le territoire occupé. Il y avait beaucoup de
gens de gauche dans la collaboration, dont M. Jospin père, le
pacifiste intégral. En revanche, dans les maquis, les socia­
listes ne se rencontraient qu' à doses homéopathiques.
M. Jospin, fils, ne devrait pas laisser M. Schrameck préparer
ses improvisations.
LES GOUVERNEMENTS DE GAUCHE EN 1945. Il n 'y eut aucun
gouvemement de gauche en 1945. En 1945, il n'y a eu que
deux gouvemements d' union nationale des Epurateurs, tous
deux présidés par le général de Gaulle. Le second prit fin le
26 janvier 1 946. Si les communistes entrèrent dans les gou­
vemements de Félix Gouin et de Georges Bidault qui suivi­
rent, ils ne firent pas partie du gouvemement socialiste de
Léon B lum (16 décembre 1946 - 23 janvier 1947). En
revanche, on devait les retrouver dans le ministère du socia­
liste Paul Ramadier, le 22 janvier 1947. Ils étaient cinq :
Thorez, Billoux, Croizat, Tillon, Marrane. Ils y demeurèrent
un peu plus de trois mois. Mais, le 4 mai, après leur refus de
voter la confiance au gouvernement dont ils faisaient partie,
Vincent Auriol, président socialiste de la République, et Paul
Ramadier, président socialiste du Conseil, les prièrent d'aller
faire le ministre ailleurs. Ils se vengèrent en organisant, en
novembre et décembre 1947, )es grèves insurrectionnelles,
avec sabotages et batailles rangées, qui firent des dégats
---- L A F R A N CE V U E D E F R A N C E ----

considérables et une vingtaine de morts. Le petit Lionel •


Jospin avait dix ans. Il devrait s'en souvenir.
IL N' A JAI\IAIS PORTÉ LA MAIN SUR LES LIBERTÉS. Allons
donc ! Chaque fois qu'il l'a pu, il a au contraire porté la main,
lui-meme, sur nos libertés. Ne fut-il pas, par statut, le parti de
la « dictature du prolétariat » ? Ceux qui ont vécu 44 et la
suite savent que le parti des fusillés fut surtout le parti des
fusilleurs. Ceux qui ont vécu dans des villes à mairie com­
muniste peuvent raconter le cas qu' on y faisait des libertés.
LES DISTANCES AVEC LE STALINISME. Pendant le stalinisme, le
Parti communiste n'a jamais pris de distance avec lui. Il fut au
contraire le farouche partisan de ses « phé110111è11es ». Il nia le
goulag, les déportations, les exécutions massives et le reste. Il en
fut le complice. Il poursuivit de sa haine ceux qui racontaient la
vérité sur la vie en URSS. Rappelez-vous Kravchenko. La
repentance du Parti communiste a été aussi tardive que discrète,
et limitée à Staline, jamais à Lénine et aux autres bourreaux, res­
ponsables au moins de 85 millions de morts.
IL A TIRÉ LES LEçONS DE SON HJSTOIRE. Est-ce si siìr ? En
tout cas, M. Papon a aussi tiré les leçons de la sienne. Cela
ne I'empeche pas d'etre jugé, et il sera condamné si le Bon
Dieu n'a pas la bonté de le rappeler à lui avant le verdict.
A l'évidence M. Jospin a toutes les raisons d'etre fier d'avoir
des ministres communistes dans son gouvemement. Mais
pourquoi n'en a-t-il pris que trois ? S'il en avait six, neuf ou
douze, il pourrait etre encore plus fier. On ne l'est jamais
trop. A condition de savoir où mettre sa fierté.
(I) Voir Henry Coston : La République du Gra11d Orielll. Publications HC. BP 98- 1 8 -
75862 Paris Ccdcx 18.

(2) Roland Gaucher : /listoire secrète du Parti co1111111111iste. Albin Miche!.

(20 novembre 1997)


_________ aWf) �atuflr/. ________
- (}JOJIJ!-
...
algré les funestes consé­
quences qu'il prépare, le
Chevènement
dans la seringue
spectacle des idéologues saisis
par la réalité offre aux amateurs éclai-
rés de sombres délectations. Ce n' est
pas d'aujourd'hui. Les artistes d'hier
n'étaient pas mauvais non plus. Mais la suffisance intellec­
tuelle de la gauche ajoute un brillant particulier à ses numéros.
M. Toubon n'était qu'un médiocre supérieur, dépassé par les
promotions qu'il devait à la réussite de son parti et à sa ser­
vilité. Le comique de Mme Guigou est d'une autre épaisseur
et la morale qu'on en tire d'une autre qualité. L'intelligence
fourvoyée dans l'incompétence est la mère de réjouissants
• effets. Il faut aussi attendre beaucoup de M. Allègre, au
patronyme délicieux. C' est un personnage . . .
Je ne dirai rien de M. Gayssot. Il serait cruel d'assombrir son
triomphe. Visiblement, tous les matins, il doit se réveiller et se
pincer en disant : « Je reve I » Etre ministre des transports le
transporte. Il en a fait du chemin, le cheminot. Dans la cour de
l'Elysée, il marche camme le bourgeois gentilhomme et pro­
mène un visage si satisfait que les photographes, blasés et reve­
nus de tout, se sentent au creur une gaieté soudaine. Ayez l' reil
sur M. Gayssot. Vous ne serez pas déçus. Il va nous régaler.
Depuis sa loi, il nous doit bien ça.
Pour l'instant, je ne m'intéresse qu' à M. Chevènement. C'est
un cas navrant, qui relève de la tragi-comédie. Par arnbition,
vanité, impatience, sottise, que sais-je, il s'est fourré lui­
mème dans un piège infornai, la seringue qui tue . . . On se
souvient peut-etre de la formule superbe, et citoyenne, comme
on dit maintenant, qu' il jeta un jour aux joumalistes : « Quand
on est ministre, on ferme sa gueule ou on s'en va I » Le mal­
heureux ! C'était son drame qu'il annonçait. A ceci près
qu' actuellement M. Chevènement ne peut pas plus fem1er sa
gueule que s' en aller.
--- LA F R A N C E V U E D E F R A N C E ----

Il est déjà parti une fois du gouvemement. C'était pendant la


guerre du Golfe. Ministre de la Défense nationale, il claqua
la porte de son bureau mussolinien pour ne pas se faire le
complice des Américains désireux d' écraser l'Irak. lsrael et
le pétrole l' exigeaient. Pour refuser, il fallait du courage et un
sens élevé du devoir. M. Chevènement les eut. Il lui en sera
beaucoup compté. Malheureusement ce départ en fanfare,
avec pertes et fracas, l'empéche aujourd' hui de quitter dere­
chef le gouvemement et son bureau, moins monumental,
mais tout de méme important, du ministère de l'Intérieur. On
en ferait un maniaque, atteint par la maladie chronique du
changement.
Le voici donc obligé de demeurer ministre, et ministre soli­
daire d'une politique dont il condamne formellement certains
des aspects essentiels. Alors il ouvre sa gueule. C' est plus
fort que lui. ça le brule. ça le révolte. Il éructe. Il faut qu'i l
crie, les sourcils hérissés, l e regard flamboyant, dressé
comme un petit coq de combat ! ça lui est arrivé au conseil
des Ministres. Le petit délateur illustré, je veux dire Le
ca11ard enchafné, a raconté la séance, la semaine demière. A
propos du sommet européen d'Amsterdam, contrairement
aux usages, Jean-Pierre Chevènement prit la parole d'autorité.
II dénonça )es résultats. Il rappela son hostilité d'avant-hier à
Maastricht et d'hier au pacte de stabilité monétaire. Il s'en
prit meme aux négociateurs français qui, à l'entendre,
avaient « tout laché aux Allemands ». Récit :
Autour de la table du salon Murat, !es visages des ministres socialistes
se crispent et le communiste Jean-Claude Gayssot a l' air encore plus
sidéré que d'habitude. Lione! Jospin ne pipe pas mot. Chirac sourit
légèrement, sans doute satisfoit d'entendre un membre du gouvernement
se payer devant lui le Premier ministre et ses collègues des Affaires
étrangères (Hubert Védrine) et de !'Economie (Dominique Strauss­
Kahn) (. . . ] A la fin de son intervention, Chevènement fait encore
plus fort. Il se retourne vers la petite table où se tient le secrétaire
général, Jean-Marie Sauvé, et déclare :
"Monsieur le secrétaire général du gouvememe11t, je sais que les
comptes rendus du conseil des ministres soni couverts par le secret
pendant trente ans, mais je veux que vous y 111entio1111iez 111011
interve1lfion. Quand /es historiellS pourront y accéder; ils remarquerom
q11 'u11 ministre avair dénoncé /es co11séquences du pacte de
stabilité monétaire. "
Bonjour l 'ambiance ! Jusqu'à la fin de l'année et durant toute
l'année prochaine, le problème de l'Europe sera au creur des
préoccupations essentielles du gouvemement. On mesure donc
la gravité du divorce et ce qu'on peut redouter de la gueule
d'un ministre qui ne la ferme pas et refuse de s'en aller. On va
très vite arriver aux invectives, aux noms d'oiseaux, aux mots
grossiers, aux coups. Avec une euro-pétardière féroce comme
Martine Aubry, on peut s'attendre à tout, aux prises en vache,
au-dessous de la ceinture, genre torsion sauvage sous la melée
comme à Brive-hGaillarde. Rien n'est cxclu.
L'euro, I 'Europe, la monnaie unique ne seront pas les seuls sujets
de friction. M. Chevènement, dans tous ]es domaines, ne connait
qu'une référence : la République, le modèle républicain. Or la
manière dont M. Jospin entend régler l'histoire des clandestins
sans-papiers ne s'inspire nullement de l'esprit républicain.
Meme dans la période où la République fondatrice leur fut le
plus favorable, seuls Ies étrangers résidant légalement en
France depuis cinq ans pouvaient obtenir la nationalité fran­
çaise, et encore à condition qu'ils eussent preté le sen11ent
. civique. Cette disposition ne dura pas longtemps. Sous la
Convention, les étrangers résidant à Paris étaient tenus de
déclarer leur présence aux sections de leur domicile. Bientòt
ils furent systématiquement expulsés de l' armée, des clubs,
des sociétés populaires. Si l ' envie de défiler leur était venue,
les sans-culottes du quartier la leur auraient vite òtée. Non
seulement ils ne· recevaient ni subventions ni secours d'aucu­
ne sorte, mais leurs biens furent placés sous séquestre. A par­
tir de 1794, seuls les étrangers ayant obtenu un certificar de
---- L A F R A N C E V U E D E F R A N C E ----

civisme purent résider à Paris et, en 1796, sous le Directoire,


la République une et indivisible supprima toutes les autorisa­
tions de residence.
Dans sa rigueur originelle, la République ignorait la faiblesse.
Aux étrangers, comme aux autres, elle imposait l 'ordre répu­
blicain. Les temps ont bien changé. Les exigences civiques
d'un républicain comme M. Chevènement doivent mal s'en
accommoder. Sans doute est-il tempéré par son conseiller,
M. Sami Nai"r, le pertinent auteur d' Immigration et tlzéma­
tiques identitaires (Kimé, 1996). On est en droit pourtant de se
demander si un tempérament comme le sien tolérera long­
temps ces consignes ambigues aux préfets. Quand il verra reti­
rer les allocations à 700 000 familles lai"ques et républicaines
pour Ies donner à des smalas de fétichistes, ou d'islamistes,
sujets de potentats africains, le sentiment républicain qui bout
dans ce tempérament de feu ne peut qu' exploser. Rien qu' à me
représenter les horreurs dont le salon Murat sera le théatre, ma
piume tremble déjà etj'ai ha.te d'etre à demain.
0

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- f'?a� --------
...
Nous n'avons pas fini d'en baver, c'est certain. Nous conti­
nuerons à etre pressurés, essorés, tondus, raclé jusqu'à l'os.
Comme les anciens, les nouveaux maitres s'emploieront à
prendre l'argent des citoyens qui épargnent pour le remettre
à ceux qui dépensent. Mais, au moins, avec les rigolos que le
peuple souverain nous a donnés dans son infinie clairvoyance,
ce ne sera pas triste. C' est ça, le changement.
(3 juillet 1997)
Ce texte prouve à quel point je peux me tromper.
M. Chevènement, homme politique, a fini par obéir à
M. Chevènement, ministre : il a fermé sa gueule et il est
resté.

ès la formation du gouverne­
ment Jospin, je l' avais signalé à
Le mammouth
votre attention : le citoyen
de M. Allègre
Allègre serait une des grandes vedettes
du nouveau théàtre politique. Il suffirait
que Konk l' ornàt de moustaches en
accroche-creur pour que le ministre de l'Education nationale,
de la Recherche et de la Technologie ressemblat au général
Dourakine, tout craché. Il en a l' allure massive, l'aplomb, la
jovialité féroce et, sous une bonhomie de façade, un tempérament
abrupt et tranche-montagne. On le vit, d' entrée de jeu, quand
il déclara, à brfile-pourpoint, que, toutes affaires cessantes, il
allait « dégraisser le mammouth » !
Le mammouth ! Horreur et profanation ! C'est ainsi qu'un
ministre socialiste osait parler de la corporation enseignante,
fille ainée de la République. Fort de sa réputation de savant
physicien, rappelant les connaissances acquises, de 1988 à
1 992, au ministère de l'Education nationale, à la droite de
Jospin, il se permettait de la montrer énorme, tentaculaire,
vautrée dans ses droits acquis et ses privilèges, obsédée

I
---- L A F R A N C E V U E D E F R A N C E ----

par la défense de ses intérets et de son idéologie.


Le citoyen Allègre n 'ignorait pas la capacité de résistance de
cet édredon de béton. Il savait que beaucoup de ses prédé­
cesseurs s'étaient cassé les dents sur cet Etat dans l'Etat. Le
général de Gaulle lui-meme, après etre venu à bout de
l' Armée française qui, en 1962, était l'une des meilleures du
monde, avait fui, en 1968, devant une fronde d'étudiants et
de lycéens poussés aux banicades par leurs professeurs. Tout
aurait dG inciter M. Allègre à la prudence. Et pourtant, non
seulement il chatouillait la bete au pique-feu, mais il promet­
tait de la « dégraisser ».
C'était là menacer directement les multiples avantages que l a
corporation la plus exigeante de France avait s u accumuler.
Les provocations fusèrent. Qu'est-ce que c'était que cet
Iroquois mal embouché, tombé du Massachusetts, ce grossier
personnage qui s' autorisait de pareilles outrances ?
Quelqu'un déclara qu'il rappelait Charasse. C'est vrai qu'il
en avait la faconde et le parler dru. Mais Charasse s'en ser­
vait pour désarçonner l'adversaire. Le citoyen Allègre, lui,
attaquait bille en tete les amis, le parti de l 'Ecole la'ique,
noyau dur du parti socialiste. Etait-ce de sens commun ?
Devant le hourvari, le ministre manreuvra pour prouver qu'il
connaissait aussi !es secrets de la défense élastique. Il déclara
qu'il s'agissait d'un propos privé, d'un mot dans une conver­
sation, comme on en jette parfois pour faire le malin. Le
citoyen Allègre calmait la colère. Mais il ne disait pas la vérité.
A la fin de son premier passage, rue de Grenelle, en 1992,
il employait déjà le mot « mammout/z ». Un de ses livres,
paru chez Gallimard, s'appelait primitivement Le mammowlz
rose. On J'appela finalement L'iìge des savoirs, par précau­
tion. Mais le citoyen Allègre n'avait rien oublié. Le mam­
mouth ne perdrait rien pour attendre.
Le ministre de l'Education nationale, de la Recherche et de
________ P,
. ('J()fu.2-
f>'J'a � -------
...
la Technologie profita de la rentrée pour lancer une seconde
sortie aussi scandaleuse que la première. Il attira l'attention
des Françaises et des Français sur l'un des fléaux dont
souffre l'école publique : l'absentéisme. 12 %, alors que le
privé, c 'est-à-dire l ' école catholique ou ce qu'il en reste, n 'en
compte que 4 %.
On sait combien le corps enseignant est susceptible sit6t
qu'on lui parie de ses loisirs, congés, petites et grandes
vacances, semaines de vingt-sept heures, retraites fixées à
55 ans. Remarquer, incidemment, qu' un mai'tre ou une mai'­
tresse, dans la force de l ' age, ne travaille pas plus et parfois
travaille moins qu'un enfant de dix ans, relève de la pro­
voque. Nous ne le remarquerons donc pas . . .
Il n'en reste pas moins que l 'abstentéisme est un problème
sérieux. Les instituteurs et les institutrices conscients de leurs
devoirs et qui font un métier de plus en plus difficile, surtout
dans les villes, sont les premiers à en convenir. Dans une école,
ce sont !es meme non-absentéistes qui se partagent les classes
des memes absentéistes. C'est un fait. Les parents le savent
également. Dès septembre, ils redoutent de voir leurs gamins
"tomber" chez Mlle Durand ou chez M. Dupont. C'est la cer­
titude d'une année scolaire agitée, M. Dupont et Mlle Durand
étant de santé précaire et accablés en outre de familles pério­
diquement décimées par la mort. Les propos anti-absentéistes
du ministre ne pouvaient donc que plaire à la France des
parents d'élèves et au corps enseignant, à l'exception des
cadres de la corporation et des absentéistes, forcément.
Aussitot !es imprécations et les rugissements tombèrent
comme de la grele. Les vieux syndicalistes rappelèrent l'affaire
Mandel. Ancien collaborateur de Clemenceau, devenu
ministre des P1T dans les années trente, il avait été la bète
noire des fonctionnaires. Pour lutter contre l' absentéisme et le
laisser-aller, Mandel faisait des descentes dans Ies bureaux de
postes, vérifiant lui-meme I 'heurc ck I' arrivée du pcrsonnel et
---- LA F R A N C E V U E D E F R A N C E ----

son assiduité au travail. Il fallut la guerre, le Massilia et sa


m01t, pour que la gauche oubliat la vindicte des syndicats.
Le citoyen Allègre imiterait-il Louis Rothschild dit Georges
Mandel ? Déboucherait-il dans les établissements scolaires,
sans tambour ni trompette, à 8 heures 35, heure à Iaquelle !es
élèves devraient etre en classe, pour vé1ifier s'ils n'étaient
pas toujours dans la cour, attendant que les instits aient fini
leur café ? Dresserait-il des listes d'absentéistes chroniques ?
Les menacerait-il de sanctions ?
Comme pour le mammouth, l'émotion était grande. Si le
ministre cherchait des bricoles, il allait les trouver. Déjà il
enclenchait la marche arrière. La forme avait été maladroite. Il
s'était embrouillé dans !es chiffres. On respirait. Pas pour
longtemps. Aussit6t il enclenchait la marche avant. Devant les
parlementaires socialistes réunis à Montpellier, i l en remettait
une couche. Comment ! Les enseignants et les enseignantes
qui bénéficiaient de quatre mois de vacances - « quatre
mais », répétait le ministre, le doigt levé - n' en profitaient pas
pour organiser leurs stages de formation ? Ceux-ci se tenaient
pendant la durée des classes, c'était inadmissible !
- Il faut remettre la responsabilité et la démocratie dans
l'enseignement, concluait le ministre de l'Education natio­
nal, superbe et définitif, laissant entendre que dans l'ensei­
gnement actuel, monopole du mammouth, il n'y avait pas
plus de démocratie que de responsabilité.
Cette fois, ce fut la bronca générale. On entendait crier à tous
!es micros qui se tendaient :
- ça suffit (SE-FEN). Attaques ignobles (SNALC).
Inacceptable (SGEN-CFDT). Indécent. Indigne. On n ' a pas
le droit de jeter le discrédit sur toute une profession (SNES).
Toute remise en cause de la formation continue sur l e temps
de travail serait une déclaration de guerre (SE), etc.
La situation était épique et paradoxale. Nous sortions de Bayrou,
--------- o�(}JOJU!,
- �a� -------­
..
l'homme du centre droit, mou et catholique, qui avait oublié qu'il
était ministre de l'Education nationale, pour devenir ministre du
consensus. Au départ il avait des idées arretées. Il voulait rétablir
une école où l' on apprendrait à lire, à écrire et à compter. Il était
pour la méthode syllabique, la mémoire et la sélection. Il allait
réformer le collège unique - collège inique ! Et puis, mois après
mois, il avait changé d'avis. Il avait déculotté sa pensée au point
de se retrouver en caleçon. Il avait cédé sur tout à ses adversaires
les plus achamés, les fils de Paul Bert et de M. Homais, se flattaot
de n' avoir plus de problèmes puisqu'il avait renoncé aux solutions
qu' il préconisait
C' est alors que le citoyen Allègre était arrivé, homme de
gauche, dont la moitié des déclarations pouvait avoir l'assen­
tirnent d'un homme de droite. Est-ce une attitude ? Tiendra-t-il
le coup ? Se révélera-t-il fanfaron fantoche ? Réussira-t-il à
jouer les enseignants sérieux et les parents d'élèves contre
l'établissement corporatiste ? Je l'ignore et, honnetemen·
j'en doute. Néanmoins le match Général Dourakine
mammouth rose est un combat intéressant et j' en attends le.
prochains rounds avec curiosité et déjà délectation.
(18 septembre 1997)

aris, nom fascinant, presti­


Dans les égouts
gieux, redoutable . . . Il y a la
de Paris ville-lumière qui éclaire le
monde entier et il y a, sous nos pieds,
la cité des ténèbres que Victor Hugo
révéla : tortueuse, crevassée, dépavée,
coupée de fondrières, cahotée par des coudes biz.arres, montante
et descendante sans logique, fétide, sauvage, farouche,
submergée d'obscurité, avec des cicatrices sur ses dalles et
des balafres sur ses murs, épouvantable . . . Il y a le Paris de la
---- L A F R A N C E V U E DE F R A N C E ----

montre, de la mode, le Paris de la parade des m' as-tu-vu, du


clinquant, du strass, de la verroterie pour ces nègres-blancs
que sont les Parisiens gobeurs de lune, et il y a le Paris des
voleurs, des vide-goussets, des coupe-jarrets, des détrousseurs
de la nuit, des assassins sans visage et des rats . . . Il y a le Paris
des perspectives royales, des palais, des monuments, des statues,
le Paris du luxe immobile, de la Beauté, de l'Harmonie, des
pierres que l' histoire a semées là, dans un ordre magique et il
y a le Paris sombre des égouts. C'est là, dans ce labyrinthe de
croisements, de pattes d'oie, de culs-de-sac brusquement fermés
par des grilles visqueuses, que Jean Valjean sauva Marius des
barricades et de la répression. C'est là où grouillait jadis l a
Cour des Miracles que se livre aujourd'hui, entre des hommes
et des femmes que l 'on tenait pour d' avisés commerçants de
la politique, une hallucinante bataille, mortelle, suicidaire,
pour la conquéte de Paris.
Le Jance-flammes au poing, la photocopie qui tue dans le
porte-document coincé sous l'aileron, ils se traquent, ils se
piègent, ils se poursuivent, ils se fuient pour mieux se ména­
ger le temps de préparer le prochain guet-apens. On crut
longtemps que le couple Tiberi venait en téte de cette course
diabolique. Etrange attelage, sorti d'un dessin de Dubout.
Lui, d'apparence modeste, artiste de complément, fait pour la
figuration approbative, sapé chef de bureau, mesuré en tout,
méme dans I' exploitation des avantages, élève studieux et
appliqué de l'école chiraquienne, modèle teme, spécialiste
du "pas de vague", qualité qui le fit désigner pour succéder à
l 'Illustre Gaudissart, quand celui-ci guitta l ' Hotel de Ville
pour l'Elysée. Elle, à l'opposé, bulldozer dans la porcelaine,
Madame Sans-Gene dans les Quarantièmes rugissants, le
verbe haut, le regard à six pas, le sourcil dominateur, l'index
autoritaire, disant plus qu'elle n'en faisait quoiqu'en en faisant
beaucoup trop, bonne épouse, bonne mère, soucieuse du
confort des gamins et de la sécurité de leur père, et bien déci-
_________ o-A&Y)flJOW!-
r>:JO.� --------
...
dée à profiter un max de la situation, puisque c'était dans les
us et coutumes.
Ensemble, ils se débinaient en loucedé, s'arrétaient brusque­
ment, faisaient face un instant, pour retarder la meute, par des
injures de malfrats et des rictus effroyables à faire peur à
Satan, avant de détaler derechef, ventre à terre, en se deman­
dant toujours ce qui leur arrivait.
Qu'avaient-ils fait de mal ? Quel maire, candidat aux législa­
tives, ne donnerait-il pas un coup de pouce, en sa faveur, au
corps électoral ? Quel gérant municipal d'immeubles accep­
terait de voir ses enfants et ses amis, sans domicile fixe,
contraints d' aller crécher dans les églises pour se protéger du
froid l'hiver et l'été de la canicule ? Quelle femme du maire
de Paris refuserait de mettre ses connaissances à la disposi­
tion des collectivité locales intéressées, moyennant un léger
dédommagement ? On leur cherchait une querelle
d' Allemands. Au moment de faire l'Europe, cela avait-il le
sens commun ? Mais attention ! On n'a pas été adjoint au
maire puis maire, depuis vingt et un ans, sans avoir des muni­
tions. Dans la nuit puante des égouts, la chasse àux Tiberi
reprenait, au milieu des invectives et des clameurs coupées
par le bruit plus sourd des ruades et des coups de Jamac.
L'hallucinant dans l' affaire était la qualité des poursuivants.
Tous appartenaient à la droite la plus biette du monde. Les plus
achamés se trouvaient du parti du maire. A l'ordinaire roués,
rusés, prudents, la dissolution stratégique du Clausewitz de
l'Elysée leur avait fait perdre tout bon sens. Sous prétexte que
Tiberi ]es condamnait à la défaite en 200 1 , ils la voulaient
immédiate. On n'étonnera personne en révélant le nom de
l'auteur d'un raisonnement aussi puissant. Il s'agit naturelle­
ment de l'éblouissant Toubon, le ma1tre à penser du RPR, qui
restera dans la mémoire du temps grace au distique fameux
Chez Toubon
Tout est con.
---- L A FRA N C E V U E D E F R A N C E ----

La dissolution l'avait privé de son mandat de député l ' an der­


nier. On aurait cru qu'il se consolerait en se remémorant les
heures de gioire de son passé ministériel. D'abord à la
Culture, où il eut la chance de recevoir les colonnes de Buren
en héritage de Jack Lang. Ensuite à la Justice où il se fit un
point d'honneur d'alourdir la loi Gayssot, qu'il voulait sup­
primer quand il était dans l'opposition.
Mais non. Un homme de cette taille et de cette trempe ne sau­
rait se contenter de cultiver le passé. C'est le présent qu' il lui
faut étreindre pour enfanter l'avenir. Malgré sa piteuse défaite
dans le XIII< arrondissement, Toubon était certain d' assurer la
victoire à la mairie de Paris. C'était le plus beau cadeau qu'il
pouvait faire à Lise, son épouse, née Weiler, ex-femme
Strauss, une ame d'artiste dans un corps de militante de
l'Organisation des femmes sionistes. Lise Toubon revait de
tenir à l'Hotel de Ville_un grand salon intello. Pour cela il fal­
lait commencer par dégommer Tiberi et sa Xavière. En avant !
Le docteur Pons l'exhortait du geste et de la voix. C'est un
homme qui trompe son monde, Bernard Pons. Physiquement,
sous son cac:que de cheveux d' argent, il ressemble à Kruchen,
le grand-père sauteur de barrière. Il en a le regard amicai et
le sourire malicieux. Mais ne vous ·Jaissez pas prendre. C' est
un dur. Il l'a prouvé en Nouvelle-Calédonie, dans la grotte
d'Ouvéa (19 morts). Tiberi;. qui a des archives, s'en souve­
nait. Quand il sentait le souffle rauque du bon docteur sur ses
talons, il s'engouffrait plus vite dans le dédale, prenait les
virages au sprint, en jetant à Xavière, du coin de la bouche en
traviole :
- Accélère, maman. Ce n'est pas le moment de laisser trai­
ner ses miches.
Ce que Tiberi ne comprenait pas, c'est que Toubon, le mois
demier était encore le conseiller politique de Chirac et que
Pons était toujours le président des Amis du Président. Ne
W>'J(JJOJY!-
_________ <r f?'O.� --------
...
voyaient-ils pas qu'en le coursant, c'était le président de la
République qu'ils coursaient ?
Jacques Chirac, l'adroit propriétaire du manoir de Bity, acheté
120 000 francs avec dix hectares de terrain et restauré par l'Etat. ..
JacqÙes Chirac, l'habile technicien d'un système permettant
de favoriser son destin national en faisant subventionner, par
le budget municipal, un nombre toujours cr01ssant d'associa­
tions forcément reconnaissantes . . .
Jacques Chirac, le mondialiste de la France profonde, le paysan
de Paris, l' homme qui avait osé installer la Maìson de la
Corrèze à l'Hotel de Ville. . .

IJOVs surite.rr- n,o:io0,4lS -;- �


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:.

Accuser Tiberi de malversations diverses qui conduisaient le


RPR au désastre, c'était accuser Chirac. C'était Chirac l'in­
venteur de la méthode, tant en ce qui concernait les magouilles
commerciales que les embrouilles politiques. Chasser le maire
actuel, c'était mettre l'ancien en première tigne, directement
sous le feu des médias et de la Justice. Comment Toubon n'y
pensait-il pas, lui qui avait été garde des Sceaux ?
---- L A F R A N C E V U E D E F R A N C E ----

- Parce que Toubon ne pense pas, haletait Xavière.


Sans doute. Sans doute. Mais pas sfir. Et si e'était le président
Machiavel qui avait encore eu une idée de génie ? Un eoup
magnifiquement tordu, plus riehe de dangers que de profits,
et qu'il y avait poussé ses deux intimes ? Il y avait des pré­
cédents qui faisaient réfléehir. La dissolution par exemple et,
avant elle, le plan subtil de faire élire Tonton pour battre
Giscard. Prodigieux ! Toubon et Pons en étaient déjà.
Xavière frissonna . . .
C'est alors qu'on prit eonseienee d'une modifieation de la
eourse. Tibéri et sa femme n'étaient pas en tete. Devant se
trouvait le président Chirae. Il avait eompris le péril. Pour ne
pas se Iaisser rattraper, il trieotait à mort des éehasses, pour­
suivi par les Tiberi que poursuivaient toujours Toubon, Pons
et le peloton des justiciers. Ce qui n' éclairait ni les égouts, ni
la situation.
(14 mai 1998)

es Français clairvoyants qui, en


1 995, portèrent à l'Elysée
Guigou-la-bleme
contre Chirac
l'illustre Gaudissart, amateur de
pommes et de tete de veau, fin psyeho-
logue, stratège redoutable, peuvent etre
fiers de leur ehoix.
Les Français lucides et perspicaces qui, deux ans plus tard, en
1997, eorrigèrent eette option, ehoisirent la eohabitation en
remplaçant la maxi-majorité de la droite era-era par la mini
majorité de la gauche piurielle et envoyèrent à Matignon l' em­
ployé fietif, peuvent etre également satisfaits de leur décision.
Depuis des semaines et meme des mois, sous nos yeux, sans
vergogne, le pouvoir démocratiquement élu et l' opposition-
plastron reconnue d' utilité publique, deux forces à la fois
concurrentes et complices, se livrent à des simulacres de
combats qui, si factices, si arti ficiels qu 'ils soient, n' en
conduisent pas moins le navire à sa perte.
Ce navire s'appelle Paris. En tete du mat de commandement,
sur la fiamme bleue et rouge qui flotte au vent des tempétes,
on peut lire sa devise, en lettres d'or : « Fluctuat, nec mergi­
tur ». Traduisons pour les populations récemment arrivées de
l'Oubangui-Chari en Seine-Saint-Denis et qui ont droit à la
culture comme les autres : « Il flotte, sans risque d'erre sub­
mergé. » Malheureusement, l'assurance est aussi fausse que
le reste. Le rafiot est en grand péril. Il coule.
Sur le pont, son équipage court de tous cotés, les poings
levés, les yeux hors de la tete, en s'injuriant. Hier encore
c'était nous qu'il insultait. Arrogant, méprisant, i l nous cou­
vrait d'anathèmes, et répétait d' une meme voix, en nous
montrant du doigt :
- Nous n'avons pas !es memes valeurs !
Nous voyons aujourd' hui combien i l avait raison. Rien n'est
plus juste. C' est vrai que nous n' avons pas !es memes valeurs
que tous ces magouilleurs, maquilleurs, accapareurs, tripo­
teurs, profiteurs de la République, une fois de plus débusqués
par cette banale histoire d' emplois bi don : zéro heure de bou­
lot payée trente-neuf par le contribuable. Vous voyez qu'elle
peut etre efficace, la lutte contre le chomage.
Personne n'a nié la réalité des faits. Comment refuser l'évi­
dence ? Le procédé était connu de tous ceux qui veulent
conna1tre. Il était passé dans les mceurs. Chirac en avait fait
un système de conquete et d'exercice du pouvoir. La Ville
servait à aider les parents et les amis dans l'infortune. Elle
entretenait les petites alliées dont les guerriers ont besoin,
pour le repos. Elle payait !es chargés de rnissions qui n'avaicnt
rien de municipales. Le cas le plus spectaculaire est celui de
---- L A F R A N C E V U E D E F R A N C E ----

Patrick Stefanini. En 1990, le maire. Jacques Chirac, l'em­


bauche à l'Inspection générale de la mairie de Paris. Truquage.
Stefanini est en réalité recruté pour le RPR. Il en devient le
secrétaire général adjoint, directeur de cabinet de Juppé. C'est
au RPR qu'il a ses bureaux, ses secrétaires, son téléphone. Pas
à la mairie. Mais c'est la mairie qui paye. Donc le contiibuable
parisien, qu'il soit favorable ou non au RPR.
Il y a quinze jours, je parlais de l'Hotel de Ville de Paris
transformé en Maison de la Corrèze. Le Canard enclzafné de
la semaine demière confirme. Il apporte des précisions. Il
parie du « bataillon de Corréziens payés par la mairie de
Paris pour quadriller les campagnes. . . » Il cite des noms de
chargés de mission très spéciaux. Il écrit :
« Tout ce petit monde est alors piloté depuis la capitale par
la cellule corréziemze de l'Hotel de Ville. Laquelle ne comp­
tait pas moins de quarante salariés dirigés par Amzie
L/zéritier, l'actuelle chef de cabinet de Jacques Clzirac à
l'Elysée. »
Où les memes méthodes sont sans doute pratiquées.
Voilà l'égalité des chances dans le système électoral, l'hon­
neteté, l'intégrité, telles que les conçoit l'ex-maire de Paris,
député de la Corrèze, devenu président de la République.
Voilà ce que signifient « ses valeurs » !
Répétons-le. Les socialistes connaissent parfaitement cette
histoire et cent autres de meme farine. Ils n' ont jamais moufté.
Quand on a aux fesses les casseroles d'Urba, mieux vaut évi­
ter les mats de cocagne. On écrase. Seul le silence est
grand. . .
Il a fallu un concours de circonstances : les boulettes du
couple Tiberi, Simplet et Madame Angot, le ménage qui
déménage . . . Les calculs de Pons-Toubon jouant avec des
allumettes dans la poudrière . . . L'échec des régionales . . .
l'activisme des petits juges . . . Les plans tordus de I' extreme
--------- o· 1QIJ()('Jr/4,
a f'? � --------

gauche . . . Chez certains, la volonté d'affaiblir encore le


Président de la cohabitation . . . Chez d'autres le dessein plus
ténébreux de ne pas attendre 2002, s'il s'avérait qu' une élec­
tion présidentielle fftt favorable aujourd'hui . . . Enfin la décla­
ration de guerre de la Guigou, celte pétroleuse, à Europe 1
- Le président de la République peut etre traduit devant les
tribunaux s'il a commis des délits.
Madame la ministre de la Justice se trompait à demi. La vérité
est un peu différente et plus complexe. L'article 68 de la
Constitution stipule :
Le président de la République n'est responsable des actes accomplis
dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison. Il ne
peut etre mis en accusation que par les deux assemblées statuant
par un vote identique, au scrutin public et à la majorité absolue
des membres les composant. Il est jugé par la Haute Cour de Justice.
Ces dispositions garantissent au président de la République
une impunité presque totale. En outre, dans l 'histoire d'au­
jourd'hui, il n'est pas question de haute trahison. Simplement
de détoumement de fonds publics. Une bagatelle. Mais atten­
tion . . . Il ne s'agit pas non plus de faits accomplis par le pré­
sident de la République dans l' exercice de ses fonctions. Il
s'agit de délits commis par M. Chirac quand il n'était encore
que maire de Paris. Dès lors rien n'interdit les poursuites.
Cette simple hypothèse avancée par Madame le ministre de
la Justice elle-meme, qui pourrait inviter son Parquet à ins­
truire l' affaire, a éclaté comme un coup de tonnerre. Tout
s.'est embrasé. Atteint dans sa dignité, le caYd de la dissolu­
tion s'est déjà vu chez le curieux - ainsi appelait-on le juge
d'instruction dans le mitan d'autrefois. Il a exigé des repré­
sailles immédiates et féroces.
Devedjian, puis Christian Jacob, sont montés au créneau. lls
ont demandé des comptes au Premier ministre. lls lui ont
reproché d'avoir occupé un emploi fictif au ministère des
---- L A F R A N C E V U E D E F R A N C E ----

Affaires étrangères de 1993 à 1 997. Après avoir joué le Petit


Chose (« Je 11 'ai pas d'immeuble de rapport, pas de parent
riche. le 11 'ai jamais vécu que de mon travail. »), Jospin a lais­
sé parler son indignation. Il a trouvé une réplique de théatre :
- Ce n'était pas un emploi fictif, lança-t-il à l'opposition.
J' étais, comme beaucoup de fonctionnaires, payé à ne rien faire.
On aurait cru entendre Courteline.
Néanmoins personne n'eut envie de rire. La cohabitation
venait de changer d'ame et de peau. Avec des nanas comme
Aubry, la mère Fouettard, Guigou la bleme, toujours parée
pour le bal des vampires, Trautmann, la bouchère, la terreur
du FN, Voynette la féroce, spécialiste de l'arraché-jeté, la
chàtaigne s' annonce sévère. Impossible que ça dure comme
ça pendant quatre ans. Mais, avouez-le, pour la Cinquième,
avoir un président de la République mis en examen, ce serait
une fin qui resterait dans l'histoire.

e
(28 mai 1998)

'est vrai. « lls » ont raison.


Nous n'avons pas les memes
Roland Dumas valeurs. Pour s'en convaincre, il
et la putain suffit de feuilleter le livre que
Mme Christine Deviers-Joncour publie
cette semaine chez Calman-Lévy : La
putain de la République. C'est ainsi qu'elle se présente aux
lecteurs. Elle doit savoir ce dont elle parle. Encore que le « la »
me gene un peu. Mme Christine n'a pas le monopole de cette
délicate et redoutable occupation. Il y a meme beaucoup de
concurrence. Le vrai titre eiìt été La putain d1Elf. A l'oreille
du grand public, cela portait moins.
En 1989, la haute direction d'Elf-Aquitaine chargea Christine
--------- o-,tQtyJ ('JOf0Y!,a� -------­
..
Deviers-Joncour d'une mission rapprochée auprès de Roger
Dumas, ministre des Affaires étrangères de François
Mitterrand. Bien qu'il eGt pu etre son papa, elle en tomba
amoureuse, sans oublier pour autant son métier. Agente d'in­
fluence et de pression en opération téléguidée, elle était là pour
obtenir du ministre les avantages que souhaitait sa société.
Ces deux faces de son personnage ferait une série télévisée
de prime-time tout à fait dans le goGt du jour. Agrémenté des
photos privées que la putain de la République a vendues à
Paris-Match (Monica garde sa robe, Christine ses clichés),
rien ne manque à ce récit. Le sexe, le fric, la gioire, les
voyages autour du monde, !es rapports entre la politique et le
big business, la violence des grands brasseurs d'affaires, le
danger, sont là. On devine meme la présence de la mort.
Roland Dumas n'avait-il pas sumommé Mme Deviers­
Joncour : Mata-Hari ? C'est le nom d'une espionne et courti­
sane, d'origine hollandaise. Elle affolait !es états-majors fran­
çais et allemand par des danses lascives empruntées au
Kamasoutra. Condamnée à mort, elle fut fusillée en 19 17. Je
souhaite que la Mata-Hari d'Elf-Aquitaine ne connaisse pas
un aussi cruel destin.
La putai11 de la République se passe dans les beaux quartiers,
les palais officiels, les palaces. On y cotoie le gratin de la
société socialiste, dont les membres ont magistralement su
bénéficier de l'égalité des chances. Politiquement corrects,
sans un mot qui dépassat jamais les limites de la pensée per­
mise, ils sont moralement dégagés des vieilles règles de
jadis. Ainsi Claude Joncour, le mari de Christine, ingénieur
de son métier, la presse vivement d'accepter les propositions
d'Elf-Aquitaine et de devenir Mata-Hari bis. Il lui dit, et toute
l 'élégance de l'époque s'exprime par sa bouche
- Tu as quarante ans. Tu n'as pas de situation professionnelle
et pas d'argent. Vas-y !
---- L A F R A N C E V U E D E F R A N C E ----

Commentaire de la putain de la République : « Certains


maris so1�ffre11t da11s leur orgueil de sacrifier leur /emme
mais 11'hésite11t pas devant l'enjeu professiomzel. »
Roland Dumas est alors un play-boy sexagénaire. La rumeur
le raconte couvert de femmes et libertin, mais dans la discré­
tion. Grand-Croix d'Isabelle la catholique et marié à Anne­
Marie Lillet, de la famille du célèbre quinquina bordelais, qui
lui a donné trois enfants, Delphine, David, Damien, cela
exige des précautions, des attentions, de la dissimulation.
Rolan_d Dumas y excelle. En politique comme en amour, c'est
un homme de l'ombre qui• offre la particularité d'erre en vue.
Sa réussite est exceptionnelle. La mort de son père� fusil lé
par Ies Allemands, dans· Ie Limousin - où les maquis du
camarade Guingouin, particulièrement sanglants, attirèrent
des représailles - lui ouvrit les portes de l'immédiate après­
guerre. Son intelligence, son entregent, sa voix, son charme,
ses talents firent le reste. Rédacteur de petits joumaux socia­
listes, le voici avocat, lancé par l'affaire des Fuites (1954).
Franc-maçon (initié à Limoges), il défend Jean Mons, futur
Grand Mai'tre de la Grande Loge nationale française. Wybot
(directeur de la DST) accusait Mons d'etre un agent commu­
niste (camme Hemu). Dumas le fait acquitter. C'est la gioire.
Sartre, Simone de Beauvoir, Picasso, Vadim, Ella Fitzgérald,
Le canard enchafné, Mitterrand font de Roland Dumas leur
avocat préféré. Il a rencontré ce demier en 1 953. Peu à peu,
il devient son ami, son confident, son fidèle, son compagnon,
son complice, son missi dominici. Il sera son ministre des
Affaires européennes (198 1-1983), des Relations extérieures
(1 983-1 986), des Affaires étrangères ( 1988-1993). C'est alors
que Mata-Hari surgit, ambassadrice d'Elf-Aquitaine au Quai
d'Orsay.
Elle ne va plus quittèr le ministre des Affaires étrangères,
homme fort du système mitterrandien. Elle l'entoure _de pré­
venances. Elle l'écoute. Elle le flatte. Elle l'admire. Sa cui-
ture l'éblouit. Son charme l'enchante. La vie qu'elle mène
dans son sillage étoilé la fascine. De temps à autre, elle attire
son attention sur certaines dispositions qu'il serait heureux de
prendre. Elle lui transmet des souhaits. Elle ose des interven­
tions plus précises. Parfois il se cabre.
- Etes-vous ici pour Elf ou pour moi ?
Elle ronronne
- Vous doutez ?
Une anecdote illustre bien ce « lobbying de clzanne ».
L'Elysée prépare un voyage présidentiel au Moyen-Orient.
Elf veut obtenir une escale supplémentaire dans un émirat
qui a été oublié. Roland Dumas se trouve à New York, pour
une importante session de l'ONU. Mata-Hari y est dépechée
d'urgence. L'emploi du temps du ministre est surchargé.
Après bien des difficultés, elle réussit à le joindre au
Métropolitan Opera. On y donne le Chevalier à la rose, de
Richard Strauss. Roland Dumas s'étonne de sa visite. Elle lui
en explique l'objet et souligne son importance. Ce qui est bon
pour Elf n'est-il pas bon pour la France ? Deux jours plus
tard, la téléphone sonne au Hamsley Hotel.
- Brave petit soldat. Tu as gagné.
Commentaire de la putain de la République : « Il s'agissait là
d'un énonne contrat. Pour cette seule affaire, Elf-Aquitaine
aurait pu sans peine me verser une pension à vie. Et il y en
eut d'autres. Croit-on que j'ai été payée à ne rien faire par
une entreprise philanthropique ? »
Certes non. Il est évident que Christine Deviers-Joncour a
utilisé sa « relation amoureuse » avec Roland Dumas,
ministre des Affaires étrangères et bras droit du président
Mitterrand, pour servir les intérets d'Elf. Ils se chiffraient en
milliards. Des dizaines de millions gonflèrent donc Ies
comptes que Mata-Hari possédait en Suisse. Elle en dépensa
---- L A F R A N C E V U E D E F R A N C E ----

dix-sept pour s'offrir un appartement princier de 320 m 2 rue


de Lille. Roland Dumas aimait y venir se délasser et se dis­
traire. En 1995, le président Mitterrand l'avait nommé prési­
dent du Conseil constitutionnel pour neuf ans. C'est une
tache écrasante. Jour et nuit, le président et les huit
conseillers veillent au respect de la Constitution et à l'honne­
teté des élections. Roland Dumas s'acquitte des devoirs de sa
charge avec cette aisance et un nature) qui font l 'admiration
des témoins.
Il ne semble nullement gené d'avoir été mis en examen au
printemps demier « pour compliciré et abus de biens sociaia ».
A-t-il bénéficié des interventions qu'il fit à l a demande de son
« perir soldat » ? L'instruction le dira, ou ne le dira pas. Le
monde des paradis fiscaux et des sociétés plastrons est si
opaque . . . En 1981, le programme du parti socialiste stipulait
en son article 49 :
La vie publique sera moralisée : déclaration des revenus et du
patrimoine des candidats aux fonctions de président de la
République, de député et de sénateur ainsi que des ministres en
exercice, avant et après expiration de leurs mandats.
Naturellement ces engagements solennels étaient de pure
forme. De la poudre aux yeux des électeurs. En 1981, quand
il devint ministre, pas plus qu'en 1993, quand il cessa de
l'etre, Roland Dumas ne songea à révéler la hauteur de son
patrimoine. Nous ne saurons sans doute jamais la part de sa
fortune qui revient à la politique. Cela ne l 'affecte pas, pas
plus que ne l'affectent la présence de la putain de l a
République aux réceptions officielles du Conseil constitu­
tionnel et les révélations qu'elle vient de faire au public. Je
vous le disais en commençant : nous n'avons pas les memes
valeurs.
(5 novembre 1998)
i j'étais chauffeur-routier de
Si j'étais
métier, si je travaillais cin­
chauffeur-routier
quante-huit heures par semaine,
pas dans des bureaux, et gagnais
moins de huit mille francs par mois
pour nourrir la femme et les gosses,
malgré des réticences, j 'aurais sans doute fait la grève,
comme les copains, avec les copains. Sur le terrain, la
solidarité du labeur, renforcée par la pression des meneurs,
est plus forte que les récriminations de bobonne à la maison.
Au début, tout au moins . . . Si l'épreuve dure, ça peut changer.
Les femmes gagnent toujours, à la fatigue . . .
Si des juristes distingués m' avaient fait remarquer - avec
raison - . - que le droit de grève n'est pas celui de désorgani­
ser une nation, ni celui de prendre des innocents en otages,
j' aurais répliqué - non sans mauvaise foi - que la guerre
n'est pas non plus le droit d'écraser, sous des bombes d'une
tonne lancées, en aveugle, du haut du ciel, des innocents non­
belligérants, et pourtant que cela s'est fait, aux applaudisse­
ments des nations civilisées.
J' aurais aujouté que c' était moi, le chauffeur-routier, qui
avait parfois le sentiment d'etre désorganisé et tenu en otage
par la vie qu'on m'impose, sans que les gouvemements de
ma nati on paraissent s' en émouvoir.
Et si l'on m' avait fait observer, de ce ton faussement bien­
veillant que prennent les professionnels de la communica­
tion, que ce n' étaient pas là des arguments, j' aurais répondu,
avec une pointe d'humeur, que lorsqu'on trime cinquante
heures par semaine, sur un semi-remorque, pour moins de
huit mille balles par mois, on peut avoir des faiblesses dans
l' argumentation.
Ces réflexes, je ne les partage pas toujours. Il m'arrive meme
de les combattre au nom de l'intéret national. Personne n'est
--- LA F R A N C E V U E D E F R A N C E ----

d'une logique absolue de l'angélus de l 'aube à l'angélus du


soir, et pendant la nuit. Mais, meme quand je !es combats, je
les comprends. Je suis né dans le peuple. Extérieurement je
vis comme un petit bourgeois dans le quartier bourgeois
d' une banlieue. Dans la tete, le creur, !es tripes, les gèrtes
comme disent les animateurs des émissions culturelles à la
télévision, je suis toujours du peuple. Du peuple français.
C'est pourquoi, malgré bien des aspects regrettables et u n
état d'esprit corporatiste qui n'est pas l e mien, j'aurais vrai­
semblablement fait celte grève si j'étais chauffeur-routier. .
Cette grève, c'était moins contre !es patrons qu'elle s ? était
déclenchée que contre Jes partis politiques, au pouvoir depuis
vingt ans, qui, par impuissance et calculs l 'avaient rendue
inévitable. C'étaient eux !es responsables de la désagrégation
nationale qui avait engendré la situation actuelle - une
situation pourrie quoi qu'en puisse dire M. Jospin. C'étaient
eux les coupables de la sournission à l 'euro-mondialisme,
dont cette grève montrait, concrètement, l' importance, les
dangers, les conséquences et surtout les inconséquences.
D'entrée de jeu, l'Europe de Maastricht a dominé ce conflit
en apparence franco-français. Le citoyen Chevènement et le
camarade Gayssot sont sur les estrades des antimaastrichtiens
farouches et déterminés. lei ils ont tout de suite couru aux
frontières qui n 'existent plus pour ]es déblayer et assurer la
libre circulation des carnions maastrichtiens.
Cette mesure appartenait à la série dite "du pipeau". Elle ne
réglait rien. Passée la zone frontalière, des carnions bloquants
pouvaient continuer à bloquer. Mais c 'était là une façon de
montrer la bonne volonté du gouvernement et le sens de sa
politique.
Ce qui préoccupait le gouvernement français, ce n' étaient pas
les dégats que l'immobilisation du transport automobile fran­
çais coutait à l'économie française. Ce n 'était pas que les
--------- o-W>')('Jt/4,
��tullr/. -------­
...
camions français ne roulent pas. Ce qui préoccupait le gou­
vernement français, c'était que les camions allemands,
anglais, belges, hollandais, espagnols ou italiens ne puissent
plus circuler en France.
Ce qu'il redoutait, ce n'était pas la colère des grévistes ni
celle des Français que la grève appauvrissait et irritait. Ce
qu'il redoutait, c'était les voix courroucées de Tony Blair,
d'Helmut Kohl et des fonctonnaires de Bruxelles. Ainsi le
gouvernement français, qui refuse la préférence nationale,
profitait de la grève pour soutenir la préférence étrangère.
Si j' étais chauffeur-routier et si j' avais fait grève, voilà
d'abord ce que j'aurais dit aux télé-reporters avides de décla­
rations fracassantes, qu'on ne retrouve jamais à l'antenne
quand elles fracassent le politiquement correct. Par-delà les
revendications salariales et sociales, cette grève était, en pro­
fondeur, la première manifestation d'envergure de résistance
à l'Europe supranationale. Si elle s'est dégonflée, camme par
enchantement, alors qu'elle paraissait maitresse du terrain et,
camme en Mai 68, qu'elle possédait l ' arme n ° 1 , le robinet
d'essence, c'est qu'aux pressions du gouvernement se sont
ajoutées les menaces du grand lobby européen. Les patrons
des patrons n' ont pas résisté. La CFDT non plus. C' était fini.
Seule une partie de la base essaya de tenir. Comment aurait­
il pu en etre autrement ? A partir de janvier prochain, les
grandes entreprises auront peut-etre les moyens de s' adapter
à l a "normalisation" imposée par l ' Europe germano­
britannique. Les petits patrons, eux, sont condamnés. Leurs
ouvriers le savent. Le ch6mage qui vient les épouvante. Il y
avait de la désespérance dans leur démarche qui était tout à
la fois de sauvegarde et suicidaire. Il n ' y a plus que de la
détresse. Ce sont les plus humbles qui se sentent les plus
humiliés. C'est un sentiment que je comprends. C'est pour­
quoi j' aurais fait grève si j'avais été chauffeur-routier.
---- L A F R A N C E V U E D E F R A N C E ----

On aurait étonné !es gros bras de la CGT, qui roulaient !es


mécaniques sur !es barrages bloquants, en leur disant qu'il y a
dans cette grève, une réaction nationaliste. Ce n'est pourtant
que l'expression d'une humble vérité. Malgré toutes !es mains
cachées qui tirent !es ficelles de ce mouvement et espèrent en
profiter politiquement, syndicalement et financièrement, il y
avait chez !es grévistes, meme chez ceux qui chantant
L'/11tematio11ale, un retour à la nation. Instinctivement, il
découvraient que, pour !es plus faibles, la seule chance qu'ils
aient de résister aux plus forts est la nation.
Si j'étais chauffeur-routier, j'aurais crié cette vérité à tous vents :
- Je fais la grève contre ceux qui l' ont rendue inévitable. Je
fais la grève contre ceux qui promettent et ne tiennent pas,
mais aussi contre l'Etat démissionnaire qui n'oblige pas ceux
qui avaient promis à tenir. Je fais la grève pour que les lois
françaises soient faites en France par des Français, pour des
Français, en tenant compte en priorité des intérets de la
France et des Français. Je fais la grève pour montrer l'illéga­
lité et la nocivité du droit de grève. Je fais la grève, pour que
la grève ne soit plus la seule arme que les travailleurs aient
de faire aboutir leurs revendications. Je fais la grève contre la
fuite en avant dans l'Europe supranationale. Je fais la grève
pour la nation, première force dans la négociation. Je fais la
grève contre le régime de cohabitation permanente entre le
PC, le PS, le PRP et l'UDF, qui a entrafoé notre pays dans la
dégringolade que I ' on constate aujourd'hui, et je peux le faire
car je vote Front national. Nous ne nous sauverons de la sub­
mersion et de l'invasion que par des électrochocs. Cette
grève, révélatrice de la réalité, peut en etre un.
Voilà ce que j'aurais clamé, si j'étais chauffeur-routier, sans
grand espoir d'etre entendu, meme de mes amis, mais avec la
satisfaction d'avoir dit ce que j'avais sur le creur.
(13 novembre 1997)
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,tgf>'}('JOJU!,
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h,

(Ce discours qu 'on aurait aimé entendre lors des débats -


truqués - sur la nationalité n 'a pas été prononcé)

trangers, étrangères,
Le devoir du sol

Ecoutez-moi. Dans la situation de sur­


charge étrangère où se trouve actuelle­
ment la France, il faut renoncer au droit du sol, reconnu tem­
porairement, à des périodes particulières de notre histoire,
pour des raisons qui ne l'étaient pas moins.
Il faut le remplacer par le devoir du sol. Le salut public l' exige.
Etrangers, étrangères, vous vivez en France depuis un certain
nombre d' années. Vos parents y sont venus par nécessité et
par commodité. Vous y ètes nés par hasard et parfois en tran­
sit. Vous y avez bénéficié des droits que la France reconnait
aux étrangers qui vivent sous son toit. En contrepartie, vous
avez envers elle et envers les Français un certain nombre de
devoirs. Ce sont les devoirs du sol.
Les avez-vous observés ? Les observez-vous encore ? Si
vous désirez acquérir la nationalité française, la question
vous sera posée par une commission ad hoc, qualifiée pour
accéder à votre demande ou pour la rejeter.
Etrangers, étrangères, il faut que vous le sachiez. Cette com­
mission, à la fois bienveillante et rigoureuse, examinera vos
cas selon un certain nombre de critères. La manière dont
vous vous ètes acquittés de ce devoir du sol en fait partie. Il
commence par le respect de nos coutumes, de nos mreurs, de
nos lois, de nos religions, des règles écrites et non écrites de
notre cité. J'y insiste car ce respect revèt pour nous une grande
importance. Or force est de constater que le mot « devoir »
---- L A F R A N C E V U E D E F R A N C E ----

est souvent un mot tabou chez les "jeunes". Il serait dom­


mage, pour l'heureux aboutissement de votre requete, que
vous en fassiez partie.
La commission tiendra compte également du droit impres­
criptible que donne, aux étrangers, le sang versé pour la
défense de la patrie française. Vous etes trop jeunes pour faire
partie de cette glorieuse légion. Vos parents et vos proches
peuvent, en revanche, avoir des titres à notre reconnaissance.
La commission ne saurait les oublier. Une France ingrate ne
serait pas la France.
Outre des examens sérieux sur la langue française dont vous -
avez du acquérir quelques rudiments, outre des examens
médicaux non moins sérieux, tout naturellement la décision
de la commission dépendra également des besoins et des
intérets français dans le domaine de la main-d'reuvre. Le
temps n'est plus où deux bons bras et du courage suffisaient
à trouver de l'embauche. Il est évident que la demande d'un
ouvrier, d'un technicien, d'un professionnel de qualité,
capables d'enrichir le monde français du travail, retiendra
davantage l'attenton que la demande d'un préposé au chò­
mage, sans travail parce que sans métier. Charité bien ordon­
née commence par soi-meme. A l 'échelle des nations, ce
n'est pas de l'égoi'sme. C'est de la survie.
Enfin vous n'obtiendrez la nationalité française qu'à la condi­
tion sine qua non d'abandonner votre nationalité d'origine.
Nous ne reconnaissons pas la double nationalité. C'est pour­
quoi, entre autres arguments, nous sommes hostiles à la natu­
ralisation automatique qui fait de vous, sans que vous I ' ayez
demandé, un citoyen français tout en demeurant un sujet maro­
cain, algérien, ture ou congolais. Cette attitude est dictée par le
respect, qui est le notre, de la nationalité par le sang reçu.
Etrangers, étrangères, ces propos peuvent vous sembler
raides. 11s ne sont que de bon sens. Ils ont le mérite de poser
--------- o- •
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le problème comme il doit l 'etre. C'est-à-dire, d'abord, en
fonction de l a France et des Français. On ne devient pas fran­
çais seulement parce qu'on a envie de bénéficier d' avantages
sociaux inconnus en Oubangui-Chari. On devient français
parce qu'on le désire et que la France estime celte naturali­
sation judicieuse, souhaitable et utile.
Etrangers, étrangères, si ces conditions sont remplies, nous
serons heureux de vous considérer comme des Français et
vous serez fiers de crier avec nous : " Vive la France ! "
(4 décembre 1997)

c'a;r .t>IAlG-CJE ! 'l 'Sois AC.C.EP-rd


f'ASQUé HOi.J ARAÌéiie- G-AA�t> PERE
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---- LA F R A N C E V U E D E F R A N C E ----

oilà un mois, Paris en liesse


Jean-Paul Il,
accueillait le Tour de France et
maillot jaune
son vainqueur, le jeune
Allemand Jan Ulrich. Aujourd' hui,
Paris, en grande pompe, reçoit le
vieux pape polonais Karol Wojtyla, dit
Jean-Paul II, maillot jaune de son tour de souffrance catho­
lique . . .
Ce parallèle, un peu badin, j'espère qu'il ne choquera pas. Le
sport, malgré ses pentes fàcheuses, et l'Eglise romaine, si
aplatie qu'elle apparaisse parfois, ne retiennent-ils pas le plus
grand nombre de fidèles vibrants, et de curieux ? Avec un
avantage au premier : L'Equipe vend davantage de papier que
La Croix.. Signe des temps . . .
Ce constat révèle une réalité déplaisante. Jean-Paul II est en
France le pape le plus populaire que nos générations ont
connu, mais il est plus une vedette qu'un chef spirituel ou un
maitre à penser. S'il attire toujours des foules considérables,
il est loin de faire l'unanimité. Nombreux sont les catho­
liques qui lui reprochent de ne pas etre assez catholique.
Nombreux sont les catholiques qui lui reprochent d'etre trop
catholique. Nombreux sont les non catholiques en colère qui
lui reprochent d'etre catholique et d'appeler les catholiques à
vivre comme des catholiques. A Saint-Germain-des-Prés, je
connais meme des sous-papes de l'Eglise intellectuelle uni­
verselle qui l' accusent de concurrence déloyale en étant le
pape de la chrétienté. Ce ne sont pas les moins venimeux.
La grande faute de Jean-Paul II est d'etre arrivé trop tard
dans une Eglise trop vieille. Il est encore le chef d'une armée
importante, mais divisée, parfois retournée contre elle-meme
par l 'adversaire, parfois désarmée et démobilisée par ses
propres officiers supérieurs.
Il est le Saint-Père médiatique d'une Eglise trahie et traitresse.
Une Eglise qui, au nom de la sauvegarde et de l' adaptation, est
--------- o�
- (IJOJU!,
.
fr) � -------- 'O.

passée à l'ennemi, en abandonnant ses blessés.


Dans l'Europe de l'Est, les prélats condamnés à mort par le
communisme allié à la démocratie, ce n'était pas dans les mai­
sons du Vatican qu'ils cherchaient refuge. . . C'était à l'ambas­
sade des Etats-Unis.
Dans l'Europe de l'Ouest, en 1944, si de nombreux hommes
d'Eglise observèrent le droit d'asile pour )es traqués de la
Libération, l 'Eglise, très vite, mela sa voix à celle de leurs bour­
reaux.
Jamais elle n'appela au secours du maréchal Pétain, chef
d'un Etat français qu'elle avait couvert de fleurs et dont elle
n'avait reçu que des bienfaits. Jamais elle n'appela les
Français à manifester contre l'incarcération du vainqueur de
Verdun à l'Ile d'Yeu (en opposition à l 'Ile du Diable, sans
doute. . . ), dans sa casemate-tombeau du fort de la· Pierre­
Levée, où il était tenu enfermé, à quatre-vingt-dix ans passés,
pour avoir voulu préserver ce qui pouvait etre sauvé. Ces
marques d'infamie sont ineffaçables.
Karol Wojtyla n'en est pas responsable. C'est vrai. Mais
Jean-Paul II en a accepté l'héritage et ne l'a jamais dénoncé.
Depuis qu'il est devenu le Souverain Pontife, certaines de ses
attitudes peuvent etre, je crois, considérées comme des
erreurs politiques et pas seulement politiques. Désormais,
quand on entre dans une de ces chapelles qui ressemblent à
un établissement thermal, à un musée futuriste ou, au mieux,
à un tempie maçonnique, ce n'est pas l'égalité des hommes
devant Dieu que I' on entend professer. C' est I' égalité des
hommes entre eux que l 'on enseigne. Dieu est aux abonnés
absents. Les frères et les sreurs sont invités à pratiquer une
indulgence plénière à I' égard de toutes les religions du
monde, sauf de l'Eglise catholique traditionnelle, est-il
besoin de le mentionner ? L'absolution des péchés est accor­
dée sans confession à qui en fera la demande par lettre
---- LA F R A N C E V U E D E F R A N C E ----

(joindre un timbre pour la réponse) - à l'exception des péni­


tents membres du Front national. ..
Cette transmutation de l'or catholique en plomb, il est vrai­
semblable que Jean-Paul II ne l'accepte pas sans détresse.
Quand il a prononcé ses vreux, il devait se faire une autre
idée de sa mission. Sinon l'appareil comrnuniste intematio­
nal n' aurait pas tenté de le supprimer, à coups de pistolet.
C'est ce que je me dis dans mes jours de bonté . . . ça m'arrive . . .
On vieillit. . . J'ai alors tendance à penser qu'étant donné
l'état où il avait trouvé l'Eglise, les pouvoirs politiques et la
société, il ne pouvait faire beaucoup mieux que ce qu'il a fait
Je me trompe, sans doute ...
Pourtant, où que les yeux se posent, le spectacle est affli­
geant. Jean-Paul II va parler à la jeunesse. Une partie de son
discours concemera les mreurs et leur dégradation. Au nom
de l'amour, il va mettre en garde les jeunes contre la pilule,
les préservatifs, l'avortement et les vices que la décadence
entraine : les viols collectifs, la pédophilie, etc. Très bien.
Mais, en arrivant à Paris, par qui le pape sera-t-il reçu ?
Par M. Chirac, le président de la République, qui est aussi le
roi de la dissolution. (A bas le cumul des mandats !).
Or, en tant que Premier ministre de M. Giscard d'Estaing,
M. Chirac est celui qui a fait voter l'avortement : bientot six
millions de victimes (Bravo, Mme Veil !). C'est M. Chirac
qui a légalisé et banalisé l'avortement. C'est lui qui en aura
permis le remboursement par la Sécurité sociale (ce qui n 'en
a pas amélioré le déficit).
Pour que le jeune couple oublie ses malheurs, c ' est
M. Chirac qui a autorisé l'ouverture des sex-s/zops, le ruis­
sellement de la culture pomographique de masse et la pré­
sence du "divin marquis" de Sade dans les bibliothèques de
gare.
--------- o.w')
~ r;()f��a� --------
On imagine sans peine la tempete sous un crane qui doit bou­
leverser Jean-Paul II. De passage à Paris, il peut difficilement
ne pas passer à l'Elysée casser une petite graine avec l'ami
Chirac. Une tete de veau à l'ancienne, entière, fumante, avec
tous les légumes du jardin, deux sauces, gribiche et piquante,
plus une frisée aux herbes, ça ne se refuse pas . . .
Mais en quittant l 'Elysée, i l serait délicat de filer à
Longchamp crier aux gamins et aux gamines échauffés par
l'attente :
- L' avortement, c'est terrible ! Je viens de déjeuner avec un
homme qui a du sang de fretus jusqu'aux oreilles !
Ne dites pas que j ' exagère. C'est la réalité des choses.
Et s'il n'y avait que le président Chirac ! Ce ne serait qu'un
mauvais moment à passer ( encore que la tete de veau entiè­
re, fumante, etc, ne soit jamais un mauvais moment à pas­
ser. .. ) Mais il y a l'entourage, ces entratneurs qui tratnaient
)es pieds . . . les extra-lucides qui minimisaient la demande et
mettaient en garde contre l 'échec parce qu'ils le souhai­
taient. . . les organisateurs qui compliquaient l' organisation
pour la désorganiser . . . les pretres et les éveques qui ne pou­
vaient cacher leur hostilité aux idées du Saint-Père . . . Les
radios et télévisions, véhicules de la communication, qui ne
manquaient pas une occasion de faire parler les partisans­
mais . . .
Le meme jour, sur l a Deux et la Trois, j'ai vu et entendu deux
beaux Noirs, responsables de l 'Ouest parisien, déclarer que tout
était très bien, sauf l' avortement. Ils avaient une petite copi ne de
quinze ans. Fallait qu'elle avorte . . . Sinon c'était la cata.
Il y eut aussi une jeune Moyen-Orientale, au regard de lou­
koum dans un visage à l ' ovale exquis. L'i mportant pour elle,
c'étaient les rencontres, les connaissances, les relations. Le
reste, le message, comme disait Mme Cresson, elle n'en avait
rien à cirer. . .
---- L A F R A N C E V U E D E F R A N C E ----

Un porte-parole officiel tenait à répéter que si le pape allait


se recueillir sur la tombe du professeur Lejeune, c'était au
nom de Karol Wojtyla. A titre privé.
J' en passe. J' en oublie. Quand cela bourdonne sans cesse
autour de vous, il faut une force hors du commun pour s'ar­
racher aux rivages de la mort, revetir son habit de lumière et
venir dans ces arènes, mois après mois, estoquer un taureau
qui renait à chaque fois.
Aux frontières de l'épuisement, il faut une foi et une espé­
rance chevillées au corps, pour continuer à essayer d' appor­
ter à lajeunesse l'espérance et la foi.
Surtout si l' on se souvient de la première fois, si réussie . . . du Pare
des Princes éclairé aux bougies et aux briquets . . . de ces phrases à
l' accent chantant qui faisaient frissonner la nuit : « France, qu 'as­
tufait de ton bapteme ?. .. » et « N'ayez pas peur ! »
Qu'en est-il résulté ? Que pouvait-il en résulter ? Alors, pour­
quoi recommericer, et recommencer encore, jusqu' au bout ?
Parce qu'on n'a rien donné quand on n'a pas tout donné . . . sans
doute.
(21 aout 1997)

450 000 pèlerins, le jeudi, pour


Vers une
l'ouverture, au Champ-de-Mars.
nouvelle Eglise 1
750 000, le samedi, pour la veillée, à
Longchamp. Plus d'un million, à la
messe, le dimanche, pour la cloture. Ce
n'est plus un succès, c'est un triomphe.
C' est le triomphe du pape. Vofité, incertain sur ses jambes,
parfois accablé, le front dans les mains, il s' est servi de tous
ses talents, de sa formidable "présence", comme on disait

--------- o'\'11>'J ()JO!fl'} tu� --------
••,

dans le théatre, et jusque de ses misères de viei llard pour


enflammer des ca:urs juvéniles. Ils ne croient qu'à ce qu'ils
voient et ils voyaient un homme, à la limite de l 'épuisement,
aller jusqu'au bout de lui-meme pour servir sa foi.
C'est le triomphe d'une organisation. Elle fut formidable de
simplicité, de rigueur, de souplesse, d'efficacité. Grace à un
mélange de professionnalisme militaire et de gentillesse
scoute, elle est venue à bout de difficultés insurmontables.
Elle demeurera un exemple.
C' est le triomphe de la télévision. Il y avait trente chaines.
Elles ont multiplié par dix le nombre des présents. Les fran­
çaises ont transformé 450 000 en un million, rien qu'en fai­
sant à l' événement une couverture médiatique sans précé­
dent. Curieusement leur ton changeait à mesure qu' elles lui
apportaient de nouveaux fidèles et curieux. De badin et
meme d'acide, il devenait déférent. Bientot on parla de
moins en moins de préservatifs, de pilules, d' avortement. Il
est vrai que le pape n'en parlait plus du tout. Par volonté per­
sonnelle ou sur la pressi on de ses amis ? C' est une des ques­
tions que je me suis posées sans pouvoir y répondre.
Ces triomphes balayent ]es remarques, critiques, réflexions
qu' elles entrainent. Mais je manquerais aux devoirs premiers
de ma vocation joumalistique, si je taisais celles qui me sont
venues, au fil des heures et des jours, et qui m'ont tenu, par­
fois jusqu' à l ' obsession.
• Jeudi, par exemple, malgré le portrait géant de Sainte­
Thérèse, malgré le pape, 300 éveques et cardinaux « vem,s du
monde entier », la Croix (sans Christ), j ' avais l'impression
d'assister à un grand show lai"que, vaguement teinté de chris­
tianisme et tenté par le gigantisme.
Les cantiques étaient remplacés par des mélopées où se trou­
vaient melés de vieux chants populaires français et
d' Amérique noire que rythmaient des percussions africaines.
---- L A F R A N C E V U E D E F R A N C E ----

Les jeunes gens et jeunes filles étaient sympathiques, ouverts,


vivants, remuants, bien dans leur peau, faisant à tout instant
des gestes de bienvenue, mais on ne leur voyait en main ni cru­
cifix, ni chapelet. Au Champ-de-Mars, on se signait moins que
sur les stades. Tout se passait cornrne si, pour ne pas risquer de
choquer les mahornétans, les juifs, les adorateurs du soleil et
les francs-maçons, les signes extérieurs de la foi catholique
avaient été bannis . . . Cornme on avait banni le mot catholique
de ces Joumées mondiales de la jeunesse.
En vérité il aurait dG s'y trouver. N'était-ce pas l 'Eglise
catholique qui les organisait, à ses frais, autour du Saint-Père ?
Mais le mot catholique est un mot qui restreint. Il empeche cer­
taines combinaisons. Il fait peur ; et ce n'est pas d'aujourd'hui.
En 1976, dans le temps d'un cocktail très pàrisien, non loin
du Champ-de-Mars, à la Tour Eiffel, un joumal bien comme
il faut, La Vie catlzolique, s'était débaptisé pour s'appeler La
Vie, comme tout le monde. Ce pouvait etre bon pour la vente.
D'où les questions embarrassantes qui me pressaient. Le
pape était-il le chef ou le prisonnier de son Eglise ? Ou, peut­
etre, le chef et le prisonnier ? Il s'était imposé et avait imposé
cette épreuve de force à une partie de son entourage. Celui­
ci avait commencé par renacler. Après Sainte-Anne d' Auray
et Clovis-Reims, il en avait par-dessus l a tete des bains de
foule et des allusions réacs. Cette année, on irait dans le mur.
On ferait fiasco. Il n'y aurait pas plus de 250 000 pèlerins, à
tout casser. Il y en avait 450 000. Le fiasco toumait au
triomphe. Alors cet entourage courait à la victoire. Il n 'avait
en bouche que des « Très cher Saint-Père. . . ». Mais, sour­
noisement, il s'employait à interpréter les intentions du pape,
à les adapter pour mieux les détoumer au profit de sa poli­
tique. . . N' est-ce pas à cela que nous assistions ?
Sous prétexte d'horaire, la suppression de la méditation sur
le lavement, par Jésus, des pieds de ses disciples - dont
Judas - poussait dans ce sens. Faute d'homélie sur le sujet,
--------- o,w;,
� <'JOfUf,
�a� -------­
...
une de mes petites-filles me demanda :
- Et toi, grand-père, tu ]es laverais les pieds de tes ennemis ?
- ça dépendrait. . .
- De quoi
- Du cardinal Lustiger. Si je le voyais !aver les pieds de
Jean-Marie Le Pen, ça me pousserait à l'imiter. Dans l'ensei­
gnement de la morale, ce qui compte, c'est l'exemple.
La visite à la cathédrale d'Evry ne fit qu'aggraver mes inquié­
tudes. Jean-Paul II éprouve les pires difficultés à lever la tete. Il
ne put donc, Dieu soit loué, admirer dans sa totalité ce chef­
d' reuvre de l'architecture contemporaine. Ce qu'il aperçut fut
suffisant. On le vit chanceler. Il ne s'agenouilla pas sur son prie­
Dieu. Il y tomba agenouillé. Ce n' est pas la meme chose. La tete
dans les mains, il semblait prostré, terrassé par une grande dou­
leur. Avait-on voulu lui montrer la cathédrale du troisième mil­
lénaire, spécialement conçue pour le culte judéo-recuménico­
maçonnico-chrétien du futur ? On pouvait le redouter.
Le lendemain, sur les boulevards des Maréchaux, on le
redoutait devantage encore. Venus des fins fonds de l' Afrique
et du bout de la Terre de Feu, des petits catholiques étaient
invités à faire une « clzafne fratemelle » autour de Paris, en
chantant I' Hymne à la joie, de Beethoven. La « chafne fra­
temelle » fait partie des rites maçonniques. L'Hymne à lajoie
était le chreur traditionnel des fetes des écoles lai'ques, à
l' époque de ma jeunesse. C' était le credo de la Ligue
(maçonnique) de l'Enseignement. Grace à Beethoven et à
Maurice Bouchor, le parolier, elle entrainait les élèves et
leurs parents à s'opposer aux ténèbres obscurantistes de
l'Eglise, en célébrant l' arrivée des « temps bénis », des
« temps sacrés » et du « divin ». Je n'invente rien.
Dans ce genre d'affaire, croyez-moi, rien n'est laissé au hasard.
Je crois beaucoup à la symbolique. Le soir, à Longchamp,j'eus
---- L A F R A N C E V U E D E F R A N C E ----

un éblouissement. L'orchestre du Coréen préludait le Chant des


Esclaves de Verdi. C'est-à-dire le chant du peuple juif tenu en
esclavage par Nabuchodonosor, l'orgueilleux roi de Babylone.
On me fera remarquer que cet air fait aussi partie du répertoire
du Front national. Je ne crois pourtant pas que le cardinal
Lustiger l'ait mis au programme de cette veillée cecuménique,
pour faire un signe d'amitié aux catholiques du FN.
Le moment était solenne! et le décor grandiose. Dans la nuit
où les projecteurs dessinaient une cathédrale de lumière,
autrement prestigieuse que celle d'Evry, une foule énorme
attendait. On parie toujours de "marée humaine". C'était à
une immense réserve de grains que ressemblaient ces cen­
taines de mi\liers de tetes juxtaposées et pressées. Elles ne
voyaient rien. Elles entendaient mal. Elles savaient pourtant
qu'il se passait quelque chose d'essentiel, sans savoir quoi.
En effet. . .
Comme l'avaient annoncé Beethoven ce matin, Verdi ce soir,
conjoints à Schubert dont l'Ave Maria apportait la douceur
nécessaire aux opérations à creur ouvert, nous assistions à la
naissance d'une nouvelle nouvelle-alliance. Quelque trente
ans après le concile, Jean-Paul II donnait une nouvelle accé­
lération à l'Eglise. En baptisant ces dix catéchumènes venus
des cinq continents, c'était une nouvelle Eglise que le pape
baptisait. En présentant ses regrets pour la Saint-Barthélemy
quand personne ne regrettait les massacres de catholiques, ne
serait-ce que pendant la Révolution ; en saluant Israel qui
continue pourtant à considérer Jésus comme un imposteur,
un usurpateur, un faux Messie, le Saint-Père devenait le pape
de l'Eglise judéo-chrétienne, mondialiste, recuménique et
maçonnique. Tel était en tout cas le sentiment qui m ' habitait.
L'audience, accordée au pape par les Etats confédérés et les
puissances du jour, n' était pas fai te pour I' amoindrir.
(28 aoz'ìt 1997)
ette semaine, les vrais républi­
Le Dr Dor, la loi et
cains, ceux qui croient dur
le droit d'asile
comme fer aux valeurs de la
République, auraient du souffrir le
martyre dans les tréfonds de leur
conscience citoyenne. L' affaire du
Dr Dor ne pouvait pas ne pas les obliger à des révisions
déchirantes. A ceux qui affinnaient l'intangibilité de la loi et
qu'il convenait de s'y soumettre en toutes circonstances,
l' affaire du Dr Dor apportait la preuve qu'il existait des
éclipses d'obéissance à la loi.
Impossible de le nier. Certaines lois exigent des citoyens une
soumission absolue, sans discussion ni munnure. D'autres jus­
tifient la protestation et meme la contestation. On le voit tous
les jours avec le refus des lois Pasqua-Debré. On le vit mieux
encore, il y a une petite trentaine d' années, dans les batailles
contre la loi sur l'avortement.
A l' époque, la loi punissait sévèrement, et parfois aveuglé­
ment, la mère qui tuait l'enfant qu'elle portait dans son sein,
comme disaient les procureurs. Des dames, désireuses de ne
pas troubler les délices de la copulation par les affres de la
conception, décidèrent que ces temps étaient révolus. En plus
de la pilule, elles exigeaient le droit d'exécuter leur progéni­
ture sans que la société y trouvat à redire. A l' appel de Gisèle
Halimi et de quelques autres, elles descendirent dans la rue,
déployèrent des banderoles, attaquèrent la maréchaussée. Il
n'y avait qu'un cri : « A bas la loi ! » Elle obligeait les
mamans à conserver en vie leurs enfants, meme ceux qui
n'étaient pas assurés d'avoir le baccalauréat, un emploi jus­
qu' à la retraite et trois semaines de vacances au Club Med.
On ne pouvait tolérer plus longtemps cette abomination. Le
président de la République, M. Giscard d'Estaing, son
Premier ministre, M. Chirac, et sa ministre de la Santé,
Mme Veil, en étaient si convaincus qu'ils permirent à la
---- L A F R A N C E V U E D E F R A N C E ----

minorité socialo-communiste de l'emporter sur la majorité


UDF-UNR. Ce fut i'IVO et l'ouvyrture de l a chasse aux
fretus autorisée toute l'année sui- le territoire de la nation. Il
parait qu'elle aurait fait six millions de morts en vingt ans. Je
ne garantis pas ce chiffre. Je le donne camme je l ' ai lu. On
sait que ce genre d'estimation est soumis à fluctuations.
Récemment, à Auschwitz, on affichait quatre millions de vic­
times. Aujord'hui, un spécialiste, du bon c6té de la discus­
sion, ne les estime plus qu'à 800 000. Restons prudents et
mesurés. En ce qui concerne la solution finale pour les bébés
refusés par leurs créateurs, il n'est pas douteux qu'elle atteint
des totaux astronorniques. Meme la découverte que, dès ses
origines, le petit etre a des perceptions, des sensations, qu'il
souffre ou s'épanouit, n'a pas ralenti l'hécatombe. Au
contraire, les perfectionnements techniques l 'ont amplifiée.
On n' arrete pas le progrès.
Aussi quelques hommes, quelques femmes, essentiellement
des chrétiens, peu nombreux mais profondément attachés à
leur foi, souvent parents de familles nombreuses, s'en pren­
nent à ce que M. Mitterrand appelait « la force ùzjuste de la
loi » - en l'occurrence de la loi Veil, établissant l'IVG. A
l'instigation du Dr Dor, ils essayent de dire leur chapelet à
proximité des avortoirs ou dans leurs salles d'attente. Leurs
manifestations sont interdites. Eux-memes sont insultés par
des libertaires hostiles aux libertés. Ils sont poursuivis, jugés,
condamné. A l'évidence, la loi sur l 'avortement d'avant 1978
et la loi sur i'IVO de 1978 n'ont pas été gravées du meme
burin dans le meme marbre. Contre certaines lois de la
République, la désobéissance est permise, et meme récom­
pensée. Contre d'autres, elle n'est pas tolérée et peut etre
sanctionnée. Oisèle Halimi est devenue député, ambassa­
drice de France. M. Mitterrand, président de la République, a
meme écrit un livre en collaboration avec elle. Le Dr Dor est
en prison.
--------- o�(JJOJU!,
- �a � --------

Il est en prison parce que le droit d'asile lui a été refusé. Ce


droit d'asile est considéré par les vrais républicains comme
un droit universel. Ils ne cessent de réclamer pour que les
étrangers puissent en bénéficier. Mais ils n'ont pas eu un mot
de protestation, pas un cri, quand ce droit d'asile n'a pas été
accordé au Dr Dor, catholique et français toujours.
Là encore son histoire tombe à pie. Elle est révélatrice et
implacable. Elle montre combien le sentiment et le droit
républicains sont à modulation de fréquence, fluctuants et à
géométrie variable.
Durant ces demiers jours, trois douzaines de vrais républi­
cains, siégeant à la piace des 577 députés qui sont censés
représenter le peuple souverain, soit 38 millions d'électeurs
inscrits, ont débattu de l'immigration. Plus exactement du
droit des immigrés à se trouver chez nous mieux que chez
eux. Il a été naturellement question du droit d'asile, droit
imprescriptible qui devrait etre reconnu à toute personne
humaine, pourchassée dans son pays pour ses convictions
politiques ou ses engagements religieux. Ce concert de voix
ardentes, fiévreuses, pathétiques, était très émouvant.
Voilà justement un cas. Le Dr Dor se présente à la nonciature
apostolique de Paris, qui est 1' ambassade du Vatican et jouit de
l 'exterritorialité. Sous prétexte de remettre un pii au Nonce du
pape, il entre sans difficulté. Il se présente. Catholique prati­
quant, il a obéi aux recommandations du Saint-Père, qui
demande aux fidèles de lutter pour la vie et contre I' avortement.
Ces positions publiques lui ont valu de la prison. Il doit y entrer
demain. Il demande à bénéficier du droit d'asile en terre vati­
cane et n'y renoncera que si le souverain pontife lui donne
l'ordre écrit de se constituer prisonnier.
C'est une histoire magnifique, une tragédie et un roman
feuilleton. Un vieil homme seul, ou presque, qui n'a que son
chapelet - mais est-ce si peu ? -, menacé par le Pouvoir et
---- L A F R ANCE V U E D E F R A N C E ----

sa farce parce qu'il accorde sa vie à sa foi catholique. C'est la


lutte du puissant et du misérable, du pot de terre et du pot de
fer, avec deux énigmes. Que fera l'Eglise ? Protégera-t-elle le
réfugié ? Le livrera-t-elle ? Et, plus haut, que fera Dieu ?
Normalement les vrais républicains auraient du se déchainer,
soutenant le vieil homme seul, menaçant l'Etat pontificai s'il
violait le droit d'asile, le tout au milieu des vociférations,
devant les caméras et les micros hérissés. Là, ce fut l'indiffé­ • I
rence et un silence traversé de sarcasmes. Très vite, le Dr Dor
se trouva coupé de l'extérieur, entouré d' hostilité, soumis à des
pressions. Le personnel de l'ambassade n' appela pas la police.
On ne jeta pas l'intrus dehors. Mais on lui fit comprendre que
sa requete ne serait pas entendue. Le lendemain, après la
messe, il fut isolé dans le jardinet. La nonciature ne pratiquait
pas l 'assistance à personne en danger. Le Dr Dor n ' attendit pas
la lettre du pape. Il partit se constituer prisonnier. une journa­
liste de LCI, toute guillerette, résuma la situation :
- Le Dr Dor a pris la poudre d'escampette.
S'il avait fait parler la poudre, il aurait été honni. Il se conten­
tait de se retirer en prison, en catimini, à la sauvette, triste de
ne pas avoir été jusqu' au bout de son projet, accablé de s' etre
senti rejeté par ceux qui auraient du le soutenir. Alors on
disait qu'il avait pris la poudre d'escampette. On s'en
moquait.
Camme I ' obéissance à la Ioi, I ' asi le est de droit ou pas.
Quand on pense du bon c6té de la Iigne rouge, on doit en
bénéficier. De l'autre c6té, c'est le droit à l'asile psychia­
trique, modèle soviétique. Selon que vous serez puissant ou
misérable . . . Rien n'a changé. Le veau d'or est toujours
debout. L'agneau Dor est allongé sur son bat-flanc, derrière
les barreaux et Ies portes de la prison.
Il y a quelques années, j'avais la tete près du bonnet et l 'in­
dignation à fleur de mots. Maintenant que je suis arrivé à la
--------- cr
,\Qt)')<;OJU!,
fl'J � --------
a.

...
fin de ma jeunesse, le temps a fait son reuvre. 11 m'a calmé.
J'observe. Je me contente de constater, et de noter, pas tou­
jours rnélancoliquement, les différences existant entre ce que
la République prétend etre et ce qu'elle est. C'est sans doute
ce qu' on appelle la sagesse.
(18 décembre 1997)

ur le douloureux problème de
l' avorternent, j' ai une position
Sur l'avortement -� plus nuancée que certains de
, mes arnis. Nous avons connu des expé­
riences différentes, sans doute. Quand
on a rencontré la détresse et la solitude
des filles engrossées, l' angoisse où les murait une materrùté
interdite ; quand on a assisté à des scènes terribles : un amant
presser sa maitresse enceinte de supprimer leur enfant, la
menaçant de l'abandonner si elle s'y refusait, et la malheu­
reuse courant les bas-quartiers de la ville pour trouver la "fai­
seuse d'anges", qu'on appelait aussi la "tricoteuse" ; quand on a
pris conscience des protections, des facilités, des avantages que
l' argent et le rang social apportaient aux unes comme la pauvre­
té et le manque de relations rendaient plus désespérée encore la
situation des autres, on comprend que le législateur ait voulu
---- LA F R A N C E V U E D E F R A N C E ----

apporter à ce drame - car détruire son enfant, e' est toujours un


drame - un peu plus d'équité et de bonté.
Cela dit, il n'en reste pas moins qu'accorder aux femmes le
droìt de vie et de mort sans appel nì recours sur leur bébé est
une monstruosìté. Banaliser et légaliser l'avortement comme
l'ont faìt Mme Veil, MM. Chirac et Giscard d'Estaing est un
crime contre la société et contre l'individu. Il suffit, pour en
etre convaincu, de regarder l'ardeur et le gofit de vivre mani­
festés par les plus déshérités, les plus dìsgracìés des enfants (et
des adultes). J'aì une petite-fille mongolienne. L'amour
qu'elle porte à ses frères et sceur, à ses parents, aux etres, aux
betes, a quelque chose de bouleversant. Il exprime l' amour de
la vie et la reconnaìssance qu'on la lui ait accordée.
C'est ce que viennent dire les "pèlerins de la vie", au cours
des manifestations non violentes qu'ils font dans les avor­
toirs. On peut très bien ne pas partager toutes leurs motiva­
tions. Il faut admirer leur courage. C'est leur liberté qu'ils
offrent en allant rappeler les vérités indispensables.
(6 juillet 1995)

upposez . . .
Sospel : les vrais
coupables

Vous etes une personnalité éminente du Parti socialiste,


ministre des Affaìres sociales et de la Solidarité nationale,
porte-parole du gouvemement, très en cours auprès du
Président qui apprécie les femmes de qualité.
Vous avez sur la conscience la mort de centaines d' enfants
--------- o--'&JY) ()J(}fl)f,
�a � --------
..
français hémophiles, victimes du sang contaminé que vous
avez laissé mettre en circulation, par incompétence ou négli­
gence.
Que va-t-il arriver ?
Rien. Je veux dire : rien de facheux. Au contraire. Vous
considérant comme « responsable mais pas coupable », vous
serez nommée présidente du Conseil d'administration de la
Croix-Rouge et appelée comme conseillère à l 'Elysée. Ce fut
le sort que connut Mme Georgina Dufoix.
En revanche supposez. . .
Vous etes sous-brigadier de police, attaché à l'UCI, l'unité de
controle de l'immigration. Vous etes stationné à Breil-sur-Roya
(Alpes-Maritimes), non loin de Sospel et de la frontière ita­
lienne, région de grande transhumance de l'immigration. Un
soir, vous recevez l'ordre de dresser un barrage sur une petite
route de montagne.
C'est la nuit. Voici justement des voitures qui viennent en
convoi. Un barrage, c'est fait pour barrer. Votre mission est
de controler. Non seulement les voitures n'obtempèrent pas
aux signaux lumineux, mais elles accélèrent. Elles foncent
sur le barrage et ceux qui le tiennent. Vous tirez. Si la direc­
tion de la police vous a anné d'un fusi l à pompe, ce n'est pas
pour chasser la grive.
En bonne logique, que peut-il vous arriver ?
Rien. Je veux dire rien de facheux. Vous n' avez fait que votre
devoir dans l' exercice de vos fonctions.
Quelle erreur ! Votre balle a traversé le coffre arrière d'une
voiture. Dans le coffre, on avait caché un enfant de 8 ans.
Selon les premières versions, il s' agissait d'un petit
Bosniaque. Avec sa famille, il fuyait l'ex-Yougoslavie et la
guerre. Et il a trouvé la mort à Sospel-Samarcande.
---- LA F R A N C E V U E DE F R A N C E ----

Aussitòt, l'émotion monte. Le MRAP déclare que « le droit


d'asile patir de la priorité absolue domzée à la lutte contre
l 'immigration cla11desti11e ».
On pourrait répondre au MRAP qu'il raisonne comme un
tambour crevé. S'il n'y avait pas d'immigration clandestine,
il n'y aurait pas de tutte contre elle. Il importe donc de la sup­
primer pour que l'asile redevienne un droit et meme un
devoir.
Mais qui se risque, aujourd'hui, à répondre au MRAP ?
Mieux vaut crier avec lui. C'est plus prudent. Mieux vaut
exiger, camme lui, des sanctions contre le policier qui a
essayé de défendre la loi.
Certes, dans ce cas précis, vous devriez aussi etre considéré
« responsable mais pas coupable », comme Mme Georgina
Dufoix et deux ou trois cents fois moins qu'elle - puisqu'il
n'y a qu'un mort et qu'il y en avait eu plusieurs centaines -,
puisqu'elle les a causés en n'étant pas à la hauteur de sa tache
et que vous n'avez fait qu'obéir aux ordres donnés.
Mais il n' empeche. Le juge vient de vous mettre en examen
« pour coups et blessures volontaires ayant entrafné la mort
sans i11te11tion de la domzer ». La grande aventure judiciaire
commence. Nul ne sait ce qu'elle vous réserve. Il y a peu de
chances pourtant que vous soyez nommé président du
Conseil d'administration de la Croix-Rouge, ni conseiller à
l'Elysée. Vous etes devenu un assassin. Il faudra vous y faire,
mon vieux . . .
C'est le sort qu'a connu, l a semaine demière, le sous­
brigadier Christian Carenco.
Quoique nous fussions rompus à l'injustice et, à farce, bla­
sés, je n' arri ve pas à ne pas trouver cela scandaleux. Je n' ar­
rive pas à calmer l'indignation qui me tient. Certes la mort
d'un enfant, tué par balle, est toujours tragique. • Certes il
convient d'en punir les coupables. Mais le sous-brigadier
Carenco n ' en fait pas partie. Il n'a été que l'instrument du
destin, d'une infraction et d'une politique.
Les vrais coupables, ce sont d'abord les parents. Quand on
cache un enfant dans le coffre de sa voiture pour franchir
frauduleusement la frontière d'un pays, c'est qu'on s'attend
à du grabuge. Le procédé n 'a pas surpris quand on a appris
que les clandestins n'étaient pas bosniaques mais tziganes de
Serbie. Ce sont des nomades. Ils savent, de naissance et d'hé­
ritage, comment se glisser dans les pays étrangers comme
dans les poulaillers, comme�t franchir les barrages, éviter les
controles et apitoyer quand ils sont pris. Ce qu'i ls ont fait ici
en se prétendant bosniaques.
- Tziganes de Serbie ou bosniaques, qu'est-ce que cela
change ? dira-t-on.
Rien, sans doute. Sauf le ton des médias. Depuis qu' on le
sait, j' ai remarqué que les critiques étaient moins acerbes, la
commisération moins affichée. Comme M. Jourdain faisait
de la prose, certains font de l 'épuration ethnique sans le
savoir, dans leur tete, tout en condamnant celle qui ne leur
convient pas.
Les responsables et coupables sont aussi les professionnels de
l'humanitarisme sans frontière. Par détestation presque phy­
sique de la France française (lisez L'idéologie française de
Bemard-Henri Lévy), dont ils ne sont pas, dont ils ne peuvent
pas etre, dont Hs ne seront jamais, ils ont créé une France cos­
mopolite, ouverte à tous vents, pratiquant la préférence étran­
gère. Sous couvert de charité mal ordonnée et de solidarité
humaine, ils chantent la vocation de la France, pays d'accueil.
Les étrangers sont chez eux chez nous. Plus il y en aura, plus
les Français de souche deviendront minoritaires. Quand ils ne
se compteront plus et ne compteront plus, la France, terre des
pères transmise aux enfant au fil des générations, aura égale­
ment disparu. Contrairement à ce qu'on nous bassine, la
---- L A F R A N C E V U E D E F R A N C E ----

France n' aura pas assimilé la marée noire étrangère qui


déferle sur ses plages et ses jardins. Elle aura été assinùlée par
elle. C' est le but caché de l 'humanitarisme sans frontière. Pour
l'atteindre, la mort d'un gosse ne compte pas.
Les responsables et coupables sont encore et surtout les
hommes politiques, M. Chirac en tete, qui, depuis Pompidou
jusqu'au traité de Maastricht et aux accords de Schengen, ont
accepté, toléré, permis, suscité, camouflé l'imnùgration­
invasion et l' ont aggravée par la dissolution de la France
dans la nébuleuse européenne. Si nos soldats, au lieu de cra­
pahuter dans les Balkans, sous les ordres d'un commandant
anonyme et des Nations désunies, étaient utilisés à balayer
devant leur porte et à défendre sérieusement les frontières de
leur pays, le sous-brigadier Carenco n' aurait pas été contraint
de faire feu sur un convoi clandestin. C' est pourquoi il nous
parait infiniment moins responsable et coupable que
Mme Georgina Dufoix. Espérons pour lui et pour la défense
de la France que la justice en conviendra.
(31 aout 1995)

AVEC c�s µouv��L�S


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S
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i le Bon Dieu avait voulu


L'abbé Pierre
qu 'une victime innocente fit
aux galères
comprendre aux Français la
réalité du système dans lequel ils se
trouvent, il ne pouvait mieux choisir
pour etre cette victime que l' abbé
Pierre, le député-pretre qui refusa de voter ]'amnistie aux
maréchalistes condamnés ; un des rares hommes d'Eglise que
respectent les mangeurs de curés ; ce saint républicain, per­
sona grata à l'Elysée et à Matignon, quels que fussent leurs
locataires momentanés ; saint Vincent de Paul pour grandes
surfaces que s'arrachent les télévisions dans la lutte contre le
sida et le Front national : l 'idole des penseurs de la rive
gauche (bien siìr) et de I' establishment anarcho-trotskiste ; la
figure de proue de I' antiracisme, l' antipopulisme, l ' antilepé­
nisme, que l 'on aurait juré à l'abri de la XVII• chambre cor­
rectionnelle pour les siècles des siècles, et qui néanmoins se
retrouvait sous les huées à danser la gigue au bai des maudits.
Comme son saint patron, l' abbé Pierre essayait bien de se
renier, de se rétracter. On I ' avait mal compris. Il n' avait pas
voulu dire que . . . Il nuançait. ça ne suffisait pas aux bour­
reaux-justiciers
- A poi] ! A poi] ! hurlaient les Torquemada des Droits de
l'homme.
Effarés, les braves gens qui regardaient la scène n'en
croyaient pas leurs yeux. Malgré sa vie édifiante, tout entière
soumise aux exigences de l a charité et de la publicité per­
sonnelles, si I' abbé était traité de la sorte par ceux qui hier
encore l'encensaient, c'est qu'il avait diì se rendre coupable
d'un crime abominable.
Abominable, en effet. Le mot n'est pas trop fort. Pensez donc :
I' abbé Pierre avait cm pouvoir soutenir de sa notoriété
- acquise au service des puissants, des vainqueurs, des
---- L A F R A N C E V U E D E F R A N C E ----

rnaitres, des riches, des nantis - un de ses amis en difficulté,


le carnarade Garaudy, un hornrne de gauche également, mais
curieux, en recherche permanente, dérangeant et ne détestant
pas déranger, ne se satisfaisant pas du pret-à-penser, et ne
reculant pas devant I' adversai re idéologique, si supérieur en
force et en poids qu'il fGt. C'est rare et mérite considération
- quoi qu' on puisse penser par ailleurs des positions du
carnarade Garaudy.
Hostile depuis longtemps à la politique de l'Etat d'lsrael,
Garaudy avait rassernblé son argumentation dans un livre
intitulé Les mythes fondateurs de la politique israélienne,
éclairé de nombreuses citations référencées de la presse
israélienne ou pro-israélienne. Il n'avait pas trouvé d'éditeur,
à l'exception de Pierre Guillaume, à La Vieille Taupe, sans
doute à compte, ou à demi-compte d'auteur. Aussitéìt la tem­
pete s'était levée. Garaudy se retrouvait en justice. Pour ten­
ter de lui venir en aide, l' abbé Pierre se fendait d'une déclara­
tion désinvolte. Il n'avait pas lu le livre. Il l'avait survolé. Il
trouvait que Garaudy disait des choses justes et raisonnables.
Sur le nombre des victimes, entre autres. On I' avait exagéré. Il
ne fallait plus se contenter de répondre aux révisionnistes par
le silence, les attentats, les poursuites, mais organiser des col­
loques. Dans sa rou.blardise ou sa nai'v�té, l' abbé Pierre croyait
que ce serait suffisant. Ce fut trop. Beaucoup trop. La vague de
fond oublia Garaudy, se retouma contre lui et déferla. Ce crime
abominable ne resterait pas impuni. Il avait dit la vérité. Il
serait exécuté.
D'autant que si le Bon Dieu avait voulu trouver une date pour
bien montrer aux Français les limites du droit d'expression
en France, il n' aurait pu choisir mieux que cette fin de
l'agression israélienne au Liban. On était toujours sous le
choc. Les morts du massacre de Cana n'étaient pas tous reti­
rés des décombres que Bill Clinton, président des Etats désu­
nis du monde, mandait· d'urgence à Washington Shimon
Pérès, Premier ministre du 51 e Etat américain. On croyait
qu' il allait le sermonner, le prier sèchement de calmer )es
ardeurs de ses artilleurs d'élite, le mettre à l'amende, au
moins pour la forme . . . Pas du tout.
Ce n'était pas le Premier ministre crimine! de guerre que le
Président voulait tancer, c'était le Prix Nobel de la Paix, Shimon
Pérès, que Bill Clinton voulait féliciter et ·récompenser.
Désormais la puissance de destruction des guerriers d' Israel
serait renforcée. Lors de leurs prochaines agressions, ils pour­
raient utiliser la panoplie des satellites-espions US et les der­
nières inventions de l'arsenal américain. On parlait d'un missile
lance-laser, un bijou de l'humanisme triomphant. Les raisins de
la colère vendangés à Cana avaient donné un vin généreux.
- Après ce que vous ·venez de nous montrer sur le terrain,
mon cher Shimon, soyez assuré de I' aide totale des Etats­
Unis, en armes et en dollars, disait en substance le grand Bill.
C'était la nouvelle arche d'alliance. Tous les pays de la terre
sont les enfants de l' Amérique, mais l'un d'entre eux lui est
particulièrement cher, à tous les points de vue : c' est Israel.
L'abbé Pierre l'avait oublié. Il va l'apprendre, dans les ·
galères. Mais peut-etre que la France avait besoin de son
martyre pour découvrir la vérité.
(9 mai 1996)

oute la semaine passée, je l' ai


Pas de grace
vécue dans l'espérance. C'est
pour Touvier une sensation aussi rare
qu'agréable. _Jour après jour, j'y ai
trouvé d'émouvantes félicités. J'était
persuadé que le président de la
République allait profiter du 14 juillet pour accorder à Paul
Touvier la grace médicale que demandent ses enfants.
---- L A F R A N C E V U E D E F R A N C E ----

Ceux qui ne croient jamais aux divines surprises trouveront


mon sentiment d'une nai"veté extreme. Il s' appuyait pourtant
sur des arguments qui n'étaient pas sans farce. A ce qu' i l me
semblait, du moins.
1 - Paul Touvier vient d'entrer dans sa quatre-vingt-deuxième
année. Il souffre d' un cancer en phase pré-terminale.
L'h6pital des prisons de Fresnes, où il subit une condamna­
tion à vie qui est une forme raffinée de la peine de mort, ne
peut, sans inconvénients multiples, assurer les traitements
nécessaires à un malade dans son état. Les seules visites de
sa famille posent des problèmes à I' Administration péniten­
tiaire. Sans prétendre, on l'imagine bien, à l'équité des soins
médicaux devant la souffrance et I' approche du trépas - par
exemple en rappelant le cas récent de feu le président
Mitterrand - la grace médicale aurait pu constituer une
solutian plus acceptable. Tauvier serait demeuré prisannier
mais aurait attendu la fin dans des conditions moins pénibles
paur taus : lui, les siens, ses gardiens.
2 - En elle-meme, la grace n'avait rien de scandaleux. Puisque
nous parlions de François Mitterrand, Touvier avait ordonné la
mart d'infiniment moins de Français (7) que ce demier, lorsqu'il
était ministre la la Justice (près de 300), M. Alain Peyreffite le
rappelait ce mais-ci dans un article du Figaro.
En autre, Ies faits reprochés à Paul Touvier remontent à 52 ans,
mais paur mais : juillet 1944. On sait qu'il y a plusieurs lec­
tures à son procès qui fut un procès "idéologique", camme
l'écrivit son avocat, Me Trémolet de Villers. On peut considé­
rer que Tauvier n'a sacrifié sept otages que pour pouvoir en
sauver vingt-trois. Au regard de ce que fut sa vie, on peut, en
son ame et conscience, estimer que Touvier a été plus victime
que baurreau. Le verdict de Versailles n'a pas clos le débat.
Son malheur fut d'avoir eu 25 ans en 1940 et d'avoir voulu
servir sa patrie en servant le gouvemement légal de son pays.
Un chef d'Etat ne devrait pas pouvoir négliger cet aspect de la
situation, non pas pour la grace médicale, mais pour la grace
tout court - plus d'un demi-siècle après la tragédie.
3 - M. Chirac, président de la République, et M. Toubon,
ministre de la Justice, pouvaient refuser d'autant moins celte
mesure d' humanité et d'équité qu'elle avait été préconisée,
en 1971 et 1972, par l ' homme d'Etat dont ils se réclament au
premier chef : Georges Pompidou.
L'un et l'autre sont moins gaullistes que pompidoliens.
M. Chirac a été avec Pompidou, contre le clan des ultras du
Général qui fabriqua contre le "successeur" l'affaire
Markovic. Le 30 mai 1968, de la fenetre de son bureau, M.
Toubon regardait monter vers l'Etoile la foule des manifes­
tants qui allaient acclamer le sauveur, retour de Baden-Baden.
Il se garda bien de se meler à eux. Le Général n'avait-il pas
"abandonné" sans directives son Premier ministre à Paris o, ?
Or, en 1971, devenu président de la République, Pompidou avait
admis la prescription de Touvier et le graciait. Un an plus tard,
faisant front aux attaques d'une certaine presse, il déclarait lors
de la fameuse conférence du 21 septembre 1972 :
L' affaire Touvier ? Eh bien, parlons-en ! . . . Cinq ans de drames, de
divisions, de haines. Nos enfants contre nos enfants. N'est-il pas
temps de passer l'éponge ? D'oublier nos guerres civiles.
Un quart de siècle plus tard, était-il aberrant ou stupide de
penser que des pompidoliens affirmés, confirmés, avaient
entendu la voix d' outre-tombe et permis enfin à un vieillard
d'attendre le grand départ sans fuir les flics, sans craindre les
geoliers, uniquement entouré de ceux qui ne l' avaient pas
abandonné durant toutes ces années de chasse à l'homme ?
4 - Cette décision se justifiait d' autant plus qu'il y avait des
précédents historiques.
En juillet 195 1, six ans après la fin des hostilités (mais pas de
la guerre civile), le président de la République était un socia-

I
---- L A F R A N C E Y U E D E F R A N C E ----

liste pur jus : Vìncent Auriol. Le président du Conseil se nom­


mait Queuille. Radical-socialiste de fondation, il avait choisi
camme ministre de la Justice et garde des Sceaux, Martinaud­
Deplat, rad-soc aussi et franc-mac, Loge l'Effo11, conseiller
juridique de l' Association fratemelle des journalistes francs­
maçons. Le bruit courut que le maréchal Pétain ne passerait
pas l'été dans sa casemate du fo1t de la Pierre-Levée, à l'1le
d'Yeu, où il purgeait une peine de réclusion à perpétuité. Il fut
transporté dans la maison de M. Luca, conseiller général de
Vendée, à Port-Joinville. Certe mesure permit à la Quatrième
République d'éviter que le maréchal Pétain, vainqueur de
Verdun et chef de Paul Touvier, s'éteign'ìt au bagne. Le
23 juillet 1951, il mourut dans la maison Luco, sous la protec­
tion des gardes mobiles. Il avait 95 ans. Il était temps.
En avril 1952, Vincent Auriol était toujours à l'Elysée. Le
président du Conseil se nommait Antoine Pinay. Haute
personnalité de la communauté juive, M. René Mayer, son
ministre de la Justice passait pour « l 'éminence et la sub­
stance grises des Rotlzschild » m_ Le grand chef socialiste
Jules Guesde !es appelait « les rais de la République ». Ils se
comportaient surtout camme des Parrains.
Cela n'empecha pas la grace médicale d'etre accordée à
Charles Maurras, l'homme qui avait restauré la monarchie
dans l'intelligence française, le père de I' antisémitisme
d'Etat, celui pour qui l'idée antisémite était
la première idée organique et positive, la première idée comre­
révolutionnaire et naturaliste [ . . . ), la première idée qui précisément,
catégoriquement, universellement, se voit opposée au système de la
Déclaration des Droits de l'homme. Elle a ceci de propre : elle introduit
dans notre droit politique et ci vii de graves différences dans la condition
des personnes (Dictiomiaire politique et critique, tome II, p. 300).

Maurras avait 84 ans. Il était en prison depuis 8 ans. En 1945, il


avait été condamné à la prison à vie pour « intelligence avec
l'emzemi », c'est-à-dire avec l' Allemagne, dont il n'avait cessé de
dénoncer la rnalfaisance toute sa vie durant Lui avait accueilli le
verdict en criant : « C'est la revanche de Dreyfus ! » Ambiance...
Enfenné au bagne de Clairvaux, Charles Maurras fut trans­
porté à l'Hotel-Dieu de Troyes, puis à la clinique du
Dr Gorecki, enfin, après la grace, "élargi", toujours sous sur­
veillance pénitentiaire, à la clinique Saint-Grégoire, près de
Tours. C'est là que le 16 novembre 1952, le Seigneur endor­
mit ce vieux creur de soldat entre les bras de l'Espérance et
de l' Amour, et entouré de la dévotion de ses fidèles.
Paul Touvier n'est qu'un humble disciple de Maurras. Il s'est
contenté de lui offrir sa liberté <J>. En 1951, il refusa de signer un
faux témoignage contre le vieux maitre de l' Action française.
L' oubli de ses crimes était pourtant la prime du parjure . . . On
sait la suite. Ce geste seul eiìt mérité le pardon.

MM. Chirac, Juppé, Toubon en ont décidé autrement. Ni la


pitié, ni la grandeur d'ame, ni la simple bonne aclministration
de la Justice n' habitaient leur esprit et leur creur. En 1996, pour
un exécutant, ils ont été plus impitoyables que Vmcent Auriol,
Queuille, Pinay, le franc-maçon Martinaud-Deplat, René
Mayer le juif <4> ne s' étaient montrés, en 1951-52, pour des
---- LA F R A N C E V U E D E F R A N C E ----

hommes considérés, à tort ou à raison, pour coupables et res­


ponsables. Ce 14 juillet, Touvier n'a pas bénéficié de la gràce
médicale. Le B'nài B'rith doit peser plus lourd sur la vie poli­
tique française qu'il y a quelque cinquante ans.
Les yeux fixés sur le 14 juillet 1997, me voici contraint à une
nouvelle année d'espérance . . . L'espérance . . . Sans etre un
adorateur du talion, je n'ose affirmer que l'espérance soit le
seul sentiment qui m'habite aujourd'hui.
(18 juillet 1996)
(I) Thieny Dcsjartlins : Les Clùroquiens, p. 30. La Tabie Ronde, 1986.
(2) La nm de René Mayer était meme apparentée aux Rothschild
(3) \bir l'exccllente We de Maurros d'Yves Otiron, p. 480. Pcnin, I 991.
(4) René Mayer jugeait tres sévèrement !es juifs de l'entourage de Léon Blum qui " par leur indiscret
en\'ahissement du pouvoir politique " avait entretenu le germe de l'antisémitisme. Voir sa leure à
Emmanuel d'Astier de la Vigerie. Heruy Coston : Dictionnaire de la Politiquefrançaise, tome Il, p. 71.

' actualité oblige. Il me faudrait


Ne parlons pas
parler du procès Papon, mais je
de Papon
ne parlerai pas du procès Papon,
car je n' ai pas le droit de dire ce que je
pense du procès Papon : les racistes
juifs et leurs amis non-juifs, qui se veu­
lent plus racistes juifs que les racistes juifs, me l'interdisent.
Les racistes juifs et leurs amis ont gagné la Seconde Guerre
mondiale grace aux machines américaines et aux poitrines
soviétiques. Si la France ne leur apporta pas tout le soutien
qu'ils espéraient, c'est qu'ils avaient contribué à la désarmer
moralement et militairement de 1919 à 1 934, avant de la
pousser, en 1939, à déclarer la guerre à l'Allemagne parce
qu' elle était devenue antisémite.
Les racistes juifs et leurs amis ont gagné la paix gràce à leur
intemationalisation, à leur puissance politique et financière
et à leur science de la propagande. Gràce aussi à la làcheté
des non-juifs, l'Eglise catholique en tete, qui ont abandonné
le Maréchal en 1944. Croyant se protéger, ils se sont mis du
coté du manche. M. Papon ne serait peut-etre pas où il est si,
dans tous les gouvernements qu'il a servis depuis 1945, il
avait apporté son témoignage sur la grandeur et la servitude
du gouvernement de Vichy et du maréchal Pétain.
Pour assurer leur pouvoir, les racistes juifs et leurs amis com­
mencèrent par créer, à Nuremberg, un tribuna! intemational
qui permettrait aux vainqueurs de dicter leurs lois aux vain­
cus. Depuis un demi-siècle, dans tous les pays où ils sont en
force et où leur réussite économique et sociale est éclatante,
les racistes juifs et leurs amis veillent à ce que ces lois de
Nuremberg soient strictement appliquées. Chaque fois que
l'occasion se présentent, ils s'emploient à les aggraver.
Cinquante ans après la fin du conflit, leur action constante et
soutenue a permis de ne considérer comme crimes de guerre
que les crimes commis par les vaincus. Les crimes de guerre
commis par les vainqueurs sont considérés comme de hauts faits
d'armes, qui ont haté la victoire. Exemples : Dresde, Hiroshima.
Dire le contraire, c'est encourir les foudres de la lei.
Etablis par une lei rétroactive, les crimes contre l'humanité
sont essentiellement des crimes commis contre les Juifs.
Violant une des règles profondes de notre justice, ils sont
imprescriptibles. Paul Touvier, quoique gracié par le président
Pompidou, en fit l'amère expérience. Quoique bianchi par un
jury d'honneur où siégeaient des personnalités de la
Résistance (Jean Pierre-Bloch et Daniel Mayer, entre autres),
Maurice Papon va l' apprendre à ses dépens.
Par le Iivre, sous tous ses aspects (choix des sujets, choix des
auteurs, édition, diffusion, publicité), par la radio et la télévision
dans toutes les formes de leurs activités (informations, repor­
tages, discussions, fictions), par la chanson, le théatre, le
cinéma, les racistes juifs et leurs amis présentent leurs ennemis
comme des monstres, abjects et féroces, intellectuellement
---- L A F R A N C E V U E D E F R A N C E ----

demeurés, insensibles au Beau et au Bien, à l'Art et à la


Culture, incapables de tout sentiment humain. M. Papon peut
s' attendre au pire. Il est au-dessous de la réalité. Ce que ses
avocats diront en sa faveur sera tu ou déformé. Ce que les
parties civiles déclareront pour l' accabler sera partout clamé,
proclamé, répété, sans vérifications ni examen. On devrait le
tenir pour innocent jusqu'au verdict. Il est déjà déclaré cou­
pable. La loi du talion est devenue la loi.
L'histoire de la guerre 1939-1945, de ses causes et de ses
effets, de ses responsables et de ses victimes, appanient aux
racistes juifs et à leurs amis. Ils en ont le manopole et l'ex­
clusivité. Ils se sont autorisés à etre les seuls à se qualifier
d'historiens. Ils sont !es seuls à raconter comment !es choses
se sont passées, à fixer le nombre de morts, à décider de ceux .
dont il convient de parler toujours (Ies mons dans les camps
de concentration allemands - et uniquement allemands), et
de ceux sur lesquels il vaut mieux glisser (Ies mons de la
Résistance terroriste et !es morts civils des bombardements
anglo-américains).
En s'appuyant sur la loi, ils peuvent empecher qu'on réponde à
cette simple question : « Pourquoi les Allemands arrétaient-ils les
Juifs ? » J' ai déjà été condamné pour avoir tenté de le faire. Vous
voyez bien qu'il m'est impossible de parler librement, honnete­
ment du procès Papon.
Pour raconter et expliquer le comportement du haut fonc­
tionnaire nommé Papon, il faudrait pouvoir raconter l'avant­
guerre, « Le régime affaissé, les hommes nuls, [es institutions
vidées de leur substance », comme écrivait François
Mitterrand < 11•
Il faudrait faire revivre dans les esprits et dans les creurs ce
que furent 1938 et 1939, ces années tenibles qui en prépa­
raient de plus terribles encore ; montrer le pacifisme d'un
peuple qui applaudissait Daladier d' avoir sauvé la paix à
Munich ; raconter et raconter encore la guerre, la "dr6le de
guerre", jusqu'à l'explosion de mai et l'orage d'acier dans le
printemps en fleurs.
Ce monde englouti, il faudrait le ressusciter pour comprendre :
près de 100 000 morts en quelques semaines, huit ou neuf
millions de Français hagards, fuyant sur )es routes, près de
deux millions de soldats prisonniers de guerre, dans la force
de l'age, la richesse d'une nation, et seul debout, dans )es
décombres, un vieil homme de 84 ans, Philippe Pétain, maré­
chal de France, victorieux des Allemands en 1918, vaincu par
le III• République en 1940, celui qui inspira à François
Mauriac ces lignes inoubliables :
Les paroles du maréchal Pétain, le soir du 25 juin, rendaient un son
presque intemporel ; ce n'était pas un homme qui nous parlait,
mais du plus profond de notre histoire nous entendions monter
l' appel de la grande nation humiliée. Ce vieillard était délégué
vers nous par les morts de Verdun et par la foule innombrable de
ceux qui, depuis des siècles, se transmettent ce meme flambeau
que viennent de laisser tomber nos mains débiles (Le Figaro,
2 juillet 1940).
Mais qui avait rendu débiles et défaites les mains françaises de
1940, elles qui étaient victorieuses et fortes en 1918. Qui ?
Avant de juger Papon, il faudrait commencer par retrouver le
climat passionnel de l'été 40, où le peuple français était à la
fois assommé par la défaite, rongé par le désespoir, travaillé
par la colère et aspiré par I' espérance.
Il faudrait pouvoir expliquer ce qu'une grande partie de ce
peuple reprochait aux Juifs, aux francs-maçons, qui nous
avaient poussés dans la guerre, aux communistes qui étaient
maintenant les alliés d'Hitler, au Front Populaire et à sa loi
sur )es 40 heures alors qu' il eGt fallu travailler 60, à la
Troisième République, ce régime à l'agonie, uvee ses crises
ministérielles à répétition, ses dévaluations successives, son
cortège de scandales financiers.
---- L A F R A N C E V U E D E F R A N C E ----

Dans un pays aux deux tiers occupé avec une population en


otage, dans I' angoisse pour les siens où vivait chaque famille,
c'est cet ensemble qui éclairait le Maréchal d'une lumière
presque sumaturelle. « La divine surprise » avait dit
Maurras. « Le sauveur de la France », disaient les Français.
Peu nombreux étaient ceux qui en doutaient. Je peux en
témoigner. J' avais 2 1 ans et j' étais soldat, en zone sud.
Un demi-siècle plus tard, on devrait pouvoir parler en toute
sérénité et en toute liberté de cette période. Cela est impos­
sible. Les racistes juifs et leurs amis l'interdisent.
Certes tous les Juifs ne pensent pas comme eux. Je n'ai pas
oublié ce que Mme Annie Kriegel, qui avait été résistante et
qui était juive, disait du Maréchal et des Juifs :
Je me demande parfois si, contrairement à l'idée commune, la part
de sacrifice dans la politique et la conduite du Maréchal Pétain n'a
pas eu des effets plus certains et positifs sur le salut des Juifs que
sur le destin de la France (Valeurs actuelles, 26 mars 1991).
Mme Kriegel, on le voit, n'était pas une raciste juive. Elle est
morte aujourd'hui. Elle seule aurait peut-etre pu expliquer la
marge étroite où Vichy devait manreuvrer pour arriver à ses
fins. Pas moi. Je ne parlerai pas du procès Papon.
(9 octobre 1997)
'" François Mitterrand. "Pèlerinage en Thuringe. Notes d"un prisonnier de guerre." France,
revue de I'Eta/ nouveau. N° 6, décembre 1942.

i le procès de Maurice Papon


arrive à son terme, lorsque
Parlons I' heure sonnera de leur
e
d Papon ...
délibération, les jurés seraient bien
avisés de lire les articles que Jean
Madiran lui a consacrés, dans
Présent, sans haine et sans crainte.
Sa dernière démonstration était particulièrement ajustée et
solide. Il est certain que dans un Etat de droit, appartenant à
des siècles de civilisation catholique, ce procès n'aurait pas
dfi pouvoir se tenir. L'age de l'accusé, le demi-siècle qui s'est
écoulé depuis les faits, le principe de la non-rétroactivité des
Iois, la vérité historique, le bien commun et quelques autres
considérations auraient suffi à dissuader ceux qui en cares­
saient le projet et ne revent qu'à ouvrir une seconde
Epurati on.
Pourtant je me félicite, tous les jours, qu'il ait lieu. Je sou­
haite que M. Papon ait la force d'aller jusqu'au bout du spec­
tacle. Il n'ajamais mieux servi son pays qu'aujourd'hui.
Les Français prétendent souvent qu'ils ne savaient pas. S'ils
ne savaient pas, c'est essentiellement pace qu'ils ne voulaient
pas savoir, par paresse, indifférence ou confort intellectuel :
savoir dérange. Quoi qu'il en soit, ce procès les force à
savoir. Il les oblige à découvrir ce que dissimulent les images
d'Epinal. Il leur impose des questions qui font mal.
M. Olivier Guichard fut un des barons du gaullisme. Quand,
à la barre, après avoir juré de dire la vérité, toute la vérité,
rien que la vérité, il déclare que les visions de l' Armistice et
de Vichy, imposées par le général de Gaulle à la France
depuis 1940, étaient des mythes - DES MYTHES ! - le
tonnerre éclate sur le Tempie du Résistancialisme. Les
colonnes tremblent. Dans la lumière fulgurante des éclairs, la
vérité apparait.
Ainsi donc l 'armistice de 40 n'était pas une fiction, ni un
faux. Il avait été légalement signé. Le maréchal Pétain n'était
pas un usurpateur. Il avait reçu les pleins pouvoirs du Sénat
et de la Chambre des députés. Celle-ci était celle que le Front
Populaire avait fait élire en 1936. Malgré la déchéance des
députés communistes, votée par elle (522 voix contre 2, répé­
tons-le), la gauche y était largement maj01itaire. Rappelons
I
---- L A F R A N C E V U E D E F R A N C E ----

les chiffres. Ils ne sont jamais inutiles. Socialistes : 206, plus


radicaux- socialistes : 11 1 . Soit 3 17. Centre 82, droite : 141.
Soit 223. Le compte est bon. Vichy n'était donc pas un repaire
d'extrème droite et une entreprise de trahison. Ora.ce au pro­
cès Papon, M. Olivier Guichard a pu l'affirmer, en public,
devant la presse du monde entier, et il s'y connatt, mieux que
quiconque.
Pensez donc. Son père, Louis Guichard, capitaine de corvette,
fut à Vichy le directeur de cabinet de l' amiral Darlan, vice­
président du Conseil, ministre des Affaires étrangères, de la
Marine et de l'Information. Plus tard, le gouvemement du
Maréchal fit de Louis Guichard le ministre plénipotentiaire
de la France, à Lisbonne. Quelle que fiìt son aversion pour
Vichy et le chef de l'Etat français, cela n 'empecha pas le
général de Gaulle de faire du fils du bras droit de Darlan son
homme de confiance et de secrets.
Olivier Guichard fut un des plus fidèles compagnons du Général
durant sa traversée du désert (1946-1958). Il fut un des artisans
les plus efficaces, les plus discrets et les plus désintéressés de
son retour aux Affaires. Quand de Gaulle entra à l'Elysée, il fit
d'Olivier Guichard le secrétaire général de la présidenèe de la
République. Et grace au procès Papon, M. Olivier Guichard a pu
dire, au grand public, que l 'Armistice et le Vichy du général de
Gaulle étaient des mythes - DES MY1HES ! - et que ce
mythomane avait largement puisé dans l'adrninistration maré­
chaliste pour construire son pouvoir. Ce qui explique toute l' af­
faire Papon !
Ora.ce au procès Papon, M. Henri Amouroux, joumaliste
enquètant sur le front de l'histoire, a pu rappeler aux "histo­
riens", et par là-meme aux Français (qui ont la mémoire
courte) que le maréchal Pétain n'avait pas pris le pouvoir à la
faveur d'un coup d'Etat. C'étaient les responsables de la
guerre perdue encore plus vite qu'ils l' avaient déclarée, les
coupables de l'effondrement politico-militaire le plus grave
--------- a- �a� -------­
�('Jord!,
...
de notre histoire, qui avaient offert au vainqueur de Verdun
ce pouvoir dont ils ne voulaient plus parce qu'il les accablait.
M. Amouroux racontait. Il laissait à ses adversaires les idéo­
logies flamboyantes. Il ne s'occupait que de l'humble concret
quotidien. Le jour de la victoire, il est facile de dire qui a
gagné et comment nous aurions du faire pour etre accordés à
l' histoire. En juillet 1940, avec un pays aux deux tiers occu­
pés, et deux millions de prisonniers de guerre en otages, ce
n'était pas aussi évident. Le monde entier en convenait.
Meme les Etats-Unis d' Amérique avaient dépeché leur
ambassadeur auprès du Maréchal, en la personne de l' amiral
Leahy. M. Amouroux montrait la réalité des jours dont
l'éclairage changeait avec l'évolution de la guerre. Pattie
d'une histoire de frontières, en Pologne, elle était devenue
planétaire. M. Amouroux expliquait l'enchatnement des
jours, l'engrenage. C'est vrai que maintenant l'arrnistice était
devenu une fiction. La guerre flambait partout, et, dans la
guerre, les chefs sont parfois obligés de sacrifier des hommes
pour sauver la troupe. Comme c'est facile, cinquante ans
après, de juger et de tenir un vieillard, un beau vieillard
certes, mais un vieillard quand meme, sous le feu roulant de
ses questions. Avec des mots simples, M. Amouroux essayait
de dépassionner le débat et de faire comprendre, à ceux qui
ne 1' avaient pas connue, cette époque terrible, complexe et si
melée, malgré ses aspects tranchants. « Il n 'était pas difficile
de /aire son devoir, disait Xavier Vallat. Ce qui était difficile,
c'était de savoir, parfois, où était ce devoir. »
La clique des tetes à claques ne l'entendait pas de cette
oreille. Dans la salle d' audience, dans les couloirs,jusque sur
les marches du palais, elle vociférait dans un grand concours
de grimaces, de gesticulations façon sémaphore épileptique,
d'yeux révulsés, de bouches tordues et chacun des compo­
sants de la tribu était si parfait dans son numéro personnel
qu'on eut été bien embeté d'avoir à donner des Oscars.
---- LA F R A N C E V U E D E F R A N C E ----

Ce sera encore un des grands mérites du procès Papon. Aux


Français qui en doutaient, il aura pennis de découvrir la haine à
visage découvert. Plus de simagrées, plus de masques, sit6t la
décision prise de ne pas maintenir M. Papon en prison, la haine­
passion s'est enflammée, à Paris, à Bordeaux, partout, dans cent
foyers, comme ces feux de foret qui ne s'expliquent ni par la
vitesse du mistral ni par la négligence d'un fumeur.
Mobilisée sans tocsin, la haine organisait la traque de
l' ancien préfet du maréchal Pétain et du général de Gaulle, de
chateau en hotel, d' hotel en résidence. Pas de planque, pas de
refuge, pas d' asile. La chasse à l' homme était ouverte . . . A
l' homme déclaré coupable (avant d'etre jugé) par les avocats
de la Ligue des Droits de l'homme !
Au téléphone, la haine grondait ses avertissements, ses mises
en garde, ses menaces, ses chantages.
Dans la rue, la haine montait, la marée de la protestation avec
pancartes, poings tendus, conférences de presse. La haine . . .
Eberlué, le Français moyen écoutait, regardait, ne croyant ni
ce qu'il voyait, ni ce qu'il entendait. On l'avait tellement
habitué aux sourires-télé, propos lénifiants, tout le monde il
est beau, tout le monde il est gentil, que brusquement, floc !
cette haine vous explosant en pleine gueule comme un
baquet de sang frais, ça vous faisait un effet breuf.
Surtout que ça n'arretait pas . . . Au contraire . . . A la pensée que
l 'égrottant Papon pourrai t rester malade-couché jusqu' à Paques,
la Trinité, le Grand Pardon, que sais-je ? la haine grelottait de
fureur. La Cour n'avait qu'à siéger à l'hosto . . . A la morgue . . .
Sous les yeux du téléspectateur le plus lambda des lambdas, un
formidable geyser de haine emportait le misérable Papon
comme un bouchon, dans le rugissement des anathèmes.
Grace au procès Papon, les Français auront vu ça chez eux,
tous !es jours, plusieurs fois par jour. La hai ne . . . A la rigueur
extreme, chez les parents directs des victimes, on peut com-
_________ o�(IJOJU!-
� �aÒJl?r/. ________
••,

prendre, encore que, cinquante ans après, on a beau dire, la


douleur s'atténue. Je peux en parler aussi. J'ai perdu des étres
très chers dans la tourmente. Certains ont disparu, volatilisés
sous les bombes, ou briìlés, au phosphore. 11s n' ont méme pas
de domicile fixe, dans un cimetière. D'autres sont tombés,
fusillés, un tas de chairs sanglantes, recroquevillées, au pied
d'un poteau. Je sais comme le chagrin et la colère se trans­
forment. Passons. Admettons la haine pour les parents
directs. Mais pour les lointains, les copains des copines des
copains, les avocats, les joumalistes, les candidats toujours
en quete de voix, les curieux, les potes, les associés des asso­
ciations humanitaires, les intellos pétitionnaires, les artistes,
la haine, cette haine, est obscène.
Grace au procès Papon, nous I' avons vue, en gros pian, brute
de fonderie. Nous avons vu son organisation et son déferle­
ment. Les Français auront été aux premières loges.
Désormais ils ne pourront plus dire qu'ils ne savaient pas.
(27 novembre 1997)

a semaine dernière, la France a


Les d eu x mor ts perdu un homme d'exception. Il
d Pie rre Bo utang
e s' appelait Pierre Boutang.
Politiquement, je crois qu'il était mort
depuis plus longtemps, mais il ne
l'avouait pas. Il n'avouait jamais. Il
était mort depuis le moment où il avait acquis la certitude que
le général de Gaulle ne se servirait jamais de son pouvoir et de
son lustre pour ramener le comte de Paris sur le tròne des rois
de France. Tout ce que le Général avait dit, ou laissé entendre
sur ce sujet, n'était que leurre. Ce fut le plus grave échec de
Boutang.
Je l' avais connu en 1 946, à Paro/es Françaises. Il avait
---- L A F R A N C E V U E D E F R A N C E ----

trente ans. Sorti de Normale supérieure à vingt, déjà père de


famille, chef de file de la jeunesse d' Action Française, pro­
fesseur de philosophie à Clermont-Ferrand, puis à Rabat,
résistant maréchaliste en 1940, anti-allemand, anti-hitlérien,
rallié au général Giraud en 1943, i l fut, en 1944, le premier
professeur français révoqué comme « nazi français exem­
p/aire ».
Paro/es Françaises était un hebdomadaire dirigé, sur la man­
chette, par André Mutter, député du PRL (Parti Républicain de
la Liberté}, membre du Conseil national de la Résistance, mais
hostile à l'Epuration. Dès la première page, i l était évident que
le chef, l 'ame, le feu du joumal était Boutang. Je découvris un
fort gaillard, vetu d'une veste de velours comme en portaient
les gardes-chasse, les cheveux d'un blon d roux, le visage
osseux, avec un menton volontaire, les mains puissantes, fort
comme un Ture, courageux comme un lion, myope comme
une cafetière, poète camme un matin d'été, raisonneur
péremptoire, entratneur d'hommes, chef de bande, chef de file,
et pourtant solitaire, porteur d'une culture d'une densité phé­
noménale, aimant séduire, aimant convaincre, mais n'hésitant
pas à tenniner la discussion à coups de poing, quand l'argu­
mentation, si serrée qu'elle fiìt, ne l'avait pas emporté.
Boutang écrivait un français admirable quand il s' appliquait
à ne pas etre obscur. C'était son penchant, qui alla s'aggra­
vant. Il ressemblait à Picasso. Le premier trait étai t lumineux.
Ensuite, hélas, il compliquait. Seule une élite intellectuelle,
dont je ne faisais pas partie, pouvait le sui vre et l' apprécier.
Ayant « remis le train sur les rails », le général de Gaulle
avait quitté le pouvoir, espérant que « le vieux et clzer pays »
se mobiliserait pour exiger son re.tour. Il n'en fut rien.
Communistes, socialistes, démocrates-chrétiens (MRP), se
partageaient la République. Tant que Boutang se contentait
de les attaquer, c'était parfait. Dès qu'il visait plus loin, plus
haut, le Parti Républicain de la Liberté toussait. Le clash
devint inévitable. Ce fut la scission. Boutang s'en alla. Sa
garde rapprochée (Philippe Ariès, François Leger, Ben
- caricaturiste, dessinateur, auteur d'un féroce pamphlet
antigaulliste vendu sous le manteau : Voyage e11 Absurdie, à
la manière de Candide - Antoine Blondin et moi) suivit
comme un seul homme.
Boutang avait des projets plein la tete. Il voulait lancer un
quotidien. Refaire L'AF, en quelque sorte. Avec Antoine
Blondin, Ben et moi, il se contenta de lancer un pamphlet
clandestin à parution irrégulière qui connut six numéros : La.
Demière La.nterne.
Quelque chose changeait. De Gaulle se remettait en scène. Il
fondait le RPF. Boutang avait des contacts avec certains de
ses dirigeants. Mes amis étaient au bagne. Sans parler des
fusillés. Je m'éloignais et revins à Paroles Françaises, avec
au creur la nostalgie de ce que Blondin appelait « l 'iìge de
Pierre ».
Je sui vis Boutang de loin, à Aspects de la France, et plus tard
à La. Nation Française, qu'il créa en 1955 pour professer un
maurrassisme rajeuni, rénové, adapté à notre après-guerre. Je
le voyais de temps en temps, toujours le meme, avec sa veste
de velours, marchant à grands pas, la tete en avant, Ies yeux
plissés, un paquet de joumaux et de livres sous le bras.
J' aimais toujours son rire, sa chaleur, ses discours émaillés
de citations où Chesterton, Simone Weil, Dostoi"evsky et
Platon défendaient I' Algérie française. Je le Iisais avec inté­
ret mais difficulté. Je regrettais le pamphlétaire de La
République de Joinovici. J'entrais difficilement dans son
reuvre littéraire. Surtout je ne partageais pas ses analyses.
Contre l'évidente réalité, il crut jusqu'à Evian, et peut-etre
meme après, que le général de Gaulle garderait l' Algérie à la
France et qu'il ramènerait le Roi.
Le plus cruel restait à venir. Réintégré au seìn de
---- LA F R A N C E V U E D E F R A N C E ----

l'Université, redevenu un professeur qui était pour ses élèves


un maitre fascinant, il était normai que Boutang briguat le
poste de maitre de conférence de philosophie à la Sorbonne.
Le Conseil de cette université (Paris IV) émit un avis favo­
rable. En 1976, cédant aux pressions d'universitaires et d' in­
tellectuels de gauche, Alice Saunier-Sené, secrétaire d'Etat
aux Universités, s'y opposa, au motif qu'on ne pouvait
admettre à ce poste un homme qui avait été antisémite.
Boutang ne le nia pas. C'est vrai. Il avait été antisémite. Mais
il ne l'était plus. Dans le Monde du I<• juillet 1 976, on pou­
vait lire la déclaration suivante :
J'ai écrit à plusieurs reprises depuis vingt ans mes claires raisons
de n'etre plus antisémite.
Cette abjuration publique lui valut la bénédiction de l a Ligue
des Droits de l'homme. On ne pouvait plus, dès lors, lui
« imposer une quelconque restriction à l'exercice d'une pro­
fession pour laquelle il a acquis !es qualifications requises ».
Le faire aurait constitué « une atteinte grave à la liberté
d'opinion ». Mme Saunier-Sené revint sur sa décision.
Tout cela me toumait dans la tete, tandis que se déroulait la
messe sous des échafaudages tubulaires. L'église de Saint­
Germain-en-Laye, aussi, était en réparation. Quel signe !
J'ai trouvé l'office lugubre, malgré l'orgue et Ies chreurs. La
sono ne marchait pas. Je n'ai pas compris la moitié des pro­
pos que murmurait d'une voix mourante le professeur Raoul
Girardet, ancien chef de propagande de l'OAS-Métro. Rien
ne me rappelait l'homme passionné que fut Pierre Boutang,
caractériel sans doute, imprévisible certainement, délirant
parfois, mais flamboyant. Rien ne lui importait que les
convictions qu' il portait et qui le portaient. Au creur de
celles-ci se trouvaient Dieu, la France et la langue française.
Cet homme d'exception ne cessa jamais de leur etre fidèle.
Leur service justifiait tous les sacrifices, tous les engagements,
peut-etre meme tous les reniements. Je n'ai pas aperçu le
comte de Paris. Jacques Chirac non plus. Il y avait le
Mondial.
(9 juillet 1998)

aurice Bardèche vient de


... Et celles de mourir pour la seconde fois.
M au rice Bardèche La première remonte à 1945.
Le six février, au petit matin, dans
l' enceinte du fort de Montrouge, le feu
de fusils français troua Robert
Brasillach. Il avait trente-cinq ans.
Au-delà du fort, un autre homme, de deux ans son atné, cessa
·au meme moment de vivre. C'était Maurice Bardèche, le
condisciple de Brasillach, bientòt son ami, puis son frère de
vie, comme il y a des frères de sang, enfin son beau-frère.
Depuis la fin des années vingt, ils partageaient tout : Louis­
le-Grand, la préparation studieuse à l'Ecole Normale, la thurne
de la rue d'Ulm, les travaux et les jours, le monde enchanté
des livres, le cinéma, l'Espagne, le "petit peuple de Paris",
l' air du temps, le logis de la rue Lecourbe, l' appartement de
la rue Rataud, derrière l'Ecole, comme une façon de prolon­
ger encore un peu la jeunesse, l' amour pour Suzanne
Brasillach, la sreur tant aimée de Robert, devenue
Mme Maurice Bardèche, la politique considérée comme une
préoccupation intellectuelle, une nécessité nationale, une
forme de la poésie et un divertissement.
Ni l'un ni l'autre n' avaient été des militants. Le soir du
6 février 1934, Robert Brasillach était au théatre. S ' il s'en­
gagea ensuite très loin dans le joumalisme politique avant et
pendant la guerre, Maurice Bardèche, lui, se tint sur la rive
du fleuve noir, non par prudence, mais par goiìt. Durant
l'Occupation, il donna trois articles à le suis Partout, pas un
---- L A F R A N C E V U E D E F R A N C E ----

de plus : Reveries sur un cinéma futur, Balzac stendhalien,


Stendhal joumaliste. li n'en fut pas moins arrèté à la
Libération, interné au camp de Drancy, puis à Fresnes. Mis
au ban de l'Université, après avoir été professeur à la
Sorbonne, il dut enseigner dans les collèges libres pour faire
vivre sa famille, bientòt riche de cinq enfants.
Son souci principal était la haute critique littéraire. Publié en
1941, son Balzac romancier fait toujours autorité. Ceux qui
eurent le bonheur d' acquérir au "Club de l 'Honnète hornme" !es
vingt-quatre volumes des reuvres complètes d'Honoré de
Balzac savent combien leur présentation et !es notes de Maurice
Bardèche facilitent le voyage dans le monde balzacien. Il était
fait pour cela : la recherche littéraire, l' éclairage des textes,
l'écriture, si naturelle qu'on croyait l'entendre en le lisant, la
famille, l 'amitié, la joie de vivre sans grands besoins, la simpli­
cité. II posait sur !es etres et !es choses un rei! qui paraissait tou­
jours heureusement surpris de ce qu'il découvrait. Il riait beau­
coup. Le meurtre de Robert Brasillach le foudroya.
Quand il ressuscita, un autre homme était né. La politique
était devenue une terre de mission. Il y entrait comme en reli­
gion, avec une sorte de foi mystique, mème si l a raison ajus­
tait ses arguments. Le ton avait changé. Il y avait des exi­
gences et de la véhémence dans sa voix. Parfois on se deman­
dait s'il ne regrettait pas de ne pas etre tombé, lui aussi, au
combat. Il se jetait dans la bagarre avec une énergie et un
courage impressionnants. Il n 'admettait pas que les vain­
queurs, non contents d' avoir fusillé ou jeté au bagne les vain­
cus de la victoire, s'employassent encore à falsifier l' histoire
pour les déshonorer.
En avril 1945, quelques semaines après Montrouge, il rendit
visite à François Mauriac, pour le remercier des interventions
en faveur de Brasillach qu'avait faites l e romancier catho­
lique, académicien et grand chroniqueur du Figaro. Celui-ci
lui posa une curieuse question :
--------- o,w1 �a � -------­
- C'JIJf�
...
- Reconnaissez-vous, maintenant, que vous avez eu tort ?
Le réponse fut une lettre de 195 pages, intitulée Lettre à François
Mauriac. On pouvait y lire des gentillesses comme celles-ci :
Tout ce qui se passe depuis deux ans est exactement ignoble. Il n'y
a pas un moment de l'histoire de notre pays où l'on ait vu, comme
aujourd'hui, s'accorder et se combiner harmonieusement toutes
Ies formes de la bassesse : la délation, la ruée sur Ies places, la
concussion, les pots-de-vin, )es pourboires, l 'escroquerie, le voi
direct ou indirect. La ruine du pays a rempli vos poches. Notre
misère est une affaire. Vous trafiquez de la faim, de la détrese, des
importations, des villes détruites, des ponts à reconstruire. Lisez
vos journaux : je me bome à résumer votre presse.
Cela est pris au hasard. Il faudrait tout citer. 195 pages de
cette encre, ça faisait mal. 80 000 exemplaires furent arra­
chés en quelques semaines. Le Tout-Paris frondeur s'abordait
en disant :
- Avez-vous lu Bardèche ?
Il y avait là, groupés, les motifs de dix saisies et de cin­
quante procès. Atteintes au chef de l'Etat, diffamation de la
Résistance et toute la lyre. C'était r·été 1947. Quand le gou­
vernement de M. Ramadier se réveilla, les délais, pendant
lesquels !es poursuites sont possibles, étaient passés.
Bardèche crut que la liberté de pensée et d'expression était
revenue. Le pauvre . . .
Il fonde sa maison d'éditions : "Les sept couleurs" - titre
d'un roman de Brasillach. Il est chez lui, à son compte, dans
ses meubles. Le succès de la Lettre le rend plus pugnace
encore. Il vise plus haut. Il frappe plus fort. En juillet-aout
1948, il y a tout juste cinquante ans, il termine un livre ter­
rible : Nuremberg ou la Terre promise. Il attend l'explosion.
Elle se produit. Ce n'est pas celle qu'il espérait. Cette fois on
l'avait à l'reil. Le livre est saisi. Il sera pilonné. On arrete
Maurice Bardèche, rue de la Fontaine-du-But, dans le XVIII·.
---- L A F R A N C E V U E D E F R A N C E ----

La rne Rataud ayant été réquisitionnée et donnée à un Juif (la


quasi-totalité des Iivres disparaitra pendant cette occupation), il
fallait bien se loger. Je pus lui procurer ce taudis depuis Fresnes,
grJce à un compagnon de cellule, un catcheur, qui l' occupait.
J'ai le souvenir d'une corvée de bois que j'y fis, plus tard, avec
Antoine Blondin, et du bain des enfants, dans une lessiveuse.
Suzanne était comme je !'ai toujours connue : gracieuse et
souveraine, faisant face à tout, sans jamais se plaindre de rien.
Dures saisons. Maurice Bardèche fut relaché, acquitté, pour­
suivi à nouveau, condamné à un an de prison ferme. II s'y
trouvait quand le président Coty l 'en tira. Il continuait avec
obstination sa tache d'insurgé. On avait pilonné Nuremberg J
Il écrirait Nuremberg 2, plus une suite de pamphlets qui
tiraient tous dans le meme sens et sur la méme cible : Lettre
à w1 sénateur américaùz, Les Temps modemes, Qu 'est-ce que
le fascisme ? Les "Editions des Sept couleurs" durèrent
trente ans. En 1951, il lança une revue de combat historique
et politique : Défense de l 'Occident, qui eut des fo11unes
diverses mais ne s'arrèta qu'en 1 982. Il essaya d'apporter son
concours au Mouvement socia! européen où il connut, je
crois, quelques déconvenues.
Parallèlement Maurice Bardèche continuait son reuvre litté­
raire : Stendhal romancie1; Proust, Célùze, Léon Bloy. Il
veilla sur l'reuvre de Brasillach. Il écrivit des Mémoires où je
n'ai pas retrouvé tout ce qu'il m'avait dit vouloir y faire figu­
rer. Les auteurs proposent. Les éditeurs disposent. Bardèche
n'était plus chez lui.
Le temps passait. Maurice Bardèche 1iait moins. L'espérance
ne l'avait pas quitté. Mais il commençait à s'éloigner. . .
La dernière fois que je !'ai vu, c'était aux BBR. I l vint s'asseoir
près de moi. Il était mélancolique, un peu affaissé. Il y avait
foule. Je le voyais du coin de I' rei!. J' aurais voulu lui dire. . .
des mots . . . rien d'important. . . quelques phrases banales, mais
TOoT 'IA SIE"IJ , (1-. N 'o.f ALJRA &'e,sr&­
PLUS Péll..50IJ1'JE Poo� IJOC1:> COISTfl.E'!)ÌQ..� .

vraies, sur l'amitié, à travers une vie . . . on ne se voit pas . . . on


remet à demain . . . unjour c'est trop tard . . . Quand j'ai levé les
yeux de mes signatures, il avait disparu. Maintenant c'est vrai­
ment trop tard. Je pense beaucoup à vous, Suzanne.

e'
(6 aout 1998)

est le triomphe du paradoxe.


l Des sondages annoncent cette
Voyage en France i semaine que plus de 70 % des
pa radoxale I J Français seraient favorables à l' eutha­
Jjnasie. Un pays qui interdit la peine
de mort aux coupables va donc
l'appliquer aux innocents.
Jospin doit etre jaloux. C' était un gouvernement de droite qui
permit aux mères de tuer I' enfant qu' elles portent. Il veut
rétablir I' équilibre. Ce sera un gouvernement de gauche qui
donnera aux familles le droit de supprimer les vieillards
qu' elles supportent de plus en plus mal.
---- L A F RA N C E V U E D E F R A N C E ----

Passé quatre-vingts balais, l'oncle Alfred risque le pire si on


lui propose de faire venir le médecin pour soigner sa mémoire
qui flanche, sa rate qui se dilate ou ses genoux qui coincent.
En revanche, Mlle Florence Rey peut dormir tranquille. Co­
responsable de la mort violente de trois flics et d'un civil,
tout ce qu'elle risque, c'est d'étre obligée de venir regarder
la télévision à Fleury-Mérogis pendant quelques années de sa
précieuse existence.
Le Pacte civil de solidarité qui doit étre adopté dans les jours
prochains par l' Assemblée ne parait pas beaucoup plus
logique. De quoi s'agit-il en effet ? De satisfaire des asociaux
qui veulent profiter d'une société dont ils se refusent à recon­
naitre les principes.
D'un c6té, nous trouvons des couples hétéro-sexuels. Ils
vivent en concubinage parce qu'ils sont hostiles au mariage
civil pour toutes sortes de raisons philosophiques et de
réflexes épidemtiques. Néanmoins ils en réclament !es avan­
tages. Ils exigent d'étre considérés comme des couples léga­
lement mariés, sans l'étre. La Gauche idéologique qui a de
tous temps célébré les émouvantes beautés de l ' union libre
va leur accorder cet exorbitant privilège, et la droite, de
crainte de paraitre extréme, n' opposera que des objections
secondaires. C'est bouffon.
De l'autre c6té, nous trouvons des couples homosexuels. Tout
en continuant à proclamer leur droit à la différence, ils entendent
étre traités comme tout le monde. Leur anormalité doit étre
estimée comme normale. Leurs pratiques contre nature doi­
vent etre acceptées comme naturelles, alors que si la nature
était homosexuelle il n'y aurait pas de vie sur la terre.
Dans leur grande majorité, les législateurs souffriraient de
mille chagrins en apprenant que leurs gamins-gamines sont
devenus gays ou lesbiennes. Ils vont pourtant donner satisfac­
tion à ceux-ci. C'est que le lobby homo est puissant et, quand
--------- a~,\QJ)')('JOW!,
frJ
'O. -------­
...
tw?_

on est homme politique, les lobbies, ça compte. Il y a de la


logique dans cet illogisme.
En quelques années, ce lobby homo a fait accomplir à sa cause
des progrès stupéfiants. Dans ma jeunesse, la plupart de ceux
que l'on appelait les "pédés" dissimulaient leur état comme
une honte et une tare. Aujourd'hui ils le revendiquent. Ils l'af­
fichent. Ils s'en font gioire. C'est une preuve de supériorité.
Tous )es grands hommes "en étaient". Pour le crier, ils défilent,
bariolés, peinturlurés, déguisés, dépenaillés, au son des tam­
tams de guerre, dans des manifs provocatrices où ils deman­
dent des subventions, qu'ils obtiennent.
Derrière la mobilisation contre le sida se cachait la volonté
d' obtenir la reconnaissance et la prise en charge par la société
de l 'homosexualité qui n'est jamais qu' une maladie mentale
et qu' un vice. C'est fait. Le PACS est l' étape suivante. Il vise
à permettre aux ménages homosexuels de faire comme s'ils
étaient des familles où les homos joueront à étre le papa et la
maman de l'enfant qu'ils n'auront jamais. Après quoi les
législateurs seraient bien avisés de mettre dare-dare en chan­
tier une nouvelle loi pour aggraver la répression de la pédo­
philie au foyer.
Le président Chirac signera l'une et l' autre d' un méme élan.
Les paradoxes ne l ' effrayent pas. Gaulliste de vocation, de
fondati on, d' oraison, de cceur et de raison, il a toujours consi­
déré la Constitution gaulliste de 1958 comme le modèle des
constitutions et la clé de voute de la construction gaulliste.
En conséquence, il n'a cessé et ne cesse de s'employer à la
modifier.
Après !'anarchie parlementaire de la Quatrième, cette
Constitution concentrait tous les pouvoirs entre les mains du
président de la République. Fort de son imperturbable
logique, le président Chirac s'est donc évertué, par la disso­
lution et une cohabitation de bonne compagnie, à diminuer
---- L A F R A N C E V U E D E F R A N C E ----

les pouvoìrs du Président en augmentant ceux du Parlement


et du gouvemement.
Dans l' absurde, il y a mieux encore. Au nom de la France et
de la République plurielle, le président Chirac a signé le traité
d'Amsterdam. Malheureusement le Conseil constitutionnel a
décrété que ce traìté est anticonstitutionnel, car il impose une
perte de la souveraineté nationale. Pour le ratifier, le prési­
dent Chirac se trouvait donc devant un choix. Ou changer le
traité. Ou changer la Constitution. En gaulliste conséquent, il
a choisi de changer l'admirable Constitution gaulliste. La
logique, vous dis-je . . .
Pour se faire, il pouvait soit poser l a question au peuple, soit
demander l'avis des assemblées parlementaires où les gaul­
listes sont en minorité. Démocrate convaincu et gaulliste
fidèle, le président Chirac a choisi la seconde solution. Grace
à un président gaulliste, la Constitution gaulliste sera modi­
fiée pour permettre l'application d'une politique radicale­
ment opposée à ce qui fut une des constantes de la politique
gaulliste : la défense de la souveraineté nationale dans
l'Europe des nations.
Paradoxalement (encore) le peuple souverain regarde s'effi­
locher cette souveraineté d'un reil atone, sans bouger un
sourcil ni émettre une protestation. II est vrai que ce peuple
que I' on disait cartésien, épris de justice et d' équité, sensible
aux faibles, rebelle aux puissants, laisse persécuter sans dire
un mot, sans faire un geste, un homme dont le seul crime est
de vouloir organiser sa défense, la défense de la France et des
Français.
C' est évidemment de Jean-Marie Le Pen dont je veux parler.
La justice française l'avait condamné à l'inégibilité et à la
prison (avec sursis) pour etre tombé dans un gtiet-apens pré­
paré par la gauche socialo-communiste et I' extreme gauche,
avec le complicité des autorités chiraquiennes de Mantes-la-
- flJOfU!-
_________ oAdl frJa --------
ÒJll/l.
...
Folie. Aujourd'hui, la justice allemande demande à son tour
au parlement européen de Strasbourg de lever l'immunité
parlementaire de Jean-Marie Le Pen. Elle )'accuse d'un
grave délit de tribune. Pour avoir répété à Munich ce qu'il
avait dit à Paris sur le "détail" de I 'Histoire, elle veut le
condamner à cinq ans de prison ferme.
Personne n'est dupe. Le "détail" n'est qu'un prétexte.
Mantes-la-Folie n'est qu'un leurre. Ce que l'on veut, c'est
mettre un terme à l'action de Jean-Marie Le Pen. C'est empe­
cher le Front national de progresser en proposant aux
citoyens et aux citoyennes sa politique pour une France fran­
çaise dans une Europe des patries. Jusqu'ici, si l'on avait pu
freiner Le Pen, on n' a pas réussi à I' abattre politiquement.
Alors on veut en finir en le détruisant, judiciairement, dans
l'indifférence du peuple pour lequel il n'a cessé de se battre.
C'est là le paradoxe des paradoxes. Le plus terrible. Le plus
honteux, aussi.
(]" octobre 1998)
C H R O N I Q U E S

lii • L'Etranger vu de France

uand l ' empire soviétique


Les vérités s' effondra, mystérieusement,
de la guerre comrne un chateau de cartes
truquees, les hommes de gauche,
oracles réputés - dont la lucidité est
reconnue depuis juillet 1914, où Jean
Jaurès garantit que jamais un ouvrier allemand n'envahirait
la France - déclarèrent solennellement que, désormais, la
paix était établie, pour toujours.
En conséquence le désarmement universel s'imposait Il n'y
avait plus un instant à perdre. Il fallait d'urgence consacrer aux
Beurs l' argent des canons. « Désarmons ! Désarmons ! », psal­
modiaient les pèlerins de la paix. Je me croyais revenu en
1930.
Six mois plus tard, c' étaient les memes qui exigeaient une
intervention militaire massive en Bosnie. Il y allait de notre
honneur. L'histoire repassait les plats.
On m' accordera que, sur ce sujet, je me suis tenu sur une pru­
dente réserve. Cela ne signifie pas que je me désintéresse de
la situation et que je néglige d'en tirer les leçons qu'il
---- L' ETRAN G E R V U D E F R A N C E

convient. Si tragiques et inutiles que soient souvent les


guerres, il arrive qu'elles éclairent la réalité d'une lumière
brutale et vraie. Le conflit compliqué qui laboure cruellement
les malheureux peuples de l'ex-Yougoslavie a le mérite de
rappeler des vérités méconnues ou escamotées par le
pret-à-penser actuel.
Par exemple il montre, à l' évidence, que le communisme
n' était pas la seule cause des guerres qui ensanglantèrent la
planète depuis 1917. Il en fut un des moteurs importants mais
il y en eut d'autres qui s'appellent : la faim, la misère exploi­
tée, la haine, l'argent, les démons de puissance, la conquete
du monde, les religions agressives, les races. En un mot
l'homme. Qu'un de ces moteurs cesse momentanément de
toumer n'implique pas que les périls ont disparu et qu'il faut
baisser la garde, comme nous y invitaient les idéologues évo­
qués plus haut.
Seulement, voilà, garder la garde haute, c'est dur. Il faut des
muscles, de la farce, car il n'y a pas de droits, meme les plus
essentiels, comme le droit à la vie et le droit à l'indépendance
de la patrie, sans farce capable de les défendre. C'est-à-dire
sans soldats et sans armées nationales, qui sont de loin les
plus efficaces.
Malheureusement les idéologies à la mode, intemationalistes
et mondialistes, haYssent presque physiquement la nation et
ce qui l'incarne : la famille, le travail, le paysan attaché à sa
terre et celui qui la défend : le soldat.
L' armée dont ils revent est une armée abstraite, sans vertus
militaires, sans drapeaux ni frontières, faite pour tous et au
besoin contre tous, camme le sabre de Joseph Prud'homme,
obéissant à une direction anonyme et dénationalisée.
C'est là une vieille chimère, une utopie que les Loges se sont
transmises des siècles durant. On la vit refleurir après la
Première Guerre mondiale, dans les banquets où, après le
cassoulet républicain, des barbus parlaient de la cité idéale
avec l'accent de Toulouse. Les Etats-Unis venaient de fabri­
quer la Société des Nations, la SDN, à usage exteme puis­
qu'ils se gardèrent d'y adhérer, et la SDN promettait d'em­
pecher la guerre, en volant partout au secours de l ' agressé.
- Mais si l'arrnée de la SDN est vaincue, que se passera-t-il ?
demandait dans L'Action française Jacques Bainville, grand
historien, grand prophète, grand esprit.
On ignore encore ce qui se fiìt passé, la SDN ayant pris soin
de ne pas se doter d'armée, ce qui l'empecha d'empecher la
guerre. L'ONU qui l'a remplacée s'est constitué cette fois
une armée, une armée de soldats sans armes, !es soldats de la
paix, qui ont été vaincus sans combattre et sans réussir à
empecher la guerre de couver, de monter, d'éclater, de
s'étendre. Jusqu'où ? Qui peut le dire avec certitude, aujour­
d'hui que B ainville n'est plus là.
Comme les guerres de la fin des années trente avaient fait
prendre conscience de l'impuissance ridicule et sinistre de la
SDN, la guerre dans l'ex-Yougoslavie aura au moins permis
aux plus aveugles de voir l'impuissance ridicule et sinistre de
l'ONU, cette construction américaine qui n'est efficace que
quand elle sert les intérets américains.
Le vent de la guerre qui toume en ouragan sur les Serbies, la
Croatie, les Bosnies (musulmane et non musulmane), entre
mille inconvénients a un avantage. II chasse les idées toutes
faites, !es faux-semblants, !es mensonges des propagandes.
Ce n'est pas vrai que les ex-communistes sont dans un camp
et !es anti-communistes dans l'autre. II y a partout des héri­
tiers de Tito. Ce n' est pas vrai que !es bons sont ici, qui pro­
tègent la veuve et I' orphelin, et là !es méchants qui !es vio­
lent, les torturent et !es tuent. La cruauté est partout, et par­
tout féroce, selon !es circonstances, !es individus et le degré
des passions. Ce n'est pas vrai que ceux-ci ont totalement tort
---- L'ETRA N G E R VU D E F R A N C E

et ceux.-là totalement raison. Comme entre Palestiniens et


Juifs, la vérité est partagée.
J'entends qu'on pleure beaucoup sur les populations civiles. De
qui se moque-t-on ? Les populations civiles sont toujours Ies
prernières victimes des guerres. Les Américains, grands mar­
chands de morale, à Hiroshima, à Nagasaki, à Dresde,
Hambourg, Cologne, Berlin, au Havre, à Rouen, Brest, Rennes,
Nantes, Marseille, Paris, etc, se sont-ils préoccupés beaucoup
des populations civiles qu'ils écrasaient sous leurs bombes ?
M. Chirac, cet humaniste, nous a fait un numéro de grande sen­
sibilité sur les quelques dizaines de Casques bleus retenus en
otages par les Serbes. Ces prisonniers interdisaient toute riposte.
Mais quand il a accusé le maréchal Pétain de s'etre soumis aux
ordres du vainqueur, ce n'était pas des dizaines de soldats fran­
çais que les Allemands tenaient en otages, prisonniers en
Allernagne, mais un million et demi - et, à travers eux, quelque
trois rnillions de farnilles françaises ligotées. Cela méritait aussi
qu'on s'interrogeat sur la riposte la plus adéquate.
Mieux que tous les écrits et discours, la guerre en ex­
Yougoslavie a démontré l'inexistence de l 'Europe. Les
nations qui géographiquement la composent ne sont d'accord
sur rien, ou presque rien. Il n 'y a pas de politique commune,
pas de force et de volonté comrnunes. Meme ceux qui par­
laient - qui parlaient. . . - éventuellement de se battre, ne par­
tageaient pas les memes buts de guerre. Bruxelles n'a pas fait
entendre sa voix. A Strasbourg, c'est un concours de glapis­
sements entre ]es différentes nuances des écolos gauchards
qu' on a écouté.
Consciente de sa solitude, la France s' est réfugiée dans de
nobles propos vides de sens. Après trois années de vains
pourparler, nos diplomates se consolaient en affirmant « qu 'il
n'y a pas de solutio11 militaire », alors meme qu'ils se flat-
--------- (r
�(IJOJV!,
f>)O.
� --------
...

taient d'y avoir dépeché nos meilleurs guerriers. Plus la situa­


tion nous échappait et plus notre présence s'avérait inutile dans
l' ex-Yougoslavie. « Pourquoi nos soldats sont-ils morts là-bas ? »
Si l'on avait posé la question aux Français, une très large majo­
rité aurait répondu : « Pour rien. ». C'est la denùère vérité de la
guerre.
(17 aoiit 1995)
Faut-il préciser que cela fut écrit avant le Kosovo. A deux
on trois détails près, il n'y a rien à changer.

L
e président des Etats-Unis,
l ' oncle Sam Clinton, que l' on
L'air amérlcaln présente volontiers comme un
grand niais légèrement attardé, arna­
teur de drogues douces, de femmes
fortes et de saxophone, a donc imposé
sa solution demi-finale au problème de l'ex-Yougoslavie, à
l'heure américaine, comme il lui convenait et à la barbe des
premiers intéressés.
Beaucoup de nos compatriotes s'en réjouissent. Ils croient
---- L'ETRANG E R VU DE F R A N C E ----

que les Etats-Unis sont intervenus en 1917 et en 1942 par


amitié et solidarité. lls en éprouvent de la reconnaissance. Je
suis d'un avis différent. Pour les Etats-Unis, seuls comptent
les intérets et l'idéologie dominante des lobbies qui les diri­
gent. Leurs interventions ne furent que des étapes de leur
conquete du monde. Les voici au terme de leurs efforts.
Les USA sont arrivés à un tel sentiment de supériorité qu'ils
ne peuvent s'empecher de soumettre économiquement, cul­
turellement et s'il le faut militairement, les nations qui ne
veulent pas se démettre totalement de leur indépendance. Dès
lors qu' elles n' obéissent pas au doigt et à I' ceil, I' Amérique a
tendance à les considérer comme des adversaires et à les trai­
ler comme des ennemis. C'est ce qu'on appelle l'ordre mon­
dial américain.
Nous l'avons supporté en croyant qu'il nous protégeait de
l 'impérialisme soviétique - que pouvions-nous faire d' autre
dans l'Europe en ruines ? Il n'est pas sGr, pourtant, que le cal­
cul fGt aussi juste qu'il nous apparaissait alors. L'URSS ne
devait sa naissance, sa survie et une partie de sa puissance
qu' à la banque et au grand capitai américains. Il n 'est pas du
tout assuré que Washington eGt hiroshimatisé Moscou pour
empecher I' Armée Rouge d' occuper le Moulin Rouge. A une
centaine de milles de ses c6tes, il n' a toujours pas délogé
Castro.
Peu imporle. Ces supputations sont hors de saison. Meme s'il
ne faut pas négliger la menace souterraine du communisme,
elle a changé de degré. Ce n' est pas demain que Boris Eltsine
accomplira ce que Staline n'a pas osé tenter. Nous n'avons
plus besoin du bouclier américain.
En conséquence nous ne devrions pas continuer d'accepter l a
soumission qu'il impliquait. Or c'est c e que nous faisons.
Nous venons de le voir dans l'ex-Yougoslavie. Pendant des
années, !es pays qui occupaient le terrain, suivant les injonc-
--------- cr
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ilf,� --------
f?

...
O.

tions de l'ONU - organisation américaine des Nations Unies


- demeurèrent l 'reil fixé sur l ' oncle Sam Clinton. De temps
à autre, ils disaient d' une voix mourante :
- Bombarderai-je, papa ?
- Wait and see, répondait l'oncle Sam.
Il y eut des morts par dizaines de milliers, des atrocités
affreuses - ces peuples n'ont pas la réputation d'étre particu­
lièrement débonnaires, mais, selon les camps auxquels on
croit utile d' appartenir, leurs dérapages s' appellent "crimes
contre l ' humanité" ou "malheureuses bavures". Rien de nou­
veau sous le soleil. Il y eut des destructions, tout le cortège
des malheurs de la guerre où ce sont les plus misérables qui
connaissent toujours les plus grandes misères . . . L'oncle Sam
ne bougeait toujours pas. Il se contentait de tenir le champ
des batailles sous haute surveillance, grace à ses satellites­
espions et ses avions spéciaux. Et puis un jour, pour contrer
son congrès et parce que la campagne électorale approchait,
l ' oncle Sam Clinton donna l 'ordre à l' ONU de faire ouvrir le
feu, en Europe, dans la guerre serbo-croato-bosniaque.
Tant sur terre que dans les airs, les nations européennes se
dépéchèrent d'obtempérer. N' avaient-elles pas satisfaction ?
N'était-ce pas le moyen révé de prouver que si la force d'in­
tervention n' était pas aussi rapide qu' on l' avait annoncé, elle
était au moins à petite vitesse ? . . .
Bref, les Etats-Unis purent démontrer, sans difficulté ni dom­
mage, que la puissance n ° 1 en Europe n'était pas la France,
ni l ' Allemagne, ni la Grande-Bretagne, ni la Belgique, ni le
Luxembourg, e' était l ' Amérique.
Si désagréable qu'elle soit, cette constatation n'a rien de sur­
prenant. Elle n 'est que l'expression sur le terr.iin de la guerre
et de la diplomatie, de la réalité des activités dans les autres
domaines.
-
---- L'ETRA N G E R V U D E F R A N C E

Par la musique - s i j 'ose m ' exprimer ainsi -, par la drogue,


les mreurs, les fringues, le ciné, la télé, une sorte de barbarie
cool et parfois pas si cool que ça, la pire des Amériques a mis
la main sur l'Europe.
Par ses méthodes commerciales et ses blitzkrieg financiers,
elle tient l'Europe à la gorge.
Dans ces conditions, il eGt été normai qu'une entente entre !es
nations européennes se construisit contre la colossale boulimie
yankee, toujours avide de nouveaux marchés et de profits
accrus. Il n'en a rien été. Economiquement, la Grande­
Bretagne colle avec !es Etats-Unis. Politiquement, !es Teutons
filent le train. Leur heure n'est pas encore venue . . . La mani­
pulation monétaire et la corruption, aux postes clés, des per­
sonnages idoines et adéquats qui les occupent, font le reste.
Quand on voit les vertueux Etats-Unis, berceau des Droits de
l'homme, condamner le peuple irakien à la famine en mainte­
nant l'embargo, pour empecher la baisse du prix du pétrole, il
n'y a plus d'iilusions à se faire. Il faut s'attendre à tout.
Ne craignez rien. Je ne suis pas arrivé au stade du Grand
Satan. Pas encore . . . Il y a des traits du caractère américain
que j 'aime. Il y a des réactions et des comporternents du
peuple arnéricain que j 'airne. Comrne chez nous, je sais faire
la différence entre ce qu' il est et ceux qui parlent et agissent
en son nom. Il n'empeche que j'ai de plus en plus de diffi­
cultés à respirer l' air américain.
(7 septembre 1995)

S
avez-vous pourquoi les bom­
bardements sauvages du peuple
Le terrorisme, tchétchène - hommes, femmes,
c'est les autres
enfants, vieillards melés - par l'avia-
tion et l'artillerie russes n'ont pas tou­
..__ - ché le creur, pourtant si humain, de·
Nations Unies, alors que quatre attentats terroristes en lsraei
cruels certes, mais limités, ont mobilisé les dirigeants de la
planète, réunis dare-dare au coup de sifflet du grand Bill, le
président de la République mondiale arnéricaine ?
La réponse est simple, mais capitale.
Parce que la Tchétchénie n'a pas de diaspora et qu'il n'ex.iste
pas, aux Etats-Unis, de lobby tchétchène capable d'empe­
cher, ou de gener, l' élection d'un président.
En revanche, la diaspora israélienne existe, de meme qu' existe
aux Etats-Unis un lobby israélien puissant, riche, habile,
organisé et entrainé, qui pèse sur l' élection présidentielle,
non seulement par le vote de ses adhérents, mais par le poids
qui est le sien dans les rnilieux politiques, d'argent, d'af­
faires, dans !es médias, la diplomatie et les services secrets
arnéricains.
En conséquence la politique étant essentiellement la défense
de ses intérets - sauf en ce qui concerne les intérets français,
qui ne peuvent ètre que l'expression du nationalisme le plus
---- L' ETRA N G E R V U D E F R A N C E ----

étroit et frileux - tout ce qui touche Israel touche aussitot, et


au plus vif, le grand Bill.
Pour lui, défendre Israel, c'est défendre son beefsteak. C'est
défendre son avenir personnel, et ceci, qui est vrai en toutes
saisons, l'est encore plus à quelques mois des élections à la
Maison-Bianche.
En revanche - outre qu'il est plus facile de déquiller le
Hamas que de rnettre au pas la Russie, rnerne disloquée, du
batelier de la vodka - défendre la vie du peuple tchétchène
ne rapporterait pas une voix dans l'Arizona, ni dans l'Ohio,
ni dans le Maine, ni ailleurs. Alors pourquoi Clinton il fau­
drait qu'il se décarcasse ?
Et comme !es Nations Unies, c'est d'abord !es Etats-Unis,
pourquoi seraient-elles sensibles à cette tentati ve de génocide,
par Moscou, d'un petit peuple du Caucase ?
Notez encore ceci. Il ne s'agir pas là d' une action terroriste,
mais d'une opération de guerre intérieure. Or la guerre, inté­
rieure ou extérieure, n'est pas hors la loi. Il n'y a que le ter­
rorisme qui soit hors la loi. Ce qui est on ne peut plus
logique, puisque !es Nations Unies sont ma1tresses du
monde, que les Etats-Unis sont les rna1tres des Nations
Unies, et que seules !es opérations terroristes peuvent encore
gener les Etats-Unis.
Je le répète : tout cela est d'une logique adrnirable. Les Etats­
Unis d' Amérique possèdent l 'armée la plus performante. Sur
terre, sur mer, dans les airs et les étoiles, sa puissance de feu
est terrifiante. Engagée dans une guerre de grande dimen­
sion, elle écraserait n'importe quel ennerni. Meme sans le
nucléaire. Qu'elle n'hésiterait pas à utiliser, si le besoin s'en
faisait sentir. Hiroshima, mon amour, rappelle-toi, Barbara.
Mieux vaut tuer les boys des autres que laisser tuer les siens.
C'est encore on ne peut plus logique.
La seule forme de guerre où la supériorité de l' arrnée arnéri-
caine est moins absolue est la guérilla, !es commandos sui­
cides, !es sabotages, !es attentats, en un mot, le terrorisme. Il
est donc normai et logique que les Etats-Unis mettent le ter­
rorisme hors la loi et invitent les autres nations à l'imiter. Ce
qu'elles s'empressent de faire quoique tous les gouvemements,
à un moment ou à un autre, se soient servis du terrorisme.
A commencer par Israel : son comportement dans les régions
"sous controle" relève du terrorisme.
A commencer par la France. L'explosion du Rainbow
Warrior, qu'était-ce, sinon une opération terroriste, montée
sous la responsabilité du président socialiste François­
Tartuffe Mitterrand, celui qui exigeait le retrait des bombes
des bombardiers du Bourget avant d'honorer le Salon aéro­
nautique de sa présence ?
A commencer par les Etats-Unis. Laisser le blocus assassiner
500 000 enfants irakiens depuis le fin de la guerre du Golfe,
c'est du terrorisme, sur une grande échelle. Le terrorisme,
c'est camme l'enfer. C'est les autres . . . Et il n'y a que le ter­
rorisme des autres qui puisse gener Israel, la France ou les
Etats-Unis.
Quoi qu'il en soit, en obtenant du gouvemement mondial de
fait qu'il mette le terrorisme hors la loi, le grand Bill a
prouvé une fois de plus que ce gouvemement existait, qu'il
en était le président, quelquefois discuté, mais le président
tout de meme, et qu'il l'obligeait à défendre des intérets qui
étaient au premier chef des intérets américains.
Cette nouvelle avance vers la mondialisation de la politique
américaine, symbolisée par le "talon de fer" dont parlait Jack
London, parait de mauvais augure.
Certains spécialistes prétendaient récemment que l'Europe
n 'intéressait plus les Américains. Ils se concentraient sur leur
cote ouest, le Pacifique, l'Ex.treme-Orient.
---- L'ETR A N G E R V U D E F R A N C E ----

C'est possible.
Ce n' est pas une raison pour qu' ils se désintéressent de l 'Est.
Ils ne le peuvent pas. Ne serait-ce qu'à cause d'lsrael, du
pétrole et du marché russo-européen.
A-t-on jamais vu un candidat américain à la présidence
mésestimer le lobby israélien ?
A-t-on jamais vu un financier américain ne pas tenir compte
du pétrole ?
A-t-on jamais vu un riche, si riche qu'il fGt, refuser de nou­
velles richesses ? Un profiteur ne plus profiter ? Un mar­
chand bouder le commerce ?
Nous avons, me semble-t-il, beaucoup à craindre des Etats­
Unis d' Amérique et dans beaucoup de domaines : écono­
mique, politique, technique, commerciai, sans parler de la vie
quotidienne et de l'indépendance de la patrie, « le bien le
plus précieux », disait Maurras. Normalement l'Europe
devrait constituer une force de résistance à l a pénétration
américaine. A considérer ce qui se passe à Bruxelles,
l 'Europe actuelle serait plut6t une faiblese et une aide à l ' in­
vasion.
Au lieu de se grouper autour du grand Bill, il serait plus utile
de se grouper contre lui. Ce ne serait pas un mauvais ciment.
Il pourrait aider à la coalition des nations d'Europe
conscientes du péril.
Est-ce possible ?
Je laisse à mes amis, Ies vrais politiques, mieux informés que
moi, le soin de répondre.
(21 mars 1996)
la mi-décembre, M. Chirac
Quatre funeste&
invita à l'Elysée cinq jouma­
tendances
listes de modeste format. IJ leur
expliqua que les Français étaient des
gens impossibles, conservateurs de
surcroit, ce qui rendait les réformes
difficiles. Selon les sondages, une majorité de Français fut
satisfaite de ces màles propos.
Quinze jours plus tard, M. Chirac s'invita dans vingt millions de
foyers. Il leur expliqua que les Français étaient des types épa­
tants, ingénieux, entreprenants, enthousiastes. Il suffisait de
leur souhaiter : bonne année, bonne santé, et le paradis à la fin
de vos jours, pour qu' ils entreprennent de grandes choses.
Curieusement les Français apprécièrent moins ces compliments.
Se laisseraient-ils moins bourrer le mou que par le passé ? Je
n'ose l'espérerer . . . Mais les vreux échangés manquaient de
confiance et d'élan. Visiblement un grand nombre de
Français paraissaient douter que 1997 fiìt en mesure de modi­
fier les funestes tendances de 1996. A savoir : la surpuissance
américaine, l' absence européenne, l' impuissance française,
la naissance de l' antiracisme.
1 - La réélection de M. Clinton marque l' apogée des Etats­
Unis, première puissance économique, financière, militaire,
politique et "culturelle" du monde. Cette volonté d'hégémo­
nie planétaire est partagée par son riva! républicain. Celui-ci
trouve meme que Clinton n'y va pas assez fort avec les
"natives" récalcitrants d'lrak, de Palestine, de Serbie, de
France. En ce qui nous concerne, le veto mis par Washington
à la nouvelle candidature de Boutros-Ghali, l' élection de
Kofi Annan, les manreuvres américaines à Bruxelles, le tor­
pillage des initiatives de Paris au Rwanda et dans l'ex­
Yougoslavie, sont les signes les plus récents de l'hostilité
américaine à une indépendance réelle de la France. L'ONU
est devenue ostensiblement la Chambre Haute du gouveme-
---- L' ETRA N G E R V U D E F R A N C E

ment planétaire américain. L'ennemi n ° I de celui-ci est le


nationalisme. Il pourrait cristalliser la résistance des indi­
gènes à la colonisation en cours. Les dirigeants américains et
leurs alliés sont donc décidés à l'éradiquer partout et d'abord
en France. Il y a ses lettres de noblesse. Il y trouve de puis­
sants échos dans le peuple. La France est devenue l'alliée
cabocharde. Ses velléités de résistance pourraient servir
d'exemple aux autres. Il faut la mettre au pas et la mater.
2 - Cette surpuissance agressive des Etats-Unis est facilitée
par l'absence européenne. L'Europe, c 'est la nouvelle
Arlésienne. On en parie toujours. On ne la rencontre jamais.
Elle n'existe que sur le papier ; dans les plans des financiers
qui mènent le monde et pour lesquels le seul avenir qui
compte est celui des marchés ; dans les calculs des politiciens
embourbés et qui espèrent que l'addition des problèmes per­
mettra de les résoudre ; et dans )es chimères contradictoires
des astro-idéologues.
On ne se soude que contre, c'est bien connu. L'Europe
n 'avait pas réussi à se souder quand la Russie soviétique et
son glacis, avancés jusqu'à Berlin, la menaçaient de la
Baltique à la mer Méditerranée. Elle ne se soudera pas
davantage aujourd'hui qu'elle se refu se à reconnaitre la
menace américaine et les périls de l'immigration-invasion
turque, arabe et noire.
Non seulement l'Europe ne s'oppose pas à la colonisation,
mais elle la facilite. La Grande-Bretagne est la tete de pont
historique du pan-américanisme en Occident. D 'autres pays
y sont acquis : des petits comme la Belgique ; des anciens
grands devenus moyens comme l'Espagne ; des géants éco­
nomiques qui sont des nains politiques, comme l' Allemagne.
A chaque événement, meme les europhiles doivent recon­
na1tre que les intérets des nations européennes ne convergent
pas et qu'il n'y a ni solidarité ni politique européennes.
_________ a'iQ!)')('Jomf-
~ �aò.Jtzr/. ________
...
Des Français de bonne foi sont persuadés que la France trou­
verait dans l'Europe sans frontières une force supplémentaire
et un remède à leurs maux. Ils se trompent. Ceux-ci seraient
aggravés et la force est illusoire quand on ne la commande
pas. L'abandon d'une partie de notre souveraineté à une
nébuleuse cosmopolite ne nous profiterait en rien. Pour en
etre convaincu, il suffit de considérer l'état (et les Etats) de
l 'Europe d'aujourd'hui. Si la France est le seul pays euro­
péen (avec l ' Autriche peut-etre) à posséder un mouvement
national fort, vigilant, talentueux, ce n 'est pas un hasard.
Croyez-vous que le Front se renforcerait en se dissolvant
dans des pays où la pression du cosmopolitisme est encore
plus grande que chez nous ?
3 - L'idéal serait une France forte dans une Europe solidaire.
Nous en sommes loin. L'Europe est éparse et la France
impuissante, à l'extérieur comme à l'intérieur. M. Chirac a pris
le pouvoir à la hussarde avec une majorité colossale mais des
pieds d'argile, sans plans arretés, immédiatement applicables,
comme s'il n'avait pas cru à son élection. Depuis bientot deux
ans, il patauge. Il patouille, il fait des lois qu'il n'applique pas
et des expériences, généralement malencontreuses, qu'il ne
conduit pas à leur terme. Il dit qu'il y a urgence, mais il tem­
porise et renonce. Il n' a pas apporté un début de commence­
ment de solution au chomage, pas plus qu'à l'insécurité, à
l'imrnigration, à l'enseignement, à la Corse, etc. Le pays est un
immense chantier judiciaire, une gigantesque entreprise de
démolition et de décomposition; Voilà maintenant que le géné­
ral Hiver se met contre lui. C'est l'impuissance française dans
tous les domaines, y compris l 'étranger où M. de Brouette n'a
plus qu'une roue à son carrosse.
Cette impuissance française vient de l 'abandon par la gauche
intemationaliste, comme par le centre et la droite mondia­
Iistes, de la patrie, terre des pères, et de tout ce qui la com­
pose : la terre, l ' histoire, la langue, le sang, la race, la reli-
---- L'ETRAN G E R VU D E F R A N C E ----

gion, les mreurs, les tombes et les berceaux.


Pourquoi lutterait-on pour un pays que personne ne vous
apprend plus à aimer, à respecter, à honorer, ne serait-ce
qu'en lui rendant un peu de ce qu'il vous a donné ? Pour un
enfant, rien ne remplace sa mère. Pour un peuple, rien ne
devrait remplacer sa patrie, surtout lorsque cette patrie s' ap­
pelle la France, cette nation aussi diverse que son sol et que
son ciel, où !'on ne se sent ni à l'étroit, ni trop au large tant
elle est à l'échelle humaine . . . Elle fut le pays courtois où le
courage avait de la grace et du panache, la terre de la tradi­
tion et de l'imagination, du travail, du sacrifice et de la fete.
Elle est à la base de toute bonne politique, la politique des
hommes et des femmes de France, conscients du privilège
d'etre français et qui sont résolus à le rester. C'est avec un
peuple ainsi formé que l'on peut entreprendre une politique
de mesure et de sagesse, mais aussi de présence et d'exigence,
à base d'alliances et d'échanges. Hors de ces humbles vérités
nationalistes, il n'y a qu'impuissance et l'on ne peut rien
construire sur l'impuissance.
4 - Il faut donc toujours et encore revenir à la nation : la terre
ne ment pas, ce qui est la hantise du mondialisme. Devant la
progression du Front national, il a inventé l' antiracisme.
C' est un leurre, e' est une glu. Elle pennet de coaguler tous
les tenants de l 'impuissance française que leurs intérets poli­
ticiens semblaient séparer. C'est la franc-maçonnerie qui se
charge de tendre des passerelles entre les partis et les organi­
sations hier encore divisés. Les lobbies d'influence, les syn­
dicats de pression, le parti médiatique, les Eglises, l ' aident. Il
est certain que s'il devient délictueux de parler de la race, de
l'héritage, de la préférence nationale, des droits différents qui
doivent etre ceux des Français chez eux et des étrangers chez
nous, il devient difficile d'exalter la nation. Bient6t il sera
suspect de se dire français et interdit de s'affinner national.
Nous avons assisté à la naissance de cet antiracisme de paco-
--------- <r •
,\UJY)('JIJW!,
f>JO. � --------

...
tille mais de combat. Il a été très actif en 1996. Il le sera
davantage en 1 997. Ce qui permettra peut-etre aux Français
de le découvrir dans sa réalité et de s'unir à nous pour le
combattre. C' est en tout cas le souhait que je fais dans ces
premiers jours de l' an neuf.
(9 janvier 1997)

race au président de la
Chiraquie bananière, une
Notes lncorrectes
sur l'Euro
France sous-anesthésiée vient
d'abandonner, dans une résignation
melée d'indifférence, le frane, valeur
chargée d'histoire et de sens, demeurée
symbolique malgré les nombreuses manipulations dont il fut
la victime, pour l'euro, valeur chargée de nuées et de prémé­
ditations.
Allons enfants de l' apathie ! Devant cette inertie calculée, on
ne pouvait pas ne pas se souvenir du message solenne! que
M. Chirac nous avait lancé jadis :
Tout permet de penser que, derrière le masque des mots et le jargon
des technocrates, on prépare l'inféodation de la France, on consent
à l' idée de son abaissement. En ce qui nous concerne, nous devons
dire non [. . . ] Comme toujours quand il s'agit de l'abaissement de la
France, le parti de l'étranger est à l'reuvre avec sa voix paisible et
rassurante. Français ne l'écoutez pas ! C'est l'engourdissement qui
précède la paix de la mort (6 décembre 1978).
Le parti de l'étranger ! En ce temps-là, Chirac était xénophobe.
Seuls les imbéciles ne changent pas. Depuis, le grand vent de
l'euro a balayé les billevesées. Les idées mortes se ramassent
à l' appel de Cochin. Il ne reste que deux avertissements.
Amorphe égale à mort. Monnaie unique, monnaie inique. Jeux
de mots, jeux de signaux.

---- L'ETRAN G E R V U D E F R A N C E

Panni les raisons qui pourraient justifier l'euro, une seule


tient la route. Seul l'euro poun-a permettre aux nations euro­
péennes de résister au dollar et à l'hégémonie économique et
financière des Etats-Unis, disent les technocrates susnommés.
Soit. . . Admettons . . .
Malheureusement ces technocrates sont très souvent les commis­
voyageurs de l'hégémonie américaine à laquelle les nations
européennes n'ont pas plus envie de résister que de résister
au dollar.
La majorité d'entre elles ne peut et ne veut rien refuser à
Washington. L'euro ne sera pas un contre-dollar. Il sera au
contraire une mannaie au service du big lobby mondialiste.
Echappant à la souveraineté des vieilles nations, l'euro pourra
meme etre utilisé contre elles, pour infléchir leurs politiques
si celles-ci venaient à etre incorrectes .

Les Français sont les seuls à ignorer que la France est en


guerre avec les Etats-Unis d' Amérique. Cette guen-e date du
retour du général de Gaulle aux Affaires, de sa politique sud­
américaine avec « la mano dans la mano », de sa politique
canadienne avec « Vive le Québec libre ! » et de sa politique
monétaire avec sa volonté d'échanger contre l 'or de Fort
Knox les tonnes de dollars-papier que possédait la Banque de
France.
Ce n'est pas une guerre d'ambassade. C'est une vraie guerre,
avec manceuvres d'intimidation et d'intoxication, pressions
diverses, entreprises de di visi on et de retournement des
alliés, espionnage permanent tous azimuts, fronts secon­
daires, fronts principaux, combats de harcèlement, batailles
frontales, etc. Ni I' Allemagne, ni la Grande-Bretagne, ni les
autres ne souhaitent s'y meler. L'accord sur l'euro ne signifie
pas l'accord sur une politique étrangère commune de
l'Europe. On l ' a vu en lrak. L'euro ne diminuera pas notre
solitude, mais il nous affaiblira un peu plus.

En 1930, le baron Louis, grand argentier de Louis-Philippe,
disait à Guizot, alors ministre de l'Intérieur.
- Faites-nous de la bonne politique, je vous ferai de bonnes
finances.
Sous la double influence des économistes capitalistes et des
matérialistes révolutionnaires, les esprits évoluèrent. Du
politique d'abord, on passa à économique d'abord. Pour
construire l'Europe politique, on fit le Marché commun.
Aujourd'hui nous sommes aITivés à finances d'abord. Onze
pays politiquement divisés espèrent qu'en se soumettant aux
règles d'une banque sans frontières ils formeront les Etats­
Unis d'Europe à l'image de leur modèle, les Etats-Unis
d' Amérique, et se doteront d'une monnaie unique, l'euro,
égale au dollar.

Historiquement, la similitude n' est pas aveuglante. Trois
gueITes ont fonné les Etats-Unis. La guerre d'lndépendance
contre la couronne britannique qui permit à treize colonies du
Nouveau-Monde de fonder leur République avec le soutien
de la monarchie française (1783). La guerre de Sécession
contre onze Etats du Sud partisans de la Confédération, qui
permit à une vingtaine d'Etats du Nord d'imposer la
Fédération (1 865). La guerre contre les lndiens, qui permit
de conquérir des terres et de forger une légende. Le tout en
moins d'un siècle.
L'Europe actuelle pourrait se former contre l' Amérique. On a
vu qu'il n'en était pas question, pour plusieurs raisons dont
celle-ci : en un millénaire et demi, l'Europe n'a pas réussi à se
former contre.
---- L' E T R A N G E R V U D E F R A N C E ----

Elle aurait pu se construire contre l'Islam quand il arriva aux


portes de Poitiers, puis sous les murs de Vienne. Contre la
perfide Albion, qui fut, au long des siècles, l'ennemie de
toutes les nations du continent européen. Contre la France et
les guerres de la Révolution et de !'Empire, qui promenèrent
leurs canons, le feu et la mort, de Rome et Madrid à Moscou.
Contre l'impérialisme prussien et la croyance aveugle de
l' Allemagne en sa supériorité. Contre la dictature commu­
niste des Soviets, le plus sauvage despotisme que l'histoire
des hommes ait connu. Il n'en a rien été. Les dangers dispa­
rus, chacun se recroquevillait dans sa coquille. Les projets
européens ne dépassèrent jamais le stade des souvenirs mili­
taires ou des utopies d'intellectuels qui boutonnaient les
paletots dans le dos pour manifester leur solidarité.
Il y eut bien J'Europe romaine. Avec la chute de ! 'Empire,
elle se disloqua. Alors qu'elle n'était encore qu'une espérance,
elle ne fut plus qu'un regret.
Il y eut bien l 'Europe des cathédrales. Les interminables et
cruelles guerres de religion en brisèrent bient6t le ciment,
avant que la Révolution des Droits de l'homme ne transforme
!es églises en écuries.
Dès avant la mort de Jésus, l'Europe, dans tous !es domaines,
ceux de la guerre et de la paix, ceux de la pensée et de l ' ac­
tion, des arts, de la science, des techniques, a apporté aux
hommes une des plus éclatantes civilisations que le monde
ait connues. Mais elle n'ajamais fait son unité politique. Elle
doit tout aux nations qui la composent, dans la diversité des
langues, des croyances, des dons, des monnaies.
Les Etats-Unis d' Amérique n'avaient pas de passé quand ils
naquirent. Leurs habitants ne parlaient qu'une seule langue. lls
ne connaissaient qu'un Dieu et ne pratiquaient qu'une religion,
la religion réforrnée puritaine, représentée aujourd'hui par
l'recuméniste président Clinton. Ils eurent tout de suite la
meme monnaie, le dollar, déformation du thaler allemand.
Basé sur l'or, puis sur l'or et l'argent, il fut convertible jus­
qu'en 197 1 . Meme quand il ne le fut plus, il demeura la mon­
naie de référence du monde entier qu'il était devenu après la
Première, et surtout la Seconde Guerre mondiale (accords de
Bretton Woods). Il l'est toujours, parce que les Etats-Unis
d' Amérique sont la première puissance économique et mili­
taire de la planète. Je n'ai pas le sentiment que l'Europe, capi­
tale Bruxelles, souffre beaucoup de cette sujétion .

L'euro aura au moins eu le mérite d' avoir clarifié la situati on.


Les demières élections régionales avaient montré la conni­
vence de Chirac et de ses appareils UDF-RPR avec la mino­
rité de gauche et d'extreme gauche. 11s avaient préféré Ieur
livrer les régions plutot que d' accepter les voix du Front
national.
L'adoption de l'euro prouve que Chirac et ses appareils n'en
ont plus seulement au Front national, mais à tout ce qui est
national. L'adoption de l'euro - c'est-à-dire l'abandon de
---- L' ETRA N G E R VU D E F R A N C E

l'Europe des Nations et l a préférence accordée à l'Europe


fédérale - c'est le ralliement de Chirac à la politique socia­
liste et à la politique mondialiste.
Majoritaires à l' Assemblée, mais minoritaires dans le pays,
les socialistes redoutaient le référendum. Les mondialistes
n'en voulaient pas non plus. Nous n'en aurons donc pas.
M. Chirac en a décidé ainsi. Tout ce qui est national l'irrite.
C' est normai. Comme il est normai de trouver, arc-boutée
pour la défense de la nation et résolue à se b attre contre
l'Europe supranationale, une seule formation politique
constituée : celle du Front national.
Positivons : merci l'euro !
(30 avril 1998)

e trépas tragique de Lady Di n'a pas


la mort
de lady Di :
eu que de tristes cotés. Il a offert
Dallas
aussi d'heureuses retombées. Ainsi
à Buckingham ceux qui en doutaient encore ont pu
découvrir l' extraordinaire puissance
du pouvoir médiatique international.
C'est lui qui fut à l'origine de toute l'affaire. Pour des raisons
commerciales et financières, puis politiques, il s 'était inté­
ressé, très tot, à la future reine. Sous la sauvageonne éblouie,
il avait flairé la rebelle. Il la suivit, pas à pas, et transforma la
jeune femme déçue en commère acide de Windsor et la
princesse Bovary en star de la charité.
Pour matérialiser cette métamorphose, il se servit des papa­
razzi. Aujourd'hui, tout le monde les accable. Les tenants de
l'ordre immoral, ceux qui ont fait fortune dans le commerce
du pomo, les condamnent, sans circonstances atténuantes, le
pouce baissé. Les paparazzi, ces chasseurs ou voleurs
d' images, comme on voudra, ne sont pourtant que les valets

220)
du pouvoir médiatique international. Ils marchent au fric et
au sifflet. C'est sur commande qu'ils ont montré la future
reine glamour, habillée à mi-cuisse, )es reins creusés, avec
son petit scurire, l'reil émerveillé et coquin dans un visage de
profil, balançant son sac au rythme d'un pas ailé, et quittant
ses adorables bambins pour filer, soit chez son amant du
moment, soit dans les bureaux de bienfaisance où l'atten­
daient toute la misère de la terre et les paparazzi.
Chez une future souveraine d' Angleterre, généralement austère
et fagotée, révérence à la rei ne Victoria oblige, ce mélange n'est
pas fréquent. Toutes classes et castes confondues, la Société,
plus voyeuse encore que curieuse, se régalait. Vos turpitudes
vous genent moins aux entoumures quand on !es retrouve chez
)es princes.
La princesse ne lésinait pas plus sur les sentiments - les bons
et les moins bons - que sur les confidences. Si elle dépensait
des fortunes chez les grands couturiers, c'était pour pouvoir
revendre ses robes au profit des grands blessés du sida et des
champs de mines. Cette générosité bouleversait !es ames sen­
sibles. Elle justifiait les frasques. Quanc.l on a un creur innom­
brable, il ne s'arrete pas à la Croix-R01.!ge. Il vous pousse aussi
aux galipettes. C'est humain. La pauvre Lady Di était plus à
plaindre qu'à blamer. Elle se sacrifiait pour révéler l'état réel
des mreurs. Si la famille royale était éclatée, comment vou­
driez-vous que les familles roturières ne le fussent pas ?
Cosmopolite par essence, hostile par naissance au nationalisme
et à la tradition, le pouvoir médiatique intemational vit tout
le parti qu'on pourrait tirer d'une pareille situation dans la
lutte contre les conservateurs et la monarchie. Les liaisons
amoureuses de Lady Di et de _son royal époux, largement éta­
lées sur la piace, racontées par leurs auteurs encore chauds de
l ' action et dont certains monnayaient leurs secrets :
« Demandez, tous les détails ! », ne pouvaient que déconsi­
dérer la plus vieille royauté du monde toujours en exercice.
-
---- L' ETRAN G E R VU D E FRANCE ----

Le délitement de son union poussait Lady Di, si bonne, si


généreuse, à régler ses comptes avec sa belle-famil le. On
glissait dans les querelles de ménage, les cancans scabreux,
des histoires sur la petitesse des grands et l 'égoi"sme des nan­
tis, avec, bien entendu, en toile de fond, les dépenses insen­
sées des privilégiés, les munificences, le train de vie royal,
tandis qu'une partie du pays s'enfonçait dans la misère. La
princesse réussissait à faire oublier sa fortune personnelle et
les sordides tractations de son divorce, en jouant, sur la scène
publique, Dallas à Buckingham.
Ce naufrage collectif, où !es responsabilités étaient parta­
gées, aurait dfi nuire autant à Diana qu'à Charles et à la cour.
Il n'en fut rien. L' Angleterre est le berceau du féminisme et
de Robin des Bois. Lady Di devint la Femme victime des
injustices, dressée contre l'appareil.
Le pouvoir médiatique international, qui connalt l'art de
fabriquer les sentiments et les courants d' opinion par le poids
des mots et le choc des photos, déploya son savoir-faire et sa
magie. Il fit de la princesse de Galles - pays attachant mais
peu argenté où elle ne mettait jamais les pieds - "la princesse
des pauvres", sur Iaquelle l 'aristocratie s'acharnait.
Son aventure avec Dodi el-Fayed fut appelée "conte de fée".
Ils ne roulaient pourtant pas en citrouille, mais en Mercédès
haut de gamme. Dodi n'était pas un laboureur, un humble fellah
de la vallée du Nil, mais un play-boy de réputation mondiale
qui faisait de la réclame pour les affaires de son papa
Mohamed : Jes grands magasins Harrods de Londres et l 'ho­
tel Ritz à Paris. Il y a bien de la pub dans toute love story.
Les demiers jours furent hallucinants. Diana, l'appeau publi­
citaire des el-Fayed et la vedette du pouvoir médiatique inter­
national, traversait l'Europe des milliardaires comme une
comète. Sa traine scintillait de flashs, de zooms, d' objectifs­
télescopes, de bazookas à images, de caméras-lasers. Traqué,
le couple fuyait, sans se défaire jamais de la meute. Il sautait
dans des limos grands-ducs, des jets à la James Bond, des
yachts paquebots. Les téléphones tissaient les mailles du
filet. Les intemets crépitaient dans le ciel. Le couple en fuite
était annoncé avant d'étre parti. L'armée des mai'tres d'hotel
obséquieux et des chasseurs, pliés en huit, mais au regard en
dessous, balançait l 'itinéraire, le départ, l'arrivée. Diana et
Dodi ne manquaient ni de résidences, ni de chateaux où ils
auraient pu cacher leur bonheur, comme on dit dans les
romans photos. Mais ils étaient de ces gens qui n'existent
qu'en se montrant. C'était dans leur contrat. La solitude les
détruisait. Alors le temps d'un repos furtif, la fuite reprenait,
haletante, moitié guerre, moitié jeu, obligeant à étre toujours
en mouvement pour ne pas reconnai'tre ce que tout le monde
connaissait.
Le manège s'emballait. Il devenait fou. Toujours plus vite,
les voltes, les pièges, les feintes, les leurres s'enchafoaient en
accéléré. Jusqu' à ce dimanche soir, 31 du mois d'aout, où ça
s'est arrété brusquement, à 180 kilomètres à l' heure, dans le
mur et le sang. Bilan des courses : trois morts, un blessé
grave. Devenue princesse du royaume des ombres, Lady Di
laissait deux orphelins.
On croyait avoir tout vu. ça ne faisait que commencer. Pour
que sa victoire sur la vieille monarchie britannique fiìt totale,
le pouvoir médiatique intemational monta encore en puis­
sance. Dans le monde entier, les joumaux, les radios, les télé­
visions, chauffés à blanc, enflammèrent l'imagination et les
cceurs. Il fallait que lajoyeuse divorcée de Windsor obtint des
obsèques nationales à Westminster. Elle les a eues. Contre la
règle, il fallait que la Reine parlat. Elle a parlé, et effacé ce
qui, au regard des engagements pris, était une inconduite. Le
Premier ministre ne voulait pas intervenir. Il intervint. Le
drapeau n'était pas en berne. Il y fut mis. Quoiqu'il ait pu
leur en couter de se donner ainsi en spectacle, les deux orphe-
-
---- L' ETRANGER V U D E F R A N CE

lins et leur père durent venir saluer la foule et les déesses


caméras.
Je pensais surtout aux enfants. Souffraient-ils à l'idée que
leur maman était morte parce qu' elle était partie courir le
guilledou avec un Don Juan de bazar, ou étaient-ils déjà blin­
dés par des an..11ées de rumeurs ?
Maintenant, pour que le triomphe du pouvoir médiatique inter­
national soit définitif, il ne lui reste plus qu'une bataille à rem­
porter : celle de l' abdication. Elle est déjà commencée.
Lady Di étant devenu sainte et martyre, son ex-époux­
bourreau ne peut plus devenir roi. Ce serait un affront, un
désaveu de toute la ferveur populaire qu'on nous a si bien
montrée. Il doit abdiquer en faveur de son fils runé, William.
Le sacre de celui-ci serait l'événement majeur du règne de la
télévisio�. Dans 1.'ombre de son garçon, « la princesse des
pauvres » entrerait à Buckingham. Ce ne serait que justice.
Rien de tout cela n'est exclu.
(11 septembre 1997)

onica. . . C' était un mot de


passe, le titre d'une chanson
Monica, sa chère d'amour et de guerre . . . une
compagne chanson d' autrefois :
Au revoir, petite Monica,
Nous partons pour le combat,
Au revoir, petite Monica,
Que tes yeux ne pleurent pas
Je ne I' ai jamais rencontrée, Monica, mais je la voyais en
songe. Elle était bionde avec des nattes tressées et des yeux
clairs. Elle portait un chemisier blanc, à col officier, et une
jupe bleu ciel, à bretelles. Elle était assise devant son chalet,
JU!-
- 00fr/a� ---------
_________ o1QJ>'l
...
sur un banc de maison, et regardait s'éloigner un groupe de
soldats qui chantaient. Avant de disparaitre, l'un d'entre eux
se retournait. Il faisait un grand geste du bras. Au revoir,
petite Monica, ma chère compagne, nous reviendrons, au pas
allègre de la paix . . .
Le monde a changé, les mceurs aussi, ]es sentiments . . .
Aujourd'hui, Monica, c'est un nom d'hotel de passe. Je la
vois dans les couloirs de la Maison Bianche, l'air décidé sous
son casque de cheveux noirs, tout scurire, éclairs d'yeux fri­
pons, roulades de gorge, faisant tournoyer son sac à lanière,
en route vers le Bureau Ovale. On devrait dire Avale . . .
Vous trouvez peut-etre que j'ai l'allusion graveleuse. C'est le
sujet, et l'air du temps. Et puis je m'y sens autorisé. Le
Figaro, !'arbitre des bonnes manières, donne l'exemple. Et
en première page, s'il vous plait. Jeudi, Jacques Faizant, si
réservé, si pudique, qui pour ses lecteurs ne s'autorisait à
monter que sur son vélo, plaçait toute l'affaire sous le patro­
nage de Saint-Claude. François Mauriac a diì se retourner
dans sa tombe.
Vendredi, toujours dans l'austère Figaro, Faizant en a remis une
couche. Monica Lewinski était devenue une ingénue. Légende :
Quand elle a entendu le président des Etats-Unis lui dire :
« Regardez le petit oiseau qui va sortir », elle a compris qu'il allait
la photographier, et elle est restée bouche bée !
Ce n'est pas à l'époque de Pierre Brisson que les lecteurs du
Carnet mondain auraient trouvé une plaisanterie de celte farine.
Ce n'est pas qu'elle me déplaise. Faizant a raison de se
moquer. Les dimensions prises par ce scandale me paraissent
disproportionnées au regard de sa cause. Je trouve dérisoìre
l'émotion provoquée par un événement aussi mineur. Il faut
bien que les bureaux officiels servent à quelque chose.
Depuis que le monde est monde, un nombre colossal d'em­
pereurs, de rois, de monarques de tout gcnre, de chefs de tout
---- L' ETRAN G E R V U D E F R A N C E

poil, de présidents, catholiques, protestants, mahométans,


animistes, bouddhistes, francs-maçons, a culbuté les ber­
gères, puis les secrétaires, quand les bergères cessèrent de
promener leurs blancs moutons pour taper à la machine. Un
nombre aussi impressionnant d'entre eux s'est arraché, un
instant, au service du peuple, pour consentir aux gateries que
venaient leur offrir, à dornicile, des bienfaitrices de l 'huma­
nité, soucieuses du confort de l'homme d'Etat.
Sans remonter plus loin que sous Mitterrand, s'il avait fallu
mettre en branle la Justice à chaque robe tachée, un service
spécial de policiers et de magistrats enqueteurs n' y eut pas
suffi. Heureusement, de Gaulle était un sage. Il prévoyait les
débordements. Aux termes de sa Constitution, le président de
la République est pratiquement intouchable. Je veux dire
par la loi. C'est d'autant plus généreux de sa part que lui n'y
touchait guère. Ni Londres, ni Alger, ni Paris ne l'ont repré­
senté camme la terreur des secrétariats. Tante Yvonne ne pra­
tiquait pas l'échangisme.
Tout ce remue-ménage n' est pas bien grave. Ce qui est grave,
c'est le monde américain qu'il fait apparai'tre et les consé­
quences politiques directes ou indirectes qu'il provoque.
J' ignare si l' ancien joueur de saxophone de l 'Arkansas a
jamais entendu parler d' Arthur Meyer, le directeur du
Gaulois. En tout cas il se comporle camme lui. Meyer avait
enfreint les règles d'un jeu de société. Lors d'un duel avec
Drumont, il saisit d'une main l'épée de son adversaire, pour
lui planter la sienne au travers de la cuisse. Horrifié par ce
manque de délicatesse, il s'effondra ensuite en balbutiant :
- Il faudrait une grande guerre pour faire oublier tout ça !
Pour faire oublier qu'il baissait volontiers son pantalon devant
)es personnes du beau sexe, que Mlle Lewinski l' avait embou­
ché pendant les heures de travail, et qu'il avait nié sous ser-
ment la réalité de faits qui finiraient par etre prouvés, le prési­
dent des Etats-Unis envisagea froidement de provoquer une
seconde guerre contre l'Irak - pays mille fois plus faible que
le sien et affaibli par le bloèus. Ses troupes d'élite se massèrent
au Koweit. La marine et I' aviation furent mises en alerte
rouge. Le compte à rebours commençait. L'ONU était sommée
de couvrir l'opération. A la stupéfaction du monde entier, le
secrétaire général refusa. L'histoire de la petite Monica devait
lui donner des audaces nouvelles. Il voulait conduire une der­
nière négociation. La paix fut sauvée. Mais l'homme le plus
puissant de la terre avait perdu la face.
Ce scénario-catastrophe pour des amuse-bouche ne faisait
pas très sérieux. Ce qui l'était encore plus, c'est de renoncer
à une guerre déclarée juste, nécessaire et indispensable.
Israel, la communauté juive des Etats-Unis, sa puissance
électorale et son lobby considérèrent cette volte comme une
reculade.
C'était la seconde. Une première fois, le président Bush
s' était dérobé. Il n' avait pas voulu écraser Saddam Hussein
dans les ruines de Bagdad. Bush l'avait payé cash. Sa réélec­
tion s'annonçait t1iomphale. Elle se solda par une défaite.
Le président Clinton paierait aussi. Il paye déjà. Soutenu par
!es Juifs américains, Jérusalem nargue Washington. Il consi­
dère !es accords signés sur !es territoires occupés et le pro­
cessus de paix comme des chiffons de papier. Il viole les
résolutions de l'ONU. Il tient le peuple palestinien sous la
botte militaire et le talon de fer de l'économie. La situation
a échappé au président des surpuissants Etats-Unis
d' Amérique.
Bill Clinton est comme tenu en laisse. Tout est exploité
contre lui. Méme les attentats contre les ambassades de
Nairobi et de Daar el-Salaam de la semaine dernìère. A mots
couverts, on laisse entendre qu' ils seraient la preuve de la fai-
---- L'ETRA N G E R VU D E F R A N C E ----

blesse du Président. Il n' a pas de politique. Il n 'est plus res­


pecté. Il n' est plus craint.
Un "spécialiste", très proche des milieux sionistes britan­
niques, tient d'autres propos - plus effarants.
- Juste en plein rebondissement du feuilleton lubrique, alors
que des copies de l'interrogatoire de Mlle Lewinski courent
sous le manteau, ces attentats font un bruit bizarre. Les causes
peuvent en etre multiples et croisées. Nous sommes dans le
domaine de la manipulation. Mais à qui profite le crime ? Aux
islamistes égyptiens ? C'est bien vrai ce mensonge-là ? Qui
aurait intéret à faire diversion ? A souder le peuple américain
autour de son président défaillant ? Ou à le faire croire ? Car
le billard est à quatre bandes . . .
Etrange pays. Les Etats-Unis d' Amérique veulent se donner
en modèle au monde. Il suffit pourtant d'une misérable affaire
de mreurs pour découvrir que leur Président exemplaire est
un maniaque sexuel, un obsédé de la turlute, rusé, roublard,
mais aussi benet et naif, comme peuvent I' etre les gamins
vicieux ; un excellent comédien mais qui devrait laisser à
d'autres le choix de ses roles et l'écriture de ses textes ; un
persévérant avec du charme, de la séduction, de l'intuition,
peu de scrupules, la volonté d'arriver et de se maintenir par
tous !es moyens ; un débrouillard, compromis dans vingt
affaires louches, dont il arri ve toujours à se tirer de justesse ;
un menteur, un truqueur, un tricheur qui vit entouré d'aven­
turiers, d'aigrefins, d'intrigants, d'espions, d'agents secrets,
d'une bonne femme qui enregistre les confidences de sa
meilleure arnie pour les refiler au juge, d'une pute qui
planque sa robe souillée pour s' en servir le cas échéant contre
son amant. . . Quel cloaque social . . . Comme je préfère ma
petite Monica de jadis, assise devant sa maison de bois, qui
regardait s' en aller les soldats.
(13 aoz'ì.t 1998)
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PJ � -------- 'a

- Que pensez-vous de l'ajfaire Pinochet ?


Pinochet - Je pense que le général Augusto
Pinochet a été mal informé, mal
conseillé et imprudent. S'aventurer
dans la barbarie européenne, sans
garanties ni protections, n'est pas digne de l'homme qui sauva
le Chili du chaos, rétablit l' ordre et la prospérité, se maintint
au pouvoir jusqu'en 1990, et à la tete de l'armée jusqu'en
1997. A son age (il est né en 1915), il aurait dfi faire confiance
aux médecins et chirurgiens chiliens et se méfier de la tyrannie
universelle des soi-disants Droits de l'homme.
- Comment expliquer l'attitude de la Grande-Bretagne ?
- L'attitude de la Grande-Bretagne n'est pas encore définiti-
vement arretée. Cependant les décisions de la Justice et des
Law Lords révèlent la montée du mondialisme et la puissance
de 1' idéologie gauchiste dans les organismes qui en préparent
le pouvoir en détruisant celui des nations.
- Pinochet est accusé de crimes contre l 'humanité. Qu 'en
est-il réellement ?
- La notion de crimes contre l'humanité est récente et à géo­
métrie variable. Elle fut inventée essentiellement pour rendre
imprescriptibles les crimes dont la communauté juive avait
été victime pendant la guerre. Mais à Katyn, Dresde,
Hiroshima, Deir Yassin, Sabra et Chatila, Hébron, et dans
tant d'autres lieux où des milliers et des millions d'innocents
furent sacrifiés à une cause, on chercherait en vaio les crimes
contre l'humanité.
Je n' ai lu nulle part que le général Pinochet était antisémite. Ce qui
est certain, c'est qu'il était anti-marxiste. Cela suffit à rendre
imprescriptibles les crimes de guerre civile qui lui sont reprochés.
- Pouvez-vous préciser ?
- L'Etat chilien date de 1817, où O'Higgins, descendant
---- L ' E T RA N G E R VU D E F R A N C E ----

d'Irlandais, réussit à battre les Espagnols, à Chacabuca. Il


entra à Santiago et fut nummé « directeur supreme ». Dès
lors le Chili allait connaitre des affrontements réguliers,
allantjusqu'à l a guerre civile et le coup d'Etat, entre les libé­
raux et les conservateurs. Les premiers voulaient un régime
fédéral, les seconds un Etat centralisé, l' ordre et le progrès.
Au cours des années, on constata un glissement à gauche de
la politique chilienne. Le Front populaire fut au pouvoir de
1938 à 1952. Le Chili fut le premier pays de l' Amérique latine
à posséder des ministres communistes. Moscou en avait fait
un de ses bastions. L'extrème gauche (MIR) y était aussi très
active. Ce qui explique l'émotion et la fièvre actuelles.
L'Union populaire de Salvatore Allende arri ve au pouvoir en
1970. Elle n'est majoritaire au Parlement qu'avec les voix
des démocrates-chrétiens. En 197 1, ceux-ci se retirent de la
coalition. Le rapprochement avec Castro effraye les possé­
dants. On assiste à un effondrement économique et financier
du pays (180 % puis 300 % d'inflation). La récolte de blé
chute de moitié. La balance commerciale est en déficit. Les
ménagères descendent dans la rue, suivies des commerçants
et les camionneurs. Le Chili est paralysé. Un régiment de
blindés se soulève. Allende nomme le général Pinochet chef
d'état-major, puis commandant en chef de l'armée. La majo­
rité parlementaire craint qu' Allende n'impose une dictature
de gauche et d'extrème gauche, comme le demande le MIR.
C' est le contrai re qui se produit.
Pinochet déclenche le coup d'Etat. Il balaye le gouveme­
ment. Dans son palais déserté, Allende se suicide. Le général
Pinochet qui a pris la tète de la junte militaire engage une
batai lle impitoyable contre les éléments armés du camp
marxiste. Les étrangers y sont nombreux : les nouvelles
Brigades intemationales sont dans l ' air. Ce qui explique
aussi la mobilisation actuelle. Il y a des atTestations, des dis­
paritions, des exécutions sommaires, des torturesé
- D 'où crimes contre l'lmmanité ?
- II serait plus exact de dire : crimes révolutionnaires ou
contre-révolutionnaires, comme on voudra. C'est le lot de
toutes les guerres civiles, lesquelles sont !es plus terribles,
surtout pour les vaincus. L'appellation « crimes contre l'lm­
manité » n'a été choisie que pour empecher la prescription.
Mais ce qui s'est passé au Chili s'est passé dans de nombreux
pays de la planète. Rares sont les pays qui n' ont pas imposé
leur système dans la violence et le sang, la répression et la
persécution. A commencer par le n6tre.
- Nous avons commis des crimes contre l'lmmanité ?
- Auriez-vous oublié la Révolution française, glorifiée dans
nos écoles et dont on a feté fastueusement le Bicentenaire ?
Qu'est-ce donc que la Révolution sinon une polìtique concer­
tée et une pratique systématique de la violence, de la police, de
la torture, de l'assassinar, de la terreur pour imposer une idéo­
logie à un peuple ? Faut-il rappeler !es massacres dans les pri­
sons, la politique d'extermination de la Convention en Vendée,
à Lyon, partout . . . La guillotine à roulettes, les tribunaux révo­
lutionnaires, la délation instaurée comme une vertu républicaine.
Ah ! ça ira, ça ira, ça ira ! tous !es aristos à la lanterne, c'est du
génocide citoyen . . .
Or tous !es responsables de cette sauvagerie, les Robespierre,
Saint-Just, Couthon, Danton, Marat, Fouquier-Tinville
n 'étaient que des enfants. La Résistance allait fai re beaucoup
mieux. Ce n'est pas moi, c'est M. Teitgen qui l'a dit, le garde
des Sceaux et ministre de la Justice du général de Gaulle,
puis de Félix Gouin
Vous jugez sans doute que par rapport à Robespierre. Danton et
d'autres, le garde des Sceaux qui est devant vous est un enfant. Eh
bien, messieurs, ce sont eux qui sont des enfants si l'on en juge par
les chiffres (Assemblée nationale, 6 aofit 1 946).
---- L'ETR A N G E R V U D E F R A N C E ----

M. Jospin et Mme Guigou comprennent, justifient, approuvent


les crimes contre l'humanité commis par l a Résistance et la
Révolution. Comment peuvent-ils s'indigner quand des crimes
semblables ont été couve1ts par le général Pinochet, un homme
qui, après avoir stoppé net la révolution marxiste au Chili, a
décrété l' amnistie, permis le retour des exilés et ramené au
pouvoir les démocrates-chrétiens ? Un homme qui, après avoir
été nommé « chef supreme de l 'Etat », à l'imitation de
O'Higgins, s'est contenté, plus démocratiquement, du titre de
président de la République ?
- Les crimes contre l'lmmanité dont vous parlez appa11ie11-
11ent au passé.
- Je vous l'ai dit. La prescription n'existe pas pour !es crimes
contre l'humanité. Les applaudir, c'est en etre les complices.
Et puis il y a le présent. Mme Guigou demande l'extradition
du général Pinochet, comment peut-elle accepter que le « pré­
sident » Kabila et deux douzaines de rois nègres, dont beau­
coup ont du sang jusqu'aux oreilles, puissent venir en toute
impunité parader et palabrer en France, la patrie des Droits de
l'homme ? M. Jospin se félicite que le dictateur Pinochet soit
punì au nom de la Démocratie uni verselle. Mais cela ne l' em­
peche pas d'entretenir !es meilleurs rapports commerciaux,
culturels et autres avec ces dictatures que sont l 'Iran et la
Chine communiste. C'est l'usage de la torture au Chili, il y a
plus de vingt ans, qui décida trois Law Lords sur cinq, lord
Hoffmann, lord Steyn (originaires d' Afrique du Sud) et lord
Nicholls (travailliste) à permettre l'extradition du général
Pinochet. Pourquoi ne demandent-ils pas l 'extradition et la
comparution devant le tribuna! de La Haye de Benyamin
Netanyahou qui, aujourd'hui, autorise officiellernent la pra­
tique de la torture dans les prisons d'Israel ?
- En conclusion ?
- J'espère que la Grande-Bretagne, malgré son gouverne-
--------- a- �a � --------
.\QJY) ('JOfU!,

ment travailliste et ses lords, finira par obéir à la loi de l'hos­


pitalité en refusant la loi de la jungle que veulent imposer )es
tartuffes rouges omniprésents dans tous )es médias.
Ce n'est pas extrader le général Augusto Pinochet qu'il fau­
drait, mais lui édifier une statue. Il a sauvé son pays du pire.
Cela mérite reconnaissance. Je regrette qu'il ne soit pas né à
Moscou, vers 1880. En 1917 il aurait écrasé la révolution
bolchevique. Cela eGt évité au monde quelques malheurs.
(3 décembre 1998)

233
CHRONIQUES

IV • Histoires juives

Après de Gaulle, Pompidou,


Les malédictions Giscard, Mitterrand,
d'lsrael Chirac...

es initiales sont les mèmes : JC. L'idée ne viendrait pour­


tant à personne de dire : Notre-Seigneur Jacques Chirac.
Mème à Jérusalem, la semaine dernière, sur les lieux du
crime des crimes, quand nous l'avons vu monter la rue étroite
de la vieille ville, pressé par les gardes hostiles, ce n'était pas à
Jésus-Christ que Chirac faisait songer mais à ses prédécesseur,
de Gaulle, Pompidou, Giscard et Mitterrand, victimes comme
lui de la vindicte d'Israel.
Le général de Gaulle nourrissait pour l'Etat hébreu une amitié
particulière. On cite souvent son toast : « Israel, notre ami,
notre allié... », prononcé d'une voix vibrante, quoiqu'il n'exis­
tat aucune alliance entre Paris et Tel-Aviv. Au nom de ces
liens mystérieux et privilégiés, en 1967, il avait mis en garde
le ministre des Affaires étrangères d'Israel, Abba Eban : « Ne
faites pas la guerre. En aucim cas ne soyez /es premiers à
ouvrir [es hostilités. »
------- H I STO I R E S J U I V E S ------­

Pour donner plus de poids à son avertissement, il décidait


« / 'arret tota[ et immédiat » des envois d'armes au Moyen­
Orient. C'était le 2 juin. Le 5, l'armée israélienne attaquait
sur tous !es fronts. La guerre des Six jours s'ouvrait par l'écra­
sement, au sol, de l'aviation égyptienne. Elle était finie le 11.
Partout victorieux, !es soldats de la Paix (Shalom ! Shalom !)
occupaient le Sinai', le Golan et la Cisjordanie. L'embargo
- qui ne fu t ni ne devait etre jamais respecté - ne les avait
pas genés. De Gaulle le maintenait néanmoins. Il condamnait
Israel. Il refusait de « tenir pouf acquis les changements \
réulisés sur le terrain par l 'action militaire. » Le
27 novembre, dans une conférence de presse demeurée
célèbre, le général de Gaulle osait parler de
l'implantation de cette communauté sur des terres qui avaient été
acquises dans des conditions plus ou moins justifiables [ . . .] l'Etat
d'lsrael guenier et résolu à s'agrandir [ . . . ] un peuple sfir de lui et
dominatcur [ . . .] organise sur les tenitoires qu'il a pris l'occupation qui
ne peut aller sans oppressions, répressions, expulsions, et il s'y mani­
feste contre lui une résistance qu'à son tour il qualifie de terrorisme.
Aussitot les schofars sonnaient dans tous les coins. Le Grand
Rabbin Kaplan accusait le général de Gaulle
de donner la plus haute des cautions à des campagnes de discrimi­
nation.
Raymon Aron, que l'on tenait pour un esprit supérieur et
modéré, écrivait :
Le général de Gaulle a sciemment, volontairement, ouvert une
nouvelle période de l'histoire juive et peut-etre de l'antisémitisme.
Six mois plus tard, en mai 1968, un chahut d'étudiants,
conduit par des meneurs en majorité juifs, orchestré par !es
radios, toumait au soulèvement et ébranlait le pouvoir gaul­
lien. Encore onze mois et il s'effondrait, au soir du référen­
dum perdu.
Commentaires François Mauriac :
(I).
- • (IJ()!frJUf,
--------- oA.di a � --------­
...
J'ai vu quelques mais avant le référendum des hommes que la poli­
tique du général vis-à-vis de Jérusalem rendait fous. Et ce n'étaient
pas des individus dépourvus de moyens.
Léon Noel, ambassadeur. Il dénonçait les "Israéliens de
France" :
Lors du fatai référendum d'avril 1969, leur opposition a pesé sur le
résultat au point qu'il n'est pas exagéré de !es tenir pour respon­
sables, en grande partie, du résultat.
Edmond Michelet, ancien déporté, ministre de la Justice,
ministre d'Etat :
Ceux qui ont fait basculer effectivement la majorité, ce sont des
centaines de milliers de Ju ifs [ . . . ] Ils ont entre leurs mains une
grande partie des moyens de communication.
L'é)ection de Georges Pompidou fut aussi bien accueillie
dans la Communauté qu'à Tel-Aviv. Le nouveau Président
s'était formé chez les Rothschild. Ses ministres, Michelet,
Frey, Pleven, Schumann, Chalandon, Duvillard, Mondon,
étaient des amis d'Israel, à commencer par le Premier :
Chaban-Delmas. Lorsque les vedettes de Cherbourg quittè­
rent le port, dans la nuit de Noel 1969, malgré !es instructions
du gouvemement français, et gagnèrent la haute mer en
direction d'Haifa, Pompidou s'écrasa. Il n'exprima qu'un
mécontentement mesuré et saluait bientòt l'ambassadeur
Asher Ben Nathan d'un vigoureux "shalom !".
Pompidou ne leva pas l'embargo, mais accepta qu'il ffit toumé :
En tant que président de la commission de la Défense nationale
pendant cinq ans, je puis vous assurer que la somme des pièces
détachées que nous envoyions à Israel lui permettait de reconstituer
intégralement ses Mir�ges.
déclara Sanguinetti au Monde (16 octobre 1973).
Mais avec Israel on n'a rien donné quand on n'a pas tout
donné. Pompidou voulait commercer avec les pays arabes.
------- H I STO IRES J U IV ES -------

La vente de Mirages à la Libye déclencha l'incendie. En


février 1970, invités par Richard Nixon aux Etats-Unis,
M. et Mme Pompidou allaient rencontrer la fureur juive. A
Chicago, l'hotel Palmer House où ils résidaient fut encerclé
par une foule frénétique. Douze mille personnes levaient le
poing et criaient : « Honte à vous, Monsieur Pompidou. »
Des énergumènes à papillotes réussirent à pénétrer dans le
hall. Le Président et sa femme, sortant de l'ascenseur, furent
bousculés et insultés.
- Ces manifestations mettent une tache sur le front de
l'Amérique, dit Pompidou.
Il parla aussi d'Israel comme d'un « Etat racial et religieux ».
Sa mort prématurée empecha la désagrégation d'aller plus
avant et l'animosité se concentra sur son ministre des Affoi
• • res
étrangères : Michel Jobert.
Avec Giscard d'Estaing tout commença très bien et se gata
très vite. Comme pour ses devanciers, notre politique arabe
exaspérait l'Etat juif et la Communauté en France. Ils n'ac­
ceptaient pas que les intérets français pussent etre différents
des intérets israéliens (voire opposés). L'affaire de la centrale
atomique de Bagdad (négociée par Chirac), l a libération
d'Abou Daoud (le terroriste palestinien dont Israel réclamait
l'extradition), l'absence du Président lors de l'attentat contre
la synagogue de la rue Copemic, aggravèrent encore les
conflits. A l'instigation de l'actuel président du CRIF, et avec
la tacite approbation du gouvemement israélien, i l se forma,
dans la Communauté, un mouvement électoral contre
Giscard. La passion poussant, on alla jusqu'à la fabrication
d'un faux. Un montage photographique représenta le
Président regardant Israel à la jumelle, depuis un fortin jor­
danien. Giscard fut battu. Chirac, son ex-Premier ministre,
participa à l'exécution. Il avait beaucoup à se faire pardonner.
François Mitterrand n'échappa pas à la malédiction. Malgré
--------- o�0or�
~ r>Ja� --------

son intéret pour l'histoire juive et l'engagement d'un de ses


fils dans un kibboutz, malgré une politique globalement
favorable à l'Etat et au peuple juifs, malgré Carpentras et sa
présence à la manifestation (c'était la première fois depuis la
Libération qu'un chef de l'Etat participait à de semblables
exhibitions), durant ses deux septennats Mitterrand fut per­
sonnellement pris à partie, conspué et menacé par des
patriotes juifs. On le vit, rue des Rosiers, après l'attentat ; rue
Copemic, lors de la manifestation contre l'arrivée d'Arafat à
Paris, où la foule cria ce que Le Monde retint en titre le lende­
main : Mitterrand tralzison (3 mai 1989) ; devant la plaque
commémorative de la rafie du Vel'd'Hiv' où les injures étaient
si vives que Badinter dut prendre la parole pour calmer l'in­
dignation. Sans parler de nombreux autres incidents aussi
vifs que révélateurs.
Voici le tour de Chirac. Depuis 1980, on sait à qui il a fait
allégeance. Ovadia Soffer (ambassadeur d'lsrael en 1981), le
B'nar B'rith, ce sont les mots de passe d'une réussite. Son atti­
tude à Jérusalem peut etre un piège où ùonneront Jes
Palestiniens, dont il parait désormais le défenseur. Dans le
cas contraire, il connaitra, en pire, ce qu'ont connu ceux dont
il est l'héritier. On s'en consolerait s'il n'essayait pas de se
défendre, de se bianchir et se réhabiliter, en aggravant les lois
dites antiracistes et toutes les démonstrations extérieures
qu'elle appellent.
(I) Citations prises dans l'ouvrage de Samy Cohen : De Gaulle, /es gaullisres ti /srall
(Alain Morcau, 1974, p. 209). Ce n'cst pas un livre hostile awt sionistes.

(31 octobre 1996)


------- H ISTO I R E S J U I V E S -------

National Hebdo - L'Etat d'lsraelfete


Cadeau
le cinquantième anniversaire de sa
d'anniversaire
création. La plupart des pays du
monde participent à l'hommage.
Néanmoins, un peu partout et jusque
dans la communauté juive, on observe
des réserves. Pour la première fois l'adhésion n'est pas una­
nime ni totale. On a meme parlé d'échec. Qu'en pensez-vous ?
François Brigneau - Depuis quelques années, l'Etat d'lsrael
a perdu son aura magique et l'impunité dont il bénéficiait
depuis sa naissance. Le mythe du peuple de soldats-paysans,
travaillant dur le jour dans le désert devenu jardin et veillant
la nuit, fusil au poing, auprès des berceaux, s'est estompé. On
a vu apparaitre l'image du colon agressif et brutal, n'hésitant
pas à triquer l'indigène. Le massacre dans la mosquée, le
meurtre d'Itzak Rabin, avec la complicité d'une fraction des
services secrets, la non-observation des accords d'Oslo, la
reprise des affrontements violents dans les territoires occupés
ont retourné une partie de l'opinion. Elle a découvert la réa­
lité d'une politique qui existait depuis les origines mais qui
avait été plus adroitement menée par des hommes de gauche
(Ben Gourion) ou plus habiles (Begin). Beaucoup de gens
ont pris conscience qu'Israel est un Etat militariste, théocra­
tique, raciste, au sens le plus étroit du mot, pratiquant offi­
ciellement une rigoureuse préférence raciale, et policier. Le
pays que l'on prenait pour la patrie des opprimés s'était trans­
formé en pays d'oppresseurs. D'où un certain flottement dans
le grand public, toujours sentimental.
- Mais peut-on parler d'échec ?
- Oui, mais en nuançant. Le cinquantenaire d'lsrael tombe
en meme temps que le centenaire de son père fondateur :
Theodor Herzl. Judenstaat (l'Etat juif), son livre dont tout est
parti, parut en 1 896. L'aventure sioniste commença en 1 898.
Il y a cent ans, Herzl, très préoccupé par l'affaire Dreyfus,
voulut résoudre le problème juif en créant un Etat juif, pour
les Juifs, où viendraient s'installer tous les Juifs du monde
entier, parce que là, et là seulement, ils seraient en sécurité.
Si l'on considère l'histoire sous cet angle, force est de dire
que l'entreprise de Theodor Herzl s'est soldée par un échec.
PREMIÈREMENT. La création de l'Etat d'Israel n'a pas résolu le
problème juif. Le preuve, c'est que dans toutes les nations
d'Europe et d'Amérique, les communautés juives réclament
un durcissement des lois contre l'antisémitisme, ou ce qui est
considéré comme tel. Par exemple la critique des opinions
véhiculées par les associations juives.
DEUXIÈMEMENT. Tous les Juifs du monde entier -et en parti­
culier les Juifs de France - ne manifestent pas le désir de
s'installer définitivement en terre promise, et désormais acquise.
Ils continuent de psalmodier le vreu d'espérance : « L'an pro­
clzain à Jérusalem » (pourquoi attendre l'an prochain ?). Mais
ils restent chez !es goyim.
TR0ISIÈMEMENT. Enfin, le demier échec, et peut-etre le plus
grave : les Israéliens sont moins en sécurité à Jérusalem ou
Tel-Aviv que les Juifs à Paris, Londres, New York ou
Moscou.
- Alors, échec ?
- Oui et non. Disons : apparence d'échec plus qu'échec réel.
Echec et réussite . . . Le reve de Theodor Herzl et des premiers
pionniers est demeuré une utopie. Il n'est pas impossible non
plus que la politique d'Israel ait temi l'image du judai"sme.
Mais, à coté de ces restrictions, il n'est pas douteux que
l'existence de l'Etat d'Israel a augmenté considérablement la
présence juive, et son importance politique, dans le monde.
- Donc réussite ?
- Incontestablement. On peut la mesurer à ceci. Longtemps
les sionistes et leurs sympathisants ne furent qu'une petite
------ H I STO I R E S J U I V E S -------

minorité dans la diaspora. Ils en constituent ]'immense majo­


rité aujourd'hui. Les critiques ne visent plus la fondation de
l'Etat juif, comme ce fut le cas. Elles s'adressent à l'actuel
gouvemement et elles sont très modérées, pour ne pas appor­
ter de l'eau au moulin de l'adversaire. De leur c6té, quand les
Israéliens reprochent aux Juifs de n'avoir pas suivi l'alyah
- la loi du retour - c'est plus pour la forme que pour le
fond. La diaspora est indispensable à l'Etat d'Israel. Sans elle
il ne serait pas né. C'est la diaspora qui a arraché, en 1917, la
déclaration Balfour, autorisant la création d'un Foyer national
juif en Palestine. C'est la diaspora qui, en 1948, obtint aux
Nations Unies les votes conjoints de l'URSS - jusque là
hostile - et les USA, d'où naquit l'Etat hébreu. Sans la
diaspora, Israel n'aurait pas survécu. Tout au Iong de son
histoire, lors de toutes les guerres, de toutes les épreuves, de
tous les événements, de tous les refus d'obéir aux résolutions
de l'ONU, à l'occasion de tous les privilèges et passe-droits
impudemment extorqués, Israel fut soutenu financièrement,
militairement, diplomatiquement, politiquement, morale­
ment, par la diaspora. La diaspora savait qu'lsrael servait les
intérets de la diaspora. Ceux - dont j'étais - qui crurent (ou
espérèrent) que le sionisme, en transformant des ratiocineurs
en soldats, en ajoutant le droit du sol au droit du sang, et en
donnant une terre à un peuple de colporteurs errants, allait
réduire l'influence des communautés juives dans leurs pays
d'accueil étaient des niais. C'est le contraire qui s'est produit.
Israel a donné plus de force, d'audace, d'autorité, d'exigences
à ces communautés. Il leur a donné un autre visage, une
patrie, un drapeau, une base arrière - et parfois un repaire
pour des malfaiteurs issus de ces communautés. Israel a été
un ciment supplémentaire à ce peuple dispersé et un avenir à
cette immense famille éparpillée, qui n'avait qu'un passé.
Certains Juifs redoutaient qu'Israel rétrécisse et affaiblisse le
mondialisme de la diaspora. Il l'a au contraire élargi, tout en
lui apportant un dynamisme nouveau. Israel a donné une
puissance accrue aux associations de pression et de défense
des Juifs. Il en a augmenté l'impact. On en eut une époustou­
flante démonstration lors de la diablerie de Carpentras. A
l'appel du CRIF, tout l'establishment politique était descendu
dans la rue. Du PC au RPR, ils étaient tous venus, derrière le
président Mitterrand, pour promener de la République à la
Bastille le mannequin de Jean-Marie Le Pen, empalé sur un
piquet, au milieu d'une foret de drapeaux israéliens. Sans
avoir été mis en examen, le président du Front national était
déjà condamné et exécuté. Tout le monde ne s'appelle pas
Roland Dumas. A l'occasion du cinquantième anniversaire de
l'Etat d'lsrael, si je n'avais qu'une image à garder de sa réus­
site, je choisirais celle-là. Le Pen empalé au milieu d'une
foret de drapeaux israéliens, quel aveu ! « C'est fabulezcc »,
disait Drumont, quand on lui rapportait des faits de ce genre.
- Certe réussite, la croyez-vous durable ? Pa,fois la télévi­
sion diffuse des images qui font froid dans le dos. C'esr un
clzaudron où bout un concentré de /zaine.
C'est vrai. Tout le monde veut s'étriper. Juifs contre
Palestiniens, Juifs entre eux, traitant Rabin de nazi et l'abat-

, ,. .
. • lt'fOAJS 01.JE: P&J� éM UE, Pc:o� CE:"L<J t SllNS
QU I. IJOUS IJ� SE"R.l'olJS PAS L.A� JW:10UR.!l 1 Hut· :
1-t CHAAfC.61..(6"� ACOL J:' H-ÌTLéR •
------- H I STO IRES J U I V E S ------­

tant comme un chien. Palestiniens entre eux. Arafat traité de


Pétain. Et là l'image est vraie. Dans son pays occupé après
une défaite militaire où il n'avait pas de responsabilité, le
Maréchal avait accepté de collaborer pour sauver ce qui pou­
vait etre sauvé . . . L'Etat juif vit sur un volcan. C'est un manège
emballé qui peut exploser à tous moments. Mais . . . Mais
Israel possède l'armée la plus puissante - et de loin - du
Moyen-Orient. Il dispose de l'arme atomique : entre 200 et
400 bombes, dit-on. En face, les Palestiniens n'ont que deux
armes : les cailloux du chemin, comme David, et les ber­
ceaux01• Enfin, Israel peut compter sur la diaspora et surtout
sur le soutien inconditionnel des Etats-Unis d'Amérique, où
vit une communauté juive plus nombreuse que celle d'Israel.
Alors, meme dans un monde qui n'est plus aussi sensible à
ses malheurs, Israel continuera à "réussir", tant que
l'Amérique ne se réveillera pas.
(I) Notons aussi que les Juifs oriemaux - sépharades - ont des familles plus nombreuses
que les Juifs européens - ashkénazes. Ce qui ne cesse de modifier le rappon de forces à l'in­
térieur d'lsrael où les Juifs dits " polonais " ne font plus la loi comme ils la firent jadis.

(7 mai 1998)

a semaine demière, on a pu lire


dans Le Monde (numéro daté des
Mon curé
chez les Juifs
21 et 22 septembre), le texte sui­
vant :
HisTOIRE L'épiscopat français organisera,
mardi 30 septembre, une cérémonie au
mémorial du camp de Drancy, au cours de laquelle sera faite une
demande de pardon à la communauté juive pour les compromissions
de la hiérarchie catholique avec le régime de Vichy.
• AITENDU depuis la guerre, cet acte de "repentance" officialise
l'examen de conscience entamé au plus haut niveau de l'Eglise sur
le silence des élites catholiques face aux lois antijuives.
Rectifions tout de suite un point. Il n'y eut pas de « lois anti­
juives » à Vichy. Il y eut deux textes, le 3 octobre 1940 et le
2 juin 1941, établissant le statut des Juifs français en France.
Les Juifs étrangers étaient considérés comme étrangers.
Sur le fond, il n'est pas douteux que les dispositions prises à
l'égard des Juifs n'empechèrent pas plus les « élites catlzoliques »
que quarante rnillions de Français de considérer le maréchal
Pétain comme « le sauveur de la France » et la Révolution natio­
nale « comme une divine surprise » dans la catastrophe qui nous
était tombée sur la tete. Entre mille, ces citations l'attestent :
S. E. le cardinal Suhard, archeveque de Paris :
La confiance, qui la refuserait à un homme qui force l'estime de
tous les Français, tant par la lucidité de son intelligence et la droiture
de son caractère que par le dévoueinent qu'en tout temps il a
témoigné au pays (30 novembre 1940).
S. E. le cardinal Baudrillart, recteur de l'Institut catholique :
Serrons-nous autour du chef et du père qui incarne aujourd'hui la
France . . . Suivons notre chef, ses ordres, ses conseils. Remercions
Dieu de nous l'avoir donné à l'heure où tout semblait perdu
(30 novembre 1 940).
Le cardinal Gerlier, archeveque de Lyon (« Pétain, c'est la
France et la France, c'est Pétain »), le cardinal Feltin, arche­
veque de Bordeaux, Mgr Roques, archeveque de Rennes,
Mgr Gaillard, archeveque de Tours, Mgr Grente, éveque du
Mans, et )'immense majorité de leurs confrères, ne pensaient
pas autrement. En juillet 1941, un mais après la promulga­
tion du second statut sur les Juifs, l'Assemblée des cardinaux
et archeveques déclarait :
Nous engageons les fidèles à s'engager à ses cotés sur les trois terrains
de la Famille, du Travail et de la Patrie, en vue de réaliser une
France forte, unie et cohérente.

Mieux encore . . . Le 1 ., janvier 1942, le nonce apostolique,


Mgr Valerio Valeri, représentant le Vatican à Vichy, s'adres-
------- H I S T O I R E S J U I V E S -------

sait à Philippe Pétain, Maréchal de France, chef de l'Etat


français en ces termes
En invitant tous les Français à se grouper sous la devise "Travail,
Famille, Patrie", en posant les "Principes de la comrnunauté", et surtout
en lançant vos "Appels et Messages", au style si simple, si prenanl et si
pathétique à la fois, vous etes allé tout droit au fond du creur de vos
concitoyens et vous avez réellement préparé la France nouvelle.
Il ne s'agit pas de « compromissions officielles ». On le voit.
On le sent. Il s'agit d'une adhésion fervente et les « élites
catlzoliques » ne l'auraient pas proclamé aussi haut, aussi
fort, si l'enseignement qu'elles avaient reçu ne leur avait fait
profondément partager les vérités politiques, philosophiques,
morales, humaines, incamées par le vieux Maréchal.
Est-ce pour cela que Mgr Lustiger et son équipage viennent
en grand appareil demander pardon à M. Henri Hajdenberg,
président du Conseil représentatif des Juifs de France ? (les
seules institutians qui camptent, sans doute, puisque dans le
sigle CRIF, Le Monde ne fait pas figurer le J).
Dans ce cas, il ne faut pas s'arreter à 1940. Le crime est beau­
coup plus vieux. Il remonte aux origines. Comme c'est un crime
contre l'humanité, il n'y a pas prescription. 1940 n'est qu'un pré­
texte. Ce n'est pas parce que l'Eglise de France pensait comme
le Maréchal que l'épiscopat français, modèle 1997, fait acte de
« repentance » devant M. Hajdenberg. C'est parce que le
Maréchal pensait camme l'Eglise.
Ses principes de politique générale étaient voisins de ceux
préconisés par l'Eglise. Sa politique sociale était inspirée de
la politique sociale de l'Eglise. Il croyait à l'importance de la
formati on religieuse de la jeunesse. Son statut des Juifs fran­
çais tenait compte de la doctrine de l'Eglise.
Dans man demier "Cahier" : Xavier Vallat et la Question
juive, qui vient de parai'tre, je rappelle un fait peu connu, ou
aublié. A l'insu de son Commissaire général aux Questions
--------- o-A,gfY) ('J()f�ilf,a� -------­
�.
Jmves, le Maréchal, ce gateux, ce sénile, chargea Léon
Bérard, son ambassadeur auprès du Vatican, d'enquéter pour
savoir ce que Rome en pensait. Dans une première note,
Bérard répondit
Je puis vous affirmer qu'il n'apparait point que l'autorité pontificale
se soit à aucun moment occupée ni préoccupée de ceue partie de
la politique française et qu'aucune plainte ou requete venue de
France ne lui en ait jusqu'à présent donné l'occasion.

Dans son rapport final - dont je donne de larges extraits -


Bérard expliquait que l'Eglise, catégoriquement opposée au
racisme hitlérien, n'était pas hostile à un statut des Juifs, à
condition qu'il s'inspirat de la doctrine traditionnelle de l'Eglise
catholique. Il ne relevait qu'un point litigieux dans le statut
français - point sur lequel il lui fut donné satisfaction -,
formulait quelques recommandations et concluait ainsi
Comme quelqu'un d'autorisé me l'a dit au Vatican , il ne nous sera
intenté nulle querelle pour le statut des Juifs.

Quand la guerre, aggravée par la guerre civile, mit le feu par­


tout en France, le clergé et les fidèles vinrent en aide aux
Juifs et des éveques protestèrent contre les mesures qui
étaient prises et la manière dont on les prenait. Toutefois ces
critiques se nuançaient sur les causes. Devant la Haute Cour,
Xavier Vallat, commissaire général aux Questions juives,
révéla que Mgr Saliège, éveque de Toulouse avait répondu à
l'un de ses émissaires :
La position de M. Vallat, du point de vue catholique, est inattaquable.

Mgr Delay fut un de ceux qui protestèrent le plus fort. Mais


sa protestation commençait par ces lignes, qui ne lui vau­
draient pas que des félicitations aujourd'hui.
Nous n'ignorons pas que la question juive pose de diftìciles
problèmes nationaiux et internationaux. Nous reconnaissons bien
que notre pays a le droit de prendre toute mesure utile pour se
défendre contre ceux qui, ces dernières années surtout. lui ont fait tant
------- H I STOI R E S J U I V E S -------

de mal. li a le droit de punir ceux qui abusent de l'hospitalité qui Ieur


fut si libéralement accordée. Mais les droits de l'Etat ont des Iimites . . .

En demandant le pardon de M. Hajdenberg et donc en


condamnant la doctrine traditionnelle de l'Eglise, S. E. le car­
dinal Lustiger, archevéque de Paris, et son équipage seraient
bien avisés de nous rappeler à la suite de quelles circons­
tances celle-ci naquit, grandit et se forgea au cours des
siècles et des millénaires. Cela permettrait peut-étre de savoir
pourquoi elle est abandonnée et de prévoir ce qui va la rem­
placer.

HO#J Pe�e
J>éH/UJ Dé'2. -I.EU�
PAAJ>l>J.J .

En terminant je voudrais ajouter une remarque. L'Eglise n'a


pas toujours la vocation du martyre. Il arrive qu'elle pactise
avec ses bourreaux et recherche la protection des puissants.
On l'a vu sous la Révolution de 89, avec le clergé jureur. On
l 'a vu à la fin du siècle demier .avec le Ralliement à la
République maçonnique. On l'a vu lors de l'apothéose de la
bourgeoisie capitaliste. Oublieux des misères des pauvres,
nombre de prélats avaient leur couvert au nouveau chateau.
Ce fut le temps de mon curé chez !es riches. La puissance a
glissé. L'expiation de Drancy le montre. Désormais l'épisco-
--------- o-,\Qf>'l(JJOJIJ!,
�a� -------­
�.
pat joue mon curé chez les Juifs. C'est un signe. Que ce soit
Mgr Lustiger, archeveque de Paris qui le trace en est un autre.
(2 octobre 1997)

e vendredi 14 aoùt 1998, nous


avons assisté à l'événement de
D'où vient
l'argent ?
l'été : la repentance des banquiers
suisses. Comme ce sont des calvi-
nistes acharnés, èlle a dù beaucoup
leur coùter. Exactement 1 ,25 milliard
de dollars. Le geste n'en a été que plus beau.
Venant après la repentance spirituelle de nos éveques et la
repentance politique du président Chirac, cette repentance
financière a été très appréciée· du peuple français. Pour lui,
l'essentiel est le bonheur de la communauté juive. C'est en
tout cas ce qui ressort de la lecture des journaux, de l'écoute
des radios et de la vue de la télévision.
Est-elle bien, la Communauté ? C'est la première question
qu'il se pose le matin, au rév.eil, et le soir avant de l'abandonner
au sommeil. Est-elle satisfaite de son sort ? S'estime-t-elle
assez aimée et suffisamment appréciée ? Célèbre-t-on
comme il convient ses réussites individuelles et collectives,
qui sont prodigieuses, nul ne saurait en douter ? Rappelle-t-on
• assez souvent et assez haut la longue liste de ses malheurs et
sa grandeur dans les épreuves que D. infligea au peuple élu ?
N'a-t-elle pas trop chaud, l'été, quand monte la canicule,· et
trop froid, l'hiver, quand la bise pousse les frimas ?
Quelqu'un ou quelque chose lui porte-t-il ombrage ? Qu'elle
le dénonce sur-le-champ pour qu'on répare l'outrage et chatie
l'impudent. Bref l'attention à la Communauté est le souci
majeur du peuple français. C'est dire s'il vit aujourd'hui dans
un état voisin de la félicité.
------- H I STOIRES J U I V E S -------

11 aura fallu trois ans de discussions de marchands de tapis


pour que l'Union des banques suisses consente à verser au
Congrès juif mondial 1,25 milliard de dollars en dédommage­
ment des préjudices subis durant la Seconde Guerre mondiale.
Par une bénédiction du ciel, ce vendredi-là, jour de sabbat
(« le perir sabbar de Noel », dirait Alain Sanders), le dollar en
a profité pour remonter et crever le plafond des six francs fran­
çais. Ce qui fait que le pactole toume autour de 7 ,5 milliards
de francs français. Ce n'est pas rien.
Certes nous sommes loin des sommes réclamées par les orga­
nisations juives. Celles-ci n'exigeaient pas moins de 20 mil­
liards de dollars et entendaient ne pas discuter. De leur coté,
les Suisses, qui tondraient un reuf pour offrir une toison,
déclaraient, la main sur l'arbalète de Guillaume Tel1, qu'ils ne
dépasseraient jamais 600 millions de dollars. Dans l'impasse,
la bataille de chiffonniers, commencée en 1995, s'étemisait.
Depuis l'arrestation, la condamnation et la crucifixion de
Notre-Seigneur Jésus-Christ jusqu'à l'assassinat d'Ytzhak
Rabin, on sait que certains Juifs ne lésinent pas sur les
moyens pour arriver à leurs fins. Pour faire plier les ban­
quiers, un vaste programme de boycott des intérets suisses
aux USA fut mis au point par le lobby j uif, très puissant aux
Etats-Unis. Il devait etre déclenché le 1 er septembre. Le
14 aout, les Suisses ont mis les pouces. ps sont passés de
600 millions à 1 ,25 milliard de dollars. Quoique s'obstinant à
réclamer 20 milliards, le Congrès juif mondial s'est déclaré
satisfait. Dans le commerce, il faut accepter de perdre pour
gagner gros.
Aux termes de cet accord, !es communautés j uives affirment
« re11011cer à route exigence à l'égard de l'Etat suisse, de sa
Ba11que et de ses emreprises ». Il ne viendra à personne l'idée
de mettre en doute la qualité de cet engagement. Dans ces
domaines, il arri ve cependant que le définitif ne soit que pro­
visoire. Genève annonce déjà que les compagnies d'assu-
--------- o� 0a� --------
~ ()J�
...
rances suisses seraient toujours dans le collimateur.
M. Georges Quioc écrit dans le Figaro :
Stimulées par l'accord signé avec les banques suisses. les organisa­
tions vont sans doute redoubler d'efforts sur d'autres pays. Et la France
pourrait bientòt etre en tete de liste (14 aotìt 1998, pages saumo11).
Des chiffres circulent, justifiés par la position prise par le
président Chirac. Selon les estimations officielles, la
V< République va devoir verser 6,3 milliards de francs aux
Juifs spoliés par le gouvemement de Vichy. On voit mal
M. Strauss-Kahn s'opposer à cette réparation.
Cette décision n'aura pas que des retombées financières.
Ses conséquences politiques seront considérables. La
V" République reconnait ainsi la légalité du pouvoir du maré­
chal Pétain. Donc la légalité de l'armistice. Du coup les
dizaines et dizaines de milliers de condamnations à mort, au
bagne, à la prison, à l'indignité nationale, prononcées par !es
tribunaux de l'Epuration au nom de l'article 75, sont illégales.
Toutes les familles des condamnés, victimes de ce préjudice
d'Etat, seront en droit d'exiger des dédommagements.
Quant à les obtenir, c'est une autre paire de manches. Pour faire
plier les juges, les banques et l'Etat, il est certain qu'elles n'ont
pas les moyens dont dispose le Congrès juif mondial. Il n'en
reste pas moins que nous allons devant un tohu-bohu politico­
judiciaire sans précédent. Dans )'attente d'un nouveau procès,
il faudra commercer par enterrer le Maréchal à Douaumont.
Comment voulez-vous que je prenne ma retraite ?
Ces considérations n'arreteront pas l'action de la communauté
juive. Il n'y a pas que la spoliation faite par Vichy. Il y a les
spoliations particulières. Depuis un an une commission
ad hoc, la commission Matteoli, s'emploie à en dresser l'in­
ventaire, le compte précis. Parait que c'est déjà coquet. Ce qui
finit par donner à penser. . .
------ H I STOIRES J U I V E S -------

Si on ajoute aux biens et avoirs juifs, plus ou moins détour­


nés, captés, emplatrés, chouravés pendant les années les plus
sombres de notre histoire, les biens et avoirs juifs qui n'ont
pas disparu, qui sont là, et meme un peu là, on anive à des
totaux astronomiques . . . des comètes de chiffres avec des
queues flamboyantes, qui n'en finissent pas . . .
On en a les yeux pleins d'étoiles et une question e n tete, qui
vous turlupine : comment ont-ils fait, comment font-ils pour
amasser, en si peu de temps, autant d'or, d'argent, de pierres,
de terres, de chateaux, de tableaux, d'actions vagabondes qui
volent d'un bout de la terre à l'autre, de Bourse en Bourse, à
la vitesse du fax ? Quel est leur s_ecret ? Quel est leur don ?
L'intelligence ?
Bien sfir. .
L'opiniatreté ?
C'est certain.
Mais enfin, depuis mon enfance, j'ai connu beaucoup de pay­
sans, de marins, d'artisans, de petits commerçants, de fonc­
tionnaires, de membres des professions libérales mais pas
libérées, de soldats, qui ne manquaient ni d'intelligence ni
d'opiniatreté. Je n'ai vu nulle part surgir ces fortunes fabu­
leuses, et d'autant plus que leurs bénéficiaiies étaient arrivés
il y a cinquante, cent, cent cinquante ans, venant d'on ne sait
quelles misères, une main devant, une main derrière, avec
pour toutes richesses, trois hardes et une paire de croquenots
serrées dans un baluchon. Qui éclairera ce mystère ?
Nul n'est plus content que moi quand je vois les banquiers
débrider la lourde porte de leurs coffres-forts et payer. Mais
devant cet énorme tas d'argent empilé, comment ne pas inter­
roger ceux qui le détenaient : d'où venait donc cet argent ?
(20 aout 1998)
,\Q/)')<'10JU!-
_________ <r f>'Ja � --------
�.
e 16 mars 1 986, le peuple
souverain avait envoyé à
Contre la dictature
des B'nai B'rith
l'Assemblée une majorité UDF­
RPR et 35 députés FN.
Dix jours plus tard, Le Monde publiait
l'entrefilet suivant :
Les·associatjons B'naI B'rith Iancent un appel àla vigilance, attirent
l'attention des partis de la nouvelle majorité contre toute tentation de
vouloir reprendre !es slogans extrémistes sur l'insécurité et !es thèses
xénophobes à l'encontre des imrnigrés, rappellent aux représentants
de ces partis Ieurs engagements pris au cours du forum B'naI B'rith
dévant la communauté, déclarations reprises après proclamation des
résultats du vote de ne s'allier en aucun cas au Front national.
A l'exception de Présent, et malgré la caution du Monde, pas un
quotidien ne crut devoir publier cette information. Elle était
pourtant capitale. On y apprenait que les partis politiques consti
tuant le gouvemement de la France s'étaient engagés, devant un
1
intemationale paramaçonnique où les Juifs sont seuls admis, j
« ne s'allier en aucun cas au Front national ».
Le texte étant paru en premier dans Le Monde, il pouvait s'agir
d'un faux. Des exemples facheux existent. Jean Madiran en a
établi l'inventaire avant d'en faire l'analyse. Dans ce cas, nous
aurions un faux à la manière des Protocoles des Sages de Sion.
Un faux vérifié par les faits qui se produisent comme le faux
les avait annoncés.
Aux législatives de 1988 et de 1993, l'engagement aux B'nru
B'rith fut scrupuleusement respecté. L'UDF et le RPR pous­
saient l'obéissance jusqu'à préférer la victoire d'un candidat
de gauche, fiìt-il communiste, au succès d'un candidat du
Front. On ne parlait plus des B'nai: B'rith, sauf chez nous.
Mais le pacte était toujours en vigueur.
Après onze années de silence, le 2 mars 1997, à nouveau
dans Le Monde, Olivier Biffaud y faisait allusion, authenti-
------- H I ST O I R E S J U I V E S -------

fiant ainsi l'information. On cherchait la raison de son inter­


vention lorsque, quelques semaines plus tard, le président de
la République prononçait la dissolution (2 1 avril 1 997). Peu
de personnes y croyaient, tant le pari semblait risquer. Mais
Biffaud était au parfum. Les associations B'na1 B'rith aussi.
Elles avaient estimé indispensable de rappeler l'engagement.
Il transforma la majorité sortante en minorité présidentielle.
Fallait-il que cette puissance occulte fut redoutable pour
qu'une centaine de députés accepte de se faire hara-kiri.
Dans une société où personne n'obéit plus à personne, cette
soumission a quelque chose d'hallucinant. L'unanimité de la
droite parlementaire permet d'envisager à gauche l'existence
d'un pacte similaire et parallèle. Les passerelles entre les
associations B'na1 B'rith et le PS ne manquent pas. M. Fabius
y est persona grata. Alors qu'elle était encore Mme Ivan
Levài, Mme Dominique Strauss-Kahn reçut la médaille d'or
des B'nai B 'rith comme « symbole de l'honneur du joumalisme
français ». Cela expliquerait pourquoi, de 1 988 à 1993, mal­
gré la volonté du président Mitterrand, ni Rocard, ni
Mme Cresson, ni Bérégovoy, ne rétablirent la proportion­
nelle supprimée en 1986 par Chirac-Pasqua. Et pourquoi la
gauche favorise, sur toute l'étendue du territoire, l'installation
des réseaux terroristes de sabotage, d'espionnage et de vio­
lence organisée par Ras l'Front, le SCALP et les autres.
(12 mars 1998)

e procès des colleurs d'affiches


Nazi ? Raciste ? du FN montre une fois de plus la
Xénophobe ? haine paroxysmique fabriquée et
Antisémite ? entretenue contre nous par le parti
médiatique. Cette haine repose sur
quatre accusations. Nous sommes des
fascistes (ou des nazis), des racistes, des xénophobes et des
_______ o�,,w/'J()!�a�
U!- -------
...
antisérnites. Sous le poids de ces anathèmes, je me suis trouvé
entrainé à un examen de conscience sincère et définitif. Le
voici.
1 ° - Fasciste ou nazi. On pourrait dire de moi que je suis
national-socialiste. Je suis né dans une famille socialiste. Aux
murs du cagibi qui lui servait de bureau, mon père avait fixé
une photographie de Jean Jaurès, la barbe au vent. Très jeune,
je fus convaincu de la nécessité d'un pouvoir fort, capable de
s'opposer au pouvoir de l'argent et d'imposer les lois sociales
au grand capitai.
L'immédiate avant-guerre et la débacle m'ont prouvé que l'indé­
pendance de la patrie était une nécessité absolue. Je suis devenu
nationaliste. Je le suis toujours. Je voudrais que mon pays soit
souverain, fort, indépendant, juste, hiérarchisé et de bonne com­
pagnie. La valeur et le travail seraient récompensés, la famille
défendue, et la patrie première servie. Les Français appartien­
draient à la France comme la France aux Français. En cela, o�
voit que je suis un peu plus extrémiste que le Front national, OI.!.
l'on se contente de dire : « Les Français d'abord. »
Si cet ensemble de tendances facheuses permet de me quali­
fier de national-socialiste, on conviendra néanmoins que ce
national-socialisme-là ne rappelle que de très loin le national­
socialisme hitlérien.
2° - Raciste. A la fète du Mondial, les géants gonflés m'ont
appris qu'il y avait quatre races : la race jaune, la race rouge­
brun, la race bleu clair et la race bleu foncé. Il doit y en avoir
davantage puisque je suis né de race bianche. Je suis meme
heureux d'en faire partie. Ce n'est pas que je la ernie supé­
rieure. Mème si je l'estimais, je me· garderais bien d'employer
le mot. Si par souci d'égalité on a décidé de débaptiser la
Loire-Inférieure pour l'appeler Atlantique, il vaut mieux ne
pas venir faire le malin en parlant des races supérieures et
autres billevesées.
------- H I S TO I R E S J U I V E S ------­

Ce que la race bianche a apporté aux autres races n'en est pas
moins considérable. Depuis trois mille ans (en gros), dans
tous !es domaines : religion, arts, littérature, philosophie,
politique, musique, peinture, sculpture, architecture,
sciences, techniques, connaissances diverses, mreurs, ce que
!es Blancs ont donné aux autres races est prodigieux. Cela ne
justifie pas la domination ni l'asservissement. Mais cela
implique que !es Blancs se fassent un devoir et un honneur de
défendre la race bianche. Est-ce cela étre raciste ?
Pour etre tout à fait frane, je voudrais ajouter ceci. Je remercie
le ciel que mes enfants n'aient pas amené, à la table familiale,
un mari ou une femme d'une autre ethnie que la leur. Je trouve
déjà difficile de réussir à s'accorder, une vie durant, avec quel­
qu'un de son pays et de sa race, sans qu'on y ajoute la couleur,
avec tous !es héritages différents qu'elle apporte. Je l'avoue :
d'instinct, je redoute !es métissages. Mais si le sort l'avait
voulu, le couvert eGt été mis, la. piace gardée, et, qui sait,
l'amour eGt peut-étre été le méme. Ces sentiments ne se com­
mandent pas. En outre je n'oublie pas que la France fut un
empire. Nous lui avons beaucoup apporté. Il nous a beaucoup
rendu. Des Noirs, des Jaunes, des Rouges nous ont aidés à
écrire l'histoire de la France. La France du drapeau blanc et la
France du drapeau tricolore. Ils sont donc français. Ils doivent
donc étre traités comme tels, sans distinction de race. Est-ce
une attitude qui tombe sous le coup (et le cout) de la loi ?
3 ° - Xénophobe. On appelle xénophobe celui qui est hostile
à l'étranger. Je ne suis pas hostile à l'étranger
a) Quand il est chez lui.
b) Quand il est chez nous, en petit nombre, et qu'il se com­
porte comme un étranger, c'est-à-dire comme le ressortissant
d'une autre nation se trouvant dans la notre.
Je respecte profondément les lois de l'hospitalité. Au voya­
geur étranger, j'aime à montrer ce qu'il y a de beau et à lui
faire gofiter ce qu'il y a de meilleur. J'aime qu'il soit bien reçu
et respecté. Mais je déteste qu'il s'occupe de nos affaires ou
vienne en faire à nos dépens. Nous avons assez de voleurs
autochtones sans qu'il soit besoin d'en importer.
Je déteste que l'étranger entreprenne de nous réformer et de
nous diriger. Je suis hostile à l'étranger qui entend inspirer,
contròler, manipuler la politique de la France. Je suis vio­
lemment hostile au gouvemement des Français par l'étranger.
Suis-je xénophobe ?
4° - Antisémite. Les Juifs sont les descendants des Hébreux,
qui seraient le peuple de Dieu, le peuple élu, désigné par
l'Alliance et la circoncision. Cette descendance est protégée
par la loi de Morse. Selon celle-ci, est juif l'enfant d'une
Juive. ça limite les doutes. Elle est également assurée par
une religion qui est tout à la fois une croyance, une politique,
un système d'éducation, un ensemble de règles de vie, de
comportements et de sentiments, transmis de générations en
générations, accompagné du refus permanent de s'assimiler
avec les non-Juifs, appelés goy (au pluriel : goyim).
S'assimiler, c'est disparai'tre.
Pendant près de deux mille ans, le peuple juif fut un peuple
sans terre. Il vivait dispersé dans un grand nombre de pays,
en communautés fermées, où ses principes, strictement
observés, garantissaient sa légitimité, son hérédité, sa fidélité
et son unité.
En contrepartie, sa marginalité et son esprit lui valurent sou­
vent l'hostilité du pays d'accueil. Dans les pays chrétiens, la
crucifixion du Christ, exécuté par !es Romains à la demande
des grands pretres de Jérusalem et du peuple juif, avivait
cette hostilité. Mais elle exista dans les pays non-chrétiens,
quels que soient !es siècles, les régimes, la situation géogra­
phique, les mreurs. On l'appela l'antisémitisme, nom
impropre, puisque les Arabes, qui taillaient volontiers l'usu-
------- H IS T O I R E S J U I V E S -------

rier juìf en pìèces, sont aussi des sémites.


Aujourd'huì, l'antìsémìtisme a pratiquement disparu, sauf en
Israel, dans les territoires occupés. Ailleurs les Juifs ne sont
plus menacés ni contestés. Leur réussite est meme le phéno­
mène dominant de l a seconde partie du XX• siècle.
L'antisémitisme n'en est pas moins constamment dénoncé par
les associations de défense des Juifs. Il est leur raison d'ètre
et le ciment de leur communauté.
On a donc le droit de dire ce que l'on veut des Juifs à condition
que ce soit du bien. En conséquence toute critique des opinions
politiques émises par un Juif, toute opposition à ses prises de
position, toute réfutation de ses affirmations historiques, sont
parfois qualifiées d'antisémitisme et passibles des tribunaux.
Je l'avoue : il y a là un certain nombre de tabous que je n'ai
pas hésité à transgresser parce que je ne me considère pas
plus antisémite que xénophobe, raciste ou nazi.
Est-ce ce qui ressort de mon examen de conscience ? Je vous
fais juge.
(18juin 1998)
CHRONIQUES

V - Avant la cassure

a haine, la montée de la haine,


La défaite l'explosion de la haine, la haine à
de la haine ! bout portant, la haine sans
masque, sans hypocrisie, sans précau­
tions - puisque la force, la loi, l'ar­
gent, la morale sont du parti de la
haine, l'alimentent, la protègent, la cautionnent. . .
La haine de tous cotés. Ecoutez : « Le Pen, l'horreur absolue »,
dit la voix de gauche, celle de Miche} Vauzelle, député socia­
liste, le garde des Sceaux héritier de Nallet, au temps d'Urba,
et par là-meme détenteur des secrets de la caverne d'Ali
Baba, nommé par le Premier ministre général en chef anti­
FN sur le front de la PACA. « le hais Le Pen », la voix de la
droite B'na'i B'rith, celle de Pierre Mazeaud, député RPR,
vice-président de l'Assemblée nationale, membre du Conseil
constitutionnel, nommé par le président de la République
maitre à danser au bai des valeurs . . .
La haine qui s'adresse à chacun de nous et l'agresse :
« Français, je vous hais ! » Je vous hais parce que vous pré­
tendez que le fait d'etre français vous donne des droits et des
devoirs particuliers, en France. Parce que vous privilégiez la
------ AVA N T L A CASSURE------

filiation française et le particularisme français. Parce que


vous voulez !es défendre et !es transmettre. Parce que vous
osez vouloir imposer aux étrangers la préférence nationale
pour rendre !es liens qui unissent les Français à la France
aussi forts que ceux qui soudent les enfants à leur mère . . .
La haine, la haine des visages, la haine des inots, l a haine des
silences, la haine des attitudes, la haine des calculs que l'on
peut lire dans les bulles, au-dessus des fronts crispés.
« Commelltfaire pour ,mire davantage au Front national ? En
111011trant ces images ? Ou au contraire en les occultant ? ».
La haine sans répit, la haine totale, non pas de nos idées et de
nos sentiments réels, mais des idées et des sentiments que la
haine nous prete pour se justifier de gonfler encore . . .
La haine tentaculaire, l a haine obsession, l a haine passion
dont les fantasmes ne se nourrissent que de notre exclusion,
de notre persécution, de notre suppression -et que seule l'ex­
termination pourrait satisfaire . . .
La haine, ·voilà l'impression dominante que m'a laissée la
confrontation électorale des Régionales et qu'a renforcée la
soirée des résultats. La haine inutile, puisque le Front natio­
nal, que l'on voulait écraser, est partout sorti en position d'ar­
bitre. La haine sans laquelle la gauche socialo-communiste et
l'extreme-gauche trotskiste seraient partout battues.
*
Depuis que le régime des partis existe, jamais la France n'a
connu un aussi formidable ostracisme médiatique et d'Etat.
Cette condamnation globale, à l'imitation des procès révolu­
tionnaires de 1793-94, sous la Terreur républicaine, est pro­
noncée sans preuve des crimes imputés, sans réquisitoire cré­
dible, sans qu'il soit meme permis à sa défense de s'expliquer.
Nous sommes exclus parce que nous ne partageons pas !es
valeurs de Christian Nucci, de Patrice Pelat, de Fabius, de
Carignon, de Miche} Noir, de Balkany. A dégager.
Le pire, c'est que c'est vrai. Nous n'avons pas les mémes
valeurs que les responsables des six millions de chòmeurs;
six millions d'immigrés. (ça n'a rien à voir, nous dit-on. Ce
n'est qu'une coi"ncidence. N'empeche qu'elle est curieuse.)
Nous ne sommes pas ceux qui portèrent des valises d'armes
et d'argent contre les soldats français. Nous ne sommes pas
ceux qui livrèrent !es harkis aux couteaux des égorgeurs.
Nous ne sommes pas ceux qui privèrent un million de
Français d'Algérie de leur droit du sol.
Qui peut nous accuser de l'échec scolaire grandissant des
générations de jeunes gens et de jeunes filies qui se succèdent ?
De ces courants délétères qui poussent au suicide tant d'en­
fants de vingt ans ? De l'impuissance des pouvoirs politiques,
devant l'insécurité galopante, l'augmentation terrifiante de la
délinquance juvénile, les ravages de la drngu� ?
Nous ne prétèndons pas avoir toujours raison et sur tout. De
la renverse de l'immigration jusqu'à la préférence nationale
du refus de l'Europe supranationale au rétablissement de la
peine de mort pour !es pourrisseurs de lajeunesse, nous com­
prenons fort bien que nos propositions déplaisent, puis­
qu'elles dérangent. Le contraire serait suspect. Il est normai que
!es mesures qu'elles impliquent soient critiquées, discutées,
amendées, refusées par certains. Il est meme normai qu'elles
soient déclarées impossibles - · à condition toutefois qu'on
nous permette de les expérimenter. Mais ce q1;1i est anormal,
c'est qu'elles soient la jusitification du déferlement de haine
que nous subissons.
Rien de ce que nous disons n'offense la morale, ni l'amour de
la patrie, ni l'histoire de notre pays, qui ne commence pas,
mais qui ne s'arrete pas non plus, à 1789. Nos réflexions sur
la Seconde Guerre mondiale, ou les problèmes des races, ne
dépassent jamais !es limites de la libre discussion. Si elles
révoltent les tolérants, qui ne tolèrent que leurs opinions, tant
------ AVA N T L A C A S S U R E -------

pis. Malgré le conformisme, celte indignation de commande


n'abuse plus grand-monde. Elle ne saurait expliquer la haine
et l'excommunication. Elle n'est qu'un artifice, un subterfuge
pour se déban-asser d'un témoin récalcitrant. Molière nous a
avertis, il y a belle lureue : « Qui veut noyer son chien !'ac­
cuse de la rage. » C'est Martine qui le dit, dans Les femmes
savantes.
Dimanche soir, sur France 3, posément, calmément, en
Français bien élevé, Bruno Gollnisch a essayé de poser le
problème, le vrai problème ( « Pourquoi certe haine ? ») à un
imbécile et à un homme intelligent. L'imbécile, on l'aura
deviné tout de suite, quoique la concurTence soit rude dans ce
domaine, c'est M. Raoult. Pét1ifié dans son malheur, il ne
pouvait plus rien entendre. Le second, c'est M. Bayrou.
Electrocuté par ses erreurs, son moulin tournait à vide. Son
discours sur la morale judéo-chrétienne et l'homme qui est
toujours un homme était d'un creux affligeant. L'un et l'autre
étaient liquéfiés par la défaite de la haine.
*

Car c'est à la défaite de la haine que nous avons assisté


dimanche. Elle n'a pas perdu la guerre. Mais elle a perdu une
bataille importante.
Arithmétiquement, c'est un succès. Malgré les abstentions
record, le Front national a encore progressé. Aux demières
Régionales, il avait été crédité de 13,6 %. On lui accorde 15,1 %
aujourd'hui. On eGt préféré davantage ? D'accord. Mais ce
n'est pas un tassement. C'est un nouveau pas en avant.
Moralement, c'est un réconfort, le Front sort plus fort de
l'épreuve. Les tentatives de divisions et de déstabilisation ont
échoué. Les campagnes de dénigrement et d'exaspération des
rivalités ont été sans effet. Sous la présidence de Jean-Marie
Le Pen, en souplesse et en farce, le Front national continue
�<'JOIU!-
_________ o- . �� f.utltl,. --------
sa marche. Sa progression, lente, puissante, consolidée à
chaque progrès, a quelque chose d'impressionnant. C'est un
phénomène unique en Europe, où il devient un exemple et un
modèle. Enfin, détail, mais détail capital. La manière dont,
malgré la haine, le Front national a géré ses mairies a été par­
tout récompensée. Les résultats de Le Chevallier, Mégret,
Simonpieri et Mme Bompard, en apj>ortent une éclatante
démonstration.
Politiquement, le Front et son Bureau politique remportent
une grande victoire. 11s montrent à la France entière que le
succès socialo-communiste n'est dO qu'à la démission des
dirigeants UDF et RPR, à leur soumission à l'ukase des asso­
ciations B'nai" B'rith, et à leur stratégie suicidaire. Grace au
Front national, la gauche plurielle (PS, extreme gauche, PC,
Verts) est partout minoritaire. Il suffirait d'un simple accord
de coexistence politique, pour que sa défaite soit établie ven­
dredi dans la majorité des régions.
Au soir de toutes les élections, les battus ont l'habitude de
s'adresser au corps électoral et de lui dire, d'un air pénétré :

HWREUSE'M E'tJr , i'L Lru11.


A.ESTE' LcU� AME= .
------ AVA N T L A C A S S U R E ------

- Nous avons bien reçu votre message.


Reçu, oui. Mais compris ?
(19 mars 1998)
Cette défaite de la haine sonne comme un chant de
victoire, tant l'avenir semble ouvert au Front national.
Pourtant de tous cotés arrivent des bruits de manreuvres
hostiles entre nous. A écouter parler les uns et les autres,
cette haine est en train de polluer notre camp.
Si j'observe un épais silence, Mathilde Cruz, ma vieille
complice, commence à y faire allusion. Je donne ici deux
extraits de sa rubrique "Télé(re)vision". Le premier est
badin. Le second plus apre. Ils rendent sensible l'évolu­
tion de la situation. En quatr.e semaines elle s'est considé­
rablement aggravée.

' ai craint pendant quelques jours


que TFJ, France 2, France 3, LCI
Mathilde Cruz :
et toutes les chaines en fassent le
le truc de Le Pen
feuilleton de l'été, façon Dallas matiné
d'Alertè à Malibu, en plus politique et
conjugal, bien entendu.
Jamais je n'avais vu les délicats observateurs de la télévision
française se pencher avec autant d'attention, d'émotion, de
sollicitude, sur le couple que forment Jean-Marie Le Pen et
Jany. Un nuage ne venait-il pas obscurcir leur bonheur ? Les
hérauts de l'information, que personne n'aurait imaginés si
sensibles, nous faisaient part de leurs inquiétudes. Pensez
donc ! Pour la prernière fois, Jean-Marie et Jany n'étaient pas
d'accord.
En cas d'inéligibilité confirmée par la Cour d'appel, le prési-
________ aqm 0 �i� -------
...
dent Le Pen aurait souhaité que son épouse le remplaçat à la
tete de la liste que le Front national présentera aux élections
européennes.
Jany Le Pen n'envisageait cette hypothèse qu'avec un enthou­
siasme modéré. Malgré une activité "humanitaire" en Irak et
ail leurs, elle se veut essentiellement une "femme au foyer".
Elle avait épousé un homme politique. Elle n'avait pas
épousé la politique.
Sur quoi nos scénaristes s'enflammaient. Jusqu'où pouvait aller
ce différend. Une faible femme ferait-elle reculer l'abominable
homme de la Trinité (Morbihan), la nouvelle bete du
Gévaudan ? Jany appliquerait-elle à Jean-Marie la méthode
qu'Aristophane conseillait aux Grecques soucieuses de se faire
entendre de leurs hommes ? De tous c6tés ce n'était que sup­
positions et incertitudes. Sur ce suspense qui nourrissai1
beaucoup d'espérances nouvelles - un conflit entre le prési
dent du Front national et son épouse ne pouvant que servir le.:
intérets de l'anti �Front - le rideau tomba d'épuisement.
Il se releva dans un climat nouveau et bon enfant.
- Je peux etre assèz persuasif, disait Jean-Marie, goguenard.
Tandis que Jany murmurait, reveuse
- Il est capable de me convaincre . . .
Ce happy end ne faisait pas l'affaire des feuilletonnistes.
Alors, on imagina un rebondissement. Le divorce n'aurnit
plus lieu entre la femme et son mari, mais entre le président
et ses seconds. Les imaginati•ons phosphorèrent der�chef. Les
éventualités les plus excitantes furent envisagées : les affron­
tements, les coups de fièvre, les clashes, les ruptures, rien ne
manqua à l'éventail des perspectives les plus funestes pour le
Front national. C'est alors que l'un des metteurs en scène par­
ticulièrement excités de ce mélodrame me téléphona. Il me
demanda ce que j'en pensais. Je me mis à rire
------ AVA N T L A C A S S U R E ------

- Une fois encore, Le Pen vous a bien eus, dis-je. Le coup des
Régionales étant digéré, le black out sur le FN avait recom­
mencé. Jean-Marie a donc inventé cette histoire qui ne pouvait
que vous mettre en appétit. Du coup vous nous avez remis
d'actualité alors que cette élection ne l'est pas encore. D'abord
rien ne dit que l'inéligibilité sera maintenue en appel. Si l'on
vous en croit, elle ne le sera pas.
- Et pourquoi ?
- Parce que vous dites souvent que Le Pen sert les socialistes
contre ce qui reste du RPR et de l'UDF. Alors pourquoi ne s'en
serviraient-ils plus ? Je sais bien que lajustice de mon pays est
indépendante, mais tout de meme . . . Faut pas pousser. . .
Donc, avant l a décision de la Cour, l e problème ne se pose
pas. Je vois très bien se préparer un scénario d'unanimité
frontiste qui vous rendra encore plus Gros-Jean que devant.
Les deux Bruno faisant une démarche conjointe auprès de
Jany pour qu'elle donne satisfaction à son mari et le président
intervenant en disant qu'il ne faut rien précipiter et que la
décision serait prise après consultation des cadres, par !es
hautes instances du Front.
- Vous croyez ?
- J'en suis siìre. Vous ne faites pas le poids, mon petit vieux.
Coi"ncidence ou conséquence ? Le feuilleton de l'été a disparu des
écrans.
(30 juillet 1998)
r • f>'Ja � --------
--------- ,-\m()Jonl!,
...
ne fois n'est pas coutume. Celte
Ne l'oubliez pas, année, dès l'ouverture, la télévi­
nous sommes sion s'est intéressée à notre
en guerre civile Université d'été. Il faut dire que le pro­
gramme est alléchant. Georges-Paul
Wagner parie de Libérer la justice.
Marie-France Stirbois de Libérer la femme du féminisme,
Emmanuel Ratier des Réseaux d'influence, Bemard Antony,
du Nationalisme à la française, etc, tous sujets passionnants
et occultés par la pensée à quatre pattes.
Pourtant ce n'est pas là ce qui retient l'attention des équipes
de télé. Ce qui l'intéresse, c'est le différend Le Pen - Mégret
dont on parie à propos de la future élection européenne.
Sujet délicat, dira-t-on. Sans doute, et si je l'aborde aujour­
d'hui, c'est pour trois raisons :
1 ° - Il s'agit d'un problème électoral. Il regarde d'abord les
militants, les adhérents et les sympathisants du Front natio­
nal, mais aussi ses électeurs. J'en suis.
. 2° - Bruno Mégret a rappelé dans son interview au Parisien
Libéré (libéré surtout d'objectivité à notre endroit) que NH
n'était pas le joumal du Front. C'est vrai. Ce n'est qu'un jour­
nal proche et ami du Front, partisan du Front et qui essaye
d'appuyer son action à toutes occasions.
3° - Jean-Marie Le Pen et .Bruno Mégret ont ouvert la dis­
cussion dans des joumaux qui sont nos adversaires. Pourquoi
ne pourrions-nous pas donner notre sentiment (amicai) dans
un joumal ami où, si nous pouvons nous tromper - qui ne
commet pas d'erreur ? - tout est toujours fait pour et jamais
contre le Front.
Je ne m'exprimerai d'ailleurs pas sur le fond. Il est du ressort
des instances supérieures. Elles seules ont la compétence et
la connaissance complète du dossier - plus complexe qu'il
n'y parait.
------ AVA NT L A C A S S U R E ------

Cela dit, je ne crois pas qu'on puisse comparer l a Municipale


de Vitrolles, la Législative de Toulon et l'Européenne de
demain. Mais il me semble qu'ici ou là l'électeur aimerait que
la décision ffit prise, non par l'invalidé, mais, après sa propo­
sition, par les instances dont je parlais plus haut.
En tant qu'électrice regardant la télévision, je trouve le débat
prématuré. Les élections européennes n'auront lieu qu'au prin­
temps 1999. D'ici là beaucoup de choses peuvent changer.
Pourquoi se dépècher et limiter ainsi le champ de manceuvres ?
Est-ce très adroit de faire comme si le président Le Pen était
déjà invalidé ? La Cour d'appel peut ne pas suivre l'avis du
tribunal. Pourquoi mettre l'eau à l a bouche de certains magis­
trats en leur montrant les remous qu'ils pourraient causer au
sein du Front, s'ils confirmaient le premier jugement ?
Depuis quinze ans les remarquables succès. obtenus par le
Front national sont dus à la qualité de ses analyses, à la jus­
tesse de ses choix politiques, mais aussi à son unité et à sa
fidélité. Ne nous hatons pas de les affaiblir. Personne n'y
gagnerait.
Je voudrais que les cadres supérieurs et dirigeants du Front
sachent que nous sommes en état de guerre c.ivile idéolo­
gique. Sur dix joumalistes de la presse écrite et audio­
visuelle, huit (et je suis au-dessous de la vérité) sont nos
adversaires et se considèrent comme nos ennemis.
Enfin, si Jean-Marie Le Pen et Bruno Mégret estiment indis­
pensables de livrer au public des informations aussi retentis­
santes, qu'ils commencent par en donner le scoop et l'exclu­
sivité à la presse arnie. Ils aideraient ainsi à augmenter notre
audience. Donc la leur.
(27 aotìt 1998)
CHRONIQUES

V • La cassure

vec mes amis Henry Coston et


Le devoir François Leger, je suis un des
du doyen vétérans de la presse nationale.
Je dois etre le doyen de la presse
nationale hebdomadaire. J'ai débuté en
1946, à Paroles Françaises, avec
B outang et Antoine Blondin. Ensemble nous fimes
• La, Dernière La.nterne, illustrée par Ben. Je connus Jean
Madiran à L'Indépendance française, de Marcel Justinien. Je
faillis les tuer tous les deux en automobile. Ce qui arreta net
ma carrière dè conducteur. Madiran· signait alors Jean-Louis
Lagor et _moi Julien Guemec.
Avec Maurice Ga'it nous fondames La, Fronde, puis, sous la
pression de Malliavin, Rivarol dont je fus le premier rédac­
teur en chef adjoint. Après une quinzaine d'années à France­
Dimanche, Semaine du monde (Robert Hersant), Paris­
Presse, Télé-dimanche, L'Aurore, je suis entré à Minute avec
Jean-François Devay et Jean Boizeau. Rédacteur en chef
adjoint, rédacteur en chef, envoyé spécial tout terrain, du
Vietnam en Israel, chroniqueur, « porte-drapeau », disait
Devay, j'y suis resté vingt-trois ans. J'ai participé à TV
-------- L A C A S S U R E --------

Demai11, le joumal du Comité Tixier-Vignancour. Le mattre


d'reuvre en était Serge Jeanneret, ancien rédacteur en chef de
Fratemité Jra11çaise, l'organe du Mouvement Poujade (une
cinquantaine de députés en 1956). J'ai collaboré à Itùzéraires,
la belle revue de culture catholique et nationaliste de Jean
Madiran. J'y ai donné en feuilleotn Jules l'imposteur et Emile
l'apostat, biographies polémiques de Jules Ferry et Emile
Combes. La seconde est inachevée. Depuis douze ans, le
petit père Combes attend, sur une marche d'escalier, que je
l'aide à monter l'étage. Il va finir par avoir des crampes.
J'étais à la création de Présent, avec Madiran, Bemard
Antony, Hugues Kéraly, Pierre Durand. J'en fus le co­
directeur politique et le gérant. J'ai permis la n aissance du
Choc du mais. J'en fus l'éditorialiste bénévole et critiqué. J'ai
lancé et dirigé L'Anti-89, avec le soutien chaleureux de
l'abbé Aulagnier, plus modéré de l'abbé Coache, et l'approbation
bienveillante de Mgr Marce! Lefebvre.
J'ai fondé les Editions du Clan, les Dossiers du Clan, les
Publications FB, les Demiers cahiers. J'ai aidé Emmanuel
Ratier à créer Faits et Documents, bi-mensuel de documen­
tation unique en France. Grace à Roland Gaucher, j 'ai rejoint
National Hebdo en 1987. Depuis douze ans, ce que je sais
faire, je l'ai mis au service du Front national et de son
président : Jean-Marie Le Pen, sans briguer d'autre recon­
naissance que l'honneur d'etre un joumaliste engagé dans le
combat national.
Ce parcours aussi long et obstiné n'a pas été toujours rose.
J'ai connu beaucoup d'épreuves et de dangers. Je n'ai pas
oublié la bombe chez mai, blessant gravement un éboueur,
alors qu'elle était faite pour atteindre la femme et les enfants
du joumaliste Brigneau, à défaut du joumaliste Brigneau lui­
meme. Il m'arrive aussi de songer aux échecs, aux décep­
tions, aux intrigues, mais pas souvent, et pas longtemps, tant
je me sens en paix, heureux et fier d'appartenir à la presse
nationale de mon pays.
Ce n'est pas une presse facile. Elle peut paraitre ingrate et
rude tant elle manque de moyens. Quand vous arrivez d'un
grand joumal, vous découvrez que vous manquez de tout :
d'archives, de documentation, de correspondants, de réseaux
d'informateurs, de relations dans les ministères, à la police,
etc. Les maisons d'édition se ferment. Les propositions de
collaborations extérieures s'évanouissent. Au cinéma et à la
télé, vous etes tricard. Si vous cherchez la fortune et les hon­
neurs, cherchez un autre tremplin. Peu considéré des v6tres,
pour les autres vous etes déconsidéré. Mais vous faites partie
d'une presse debout dans la persécution, l'indifférence et la
haine. Une presse qui compose le moins possible. Une presse
que l'ennerni peut réussir à étouffer et saigner à blanc, mais qu'il
ne fait pas plier. On y apprend ce qui est l'essentiel : la lucidité,
le courage, la ténacité, le dévouement à la cause française,
l'espérance quand le découragement rode dans les esprits et
les creurs.
A l'heure des bilans, je suis heureux de terminer ma vie à
National Hebdo, au coude à coude avec Présent, Rivarol
(l'hebdo doyen), Le Libre Journal, le décadaire de Serge de
Beketch, Monde et Vie, le bi-mensuel de Claude Giraud,
Minute, etc. Depuis le début des rumeurs sur les remous au
sein du Front, l'attitude de la presse nationale a été exemplaire.
Sans concertation, d'instinct, elle a essayé d'éviter l'incendie
en se refusant à verser de l'huile sur le feu. lei, à NH, à l'ex­
ception d'une chronique à la fois allusive et pointue de
Mathilde, de dix lignes en conclusion d'un Carnet de balles,
et, surtout, d'un magistral article de Martin Peltier, écrit bien
après que le débat ait été porté sur la piace publique par !es
intéressés, nous avons gardé nos réflexions pour nous et
observé un silence réfléchi.
Le joumaliste de tempérament et d'humeur que je suis a par­
fois trouvé ce silence excessif. J'avais to1t. J'oubliais que la
-------- L A C A S S U R E ---------

situation qui nous est faite nous interdit le joumalisme de


déballage. Que cela plaise ou non, nous sommes devenus, par
la force des choses, des joumalistes-soldats. Il faut donc nous
comporter comme tels.
C'est très exactement ce que fut le comportement de la presse
nationale. Les commis-voyageurs en discordes l'ont bien
compris, Ils ont vite cessé de colporter chez nous leurs ragots
venimeux. Nous pouvions avoir nos préférences. Nos opi­
nions sur telle décision pouvaient diverger. Nous étions tous
d'accord qu'il ne fallait rien faire qui piìt gener !es réconcilia­
tions souhaitables. Les arrangements à l'amiable valent
mieux que !es cassures. Nous avions le triste sentiment que
le Front national était en train de perdre un temps précieux et
des avantages acquis, à la grande satisfaction de l'adversaire­
ennemi. Il suffit d'ouvrir Le Monde, Le Figaro, Libération,
Le Parisien, France-Soir, pour en etre persuadés. Pour en
etre affligés, aussi.
Au bout d'une guerre achamée qui dure depuis quelque quinze
ans, l'adversaire-ennemi n'a pu nous diviser. En quelques
mois nous risquons d'y parvenir. La presse nationale pourra
se féliciter de n'avoir aucune part dans ce suicide. Ce ne sera
qu'une maigre consolation.
Nous comprenons fort bien que le Front national hésite et
s'interroge sur !es politigues à suivre. Faut-il se tenir serré sur
une stratégie de rupture, arc-bouté dans l'effort, seul contre
tous ? Faut-il rechercher des accords, voire des alliances,
pour éviter d'etre battu au second tour par 5 1 % des voix
contre 49 ? Quand on a décidé de prendre le pouvoir par le
suffrage et le suffrage seul, cela demande réflexion. Faut-il,
selon les circonstances, adopter l'une ou l'autre de ces atti­
tudes ? Il est tout à fait normai que ]es responsables du Front
en débattent, argumentent, s'opposent dans des discussions
qui sont forcément passionnées. Mais à une condition. Qu'ils
n'oublient jamais que, quelle que soit la décision prise, celle-
--------- o,\Q[T)()Joni!,
- �a� -------­
..
ci ne sera conduite au succès que si le mouvement national
- les adhérents, les sympathisants, les électeurs comme les
chefs - demeurent unis et soudés dans le combat.
En prenons-nous le chemin ? C'est la question que je me per­
mets de poser. En tant que journaliste-soldat, je n'en ai peut­
etre pas le droit. Mais en qualité de doyen de la presse heb­
domadaire nationale, j'en ai le devoir. Et j'ai essayé, toute ma
vie, de faire mon devoir.
(19 novembre 1998)

Ces querelles
Iéiuélection au suffrage universel
président de la République a
d'hommes
rendu les affrontements plus
féroces entre les concurrents d'un
meme parti qu'entre les adversaires
politiques. Dans un climat empoisonné,
les querelles d'hommes deviennent des guerres. On dit que
Jupiter rend fous ceux qu'il veut perdre. Peut-etre n'est-ce pas
Jupiter, mais seulement le pouvoir, sa conquete, son exercice
et sa défense.
Espérons que le ciel, dans sa miséricorde, nous préserve d'un
tel fléau, en nous permettant de ne combattre que nos enne­
mis.
(26 novembre 1998)
-------- L A CASSURE --------

La division du Front ne pouvait que réjouir ses ennemis,


ses adversaires et ses concurrents. Madelin - qui signa
l'accord avec les B'naY B'rith - en fit l'aveu. Je répondis
ceci :

our guérir, [écrivez-vous] le


Front doit « se diviser ou se
transformer
L'aveu
d'Alain Madelin au travers d'une
rupture ». Je souligne les mots-clés.
Vous pourriez alors accepter sans danger
l'alliance de la partie saine sur laquel­
le ne pèsera plus la malédiction du B'naY B'rith
Alors, mais alors seulemen� ayant récupéré ces voix lavées
du soupçon d'infamie que vous aviez fait peser sur elles,
vous pourriez espérer regagner la majorité que la dissolution
vous avait fait perdre !
J'ai dit que ce second aveu était pour nous aussi précieux que
le premier. Je le répète. Grace à vous, Monsieur Madelin,
tous les numéros du Front, les dirigeants, les cadres, les mili­
tants ne peuvent plus ignorer où est la priorité des priorités.
C'est l'unité, c'est l'union. Rester compacts, au coude à
coude, pour la manreuvre, c'est l'essentiel.
Il suffit de vous lire pour en etre convaincu. Aujourd'hui, le
Front se trouve devant le problème des alliances.
Faut-il en multiplier les tentatives et les élargir, au risque de
perdre notre origine, notre identité, notre ame comme disait
l'autre, et par-dessus tout, notre vocation à rassembler les
Français parce qu'ils sont français ?
Ou faut-il continuer notre route en nous contentant d'etre
nous-memes, au risque de voir s'en aller les électeurs déçus
d'avoir si peu d'élus malgré tant de suffrages ?
Les deux positions disposent d'arguments sérieux, qui méri-
------- o�()Jonl!,
- f>')'O.� ------
..,
tent examen, réflexion, discussion. Il faut peser, soupeser,
imaginer et surtout se dire que tout peut etre envisagé à
condition de faire le contraire de ce que vous suggérez. A
condition que le Front ne se divise pas, ni ne se transforme
pas au travers d'une rupture.
S'il se divisait, s'il se transformait au travers d'une rupture, il
ne pounait ni profiter des alliances qu'il aurait contractées, ni
demeurer un parti solitaire, mais redouté, s'il les avait refusées.
Tous les maux que l'on espère éviter par la division se retrou­
vent aggravés dès qu'on y a cédé.
Merci, Monsieur Madelin, de nous l'avoir rappelé en
quelques lignes. Elles ne pouvaient pas mieux tomber.
(10 septembre 1998)

Mégret
Mathilde A Polémique, le 29 novembre, à 12 h 10, sur
a VII à la télé : France 2 [. . . ] le seul sujet qui valait d'etre
examiné, battu et débattu était les que­
rel les à l'intérieur du Front, les conflits
de personnes (qui existent dans les familles les plus unies),
les rivalités, les jalousies, les jugements que Pierre portait sur
Paul -jugements défavorables bien sfir -, on citait celui de
Mme Stirbois, on oubliait celui de Jean-Marie Le Pen faisant
l'éloge de Mégret, après sa candidature aux élections muni­
cipales de Marseille. Bref, Mme Cotta voulait du déballage,
encore du déballage, toujours du déballage: Elle se pourlé­
chait déjà. Elle avait tort. Calme et placide, mesuré, refusant
de se laisser entrainer où l'on voulait le mener, Bruno Mégret
s'en tenait à sa ligne : ne rien dire qui pourrait nuire au Front.
C'est celle que nous avons adoptée et suivie. J'ai écrit ici-
-
-------- LA CASS U RE --------

meme, tout au début, qu'il fallait attendre l'arret de la Cour


d'appel de Versaille avant de commencer à se disputer sur
une éventuelle candidature de Mme Le Pen. Avais-je tort ?
Souriant mais ferme, Mégret répétait qu'il ne voulait que
l'unité et l'efficacité du mouvement. C'est une règle que tout
le monde devrait toujours respecter, aujourd'hui plus stricte­
ment, plus étroitement que jamais.

Le Pen
Dimanche soir, 6 décembre, sur LCI, à 18 h 30 très précises,
le Grand Jury RTL-Le Monde attendait le président Le Pen,
de pied ferme et l'reil allumé. Le « coup de tabac » et le
« coup de torclzon » qui avaient secoué la veille le Conseil
national du Front éclairaient les visages d'Anita Hausser
(LC/), de Mazerolle (RTL) et de Jarreau (Le Monde) d'une
douce lumière. L'reil de Mlle Hausser pétillait. C'est vous
dire. Généralement empruntée et laborieuse, elle se faisait
gracieuse comme un mouton endimanché, dans les bergeries
de Marie-Antoinette.
M. Mazerolle avait perdu cet air austère de Procureur impla­
cable et inconuptible qui lui va si bien. Ce chevalier à la triste
figure semblait meme affligé des défaillances dans la timo­
nerie qui avait pu affecter le samedi du commandant Le Pen.
Encore que celui-ci, remonté à temps sur le pont, paraissait
fort réjoui de sa manreuvre, et communiquait son entrain à
son grand juré.
Chez M. Jarreau (du Monde), lajubilation était plus intérieure,
comme il se doit. Elle nourrissait son inquiétude sur l'avenir
du Front national. Heureusement, le commandant Le Pen
calmait ses craintes. Ces turbulences n'étaient l e fait que
d'une « minorité d'extrémistes et de racistes. . . La droite avait
bien le droit d'avoir une extréme droite », etc. Il ne s'agissait
là que d'incidents dc parcours qu'un grand mouvement sur-
montait sans difficultés. M. Jarreau (du Monde) opinait. Il
était rassuré. Mme Chombeau, sa talentueuse consreur, ne
manquerait pas de dissertation.
J'espère que les belligérants de la veille ont vu ces images
parlantes. Ils ont réussi à rendre suaves des gens qui nous
détestent - et le mot est trop faible. C'est un joli résultat.
C'est la morale que j'ai tirée de cette émission. mais je dois à
la vérité de dire que je l'ai mal sui vie. Ces querelles me font
mal. Je les trouve catastrophiques. Tous les camouflages,
argumentations ou arguties n'y changeront rien. Disons sim­
plement que le président Le Pen m'a paru plus convaincant
dans la deuxième partie du Grand Jury que dans la première.

Martinez
Lundi 7 décembre, dans la soirée. Sur l'écran de LCI surgi1
Serge Martinez. Pour le téléspectateur moyen, c'est un inconnu.
Le Martinez que !'on connatt, c'est Jean-Claude le bouillon­
nant, agrégé de droit public, spécialiste des problèmes de fis­
calité, mais aussi fantaisiste, amuseur, auteur de 150 chan­
sons, que Jean-Marie Le Pen a choisies pour orchestrer la
campagne des Européennes.
Serge est moins brillant. Il joue pourtant un role très impor­
tant dans la machine du Front, chef du personnel, chargé des
grandes manifestations et de beaucoup d'autres responsabili­
tés, discret, effacé, efficace. Brillant chef d'entreprise, dans
l'électronique (plus de cinq cents employés), il fit une fortune
rapide et décida d'appliquer ses méthodes à la politique (RPR
d'abord, Front national ensuite) et au joumalisme politique. Il
racheta Minute, tenta une nouvelle formule (Minute -
La France, puis La France), avec notre ami Serge de
Beketch, puis le revendit. Conseiller régional du Languedoc,
il est conseiller national du Front (coopté sur le contingent de
Jean-Marie Le Pen).
-------- L A C A S S U R E --------

Et voilà ce soir qu'il déclare, dans une conférence de presse


télévisée, se désolidariser de la démarche de son président. Il
demande la convocation d'un Congrès extraordinaire, en jan­
vier. J'écoute ce monologue, accablée. Si j 'avais encore
quelques illusions en commençant cette chronique, elles ne
sont plus possibles. Un congrès extraordinaire, est-ce la
bonne solution ? A voir ce qui s'est passé samedi, il ne se
déroulerait pas sans heurts violents. Ce dont nous n'avons pas
besoin. Mais sans consultation de la base, sanctionnée par un
vote, nous allons vers des exclusions en chai'ne, le clash, la
scission, sous }es applaudissements de la B ande des Quatre.
J'en suis là de mes amères réflexions quand la préposée au
joumal de 1 9 heures s'interrompt pour annoncer l'exclusion
de Serge Martinez. C'est à pleurer.

Gollnisch

Toujours ce lundi et toujours sur LCI, Ruth Elkrief reçoit


Bruno Gollnisch, le secrétaire général du Front. J'ai beau­
coup de sympathie pour lui. C'est un esprit délicieux, mali­
cieux, curieux, omé comme on disait autrefois. Un repas
avec lui est toujours une fete . . . On le critique parfois en qua­
lité de secrétaire général. Je n'ai jamais connu un secrétaire
général qui ne fut pas critiqué. Quelques mais avant la mort
du premier, Jean-Pierre Stirbois, je fis un tour de France poli­
tique. Je recueillis beaucoup de plaintes et doléances. Elles
concemaient le courrier, l'administration des cartes, les déci­
sions arbitraires, le choix des responsables, etc. Quelques
mois après son accident morte}, à l'occasion de l'élection pré­
sidentielle où, malgré (ou à cause) du détail , Jean-Marie fit
un tabac, je refis le meme tour de France politique. Je n'en­
registrai que des regrets. « En perdant Jean-Pierre, le Front
avait fait une perte irréparable. Jamais nous ne retrouve­
rions un secrétaire général de son envergure : sens politique,
--------- o-�('J()fUf,
(? � -------­ 'O.

.,
fidélité, efficacité, il avait tout. » Je m'empresse d'ajouter que
je ne souhaite pas que Bruno Gollnisch disparaisse pour que
soit vanté le travail qu'il accomplit au secrétariat général.
Ce soir, il n'a pas la tache facile. Mme Elkrief ne le lache pas
sur « les extrémistes et [es racistes ». Elle ne comprend pas.
Selon la pensée unique, le fasciste à connotation raciste était
Le Pen. Et voilà que les extrémistes et les racistes soutien­
nent Mégret qui n'est cependant pas des leurs. C'est à y
perdre son latin.
D'autant plus que LCI a sorti du placard un certain Saint­
Affrique, ancien conseiller du président Le Pen, et que ce
Saint-Affrique, en 1994, reprochait déjà à Mégret des atti­
tudes fascisantes . . . lui qui avait fondé les CAR (comités
d'Action Républicaine). Une chatte n'y retrouverait pas ses
petits.
En outre, Stéphane Durbec, Antillais, vient à l'écran déclarer
(avec émotion) que Le Pen est tout le contraire d'un raciste. A
qui se fier ? S'ils avaient eu la bonne idée d'interviewer Cohen
cornaqué par B ernard Antony, l'imbroglio eGt été complet.
Le front de Ruth Elkrief se plisse sous !'intense effort de
réflexion qu'elle fournit. Avec le calme des vieiltes troupes,
Bruno Gollnisch essaye de délabyrinther sa pensée. Je ne
trouve pas qu'il y parvienne totalement. Rien n'est plus diffi­
cile à réussir que les figures imposées. J'aurais aimé qu'il
nous expliquat les raisons politiques de la rupture. Il ne l'a
pas fait. Je constate que le fossé va s'élargissant, sans qu'on
sache pourquoi. . . Mais peut-etre est-ce que c'est moi qui ne
comprends rien.
-
-------- L A C A S S U R E --------

a France n'est que souffrances.


Ce mal Samedi et dimanche, le téléthon
qui répand nous le rappelait encore. Il n'est
la terreur question que de la chomagite aigue
qui nous accable et du sida où l'homme
perd ses immunités physiques, men­
tales et parfois parlementaires. Ce n'est pas gai.
En revanche on parie moins de l'épidémie de divisionnite
chronique qui sévit actuellement. Tous les partis, de la majo­
rité comme de l'opposition, en sont pourtant frappés. On n'en
trouve plus d'occupés à chercher les secours, ni le soutien
d'une mourante vie. Ils ne pensent qu'à se diviser pour régner.
C'est un mal qui répand la terreur.
Voyez la gauche plurielle. Elle se portait comme le Pont-Neuf.
Superbe et généreux, Lione! pavoisait dans les sondages. Il
inventait la cohabitation à une seule tete. Le Président de la
Corrèze patrouillait dans les Zambèzes pour fourguer des
Airbus et des Moulinex. Lui, le Premier ministre, intra muros,
grace à sa méthode, résolvait l'insoluble.
Il lui suffisait de placer Coco Gayssot aux Transports pour
éviter les grèves. Le questionnaire aux lycéens permettait à
des millions de clampins de se défouler en exprimant leurs
désirs. Du coup les programmes étaient allégés. Les classes
ne comptaient plus que vingt-cinq élèves. Plus un prof ne
manquait à l'appel. 11s n'étaient plus obligés de passer leur
cotte de mailles pour aller apprendre à Kémal et Mamadou
que leurs ancetres n'étaient pas les Gaulois. Depuis que la
super-Trautmann avait subventionné le rap pour interpréter la
romance du Front popu
Allons au devant de la vie,
Allons au devant du matin,
nous n'entendions plus dans les cités mugir ces féroces sol­
dats sur fonds de tambours de guerre :
--------- a-A,QfY) ()Jor�dt,a� -------­
...
Gros con de flic, groc flic obtus,
Fais gaffe à tes miches,
Gros con de flic, grosflic obtus
Fais gaffe à ton cui !
Aussitot Ies casseurs, qui n'avaient jamais cassé trois pattes à
un canard, ne cassaient meme plus les pieds des conducteurs
d'autobus. Les usines ferrnaient, et le chòmage baissait
puisque Mme Aubry embauchait des gardiens de square à
tout va. Pour éviter d'avoir Mamère sur le haricot. Lionel ne
renvoyait pas !es clandestins dans leurs douars d'origine
mais, comme il évitait de les compter, c'était camme s'ils
n'existaient pas. Chevènement pouvait rouler les méca­
niques, ça lui redonnait des couleurs. DSK reprenait de la
main gauche ce qu'il venait de donner de la droite. La métho­
de, vous dis-je . . . ça baignait.
Et brusquement, sans qu'on sache pourquoi, en deux coup
les gros, camme disait Allègre, tout bascule dans la cha­
maille. Voynet est au piquet. Elle veut régulariser la smala
des sans-papiers jusqu'au demier. « ça vafaire un appel d'air »,
dit Jospin. « Appel d'air toi-meme », réplique Mamère, tou­
jours gracieux. Bref, c'est la chicaya.
Le PACS n'arrange pas les bidons. Pour plaire à la Joyeuse
Pédale du Marais, une association culturelle où Delanoe a
des amitiés, les socialos de la jaquette s'achament sur cette
histoire de come-cui. Si une chambrette d'amour n'est pas
officiellement réservée jusqu'aux demiers jours de leurs
amours à Tonton et Tata, on offense la personne humaine. Le
conflit sépare des Frères siamois, initiés à la meme loge. 11s
refusent de continuer à se presser les mains. Ils se toument le
dos. Ce qui est d'une imprudence extreme quand on aborde
les problèmes d'homosexualité. Masculine, je précise.
Ces palabres exaspèrent Jospin. Il trépigne. Il voit rouge. Vu
ses apprentissages chez !es faucons, c'est forcé. Malgré le
-------- LA CASSURE --------

douloureux exemple de Rocard, et son dérapage dans une


Question au Gouvememellt sur l 'Affaire Dreyfus, le Premier
ministre recidive. Il pète les plombs. Il traite de « marginale »
une représentante du peuple. Du peuple de centre droite,
certes . . . c'est moins grave. Mais tout de meme . . . chez un
huguenot républicain qui cultive le self contro[ en famille,
avec sa seconde épouse:, philosophe, cet éclat révèle la ten­
sion. Emotion. Larmes. Vociférations. Le bouquet de roses ne
calme pas les esprits. Au contraire, i l souligne la grossièreté
et l'arrogance du pouvoir social-démocrate.
C'est le moment que choisit super-Trautmann pour se prendre
les gaufrettes dans la choucroute. Son projet de réforme de
l'audiovisuel provoque la constemation du gouvememerit et
les sarcasmes de la majorité. Depuis vingt ans, les chaines
publiques ont cofité 100 (cent) milliards aux contribuables.
Cela ne suffit pas. Sur instructions de Jospin, super-Trautmann
veut les priver de ressources publicitaires. C'est de la folie !
Zéro pointé. Copie à revoir. Bonjour l'ambiance . . .
Hue Coco en profite. I l annonce des Européennes révolu­
tionnaires. Il veut prendre tout le monde bilie en tete : Ariette
et Krivine, les hitléro-trotskistes ; Voynet et les Verts, des
éoliennes et du char-à-bancs. Hue Coco déterre la hache de
guerre. Il improvise la danse devant la Buffet, terrorisée. « Il
faut prendre l'argent là où qu 'elle est. » Tue ! Tue! Lénine
reconnaitra les siens.
Les ch6meurs sont dans la rue. Ils ne croient pas au Père
Noel. Mais ils exigent que le Père Noel leur apporte une
prime de 3 000 F. A chacun selon ses besoins . . . A Marseil le,
le SO de la CGT, qui les encadrait, à pris la trouille. Il a appelé
la police au secours. Un monde !
Coco Gayssot ne contr6Ie plus ses contr6lèùrs. Des régions
entières sont sans trains. C'est ce qui va améliorer la trésore­
rie de la SNCF. Des lycées sont en grève à nouveau. Le mam-
,,.gu-.,C'JO!�a�
_________ o- Uf- --------
..
mouth dégraisse Allègre. Le présence de Ducohn-Bandit
dans le borde} est symbolique. C'est le retour de Mai 68. La
chienlit. L'anarchie partout. L'extreme gauche transforme la
gauche plurielle en gauche multiplurielle. ça s'engueule. ça
se délite. ça s'affronte. ça s'émiette. Tout le monde parie.
Personne n'écoute. L'épidémie de la divisionnite chronique
s'étend.
Elle gagne la minorité présidentielle. Celle-ci a cru combattre
le fléau en faisant l'Alliance entre le RPR, l'UDF et
Démocratie libérale. Mais il y a quatre RPR. Celui de Séguin,
celui de Sarkozy, celui de Paqua et celui, virtuel, feutré et
masqué, de Balladur.
Il y a l'UDF de Bayrou - le négociateur dopé à la Blédine,
comme Virenque - et l'UDF de Douste, !'anguille de
Lourdes, glissant comme une savonnette, malheureusement
trahi par un physique de fourbe de mélodrame, qui suffit à
mettre en alerte le plus innocent des nai'fs.
Il y a la Démocratie libérale des deux Madelin : le Madelin
du passé faisons table rase, demain le libéralisme rasera gra­
tis, et le Madelin pragmatique, qui croit aux leçons du passé
et sait qu'on n'arrivera nulle part si l'on ne parvient pas, au
départ, à trouver des accords électoraux à droite et à droite de
la droite.
Partout, ce n'est qu'une désagrégation collective de coteries
concurrentes et rivales ; un poudingue, où les calculs person­
nels, les jalousies, les ambitions, ont depuis longtemps
détruit le ciment. Une poignée de graviers. Ouvrez la main.
Il grele.
Nous, ici, jusqu'à l'été demier, nous pouvions en rire . . . Nous
voici, hélas, à notre tour touchés. Longtemps j'ai espéré
qu'avec l'aide de la Providence nous serions épargnés. Peut­
on encore le croire ? Ignorer l'évidence ? Les signes sont là.
Les images, les visages, les voix . . . Cette étrange fureur qui
-------- L A C A S S U R E --------

transfom1e des camarades en adversaires et jette, les uns


contre les autres, des hommes indispensables à leur salut
commun . . . Ces exclusions dans un parti d1exclus . . . Cette
vague de purges et d1épuration alors que nous savons bien
qu'un pur trouve toujours un plus pur qui l'épure . . . Ces riva­
lités soudain exacerbées, ces querelles d'hommes et de
femmes, de places, de rangs, de clans, qui tendent à détruire
la diversité, force et souplesse du mouvement national . . . Ce
sont des symptomes alarmants. Je pense à la piétaille qui a
tant donné, en temps, en argent, en efforts. Elle va etre très
déçue. C'est pourquoi j'espère encore. J'espère toujours. Je
suis pour ma part bien décidé à ne rien faire qui risquerait
d'aggraver l'état du malade. Les guérisons miraculeuses exis­
tent. Elles commencent par le silence, la prière et la paix.
(10 décembre 1998)

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Field vu par Mathilde

L
A la télévision
es chocs qui déchirent le Front
n'affectent pas tout le monde.
Michel Field a paru rarement
aussi réjoui que dimanche soir,
Samedi 12 décembre, à Public, sur
TF1, à 19 heures. Plus le président Le Pen avançait dans sa
présentation du champ de bataille, où les excités, les extré­
mistes, les racistes, les félons, les trartres et les malhonnétes
s'étaient ligués contre lui, plus Field buvait de l'hydromel, ce
nectar de la félicité réservé aux dieux.
Son petit reil de hyène, souvent fureteur et aux aguets, brillait
de plaisir. Son visage était éclairé par la lumière que donne
l'accomplissement des espérances les plus chères. La dernière
fois qu'il reçut le président Le Pen, il avait pris une raclée
homérique. Cueilli à froid par un bolo-punch au menton, il
n'avait pas touché terre. Méme Mme Giroud, dont la bien­
veillance à l'égard du président Le Pen fut toujours des plus
mesurée, en convint. Field n'avait pas fait le poids et l'on se
souviendrait longtemps de cette pàtée.
Eh bien, dimanche, on en avait perdu le souvenir. Sitot que le
président Le Pen cessait de régler ses comptes, Field, d'une
question, le remettait sur les bons rails et le massacre des cou­
pables recommençait. Quel bonheur ! A l'avenir, il n'y aurait
plus besoin de faire appel aux républicains de Ras l'Front pour
troubler les meetings du Front national, agresser les sympathi­
sants et éloigner les auditeurs. En s'invectivant, en s'affrontant,
les militants du Front feraient eux-mémes le vide. Il était inutile
désonnais d'appeler les casseurs à venir saccager les perma­
nences du Front. Les frontistes s'en chargeaient.
Field respirait la joie de vivre. Quand à la fin de l'entretien il
dit : « le vous remercie, monsieur Le Pen », pour la première
fois je trouvais qu'il pouvait y avoir de la sincérité dans sa voix.
-------- L A C A SS U R E --------

Et Le Pen
Nous avons beaucoup vu le président Le Pen à la télévision ces
demiers jours. Cette succession d'images m'a inspiré deux
réflexions.
D'abord son étonnante vitalité. Il est entré dans sa soixante et
onzième année depuis le 20 juin demier. Il mène une vie hale­
tante, harassante, sous pression, sous tension. Il multiplie les
interventions, les discours, les meetings, toujours en discus­
sions, en affrontements, en épreuves de force ou en séances de
charme. Ce doit etre épuisant. Dimanche, après une semaine
d'enfer, il est apparo le teint frais, l'reil vif, la bouche moqueuse,
lui qui, quarante-huit heures plus tot, à Metz, avait le muffle
mussolinien, dur et fermé. •
Comment fait-il ? Où trouve-t-il chaque jour ces forces nouvelles ?
Ces facultés de vaincre la fatigue et surmonter l'épuisement ?
Je l'avoue . . . J'ai pensé à Virenque, survolant dans l'allégresse
les demières étapes du tour 97. Il n'y a pas de controle anti­
dopage pour les hommes politiques et pourtant ce qu'accom­
plit physiquement le président Le Pen est aussi exténuant
qu'un Tour de France, dont on dit souvent qu'il ne se dispute
pas en buvant seulement de la camomille. Mais peut-etre qu'en
l'occurrence l'EPO s'appelle tout simplement la passion.
La seconde réflexion toume autour des rapports des hommes
politiques et de la télévision. Ils sont fascinés par elle. Elle
les conditionne, les modèle, modifie l'expression de leur
visage et change leur voix. On racontait l'histoire d'un acteur
d'autrefois, nommé Dieudonné, j e crois, qui, à force de jouer
le raie de l'Empereur, se prenait pour Napoléon. La télévision
donne à l'homme politique le pouvoir de l'acteur. Elle lui
confère une autorité, une audience, une réalité. Elle le sacre.
Aujourd'hui, avant de se demander si X. est intelligent, s'il a
des idées justes et du caractère, on se demande s'il passe bien
à la télévision. Un homme de grande valeur qui passerait mal
à la télévision ne saurait retenir l'attention des électeurs.
L'importance prise par la télévision est telle que l'homme
politique qui en est privé déprime. Et celui qu'elle distingue
se sent comme désigné par le doigt de Dieu. Blu avant de
l'etre . . . Malgré la gravité de la situation et le regard sarcas­
tique de Field, dimanche, le président Le Pen semblait heu­
reux d'etre la vedette de TFl .

onsoir tristesse ! Au téléphone,


c'est la seule réponse que je
Bonsoir trouve à faire. Les appels ont
tristesse...
rarement été aussi nombreux. Ils vien-
nent de toute la France. Je n'ajouterai
. pas : de tous les ages. Les cheveux grij
et blancs l'emportent sur les gamins. Tous me connaissent. I
savent que je ne suis d'aucune coterie, d'aucun clan, et que si
je ne dis pas toujours tout ce que je pense, je pense tqujours
tout ce que je dis.
Depuis le début de la crise, je n'ai jamais caché mon senti­
ment. lei, à mots couverts : c'est normai, National Hebdo
appartient &u Front depuis quelques années. Jean-Claude
Varanne, le président-directeur général n'a pas manqué de me
le rappeler : « L'actionnaire principal, e' est Le Pen. » A bon
entendeur, salut.
En privé, je fus plus direct. A plusieurs reprises, avec le
meme Varanne, ensemble, d'une meme voix, nous déplo­
rames la vilaine toumure que prenait le conflit et le méchant
climat qui montait. La chasse au Brutus n'avait pourtant pas
encore commencé.
Récemment, je fus convié, au bénéfice de l'age et de l'amitié,
-------- L A C A S S U R E --------

à un d1ner des directeurs de la presse nationale. L'invité


d'honneur était Jean-Marie Le Pen. Nous n'en étions encore
qu'aux grandes manreuvres et à la paix armée. Je déclarai tout
net que si nous voulions balayer les rumeurs, désespérer
Saint-Germain-des-Prés, clouer le bec des médias, enchanter
les notres, ramener les électeurs et réussir une brillante
Européenne, le ticket Le Pen-Mégret s'imposait.
Je ne suis pas pour autant mégretiste. Mes racines sont bien
différentes de celles de Mégret, de Blot ou de Le Gallou.
Mégret et Blot viennent du RPR. Le Gallou du PR. Le pre­
mier est polytechnicien, ingénieur des mines, master of
Science de l'Université de Berkeley (Califomie). Les deux
autres sont énarques. Le Gallou fut lauréat du concours géné­
ral de géographie, et de celui d'histoire. Je ne sors que de
l'école primaire supérieure de Quimperlé (Finistère), et de la
prison de Fresnes où je fus détenu quatorze mois en qualité
de soldat du Maréchal. Aux BBR de 1997, quand Jean-Marie
me décora de la Fiamme du Front, il me glissa à l'oreille :
- Je sais que tu aurais préféré la Francisque, mais c'est tout
ce que j' ai à t'offrir.
Quand je comparais en justice, si j'ose m'exprimer ainsi, les
avocats des parties civiles, toujours nobles et généreux, me
présentent comme un individu d'extreme droite, à tendances
xénophobes, racistes et antisérnites, ce qui ne m'attire pas les
sympathies du tribunal.
Ce lourd et constemant héritage n'est généralement pas celui
des « horlogers ». C'est ainsi qu'on nornme parfois les mégré­
tistes, dont beaucoup appartiennent au fort distingué Club de
l'Horloge. Ce n'est pas non plus mon cas. Néanmoins j'ai
apprécié ce que les « lzorlogers » ont apporté en rigueur,
sérieux, formation, documentation, organisation au mouve­
ment national. Il ferait une grande perte en s'en séparant. Le
bannissement n'est jamais un facteur d'enrichissement. On le
sait depuis la révocation de l'édit de Nantes. Au moins.
Mes rapports avec Jean-Marie Le Pen sont tout différents. Je
le connais depuis cinquante ans. Je le fréquente depuis qua­
rante. C'est un homme d'un courage de lion, d'un tempéra­
ment de feu, dont les défauts sont ceux de ses exceptionnelles
qualités. Il est doué d'une double intelligence. Sur une intel­
ligence d'instinct se greffe une intelligence de visionnaire.
Ajoutez des facultés d'assirnilation, d'improvisation et de déci­
sion hors du commun. Son caractère n'est pas facile. Notre
amitié ne fut pas sans orages. Elle est demeurée vivace.
Lors des premières épreuves du Comité TV (Tixier­
Vignancour), j'avais pris conscience du phénomène dans sa
complexité. Cela ne m'empecha pas de convaincre les diri­
geants d'Ordre Nouveau d'offrir à Jean-Marie Le Pen la pré­
sidence du Front national. Ils n'en furent pas récompensés.
Mai non plus.
Quelques années plus tard, en 1979, eurent lieu )es premières
élections européennes au suffrage universel. Ordre nouveau,
devenu le PFN, prit Tixier-Vignancour comme tete de liste.
Naturellement Le Pen entendait se présenter sous le drapeau
du Front. Pour éviter ce choc fratricide, j'organisai, pendant
plusieurs semaines, un référendum à Minute. On votait, par
bulletin, pour la liste Tixier, pour la liste Le Pen, ou pour une
liste d'union. Le succès fut considérable. Il fallut embaucher
du personnel intermédiaire, pour assurer le dépouillement
(devant huissier). L'union l'emporta, avec une majorité écra­
sante, au grand dépit du PFN, qui m'accusa de trahison.
La liste unitaire ne réussit pourtant pas à se constituer, malgré les
bons offices cecuméniques de Miche} de Saint-Piene. Tixier
demeura seul sur le terrain. La liste d'Union française pour
l'Eurodroite, avec Pascal Gauchon, Alain Robert et Joseph Ortiz,
en numéros 2, 3 et 4, n'obtint que 265 000 voix. Elle n'eut aucun
élu. Les électeurs avaient sanctionné la division.
-------- LA C A S S U R E -----:------

li fallut auendre Prése111 pour que celle-ci pnt fin. Jean


Madiran, PieITe Durand et moi, nous réussfmes à obtenir l a
réconciliation publique de Jean-Louis et de Jean-Marie. Ils se
donnèrent l'accolade. Il n'y a pas de spectacle plus prenant
que les retrouvailles des amis désunis. La salle, debout,
applaudissait. Elle tanguait, comme i vre d'émotion, de grati­
tude, de bonheur.
Depuis 1980, j'ai soutenu Jean-Marie Le Pen dans tous ses
combats, politiques et judiciaires. Je l'ai défendu dans l'affaire
des tortures, dans celle du détail, dans l'histoire de l'Irak,
où beaucoup de nos amis ne le suivaient pas, par réflexe anti­
fellagha. Je n'ai pas cessé de répéter que, sans lui, le FN ne
serait pas où il est encore aujourd'hui. Personnellement, je
n'oublierai jamais ce que nous lui devons, nous autres, les­
épurés de 1944. Jean-Marie Le Pen fut le premier jeune chef
politique, non mélé aux tumultes de la guene civile, à faire
de la réconciliation française le premier ciment du mouve­
ment national.
Cependant je ne peux laisser croire - ne fut-ce que par mon
silence - que j'adhère au comportement actuel du président
Le Pen. Ce comportement me navre. Il m'accable. Il me déses­
père. Je continue d'avoir la profonde conviction que nous pou­
vions faire l'économie de cette autodémolition . .Je continue de
croire que les rctombées de cet affrontement seront terribles,
pour tout le monde. Je ne puis cacher que je suis atteITé . . .
Je n'oublie pas que j'écris dans le joumal de Jean-Marie
Le Pen. J'ai parfaitement conscience que celte chronique peut
très bien ne pas parai'tre et etre la demière de ma vie. II y a
huit jours, le dessin de Konk fut censuré par Jean-Claude
Varanne, sans que vous fussiez avenis, comme je l'avais
demandé. Il n'y a pas de quoi s'indigner. Les joumaux sans
ce·n sure n'existent pas. Encore faudrait-il avoir l'honnéteté
d'en avertir Ies lecteurs? Est-ce trop demander ? S ans doute.
Cela fait dr61e de penser que l'article qu'on écrit sera peut�étre
--------- a,®')('J �a� -------­
- . IJW!,
..
le dernier. Mais tant pis. « la vie n'est pas neutre », disait le
Maréchal. J'ai pris mes responsabilités. J'ai e�sayé de parler le
plus dignement possible, etavec ma sensibilité propre, de cette
lamentable histoire. Je n'ai pas melé ma voix aux clarneurs. Je
ne serai jamais du coté de ceux qui prornettent la grande
vergue aux Révoltés du Bounty. Je ne serai jarnais avec ceur.
qui répliquent en rappelant Ouragan sur le Caine. Mon César
à moi, c'est celui de Pagriol. Il n'a pas· envie de tuer Marius,
meme si son fils l'a quitté, et qu'il a quitté la petite Fanny, pour
voir naitre, • un matin, à l'horizon, les Iles Sous-le-Vent. . .
Je ne pourrai jamais considérer comme des traitres à leur
parti, et à leur patrie, les dirigeants qui ont demandé la
convocation d'un congrès exlraordinaire. C'est la prem.ière
fois que je me sens proche du général de Gaulle : j'ai envie
d'al1er pleurer de chagrin dans rnon village. Bonsoir tristesse.
(17 décembre 1998)

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-------- L A C AS S URE --------

undi 14 décembre. A 9 heures,


comme chaque semaine, j'adresse
Une semaine
agitée
par télécopie mon "Carnet de
balles" à National Hebdo. Sous le titre
Bonsoir tristesse, je parie de celle où
me plongent les événements du Front.
C'est un papier à risques. Les esprits sont échauffés. A
14 heures, Jean-Marie Le Pen m'appelle. Pour la première
fois depuis 1987, date de mon entrée à NH, il me demande
une modification. Il s'agit de changer un mot. Dans un article
qui en compte mille deux cents, j'aurais mauvaise grace à
refuser. Je remplace « militants » par « dirigeants ». Le sens
général n'est pas altéré. La tempete qui secoue le mouvement
et menace de le briser nous épargnerait-elle ?
Mardi 15. Non. J'apprends que l'article de Martin Peltier,
retour d'Irak, est supprimé. Le dessin de Konk qui éclaire mes
"Camets" est également jugé impubliable, pour la deuxième
fois en huit jours. J'attends les réactions de mes camarades
pour prendre une décision
Mercredi 16. Radio Courtoisie. 1 8 heures. Au micro de
Serge de Beketch, Jean-Marie Le Pen me prend à partie sans
aménité. Mon papier n'est pas en cause, mais un articulet
publié par Mathilde Cruz dans ''Télé(re)vision". L'allusion à
Virenque le révulse. Mauvaise rédaction ? Lecture hative ? Il
est pourtant écrit, noir sur blanc, que ce qui dope le président
Le Pen n'est pas l'EPO mais la passion. Serge le lui fait
remarquer. Il l'admet : « Oui, dit-il, la passion de la France. »
Sa colère ne retombe pas pour autant.
Jeudi 17. NH est en vente dans les kiosques. Personne ne me
parie de l'articulet. L'article en revanche suscite beaucoup de
réactions, en majeure partie favorables. J'ai essayé d'expri­
mer, au plus près, ma part de vérité. Je précise que « je ne
suis d'aucun clan, d'aucune coterie ». Si je suis favorable à
un ticket Le Pen - Mégret aux Europénnes, j'ajoute : « Je ne
� 0 �a� --------
_________ o-
onl!-
...
suis pas pour autant mégrétiste. » Nulle part je ne réclame la
tenue d'un congrès extraordinaire. De quel droit le ferais-je ?
Je ne suis pas membre du Front. C'est en qualité de jouma­
liste appartenant à la rédaction que, par loyauté envers la
direction, j'écris : « Je ne pourrai jamais considérer comme
traftres à leur parti et à leur patrie, les dirigeants qui ont
demandé la convocation d'un congrès extraordinaire. »
C'est clair, me semble-t-il, net, simple, sans ambigui"té.
Pas du tout.
Une dépeche AFP, n ° FRS 0546 4 P 0245 FRA/ALP-SF 55,
tombe et titre froidement
« François Brigneau, l'un desfondateurs du FN, se rallie aux
mégrétistes. » Plus loin, son rédacteur, ou sa rédactrice, affir­
me que je me « prononce pour un congrès extraordinaire ».
Ce qui constitue un faux et un mensonge, un exemple typique de
la désinformation pratiquée par une agence de presse contr616
par l'Etat.
Naturellement le rédacteur ou la rédactrice n'a pas cherché à
me joindre pour me demander mon avis sur celte interpréta­
tion, pour le moins osée, d'un de mes textes.
Vendredi 18. Je ne suis pas abonné à l'AFP. Quand j'ai
connaissance de celte falsification, le coup est parti depuis la
veille. Il est imparable. De nombreux joumaux reproduisent
cette désinformation souvent sans en mentionner l'origine, ni
sans chercher à la vérifier en lisant l'article en question.
Sur LCI, Ruth Elkrief s'en sert pour embarrasser Bruno
Mégret qu'elle reçoit, à 19 h 10. Brigneau est inconnu du
grand public. Jamais ses articles, ses "Cahiers", ses livres
n'ont retenu l'attention des radios et de la télévision. Qu'il se
soit ou non rallié aux mégrétistes n'a aucune importance.
Mais quand on dit : « Brigneau, maréc/zaliste... », on retient
l'attention. ça sert la polémique. ça accrédite la thèse de l'ex-
-
-------- L A CASS U R E ---------

trème droite. C'est ce que recherche Mme Elkrief.


Habilement Mégret esquive . . .
Marie-Caroline Le Pen me téléphone. Elle me demande si
j'accepterais de participer, avec ·des personnalités comme
Jean Madiran, Georges-Paul Wagner, Jean-Baptiste Biaggi, le
président_ Giresse, à des pourparlers « d'unio,z nationale » entre
les deux camps. Cette démarche est la preuve de ma neutralité.
Je lui donne mon accord sans lui cacher mon scepticisme. Il y
a trois semaines, alors que nous n'en étions encore qu'aux
escarmouches, Claude Adam, président d'honneur des
Intellectuels indépendants, avait projeté une pareille initiative.
Il sollicita mon concours avant de renoncer, devant l'inanité de
cette démarche. La seule réconciliation envisageable ne pour­
rait se faire qu'èn chemise, pieds nus et la corde au cou.
Samedi 19. Hi�r, j'ai présenté ma èlémission à Jean-Claude
Varanne. Je.ne peux continuer à écrire comme je le faisais, en
toute spontanéité, au gré de mon humeur, pour un Front uni
alors que les couteaux sont tirés. Il me demande de surseoir
à cette décision. Les choses peuvent s'arranger. Je n'en crois
rien. La fracture est trop avancée. Rien de ce que j'ai écrit
n'était dirigé contre Le Pen. Je n'ai .cherché qu'à empecher
une dérive que j'estime dangereuse. J'ai échoué. Nous qui
dénoncions la diabolisation dont nous étions les victimes,
nous sommes entraìnés à nous diaboliser les uns les autres. Je
ne puis m'y résoudre. Je m'en vais. ·
Varanne revient à la charge. A 1 7 heures, je cède à .ses rai­
sons. Mathilde et moi nous nous mettons. en congé de
réflexion durant deux numéros, celui de Noel et du Jour de
l'An. Vous saurez tout le 7 janvier. En attendant, je vais
reprendre le papier que j'avais fait - il était intitulé Adios -
et le remplacer par celui-ci. • •
Dimanche 20. Je pense aux amis et lecteurs qui me font
l'amitié de me lire depuis onze ans, du Joumal d'un /zomme
--------- o-\Q/Y) ()J(}f�a � --------
�L

..
libre à ces Camets de·balles. Ils vont beaucoup mc manquer.
Ma semaine toumait autour de ces deux pages. J'aimais bien
revasser aux sujets possibles, chercher l'angle, le ton, le pian,
l'imbtication du cocasse, du tendre, du grave, l'éclairage du
présent par des textes passés. Bianchi sous le harnais, j'étais
fier d'etre encore un journaliste de combat. Mais si le combat
change· d'ame et se fait entre nous, je n'y participerai pas. Le
temps sera venu alors de mettre sac à teITe et de dire : bonsoir,
la compagnie.
Cette demière épreuve m'aura pennis une grande découver­
te. J'ai appris que j'étais juif ! C'est la fameuse dépeche de
l'AFP, n ° FRS 0546 4 P 0245 FRAfALP-SF 55, qui l'affinne :
« M. Brigneau, agé de 79 ans, bien que juif. .. ». Celle-là,
c'est la meilleure. La loi de Morse stipule qu'un juif est l'en­
fant d'une juive. Ma pauvre mère, née Yvonne, Augustine
Lharidon, ne s'en doutait pas. Ma grand-mère matemelle, qui
toute sa vie porta la coiffe de La Foret-Fouesnant, non plus.
Sinon, soucieuses comme elles l 'auraient été de me faire pro­
fiter de l'Alliance, j'aurais été circoncis. Je ne le suis pas. Si
le rédacteur ou la rédactrice de l'AFP était venu me voir, j'au­
rais pu le leur prouver. Aurait-ce été suffisant ? Ce n'est pas
certain . Ils auraient pu me rétorquer qu'en 19 19, à
Concameau (Finistère), dans la Ville-Close et aux alentours,
!es rabbins ne couraient pas ]es rues. J'aurais bien été forcé de
le reconnat'tre. Quand meme, juif ! Ils vont en faire un nez, à
l a LICRA.
Lundi 21. Fin de la semaine agitée. Je tennine difficilement ce
papier. Sera-ce le dernier ? Réponse en janvier. Je feuillette le
Figaro-Magazine. Deux photos me frappent. D'un c6té celle des
mégrétistes, de l'autre, celle de l'état-major lepéniste. Tous sem­
blent fort gais. Ils rient. Ils sourient. Ils ont l'air épanoui . Ce
n'est pas mon cas. J'aurais du mal à laisser éclater ma joie. Je
suis comme la plupart des militants, sympathisants, électeurs
que je rencontre : malheureux. J'ai meme du mal à vous sou-
-------- LA CASSURE --------

haiter un heureux Noel et une bonne année. Je n'y crois pas.


J'essaye de me remonter le moral. Je songe à Charles
Maurras. Pour ce qui est des dénonciations, condamnations,
exclusions, excommunications, scissions, il en connaissait
un rayon. Cela ne l'empechait pas de répéter que « en poli­
tique, le désespoir est une sottise absolue ». Je n'ai pas le
creur aussi bien accroché. Dans le grand pare solitaire et
glacé, je ne suis plus qu'une ombre, et l'espoir a fui, vaincu,
vers le ciel noir.
(24 décembre 1998)

Ecrit pour etre publié dans le


National Hebdo du 7 janvier 1999.
Aux lecteurs Totalement censuré par Jean­
Claude Varanne.

ous vous en doutiez . . . Certains le redoutaient, si j'en


crois les lettres amicales, souvent émouvantes, qu'ils
m'écrivent depuis quinze jours. Le "congé de
réflexion" ne m'a pas fait changer d'avis. Je pars, parce que
je ne suis plus accordé à la direction déléguée et à la direc­
tion réelle de National Hebdo.
Contrairement à ce qu'elles pensent, je continue d'estimer
que le "ticket" Le Pen-Mégret est le meilleur que le Front
national puisse présenter aux Européennes. (C'est l'électeur
qui parie.)
Je continue de croire que cette crise pouvait et devait etre
évitée. A tout le moins retardée. Dans de semblables circons­
tances, gagner du temps, c'est déjà gagner.
Je me refuse toujours à considérer comme félons, traitres à leur
patrie et à leur parti, des Français qui ont voulu, statutairement,
consulter la base militante sur l'avenir de leur mouvement. Des
--------- o,W)("J(Jf
� �Uf,a� -------­
..,
fautes ont pu etre commises dans la convocation ou le choix de
la date. Mais on ne peut parler de félonie. On ne peut parler de
trahison.
Il m'est toujours impossible, sans protester, d'entendre des
dirigeants du Front traiter de « racistes » et d'« extrémistes »
des camarades aux cotés desquels nous avons lutté, au coude
à coude, pendant tant d'années, contre un adversaire qui nous
dénonçait tous, comme tels, à sa police, à sa justice, dans ses
journaux, télés, radios.
Je déplore profondément certains comportements de ceux que
l'on appelle les "mégrétistes". Mais je n'écris ni chez eux, ni
pour eux. J'écris dans un joumal controlé par Jean-Marie
Le Pen et ses arnis dont quelques-uns sont les miens. Or je
déplore, aussi, certaines de leurs attitudes. Je ne partage ni
leurs présentations, ni leurs analyses de la crise que nous
vivons.
En conséquence, comme je ne veux pas risquer d'ajouter des
polémiques aux polémiques, des querelles aux querelles, des
divisions aux divisions et du gachis au gachis, je m'en vais.
Ou, pour mieux dire, nous nous en allons, car Mathilde m'ac­
compagne dans cette retraile précipitée. Nous ne comrnente­
rons pas pour vous la demière année du millénaire. Croyez
bien que nous le regrettons. Nous avions revé d'un autre
départ, dans les chansons, au milieu des visages éclairés par
. l'amitié. Mais il n'est pas possible de continuer à écrire dans
cet abominable climat. Adios.
Mathilde Cruz François Brigneau
(31 décembre 1998)
-------- L A C A S S U R E ______...;.__

En m 'annonçant son refus de faire paraitre mon "Adieu


aux lecteurs", Varanne me déclara que l'équipe du jour­
nal s'étonnait de mon silence à son endroit. Je rédigeai
aussitot la note que l'on va lire. Elle ne s'adressait qu'aux
collaborateurs de National Hebdo. Sitot reçue par . fax,
Varanne me demanda s'il pouvait la publier dans ie pro­
chain numéro. Je flairais bien l'entourloupe, l'astuce qui
lui permettait de diminuer • l'impact de la censure. Au
point où nous étions, cela n'avait plus beaucoup d'impor­
tance. Je lui donnai donc mon accord.

François Brigneau à l'équipe de N.H.


J'ai eu hiei soir une communication assez ·vive avec Jean­
Claude Varanne. Entre autres reproches, i l m'a fait grief d'avoir
oublié " l'équipe ", daris mon adieu aux lecteurs. Ce n'est pas
un oubli. C'est une omission volontaire et elle a deux raisons.
J'ai résumé, pour nos lecteurs, les causes de rnon départ et vous
y etes totalement étrangers. Avec aucun d'entre vous je n'ai eu
d'incompatibilité d'humeur. Au contraire. Beaucoup sont des
camarades du vieux Minute où nous avons travaillé ensemble.
J'ai une affection particulière pour Maryvonne et Alexandra.
Mais ce n'était pas le sujet de ce demier papier. Première raison.
Seconde raison. Ce papier est un papier de rupture avec le
joumal où vous continuez à travailler. Je sais d'èxpérience
combien il peut etre difficile de gagner sa crofite. Cornbien
conserver son emploi peut etre arigoissant et vitaL Je sais aussi,
et toujours d'expérience, combien la situation glie vous traver­
sez est porteuse de médisances, de jalousies, ·de coups bas. Je
voulais éviter que vous soyez touchés par ma décision. D'où
mon silence. Cela ne m'empeche pas de penser à vous avec
sympathie et estime et meme, peut-on le dire dans la barbarie
d'aujourd'hui, de la tendresse.
( 7janvier 1999)
Optimiste
' est la plus belle féte de la
jusqu'au bout,
France chrétienne. Méme
Mathilde avait fait ceux qui ont perdu la foi, et
un vc:eu pour Noel ceux qui ne l'ont jamais trouvée,
gardent au creur, par imprégnation,
l'image de l'Enfant-Jésus dans la
crèche, humble parmi les humbles, pauvre parati ]es pauvres,
avec la vache et l'ane, et Marie auréolée de lumière et,
dehors, guidés par l'étoile, les rois-mages qui crapahutent,
pliés sous leur hotte. L'horloge, dans la salle sonne la minuit.
C'est le moment des prières, des cadeaux et des vreux. Ce
soir je prie pour que notre mouvement retrouve la paix et, si
l'amitié est impossible, l'union pour assistance à personne
en danger et utilité nationale. Rien ne me ferait plus plaisir.
Ce serait mon plus beau cadeau de Noel.
(17 décembre 1998)
SIX MOIS PLUS TARD

Le Pen et le Bruno
Fable

Avec la collaboration de
Jea11 de la Fo111ai11e,
Pierre Comeille, Victor H11go
et q11elq11es autres.

Le Pen un jour dit au Bruno


« Vous avez bien sujet d'accuser la nature ;
Mon Maréchal pour vous est un pesant fardeau.
Le moindre écho qui, d'aventure,
Grince à la "une" des joumaux
Vous importune et vous inquiète . . .
Je suis à l'opposé. Toujours sur la sellette,
Je me veux en vedette
Et sur l'affiche en tete,
' Qu'on me brocarde ou qu'on me loue,
------ S IX MOI S P L U S TA R O ------

Que l'on parie de moi en mal; ·


• Ou en bien, m'est égal,
Pourvu qu'on en parie beaucoup.
Je suis le Chef, je suis le Seul, je suis l'Unique,
Marchant dix pas devant, sanglé dans m a tunique.
Offrant à tous regards mon corps musclé d'athlète,
Je vaìs, Grand Timonier, dans le vent des tempetes
Ou, le front haut, les yeux dans les yeux du soleil .
Diplomé hors concours, médaillé de vermeil,
Le savant des savants, fort en thème, érudit,
Celui qui a tout su avant d'avoir appris,
Soldat et paysan, mineur, marin, poète,
Le premier aux amours, au labeur, à l a fete,
Doué d'ubiquité, grand chanteur, grand tribun,
Impétueux cogneur, séducteur élégiaque,
Né la nuit de Noel, ressuscité à Paques,
L'homme du Premier Mai, l'homme du Dix-Huit Juin,
Je suis le Conducteur, l'Annonceur, le S auveur,
Parfoìs le Délateur,
Et, le cas échéant, le Sacrificateur. »
*
« Oh ! monsieur du Chateau !
Que vous etes joli ! Que vous nous semblez beau !
Lui répondit Bruno. . .
Sans mentir, puisque votre .iinage •
.Est égale à votre langage, . • . . . . • . _·
Vous etes le phénix des h6tes de nos bois. »
Bruno avait son pian tracé : •
Ne pas . se meter aux tumultes! .
Ne pas répliquer aux insultes,_
Ne jamais se moquer,
Ne jamais critiquer,
Mais toujours approµver.
wYI ('J(Jf
--------- o· �ii!,a � --------
Pour peu qu'il se ttnt coi, à l'abri des oragcs,
Sans ajouter de bruit au bruit,
Le temps travaillerait pour lui.
Il recuei llerai t I 'héri tage,
Ce n'était qu'une question d'age.
Il se croyait donc. protégé
En se contentant d'appuyer,
Tout en proclamant, en tous temps,
L'étendue de son dévouement : .
« Mon maitre vénéré, .ò mon seigneur,
Je suis ton serviteur. • •
Tu peux compter sur moi.
On a souvent besoin d'un petit poids chez soi.
Pour mieux vanter ta gioire et .chanter ton renom,
Je ne serai jamais que ton humble second. »·
*

Le mot qui aurait du effacer les soupçons


Déchaina la fureur du tueur de félons
« Qui t'a nommé second ?
Explosa le chef plein de rage.
Qui te rend si hardi de tenir ce ramage
Bien étranger à ton plumage ?
Qui t'a rendu si vain,
Toi qu'on n'a jamais vu les armes à la main ?
Le second d'un surhomme ne peut etre un basset,
Un modèle réduit qui m'arrive au mollet.
Mon second !.Ah ! maroufle !
Mais j'en perdrais mon souffle.
Tu t'es trahi, Bruno Brutus,
Tu seras égorgé,
Poignardé, étripé, •
Transformé en rébus,.
A la vergue pendu tandis que les tambours
------ SIX M O I S P L U S TA RO ------

Rouleront pour couvrir ton minable discours


Sous les quolibets de ma Cour. »
*

Lorsque la politique appartient à la toise,


Il ne sert plus à rien de poursuivre la noise.
Aussi Bruno Brutus au sourire si doux
Suivi de Le Gallou qu'il aimait entre tous
Pour sa haute sagesse et sa modeste taille
Se résigna à la bataille
Qu'il aurait voulu éviter.
Pace au camp retranché,
Devenu divisé,
Leurs ennemis, joyeux, faisaient déjà ripaille,
Enchantés d'un combat qui serait sans vainqueur
Quelles que soient les ardeurs
Et la chaleur de la mitraille,
Mais qui laisserait deux vaincus,
Des morts, des blessés, des cocus.
Ce qui fut.
*

Sans morale, il n'est pas de fable


En voici deux, aimables
Et de bon gout.
Enfants, méfiez-vous de tout
Et par-dessus tout
Des jaloux
Car cette tragédie
N'a qu'un ressort : la jalousie.
Enfin, pour terminer, ceci.
Un jour Samuel dit au beau-père
« ça va commencer à bien faire !
N'entendez-vous pas la rumeur ?
La vieillesse étant un naufrage,
Tout Paris jase sur votre age.
Soyez président, mais d'honneur,
C'est le vrai secret du bonheur.
Je suis votre second
Et je puis vous aider
A dételer. »
- Second ? Second !
Aussitot le volcan se mit à éructer.
Et tout fut à recommencer.
Juin 1999
ANNEXES

I • SUR BRUNO MÉGRET


ET LE MOUVEMENT NATIONAL

uand j' ai quitté National Hebdo, je suis rentré


chez moi. Je n'ai pas suivi Bruno Mégret. Je me
suis contenté.de donner deux conseils à ses mili­
tants. Les voici. Ils permettent de peser ma
''félonie" à son juste poids. Le premier est une adresse au
Congrès de Marignane :
21 janvier 1999
Mes chers camarades
M• Galvaire - qui" est toujours le président des Amis de National
Hebdo - me demande de vous adresser quelques mots.
Je ne vous en dirai que deux :
Soyez nobles !
Si je me pennets ce conseil, c'est que Mathilde Cruz et moi avons
quitté le joumal où nous travaillions en harmonie depuis onze ans,
parce que nous ne pouvions admettre que vous y fussiez dénoncés
comme « félons et traitres à votre parti et à votre patrie ».
Soyez nobles ! La morale le recommande. La politique l'exige. Votre
ANNEXES

succès dépendra de la réconciliation. Elle est indispensable. Ne la ren­


dez pas plus difficile encore. Ne cédez pas aux provocations. Ne
répondez pas aux injures par d'autres injures, aux calomnies par
d'autres calomnies ; aux outrances et aux véhémences par d'autres
véhémences et d'autres outrances. Pensez à demain. L'ami d'hier n'est
pas devenu l'ennemi d'aujourd'hui. Pensez à la France. Elle a plus que
jamais besoin d'etre rassemblée. En melant vos anathèmes aux ana­
thèmes, vous accepteriez la divisi on du demier carré de ses fidèles. Vive
le Front national retrouvé dans la totalité de ses différences. Comme la
France est multiple et une, il doit etre multiple et un. Soyez nobles ! Et
bonne chance !
François Brigneau
Le second est un articulet que M• Galvaire me demanda au len­
demain des Européennes, pour son journal des Charentes :
1 5 j uin 1999
Soyez intelligents !
A la veille de Marignane, Jean-François Galvaire - avec qm Je
venais de quitter Natio11al Hebdo - me demanda d'adresser quelques
mots aux militants réunis au Congrès. Je ne leur donnai qu'un conseil :
soyez nobles. Ne répondez pas aux injures par des insultes. Préférez
les arguments et l'exposé des faits aux invectives. Ne transformez pas
en fracture ce qui ne devrait etre qu'une séparation temporaire.
Au lendemain de cette confrontation électorale où ce que je prévoyais et
redoutais s'est produit 0>, M' Galvaire me demande à nouveau quelques
mots pour !es militants de sa région. Ils ne seront guère différents des
premiers.
Si des erreurs furent commises dans les deux camps, il n'est pas dou­
teux que la responsabilité majeure de la crise appartient à celui qui l'a
provoquée et conduite - à tout le moins qui n'a pas su ou voulu l'évi­
ter. Il est donc normai que vous répondiez avec vivacité aux accusa­
tions mensongères qui sont colportées contre vous. II est normai que
la déception causée par l'échec attise les rancreurs, avive les reproches
et creuse le fossé qui sépare aujourd'hui les frères devenus ennemis.
Pourtant, ne l'oubliez pas. . . Ce fossé, il faudra le combler. Il serait sot
--------- oWYJ('IJO!Uf
- �a � -------­
...
de le rendre encore plus profond. Soyez intellligents.
Soyez intelligents en considérant que ces ennemis demeurent toujours
vos frères. Vous partagez toujours les memes idées, Ics mémes émo­
tions, ]es memes réactions de creur et de tele, )es mémes sentiments,
les memes mots de passe, les memes chansons. Seule la stupidité et
l'aveuglement de quelques-uns vous ont séparés Soyez assez intelli­
gents pour en prendre conscience et réparer vous-memes le mal que
d'autres vous ont fait.
Vous avez l'avenir. C'est vrai. Pour qu'il vous appartienne, soyez intelligents.
François Brigneau
( I ) En janvicr 1999, à plusicurs rcpriscs, devant témoins (j'cngagcai mcmc un pari avcde:111
Nouyrigat, le Père Tranquille pas si tranquille quc ça),jc dannai le résultat dcs Europécnnes
dc juin : Liste Le Pen : un peu plus de 5 %, liste Mégret : moins dc 5 %. Pour chiffrcr l'am­
plcur du naufragc, il faut se souvenir qu'à l'automnc 98, dcs spécialistes nous créditaicnt de
15 % et cert.ains davantagc. Nous allions en ob1cnir la moitié.

Après l'échec électoral du Mouvement national, j'ai


offert à Bruno Mégret d'adresser aux lecteurs des
Publications FB l'appel à l'aide qu'il lançait. Il me l'a
remis, dans des enveloppes timbrées, sur lesquelles nous
avons collé nos adresses. Contrairement aux affirmations
de gens bien intentionnés, je n'ai ni vendu, ni loué, ni
preté le fichier des Publications FB.

Il • UNE LETIRE DE CHRISTIAN BAECKEROOT


ET SA RÉPONSE
Je connais Christian Baeckeroot, ancien secrétaire géné­
ral de la Fédération du Nord du FN, depuis 1982 et la fon­
dation de Présent, je veux dire de L'Absent, dont il fut
l'expert-comptable. Il devint celui des Publications FB en
1989. Sans etre des amis, nous avions entretenu des rela­
tions amicales, lorsqu'il m'écrivit cette lettre, après
l'avoir communiquée à Rivarol - qui la publia.
AN N EX E S

Le 8 janvier 1999
Cher François,
Tes demières chroniques m'ont fait beaucoup de peine. J'attendais la
sagesse d'un ainé. Je n'ai trouvé que la critique dirigée exclusivement
contre notre camp.
Je parlerai à peine d'une première scission en 1973. Je pensais que
l'épisode Alain R, qui proposait déjà une voie plus « moderne » et
plus promeueuse, avait servi de vaccin définitif.
Mais là n'est pas l'essentiel de mon propos. L'essentiel, Cher François,
tient dans celte interrogation : as-tu pris en compie /es milita11ts, le
mi/itant queje suis ? Car tes propos sont largement et systématique­
ment utilisés par les scissionnistes.
Et pourtant cene équipe ment aux adhérents du Front : hier les
membres du complot affirmaient que Mégret devait etre le second,
avant d'affirmer, aujourd'hui, que Mégret doit remplacer Le Pen bien
que Jean-Marie Le Pen ait été élu à l'unanimité des militants lors du
Congrès de Strasbourg.
J'espère que tu me reconnais la qualité de militant. Comme toi, mais
quelques années après, j'ai connu la prison. Depuis lors, pendant
35 ans, je n'ai pratiquement pas cessé de militer. Si j'ai été 2 ans député
du Nord, j'ai par 2 fois, en 1992 et 1998, refusé d'etre conseiller régio­
nal. Je ne suis pas un « courtisan » mais je suis fidèle à Jean-Marie
Le Pen certes par amitié mais aussi, et c'est ce qui nous intéresse ici,
parce que, membre du Front National, je respecte /es décisio11s du
Congrès statutaire de Strasbourg.
Et surtout depuis 35 ans j'ai pu apprécier la force et la justesse de
l'anaJyse politique de Jean-Marie Le Pen.
Je ne peux admettre que des médias adverses, que ce soit O.P. du
Figaro, voire « Cheucheu » du Monde, me dictent le c/zoix d'un
numéro deux et je suis désolé de constater que tes chroniques sont
utilisées pour justifier ce viol médiatique de la volonté des adhérenls
du Front National !
Avec toute mon amitié.
Christian Baeckeroot
Membre du Bureau Politique
Conseiller municipal de Tourcoing
--------- o�
- (',J()!�Ufa� -------­
"•

Je lui répondis ceci - que Rivarol ne publia pas, ne


voulant pas, à juste titre, poursuivre une polémique où il
était cependant entré.

16 janvicr 1999
Cher Christian,
Sans remonter plus haut que la naissance de Prése/11 ( 1982), j'ai écrit
des centaines d'articles, plusieurs Iivres polémiques, vingt-quatre
"Demiers Cahiers". Jamais tu ne me fis l'honneur d'un commentaire.
J'en conclus que tu Iisais peu. En tout cas que tu ne me lisais pas. Je
me trompais.
Mes dernières chroniques ont retenu ton attention. Tu me l'écris. Tu
envisages meme de publier ta lettre. Je m'en réjouis. La lecture est une
source de joie et de réconfort. Je l'ai meme vérifié en te lisant.
Quoique ton courrier respire plus l'agressivité que l'amitié, il apporle
une preuve supplémentaire du bien-fondé de ma décision. Quand on
n'est plus d'accord avec les analyses, )es jugements, les positions, du
joumal où l'on travaillait en harmonie depuis onze ans, on s'en va. J'ai
essayé d'expliquer les raisons de ce départ aux lecteurs. La direction
de NH a refusé de faire paraitre ce demier papier. Mes arguments
devaient la gener. Heureusement la presse nationale (Présellt, Rivarol.
le libre Joumal de la France Courtoise) a accepté de le publier. Mes
arguments ne devaient pas lui sembler sans valeur.
Il serait facile de répondre à ta lettre, mais ce serait inutile, voire dan­
gereux. Je risquerais d'envenimer la querelle. A Dieu ne plaise. Au
téléphone, quand j'ai entendu monter ta colère, j'ai compris. Vous nous
jouez une tragi-comédie inspirée de 1793- 1794 et du Père Ubu. Rien
ne vous parait plus essentiel que d'épurer, exclure, bannir, décapiter.
C'est triste mais c'est ainsi. Devant certains états d'esprit, il ne reste
que l'éloignement et le silence. C'est le parti que je prends.
Je me contenterai de te faire remarquer que les militants sont aussi nom­
breux dans les deux camps. C'est les prendre en compte que de leur dire
sa vérité, modestement mais fermement, sans outrance. véhémence.
injures et enflure des mots. C'est rendre hommage à Ieurs sacrifices au
quotidien que de se priver, volontairement, de ressources non négli-
AN N EX E S

geab\es, pour ne pas cautionner, par sa seule présence, ce que je consi­


dère comme une fabrication partisane de la réalité, en meme temps
qu'une erreur politique grave. Bien à toi.
François Brigneau

lii • UNE LETTRE D'YVAN BLOT, SA RÉPONSE


ET QUELQUES DOCUMENTS
23 février 1999
Cher Monsieur,
C'est paree que j' ai tani admiré votre articie « Bonsoir tristesse ! » que
je vous écris aujourd'hui. J'ai cru, après beaucoup d'hésitations, vers
le 10 décembre, devoir rejoindre Bruno MEGRET.
C'était un ami de 20 ans etj'avais guidé ses premiers pas en politique,
tout d'abord en l'introduisant au Club de l'Horloge, ensuite, en parrai­
nant son adhésion au RPR. Il n'avait aucunement, vers 25 ans, nos
idées. II était, comme sa mère, MRP. Je me souviens qu'en vacances
au Maroc avec lui, Jean-Claude BARDET et moi-meme avions beau­
coup de mal à lui faire admettre que l'immigration sans limites pou­
vait etre un mal pour la France.
Au cours de toutes ces longues années, j'ai en fait peu travaillé avec
lui. MEGRET était plut6t un compagnon de vacances, chaque été ou
presque. Les rares fois où nous avons travaillé ensemble auraient dfi
m'éclairer sur sa nature d'arriviste sans scrupule. C'est elle que je
viens de redécouvrir, il y a quelques semaines et qui m'a écreuré au
point de me faire claquer la porte !
Lorsqu'il est entré au RPR, je l'ai aidé à se faire élire au Comité
Centrai, grace à l'appui de Charles PASQUA. Puis, il a obtenu une
bonne circonscription dans les Yvelines, aux législatives. Il fit 45 %
des voix face à Miche) ROCARD ! Quelque temps après, il me dit :
« Je 11e supporle plus celte lziérarchie du RPR ! Je n'y ai aucwze
i11jluence ». Je lui fais remarquer qu'il n'est là que depuis peu.
« Non ! - dir-il - Je préfère etre le clzef d'un perir parti plutot qu 'un
cadre a11011yme dans une grandefomzation ». II guitta le RPR pour se
consacrer aux Comités d'Action Républicaine dont i l était devenu le
chef dans des circonstances troubles.
Un an plus tard, MEGRET revenait dans mon bureau et me disait : « J'ai
fait une betise ! Mo11 suppléant m'a remplacé da11S mon ancienne cir­
co11scriptio11. Il est deve11u député 11raire de Poissy, à ma piace ! ,. e.e qui
me frappe dans cette attitude, ce n'est pas son choix, c'est le fait qu'il ne
m'ait jamais dit : « je quitte le RPR parce que je n'aime pas ses idées,
parce qu'il ne sert pas la France ». Il m'a dit : « je quitte le RPR, parce
que je 11 y trouve pas de débouclzés rapides ! »
De meme, lorsqu'il dirigea les C.A.R., il se rallia à Le Pen sans en par­
ler à la plupart de ses associés, de braves bourgeois libéraux, qui
furent horrifiés de se retrouver dans mouvement beaucoup trop
« extreme » pour eux !
Tout ceci aurait diì m'alerter sur la moralité de MEGRET. Egalement
ce petit incident : je tombe un jour malade et demande à Bruno de me
remplacer et de lire mon exposé au Club de l'Horloge. En réalité, il
présenta l'exposé comme si c'était le sien. Quand on a une fune de
voleur, on ne se refait pas. Il n'est donc pas étonnant qu'il ait voulu
voler le Front National à son fondateur Jean-Marie Le Pen !
Je le sais bien : vous allez me dire sans doute, que !es torts sont tou­
jours des deux còtés dans un divorce ! Mais il ne s'agit pas de cela !
Aristote a dit qu'en toutes choses, il faut voir la finalité. La finalité
patriotique de l'action de Jean-Marie LE PEN n'a jamais été mise en
cause. Après ce que j'ai découvert, j'ai le devoir de contester la fina­
lité patriotique de l'engagement de Bruno MEGRET !
Qu'ai-je découvert ? Au Congrès de "l'unité'' de Marignane, j'étais mal
à l'aise car tout le congrès a consisté à faire de l'anti LE PEN. Seuls
deux discours firent exception, celui de LE GALLOU, sur l'Europe et
le mien, sur l'adversaire socialo-mondialiste.
Par la suite, Bruno MEGRET me demanda de lui trouver des finance­
ments. Il savait que j'avais quelques relations dans ce secteur là. Je vais
voir un de ces financiers qui me dit : « J'ai déjà do1111é ! Pas mai mais
par le biais d'un industrie[ co1111u (au ,zom double). proclze de CHI­
RAC. » Je revois Mégret et lui dit que s'il veut que je l'aide, il doit me
dire la vérité sinon je perds mon crédit auprès des industriels. Il nie
tout. Je retoume voir cet industrie! qui me donne des précisions quant
à la date du versement. J'en parie à MEGRET qui pii.lit et me dit : « Je
11'avait pas compris que tu parlais de cela ! 011i, bien sri r ! J'ai eu de
ANNEXES

l'arge11t, mais pas de l'ami de CH/RAC, il y a eu 1111 i1zten11édiaire I »


C'est le début, pour moi, d'une série de révélations me conduisant à
l'intime conviction que MEGRET a délibérément voulu casser le
Front National. Son seul but était de devenir le chef à tout prix, puis
de se rapprocher du RPR et de l'UDF, pour se fondre dans la droite
molle, en échange d'une promotion personnelle. C'est le schéma, en
gros, de ce qu'a fait Gian-Franco FINI en Italie. Là aussi, je n'ai pas
été assez attentif dans le passé. Lors du précédent mandat européen où
FINI siégeait encore, MEGRET ne cessait de le voir. Il lui témoignait
une admiration très forte, réciproque d'ailleurs. On disait alors que
FINI serait bientòt le premier Ministre italien !
D'autres éléments de preuve se sont ajoutés depuis. E t j e ne compte
pas les rumeurs disant qu'il s'est fait initier à la Grande Loge Opéra.
Je ne peux pas le vérifier. Par contee, je lui ai demandé, l e jour de la
manifestation anti PACS, s'il voulait dìner avec l e chef RPR de
Strasbourg. « Bie11 si'lr I me dit-il. Mais e11 secret. Les milìtants 11e
compre11draìent pas. » Le secret ! Toujours le secret ! Meme avec ses
amis !es plus proches !
Jean-Claude BARDET et Pierre VIAL, après Marignane, avaient si
peu confiance dans la rectitude des intentions et des idées de
MEGRET, qu'ils m'ont proposé de faire à. trois, une sorte de comité
pour le surveiller et le tancer à l'occasion. Mon retour chez Jean­
Marie LE PEN a détruit ce projet. Entre temps, MEGRET ayant peur
d'autres abandons, a donné un titre à VIAL (président du Forum
culture!) pour le rassurer. Mais il ne fait pas confiance aux hommes
d'idées, pas plus qu'aux hommes de lettres, qu'en bon ingénieur, i l
méprise profondément. La poésie et l e semiment ne l'intéressent pas,
sauf si c'est exploitable pour sa propre ascension.
Il ne fait aujourd'hui confiance qu'à ses gestionnaires : OLIVIER, ges­
tionnaire de l'i mage, MARTINEZ, gestionnaire des finances,
TIMMERMANS, gestionnaire de l'appareil. En fait, Mégret me
rappelle étrangement quelqu'un que ·j'ai còtoyé et qui lui ressemble
beaucoup : Alain JUPPE ! Meme intelligence mécanique, meme
mépris des hommes, meme froideur, meme tempérament dissimula­
teur, meme indifférence profonde aux idées et aux idéaux sauf si ce
sont des armes pour progresser dans la carrière !
--------- o-'&JY1 �a � --------
- ('J()f�
...
Je sui s convaincu que Mégret a reçu de l'argent, non par vénalité, car
il est absolument désintéressé sur ce point, mais pour ca,ser le Front
National. CHIRAC avait peur de voir le mouvement atteindre 20 %
aux élections européennes et de ce fait, le FN aurait été incontour­
nable. Mes contacts avec le patrona! ont confirmé que telle était bien
l'inquiétude du Président de la République. Lorsque je demandais à
MEGRET, en décembre, pourquoi le « clash » avail lieu maintenant ;
il me répondait qu'il ne pouvait plus attendre, sans autre explication.
Maintenant, je connais l'explication. Il fallait casser le Front National
avant Noel, comme le souhaitaient )es financiers proches de l'Elysée
MEGRET va échouer, comme il a échoué avec !es C.A.R., avec son
journal « Le Fra11çais ». Sous ses apparences de sérieux, c'est un aven­
turiste : il ne prépare jamais de trésor de guerre et ignore si le terrain
est pret pour la conquete. Ce n'est pas un stratège mais un bon chef de
chantier, un organisateur. Coincé entre LE PEN d'un céìté, MILLION,
VILLIERS, PASQUA de l'autre, il n'à pas de marge à conquérir et fera
sans doute un mauvais score. Mais il aura cassé le Front National et lui
aura volé l a victoire qu'il aurait d0 avoir aux européennes !
Sachant cela, et constatane que Jean-Marie LE PEN a toujours él
honnete et frane avec moi, j'avais une dette envers lui. C'est pourqul
j' ai estimé que mon honneur consistait à réparer ma faute et à I
rejoindre ! Cela réclame du courage pour faire une telle démarche et
reconnaitre publiquement que )'on s'est trompé ! Mais je préfere cette
situation, quitte à supporter un déluge de calomnies (ce qui ne manque
pas !) plut6t que d'etre malhonnete et de suivre MEGRET, qui tel le
joueur de fl0te de Hamelin, emmène les enfants du mouvement natio­
nal à la noyade.
J'ai pensé qu'à vous, je me devais d'écrire personnellement, pour vous
dire la vérité, ma vérité (un homme n'est pas un dieu et n'a qu'une
approche partielle, personnel le de celle-ci). En vous témoignam tout
mon respect et en espérant vous avoir informé utilement, veuillez
agréer, Cher Monsieur, l'expression de mes sentiments nationaux les
plus sincères.
Yvan Blot
P.S. : Je vous signale le livre « Fort Chirac » de Claude ANGELI. Il
m'a été recommandé par M. Alain de LACOSTE LAREYMONDIE.
ANNEXES

On y trouve vers la page 175, une intéressante conférence de presse


faìte par Bruno MEGRET à la presse américaine où il explique que le
FN doìt se débarrasser de ses « guenilles pétainistes » (sic) et de ses
nostalgies fachos. Sympathìque, n'est-ce pas ?

6 mars 1 999
Monsieur le député,
Je n'ai pas lu votre lettre sans malaise. Plus j'avançais, plus je trouvais
qu'il s'agissait d'un plaidoyer pro domo déguisé en réquìsitoire. Un
réquisìtoire peu convaincant - où sont les preuves sérìeuses de ce
que vous avancez ? A Marignane le climat ni !es discours ne furent ce
que vous dite. Celui de Peltìer en témoigne - et parfois meme assez
misérable, indigne d'un esprit omé comme le votre. Finalement, j'en
ai moins appris sur Mégret que sur vous.
Comment avez-vous pu etre, pendant vingt ans, l'ami d'un homme que
vous avez redécouvert (sic ! c'est vous qui l'écrivez : « je viens de
redécouvrir », douzième lìgne) etre un arriviste sans scrupule, un
voleur (d'exposé, de mouvement politique, de victoire électorale ; qui
vole un reuf vole un breuf !), un individu capable de casser le parti
dont il est le numéro 2 ?
Vingt ans ! Comment avez-vous pu, pendant vingt ans, vous lier
d'amitìé, conseiller, guìder, protéger ce gestionnaire-aventuriste, cet
organisateur à l'intelligence mécanique, cet etre froid, dissimulé et
méprisant !es hommes, ce calculateur échouant dans toutes ses entre­
prises : /es CAR, Le Fra11çais ? Le mystère demeure entier. Pour le per­
cer, il faudrait appeler Sherlock Holmes, sans oublier le Dr Watson.
Je ne me prétends pas d'une perspicacité particulière mais je n'ai pas
eu besoin de passer des vacances avec Mégret pour savoir que sa
maman était MRP, proche (je crois) de Pierre-Henri Teitgen. Qu'y
pouvait-il ?
Vous lui reprochez d'avoir rnéconnu, à ses débuts, !es problèmes de
l'immigration. Mais, moi qui vous écris, à vingt ans je ne connaissais
rien au problème juif. Depuis, j'ai fait quelques progrès.
Je n'ai pas eu besoin de lire le livre d'un anar fils de flic et délateur
professionnel, recomrnandé par Alain de Lacoste-Lareymondie, pour
savoir que Mégret ne porte pas le Maréchal Pétain dans son creur. Ce
qui m'étonne, d'ailleurs. Ce doit etre par conformisme ou ignorance.
Quand je le lis ou l'écoute, je ne le trouve pas si loin de la Révolution
nationale. Je me demande parfois ce qu'il aurait fait s'il avait eu vingt
ans en 1940 ? Il y avait beaucoup de MRP à Vichy et encore plus à
Uriage. L'idéologie du Front serait-elle bafouée s'il portait sur sa
fiamme !es trois mots maudits : Travail, Famille, Patrie ?
Quoi qu'il en soit, je n'ai jamais cru que )'on changerait la politique de
notre pays avec le seul concours des maréchalistes, dont Ies plus
jeunes doivent etre, comme moi, atteints par la limite d'iì.ge et bons
pour la casse. Aux BBR, ce n'est pas Mégret qui fait la traque aux
livres de vérité historique. C'est Holeindre et Gollnisch. Quand j'ai
entendu le Chant des partisa11s que le Président fit chanter, kolossale
finesse, je n'ai pas été assombri. C'est de ne pas entendre Maréchal
nous voilà qui m'a navré. La réconciliation française exige les deux.
Le Front national aurait-il cessé de la proner ? En rapportant les ragots
d'Angeli, si vous avez cru atteindre l'estime que j'ai pour Mégret, vous
vous etes trompé.
Lors de la parution de B011soir tristesse !, vous avez eu tort de ne pas
manifester, publiquement et à haute voix, l'admiration que vous dites
lui avoir portée. Avec votre appui, )es joumalistes de la presse natio­
nale (Camille Galic, Claude Giraud, Jean Madiran, Georges-Paul
Wagner, Martin Peltier, Serge de Beketch, André Figueras) qui parta­
geaient mon sentiment auraient peut-etre pu empecher l'irréparable.
Maintenant c'est trop tard et vous n'avez fait qu'aggraver !es choses en
revenant sitéìt parti et en écrivant des lettres de cette encre afin d'es­
sayer de faire oublier les deux notes à Mégret sur la santé psychique
du Président absolu et son comportement politique 1·>. En janvier, le
clan des lepénistes vous détestait. Aujourd'hui !es deux clans vous
détestent et vous méprisent à la fois, sans que vous soyez assuré pour
autant de retrouver votre siège au parlement européen de Strasbourg.
Seriez-vous aussi mauvais stratège que Bruno Mégret ?
Je n'appartenais pas au Front national. Je n'en étais qu'un compagnon
de route, après en avoir eu l'initiative, il y a vingt-sept ans. Il n'en reste
pas moins que cette scission m'a foudroyé. Je regrette que Mégret s'y
soit Iaissé glisser et, si c'était par calcul, comme vous le prétendez. ce
fut un mauvais calcul. Il n'en demeure pas moins que, pour moì, le
ANNEXES

responsable n ° I demeure le chef. II me semble que la mise à mort de


Mégret était programmée depuis Strasbourg, et meme avant. Aucune
provocation n'a été négligée pour y parvenir. C'est mon intime convic­
tion. Si je me trompe, je reste persuadé que le Président absolu devait
tout faire pour empecher la rupture. A tout le moins pour la retarder.
Or il l'a précipitée. S'il y a eu piège il est tombé dedans. C'est une
erreur politique grave. Nous allons tous la payer très cher. Pour ne pas
cautionner cette démarche et feindre d'approuver un récital de gesti­
culations et d'imprécations que j'ai trouvé particulièrement pénible,
j'ai quitté National Hebdo. J'aurais pu écrire ailleurs. Je m'y suis refu­
sé et m'en félicite aujour<l'hui. Me voyez-vous glosant sur !es circon­
volutions baroques d'Yvan Blot ? Je déplore votre attitude. Dans mon
privé, je la condamne. Mais je ne me sens pas le droit de la juger en
public, sous l'reil rigolard et satisfait de l'ennemi.
J'attends la suite des événements avec curiosité mais tristesse.
François Brigneau
(*) 1 - Note sur la santé mentale de Jean-Marie Le Pen
(Strasbourg, le 20 janvier 1999)
Le Docteur Bernard GRANDPIERRE, psychiatre de son état, m'a
présenté une analyse qu'il a réalisé proprio motu sur la santé
mentale de Jean-Marie Le Pen.
II considère que !es analyses de nombreux médecins diagnosti­
quant une « paranoi"a sénile » ne sont pas très probantes.
La « parano"ia » est, selon lui, une disposition d'espri t courante
chez !es hommes politiques. Elle s'est peut-etre aggravée avec
l'age, mais cela ne suffit pas à expliquer le comportement politique
de Jean-Marie Le Pen dans certains de ses aspects excessifs et
para-suicidaires.
Selon le Docteur Grandpierre, Jean-Marie Le Pen n'est absolument
pas un malade menta!, mais il est indiscutablement affligé d'un
handicap à ce niveau. Il est atteint non de psychose (maladie),
mais de névrose (handicap).
Il est un exemple cliniquement très pur de sujet atteint de la
« névrose de l'échec ».
La « névrose de l'échec » consiste pour le sujet, consciemment ou
non (le plus souvent inconsciemment), à provoquer son propre
échec par peur des responsabilités insurmontablcs qu'cngcndrcrait
une réussite trop grande.
Selon cette analyse, Jean-Marie Le Pen se complait affectivement
dans le r6le de l'orateur d'opposition, du tribun de la plèbe. Il a une
peur panique, largement inconsciente, devant des fonctions exécu­
ti ves de Ministre, de Maire de grande ville, de Président d'un
Conseil Régional. donc de fonctions de « gouvemement » sans
posséder le pouvoir absolu. Par contre, Président du parti lui
convient, mais à la seule condition que son pouvoir soit absolu.
Sinon, l'insécurité affective devient telle qu'il préfère « casser »
plut6t que de composer dans un contexte de direction légale
normale.
Chaque fois qu'une occasion se présente d'accéder à des postes de
direction sans pouvoir absolu (ce qui donne une sécurité affective
dont il ne peut se passer), il se met en situation d'échec, par une
perite phrase ou par l'expulsion de l'agent perturbant de telle façon
qu'il est ramené par régression à la situation antérieure.
Le handicap menta! de Jean-Marie Le Pen n'est donc pas le moins
du monde intellectuel. Dans ce domaine, ses capacités sont
intactes. Le handicap est d'origine affective, et il est d'autant plus
incontr6lable par le sujet qu'il est inconscient.
Cela n'empeche pas Jean-Marie Le Pen de jouer brillamment un
r61e d'orateur d'opposition sans responsabilités réelles. Il peut
aussi diriger un clan, un groupuscule, voire un parti dès lors que
son pouvoir demeure absolu, donc irresponsable.
Par contre, son handicap menta! le rend incapable de diriger
rationnellement une très grande organisation guidée par le principe
de responsabilité.
Le Docteur Bernard Grandpierre est pret à réaliser une analyse plus
détaillée en cas de besoin. Celte analyse de la « névrose de l'échec ))
converge en effet avec l'analyse politique de Bruno Mégret qui
constatait que Jean-Marie Le Pen transformait les boulevards en
impasses par des comportements négatifs pour le mouvement.
Yvan Blot
ANNEXES

2 - Les 4 renicments de Jcan-Marie Le Pen, par Yvan Blot


- 01/99
J.-M. Le Pen et ses amis, dont Bruno Mégret, ont bati les succès
récents du Front National (avant il n'était qu'un groupuscule) sur
quatre principes :
- Ba.tir le renouvellement des droites
- Un idéal éthique exigeant
- La volonté de jouer pleinement le jeu démocratique
- Affirmer sans compromis la présentation de l'identité nationale
Le jour de ses 70 ans, personne ne pouvait adresser un mot à Jean­
Marie Le Pen. Celui-ci prit conscience, semble-t-il, que la prise du
pouvoir ne serait pas pour lui mais pour ses successeurs. D'où une
crise psychologique profonde qui conduit au reniement des 4 prin­
cipes fondateurs.
I - JEAN-MARIE LE PEN RENONCE AU RASSEMBLEMENT
DES DROITES
Comrne le dit son vassal Bemard Antony : « le compromis natio­
naliste, c'est fini ! je me sens libre désormais ». Ce qui veut dire
dans sa bouche : tous ceux qui n'ont pas 100 % de mes idées sont
mes ennemis, !es catholiques Iefebvristes, !es catholiques conci­
Jiaires, !es protestants, !es athées, peu imporle s'ils sont patriotes et
s'ils aiment la France !
Selon Jean-Marie Le Pen Jui-meme, !es anciens UDF et RPR res­
tent pour toujours des suspects, soit un bon tiers des militants et
des dirigeants parmi Ies plus qualifiés du Mouvement. Tous ceux
qui n'étaient pas avec le chef à l'époque du groupuscule fondateur
sont suspects de trahison !
Toute personne compétente intellectuellement ou administrative­
ment est suspecte, car elle n'est pas soumise à I 00 % au chef, ayant
un métier et donc une indépendance par ailleurs.
Seules celles qui cèdent aux caprices du chef sont acceptées,
comme par exemple J.-C. Martinez, pourtant athée, anti-chrétien,
socialiste, mais flattant la confiance du Chef en organisant des
pseudo conseils des ministres dans les luxueux salons de l'hotel
--------- o�(IJ()!U!,
- · 0a� -------­
...
Crillon. J.-C. Martinez va jusqu'à demander à un aboyeur d'an­
noncer « M. le Président » lorsque Le Pen entre dans la salle.
L'apport de ces « Conseils des ministres » est nul, mais l'ego du
chef est satisfait.
Rejetant toute ouverture interne du Mouvement vers des compé­
tences nouvelles et vers les déçus de Chirac et consorts, J.-M. Le
Pen renie toute politique d'ouverture externe avec le reste de la
droite pour vaincre la gauche. Pourtant, du temps de Jean-Pierre
Stirbois, il avait accepté l'alliance UDF-RPR pour empécher
l'élection d'un socialiste aux élections législatives.
Depuis, il a aidé en 1993 à faire réélire Bernard Tapie à Gardanne
en demandant à Damien Bariller de se maintenir, et faisant ainsi
échouer Bruno Mégret à Vitrolles/Marignane.
Aux législatives partielles de Toulon, plus récemrnent, Madame de
La B rosse, Conseiller général du FN, fait voter pour la candidate
socialiste, contre Cendrine Le Chevallier. Elle ne sera pas sanc­
tionnée par Jean-Marie Le Pen.
Le Pen renie la politique d'ouverture interne et externe qui condui­
sit le FN au succès. C'est le retour au groupuscule referrné sur lui­
meme. C'est la renonciation à toute stratégie de victoire.
II - JEAN-MARIE LE PEN RENIE
SON IDEAL ETHIQUE
- « Tete haute et mains propres » avait-il fièrement affirrné face
aux "affaires" de corruption touchant les autres partis. Estimant
qu'il ne peut plus gagner en raison de son age, il décide de reHìcher
la discipline afin de profiter des dernières bonnes années.
D'où 5 dérives
1 - Le népotisme généralisé.
Ce qui était une légère tendance devient systématique. La famille
Le Pen cofite 2 millions de francs par an au Mouvement, en échan­
ge de services dérisoires.
2 - L'obsession de l'argent.
A l'origine, le FN était pauvre. Cela n'est plus vrai. Mais !es fédé-
AN NEXES

rations départementales manquent de moyens. Tout l'argent est


concentré au siège, quand il n'est pas gaspillé camme c'est le cas
au pré-gouvemement de J.-C. Martinez ou à l a direction d u F.N.J.
mis en coupe réglée par Samuel Maréchal.
3 - La jalousie à l'égard des succès électoraux de ses amis.
Tous ceux qui ont un mandat électif que n'a pas le chef sont en
butte à des humiliations. Ce fut le cas de M .-F. Stirbois lorsqu'elle
était député. Ayant perdu son siège, elle revient en grace. Bruno
Mégret devient suspect après son succès à Vitrolles. Le Chevallier
à Toulon se heurte à des adversaires au sein du Mouvement,
Madame de La Brosse ou le Colone) Girardin, lesquels sont
encouragés par Le Pen. Cet esprit de jalousie détruit la bien­
veillance réciproque nécessaire dans un parti qui a tant d'ennemis
et traduit la volonté de ne pas se situer dans une perspective de vic­
toire historique.
4 - Le refus d'apporter une doctrine à la jeunesse et au
Mouvement.
Ce refus est constant au F.N.J. depuis que Samuel M aréchal en
assume la direction.
Mais le monde est ainsi fait que celui qui n'avance pas recule et
dégénère.
C'est parce qu'il se sent libéré de l'obligation de rechercher la vic­
toire que Jean-Marie Le Pen se laisse aller à ses désirs primitifs :
jalousie, népotisme, gout de l'argent, haine contre tous ceux qui le
contredisent, etc . . .
ill - L E RENIEMENT A L'EGARD
DE LA DEMOCRATIE
Jean-Marie Le Pen avait bien compris que seule une stratégie
démocratique pouvait permettre aux nationaux d'obtenir la victoi­
re. Refuser la règle démocratique, dans un pays riche et dévelop­
pé comme la France, équivalait à la marginalisation et à l'échec.
Mais l'abandon de toute perspective de victoire " libère " aussi Le
Pen de cette contrainte. D'où l'abandon de cette règle du jeu, dans
le parti et à l'extérieur.
--------- a-,tQJ)')CIJOJU!,
. �a � -------­
..
1 - Le rejet de la démocratie directc.
Depuis longtemps, J.-M. Le Pen était favorable au principe de la
démocratie directe pour courcircuiter les lobbies médiatiques, par­
tisans, syndicaux ou autres. Aujourd'hui, il en rejeue l'idée, y com­
pris au sein meme du F.N. en refusant d'appliquer l'article 24 des
statuts, permettant à la base de convoquer un Congrès.
2 - Le mépris pour la démocratie locale.
La conquete du pouvoir, dans un pays comme le n6tre, se fait en
partie au travers de la conquete de relais intermédiaires, comme
!es mairies. Or J.-M. Le Pen n'a pas cherché à conquérir de mai­
ries. Pire encore, il affirme à tout propos son mépris pour la poli­
tique locale, ne se sentant intéressé que par la "grande" politique,
avec l'Irak par exemple.
Pourtant, ses adversaires au niveau le plus élevé n'ont jamais négligé
les mandats locaux. Une seule exception, De Gaulle, mais il avait
une guerre derrière lui !
3 - Le refus de reconnaitre un role aux élus, au sein meme du
Mouvement.
Le Pen a dénié ce role aux conseillers régionaux d'Ile-de-France :
" Vous n'etes rien !, votre role est de voter dans les assemblées,
selon mes ordres et c'est tout ". Il a dit la meme chose aux députés
européens.
S'il est vrai que Ies élus doivent respecter la discipline et la hiérar­
chie du parti, ils ne sont pas " rien " pour autant. Ils sont le fer de
lance de la conquete du pouvoir. La marginalisation des élus
empeche la mobilisation optimale du Mouvement. Elle a été heu­
reusement freinée par plusieurs dirigeants, dont Jean-Yves
Le Gallou, qui l'ont payé par Ieur exclusion.
4 - Le mépris de l'état de droit.
« Je ne signerai pas la déclaration des droits de l'homme ». Ce
genre de déclaration aboutit à des procès qui affaiblissent le
Président et donc le F.N. tout entier. Ces déclarations n'ont de sens
que dans une perspective de non prise du pouvoir.
ANNEXES

5 - " Je suis un monarque ", " Je suis César ".


Meme si certains d'entre nous reconnaissent des mérites à la
monarchie, ces affirmations médiatiques ridiculisent le mouve­
ment national. Le Pen se donne en spectacle camme le Général
Alcazar dans Tintin et Milou.
De plus, ces affinnations sont contraires aux statuts du F.N. et aux
Iois. Cela n'apporte rien à la conquete du pouvoir, bien au contraire.
Enfin, un monarque qui soumet son peuple à des caprices person­
nels n'est plus un monarque, c'est un tyran !
IV - LE RENIEMENT DE L'IDENTITE NATIONALE
(c'est le plus grave de tous)
1 - La résignation à l'égard du pouvoir socialiste.
N'espérant pas gagner lui-meme, Le Pen favorise le pouvoir socia­
liste. Celui-ci vit de la division de la droite et de la diabolisation
de la droite nationale. Or J.-M. Le Pen aide à l a diabolisation, par
exemple en présentant une tete sanglante de Trautmann sur un pla­
teau à la télévision. Ce gadget a d'ailleurs sauvé Trautmann en
écceurant des électeurs de droite et en mobilisant ceux de gauche.
En effet, à 100 voix près, elle pouvait etre battue. Le Pen dit après
sa réélection : « Cette femme nous a rendu service en nous faisant
de la publicité », ne l'oublions pas !
Discrètement, le pouvoir socialiste aide Le Pen (statut de Cotelec,
blocage de la baite postale de Serge Martinez, attitude complai­
sante de Miche! Field à la télévision). Le gouvemement sait où est
son intéret dès lors que Le Pen renonce à prendre le pouvoir.
2 - J.-M. Le Pen ne tolère qu'un seul idéologue auprès de lui :
Jean-Claude Martinez.
Or celui-ci, aux contacts innombrables dans le monde arabe, est
favorable à l'immigration. Son reve est une Europe étendue au
Maghreb. Plus exactement, il veut détruire l'Europe au profit d'une
communauté « méditerranéenne » étendue à l'Afrique du Nord.
3 - Samuel Maréchal préfère « l'intégration des beurs » au
retour de immigrés dans leurs pays d'origine.
J.-M. Le Pen lui-meme, qui a la nostalgie des colonies, fréquente
chez !es personnes de sa génération, partage la méme utopie. Ainsi
s'explique la mise en avant de Farid Smahi camme éventuel futur
député européen.
4 - « Une minorité de comploteurs racistes ».
Ce n'est pas un hasard si Le Pen a plusieurs fois répété celte accu­
sation contre Bruno Mégret et ses amis. Il souhaite apparaitre
comme un « non raciste », sa priorité allant à l'antisémitisme.
En fait, on retrouve ici la meme extreme droite d'autrefois qui n'a
plus rien à voir avec Jes problèmes d'aujourd'hui : en 1930, l'im-
. migration n'était pas le problème essentiel !
Le Pen, en accusant une partie du F.N. d'etre raciste, et en pronant
l'intégration de préférence au retour des immigrés, renie son com­
bat pour l'identité nationale !
Le Pe11, à plus de 70 a11s, a perdu foi dans sa capacité de vietoire
persomzelle. Ayalll perdu la foi, il a perdu l'espéra11ce. Il a alors
perdu toute vertu de charité à l'égard de ses propres amis, co111pa­
g11011s fidèles de combat qu'il insulte désomzais des 1w11zs de
racistes et de ve11dus ([es deux so11t d'ailleurs contradictoires).
C'est bien triste. L'épopée se conclut e11 farce dramatique sous le
sig11e du renieme/11 11atio11al !
Yvan Blot

Je me garderai bien d'ajouter le moindre commentaire à


ces notes rédigées quelques semaines avant la lettre pro­
lepéniste que m'adressa Yvan Blot. Il serait superflu.
ANNEXES

IV - LA HAINE

On imagine sans mal que ces remous me valurent beau­


coup de courrier. Un tiers des letres m'approuvait. Un
tiers regrettait ma décision sans la condamner. un tiers la
condamnait et parfois de la manière la plus brutale qui
soit. C'est une de celles-ci que je publie, sans commen­
taires non plus. On voit jusqu'à quels errements peut
pousser une haine aussi subite d'irraisonnée.

M. Chabot
Marseille
8 janvier 1999
Certificat
de jet à la récupération de papier
- Mon après guerre
- Mon village à l'heure socialiste
- Jules l'imposteur
- Paris
- Bonjour Paris
- Quand les arrnes se sont tues
- La télé et moi
- L'année terrible
- 1 8 demiers cahiers
- nombre d'articles ex NH, Minute . . .
Et, pourtant, votre piume m'a enchanté ; mais, camme au XVIII•
siècle, pour les musiciens et autres artistes, après le concert : "A la
cuisine". Haydn, "laquais impérial", a, quand meme, été très riche.
PS : Si j'ai eu quelque hésitation à poster la présente, votre. "Adieu
à l'équipe NH" - évoquer son attachement alimentaire au journal,
j'allais écrire que c'est dégueulasse ; non : quos vult perdere prius
Jupiter demendat .- me les a enlevées.
Il n'est pire canaille que gens de lettres, disait Chateaubriand.
Donc, Mané Thécel, Phares, que je n'aurais jamais imaginé
employer dans de telles circonstances.
-------- oAd}
- ('J(JJIJ!,
�a � -------
..
V - SUR UNE BROCHURE D'HENRY COSTON

Dans une brochure parue cet été t'', notre cher Henry
Coston, orfèvre en la matière, évoque « !es it1ftltratio11s
emiemies dans la droite 11atio11ale et populaire » et pose la
question : « A qui profite le crime ? »
Coston n'a certainement pas tort de dénoncer Ies influences
maçonniques dans l'entourage de Le Pen, comme dans celui
de Mégret - accusé d'étre maçon sans que fut apporté le
début du commencement de la moindre preuve. Depuis les
premiers succès du Front national, le Grand Orient et !es
B'nai" B'rith ne cachèrent jamais qu'ils travaillaient, de l'exté­
rieur, à sa destruction. Nul doute qu'à l'intérieur ils aient glis­
sé des agents de renseignements, d'intrigues et de sabotages.
Personne ne niera que le crime profite d'abord aux partis
politiques où l'influence maçonnique est reine. Néanmoins, si
ces infiltrations maçonniques furent, à certains moments, des
facteurs agissants de l'explosion finale, elles n'en ont pas été
]es moteurs essentiels. Ceux-ci furent beaucoup plus psy­
chiques et psychologiques que politiques. A l'age du capi­
taine, l'aggravatiori de ses défauts caractériels, le phénomène
de la Cour, l'ambition des seconds couteaux, l'argent facile
représenté par la subvention d'Etat (41 millions par an), la
jalousie, la névrose d'un pouvoir, fiìt-il limité à un parti, enfin
l'erreur d'analyse qui permit de croire que Mégret serait aussi
facilement réduit que l'avaient été Bachelot, d'Ormesson,
Arrighi ou Sainte-Affrique comptèrent plus que !es agisse­
ments souterrains des Loges. C'est du moins mon intime
conviction. La brochure d'Henry Coston n'en est pas moins
précieuse.
(*) Hcnry Coston. BP 92-18, 75862 Paris Ccdex 18.
,.

ACHEVÉ D ' I MPRIMER


EN NOVEMBRE 1 9 9 9
DANS LES ATELIERS
DES PRESSES LITTÉRAIRES
À SAJNT-EsTÈVE - 66240

0 . L. : 4° TRIMESTRE 1999
N° D'IMPRJMEUR : 17700

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