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Le travail à la demande et l’obligation de disponibilité des personnes salariées :


portée des balises fixées par la Loi sur les normes du travail

Conference Paper · March 2017

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Dalia Gesualdi-Fecteau
Université du Québec à Montréal
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Le travail à la demande et
l’obligation de disponibilité des
personnes salariées : portée
des balises fixées par la
Loi sur les normes du travail
Guylaine Vallée* et Dalia Gesualdi-Fecteau**

Résumé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 259

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 261

I. L’encadrement normatif du temps de travail :


caractéristiques, finalités et contexte d’émergence . . . . . 262

II. L’obligation de disponibilité de la personne salariée et les


normes minimales du travail : une étude empirique . . . . 267

A. Méthodologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 267

* Professeure de droit du travail à l’École de relations industrielles de l’Université de


Montréal.
** Professeure au Département des sciences juridiques de l’Université du Québec à
Montréal. Les deux auteures sont chercheures membres du Centre de recherche
interuniversitaire sur la mondialisation et le travail (CRIMT). Les résultats pré-
sentés dans cet article découlent du projet de recherche intitulé L’obligation de dis-
ponibilité du salarié : une nouvelle source de précarité ou de flexibilité, subventionné
par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH). Le présent
texte reprend, en les mettant à jour, des extraits d’un texte d’abord paru en 2016
dans la revue International Journal of Comparative Labour Law and Industrial
Relations : Guylaine VALLÉE et Dalia GESUALDI-FECTEAU, « Setting the Tem-
poral Boundaries of Work : an Empirical Study of the Nature and Scope of Labour
Law Protections », (2016) 32:3 International Journal of Comparative Labour Law
and Industrial Relations 344-378. Les auteures tiennent à remercier la Commis-
sion des normes du travail qui leur a donné accès aux dossiers de plainte ainsi que
tous les répondants qui ont accepté de les rencontrer en entrevue.

257
258 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

1. Repérage et analyse des dossiers de plaintes . . . . 269

2. Entrevues . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271

B. La mise en disponibilité des personnes salariées et


la mise en œuvre des normes minimales d’emploi :
quelques illustrations contemporaines . . . . . . . . . 272

1. Des modalités variées de mise en disponibilité


des personnes salariées . . . . . . . . . . . . . . . 272

2. Des normes dépassées ? . . . . . . . . . . . . . . . 276


a) La nature de l’obligation de disponibilité : à
quel moment la personne salariée est-elle
« réputé[e] au travail » ? . . . . . . . . . . . 277

i. Le cadre spatial de la disponibilité :


l’incidence (dépassée ?) du lieu
du travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . 279

ii. La pause-repas : norme de rémunération


ou temps d’arrêt ? . . . . . . . . . . . . . 282
b) La personne salariée a-t-elle le droit de ne
pas être disponible ? L’effet paradoxal de
la Loi sur les normes du travail . . . . . . . 284

i. L’obligation de disponibilité et le droit de


refus des personnes salariées : nature et
portée des protections normatives. . . . . 284

ii. Le droit au repos hebdomadaire : une


protection aux contours mouvants . . . . 287
c) Le mode de rémunération : un facteur
d’augmentation de la « contraignabilité » de
la disponibilité des personnes salariées ? . 289

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 293
RÉSUMÉ

Le temps joue un rôle crucial dans la relation d’emploi par


laquelle une personne salariée, en échange d’une rémunération,
effectue un travail sous la direction ou le contrôle d’un employeur. La
Loi sur les normes du travail, comme les dispositions qui existent sur
la durée du travail en droit international et dans d’autres pays, dis-
tingue ainsi le temps de travail, pendant lequel les personnes sala-
riées se trouvent sous la subordination de l’employeur, et le temps de
repos où elles peuvent vaquer librement à leurs occupations person-
nelles. Or, avec les transformations de l’organisation de la production
et du travail caractéristiques des sociétés postindustrielles, cette dis-
tinction entre le temps de travail et le temps de repos paraît de plus
en plus poreuse compte tenu de l’obligation de disponibilité qui
s’impose aux personnes salariées. En vertu de cette obligation, ces
personnes doivent être disponibles au-delà de leur temps de travail
pour répondre à une éventuelle demande de travail de l’employeur, et
ce, quel que soit le lieu où elles se trouvent. Les personnes salariées
doivent-elles être rémunérées ou autrement indemnisées pour ces
périodes où elles doivent être disponibles ? Ces périodes sont-elles
prises en compte dans le calcul des heures supplémentaires ? Les per-
sonnes salariées peuvent-elles refuser de travailler ou d’être disponi-
bles au-delà de leurs heures habituelles de travail ? En somme, les
normes minimales prévues à la Loi sur les normes du travail protè-
gent-elles toujours l’aménagement d’une sphère d’autonomie person-
nelle de la personne salariée, hors du contrôle de l’employeur ?

Les résultats d’une étude empirique, laquelle comprend une


analyse de la jurisprudence et des données recueillies auprès de la
Commission des normes du travail (désormais la Commission des
normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail) ont permis
de documenter différentes manifestations de cette obligation de dis-
ponibilité et d’examiner l’application des normes minimales du tra-
vail dans ce contexte.

259
INTRODUCTION

Le temps joue un rôle crucial dans la relation d’emploi par


laquelle une personne salariée, en échange d’une rémunération,
effectue un travail sous la direction ou le contrôle d’un employeur1. Le
temps de travail correspond en effet au « temps de la subordina-
tion »2 , que l’employeur achète et qu’il pourra gérer à sa guise, sous
réserve évidemment du respect des droits fondamentaux de la per-
sonne salariée, des normes d’ordre public et du contenu de la conven-
tion collective ou du contrat de travail. Hors de ce temps de travail, la
personne salariée n’a pas, en principe, « l’obligation de se tenir immé-
diatement à disposition [de l’employeur], même si elle demeure con-
tractuellement lié par des obligations particulières » de son contrat3.
La personne salariée peut alors vaquer à ses obligations personnelles
et ses activités ne sont pas soumises au pouvoir de contrôle de
l’employeur. Telle est la frontière établie entre le temps de travail et
le temps hors travail dans les sociétés industrielles.

Avec la mondialisation et la financiarisation de l’économie, le


passage d’une société industrielle à une société de services et la géné-
ralisation des nouvelles technologies des communications, l’entre-
prise se transforme, adopte des nouvelles manières de produire des
biens et des services et d’organiser le travail, en ayant recours,
notamment, à une pluralité de formes d’emploi. Ces transformations
caractéristiques des sociétés postindustrielles sont un terreau fertile
à un brouillage de la frontière, en apparence hermétique, entre les
temps de travail et hors travail4. De plus en plus de personnes sala-
riées sont confrontées à l’existence d’un « troisième temps » où, sans
être considérées au travail et sans être rémunérées, elles ne dispo-

1. Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64, art. 2085 (ci-après « C.c.Q. »).
2. Cette expression est empruntée à Jens THOEMMES, Vers la fin du temps de tra-
vail ?, Paris, P.U.F., 2000, p. 20.
3. Jean-François PAULIN, « Les temps soustraits au pouvoir », dans Antoine
JEAMMAUD (dir.), Le pouvoir de l’employeur, Semaine sociale Lamy Supplément,
11 février 2008, no 1340, p. 55, 56.
4. Émilie GENIN, « Proposal for a Theoretical Framework for the Analysis of Time
Porosity », (2016) 32:3 International Journal of Comparative Labour Law and
Industrial Relations 280.

261
262 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

sent pas de la liberté de vaquer librement à leurs occupations person-


nelles parce qu’elles restent subordonnées à une éventuelle demande
de travail de la part de leur employeur5. Cette obligation de disponibi-
lité des personnes salariées est attrayante pour les entreprises en
quête de flexibilité. Elle leur permet une mobilisation du travail en
« juste-à-temps » permettant d’ajuster rapidement leur volume de
main-d’œuvre à leurs besoins de production. La sujétion de la per-
sonne salariée outrepasse alors le cadre temporel de la durée du tra-
vail et le cadre spatial du lieu de travail. Conséquemment, les
personnes salariées n’ont plus la pleine maîtrise de leur temps per-
sonnel à cause des contraintes reliées à leur emploi.

Dans ce contexte, les minima normatifs afférents à la durée du


travail que l’on retrouve dans la Loi sur les normes du travail6, qui ont
émergé dans le contexte de la société industrielle, constituent-ils tou-
jours un rempart utile pour les personnes salariées ? Cette question
exige que l’on rappelle d’abord les caractéristiques, les finalités et le
contexte d’émergence des normes juridiques relatives à la durée du
travail (I). Dans un deuxième temps, nous présenterons les résultats
d’une étude empirique réalisée au Québec ayant permis de documen-
ter différentes manifestations de ce brouillage des frontières entre le
temps de travail et hors travail et d’examiner l’application des nor-
mes minimales du travail dans ce contexte (II).

I. L’ENCADREMENT NORMATIF DU TEMPS DE


TRAVAIL : CARACTÉRISTIQUES, FINALITÉS
ET CONTEXTE D’ÉMERGENCE

La société industrielle et libérale consacre non seulement la


centralité du temps de travail dans l’articulation des temps sociaux,
mais aussi le contrôle dont l’employeur dispose dans l’aménagement
de ceux-ci. Au XIXe siècle, les heures de travail excessivement lon-
gues mettent toutefois en cause la santé des travailleurs, ce qui
conduit à l’adoption des premières mesures législatives balisant les
pouvoirs de l’employeur en matière de durée du travail. Celles-ci sont
introduites en France en 1841 ; elles fixent à 8 heures par jour la
durée du travail des enfants de 8 à 12 ans et à 12 heures celle des

5. Guylaine VALLÉE, « Les nouvelles formes d’emploi et le « brouillage » de la fron-


tière entre la vie de travail et la vie privée : jusqu’où va l’obligation de disponibilité
des salariés ? », (2010) 15:2 Lex Electronica 11, en ligne : <http://www.lex-electro
nica.org/docs/articles_285.pdf>.
6. Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N-1.1 (ci-après « L.N.T. »).
LE TRAVAIL À LA DEMANDE ET L’OBLIGATION... 263

enfants de 12 à 16 ans7. Ces mesures visent à répondre aux conditions


de travail décriées par le rapport Villermé, dans lequel l’auteur appe-
lait à l’encadrement du travail des enfants afin de limiter, comme en
Angleterre, la durée trop longue du travail de ceux-ci8. Différentes
mesures visant à encadrer la prestation de travail des enfants
avaient en effet été adoptées par le législateur britannique, et ce, dès
1819 dans le Cotton Mills and Factory Act9. La question de la durée
du travail est également envisagée par le législateur québécois. Deux
des mesures phares de l’Acte des manufactures de Québec10 adopté en
1885, ont pour objet de restreindre la durée du travail pour les fem-
mes et les enfants à 60 heures par semaine et à 10 heures par jour et
imposent l’octroi à cette main-d’œuvre d’une pause-repas.

La première Constitution de l’OIT, formant la Partie XIII du


Traité de Versailles de 191911, reconnaît aussi que la fixation d’une
durée maximale de la journée et de la semaine de travail compte
« parmi les mesures requises d’urgence »12. Cette question est
d’ailleurs à l’ordre du jour de la toute première Conférence interna-
tionale du travail de l’OIT, en 1919, alors que les pays membres adop-
tent une convention limitant à huit heures par jour et à 48 heures
par semaine la durée du travail dans les établissements industriels13.
Cette convention précise toutefois que des dérogations permanentes
ou temporaires par industrie ou profession peuvent être déterminées,
par règlement, après consultation des organisations patronales et

7. Voir en particulier : François GUEDJ et Gérard VINDT, Le temps de travail : une


histoire conflictuelle, Paris, Syros, 1997.
8. Louis-René VILLERMÉ, Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés
dans les manufactures de coton, de laine et de soie, Paris, La Découverte, 1986.
9. Pour une analyse des premières interventions législatives adoptées au Royaume-
Uni, voir : Douglas GALBI, « Child Labor and the Division of Labor in the Early
English Cotton Mills », (1997) 10:4 Journal of Population Economics 357 ; Howard
P. MARVEL, « Factory Regulation : A Reinterpretation of Early English Expe-
rience », (1977) 20:2 Journal of Law and Economic 379.
10. Acte des manufactures de Québec, S.Q. 1885 (48 Vict.), c. 32.
11. Voir la Section I de la Partie XIII du Traité de paix de Versailles, en ligne :
<http://www.ilo.org/public/libdoc/ilo/1920/20B09_18_fren.pdf>. La première
Constitution de l’OIT est disponible à l’adresse suivante : <http://www.ilo.org/
public/libdoc/ilo/1934/34B09_10_f_e.pdf>.
12. ORGANISATION INTERNATIONALE DU TRAVAIL (OIT), Le temps de travail
au XXIe siècle, Rapport soumis pour discussion à la Réunion tripartite d’experts
sur l’aménagement du temps de travail , Genève, Bureau international du travail,
2011, no 11.
13. Convention (no 1) sur la durée du travail (industrie) 1919, 28 novembre 1919, art.
2, en ligne : <http://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=NORMLEXPUB:12100:0::
NO::P12100_ILO_CODE:C001> (consultée le 1er juin 2016) (entrée en vigueur le
13 juin 1921). Cette Convention a été ratifiée par le Canada le 21 mars 1935.
264 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

syndicales. Ces règlements doivent fixer le nombre maximal d’heures


supplémentaires pouvant être autorisées ; le taux de salaire doit être
majoré d’au moins 25 % pour ces heures supplémentaires14. L’objectif
premier de ces mesures apparues à la suite de pressions politiques et
syndicales est de préserver la santé physique des travailleurs15.

L’enjeu du temps de travail a par la suite été périodiquement au


cœur de l’activité législative de l’OIT16. En 1930, la Convention no 30
introduit, sur le modèle de la Convention no 1, une limite à la durée
quotidienne et hebdomadaire de travail dans les commerces et les
bureaux17. En 1921 et en 1957, des conventions sur le repos hebdoma-
daire sont adoptées, respectivement pour l’industrie18 et pour les
commerces et bureaux19. Ces conventions prévoient que les travail-
leurs doivent bénéficier d’un repos comprenant au minimum 24 heu-
res consécutives par période de sept jours. En somme, la durée du
travail prescrite par ces instruments correspond à une semaine de
travail « typique » de six journées de huit heures et d’une journée de
congé dans l’industrie, le commerce et les bureaux20.

Ces instruments internationaux ont influencé durablement les


législations du travail nationales21. Il en est ainsi au Québec où, peu à
peu, des normes relatives à la durée du travail ont été intégrées dans
des lois qui s’appliquaient, contrairement à l’Acte des manufactures
de Québec de 188522, tant aux femmes qu’aux hommes : ces normes

14. Ibid., art. 6.


15. Jean-Michel SERVAIS, Normes internationales du travail, Paris, L.G.D.J., 2004,
no 557.
16. Notamment des conventions visant de manière particulière certains secteurs ou
certaines catégories de travailleurs.
17. Convention (no 30) sur la durée du travail (commerce et bureaux) 1930, 28 juin
1930, art. 3, en ligne : <http://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=NORMLEXPUB:
12100:0::NO:12100:P12100_INSTRUMENT_ID:312175:NO> (consultée le
1er juin 2016) (entrée en vigueur le 29 août 1933).
18. Convention (no 14) sur le repos hebdomadaire (industrie) 1921, 17 novembre 1921,
art. 2, en ligne : <http://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=NORMLEXPUB:12100:
0::NO:12100:P12100_INSTRUMENT_ID:312159:NO> (consultée le 1er juin
2016) (entrée en vigueur le 19 juin 1923). Cette Convention a été ratifiée par le
Canada le 21 mars 1935.
19. Convention (no 106) sur le repos hebdomadaire (commerce et bureaux) 1957,
26 juin 1957, art. 6, en ligne : <http://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=NORMLEX
PUB:12100:0::NO:12100:P12100_INSTRUMENT_ID:312251:NO> (consultée le
1er juin 2016) (entrée en vigueur le 4 mars 1959).
20. OIT, préc., note 12, no 20.
21. J.-M. SERVAIS, préc., note 15, no 558.
22. Acte des manufactures de Québec, préc., note 10.
LE TRAVAIL À LA DEMANDE ET L’OBLIGATION... 265

avaient toutefois une portée limitée puisqu’elles visaient des secteurs


industriels, des professions ou des zones géographiques spécifi-
ques23. Avec l’adoption de la Loi sur les normes du travail en 1979, ces
normes deviennent universelles puisque la L.N.T. s’applique à toutes
les personnes salariées visées par la loi, qu’elles soient syndiquées ou
non, et quel que soit le lieu où elles exercent leur travail au Québec24.
De nombreux amendements ont été apportés à la L.N.T. depuis son
adoption, notamment sur la durée du travail25. Actuellement, la
L.N.T. établit l’obligation de l’employeur de rémunérer à taux majoré
la personne salariée qui doit travailler au-delà de la semaine normale
de travail26. Elle confère un certain droit pour la personne salariée de
refuser de travailler au-delà de ses heures habituelles de travail pour
certaines raisons familiales27 et aménage un droit de refuser de tra-
vailler au-delà d’un certain seuil quotidien ou hebdomadaire28. La loi
fixe également des périodes de repos29 et des congés sociaux et fami-

23. Loi des salaires raisonnables, S.Q. 1937 (1 Geo. VI), c. 50 ; Loi du salaire mini-
mum, S.Q. 1940 (4 Geo. VI), c. 39. Sur l’histoire des normes minimales du travail
et de leurs mécanismes d’application : Christian DÉSILETS et Denis LEDOUX,
Histoire des normes du travail au Québec de 1885 à 2005 : De l’Acte des manufactu-
res à la Loi sur les normes du travail, Québec, Publications du Québec, 2006 ; Dalia
GESUALDI-FECTEAU et Guylaine VALLÉE, « Labor Inspection and Labor
Standards Enforcement in Quebec : Contingencies and Intervention Strategies »,
(2016) 37:2 Comparative Labor Law & Policy Journal 339.
24. L.N.T., art. 1 et 2.
25. Loi modifiant la Loi sur les normes du travail et d’autres dispositions législatives,
L.Q. 1990, c. 73 ; Loi modifiant la Loi sur les normes du travail et d’autres disposi-
tions législatives, L.Q. 2002, c. 80.
26. Le salarié a droit de recevoir un salaire au moins équivalent au salaire minimum
pour toutes les heures travaillées (L.N.T., art. 40). S’il travaille au-delà de
la semaine normale de travail de 40 heures prévue à la L.N.T., il doit recevoir une
majoration salariale de 50 % (L.N.T., art. 52 et 55).
27. Un employeur ne peut sanctionner une personne salariée « pour le motif que le
salarié a refusé de travailler au-delà de ses heures habituelles de travail parce que
sa présence était nécessaire pour remplir des obligations reliées à la garde, à la
santé ou à l’éducation de son enfant ou de l’enfant de son conjoint, ou en raison de
l’état de santé de son conjoint, de son père, de sa mère, d’un frère, d’une sœur ou de
l’un de ses grands-parents, bien qu’il ait pris les moyens raisonnables à sa disposi-
tion pour assumer autrement ces obligations » (L.N.T., art. 122, par. 6).
28. Une personne salariée peut refuser de travailler plus de quatre heures au-delà de
ses heures habituelles quotidiennes de travail ou plus de 14 heures de travail par
période de 24 heures, selon la période la plus courte, ou, pour un salarié dont
les heures quotidiennes de travail sont variables ou effectuées de manière non
continue, plus de 12 heures de travail par période de 24 heures. Une personne
salariée peut également refuser de travailler plus de 50 heures de travail
par semaine ou, pour un salarié qui travaille dans un endroit isolé ou qui effectue
des travaux sur le territoire de la région de la Baie James, plus de 60 heures de tra-
vail par semaine (L.N.T., art. 59.0.1).
29. Il s’agit du droit au repos hebdomadaire et à la pause-repas : L.N.T., art. 78-79.
266 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

liaux30. Sous réserve des dérogations spécifiques permises par la loi,


les normes établies dans le L.N.T. sont d’ordre public31.

Les frontières entre le temps de travail et hors travail apparues


avec les sociétés industrielles ont ainsi été graduellement forma-
lisées par l’introduction de normes juridiques qui permettent de
distinguer la durée de travail et les périodes consacrées au repos32.
Ces normes, qui fixent les contours de cet « ordre temporel domi-
nant »33 caractérisent aujourd’hui la régulation de la négociation
entre les parties au contrat, collectif ou individuel, de travail. L’enca-
drement de cette démarcation des temps a aussi émergé à l’aune
d’une forme d’emploi propre à la société industrielle : celle d’une rela-
tion d’emploi dite traditionnelle, fondée sur un contrat de travail à
durée indéterminée, liant une personne salariée travaillant à temps
plein pour un employeur unique et se déployant, de façon générale,
dans une unité productive classique, soit un établissement rattaché à
l’entreprise34.

Ce sont ces normes qui sont mobilisées par les personnes sala-
riées assujetties à une obligation de disponibilité. L’étude empirique
que nous avons réalisée a pour objectif de déterminer si, pour ces
personnes salariées, les règles juridiques qui encadrent le temps de
travail permettent toujours « de borner l’emprise patronale » sur leur
vie35.

30. Notamment les congés de maladie et les congés pour raisons familiales ou paren-
tales : L.N.T., art. 79.1 et s.
31. L.N.T., art. 93.
32. Rappelons que le temps hors travail n’est pas toujours synonyme de temps de
repos. En effet, le temps consacré au travail domestique et à la réalisation des obli-
gations familiales et parentales ne peut être strictement assimilé à du repos et
aux loisirs. La façon dont s’organise le temps hors travail n’est pas étrangère à
l’ordre social « sexué et dominant ». Cette expression est empruntée à Pierre
BOURDIEU, La domination masculine, Paris, Seuil, 1998. Sur cette question,
voir : Gilbert de TERSSAC, Jens THOEMMES et Anne FLAUTRE, « Régulation
politique et régulation d’usage dans le temps de travail », (2004) 67: 2 Le travail
humain 135.
33. J. THOEMMES, préc., note 2, p. 8.
34. Définition empruntée à Jean BERNIER et Guylaine VALLÉE, « Pluralité des
situations de travail salarié et égalité de traitement en droit du travail québé-
cois », dans Analyse juridique et valeurs en droit social : Études offertes à Jean
Pélissier, Paris, Dalloz, 2004, p. 69, 72.
35. Alain SUPIOT, Au-delà de l’emploi : transformations du travail et devenir du droit
de l’emploi en Europe, Paris, Flammarion, 1999, p. 96.
LE TRAVAIL À LA DEMANDE ET L’OBLIGATION... 267

II. L’OBLIGATION DE DISPONIBILITÉ DE LA PERSONNE


SALARIÉE ET LES NORMES MINIMALES DU
TRAVAIL : UNE ÉTUDE EMPIRIQUE

Les normes juridiques relatives à la durée du travail que l’on


retrouve dans la Loi sur les normes du travail sont-elles utiles à la
personne salariée qui a l’obligation d’être disponible, par exemple
pendant une pause-repas, une période de repos hebdomadaire, un
congé ou au-delà de ses heures habituelles de travail ? S’agit-il de
périodes donnant droit à rémunération ? Les normes de travail protè-
gent-elles la personne salariée qui refuse de travailler au-delà de
ses heures habituelles de travail ? Comment sont traitées et reçues
les plaintes des personnes salariées qui se retrouvent dans cette
situation ? En somme, les normes actuelles protègent-elles toujours
l’aménagement d’une sphère d’autonomie personnelle de la personne
salariée, hors du contrôle de l’employeur ?

Pour répondre à ces questions, nous avons étudié l’application


de la Loi sur les normes du travail à des personnes salariées non syn-
diquées (B). Il convient d’abord de présenter les sources de données
qui ont été utilisées à cette fin, lesquelles sont reliées aux mécanis-
mes particuliers aménagés par cette loi pour en assurer la mise en
œuvre (A).

A. Méthodologie

Bien que nous ayons procédé à un repérage de la jurisprudence


mettant en cause l’application ou l’interprétation des normes perti-
nentes de la L.N.T. à des personnes salariées en situation d’obligation
de disponibilité36, nous étions conscientes qu’une étude strictement
jurisprudentielle ne pouvait suffire à éclairer la mise en œuvre de ces
dispositions aux personnes salariées non syndiquées assujetties à
une telle obligation.

Nous nous sommes donc tournées vers la Commission des nor-


mes du travail (ci-après « C.N.T. »), maintenant la Commission des

36. Recherche de la jurisprudence rendue depuis le 1er janvier 2010, à laquelle


s’ajoutent des décisions plus anciennes ayant tracé la voie dans l’interprétation de
ces normes. Même si notre recherche s’intéresse à l’application de la L.N.T. pour
les personnes salariées non syndiquées, nous avons aussi pris en compte certaines
décisions concernant des personnes salariées syndiquées dans la mesure où ces
décisions appliquaient ou interprétaient les dispositions de la L.N.T. (voir infra,
note 48).
268 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci-après


« C.N.E.S.S.T. »)37, un organisme spécialisé chargé de l’application de
la L.N.T. La C.N.E.S.S.T., comme la C.N.T. qu’elle a remplacée, jouit
d’une autonomie certaine vis-à-vis de l’administration centrale,
notamment en ce que ses sources de revenus proviennent de cotisa-
tions versées par les employeurs38. Elle a pour fonction générale de
surveiller « la mise en œuvre et l’application des normes du tra-
vail »39. Elle doit notamment informer et renseigner la population en
ce qui a trait aux normes du travail ainsi que les personnes salariées
et les employeurs concernant leurs droits et obligations prévus dans
la loi40 et traiter les plaintes des personnes salariées concernant des
violations de la loi41. Suivant la nature de la plainte déposée par
la personne salariée, la C.N.E.S.S.T., tout comme la C.N.T. qu’elle
a remplacée, dispose des pouvoirs d’enquêter42, de poursuivre
l’employeur devant le tribunal judiciaire compétent en son propre
nom et pour le compte d’une personne plaignante lorsqu’elle estime
sa plainte fondée43 et fournir les services d’un avocat à une personne
salariée qui poursuit un employeur en matière de harcèlement ou de
protection de l’emploi devant le tribunal spécialisé compétent44. Quel
que soit le type de plainte, elle peut aussi tenter de rapprocher les
parties en vue de les amener à un règlement45, tentative souvent
fructueuse considérant le fort taux de traitement des plaintes46 qui
était de 73,9 % des plaintes à traiter en 2013-201447. Rien d’étonnant,

37. Loi regroupant la Commission de l’équité salariale, la Commission des normes du


travail et la Commission de la santé et de la sécurité du travail et instituant le Tri-
bunal administratif du travail, L.Q. 2015 (entrée en vigueur le 1er janvier 2016).
38. L.N.T., art. 21 et 39.0.1-39.0.2.
39. Ibid., art. 5.
40. Ibid., art. 5, par. 1- 1.1 et 39.
41. Ibid., art. 5, par. 3.
42. Ibid., art. 103-110 (plainte pécuniaire en réclamation de salaire ou d’autres avan-
tages pécuniaires résultant de l’application de la L.N.T. ; plainte administrative
ne portant pas sur des avantages pécuniaires) et art. 123.8-123.12 (plainte en
matière de harcèlement psychologique).
43. Ibid., art. 39, par. 8 et 111-113 (recours civils), art. 139-147 (dispositions pénales).
44. Ibid., art. 123.5 (recours à l’encontre d’une pratique interdite), art. 123.13
(recours en matière de harcèlement psychologique) et art. 126.1 (recours à
l’encontre d’un congédiement fait sans cause juste et suffisante).
45. Ibid., art. 5, par. 5. La C.N.E.S.S.T., avec l’accord des parties, peut aussi nommer
une personne qui tente de régler la plainte à la satisfaction des parties ou un
médiateur : art. 123.3 (pratique interdite), art. 123.10 (harcèlement psycholo-
gique) et art. 125 (congédiement fait sans cause juste et suffisante).
46. Les taux de traitement des plaintes calculés dans les rapports annuels de gestion
de la C.N.T. représentent la proportion des plaintes réglées au cours de l’exercice
par rapport au total des plaintes à traiter.
47. C.N.T., Rapport annuel de gestion 2013-2014, Bibliothèque et Archives nationales
du Québec, 2014, p. 47.
LE TRAVAIL À LA DEMANDE ET L’OBLIGATION... 269

dans un tel contexte, à ce que les problèmes que les personnes sala-
riées non syndiquées rencontrent en matière d’application des nor-
mes du travail soient « moins visibles puisqu’ils ne se concluent pas
en grande majorité par des décisions de justice »48.

Nous avons pu avoir accès au contenu des plaintes déposées par


les personnes salariées à la C.N.T., aux enquêtes auxquelles elles ont
donné lieu le cas échéant et au cheminement qu’elles ont connu (1).
Nous avons de plus réalisé des entrevues avec des membres du per-
sonnel de la C.N.T. pour examiner la protection que la L.N.T. confère
aux personnes salariées qui se trouvent dans une situation d’obliga-
tion de disponibilité (2).

1. Repérage et analyse des dossiers de plaintes

En 2013-2014, 48 935 plaintes étaient en traitement à la


C.N.T.49. Nous avons constitué un échantillon de dossiers de plaintes
à l’aide de trois critères cumulatifs qui tenaient compte des objectifs
de notre recherche, du système de classification et d’archivage des
dossiers de la C.N.T. et de la faisabilité de l’analyse en termes de
volume. Ces trois critères sont la date à laquelle la plainte a été
déposée, la région administrative d’où émanait la plainte et le type de
plainte en cause.

Ainsi, notre échantillon est constitué de plaintes déposées en


2010-2011, encore actives au moment de l’analyse. Les plaintes rete-
nues proviennent de cinq bureaux régionaux50, lesquels traitent des
dossiers émanant de régions très différentes du point de vue de leur
structure industrielle et de leur densité urbaine. Le secteur d’acti-
vités et l’occupation de la personne salariée plaignante ne figurent
pas dans nos critères de sélection, de sorte que notre échantillon

48. Véronique DE TONNANCOUR et Guylaine VALLÉE, « Les relations de travail


tripartites et l’application des normes minimales du travail au Québec », (2009)
64:3 Relations industrielles/Industrial Relations 399, 402. Ce sont essentielle-
ment les personnes salariées non syndiqués qui se prévalent des mécanismes de
plaintes à la C.N.E.S.S.T. En milieu syndiqué, il revient principalement aux syn-
dicats accrédités [et non à la C.N.E.S.S.T.] de veiller à l’application ou à l’interpré-
tation de la convention collective par la voie de la procédure d’arbitrage de grief :
l’arbitre de grief a aussi le pouvoir d’examiner la conformité du contenu de la
convention collective aux dispositions d’ordre public, dont celles de la L.N.T., sauf
en ce qui concerne le recours à l’encontre de pratiques interdites et les recours en
matière pénale, lesquels relèvent exclusivement des mécanismes mis en place
dans la L.N.T.
49. C.N.T., préc., note 47, p. 47.
50. La C.N.T. comptait 14 bureaux régionaux : Ibid., p. 99.
270 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

reflète sans a priori l’éventail des personnes salariées susceptibles


d’être visées par l’obligation d’être disponibles.

Les trois types de plaintes retenues dans notre échantillon por-


tent sur des normes qui sont, au vu de la jurisprudence examinée et
de contacts exploratoires avec des membres du personnel de la
C.N.T., susceptibles d’être mobilisées par une personne salariée en
situation d’obligation de disponibilité. Il s’agit, d’une part, de plaintes
de nature pécuniaire, dans lesquelles la personne salariée réclame
des sommes qu’elle estime lui être dues en matière de salaire (salaire,
rémunération des heures supplémentaires, etc.) ou de frais reliés au
travail (frais de déplacement). D’autre part, nous avons retenu les
plaintes pour pratiques interdites par lesquelles la personne salariée
peut contester une sanction lorsqu’elle croit qu’elle lui a été imposée
en raison de l’exercice d’un droit que lui reconnaît la loi, par exemple
parce qu’elle demandait le respect des normes en matière de repos
hebdomadaire ou encore parce qu’elle avait exercé son droit de refu-
ser d’exécuter des heures supplémentaires pour des raisons parenta-
les. Enfin, nous avons examiné les plaintes qui ont mené à des
procédures pénales. En vertu de ces critères, 119 dossiers de plaintes
ont été repérés.

Nous avons analysé ces dossiers un à un, en février et mars


201451. À l’issue de cette analyse, nous avons retenu 26 de ces dos-
siers, soit 22 % ; ces dossiers concernent 23 employeurs différents52.
Les dossiers de plaintes retenus sont ceux dans lesquels les circons-
tances factuelles montraient clairement que les personnes salariées
en question étaient tenues d’être disponibles53. La plupart des dos-
siers retenus, soit 22 des 26 dossiers54, concernent des plaintes de

51. Les dossiers analysés comprenaient, outre la plainte du salarié, le rapport de


l’enquête réalisée par un enquêteur de la C.N.T. auprès du salarié et de l’em-
ployeur. Ces documents nous permettaient de reconstituer la trame narrative du
litige et de retracer les dossiers qui mettaient en cause une obligation de disponi-
bilité du salarié.
52. Un employeur du secteur de la restauration a été visé par trois dossiers de plain-
tes distincts : deux plaintes pécuniaires émanant de deux personnes salariées et
une plainte qui a donné lieu à une procédure pénale.
53. Les dossiers de plaintes qui ne concernaient pas l’application d’une norme de tra-
vail dans le contexte de l’obligation d’une personne salariée d’être disponible
n’étaient pas retenus, comme les plaintes pécuniaires pour salaires impayés lors-
que les heures de travail effectuées par la personne salariée n’étaient pas
contestées.
54. Les dossiers de plaintes pécuniaires retenus concernaient des réclamations pour
salaire impayé, jours fériés, indemnité de vacances, frais reliés à l’emploi ou
préavis.
LE TRAVAIL À LA DEMANDE ET L’OBLIGATION... 271

nature pécuniaire. Les quatre autres dossiers retenus concernent des


plaintes pénales (4 dossiers des 2655). Aucun dossier de plainte pour
sanctions interdites n’a été retenu après analyse de contenu56.

Types de plaintes Dossiers actifs cor- Dossiers retenus


respondant aux cri- après examen
tères de sélection pour l’analyse
(période/régions) de contenu

Plaintes pécuniaires 80 22 [PEC-1 à


(pour 3 régions) PEC-22]

Plaintes pour 14 0
pratique interdite
(pour 3 régions)

Plaintes pénales 25 4 [PEN-1 à PEN-22]


(tout le Québec)

TOTAL 119 26

2. Entrevues

Nous avons réalisé sept entrevues, réunissant au total 14 per-


sonnes membres du personnel de la C.N.T., entre novembre 2014
et février 2015. Nous avons rencontré des préposés aux renseigne-
ments qui ont pour fonction de répondre aux demandes qui leur sont
adressées par des personnes salariées ou des employeurs de
l’ensemble du Québec [1 entrevue, avec 2 répondants – E1], des
inspecteurs-enquêteurs chargés de faire une première analyse de la
recevabilité des plaintes reçues par la C.N.T. [1 entrevue, avec 2
répondants – E2], des inspecteurs-enquêteurs affectés aux 5 bureaux
régionaux que nous avions identifiés [3 entrevues, avec 6 répondants

55. Les dossiers de plaintes pénales retenus concernaient la violation par l’employeur
d’une obligation reliée à une norme pécuniaire ou d’une obligation de tenir un
registre de salaires ou de communiquer à l’enquêteur les documents pertinents à
ce type de plaintes.
56. La plupart traitait d’une pratique interdite en matière d’absence pour maladie.
La C.N.T. n’ayant pas un pouvoir d’enquête sur ce type de plaintes, il était moins
aisé de déterminer dans quelle mesure l’obligation de disponibilité exigée du sala-
rié était au cœur du litige.
272 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

au total – E3, E4, E5] et des procureurs rattachés à l’un des deux cen-
tres juridiques de la C.N.T. [2 entrevues, avec 4 répondants au total –
E6 et E7]. Ces entrevues ont fait ressortir d’autres situations mettant
en cause l’obligation de disponibilité des personnes salariées que
celles illustrées dans les 26 dossiers de plaintes.

Fonctions exercées Nombre de Nombre


par les répondants répondants d’entrevues

Préposés aux 2 1 [E1]


renseignements

Inspecteurs- 8 4 [E2 à E5]


enquêteurs

Procureurs 4 2 [E6 et E7]

TOTAL 14 7

B. La mise en disponibilité des personnes salariées et


la mise en œuvre des normes minimales d’emploi :
quelques illustrations contemporaines

L’exécution d’une prestation de travail moyennant rémunéra-


tion est l’objet de la relation d’emploi. Toutefois, nos données révèlent
que dans plusieurs secteurs ou occupations, une obligation de dispo-
nibilité, qui s’avère parfois plus importante en termes de temps que
les heures effectivement travaillées, s’impose aussi à la personne
salariée. Avant d’examiner l’application des normes minimales
d’emploi aux personnes salariées soumises à une telle obligation (2),
il importe de brosser à grands traits les modalités diverses de cette
obligation de disponibilité, telles qu’elles ressortent de nos données
mais aussi de travaux antérieurs réalisés sur cette question (1).

1. Des modalités variées de mise en disponibilité des per-


sonnes salariées

Alors que dans des travaux antérieurs, le phénomène de


l’obligation de disponibilité avait été examiné essentiellement pour
LE TRAVAIL À LA DEMANDE ET L’OBLIGATION... 273

des travailleurs atypiques57, un premier constat se dégage fortement


de nos données : cette obligation affecte toutes les formes d’emploi,
et non seulement les emplois sans horaires fixes, à temps partiel,
temporaires ou sur appel.

Ainsi, l’obligation d’être disponible caractérise l’emploi de per-


sonnes salariées qui disposent d’un horaire de travail régulier, qu’il
soit à temps plein ou à temps partiel, qui est assorti d’une obligation
pour ces personnes salariées d’être disponibles en dehors de leurs
heures de travail habituelles. Pour certaines personnes salariées,
cette obligation de disponibilité est balisée dans le temps par des
périodes de garde prévues à l’avance et bien délimitées, imposées en
sus de leurs heures régulières de travail ; pour d’autres, cette obliga-
tion n’est pas limitée à des périodes précises.

Cette obligation s’impose aussi à des personnes salariées qui


n’ont pas d’horaires de travail fixes ou prédéterminés. Elles travail-
lent sur appel et ne disposent ni d’une garantie d’heures, ni d’un
revenu minimal. Pour ces personnes salariées, l’obligation de dispo-
nibilité est le passage obligé qui les conduira à l’exécution d’une pres-
tation de travail. Dans certains cas, l’obligation d’être disponible est
limitée à certaines périodes. Dans d’autres, la disponibilité requise
des personnes salariées est permanente, dans la mesure où elles doi-
vent être disponibles 7 jours sur 7 et 24 heures par jour si l’employeur
requiert leurs services. L’obligation de disponibilité peut parfois cor-
respondre à la période d’activité du client de l’employeur, lequel se
doit, en tout temps, de « répondre aux demandes ponctuelles du don-
neur d’ouvrage »58. Un de nos répondants, évoquant une situation
similaire, explique que cette obligation de disponibilité des personnes
salariées découle du fait que dans certains cas, « les sous-traitants
sont pratiquement à genoux » devant leurs clients (E4, p. 19).

En somme, que les personnes salariées disposent ou non d’un


horaire de travail fixe ou prédéterminé, l’obligation qu’elles ont d’être
disponibles introduit une grande imprévisibilité quant au temps

57. G. VALLÉE, préc., note 5 ; Louise BOIVIN, Régulation juridique du travail, pou-
voir stratégique et précarisation des emplois dans les réseaux : trois études de cas
sur les réseaux de services d’aide à domicile au Québec, Thèse de doctorat, École de
relations industrielles, Université de Montréal, 2014, en ligne : <https://papyrus.
bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/10556/Boivin_Louise_2014_th%
c3%a8se.pdf?sequence=4>.
58. Syndicat des travailleurs d’Environnement Godin-CSN c. Environnement Godin
inc., [2008] R.J.D.T. 573, par. 12 (QC T.A.).
274 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

qu’elles devront consacrer au travail. Le phénomène du travail « à la


demande », que l’obligation de disponibilité rend possible, semble
donc affecter toutes les formes d’emploi.

Notre deuxième constat tient aux pratiques très variables qui


concernent les contreparties rattachées à l’obligation d’être dispo-
nible. Dans la grande majorité des cas, les périodes de disponibilité de
la personne salariée n’ouvrent droit à aucune compensation. Dans de
rares cas, une « prime de disponibilité », une « prime de cellulaire » ou
une « prime d’attente » est prévue dans l’entente entre les parties ou
dans la convention collective. Nos données suggèrent que ces contre-
parties existent surtout dans les cas où l’obligation de disponibilité
est connue et balisée en termes de temps et qu’à l’inverse, elle est
inexistante dans les cas où la disponibilité de la personne salariée est
permanente. Nous avons plutôt constaté, dans ces cas, le recours
fréquent à un mode de rémunération fixe, complètement indépen-
dant des heures de travail ou de disponibilité effectuées, qui con-
tribue à rendre invisibles ces obligations de la personne salariée.

Le troisième constat qui se dégage de nos données tient au


niveau de contrainte rattaché à l’obligation de disponibilité de la
personne salariée. À ce titre, il faut distinguer les situations où une
personne salariée a le droit d’être avisée en priorité d’une demande de
travail de celles où elle doit garantir qu’elle peut être rejointe afin de
se présenter au travail si l’employeur le requiert.

Dans le premier cas, la contrainte qui pèse sur la personne


salariée est minime, à tel point qu’elle n’a pas l’obligation d’être dis-
ponible : si elle ne répond pas à une demande de l’employeur dans un
délai donné, celui-ci offrira le travail disponible à une autre personne
(E4, p. 11-12 et 14-15). Dans d’autres cas, qui sont de loin les plus
représentés dans nos données, la « violation » par la personne salariée
de son obligation de disponibilité entraîne de véritables conséquen-
ces, comme le retrait de la liste de rappel ou la rupture du lien
d’emploi après un certain nombre de refus (E1, p. 30-31 ; E2). Cette
rupture, lorsqu’elle est qualifiée de démission59, dégage l’employeur
des obligations que la L.N.T. lui impose en matière de congédie-

59. Guylaine VALLÉE et Marie Hélène DORION, « Rupture à l’initiative du salarié et


congédiement déguisé », dans JurisClasseur Québec, coll. « Droit du travail »,
Rapports individuels et collectifs du travail, fasc. 28, Montréal, LexisNexis
Canada, feuilles mobiles, nos 10 et 33.
LE TRAVAIL À LA DEMANDE ET L’OBLIGATION... 275

ment60. Dans certains cas, en réponse à ce qu’il estime être un man-


quement à une clause du contrat de travail établissant une obligation
de disponibilité, l’employeur pourra même poursuivre la personne
salariée en application d’une clause pénale négociée dans ledit con-
trat évaluant à l’avance les dommages-intérêts qui pourraient résul-
ter de l’inexécution de l’obligation de disponibilité61. Même si des
clauses imposant une obligation de disponibilité ont été jugées abu-
sives lorsqu’elles désavantageaient les personnes salariées d’une
manière excessive et déraisonnable, entraînant la nullité des clauses
pénales qui leur étaient rattachées62, il reste que les personnes sala-
riées ont dû trouver les moyens de se défendre63.

Selon nos répondants, une obligation de disponibilité à ce point


contraignante a des conséquences sur les activités personnelles que
la personne salariée peut exercer pendant la période où elle doit être
disponible : la personne salariée ne sait jamais si elle devra travailler
(E1, p. 24). Parmi les exemples qui nous ont été mentionnés, la per-
sonne salariée ne peut aller à la chasse, au chalet ni faire du camping
s’il s’avère qu’elle se trouverait alors trop loin si elle était rappelée au
travail ; elle ne peut non plus consommer d’alcool. Certaines person-
nes salariées peuvent se retrouver, sans toutefois être rémunérées,
« confinées » à un quadrilatère précis, lequel limite leurs déplace-
ments (E4, p.11). Ajoutons que cette contrainte peut être particuliè-
rement lourde pour des personnes salariées sur appel qui n’ont ni
garantie d’heures, ni garantie de revenus et qui se trouvent dans une
situation de dépendance économique importante face à l’employeur si
elles veulent travailler.

Notre quatrième constat tient au lieu où se trouve la personne


salariée alors qu’elle a l’obligation d’être disponible. La manifesta-
tion-type est celle de la personne salariée devant être disponible alors
qu’elle ne se trouve plus sur les lieux du travail, mais à domicile ou
dans tout autre lieu où la conduisent ses activités personnelles. Mais
nous avons aussi retrouvé une obligation de disponibilité s’imposant
alors que la personne salariée se trouve sur les lieux du travail,
laquelle aura une importante incidence sur la marge de liberté dont
elle dispose, par exemple, pendant sa pause-repas.

60. L.N.T., art. 82-84 (avis de cessation d’emploi ou indemnité compensatrice) et art.
124 (recours à l’encontre d’un congédiement fait sans cause juste et suffisante).
61. Voir : Agence de placement Hélène Roy c. Rioux, [1997] R.L. 297 (QC C.Q.).
62. En vertu des dispositions du C.c.Q. sur le contrat d’adhésion : C.c.Q., art. 1379,
1437 et 1622.
63. G. VALLÉE, préc., note 5, 16-21.
276 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

Nos données nous permettent enfin d’affirmer que l’obligation


de disponibilité affecte plusieurs occupations, pour des services
aussi divers que l’informatique et la gestion des réseaux, la construc-
tion, l’installation de piscines, le camionnage64, le remorquage, les
services de sécurité, les centres de détention, les serruriers, les pâtis-
siers, les entreprises intervenant en matière de sinistres ou
d’urgence environnementale, les personnes prodiguant des soins aux
personnes en établissement ou à domicile65 ou les garderies. Lorsque
les périodes de disponibilité ne sont assorties d’aucune garantie
d’heures de travail ou de revenus66, on peut même penser que la dis-
ponibilité peut devenir, en réalité, l’objet réel du contrat. Pour les
employeurs, les avantages d’une telle situation sont évidents : « ils
disposent ainsi d’une « armée de réserve » facilement mobilisable et
qui ne coûte rien »67. Il y a un effet pervers à un tel déséquilibre, les
employeurs pouvant avoir intérêt à limiter le nombre de personnes
salariées embauchées suivant un horaire régulier pour recourir plus
largement à des personnes salariées qui auront l’obligation de se
présenter au travail sur demande lorsque le besoin s’en fait sentir.

La Loi sur les normes du travail parvient-elle à protéger des per-


sonnes salariées qui se trouvent dans de telles situations ? En dépit
de son importance qui semble grandissante sur le marché du travail,
l’obligation de disponibilité ne semble qu’imparfaitement saisie par
les normes du travail qui encadrent le travail et sa durée.

2. Des normes dépassées ?

Les personnes salariées qui se trouvent dans ces situations de


disponibilité et qui mobilisent la L.N.T. le font d’abord à l’occasion de
réclamations de salaire : l’enjeu est alors de déterminer si elles sont
réputées au travail pendant la période où elles sont disponibles (a).
Le litige pourra également s’articuler autour du droit de la personne

64. Voir aussi, dans le secteur du camionnage interprovincial et international au


Canada : Urwana COIQUAUD, « The Obligation to Be Available : The Case of the
Trucking Industry », (2016) 32:3 International Journal of Comparative Labour
Law and Industrial Relations 322.
65. Voir aussi : Louise BOIVIN, « Just-in-Time Labour : The Case of Networks Provid-
ing Home Support Services in Quebec », (2016) 32:3 International Journal of Com-
parative Labour Law and Industrial Relations 301.
66. Situations qualifiées de « travail à la demande » et de « contrats sans durée »
[« zero-hours contracts »] dans : OIT, préc., note 12, no 122.
67. G. VALLÉE, préc., note 5, 33.
LE TRAVAIL À LA DEMANDE ET L’OBLIGATION... 277

salariée de ne pas être disponible : il s’agit alors d’examiner dans


quelle mesure la L.N.T. balise ou limite l’obligation d’être dispo-
nible (b). Plus fondamentalement, nous avons constaté que la réfé-
rence au temps est de moins en moins utilisée pour mesurer la
prestation de travail et la rémunération de la personne salariée dans
plusieurs milieux de travail. Les pratiques de rémunération qui
s’inscrivent dans cette tendance, parfois présentées comme innova-
trices dans les milieux de la pratique en gestion des ressources
humaines68, procurent une disponibilité maximale à l’employeur en
dehors de toute mesure du temps de travail (c).

a) La nature de l’obligation de disponibilité : à quel moment la


personne salariée est-elle « réputé[e] au travail » ?

La question la plus fréquente que soulèvent les situations de


mise en disponibilité de la personne salariée est de savoir si cette
période peut être assimilée à une période de travail, avec les consé-
quences qui en découlent pour la mise en œuvre des normes pécuniai-
res de la loi, du respect du salaire minimum69 ou du droit à une
rémunération à taux majoré pour les heures supplémentaires de tra-
vail70.

Pour répondre à cette question, il faut déterminer si la personne


salariée assujettie à l’obligation d’être disponible correspond aux dif-
férentes situations où, du point de vue de la L.N.T., une personne
salariée est « réputée » au travail71, auquel cas l’employeur aura

68. Iris GAGNON-PARADIS, « Rowe, ou la révolution des horaires », La Presse


(23 octobre 2010), en ligne : <http://affaires.lapresse.ca/cv/201010/22/01-
4335188-rowe-ou-la-revolution-des-horaires.php> (consulté le 1er juin 2016) ;
Samuel LAROCHELLE, « La fin des horaires de travail », La Presse (30 mars
2015), en ligne : <http://affaires.lapresse.ca/cv/vie-au-travail/201503/30/01-
4856733-la-fin-des-horaires-de-travail.php> (consulté le 1er juin 2016).
69. L.N.T., art. 40. Hormis certaines exceptions, tous les salariés ont le droit de rece-
voir un salaire au moins équivalent au salaire minimum fixé au Règlement sur les
normes du travail, RLRQ, c. N-1.1, r. 3, art. 2-4.1 (ci-après « R.N.T. »).
70. En matière de temps supplémentaire, la seule obligation qui incombe à
l’employeur est de respecter, aux fins de la rémunération, la semaine « normale »
de travail, que la L.N.T. fixe à 40 heures. Au-delà de ce seuil, le taux de salaire
horaire doit être majoré de 50 %. Différentes catégories de salariés sont toutefois
exclues de la semaine normale de travail aux fins de la majoration de la rémunéra-
tion, notamment les travailleurs agricoles qui, peu importe leur statut migratoire,
ne reçoivent pas une majoration de leur salaire lorsqu’ils travaillent au-delà de
la semaine normale prévue à la L.N.T. : L.N.T., art. 52-55.
71. Ibid., art. 57.
278 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

l’obligation de la rémunérer. La L.N.T. prévoit notamment qu’une


personne salariée sera réputée au travail « lorsqu’[elle] est à la dispo-
sition de son employeur sur les lieux du travail et qu’[elle] est
obligé[e] d’attendre qu’on lui donne du travail »72. La Cour supérieure
et la Cour d’appel (décision portant sur une demande de permission
d’appeler) ont récemment jugé qu’une sentence arbitrale qui avait
tenu compte de l’organisation du travail pour déterminer qu’une per-
sonne salariée était réputée au travail au sens de cet article n’était
pas déraisonnable73. Dans cette affaire, même si l’employeur n’avait
pas formulé de demande expresse, les enseignants devaient être dis-
ponibles durant les récréations ou les pauses des élèves comprises
entre deux périodes assignées à leur l’horaire, périodes où ils exécu-
taient fréquemment des tâches diverses74.

En principe, la disponibilité de la personne salariée ne pourra


être rémunérée que lorsqu’elle intervient alors qu’elle se trouve sur
les lieux du travail (i), incluant le cas d’une personne salariée qui est
disponible pendant sa pause-repas (ii).

72. Ibid., art. 57, par. 1. Le salarié devra également être rémunéré s’il se présente au
travail afin de recevoir des directives ou lorsqu’il doit assister, à la demande de
l’employeur, à une séance d’information. Voir en particulier : Syndicat des sala-
riées de la Caisse populaire des Escoumins (CSN) c. Caisse populaire Desjardins
des Escoumins, D.T.E. 2002T-210 (QC T.A.) ; Commission des normes du travail c.
2859-0818 Québec inc., D.T.E. 96T-108 (QC. C.Q.) ; Beaudoin c. Motel Le Monta-
gnard inc., D.T.E. 96T-769 (QC C.T.), appel rejeté, QCTT, 1996-12-18. La L.N.T.
prévoit qu’un salarié qui se présente au lieu du travail à la demande expresse de
son employeur ou dans le cours normal de son emploi et qui travaille moins de
trois heures consécutives, a droit, hormis le cas de force majeure, à une indemnité
égale à trois heures de son salaire horaire habituel : il s’agit de l’indemnité de
présence (L.N.T., art. 58).
73. Commission scolaire de la Vallée-des-Tisserands c. Flynn, 2015 QCCS 3359,
requête pour permission d’appeler rejetée : Commission scolaire de la
Vallée-des-Tisserands c. Syndicat de l’enseignement de Champlain, 2015 QCCA
1532, par. 18-19.
74. Dans la sentence arbitrale, l’arbitre Maureen Flynn souligne que les activités
effectuées pendant les récréations ou les pauses sont exercées afin de répondre « à
des besoins ponctuels et même imprévisibles », soit « les photocopies d’articles
de journaux sur un sujet d’actualité, la consultation d’un professionnel au sujet
d’un élève désorganisé le jour même, aménager la classe pour l’anniversaire d’un
enfant ou d’une fête collective, placer le rétroprojecteur, aviser le concierge d’un
bris ou d’un dégât, rappeler un parent » : Syndicat de l’enseignement de Cham-
plain et Commission scolaire de la Vallée-des-Tisserands, 2014 QCTA 343, par.
644, requête en révision judiciaire rejetée, 2015 QCCS 3359 ; requête pour permis-
sion d’appeler rejetée, 2015 QCCA 1532.
LE TRAVAIL À LA DEMANDE ET L’OBLIGATION... 279

i. Le cadre spatial de la disponibilité : l’incidence (dépassée ?)


du lieu du travail

La L.N.T. impose que la personne salariée en attente de travail


soit rémunérée uniquement si elle se trouve sur les lieux du travail75.
Notre étude révèle que l’allocation du salaire ne posera généralement
pas problème quand l’obligation de disponibilité de la personne
salariée se déploie dans l’enceinte de l’établissement. Le défi est de
savoir quels sont les contours du lieu de travail lorsque l’activité ne
s’exerce pas dans le cadre « classique » de l’établissement.

À cet effet, la situation des personnes salariées dont l’horaire


comprend une période de faction est éloquente. Une période de fac-
tion est synonyme d’une période d’attente. La question s’est posée de
savoir si des ambulanciers en attente d’un appel sans être présents à
bord de leur véhicule, sont « réputés au travail ». Parce que les ambu-
lanciers sont susceptibles d’être chez eux et qu’ils peuvent alors
« vaquer à toute sorte d’occupation[s] personnelle[s] », il a été consi-
déré qu’ils ne sont pas véritablement au travail mais « en disponibi-
lité, [...] en attente »76. Il semble qu’il en est également ainsi pour les
remorqueurs en attente dans leur camion ; ils seront considérés « au
travail » uniquement lorsqu’ils répondent à un appel (E3, p. 13).

Certaines manifestations contemporaines de l’obligation de dis-


ponibilité se déploient alors que la personne salariée, qui n’est pas
présente physiquement dans l’établissement, est reliée à son
employeur via une « laisse technologique »77. La personne salariée
pourra être rejointe par téléphone, courriel ou message texte. Dans ce
cas, il ressort des dossiers de plaintes et des entrevues que la per-
sonne salariée n’aura vraisemblablement droit à être rémunérée que
si elle est effectivement contactée et qu’elle doit travailler. Sa rému-
nération correspondra alors uniquement à la période pendant
laquelle une prestation effective de travail est exécutée, que la per-
sonne salariée a intérêt à « chronométrer » (E5, p. 14). Dans de telles
situations, le travail des inspecteurs-enquêteurs de la C.N.T.

75. Voir en particulier : Syndicat de l’industrie de l’imprimerie de Saint-Hyacinthe c.


Imprimeries Trancontinental inc. (division St-Hyacinthe), D.T.E. 2001T-406 (QC
T.A.), requête en révision judiciaire rejetée, D.T.E. 2001T-987 (QC C.S.), appel
rejeté, D.T.E.. 2003T-394 (QC C.A.).
76. Travailleurs ambulanciers de Beauce inc. (TASBI) c. CAMBI – Services ambulan-
ciers, 2012EXPT-1254 (QC T.A.), par. 106.
77. Fernand MORIN, « Nouvelles technologies et la télésubordination du salarié »,
(2000) 55:4 Relations industrielles/Industrial Relations 725, 735.
280 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

consiste à faire le « minutage » de ces périodes de travail effectif. Une


telle tâche peut s’avérer particulièrement complexe pour les person-
nes salariées qui exécutent un travail intellectuel hors des lieux et de
l’horaire de travail habituels. Un de nos répondants signale avoir
déjà réclamé du salaire correspondant à 5 minutes par courriel rédigé
par un salarié, mais uniquement pour les courriels où il était clair que
l’employeur exigeait une réponse en dehors des heures de travail, et
non pour l’ensemble des courriels rédigés par le salarié (E6, p. 17
et 21).

Qu’en est-il des personnes salariées qui doivent assurer un ser-


vice à la clientèle à l’extérieur de leur période de travail habituelle ?
Dans un dossier de la C.N.T. consulté (PEC-9), le salarié – un admi-
nistrateur de réseaux pour une entreprise de support informatique –
s’était vu attribuer une liste de clients dont il devait surveiller les ser-
veurs et dont il était responsable en tout temps. Ses lieux de travail
étaient, indistinctement, l’établissement de l’entreprise, l’établis-
sement des clients de l’entreprise ou son propre domicile : le salarié
devait être joignable en tout temps. Même lors des jours fériés, les
appels des clients lui étaient transférés sur son cellulaire. Le salarié
réclamait plus de 1850 heures de travail pour lesquelles il estimait ne
pas avoir été rétribué. À l’issue d’une enquête soignée, la réclamation
de salaire ne portera que sur les heures de travail effectives que le
salarié a pu établir avec certitude. Puisqu’en vertu de la L.N.T., il n’y
a pas de contrepartie salariale en l’absence de prestation effective de
travail, la disponibilité constante du salarié n’a pas été considérée
aux fins de la réclamation. Pour reprendre les propos de l’un de nos
répondants, « la disponibilité [hors du lieu de travail] qui n’a pas
généré de travail [...], c’est comme si ça ne valait rien » (E6, p. 15).

Restent les cas les plus ambigus, révélés par les entrevues, où la
personne salariée « réside » sur son lieu de travail puisqu’elle doit y
être présente 24 heures sur 24. Classiquement, cette situation se pré-
sente pour les concierges d’immeuble qui ont un horaire de travail
régulier et qui, le reste du temps, demeurent disponibles pour des
demandes des locataires. Dans de tels cas, la politique de la C.N.T. est
de ne pas réclamer un salaire pour 24 heures de travail. Pour la
période où le concierge est disponible, la pratique de la C.N.T. semble
être de réclamer une rémunération « à l’acte ». L’un des enquêteurs
rencontrés donnait l’exemple d’un concierge qui, à tous les jours,
devait verrouiller la porte de la piscine à 22 h 15, en dehors de
ses heures régulières de travail. La C.N.T. a réclamé une rémunéra-
tion équivalant à 10 minutes de travail par jour pendant une année à
LE TRAVAIL À LA DEMANDE ET L’OBLIGATION... 281

ce titre (E3, p. 13). Lorsque ces plaintes sont judiciarisées, il semble


que les tribunaux soupèsent aussi l’ampleur de la tâche afin de déter-
miner la quotité du temps travaillé qui doit être rémunéré78.

Une telle disponibilité est également parfois exigée des person-


nes salariées effectuant in situ du travail de soins [care], travail
auparavant invisible et exécuté par les femmes79. En effet, plusieurs
cas concernent des préposées travaillant dans des centres d’héber-
gement pour personnes âgées (E3, E5, E6) où elles doivent assurer
une présence continue 24 heures par jour pendant un certain nombre
de jours. Même si ces personnes salariées se trouvent sur les lieux de
travail, c’est-à-dire dans le centre d’hébergement ou le logement où
résident les bénéficiaires où elles assurent une présence continue, les
réclamations salariales pour 24 heures de travail par jour sont rares.
Selon nos répondants, il sera plus facile de faire la preuve que la
période de 24 heures est une période de travail dans un centre
d’hébergement comptant une soixantaine de bénéficiaires non auto-
nomes que dans un petit centre d’hébergement. Dans certains cas, la
C.N.T. est allée chronométrer, sur place, les différentes activités de la
personne salariée, le but étant de « trouver des minutes » (E6, p. 18)
pouvant soutenir sa réclamation de salaire.

Même si, en vertu de la L.N.T., ces personnes salariées se trou-


vent « en attente » sur les lieux de travail, la C.N.T. départage ce qui
est de la disponibilité et ce qui relève de l’exécution d’une prestation
de travail. Les tribunaux évaluent également le caractère « raison-
nable » de la réclamation de la C.N.T. en appréciant les heures
« réellement » travaillées par une personne salariée, et ce, sans néces-
sairement tenir rigoureusement compte de l’ensemble du temps
« passé » par celle-ci dans l’établissement80.

En somme, en vertu de la L.N.T., les périodes où une personne


salariée doit être présente et disponible hors du lieu de travail ne sont
pas rémunérées. Il revient aux parties de négocier une contrepartie,

78. Voir par exemple : Commission des normes du travail c. Place Bishop, D.T.E.
2001T-412 (QC C.Q.).
79. Sur cette question, voir notamment : Antonella PICCHIO (dir.), Unpaid Work and
the Economy : A Gender Analysis of the Standards of Living, Londres, Routledge,
2003 ; Joanne CONAGHAN et Kerry RITTICH (dir.), Labour Law, Work and
Family : Critical and Comparative Pespective, Oxford, Oxford University Press,
2005.
80. Voir notamment : Commission des normes du travail c. Coop de thérapie pour per-
sonnes dépendantes, 2011 QCCQ. 14406.
282 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

par exemple une prime de disponibilité, une « prime de cellulaire »


(E4, p. 12) ou une « prime d’attente » (E3, p. 12). Si ces résultats peu-
vent paraître conformes à la portée des protections conférées par la
L.N.T., notre recherche révèle également que pour certaines catégo-
ries de personnes salariées, la période pendant laquelle elles atten-
dent du travail « sur place » ne sera pas plus rémunérée si celle-ci ne
se traduit pas par l’exécution d’une prestation de travail.

ii. La pause-repas : norme de rémunération ou temps d’arrêt ?

Nos données révèlent que l’obligation de disponibilité de la


personne salariée peut aussi s’imposer durant la pause-repas. Au
Québec, la L.N.T. prévoit que, sauf disposition contraire d’une
convention collective ou d’un décret, l’employeur doit fournir à la per-
sonne salariée, au-delà d’une période de travail de cinq heures consé-
cutives, une pause de 30 minutes pour le repas : cette pause est non
rémunérée81. Cette pause-repas doit toutefois être rémunérée si la
personne salariée n’est pas autorisée à quitter son poste de travail82
ou si, en vertu du premier paragraphe de l’article 57 L.N.T. étudié
précédemment, elle est, pendant sa pause-repas, « à la disposition de
son employeur sur les lieux du travail et qu’[elle] est obligé[e]
d’attendre qu’on lui donne du travail »83. Le fait que des personnes
salariées prennent leurs repas sur les lieux du travail à cause de
l’éloignement géographique des lieux de restauration et des commer-
ces ne fait pas en sorte que ces pauses-repas doivent être rémuné-
rées : pour qu’elles le soient, l’employeur doit demander qu’elles
restent à leur poste ou qu’elles restent disponibles sur les lieux du
travail84.

81. L.N.T., art. 79, par. 1.


82. Ibid., art. 79, par. 2. Voir : Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec
(FIQ) et CISSS Bas St-Laurent (CSSS Rimouski-Neigette), 2016 QCTA 920,
par. 72-73.
83. L.N.T., art. 57, par. 1. Application de cet article au droit à la rémunération d’une
pause-repas : Rassemblement des employés techniciens ambulanciers-paramédics
du Québec (FSSS-CSN) et Coopérative des employés techniciens ambulanciers de
la Montérégie (CETAM), [2009] R.J.D.T. 277 (T.A.), par. 52-66 ; requête en révi-
sion judiciaire rejetée, 2009 QCCS 5911 ; requête pour permission d’appeler
rejetée, 2010 QCCA 185 ; fixation d’une indemnité, D.T.E. 2011T-389 ; requête en
révision judiciaire rejetée, 2012 QCCS 1986 ; requête pour permission d’appeler
rejetée 2012 QCCA 2004 ; Syndicat des professionnelles de la santé de Sorel-Tracy
(FIQ) et Centre de santé et des services sociaux Pierre-de-Saurel, [2013]
no AZ-50971093 (T.A.), par. 213-220 ; CSSS d’Argenteuil c. Syndicat québécois des
employées et des employés de service, section locale 298, 2014 QCTA 709, requête
en révision judiciaire accueillie en partie, 2016 QCCS 5385, par. 31-38.
84. Sur cette question, voir Société des casinos du Québec inc. et Syndicat des travail-
leuses et travailleurs du Casino du Mont-Tremblant, D.T.E. 2015T-835 (QC T.A.)
LE TRAVAIL À LA DEMANDE ET L’OBLIGATION... 283

Il reste que la responsabilité d’accorder la période de repas et


de prendre les mesures afin que ce droit soit exercé incombe à
l’employeur ; s’il ne prend pas les mesures qui s’imposent afin que sa
main-d’œuvre bénéficie effectivement d’une pause-repas, celle-ci
devra être rémunérée85. Comme le mentionne l’un de nos répondants,
l’employeur ne peut tirer bénéfice de son « aveuglement volontaire »
(E5, p. 3). Ainsi, la personne salariée doit être rémunérée lorsque,
pendant cette période, elle prend son repas tout en exécutant une
prestation de travail, même si celle-ci n’est pas explicitement impo-
sée par l’employeur. Ce sera par exemple le cas pour un cuisinier pre-
nant son repas en « grignotant » tout en exécutant son travail
(PEC-20), pour une préposée aux bénéficiaires travaillant seule dans
un petit centre d’hébergement dont la présence continue est exigée
(PEC-10) ou pour une éducatrice en garderie qui ne peut interrompre
sa prestation de travail (PEC-16). Il en va de même lorsque des per-
sonnes salariées, compte tenu de la nature de leurs tâches, doivent
demeurer sur place et à la disposition de l’employeur86 pour répondre
à des urgences durant leur pause-repas87 ou lorsque l’employeur,
sans l’exiger, les autorise à rester disponibles en cas de besoin88. Dans
l’ensemble de ces cas de figure, les personnes salariées devront être
rémunérées durant leur « pause »-repas.

Aux dires des répondants de la C.N.T. rencontrés, la situation


est toutefois différente lorsque la personne salariée peut quitter son
poste ou son lieu de travail pendant sa pause-repas tout en étant con-
trainte de ne pas s’en éloigner (E1, p. 6-7). Dans ces cas, la personne
salariée disponible n’aurait pas droit à une rémunération parce
qu’elle ne se trouve pas obligée de rester sur les lieux où le travail
s’exécute (E5, p. 2). Selon certains de nos répondants, il s’agit toute-
fois d’une « zone grise » ouvrant la porte à des « abus du droit de
gérance » de la part de l’employeur (E1, p. 6-7 ; E5, p. 6).

et Syndicat des employées et employés professionnels et de bureau, section locale


574 c. Aliments Dare Ltée, D.T.E. 2016T-13 (QC T.A.).
85. Ce principe est clairement énoncé dans l’affaire Commission des normes du tra-
vail c. 2859-0818 Québec inc., préc., note 72.
86. Voir notamment : Commission des normes du travail c. Boucher, D.T.E. 2003T-16
(QC C.Q.) ; Syndicat des communications, de l’énergie et du papier, section locale
2009 c. HS Telecom, 2013EXPT-512 (QC T.A.).
87. CSSS d’Argenteuil c. Syndicat québécois des employées et des employés de service,
section locale 298, préc., note 83.
88. Syndicat des professionnelles de la santé de Sorel-Tracy (FIQ) et Centre de santé et
des services sociaux Pierre-de-Saurel, préc., note 83, par. 183-202.
284 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

En somme, la L.N.T. ne garantit pas, en soi, un droit à la


pause-repas : cette disposition semble constituer dans les faits, une
norme de rémunération conférant à l’employeur le pouvoir d’imposer,
selon ses besoins organisationnels, que cette période soit travaillée et
non chômée. En effet, la L.N.T. prévoit que la pause-repas est non
rémunérée, sauf si la personne salariée ne peut quitter son poste, et
qu’elle doit être octroyée pour chaque période de cinq heures de tra-
vail consécutives. Cette disposition n’est pas de nature prohibitive ;
elle ne prévoit pas une sanction lorsque l’employeur n’octroie pas la
pause-repas. Le droit de gérance de l’employeur, en cette matière,
semble absolu.

Plusieurs répondants rencontrés déplorent les limites d’une


norme dont la raison d’être était à l’origine la santé des personnes
salariées (E6, p.1). Cette limite tient au fait que « la L.N.T. a été faite
pour des employés de bureau [qui travaillent] de 9 à 5 du lundi au
vendredi » suivant des horaires typiques qui intégraient une véri-
table pause-repas (E1, p. 10). Elle ne tient pas compte des autres
situations de travail, notamment dans les secteurs du commerce de
détail, en particulier les petits commerces où la personne salariée tra-
vaille seule, et de la restauration (E1, p. 10). Elle s’ajuste également
difficilement à la situation de personnes salariées assujetties à une
« obligation de résultat » (E2, p. 8 et 18) faisant en sorte qu’elles n’ont
d’autres choix que de travailler pendant leur pause-repas pour
atteindre les objectifs qui leur sont fixés. Enfin, elle ne convient pas
non plus aux personnes salariées œuvrant dans le secteur des soins
aux personnes dont la présence doit être continue.

b) La personne salariée a-t-elle le droit de ne pas être disponible ?


L’effet paradoxal de la Loi sur les normes du travail

La L.N.T. reconnaît le droit, limité, de la personne salariée de


refuser de travailler au-delà de ses heures habituelles de travail pour
certains motifs ou dans certaines circonstances (i) ainsi que son droit
à un repos hebdomadaire (ii). Ces normes sont-elles constitutives
d’un droit pour la personne salariée de ne pas être disponible ?

i. L’obligation de disponibilité et le droit de refus des personnes


salariées : nature et portée des protections normatives

La L.N.T. entretient un rapport ambigu avec le droit pour la per-


sonne salariée de refuser de travailler au-delà du seuil convenu entre
les parties. En effet, la loi ne confère pas aux personnes salariées un
LE TRAVAIL À LA DEMANDE ET L’OBLIGATION... 285

droit général de refus de travailler au-delà de leurs heures habituel-


les de travail ; elle circonscrit ce droit de refus à certaines circonstan-
ces précises, lesquelles sont assorties d’une protection contre les
représailles qu’une personne salariée se verrait imposer si elle exerce
ce droit89.

Une personne salariée peut d’abord exercer son droit de refus de


travailler sur une base journalière ou hebdomadaire si elle a déjà tra-
vaillé plus de quatre heures au-delà de ses heures habituelles quoti-
diennes de travail ou plus de 14 heures de travail par période de
24 heures, selon la période la plus courte, ou, pour une personne
salariée dont les heures quotidiennes de travail sont variables ou
effectuées de manière non continue, plus de 12 heures de travail par
période de 24 heures. Sur une base hebdomadaire, une personne
salariée peut généralement refuser d’exécuter plus de 50 heures de
travail par semaine90.

La personne salariée peut également refuser de travailler


au-delà de ses heures normales de travail si sa présence est néces-
saire pour remplir des obligations reliées à la garde, à la santé ou à
l’éducation de son enfant ou de l’enfant de son conjoint, ou en raison
de l’état de santé de certains membres de sa famille, dans la mesure
où elle a pris les moyens raisonnables à sa disposition pour assumer
autrement ces obligations91. Avant le 1er mai 2003, cette disposition
prévoyait que la personne salariée devait prendre tous les moyens
raisonnables, un fardeau pouvant être considéré comme excessif par
rapport à l’objectif social visé par cette disposition. Si la personne
salariée ne doit plus démontrer qu’elle a pris « tous » les moyens rai-
sonnables pour s’acquitter autrement de ses obligations, elle doit
néanmoins faire la preuve qu’elle a pris des démarches « raisonna-
bles » en ce sens92. Par exemple, il a été décidé que les démarches
effectuées afin de trouver un service de garde ouvert en soirée ne per-
mettent pas, à elles seules, de conclure que des moyens raisonnables
ont été déployés93.

En définitive, la loi n’envisage pas la notion de « temps supplé-


mentaire facultatif », laquelle permettrait à la personne salariée, en

89. L.N.T., art. 122, par. 1.


90. Ibid., art. 59.0.1.
91. Ibid., art. 122, par. 6.
92. Perras c. Québec (Ministère de la Sécurité publique), 2010 QCCRT 0019 ; requête
en révision rejetée, 2010 QCCRT 0268.
93. Bouchard c. 9180-6166 Québec inc, 2015 QCCRT 0031.
286 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

toutes circonstances, de refuser de travailler au-delà de ses heures


habituelles de travail, ni le droit de la personne salariée de refuser
d’être disponible au-delà de ses heures de travail. Il reviendrait donc
aux parties, dans leur entente, de baliser le droit de refus de la per-
sonne salariée. Il semble toutefois que les tribunaux ne donnent pas
toujours une portée équivalente aux modalités de nature contrac-
tuelle établies par les parties.

Ainsi, a été confirmé le congédiement d’un salarié ayant refusé


de travailler le dimanche, contrevenant ainsi à une obligation essen-
tielle de son contrat de travail94. Quant à une salariée dont la situa-
tion parentale s’était transformée en cours d’emploi, le tribunal a
refusé de reconnaître son droit d’obtenir de l’employeur une modifica-
tion de son horaire de travail afin de concilier ses obligations profes-
sionnelles et familiales : le tribunal a estimé qu’en refusant de se
conformer à son horaire habituel qui exigeait qu’elle travaille quatre
soirs par semaine, la salariée avait fait preuve d’insubordination, ce
qui justifiait son congédiement95.

Toutefois, le poids de l’entente entre les parties ne joue pas en ce


sens lorsque l’employeur impose à une personne salariée de travailler
au-delà de ses heures habituelles de travail, à tout le moins lorsque
les termes du contrat ne limitent pas explicitement cette possibi-
lité96. Les préposés aux renseignements de la C.N.T. rencontrés nous
ont rapporté le cas des personnes salariées dont l’entente initiale
avec l’employeur portait sur un horaire précis, conforme aux disponi-
bilités qu’elles avaient exprimées au moment de l’embauche, et qui se
plaignaient de devoir travailler ou être disponibles bien au-delà
des heures prévues au contrat. Or, l’effet de la L.N.T. n’est pas
d’imposer le respect des termes du contrat en cette matière. Si
l’article 59.0.1 de la L.N.T. aménage le droit de la personne salariée
de refuser de travailler au-delà de 50 heures de travail par semaine
ou de 14 heures par jour, il reste qu’en vertu de ses « droits de
gérance », l’employeur peut exiger qu’elle accomplisse les heures de
travail en-deçà de ces seuils (E1, p. 12)97. L’effet de la L.N.T. est alors
paradoxal : « on s’aperçoit souvent [...] que l’employeur fait fi de ce

94. Fournier c.Villa Ignatia inc., 2010 QCCRT 0147.


95. Bouchard c. 9180-6166 Québec inc., préc., note 93.
96. C.c.Q., art. 2085 et s.
97. Landry et Matériaux à bas prix ltée, 2004 QCCRT 0553. Pour bénéficier de la pré-
somption dans le cadre du recours à l’encontre d’une pratique interdite en vertu de
l’article 122 de la L.N.T., le salarié doit avoir exercé son droit de refus après avoir
travaillé le nombre d’heures de travail précisé par l’article 59.0.1 de la L.N.T.
LE TRAVAIL À LA DEMANDE ET L’OBLIGATION... 287

contrat-là et ne le respecte pas [...] parce qu’il a l’aval, en quelque


sorte, de la [L.N.T.], qui dit : ça fait partie de votre droit de gérance »
(E1, p. 16). La L.N.T. n’empêcherait pas l’employeur d’aller au-delà
de la volonté des parties, même si celle-ci a été clairement exprimée
au contrat.

La personne salariée pourrait toutefois prétendre que la déci-


sion unilatérale de l’employeur de modifier ses heures de travail
serait une « modification essentielle à une condition essentielle de
son contrat de travail » constitutive d’un congédiement déguisé et
mobiliser les recours que la L.N.T. aménage pour contester un congé-
diement sans cause juste et suffisante98. Ainsi, il fut décidé que la
décision unilatérale de l’employeur de changer le jour de congé d’un
salarié était constitutive d’une modification substantielle du contrat
de travail99. À l’inverse, une modification de l’horaire de travail d’un
salarié s’inscrivant dans les limites du droit de gérance de l’em-
ployeur ne sera pas considérée comme un congédiement déguisé100.

Il importe toutefois de souligner que seules les personnes sala-


riées disposant de plus deux ans de service continu peuvent se préva-
loir d’une protection contre un congédiement sans cause et suffisante
prévue à la L.N.T. Ainsi, dans un dossier de plainte (PEC-22), une
salariée disposant de moins de deux ans de service continu, domes-
tique et éducatrice, avait été congédiée pour avoir refusé d’effectuer
des heures de travail au-delà de son horaire de travail pour des rai-
sons personnelles. En vertu des informations contenues au dossier,
l’employeur semblait aussi exiger d’elle une disponibilité totale et lui
reprochait d’avoir donné priorité à sa vie personnelle sur son travail.
Cette salariée, qui réclamait l’indemnité de préavis et l’indemnité de
vacances que l’employeur ne lui avait pas versées au moment de son
congédiement, ne pouvait contester son congédiement, lequel était
inextricablement lié à la disponibilité quasi-permanente exigée de
l’employeur.

ii. Le droit au repos hebdomadaire : une protection aux contours


mouvants

La L.N.T. formule le droit au repos hebdomadaire de façon laco-


nique ; cette disposition prévoit que la personne salariée doit pouvoir

98. L.N.T., art. 124.


99. Therrien c. Mercier CP Autoroute 40 Sortie 220 inc., 2014 QCCRT 0424.
100. G. VALLÉE et M.H. DORION, préc., note 59, no 33.
288 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

bénéficier d’un repos d’une durée minimale de 32 heures consécuti-


ves101. Si l’employeur doit ménager un congé hebdomadaire aux per-
sonnes salariées, rien ne prohibe formellement celles-ci d’accepter de
travailler de façon continue. Il faut également noter que bien que
cette disposition prescrive un droit au bénéfice des personnes sala-
riées, elle n’impose pas que le congé soit d’une journée de calendrier
complète. Ainsi, une personne salariée terminant son quart de tra-
vail en matinée pourrait être appelée à travailler dès le lendemain
soir102. Rien n’empêche un employeur d’accorder le repos hebdoma-
daire au début d’une première période de 7 jours et l’autre à la fin de
la deuxième période de 7 jours103.

Qu’en est-il du respect de cette norme lorsque la personne


salariée se trouve dans une situation où elle doit être disponible
au-delà de son temps de travail et hors des lieux de travail ? Compte
tenu des contraintes qui s’imposent à la personne salariée pendant
cette période, peut-elle être assimilée à un temps de repos ?

Suivant une certaine conception, il y a repos hebdomadaire lors-


que la personne salariée a la liberté de faire ce que bon lui semble et
d’aller où elle veut sans devoir être disponible et en mesure de se pré-
senter au travail104. Or, pour la plupart des répondants que nous
avons rencontrés, la période où une personne salariée doit être dispo-
nible peut constituer un temps de repos. Un de nos répondants
évoque une conception « spatiale » des contours du temps de repos ;
cette norme exigerait uniquement que la personne salariée ne soit
pas « sur les lieux de travail pendant 32 heures » (E3, p. 13). Pour un
autre répondant, la personne en obligation de disponibilité qui n’a
pas été appelée au travail, « a son 32 heures [de repos] » (E2, p. 33). Un
autre répondant mentionnait toutefois qu’en suivant cette logique, ce
n’est qu’après coup, en examinant si la personne salariée a été

101. L.N.T., art. 78. Le second alinéa de cette disposition prévoit que les travailleurs
agricoles peuvent, s’ils y consentent, reporter leur congé hebdomadaire à la
semaine suivante.
102. Cet exemple est tiré de Christian DÉSILETS et Denis LEDOUX, préc., note 23,
p. 254.
103. Marché Chèvrefils St-Sauveur inc. c. Syndicat des employés de Métro St-Sau-
veur, section locale 501, D.T.E. 2003T-56 (QC T.A.), requête en révision judi-
ciaire continuée sine die, C.S., 2003-04-14, no 500-05-075538-023 ; Société des
établissements de plein air du Québec (SEPAQ) et Syndicat de la fonction
publique du Québec (SFPQ), D.T.E. 2010T-804 (T.A.).
104. Ce point de vue est exposé notamment dans : Centre hospitalier Reddy Memorial
et Fédération des infirmières et infirmiers du Québec (F.I.I.Q.), [1995]
no AZ-95145090 ; requête en évocation rejetée, C.S. 5 juin 1995 ; appel rejeté,
[1996] no AZ-50073729.
LE TRAVAIL À LA DEMANDE ET L’OBLIGATION... 289

appelée à réaliser, ou non, une prestation de travail effective que l’on


pourrait apprécier si cette norme a été satisfaite (E1, p. 32-33).

Toutefois, malgré ces perceptions différentes de la portée du


droit au congé hebdomadaire, il semble qu’aucune plainte adminis-
trative ou pénale portant sur cette disposition n’ait été traitée, sauf
deux cas concernant des travailleurs migrants temporaires dans le
secteur agricole (E7, p. 2-3). Cela s’expliquerait par le fait qu’une per-
sonne salariée ne retire aucun avantage à déposer une plainte de
cette nature (E2, p. 33, E5, p. 16, E7, p.7). En effet, si la L.N.T. prévoit
que la contravention à une de ses prescriptions est passible d’une
amende pouvant aller de 600 $ à 1 200 $105, ces sommes, qui seront
attribuées par jugement, ne seront pas versées aux personnes sala-
riées106.

Cela dit, le droit au repos hebdomadaire semble être une ques-


tion soulevée par les personnes salariées lorsque celles-ci interpel-
lent le service des renseignements de la C.N.T. Ces personnes
seraient déçues d’apprendre qu’elles n’ont pas le droit d’exiger de ne
pas être disponibles au cours des 32 heures consécutives de repos heb-
domadaire (E1, p. 28).

c) Le mode de rémunération : un facteur d’augmentation de la


« contraignabilité » de la disponibilité des personnes salariées ?

Nos données révèlent que le mode de rémunération est, parmi


toutes les manifestations recensées, l’instrument le plus courant de
mise en disponibilité des personnes salariées. Il faut rappeler qu’en
vertu de la L.N.T., le « salaire » est défini comme « la rémunération en
monnaie courante et les avantages ayant une valeur pécuniaire dus
pour le travail ou les services d’un salarié »107. Si la L.N.T. prévoit le
principe d’un salaire minimum108, qui est défini sur une base horaire
dans un règlement109, elle ne privilégie aucun mode de rémunération
particulier. En pratique, le salaire pourra être déterminé sur une
base horaire, en fonction de la durée de la prestation de travail, mais

105. L.N.T., art. 140 par. 6. L’amende est de 1 200 $ à 6 000 $ pour toute récidive.
106. Ces sommes sont versées au fonds consolidé du revenu : Loi sur l’administration
financière, RLRQ, c. A-6.001, art. 5 et s.
107. L.N.T., art. 1, par. 9. Pour une interprétation de cette disposition, voir notam-
ment : Leduc c. Habitabec inc., D.T.E. 90T-751 (QC T.A.), requête en évocation
accueillie, D.T.E. 90T-1266 (QC C.S.), appel accueilli, D.T.E. 94T-1240 (QC
C.A.).
108. L.N.T., art. 40.
109. R.N.T., art. 3-4.
290 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

aussi sur une base quotidienne (PEC-17), hebdomadaire (PEC-3,


PEC-8, PEC-18), mensuelle (PEC-6) ou annuelle (PEC-2, PEC-7,
PEC-9, PEC-18, PEC-21, PEC-22, PEN-4). Le salaire pourra égale-
ment être établi en fonction d’un rendement ou à la commission. Bien
que toutes les personnes salariées doivent recevoir au moins le
salaire minimum pour toutes les heures travaillées, le temps de tra-
vail n’est pas l’unité de mesure de la prestation de travail et l’heure de
travail n’est pas, en soi, l’unité de calcul de la rémunération de la
personne salariée.

Pour l’un des répondants rencontrés, il est rare que les person-
nes qui reçoivent une rémunération fixe travaillent moins de 40 heu-
res par semaine. Aux dires d’un répondant, « c’est toujours le
contraire » (E3, p. 6)110. En réalité, la raison d’être de ce mode de
rémunération serait généralement de ne pas avoir à rémunérer
les heures supplémentaires de travail d’une personne salariée, qui
sera amenée à exécuter systématiquement 45, 50 voire 60 heures de
travail par semaine (E6, p. 18 et 23). Ainsi, il fut décidé que les pilotes
d’avion, lesquels reçoivent un salaire annuel, ne doivent pas néces-
sairement être rémunérés lorsqu’ils sont en « période d’alerte ou de
réserve », c’est-à-dire en attente de décollages imprévus111. Ce mode
de rémunération n’est donc pas sans conséquence sur la disponibilité
exigée des personnes salariées.

La C.N.T. est confrontée à des réclamations de salaire prove-


nant de personnes assujetties à un tel mode de rémunération.
Celles-ci ont soulevé des « discussions » (E2, p. 48-51, E6, p. 24-25) au
sein de la C.N.T. quant aux balises à mettre en œuvre en l’absence
d’indications claires de la L.N.T. face à ce genre de pratiques de rému-
nération. En sus des prescriptions matérielles contenues au contrat
de travail, la C.N.T. tiendra compte d’indices du contrôle du temps de
travail effectif de la personne salariée effectué par l’employeur.

Ainsi, lorsque l’enquête démontre que l’employeur tient une


comptabilité relativement étroite du temps travaillé par le recours à

110. Une étude menée aux États-Unis montre que les personnes salariées recevant
une rémunération fixe plutôt qu’un salaire établi en fonction des heures travail-
lées ont moins de contrôle sur la durée de leur travail et sur leurs horaires de tra-
vail : Lonnie GOLDEN, Julia HENLY et Susan LAMBERT, « Work Schedule
Flexibility : A Contributor to Happiness ? », (2013) 41: 2 Journal of Social
Research & Policy 107.
111. Québec c. Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec, 2014
QCTA 241.
LE TRAVAIL À LA DEMANDE ET L’OBLIGATION... 291

des feuilles de temps ou à un système de poinçon (E6, p. 22), qu’il


déduit du salaire versé les périodes d’absence d’une personne salariée
(E1, E2, E5, p. 18, E6) ou qu’il contrôle rigoureusement les heures
d’entrée, de sortie ou de repas (E2, p. 44), la C.N.T. ira « à l’encontre
du contrat de travail » établissant une rémunération fixe (E6, p. 22).
L’organisme établira un taux horaire à partir de la rémunération fixe
et réclamera, en se référant à celui-ci, le salaire dû pour les heures de
travail réellement exécutées par la personne salariée. À l’inverse,
lorsque l’enquête ne révèle pas d’indices de contrôle du temps de tra-
vail par l’employeur, la C.N.T. se bornera à vérifier si la somme fixe
versée à la personne salariée n’est pas inférieure à la somme à
laquelle elle aurait droit en vertu des dispositions portant sur le
salaire minimum, et ce, compte tenu des heures de travail effective-
ment réalisées.

L’un de nos répondants illustre un tel cas de figure par un


exemple fort éloquent (E6, p. 24). Ce répondant avait eu à intervenir
dans le traitement d’une plainte d’un ébéniste. Le contrat de travail
de celui-ci prévoyait un salaire hebdomadaire fixe de 1 000 $ par
semaine. À la suite de l’absence d’un des trois ébénistes de l’entre-
prise, qui n’avait pas été remplacé, le plaignant avait dû effectuer
entre 70 et 80 heures de travail par semaine, pendant toute une
année. Le salarié avait quitté son emploi parce qu’il estimait « ne plus
avoir de vie » mais il réclamait le paiement à taux majoré de 1500 heu-
res supplémentaires de travail, pour une somme totale avoisinant
50 000 $. L’enquête de la C.N.T. a révélé que l’employeur contrôlait
les heures d’arrivée et de départ du salarié par un système de poin-
çons et qu’il avait coupé son salaire pour une absence de trois jours au
cours de cette année. Compte tenu de cet état de fait, la C.N.T. a fait
droit aux prétentions du salarié et réclamé les sommes dues. Ce
répondant nous dit avoir été étonné de constater l’existence de telles
pratiques de rémunération dans un travail de métier comme l’ébénis-
terie, alors que ces situations se retrouvent plus souvent chez les
cols blancs ou dans l’industrie du savoir que dans les emplois de
manœuvre ou d’ouvrier.

La réclamation pécuniaire de la personne salariée sera encore


plus difficile à apprécier à l’étape de l’enquête lorsque, par exemple, il
n’y a aucun contrat écrit établissant clairement le mode de rémunéra-
tion ou encore lorsque la personne salariée n’a pas noté systémati-
quement ses heures de travail. En effet, dans plusieurs de ces cas,
l’employeur ne tient pas de registre des heures de travail conforme à
la loi. Lorsqu’il n’existe aucun autre moyen d’établir le nombre
292 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

d’heures travaillées (les heures d’ouverture et de fermeture de


l’entreprise, les pratiques qui existent dans le secteur, des collègues
attestant de la présence au travail de la personne plaignante, etc.), la
réclamation pécuniaire ne sera pas entreprise. Aux dires des inspec-
teurs-enquêteurs de la C.N.T. rencontrés, la voie du recours pénal
pourrait toutefois être privilégiée [E4, E5, E6].

Or, certains employeurs pourraient être portés à payer


l’amende minime découlant du fait ne pas avoir tenu ou fourni des
registres d’heures plutôt que de payer les sommes qui pourraient leur
être imposées à la suite d’une réclamation pécuniaire pour heures de
travail impayées (E7, p. 14)112. Le recours aux procédures de nature
pénale semble donc, dans un tel cas, peu effectif.

La caractéristique commune des modes de rémunération évo-


qués ci-avant est qu’ils supposent implicitement une « mise en dispo-
nibilité » indéterminée des personnes salariées en leur faisant
supporter les risques reliés à la durée que prendra l’exécution de la
prestation de travail convenue. On suppose que les personnes sala-
riées peuvent évaluer à l’avance, c’est-à-dire avant de conclure le con-
trat de travail, l’étendue temporelle de la prestation de travail qui
leur est demandée en échange de la rémunération fixe qui leur est
proposée. Dans un tel cas, la négociation du contrat de travail
s’apparente à la négociation d’un contrat d’entreprise ou de presta-
tion de service. Or, la prestation de travail des personnes salariées
est exécutée sous la subordination de l’employeur et les personnes
salariées ne jouissent pas de l’autonomie leur permettant d’organiser
leur travail en fonction d’un cadre temporel dont elles contrôlent les
paramètres.

Le recours aux modes de rémunération fixe et l’obligation de


disponibilité qu’ils sous-tendent n’est pas réservé aux professionnels
(ingénieurs, comptables) ou aux cadres intermédiaires ou de premier
niveau. Nos données révèlent que ce mode de rémunération caracté-
rise plusieurs employés du secteur des services, qu’il s’agisse de char-

112. Le Règlement sur la tenue d’un système d’enregistrement ou d’un registre prévoit
qu’un employeur doit tenir un registre indiquant notamment le nombre d’heures
de travail par jour, le total des heures de travail par semaine et le nombre
d’heures supplémentaires payées ou remplacées par un congé avec la majoration
applicable : Règlement sur la tenue d’un système d’enregistrement ou d’un
registre, RLRQ, c. N-1.1, r. 6, art. 1. En cas de violation à cette obligation,
l’employeur est passible d’une amende pouvant aller de 600 $ à 1 200 $ et de
1 200 $ à 6 000 $ pour toute récidive : L.N.T., art. 140, par. 6.
LE TRAVAIL À LA DEMANDE ET L’OBLIGATION... 293

gés de projets dans le domaine de la construction (PEC-2, PEC-3),


de massothérapeutes (PEC-1), de cuisiniers ou pâtissiers (PEC-8,
PEC-18), de gardiennes d’enfants (PEC-6), de travailleuses domesti-
ques (PEC-22) ou d’administrateurs de réseaux pour une entreprise
de services informatiques (PEC-9). Ces personnes salariées exécu-
tent leur travail sur les lieux de l’entreprise, dans la résidence per-
sonnelle de l’employeur, dans leur propre résidence ou dans les
établissements des clients de l’employeur. La rémunération fixe per-
met de contourner la référence au cadre temporel et spatial pour
mesurer l’exécution de leur prestation de travail.

CONCLUSION

Les mutations de l’organisation du travail et de la production


dans les sociétés postindustrielles s’accompagnent d’une emprise
accrue des sujétions liées au travail sur le temps hors travail des
salariés. L’obligation de disponibilité, surtout lorsqu’elle n’est aucu-
nement balisée dans le temps, peut constituer une atteinte à l’auto-
nomie dont dispose la personne salariée dans l’aménagement de sa
vie personnelle susceptible d’altérer son droit à la vie privée. En
dépossédant les personnes salariées du contrôle de leur temps, elle
peut aussi affecter leur droit au repos et leur santé. Face à un temps
de travail aux contours imprévisibles, il devient difficile de concilier
vie personnelle et vie de travail. Le développement de contrats de tra-
vail sans durée, que l’obligation de disponibilité rend possible, a un
impact sur la stabilité des revenus des travailleurs, alors que le
recours aux modes de rémunération fixe, détachés d’une mesure du
temps de travail effectif, permet de contourner l’application des nor-
mes minimales en matière de rémunération du travail tout en assu-
rant à l’employeur une disponibilité accrue du salarié. Les normes
juridiques types régissant la durée du travail ne parviennent pas à
saisir ce phénomène nouveau, rendant ainsi invisible la sujétion
étendue découlant de l’obligation de disponibilité.

Le défi est donc de rendre visible ce temps de disponibilité et


d’en encadrer les conséquences. Au plan international, la Convention
(no 189) sur les travailleuses et travailleurs domestiques 2011113 y
parvient, en visant explicitement les « [p]ériodes pendant lesquelles

113. Convention (no 189) sur les travailleuses et travailleurs domestiques 2011,
16 juin 2011, en ligne : <http://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=
NORMLEXPUB:12100:0::NO::P12100_INSTRUMENT_ID:2551460>
(consultée le 1er juin 2016) (entrée en vigueur le 5 septembre 2013).
294 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

les travailleurs domestiques ne peuvent disposer librement de leur


temps et restent à la disposition du ménage pour le cas où celui-ci
ferait appel à eux »114. La Convention précise que ces périodes de dis-
ponibilité doivent être considérées « comme du temps de travail dans
la mesure déterminée par la législation nationale, par les conven-
tions collectives ou par tout autre moyen compatible avec la pratique
nationale »115. La Recommandation (no 201) sur les travailleuses et
travailleurs domestiques 2011116 invite les États à établir un nombre
maximal d’heures de disponibilité117, un repos compensatoire lors-
qu’une période de repos est interrompue par une période de dispo-
nibilité 118 ainsi que la rémunération de ces périodes119. Des
instruments internationaux120 et européens121 en matière de trans-
port routier comprennent aussi des mesures d’articulation des temps
de disponibilité et de travail.

Au vu de nos résultats, qui suggèrent que l’obligation de dispo-


nibilité affecte toutes les formes d’emploi et des occupations de
nature très différente, il paraît toutefois nécessaire de reconnaître
et encadrer cette obligation dans des instruments applicables à
l’ensemble des personnes salariées et non seulement à celles qui
œuvrent dans des occupations ou secteurs particuliers. Plusieurs
tentatives ont été faites en ce sens, avec des résultats contrastés.

114. Ibid., art. 10, par. 3.


115. Ibid.
116. Recommandation (no 201) sur les travailleuses et travailleurs domestiques 2011,
16 juin 2011, en ligne : <http://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=NORMLEX
PUB:12100:0::NO:12100:P12100_INSTRUMENT_ID:2551502:NO> (consultée
le 1er juin 2016).
117. Ibid., art. 9(1)a).
118. Ibid., art. 9(1)b).
119. Ibid., art. 6c) et 9(1)c).
120. Convention (no 153) sur la durée du travail et les périodes de repos (transports
routiers) 1979, 27 juin 1979, art. 4 par. 2, en ligne : <http://www.ilo.org/
dyn/normlex/fr/f?p=NORMLEXPUB:12100:0::NO:12100:P12100_
INSTRUMENT_ID:312298:NO> (consultée le 1er juin 2016) (entrée en vigueur
le 10 février 1983) ; Recommandation (no 161) sur la durée du travail et les pério-
des de repos (transports routiers) 1979, 27 juin 1979, art. 6 et 11(2), en ligne :
<http://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=NORMLEXPUB:12100:0::NO:12100:
P12100_INSTRUMENT_ID:312499:NO> (consultée le 1er juin 2016).
121. CE, Directive 2002/15/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars
2002 relative à l’aménagement du temps de travail des personnes exécutant des
activités mobiles de transport routier, (2002) Journal officiel des Communautés
européennes L80/35, préambule par. 10 et art. 3(a)-(b). Voir : Roger BLANPAIN
(dir.), European Labour Law, 14e éd., Alphen aan den Rijn, Kluwer Law Interna-
tional, 2014, nos 1811-1821.
LE TRAVAIL À LA DEMANDE ET L’OBLIGATION... 295

Ainsi, les travaux entourant le projet de révision de la Directive


2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre
2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de tra-
vail122 initiés par la Commission des Communautés européennes en
2004123 sont particulièrement intéressants parce qu’ils abordent,
parmi d’autres questions, celle du traitement du temps de garde
[‘on-call’ time]. Bien que cette directive européenne ait pour objectif
la protection de la santé des personnes salariées124, le projet de révi-
sion proposé conservait (comme la L.N.T.) le critère du lieu de travail
pour déterminer si une personne salariée qui a l’obligation d’être dis-
ponible est réputée au travail. Les périodes de disponibilité d’une per-
sonne hors de son lieu de travail n’étaient pas considérées125.

Les périodes de disponibilité hors du lieu de travail font toute-


fois l’objet d’un certain encadrement en droit français. À la suite
d’amendements récents apportés au Code du travail français126, la
période d’astreinte est maintenant définie comme « une période
pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans
être à la disposition permanente et immédiate de l’employeur, doit

122. CE, Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre


2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, [2003]
Journal officiel des Communautés européennes, L299/9 (ci-après « Directive
européenne sur le temps de travail »).
123. EC, Commission, Proposition de Directive du Parlement européen et du Conseil
modifiant la Directive 2003/88/CE concernant certains aspects de l’aména-
gement du temps de travail, Bruxelles, COM(2004) 607 final), en ligne : <http://
eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52004PC0607&
from=FR> (consultée le 1er juin 2016). Sur les différentes étapes du processus de
révision de la Directive de 2004 à aujourd’hui, voir : EC, Commission, Consulta-
tion publique sur la révision de la Directive sur le temps de travail (Document de
consultation), Période de consultation du 1er décembre 2014 au 18 mars 2015, en
ligne : <http://ec.europa.eu/social/main.jsp?catId=333&langId=fr&consultId=
14&visib=0&furtherConsult=yes> (consultée le 1er juin 2016).
124. La Directive européenne sur le temps de travail précise que « [l] ’amélioration de
la sécurité, de l’hygiène et de la santé des travailleurs au travail représente un
objectif qui ne saurait être subordonné à des considérations de caractère pure-
ment économique » : Directive européenne sur le temps de travail, préc., note 122,
préambule par. 4.
125. Guylaine VALLÉE et Dalia GESUALDI-FECTEAU, « Setting the Temporal
Boundaries of Work : an Empirical Study of the Nature and Scope of Labour Law
Protections », (2016) 32:3 International Journal of Comparative Labour Law
and Industrial Relations 344, 372-376.
126. Code du travail (France), art. L3121-9 à L3121-12, en ligne : <https://www.legi-
france.gouv.fr/affichCode.do;jsessionid=C46427B0C239B08E458F250580
A77808.tpdila10v_2?idSectionTA=LEGISCTA000033001537&cidTexte=
LEGITEXT000006072050&dateTexte=20170225> (consulté le 25 février 2017).
296 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

être en mesure d’intervenir pour accomplir un travail au service de


l’entreprise »127.

Les personnes salariées concernées par ces périodes « sont


informé[e]s de leur programmation individuelle dans un délai raison-
nable »128. La période d’astreinte donne lieu à une contrepartie, « soit
sous forme financière, soit sous forme de repos »129, qui est déter-
minée par la négociation d’un accord collectif130 ou, à défaut, par
l’employeur après avis des institutions représentatives du personnel
(comité d’entreprise ou délégués du personnel) et information de
l’inspection du travail131. La période d’astreinte est prise en compte
dans le calcul de la durée minimale de la période de repos quotidienne
et hebdomadaire132. Le Code du travail français reconnaît aussi un
nouveau « droit à la déconnexion » qui passe par « la mise en place par
l’entreprise de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils
numériques, en vue d’assurer le respect des temps de repos et de
congé ainsi que de la vie personnelle et familiale »133. À défaut
d’accord collectif, il revient à l’employeur d’élaborer une charte défi-
nissant notamment les modalités de l’exercice de ce droit, après avis
des institutions représentatives du personnel (comité d’entreprise ou
délégués du personnel)134. Même si les moyens de mise en œuvre de
ces dispositions semblent lacunaires135, le droit français constitue un
laboratoire de choix pour évaluer les tentatives de définition et
d’encadrement législatifs des périodes où le salarié a l’obligation
d’être disponible hors des lieux et temps de travail. Ces périodes sem-
blent reconnues comme un nouveau « temps contraint » justifiant cer-
taines balises136.

127. Ibid., art. L3121-9, al. 1, tel que modifié par l’article 8 de la Loi no 2016-1088 du
8 août 2016.
128. Ibid., art. L3121-9, al. 4, tel que modifié par l’article 8 de la Loi no 2016-1088 du
8 août 2016.
129. Ibid., art. L3121-9, al. 2 et 3, tel que modifié par l’article 8 de la Loi no 2016-1088
du 8 août 2016.
130. Ibid., art. L3121-11, tel que modifié par l’article 8 de la Loi no 2016-1088 du
8 août 2016.
131. Ibid., art. L3121-12, par. 1, tel que modifié par l’article 8 de la Loi no 2016-1088
du 8 août 2016.
132. Ibid., art. L3121-10, tel que modifié par l’article 8 de la Loi no 2016-1088 du
8 août 2016.
133. Ibid., art. L2242-8, par. 7, tel que modifié par l’article 55 de la Loi no 2016-1088
du 8 août 2016.
134. Ibid.
135. Laurence Léa FONTAINE, « Réforme du droit du travail français : une vraie
déconnexion ? », Le Devoir, 7 janvier 2017.
136. Alexandre FABRE, « Les temps du travail : entre libertés et pouvoir », dans Phi-
lippe WAQUET (dir.), 13 paradoxes en droit du travail, Paris, Éditions Lamy,
2012, p. 239, 242.
LE TRAVAIL À LA DEMANDE ET L’OBLIGATION... 297

Même si la possibilité de recourir aux heures supplémentaires


de travail n’est pas nouvelle137, l’usage accru du travail à la demande,
quel que soit le statut d’emploi, semble au cœur des pratiques des
entreprises. Dans l’équilibre qu’il convient de rechercher entre les
exigences des entreprises et les besoins des travailleurs, des travail-
leuses et de la société tout entière en matière de temps de travail138,
la protection d’une sphère d’autonomie des travailleurs et travailleu-
ses doit contrebalancer la flexibilité que l’obligation de disponibilité
procure aux entreprises. Cette protection est centrale pour garantir
le droit de toute personne à des conditions de travail justes et favora-
bles qui lui assurent du repos, des loisirs et une durée de travail rai-
sonnable139. Celle-ci s’inscrirait dans la nécessaire reconnaissance
des droits au travail comme droits de la personne.

137. Convention (no 1) sur la durée du travail (industrie) 1919, préc., note 13.
138. OIT, préc., note 12, no 4.
139. Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels,
16 décembre 1966, 993 R.T.U.N. 3, art. 7 (entré en vigueur le 3 janvier 1976),
(accession du Canada le 19 mai 1976).
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