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Lequiller François. L'indice des prix à la consommation surestime-t-il l'inflation ?. In: Economie et statistique, n°303, Mars 1997.
pp. 3-32;
doi : https://doi.org/10.3406/estat.1997.2542
https://www.persee.fr/doc/estat_0336-1454_1997_num_303_1_2542
Abstract
Does the Consumer Price Index Overestimate Inflation?
Debates on how to measure inflation are nothing new. They hit the news again recently with the
publication of a report by an American Senate committee chaired by M.J. Boskin, which stated that the
American consumer price index (CPI) overestimates inflation by 1.1% per year. Our article shows that
if a bias does affect the price index in France, it is much lower in percentage.
It is inevitably hard to sum up changes in a multitude of prices with just one figure. Even in the most
favourable scenario whereby we consider a single consumer with a budgetary choice to make, there
are considerable problems involved in treating substitutions between existing products. Nevertheless,
the properties of the different possible approaches are fairly well defined and
the statistical procedures used in France mean that our index is largely safe from criticisms on this
point.
The appearance of new products (in the broad sense of the term: products that are really new on the
market and products already sold elsewhere, but appearing in a new point of sale whether replacing or
not an existing product) raises problems that have not yet been completely solved either in the United
States, France or in other countries. The Boskin committee stated that this induced a 0.6% annual
overestimation in the CPI in the United States. This statement is based on questionable and probably
exaggerated estimates. Our conclusion is in line with the opinion expressed by a number of American
experts.
Zusammenfassung
Wird die Inflation durch den Verbraucherpreisindex zu hoch veranschlagt?
Die Diskussionen ûber die Schwierigkeiten der Messung der Inflation sind nicht neu. Mit der
Verôffentlichung eines Berichtes durch eine von M. J. Boskin geleitete Kommis- sion des
amerikanischen Sénats, dem zufolge der ameri- kanische Verbraucherpreisindex die jâhrliche
Inflations- rate um 1,1% zu hoch veranschlagt, sind sie in jûngster Zeit wieder aktuell geworden. In
diesem Artikel wird aufgezeigt, daft die Verzerrung, die den Verbraucherpreisindex in Frankreich
verfàlschen kônnte, wesentlich geringer sei.
Die Entwicklung einer Vielzahl von Preisen mit einer einzigen Zahl zusammenzufassen, ist
zwangslâufig ein schwieriges Unterfangen. Selbst im gûnstigsten theoretischen Falle, in dem man das
Verhalten eines einzigen Verbrauchers gegenùber einer Budgetwahl betrachtet, sind die
Schwierigkeiten bei der Berùck- sichtigung der Substitution zwischen bestehenden Erzeugnissen
erheblich. Die Merkmale der verschiedenen in Frage kommenden Lôsungsansâtze lassen sich
nichtsdestoweniger recht gut charakterisieren, wobei die in Frankreich benutzten statistischen
Verfahren unseren Index vor einer solchen Kritik weitgehend schûtzt.
Das Aufkommen neuer Erzeugnisse (im weitesten Sinne, das heiBt wirklich neue Produkte auf dem Markt,
Produkte, die bereits woanders verkauft wurden, aber erstmals in einer bestimmten Verkaufsstelle
angeboten werden, Produkte, die ein altères Produkt ersetzen oder nicht) bringt Schwierigkeiten mit sich,
die weder in den Vereinigten Staaten oder Frankreich noch in den anderen Lândern vollstândig gelôst sind.
Die Boskin-Kommission behauptete, in den Vereinigten Staaten wûrde deshalb der Verbraucherpreisindex
jâhrlich um 0,6% zu hoch veranschlagt. Dièse Behauptung basiert auf Schâtzungen, die wenig solide und
wahrscheinlich ùberzogen sind, wobei dièse SchluBfolgerung mit der Ansicht ùbereinstimmt, die eine Reihe
amerikanischer Experten diesbezùgllch vertreten.
Resumen
l Sobrevalora el indice de precios al consumo a la inflaciôn ?
No son nuevos los debates en torno a problemas de mediciôn de la inflaciôn. Han vuelto a ser de
actualidad con la publicaciôn por una comisiôn del Senado americano presidida por M.J. Boskin de un
informe que afirmaba que el indice de precios al consumo (IPC) americano sobrevaloraba la inflaciôn en un
1,1 % al arïo. El présente artfculo muestra que el sesgo que pueda afectar al indice de precios en Francia
alcanzarfa un nivel muy inferior.
Es desde luego diffcil resumir la evoluciôn de un sinnûmero de precios por una sola cifra. Hasta en el caso
teôrico mâs favorable en el que se considéra a un consumidor ûnico frente a una opciôn presupuestaria,
los problemas de trato de las sustituciones entre productos existentes son importantes. Se sabe sin
embargo caracterizar con bastante certeza las propiedades de
aquellos enfoques que se escojan, y los procedimientos estadisticos utilizados en Francia amparan
ampliamente nuestro indice contra las cn'ticas en este particular.
La apariciôn de nuevos productos (en el sentido amplio de la palabra : productos realmente nuevos sobre
el mercado, productos ya vendidos en otras partes y que aparecen en un nuevo puesto de venta, como
sustituto o no de un producto antiguo) plantea dificultades todavi'a no del todo superadas sea en Estados
Unidos, en Francia o en otros paîses. La comisiôn Boskin estimô que existirîa una sobrevaloraciôn en un
0,6 % al ano en el IPC norteamericano. Este juicio descansa en unas estimaciones fragiles y
probablemente exageradas. Esta conclusion es compartida por un buen numéro de expertos americanos.
INDICE DES PRIX
à la consommation
surestime-t-il l'inflation ?
Lequiller*
François Les débats autour des problèmes de mesure de l'inflation ne sont pas nouveaux.
Ils sont revenus récemment dans l'actualité avec la publication, par
une commission du Sénat américain présidée par M.-J. Boskin, d'un rapport
affirmant que l'indice des prix à la consommation (IPC) américain surestimait
l'inflation de 1,1 % par an. Le présent article montre que le biais qui pourrait
affecter l'indice des prix en France serait d'un ordre de grandeur très nettement
inférieur.
Résumer l'évolution d'une multitude de prix en un seul chiffre est forcément
difficile. Même dans le cas théorique le plus favorable où l'on considère
un consommateur unique face à un choix budgétaire, les problèmes de traitement
des substitutions entre produits existants sont importants. On sait néanmoins
assez bien caractériser les propriétés des diverses approches envisageables
* Au moment de la
rédaction de cet article, et les procédures statistiques utilisées en France mettent notre indice largement
François Lequiller était à l'abri des critiques sur ce point.
chef adjoint du
département des Prix à L'apparition de nouveaux produits (entendus au sens large : produits réellement
la consommation, des
Ressources et des nouveaux sur le marché, produits déjà vendus ailleurs mais apparaissant
Conditions de vie de
l'Insee, chargé de dans un nouveau point de vente, en remplacement ou pas d'un produit ancien)
l'indice des prix à la soulève des difficultés non encore complètement résolues que ce soit
consommation français.
aux États-Unis, en France ou dans les autres pays. La commission Boskin
L'auteur tient à a affirmé qu'il existerait du fait des nouveaux produits, une surestimation
remercier tous ceux qui ont
bien voulu prendre de de 0,6 % par an dans PIPC des États-Unis. Cette affirmation repose
leur temps pour sur des estimations fragiles et probablement exagérées. Cette conclusion rejoint
contribuer à améliorer cet
article. Il pense en l'avis exprimé par un certain nombre d'experts américains.
particulier au rapporteur
anonyme choisi par le
rédacteur en chef de la
revue, mais aussi à
T. Lacroix, son successeur,
L VTgÊX), D. Temam, a remis un rapport final en décembre 1996 qui
M. Glaude et G. Laroque. Aiguillonné par plusieurs années de débat
sur une possible surestimation de soutient l'existence d'une surestimation de la
l'inflation aux États-Unis, le Sénat américain a appelé hausse des prix par l'indice de prix à la
Les noms et dates entre une commission d'économistes, présidée par consommation (IPC) des États-Unis de 1,1 % par an
parenthèses renvoient à pour les années postérieures à 1996 et de 1 ,3 %
la bibliographie en fin un professeur de Stanford, MJ. Boskin, à
d'article. rapporter sur cette question. Cette commission lui pour les années antérieures. En d'autres mots,
Encadré 1
QUELQUES DONNÉES SUR LA FABRICATION DE L'IPC FRANÇAIS
L'indice des prix à la consommation français est un administratives et des véhicules d'occasion. En ce
outil statistique complexe reposant sur l'application qui concerne la partie non marchande, le traitement
rigoureuse de procédures normalisées. Plus de des hôpitaux et cliniques et des dépenses d'action
1 60 000 relevés de prix sont effectués tous les mois, sociale est à l'étude.
dans environ cent agglomérations représentatives
des villes de plus de 2 000 habitants. Tous les Les pondérations des postes de l'indice et les
circuits de commercialisation sont représentés produits qui y figurent sont revus tous les ans.
(hyper, super, hard-discount, superettes, commerces L'indice utilise une formule de Laspeyres chaînée
spécialisés et traditionnels, marchés...)- 30 000 annuellement. Chaque année, les responsables des
points de vente sont visités chaque mois par les 170 grands secteurs de l'indice (alimentation, biens
enquêteurs qui travaillent à temps plein ou à temps durables, habillement, services, etc.), aidés par les
partiel pour l'IPC. 130 autres agents de l'Insee, dont équipes de terrain, passent au crible les
plusieurs dizaines de cadres statisticiens, en caractéristiques des 1 000 familles de produits détaillées
assurent le calcul. Les enquêteurs de l'Insee sont formés (variétés) qui constituent l'indice et les modifient
spécifiquement pour leur travail. Des procédures de pour conserver à l'indice sa représentativité.
contrôle de qualité sont appliquées à chaque étape Pourront ainsi être modifiées par exemple celles des
de calcul. Les premiers résultats du mois (indice dit variétés de viande très directement touchées par la
« provisoire ») sont publiés vers le 10 du mois suivant désaffection de la consommation des ménages à la
soit parfois moins de sept jours ouvrables après le suite de crise de la vache folle. Chaque année, de
jour de la clôture de la collecte sur le terrain. Toute nouvelles variétés sont créées en addition à ou en
la gamme de biens et services entrant dans la définition remplacement d'autres devenues moins
de la consommation des ménages sont représentés : représentatives. Cela a été le cas récemment pour les
alimentation-boissons-tabac, habillement-chaussure, disquettes informatiques. L'indice actuel est dit de
logement-chauffage-éclairage, meubles-articles de « base 1990 » (1990 = 100). Cette « base »
ménage-entretien du logement, santé, transports et constitue la 6ème génération d'IPC en France depuis le
communications, loisirs-spectacles-enseignement- début du siècle. Chaque génération a apporté des
culture, soins corporels-restaurants-hôtels et autres améliorations de méthode et de champ. Les calculs
services aux ménages. Sa couverture est d'environ faits sur l'erreur d'échantillonnage de cette dernière
90 % de la consommation marchande des ménages. génération de l'IPC français ont montré que son
Les assurances devraient être introduites l'an glissement annuel était compris dans une fourchette
prochain ainsi que les prix de certains services très étroite de + ou - 0,1 % (Ardilly-Guglielmetti,
domestiques, juridiques, de certaines formalités 1993).
Encadré 2
L'IPC TIENT-IL COMPTE DE TOUTES LES REMISES ?
Il y aurait une autre source éventuelle de problème Son estimation est particulièrement délicate. Le
qui a été très souvent, et particulièrement ces phénomène serait notamment particulièrement coûteux
dernières années, à l'origine de critiques de l'IPC à mesurer. Il faudrait avoir accès aux factures des
français. Il s'agit de la non-prise en considération par commerçants, données jugées hautement
l'IPC des remises « non affichées », « de gré à stratégiques par ceux-ci. On peut toutefois illustrer que son
gré » entre l'acheteur et le vendeur (1). impact devrait être relativement limité pour l'indice
d'ensemble à partir de la structure des pondérations
Pour clarifier ce débat, rappelons tout d'abord que de l'IPC et d'hypothèses d'école. D'abord les types
l'IPC français suit maintenant par principe toutes les de produits pour lesquels ce phénomène apparaîtrait
remises, soldes et promotions affichées et ce pour (automobile, habillement et chaussure, appareils
l'ensemble des produits. Les enquêteurs de l'Insee ménagers, meubles) ne représentent que 14 % de
ont la consigne de collecter les prix, toutes ces l'indice d'ensemble. Si on admettait par conséquent
remises déduites (2). que 10 % des acheteurs de ces produits
bénéficiaient d'une remise non affichée supplémentaire de
Cependant, les enquêteurs de l'Insee ne peuvent 2 % par rapport à l'année précédente (hypothèse
observer que les prix et les remises affichés et non forte), alors l'impact sur l'indice serait de 0,10 x 0,02
le vrai prix s'il y a modification du prix affiché après x 0.14 soit 0,03 % sur la moyenne annuelle de
négociation de gré à gré entre l'acheteur et le l'indice d'ensemble. Ce biais positif serait bien entendu
vendeur. En effet, l'Insee ne peut demander à ses compensé dans l'autre sens si la situation des
enquêteurs de simuler tous les mois un acte d'achat, offreurs était améliorée par un rebond de
ce qui serait même contraire à la déontologie. Or il consommation.
est vraisemblable que ces pratiques de négociations
sur le prix affiché se sont développées en 1993 du
fait du ralentissement de la consommation. Il est 1. Les coupons de réduction, en développement ces dernières
donc possible que l'IPC français ait surestimé la années, sont une variante de ce cas.
hausse des prix pendant une période par omission 2. À l'exception des remises n'intervenantque quelques heures
de la hausse des remises non affichées (3). (« prix-flash »), des prix de « liquidation » ou des remises
Cependant si on admet qu'il y ait eu surestimation de la portant sur le crédit. Dans le cas des prix de liquidation, nous
hausse en période de tassement de la considérons qu'on ne pourra pas, par principe, remplacer
consommation, il faudrait reconnaître également qu'il y aurait l'ancien produit lorsqu'il ne sera plus observable. Dans le cas
inversement sous-estimation de la hausse en ducréditJ'IPCexclutdesondomained'analyselavariationdes
période de reprise de la consommation, période au taux intérêt.
cours de laquelle les remises non affichées auront 3. Rappelons que ce qui affecterait la variation de l'indice des
prix est la variation des remises non affichéesetnon leurniveau
tendance à diminuer. Il ne s'agit donc pas d'un biais en soi. Si ce dernier ne variait pas, la variation de l'indice des
structurel, tel que ceux qui sont exposés dans cet prix serait identique, que les remises non affichées soient
article, mais conjoncturel. incluses ou non.
Encadré 3
LE PROCESSUS D'HARMONISATION DES IPC EUROPÉENS
L'IPC a été choisi comme l'indicateur principal pour - la moyenne géométrique et les autres micro-indices ;
le critère sur l'inflation du traité de Maastricht. Le - l'accélération et la coordination de l'introduction
pays membre candidat à l'Union monétaire doit se des nouveaux produits ;
situer à moins de 1,5 % au-dessus d'une moyenne - l'amélioration du traitement des changements de
des trois meilleurs pays. La précision réclamée par qualité ;
le critère nécessite une harmonisation des méthodes - et, enfin, l'harmonisation de la couverture des
assurant à l'indicateur une comparabilité aussi indices. Les assurances seront intégrées dans l'IPCH
parfaite que possible (1). Ce processus d'harmonisation français en 1997 au titre de ce dernier règlement.
a commencé il y a trois ans et a avancé à grands
pas. Un règlement cadre a été adopté par le Conseil Eurostat sera amené à inspecter les IPCH de
en octobre 1995 (règlement 2494/95). Une première chaque pays pour s'assurer qu'ils respectent les règles
grande étape a été la publication toute récente, que les pays-membres ont décidé en commun. Au-
début 1997, d'une première version de l'IPCH, l'indice delà des règlements, le processus d'harmonisation a
de prix à la consommation harmonisé. contribué à lancer des programmes de recherche
L'harmonisation a accru la comparabilité des indices tout en communs, notamment sur l'effet-qualité.
améliorant chacun d'entre eux. En effet, loin de s'en
tenir au dénominateur commun des méthodes, les
Quinze se sont efforcés de choisir la meilleure 7. On se reportera à Buchwald et Saglio (1994) pour une
méthode dans chaque domaine. Les règlements ont illustration de la non-comparabilité des indices nationaux
concerné : français et allemands.
Encadré 4
INDICES DE PRIX ET PRIX MOYENS
II existe d'autres sources que celles de l'Insee Contrairement au traitement le plus souvent utilisé
donnant de l'information sur l'évolution de certains dans l'indice de prix qui consiste à considérer que la
prix. C'est le cas en particulier des études issues différence de prix entre deux produits même proches
des bases de données des sociétés d'études de est significative de la différence de qualité des deux
marché qui suivent dans un très grand détail produits, le prix moyen ainsi calculé repose sur
l'évolution des prix et des quantités achetées par l'hypothèse complètement inverse. L'étude la plus
l'intermédiaire soit de panels de consommateurs soit approfondie sur la différence entre un indice de prix et
de distributeurs. À partir de ces sources, sont un prix moyen a été menée sur le marché de la
calculés des prix moyens par famille de produits dont tablette de chocolat (Saglio, 1995). Cette étude a
révolution diffère parfois très sensiblement de celui montré que le prix moyen de la tablette de chocolat
de l'indice des prix correspondant de l'Insee. Le prix (toute marques confondues, tous circuits de
moyen est obtenu comme le chiffre d'affaires total de distribution confondus, et tous conditionnements confondus) a
la famille de produits divisé par les quantités (en baissé de 1,6 % par an entre 1988 et 1990 alors que
poids ou en unités) vendues. Ce mode de calcul l'indice de prix de Laspeyres de la tablette de chocolat
diffère de celui de l'indice de prix. n'a baissé que de 0,2 % par an. L'écart de - 1 ,4 % entre
ces deux mesures peut se décomposer entre un effet
Le prix moyen mélange ainsi souvent des produits de gamme de - 0,5 % par an (substitutions de marques
de qualité différente (allant du bas au haut de moins chères - i.e. de bas de gamme - à des marques
gamme), d'emballage différents (vendus à l'unité ou plus chères - i.e. de haut de gamme), un effet de
par lot de plusieurs) et vendus dans des circuits de conditionnement de - 0,1 % par an (substitutions d'achats de
commercialisation différents. Plus la famille de tablettes en conditionnement de deux ou trois unités,
produits est large, plus le calcul de prix moyen avec un prix inférieur à l'unité, à des achats de
mélange des caractéristiques différentes. Ainsi, si les tablet es à l'unité), et surtout, un « effet circuits d'achat » de
ménages achètent plus de produits bas de gamme, - 0,8 % par an (substitutions d'achats dans les
le prix moyen baissera. Si au contraire ils se portent hypermarchés à des achats dans les points de vente
sur des produits haut de gamme, le prix moyen traditionnels). La substitution de produits de bas de
augmentera. Ces mouvements ne peuvent être tous gamme (notamment « Premiers prix ») à des produits de
assimilés à des variations de prix au sens de l'indice haut de gamme n'est pas considérée dans l'IPC comme
des prix. Certains d'entre eux sont des mouvements une baisse de prix, la qualité des produits n'étant en effet
qui sont dus soit à des effets de revenu, soit des pas comparable. L'effet circuit d'achat a été largement
effets de goûts soit à d'autres phénomènes. Pour commenté dans la troisième partie de cet article.
prendre un exemple extrême, le prix moyen de
l'achat d'une voiture peut augmenter entre deux D'autres phénomènes peuvent aussi expliquer des
années tout simplement parce que les ménages ont différences avec l'indice de prix. Ainsi, les
acheté plus de véhicules de forte cylindrée et moins déplacements du volume des achats d'une année sur l'autre
de véhicules de faible cylindrée, sans que le prix de vers les périodes de soldes n'affectent pas l'indice
chacune des catégories de véhicules n'ait changé, de prix, même si l'Insee prend maintenant bien en
mais parce que les revenus et les goûts ont changé. compte les soldes, rabais et promotions affichées.
Ceci n'est clairement pas une hausse de prix au En effet, l'IPC mesure un niveau de prix à un instant
sens de l'indice des prix : le niveau d'utilité des donné (le mois) et non un prix moyen sur l'année
ménages ne sera pas resté constant. pondéré par des ventes mensuelles qui, lui, serait affecté.
Un des objectifs de l'indice des prix à la consommation autre côté, l'IPC utilise les comptes nationaux pour
est de permettre de calculer, à partir de l'évolution de la ses propres pondérations.
valeur en francs courants de la consommation,
l'évolution de son « volume » (qu'on appelle aussi Pour établir cette différence, il faut en premier lieu
« consommation réelle » ou en « francs constants »). procéder à des corrections du champ de la
Ces évolutions sont synthétisées au sein de la comptabilité nationale. En effet, la consommation des
Comptabilité nationale. Si on suppose que les montants en ménages au sens des comptes nationaux est plus
francs courants sont donnes, toute correction de l'indice large que le champ de l'IPC (2). Doivent être exclus
des prix aura donc un impact sur le « volume » (dans ce des comptes nationaux l'autoconsommation (y
qu'on appelle le partage « volume/prix »). La compris les loyers fictifs), les assurances, les cliniques,
consommation des ménages représentant 60 % du PIB, hôpitaux privés et établissements pour personnes
toute correction sur le « volume » de la âgées et les transports aériens (avant 1992). En
consommation des ménages pourrait avoir un impact important second lieu, il faut savoir qu'il y a en fait deux indices
sur le chiffre de la croissance. des prix implicites de la comptabilité nationale en
France. L'un est obtenu par chaînage de la division
S'il y avait donc une surestimation significative de des comptes en valeur par les comptes dits « aux
l'IPC, par exemple de x %, quelle en serait la prix de I 'année n-1 ». L'autre comme division des
conséquence sur le chiffre de la croissance ? La question comptes en valeur par les comptes dits « aux prix de
mérite tout particulièrement d'être posée quand on 1980 ». Il y a donc en fait deux indices de prix
sait que la sensible surestimation des prix de implicites à comparer à l'IPC. On appellera le premier
l'informatique aux États-Unis, mise en évidence à la fin l'indice de prix implicite « base n-1, chaîné » et le
des années quatre-vingt, avait conduit les second l'indice de prix implicite « base 1980 ». Ces
comptables nationaux américains à corriger très signifi- séries, conventionnellement à 100 en 1980, sont
cativement à la hausse leurs estimations de croissance. présentées dans le tableau A.
Dans le cas de la France, on va voir que l'impact sur Comme on peut le constater, les évolutions sur 15
la croissance de la surestimation de l'IPC serait très ans de l'IPC et de ces deux séries diffèrent. L'IPC se
faible. En effet, contrairement à ce qu'on pourrait situe à la fin de cette période de 15 ans à 205,3, soit
penser, il est faux de tenir le raisonnement simple 3,5 points au-dessus de l'indice implicite base n-1,
suivant : qui se situe à 201,8, lui-même 3,9 point au-dessus
de l'indice base 1980. Sur quinze ans, l'IPC a évolué
- puisque les comptables nationaux utilisent l'IPC
pour leurs calculs, la surestimation de ce dernier de
x % s'applique aussi à l'indice de prix de la Tableau A
comptabilité nationale ; Écarts entre IPC et comptabilité nationale
- puisque les données en valeur des comptes
nationaux sont fixes, baisser l'indice des prix revient à Indices de prix implicites
augmenter le volume ; IPC de la Comptabilité nationale, sur
champ IPC
- et puisque la consommation des ménages Moyennes Indice base n-1 Indice base
représente 60 % du PIB l'impact sur celui-ci serait donc annuelles chaîné 1980
de 0,6 fois x %. Les choses ne sont pas en fait aussi
simples comme vont le montrer les paragraphes ci- 1980 100,0 100,0 100,0
dessous, souvent malheureusement très techniques (1).
1985 158,0 157.3 157,0
Aucun impact de la correction du biais 1990 184,0 181,4 179,3
de substitution de niveau agrégé
1995 205,3 201,8 197,7
II faut d'abord distinguer parmi les biais qui seraient
à l'origine de la surestimation globale celui qu'on a Évolution moyenne annuelle 1980-1995
appelé « biais de substitution de niveau agrégé ». 5,27% 5,14% 4,99%
En effet, la comptabilité nationale n'utilise pas l'IPC
d'ensemble. Elle utilise les indices de prix à la
consommation de niveau intermédiaire
(approximativement les « postes »), qu'elle agrège à sa manière, 1. On fait aussi abstraction ici du fait que les raisons qui
différente de l'IPC, pour obtenir son propre indice
d'ensemble. Une des conséquences relativement expliquent la surestimation de l'IPC pourraient s'appliquer à
d'autres indices de prix s'appliquant à d'autres contreparties
méconnue de ce fait est que l'indice des prix de la du PIB.
consommation des ménages de la comptabilité 2. On parie ici en fait de la consommation « marchande » des
nationale est différent de l'IPC alors que, d'un côté, les ménages au sens de la base 1980 des comptes nationaux
comptables nationaux utilisent les indices détaillés français. La consommation non marchande (hôpitaux publics,
issus de l'IPC pour établir leurs comptes et que, d'un éducation...) est exclue a priori.
en moyenne de 5,27 % par an tandis que l'indice départ de ce raisonnement (« les données en francs
implicite chaîné a augmenté de 5,14 % et l'indice courants sont fixées ») n'est pas vérifié au moins
implicite base 1980 de 4,99 %. L'écart entre le pour certaines des composantes du PIB. Ainsi, une
premier et le second est donc de 0,13 % par an, entre partie (relativement faible néanmoins) de la
le premier et le troisième de 0,28 % par an, entre le consommation des ménages en francs courants est obtenue
second et le troisième de 0,15 % par an (3). dans les comptes nationaux non pas directement par
un chiffre en francs courants mais par une évolution
Ces écarts sont dus à l'utilisation par la comptabilité en quantité à laquelle on applique l'évolution de
nationale de formules différentes d'agrégation au l'indice des prix. La correction à la baisse de l'évolution
niveau agrégé. Les indices implicites des comptes de ce dernier n'aurait donc pas dans ce cas d'effet
nationaux sont en effet des indices de Paasche alors sur les volumes, qui resteraient inchangés, mais sur
que l'IPC est un indice de Laspeyres (pour la les montants en francs courants.
définition de l'indice de Laspeyres et de Paasche, voir le
point I de l'annexe II). Pour être plus précis, l'indice Ceci peut surprendre, sachant que le PIB est, au
implicite base 1980 est un pur indice de Paasche moins pour les séries passées, essentiellement
tandis que l'indice implicite base n-1 est un indice de déterminé en francs courants, au travers de la
Paasche chaîné. Quant à l'IPC, il est, comme on l'a centralisation des comptes d'entreprises, des
déjà vu, un indice de Laspeyres chaîné. Les administrations publiques et d'autres agents économiques.
différences entre ces indices ne sont donc pas Cependant, il y a, d'une part, une marge
surprenantes. On retrouve en fait trois résultats d'incertitude sur le montant même de la valeur ajoutée en
connus (4) : francs courants (ne serait-ce que parce que les
enquêtes sur les entreprises ne sont pas exhaustives).
- dans le cas général, un indice de Paasche est D'autre part, d'autres composantes du PIB en francs
inférieur à un indice de Laspeyres, courants ne sont pas non plus connues avec une
- un indice chaîné de Paasche est supérieur à un grande précision. On pense notamment aux
indice de Paasche pur, variations de stocks dont la détermination en francs
- et un indice de Laspeyres chaîné est supérieur à courants en comptabilité nationale est très délicate
un indice de Paasche chaîné. malgré les sources en provenance des comptes
d'entreprises. En effet, les conventions de valorisation
Que se passerait-il alors si l'IPC devait être corrigé des stocks en comptabilité nationale sont différentes
à la baisse pour éliminer le biais de substitution de celles utilisées en comptabilité d'entreprise.
agrégé (i.e. en changeant la formule de calcul au
niveau agrégé) ? La réponse peut surprendre mais Au total, l'impact sur le volume de la correction à la
cette correction n'aurait absolument aucun impact baisse des indices de prix à la consommation serait
sur le chiffre officiel de la croissance puisque la certainement amoindri par rapport au raisonnement
comptabilité nationale utilise de toutes façons une initial. Son chiffrage exact ne pourrait se faire
autre formule de calcul au niveau agrégé. Ceci dit, qu'avec une simulation coûteuse de la mécanique de
dans le cas de la France, le problème ne se pose construction des comptes nationaux. On a vu que,
même pas, puisque, comme on l'a vu, il n'y a pas de de toutes façons, la surestimation en France serait
« biais de substitution agrégé » dans l'IPC français. faible. Encore amoindrie par le mécanisme de calcul
Mais même aux États-Unis, où la commission Boskin des comptes nationaux, cette correction serait donc
a avancé le chiffre de 0,15 % par an de loin d'être déchirante sur les chiffres passés de la
surestimation due au « biais de substitution agrégé », sa croissance.
correction n'aurait aucun impact sur le chiffre de la
croissance (5).
Une estimation complexe de l'impact sur la
croissance de la correction des autres biais
3. Calculés sur la période 1985-1995, les écarts sont de
Par contre, si l'IPC devait être corrigé à la baisse à même sens et de même ordre.
cause de procédures inappropriées intervenant dans 4. Et partiellement présentés dans le point I de l'annexe II.
les niveaux intermédiaires et détaillés et/ou sur les 5. L'indice implicite de prix de la comptabilité nationale
procédures de traitement des nouveaux produits, on américaine est, depuis 1995,' un indice de Fisher chaîné.
pourrait penser qu'il y aurait alors systématiquement Contrairementà la situation française que l'on a illustrée dans
impact sur le chiffre de la croissance. En effet, ce le tableau ci-dessus, l'indice implicite de la comptabilité
seraient alors les indices intermédiaires et détaillés qui nationale américaine se situe donc très probablement
seraient modifiés, ceux qui sont précisément utilisés sensiblement au-dessous de l'IPC américain qui est un
indice de Laspeyres basé sur des pondérations de
directement par la comptabilité nationale. On 1983-1985. L'introduction, comme le souhaite la commission
pourrait donc penser que, à données en francs Boskin, d'un indice de Fisher (ou de Tornqvist, qui lui est
courants fixées, la correction à la baisse des proche) dans l'IPC aurait probablement simplement pour
indices de prix entraînerait automatiquement une conséquence de rapprocher l'estimation de l'inflation
correction à la hausse des volumes. Cependant, suivant l'IPC de celle de la comptabilité nationale, sans
même pour les années passées, l'hypothèse de changer cette dernière.
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Ptio
qui s'écrit aussi
.i Zu
Paasche
,i<*t.i y
qui s'écrit aussi, si on pose w*t = PtQi
Fisher
IFt/o =
Par ailleurs, on rappelle que, dans les conditions des marchés dominés par lademande (quand leprix
relatif augmente lademandebaisse), on al'inégalitébienconnuesuivante:
Graphique
L'IUC est le rapport de deux budgets,
à utilité constante
Formules de micro-indices
Si p(i,t) indique le niveau de prix du produit / d'un agrégat élémentaire donné au cours de la période
t et S l'échantillon de n produits qui restent constants entre les dates b et t , on a :
Rapport des sommes de prix (RSP) :
ie S l€ S
Moyenne géométrique des rapports de prix : (MGRP)
\/n
ie S
Moyenne arithmétique des rapports de prix, (MARP) :
ie S