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Revue de l'Occident musulman et

de la Méditerranée

Moufdi Zakaria, nationaliste algérien et chantre du Maghreb arabe


Claude Collot

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Collot Claude. Moufdi Zakaria, nationaliste algérien et chantre du Maghreb arabe. In: Revue de l'Occident musulman et de la
Méditerranée, n°25, 1978. pp. 139-141;

doi : https://doi.org/10.3406/remmm.1978.1808

https://www.persee.fr/doc/remmm_0035-1474_1978_num_25_1_1808

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NOTES ETDOCUMENTS

Moufdi ZAKARIA
NATIONALISTE ALGERIEN ET CHANTRE DU MAGHREB ARABE

Avec la mort du poète algérien Moufdi Zakaria (cf. le Monde du 20 août


1977), c'est une grande figure du mouvement nationaliste algérien, mais aussi
un "poète du grand Maghreb arabe" qui vient de disparaître.
Né à Beni-Isguen, dans le Mzab, Cheikh Zekri, plus connu sous le nom de
Moufdi Zakaria, part très tôt compléter sa formation â la Zitouna de Tunis. Il
y acquiert une solide formation arabe et, sous l'influence de son oncle, le Cheikh
Salah Ben Yahia, l'un des fondateurs du Vieux Destour, mène une activité
politique précoce qui aiguise en lui le sentiment national.
De retour en Algérie, il devient un des membres les plus actifs de
l'Association des Etudiants Musulmans d'Afrique du Nord à compter de 1925. Il est de
ceux qui se risquent à critiquer les tendances assimilationnistes du mouvement
Jeune-Algérien et qui quelques années plus tard protestent contre les fêtes du
Centenaire de la Conquête de l'Algérie, en 1930. Moufdi Zakaria devient alors
un des fervents lecteurs du journal El Ouma, publié en France par les dirigeants
de l'Etoile Nord Africaine, que Messali a fondée en 1926 dans les milieux de
l'émigration algérienne en France. Lorsque cette Etoile Nord Africaine reprend son
activité vers 1933 et commence â s'implanter en Algérie, Cheikh Zekri en est un
des premiers adhérents et devient l'un de ses responsables en Algérie.
En 1936, luttant aux côtés de Messali, il compose l'hymne de l'Etoile Nord-
Africaine : "Fida Ul Jazai" qui devient le chant de ralliement des militants
nationalistes. C'est dans une tenue qui symbolise le drapeau nationaliste : gandourah
verte, chemise blanche et cravate rouge frappée d'une étoile et du croissant, chéchia
rouge, que Zakaria participe aux nombreux meetings et manifestations qu'organise
le nouveau Parti du Peuple Algérien (fondé en mars 1937 par Messali à la suite
de la dissolution de l'Etoile Nord Africaine) pour combattre l'assimilationnisme
tant du Congrès Musulman Algérien que du fameux projet Blum-Violette. Il lance
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à Alger le journal en langue arabe du PPA "Ech Chaab" dont ne paraîtront que
deux numéros. En effet le 22 août 1937, Moufdi Zakaria est arrêté et condamné
avec Messali et trois autres membres du Comité directeur du parti pour "atteinte
à la Souveraineté française et reconstitution de ligue dissoute". C'est pourquoi
le PPA le choisit comme candidat aux élections cantonales d'octobre 1937 dans
le département de Constantine. H n'y obtiendra que 32 voix sur 5000 votants.
Mais de la prison d'El Harrach, il anime avec ses compagnons de détention la
création et la parution d'un nouveau journal du PPA, "Le Parlement Algérien",
dont le premier numéro sort en mai 1939. Libéré peu après, il poursuit son action
militante, ce qui lui vaut d'être â nouveau arrêté par les autorités coloniales en
février 1940 pour atteinte à la sûreté extérieure de l'Etat et d'être condamné â
six mois de prison.
Devenu l'un des directeurs d'un restaurant d'Alger en 1943-1944, Moufdi
Zakaria collabore activement à la confection de deux journaux clandestins lancés
par le P.P.A. interdit (depuis septembre 1939) : Al Watan (La Patrie) et "l'action
Algérienne", "organe clandestin de la jeunesse anti-impérialiste". Aussi est-il
frappé par la répression vigoureuse décidée par les autorités coloniales après les
sanglants "événements de Setif et du Constantinois" de mai 1945 : arrêté, il est maintenu
en prison pendant trois mois.
Après sa libération, il poursuit son activité politique et adhère au
Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (M.T.L.D.) fondé au début
de 1947. Il en est le candidat aux élections à l'Assemblée Algérienne, dans la
circonscription des Oasis : mais comme les candidats de ce parti, il est victime des
fraudes électorales organisées ouvertement et à l'échelle de l'Algérie entière par
le Gouverneur Général Naegelen.
Mais la crise interne qui mine le M.T.L.D. à compter des années cinquante
le conduit à prendre ses distances à l'égard des factions en présence et à prêter
plus attention aux débuts de la lutte pour l'indépendance de la Tunisie et du Maroc.
D accueillera avec enthousiasme le déclenchement de la lutte armée en Algérie à
la fin de 1954. Au cours de l'année 1955, il rejoint les rangs du Front de Libération
Nationale (F.L.N.) et sur la demande d'un des "chefs historiques" Abane Ramdane,
il compose au début de 1956 l'hymne de la Révolution Algérienne "Gassaman".
Arrêté en avril 1956 par les autorités coloniales pour "atteinte à la sûreté extérieure
de l'Etat et participation à association de malfaiteurs", il est enfermé à la prison de
Barberousse à Alger puis au camp de Berrouaghia ; il y subit la torture ; ses biens
sont confisqués. Libéré trois ans plus tard, et à nouveau recherché, il n'échappe
aux autorités coloniales qu'en fuyant au Maroc d'abord, à Tunis ensuite. La, il
collabore activement aux pages culturelles de l'organe du F.L.N., "El Moudjahid"
jusqu'en 1962.
Mais, au lendemain de l'indépendance accordée à l'Algérie en 1962, Moufdi
Zakaria, cesse discrètement toute activité politique pour se vouer à la création
littéraire. Il fait alors paraître un recueil de poèmes "El Lahab el Mouqaddas"
(la flamme sacrée), dans lequel il conte la geste épique de la lutte de libération
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algérienne. C'est le premier volet d'un tryptique consacré au Maghreb. En effet,


quelques années après, il publie successivement "Tahta Dilal Ezzaytounn" (A
l'ombre des Oliviers) dédié à la Tunisie et "Min Wahiy El Atlas" (Inspiration de
l'Atlas) dans lequel il célèbre le Maroc. Ces trois recueils ne sont que le reflet, bien
partiel, d'une importante production encore inédite qui englobe poèmes, critiques
littéraires, études historiques, sociologiques. . . Mais ils traduisent clairement la
vocation maghrébine de leur auteur. Appelé â juste titre "poète du grand Maghreb
arabe", Moufdi Zakaria dès lors affirme constamment ses préoccupations
maghrébines, au risque d'incommoder le pouvoir en place sinon même de s'y opposer.
La division que vit le Maghreb depuis l'achèvement de la décolonisation le meurtrit
profondément. Et comme s'il voulait lancer un ultime appel à la réconciliation
et à la fraternité intermaghrébines, son dernier voyage a embrassé ces trois pays :
revenant du Maroc, il est mort en Tunisie et fut discrètement enterré en Algérie !
Puissent sa vie et son œuvre servir d'exemple.
C. COLLOT
Professeur â l'Université de Nancy II

POUR CLAUDE COLLOT

De bien tragiques hasards font que dans le même numéro de la Revue de


l'Occident Musulman et de la Méditerranée paraissent s'emboîter deux hommages
funèbres. Claude Collot avait choisi de rompre les silences officiels ayant entouré
la mort de Moufdi Zakaria, nationaliste algérien et chantre du grand Maghreb,
et proposé un court texte qui retrace les grands moments de cette vie. Personne ne
pouvait imaginer alors que figureraient à côté de ses propres lignes, d'autres phrases
chargées de l'évoquer, lui. Trois mois après l'auteur de l'hymne national algérien,
Gaude Collot succombait à une implacable maladie.
D'autres diront, ou conserveront en eux, le souvenir d'un homme et le
bonheur d'un ami, sa générosité, sa bienveillance. Ceux qui ont connu le
pédagogue parleront de ses vertus d'enseignant, tels ses collègues ou les nombreux
étudiants qui suivirent ses enseignements dans les facultés de droit d'Alger puis
de Nancy. Quelques-uns évoqueront l'homme des engagements politiques, et le
syndicaliste estimé de tous y compris de ceux qui ne partageaient pas ses vues
ou se rangeaient sous d'autres bannières. Je ne mentionnerai, pour ma part que
le chercheur, l'historien des institutions algériennes, celui qui n'est connu que
par un petit groupe de spécialistes.
Dédaigneux des honneurs, peu soucieux de publier, plus prêt à se consacrer
à qui lui demandait aide ou conseil qu'à diffuser ses propres travaux, Claude Collot
est un peu resté en dehors des aréopages, des écoles et des groupes constitués.
Du fait, peut-être, qu'historien du droit, il se trouvait à la fois à la jonction de deux

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