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#2017

5
Les Cahiers de
la Chaire Immobilier et
Développement Durable

Les bureaux :
de futurs défis
territoriaux et
managériaux
ESSEC Business School,
L’Esprit Pionnier
CRÉÉE EN 1907, ESSEC BUSINESS SCHOOL EST UNE INSTITUTION ACADÉMIQUE

47 000
alumni à travers le monde
D’EXCELLENCE QUI S’EST, TOUT AU LONG DE SON HISTOIRE, ILLUSTRÉE PAR
SON ESPRIT PIONNIER.

En formation initiale comme en formation continue, l’ESSEC propose une

5 2 000
large gamme de programmes à tous ceux qui souhaitent vivre une expérience
d’apprentissage hors du commun, fortifier leurs talents, exprimer leur leadership
campus : Cergy, diplômes délivrés et devenir des managers de haut niveau.
Paris-La Défense, chaque année,
Singapour, Rabat et dont 1 600
prochainement à de niveau Master Institution séculaire, forte d’un large réseau d’entreprises et d’institutions acadé-
l’Île Maurice miques en France et partout dans le monde, l’ESSEC fait le choix de fonder son

182
développement sur trois principes : l’innovation, l’implication et l’internationa-
lisation qui constituent les trois axes de la stratégie ESSEC 3i tournée vers 2020.
universités partenaires dans 45 pays
Institution irriguée par la recherche et engagée dans une ambitieuse politique
d’alliances avec des institutions de premier rang, l’ESSEC a le souci constant de

7 28 confronter ses étudiants à des savoirs de pointe, au croisement des disciplines,


et de les faire bénéficier des dernières technologies.

20 158 Marquée par une profonde tradition humaniste, l’ESSEC a fait du lien entre vie
économique et société un sujet majeur de recherche mais aussi un enjeu fonda-
mental de la formation de managers responsables. Par là même, l’ESSEC affirme
centres programmes
d’excellence de doubles diplômes la nécessité de mettre l’innovation, le savoir et la création de valeur au service
chaires (23 internationaux, de l’intérêt général.
d’entreprises 5 nationaux)

professeurs Avec des étudiants originaires de 96 pays, un corps professoral très largement
de 36 nationalités international et une implantation en Asie-Pacifique depuis 2005, l’ESSEC est une
dont 19 professeurs Emeritus
institution internationale et multiculturelle. Cette internationalisation se ren-
force avec un nouveau campus à Singapour, une implantation à Rabat au Maroc, et
bientôt à l’Île Maurice et des projets de développement en Afrique et en Amérique
latine.

5 330
étudiants en formation initiale
Les trois axes de l’ESSEC – l’innovation, l’implication et l’internationalisation -
forgent la philosophie pédagogique, commune à l’ensemble des programmes :
accompagner chaque étudiant tout au long d’un parcours de formation tourné

31 % 96 +100
vers la conquête de sa liberté. Étudier à l’ESSEC, c’est dessiner son propre
chemin vers l’avenir et intégrer une communauté solidaire de 47 000 diplômés à
d’étudiants nationalités associations travers le monde !
internationaux représentées étudiantes
Bienvenue à l’ESSEC !

5 000
managers en formation continue
International Rankings
Business Education 2016

#3 Master of Science in Management

Plus de 700
entreprises partenaires de la pédagogie et du recrutement
#7 Master in Finance

#14 Executive Education Programs


Les Cahiers de
la chaire Immobilier et Développement Durable

#5
Les bureaux : de futurs défis
territoriaux et managériaux

Sous la direction

d’Ingrid Nappi-Choulet et de Simon Labussière


Le MIPIM – le Marché International des Professionnels de l’Immobilier – réunit
chaque année mi-mars les acteurs internationaux les plus influents de tous les
secteurs de l’immobilier professionnel – bureaux, résidentiel, commerces, santé,
sport, logistique. Il offre l’accès aux plus grands projets de développements
immobiliers et aux sources de capitaux à l’international. À l’occasion de l’édition
2017, le MIPIM est heureux de renouveler son soutien aux futures générations de
professionnels de l’immobilier au travers de la diffusion de ce cinquième Cahier
de la Chaire Immobilier et Développement Durable de l’ESSEC.

www.mipim.com

Les Cahiers annuels de la Chaire sont téléchargeables sur


www.essec-immobilier.com, dans Recherches.
MIPIM
mipim

N° dossier : 20141493E
80 60 0 70 P295C

Date : 07/08/2015
AC/DC validation :
Client validation :

La Chaire Immobilier et Développement Durable tient à remercier chacun des


intervenants de ce cahier qui ont cru en ce projet et accepté de prendre part à
l’aventure.

Une mention spéciale au MIPIM représenté par Maud Chevalier qui nous a
renouvelé sa confiance pour ce cinquième numéro des Cahiers de la Chaire.

Merci également à tous ceux qui ont aidé à sa mise en œuvre : Nigel Atkins,
Isabelle Bellin, Sihem Debbiche-Meghalsi, Antoine Deshusses, Ann Gallon,
Tom Gamble, Fabien Guisseau, Jacques-Édouard Gree, Corinne Lafon, Sophie
Lasserre, Thomas Ledoux, Jennifer Pain, Alix Petit, Sébastien Plouvier, Delphine
de Saint-Pol et Fanny-Laure Thomas.

© Chaire Immobilier et Développement Durable, 2017


Tous droits de reproduction, d’adaptation et d’exécution réservés pour tous les pays.
Sommaire

Introduction 21

Chapitre 1.
Le marché des bureaux dans les métropoles :
une comparaison européenne 29

–E
 ntretien avec Ingrid Nappi-Choulet .................................................................................................................................................. 31
FRICS, Professeur-chercheur à l’ESSEC Business School,
Cergy-Pontoise, France

– Entretien avec Robin Goodchild .................................................................................................................................................................. 35


PhD, FRICS, Directeur international de la recherche et de la stratégie
globale, LaSalle Investment Management, Londres, et
Ben Burston, Directeur de la recherche en immobilier d’entreprise
et en investissement pour le Royaume-Uni, JLL, Londres

– Entretien avec Christian Lasserre ............................................................................................................................................................. 45


FRICS, Directeur Académique de l’Executive Master en Immobilier,
Université Saint-Louis, Bruxelles, Belgique

– Entretien avec Dominique Perrault ...................................................................................................................................................... 50


Architecte et urbaniste, Fondateur de
Dominique Perrault Architecture, Paris

Chapitre 2.
Le bureau, créateur de valeur pour les territoires :
analyse du cas francilien 59

Le Grand Paris des bureaux : quelles redistributions spatiales,


quels nouveaux pôles tertiaires ? 61

–E
 ntretien avec Vincent Gollain .......................................................................................................................................................................... 61
Directeur du département Économie
de l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme, Paris

– Entretien avec Pierre Mansat .............................................................................................................................................................................. 68


Chargé de la Métropole auprès de la maire de Paris,
Président de l’Atelier International du Grand Paris, Paris

– Entretien avec Daniel Béhar ................................................................................................................................................................................... 74


Géographe, Professeur à l’École d’Urbanisme de Paris,
Directeur de la coopérative Acadie, Paris 3
Paris et la Défense : une attractivité qui se maintient 81

 ntretien avec Dominique Dudan .............................................................................................................................................................. 81


–E
FRICS, Senior advisor chez LBO France, Présidente de
l’Observatoire Régional de l’Immobilier d’Entreprise (ORIE), Paris

– Entretien avec Jean-Claude Gaillot ...................................................................................................................................................... 88


Directeur Général de l’EPADESA, Nanterre, France

L’immeuble grand-parisien face aux injonctions


du développement durable 97

– Entretien avec Christophe Rousseau ................................................................................................................................................ 97


Directeur général VINCI Facilities Île-de-France Tertiaire,
VINCI Energies, Courbevoie, France

– Entretien avec Nicolas Buchoud .............................................................................................................................................................. 102


Président du Cercle Grand Paris de l’Investissement Durable, Paris

Pour en savoir plus 108

Chapitre 3.
Le bureau, créateur de valeur pour l’entreprise 111

L’aménagement des espaces de travail, un sujet surinvesti ? 113

 ntretien avec Thierry Laroue-Pont .................................................................................................................................................. 113


–E
MRICS, Président du Directoire
de BNP Paribas Real Estate, Paris

–E
 ntretien avec Françoise Bronner .......................................................................................................................................................... 121
Chercheur en organisation et espace de travail,
Co-fondateur de Future Centers & Project Spaces, Paris

–E
 ntretien avec Raphael Gielgen ................................................................................................................................................................ 128
Directeur de la recherche et de la détection de tendances de Vitra,
Bâle, Suisse

– Entretien avec Simon Labussière ........................................................................................................................................................... 133


Chargé de recherches à la Chaire Immobilier et
Développement Durable de l’ESSEC Business School,
Cergy-Pontoise, France

5
Valeur verte, valeur d’usage :
différents leviers au service de la durabilité 137

–E
 ntretien avec Benjamin Mercuriali ................................................................................................................................................... 137
Directeur de la Valorisation des Actifs et
du Développement Durable de PERIAL, Paris

– Entretien avec Patrick Supiot ......................................................................................................................................................................... 147


Directeur Général de l’Immobilier d’Entreprise
de VINCI Immobilier, Boulogne-Billancourt, France

L’équation économique des stratégies de relocalisation 156

– Entretien avec Dang Tran .......................................................................................................................................................................................... 156


Directeur Général Adjoint de Poste Immo, Paris

– Entretien avec Catherine Guizol ............................................................................................................................................................... 164


Directrice des projets immobiliers de
Coca-Cola European Partners France,
Issy-les-Moulineaux, France

–E
 ntretien avec Jean-Marc Castaignon ....................................................................................................................................... 170
Directeur immobilier du Groupe Société Générale,
Fontenay-sous-Bois, France

Pour en savoir plus 176

7
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

Créée en janvier 2003, soutenue depuis 2010 par Poste Immo, depuis 2013 par
BNP Paribas Real Estate et depuis 2016 par VINCI Energies, VINCI Immobilier
et PERIAL, la Chaire Immobilier et Développement Durable de l’ESSEC a pour
objectif de favoriser à la fois l’enseignement et la recherche en économie,
finance et management de l’immobilier en prenant en compte les enjeux du
développement durable.

L’ESSEC est aujourd’hui la première grande école de management en France et


parmi les premières en Europe à créer un pôle de compétence dans ce domaine,
à la fois en formation initiale et en formation continue. La Chaire forme les
étudiants de la Grande École pour devenir de futurs spécialistes et managers
directement opérationnels dans des métiers en perpétuelle évolution, dans un
contexte de financiarisation de l’immobilier et en tenant compte des nouvelles
problématiques de développement durable. La Chaire permet à ses étudiants de
suivre des enseignements accrédités par la RICS.

La Chaire est également un lieu de production et de recherches académiques


orientées sur le management et la stratégie immobilière des entreprises et
des investisseurs. La conférence annuelle de la Chaire est un moment de
partage et de réflexion entre universitaires et professionnels de l’immobilier et
de l’environnement urbain. En 2016-2017, la Chaire s’intéresse aux mutations
contemporaines et à venir touchant l’immeuble de bureaux, dans un contexte où,
devenu outil de management à part entière, il est dans le même temps confronté
à l’évolution des façons de travailler et des lieux du travail.

8 www.essec-immobilier.com
Avant-propos

Ce cinquième numéro des Cahiers de la Chaire Immobilier et


Développement Durable s’intéresse aux enjeux territoriaux
et managériaux que soulèvent aujourd’hui les immeubles
de bureaux. Puissants leviers d’attractivité pour les
territoires, mais aussi véritables outils de management pour
les entreprises, ces immeubles sont désormais tenus de
considérer leur rôle et leurs fonctions à toutes les échelles.
© Gaël Dupret

Leur localisation au sein des espaces urbains est un sujet


essentiel à l’équilibre et à la mixité des fonctions, alors même
que leur tendance naturelle est au regroupement, du fait des
économies d’échelle engendrées – l’exemple très actuel du Grand Paris apporte à
ce sujet un éclairage révélateur. Leur ancrage dans leur environnement immédiat
questionne également, et invite à considérer les façons dont ces bâtiments
pourraient davantage s’ouvrir sur la ville et être considérés comme bénéfiques
par des riverains qui, parfois, y voient plus volontiers des nuisances ; la forme des
édifices est partie intégrante de ces réflexions et rappelle, si besoin était, le rôle
déterminant des architectes dans l’acceptabilité et l’intelligence des nouvelles
opérations. Enfin, l’aménagement intérieur des immeubles de bureaux est une
question très discutée, qui convoque aussitôt les notions-clés de performance
et de bien-être et donc, de manière à peine sous-jacente, celle de responsabilité
sociétale et environnementale des entreprises. À toutes les échelles, l’enjeu central
demeure identique : identifier les conditions à réunir pour que ces immeubles
demeurent créateurs de valeur pour les entreprises comme pour les territoires.

Qu’il s’agisse de définir des stratégies d’implantation, de réfléchir aux nouveaux


leviers pour améliorer encore l’efficacité énergétique des immeubles ou, tout
simplement, de se demander dans quelle mesure l’immeuble de bureaux classique
a encore un avenir, la filière Immobilier est évidemment concernée au premier chef
par ces évolutions à l’œuvre. Soutenus par Poste Immo, BNP Paribas Real Estate,
VINCI Energies, VINCI Immobilier et PERIAL, les travaux de la Chaire mettent
l’accent sur les mutations actuelles et à venir de l’immobilier, en soulignant la
manière dont cet immobilier impacte l’ensemble des acteurs de la ville, de
l’investisseur à l’usager en passant par l’architecte et les acteurs publics. Je les
remercie de participer à cette réflexion sur les nouveaux enjeux de l’industrie et
du secteur de l’immobilier.

Ingrid Nappi-Choulet
Professeur titulaire
de la Chaire Immobilier et Développement Durable

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Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

Poste Immo, filiale du Groupe La Poste, est à la fois foncière de groupe, prestataire
de services immobiliers et développeur-promoteur. L’entreprise gère, développe,
entretient et valorise un parc exceptionnel d’environ 6,4 millions de m² dont
3,6 millions en pleine propriété, représentant plus de 11 000 immeubles tertiaires,
industriels et commerciaux sur l’ensemble du territoire. Poste Immo propose
également une offre de service aux collectivités et aux entreprises pour les
accompagner dans la définition de leur stratégie immobilière, la réalisation de
projets ou la gestion de biens immobiliers. Avec 970 collaborateurs répartis entre
ses directions régionales et son siège, et forte de sa double culture immobilière et
postale, elle entretient en permanence une relation de confiance et de proximité
avec ses clients et les élus.

10 www.poste-immo.fr
Avant-propos

Avec un parc de plus de 11 000 immeubles répartis sur


l’ensemble du territoire, l’immobilier de la Poste rime avec
territorialité et proximité.
Les missions de service public qui fondent l’identité du
Groupe confèrent à son immobilier un rôle singulier et
unique, notamment dans sa vocation sociétale.
© Marc Bertrand

L’immobilier, en tant que levier d’innovation et de


transformation, est au cœur de la problématique de
changement de la Poste aujourd’hui totalement ouverte à
la concurrence : performance économique, transformation
digitale, conditions de travail, accueil du public.
Depuis toujours, la Poste avec ses bureaux de Poste mais
aussi avec ses locaux tertiaires et d’activité a éprouvé
la pertinence des bâtiments mixtes au cœur des villes,
préfiguration symbolique des valeurs et des usages de
l’immobilier de demain.
L’immobilier ne peut plus se concevoir dans une vision
technique, juridique ou financière, il doit se penser comme
levier stratégique des problématiques sociétales au cœur de
la cité, offreur de solutions et de services à valeur ajoutée,
construits avec ses clients et ses parties prenantes. Il doit
prendre le tournant numérique pour servir la transformation
digitale du Groupe.
Tel est le champ de l’ambition ouvert à l’immobilier de la
Poste, porté par sa filiale Poste Immo et inscrit dans son
plan stratégique.
Les atouts de Poste Immo pour réussir, ce sont ses
collaborateurs, des professionnels à la double culture
immobilière et postale.
Le partenariat avec l’ESSEC démontre l’engagement de
Poste Immo en faveur de la recherche en immobilier et des
compétences d’aujourd’hui et de demain.

Dang Tran
Directeur Général Adjoint de Poste Immo

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Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

BNP Paribas Real Estate, principal prestataire de services immobiliers de dimension


internationale, propose une gamme complète de services couvrant l’ensemble
du cycle de vie d’un bien immobilier : Promotion, Investment Management,
Property Management, Transaction, Conseil et Expertise. BNP Paribas Real Estate
accompagne propriétaires, locataires, investisseurs et collectivités dans leurs
projets immobiliers grâce à sa connaissance des marchés locaux dans 36 pays
(16 implantations directes et 20 via son réseau d’alliances) en Europe, Moyen
Orient et Asie. BNP Paribas Real Estate est une société du Groupe BNP Paribas.

12 www.realestate.bnpparibas.com
Avant-propos

En tant qu’acteur global et majeur de l’immobilier, il nous


semble indispensable de nous associer à nos pairs pour
évaluer les changements qui impactent nos activités et
envisager les évolutions de notre secteur. C’est l’une des
raisons pour lesquelles nous parrainons la Chaire Immobilier
et Développement Durable de l’ESSEC depuis plus de 10 ans
© Thomas Gogny

et participons à ce titre à l’élaboration de ses cahiers annuels.

Les mutations à l’œuvre au sein de l’immobilier tertiaire


sont majeures et viennent remettre en question l’image
classique du bureau. C’est plus particulièrement le cas pour
les sièges sociaux, première vitrine de l’entreprise, outil de
management et levier de création de valeur pour l’entreprise.

L’évolution des modes de travail est l’une des principales


mutations à l’œuvre qui contribue à remodeler l’immobilier
de demain. Le télétravail, la mobilité et le nomadisme nous
poussent à repenser les espaces pour garantir plus de
flexibilité, plus de convivialité et faciliter les missions en
mode projet.

Ce cinquième Cahier de la Chaire Immobilier et


Développement Durable de l’ESSEC nous permet d’évoquer
ces mutations et l’avenir des sièges sociaux des entreprises,
que ce soit en termes de localisation mais aussi d’offre aux
utilisateurs. Dans un contexte de compétition accrue entre
les grandes métropoles, il nous est indispensable d’anticiper
ces mutations et de faire de Paris et plus largement de la
France une place attractive pour les entreprises.

Thierry Laroue-Pont
Président du Directoire de BNP Paribas Real Estate

13
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

Connexion, performance, efficience énergétique, datas : dans un monde en


évolution permanente, VINCI Energies accélère le déploiement des nouvelles
technologies pour concrétiser deux mutations majeures : la transformation
digitale et la transition énergétique.
Décodeur de ces marchés, VINCI Energies accompagne ses clients en intégrant
toujours plus d’innovation dans ses offres, de la conception à la réalisation,
l’exploitation et la maintenance.
Ancrées dans les territoires et organisées en mode agile, les 1 600 entreprises
de VINCI Energies rendent les infrastructures d’énergie, de transport et de
communication, les usines ainsi que les bâtiments chaque jour plus fiables, plus
sûrs et plus efficients.

14 www.vinci-energies.com
Avant-propos

Contribuer à faire de l’immobilier de demain un véritable


lieu de vie, parfaitement connecté à une ville résolument
tournée vers les services aux citoyens est une des principales
ambitions de VINCI Energies et de ses 65 000 collaborateurs
dans le monde.

En Europe, VINCI Facilities fait vivre plus de 30 millions de


m² d’immobilier tertiaire chaque jour. Ce sont ainsi plus de
8 000 collaborateurs qui prennent soin des occupants et
des bâtiments.

Chaque année, ce sont près de 500 jeunes diplômés de


grandes écoles qui rejoignent les équipes de VINCI Energies
et plus largement VINCI et contribuent par leur formation,
leur esprit d’entreprise et leur capacité d’innovation à
faire de notre groupe un acteur mondial des métiers des
concessions, de la construction et des services associés.

Être partenaire de la Chaire Immobilier et Développement


Durable est une opportunité unique de conjuguer l’expertise
de nos équipes, les capacités de recherche de l’ESSEC et
la créativité de ses étudiants. Nous pourrons ainsi, dans un
esprit de co-innovation, favoriser l’émergence de réponses
concrètes aux défis auxquels seront confrontées les villes
de demain.

Hervé Adam
Directeur Général de VINCI Energies France

15
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

VINCI Immobilier, filiale du groupe VINCI, est un des principaux acteurs de la


promotion immobilière en France.
Implanté dans une quinzaine de villes à Paris et en régions, VINCI Immobilier
est présent sur les deux grands secteurs du marché : l’immobilier résidentiel
(logements et résidences gérées) et l’immobilier d’entreprise (bureaux, hôtels,
commerces), s’adressant ainsi aux investisseurs, institutionnels et aux particuliers.
VINCI Immobilier apporte également à ses clients son expertise en matière
de conseil et de gestion d’immeubles tertiaires à travers son pôle « services ».
Grâce à son offre multi-produits et son expertise dans la réalisation de grands
projets complexes, VINCI Immobilier accompagne les collectivités locales
pour la réalisation de leurs opérations d’aménagement et participe ainsi au
développement des zones urbaines.

16 www.vinci-immobilier.com
Avant-propos

Notre récent partenariat avec la Chaire Immobilier et


Développement Durable de l’ESSEC démontre notre volonté
de partager notre expertise de promoteur immobilier avec
nos pairs pour faire avancer la recherche et répondre aux
© Christine Ledroit-Perrin

nouveaux défis du secteur.

L’immobilier tertiaire n’échappe pas aux mutations


économiques, sociologiques et environnementales qui
bouleversent actuellement le secteur immobilier. L’ère du
digital transforme progressivement les habitudes de travail.
Leur évolution vers plus de mobilité, de partage, d’ouverture
ou encore d’ultra-connectivité fait émerger une offre tertiaire
hybride et différenciée comme les espaces de coworking.
Cette grande tendance rénove en profondeur notre façon
d’imaginer un projet immobilier de bureaux. Nous devons
concevoir des bâtiments modulables et flexibles pour
répondre aux impératifs d’évolutivité et de rentabilité
des investisseurs, mais aussi aux exigences de flexibilité
des futurs utilisateurs. Désormais, c’est la valeur d’usage
des bâtiments, et non uniquement leur performance, qui
constitue un critère essentiel pour les investisseurs et les
futurs locataires.

Ce n’est pas le seul enjeu du secteur de l’immobilier tertiaire


évoqué dans ce cinquième numéro des Cahiers de la Chaire
Immobilier et Développement de l’ESSEC : le Grand Paris
et ses conséquences sur la structure du marché francilien,
les impératifs de développement durable ou encore les
problématiques du marché des bureaux dans les métropoles
sont autant de sujets décryptés dans cette édition. Et je suis
heureux que VINCI Immobilier puisse être associée à cette
contribution.

Olivier de la Roussière
Président de VINCI Immobilier

17
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

Créateur de performance durable

PERIAL est un acteur global à la croisée du monde de l’épargne et de l’immobilier.


Spécialiste de l’épargne immobilière, le Groupe PERIAL, présidé par Eric
COSSERAT, est un groupe familial indépendant, pure player de l’immobilier, qui
crée de la valeur immobilière et de la performance durable à travers ses différents
produits (SCPI, OPCI) depuis sa création en 1966.
L’activité de PERIAL s’articule autour de trois métiers : la gestion d’actifs
immobiliers avec PERIAL Asset Management, la gestion locative et le syndic de
copropriété avec PERIAL Property Management et la promotion immobilière
avec PERIAL Développement. Par l’intégration de ces trois métiers, PERIAL
développe une profonde connaissance de ses marchés et de ses clients, qu’ils
soient investisseurs particuliers ou institutionnels, propriétaires ou locataires.
PERIAL Asset Management assure également la distribution de ses produits
auprès des Conseillers en Gestion de Patrimoine (CGP), banques privées,
compagnies d’assurance, réseaux nationaux et investisseurs institutionnels.
Le Groupe PERIAL emploie à ce jour plus de 160 collaborateurs et le montant de
ses actifs sous gestion (SCPI, OPCI) s’élève à plus de 2,5 milliards d’euros.

18 www.perial.com
Avant-propos

C’est avec beaucoup d’enthousiasme que PERIAL a rejoint


en 2016 la Chaire Immobilier et Développement Durable
de l’ESSEC en tant que partenaire. Notre groupe a célébré
l’année dernière ses 50 ans d’existence. De la naissance
de l’épargne immobilière avec la création des SCPI, à la
révolution verte de l’immobilier du tertiaire depuis le début
des années 2000, nous innovons et nous faisons évoluer le
marché de l’immobilier et celui de l’épargne immobilière. La
transmission de notre expérience et du savoir accumulé aux
générations futures fait partie de nos missions. La possibilité
qui nous est aujourd’hui offerte de le faire également dans
le cadre de l’ESSEC est un prolongement naturel de notre
action.

La « génération Y », les moins de 35 ans, est particulièrement


concernée par les enjeux sociétaux qui gravitent autour
du monde de l’immobilier : les nouveaux modes de travail,
la gestion vertueuse de l’énergie consommée par le parc
immobilier, l’aménagement du territoire… Autant de questions
qui structurent chaque jour l’élaboration de nos véhicules
d’investissement et notre politique de gestion d’actifs. Pour
accompagner le développement de PERIAL et imaginer nos
futurs produits, nous avons besoin de recruter des jeunes
talents pour croiser leur créativité avec nos expertises. Ce
partenariat s’inscrit donc dans le cadre de notre volonté
d’engagement auprès de ceux qui seront les acteurs de
l’immobilier de demain. En transmettant, en questionnant et
en échangeant avec les nouvelles générations, nous posons,
ensemble, les premières pierres d’une nouvelle forme de
création de valeur durable, responsable et humaine.

Nous croyons que les performances qui durent sont les seules
qui comptent. Nous entendons inscrire ce partenariat dans
la durée, en capitalisant sur un enrichissement réciproque
des étudiants de la Chaire et de PERIAL.

Eric Cosserat
Président de PERIAL

19
Ingrid Nappi-Choulet
Ingrid Nappi-Choulet est chercheur et professeur à l’ESSEC,
titulaire de la Chaire Immobilier et Développement Durable qu’elle
a créée en 2003. Habilitée à diriger des recherches en gestion
et en aménagement-urbanisme, elle enseigne l’économie et le
© Gaël Dupret

management de l’immobilier. Elle est également fondatrice et


responsable de l’OMI (Observatoire du management immobilier).

Elle a écrit de nombreux articles sur les cycles immobiliers et sur le management de
l’immobilier d’entreprise. Elle est l’auteur de plusieurs ouvrages : Les bureaux, analyse
d’une crise (éditions ADEF, 1997), Management et Marketing de l’immobilier (éditions
Dunod, 1999), Les mutations de l’immobilier : de la Finance au Développement durable
(éditions Autrement, 2009) et Immobilier d’entreprise : analyse économique des marchés
(éditions Economica, 2010, 2013). Elle anime par ailleurs régulièrement des chroniques sur
l’immobilier de bureaux, consultables sur www.ingridnappichoulet.com.

Simon Labussière
Simon Labussière, diplômé d’un Master en aménagement et
urbanisme à l’université Paris 1 – Panthéon Sorbonne, s’intéresse
notamment aux problématiques de réhabilitation des espaces
urbains. Il a rejoint la Chaire Immobilier et Développement Durable
de l’ESSEC en 2013 pour contribuer à l’animation de la recherche
dans le domaine de l’immobilier et des mutations urbaines.

20
Introduction
La grande majorité des acteurs publics pour elles de considérer leur intégration
locaux voient d’un très bon œil la pré- dans le tissu urbain environnant, ainsi
sence de bureaux sur leur territoire. que les choix d’aménagement intérieur
Garants d’une vitalité économique qui seront les mieux alignés à leurs
recherchée, ils sont également béné- objectifs et à leurs valeurs. Les choix
fiques aux finances locales grâce à la opérés à chacune de ces échelles – ville,
contribution économique dont leurs quartier, intérieur – par une entreprise
utilisateurs s’acquittent. Ils assurent pour son ou ses immeuble(s) de
la présence d’emplois sans être géné- bureaux s’avèrent au bout du compte
rateurs des nuisances associées aux éminemment stratégiques, car ils
activités logistiques et industrielles, sont à la fois la traduction spatiale
et préservent les communes du d’un projet d’entreprise, le reflet d’un
statut peu envié de « villes-dortoirs ». certain nombre de valeurs, la vitrine
Moyennant une certaine masse cri- d’un attachement plus ou moins
tique, ils attirent dans leur sillage des fort aux enjeux environnementaux
commerces, des activités, parfois des et le réceptacle des attentes des
opérations de logements. S’ils sont collaborateurs. Compétition entre
synonymes de réalisations architectu- territoires pour attirer à eux l’activité
rales de prestige, c’est encore mieux. économique, distribution spatiale des
Au besoin, ils peuvent conférer aux col- fonctions urbaines, prise en compte des
lectivités une légitimité à revendiquer impératifs du développement durable,
auprès des autorités compétentes une porosité entre vie professionnelle et
amélioration de l’accessibilité. Bref, ils vie personnelle : autant d’enjeux en
sont volontiers considérés comme les apparence bien distincts, mais qui
fers de lance du développement local, tous sont mobilisés dès lors que l’on
alors même que les études relatives s’interroge sur l’avenir de l’immeuble
à cette question tendent à mon- de bureau.
trer qu’en la matière, les entreprises
sont davantage suiveuses que pion- Ce cinquième numéro des Cahiers de
nières. L’implantation d’immeubles la Chaire Immobilier et Développement
de bureaux sur tel ou tel territoire Durable se propose de réfléchir aux
attesterait donc de sa bonne santé enjeux à la fois territoriaux et mana-
économique, laquelle, à son tour, serait gériaux auxquels sont confrontés les
dopée par ces nouvelles arrivées. Les immeubles de bureaux et leurs uti-
bureaux ont beau n’être qu’un des lisateurs. À travers une vingtaine
aspects de l’attractivité globale des d’entretiens conduits auprès de cher-
territoires, ils ont tendance à focali- cheurs, d’architectes, d’acteurs publics
ser les rêves, les ambitions et donc et du monde de l’entreprise, cet
les stratégies déployées pour en faire ouvrage propose une diversité d’éclai-
autant de réalités tangibles. rages sur les défis actuels et les avenirs
possibles pour l’immeuble de bureau,
Du côté des entreprises, la question de dans un contexte sociétal, économique
leur localisation à la vaste échelle des et financier en pleine mutation. Il vise
villes et des métropoles n’est qu’un à analyser sa place et son rôle dans le
enjeu parmi d’autres. À charge aussi développement urbain, en faisant un 21
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

focus sur l’agglomération parisienne, proposée ici illustre bien comment,


marquée par la concrétisation progres- chacune suivant sa propre stratégie, les
sive du Grand Paris. grandes villes capitalisent sur la pré-
sence de ces bureaux pour asseoir leur
Parfois marqueurs incontournables du développement. Symboles de puis-
paysage des villes, parfois intégrés de sance et de bonne santé économique,
manière beaucoup plus discrète dans considérés comme décisifs pour l’at-
les tissus urbains, les immeubles de tractivité internationale, les immeubles
bureaux sont d’abord créateurs de de bureaux n’emportent toutefois pas
valeur pour les territoires. En Europe, toujours le consensus à l’échelle locale
depuis l’amorce de la constitution des (manque d’ouverture sur la ville, ombre
quartiers d’affaires dans les années portée sur les quartiers avoisinants,
1950, les immeubles de bureaux impact sur la saturation des systèmes
ont été au cœur des stratégies de transports les desservant). Ce
d’attractivité des villes de dimension constat dit bien l’importance de veil-
internationale, dans un contexte où ler à ce que ces immeubles soient, à
mondialisation et métropolisation ont toutes les échelles, créateurs de valeur
déplacé la compétition du niveau des pour les territoires.
Etats vers le niveau des villes. Par la
suite, la financiarisation de l’immobilier Si l’exemple du Grand Paris mérite
à compter des années 1990, sur ici d’être analysé, c’est précisément
laquelle revient Ingrid Nappi-Choulet, parce que son objectif est de conforter
a conduit les entreprises à considérer le rang de Paris parmi les grandes
les immeubles de bureaux comme métropoles mondiales. Il commence
des actifs à part entière, intégrés à d’ailleurs aujourd’hui à prendre corps
des portefeuilles et impliquant des et à passer à la phase opérationnelle.
arbitrages. En dépassant son simple La Métropole du Grand Paris (MGP)
statut de réceptacle des activités, et est entrée en fonction au 1er janvier
donc de fonction support, l’immeuble 2016 ; les travaux du nouveau réseau
de bureau est devenu partie intégrante de transports, le Grand Paris Express
(GPE), ont quant à eux démarré en
mai 2016. Parmi les nombreux enjeux
« L’une des grandes interrogations dont est porteur soulevés par le Grand Paris, se joue ici
le Grand Paris concerne sa capacité à entraîner une une nouvelle étape de l’éternelle rivalité
redistribution spatiale des activités et des ménages, avec Londres, dont Robin Goodchild
à mesure que s’améliore l’accessibilité de secteurs et Ben Burston détaillent les atouts et
de la métropole jusque-là délaissés, voire les faiblesses sur les plans urbain et
résolument “hors marché”. » immobilier.

L’une des grandes interrogations dont


des stratégies des entreprises. Ces est porteur le Grand Paris concerne sa
dernières ont dès lors étudié avec un capacité à entraîner une redistribution
soin tout particulier leurs implantations, spatiale des activités et des ménages,
accentuant la compétition entre les à mesure que s’améliore l’accessibilité
territoires pour les accueillir. de secteurs de la métropole jusque-là
délaissés, voire résolument « hors
L’analyse comparée des parcs de marché » aux dires des observateurs
22 bureaux de Londres, Paris et Bruxelles immobiliers. A considérer les ambitions
Introduction

originelles du Grand Paris, cet impact normes attendues par le marché


aurait dû être assez puissant du fait semble d’autant plus nécessaire que
d’une volonté d’organiser la métropole l’alternative de la reconversion en
suivant une logique de clusters logements, véritable serpent de mer,
économiques, lesquels, comme n’est jamais entrée dans les pratiques de
l’explicite Daniel Béhar, auraient été manière significative, à la différence de
reliés entre eux et avec les principaux Bruxelles où elle a fortement contribué
hubs de transport par le nouveau à la résorption de la vacance, comme
métro. Cette logique d’agrégation en en témoigne Christian Lasserre.
polarités « thématiques », abandonnée
en cours de route, a peu à peu laissé Les visions prospectives sur les effets
place à une vision très différente, du Grand Paris Express s’accordent
selon laquelle les gares du Grand Paris en tout cas sur un point : la demande
Express seraient les noyaux d’autant susceptible d’être captée par les
de nouveaux quartiers, mixtes mais nouveaux bureaux qui seront édifiés à
caractérisés par un certain tropisme en proximité des futures gares proviendra
faveur du bureau. Dans ce cas, constate probablement surtout d’entreprises
Vincent Gollain, le léger desserrement déjà implantées en Île-de-France,
des mètres carrés tertiaires du centre au moins dans un premier temps. Si,
vers la périphérie amorcé il y a une comme le souligne Dominique Dudan,
vingtaine d’années aurait pris une ces déménagements, en prenant le
toute autre ampleur. pas sur les arrivées nettes, ne font pas
les affaires d’un projet global conçu
Cette vision alternative, que d’aucuns pour doper l’attractivité internationale
qualifient de « saupoudrage », est de l’agglomération francilienne, ils
rapidement apparue tout aussi présentent en revanche l’intérêt
irréaliste que celle des clusters. D’une de contribuer à un rééquilibrage
part, la présence d’une gare n’est pas fonctionnel en faveur de secteurs de
en elle-même un argument suffisant la métropole jusque-là en manque
pour transformer ses alentours en d’activités et d’emplois.
une localisation stratégique pour les
entreprises ; d’autre part, l’addition des A rebours de la tendance naturelle
opérations de bureaux neufs imaginées des entreprises à l’agrégation et aux
par les communes aboutissaient à économies d’échelles, cette meilleure
un total se chiffrant en millions de répartition des lieux du travail pourrait
mètres carrés, soit très au-dessus ainsi contribuer à atténuer les grands
des besoins de moyen terme compte déséquilibres franciliens, notamment
tenu des perspectives de croissance celui entre l’ouest, riche en emplois, et
économique avancées par tous les l’est, plus résidentiel. Ce renversement
indicateurs. Dès lors, Pierre Mansat de dynamique n’implique d’ailleurs pas
résume parfaitement la problématique : la relocalisation loin de leurs territoires
faut-il construire de nombreux mètres d’élection des sièges sociaux et des
carrés supplémentaires dans un grands immeubles de bureaux : suivant
contexte où les besoins identifiés un mouvement amorcé depuis quelques
sont limités, et le parc actuel, années, ces derniers ont bel et bien
majoritairement ancien, marqué par cessé d’être les lieux uniques du travail.
une obsolescence avérée ? Or, pour Cette dynamique, qui s’impose comme
ces immeubles datés, la remise aux l’une des grandes mutations actuelles 23
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

touchant le monde et les lieux du « Les grands immeubles de


travail, résulte d’un double phénomène. bureaux sont aujourd’hui tenus de
D’un côté, la porosité croissante entre se réinventer pour rester le lieu
vie personnelle et professionnelle indépassable de convergence des
amène les salariés à travailler, certes, collaborateurs. »
au sein de leur entreprise, mais aussi
à leur domicile, dans les transports ou immeubles de bureaux sont aujourd’hui
dans les espaces publics, ce qu’a rendu tenus de se réinventer pour rester le
possible la révolution numérique. De lieu indépassable de convergence des
l’autre côté, l’évolution des modes de collaborateurs, où ces derniers n’auront
travail ainsi que la recherche d’une plus le besoin formel, mais auront
meilleure qualité de vie a entraîné la toujours l’envie de se rendre la majorité
multiplication des tiers-lieux, dont les du temps, même si un recours mesuré
espaces de coworking sont les figures aux tiers-lieux peut occasionnellement
de proue, mais aussi de concepts les en tenir éloignés, au nom du confort
architecturaux hybrides, comme l’Hôtel de vie au quotidien. Si les entreprises
Métropole imaginé par Dominique sont aujourd’hui en quête d’une
Perrault. La conséquence de ce double attractivité renouvelée pour leurs
phénomène semble évidente : les implantations principales, c’est donc
sièges sociaux et les grandes plates- pour conforter une image de marque
formes d’entreprises seraient délaissés nécessaire à l’obtention de nouveaux
au profit de cette nébuleuse de lieux business et au recrutement de jeunes
alternatifs du travail, plus innovants, talents, mais aussi, tout simplement,
plus pratiques, favorisant davantage pour que ces immeubles demeurent un
les interactions entre des mondes instrument de séduction, de fidélisation
professionnels différents, capables et de sentiment d’appartenance
d’être des sources d’inspiration pour leurs propres collaborateurs.
mutuelles. Ce discours, dont les trois Lieu emblématique de concentration
mots-clés pourraient être bien-être, de sièges sociaux, la Défense, plus
performance et sérendipité, rencontre grand quartier d’affaires d’Europe,
aujourd’hui un écho médiatique est concerné en premier chef par cet
particulièrement conséquent. impératif de réinvention : Jean-Claude
Gaillot fait part de la stratégie déployée
Certains observateurs ont poussé le en la matière par l’EPADESA, fondée
raisonnement jusqu’à prédire la fin à la fois sur la qualité architecturale
pure et simple du bureau classique et environnementale des immeubles,
et donc des grands immeubles de la rénovation des bâtiments en voie
bureaux, concurrencés de manière d’obsolescence, et l’amélioration de la
irréversible par ces lieux alternatifs du mixité des fonctions urbaines et de la
travail. A cette fractalisation des lieux diversité des preneurs.
du travail viendrait s’ajouter l’essor du
travail indépendant, conduisant les Mais s’il est une thématique qui foca-
analyses les plus radicales à prédire lise l’attention médiatique, plus encore
la fin du salariat dans les prochaines que toutes celles énoncées ci-dessus,
décennies. Même si la menace qui c’est bien celle de l’aménagement des
pèse sur eux paraît moins immédiate espaces de travail. Il faut admettre
et moins absolue qu’on le lit parfois, que le workplace management est un
24 il n’en reste pas moins que les grands puissant levier de performance pour
Introduction

les entreprises, qui permet à la fois, prêtent pas à ces partis pris d’amé-
comme le démontrent de concert nagement qui, avant-gardistes il y a
Thierry Laroue-Pont et Raphael quelques années, tendent désormais
Gielgen, d’accroître le bien-être et la à être au fondement d’une certaine
productivité des collaborateurs ainsi standardisation.
que leurs interactions, d’améliorer le
bilan environnemental de l’immeuble, Dans un contexte où les bâtiments
d’influer favorablement sur l’image résidentiels et tertiaires représentent
de l’entreprise et de comprimer les encore, en 2015, 45 % de l’énergie
coûts immobiliers. On pourra toute- consommée en France, la question se
fois attirer l’attention sur deux écueils pose par ailleurs des leviers encore
possibles. Le premier concerne l’im- à disposition des entreprises pour
portance accordée aux attentes des réduire l’empreinte environnemen-
jeunes générations vis-à-vis de leurs tale de leur parc immobilier. En effet,
espaces de travail, considérées comme entre contraintes réglementaires
très différentes de celles de leurs aînés. toujours plus poussées et nécessité
Si la démarche est louable, voire indis- d’être en pointe sur ces enjeux pour
pensable en vue d’attirer les talents livrer des produits pleinement dans
de demain, elle ne doit toutefois pas le marché, promoteurs et investis-
se faire au détriment des collabora- seurs ont développé des stratégies
teurs plus âgés, qui n’ont pas le même volontaristes au service de l’efficacité
rapport à l’open space ou au tout- énergétique. Dès lors, les certifications
numérique. Par ailleurs, la vision que environnementales classiques tendent
les générations Y et Z portent de leurs à devenir de moins en moins différen-
espaces de tra- ciantes. Face à la
vail sont parfois faible marge d’amé-
« Dans un contexte où les
plus conservatrices lioration possible
bâtiments résidentiels et
qu’on veut bien du côté des sys-
tertiaires représentent
le dire, comme tèmes techniques
encore, en 2015, 45 % de
en attestent les et technologiques,
l’énergie consommée en
résultats de l’en- Christophe Rousseau
France, la question se
quête Mon bureau plaide donc pour
pose des leviers encore à
de demain, que un changement de
disposition des entreprises
présente Simon paradigme au profit
pour réduire l’empreinte
Labussière. Le d’un travail accru
environnementale de leur
second écueil de sensibilisation
parc immobilier. »
concerne le référen- des occupants qui,
tiel érigé en modèle via des comporte-
de manière assez systématique s’agis- ments de plus en plus responsables,
sant de l’aménagement des espaces constituent un puissant levier pour
de travail : celui de la start-up cali- réduire la facture énergétique des
fornienne, associant notamment flex immeubles. Cette impulsion, qui néces-
office, importance des espaces de site un engagement fort des directions
détente et omniprésence des outils immobilières, illustre le rôle déci-
technologiques. Or, comme le souligne sif de la société civile en général et
Françoise Bronner, tous les métiers, des entreprises en particulier dans la
tous les secteurs d’activités et toutes construction d’un Grand Paris durable,
les configurations spatiales ne se souligne Nicolas Buchoud. 25
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

D’une manière générale, la durabilité Île-de-France où le Grand Paris com-


des immeubles de bureaux passe mence à se matérialiser. Pour illustrer
également, à toutes les étapes de la vie ce propos, ce cinquième numéro des
du bâtiment, par une collaboration plus Cahiers de la Chaire Immobilier et
poussée entre les différentes parties Développement Durable est organisé
prenantes – du promoteur à l’utilisateur en trois temps.
final en passant par l’investisseur
et le gestionnaire –, à l’image de ce Le premier chapitre propose une
que permet la maquette numérique. comparaison historique entre quelques
Ce décloisonnement des rôles de marchés européens des bureaux
chaque acteur de la filière immobilière emblématiques, mettant notamment
contribue, d’après Benjamin Mercuriali, en lumière la rivalité ancienne entre
à l’optimisation de la valeur verte Paris et Londres dans ce domaine. Il
de l’immeuble, mais aussi de sa pose également les enjeux propres à
valeur d’usage, ajoute Patrick Supiot. l’immeuble de bureaux en tant qu’objet
Cette dynamique tendant vers la architectural soucieux de son insertion
co-construction et la co-gestion n’est dans son environnement urbain.
pas sans évoquer les initiatives de la
Ville de Paris et de la Métropole du Le deuxième chapitre s’intéresse
Grand Paris pour renouveler la manière à la manière dont les bureaux sont
de construire la ville, via les appels à créateurs de valeur pour les territoires,
projets innovants « Réinventer Paris », en dressant un état des lieux des
« Réinventer la Seine » ou « Inventons la enjeux propres au marché des
Métropole ». bureaux francilien, dans un contexte
marqué par la construction du Grand
De l’ensemble de ces enjeux, on Paris. La première section décrypte
retiendra la complexité des arbitrages les espérances de redistributions
auxquels doivent se livrer les entre- spatiales suscitées par le Grand Paris
prises, que le contexte et notamment son
soit celui d’un regrou- « Outil de management pour réseau de transports.
pement de sites, les entreprises, moteur de La deuxième section
comme l’illustre Dang l’attractivité des territoires, vient attester de la
Tran, d’un déména- l’immeuble de bureau invite bonne santé des deux
gement pour plus de constamment les acteurs de hauts-lieux franciliens
performance et de la filière à questionner leur de l’immeuble de
durabilité, comme responsabilité sociale et bureau que sont le
pour l’entreprise de environnementale. » Quartier Central des
Catherine Guizol, ou Affaires dans Paris
d’une nouvelle implantation au service intra-muros et le quartier d’affaires
d’une stratégie de résilience et de réé- de la Défense. Dans un troisième
quilibrage telle que celle décrite par temps, l’accent est mis sur les leviers à
Jean-Marc Castaignon. Outil de mana- actionner pour améliorer la contribution
gement pour les entreprises, moteur de l’immobilier d’entreprise grand-
de l’attractivité des territoires, l’im- parisien à un développement plus
meuble de bureau invite constamment durable de la métropole.
les acteurs de la filière à questionner
leur responsabilité sociale et envi- Le troisième chapitre, centré sur la
26 ronnementale, et particulièrement en manière dont les bureaux créent de
Introduction

la valeur pour les entreprises, vise à risque d’une certaine standardisation


examiner l’avenir du siège social et irréfléchie des partis pris. La deuxième
des grandes plates-formes tertiaires section s’attache aux notions de valeur
d’entreprise, et la manière dont ils verte et de valeur d’usage appliquées
peuvent continuer à être vecteurs de à l’immeuble de demain. L’ouvrage
valeur ajoutée en dépit de l’évolution se termine sur trois études de cas de
des lieux du travail et du rapport au stratégies d’entreprises au service de
travail. La première section traite de la la performance, de la durabilité et de
médiatique question de l’aménagement la résilience.
des espaces de travail, en pointant le

27
Chapitre 1

Le marché des
bureaux dans
les métropoles :
une comparaison
européenne
L’analyse des grandes mutations à l’œuvre au

sein des marchés immobiliers tertiaires, depuis

l’aménagement intérieur des immeubles de bureaux

jusqu’à leur distribution spatiale au sein des

systèmes urbains, ne saurait faire l’économie d’une

mise en perspective internationale permettant

de dépasser le seul cadre d’analyse français. De

Paris à Londres en passant par Bruxelles et Vienne,

ce chapitre réunit les regards de professeurs,

enseignants, chercheurs, et d’un architecte de

renommée mondiale, pour mieux appréhender

la trajectoire historique, les points communs

et les spécificités de quelques marchés des

bureaux emblématiques à l’échelle de l’Europe.


Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

Ont participé à ce chapitre :

Ingrid Nappi-Choulet
FRICS, Professeur-chercheur à l’ESSEC Business School,
Cergy-Pontoise, France

Robin Goodchild, PhD, FRICS, Directeur international


de la recherche et de la stratégie globale,
LaSalle Investment Management, Londres, et
Ben Burston, Directeur de la recherche en
immobilier d’entreprise et en investissement
pour le Royaume-Uni, JLL, Londres

Christian Lasserre
FRICS, Directeur Académique de l’Executive Master en
Immobilier, Université Saint-Louis, Bruxelles, Belgique

Dominique Perrault
Architecte et urbaniste, fondateur de
Dominique Perrault Architecture, Paris

30
Chapitre 1 Le marché des bureaux dans les métropoles : une comparaison européenne

Entretien avec Ingrid Nappi-Choulet


FRICS, Professeur-chercheur à l’ESSEC Business School,
Cergy-Pontoise, France

Professeur-chercheur à l’ESSEC, Ingrid


Nappi-Choulet est également titulaire de
la Chaire Immobilier et Développement
Durable qu’elle a créée en 2002. Dans cet
entretien, elle dresse l’historique du marché
des bureaux parisiens tout au long des

© Gaël Dupret
cinquante dernières années, et revient sur
ses mutations actuelles et les défis auxquels
il se trouve confronté.

Quelles sont les grandes étapes logements en bureaux professionnels


de la constitution du marché ou commerciaux. Cette loi visait en
des bureaux parisiens depuis effet à contrer la pénurie de logements
l’après-guerre ? décents qui touchait la capitale, dans
un contexte socio-économique marqué
Plusieurs cycles se sont succédé depuis notamment par la hausse de la natalité
le début des années 1950. La période de et l’exode rural.
forte croissance qui a suivi la Seconde
Guerre mondiale, baptisée les Trente Sur la fin de cette période, la recherche
Glorieuses (1945-1975), a été marquée de progrès social, de compétitivité
par la tertiarisation de l’économie pour les entreprises et d’accélération
française et l’implantation en France de la modernisation des équipements
de sociétés multinationales porteuses publics soutenus par les 5ème et
de nouveaux besoins immobiliers, et 6ème Plans de Modernisation et
notamment d’importants espaces d’Equipement (1966-1970 et 1971-1975)
de bureaux dédiés à l’installation de a amené le gouvernement de l’époque
leurs sièges sociaux. C’est ainsi qu’ont à favoriser une politique urbaine
émergé les premières réflexions sur volontariste, propice aux opérations
l’immeuble de bureaux entièrement de rénovation urbaine dans un
consacré aux fonctions administratives, certain nombre de quartiers parisiens
sur le modèle américain des sièges fortement minés par l’insalubrité.
sociaux. C’est là une véritable
rupture, dans un contexte parisien Les opérations immobilières de
où le marché des bureaux était grande hauteur ont également été
jusqu’alors considéré comme un sous- encouragées par le gouvernement
marché du logement, et où plusieurs de Georges Pompidou, pour lequel
quartiers résidentiels haussmanniens « il n’y a pas d’architecture moderne
s’étaient vus transformés en sans tours ». Les premières tours
quartiers d’affaires, malgré la loi du locatives de bureaux voient ainsi le
1er septembre 1948 qui interdisait, jour et l’immeuble de bureaux devient
entre autres, la transformation de un produit immobilier développé 31
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

sur la base de l’identification d’une « Le modèle anglo-saxon


demande locative potentielle, et non généralise rapidement le bail
plus seulement un « clé-en-main » dit “investisseur”, développé à
destiné à un utilisateur identifié. Un l’origine pour les commerces,
nouveau marché dédié à l’immobilier à l’immeuble de bureaux monté
de bureaux locatifs se développe en blanc par un investisseur
alors, essentiellement sous l’impulsion locatif, dépassant ainsi le modèle
des développeurs britanniques qui des premières tours de bureaux
investissent en masse à Paris mais aussi, montées en copropriété, comme
à la même époque, à Bruxelles (voir la tour Montparnasse ou la tour
entretien avec Christian Lasserre). Ces Pleyel, toutes deux livrées en
développeurs généralisent la pratique 1973. »
des premiers immeubles de bureaux
neufs lancés « en blanc », c’est-à-dire millions de m² de bureaux construits
sans connaissance de l’utilisateur final. dans Paris intra-muros entre 1971 et
1974, s’arrête brutalement à la fin de
À Paris, des opérations de l’année 1973 suite au premier choc
constructions ou de rénovations pétrolier, laissant un marché en situation
d’immeubles de bureaux sont de suroffre, puis en hibernation totale.
entreprises dans le Quartier Central
des Affaires (QCA) ; quelques tours La reprise du marché s’amorce en 1986
de bureaux locatifs se construisent et sera sans précédent jusqu’en 1991.
également à l’initiative de promoteurs L’époque est alors à la compétition
anglo-saxons aux abords du nouveau entre les principales capitales
périphérique parisien, notamment les économiques européennes (Londres,
Mercuriales au niveau de la Porte de Bruxelles, Francfort) qui se font
Bagnolet (20ème arrondissement de concurrence afin d’attirer les sièges et
Paris), encouragées par la politique de les plus grands groupes internationaux,
l’agrément 1 qui favorisait la constitution pour répondre notamment à la
de pôles tertiaires périphériques dans dérégulation financière mondiale. C’est
l’est parisien ainsi que dans les villes l’âge d’or euphorique de l’immobilier
nouvelles. Le modèle anglo-saxon parisien, notamment dans le QCA où
généralise rapidement le bail dit il est à nouveau possible de construire
« investisseur », développé à l’origine des immeubles de bureaux, grâce à la
pour les commerces, à l’immeuble libéralisation en 1985 de l’agrément qui
de bureaux monté en blanc par un avait régulé pendant près de 30 ans la
investisseur locatif, dépassant ainsi promotion de bureaux dans Paris intra-
le modèle des premières tours de muros. Des îlots entiers d’immeubles
bureaux montées en copropriété, sont lourdement restructurés selon le
comme la tour Montparnasse ou la modèle du « façadisme » (on ne conserve
tour Pleyel, toutes deux livrées en 1973. du bâtiment d’origine que la façade, en
Ce boom immobilier du début des raison de sa qualité esthétique, voire
années 1970, représentant plus de trois parce qu’elle est classée). Plusieurs

1 Créée en 1955 pour les locaux industriels, étendue en 1958 aux locaux tertiaires et en 1965 aux locaux de stockage, la procédure
d’agrément est une autorisation administrative préalable à toute opération de localisation de ces activités économiques,
notamment en région Île-de-France. Elle permet aux pouvoirs publics de contrôler la répartition des entreprises sur le
territoire. Elle a été assouplie au fil du temps, notamment avec la disparition en 2000 de l’agrément dit « utilisateur », qui
32 imposait à ces derniers de demander un agrément avant de s’installer dans des locaux d’activités existants en Île-de-France.
Chapitre 1 Le marché des bureaux dans les métropoles : une comparaison européenne

paquebots de 30 000 à 50 000 m² Quels sont aujourd’hui les


de bureaux neufs dits aux « standards principaux défis et mutations du
internationaux » sont livrés dans le QCA marché parisien des bureaux ?
mais également dans les quartiers de
bureaux nouvellement créés (Tolbiac, Le premier phénomène majeur est à mes
Bercy, etc.). yeux celui de l’obsolescence du parc
de bureaux à Paris intra-muros comme
Cette euphorie immobilière, encou- dans sa périphérie, et notamment
ragée par un contexte financier dans le croissant ouest qui regroupe
spécifique, finit par entraîner une les marchés de proche couronne les
surchauffe du marché et l’explo- plus dynamiques, tous situés dans le
sion d’une bulle spéculative en 1991 2, département des Hauts-de-Seine : Issy-
comme cela a été le cas à moindre les-Moulineaux, Boulogne-Billancourt,
échelle dans les autres capitales euro- le quartier d’affaires de la Défense
péennes. Le marché demeure en berne et désormais également Clichy-la-
jusqu’à l’arrivée, en 1997, des fonds Garenne. Le vieillissement de ce parc
est dû au fait qu’il est largement hérité
des années 1970. À l’échelle de l’Île-de-
France dans son ensemble, 46 % du
« Les immeubles de bureaux parisiens
parc a plus de 50 ans 4 ! Par ailleurs,
des années 1960 se sont insérés dans
à la différence de Bruxelles, où des
le Paris cristallisé des immeubles de
opérations brutales de démolition/
rapport haussmanniens. Tout le défi est
reconstruction ont marqué le paysage
donc de parvenir à les moderniser et à
urbain dans les années 1970, et surtout
les faire correspondre aux besoins des
de Londres, dont nombre d’immeubles
utilisateurs. »
ont été détruits durant la guerre et
reconstruits ensuite, les immeubles de
bureaux parisiens des années 1960 se
d’investissement nord-américains dits sont insérés dans le Paris cristallisé des
« opportunistes », accompagnés par immeubles de rapport haussmanniens.
leurs banques d’affaires telles que Tout le défi est donc de parvenir à les
Goldman Sachs ou Morgan Stanley 3, moderniser et à les faire correspondre
qui se portent acquéreurs aussi bien aux besoins des utilisateurs. Les
des créances douteuses que des actifs certifications environnementales
vides montés pendant la période désormais largement répandues,
d’euphorie. C’est la période dite de qu’elles soient françaises (HQE) ou
financiarisation du secteur immobilier internationales (BREEAM et LEED),
et, en l’occurrence, du marché parisien. imposent à l’ensemble du parc de
Déjà international et global depuis les bureaux de gagner en performance
années 1960, le marché parisien prend environnementale ; or cette nécessité,
alors une nouvelle dimension, avec des bien intégrée à toute opération
volumes d’investissement inégalés, neuve, est en revanche un défi de
d’un facteur multiple de quatre entre taille s’agissant du parc existant, qui
1991 et 1997. ne se renouvelle que de 1 % par an.

2 I. NAPPI-CHOULET, Les bureaux, analyse d’une crise, Éditions ADEF, 1997.


3 À lire : Chroniques d’histoire immobilière, Immoweek, disponibles sur www.ingridnappichoulet.com.
4 ORIE (Février 2016) & Grand Paris Office Crane Survey (Septembre 2015). 33
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

La problématique de l’obsolescence, aboutie. La Ville de Paris, de son


très prononcée à Paris, distingue côté, est également très favorable à
donc fortement ce marché des autres l’émergence d’immeubles innovants,
marchés européens. mais aussi aux nouveaux processus

1 %
de production de la ville, à l’image du
La deuxième mutation importante fameux appel à projets « Réinventer
du marché des bureaux parisiens Paris » lancé en 2015, et qui a connu
intra-muros est la résultante de la depuis diverses déclinaisons.
Le taux de financiarisation du secteur, ayant eu
renouvellement annuel pour corollaire l’accroissement des J’aimerais citer une dernière grande
du parc de bureaux en
loyers, des valeurs locatives, mais mutation à l’œuvre qui est liée à la
Île-de-France.
également des valeurs vénales. Ce phé- concurrence que se livrent depuis
nomène de financiarisation a conduit près d’un demi-siècle Paris et Londres
les grandes entreprises dont les sièges s’agissant d’attirer les grandes entre-
sociaux sont historiquement implan- prises, et donc de leur offrir un cadre
tés à Paris à définir et prendre en parfaitement adapté à leurs activités.
compte le coût global de leur immo- Si la manne était plutôt, dans les
bilier. Cette prise de conscience s’est années 1960, les multinationales ou les
accompagnée d’un renforcement des cabinets de conseil et d’avocats, elle
politiques de Responsabilité Sociétale est aujourd’hui clairement à chercher
et Environnementale (RSE), lié à la du côté des acteurs de la nouvelle éco-
fois à une sensibilité nomie, dont les
croissante aux enjeux « Réduction des coûts besoins immobiliers
environnementaux immobiliers, installation sont assez spéci-
et à un cadre régle- dans des locaux fiques, et du besoin
mentaire de plus plus respectueux de ressenti par les entre-
en plus fourni en la l’environnement : ce double prises d’évoluer aux
matière (avec les lois enjeu a amené nombre côtés des start-ups,
Grenelle I et II notam- d’entreprises à étudier en jouant à plein sur
ment). Réduction l’idée d’un déménagement la valeur ajoutée per-
des coûts immobi- hors de Paris intra-muros. » mise par la révolution
liers, installation dans digitale. Les lieux
des locaux plus respectueux de l’envi- d’hébergement de ces acteurs font
ronnement : ce double enjeu a amené donc aujourd’hui l’actualité, qu’ils
nombre d’entreprises à étudier l’idée soient publics (le Cargo, dans le
d’un déménagement hors de Paris 19ème arrondissement de Paris) ou
intra-muros. privés (la Station F, dans le 13ème arron-
dissement). Nombre de nouvelles
Les surfaces ainsi libérées dans opérations tertiaires sont donc orien-
Paris peuvent alors constituer des tées non plus vers des fonctions de
opportunités immobilières pour des sièges sociaux de grands groupes,
développements nouveaux, qui sont mais à destination des entreprises de
encouragés moyennant une attention la nouvelle économie, avec par
particulière portée à la question de la exemple l’opération #Cloud livrée en
mixité urbaine, y compris à l’échelle 2016 dans le 2ème arrondissement de
de l’immeuble où elle est rarement Paris, en marge du QCA.

34
Chapitre 1 Le marché des bureaux dans les métropoles : une comparaison européenne

Entretien avec Robin Goodchild


PhD, FRICS, Directeur international de la recherche et
de la stratégie globale, LaSalle Investment Management, Londres
et Ben Burston
Directeur de la recherche en immobilier d’entreprise et
en investissement pour le Royaume-Uni, JLL, Londres
En tant que responsable de l’équipe de recherche et de stratégie globale de
LaSalle Investment Management, Robin Goodchild est chargé de la stratégie de
gestion d’actifs immobiliers dépassant les 10 milliards d’euros. Son rôle principal
consiste à identifier les opportunités sur les
marchés immobiliers européens et à formuler des
stratégies pour que les investisseurs puissent les
exploiter. Il est aussi chargé de développer de
nouvelles méthodes d’analyse des marchés et de gestion de portefeuilles. Ben
Burston dirige quant à lui la recherche en immobilier d’entreprise à Londres chez
Jones Lang LaSalle pour le Royaume-Uni depuis juin 2013. Dans cet entretien, les
deux hommes offrent une vue d’ensemble du marché londonien de l’immobilier
d’entreprise et identifient les différences avec le marché parisien.

Quelles sont les caractéristiques le West End s’est développé autour


clés du marché londonien de de Westminster, où les monarques
l’immobilier d’entreprise ? établirent le siège du gouvernement.
Quels cycles a-t-il connu ces Aujourd’hui, la City reste le quartier
dernières décennies ? privilégié des banques et des
compagnies d’assurance, tandis que
Le marché londonien de l’immobilier les grandes administrations sont
d’entreprise est le quatrième plus concentrées dans le West End, mais
important au monde (après New ce dernier attire également un large
York, Tokyo et Paris), avec un parc éventail de commerces de détail et
de 33 millions de d ’e n t re p r i s e s de
m² disséminé le long loisirs.
de la Tamise entre
« Aujourd’hui, la City reste
Reading et Canary
le quartier privilégié des Lo ndre s a co nnu
Wharf, sur 70 km. La
banques et des compagnies une expansi o n
majeure partie de ce
d’assurance, tandis que les rapide entre la fin du
parc immobilier est
grandes administrations XIXe siècle et 1939,
concentrée dans la
sont concentrées dans le grâce à la construction
City et dans le West
West End. » de lignes ferroviaires
End ; vieille de 2 000 de banlieue per-
ans, la City est le centre commercial mettant aux travailleurs de gagner
historique de Londres, tandis que facilement le centre-ville. Depuis 1945, 35
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

l’expansion physique de Londres attire des investissements majeurs


est fortement limitée par une poli- à Londres, notamment ceux de
tique d’aménagement instaurant une banques américaines. Il en résulte une
« ceinture verte » autour des secteurs hausse considérable de la demande
construits. À cette époque, Londres ne d’immeubles à grands plateaux
compte que des constructions de faible horizontaux, pouvant accueillir les
hauteur. Les bureaux commencent à salles de marchés modernes de
se développer à la fin des années 1950 l’époque. De tels immeubles sont
et connaissent une croissance accélé- difficiles à faire construire dans la
rée jusqu’en 1964, date à laquelle un City, qui applique alors une politique
nouveau gouvernement travailliste d’aménagement restrictive à l’égard
impose une interdiction de construc- des projets immobiliers de grande
tion dans tout Londres. Pendant cette envergure. Les promoteurs doivent
période, les nouvelles constructions se donc prospecter de nouveaux
concentrent dans le West End, particu- secteurs de Londres ; Canary Wharf,
lièrement dans le quartier de Victoria. dans les Docklands, est l’un d’eux.
L’interdiction de développement est En 1983, Canary Wharf est un dock
levée en 1970 à la suite d’un change- à l’abandon situé à 6 km à l’est de la
ment de gouvernement, et un essor City. Le gouvernement souhaite alors
éphémère culmine en 1973. C’est à réhabiliter la zone et pour y réussir,
cette période que débute la construc- offre à la fois des avantages fiscaux
tion de la première tour de bureaux de et des contrôles d’urbanisme très
Londres, la NatWest Tower (maintenant réduits. Un promoteur texan, G. Ware
appelée Tower 42), dans la City ; elle ne Travelstead, lance l’idée d’un complexe
sera achevée qu’en 1980. L’économie majeur d’immobilier d’entreprise à
du Royaume-Uni, en particulier celle Canary Wharf, destiné aux grandes
de Londres, subit un ralentissement banques et autres groupes majeurs.
sévère en 1974, qui entraîne une crise C’est ainsi qu’en partenariat avec la
financière presque aussi grave que la société canadienne Olympia & York,
crise finan-
cière mondiale
de 2008. Le
gouverne-
ment d o it
fa ire a p p e l
au Fo n d s
monétaire
international
en 1976. Peu
de projets de
bureaux ver-
© JLL

ront le jour
Évolution du taux de vacance des principaux sous-marchés de Londres
jusqu’en 1985. de 1970 à 2015.

Un autre essor immobilier se dessine la ligne d’horizon de Londres sera


à la fin des années 1980, stimulé transformée. Les autorités de la City,
par la fin de l’autorégulation des inquiètes à l’idée que les banques
36 services financiers de la City, qui et les autres sociétés du quartier
Chapitre 1 Le marché des bureaux dans les métropoles : une comparaison européenne

puissent toutes déménager plus en « Aujourd’hui, le marché de


aval, décident d’assouplir leur politique l’immobilier d’entreprise
d’aménagement afin de permettre la s’articule autour de plusieurs
construction du genre d’immeubles pôles. Les loyers les plus élevés
plébiscités par les grands groupes sont ceux des quartiers de
d’affaires. Mayfair et de St James, au cœur
du West End, qui accueillent les
L’essor immobilier de la fin des années bureaux des hedge funds et les
1980 livre des volumes record, juste au family offices. La City continue
moment où la demande subit l’impact d’attirer les acteurs financiers
négatif du ralentissement mondial de traditionnels tandis que les
1990, et le taux de vacance de la City sociétés de technologie, devenues
bondit à plus de 15 % (contre 1 % en celles louant le plus d’espace, lui
1986), assorti d’une baisse des loyers préfèrent d’autres quartiers non
de plus de 50 %. Depuis lors, l’offre conventionnels plus “tendance”
est devenue moins volatile, même si comme Shoreditch, King’s Cross
des pics plus modestes apparaissent et Southbank. »
en 2003, 2008-2009 et à l’heure
actuelle. Néanmoins, ce n’est que l’an continue d’attirer les acteurs financiers
dernier que les loyers de la City ont traditionnels tandis que les sociétés
renoué avec les maximales de 1988. Au de technologie, devenues celles louant
cours de la même période, les loyers le plus d’espace, lui préfèrent d’autres
ont augmenté de 60 % dans le West quartiers non conventionnels plus
End, car dans ce secteur les contrôles « tendance » comme Shoreditch, King’s
d’urbanisme sont beaucoup plus Cross et Southbank. Les cabinets
stricts, et le parc stagne. d’avocats et d’experts-comptables
tendent à s’installer dans le quartier
Aujourd’hui, le marché de l’immobilier de « Midtown », à l’ouest de la City et
d’entreprise s’articule autour de plu- près des tribunaux. Les Docklands
sieurs pôles. Les loyers les plus élevés sont plébiscités par les grandes socié-
sont ceux des quartiers de Mayfair et tés, particulièrement dans le domaine
de St James, au cœur du West End, des services financiers, mais le quartier
qui accueillent les bureaux des hedge commence à attirer les grandes admi-
funds et les family offices. La City nistrations, pour lesquelles Westminster
et Victoria
sont devenus
trop chers.
© JLL

Évolution des loyers « prime » des principaux sous-marchés de Londres de 1970 à 2015. 37
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

Quelle proportion des constructions soit occupés par les propriétaires, soit
est offerte à la location immédiate, placés, et 411 000 m² sont disponibles
sans accord de location préalable ? immédiatement. Ce nouveau parc
soulagera les pénuries de bureaux
Les fluctuations du développement de actuelles, et nous prévoyons une
l’immobilier d’entreprise constituent hausse de la vacance au cours de
un élément dynamique clé de cycles l’année, le taux de vacance actuel étant
de marché plus vastes. Londres a de 4,2 %.
connu une série d’expansions et de
contractions marquées dans son Quelles sont les grandes différences
développement immobilier, qui n’ont entre les marchés londonien
pas toujours exactement coïncidé avec et parisien de l’immobilier
les niveaux de demande, et ont donc d’entreprise ? Pourquoi cette
contribué à la volatilité historique du organisation en deux pôles entre
marché en matière de loyers et de la City et les Docklands ?
valeurs en capital.
Paris est le troisième plus important
Sur l’ensemble du marché du marché immobilier d’entreprise au
centre de Londres, le niveau moyen monde, avec un parc de 52 millions
d’achèvement des projets immobiliers de m². Même si Londres est classée
sur ces 20 dernières années est de quatrième, juste derrière Paris, son
440 000 m² par an, soit environ 2 % parc est substantiellement plus réduit,
du parc total. Sur ces projets achevés, représentant moins des deux tiers
210 000 m² par an en moyenne l’ont du volume du parc parisien. Cette
été sans placement préalable, soit différence est principalement due à la
juste en dessous de 50 % du total. distribution des parcs respectifs. Les
bureaux de Londres sont concentrés
Ces moyennes masquent une dans la City et le West End, avec
volatilité significative, avec une offre seulement 40 % du parc en-dehors
excédentaire au début des années de ces secteurs ; alors que 60 %
2000 ainsi qu’en 2009, et une offre du parc parisien est situé hors des
insuffisante en 2015-2016. Le manque 20 arrondissements et de la Défense,
relatif de nouveaux projets ces soit 18 millions de m² en couronne,
dernières années est peut-être un effet dans des secteurs de banlieue.
décalé de la crise financière, certains
promoteurs se montrant plus prudents Le marché londonien est légèrement
et les financements se faisant plus plus spécialisé que le marché parisien.
difficiles à obtenir – particulièrement En tant que capitales nationales,
auprès des banques – pour les projets les deux villes possèdent un
immobiliers sans demande placée. volume significatif de bâtiments
administratifs (voir l’entretien avec
Toutefois, un grand nombre de projets Christian Lasserre) ainsi qu’un large
immobiliers seront achevés cette éventail d’entreprises. Les services
année, pour un volume total prévu de financiers et technologiques sont
827 000 m² dans le centre de Londres, plus importants à Londres, et la
le plus important depuis 2003 et concentration des premiers dans la City
presque le double de la moyenne à long et à Canary Wharf n’a pas d’équivalent
38 terme. Sur ce total, 416 000 m² sont à Paris, même si un certain nombre de
Chapitre 1 Le marché des bureaux dans les métropoles : une comparaison européenne

sociétés financières sont regroupées dans une direction similaire au fil


autour de la Banque de France, dans du temps, mais s’il cherche à capter
le 2ème arrondissement. La Défense les acheteurs d’une vaste zone de
accueille aussi des sociétés financières, chalandise, il devra faire face à la forte
mais elles ne dominent pas le quartier concurrence d’un nouveau complexe
comme à Canary Wharf. commercial à Stratford.

Les loyers de bureaux sont sensi- Une étude de la New London


blement plus bas à Paris. Au taux de Architecture (NLA) en 2014 a
change actuel (1 GBP = 1,15 Euro), les identifié pas moins de 237 tours de
loyers les plus chers sont 75 % plus 20 étages ou plus en construction
élevés à Londres. De plus, il faut généra- à Londres ou titulaires d’un
lement compter autour de 60-65 livres permis de construire. Comment
le pied carré pour la location d’espaces s’explique ce foisonnement ? Quels
de travail modernes dans le centre de sont les principaux usages de ces
Londres. Le chiffre équivalent à Paris immeubles et où sont-ils situés ?
est d’environ 600-650 euros le mètre
carré, soit 20 % moins cher. Cette dif- La grande majorité des tours listées
férence est probablement due à la dans l’étude de la NLA sont à usage
plus grande volonté des acteurs résidentiel. Londres connaît une forte
publics parisiens non seulement de croissance des permis de construire
programmer des opérations immobi- accordés aux tours résidentielles ;
lières, mais aussi, par exemple, de les c’est la conséquence des exigences
faciliter via un montage d’opérations d’urbanisme, qui encouragent les pro-
adapté ; à Londres, c’est le secteur moteurs à livrer des biens situés sur
privé qui doit se charger de la mise d’anciens sites industriels ou près de
en œuvre entière du projet immobilier nœuds de transport en commun, tout
une fois le site alloué. en assouplissant les limites de den-
sité associées à ces projets. Au même
Il est logique de comparer les moment, Londres voit sa population
Docklands à la Défense, car tous deux augmenter, avec une forte demande
offrent des environnements de bureaux de logements en ville. La capitale
haut de gamme, bien desservis par verra sa population s’accroître d’envi-
les transports en commun et dotés ron 1 million d’habitants au cours de
d’un bon assortiment de commerces la prochaine décennie, alors qu’elle a
de détail et d’entreprises de loisirs. déjà augmenté dans des proportions
Cependant, la Défense est beaucoup similaires ces dix dernières années.
plus mature car le quartier existe Cette combinaison de facteurs a sou-
depuis presque 60 ans, deux fois tenu une hausse des prix accélérée et
plus longtemps que les Docklands. La maintenu la pression en matière d’accès
gamme d’entreprises implantées à la au logement, accentuant la demande
Défense est bien plus large que dans le de résidences plus petites mais bien
quartier principalement financier des situées de la part des propriétaires, des
Docklands. De plus, les installations occupants et des locataires.
commerciales et de loisirs attirent une
clientèle bien plus large que celle du Le London Plan encourage les projets
personnel des immeubles de bureaux. immobiliers de densité plus importante
Canary Wharf s’orientera peut-être conçus « en grappes », notamment à 39
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

Stratford, Canary Wharf, Vauxhall/Nine Ces problèmes ne sont pas passés


Elms, Elephant & Castle et dans les inaperçus à la mairie de Londres
secteurs à la périphérie nord de la City. et au siège de la Greater London
Par contre, il existe des restrictions Authority, qui essaie d’accroître de
claires le long de « couloirs visuels » façon significative le nombre de
protégés empêchant la construction logements financièrement accessibles
d’immeubles de grande hauteur qui construits dans la capitale. Les
dénatureraient les perspectives histo- directives d’urbanisme envisagées
riques sur les monuments de Londres. veulent imposer 35 % de logements
De plus, les immeubles de bureaux financièrement accessibles aux
de grande hauteur, qui se trouvaient nouveaux projets résidentiels, tandis
essentiellement qu’un nouvel accord
à Canary Wharf de financement
auparavant, s’asso- « Il ne fait aucun doute du gouvernement
cient désormais aux que l’accès au logement national donnera
immeubles plus tra- dans l’ensemble de un coup de pouce
ditionnels de den- Londres est un défi que la aux investissements
sité moyenne situés plupart des employeurs dans le secteur. Bien
dans le Square Mile. doivent prendre en que Londres ne soit
Même s’il ne fait pas considération. Les prix pas la seule grande
l’unanimité, le foi- élevés des logements métropole mondiale
sonnement de nou- mettent les salariés à connaître des
veaux immeubles sous pression, ce qui se problèmes d’accès
de grande hauteur répercute sur les niveaux au logement, la
trouve son origine de salaires lorsque les pression est plus
dans le plan d’ur- sociétés cherchent à forte que dans
banisme restric- attirer des talents. » bien d’autres villes
tif, associé à une rivales d’Europe. En
demande surdimen- fin de compte, la
sionnée dans le centre de Londres, d’où pression tarifaire pourrait affaiblir la
certaines des valeurs immobilières les place de Londres dans la hiérarchie
plus élevées de la planète. régionale et globale des villes pour
de nombreux secteurs d’activité,
Bien que les tours résidentielles du même si elle découle de la grande
centre de Londres fassent beaucoup qualité du bassin de compétences
parler d’elles, la majeure partie du et des entreprises qui existent dans
nouveau parc de logements à Londres la capitale. Certains employeurs ont
se trouve dans des secteurs plus cherché à subventionner directement
abordables de l’Est de la capitale. les loyers ou les prêts immobiliers,
Cela étant, il ne fait aucun doute que mais face à ces frais supplémentaires,
l’accès au logement dans l’ensemble les entreprises londoniennes peuvent
de Londres est un défi que la plupart hésiter à faire venir dans la capitale une
des employeurs doivent prendre en partie de leurs salariés, voire tous.
considération. Les prix élevés des
logements mettent les salariés sous
pression, ce qui se répercute sur les
niveaux de salaires lorsque les sociétés
40 cherchent à attirer des talents.
Chapitre 1 Le marché des bureaux dans les métropoles : une comparaison européenne

Londres reste une ville très estimation constitue probablement


attractive pour les sociétés et le le scénario du pire. Le cabinet de
taux de vacance stagne à 5 %. Le conseil Capital Economics pense que
Brexit aura-t-il un effet significatif les pertes d’emploi seront bien plus
sur l’état du marché ? réduites, ne serait-ce que parce que
les charges sociales des employeurs
En fin d’année, le taux de vacance sont bien plus élevées en France
dans le centre de Londres atteignait et en Allemagne. Les banques ont
4,2 %, bien en dessous de la moyenne également la réputation de crier au
à long terme de 5,5 %. Le marché est loup, autrement dit, d’exagérer l’impact
très attractif pour un large éventail négatif en termes d’emploi, afin de
d’entreprises. De grands groupes négocier les meilleures conditions
mondiaux comme Apple, Google, auprès du gouvernement.
Facebook et McKinsey ont récemment
annoncé l’établissement d’un nouveau La disparition de 70 000 emplois
siège social européen à Londres, représenterait une réduction de 20 %
malgré le Brexit. Le secteur de la « tech » de la main d’œuvre des services
a été particulièrement dynamique ces financiers à Londres ; l’impact serait
12 derniers mois et a loué 260 000 m². donc significatif, particulièrement si
les départs étaient concentrés sur
Néanmoins, le Brexit jette une ombre une courte période. Toutefois, même
sur le marché, et l’horizon s’est encore si le choc atteignait ces proportions,
assombri depuis que Theresa May, l’impact devrait seulement être
Première Ministre du Royaume-Uni, temporaire. La part des emplois dans
a dévoilé sa stratégie de négociation les services financiers est déjà en
le 17 janvier 2017. On peut supposer diminution dans la City, grâce à la
que l’Agence européenne des croissance de la « tech » et des autres
médicaments, la Banque européenne services aux entreprises. Ces cinq
pour la reconstruction et le dernières années (2011-2016), les
développement et l’Autorité bancaire emplois de bureau dans les districts de
européenne déménageront dans une l’Inner London ont augmenté d’environ
autre capitale. La perte probable 320 000, ou environ 300 000 hors
du passeport financier européen secteur financier. En supposant un
devrait entraîner la migration d’un maintien du taux de croissance,
certain nombre d’emplois vers les il faudrait moins de 18 mois pour
pays de l’Union européenne. La HSBC remplacer 70 000 emplois, si ce chiffre
a déjà annoncé que 1 000 emplois des emplois perdus se confirmait.
partiraient à Paris, et l’UBS (Union
Bank of Switzerland) estime qu’environ Ainsi, il est à prévoir que le taux de
1 000 emplois à Londres sur 5 000 vacance augmentera par rapport
sont menacés. Au total, la société de au niveau bas actuel. Le marché a
conseil Oliver Wyman estime que enregistré de très bonnes performances
35 000 emplois de premier rang depuis la crise financière mondiale – les
risquent de disparaître en cas de perte loyers « prime » ont augmenté de 50 %
du passeport financier, et un nombre depuis cette dernière. Étant donné
similaire d’emplois de soutien seront sa volatilité historique, on peut donc
touchés en raison de la réduction s’attendre à un ralentissement.
corrélative des infrastructures. Cette 41
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

Depuis l’inauguration du 30 St. à fromage) – et le 20 Fenchurch Street


Mary Axe en 2004, premier gratte- – surnommé «The Walkie-Talkie ».
ciel écologique d’envergure au Quatre autres tours sont en construc-
Royaume-Uni, les préoccupations tion aux alentours, ce secteur a donc
environnementales sont-elles plus été rebaptisé « Eastern Tower Cluster »
fortes dans la construction ? (ensemble de gratte-ciel de l’Est).

L’achèvement du « La focalisation sur La focalisation sur


30 St. Mary Axe, l’efficacité énergétique l’efficacité énergé-
surnommé « The du 30 St. Mary Axe a tique du 30 St. Mary
Gherkin » (le corni- généralement été adoptée Axe a généralement
chon), a marqué le pour les autres gratte-ciel, été adoptée pour les
début d’une nouvelle en réponse à la nouvelle autres gratte-ciel, en
vague de gratte- réglementation en réponse à la nouvelle
ciel dans le centre matière de construction ; réglementation en
de Londres. Elle a les occupants sont aussi matière de construc-
été encouragée par davantage conscients des tion ; les occupants
le succès de Canary économies potentielles sur sont aussi davantage
Wharf, où la tour One les coûts d’exploitation, et conscients des écono-
Canada Square a été de nombreux investisseurs mies potentielles sur
achevée en 1991, et souhaitent posséder les coûts d’exploita-
six autres tours de des immeubles “verts” tion, et de nombreux
bureaux, dépassant théoriquement moins investisseurs sou-
toutes 150 m de hau- sujets à l’obsolescence. » haitent posséder des
teur, ont été achevées immeubles « verts »
en 2002-2003. théoriquement moins sujets à
l’obsolescence.
Le développement d’immeubles de
grande hauteur dans le centre de Le Shard est clairement identifié
Londres est strictement contrôlé comme un édifice à usage mixte.
depuis 1900. Aujourd’hui, ils ne sont Êtes-vous d’accord ? La mixité des
pas autorisés dans la majeure partie fonctions se généralise-t-elle dans
du West End. Leur construction est les récents gratte-ciel de Londres ?
permise dans la City à condition que La City s’inquiète-t-elle du manque
l’édifice présente un mérite esthétique de vie en dehors des heures de
significatif, soit conçu par un architecte bureau, tout comme à la Défense ?
de renommée internationale et n’obs-
true pas l’une des 13 perspectives Le Shard est un immeuble à usages
protégées. Huit de ces perspectives multiples qui inclut à la fois des bureaux,
concernent la cathédrale Saint-Paul, des commerces, des logements et
et dans les faits, elles circonscrivent la un hôtel. Aucun autre immeuble de
construction d’immeubles de grande grande hauteur à Londres ne pos-
hauteur à un secteur situé à l’est de la sède une telle variété d’usages, et
City. Actuellement, ce secteur inclut la plupart n’en ont qu’un seul – soit
non seulement le 30 St. Mary Axe et des bureaux, soit des logements. Sa
la Tower 42, mais aussi la Salesforce nature mixte reflète son emplacement
Tower, le 122 Leadenhall Street – sur- à Southwark, hors de la City, sur la rive
42 nommé « The Cheesegrater » (la râpe sud de la Tamise. Bien que le marché
Chapitre 1 Le marché des bureaux dans les métropoles : une comparaison européenne

de l’immobilier d’entreprise
se développe à Southwark,
ce n’est pas un secteur établi
pour les grands groupes ;
construire uniquement des
bureaux (l’édifice en compte
déjà 55 000 m²) aurait accru
le profil de risque du projet.

La Salesforce Tower, au 110


Bishopsgate, maintenant la
plus haute tour de la City,
inclut à la fois des logements
et des bureaux, mais c’est
inhabituel. Les nouvelles tours
de Londres sont rarement
à usage mixte. En réalité, la
plupart des nouveaux gratte-
ciel ne comportent que des
logements dans les dis-
tricts entourant le centre de
Londres.

Les autorités de la City ont


donné le feu vert à davan-
tage de projets résidentiels
et commerciaux dans leur
secteur, pour répondre aux
pressions du développement
et aux valeurs en hausse des
appartements. Le nombre
de chambres d’hôtel a égale-
ment augmenté. Résultat : la
City est un endroit beaucoup
plus vivant le week-end. Le
plan d’urbanisme de la City de
Londres énonce ce qui suit :
« Une communauté résiden-
tielle florissante ajoute à la
vitalité de la City de Londres,
et la rend plus vivante et plus
© JLL

sûre en dehors des heures de


bureau, mais il peut en résulter des Le Shard, un immeuble à usage mixte au bord de la Tamise.
conflits entre aménagements rési-
dentiels et besoins des entreprises. »
Ainsi, augmenter l’activité en dehors cela n’impacte pas négativement les
des heures de bureau est considéré affaires. Ce n’est donc pas une priorité
comme souhaitable, à condition que majeure pour la City. 43
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

L’économie numérique se d’intérêt et semble être en bonne voie


développe-t-elle au point que pour continuer à croître en taille et en
la « tech » menace la puissance importance. Cependant, il s’agit d’une
financière de la City ? partie relativement petite du marché ;
Que pensez-vous du fameux le sous-marché de Shoreditch com-
« Silicon Roundabout » ? prend 650 000 m² de bureaux, sur
Est-il une menace pour la City un total de 10,4 millions de m² dans
ou en est-il le complément ? la City tout entière. De plus, le rythme
d’expansion va ralentir, car les loyers et
Traditionnellement, le marché de la les valeurs en capital se rapprochent
City de Londres est centré sur le voisi- maintenant de ce qui a cours au cœur
nage immédiat des édifices historiques de la City et sur d’autres sous-mar-
de la Banque d’Angleterre et du Royal chés concurrents du West End, alors
Exchange. Au fil du temps, ce cœur qu’avant le quartier offrait des prix
de zone s’est étendu et aujourd’hui, le beaucoup plus avantageux.
marché de l’immobilier d’entreprise de
la City inclut l’« Eastern Tower Cluster », L’impact le plus significatif a été sans
certaines parties de la Southbank et le doute d’attirer différents types de
secteur de « Midtown », à l’ouest. locataires sur le marché de la City,

Ces cinq dernières années, les secteurs « Le gouvernement a reconnu que la
à croissance rapide de Shoreditch et zone de la Tech City était cruciale
de Clerkenwell, au nord du cœur tradi- pour l’avenir économique de Londres.
tionnel de la City, ont aussi fini par être Reflétant la croissance de l’activité des
considérés comme faisant partie du entreprises, la demande des occupants,
marché de l’immobilier d’entreprise de les loyers et les valeurs en capital ont
la City, et plus généralement, du centre fortement augmenté à Shoreditch, pour
de Londres. Shoreditch comprend le atteindre des niveaux comparables à
rond-point d’Old Street (aussi appelé ceux du cœur de la City. »
« Silicon Roundabout »), devenu syno-
nyme du secteur de la « tech », et le notamment les entreprises de techno-
gouvernement a reconnu que la zone logie, de médias, de l’industrie du
de la Tech City était cruciale pour l’ave- numérique et de la création. Bien qu’à
nir économique de Londres. Reflétant ce jour, ces types de locataires se
la croissance de l’activité des entre- concentrent sur les sous-marchés de
prises, la demande des occupants, les Shoreditch, de Clerkenwell et de la
loyers et les valeurs en capital ont for- Southbank, il est probable que peu à
tement augmenté à Shoreditch, pour peu, ils modifieront le mix profession-
atteindre des niveaux comparables à nel dans l’ensemble de la City, réduisant
ceux du cœur de la City, et le quartier sa dépendance vis-à-vis des sociétés
accueille désormais toute une série de financières et stimulant sa capacité à
nouveaux projets immobiliers résiden- rebondir. Ainsi, la croissance continue
tiels et de bureaux haut de gamme. du secteur de la « tech » et la montée
attenante de ces sous-marchés
Face à cette montée en puissance du peuvent être considérées comme com-
secteur, on peut questionner l’impact plémentaires du cœur traditionnel de
possible sur le marché traditionnel de la City, et non comme une menace.
44 la City. Il a certes suscité beaucoup
Chapitre 1 Le marché des bureaux dans les métropoles : une comparaison européenne

Entretien avec Christian Lasserre


FRICS, Directeur Académique de l’Executive Master en
Immobilier, Université Saint-Louis, Bruxelles, Belgique

Diplômé de l’Université Catholique de


Louvain (UCL), Directeur Académique
de l’Executive Master en Immobilier à
l’Université Saint-Louis et ancien Professeur
honoraire à l’Université Libre de Bruxelles,
Christian Lasserre est spécialiste des aspects
juridiques et économiques de l’aménagement
du territoire. Il anime également le bureau
d’études C.L.I., spécialisé dans le montage
d’opérations d’urbanisme et d’immobilier.
Fin connaisseur du marché immobilier
bruxellois, il détaille dans cet entretien les
nombreuses spécificités du marché des
immeubles de bureau de la capitale belge.

Quelles sont les grandes étapes de Bruxelles et de Schaerbeek) à partir de


la constitution du parc tertiaire la fin des années 1960, avec l’objectif
bruxellois durant la seconde moitié d’en faire le quartier d’affaires de
du 20ème siècle ? la ville : c’est ce qu’on a appelé le
« projet Manhattan ». Des dizaines de
La première période, qui s’étend des milliers de mètres carrés tertiaires
lendemains de la Seconde Guerre sont ainsi sortis de terre en quelques
mondiale à 1965, a vu la construction années juste au Nord du Pentagone
de sièges sociaux et de bâtiments (le centre historique de Bruxelles).
publics, majoritairement suivant un Enfin, la troisième date est l’entrée
principe de propriété occupante. de la Grande-Bretagne dans l’Union
Après 1965, le marché bruxellois est Européenne, le 1er janvier 1973, qui a
entré dans une période spéculative provoqué un afflux de développeurs
dominée par le locatif sur mesure. britanniques à Bruxelles.
Trois dates importantes méritent d’être
notées. La première est l’implantation Cette période, qui peut être qualifiée
en 1967 de l’OTAN, qui devait quitter d’âge d’or de la promotion immobilière
Paris suite à la décision française de britannique, n’a toutefois duré que trois
sortir de l’organisation. Cette arrivée a ou quatre ans. Les constructions de
temporairement dynamisé le marché, bureaux se sont faites sur des terrains
même si l’OTAN a finalement opté disponibles, mais aussi sur des secteurs
pour des bâtiments « clés-en-main ». La résidentiels dont les habitations ont
deuxième date correspond à la phase été démolies et reconstruites ailleurs.
de développement du Quartier Nord Ce développement immobilier tous
(à proximité de la gare de Bruxelles- azimuts, mal maîtrisé par la puissance
Nord, à cheval sur les communes de publique, a par la suite conduit à 45
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

forger le concept de « bruxellisation », à connaître précisément, il peut être


pour désigner l’ensemble des estimé à 250 euros du mètre carré, ce
bouleversements urbanistiques, sans qui est assez faible.
planification ni concertation avec les
habitants, causés par des promoteurs Quels sont les profils des occupants
peu soucieux de la qualité de vie et des immeubles de bureaux
faiblement encadrés par les acteurs bruxellois ?
publics. Lorsque ce foisonnement de
réalisations tertiaires a pris fin vers Une des caractéristiques majeures du
1976, la ville s’est retrouvée avec un parc est que la plupart des immeubles
excédent de 800 000 m² de bureaux neufs sont pris en location par des
neufs. C’était là le ferment d’une crise administrations publiques, régionales,
des bureaux qui n’est toujours pas fédérales et, plus marginalement,
soldée à l’heure actuelle. internationales. Les limitations de
l’endettement issues des critères de
Cette croissance très marquée du convergence de l’euro ont en effet
parc en l’espace de quelques années forcé les pouvoirs publics à recourir
a donc eu pour conséquence un taux à la location, plutôt qu’à la construc-
de vacance important, doublé d’une tion ou à l’acquisition. Cet impératif a
problématique d’ob- d’ailleurs surgi exac-
solescence plus ou « La croissance très tement au moment
moins accélérée marquée du parc de bureaux où les modifications
du parc. Dès lors, à bruxellois en l’espace de constitutionnelles du
l’étape de construc- quelques années a eu pour fédéralisme belge
tion a succédé une conséquence un taux de menaient à des trans-
étape de rénova- vacance important, doublé ferts importants sur le
tions profondes de d’une problématique plan des administra-
certains immeubles, d’obsolescence plus ou tions. Ce mouvement
puis une étape de moins accélérée du parc. » a donc été extrême-
démolitions/recons- ment fort, puisque les
tructions, avec le plus souvent une pouvoirs publics belges signaient des
augmentation du gabarit, dans laquelle baux de 18 à 27 ans indexés, non révi-
nous sommes encore aujourd’hui. sables, qui assuraient des rendements
assez confortables.
Pour vous donner quelques chiffres,
le parc tertiaire de la région Bruxelles- Les deux pôles tertiaires que consti-
Capitale (19 communes, 1,2 millions tuent le quartier Léopold et le Quartier
d’habitants) est évalué à 12 millions Nord sont donc dominés par les admi-
de mètres carrés, soit les deux- nistrations et entreprises publiques.
tiers du parc tertiaire belge dans sa C’est même encore plus vrai du second
globalité. La macrocéphalie tertiaire de que du premier : le seul occupant privé
Bruxelles-Capitale est donc flagrante. de grande taille du Quartier Nord est
Sur les 6 millions de mètres carrés qui Engie, installée sur 75 000 m² pour
n’y sont pas localisés, une partie est un peu plus de 3 000 collaborateurs.
d’ailleurs située à ses marges, dans D’une manière générale, le quartier
les provinces limitrophes du Brabant est confronté à deux difficultés. D’une
wallon et du Brabant flamand. Quant part, il souffre d’être constitué d’im-
46 au loyer prime, même s’il est difficile meubles tous bâtis à la même époque,
Chapitre 1 Le marché des bureaux dans les métropoles : une comparaison européenne

et donc tous concernés simultanément cupations sécuritaires qui ont émergé


par des problématiques d’obsoles- plus récemment.
cence. D’autre part, ses quelque trente
immeubles ne représentent qu’une A contrario, les atouts de la ville
vingtaine d’occupants, de telle sorte pour attirer les entreprises privées
que le départ concomitant de deux ou sont nombreux : Bruxelles dispose de
trois d’entre eux suffit à faire exploser foncier à un coût très compétitif, la fis-
la vacance. Une association de proprié- calité n’est pas très contraignante, le
taires s’est récemment formée pour marché du logement est détendu et de
réfléchir aux moyens de redynamiser nombreuses excellentes écoles y sont
le quartier. implantées. Enfin, s’il y a un domaine
où Bruxelles soutient la comparai-
Qu’est-ce qui manque aujourd’hui son avec Paris, Londres ou New York,
à Bruxelles pour attirer de grands
sièges sociaux nationaux et
c’est sur la densité des bureaux d’avo-
cats internationaux, dont la présence 500 000
internationaux ? est liée à celle des institutions euro-
péennes. Localisés dans le quartier Le nombre de mètres
carrés de bureaux
Il est vrai que dans les années 1960, Léopold, notamment avenue Louise, ils
reconvertis en
Bruxelles offrait une formidable occupent les plus beaux immeubles et logements au cours
concentration de quartiers généraux paient les loyers les plus élevés de la des vingt dernières
d’entreprises internationales, notam- capitale. années à Bruxelles.
ment d’origine américaine, qui faisaient
office de sièges pour l’Europe, l’Afrique, Un autre atout bruxellois, qui reste à
le Moyen-Orient voire l’Asie. Ces conforter, est le quartier du Midi, autour
régions du monde ont depuis connu de la gare du même nom (communes
un fort développe- de Saint-Gilles et
ment, de telle sorte d ’A n d e r l e c h t )   :
que ces sièges ont c’est une locali-
eu tendance à se
« Les atouts de la ville sation unique qui
relocaliser à Dubaï,
pour attirer les entreprises permet, du fait
par exemple, voire
privées sont nombreux : d’une accessibilité
en Afrique. De plus,
Bruxelles dispose de foncier optimale, d’aller
Paris et Londres
à un coût très compétitif, passer la soirée à
se sont impo-
la fiscalité n’est pas très Paris ou à Londres !
sées comme étant
contraignante, le marché L’ambition est
les deux grands
du logement est détendu et donc d’y dévelop-
pôles d’affaires
de nombreuses excellentes per une troisième
européens. Outre
écoles y sont implantées. » polarité tertiaire,
ces externalités, mais tout dépen-
j’identifie trois dif- dra de la capacité
ficultés propres à Bruxelles : d’abord, des administrations, qui sont moteurs
le coût des charges sociales ; ensuite, de l’essentiel de la demande, à y
l’accessibilité qui est considérée prendre des mètres carrés. Un grand
comme moyenne, du fait notamment nombre de schémas directeurs ont été
de la diminution du nombre de vols développés pour Bruxelles en général
transcontinentaux suite à la disparition et pour le quartier du Midi en particu-
de la Sabena, la compagnie aérienne lier, sans trouver pour l’heure la clé du
nationale, en 2001 ; enfin des préoc- succès. 47
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

La reconversion de bureaux rien d’anecdotique. Les sites concernés


en logements, qui peine à se sont essentiellement situés en centre-
développer à Paris, semble en ville, mais aussi dans le quartier Louise
revanche une pratique répandue à et dans la périphérie, c’est-à-dire
Bruxelles. Comment l’expliquer ? dans les secteurs où le logement vaut
Y a-t-il un réel marché ? plus cher que le bureau. Le quartier
européen commence également à
Il s’agit effectivement d’un phénomène être concerné, mais surtout pour du
assez massif à Bruxelles, qui bénéficie logement meublé de courte durée, à
du soutien des instances régionales, destination d’une clientèle d’affaires.
lesquelles ont d’ailleurs financé
l’ouvrage que j’ai dirigé sur le sujet. À En conclusion, quel avenir tertiaire
ce soutien des autorités bruxelloises peut-on imaginer pour Bruxelles ?
s’ajoute le fait que le parc tertiaire de
la ville se prête bien à la reconversion, Il existe quelques projets privés
grâce à son caractère diffus et tertiaires, ou incluant du tertiaire, qui
à la taille limitée des immeubles méritent tout de même d’être signalés :
– alors que, même confrontée à le projet Victor dans le quartier du Midi
une vacance importante, un grand (un ensemble immobilier composé
quartier d’affaires comme la Défense de deux tours de bureaux et une tour
s’y prêterait très mal. Autre facteur de logements, pour un total d’environ
explicatif : ces quinze dernières années 150 000 m², face à la gare du Midi),
ont été marquées par une inversion le vaste site industriel de Tour & Taxis
des valeurs, c’est-à-dire que celle des reconverti en bureaux et lieu culturel,
bureaux a chuté tandis que celle des ou encore le futur siège d’Allianz dans
12 millions logements a augmenté, rendant ces
reconversions intéressantes sur le plan
le Quartier Nord, qui sera inauguré en
2019-2020. On compte en outre de
de m² de la rentabilité. Enfin, le constat avait nombreux projets publics, puisque la
été dressé d’un déficit de logements en région de Bruxelles-Capitale est en
La taille du centre-ville, du fait de la destruction, train d’acheter une dizaine de sites,
parc bruxellois quelques décennies auparavant, de représentant plus de cent hectares de
d’immeubles de
poches d’habitat au profit d’immeubles foncier, pour y développer des projets
bureaux.
tertiaires. Redonner de l’attractivité au mixtes incluant des bureaux. En
cœur de la ville passait donc, entre revanche, peu de tours se construisent
autres, par la capacité à y proposer à Bruxelles et si c’est le cas, ce sont
une offre de logements. On peut donc plutôt des tours de logements.
dire que les architectes belges ont
développé une certaine expertise en la En parallèle, la lutte contre
matière. Cette reconversion de bureaux l’obsolescence est incontestablement
en logements, amorcée au début des une priorité. Elle est notamment mise
années 2000, a surtout porté sur en œuvre à travers le projet Urbain-
des immeubles des années 1960. On Loi, qui concerne le quartier Léopold.
estime aujourd’hui que 500 000 m² En dépit du manque d’investisseurs
ont été convertis, et que 300 000 m² internationaux, le succès de la
supplémentaires vont l’être à moyen construction neuve ne se dément
terme. L’ensemble des conversions pas, car la stagnation des loyers fait
déjà menées à bien a permis d’éliminer qu’un immeuble neuf coûte en général
48 50 % du surplus. La démarche n’a donc moins cher qu’un immeuble ancien
Chapitre 1 Le marché des bureaux dans les métropoles : une comparaison européenne

indexé. En revanche, il existe une vraie de la Grande-Bretagne dans l’Union


problématique autour des immeubles Européenne. Va-t-il disparaître avec le
trop anciens pour être encore départ de la Grande-Bretagne ou au
attractifs, mais trop récents pour contraire retrouver une nouvelle jeu-
pouvoir décemment être démolis. nesse ? Bruxelles a théoriquement
beaucoup d’atouts, car elle a toujours
À l’heure du bilan, je suis tenté de dire été une tête de pont anglo-saxonne en
que Bruxelles se trouve aujourd’hui à un
carrefour. Soit une véritable politique « Bruxelles se trouve aujourd’hui
de « ré-attractivité » est engagée, qui à un carrefour. Soit une véritable
passe par l’arrivée de sièges sociaux politique de “ré-attractivité”
mais aussi par le développement est engagée, qui passe par
d’initiatives innovantes, comme par l’arrivée de sièges sociaux mais
exemple ce que fait Xavier Niel à Paris aussi par le développement
avec l’Ecole 42 et la Halle Freyssinet, d’initiatives innovantes, soit
auquel cas on peut parier sur un Bruxelles demeurera une ville
effet d’entraînement extrêmement d’administrations publiques. »
bénéfique à l’image et au dynamisme
de la ville ; soit Bruxelles demeurera
une ville d’administrations publiques, Europe continentale et pourrait le
lesquelles sont en train de mettre en rester voire le devenir encore plus. Si la
œuvre des mesures de rationalisation ville parvient à être aussi réactive que
des mètres carrés. l’a été par le passé le Luxembourg
pour capter l’extraordinaire dyna-
Dernier élément à prendre en compte : misme financier qui est aujourd’hui le
le Brexit. Le marché des bureaux sien, alors l’avenir peut être très pro-
bruxellois est largement né de l’entrée metteur.

49
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

Entretien avec Dominique Perrault


Architecte et urbaniste, Fondateur de
Dominique Perrault Architecture, Paris

Comptant parmi les grands noms de


l’architecture française, Dominique Perrault,
qui a fondé sa propre agence dès 1981, a été
révélé au grand public après avoir remporté
le concours pour la Bibliothèque Nationale
de France, inaugurée en 1995. Membre
de l’Atelier International du Grand Paris
(AIGP), il est l’auteur de nombreuses autres
réalisations architecturales de premier plan

© The Japan Art Association – The Shankei Shimbun


(vélodrome et piscine olympique de Berlin,
tours de la Cour de Justice de l’Union
Européenne à Luxembourg, DC Towers à
Vienne) mais aussi de réhabilitations de
grande ampleur (tours du Pont de Sèvres
à Boulogne-Billancourt, immeuble de la
Poste du Louvre à Paris). Il détaille dans cet
entretien sa vision de l’immeuble de demain,
en l’illustrant à l’aune de ses propres projets
et réalisations.

Quelles sont selon vous les traditionnels deux ou trois niveaux de


principales caractéristiques de parkings : auditoriums, lieux de ren-
la tour de bureaux de dernière contres ou de restauration, espaces de
génération ? connexion aux transports en commun.
Imaginées dans le prolongement de
Trois éléments me semblent déter- la tour en tant qu’infrastructure, ces
minants, qui correspondent aux trois emprises contribuent à accroître sa
constituantes de l’objet architectural valeur immobilière sans avoir à verser
qu’est la tour de bureaux. Le premier dans une course à la hauteur. Cette
de ces éléments est le pied de la tour, démarche fait l’objet d’importantes
c’est-à-dire la relation de la verticale réflexions au sein de notre agence, qui a
avec l’horizontale, la relation de cet forgé la notion de groundscape, c’est-
objet élancé avec les emprises qu’il à-dire l’épiderme de la ville, la couche
va devoir s’attacher à faire vivre à sa supérieure du sol. Nous le concevons
base, au bénéfice du quartier dans son comme un véritable lieu de ressources,
ensemble. Ces emprises sont de deux permettant de récupérer des espaces
types. à l’abandon car dissimulés sous le sol
de nos villes. C’est en quelque sorte
D’abord, elles peuvent être dégagées une réserve foncière méconnue, qui
dans la profondeur de la tour elle- permet de connecter les transports
50 même et proposer une alternative aux souterrains avec la rue, de prolon-
Chapitre 1 Le marché des bureaux dans les métropoles : une comparaison européenne

ger l’espace public et les bâtiments projet que nous avons élaboré pour la
et d’apporter de nouveaux usages. La rénovation des tours du Pont de Sèvres,
valorisation du groundscape constitue à Boulogne-Billancourt, en est une
une vaste entreprise de mise en place bonne illustration. Le bâtiment originel
d’un réseau racinaire venant nourrir les a été modifié en y insérant 5 000 m²
arbres, c’est-à-dire les espaces exté- d’emprises qui s’apparentent à un sys-
rieurs, qu’ils soient bâtis ou non bâtis. tème racinaire, formant un ensemble
Dans tous les projets sur lesquels nous de connexions entre ces tours et leur
travaillons, nous creusons cette notion environnement.
d’épaississement, qui permet d’aug-
menter l’adhérence d’un bâtiment Ensuite, ces emprises sont bien sûr les
par rapport à son contexte urbain. Le espaces environnants, avec lesquels la
Fillon Photographe – Dominique Perrault Architecte – ADAGP.
incent
®V

L’opération Citylights à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) : une opération de réhabilitation menée


par l’agence Dominique Perrault Architecture. 51
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

tour va devoir chercher à développer « Une tour entièrement occupée


des relations d’usage et de mise en par des bureaux est active
perspective. Il n’y a rien d’incongru, moins de la moitié du temps.
par exemple, à ce que l’espace public On a donc affaire à un objet
passe au travers de la tour, ou du monofonctionnel qui ne peut
moins à travers une partie du pied s’intégrer dans une stratégie
de la tour, pour mieux la connecter de mutualisation. Il y a par
à l’activité urbaine du territoire dans conséquent un vrai travail
lequel elle vient s’insérer. Certes, le à mener autour de la mixité
pied de la tour a toujours fait l’objet des fonctions à l’échelle de
d’un soin particulier dans la mesure l’immeuble. »
où il héberge le lobby, véritable porte
d’entrée de la structure ; mais ces commun de devoir offrir un cadre à
lobbys, aussi beaux soient-ils, ne sont une aussi grande diversité d’usages et
le plus souvent ni mixtes, ni traversants, de fonctions que possible.
ni très chaleureux.
Le cadre réglementaire français
Le deuxième élément est le corps de actuel, surtout s’agissant des IGH
la tour, qui est de plus en plus dévolu à (Immeubles de Grande Hauteur),
des usages mixtes : les bureaux y sont permet-il de mettre en œuvre de
alors complétés par des logements, manière satisfaisante cette mixité
des chambres d’hôtels, etc. En effet, fonctionnelle que vous préconisez ?
une tour entièrement occupée par des
bureaux est active moins de la moitié Offrir une mixité d’usages est devenu
du temps, et sa monofonctionnalité ne assez incontournable dès lors que le
permet pas de redistribuer l’énergie citoyen n’accepte pas, ou plus, l’érection
produite et accumulée durant la dans sa ville ou dans son quartier d’un
journée au bénéfice des logements, objet massif et fermé, symbole d’un
et inversement. On a donc affaire pouvoir unique. Il est donc décisif
à un objet monofonctionnel qui ne de faire en sorte que ses utilisateurs
peut s’intégrer dans une stratégie de soient à la fois les propriétaires, les
mutualisation. Il y a par conséquent locataires, les concessionnaires, les
un vrai travail à mener autour de la consommateurs, les passants, etc. Dès
mixité des fonctions à l’échelle de lors que le projet est conçu comme
l’immeuble, qui est un facteur et même une ville verticale offrant une véritable
une condition de sa durabilité. mixité d’usages, il est beaucoup mieux
accepté. La tour que nous avons
Le troisième élément est la conçue à Vienne, en dépit de ses 250
partie supérieure de la tour, son mètres de haut, a été très bien acceptée
couronnement. Elle peut se développer et n’a fait l’objet d’aucun recours, grâce
sur plusieurs niveaux et proposer des à une concertation nourrie et vivante.
espaces spectaculaires pouvant être le Son succès est aujourd’hui avéré, non
théâtre d’une diversité d’événements, seulement auprès de ses utilisateurs,
y compris ouverts au public. Au total, mais aussi auprès de ceux qui la voient
la tour se présente comme une entité depuis chez eux.
un peu anthropomorphe, constituée
d’un pied, d’un corps et d’une tête La tour n’est donc plus un objet
52 – ces trois parties ayant pour point célibataire, un peu autiste, mais bien un
Chapitre 1 Le marché des bureaux dans les métropoles : une comparaison européenne

objet qui fonctionne avec la ville et qui pour les architectes et pour les
contribue à en dessiner la silhouette. usagers finaux, est encore un vrai défi
Or, il est vrai qu’une mixité d’usages a pour les promoteurs, plus à l’aise avec
des effets induits sur les circulations les mono-produits.
internes, la sécurité, la maintenance,
le traitement des façades et d’autres L’appel à projets pour la rénovation
aspects encore. Le corollaire en est de la tour Montparnasse, à Paris,
la superposition des réglementations pour lequel nous faisons partie
et des dispositifs normatifs, qui sont des équipes finalistes, me semble
bien sûr indispensables, mais entre révélateur de la manière dont la tour
lesquels aucun effort de synthèse est encore trop souvent considérée
n’est opéré. Au vu des investissements comme un objet isolé, déconnecté de
considérables que ces immeubles son environnement. De fait, l’appel
représentent, il serait souhaitable à projets concerne la tour et elle
que les acteurs de la réglementation seule, alors que son environnement
se réunissent pour optimiser leurs urbain mérite à notre sens de faire
prescriptions, ce qui serait tout à fait l’objet d’une réflexion d’ensemble.
possible et ce, sans que la sûreté et la
durabilité du projet n’en pâtissent.

La tour que nous construisons à


« La tour n’est plus un objet
Luxembourg est une bonne illustration
célibataire, un peu autiste, mais
de cette problématique : notre projet
bien un objet qui fonctionne
est extrêmement performant en termes
avec la ville et qui contribue à en
de respect de l’environnement, mais
dessiner la silhouette. »
la loi nous a contraints à intégrer des
panneaux solaires qui ne sont pas utiles
à notre projet, ni sur le plan esthétique, Il y a des dimensions propres à
ni sur le plan environnemental. On voit l’objet architectural proprement
bien que le système touche ici sa limite, dit – comment lutter contre son
et qu’il est notamment un frein à une obsolescence, comment retravailler ce
plus grande mixité des immeubles. La jalon de la skyline parisienne, comment
France est particulièrement concernée, engager une rénovation dans une
même si l’exemple luxembourgeois situation de copropriété multiple très
montre bien qu’elle n’a pas l’apanage spécifique à la tour Montparnasse –
de cette problématique. Toute ambition mais il y en a d’autres qui concernent
architecturale doit donc trouver le sa relation au centre commercial qui
point d’équilibre entre deux versants : est à son pied, à la gare toute proche,
celui de l’intelligence contemporaine à l’environnement urbain dans son
des lieux, des matériaux, des manières ensemble. On aurait pu imaginer un
de travailler ensemble, issue des projet fantastique de construction
nombreuses recherches et études d’autres tours autour de celle existante.
sur ces questions, et celui d’une Cette vision, qui peut paraître
gestion et d’une réglementation extrêmement radicale dans le contexte
froides, qui s’imposent au projet avec parisien, ne choquerait probablement
un certain manque de recul et de pas grand monde à Tokyo. Et même si
discernement. Signalons enfin que la elle n’a pas vocation à prendre corps,
multifonctionnalité, très intéressante il me paraît regrettable qu’on fasse 53
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

Les porteurs du projet se


sont d’emblée placés dans un
processus pré-opérationnel,
sans passer par une
phase de propositions de
transformation urbaine du
quartier de Montparnasse.
Or, je crois que c’est en
laissant la porte ouverte à
des visions d’ensemble à
forte portée didactique que
l’on peut faire bouger les
lignes. Cela ne signifie pas
que ces visions vont être
réalisées telles quelles, mais
elles contribuent toujours
au processus démocratique
d’échange et de réflexion.
Voir sa ville autrement a
toujours été enrichissant
pour celui qui y habite.

Vous avez forgé le concept


de l’Hôtel Métropole.
De quoi s’agit-il ?

Le contexte de l’Hôtel
Métropole est celui du
conseil scientifique de
l’AIGP (Atelier International
du Grand Paris), dont notre
agence est membre depuis
Perrault Architecte – ADAGP.

2012. L’AIGP a missionné


ses quinze équipes d’archi-
tectes membres à initier
une réflexion sur « Habiter
le Grand Paris », dans un
contexte marqué par des
ominique

ambitions fortes en matière


®D

de production de logements
Plan en coupe de la DC Tower à Vienne (Autriche), révélant sa mixité fonctionnelle : et de rééquilibrage de l’ha-
hôtel (jaune) – bureaux (bleu) – logements (rouge). bitat et des emplois sur le
territoire du Grand Paris.
l’économie de ce genre de quasi-
fiction, de mise en scène permettant Ceci posé, l’Hôtel Métropole trouve
d’élargir notre vision du monde et des son origine dans le constat que l’en-
villes. semble des usagers de la métropole
54 ne sont pas des métropolitains. En
Chapitre 1 Le marché des bureaux dans les métropoles : une comparaison européenne

effet, d’un point de vue géographique litains par destination ». Les motifs
et historique, la grande majorité de la peuvent être multiples, de même que
population qui y habite et y travaille les catégories socio-professionnelles
est de nature urbaine, mais un pour- concernées : installation temporaire
centage non négligeable d’individus, pour un colloque, pour suivre une for-
dont le poids est d’ailleurs en crois- mation de quelques semaines, pour
sance constante, vient de manière prendre part à un projet professionnel,
temporaire s’inscrire dans la métro- pour rester à proximité d’un proche
pole pour bénéficier des aménités, hospitalisé, pour disposer d’une solu-
des services et des grands équipe- tion d’hébergement transitionnelle
ments qu’elle seule peut offrir. Nous suite à une séparation, etc. L’idée de
pourrions les appeler des « métropo- l’Hôtel Métropole est d’offrir à cette
Perrault Architecte – ADAGP.
ominique
®D

Plan en coupe d’une esquisse pour un Hôtel Métropole, révélant la diversité de ses fonctions possibles :
résidences d’artistes, salles de réunion, commerces, logements, bureaux, Fab Labs, sous-sols
logistiques, le tout bénéficiant d’un accès intérieur aux transports en commun souterrains. 55
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

diversité de profils un lieu de vie cor- liées au sein de l’Hôtel Métropole,


respondant à leurs besoins, en termes qui reflète l’éclatement des bassins
de coût, de mètres carrés à vivre et de de vie, des lieux du travail, ainsi
proximité aux infrastructures, c’est-à- que la mobilité multiforme qui
dire d’offrir à ces besoins très divers, caractérise notre univers urbain
qui n’ont en commun que leur carac- contemporain. Il traduit également le
tère momentané, une solution plus glissement progressif, dans la manière
adaptée, flexible et complète qu’un de concevoir les immeubles et les
hôtel classique ou une résidence-hôtel. projets urbains, du générique vers le
L’Hôtel Métropole prend en compte, spécifique, de la fonction vers l’usage,
lui, le besoin d’intégration sociale dans du coût vers la valeur. La logique
le tissu métropolitain. Durant la période fonctionnelle, que portait par exemple
où l’on a recours à ce lieu d’accueil et le Mouvement Moderne, disparait au
d’hébergement, on peut imaginer que profit d’une logique d’usage portée
sa résidence principale soit louée, afin par l’innovation technologique. Reste
de ne pas avoir deux logements à maintenant à poursuivre ce travail
charge. de manière plus opérationnelle, en
élaborant un business plan.
On voit bien que l’Hôtel Métropole est
un apport aux nombreuses réflexions Dominique Perrault Architecture
menées actuellement sur les enjeux a chapeauté un ensemble
de mutualisation et de réversibilité, et d’équipes d’architectes pour
sur la manière d’occuper de façon mul- produire un avant-projet pour le
tiple et diversifiée une même structure Village olympique des JO 2024, à
urbaine. Il est une réponse au constat l’organisation desquels Paris est
qu’il existe un besoin spécifique à la candidate. Quels sont les grands
métropole, particulier à ce territoire axes de cet avant-projet ?
et à son offre sans équivalent. Nous
avons estimé, dans le cas de l’Île-de- Le site pressenti pour accueillir le
France, que sur 12 millions d’habitants, Village olympique, en Seine-Saint-
au moins 10 % ont des besoins auxquels Denis, présente plusieurs qualités
l’Hôtel Métropole intrinsèques. La pre-
est susceptible de mière d’entre elle est
« L’Hôtel Métropole est un
répondre, pourcen- sa situation en bor-
apport aux nombreuses
tage qui est d’ailleurs dure de Seine, qui
réflexions menées
amené à croître dans permet une mise en
actuellement sur les
les années à venir. valeur réciproque du
enjeux de mutualisation
Village et du fleuve.
et de réversibilité, et sur la
Notons enfin que Ensuite, ce Village ne
manière d’occuper de façon
l’Hôtel Métropole serait pas construit
multiple et diversifiée une
a été imaginé pour ex-nihilo : il prendrait
même structure urbaine. »
accueillir une mixité appui sur l’histoire, en
d’usages, au-delà de l’occurrence les
sa fonction résidentielle : toutes nos grandes halles industrielles déjà pré-
esquisses prévoient des espaces dédiés sentes et qui ont été ou seraient
aux réunions, voire à la fabrication et à profondément réhabilitées pour
la production. Les notions de coliving accueillir de nouvelles fonctions. En
56 et de coworking sont intimement outre, tout ceci étant voué à constituer
Chapitre 1 Le marché des bureaux dans les métropoles : une comparaison européenne
Perrault Architecte – ADAGP.
ominique
®D

Perspective de l’avant-projet pour le Village olympique des Jeux Olympiques 2024,


par l’agence Dominique Perrault Architecture.

un quartier à cheval sur plusieurs com- habitants. En fin de compte, le Village


munes, le Village sollicite la notion olympique n’est pas sans rappeler
d’intercommunalité qui est en phase l’Hôtel Métropole : il répond à des
avec la vision portée par la Métropole besoins temporaires – en l’occurrence
du Grand Paris (MGP) : aujourd’hui, les l’hébergement de milliers de personnes
limites administratives, et notamment présentes deux semaines pour un évé-
communales, n’ont plus beaucoup de nement sportif de dimension
sens. Enfin, les besoins en logement de internationale – et répondra immédia-
ce territoire sont indéniablement tement après à d’autres besoins plus
importants. Les logements conçus pérennes, moyennant des transforma-
pour les athlètes vont donc immédia- tions du site réduites au minimum.
tement retrouver un usage pour les

57
Chapitre 2

Le bureau, créateur
de valeur pour les
territoires : analyse
du cas francilien
Plus d’un an après la création de la Métropole du

Grand Paris, l’agglomération parisienne se retrouve

confrontée à un double phénomène s’agissant du

marché immobilier des bureaux. D’un côté, les

territoires historiquement marqués par l’activité

tertiaire (le Quartier Central des Affaires dans Paris

intra-muros, le quartier d’affaires de la Défense)

peuvent se prévaloir d’une attractivité intacte ;

de l’autre côté, le Grand Paris naissant, notamment à

travers son futur métro, est porteur de nombreuses

promesses tertiaires, parfois illusoires, au sein

d’une métropole qui constitue déjà, suivant les

classements, le troisième ou quatrième parc mondial

de bureaux. Ce chapitre fait le point sur la place

des immeubles de bureaux dans les stratégies

territoriales à l’œuvre, entre compétitions locales et

volonté d’une mise en cohérence métropolitaine.


Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

Ont participé à ce chapitre :

Vincent Gollain
Directeur du département Economie
de l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme, Paris

Pierre Mansat
Chargé de la Métropole auprès de la maire de Paris,
Président de l’Atelier International du Grand Paris, Paris

Daniel Béhar
Géographe, Professeur à l’Ecole d’Urbanisme de Paris,
Directeur de la coopérative Acadie, Paris

Dominique Dudan
FRICS, Senior advisor chez LBO France,
Présidente de l’Observatoire Régional
de l’Immobilier d’Entreprise (ORIE)

Jean-Claude Gaillot
Directeur Général de l’EPADESA, Nanterre, France

Christophe Rousseau
Directeur général VINCI Facilities Île-de-France Tertiaire,
VINCI Energies, Courbevoie, France

Nicolas Buchoud
Président du Cercle Grand Paris de
l’Investissement Durable, Paris

60
Chapitre 2 Le bureau, créateur de valeur pour les territoires : analyse du cas francilien

Le Grand Paris des bureaux :


quelles redistributions spatiales,
quels nouveaux pôles tertiaires ?
Depuis le retour sur le devant de la scène de la notion de Grand Paris il y a
bientôt dix ans, et plus encore depuis le consensus trouvé sur le réseau lourd
de transports qui en est l’une des composantes les plus visibles, ont émergé
des visions prospectives parfois démesurées, alimentées par les ambitions
individuelles des communes, s’agissant des nouveaux développements tertiaires
susceptibles de voir le jour. Dans un premier temps, Vincent Gollain, Directeur du
département Économie de l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme (IAU), pose
le cadre historique et géographique de l’emploi tertiaire francilien. En sa qualité de
Président de l’Atelier International du Grand Paris (AIGP), Pierre Mansat témoigne
de la multiplicité des ambitions tertiaires qui ont germé dans le sillage du Grand
Paris Express (GPE). En proposant une scénarisation des effets dans le temps de
ce dernier, Daniel Béhar, Professeur à l’Institut d’Urbanisme de Paris, livre quant
à lui une vision plus réaliste des effets induits par le métro sur la mobilité des
entreprises et des ménages.

Entretien avec Vincent Gollain


Directeur du département Économie
de l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme, Paris
Titulaire d’un doctorat de sciences
économiques de l’université Paris 1
Panthéon-Sorbonne, Vincent Gollain dirige
depuis 2014 le département Économie de
l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme
(IAU) de la région Île-de-France. Également
spécialiste reconnu en marketing territorial,
il procède dans cet entretien à une mise
en perspective historique de la distribution
des emplois tertiaires en Île-de-France, tout
en livrant sa vision prospective du Grand
© IAU

Paris des bureaux.

Quelles évolutions majeures a Ces quinze dernières années ont été


connu l’emploi tertiaire francilien marquées par une croissance globale
ces quinze dernières années, en de l’emploi francilien, de l’ordre de
termes de nombre d’emplois et de 300 000 emplois sur la période 2000-
distribution spatiale ? 2013. Le secteur des services, qui est 61
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

parmi les plus dynamiques, a gagné à Sur la période 2007-2012, 82 % des
lui seul quelque 400 000 emplois. Cela gains d’emplois opérés à l’échelle de la
signifie que d’autres secteurs en ont région étaient concentrés dans le cœur
perdu : c’est le cas de l’industrie, qui a économique (Paris intra-muros et une
accusé une chute de l’ordre de 150 000 quinzaine de communes proches),
emplois. Le secteur de la construction révélant la primauté de la zone centrale
est, lui, en bonne santé, avec une crois- de l’agglomération. Nous vivons donc
sance estimée entre 40 000 et 50 000 actuellement dans une période de
emplois. Tous secteurs confondus, la rupture. Historiquement, et ce depuis
part des grands établissements (lieu les années 1960, c’est la grande
physique regroupant au moins 1 500 couronne qui absorbait la croissance
salariés) est conséquente puisqu’elle
représente 40 % de l’emploi régional,
soit 5,7 millions d’emplois. « S’agissant de distribution spatiale
et de stratégies de localisation, le
Au regard de ces données, il est tertiaire obéit à un certain nombre
indéniable que la tertiarisation de de règles dont l’accessibilité, et
l’économie se poursuit. Aujourd’hui, même la multi-accessibilité, est
87 % des emplois franciliens sont l’une des plus essentielles. »
tertiaires, un taux considérable mais
qui reste inférieur à celui de Londres,
par exemple, qui est désormais presque de l’emploi. Aujourd’hui, celle-ci a

87 %
totalement tertiaire. L’Île-de-France stabilisé son poids dans l’ensemble
conserve, elle, une base industrielle de l’emploi francilien et c’est la petite
assez conséquente, bien qu’en recul. couronne qui concentre l’essentiel
de la croissance d’emploi. Cela dit, il
La part de l’emploi S’agissant de distribution spatiale existe également d’importants pôles
tertiaire dans et de stratégies de localisation, le d’emplois plus éloignés du cœur
le nombre total
tertiaire obéit à un certain nombre de d’agglomération, mais ils sont souvent
d’emplois en
Île-de-France. règles dont l’accessibilité, et même la liés à la présence d’une activité ou
multi-accessibilité, est l’une des plus d’une infrastructure spécifique : c’est
essentielles. Il est donc, par nature, notamment le cas du Grand Roissy et
beaucoup plus concentré que l’emploi des territoires alentour.
industriel. De manière révélatrice, à
l’heure actuelle, un emploi sur deux On peut donc parler d’un léger
est localisé à Paris et dans les Hauts- desserrement de l’emploi tertiaire au
de-Seine. Cela dit, de nombreuses bénéfice des bordures proches de Paris.
communes de Seine-Saint-Denis et Ce mouvement reste toutefois limité,
du Val-de-Marne situées aux portes d’autant que la crise économique a eu
de Paris ont connu une importante au moins un effet profitable pour les
mutation tertiaire ces dernières entreprises : elle a provoqué une baisse
années : Saint-Denis, Pantin, Montreuil, sensible des valeurs des loyers réels
etc. Mais là aussi, c’est leur accessibilité acquittés par les entreprises, ce qui
qui a joué en leur faveur, suivant ce leur a permis d’envisager un maintien
que l’on pourrait appeler « l’empreinte en zone centrale, voire un retour vers
du métro » : l’existence d’une desserte cette dernière, par exemple à l’occasion
par un transport lourd a été créatrice d’un mouvement de restructuration.
62 d’opportunités pour les entreprises. On ne constate donc pas de véritable
Chapitre 2 Le bureau, créateur de valeur pour les territoires : analyse du cas francilien
© IAU

Principales localisations du parc tertiaire francilien et localisation des 35 quartiers d’affaires


(seuil de 200 000 m² de bureaux groupés).

dynamique de desserrement en à induire une division assez marquée


cercles concentriques à partir du cœur du travail, en limitant les interactions
d’agglomération. entre les services et celles entre les
salariés. On s’est rendu compte qu’une
Les grandes implantations tertiaires organisation plus horizontale, avec
de proche couronne optent davantage d’emprise au sol, permet-
souvent pour la forme du campus. tait de créer des carrefours où les
Le phénomène vous semble-t-il collaborateurs se croisent, suivant
massif ? Faut-il y voir une remise un modèle d’innovation ouverte. La
en cause de la tour en tant qu’objet source d’inspiration de cette nouvelle
architectural ? configuration était bien sûr le campus
universitaire à l’anglo-saxonne, réap-
Il y a eu, en effet, des réflexions enga- proprié par les entreprises pour
gées par un certain nombre de grandes l’adapter à leurs besoins.
entreprises concernant la capacité
de la tour à proposer des espaces de Je n’y vois pas, cependant, de menace
travail collaboratifs et adaptés aux sérieuse pour les tours de bureaux
activités hébergées. La forme et l’amé- en tant que forme architecturale.
nagement des tours des générations Les tours ont elles aussi évolué de
précédentes avaient tendance, de fait, manière à faciliter les interactions 63
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

entre les équipes, sans compter n’importe où. La concentration propre


que tout le monde ne travaille pas à l’immobilier de bureau pourrait se
dans une entreprise comptant des résumer par la formule « le tertiaire aime
milliers de salariés, avec un grand le tertiaire ». L’immeuble de bureau
nombre de services et d’importantes n’est donc pas un objet qui se transfère
problématiques de « désilotage ». facilement d’un territoire à l’autre,
La verticalité, aujourd’hui, s’est contrairement à ce que semblent
efforcée de tenir compte de ce que penser certains acteurs. Un immeuble
proposent les campus pour conserver de bureau est rarement isolé. Pour
leur attractivité. Tours et campus autant, des pôles ont émergé dans la
sont donc deux manières différentes région, mais souvent en lien avec une
pour l’entreprise de s’organiser et fonctionnalité précise du territoire
d’afficher aux regards extérieurs son considéré. Dans le cas de l’aéroport
image de marque. Je les conçois Paris Charles-de-Gaulle par exemple,
comme deux solutions immobilières le pôle tertiaire qui s’y trouve repose
complémentaires. sur des activités économiques liées
au cluster international des échanges.
Croyez-vous en la capacité du Ces activités tertiaires ont opté pour
Grand Paris, et notamment de cette implantation car elle offre une
son réseau de transport, à opérer accessibilité régionale, nationale et
des rééquilibrages en termes internationale unique qui, à l’heure où
de localisation des activités la vitesse est une notion économique
économiques et notamment décisive, est stratégique pour certaines
tertiaires ? fonctions d’entreprises.

J’aimerais dire en préambule qu’à Si l’on se place dans une perspective


mon sens, le tertiaire, et notamment de long terme, en 2030 par exemple, la
l’immeuble de bureaux, est trop mise en service du Grand Paris Express
souvent considéré comme le moteur et d’autres réseaux lourds de transport
quasi-unique du développement collectif, comme le RER E, vont per-
économique des territoires franciliens. mettre une diversification des grands
Or, il faut garder en tête deux éléments pôles d’emploi en Île-de-France, y
importants. Premièrement, les activités compris pour les activités tertiaires. De
tertiaires ne s’exercent pas uniquement nouvelles localisations différenciantes
dans de grands immeubles de bureaux. et accessibles vont permettre le déve-
Elles peuvent être adossées à des loppement de nouveaux territoires
activités logistiques, industrielles ou d’entreprises. Cela dit, outre une redis-
commerciales, d’où l’importance de tribution spatiale d’activités existantes
proposer une large variété de solutions vers ces nouveaux lieux, le Grand Paris
immobilières aux entreprises pour
répondre à l’ensemble de leurs besoins :
la monofonctionnalité immobilière « Si l’on se place dans une
serait une catastrophe pour l’Île-de- perspective de long terme,
France. Deuxièmement, n’oublions de nouvelles localisations
pas que les activités tertiaires dans différenciantes et accessibles
des immeubles de bureaux ont leurs vont permettre le développement
propres critères de localisation. Elles de nouveaux territoires
64 ne peuvent donc pas s’implanter d’entreprises. »
Chapitre 2 Le bureau, créateur de valeur pour les territoires : analyse du cas francilien

est également un projet au service de à la vigilance pour certains actifs


la compétitivité francilienne visant à immobiliers existants anciens et mal
attirer de nouvelles entreprises inter- desservis. Le marché de l’immobilier
nationales et à susciter des projets qui d’entreprise peut évoluer vers une nette
ne se feraient pas sans cette infrastruc- partition entre une offre neuve et bien
ture et les nombreux développements desservie, notamment en transports
qu’elle génère. On peut donc imaginer en commun, et un stock important
que, par effet de « saut de puce », les de mètres carrés à restructurer car
activités tertiaires se diffusent davan- mal situés. On peut aussi penser
tage dans les territoires de banlieue que les nouveaux modes de travail
considérés jusque-là comme peu peuvent générer à moyen-long terme
attractifs. Aujourd’hui, on constate le développement d’une offre de tiers-
un mouvement en ce sens de la part lieux situés dans les quartiers les mieux
d’investisseurs et promoteurs qui dotés et dans des sites proches des
cherchent à identifier ces futurs lieux lieux d’habitation 1.
clés de l’économie métropolitaine et
régionale. L’histoire économique des Mes propos précédents sur l’élargis-
grandes agglomérations montre que sement des sites potentiels d’accueil
ces processus de recomposition des d’activités économiques ne doivent pas
localisations d’emplois sont un pro- être sur-interprétés. L’élargissement
cessus lent, l’espace étant visqueux et sera limité et ne concernera pas
toujours long à transformer. La créa- toutes les nouvelles stations, en par-
tion du Grand Paris Express ne fera ticulier pour les immeubles tertiaires.
pas tout. Parmi les Aujourd’hui, si l’on
communes qui dispo- « Si l’on additionne additionne l’ensemble
seront d’une nouvelle l’ensemble des projets des projets tertiaires
gare, ce sont celles tertiaires souhaités par souhaités par les uns
qui ont déjà un socle les uns et les autres en et les autres en Île-
minimal de bureaux et Île-de-France, on arrive à de-France, on arrive
certaines connexions un quasi-doublement du à un quasi-double-
qui offriront le plus nombre d’emplois dans la ment du nombre
grand potentiel de région en l’espace de vingt d’emplois dans la
développement. De ans, ce qui n’est guère région en l’espace
même, les pôles ter- crédible. » de vingt ans, ce qui
tiaires constitués ou n’est guère crédible.
en émergence (Levallois, Clichy, Vélizy), Il faut sortir de cette vision mono-pro-
même ceux dont l’accessibilité ne sera duit et de l’idée qu’il faudrait multiplier
pas significativement améliorée par le les « mini-quartiers d’affaires de la
Grand Paris Express, continueront à Défense » en Île-de-France. La dyna-
être des lieux de croissance. mique engagée doit permettre d’offrir
de nouvelles solutions immobilières à
Le développement prévisible à moyen- toutes les catégories d’activités éco-
long terme d’une offre tertiaire nomiques, mais aussi culturelles et
neuve correctement desservie par touristiques. Nous avons aujourd’hui
les transports en commun incite un véritable problème d’ancrage des

1 Voir à ce sujet : https://www.iau-idf.fr/savoir-faire/nos-travaux/edition/nouveaux-modes-de-travail-et-enjeux-de-mobilite.html. 65


Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

PME/PMI en Île-de-France et notam- taille moyenne, nécessaires au fonc-


ment en proche couronne, où elles tionnement, y compris logistique, de
sont bousculées par la pression fon- la région. Proposer aux entreprises
cière et l’arrivée d’ici quelques années des solutions d’implantation diversi-
du Grand Paris Express. Les parcs d’en- fiées est stratégique pour l’avenir de
treprises de nouvelle génération ont la compétitivité régionale. Nos travaux
donc à mon sens toute leur place dans sur l’industrie du futur montrent que
la vision du Grand Paris de demain. ces usines rechercheront des localisa-
Ils seront à même d’accueillir ce large tions plus intégrées dans l’écosystème
spectre d’entreprises et d’industries de urbain.

© IAU

66 Localisation des principaux immeubles de bureaux en projet et en construction en Île-de-France (2015).


Chapitre 2 Le bureau, créateur de valeur pour les territoires : analyse du cas francilien

L’Île-de-France compte quatre immeubles du parc existant. Comme


millions de mètres carrés tertiaires l’écrit Alain Béchade, professeur
vacants. Pour autant, la production au Conservatoire National des Arts
neuve se poursuit et devrait et Métiers (CNAM), « L’apparition
continuer à se poursuivre du fait des de produits plus adaptés à l’utilité
nombreux projets à l’étude autour recherchée par les utilisateurs détruit la
des gares du Grand Paris. Cette valeur des immeubles moins adaptés,
vacance ne risque-t-elle pas de voire plus du tout » 2.
s’accroître encore ?
Il faut donc s’interroger sur le devenir
Le parc tertiaire francilien est en effet à des immeubles qui se retrouvent
la fois le plus important et le plus ancien sortir du marché du fait de leur
d’Europe. L’obsolescence est donc obsolescence technique, voire de
devenue une problématique majeure localisation. Cependant, l’affectation
et les entreprises ne s’y trompent des immeubles n’est pas aussi figée
pas. Bien que nous ne soyons pas qu’on le dit parfois. Ces biens à rénover
dans une période de forte croissance peuvent intéresser d’autres types
économique, la commercialisation de d’activités : logements, mais aussi
mètres carrés neufs n’a pas ralenti de activités économiques de PME/PMI,
manière significative. Ces nouveaux voire de la logistique urbaine. Un
immeubles correspondent souvent à bâtiment devient rarement hors
une demande des entreprises pour marché tous secteurs d’activités
des produits de dernière génération, confondus. La vitalité de l’économie
qui permettent une productivité au passe aussi par sa malléabilité, qui
poste de travail plus importante. Ce permet d’imaginer des futurs pour des
faisant, ces livraisons d’immeubles territoires et des immeubles le jour où
neufs ou rénovés mettent hors marché ils deviennent inadaptés à telle ou telle
une catégorie d’immeubles déclassés activité.
et accélèrent l’obsolescence d’autres

2 Alain Béchade, Richard Malle, Économie immobilière, Economica, 2016, page 23. 67
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

Entretien avec Pierre Mansat


Chargé de la Métropole auprès de la maire de Paris,
Président de l’Atelier International du Grand Paris, Paris

Chargé de la Métropole du Grand Paris


auprès de la maire de Paris depuis 2014,
Pierre Mansat est également Président
du Conseil d’administration de l’Atelier
International du Grand Paris (AIGP) depuis
2011. Dans cet entretien, il revient sur les
missions et les réflexions de l’AIGP et livre
son regard sur la capacité de la Métropole
du Grand Paris à orienter le développement
économique des territoires et les stratégies
des entreprises.

Pouvez-vous présenter l’Atelier


International du Grand Paris
(AIGP), dont vous présidez le Conseil
d’administration depuis 2011 ?

L’AIGP est l’héritier de la première de l’habitat ainsi que des systèmes


consultation sur le Grand Paris, initiée métropolitains, mais sans que les
par Nicolas Sarkozy dès 2008 en publications qui en ont découlé
vue d’imaginer la métropole post- ne bénéficient d’une médiatisation
Kyoto (voir entretien avec Nicolas comparable à celle de la première
Buchoud). Suite au succès à la fois consultation. Le temps était en effet
intellectuel et populaire de cette venu de produire un travail de fond,
consultation, l’AIGP a été créé afin de entre recherche et opérationnalité, qui
constituer le cadre dans lequel puisse ne justifiait pas de faire l’objet d’une
se poursuivre le travail de recherche diffusion auprès du grand public.
sur les enjeux spatiaux du Grand Paris.
Si la consultation initiale intégrait dix La troisième étape, qui vient de
équipes pluridisciplinaires emmenées débuter, a consisté à lancer un appel
par des architectes-urbanistes, l’AIGP à candidatures pour renouveler les
a par la suite vu ses contributeurs équipes-membres, puisque le marché
s’étendre à quinze équipes après appel arrivait à son terme. La forme de l’AIGP
d’offres. La dimension internationale sera amenée à évoluer pour devenir un
est manifeste, avec la présence véritable conseil scientifique réunissant
d’équipes anglaise, allemande, italienne les compétences d’architectes-
ou encore néerlandaise. urbanistes, mais aussi de sociologues,
de géographes, d’économistes, de
Au cours des années suivantes, les philosophes voire d’artistes, pour être
réflexions de l’AIGP ont été orientées en phase avec un Grand Paris devenu
68 vers les questions du logement, plus concret, notamment depuis
Chapitre 2 Le bureau, créateur de valeur pour les territoires : analyse du cas francilien

Cartes des 12 Etablissements Publics Territoriaux (EPT) couvrant l’intégralité du territoire


de la Métropole du Grand Paris (MGP).

l’entrée en fonction de la Métropole du structures où, de manière permanente,


Grand Paris (MGP) au 1er janvier 2016, l’État rencontre les collectivités
le début des travaux du Grand Paris territoriales autour du projet du Grand
Express (GPE) et l’apparition d’appels Paris.
à projets qui concernent un grand
nombre de communes d’Île-de-France Enfin, sur le plan territorial, les réflexions
voire d’au-delà, comme « Inventons la de l’AIGP ont beaucoup porté sur
Métropole » ou « Réinventer la Seine ». les communes de l’est parisien, par
exemple Marne-la-Vallée ou encore
Sur le plan de la gouvernance, précisons Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne) où
que l’AIGP est un Groupement d’intérêt il existe notamment un fort enjeu autour
public (GIP) composé du ministère de des back offices – les enjeux franciliens
la Culture, du ministère du Logement, liés aux secteurs de bureaux ne se
de la Ville de Paris, de la Région Île-de- résument pas au quartier d’affaires
France, du syndicat Paris Métropole de la Défense. En revanche, le rapport
et de l’Association des Maires d’Île- aux anciennes villes nouvelles (Cergy-
de-France. Cela en fait l’une des rares Pontoise, Saint-Quentin-en-Yvelines, 69
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

Sénart) me semble être un impensé d’affaires. La deuxième est celle de la


du Grand Paris. De fait, l’institution concurrence ou de la complémentarité
métropolitaine ne les intègre pas, de entre les projets tertiaires franciliens
même qu’elle n’intègre ni la zone de dans leur grande diversité. En effet,
l’aéroport de Roissy, ni le plateau de l’addition des projets formulés dans les
Saclay, alors que ces territoires sont différents Contrats de Développement
pleinement intégrés sur le plan du Territoriaux (CDT) signés en Île-de-
fonctionnement métropolitain. C’est France aboutit au chiffre irréaliste
toute la question des limites du Grand de 15 millions de nouveaux mètres
Paris, selon la définition de cette carrés tertiaires, ce qui donne une idée
notion que l’on considère : l’échelle de ce que souhaitent les collectivités
de gouvernance qui est celle de la pour leur propre développement. Or,
MGP ou l’échelle de l’agglomération il est évident qu’il n’y a aucun besoin
en tant qu’entité cohérente sur le plan d’une telle quantité de bureaux
fonctionnel. supplémentaires, quand bien même
ils seraient neufs et modernes. L’AIGP
Quelles réflexions l’AIGP a également identifié la nécessité
mène-t-il sur le sujet du de mieux mailler les échanges entre
développement économique de les universités et les entreprises, et
la métropole, et notamment d’établir des liens plus étroits entre
de l’implantation des espaces ces deux mondes qui communiquent
tertiaires ? encore trop mal.

200 km L’AIGP a en effet mené récemment


un travail spécifique sur les questions
de développement économique des
La troisième conclusion concerne l’ur-
banité et la présence d’aménités, deux
qualités plébiscitées par les entre-
C’est la longueur territoires du Grand prises et intégrées
du futur réseau de Paris, avec cette à leurs stratégies de
métro du Grand Paris limite que toutes les « Les mutations des localisation. Les quar-
Express.
équipes n’étaient pas manières de travailler et tiers d’affaires ou les
également armées la révolution numérique centres d’affaires en
pour appréhender vont impacter de plus en difficulté de ce point
ce genre d’enjeux plus fortement la vision de vue doivent s’en
qui ne relèvent traditionnelle de l’immeuble inquiéter, car l’ur-
pas uniquement de bureaux et du quartier banité devient un
de l’aménagement d’affaires. » critère décisif dans
urbain. En parallèle, le choix d’implanta-
quatre de ces équipes tion des entreprises.
(Dominique Perrault Architecture, La Défense a clairement été iden-
TVK, François Leclercq et Seura) ont tifiée comme concernée par cette
mené un travail centré sur les quartiers problématique : déficit de logements,
d’affaires dont on peut retenir trois accessibilité complexifiée par la limite
grandes conclusions. La première est de charge atteinte par le RER A – or
que les mutations des manières de de nombreux salariés de la Défense
travailler et la révolution numérique habitent à l’est de Paris –, obsolescence
vont impacter de plus en plus d’une partie du parc de bureaux.
fortement la vision traditionnelle de
70 l’immeuble de bureaux et du quartier
Chapitre 2 Le bureau, créateur de valeur pour les territoires : analyse du cas francilien

Les compétences de la MGP lui différents niveaux institutionnels n’est


permettent-elles véritablement cependant pas entièrement tranchée :
de peser sur l’aménagement du la loi NOTRe 1 le veut ainsi, en décrétant
territoire en général, et sur les que la MGP a jusqu’à la fin de l’année
stratégies de localisation des 2017 pour décider de s’emparer ou
entreprises en particulier ? non d’un certain nombre de sujets,
selon si elle les juge ou non d’intérêt
À mes yeux, les compétences de la métropolitain. À l’heure du bilan
MGP vont porter sur l’aménagement intermédiaire, force est de constater
urbain et économique, à la différence que la Métropole dispose de pouvoirs
des compétences en termes d’aides assez modestes, les maires restant
aux entreprises et de formation largement à la manœuvre. Au-delà
professionnelle, qui resteront du de son rôle d’ensemblier, je crois que
ressort de la région Île-de-France. La la MGP pourrait davantage adopter
question de la répartition exacte de une posture d’agitatrice d’idées
ces différentes compétences entre les et d’incitatrice de stratégies de
© Société du Grand Paris

Carte du Grand Paris Express (GPE), le futur métro automatique du Grand Paris.

1 Promulguée le 7 août 2015, la loi portant sur la Nouvelle Organisation Territoriale de la République (NOTRe) confie de
nouvelles compétences aux régions et redéfinit clairement les compétences attribuées à chaque collectivité territoriale 71
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

développement au sein du périmètre Nouvel, et qui prévoit de combiner dans


institutionnel qui est le sien. Sa un même bâtiment des bureaux et un
contribution pourrait notamment hôtel. Mais étant donnée l’importance
porter sur la réflexion stratégique pour les entreprises de disposer du
autour de la localisation des entreprises, plus large panel possible d’aménités à
compte tenu de l’importance d’opérer proximité de leurs locaux, cet enjeu est
des rééquilibrages fonctionnels et clairement tout à fait central.
notamment de réinjecter de l’activité
dans des zones presque purement Jean-Louis Missika, Adjoint à la maire
résidentielles. La métropole pourrait de Paris en charge de l’Urbanisme, a
ainsi jouer un rôle de stratège contribué à impulser une dynamique
permettant d’orienter les actions des sur ce sujet, en cherchant à aider
communes, qui resteront probablement l’activité économique, et notamment
le cœur battant de la réalisation des
politiques publiques.
« Il existe un risque non
L’enjeu de mixité fonctionnelle négligeable que le GPE contribue
est-il désormais pleinement intégré à conforter l’attractivité des
dans les projets urbains ? pôles déjà bien portants ou
émergents, comme par exemple
Si l’on considère l’échelle du quartier, Saint-Denis-Pleyel (Seine-Saint-
on peut dire que l’impératif de mixité Denis), sans que les autres pôles
fonctionnelle est aujourd’hui bien puissent rattraper leur retard. »
intégré. Pour prendre un exemple
récent, le quartier de Clichy-Batignolles celle générée par les acteurs de la Net
(17ème arrondissement de Paris), qui économie, à trouver leur place au cœur
représente 54 nouveaux hectares de de la ville. L’ambition d’une démarche
ville, mêle des logements de toutes comme l’Arc de l’innovation 2 est bien
natures, des bureaux, des commerces, de réintroduire dans un tissu urbain
des espaces verts et des équipements constitué non seulement des espaces
publics. Si les acteurs publics ne sont de bureaux classiques, mais aussi
plus à convaincre, le dialogue demeure toutes les nouvelles formes nouvelles
en revanche parfois nécessaire avec de lieux de travail, de la pépinière
les promoteurs immobiliers, dont les d’entreprises à l’espace de coworking
schémas d’intervention traditionnels en passant par le Fab Lab.
sont peut-être parfois un peu datés sur
ce plan. Existe-t-il un risque de spéculation
immobilière autour des gares du
Si l’on considère l’échelle de Grand Paris Express (GPE) ?
l’immeuble, la marge de progression
est encore considérable, même si Ce risque de spéculation existe, mais
l’on identifie des projets intéressants il est très différencié selon les gares.
comme par exemple celui des tours Certaines d’entre elles desserviront
Duo dans le 13ème arrondissement des communes marquées par
de Paris, conçu par l’architecte Jean d’importantes difficultés sociales, et où

2 Voir le Cahier #4 de la Chaire Immobilier et Développement Durable, Le numérique dans la ville de demain : quels enjeux pour
72 l’immobilier ?, 2016.
Chapitre 2 Le bureau, créateur de valeur pour les territoires : analyse du cas francilien

l’activité économique est limitée. Bien départementales. De plus, Paris&Co,


sûr, beaucoup d’espoirs sont fondés l’agence de développement
sur l’idée que ces gares vont créer pour économique et d’innovation de Paris,
ces territoires une impulsion décisive, travaille de manière de plus en plus
sauf que je ne suis pas convaincu conjointe avec Paris-Île-de-France
qu’elles suffisent à attirer cette activité Capitale Economique, l’association qui
qui fait défaut. Il existe un risque non regroupe plus d’une centaine de
négligeable que le GPE contribue à grandes entreprises pour contribuer
conforter l’attractivité des pôles déjà au rayonnement international de
bien portants ou émergents, comme l’agglomération. Dernier exemple : un
par exemple Saint-Denis-Pleyel (Seine- guichet unique a été constitué suite au
Saint-Denis), sans que les autres pôles Brexit, pour offrir un interlocuteur
puissent rattraper leur retard. L’écueil clairement identifié à toutes les
d’un développement à deux vitesses entreprises désireuses de quitter le
est donc bien réel. Il est indéniable Royaume-Uni et envisageant de
que ce nouveau métro améliorera les s’implanter en Île-de-France. Etat,
conditions de déplacements de milliers Région, Ville de Paris et Métropole du
de Franciliens, mais je ne crois pas Grand Paris contribuent au financement
qu’il sera le moteur d’une plus grande de ce guichet, pour contribuer à
harmonisation socio-économique de l’harmonisation des processus entre
la métropole. C’est un puissant outil des interlocuteurs qui poursuivaient en
de développement, mais porteur d’un parallèle, sans vraiment communiquer,
risque d’aggravation des disparités. des objectifs similaires.

Quels sont les outils existants pour


promouvoir l’attractivité du Grand
Paris auprès des grands comptes et
des investisseurs internationaux ?

Le débat autour du Grand Paris a eu le


mérite de faire prendre conscience à
l’ensemble des parties prenantes de la
nécessité de travailler ensemble pour
offrir une image de marque commune
et œuvrer de façon mutualisée à la
promotion de la métropole. Ce travail a
commencé avec le rapprochement des
différentes agences de développement

73
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

Entretien avec Daniel Béhar


Géographe, Professeur à l’École d’Urbanisme de Paris,
Directeur de la coopérative Acadie, Paris

Professeur à l’Ecole d’Urbanisme de


Paris (université Paris-Est Créteil), Daniel
Béhar est également membre de l’Atelier
International du Grand Paris (AIGP) en tant
qu’associé de l’équipe TVK et Directeur de
la coopérative Acadie, qui met son expertise
sur les rapports entre politiques publiques
et territoires au service des collectivités
territoriales, des services de l’État et des
ministères. Spécialiste des enjeux du
développement local et de gouvernance
territoriale, il revient dans cet entretien sur
les stratégies de localisation des ménages
et des entreprises impulsées par le Grand
Paris et notamment son futur réseau de
transports, le Grand Paris Express.

Le groupement Acadie/Güller- ladite infrastructure est livrée. Or, cette


Güller/TVK a été retenu par la logique de l’ingénieur est inadéquate
Société du Grand Paris (SGP) pour cerner les effets territoriaux
pour mener une mission d’étude d’un projet comme celui du GPE,
sur la scénarisation des effets car le temps qui va s’écouler entre
du Grand Paris Express (GPE). aujourd’hui et la date de mise en service
Quel est l’objectif de cette mission ? du métro – et c’est là notre hypothèse
de départ – n’est pas un temps neutre
L’objectif de ce travail consiste et improductif. C’est au contraire un
à expérimenter une méthode de temps où des processus non linéaires
scénarisation des effets du système de transformation vont être en œuvre,
de transports du Grand Paris Express, suivant l’idée que « la métropole n’at-
en considérant que les approches tend pas le métro » : la métropole est
classiques d’anticipation des effets, qui un système vivant, en perpétuelle évo-
sont des approches de modélisation, lution, dans lequel le métro apparaît
pouvaient utilement être enrichies comme un perturbateur qui redessine
suivant trois angles. les flux, les équilibres, les stratégies.

Le premier angle est l’approche Le deuxième angle est celui


temporelle. Les approches modélisa- des acteurs. Les modélisations
trices classiques visant à caractériser fonctionnent généralement à partir
les effets d’un grand projet d’infras- d’une consolidation de ce qu’on
tructures raisonnent à terme échu, connaît des comportements de ceux
74 c’est-à-dire à partir du moment où qu’on appelle les agents, c’est-à-dire
Chapitre 2 Le bureau, créateur de valeur pour les territoires : analyse du cas francilien

les ménages et les entreprises. De ce procéder ensuite à une agrégation de


fait, elles tendent à faire l’impasse sur nos résultats.
la manière dont les acteurs, c’est-à-
dire les opérateurs, les promoteurs, Que peut-on prédire des impacts
les collectivités, se saisissent de ce du Grand Paris Express (GPE) sur la
projet et l’accompagnent ou non. Or, localisation des entreprises et des
on sait bien que les infrastructures de ménages ?
transport n’ont d’effet structurant que
si elles entrent en congruence avec Il convient en vérité de différencier ces
les logiques des acteurs. Nous nous deux types d’agents, car ménages et
efforçons donc de repérer ces logiques entreprises ne fonctionnent pas de
à l’œuvre et d’analyser leur inscription la même manière, au même rythme
dans la transformation territoriale et suivant les mêmes stratégies de
promise par le métro. localisation. Le discours qui consiste
à affirmer que les nouvelles gares, du
La troisième singularité de notre moins les principales, vont créer autant
approche réside dans l’échelle de polarités avec une mixité urbaine
d’analyse anticipatrice. La mesure des aboutie est donc assez contestable.
effets futurs telle qu’elle est conduite
par la Société du Grand Paris (SGP), qui À rebours, peut-être, d’une idée
construit le métro, propose d’un côté, reçue, les ménages sont les premiers
une modélisation globale à l’échelle de à réagir au déploiement d’une
la métropole pour démontrer le rôle du nouvelle infrastructure de transport
métro dans la croissance économique – j’inclus avec eux les opérateurs
et de l’autre côté, une modélisation d’immobilier résidentiel. Leurs effets
beaucoup plus fine à l’échelle des d’anticipation sont les plus rapides et,
fameux 800 mètres autour des futures partant, c’est dans ce domaine que les
gares, en s’efforçant d’anticiper leur transformations sont déjà à l’œuvre.
transformation, les effets sur les prix Un certain nombre d’investisseurs
et le foncier, etc. Nous avons fait le publics accompagnent ce mouvement,
choix de nous intéresser à l’échelle par exemple la SNI, bailleur affilié à la
intermédiaire entre le global et le Caisse des Dépôts et Consignations,
local, en faisant l’hypothèse que les qui réfléchit à des programmes
effets induits par ces nouvelles gares de logements intermédiaires pour
ne seront pas d’une décroissance créer une convergence entre sa
régulière à mesure qu’on s’en éloignera, propre stratégie et les opérations
à l’image des cercles concentriques d’aménagement qui se déclenchent.
qui se produisent à la surface de l’eau Ces acteurs visent des cibles
quand on y jette une pierre. résidentielles qu’ils qualifient parfois
de key workers 1, à destination desquels
Nous développons cette triple ils peuvent faire le pari de livrer des
approche suivant trois axes opérations avant même que le métro
thématiques (les équipements et les ne soit inauguré, de telle sorte que
services, la dimension économique et lorsqu’il le sera entièrement à l’horizon
enfin la dimension de l’habitat), pour 2030, ils organiseront la première

1 Surtout employée au Royaume-Uni, l’expression key worker renvoie aux salariés du secteur public que le gouvernement
cherche à accompagner dans leur recherche de logement, car leurs revenus sont trop élevés pour bénéficier d’un logement
social, mais trop limités pour pouvoir accéder aisément à la propriété. 75
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

rotation locative aboutissant cinq ans du métro, les effets de recomposition


plus tard à l’amortissement de leurs territoriale concerneront davantage
opérations et à la revente. On voit la frange extérieure de la première
bien que leur schéma temporel relève couronne, à la limite avec la deuxième.
pleinement de l’anticipation.
En effet, la zone dense est celle où le
Cette dynamique ne sera probablement marché est aujourd’hui le plus porteur,
pas uniforme : elle va toucher en tout en proposant encore de belles
premier chef les marchés immobiliers opportunités foncières. Il est cepen-
résidentiels latents, comme par dant probable que l’on en arrive assez
exemple celui de Champigny-sur- vite à une forme de saturation, doublé
Marne (Val-de-Marne). C’est ce que la peut-être d’un effet NIMBY (Not in My
géographe Anne Clerval appellerait BackYard), le tout conduisant à terme
le front de gentrification : le GPE est à un report de la dynamique vers la
générateur de nouveaux espaces bordure extérieure de la petite cou-
de gentrification potentielle via des ronne. C’est ce second mouvement qui
ménages capables d’anticiper et prendra à mon sens l’ampleur la plus
d’acheter un bien dans ces territoires significative. Le paradoxe est que le
tant que les prix n’ont pas encore GPE a été porté, entre autres, par l’idée
augmenté. que la proche couronne allait voir son
accessibilité puissamment améliorée
On voit bien, en revanche, que les opé- et fonctionnerait comme Paris intra-
rateurs de l’immobilier de bureau sont muros. Ce n’est pas absurde, sauf que
pour l’heure dans l’attente. Ce mar- cette proche couronne est déjà assez
ché-ci ne sera réellement activé par le bien desservie via les lignes de RER
métro qu’au moment de la mise en ser- et les extrémités des lignes de métro,
vice de ce dernier : c’est seulement à même si cette desserte, de fait, est
ce moment qu’entre- surtout radiale. Or,
prises et opérateurs ce que le métro va
« On voit bien que les
immobiliers infléchi- réellement métamor-
opérateurs de l’immobilier
ront leurs stratégies phoser, ce sont les
de bureau sont pour l’heure
d’implantation ou interconnexions, sui-
dans l’attente. Ce marché-ci
d’investissements. Il vant un schéma en
ne sera réellement activé
existe donc un réel peigne à partir des
par le métro qu’au moment
décalage temporel lignes du GPE, per-
de la mise en service
et, sans doute, des mettant à de très
de ce dernier. »
effets de localisation nombreux usagers
qui ne seront pas de de transiter par les-
même nature entre marché résidentiel dites lignes, et non plus par Paris, pour
et marché de l’immobilier de bureau. rallier différents points de la périphérie.
Les opérateurs de transport sont una-
L’effet de transformation de la période nimes sur ce point : les effets majeurs
actuelle, qui est celle de l’anticipation, de recomposition territoriale et d’évo-
concerne plutôt la zone dense, c’est- lution des flux concerneront l’extérieur
à-dire, de manière schématique, les de la rocade décrite par le GPE, et non
communes limitrophes de Paris et un l’intérieur.
peu au-delà. Dans dix ans, lors de la mise
76 en service progressive des tronçons
Chapitre 2 Le bureau, créateur de valeur pour les territoires : analyse du cas francilien

Dynamiques de croissance urbaine dans les quartiers de gare

Répartition de
l’urbanisation
© Güller-Güller

Saisons
TEMPS DE TEMPS DE LA MISE TEMPS DU
L’ANTICIPATION EN ACCESSIBILITÉ RENOUVELLEMENT

Évolution des dynamiques de croissance selon les fonctions urbaines dans les quartiers autour des
futures gares du Grand Paris Express, à mesure de l’avancement du projet.

La courbe de la mobilité résidentielle Que reste-t-il de la logique des


et celle de la mobilité des entreprises clusters qui faisait partie du projet
vont donc se croiser au moment de la initial du Grand Paris ?
mise en service du métro, puisque les
stratégies des entreprises prennent Tous les travaux d’analyse sur ce sujet
appui sur la ressource humaine se montrent assez dubitatifs sur cette
disponible localement. On assistera logique de clusters spécialisés, car la
donc sans doute à un tassement configuration géographique de l’Île-de-
de la mobilité résidentielle et à une France ne s’y prête guère. Au contraire,
augmentation des mouvements de et à la différence du Grand Londres,
relocalisation des entreprises. la caractéristique très singulière du
processus de métropolisation propre
au Grand Paris est d’être généraliste
à tous les niveaux, à toutes les
« Les opérateurs de transport échelles. À l’exception d’une certaine
sont unanimes sur ce point : forme de polarisation des activités de
les effets majeurs de recomposition la communication et de l’audiovisuel
territoriale et d’évolution des flux dans le secteur d’Issy-les-Moulineaux
concerneront l’extérieur de (Hauts-de-Seine), il est à peu près
la rocade décrite par le GPE, impossible d’identifier des logiques de
et non l’intérieur. » spécialisation économique « naturelle »
au sein du système francilien. Il en va
d’ailleurs de même de nos métropoles
régionales, à quelques exceptions près 77
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

(Toulouse, Nice), alors que les grandes « Le Grand Paris, à travers
villes allemandes, par exemple, sont notamment son réseau de
beaucoup plus spécialisées. Ce projet transport, va générer non pas
des clusters comportait, à mon sens, des fractures mais une sorte de
une part de marketing territorial. fractalisation, c’est-à-dire un
En réalité, pour les entreprises, c’est ensemble d’effets de valorisation
davantage le Grand Paris tout entier et de dépréciation beaucoup plus
qui forme un cluster. fins et beaucoup plus locaux. »

Il me semble possible, en revanche, qu’en les plus modestes. Cette théorie me


réduisant les contraintes de mobilité paraît elle aussi un peu simpliste. Je
des salariés et donc des entreprises, le crois que le Grand Paris, à travers
GPE contribue à induire une certaine notamment son réseau de transport,
tendance au regroupement spatial, va générer non pas des fractures mais
sous forme de grappes, de la part une sorte de fractalisation, c’est-à-dire
d’entreprises œuvrant dans le même un ensemble d’effets de valorisation et
domaine d’activité. de dépréciation beaucoup plus fins et
beaucoup plus locaux.
Une question connexe est celle de
savoir dans quelle mesure le GPE Pourquoi considérez-vous les
pourrait contribuer à réduire les Établissements Publics Territoriaux
grands déséquilibres qui caractérisent (EPT) comme un meilleur échelon
l’agglomération, notamment celui entre de gouvernance que la Métropole
l’est et l’ouest. D’abord, je pense que du Grand Paris (MGP) ?
cette vision duale mérite aujourd’hui
d’être nuancée : en analysant de près La création de la Métropole du Grand
les dynamiques à l’œuvre, on s’aperçoit Paris contribue à faire perdurer une
que les créations d’emploi se font, en illusion : celle de la possibilité d’un
chiffres relatifs, au bénéfice de la Seine- système unifié, intégré par en haut,
Saint-Denis et du secteur de Roissy. qui permette de réduire les grands
Les inégalités sociales, en revanche, déséquilibres socio-spatiaux. Dans
perdurent. Ensuite, la représentation ce cadre, la bataille entre la MGP et
selon laquelle l’uniformisation de la Région me paraît dépourvue de
l’accessibilité réduira les disparités fondement, car ces deux institutions
socio-économiques est éminemment rivalisent autour d’une même illusion,
discutable : on n’a jamais vu que celle d’une gouvernance intégrée, à la
l’isotopie en termes d’accessibilité bonne échelle. Partout dans le monde,
enclenche une homogénéisation on constate l’inverse : ce qui caractérise
socio-territoriale. L’accessibilité par les métropoles, c’est l’impossibilité de
métro dans Paris intra-muros est ce mode de gouvernement territorial et
globalement homogène, ce qui n’a pas l’émergence de modes de gouvernance
fait disparaître les contrastes sociaux pluralistes. C’est la raison pour laquelle
entre les quartiers ! je suis très attentif à cette couverture
intercommunale exhaustive assurée par
Certains observateurs soutiennent les Etablissements Publics Territoriaux
la thèse inverse : le métro va être un (EPT) et les Etablissements Publics de
vecteur de ségrégation, en évinçant coopération Intercommunale (EPCI)
78 de la proche couronne les ménages de grande couronne, qui forment
Chapitre 2 Le bureau, créateur de valeur pour les territoires : analyse du cas francilien

Intensité de
mobilité
© Güller-Güller

Saisons
AVANT L’ANNONCE TEMPS DE TEMPS DE LA MISE TEMPS DU
DU GPE L’ANTICIPATION EN ACCESSIBILITÉ RENOUVELLEMENT

Évolution des dynamiques de mobilité des entreprises et des ménages selon l’état d’avancement du
projet du Grand Paris Express.

de vastes intercommunalités d’au des EPT qui sont la bonne échelle sur
moins 300 000 habitants. En termes ce sujet.
de gouvernance, la véritable rupture
réside à mes yeux davantage dans les Dès lors, un appel à projets comme
EPT que dans la MGP. « Inventons la Métropole », parce
qu’il réactive l’échelle communale
Certes, les intercommunalités existaient comme cadre d’intervention, n’est pas
déjà en Île-de-France, mais d’une part dépourvu d’ambiguïté : une métropole
toutes les communes n’étaient pas ne se bâtit pas par agrégation de
rattachées à l’une d’entre elles, d’autre dizaines de projets extrêmement
part elles étaient davantage techniques localisés. Le mot-clé d’« Inventons la
et syndicales que politiques. Seules les Métropole » est « innovation », alors qu’il
plus importantes (Plaine Commune, pourrait utilement être « composition ».
Est Ensemble, Grand Paris Sud-Ouest) Comment penser les interactions
faisaient réellement usage de leur et élaborer une vision d’ensemble à
compétence en maîtrise d’ouvrage. partir d’une soixantaine de sites de
Par ailleurs, l’Île-de-France est projets extrêmement différents les uns
historiquement caractérisée par le fait des autres ? La synergie entre public
communal, d’une manière parfois un et privé, qui est l’un des héritages
peu féodale ; et comme bon nombre forts de « Réinventer Paris », peut être
de ces communes ont une taille très bénéfique à la programmation et
démographique suffisante pour être à la réflexion sur les usages, mais a
autonomes en termes de services et tendance à reléguer à l’arrière-plan le
d’équipements, l’insularité primait sur jeu sur les échelles de l’espace et du
la vision intercommunale. À mon avis, temps, qui est l’un des attributs par
la compétence « aménagement » de la excellence de la puissance publique.
MGP va être réduite a minima, au profit 79
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

Dans quelle mesure l’intention Au second semestre 2016, deux études


initiale du Grand Paris a-t-elle sont sorties à trois mois d’intervalle qui
évolué par rapport à la vision illustrent parfaitement cette ambiguïté.
formulée par Nicolas Sarkozy La première, signée par le cabinet
en 2008 ? d’audit et de conseil Ernst & Young 2, a
annoncé qu’avant même que le projet
Je pense que l’intention initiale du Grand Paris ait pris corps, Paris
demeure. Le Grand Paris est un gagnait des places dans le palmarès
projet d’ordre national, porté par des métropoles mondiales, s’agissant
l’État. Il consiste à optimiser, dans un d’attirer les investisseurs internationaux.
contexte mondialisé de compétition
internationale, le moteur de la France
que représente l’Île-de-France, « Le Grand Paris est un
productrice de 30 % du PIB du pays. projet d’ordre national,
C’était l’intention de départ, et elle est porté par l’État. Il consiste à
toujours d’actualité. optimiser, dans un contexte
mondialisé de compétition
Ceci étant dit, le projet a évolué parce internationale, le moteur
qu’il s’est territorialisé, c’est-à-dire de la France que représente
ancré dans le local. C’est là qu’apparaît l’Île-de-France, productrice
la dualité du défi qui se pose à la de 30 % du PIB du pays.
métropole : la finalité est d’être C’était l’intention de départ,
compétitif par rapport à Londres, et elle est toujours
Tokyo ou New York, mais pour ce faire, d’actualité. »
il faut commencer par être compétitif
vis-à-vis de Lyon, Nantes et Bordeaux
en matière d’opportunités d’emplois La seconde, réalisée par l’Agence pour
mais aussi d’offre résidentielle et de l’Emploi des Cadres (APEC) 3, révélait
qualité de vie au quotidien. Pour les quant à elle que 80 % des cadres d’Île-
classes d’âge au-dessus de 35 ans, de-France souhaiteraient en partir, et
les statistiques montrent que le solde que la moitié seraient prêts à le faire
migratoire francilien est négatif. Si la même au prix d’une baisse de leur
région peine à retenir ses actifs dès salaire. Je crois que tout le paradoxe
qu’ils arrivent à l’âge de la maturité métropolitain est résumé dans ces
parce que les métropoles régionales deux études parues à quelques
ont su se montrer plus attractives, semaines d’intervalle.
il risque d’être compliqué, du moins
sur certains critères, de s’imposer
dans la compétition que se livrent les
villes-monde.

2 Ernst & Young, Baromètre du Grand Paris 2016, juillet 2016.


80 3 APEC, Les mobilités des cadres dans les territoires, octobre 2016.
Chapitre 2 Le bureau, créateur de valeur pour les territoires : analyse du cas francilien

Paris et la Défense :
une attractivité qui se maintient
Obsolescence d’un parc constitué depuis plusieurs décennies, loyers hors
de portée de la plupart des petites et moyennes entreprises, émergence de
localisations alternatives pertinentes (Silicon Sentier, secteurs en renouvellement
urbain aux portes de Paris, communes limitrophes de Paris) : les raisons
théoriques sont nombreuses, qui pourraient entamer l’attractivité de ces deux
hauts-lieux tertiaires franciliens que sont le quartier d’affaires de la Défense et le
Quartier Central des Affaires (QCA) dans Paris intra-muros. Pourtant, force est de
constater qu’il n’en est rien. Présidente de l’ORIE, Dominique Dudan souligne la
prospérité d’un marché parisien des bureaux qui, en dépit de l’ancienneté du parc,
parvient à se renouveler et rester en dynamique. Directeur Général de l’EPADESA,
Jean-Claude Gaillot est quant à lui un interlocuteur de choix pour cerner la
manière dont le premier quartier d’affaires européen travaille à se réinventer, pour
favoriser la mixité de ses fonctions et la diversité de ses occupants.

Entretien avec Dominique Dudan


FRICS, Senior advisor chez LBO France, Présidente de
l’Observatoire Régional de l’Immobilier d’Entreprise (ORIE)
Dominique Dudan a passé une grande
partie de sa carrière dans la gestion de
fonds régulés, notamment chez Union
Investment Real Estate France dont elle
a été présidente de 2011 à 2015. Ayant
rejoint à cette date le fonds de capital-
investissement LBO France comme Senior
advisor, elle est également administratrice
indépendance de la foncière cotée Gecina
et Présidente de l’Observatoire Régional
de l’Immobilier d’Entreprise (ORIE) en
2016. À l’occasion de cet entretien, elle
fait le point sur la situation du marché
parisien des bureaux, en mettant l’accent
sur les conditions de l’amélioration de son
© Sacha Héron

attractivité.

81
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

Quel portrait peut-on dresser du la génération Y. On assiste donc à une


marché de l’immobilier de bureaux institutionnalisation du QCA combinée
à Paris en 2016-2017 ? au développement de nouveaux micro-
quartiers qui n’attiraient pas jusque-là
S’agissant du marché immobilier des le monde des affaires.
bureaux, la situation actuelle de Paris
est extrêmement favorable : les loyers Il existe également des secteurs
se raffermissent et la vacance est à un peu moins centraux, mais
un niveau très bas, qui correspond au toujours intra-muros, dont le succès
niveau souhaitable pour que le marché auprès des entreprises est avéré
conserve sa fluidité. Certaines études depuis quelques années. Je pense
avancent le chiffre de 800 000 m² de notamment à Paris Rive Gauche, dans
bureaux vacants dans Paris, mais il s’agit le 13ème arrondissement. Sa réussite
en grande majorité de mètres carrés est indéniable, les charges foncières y
diffus, dans des sites restreints : il n’y sont très élevées et cette localisation a
a pas d’immeubles louables confrontés d’ores et déjà fait ses preuves. Même
sur la durée à une absence de preneur. si ni les grands cabinets d’avocats,
Les transactions ont lieu sans en ni les banques privées ne s’y sont
passer par de longues négociations, implantées, les locataires restent
car la demande est au rendez-vous assez classiques, car le prix du mètre
et les loyers pratiqués sont justifiés. carré (jusqu’à 550 euros) rend le
En outre, le foncier disponible devient quartier inaccessible aux acteurs plus
rare, hormis dans quelques secteurs modestes. Notons toutefois que la
aux marges de Paris qui sont d’ailleurs Halle Freyssinet, récemment rebaptisée
en train de se lotir. Il existe en revanche Station F, fait souffler un vent
un marché de la restructuration et de la d’originalité dans le quartier. Le secteur
démolition/reconstruction, mais même Flandre, dans le 19ème arrondissement
les immeubles à redévelopper se font de Paris, a également fait ses preuves
rares intra-muros. et poursuit encore aujourd’hui son
redéveloppement.
Le dynamisme du Quartier Central des
Affaires (QCA) de Paris ne se dément Pour autant, le QCA n’est pas aussi
pas, au point que certains en sont venus figé qu’on pourrait le croire. Bien qu’il
à s’interroger sur l’existence d’une présente un tissu urbain largement
bulle immobilière. Je suis convaincue constitué, marqué par l’œuvre
qu’il n’en est rien, car les acteurs qui d’Haussmann, les changements
paient très cher des actifs ne sont pas d’usages demeurent possibles et
des acteurs court-termistes engagés ouvrent certaines perspectives.
dans une démarche spéculative : Si obstacle il y a, il est davantage
ils ont pour projet de les détenir financier que technique. L’immeuble
sur la durée. Cela dit, on constate du 32 Blanche (9ème arrondissement),
l’émergence de quelques localisations profondément restructuré par
alternatives au QCA, notamment dans l’architecte Franck Hammoutène, ou le
les 9ème et 10ème arrondissements, siège social de la Banque Postale rue
qui attirent fortement les jeunes de Sèvres, dans le 6ème arrondissement,
entreprises high-tech, les start-ups attestent que des immeubles de
et la Net économie, ainsi que leurs bureaux de grande taille, parfaitement
82 collaborateurs majoritairement issus de adaptés aux standards actuels,
Chapitre 2 Le bureau, créateur de valeur pour les territoires : analyse du cas francilien

peuvent encore émerger dans le cœur est donc non seulement celui d’une
historique de Paris. complexité législative, mais aussi
d’une montée fiscale permanente.
Vous insistez sur l’importance d’une
simplification de la fiscalité pour Cette problématique défavorise
attirer les investisseurs étrangers… nettement Paris par rapport à
Londres, car l’achat d’un immeuble en
Pour avoir beaucoup travaillé avec Angleterre peut se faire dans des délais
des groupes internationaux, je peux très compétitifs, ne serait-ce que parce
témoigner que l’instabilité des lois que les avocats sont aussi notaires. A
fiscales françaises constitue pour eux l’inverse, la complexité administrative
un véritable frein à l’investissement. de la France, pour laquelle nous
La France est connue pour cette sommes célèbres et qui, sur le sujet
spécificité qui génère une certaine qui nous occupe, commence dès la
tendance au French bashing. Il est Déclaration d’Intention d’Aliéner (DIA),
impossible d’établir des notes de détourne de notre marché plus d’un
synthèses claires, complètes et surtout investisseur.

Vue sur Paris depuis le toit de l’immeuble 32 Blanche, dans le 9ème arrondissement de Paris.

pérennes sur la législation en vigueur. Le Brexit semble toutefois avoir


On peut prendre l’exemple de la taxe déclenché une prise de conscience
pour création de locaux à usage de quant à la nécessité d’être plus attractifs
bureaux, de locaux commerciaux et de dans ce domaine, si bien qu’un travail
locaux de stockage (TCBCE), maintes de simplification est peu à peu engagé.
fois révisée et qui désormais concerne L’ORIE s’efforce d’apporter sa pierre
aussi les hôtels. Le sentiment dominant à l’édifice en montant des groupes 83
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

de travail sur ces questions, par ce soit Bouygues (Nextdoor), Nexity


exemple pour débloquer la situation (Blue Office) ou Icade. Les locaux
sur certains secteurs de la couronne de Nextdoor dans l’immeuble Cœur
parisienne où, à moins d’obtenir le
terrain gratuitement, plus aucun « L’ORIE a lancé un groupe de
produit ne parvient à sortir. L’ORIE travail sur le sujet des tiers-
espérait notamment obtenir que cette lieux, avec pour point de départ
fameuse TCBCE soit acquittée non la question du sens à donner à
plus dès l’obtention du permis, mais tous ces espaces : sont-ils un
seulement à partir du moment où le moyen de louer des espaces
chantier est effectivement amorcé, ce difficiles qui ne se loueraient pas
qui peut représenter une différence de autrement ? Ont-ils vocation à
plus d’un an, par exemple si un recours offrir un service complémentaire
a été déposé contre le projet. L’arrêté à des locataires ? Est-ce le point
en ce sens n’a toutefois toujours pas de départ d’une nouvelle façon de
été publié. penser les bâtiments ? »

Paris ambitionne d’être une place Défense, dans le quartier d’affaires de


forte du coworking, des tiers-lieux la Défense, accueillent par exemple
et des incubateurs à l’échelle principalement des équipes projet
mondiale. Quel regard portez-vous en provenance de grands groupes,
sur ce phénomène ? qui sont externalisées pour une
durée déterminée afin de travailler
L’ORIE a justement lancé un groupe ensemble hors du cadre traditionnel de
de travail sur ce sujet, avec pour l’entreprise. Mais plusieurs questions
point de départ la question du sens restent en suspens : ces acteurs croient-
à donner à tous ces espaces : sont- ils que les immeubles de demain seront
ils un moyen de louer des espaces conçus différemment pour intégrer
difficiles qui ne se loueraient pas cette dynamique ? Les immeubles de
autrement ? Ont-ils vocation à offrir demain doivent-ils être beaucoup plus
un service complémentaire à des ouverts ? Un certain nombre de grands
locataires ? Est-ce le point de départ groupes ont intégré un espace de ce
d’une nouvelle façon de penser les type à leur siège (Danone, Groupama,
bâtiments ? Sont-ils destinés aux Gecina) souvent à destination de
collaborateurs d’une même entreprise leurs propres collaborateurs mais
ou à des collaborateurs d’entreprises pas nécessairement. En parallèle
différentes qui, éventuellement, ont émergé des acteurs qui ont fait
travaillent ensemble ? du coworking leur métier, comme
Regus ou Multiburo. Enfin, 2017
Définir le coworking est déjà un défi sera marquée par l’implantation en
en soi, car ce terme recouvre des France de l’Américain WeWork, dans
réalités bien différentes qui relèvent le 9ème arrondissement de Paris (voir
parfois du gadget : un baby-foot et entretien avec Patrick Supiot). On voit
un distributeur de sodas ne font pas bien que chacun s’empare du sujet à
un espace de coworking. On peut en sa manière.
tout cas noter avec intérêt que tous
les grands promoteurs ont investi ce Les questions vont être nombreuses
84 créneau et ont lancé un produit, que pour ce groupe de travail lancé en
Chapitre 2 Le bureau, créateur de valeur pour les territoires : analyse du cas francilien

décembre 2016 et qui rendra ses nombre de mètres carrés nécessaires.


conclusions à l’été 2017, après avoir Les besoins sont d’ailleurs calculés en
auditionné tous les grands acteurs coût de revient par poste de travail,
du système. Il mettra avant tout pas en coût de revient du mètre carré.
l’accent sur l’aspect immobilier de
cette problématique, même si l’aspect L’ORIE a fait paraître en février
sociétal n’est pas négligeable, comme 2016 une étude sur l’immobilier
en témoigne la dimension business réversible, en lien avec celle
angel de Xavier Niel avec la Station F. de novembre 2014 sur la
De fait, on est plus intelligent ensemble transformation et la mutation des
que tout seul – et se rendre compte immeubles de bureaux. Où en est
par exemple, lorsqu’on a besoin de Paris avec ce sujet, qui semble
concevoir un site internet, que c’est beaucoup moins problématique à
justement le métier de la personne Bruxelles par exemple ?
qui travaille juste en face de vous
représente un bénéfice incomparable. La réversibilité est effectivement
une notion intéressante, qui fait
Ce travail de l’ORIE s’inscrit dans la régulièrement parler d’elle. Mais l’on se
continuité de nos réflexions antérieures perd souvent dans des considérations
sur le télétravail, dont les conclusions sur sa faisabilité technique, qui à mes
n’étaient pas du tout celles auxquelles yeux n’est pas l’obstacle principal. Les
on pouvait s’attendre. L’enjeu était promoteurs ont désormais intégré
notamment de comprendre si l’essor cet enjeu à leurs pratiques et se font
du télétravail allait diminuer les surfaces fort de proposer des plateaux les plus
nécessaires dans les entreprises. Nous libres possible, en laissant des fluides
en sommes arrivés à la conclusion qu’il (arrivées d’eau et d’électricité, courants
n’en était rien. D’une part, travailler faibles) en attente qui ne seront activés
de chez soi trop souvent, en étant qu’au besoin, en optimisant la flexibilité
coupé du monde de l’entreprise, finit des cloisons, etc. De toute façon,
par devenir contre-productif ; d’autre même les immeubles anciens bâtis du
part, tous les métiers, toutes les temps d’Haussmann sont réversibles,
personnalités et tous les logements à condition d’y mettre le prix. On
ne se prêtent pas à cette pratique. À met souvent en avant le différentiel
l’heure du bilan, on ne peut pas dire que de profondeur (18 mètres maximum
le travail à distance va faire chuter le pour du bureau, 12 mètres pour du
logement), mais on peut prévoir des
patios qui résolvent ce problème.
« D’une part, travailler de chez soi trop
souvent, en étant coupé du monde de Davantage que technique, le
l’entreprise, finit par devenir contre- problème essentiel est donc à mon
productif ; d’autre part, tous les sens économique mais aussi et surtout
métiers, toutes les personnalités et politique. Prenons l’exemple d’un parc
tous les logements ne se prêtent pas d’affaires situé en périphérie qui a été
à cette pratique. À l’heure du bilan, peu à peu déserté par les entreprises :
on ne peut pas dire que le travail à la possibilité d’en faire un secteur
distance va faire chuter le nombre de résidentiel viable dépendra surtout
mètres carrés nécessaires. » de la volonté politique d’y amener
des écoles, des commerces, des 85
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

transports en commun. La relégation logements créés pour les louer : il les


géographique et l’absence d’aménités revendra à la découpe. Si son souhait
à proximité est tout aussi préjudiciable est de conserver son bien, le bureau
à des logements qu’à des bureaux. demeure plus intéressant.
Mais ne nous y trompons pas : la
reconversion de bureaux en logements Les investisseurs internationaux
concerne bien davantage des secteurs sont pour l’heure assez frileux
relativement périphériques que le QCA à l’idée d’investir hors de Paris,
ou n’importe quel autre périmètre dans excepté dans le quartier d’affaires
Paris intra-muros. Cela dit, lorsqu’un de la Défense. Le Grand Paris et son
immeuble de bureaux du QCA se vide nouveau réseau de transports vont-
de son occupant, sa reconversion en ils changer la donne ?
logements est désormais envisagée,
car le prix du logement tangente C’est un sujet complexe. Sur le papier,
désormais celui du tertiaire dans les on pourrait s’attendre à ce que la com-
quartiers parisiens les plus cotés, alors binaison « proximité d’une future gare »
que le bureau était systématiquement et « foncier à un coût raisonnable »
plus rentable il y a encore quelques suffise à persuader ces investisseurs.
années. Mais le cas échéant, le J’insiste cependant toujours auprès des
propriétaire ne conservera pas les acteurs du Grand Paris avec lesquels

L’immeuble CityZen, à Bois-Colombes (Hauts-de-Seine), a été acquis en 2012 par l’investisseur allemand
86 Union Investment.
Chapitre 2 Le bureau, créateur de valeur pour les territoires : analyse du cas francilien

j’ai l’occasion d’échanger sur le fait à Bois-Colombes, dans les Hauts-de-


que les investisseurs internationaux Seine, mais il a fallu faire valoir que
ne sont pas des pionniers, et qu’ils le marché de cette petite commune
ne se positionneront n’avait rien à voir
que sur des secteurs avec celui de ses
déjà appropriés  par « Le devenir socio- voisines, Gennevilliers
des utilisateurs.  Ce économique des périmètres et Asnières-sur-
sont bien ces der- autour des hubs du Grand Seine, dans lesquelles
niers qui vont Paris dépend largement Union Investment ne
amorcer une éven- de la capacité à créer des se serait pas risqué.
tuelle dynamique emplois, sans quoi les
autour des hubs du milliers de mètres carrés Le devenir socio-
Grand Paris, car ce de bureaux que l’on nous économique des
sont eux qui auront promet ne trouveront pas périmètres autour
des motifs pertinents preneurs. » des hubs du Grand
de choisir une locali- Paris dépend à mon
sation plutôt qu’une sens largement de la
autre (accessibilité, connaissance du capacité à créer des emplois, sans quoi
tissu local, proximité de leur lieu de les milliers de mètres carrés de bureaux
résidence). Les grands investisseurs que l’on nous promet ne trouveront
institutionnels internationaux suivront pas preneurs. Aujourd’hui, les
quand ces localisations seront établies. immeubles de bureaux de dernière
génération qui sortent de terre sont
Par ailleurs, il est délicat de convaincre pris à bail par des entreprises qui
des investisseurs étrangers de déménagent, pas par des entreprises
l’existence de micro-marchés porteurs qui s’installent en Île-de-France. La
au milieu de secteurs connus pour création nette d’emplois est donc
ne pas l’être, ou pas encore. Union proche de zéro. Il importe donc que le
Investment, un investisseur allemand Grand Paris, avec les promesses dont il
avec lequel j’ai longtemps travaillé, a est porteur, soit en mesure d’attirer de
fini par se laisser convaincre d’investir nouveaux acteurs économiques.

87
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

Entretien avec Jean-Claude Gaillot


Directeur Général de l’EPADESA, Nanterre, France
Ingénieur général des ponts, des eaux et
des forêts, ancien Directeur général adjoint
à l’aménagement durable au Conseil
régional d’Île-de-France, Jean-Claude
Gaillot a pris la tête de l’Établissement
public d’aménagement de la Défense Seine
Arche (EPADESA) en octobre 2016. À
l’occasion de cet entretien, il fait le point sur
les perspectives que le Brexit et le Grand
Paris ouvrent pour la Défense et livre sa
vision de ce que pourrait être l’immeuble
de bureau de demain au sein du quartier
d’affaires.

En 2016, le quartier de la Défense communes limitrophes, notamment au


a affiché de très bons résultats sud et à l’ouest.
en termes de demande placée.
Qu’est-ce qui explique cette Dans ce contexte, le marché a
conjoncture très favorable ? effectivement été très dynamique à
la Défense en 2016, notamment sur
Je commencerais par replacer le le créneau des surfaces supérieures à
marché immobilier de la Défense 5 000 m². Ces dernières années, les
dans son contexte. L’Île-de-France années fortes alternent avec les années
représente aujourd’hui près de faibles sur ce créneau. Mais 2016,
53 millions de mètres carrés de avec 200 000 m² placés dans cette
bureaux, avec une offre disponible catégorie, a dépassé 2014 qui affichait
évaluée à 3,6 millions, soit une baisse déjà 170 000 m². C’est évidemment
de 10 % par rapport à 2015. Le taux de beaucoup plus que les 70 000 m² de
vacance s’établit donc aujourd’hui à 2015. Le quartier bénéficie à plein de la
6,6 %, mais cette moyenne régionale pénurie de surfaces disponibles dans
cache d’importantes disparités : il n’est le Quartier Central des Affaires (QCA),
en effet que de 3,7 % dans le cœur surtout pour les demandes de grandes
de Paris, contre désormais moins de surfaces. Pour prendre un exemple
8 % à la Défense (soit 260 000 m² récent, l’entreprise Deloitte, qui s’est
disponibles fin 2016) et jusqu’à installée cette année sur 30 000 m²
14 % dans certains micromarchés, dans la tour Majunga, n’aurait jamais pu
notamment du croissant ouest. Le trouver une opportunité équivalente
marché de l’investissement est porté dans Paris intra-muros. L’effet de prix
par l’appétence des grandes entreprises joue favorablement, mais l’effet de
pour les surfaces de première main. La volume sûrement encore davantage.
relative faiblesse de l’offre disponible
dans Paris intra-muros amène les De plus, les immeubles du quartier
88 utilisateurs à se reporter vers les d’affaires de la Défense proposent
Chapitre 2 Le bureau, créateur de valeur pour les territoires : analyse du cas francilien

facilement des larges plateaux chuté autour de 6 à 6,5 % d’ici à la


de bureaux de 1 500 m², ce qui fin de l’année 2018. À partir de cette
correspond bien à la demande des date, de nouveaux mètres carrés
utilisateurs, souvent en quête de seront disponibles avec la livraison
flexibilité et de transversalité pour leurs de la tour Trinity (près de 50 000 m²)
équipes. Pour certaines opérations et du Belvédère restructuré (environ
de restructuration, nous parvenons 18 000 m²). Ce nouveau cycle de
même à dégager des plateaux de livraisons fera remonter légèrement
2 500, voire de 3 000 m². À Paris, ce le taux de vacance, ce qui est plutôt
type d’offre n’existe tout simplement une bonne nouvelle car le quartier a
pas ; nous captons de ce fait largement besoin de conserver un certain niveau
cette demande, car il n’y a pas de vacance (7 % minimum) pour éviter
d’offre concurrente même à l’échelle d’être en tension et permettre des
francilienne, en tout cas à proximité rotations et des « opérations-tiroirs »,
équivalente du cœur de Paris. avec par exemple des utilisateurs
qui se délocalisent le temps d’une
L’attractivité de la Défense est réhabilitation.
aujourd’hui telle qu’elle commence
à être confrontée à un assèchement Malgré quelques grandes opérations
de l’offre de première main, si bien à venir, la tendance future est globa-
que le taux de vacance devrait avoir lement à la disponibilité de petites
© Axel Schoenert

Perspective de l’immeuble Le Belvédère, dans le quartier d’affaires de la Défense, après sa restructuration. 89


Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

surfaces plus atomisées, destinées à développements urbains voient le jour


des moyennes entreprises. Ces der- sur le territoire de la ville de Nanterre, à
nières sont également une cible pour le l’ouest de la Grande Arche. Il en va ainsi
quartier, qui n’a pas vocation à accueil- des Groues qui constituent à l’heure
lir uniquement des grands comptes. actuelle un secteur enclavé, très fai-
Le poids des moyennes entreprises blement peuplé (quelques centaines
s’est d’ailleurs plutôt d’habitants), glo-
renforcé ces six der- balement composé
« La tendance future
nières années. Cette d’un tissu d’entre-
est globalement à la
diversité de pre- pôts et de petites et
disponibilité de petites
neurs est gage de moyennes entre-
surfaces plus atomisées, prises (PME). Notre
notre résilience face
destinées à des moyennes objectif, avec la Ville
aux fluctuations du
entreprises. Ces dernières de Nanterre, est de
marché.
sont également une cible faire naître, de l’autre
pour le quartier, qui n’a côté de la Grande
À l’heure du bilan en
termes de transac-
pas vocation à accueillir Arche et jusqu’à la
tions d’immeubles,
uniquement des grands Seine, un nouveau
Paris la Défense a vu
comptes. Cette diversité quartier qui offre une
plus de 2 milliards
de preneurs est gage de complémentarité
d’euros d’investisse-
notre résilience face aux avec le quartier de la
ments pour l’année
fluctuations du marché. » Défense tel qu’on le
2016, ce qui est très connaît aujourd’hui et
satisfaisant. Il s’agit essentiellement qui adopte un certain nombre de prin-
d’investisseurs français et américains cipes d’aménagement forts : beaucoup
2 milliards mais également du fonds souverain
d’Abu Dhabi, ADIA, pour la tour Alto qui
moins de verticalité, un environnement
mixte et moins orienté business, une
d’euros sera livrée en 2020. Les investisseurs sensibilité aux enjeux du développe-
anticipant une vacance en baisse et ment durable notamment via un réseau
C’est le montant total donc une remontée des loyers, ils sont de trames vertes et des cahiers des
des investissements
très intéressés à acheter aujourd’hui charges exigeants en matière de per-
réalisés en 2016 à la
Défense en termes
dans le quartier. Ce dernier a concentré formance énergétique et numérique.
de transactions. en 2016 11 à 12 % de la demande placée Par ailleurs, quelque 5 000 logements
et de l’investissement franciliens, alors sont prévus. Il n’est pas envisagé de
qu’il ne représente que 7 à 8 % du parc construire des tours de bureau, à l’ex-
tertiaire. ception du futur siège de VINCI dont
un des immeubles devrait atteindre
Quelle est la programmation les 100 mètres. S’agissant du résiden-
prévue pour le quartier des Groues tiel, quelques immeubles s’élèveront
(commune de Nanterre), qui va être peut-être aussi jusqu’à 50 mètres, soit
très fortement restructuré dans les la limite IGH (Immeuble de Grande
années à venir ? Hauteur) pour du logement. Le pôle
autour de la future gare de la ligne 15
Le quartier de la Défense s’est construit du Grand Paris Express mettra l’ac-
essentiellement sur deux communes : cent sur la densité, mais plus on s’en
Puteaux et Courbevoie. Aujourd’hui, le éloignera, plus on se rapprochera des
quartier de la Défense connaît un renou- formes urbaines qui caractérisent les
90 veau important alors que de nouveaux tissus urbains des communes voisines
Chapitre 2 Le bureau, créateur de valeur pour les territoires : analyse du cas francilien
© Crochon Brullman et Associés

Perspective de la tour Trinity (140 mètres de haut, 52 000 m²), dans le quartier d’affaires de la Défense, dont les travaux seront
achevés en 2018.

comme La Garenne-Colombes, afin Groues doivent en tout cas être vues


de ne pas créer de rupture mais au comme complémentaires au quartier
contraire d’assurer la couture en termes d’affaires et non comme son extension.
d’urbanité. Quant aux entreprises Elles constitueront un véritable
implantées aujourd’hui sur le site, elles quartier de ville du 21ème siècle, dans
seront avant tout maintenues, notam- une optique de mixité fonctionnelle
ment dans le « cœur des Groues », (logements, commerces, équipements,
secteur qui ne sera pas concerné par espaces publics, activités et bureaux).
ces nouveaux développements. Nous travaillons notamment sur les
programmes immobiliers de logement
Les idées directrices pour le de manière à permettre à des salariés
réaménagement de ce nouveau de la Défense de vivre à proximité de
quartier des Groues traduisent leur lieu de travail, ainsi que sur les
l’évolution de la manière de concevoir résidences de type « appart’hôtel » où
un quartier d’affaires, plus d’un pourront s’établir les collaborateurs
demi-siècle après la construction venus travailler temporairement au
des premières tours à la Défense. Les siège de leur entreprise à la Défense. 91
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

Vous avez évoqué l’enjeu de genre nouveau avec lequel développer


diversification des entreprises des processus d’open innovation.
implantées à la Défense. Quelle On voit bien que l’idée n’est pas ici
place le quartier accorde-t-il aux de vendre des droits à construire
jeunes entreprises innovantes et comme un aménageur classique,
aux start-ups ? mais bien d’œuvrer à l’élargissement
de l’écosystème présent à la Défense
De fait, notre Projet Stratégique 2025 pour renforcer l’attractivité de
laisse transparaître une récente prise cette dernière. Dans le quartier des
de conscience sur ce sujet : il est Groues, l’EPADESA intervient d’une
essentiel d’introduire de la diversité, y manière plus traditionnelle, mais
compris dans le monde des affaires. toujours au bénéfice de la diversité
L’EPADESA est d’autant plus intéressé de l’écosystème : dans notre appel à
par cette approche que lorsque les manifestation d’intérêt (AMI) pour
jeunes start-ups ont démontré la le développement des Groues, nous
viabilité de leur modèle économique avons positionné dans un volet de cet
et qu’elles montent en puissance, AMI des bâtiments et des terrains que
elles ont tendance à rester dans le nous possédons pour, dans les dix ans
microcosme qui les a vues grandir. Il à venir, destiner ces surfaces à des
est donc important pour le quartier entreprises innovantes.
de la Défense de les attirer dès leurs
premières années d’existence. Bien sûr, le prix du mètre carré est plus
élevé à la Défense que dans d’autres
Nous menons cette démarche en secteurs. Pour une jeune start-up,
nous comportant davantage comme ce n’est donc pas nécessairement
des aménageurs-développeurs que un choix intuitif de localisation. Mais
comme des aménageurs traditionnels. justement, c’est le rôle de ces nouveaux
Voici deux exemples. Premièrement, intermédiaires, comme Nextdoor par
nous avons mené des discussions exemple, que de transformer le loyer
avec Bureaux à Partager 1, qui fait de au mètre carré en un coût de revient
la location d’espaces de travail, pour par poste de travail attractif pour le
leur démontrer l’intérêt de développer créateur de start-up venu s’implanter
aussi leur modèle dans les immeubles entre ses murs. En outre, l’offre de
de la Défense, ce qui a débouché sur services est suffisamment conséquente
un premier partenariat dans l’immeuble pour que les jeunes entreprises s’y
Les Miroirs, où 2 000 m² ont été retrouvent dans leur bilan : les charges
ouverts au coworking. Deuxièmement, de sécurité, les enjeux d’assurances,
à l’occasion de l’implantation d’un les risques sont moyennés. Cette
espace Nextdoor (les espaces de mutualisation réduit d’autant les coûts.
travail flexibles imaginés par Bouygues Pour reprendre l’exemple des Groues,
Immobilier) sur 5 000 m² dans les immeubles que nous mettrons
l’immeuble Cœur Défense, nous avons à disposition proposeront d’ailleurs
mené un travail de sensibilisation des des loyers extrêmement compétitifs
grands comptes présents à proximité pour favoriser l’investissement des
sur l’intérêt de cet écosystème d’un opérateurs. L’EPADESA joue là

1 Voir le Cahier #2 de la Chaire Immobilier et Développement Durable, L’immobilier dans la ville de demain : vers de nouveaux
92 usages et partages, 2014.
Chapitre 2 Le bureau, créateur de valeur pour les territoires : analyse du cas francilien

pleinement son rôle d’aménageur, qui D’une manière générale, la régle-


n’est pas de dégager du profit mais mentation IGH (Immeuble de Grande
de créer un écosystème mixte et Hauteur) française est notoirement
opérationnel. l’une des plus draconiennes d’Europe,
ce qui rend très délicat de proposer
Quelles sont selon vous les de la mixité fonctionnelle au sein d’un
principales caractéristiques de même immeuble.
la tour de bureaux de nouvelle
génération ? La tour Majunga est une bonne illus-
tration de la vitesse d’évolution des
Il est indéniable que les tours qui sont attentes relatives aux tours de bureaux.
livrées aujourd’hui, et a fortiori celles Lorsqu’Unibail-Rodamco a imaginé
qui vont l’être dans les années à venir, Majunga, vers 2008-2009, la perspec-
n’ont plus grand-chose à voir avec tive de l’investisseur était de trouver un
celles qui l’ont été au début des années mono-locataire qui y serait pleinement
2000. Je pense que chez lui et procède-
l’intégration de l’en- rait à des contrôles
jeu de performance d’accès pour tous les
énergétique, lié à la « Il faut amener flux entrants. Passé
nécessité de maîtri- les investisseurs à le système de « bad-
ser ses charges, est ouvrir sur l’extérieur geage », l’ensemble
le premier élément les espaces en pied des services présents
qui doit être cité. de tour, car ce n’est seraient réservés
Ensuite, la possibilité pas leur orientation aux utilisateurs de la
de disposer de pla- naturelle, pour des tour. Lorsque cette
teaux extrêmement raisons compréhensibles dernière a été livrée
vastes et flexibles est de sécurité, de en 2014, Unibail-
désormais presque confidentialité voire de Rodamco s’est
systématiquement réglementation. » aperçu que cette
prise en compte dès vision de l’usage des
l’étape de la concep- lieux était d’ores et
tion : les plateaux de 1 500 m² ou plus, déjà dépassée. De fait, Majunga n’est
permettant un aménagement de type finalement pas mono-locataire.
flex office, sont de plus en plus deman-
dés. J’aimerais enfin citer la question Cela dit, le socle de Majunga est
de la convivialité, qui recouvre en réa- extraordinaire en termes de qualité
lité deux notions : ouverture sur la de prestation de services : restaurants,
ville et présence de services intégrés. espaces de détente, terrasses
Proposer des espaces où l’on peut se arrière donnant sur un jardin. En
retrouver – entre salariés mais aussi revanche, ces aménités ne sont pas
avec les clients, les prestataires, etc. – accessibles au public. Tout l’enjeu est
est devenu presque incontournable. donc de parvenir à convaincre les
Il faut également amener les investis- investisseurs de faire la part belle
seurs à ouvrir sur l’extérieur les espaces aux espaces de pied d’immeuble
en pied de tour, car ce n’est pas leur ouverts sur l’extérieur, parce que
orientation naturelle, pour des raisons les futurs locataires travaillent dans
compréhensibles de sécurité, de confi- une logique fondée sur la flexibilité,
dentialité voire de réglementation. sur le partenariat de projet avec des 93
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017
© EPADESA – Philippe Guignard

Vue aérienne du quartier des Groues à Nanterre (Hauts-de-Seine), qui connaîtra un fort développement urbain dans les prochaines
années.

personnes extérieures qu’ils ont besoin Les professionnels sont d’ailleurs de


de retrouver. De tels espaces serviciels plus en plus sensibles au discours
permettant de créer des phénomènes de leurs locataires, qui leur disent :
de mixité sont un véritable enjeu « nous sommes dans une compétition,
pour les tours de demain. Il faut en nous avons besoin de recruter de
outre être capable d’imaginer des jeunes talents et pour ce faire, nous
tours accueillant plusieurs locataires, devons pouvoir leur proposer un
et en nombre fluctuant. Penser cette package de confort et de bien-être ».
évolutivité dès la conception me Dans ce registre, on a vu justement
semble être la définition-même de l’apparition du label WELL, que le
l’aménagement durable. Belvédère, actuellement en cours
de restructuration, sera le premier
Je crois que cette problématique immeuble de la Défense à intégrer.
est de mieux en mieux appréhendée Mettant l’accent sur le bien-être, le
par les promoteurs comme par les confort, les espaces extérieurs, il
investisseurs, et qu’elle le sera encore vient notamment récompenser les
94 davantage dans un avenir proche. immeubles de grande hauteur qui
Chapitre 2 Le bureau, créateur de valeur pour les territoires : analyse du cas francilien

ont su intégrer des espaces où l’on a Denis, des Ardoines ou d’Orly est
accès à l’air extérieur – les loggias de une bonne nouvelle. Peut-être même
Majunga sont une vraie réussite dans que quelques sièges sociaux vont
ce domaine. s’y implanter, par exemple de grands
groupes pharmaceutiques dans la
En tant qu’aménageur, l’EPADESA n’est vallée de la Seine ou des entreprises
pas toujours en mesure d’influencer liées aux médias et au cinéma à
les choix des opérateurs, mais nous la Plaine-Saint-Denis, car certains
pesons dans la balance dès que nous territoires ont développé une forme de
en avons l’occasion. Par exemple, pour spécialisation. Néanmoins, je ne doute
la future tour des Jardins de l’Arche,
pour laquelle nous avons défini nous-
mêmes le cahier des charges en tant « Je ne doute pas que Paris la
que propriétaires du foncier, nous Défense demeure le site privilégié
avons imposé qu’il y ait des espaces des principales fonctions de
ouverts au public au sommet. L’objectif sièges des grands groupes, d’où
est d’initier de nouvelles habitudes, de l’importance pour le quartier
créer des références et de permettre de soigner son rayonnement
à tous les habitants, salariés de international. »
Nanterre ou de la Défense, étudiants,
spectateurs des événements culturels pas que Paris la Défense demeure le
ou sportifs de l’Arena, de fréquenter le site privilégié des principales fonctions
pied et le belvédère de la tour. de sièges des grands groupes, d’où
l’importance pour le quartier de soigner
Le Grand Paris ne risque-t-il pas de son rayonnement international.
faciliter l’émergence de quartiers
tertiaires concurrents, notamment Par ailleurs, le réseau du Grand Paris
grâce à l’accessibilité fortement Express et les autres grands projets
améliorée de certains territoires ? d’infrastructures vont améliorer
l’accessibilité de nombreux territoires,
L’un des phénomènes majeurs de la et la Défense en tirera également parti.
mondialisation est la métropolisation, La nouvelle ligne 15 du Grand Paris
c’est-à-dire la concentration des Express lui sera surtout favorable en
services en un petit nombre de points ce qui concerne les déplacements
donnés. Sur le sujet de la Défense et domicile-travail, en améliorant l’accès
d’éventuels autres pôles tertiaires, au quartier d’affaires pour l’ensemble
comme les loyers coûtent très cher du plateau résidentiel au sud-ouest
dans les emplacements convoités et au sud de Paris. Le bassin de
par le plus grand nombre, avec pour recrutement potentiel de la Défense
conséquence une raréfaction des va donc sensiblement s’élargir. La
mètres carrés disponibles et une ligne Eole, quant à elle, qui est en
congestion du trafic, il y a tout intérêt fait le prolongement de la ligne E du
à ce que l’écosystème régional soit RER en direction de l’ouest jusqu’à
constitué d’une diversité de points Mantes-la-Jolie (Yvelines), constituera
d’attractivité. L’idée que des pôles le véritable fil d’Ariane des centres
complémentaires se développent dans de développement économique de
les années à venir dans les secteurs du l’Île-de-France, en permettant à la
Val-de-Fontenay, de la Plaine-Saint- Défense de regarder à l’ouest vers 95
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

Mantes-la-Jolie mais aussi à l’est vers rien de significatif pour le moment.


Paris, le Quartier Central des Affaires Nous avons noté avec intérêt qu’une
(QCA), ainsi que les communes à task force avait été mise sur pied
l’est de Paris appelées à jouer un rôle de manière partenariale par l’Etat
économique croissant, par exemple et la Région et confiée à Paris
celles faisant partie de la communauté Région Entreprises, l’agence de
d’agglomération d’Est Ensemble ou développement économique de l’Île-
encore Fontenay-sous-Bois (Val-de- de-France. Ce portail d’entrée unique
Marne) à travers son pôle tertiaire de et bien identifié visera à mettre en
Val de Fontenay. Enfin, Eole connectera avant les atouts de l’Île-de-France en
la Défense avec la gare de l’Est, où général et de la Défense en particulier,
devrait arriver à compter de 2023 le tout en répondant aux potentielles
Charles de Gaulle Express, cette liaison interrogations internationales relatives
directe entre l’aéroport de Roissy et à nos faiblesses.
Paris intra-muros. Cette interconnexion
future entre la Défense et l’aéroport de Notre contribution à cette dynamique
Roissy via la gare de l’Est sera décisive ne sera pas de constituer une équipe
pour le quartier de Paris la Défense. dédiée de brokers – ce n’est pas l’esprit
de l’EPADESA – mais plutôt d’informer
La ligne Eole est porteuse d’une les intéressés de la qualité des services
puissance d’impact que l’on ne mesure développés autour des mètres carrés
pas encore aujourd’hui et qui permettra disponibles et des opportunités à venir,
à des grands groupes d’ancrer leurs et de recevoir des délégations étran-
directions générales à la Défense et de gères. De fait, un certain nombre
déployer leurs back offices soit du côté d’investisseurs ont fait montre de leur
de Mantes-la-Jolie et de la vallée de la volonté de recentrer leurs investisse-
Seine, soit du côté de la Seine-Saint- ments sur l’Europe continentale,
Denis et de l’est parisien, en pouvant notamment s’agissant du marché des
compter sur des liaisons efficaces pour bureaux. Déjà très attractive, la Défense
relier leurs différentes entités. pourrait le devenir encore davantage
dans les années à venir. La fusion de
Le Brexit représente-t-il une chance l’EPADESA – l’aménageur – et de
à saisir pour Paris la Défense ? Defacto – qui s’occupe de la gestion et
de la maintenance – prévue pour 2017
Nous allons bien sûr scruter de près devrait contribuer à notre lisibilité à
les conséquences du Brexit sur l’international, en proposant une gou-
les stratégies de localisation des vernance globale et un interlocuteur
entreprises, même si l’on n’observe unique.

96
Chapitre 2 Le bureau, créateur de valeur pour les territoires : analyse du cas francilien

L’immeuble grand-parisien face aux


injonctions du développement durable
Le souci de la performance environnementale d’une part, celui de la modularité et
de la réversibilité des bâtiments d’autre part, désormais bien appréhendés par les
acteurs de la filière immobilière, semblent se conjuguer pour garantir la durabilité
des immeubles de bureaux de demain. Certaines réflexions méritent toutefois
d’être poursuivies : comment améliorer la performance environnementale
d’immeubles déjà bardés de certifications en tous genres ? À une plus vaste
échelle, comment faire du développement durable des territoires un enjeu central
dans la construction du Grand Paris, à l’heure où les débats semblent davantage
polarisés par les enjeux de gouvernance ? VINCI Energies, par la voix de Christophe
Rousseau, qui dirige le pôle Île-de-France Tertiaire de VINCI Facilities, met en
avant la sensibilisation des occupants comme étape suivante décisive de toute
ambition de sobriété énergétique. Considérant quant à lui la métropole dans son
ensemble, l’urbaniste et historien Nicolas Buchoud montre comment le Grand
Paris, parce qu’il se considère per se comme au service du développement durable,
manque de mesures concrètes pour bâtir cette agglomération francilienne post-
Kyoto qui était son dessein originel.

Entretien avec Christophe Rousseau


Directeur général VINCI Facilities Île-de-France Tertiaire,
VINCI Energies, Courbevoie, France

Collaborateur du groupe VINCI depuis


2012, Christophe Rousseau est aujourd’hui
Directeur général du pôle VINCI Facilities
Île-de-France tertiaire. Dans cet entretien,
il détaille les leviers à actionner pour
développer des immeubles et des quartiers
plus économes en énergie, en utilisant les
outils technologiques les plus innovants,
en intégrant les utilisateurs au processus,
mais aussi en levant certains freins d’ordre
organisationnel.

97
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

Pouvez-vous présenter en quelques la marque de VINCI Energies spéciali-


mots les activités de VINCI Energies sée dans les activités de la production,
et de VINCI Facilities au sein du du transport, de la transformation et
groupe VINCI ? de distribution d’énergie électrique.
Citeos, notre marque lumière et
Le Groupe VINCI est divisé en équipements urbains dynamiques,
deux grands pôles que sont VINCI contribue à rendre les villes attractives,
Concessions et VINCI Contracting. Au sûres et confortables dans le respect
sein de ce dernier, VINCI Energies est, de l’environnement. VINCI Energies
après VINCI Construction, la deuxième a par ailleurs une importante activité
plus importante division en termes d’équipements techniques et tech-
d’effectifs (65 000 collaborateurs) nologiques d’ensembles immobiliers
comme de chiffre d’affaires (10,2 mil- assurée sous différentes marques, et
liards d’euros en 2015, dont la moitié enfin des solutions de facility mana-
réalisée en France). En France, VINCI gement qui conjuguent maintenance
Energies compte plusieurs marques : multitechnique, exploitation et services
Axians est la marque de VINCI Energies aux utilisateurs sous la marque VINCI
dédiée aux solutions ICT (information Facilities, que je dirige en Île-de-France
and communication technologies). Elle pour les secteurs de l’immobilier d’en-
accompagne ses clients – entreprises treprise, des entreprises de services et
privées, secteur public, opérateurs et des organismes d’État.
fournisseurs de services – de la mise
en œuvre de leurs infrastructures Le secteur du bâtiment est de loin
et services IT jusqu’à leur transfor- le premier poste de consommation
mation digitale. Actemium est notre d’énergie en France. Quels sont
marque dédiée au process industriel. selon vous les principaux leviers à
Présente tout au long du cycle de vie, actionner pour réduire cette part ?
Actemium conçoit, réalise et maintient
les équipements de production de ses La consommation d’énergie dans les
clients, avec pour objectif l’améliora- bâtiments résidentiels et tertiaires
tion de leur performance. Omexom est représente en effet 45 % de l’énergie

98 Vue des locaux de VINCI Energies à Montesson (Yvelines).


Chapitre 2 Le bureau, créateur de valeur pour les territoires : analyse du cas francilien

consommée en France, loin devant les non en une année. C’est ce qui m’in-
transports (33 %) et l’industrie (19 %) 1. cite à plaider pour des contrats longs
L’amélioration de l’isolation et le rem- avec les opérateurs exploitants, au lieu
placement des équipements obsolètes des contrats de un à trois ans qui sont
particulièrement énergivores sont des presque la norme aujourd’hui et qui
leviers importants en vue de réduire n’incitent personne à s’engager dans
cette proportion. Mais un travail technique
il est également essen- et humain impor-
tiel de conjuguer les
« La consommation tant pour générer des
équipements de régu-
d’énergie dans les gains solides dans la
lation intelligente dont
bâtiments résidentiels et durée.
dispose un bâtiment
tertiaires représente 45 %
avec un contrat d’en-
de l’énergie consommée Aujourd’hui, le vivier
gagement de longue
en France, loin devant d’économies réali-
durée de l’exploitant :
les transports (33 %) et sables réside autant
trop souvent, les pro-
l’industrie (19 %). » dans le remplace-
jets de réhabilitation ment des installations
se caractérisent par une rupture entre techniques que dans l’évolution des
le financeur des travaux et le finan- comportements humains, d’où l’im-
ceur du coût d’exploitation global portance de la sensibilisation des
de l’ensemble immobilier, avec pour occupants. Un occupant qui est pré-
conséquence que les équipements de venu qu’il risque d’avoir un peu froid
régulation sont soit insuffisants, soit ou un peu chaud le tolèrera beau-
verrouillés par l’installateur, soit perti- coup mieux s’il a été bien informé. Or,
nents mais sous-utilisés. cet occupant participe directement
à la bonne régulation du bâtiment,
Demander à celui qui installe l’équipe- puisqu’il a les moyens d’intervenir, par
ment de s’engager sur une garantie exemple sur le réglage des thermos-
des charges et notamment une garan- tats. Ce levier puissant implique de
tie énergétique permet de coupler au s’inscrire dans une dynamique d’ani-
système de régulation une démarche mation, en présentant des tableaux de
de gestion énergétique humaine, qui bord, en montrant les progrès réalisés
détecte les anomalies du système et
lance des actions correctives au quo- « À ces deux leviers – système
tidien. À ces deux leviers – système de régulation, gestion humaine
de régulation, energy management de l’énergie – s’en ajoute un
humain – s’en ajoute un troisième : la troisième : la sensibilisation
sensibilisation des occupants. En réa- des occupants. En réalisant une
lisant une moyenne sur l’ensemble des moyenne sur l’ensemble des
projets que nous avons menés, nous projets que nous avons menés,
nous sommes aperçus qu’un bon tra- nous nous sommes aperçus
vail sur ces trois leviers permettait de qu’un bon travail sur ces trois
réduire la consommation énergétique leviers permettait de réduire
d’environ 30 %. Mais ce chiffre très la consommation énergétique
significatif s’obtient dans la durée et d’environ 30 % »

1 Source : Service de l’Observation et des Statistiques du ministère de l’Environnement, de l’Energie et de la Mer (2015). 99
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

sur la durée, en informant les utilisa- et le déploiement d’infrastructures


teurs des résultats de leurs efforts. technologiques.
C’est indispensable dans un contexte
où nombre de collaborateurs y voient Sur la question de l’énergie, il existe
une forme de greenwashing et ne sont bien sûr des approches du type smart
pas convaincus que grid pour optimiser
leur vigilance et leurs dans le temps les pics
petites concessions de consommations.
ont été d’une quel- « La gestion des Opérer aux moments
conque utilité. flux est à mon sens opportuns un efface-
l’un des sujets ment d’un immeuble
Cette démarche fait primordiaux de la permet de réguler la
partie de l’offre de ville intelligente, demande en énergie
services de VINCI qui relève de la à l’échelle d’un quar-
Facilities, mais si cer- bonne articulation tier, en jouant sur le
tains clients pionniers entre l’action sur fait que les immeubles
se montrent intéressés les comportements peuvent avoir des
par cette dimension et le déploiement besoins décalés dans
d’animation du site d’infrastructures le temps. Une entre-
autour des économies technologiques. » prise de VINCI
d’énergie, d’eau, etc., Energies, Smart Grid
il faut bien admettre Energy, offre de telles
qu’elle est rarement possibilités surtout
demandée en priorité. à des clients industriels mais pourrait
tout à fait le faire pour des quartiers.
Quel regard portez-vous sur la smart À mon sens, ce qui fait aujourd’hui
city, qui marque le passage à une défaut est un pilote, entièrement dédié
réflexion à l’échelle du quartier à ce sujet sur un territoire donné, qui
voire de la ville ? soit en mesure de coordonner le dis-
tributeur d’énergie et les gestionnaires
Sur ce sujet, je pense qu’il y a des immeubles concernés, afin de
d’importants progrès possibles en dépasser le stade des réflexions et
termes de gestion des flux. La réduction des déclarations d’intention. Les uti-
des coûts énergétiques à une échelle lisateurs devraient également être
globale passe en effet notamment informés, car ils sont potentiellement
par la question des transports. Si l’on impactés. Si l’on décide de ne pas
prend l’exemple d’un quartier d’affaires lancer tous les groupes de climatisa-
comme celui de la Défense, si les tion à la même heure pour lisser les
grandes entreprises parvenaient à pics de consommation, il est impor-
s’entendre sur un planning d’horaires tant que les occupants des immeubles
d’arrivée en léger décalé pour leurs en connaissent la raison afin de pou-
salariés, la fluidité des grands axes de voir supporter un léger inconfort limité
transports en commun s’en trouverait dans le temps. L’augmentation future
fortement améliorée. La gestion des du coût de l’énergie devrait susci-
flux est à mon sens l’un des sujets ter l’impulsion qui fait un peu défaut
primordiaux de la ville intelligente, aujourd’hui.
qui relève de la bonne articulation
100 entre l’action sur les comportements
Chapitre 2 Le bureau, créateur de valeur pour les territoires : analyse du cas francilien

VINCI Energies a pris part à la En 2015, VINCI Facilities a lancé


rénovation de plusieurs tours du l’initiative « Smart Building Lab ».
quartier d’affaires de la Défense. Quel est son objectif ?
Le gain énergétique a-t-il pu être
chiffré ? L’objectif de « Smart Building Lab »,
lancé en mai 2015, était de créer
Là encore, la rupture entre équipemen- une dynamique de progrès en asso-
tiers, exploitants et financeurs rend ciant trois clients sur des ateliers de
extrêmement complexe la comptabili- conception d’innovation. Chaque client
sation du gain énergétique issue d’une travaille sur son propre site, mais tous
rénovation, même s’il est évident que ce adoptent la même méthodologie avec

30 %
gain existe. L’écosystème des acteurs pour objectif de développer l’intelli-
de la construction (bureau d’études, gence de leur bâtiment, en associant la
architectes, investisseurs, promoteurs) direction immobilière, les exploitants et
reste largement déconnecté de celui les occupants et en mobilisant les nou-
des gestionnaires et des exploitants à veaux outils digitaux. Travailler pour Le gain énergétique
moyen qui peut
qui ils passent rapidement la main dès son propre bénéfice mais partager les
être réalisé sur un
la réception du projet. Il existe cepen- idées ayant émergé et les résultats immeuble de bureaux
dant un protocole international baptisé obtenus créent une dynamique inter- grâce à l’orchestration
IPMVP (International Performance entreprises, dans un souci constant de d’un bon outil de
Mesurement and Verification Protocol) mise en œuvre opérationnelle rapide. régulation ouvert,
de l’excellence des
qui permet de mesurer le gain réalisé Nous avons travaillé sur un immeuble
équipes techniques et
suite à une opération de réhabilitation. à Tours (Indre-et-Loire) où nous avons de la sensibilisation
VINCI Facilities dispose de son côté notamment augmenté et déporté la des occupants.
d’un outil baptisé Hub Energy qui sait Gestion Technique du Bâtiment (GTB)
notamment calculer automatiquement pour la suivre de manière plus fine et
ce gain en continu dans le cadre de agir en temps réel sur la régulation.
contrats d’energy management. Nous avons aussi développé une appli-
cation permettant aux collaborateurs
D’une manière générale, la lutte contre d’avoir une indication des places de
l’obsolescence est un enjeu et un parking disponibles dans les différents
marché important pour nous, ce que parcs de stationnement de l’entreprise.
reflètent nos offres sur la rénovation,
avec des garanties de charges, notam- Je dirais en conclusion que beaucoup
ment au niveau de la consommation d’innovations et de projets intéressants
énergétique, sur la phase d’exploita- émergent depuis quelques années
tion post-rénovation. Nous parvenons s’agissant de mettre en œuvre des
à la déployer chez un certain nombre innovations au service du smart buil-
de clients, mais force est de constater ding et de la smart city. Les derniers
un certain conservatisme dû à l’habi- succès ont conjugué trois facteurs de
tude prise d’un cloisonnement entre réussite : un effort important d’anima-
la phase de conception/installation et tion entre les acteurs impliqués, des
celle de l’exploitation. moyens bien dimensionnés pour
ajuster le projet sur le terrain, et un
laps de temps réduit entre la formula-
tion du projet et la mise en œuvre
effective.
101
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

Entretien avec Nicolas Buchoud


Président du Cercle Grand Paris
de l’Investissement Durable, Paris

Urbaniste et historien, Nicolas Buchoud


est président du think tank métropolitain
Cercle Grand Paris de l’Investissement
Durable. Il est associé de Renaissance
Urbaine, le cabinet de conseil stratégique
qu’il a fondé en 2006. Il a une pratique
éprouvée du secteur public et des réseaux
professionnels et d’investisseurs. Il a
contribué à de nombreuses publications
françaises et internationales sur les
mutations urbaines contemporaines. À
l’occasion de cet entretien, il expose sa
vision de la place du développement
durable dans le projet métropolitain, en
analysant le rôle des acteurs privés et
notamment de la filière immobilière dans
la construction d’un Grand Paris durable.

Pourriez-vous remettre en de serre, efficacité énergétique des


perspective la place accordée bâtiments et des systèmes urbains
aux enjeux du développement ont été au cœur des réflexions et
durable en général et aux enjeux des propositions architecturales et
environnementaux en particulier d’aménagement. Ces travaux attestent
dans le projet du Grand Paris ? d’une prise en compte poussée de ces
enjeux essentiels à toutes les échelles
Lancé en 2007-2008, le projet du – depuis la végétalisation diffuse des
Grand Paris devait permettre de créer quartiers résidentiels jusqu’à l’échelle
la première métropole « post-Kyoto » 1. de la métropole et des corridors
Les dix équipes retenues au titre de urbains. Ces visions prospectives de
la consultation internationale sur le la ville écologique ont eu comme
Grand Paris se sont attachées à faire point commun de conceptualiser la
des questions environnementales renaturation des espaces périurbains
un moteur de développement des et le traitement des interfaces entre
territoires. Biodiversité, relations ville/ espaces bâtis et non bâtis. Pour autant,
nature, place de l’eau dans la ville, la prise en compte du développement
affirmation des principes de l’économie durable ne s’est pas limitée à la
circulaire, réduction des îlots de question de la place de la nature. La
chaleur et des émissions de gaz à effet plupart des équipes ont proposé de

102 1 Signé en 1997, le protocole de Kyoto est entré en vigueur en 2005.


Chapitre 2 Le bureau, créateur de valeur pour les territoires : analyse du cas francilien

renforcer l’armature polycentrique Le projet du métro Grand Paris


de l’agglomération parisienne, gage Express est à sa manière la première
d’économies de déplacements et grande infrastructure écologique
de bassins de vie et d’emploi plus métropolitaine. Il doit offrir une
équilibrés. D’autres ont travaillé sur alternative viable au tout-automobile.
l’évolution des modes de transports La construction du Grand Paris
individuels et collectifs (voiture Express entraînera aussi l’excavation
électrique, mobilité connectée, etc.). de plus 40 millions de tonnes de
Dans un foisonnement d’idées neuves, terre, générant des opportunités de
l’agglomération parisienne a été pensée valorisation paysagère et économique
comme un vaste écosystème physique de ces déblais inédites pour la filière du
et social dont on a cherché à explorer BTP et du paysage.
tout le potentiel de transformation,
à grande échelle et dans la longue Au tournant de 2016, les enjeux envi-
durée, sans oublier quelques projets ronnementaux sont revenus au coeur
emblématiques comme « Central Park de l’actualité sous l’angle de la pollu-
à la Courneuve » ou la « forêt d’un tion atmosphérique. Au-delà des vifs
million d’arbres » au nord du Grand débats qui opposent défenseurs et
Paris. détracteurs de la fer-
meture des voies sur
« Avec le Grand Paris,
La dynamique du berge en rive droite
mais aussi le Grenelle
Grand Paris a été d’au- à Paris, il s’agit d’un
de l’Environnement,
tant plus fructueuse problème de santé
le lancement du Plan
que la région Île-de- publique majeur et
Bâtiment Durable et la loi
France élaborait en d’un enjeu éminem-
Grenelle 2 qui a permis la
parallèle son schéma ment métropolitain.
création des trames vertes
directeur (SDRIF),
et bleues, nous avons
avec des objectifs de Devant les obs-
assisté à une convergence
maîtrise de l’urbanisa- tacles institutionnels
inédite des débats et des
tion sur le long terme. qui ralentissent
enjeux environnementaux,
Avec le Grand Paris, aujourd’hui le déve-
de biodiversité, d’énergie,
mais aussi le Grenelle loppement de la
d’aménagement,
de l’Environnement, Métropole du Grand
de construction et
le lancement du Plan Paris, il faut faire
d’investissement dans le
Bâtiment Durable et confiance à la société
territoire métropolitain. »
la loi Grenelle 2 qui a civile. Au sein du
permis la création des Cercle Grand Paris,
trames vertes et bleues, nous avons nous travaillons avec de nombreux
assisté à une convergence inédite acteurs au croisement de l’énergie,
des débats et des enjeux environne- de l’aménagement et de l’environne-
mentaux, de biodiversité, d’énergie, ment. Avec le Conseil international de
d’aménagement, de construction et la biodiversité dans l’immobilier (CIBI),
d’investissement dans le territoire l’Agence parisienne du climat (APC)
métropolitain. La Conférence de Paris ou l’institut Efficacity, par exemple,
de 2015 sur le climat (COP21) a éga- nous cherchons à bâtir des ponts entre
lement constitué un puissant vecteur développement économique et déve-
de mobilisation publique, privée et loppement durable. Pour affirmer le
citoyenne. leadership du Grand Paris en matière 103
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

de ville et d’investissement durable, dans leurs relations avec les territoires,


des démarches de co-production bien en matière d’insertion, d’innovation ou
structurées associant la société civile encore d’environnement. Ces décisions
et les pouvoirs publics sont plus que peuvent être très simples et locales,
jamais indispensables. par exemple une entreprise qui déploie
un plan de déplacement prévoyant des
Vous avez plaidé pour une RSE vélos pour rallier la gare la plus proche.
(Responsabilité sociétale des
entreprises) métropolitaine. En quoi Nous avons engagé une étude visant
pourrait-elle être un élément de à identifier et quantifier l’ensemble des
solution à cette problématique ? mesures des entreprises de l’indice
boursier SBF 120 relevant de leur poli-
En 2014, le Cercle Grand Paris s’est saisi tique RSE. Les premiers résultats ont
de l’idée d’une « RSE métropolitaine » été plus que prometteurs. Il est en effet
après avoir constaté que l’impulsion de ressorti que ces initiatives dispersées,
la société civile dans la mise en œuvre une fois additionnées, représentaient
du Grand Paris était insuffisante. Le plusieurs milliards d’euros d’inves-
croisement entre les membres issus tissement et impliquaient plusieurs
du monde économique et de grands dizaines de milliers de collabora-
acteurs des solidarités en réseaux, teurs et de parties prenantes, souvent
comme Caritas France, la Société de volontaires. Mais en l’absence de vision
Saint-Vincent-de-Paul ou Habitat et métropolitaine, la RSE demeure un
Humanisme, a été un facteur essen- enjeu local ou un enjeu d’entreprise,
tiel. L’urgence de au lieu de devenir un
répondre autrement enjeu économique de
aux déséquilibres niveau métropolitain.
territoriaux de plus « Construire la La France dispose
en plus marqués à métropole de demain d’un cadre législatif
l’échelle du Grand implique de mieux tenir et réglementaire en
Paris est au cœur de compte des décisions matière de repor-
notre ADN. Il nous a prises par les acteurs ting extra-financier
donc semblé impor- privés, et notamment des entreprises
tant de soulever la les entreprises, dans particulièrement
question du rôle leurs relations avec élaboré. À l’échelle
des acteurs sociaux les territoires, en internationale, nous
et des acteurs éco- matière d’insertion, disposons d’une
nomiques comme d’innovation ou encore expertise et d’une
catalyseurs de la d’environnement. » légitimité recon-
transformation éco- nues. Nous sommes
logique, sociale aujourd’hui plus que
et environnemen- jamais convaincus
tale des territoires, dans un nouvel que le développement et l’investis-
équilibre avec les institutions et en sement durables sont inséparables.
particulier les collectivités locales. Le cadre métropolitain est idéal pour
En effet, construire la métropole de faire la jonction entre des probléma-
demain implique de mieux tenir compte tiques globales et leur mise en œuvre
des décisions prises par les acteurs opérationnelle.
104 privés, et notamment les entreprises,
Chapitre 2 Le bureau, créateur de valeur pour les territoires : analyse du cas francilien

Il s’agit de dépasser la situation construction résidentielle comme celui


actuelle. Sur les questions écologiques de l’immobilier tertiaire se portent
et environnementales, sur l’évolution bien. Pourtant, investisseurs et
du rapport au travail et des modes promoteurs restent averses au risque.
de vie, ou encore sur les questions Ils s’aventurent peu sur des territoires
d’insertion et de solidarité, l’Île-de- considérés comme hors marché, où les
France est le théâtre de dizaines de calculs de rentabilité sont incertains.
milliers d’initiatives, insuffisamment L’industrie immobilière constitue à
interconnectées. La course à l’évidence l’un des principaux ressorts
l’innovation tous azimuts que mènent de l’économie métropolitaine. Cela
les territoires doit se traduire par représente des dizaines de milliers de
l’avènement d’une société plus professionnels et plusieurs dizaines
énergique, la construction du bien de milliards d’euros d’investissements
commun, l’amélioration de la qualité du chaque année. Mais l’industrie
service rendu. immobilière est confrontée aux
mutations de la société, aux mutations
Nous plaidons pour la consolidation à du travail, à la fragmentation des
l’échelle métropolitaine du potentiel territoires métropolitains.
économique et social de la société
civile, levier puissant pour une Après le temps des smart buildings
métropole plus durable. Nous plaidons il y a quelques années, le temps
pour la transposition du concept et de l’innovation semble venu. En
des outils du Pacte Mondial 2 nés à la dépit de certaines outrances, cela
fin des années 1990, à l’échelle des témoigne de mutations profondes.
métropoles. Nous pensons que le D’abord, de grandes entreprises du
Grand Paris dispose de tous les atouts secteur ont créé de toutes pièces
pour jouer un rôle pionnier en ce des départements leur permettant
sens. Nous travaillons d’ailleurs depuis d’être financeurs ou co-financeurs
plusieurs mois avec des chercheurs d’opérations, et donc d’assumer une
du MIT MetroLab sur cette question part du risque de l’aménagement
qui sera au cœur du forum annuel du et pas seulement de la promotion.
Cercle Grand Paris au mois de juin 2017. Compte tenu de leurs capacités de
financement, cette évolution n’a rien
Quelle est selon vous la place d’anodin. Ensuite, nombre de sociétés
de la filière immobilière dans la ont progressivement développé de
construction du Grand Paris ? nouveaux produits immobiliers qui
rencontrent un vif succès ou créé
Nous avons récemment plaidé pour des filiales « Grand Paris » ad hoc, ce
« ré-enchanter » l’industrie immobilière qui traduit un dynamisme évident
dans le Grand Paris. Cela peut de la profession. Enfin, les modes de
sembler paradoxal, sachant que les dialogues entre les opérateurs publics
indicateurs macro-économiques et d’aménagement et les acteurs privés
les témoignages des professionnels ont sensiblement évolué et marquent
montrent que le marché de la un engagement accru de ces derniers.

2 Initiative de l’Organisation des Nations Unies (ONU) lancée en 2000, le Pacte Mondial vise à inciter les entreprises du monde
entier à adopter une attitude socialement responsable, sur les questions ayant trait aux droits de l’homme, aux normes de
travail, à la lutte contre la corruption, etc. 105
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

Des appels à projets d’un nouveau actifs dont la rentabilité immédiate


genre ont vu le jour. L’opération restera limitée, mais qui seront rentables
« Réinventer Paris » a recueilli plus de à plus longue échéance, compte tenu
800 candidatures. Plus récemment, notamment du déploiement du Grand
Paris Express.
« “Inventons la Métropole”
contribue à mettre en avant Il ne faudrait pas non plus basculer
des territoires et des secteurs dans l’excès inverse et s’imaginer
de projet jusque-là hors du qu’il y aura autant de nouveaux
radar des acteurs de l’industrie quartiers tertiaires que de gares du
immobilière. D’une manière Grand Paris Express. Si cette vision a
générale, le Grand Paris pu émerger il y a quelques années, on
devrait favoriser l’attrait des en est largement revenu aujourd’hui.
investisseurs pour développer En 2013 déjà, l’Observatoire Régional
des actifs dont la rentabilité de l’Immobilier d’Entreprise (ORIE)
immédiate restera limitée, mais avait publié un rapport dont l’une
qui seront rentables à plus longue des principales conclusions était
échéance. » que l’équation « une gare, un quartier
tertiaire mixte » était illusoire. Une
le président de la Métropole du Grand clarification s’est progressivement
Paris a fait part de sa satisfaction devant opérée. Seul un nombre réduit de
le nombre élevé des réponses à l’appel gares sont aujourd’hui considérées
à projet « Inventons la Métropole » lancé comme porteuses de réelles
au printemps 2016, soit 425 dossiers opportunités d’investissement, même
déposés pour le développement d’une si les observateurs et acteurs du
soixantaine de sites. Après le temps des marché immobilier s’accordent à dire
idées et des concepts, en dépit d’une qu’à l’heure actuelle, l’effet de la ligne
gouvernance métropolitaine complexe, 15 du Grand Paris Express, la première
le Grand Paris entre désormais dans qui sera inaugurée (en 2022), ne se fait
une dimension opérationnelle. On pas encore sentir.
voit émerger nombre de projets
intéressants, notamment sur le territoire Enfin, il ne faudrait pas oublier que la
de la communauté d’agglomération de production tertiaire à l’échelle Grand
Plaine Commune ou le long du Canal Paris n’a cessé de se concentrer depuis
de l’Ourcq (Seine-Saint-Denis). plus d’une dizaine d’années. En 2016,
les mises en chantier d’immobilier
« Inventons la Métropole » contribue tertiaire ont eu lieu à plus de 90 % à
aussi à mettre en avant des territoires Paris et dans les quartiers d’affaires
et des secteurs de projet jusque-là de l’Ouest, y compris la Défense 3.
hors du radar des acteurs de l’industrie Rares sont les opérateurs qui ont pris
immobilière. D’une manière générale, le risque de développer des projets
le Grand Paris devrait favoriser l’attrait d’envergure dans des territoires
des investisseurs pour développer des péricentraux et mixtes.

106 3 Grand Paris Crane Survey Winter 2016, Deloitte, avec Explore et Business Immo.
Chapitre 2 Le bureau, créateur de valeur pour les territoires : analyse du cas francilien

Nomadisme, incubateurs, start- de lieux de travail plus collaboratifs.


ups, coworking… Ces concepts très D’autres pistes restent à explorer,
présents vont-ils transformer la comme celle de la mobilisation de la
manière de concevoir et d’occuper finance solidaire pour la construction
les immeubles de bureau ? de logements et plus généralement, la
mobilisation de financements issus de
On a parfois l’impression que l’économie l’investissement social et responsable
dans son ensemble, ainsi que les pour bâtir l’immobilier de demain.
collectivités et les territoires, devraient
être gérées en mode « start-up ». Le En conclusion, nous voudrions souli-
mécanisme économique qui prévaut gner que si l’attractivité et le
dans les investissements dans la dynamisme de la métropole parisienne
nouvelle économie, à savoir celui de la sont incontestables, la volonté de
duplication ou scaling-up, est pourtant conforter le rang mondial de Paris
difficilement transposable en matière amène à développer une stratégie
de développement urbain. d’attractivité fondée sur l’idée que les
principaux concurrents sont Londres,
La Ville de Paris ambitionne d’être New York, Tokyo ou Shanghai...
l’une des principales places mon- Sommes-nous pourtant certains que
diales de production l’équation « big is beau-
d’incubateurs, d’es- tiful » est la seule
paces de coworking, valable ? Plus les sys-
etc., mais les espaces « Les espaces de tèmes métropolitains
de coworking lancés coworking lancés en sont grands et com-
en deuxième voire en deuxième voire en plexes, plus ils
troisième couronne troisième couronne représentent d’oppor-
et qui n’ont pas fonc- et qui n’ont pas tunités, mais plus ils
tionné attestent que le fonctionné attestent sont difficiles à gou-
modèle n’est pas décli- que le modèle n’est verner efficacement.
nable à l’infini. pas déclinable à Nous plaidons pour un
l’infini. » meilleur équilibre
Pour autant, la société entre compétitivité
dans son ensemble mondiale et dévelop-
évolue. Les schémas de mobilité se pement raisonné de la région capitale.
diversifient. Dans la conception et la Le Grand Paris donnera-t-il naissance à
gestion des bureaux, l’association de des tours Majunga, Carpe Diem ou
bureaux individuels, d’open spaces et Triangle dans le Val-de-Marne ou en
d’espace de coworking dans un même Seine-Saint-Denis ? Rien n’est moins
bâtiment voire sur un même plateau, certain. Mais l’immobilier peut forte-
se développe. De nouveaux produits ment contribuer à la résilience et à la
immobiliers tertiaires apparaissent, durabilité du Grand Paris.
avant-garde d’une nouvelle génération

107
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

Pour en savoir plus


« Inventons la Métropole du Grand Paris »

Dans la droite ligne du concours « Réinventer Paris » imaginé en 2015, l’appel


à projets international « Inventons la Métropole du Grand Paris » a été lancé en
février 2016 par la Métropole du Grand Paris (MGP), moins de deux mois après
son entrée en fonction. Dans un premier temps, 75 maires d’Île-de-France se
sont prêtés au jeu en proposant pas moins de 112 terrains dont ils maîtrisaient le
foncier, et qu’ils avaient identifiés comme aptes à accueillir des projets urbains
innovants. Dans un second temps, Patrick Ollier, Président de la MGP, a dévoilé
le 10 octobre 2016 les 59 de ces sites qui ont été retenus, pour un total de près
de 225 hectares : anciens forts militaires, dents creuses, friches industrielles, etc.
Promoteurs, architectes, urbanistes, investisseurs, économistes ont alors été
invités à se constituer en équipes pour soumettre des projets urbains innovants
pour ces différents sites.

A la clôture des candidatures, le 13 janvier 2017, 420 groupements d’entreprises


avaient déposé un dossier, soit une moyenne supérieure à 7 candidatures par site.
Appelés par le cahier des charges à « rivaliser d’idées disruptives sur la mixité des
usages, l’architecture et l’urbanisme », ces groupements seront évalués sur leur
respect des principes édictés par le règlement de la consultation : exemplarité
énergétique, réponse aux besoins franciliens en logements, contribution au
dynamisme économique de la métropole et, plus généralement, à son caractère
innovant, durable, solidaire et intelligent.

Les lauréats, qui seront dévoilés à l’automne 2017, auront à charge d’acquérir le
foncier et de financer eux-mêmes les projets qui y verront le jour. Ces derniers,
pensés comme autant de concrétisation de l’identité métropolitaine, sont
nombreux à être localisés à proximité des futures gares du Grand Paris Express
(GPE), et participeront du dynamisme et de la mixité de ces quartiers en devenir.

www.inventonslametropoledugrandparis.fr

108
Chapitre 2 Le bureau, créateur de valeur pour les territoires : analyse du cas francilien

Le marché francilien des bureaux : quel bilan pour l’année 2016 ?

Début 2017, BNP Paribas Real Estate, en lien avec Immostat, a communiqué sur
son analyse du marché des bureaux franciliens en 2016 et sur ses prévisions
pour 2017, qui viennent confirmer la très bonne santé de ce marché signalée par
l’ensemble de ses observateurs.

La demande placée a porté sur 2,4 millions de mètres carrés à l’échelle de l’Île-


de-France, soit une progression de 7 % par rapport à 2015. Ce bilan très positif
est notamment à mettre au crédit des grands utilisateurs, puisque pas moins
de 12 transactions supérieures à 20 000 m² ont été recensées, notamment
à la Défense, avec la Compagnie de Saint-Gobain sur 49 000 m², ou RTE sur
40 500 m². La recherche d’une rationalisation des coûts immobiliers vient
s’ajouter à la problématique de l’ancienneté du parc de bureaux francilien pour
expliquer cette appétence des grands utilisateurs pour des surfaces neuves.

Le Quartier Central des Affaires (QCA) dans Paris intra-muros conserve son
exceptionnelle attractivité, concentrant 18 % des transactions. Le loyer moyen
pour les bureaux neufs s’y établit à 700 euros/m², bien au-dessus du quartier
d’affaires de la Défense (510 euros/m²) et à plus forte raison de la moyenne
régionale (430 euros/m²). Le taux de vacance y est extrêmement faible (3,5 %),
alors qu’il grimpe à 12,2 % dans le Croissant Ouest.

La tendance en transactions de bureaux franciliens est la même pour 2017 avec


un objectif de 2,5 millions de m² grâce à un encours prometteur en grandes
surfaces et à un très bon rechargement des recherches entre 1 000 et 5 000 m²,
selon BNP Paribas Real Estate. Le caractère vieillissant de nombreux immeubles,
facteur d’un fonctionnement de moins en moins compétitif, associé à une bonne
compétitivité des valeurs locatives à la périphérie de Paris, pourraient d’ailleurs
pousser d’autres entreprises au déménagement.

Quant à un éventuel effet positif du Grand Paris Express (GPE), il est encore peu
perceptible du côté des utilisateurs. Avec un premier tronçon inauguré seulement
en 2022 (ligne 15 sud), on n’observe pas, à l’heure actuelle, une réorientation
de la demande en fonction des sites d’implantations des futures gares de ce
nouveau métro. Néanmoins, les investisseurs se montrent très attentifs au projet,
étudiant des prises de positions dans de nombreux secteurs.

109
Chapitre 3

Le bureau,
créateur de valeur
pour l’entreprise
Et si l’avenir des entreprises passait par

la disparition de leurs bureaux ? Ce parti

pris radical, parfois énoncé mais qui a peu

de chances d’advenir, demeure révélateur

des débats croissants autour du futur du

siège social, à l’heure où celui-ci a bel et

bien cessé d’être le lieu unique du travail.

Les entreprises se retrouvent dès lors

challengées sur leur capacité à associer

optimisation des mètres carrés, valeur

d’usage et valeur verte pour maintenir

l’attractivité de leurs sièges, mais aussi à

porter un regard critique sur des solutions

d’aménagement des espaces de travail

parfois un peu systématiques. Ce troisième

chapitre propose un tour d’horizon des leviers

dont peuvent se saisir les entreprises pour

créer de la valeur à partir de leur immobilier.


Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

Ont participé à ce chapitre :

Thierry Laroue-Pont
MRICS, Président du Directoire
de BNP Paribas Real Estate, Paris

Françoise Bronner
Chercheur en organisation et espace de travail,
Co-fondateur de Future Centers & Project Spaces, Paris

Raphael Gielgen
Directeur de la recherche et de la détection
de tendances de Vitra, Bâle, Suisse

Simon Labussière
Chargé de recherches à la Chaire Immobilier et
Développement Durable de l’ESSEC Business School,
Cergy-Pontoise, France

Benjamin Mercuriali
Directeur de la Valorisation des Actifs et
du Développement Durable de PERIAL, Paris

Patrick Supiot
Directeur Général de l’Immobilier d’Entreprise
de VINCI Immobilier, Boulogne-Billancourt, France

Dang Tran
Directeur Général Adjoint de Poste Immo, Paris

Catherine Guizol
Directrice des projets immobiliers de Coca-Cola
European Partners France, Issy-les-Moulineaux, France

Jean-Marc Castaignon
Directeur immobilier du Groupe Société Générale,
Fontenay-sous-Bois, France

112
Chapitre 3 Le bureau, créateur de valeur pour l’entreprise

L’aménagement des espaces


de travail, un sujet surinvesti ?
La conception des espaces de travail au service du bien-être et de la performance
des collaborateurs, découlant souvent d’une réflexion sur l’optimisation des
mètres carrés, est depuis quelques années un sujet particulièrement médiatisé,
qui confirme le rôle de l’immeuble de bureau en tant qu’outil de management.
On peut toutefois s’interroger sur une certaine forme de standardisation
des solutions d’aménagement privilégiées, avec pour référentiel dominant le
modèle organisationnel déployé par les start-ups adeptes du « fun & serious ».
Thierry Laroue-Pont, Président du Directoire de BNP Paribas Real Estate et
Raphael Gielgen, Directeur de la recherche de Vitra, décryptent les motivations
qui sous-tendent toute démarche de workplace management. Chercheur
en organisation des espaces de travail, Françoise Bronner pointe à la fois les
différences culturelles qui subsistent entre les pays sur ces questions, et la
généralisation de certaines solutions d’aménagement considérées comme
universellement transposables. Enfin, Simon Labussière analyse les attentes de la
jeune génération concernant leurs futurs espaces de travail.

Entretien avec Thierry Laroue-Pont


MRICS, Président du Directoire de BNP Paribas Real Estate,
Paris

Directeur général délégué de BNP


Paribas Real Estate depuis 2012, Thierry
Laroue-Pont en est devenu le Président
du Directoire en juillet 2014. En tant
que dirigeant d’une entreprise dont les
métiers couvrent aussi bien la promotion
que la transaction, le conseil, l’expertise,
le property management et l’investment
management, il dispose d’un point de vue
unique sur les attentes du marché vis-à-
vis des immeubles de bureaux. Dans cet
entretien, il revient sur les mutations à
l’œuvre au sein de ce segment du marché,
© Thomas Gogny

ainsi que sur les défis qui attendent le


parc tertiaire parisien, caractérisé par son
ancienneté.

113
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

D’une manière générale, comment nous poussent à repenser les espaces.


le siège social de l’entreprise De plus en plus, en entreprise – et
peut-il être créateur de valeur pour plus particulièrement dans les
celle-ci ? sièges sociaux – se développent une
multitude d’espaces différents. On
Le siège social est la première vitrine voit notamment se développer des
de l’entreprise, que ce soit auprès de espaces de convivialité, d’échanges
ses clients ou de ses collaborateurs. Il informels, de concentration, l’objectif
reflète la philosophie d’un groupe et principal étant de permettre au
constitue un levier de communication collaborateur de travailler davantage
puissant pour faire adhérer à la marque en mode projet.
et attirer les talents. En effet, un siège
social bien pensé et bien aménagé Les nouveaux espaces de travail ne se
est un accélérateur de recrutement traduisent pas nécessairement par des
et de fidélisation des collaborateurs. sièges sociaux plus grands, mais par
À une époque où la frontière entre vie une réorganisation des espaces pour
professionnelle et vie personnelle est permettre une plus grande efficience :
de plus en plus poreuse, des espaces jusqu’alors
les salariés cherchent à non utilisés à plein
améliorer leur qualité
« Les nouveaux (espaces de circulation,
de vie. En facilitant la
espaces de travail paliers d’ascenseurs,
vie des collaborateurs,
ne se traduisent pas etc.) servent désormais
l’entreprise augmente
nécessairement par d’espaces d’échanges
leur satisfaction et
des sièges sociaux et de convivialité et
donc le plaisir d’aller au
plus grands, mais par favorisent ainsi une
travail.
une réorganisation des meilleure communica-
espaces pour permettre tion entre les services
Le siège social doit
une plus grande et les équipes. Le poste
aussi être perçu comme
efficience. » de travail est déperson-
une vitrine pour nalisé et le concept de
l’innovation. C’est d’autant plus vrai flex office prend désormais toute sa
pour les acteurs de l’immobilier dont dimension.
les sièges sociaux viennent démontrer
l’expertise et les savoir-faire innovants L’exemple de l’immeuble Unicity à
de l’entreprise. Levallois-Perret (Hauts-de-Seine)
illustre parfaitement cette évolution
Quelles sont les principales muta- des espaces de travail. Avec 2 114
tions à l’œuvre dans l’immobilier postes de travail physiques pour
tertiaire qui contribuent à modeler 2 600 collaborateurs et 300 salles
l’immeuble de demain ? de réunion, l’immeuble s’inscrit
complètement dans la tendance du flex
Le facteur majeur qui contribue à office avec un taux de foisonnement
remodeler l’immeuble de demain, c’est de 81 %. Ce taux a été défini après une
principalement l’évolution des modes étude minutieuse du taux d’occupation
de travail. Le modèle « classique » de moyen des bureaux et des salles de
l’espace de travail ne répond plus aux réunion sur une période donnée. Il
nouvelles attentes des utilisateurs. Le a été constaté un taux de présence
114 télétravail, la mobilité et le nomadisme moyen dans les bureaux de 65 %.
Chapitre 3 Le bureau, créateur de valeur pour l’entreprise

Grâce aux exemples des acteurs de les nouveaux sièges sociaux intègrent
la Net économie (Google, Criteo), les de plus en plus d’espaces de
investisseurs sont moins réticents détente (fitness) et des services à la
aux nouveaux modes de travail et personne (conciergerie, crèches, etc.).
les utilisateurs très demandeurs de L’opération Citylights à Boulogne-
nouveaux services. L’état d’esprit Billancourt (Hauts-de-Seine) en est un
a changé, c’est ça la révolution. bon exemple avec ses cinq restaurants,
On voit notamment la restauration sa salle de fitness et sa conciergerie.
se réinventer avec une offre plus
diversifiée. Des restaurants d’entreprise On voit également les sièges sociaux
se situent désormais en étage, à l’image s’ouvrir sur l’extérieur et ainsi s’intégrer
de l’immeuble Ecowest à Levallois- davantage dans leur environnement.
Perret (Hauts-de-Seine) qui prévoit Cela se traduit notamment par le
une partie de son offre de restauration partage des services avec d’autres
au huitième étage, offrant ainsi à ses entreprises ou avec les riverains.
collaborateurs une vue imprenable sur Nous travaillons actuellement sur le
la Seine. projet immobilier Métal 57 à Boulogne-
Billancourt (Hauts-de-Seine) conçu
Pour faciliter la vie des collaborateurs pour être ouvert vers l’extérieur. Ce
et rendre leur journée plus agréable, projet a notamment pour objectif
© Vincent Fillon

Vue du patio de l’immeuble Unicity à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine). 115


Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

d’optimiser l’usage des services qui


seront accessibles aux riverains en « Le parc immobilier francilien
dehors des heures et jours de travail. de bureaux compte plus de
C’est la fin du bâtiment hors sol. 53 millions de m² de bureaux,
dont seulement 10 % a moins
En parallèle, et de plus en plus, on de 10 ans et dont 46 % a plus de
se tourne vers le développement de 50 ans. C’est un parc vieillissant
campus végétalisés et de grands qui représente un enjeu majeur
espaces verts au sein même des sièges pour les acteurs de l’immobilier.
sociaux. Le campus Evergreen du Il est indispensable de le
Crédit Agricole à Montrouge (Hauts- restructurer pour éviter qu’il
de-Seine) en est un bon exemple : ne devienne obsolète. »
construit sur le site d’une ancienne
usine de Schlumberger, Evergreen L’un des objectifs également clairement
abrite crèches, club de sports et affiché est celui de déménager pour
médiathèque dans un cadre verdoyant. regrouper les équipes. C’est d’ailleurs
dans cette dynamique que BNP
Cette tendance se retrouve dans les Paribas Real Estate s’est installé à Issy-
immeubles considérés comme plus les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) il y a
« traditionnels » avec la création de cinq ans. Nous avons souhaité réunir
jardins et de toitures dédiés à l’agri- les collaborateurs et les fonctions en
culture urbaine. Coca-Cola Entreprise, provenance de deux sites (Levallois-
implanté dans l’immeuble Noda à Issy- Perret et le 17ème arrondissement de
les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), a Paris), dans un souci de meilleure
ainsi installé un « verger » de 40 m² au collaboration entre les équipes et pour
sein de son siège social (voir entretien un meilleur partage de l’information et
avec Catherine Guizol). donc des performances améliorées.

Quelles sont les principales raisons Un autre exemple de regroupement


qui poussent les entreprises à réussi est celui d’Unicity, le siège
déménager ? social de l’entreprise Personal
Finance à Levallois-Perret (Hauts-de-
Le critère prioritaire reste très clai- Seine). Personal Finance Cetelem y
rement d’ordre économique : c’est la a regroupé 2 600 collaborateurs qui
rationalisation des coûts pour 61 % des étaient auparavant répartis sur huit
entreprises de plus de 1 000 salariés 1. sites différents. Nous l’évoquions tout
Ainsi, ces entreprises espèrent doper à l’heure, avec les nouveaux sièges
leur compétitivité tout en offrant de sociaux, les entreprises espèrent
meilleures conditions de travail à renforcer la collaboration et instaurer
leurs salariés. de nouvelles façons de travailler.

1 Etude User Insight, BNP Paribas Real Estate, 2016. Interviews réalisées par téléphone du 2 au 9 octobre 2015 auprès de 202
décideurs immobiliers issus de grandes entreprises (89 %) ou d’administrations et d’établissements du secteur public (11 %).
116 Panel d’entreprises de taille variable, avec 64 % de structures de plus de 1 000 salariés et 36 % de moins de 1 000 salariés.
Chapitre 3 Le bureau, créateur de valeur pour l’entreprise

Le parc immobilier francilien de accueilleront des sièges sociaux.


bureaux est considérable mais Toutefois, la volonté des entreprises de
plutôt ancien. La migration vers de travailler dans la centralité nous engage
nouveaux sièges sociaux ne fait-elle également à réhabiliter des bâtiments
pas croître la part des mètres carrés devenus obsolètes et à imaginer pour

46 %
disponibles de seconde main, moins ces bâtiments une réorganisation
performants et attractifs ? des mètres carrés pour accueillir
de nouveaux usages et offrir plus
C’est vrai, le parc immobilier francilien de confort aux utilisateurs. Je pense
de bureaux compte plus de 53 millions que l’enjeu de l’obsolescence est une La part du parc
francilien de
de m² de bureaux, dont seulement 10 % véritable opportunité pour les acteurs
bureaux qui date
a moins de 10 ans et dont 46 % a plus de l’immobilier, pour démontrer notre de plus de 50 ans,
de 50 ans 2. C’est un parc vieillissant créativité et notre capacité à repenser d’après les données
qui représente un enjeu majeur pour l’immeuble. A nous de la saisir ! de l’Observatoire
les acteurs de l’immobilier. Il est Régional de
l’Immobilier
indispensable de le restructurer pour Notre plus grande réussite en termes
d’Entreprise (ORIE).
éviter qu’il ne devienne obsolète. de réhabilitation, c’est l’inauguration
de Citylights au printemps 2016. Situé
On assiste certes à une migration à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-
vers de nouveaux bâtiments qui Seine), Citylights est aujourd’hui une
© Martijn Veldman

Vue des espaces de travail de l’immeuble BNP Paribas Real Estate aux Pays-Bas.

2 ORIE (Février 2016) & Grand Paris Office Crane Survey (Septembre 2015). 117
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

signature de l’ouest parisien. Avec impératif pour toute entreprise qui ne


plus de 80 000 m² de surface utile, souhaite pas perdre pied côté innova-
c’est l’une des plus importantes tion. Si l’innovation a longtemps été la
réhabilitations de ces dernières années chasse gardée des services R&D, l’in-
en France. C’est aussi l’opération la ventivité des start-ups nous pousse à
plus importante et la plus complexe de repenser cette conception et à encou-
l’histoire de BNP Paribas Real Estate ! rager une coopération plus forte entre
Une réhabilitation, c’est offrir à un start-ups et grandes entreprises. C’est
bâtiment existant une renaissance. particulièrement vrai pour les start-ups
C’est un défi passionnant mais c’est issues du secteur du numérique qui
aussi beaucoup plus complexe à ont une vraie valeur ajoutée. C’est une
réaliser que de construire une nouvelle collaboration gagnant-gagnant qui se
structure et c’est ici que notre met en place : les grands groupes pro-
compétence technique en maîtrise fitent du potentiel d’innovation des
d’ouvrage prend toute sa dimension. start-ups, qui profitent quant à elles
Nous avons réussi le pari de livrer du potentiel de croissance des grands
aux investisseurs et aux utilisateurs groupes. Dans cette démarche d’open
un véritable campus d’entreprises à innovation, BNP Paribas a développé
l’architecture et aux services dignes le programme Innov&Connect, un
des plus grands immeubles neufs de programme bancaire qui vise à rappro-
la capitale. Cette ville dans la ville offre cher les start-ups des ETI (Entreprises
une extraordinaire lisibilité de l’espace, de taille intermédiaire) sur des pro-
elle bénéficie d’une excellente visibilité jets communs. Incubées au « We are
aux portes de Paris ainsi que d’une Innovation » à Paris, elles bénéficie-
grande accessibilité. Avec l’arrivée en ront de coachings intensifs par des
2022 de la station Pont de Sèvres – Île mentors, d’un réseau d’experts et
Seguin du futur métro automatique d’entrepreneurs et de formations en
Grand Paris Express (GPE), Boulogne- marketing, comptabilité, financement,
Billancourt poursuivra sa mutation design thinking ou encore en dévelop-
vers la ville du 21ème siècle, innovante, pement international.
durable et créative.
En outre, accueillir des start-ups au
Par ailleurs et de plus en plus, il nous sein de son siège social est aussi pour
faut considérer la réversibilité des l’entreprise une manière d’optimiser et
bâtiments tertiaires afin de limiter de rentabiliser les espaces vacants.
l’augmentation de la part des mètres
carrés de seconde main disponibles. Pensez-vous que le Grand Paris va
accroître le panel des implantations
Un nombre croissant d’acteurs de possibles extra-muros pour
l’immobilier ouvrent leurs mètres les grandes plates-formes
carrés à des incubateurs de start- d’entreprises ? L’accessibilité
ups. Quelle valeur ajoutée en est-elle donc aujourd’hui la
retirent-ils ? problématique dominante ?

L’open innovation permet aux grands C’est certain, le Grand Paris va venir
groupes de s’ouvrir à l’écosystème pousser les frontières du périphérique
des start-ups de manière à mieux col- et améliorer la mobilité des personnes.
118 laborer avec ces dernières. C’est un Avec le Grand Paris Express, Paris va
Chapitre 3 Le bureau, créateur de valeur pour l’entreprise
© Vincent Fillon

Vue générale de l’opération Citylights à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine).

doubler son réseau de métro existant agglomérations ou à proximité des


permettant ainsi une meilleure accessi- lieux de forte connectivité. L’appel
bilité des territoires franciliens. Cela va à projets « Inventons la Métropole
permettre de restructurer l’évolution de du Grand Paris » va permettre de
la région Île-de-France et notamment confirmer cette volonté. Au total, ce
d’améliorer les mobilités de banlieue sont 59 sites sur 225 hectares répartis
à banlieue, l’un des problèmes récur- dans toute l’Île-de-France qui ont été
rents de la région Île-de-France. retenus, afin de bâtir la ville innovante,
durable et solidaire du 21ème siècle.
Cela représente autant d’opportunités
d’installation de nouveaux sièges Les économistes Thierry Mayer et
sociaux dans des zones qui étaient Corentin Trevien ont montré dans une
auparavant mal desservies et qui seront étude que le RER parisien a eu un
alors facilement accessibles. En effet, pouvoir d’attraction sur les investisse-
les entreprises à haute valeur ajoutée ments, notamment étrangers, et donc
sont particulièrement sensibles à sur l’implantation des entreprises.
la question de l’accessibilité des Pour l’ensemble des entreprises, la
employés et des clients, privilégiant construction d’une gare RER entraîne
des implantations au cœur des un surcroît d’attractivité de 4 à 9 %, 119
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

ces chiffres allant de 5 à 10 % pour commencent déjà à investir dans


les entreprises à capitaux étrangers.3 de nouvelles zones d’activités éco-
Par ailleurs, pour les entreprises, la nomiques. Clichy-Batignolles et les
présence locale de Docks de Saint-Ouen
sociétés de services (Seine-Saint-Denis)
aux entreprises est sont les premiers
déterminante pour le « Le RER parisien a eu quartiers à atti-
choix d’une implan- un pouvoir d’attraction rer les investisseurs
tation d’un siège. sur les investissements, de moyen et long
Or, ces sociétés de notamment termes. Il nous appar-
services sont plus étrangers, et donc tient donc d’adopter
sensibles à l’exis- sur l’implantation une démarche de
tence d’un réseau de des entreprises. pédagogie auprès
transport. La réalisa- Pour l’ensemble des investisseurs
tion du Grand Paris des entreprises, la pour leur démon-
Express aura donc construction d’une gare trer l’impact positif
un effet d’agglomé- RER entraîne un surcroît du projet du Grand
ration cumulatif. d’attractivité de 4 à Paris sur la région
9 %, ces chiffres allant Île-de-France.
D’une manière géné- de 5 à 10 % pour les
rale, le Grand Paris, entreprises à capitaux C’est d’autant plus
en densifiant le tissu étrangers. » stratégique à l’heure
économique, va du Brexit qui vient
incontestablement changer la donne et
renforcer l’attractivité internationale alors que la compétition entre les diffé-
et la compétitivité de l’Île-de-France rentes métropoles européennes
et c’est un atout majeur pour séduire s’accentue. Cela crée de formidables
les investisseurs nationaux et étran- opportunités pour le marché de l’inves-
gers. D’ailleurs, les investisseurs tissement parisien.

3 Mayer T. et Trevien C., 2012, Transports publics urbains et attractivité internationale, enjeux théoriques et évaluation empirique
120 de l’impact du Réseau Express Régional sur les investissements étrangers en Île-de-France, Société du Grand Paris.
Chapitre 3 Le bureau, créateur de valeur pour l’entreprise

Entretien avec Françoise Bronner


Chercheur en organisation et espace de travail,
Co-fondateur de Future Centers & Project Spaces, Paris

Chercheur en organisation et espace


de travail, également journaliste pour
la revue Office et Culture, Françoise
Bronner étudie l’articulation des modes
de travail, des technologies et des espaces
dans les processus d’innovation, tout en
mettant en lumière l’impact des facteurs
comportementaux et culturels. Dans cet
entretien, elle revient sur l’influence des
espaces de travail sur le bien-être et la
performance, soulignant les différents
partis pris développés selon les pays.

S’agissant des espaces de travail, physique : elle déploie ses activités


comment voyez-vous l’articulation et ses processus dans des lieux, elle
entre ces deux leitmotive que demeure spatialement définie. Ce lieu
sont d’une part, l’idée qu’il faut n’est pas un simple contenant : c’est
rapprocher les collaborateurs, une ressource au service de l’atteinte
leur permettre de se rencontrer, des objectifs organisationnels, c’est-
favoriser le mode projet et la à-dire un outil de management à part
sérendipité et d’autre part, l’idée entière. À l’avenir, les environnements
qu’il faut leur permettre de de travail seront conçus pour faciliter
travailler ailleurs qu’au bureau, l’interaction, la collaboration et la co-
au nom de la qualité de vie ? création, pour attirer et fidéliser les
talents, pour favoriser la transmission
Dans un monde complexe, incertain, des connaissances et des savoir-faire,
instable, en voie de digitalisation, on pour optimiser les processus de tra-
se pose, à juste titre, la question de vail, accélérer prise de décision et mise
la dématérialisation des en œuvre, et bien évi-
activités et donc celle du demment pour favoriser
lieu de leur réalisation.
« Le passage à un la création de valeur
Ce passage à un monde
monde largement ajoutée et l’innovation
largement numérique
numérique est vecteur de rupture. C’est ce qui
est vecteur de nom-
de nombreuses explique l’intérêt porté
breuses transformations,
transformations, pour à la sérendipité : il est
pour les entreprises
les entreprises comme possible de créer les
comme pour la société
pour la société dans conditions propices à
dans son ensemble. Cela
son ensemble. » une prise de conscience,
dit, même aujourd’hui, à l’ouverture, à un état
je ne peux imaginer qu’une entreprise mental particulier, que j’aime appeler
ne fournisse pas un espace de travail l’état de flow ou état de calme pur. 121
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

Nombre d’entreprises se sont enga- d’être « auto-entreprenantes », à


gées dans cette voie en créant des même d’organiser leurs tâches et
aménagements favorisant les ren- leur temps, et d’être efficaces en
contres, les échanges, afin qu’ils situation d’autonomie, tandis que
soient sources d’inspiration. Mais il d’autres ont besoin de structures, d’un
n’y a aucune garantie : ce n’est pas modèle organisationnel stable et d’un
parce qu’on crée les conditions d’in- management de proximité. Que fait-on
teraction qui semblent optimales que de ces personnes qui ont besoin d’être
l’idée géniale ou la solution inédite dirigées, au sens premier du terme ?
va nécessairement jaillir. Mais natu- C’est tout le défi de l’immobilier
rellement, certains lieux seront bien d’entreprise, en coopération avec les
plus fonctionnels et inspirants que ressources humaines, que de parvenir
d’autres pour que des groupes et des à donner à chaque collaborateur le
équipes puissent produire des résul- cadre qui lui convient, et de développer
tats concrets et durables. différents modèles d’organisation au
sein d’une même unité. Une question
S’agissant du travail flexible, de la annexe est celle de la place et des
mobilité et des tiers-lieux, la capacité missions dévolues au siège social de
d’autonomie est très variable d’une l’entreprise : quelles fonctions méritent
personne à l’autre, en fonction de ses d’être centralisées et pourquoi ?
missions mais aussi de sa personnalité. Est-ce que la R&D (recherche et
Certaines personnes sont en mesure développement) est plus pertinente

© Agence Fokkema & Partners Architects

122 Vue des espaces de travail de l’entreprise néerlandaise Nidera, à Rotterdam (Pays-Bas).
Chapitre 3 Le bureau, créateur de valeur pour l’entreprise

si elle est éparpillée ? Comment faire


émerger et faire vivre différents
« L’optimisation des mètres carrés n’a
modèles de création de valeur ?
pas à être un sujet tabou, parce qu’elle
n’est pas une démarche régressive. »
À travers la notion de flexibilité,
l’idée intéressante est de glisser
progressivement d’un management
par la présence à un management par la surfaces et des coûts. Pour compenser,
confiance, en développant la capacité on saupoudre les espaces ouverts de
des salariés à travailler de manière bulles de réunion, boxes téléphoniques
autonome, mais aussi à apprendre à sans oublier le sempiternel babyfoot.
mieux travailler avec d’autres salariés, Peu de réflexions sont menées sur les
en mode projet ou en réseau élargi. nouvelles formes organisationnelles,
Beaucoup de personnes n’ont pas été les équipes-projet ou les équipes en
formées à ce qu’exige la collaboration, réseau, les essaims, les nouveaux
qui ne saurait se résumer à « on se modes de travail agiles, qui pourraient
met ensemble ». La collaboration est déboucher sur de nouvelles typologies
une force extrêmement disruptive et d’espaces.
complexe qui met en jeu les personnes,
les fonctions, les technologies, les Cela dit, l’optimisation des mètres
espaces de travail, les processus et carrés n’a pas à être un sujet tabou,
méthodes, la communication, les parce qu’elle n’est pas une démarche
interactions, les modes de négociation, régressive : il y a de fait, aujourd’hui,
la compréhension mutuelle, les règles des réservoirs de mètres carrés qui
de fonctionnement. Or, notre système pourraient être mieux exploités. On
éducatif très « siloté » nous pousse à peut organiser le partage des espaces
échanger préférentiellement avec des et accroître leur fonctionnalité et leur
personnes ayant le même cadre de polyvalence, offrir différents degrés
référence. La mise en place d’espaces d’ouverture de l’espace, créer des
de projet ou d’espaces collaboratifs espaces partagés inter-équipes et
devrait être associée à des programmes intra-équipes, proposer des espaces
de découverte et de mise en pratique individuels plus spacieux et qualitatifs,
des méthodes participatives ou attitrés ou non. Favoriser les échanges
d’animation de l’intelligence collective. et la collaboration demeure un enjeu
crucial, quand on sait que 80 % des
Travailler ailleurs qu’au bureau, communications entre les personnes
travailler chez soi, travailler dans des se produisent dans un rayon de
tiers-lieux ? On débat volontiers d’une 50 mètres, que l’espace soit ouvert
question de logistique sans se poser la ou fermé : le professeur Thomas Allen,
question fondamentale : quel est mon du MIT (Massachusetts Institute of
métier, quel est le meilleur contexte de Technology), qui a donné son nom à la
réalisation de mon activité, quelles sont courbe d’Allen, travaillait déjà sur ces
les ressources dont j’ai besoin pour questions dans les années 1970.
être performant ? À mon sens, seuls les
consultants ou les commerciaux sont De plus, l’enjeu d’optimisation des
réellement mobiles. Mais l’avènement mètres carrés peut être considéré
des postes de travail non attitrés est dans une optique de respect des cri-
d’abord un exercice de réduction des tères du développement durable, 123
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

en évaluant l’impact des réaména- pour les nouvelles énergies (aucune


gements sur la consommation du disposition pour les énergies fossiles),
bâtiment. Si les Néerlandais sont sou- et le site dans son ensemble est conçu
vent cités en exemple sur le sujet de pour être réversible. Le plan-masse du
l’aménagement des espaces de travail, quartier a été dessiné par l’architecte
c’est précisément parce qu’ils n’ont William McDonough, théoricien,
aucun complexe vis-à-vis de la notion avec Michaël Braungart, du cradle to
d’optimisation, et qu’ils réfléchissent cradle (« du berceau au berceau ») :
en permanence à la manière de pro- tout ce que l’on produit aujourd’hui
poser mieux à un coût moindre. Le doit pouvoir être recyclé ou retourner
siège de la Rabobank 1 à Utrecht (Pays- à la nature. Park 2020 est le premier
Bas), en offre l’illustration concrète. développement immobilier néerlandais
Le conseil d’administration s’est réuni entièrement inspiré de ce principe. Et
pour parvenir à une réflexion organi- la rentabilité pour l’investisseur est
sationnelle totale : quel est le métier largement au rendez-vous.
d’une banque dans le futur ? De cette
question ont découlé une transforma- Dans quelle mesure le traitement
tion managériale, puis de nouveaux des environnements de travail est-il
aménagements. Les collaborateurs, selon vous une question culturelle ?
qui ont été encouragés à participer à
cette transformation, ne viennent au C’est sans aucun doute une question
siège que si cela est nécessaire : l’idée culturelle. En termes de conception de
est que la capacité d’initiative prime l’aménagement et du vécu de l’espace,
sur le contrôle hiérarchique. D’une quatre cultures se distinguent en
manière plus générale, une proportion Europe : l’anglo-saxonne, la latine,
de plus en plus importante de la popu- la germanique et la scandinave. Les
lation tertiaire devient indépendante : Scandinaves sont beaucoup plus
tout l’enjeu est donc d’arriver à faire attachés à une attribution égalitaire
travailler ensemble des collaborateurs- des espaces de travail. La culture
salariés, et d’autres en free-lance ou latine est bien plus hiérarchique et
en mode projet dans les lieux les plus les espaces de travail sont attribués
adaptés. en fonction de l’organigramme. Les
législations, les réglementations et
Puisque nous évoquons les Pays- les normes en vigueur influencent
Bas, j’aimerais citer un autre exemple également la conception des
remarquable d’environnement de environnements de travail. On ne
travail durable et désirable. Situé à la peut donc pas utiliser la dimension
périphérie d’Amsterdam, Park 2020 culturelle comme déterminant unique
est un parc tertiaire éco-conçu au plus de la conception d’un siège social. À
fort de la crise, avec une attention cet ensemble de facteurs s’ajoute bien
toute particulière portée à toutes sûr celui de la culture d’entreprise, qui
les composantes du développement fait que chaque entreprise construit
durable, la qualité des espaces de son propre modèle d’organisation de
travail et le respect de l’environnement. l’espace, y compris au sein d’un même
Toute l’infrastructure est prévue secteur d’activité.

1 Voir le Cahier #1 de la Chaire Immobilier et Développement Durable, Immobilier et société en mutation : éléments de réflexion
124 sur la ville de demain, 2013.
Chapitre 3 Le bureau, créateur de valeur pour l’entreprise
© Agence Fokkema & Partners Architects

Vue en plongée sur l’atrium de l’immeuble The Edge à Amsterdam, occupé par Deloitte.

Parleriez-vous, inversement, les différences entre la France et ses


d’une standardisation des choix voisins, on peut citer trois exemples.
d’aménagement opérés ? D’abord, le flex office est une théma-
tique largement débattue en France en
Il est vrai que tout projet d’aménage- ce moment, alors qu’elle n’est qu’une
ment des espaces de travail se cristallise possibilité parmi d’autres chez nos voi-
autour d’objectifs qui sont toujours sins ; ensuite, la France reste un peu
sensiblement les mêmes : augmenter crispée sur la question de la hiérarchie
la performance, accroître l’innovation, et de sa traduction dans l’espace, là
favoriser la collaboration, introduire où d’autres cultures n’ont pas de telles
de nouveaux modes de travail, etc. Ils interrogations ; enfin, l’articulation des
n’ont d’ailleurs pas significativement modes de travail, des technologies
évolué depuis une quinzaine d’an- et des espaces est beaucoup plus
nées. Cependant les réalités qu’ils avancée dans le Nord de l’Europe. Il
recouvrent sont toujours différentes n’y a pas d’un côté le bâtiment et de
d’une entreprise à l’autre, d’un sec- l’autre les personnes, les processus, les
teur et d’un pays à l’autre. Il y a donc besoins et les attentes. On conçoit des
des tendances de fond, mais qui ne bâtiments à partir des phénomènes
vont pas se traduire par des solutions dynamiques qui vont s’y dérouler.
et des espaces identiques. Concernant 125
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

© Agence Fokkema & Partners Architects


Vue des espaces de travail de l’entreprise Alliander à Duiven (Pays-Bas).

Il ne s’agit pas par ailleurs de La corrélation souvent énoncée


« copier-coller » des espaces ou des entre bien-être et performance vous
aménagements, mais de décrypter les semble-t-elle porteuse de sens ?
principes d’organisation, les processus

35,5 % qui vont être « facilités ». À ce sujet, je


pense que la médiatisation à outrance
des environnements de travail de
Le bien-être au travail, tout comme le
bonheur au travail ne sont que des élé-
ments de langage. On ne peut mesurer
Le taux
certaines entreprises de la Silicon le bien-être, qui est par nature un état
d’accroissement de Valley a créé un certain nombre de subjectif. On peut en revanche mesurer
la productivité si malentendus. Elle a renforcé des idées la satisfaction des collaborateurs sur
l’on travaille face à reçues (on n’est pas plus créatif dans un certain nombre d’indicateurs et
trois écrans, d’après
un environnement avec des poufs notamment les critères corrélés à la
l’institut allemand
Fraunhofer (2013).
rouges ou un toboggan) et a insufflé performance individuelle et collective.
des croyances discutables. Le même Les facteurs qui impactent l’efficacité
phénomène s’était produit avec les sont notamment la fonctionnalité et le
campus : lorsque vous considérez tous confort de l’espace, la possibilité de se
les sièges sociaux qui s’appellent des concentrer, le nombre et la diversité
campus, ils n’en ont en commun que des aménagements, l’équilibre entre
le nom, et présentent rarement des l’interaction et la privatisation. Les
espaces de travail novateurs ou offrant méthodes de conception fondées sur
126 de meilleures fonctionnalités. l’état de l’art des connaissances scien-
Chapitre 3 Le bureau, créateur de valeur pour l’entreprise

tifiques afin de concevoir, de gérer et mand spécialisé dans la recherche en


d’utiliser les environnements de travail sciences appliquées, a démontré que
comme des outils stratégiques me le fait de travailler face à trois écrans
semblent les plus adaptées. Elles per- (ou un écran multi-fenêtrable en trois
mettent d’impliquer les collaborateurs zones) accroit la productivité de 35,5 %,
et d’évaluer les effets et quelle que soit la tâche.
les impacts des décisions Equiper correctement les
liées à l’environnement de « La médiatisation salariés au niveau des
travail sur la satisfaction à outrance des fondamentaux est donc
au travail. Le co-design environnements de la première étape. D’une
appliqué à la conception travail de certaines manière générale, je résu-
d’espaces permet un entreprises de la merais les réflexions
recueil en profondeur des Silicon Valley a créé actuelles sur l’immobilier
besoins et attentes, une un certain nombre d’entreprise à travers
adéquation des solutions de malentendus. » trois grands enjeux : l’op-
aux activités et une adhé- timisation des surfaces, le
sion aux aménagements co-design des environne-
co-créés. Je constate souvent que l’ac- ments de travail avec les futurs
cessoire est souvent privilégié au utilisateurs et enfin la création d’es-
détriment des fondamentaux. Une paces durables, désirables et disruptifs
étude 2 sur la productivité réalisée par comme les Centres des Futurs.
l’institut Fraunhofer, un institut alle-

1 Dieter SPATH et al., Produktionsarbeit der Zukunft – Industrie 4.0, Fraunhofer IAO, 2013. 127
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

Entretien avec Raphael Gielgen


Directeur de la recherche et de la détection
de tendances de Vitra, Bâle, Suisse

Raphael Gielgen est directeur de la


recherche et de la détection de tendances
chez Vitra depuis 2014. Il a passé la majeure
partie de sa vie professionnelle à améliorer
l’environnement de travail des entreprises.
Dans cet entretien, il évoque comment la
conception intérieure des bureaux et la
diversité des lieux de travail influencent la
performance et le bien-être des employés.

De nos jours, on parle beaucoup


de planification de l’espace et de
gestion de l’espace de travail.
Selon vous, quels changements
structurels ont affecté les espaces
de travail ces dernières années,
et quels changements relèvent
davantage de l’effet de mode ?

Tout d’abord, je ne parlerais pas d’effet


de mode ou de tendances éphémères. teurs de l’industrie. Les ramifications
L’étendue et la rapidité des transforma- sont multiples et imprévisibles. Les
tions actuelles dans le monde du travail nouvelles technologies permettent de
sont absolument uniques au regard des créer de nouveaux produits et services
cent dernières années. ainsi que de nouveaux
Ce phénomène n’est modèles économiques.
« L’automatisation
pas circonscrit à cer- L’automatisation du
du travail humain est
tains marchés ou pays. travail humain est
actuellement en cours
Il s’agit de la quatrième actuellement en cours
dans toute l’économie.
révolution industrielle, dans toute l’économie.
C’est un enjeu central
et elle impacte l’agenda C’est un enjeu central
qui nous amène à nous
global en matière de qui nous amène à nous
interroger : que restera-
travail. interroger : que restera-
t-il du travail tel que
t-il du travail tel que
nous le connaissons ? »
Désormais, le monde nous le connaissons ?
aborde le progrès et
parvient à des avancées avec une Un nouveau monde prend forme, et
rapidité, une portée et un effet systé- chaque idée, chaque évolution concep-
mique inenvisageables par le passé. tuelle représente une nouvelle façon
Cela se produit de façon exponentielle de l’aborder. Nous devrions accepter
128 et non-linéaire, et affecte tous les sec- d’être en phase d’expérimentation.
Chapitre 3 Le bureau, créateur de valeur pour l’entreprise

La couverture médiatique de ces innovants et réactifs supplanteront les


nouvelles tendances n’est-elle leaders du marché. Les plates-formes
pas bien plus importante que leur axées sur la technologie constitueront
expansion réelle dans le monde des les fondations futures de l’architecture
entreprises ? Il semblerait que les du travail. Les structures traditionnelles
grandes sociétés soient en train de nombreuses industries perdent leur
d’incorporer les pratiques des sens.
start-ups : est-ce légitime ?
Les entreprises doivent découvrir,
Le statu quo n’est pas une option. comprendre et évaluer les tendances
L’accélération des innovations et la et les changements qui leur sont
rapidité des transformations rendent pertinents, et y réfléchir de façon
le monde du travail plus difficile à individuelle. Chaque tendance génère
anticiper. Ce phénomène exerce une de nouveaux contextes culturels et
influence majeure sur l’architecture du ces derniers, à leur tour, affectent les
travail, c’est-à-dire sur la façon dont modèles de comportement humain. Les
le travail de demain sera organisé. personnes qui identifient les tendances
Les chaînes de valeur établies seront et les changements culturels associés
dépassées et de nouveaux concurrents peuvent développer une vision de
© Vitra GmbH

Vue des espaces de travail de GfK, à Berlin (Allemagne). 129


Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

l’avenir pour leur entreprise, offrant que lieux de travail. Le bureau reflète
ainsi aux employés une orientation et les besoins de la communauté et du
une direction. Il s’agit d’anticiper les modèle économique. C’est le foyer
futures identités narratives des clients d’une identité d’entreprise définie
et les histoires des marchés. par le style et l’attitude de travail
d’une communauté interactive et
En tant que vaisseau amiral d’une dynamique. Il représente la culture
société, le siège social bénéficie- d’entreprise de façon tangible, à la fois
t-il d’un traitement particulier au niveau interne et externe. Comme
en matière de planification de dans une ville, les employés de la
l’espace ? Si oui, à quelles fins ? société s’organisent du point de vue

Le siège social et le campus font


l’objet d’une renaissance. Dans le
« Le bureau reflète les besoins
monde numérique, les communautés
de la communauté et du modèle
requièrent des points d’ancrage.
économique. C’est le foyer d’une
Depuis l’ouverture du nouveau siège
identité d’entreprise définie par
social de Facebook, notamment, le
le style et l’attitude de travail
siège social et le campus d’entreprise
d’une communauté interactive
connaissent une renaissance en tant
et dynamique. »

© Vitra GmbH

130 Vue des locaux de l’IATA (Association Internationale du Transport Aérien) à Genève, Suisse.
Chapitre 3 Le bureau, créateur de valeur pour l’entreprise
© Vitra GmbH

Vue d’un espace informel dans les bureaux de Max Havelaar à Utrecht, Pays-Bas.

spatial en secteurs ou en quartiers. Le L’économie collaborative a nourri


siège social ou le campus représente la croissance de nouveaux secteurs
l’architecture construite du travail et entrepreneuriaux. Dans les nouveaux
devient le champ de force culturel de modèles sociaux, l’accès à la
l’entreprise et de sa communauté. communauté constitue une valeur
fondamentale et génère de nouveaux
Pensez-vous que le nomadisme écosystèmes d’entreprise. Les réseaux
professionnel et les tiers-lieux sociaux adoptent une forme physique,
continueront à se développer, devenant ainsi associés à un lieu
jusqu’à remettre en question la spécifique. Les espaces de coworking
viabilité des bureaux classiques ? et de co-living sont adaptés aux
travailleurs indépendants, aux start-
J’en suis convaincu. Jamais il n’a été ups et aux entités établies, afin de
aussi facile de créer une société et fournir à la communauté concernée
de monnayer ses talents. Les espaces des services et des équipements sur
partagés sont versatiles et accessibles mesure.
aux nomades professionnels.

131
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

D’une manière générale, que physique ou psychologique, tant pour


montrent la recherche et l’individu que pour la communauté
les études concernant l’impact tout entière.
de la planification de l’espace sur
le bien-être et la productivité ? Quelles différences culturelles
apparaissent dans le domaine
Les individus sont guidés par la façon de la planification de l’espace,
dont ils se perçoivent eux-mêmes par exemple si l’on compare les
– leurs motivations personnelles, leur États-Unis, le Royaume-Uni,
créativité et leur attitude par rapport la France et l’Allemagne ?
à la vie et au travail. La réalisation
de leur potentiel individuel est La réponse est simple. Rendez-vous
aussi importante dans ce contexte dans ces pays, dans un restaurant
que leur développement personnel typique en dehors des métropoles, et
continu. Les nouveaux espaces de vous constaterez les différences en
travail servent de point de contact lisant le menu. Le désir d’identité et
clé encourageant l’apprentissage, d’authenticité est élevé. Il s’agit pour
l’expérience et l’épanouissement l’architecture de prendre en compte les
personnel. Je voudrais signaler un contextes culturels du pays, de la
autre aspect encore plus significatif. région. Le bureau appartient aux
Un facteur essentiel vient désormais personnes qui y travaillent, et non à la
s’ajouter aux compétences et aux société. Mais il y a aussi des similarités.
aptitudes de l’individu : le talent L’architecture intérieure adopte une
personnel. L’environnement de travail nouvelle approche. Les frontières
nouvellement organisé est alimenté entre les différents secteurs de
par des esprits curieux et créatifs, l’industrie et les diverses disciplines
possédant bien plus que de simples disparaissent de manière croissante,
aptitudes techniques. Le défi que comme celles entre le travail et les
doivent relever les espaces de travail loisirs. Les halls d’hôtels des grands
du futur, c’est celui de l’orchestration centres urbains sont les signes avant-
des talents individuels en vue d’un but coureurs de ce nouvel état de fait. Il
collectif. Les lieux de travail deviennent s’agit moins d’une définition claire des
ainsi des ressources essentielles espaces que de la variété et de la
des entreprises. Un environnement liberté de choix qu’un espace offre à
confortable et attrayant favorise la ses utilisateurs.
performance et le bien-être – qu’il soit

132
Chapitre 3 Le bureau, créateur de valeur pour l’entreprise

Entretien avec Simon Labussière


Chargé de recherches à la Chaire Immobilier
et Développement Durable
de l’ESSEC Business School, Cergy-Pontoise, France
Chargé de recherches au sein de la Chaire
Immobilier et Développement Durable de
l’ESSEC depuis 2013, Simon Labussière
contribue à l’animation de la recherche dans
le domaine de l’immobilier et des mutations
urbaines. Dans cet entretien, il analyse
les résultats de l’enquête Mon Bureau de
demain reconduite par la Chaire en 2016,
avec l’objectif de cerner les attentes des
jeunes générations concernant leurs futurs
espaces de travail.

Quels enseignements majeurs tirez- classique, entendu comme le


vous de l’édition 2016 de l’enquête bureau d’administration fermé, à
Mon Bureau de Demain ? l’aménagement très standardisé. La
diffusion du fonctionnement « en
Parue en septembre 2016, cette mode projet », la recherche d’un
enquête prolonge et enrichit celle équilibre entre d’une part, le besoin
que nous avions menée sur le même de sociabilité et d’autre part, celui de
thème en 2013, de manière à mettre confidentialité et d’un espace privatif,
en perspective les résultats obtenus fait pencher les étudiants en faveur
à trois ans d’intervalle. Si certaines d’un bureau partagé, appropriable,
tendances se sont accentuées, alternative appréciée au vaste open
d’autres ont en revanche stagné space et à la fin des postes de travail
voire régressé, invitant tous ceux qui attribués. Ce sujet ne doit pas être
réfléchissent à l’aménagement des traité à la légère, car si l’on pourrait
espaces de travail à opérer un tri entre croire qu’il est secondaire par rapport
les tendances de long terme et les à l’intérêt des missions, la proximité au
effets de mode. 83 % des étudiants domicile ou encore la rémunération,
sondés ayant déjà travaillé plus de trois « Mon bureau de demain » atteste qu’il
mois dans un immeuble de bureau, n’en est rien : en 2016, pour 36 % des
ils ont expérimenté au moins une sondés, la qualité des espaces de
forme d’organisation du travail avant travail est déterminante dans le choix
de dépeindre leur vision du bureau du futur employeur.
de demain, ce qui leur permet de se
prononcer en connaissance de cause. Si les lieux du travail tendent à se
multiplier, les étudiants ne sont
S’il est une constante dans les en revanche pas du tout prêts à
résultats de nos enquêtes, c’est aller travailler n’importe où : l’autre
bien le rejet sans appel du bureau constante majeure de nos enquêtes 133
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

concerne leur préférence marquée – et les étudiants sont parfaitement


pour un emploi situé dans Paris intra- lucides là-dessus.
muros (localisation préférentielle pour
58 % d’entre eux en 2013 et pour 60 % A l’heure du bilan, comment une
d’entre eux en 2016). Ni la province direction immobilière peut-elle
(15 %) ni les implantations de région arbitrer entre des tendances moins
parisienne (4 %), qu’il s’agisse de la stables qu’il n’y paraît ?
Défense ou des campus de proche
périphérie, ne remportent leurs Il est vrai que pour une direction
suffrages. immobilière soucieuse de prendre
en compte les aspirations de la jeune
L’enquête invite en revanche à génération, il n’est pas si simple d’y
relativiser certaines idées reçues… voir clair. Premièrement, les discours
fréquemment véhiculés sur la
En effet. Ce sont là des résultats génération Y ne résistent qu’en partie
frappants, car on lit presque toujours aux enquêtes auprès des premiers
la même chose s’agissant des attentes intéressés ; deuxièmement, ces derniers
et du comportement au travail semblent envoyer des signaux sinon
des fameuses générations Y et Z. contradictoires, du moins divergents
Hyperconnectée, averse à la hiérarchie et ce, à seulement quelques années
mais adepte du franc-parler, elle serait d’écart et à échantillon relativement
profondément nomade et aurait comparable. Or, ces tendances « feu de
pleinement fait sienne la porosité entre paille » ne correspondent pas au temps
vie personnelle et vie professionnelle. long qui est celui de l’immobilier. Alors,
C’est sans doute en partie vrai. Pour que faire ?
autant, les résultats de Mon bureau de
demain invitent à relativiser certaines D’abord, on ne saurait nier que les
de ces idées préconçues. étudiants sont demandeurs d’espaces
de travail innovants, diversifiés,
D’abord, leur rejet supposé de l’open chaleureux – mais qui n’en voudrait
space est à relativiser, puisque 64 % pas ? Dès lors, il y a un juste équilibre
des étudiants sondés déclarent à trouver : on peut être attentif à cette
en 2016 que cette organisation de problématique sans nécessairement
l’espace est « positive pour l’ambiance opter pour des locaux qui ressemblent
et pour les synergies ». Ensuite, ils à ceux d’une start-up californienne.
demeurent plus d’un tiers (37 %) à
souhaiter que la hiérarchie soit visible Ensuite, la focale des directions
sur le plan spatial. Enfin, leur rapport immobilières pourrait stratégiquement
aux tiers-lieux, parfois présentés être mise sur les enjeux de performance
comme l’avenir du bureau, est plus environnementale. Pour les moins de
ambigu qu’il n’y paraît : s’ils sont 70 % 30 ans, qui ont grandi dans un monde
à s’imaginer y travailler, seuls 29 % s’y où le développement durable est
voient régulièrement, et près des deux- devenu incontournable dans tous les
tiers (64 %) craignent d’y être moins domaines d’activité, le souci de
efficaces qu’au bureau. Les tiers-lieux, travailler pour des entreprises et dans
facteurs d’amélioration des conditions des locaux qui prennent à bras le corps
de travail et de vie ? Peut-être, mais le la problématique de la durabilité est
134 risque est que la productivité en pâtisse devenu fondamental. Et s’il est un sujet
Chapitre 3 Le bureau, créateur de valeur pour l’entreprise

sur lequel les résultats des enquêtes


Mon bureau de demain sont constants,
c’est bien celui-là : des labels
environnementaux à l’ouverture de
l’immeuble sur la ville en passant par la
végétalisation et la sensibilisation aux
économies d’énergie, les jeunes
générations ont à cœur de mettre
leurs compétences au service d’une
entreprise en pointe sur ces
problématiques. Et la prise en compte
de cet enjeu passe aussi par la manière
dont l’espace est aménagé.

135
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

136
Chapitre 3 Le bureau, créateur de valeur pour l’entreprise

Valeur verte, valeur d’usage : différents


leviers au service de la durabilité
« Verdir » un immeuble, optimiser et diversifier ses usages dans l’espace
et dans le temps : voilà deux leviers de création de valeur pour l’investisseur
comme pour l’utilisateur, qui contribuent à prévenir l’obsolescence du bâtiment.
Directeur de la Valorisation des Actifs et du Développement Durable de PERIAL,
Benjamin Mercuriali revient sur la nécessaire collaboration entre les différents
acteurs de la filière immobilière (du promoteur à l’occupant en passant par
l’investisseur et le gestionnaire) afin de maximiser la valeur verte d’un bien, quand
bien même celle-ci est délicate à mesurer ; en tant que Directeur Général en
charge de l’immobilier d’entreprise de VINCI Immobilier, Patrick Supiot explicite
quant à lui la notion de valeur d’usage, garante de la résilience de l’immeuble
face à la succession de ses occupants et aux aléas du marché.

Entretien avec Benjamin Mercuriali


Directeur de la Valorisation des Actifs et
du Développement Durable de PERIAL, Paris

Benjamin Mercuriali est le Directeur


de la Valorisation des Actifs et du
Développement Durable du groupe
PERIAL. À l’occasion de cet entretien,
il développe sa vision de la valeur verte
et met en lumière les leviers possibles
pour améliorer encore la performance
environnementale des immeubles, au-delà
des certifications désormais largement
répandues.

137
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

Les certifications environnemen- sité de simplifier la notion d’immeuble


tales sont désormais très largement vert (pour un investisseur n’ayant pas
répandues au sein du parc français de compétences environnementales
des immeubles de bureaux. avancées, comment savoir si l’im-
Comment être encore différenciant meuble qu’il achète est vert ?). HQE
en termes de performance reste aujourd’hui la certification majo-
environnementale ? ritaire en France, même si l’on constate
une poussée du BREEAM, liée à son
Certifications, labellisations et démar- aspect plus pragmatique, plus rapide,
ches qualité se multiplient en effet moins coûteux, plus facile à obtenir et
depuis une petite dizaine d’années et à conserver s’agissant d’une certifica-
répondent à un nouveau besoin du tion en exploitation. Ces certifications
marché. Certains de ces outils sont ne sont pas exclusives les unes des
orientés sur la méthode, d’autres sur autres, de telle sorte que sur les mar-
les systèmes mis en œuvre, d’autres chés les plus compétitifs, comme Paris
encore sur l’accompagnement et le intra-muros, beaucoup d’opérations
suivi à la mise en service. L’offre est se réclament d’à peu près toutes les
assez pléthorique et il est parfois certifications existantes.
difficile d’y voir clair.
Il me semble cela dit que, plutôt que de
chercher à tout prix à être exemplaire
sur tous les tableaux, l’utilisateur a
« HQE reste aujourd’hui la certification davantage intérêt à cibler certaines
majoritaire en France, même si l’on constate certifications en fonction de son propre
une poussée du BREEAM, liée à son aspect besoin et de sa propre expertise. Même
plus pragmatique, plus rapide, moins coûteux, au sein d’une même certification,
plus facile à obtenir et à conserver s’agissant comme HQE, certaines des 14 cibles
d’une certification en exploitation. » vont davantage l’intéresser que
d’autres selon les enjeux qui lui sont
propres. Il est en tout cas certain que
Si l’on s’en tient au strict champ des les certifications, créées notamment
certifications environnementales pour simplifier la notion d’immeuble
pour les immeubles de bureaux, il vert, sont désormais si nombreuses
convient de citer les trois princi- et complexes qu’utilisateurs et
pales que sont HQE (Haute Qualité investisseurs doivent s’entourer de
Environnementale), référentiel fran- spécialistes de ces certifications, pour
çais, BREEAM, référentiel anglais être certains de ne pas acheter un
majoritaire en Europe et en passe de produit qui ne leur correspond pas.
devenir la référence mondiale la plus
consensuelle et LEED, référentiel amé- En parallèle, il faut mentionner l’exis-
ricain, très répandu en Amérique du tence, en France, de la réglementation
Nord. Elles répondent à deux grandes thermique qui, elle, est une obligation
nécessités que sont d’une part, la tierce réglementaire. Après la Réglementation
certification du travail accompli (qui Thermique 2012, il faut se préparer à
permet à l’investisseur de s’assurer que l’arrivée de la Règlementation Bâtiment
les éléments permettant l’atteinte des Responsable 2020. Je pense, cela dit,
performances annoncées ont bien été que le système va finir par toucher sa
138 mis en œuvre) et d’autre part, la néces- limite : les niveaux de performance
Chapitre 3 Le bureau, créateur de valeur pour l’entreprise

exigés finiront par impliquer des sur- d’être à la pointe sur ces enjeux. Mais
coûts exponentiels pour des gains de un immeuble s’inscrit toujours dans un
plus en plus faibles, alors qu’il existe marché, ce qui invite à se demander
d’autres gisements de si le Well, lui aussi, est
performance et d’éco- « La filière immobilière pertinent dans tous les
nomies peu ou pas se retrouve de plus contextes.
traités par la régle- en plus en peine de
mentation, notamment prendre en main et de Pour résumer, je dirais
concernant les usages. gérer correctement les que la profession a
Par ailleurs, le caractère immeubles livrés, qui ont désormais intégré
vert d’un immeuble ne été sur-optimisés dans que cette course à la
me semble pas pouvoir toutes leurs dimensions performance environ-
se résumer à sa seule techniques et ne tolèrent nementale représente
performance énergé- pas les à-peu-près un surcoût, et que s’il
tique : le traitement de s’agissant de leur gestion. devient obligatoire de

HQE
thématiques telles que La volonté louable de respecter toujours plus
la qualité sanitaire des performance énergétique de règlementations,
espaces, la santé au devient dès lors porteuse nombre de régions
travail, la maintenabi- de risques et implique de françaises risquent
lité, la connectivité du former continuellement de voir la production demeure la
certification
bâtiment ou encore la l’ensemble de la chaîne, immobilière neuve
environnementale
capacité d’effacement du promoteur à la réduite du fait de la majoritaire en France.
de consommation maîtrise d’œuvre en difficulté à atteindre
électrique sont éga- passant par l’investisseur, l’équilibre écono-
lement à prendre en l’asset manager et le mique. Tout le territoire
compte. property manager. » français est loin d’avoir
l’attractivité de Paris et
D a n s l e m ê m e ordre d’idées, il faut donc de permettre d’absorber l’évolu-
souligner que la filière immobilière tion des coûts du fait des prix de vente
se retrouve de plus en plus en peine pratiqués.
de prendre en main et de gérer
correctement les immeubles livrés, En quoi le défi de la performance
qui ont été sur-optimisés dans toutes environnementale peut-il être
leurs dimensions techniques et ne créateur de valeur, et comment
tolèrent pas les à-peu-près s’agissant mesurer la valeur verte d’un actif ?
de leur gestion. La volonté louable de
performance énergétique devient dès La mise en place d’une démarche
lors porteuse de risques et implique de volontaire, conduite en anticipation des
former continuellement l’ensemble de contraintes réglementaires par le pro-
la chaîne, du promoteur à la maîtrise moteur, l’asset manager ou le property
d’œuvre en passant par l’investisseur, manager, va lui apporter un puissant
l’asset manager et le property manager. critère de différenciation de son offre
ou de son produit. Trois leviers majeurs
Enfin, on voit aujourd’hui apparaître de peuvent être actionnés : consommer
nouveaux labels comme le label Well, mieux (plus efficacement), consom-
qui est centré sur le bien-être au travail mer moins (plus sobrement) et
et qui réintroduit une différenciation consommer autrement (recourir à
possible pour les immeubles désireux d’autres types d’énergie). Mieux maîtri- 139
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

ser son utilisation de l’énergie implique preneur et bailleur, promoteur


de sensibiliser l’ensemble des parties et investisseur, qui tous peuvent
prenantes et de mettre en place des peser favorablement ou non sur la
outils de pilotage permettant un suivi performance du bâtiment. Le préalable
de la consommation réelle de l’im- à la création de valeur verte est donc la
meuble, année après année, et de le capacité d’anticipation, qui demande
comparer avec sa performance théo- un investissement en termes financiers
rique. Pour autant, chaque immeuble comme en termes d’acquisition
étant un prototype, il n’existe pas de d’expérience, mais qui permet ensuite
réponse générique à ces enjeux. de se différencier tant en termes
de stratégie que d’actions mises en
Une démarche qui parvient à mobiliser œuvre. Si à l’inverse la règlementation
les trois leviers que j’ai mentionnés n’a pas été anticipée, elle devient une
permet une meilleure connaissance de contrainte le jour où elle entre en
l’immeuble, une meilleure maîtrise des application. C’est d’autant plus vrai
charges ainsi que le partage d’objectifs pour des véhicules comme les Sociétés
communs entre les différents acteurs civiles de placement immobilier (SCPI)
de la chaîne immobilière qui, sinon, que nous gérons, car ils sont malaisés
auraient des intérêts divergents : à manœuvrer rapidement.

© PERIAL

140 Vue extérieure de l’immeuble NATURA EnR, à Sophia-Antipolis (près de Nice).


Chapitre 3 Le bureau, créateur de valeur pour l’entreprise

Nous en arrivons ainsi à la question « Le préalable à la création de


de la valeur verte, qui n’est pas valeur verte est la capacité
dépourvue d’ambivalence. En effet, si d’anticipation, qui demande
un promoteur vend un bâtiment BBC un investissement en termes
(Bâtiment Basse Consommation) financiers comme en termes
à un utilisateur en vantant ses d’acquisition d’expérience,
performances environnementales, mais qui permet ensuite de
mais que cet utilisateur voit exploser se différencier tant en termes
la consommation théorique promise de stratégie que d’actions
parce qu’il ne dispose pas des outils et mises en œuvre. Si à l’inverse
de l’expérience requis pour ne pas la la règlementation n’a pas été
dépasser, alors le bâtiment lui coûtera anticipée, elle devient une
plus cher. Un label ou une certification contrainte le jour où elle entre
n’est donc jamais, en soi, une garantie en application. »
de survaleur, et les consommations
effectives sont un meilleur indicateur dans un contexte de croissance et de
que les annonces faites au moment de « non-valeur grise » dans un contexte
la livraison du produit. Or, comment de décroissance.
un promoteur pourrait-il garantir
la performance d’un immeuble Enfin, la valeur verte peut aussi se
qu’il ne va ni utiliser, ni gérer ? C’est manifester au niveau du management
pourquoi un certain nombre de labels des équipes. Ces dernières, surtout si
préconisent aujourd’hui un suivi par elles sont constituées de représentants
le promoteur ou une tierce partie, de la génération Y, sont à la recherche
pendant une durée donnée, afin que de sens dans leur travail. Ce sens passe
le fonctionnement de l’immeuble soit notamment par la volonté affichée
conforme à ce qui avait été imaginé de l’entreprise de limiter son impact
lors de sa conception. L’utilisateur sur l’environnement notamment en
aura beau avoir une expérience en la privilégiant les immeubles vertueux.
matière, il ne saura jamais mieux que
le concepteur pourquoi tel équipement Quant à la question de la mesure de la
a été installé à tel endroit et réglé de valeur verte, on sait toute la difficulté d’y
telle façon. répondre. D’après les indicateurs IPD
de l’immobilier vert 1 de 2013, la valeur
Par ailleurs, il ne faut jamais perdre de d’un immeuble de bureaux certifié
vue les attentes du marché et l’état serait supérieure de 100 points de
du cycle immobilier. Dans un cycle base à celle d’un immeuble non
haussier, on peut espérer que son certifié. Mais que faut-il en déduire ?
caractère vert offrira à l’immeuble une Peut-être en effet que les investisseurs,
survaleur. Dans un cycle baissier, sa prenant en compte cette donnée, ont
liquidité, sa résilience et son attractivité accepté de payer davantage pour un
seront probablement meilleures, mais immeuble vert. Je resterais donc très
je ne crois pas que son loyer s’en prudent sur la question de la mesure
trouvera plus élevé. Finalement, on de la valeur verte.
pourrait parler de « survaleur verte »

1 Les indicateurs IPD de l’immobilier vert, créés par l’entreprise de services financiers MSCI, mesurent par m² la performance
environnementale (énergie, CO2, eau, déchets) et économique (coût global d’utilisation) des bureaux verts. 141
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

En quoi votre SCPI (Société civile d’amélioration, a marqué la


de placement immobilier) PFO2 , concrétisation de la volonté du groupe
dédiée à l’immobilier d’entreprise, PERIAL de faire du développement
est-elle une « SCPI verte » ? durable un axe de développement
stratégique. La stratégie définie
Première SCPI verte du marché, PFO2 n’était pas d’acquérir uniquement
a été lancée en 2009, à une époque des immeubles certifiés, mais plutôt
où la valeur verte avait été identifiée de développer une stratégie fondée
comme un critère de différenciation sur les notions de best-in-class et de
émergent, mais donnait souvent lieu best-in-progress. Le best-in-class
à des initiatives et des stratégies qui consiste en l’achat d’immeubles
relevaient largement du greenwashing. assez récents, aux caractéristiques
PFO2, qui se distingue par sa politique intrinsèquement performantes, mais
d’acquisitions intégrant à la fois la qui nécessitent une gestion assez
performance énergétique actuelle fine. Le best-in-progress consiste en
des immeubles et ses possibilités l’achat d’immeubles anciens, dont la

© PERIAL

142 Vue extérieure de l’immeuble Seven à Lyon, redéveloppé par PERIAL et livré en 2016.
Chapitre 3 Le bureau, créateur de valeur pour l’entreprise

performance environnementale n’est (le BEPOS dont il est question ici


pas nécessairement bonne mais que consiste à couvrir non seulement les
l’on va s’employer à améliorer. Le consommations relatives aux usages
raisonnement est donc le suivant : il réglementaires du bâtiment, mais
est tout aussi pertinent d’améliorer de aussi les consommations liées aux
manière significative la performance usages spécifiques des preneurs) :
d’immeubles standards que de miser sa localisation géographique à la fois
systématiquement sur des produits à dans un climat méditerranéen et dans
la pointe en termes de performance un marché immobilier en capacité
absolue, pour lesquels la marge d’absorber le coût de construction,
d’amélioration, et donc la valeur et sa taille limitée (un peu moins de
ajoutée qui peut être dégagée, est 3 000 m² répartis en deux bâtiments).
faible. En effet, pour une raison mathématique,
vous ne pouvez produire de l’énergie
Le programme NATURA EnR, locale que sur les façades et sur les
développé par PERIAL en 2014, est le parkings (en l’occurrence, présence
premier bâtiment à énergie positive de panneaux solaires en toiture), alors
(BEPOS) de Sophia Antipolis, le que la totalité du bâtiment consomme
technopôle situé près de Nice. de l’énergie. Plus le rapport de la
Comment avez-vous relevé ce défi ? surface disponible pour la production
d’énergie renouvelable sur la surface
Nous avons travaillé la structure- globale de l’immeuble est faible, et plus
même du bâtiment de manière produire davantage d’énergie que ce
à réduire au strict minimum ses qui est consommé devient compliqué.
besoins énergétiques : choix d’une Concevoir une tour de bureaux à
architecture bioclimatique, orientation énergie positive dans le quartier
nord-sud des bâtiments, immeuble d’affaires de la Défense serait par
assez compact et sans espaces sous- exemple extrêmement complexe, et il
utilisés, surfaces vitrées intelligemment n’est pas certain que cela soit pertinent
positionnées et aux performances d’un point de vue écologique.
adaptées à l’orientation, de manière à
limiter le recours à l’éclairage et à la En 2016, la filiale de promotion de
climatisation, emploi des pompes à PERIAL a livré l’immeuble Seven
chaleur parmi les plus performantes (12 500 m²) à Lyon. En quoi ce
du marché, etc. Pour autant, notre bâtiment est-il durable ?
parti pris n’a pas été celui du bâtiment
intelligent, afin de laisser l’utilisateur Seven était à l’origine un simple
final au cœur du système. Si vous bâtiment d’activité d’un étage que
lui retirez la capacité d’agir sur son nous avons décidé de redévelopper
environnement, il n’y aura personne du fait d’une conjonction de facteurs
pour réajuster le système centralisé le favorables : modification du Plan Local
jour où il se dérèglera – vous risquez d’Urbanisme (PLU) permettant de
donc de vous éloigner de vos objectifs construire plus haut, bonne situation
initiaux. au sein d’un quartier en pleine mutation
orienté autour des activités liées à
Deux éléments ont contribué à rendre la santé, proximité des transports en
possible de faire de NATURA EnR commun.
un bâtiment BEPOS tous usages 143
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

L’engagement originel de Seven en l’évidence bénéfique au bien-être et à


faveur du développement durable la biodiversité, nous ne nous sommes
réside donc, avant même sa construc- pas donné d’engagement particulier
tion, dans le principe de reconversion dans ce domaine car nous ne savons
d’une friche urbaine amiantée, et ce pas mesurer les bienfaits induits. Il n’en
au bénéfice de l’ensemble du quar- reste pas moins que, dans le principe,
tier. De plus, c’est un bâtiment certifié l’eau, la terre et le végétal sont à privilé-
NF HQE et labellisé BBC Effinergie gier au bitume dès que les contraintes
2005, disposant en outre de pan- du projet le permettent.
neaux photovoltaïques en toiture. En
termes de cible environnementale, Que retenez-vous des débats actuels
nous avons mené un travail spécifique sur l’organisation des espaces
sur la gestion de l’eau et de l’énergie, de travail dans les immeubles
sur la maintenance et la pérennité des de bureaux ?
performances environnementales ainsi
que sur les conforts hygrométriques et À mes yeux, le premier de ces enjeux
visuels. En somme, nous avons axé nos est celui de l’adaptabilité et de la
efforts sur les cibles qui nous semblent mutabilité de l’immeuble de bureaux :
les plus proches des attentes des est-on en mesure de le transformer,
investisseurs. soit de manière superficielle (réa-
ménagement des espaces suite à un
Seven propose également un grand changement d’occupant, par exemple),
jardin arrière et des façades végétali- soit beaucoup plus en profondeur
sées, mais ces dernières (changement d’usage
relèvent autant, au fond, pour en faire du loge-
du souci de la qualité « Y a-t-il réellement ment, par exemple) pour
perçue de l’immeuble des fondamentaux et qu’il puisse répondre,
que d’une démarche des invariants dont aujourd’hui mais aussi
de performance envi- la génération Y serait demain, aux attentes du
ro n n e m e n t a le. La porteuse ? marché ? Sa capacité à
végétalisation est en Faut-il s’attendre ne jamais être obsolète
effet une démarche très à ce que ceux de la ou en tout cas à être
intéressante, mais dont génération Z soient remis à niveau à un coût
l’impact sur l’efficacité différents ? maîtrisé, mais aussi la
énergétique n’est pas Et enfin, les possibilité d’y aménager
évident à évaluer. À la générations ne sont- aussi bien un open space
différence de la Gestion elles pas déterminées que des bureaux cloi-
Technique du Bâtiment par des questions de sonnés, implique de la
(GTB) ou même des pan- culture et d’éducation part des acteurs immo-
neaux solaires en toiture, autant que par des biliers une expertise
elle présente l’avan- questions d’âge ? » technique et réglemen-
tage d’être visible, mais taire (un bureau fermé,
cette visibilité est pré- par exemple, n’obéit pas
cisément à double tranchant : y a-t-il aux mêmes règles de sécurité incendie
eu une réelle réflexion sur les apports qu’un open space) croissante.
pour l’immeuble et ses occupants, ou
est-ce avant tout de l’affichage ? Sans Le deuxième enjeu est générationnel,
144 négliger la végétalisation, qui est à avec pour principal écueil que le temps
Chapitre 3 Le bureau, créateur de valeur pour l’entreprise
© PERIAL

Vue intérieure de l’immeuble Seven à Lyon, redéveloppé par PERIAL et livré en 2016.

long de l’immobilier s’adapte mal au Il est évident que l’immense majorité


caractère rapide, parfois éphémère, des immeubles, face à la difficulté à
des aspirations portées par les trancher ces différents débats, opte
nouvelles générations (voir entretien pour des aménagements offrant une
avec Simon Labussière). La question diversité de configurations. Passé
est d’ailleurs triple : y a-t-il réellement un certain âge, il est courant que
des fondamentaux et des invariants les collaborateurs soient réticents à
dont la génération Y serait porteuse ? travailler en open space, auquel cas
Faut-il s’attendre à ce que ceux de les solutions techniques vont s’orienter
la génération Z soient différents ? Et vers des bureaux cloisonnés ; à l’inverse,
enfin, les générations ne sont-elles les jeunes collaborateurs sont à l’aise en
pas déterminées par des questions open space, même s’ils reconnaissent
de culture et d’éducation autant que être plus productifs dans des bureaux
par des questions d’âge ? À ce titre, individuels. Les solutions associant un
je demeure moi-même convaincu que tiers d’open space, un tiers de bureaux
certains collaborateurs plus âgés sont individuels et un tiers de tiers-lieux et
davantage « Y » que d’autres deux fois d’espaces informels me semblent donc
plus jeunes. logiquement à privilégier. 145
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

Le troisième enjeu est celui du J’aimerais conclure en soulevant une


numérique, qui est davantage un sujet dernière interrogation, à la fois
immobilier qu’il n’y paraît. Qu’il s’agisse sociétale, managériale, économique
de visiter un terrain ou un bâtiment, de et financière : le 21 ème siècle sera-t-il
le vendre, de le financer, le numérique encore celui de la propriété ou plutôt
est là pour proposer des solutions. Les celui de l’usage ? Si vous êtes dans une
apports et les gains associés sont donc position d’usager, l’important sera la
incontestables, même si le secteur qualité du service et le plaisir induit
immobilier me semble beaucoup pour vos collaborateurs ; si vous êtes
moins menacé d’« ubérisation » que détenteur, l’important sera la valeur du
beaucoup d’autres, notamment du bien. La différence est fondamentale et
fait de la réalité du sous -jacent qu’est n’est pas sans conséquences pour la
l’immeuble. filière immobilière.

146
Chapitre 3 Le bureau, créateur de valeur pour l’entreprise

Entretien avec Patrick Supiot


Directeur Général de l’Immobilier d’Entreprise
de VINCI Immobilier, Boulogne-Billancourt, France

Patrick Supiot est Directeur Général


de l’Immobilier d’Entreprise de VINCI
Immobilier. Dans cet entretien, il livre la
vision du promoteur sur les mutations à
l’œuvre au sein de l’immobilier de bureaux,
et fait le point sur le projet d’aménagement
d’Universeine à Saint-Denis (Seine-
Saint-Denis), qui occupe une partie du
site pressenti pour accueillir le Village
olympique des Jeux Olympiques 2024,
dont Paris espère remporter l’organisation.

© Christine Ledroit-Perrin
Quelles sont selon vous les grandes
tendances qui affectent actuelle-
ment l’immobilier de bureau ?

Si l’on raisonne à l’échelle urbaine, la cas, à monter en puissance dans un rôle


grande mutation à l’œuvre est que la d’ensemblier et à intervenir beaucoup
ville ne se construit plus bâtiment par plus en amont dans le montage
bâtiment, destination par destination, des opérations. Cette évolution est
mais plutôt dans une dimension de également profitable aux collectivités,
« macro-lot », suivant un processus de pour qui il est beaucoup plus efficace
réflexion et de mise en œuvre entre de travailler de manière partenariale
acteurs publics et privés beaucoup plus avec un groupement qu’avec chacune
partagé qu’il ne l’était auparavant. Cette des parties prenantes et de manière
évolution est manifeste s’agissant des cloisonnée.
consultations, comme des opérations
menées par les collectivités. Dans À l’é ch e lle d e s imme u b le s, la
cette approche, la Ville de Paris a été g ran d e te n d an ce actu e lle e st
pionnière à travers son emblématique incontestablement à mes yeux celle
appel à projets innovants « Réinventer du coworking et des espaces partagés,
Paris », mais ce phénomène, qui date qui était sous-jacente depuis un certain
d’il y a trois ans tout au plus, s’étend nombre d’années et qui est en train
désormais à l’ensemble de l’Île-de- d’exploser. L’implantation en France
France et même du pays. de l’Américain WeWork au printemps
2017 va être un nouveau jalon dans
Cette atténuation des frontières ce mouvement de fond. Il faut bien
entre le monde des acteurs publics, saisir que ce dernier ne concerne pas
des aménageurs, des architectes, que les free-lance et les très petites
des investisseurs et des promoteurs entreprises ; les grands comptes
amènent ces derniers, dans certains sont déjà nombreux à avoir franchi le 147
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

pas. Il convient cependant de rester qui enrichit leur propre réflexion et


mesuré : les afficionados du coworking les amène à résoudre plus rapidement
en viendraient presque à affirmer leurs problématiques.
que demain, une entreprise occupant
50 000 m² les répartira entre 5 000 m² Si l’arrivée de WeWork sur le marché
dévolus au siège social, et 45 000 m² parisien du coworking constitue
d’espaces éclatés en coworking. une rupture, c’est d’abord pour une
Cette proportion n’est pas réaliste. question d’échelle (leur première
L’ouverture, le partage et la mise implantation rue La Fayette, dans le
en relation, qui sont les principaux 9ème arrondissement de Paris, s’éten-
avantages des espaces partagés, sont dra sur 11 000 m²) et ensuite pour une
le fruit de la diversité culturelle des question d’étendue de leur réseau
preneurs. Si un espace de coworking et de capacité à faire émerger une
est principalement occupé par une communauté, bien davantage que les
seule et unique entreprise, alors cet autres acteurs du coworking présents
espace devient une sorte de réplique en France. Cette nouvelle approche
de son siège social et l’innovation de l’hébergement des collaborateurs
attendue n’est pas au rendez-vous. impactera sans aucun doute l’immobi-
lier tertiaire dans les années à venir.
C’est bien dans cet équilibre entre les
occupants que réside la puissance de En quoi la valeur d’usage des
WeWork. Au-delà de son modèle mar- bâtiments est-elle un enjeu
keting, qui est très brillant, WeWork transverse aux réalisations
met en relation dans ses espaces des de VINCI Immobilier ?
travailleurs solitaires, des structures de
taille réduite et des grands comptes Nous sommes partis d’un constat
qui investissent un nombre plus consé- simple : l’attente des investisseurs et
quent de mètres carrés pour localiser des futurs locataires ne porte plus,
un ensemble de collaborateurs dans comme jusqu’à récemment, sur la
un environnement ver- performance pure du
tueux, tout ceci dans produit immobilier.
des lieux conçus pour
« Les espaces de Encore récemment,
accueillir une large
coworking ne sont pas lorsque vous présentiez
gamme de services
comparables avec les un bâtiment, l’attention
et d’espaces de ren-
espaces de rencontre que se portait avant tout
contre. Ces espaces de
peut proposer un siège sur l’efficacité énergé-
coworking ne sont pas
social, car ils mettent les tique du bâtiment, sur
comparables avec les
collaborateurs en contact son niveau de labellisa-
espaces de rencontre
avec des salariés ou des tion, etc. Cet aspect-là
que peut proposer
entrepreneurs de milieux n’a pas perdu de son
un siège social, car
professionnels, de importance, mais il fait
ils mettent les colla-
cultures et d’approches désormais partie des
borateurs en contact
intellectuelles prérequis et n’est plus
avec des salariés ou
radicalement réellement un critère
des entrepreneurs de
différentes. » de différenciation. Ce
milieux professionnels, qui, en revanche, est
de cultures et d’approches intellec- devenu un critère essentiel d’appré-
148 tuelles radicalement différentes, ce ciation, c’est la question de la valeur
Chapitre 3 Le bureau, créateur de valeur pour l’entreprise

d’usage, qui recouvre à la fois la flexi- In Situ, est le reflet de notre vision de
bilité pour l’utilisateur, l’évolutivité pour l’aménagement des espaces de travail
l’investisseur et la qualité de vie au telle que nous l’avons formalisée à tra-
travail pour les salariés. Cette valeur vers la démarche OpenWork. D’abord,
d’usage regroupe les qualités intrin- nous avons été vigilants sur la flexi-
sèques du bâtiment qui vont créer bilité des locaux et notamment sa
l’attachement de l’occupant à ses divisibilité. De fait, VINCI Immobilier
locaux. n’occupe que 50 % du bâtiment et
celui-ci est entièrement conçu pour
La démarche OpenWork, que nous recevoir plusieurs sociétés sans que
déployons dans toutes nos opérations cela soit perceptible pour le visiteur. Il
de promotion de dispose ainsi de deux
b u re a u x , d é co u le halls d’accueil distincts.
p l e i n e m e n t d e ce De même, les ascen-
constat puisqu’elle
« Ce qui est devenu seurs et l’ensemble
vise à optimiser cette
un critère essentiel des circulations ver-
valeur d’usage. Nous y
d’appréciation, ticales peuvent être
avons ajouté un autre
c’est la question de affectés à un des loca-
volet : l’exploitabilité
la valeur d’usage, taires : si vous montez
du bâtiment, c’est-à-
qui recouvre à la dans un ascenseur
dire la simplicité et le
fois la flexibilité VINCI Immo bi l i e r,
caractère économique
pour l’utilisateur, celui-ci est pro-
de sa maintenance. Ce
l’évolutivité pour grammé pour ne pas
n’est pas pour autant
l’investisseur et pouvoir vous donner
un label, car un label
la qualité de vie accès aux locaux des
a toujours tendance à
au travail pour les autres locataires. Cette
figer la performance,
salariés. » organisation est parfai-
et nous considérons tement réversible et, au
que pour chaque départ des occupants
opération – neuve ou réhabilitée – les actuels, le bâtiment pourra recevoir
critères d’optimisation de la valeur une autre divisibilité, voire répondre
d’usage sont spécifiques. aux besoins d’un preneur unique.
Ensuite, l’évolutivité du bâtiment a
Évidemment, plus le bâtiment est été étudiée avec soin. S’il nous a été
flexible pour l’utilisateur, plus il possible, par exemple, d’aménager un
est complexe à délivrer pour le étage exclusivement en salles de réu-
promoteur. Faire en sorte qu’un nion au moment où nous avons pris
même espace puisse accueillir possession des locaux, c’est parce que
successivement la place centrale du nous avions prévu une hauteur sous
bâtiment, des bureaux cloisonnés et plafond suffisante pour nous réserver
des bureaux ouverts ne va pas sans cette possibilité – mais nous aurions
un grand nombre de contraintes pu aussi bien y installer des bureaux
techniques. C’est tout le défi que nous ouverts ou fermés. Enfin, une attention
devons relever sur chaque immeuble particulière a été apportée à la qua-
pour optimiser sa valeur d’usage. lité de vie au travail. La morphologie
du bâtiment a été pensée pour optimi-
Notre siège social à Boulogne- ser les espaces en premier jour, et des
Billancourt (Hauts-de-Seine), baptisé lieux indiscutables de convivialité ont 149
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

© Hugo Hébrard

Vue extérieure de l’immeuble In Situ à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), siège de VINCI Immobilier.

été prévus. L’escalier a été décentré borateurs de se détendre à l’air libre,


pour profiter du jour naturel, et n’est de discuter ou de téléphoner. La mor-
séparé des paliers que par une vitre de phologie de l’immeuble a été étudiée
manière à ce que ces derniers béné- pour qu’il dispose de trois vastes ter-
ficient également du premier jour. Le rasses végétalisées, pour trois preneurs
hall d’accueil, quant à lui, est traversant, potentiels, où il est parfaitement pos-
pour bénéficier à plein du premier jour, sible d’aller travailler aux beaux jours.
et ouvre à l’arrière sur un espace vert. Les paliers ont en outre été conçus
Chaque étage dispose en outre d’un pour pouvoir accueillir trois types d’es-
balcon communiquant avec les parties paces en fonction des besoins propres
150 communes permettant ainsi aux colla- à chaque étage : soit un espace d’ac-
Chapitre 3 Le bureau, créateur de valeur pour l’entreprise

cueil (dans la perspective d’un preneur lequel il doit s’inscrire. La quatrième,


qui n’occuperait qu’un seul étage), soit enfin, provient de l’aire de livraison
une salle de réunion, soit un espace de dont il dispose au niveau du boulevard
détente (que nous avons équipé d’un circulaire et qui sera transformée en
baby-foot et canapés). Les paliers tels accès VIP. Compte tenu de la certitude
qu’on les concevait trop souvent il y a que nous avions quant à la qualité de
encore quelques années, avec profu- cet immeuble à terme, notre stratégie
sion de portes et des matériaux très a donc consisté à l’acheter en risque, à
froids, notamment un usage assez le redévelopper et à choisir de le céder
solennel de la pierre, et où on ne faisait au moment le plus propice. Cette
que se croiser sans y rester, deviennent stratégie a été payante puisqu’avant
désormais des espaces qui retrouvent même de démarrer les travaux, nous
un plein usage, et où l’on a envie de avons identifié plusieurs candidats
s’attarder. locataires et qu’un investisseur
institutionnel (AG2R La Mondiale) s’en
Vous avez acquis en 2015 est porté acquéreur.
l’immeuble Le Belvédère, dans le
quartier d’affaires de la Défense, Cette nouvelle approche implique
en vue de sa restructuration. de mobiliser une partie de nos fonds
Quelle stratégie sous-tend propres sur quelques opérations très
cette opération ? ciblées, dont nous sommes convaincus
de la pertinence du fait des qualités du
Si VINCI Immobilier a toujours mené site et du produit que nous serons en
des opérations de restructuration, mesure d’y redévelopper.
dans Paris mais aussi dans le reste
de l’Île-de-France, il est vrai que celle La question qui s’est posée est celle
que nous nous apprêtons à mener de l’intérêt relatif d’une restructuration
sur Le Belvédère est particulièrement lourde comme celle que nous
importante. Nous avons acquis en allons entreprendre par rapport à
septembre 2015 ce bâtiment situé dans une démolition/densification. En
le quartier d’affaires de la Défense, choisissant cette dernière option, nous
à proximité immédiate de la Grande nous serions toutefois inscrits dans un
Arche, en vue de le remettre au goût cycle de développement beaucoup
du jour – même s’il ne date que de 1997. plus long, incluant la démolition de
Nous lui avions en effet détecté quatre l’actif et ses contraintes, la négociation
qualités intrinsèques. La première des charges foncières supplémentaires
est son excellente visibilité depuis avec l’EPADESA, un risque de recours
le boulevard circulaire, permettant à sur le permis de construire, etc., soit une
son utilisateur d’occuper un immeuble succession d’aléas qui, accroissant la
marqué à son image. La seconde est durée de l’opération, ne correspondait
son gabarit (17 000 m²) qui est celui pas à notre démarche de mobilisation
d’un petit siège social et place le de fonds propres. La restructuration
bâtiment sur un segment beaucoup s’est donc avérée bien mieux adaptée
moins concurrentiel que celui des à notre stratégie.
Immeubles de Grande Hauteur (IGH)
de 30 000 m² et plus. La troisième est
justement que ce n’est pas un IGH, ce
qui limite le carcan réglementaire dans 151
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

© Axel Schoenert Architectes


Perspective sur l’immeuble Le Belvédère à la Défense, que VINCI Immobilier s’apprête à restructurer.

Comment l’opération Universeine l’ancienne halle EDF, qui trône au


à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), milieu de ce terrain, et en faire l’un des
dont VINCI Immobilier est axes forts du projet. Un autre débat
l’aménageur, s’articule-t-elle avec avec la collectivité a porté sur la place
le projet parisien d’implanter sur à accorder aux différentes fonctions
le même site le Village olympique, urbaines (logements, bureaux, activités,
si Paris remporte les Jeux commerces, résidences étudiantes) au
Olympiques de 2024 ? sein de la programmation. De concert
avec les acteurs publics, nous avons
Universeine est une opération estimé que la proximité de l’autoroute
d’aménagement située à Saint-Denis A86 et d’une ligne à haute tension
(Seine-Saint-Denis), juste au nord amenait à privilégier les bureaux :
de la Cité du Cinéma, et dont nous ces infrastructures induisaient
sommes propriétaires du foncier en des nuisances qui, si elles étaient
partenariat avec la Caisse des Dépôts acceptables pour des immeubles
et Consignations, qui détient 25 % du de bureaux ou d’activité, l’étaient
capital. Après avoir acquis le foncier nettement moins pour de l’habitat.
(une ancienne centrale électrique) sans
aucune condition particulière, nous Après plusieurs années de mise
avons travaillé étroitement avec la au point et une fois l’opération
Ville de Saint-Denis et la communauté d’aménagement et de construction
d’agglomération de Plaine Commune engagée, la candidature de Paris à
afin de définir un projet urbain l’organisation des Jeux Olympiques
satisfaisant pour l’ensemble des 2024 a été envisagée, avec la possibilité
parties prenantes. Nous sommes que le Village olympique soit implanté
152 tombés d’accord pour conserver à près de 25 % sur le site d’Universeine.
Chapitre 3 Le bureau, créateur de valeur pour l’entreprise

Compte tenu des impacts d’une telle éléments distinguent un appartement


opportunité pour le territoire de Plaine de trois pièces d’une résidence pour
Commune, nous avons, comme la sportifs de trois chambres ? Comment
Ville de Saint-Denis, immédiatement un immeuble de bureaux de 18 mètres
soutenu la candidature, en spécifiant de profondeur pourrait-il devenir
simplement que nous souhaitions momentanément une résidence
que cette candidature soit aussi pour athlètes ? Nous avons ainsi
respectueuse que possible du travail de modélisé architecturalement et
réflexion déjà réalisé avec les services économiquement ces transformations
de la collectivité, aussi bien au niveau tout au long de l’année 2016 et avons
du parti pris urbain que du respect des porté nos conclusions à la connaissance
équilibres financiers. du Comité de Candidature Paris 2024.

Cet engagement a été facilité par la Si Paris remporte l’organisation


certitude que nous partageons avec des Jeux Olympiques, Universeine
Plaine Commune : ne pas fabriquer accueillera donc des résidences pour
ex nihilo un Village olympique qui se sportifs, après quoi les chambres
retrouverait en déshérence après les seront transformées qui en logements,
Jeux, sachant que les exemples passés qui en bureaux, qui en équipement
de villages olympiques ratés sont plus en fonction de ce que devait être
nombreux que ceux ayant su trouver leur usage premier. On se retrouvera
de nouveaux usages. Il a donc été
décidé que l’équilibre urbain imaginé
initialement serait respecté, de façon
« Il a été décidé que l’équilibre
à ce que l’héritage du Village soit un
urbain imaginé initialement
véritable morceau de ville avec des
serait respecté, de façon à ce
bureaux, des logements, des écoles,
que l’héritage du Village soit un
des équipements culturels et sportifs,
véritable morceau de ville avec
et non plusieurs milliers de logements
des bureaux, des logements,
issus des logements des athlètes et
des écoles, des équipements
arrivant massivement sur le marché,
culturels et sportifs, et non
sans égard pour le contexte urbain
plusieurs milliers de logements
et socio-économique qui est celui de
issus des logements des athlètes
Saint-Denis.
et arrivant massivement sur
le marché, sans égard pour
Cette démarche se concrétise par
le contexte urbain et socio-
la possibilité qui nous a été laissée
économique qui est celui de
de construire les immeubles tels
Saint-Denis. »
que nous les avions imaginés, sous
réserve que nous soyons capables de donc, à terme, avec le projet conçu en
les convertir aisément en résidences cohérence avec le territoire. La part
pour athlètes le temps des Jeux accordée aux logements sera cela dit
Olympiques. Nous avons donc travaillé revue à la hausse : dans le cas où Paris
avec les architectes pour modéliser à remporterait les Jeux Olympiques, des
la fois les contraintes et les solutions crédits seront débloqués pour enterrer
qui pouvaient être proposées pour la ligne à haute tension et construire un
les immeubles de bureaux et les mur antibruit le long de l’autoroute A86,
immeubles de logement : quels améliorant grandement l’acceptabilité 153
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

© Intersens
Perspective de l’opération Universeine à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), avec la halle EDF réhabilitée.

du site pour des logements. L’ancienne Pensez-vous que le Grand Paris


halle EDF accueillera quant à elle une va impulser l’apparition de
zone d’entraînement le temps de nouvelles polarités tertiaires
l’événement. en Île-de-France ?

Que nous gelions l’opération dans Le Grand Paris va élargir le champ


l’attente de la décision du Comité des possibles en Île-de-France, en
International Olympique, alors que les conférant une accessibilité nouvelle
travaux auraient pu se poursuivre, n’est à des territoires jusque-là pénalisés
évidemment pas neutre pour VINCI par une mauvaise desserte. Les
Immobilier sur le plan financier. Nous opérateurs immobiliers seront
avons cependant considéré qu’il était ainsi vraisemblablement amenés à
de notre devoir, en tant qu’acteur reconsidérer la constructibilité de
responsable du développement certains secteurs, devenus intéressants
urbain, de nous inscrire pleinement pour de futurs utilisateurs de bureaux
dans cette dynamique visant à ou de logements.
accueillir les Jeux Olympiques. Nous
parions par ailleurs sur le fait que Je crois toutefois que, à l’exception
l’ensemble des projets qui sortiront de quelques sites particuliers comme
dans le périmètre d’Universeine grâce le carrefour Pleyel (Saint-Denis)
à la dynamique impulsée par les Jeux par exemple, c’est davantage sur le
Olympiques apporteront au site une segment des logements que le Grand
154 valorisation naturelle. Paris va changer la donne.
Chapitre 3 Le bureau, créateur de valeur pour l’entreprise

Le parc tertiaire francilien est déjà le sera le fait que de quelques pionniers,
plus important au monde (53 millions dans des quantités limitées. En
de mètres carrés) et la croissance
économique actuelle génère des
besoins nouveaux limités. De nouvelles
opportunités émergent régulièrement
« C’est davantage sur le segment des logements
du fait de l’obsolescence du parc, mais
que le Grand Paris va changer la donne. Le parc
je n’imagine pas un accroissement
tertiaire francilien est déjà le plus important
significatif de celui-ci, en valeur
au monde (53 millions de mètres carrés) et la
absolue, dans les années à venir. Il est
croissance économique actuelle génère des
clair que, suivant un principe de vases
besoins nouveaux limités. »
communiquants, certains secteurs
actuels de bureaux vont connaître un
déclin au profit de nouveaux quartiers revanche, compte tenu des besoins en
ayant gagné en accessibilité ; mais il ne logements qui sont de longue date
faut pas oublier que la localisation ceux de l’Île-de-France, le développe-
dans des sites très tertiarisés est jugée ment de nouveaux secteurs résidentiels
stratégique par les entreprises, et que paraît éminemment souhaitable.
le report vers les nouveaux secteurs ne

155
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

L’équation économique
des stratégies de relocalisation
Des arbitrages complexes associant prix du foncier et de l’immobilier, coût de
revient du poste de travail, accessibilité ou encore proximité des aménités urbaines,
conduisent les entreprises à mettre en place des stratégies de regroupement ou
de rééquilibrage de leurs implantations. S’agissant de l’agglomération parisienne,
les communes de la proche couronne, et notamment celles limitrophes de Paris
(Saint-Denis, Issy-les-Moulineaux, Montrouge, Pantin), parce qu’elles associent
opportunités foncières et proximité au cœur de la métropole, semblent s’imposer
comme les territoires d’accueil de grandes plates-formes d’entreprises. Certains
mouvements de retours en arrière attestent toutefois de l’attractivité évolutive
des territoires, qui n’est jamais définitivement acquise. À travers les exemples
du Village La Poste dans le 15ème arrondissement de Paris, de l’immeuble Noda à
Issy-les-Moulineaux et du campus des Dunes à Fontenay-sous-Bois, Dang Tran,
Directeur Général Adjoint de Poste Immo, ainsi que Catherine Guizol et
Jean-Marc Castaignon, directeurs immobiliers de grandes entreprises, livrent
trois illustrations de stratégies de relocalisation au service de la résilience et de la
performance de leurs entreprises.

Entretien avec Dang Tran


Directeur Général Adjoint de Poste Immo, Paris
Directeur Général Adjoint de Poste Immo,
Dang Tran est également rapporteur du
groupe « Réflexions Bâtiment Responsable
2020 » (RBR 2020) du Plan Bâtiment
Durable. Dans cet entretien, il explicite les
enjeux du Village La Poste, important projet
de regroupement immobilier mené par
le Groupe La Poste qui concerne environ
4 400 salariés. À travers l’exemple de la
restructuration de l’immeuble de la Poste
du Louvre, il revient également sur le rôle
du Groupe en tant qu’acteur de la mixité
urbaine dans les centres-villes.
® Fatima Jellaoui

156
Chapitre 3 Le bureau, créateur de valeur pour l’entreprise

D’une manière générale, en quoi le et qu’elles seraient davantage intéres-


siège social d’une entreprise peut-il sées par leur vie personnelle que par
être créateur de valeur ? celle de leur entreprise. Je crois au
contraire qu’elles arrivent sur le marché
Le siège social concentre par essence du travail en étant à la recherche
des fonctions de stratégie et de déve- de défis professionnels, et que les
loppement qui doivent contribuer à la grandes entreprises ont une véritable
création de valeur pour responsabilité dans
l’entreprise de demain. la manière dont elles
Les collaborateurs conçoivent les envi-
affectés à de telles
« La bataille que se ronnements qui vont
fonctions ont besoin
livrent les grands les accueillir. La ques-
d’évoluer dans un envi-
groupes est aussi tion est plutôt de savoir
ronnement ouvert et
celle de la captation comment dépasser
créatif, à même de les
et de la conservation les rapports sociaux
challenger. Le siège
de la matière grise, parfois complexes
rassemble aussi des
laquelle passe entre propres à l’univers de
fonctions dites « sup-
autres par l’image ces grandes entre-
ports » qui ne créent
renvoyée par le prises – prégnance de
pas directement de
siège social. » la hiérarchie, cohabi-
valeur, mais dont la pro- tation délicate entre
ductivité permet aux salariés – au profit de
autres composantes de l’entreprise de l’initiative individuelle, de l’autonomie
mieux fonctionner. Le potentiel d’inno- et de la créativité. Je ne parle pas tant
vation d’une entreprise passe donc par des aménagements proprement dits
la façon d’installer ces fonctions que j’ai que de la manière de traduire des rap-
citées : comment, dans sa conception- ports sociaux dans l’espace. Qu’a-t-on
même, le siège social peut-il favoriser prévu pour optimiser l’intégration et
l’efficacité, la simplicité, l’innovation ? l’épanouissement des nouvelles géné-
rations, ainsi que leur collaboration
De plus, la bataille que se livrent les fructueuse avec les générations précé-
grands groupes est aussi celle de la dentes ? Telle est la question à garder
captation et de la conservation de la à l’esprit.
matière grise, laquelle passe entre
autres par l’image renvoyée par le Quelle stratégie sous-tend la
siège social. Cela ne signifie pas, à mon démarche actuelle du Groupe La
sens, qu’il faut nécessairement verser Poste, qui consiste à regrouper une
dans les aménagements « à la Google » dizaine de sites au sein du Village
pour attirer les jeunes talents. Il n’en La Poste ?
reste pas moins que l’environnement
de travail doit traduire les valeurs De février 2016 à juin 2017, le Groupe
promues par l’entreprise pour que La Poste procède en effet au
cette dernière soit signifiante et regroupement d’une dizaine de sites
attractive. au sein du Village, lui-même constitué
de trois sites : le Crossing à Issy-les-
On entend beaucoup dire que les Moulineaux (10 000 m²), le Lemnys
jeunes générations auraient un rapport dans le 15ème arrondissement de Paris
au travail très différent de leurs aînés, (40 000 m²), et le site du boulevard 157
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

Brune dans le 14ème arrondissement de essentiel, c’est moins le catalogue de


Paris (15 000 m²). solutions que la recherche et le par-

4 ans
tage du sens de la démarche, dans un
La question de la stratégie sous- contexte propre à chaque entreprise.
jacente mérite effectivement d’être
posée car les entreprises, au moment Dans le cas de La Poste, notre
seulement seront d’amorcer un projet tertiaire de grande ambition était double. D’une part, il
nécessaires pour ampleur, se retrouvent devoir faire la s’agissait de transformer les façons
amortir le coût du part des choses parmi les principes de travailler des services des sièges
regroupement de
d’aménagement désormais volontiers et supports (ressources humaines,
dix sites au sein du
Village La Poste. présentés comme indispensables : comptabilité, achats, contrôle de
il faut des espaces ouverts, il faut gestion, etc.). D’autre part, il s’agissait
du coworking, il faut réduire la part de « désiloter » des entités qui, du fait
des postes de travail attribués, etc. du modèle organisationnel du Groupe
Largement véhiculées par les medias, en grandes branches (Courrier-Colis,
les conférences et les parutions spé- Réseau La Poste, etc.), avaient fini par
cialisées, ces solutions pourraient créer une forme de cloisonnement
générer une forme de « prêt-à-pen- préjudiciable au développement
ser » face à laquelle une certaine prise d’offres globales de services, sans
de recul me paraît salutaire. Ce qui est parler de situations où une branche

© Augusto Da Silva Graphix-images

158 Vue d’un patio du Lemnys, dans le 15ème arrondissement de Paris.


Chapitre 3 Le bureau, créateur de valeur pour l’entreprise

se retrouvait en concurrence avec une 11 millions d’euros de loyers annuels.


autre sur certains marchés. Le projet représentant un coût net
global de 40 millions d’euros, il est
Or, ces dysfonctionnements dépen- donc amorti en moins de quatre ans.
dent en partie de la localisation des
collaborateurs et de leur proximité Pourquoi avoir regroupé les
géographique. Aujourd’hui, construire collaborateurs sur trois sites
une offre de service qualitative implique plutôt que sur un seul ?
de considérer l’ensemble des besoins
de l’utilisateur final, en proposant Dans l’idéal, une localisation unique
un package global qui s’appuie sur aurait bien sûr eu notre préférence. Mais
toute la chaîne de création de valeur. eu égard d’une part aux contraintes
Il convenait donc de réunir dans un propres au marché immobilier, d’autre
même Village les différents sièges de part à notre objectif de vitesse, il s’est
branches, car ce sont les lieux où se avéré plus réaliste de construire une
concentre l’expertise stratégique du vision autour de trois sites : un site
Groupe, et dont la proximité permet existant qui nous appartient (boulevard
le développement d’offres communes Brune, à Paris), un site existant en
pertinentes. Les notions clés sont locatif (Crossing) et un site neuf en
donc les suivantes : meilleure locatif (Lemnys), ces deux derniers
efficacité, mutualisation, synergies étant très proches l’un de l’autre.
de fonctionnement.
Le choix d’un axe Issy-
« L’impact positif de
Viennent ensuite, dans les-Moulineaux/Paris se
notre relocalisation
un second temps, les fonde sur une réflexion
n’a pas tant concerné
considérations sur l’en- pragmatique : la carto-
l’amplitude des
vironnement de travail. graphie que nous avons
déplacements
D’espaces jusque-là réalisée des lieux de
domicile/travail, qui
conçus suivant des résidence des salariés a
est demeurée assez
logiques disparates et révélé une distribution
stable, que la durée des
souvent très utilitaires, géographique ayant la
déplacements intersites,
l’objectif a été d’en faire forme d’un croissant,
qui étaient jusque-là
des lieux fédérateurs, s’étendant de l’ouest à
très chronophages pour
avec un vrai sentiment l’est parisien en passant
les collaborateurs et
d’appartenance, des par la proche banlieue
qui le sont désormais
lieux de collaboration sud. Le barycentre se
beaucoup moins. »
et de co-production de situant dans le sud-
services, où les sala- ouest de Paris, c’est
riés se sentent bien et seront incités à dans ce secteur que nous avons cher-
travailler ensemble. Créer de la valeur ché à nous relocaliser. L’impact positif
passe non seulement par l’expertise n’a pas tant concerné l’amplitude des
individuelle, mais aussi par l’interaction. déplacements domicile/travail, qui
est demeurée assez stable, que la
Enfin, nous avions sans surprise un durée des déplacements intersites, qui
troisième objectif : rationaliser nos étaient jusque-là très chronophages
coûts immobiliers et générer des pour les collaborateurs et qui le sont
économies. Cet objectif est pleinement désormais beaucoup moins.
rempli puisque nous économisons 159
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

En ce qui concerne les espaces l’occasion du projet du Village La Poste,


de travail, quels sont les une charte spécifique a été adoptée
principes qui ont guidé vos qui hérite des réflexions de 2012 en y
choix d’aménagement ? ajoutant des éléments nouveaux de
déclinaison selon les types de services
En 2012, le Groupe La Poste avait et l’organisation de ses modes de
mené une première réflexion, assez travail.
générique, sur l’aménagement de ses
espaces tertiaires, alors qu’il n’était pas Tout en restant dans un cadre commun,
encore question de déménagement. nous avons largement laissé la main
Elaborée conjointement avec la aux managers des différents services
direction des ressources humaines, en matière de choix d’organisation des
cette démarche avait débouché sur espaces, car ils sont les mieux placés
l’adoption d’une charte corporate qui pour définir quels sont les besoins
rassemble quelques grands principes de leurs équipes en fonction de la
d’aménagement voués à être déclinés nature de leurs tâches. Les enjeux de
en fonction du contexte. Ce catalogue confidentialité ne sont pas les mêmes
de possibilités traduisait la volonté du d’un service à l’autre, de même que
Groupe La Poste de mettre en place le degré d’importance du calme, des
un certain nombre de standards. À espaces informels ou des salles de

© Augusto Da Silva Graphix-images

160 Vue d’un espace informel du Lemnys, dans le 15ème arrondissement de Paris.
Chapitre 3 Le bureau, créateur de valeur pour l’entreprise

réunion. Par ailleurs, certains services des espaces. Si le taux d’occupation


ont déjà parfaitement intégré les du bâtiment reste perfectible,
outils numériques dans leurs activités compte tenu des choix initiaux de
quotidiennes, tandis que d’autres sont dimensionnement, on observe déjà
un peu plus conservateurs. une évolution notable dans les usages :
succès des espaces collaboratifs,
Pour que vive le Village, il faut poser mutualisation et partage des bureaux.
des règles de vie commune, qui sont Ainsi, beaucoup proposent par
justement consignées dans la charte. exemple de mettre à disposition leur
La question de l’offre de service et des bureau en leur absence pour en faire
équipements communs, notamment, temporairement une salle de réunion.
est essentielle, car il faut parvenir à une Ce type d’initiatives fondées sur le
équité dans ce domaine entre les trois volontariat va progressivement amener
sites du Village, alors même que l’un est une utilisation plus efficace des locaux,
neuf et les deux autres étaient préexis- alors que le principe de départ – un
tants. Les aménagements ne sauraient salarié, un poste de travail – pouvait,
être identiques car ils dépendent des s’il était accompagné d’un usage
immeubles. Il importe néanmoins d’in- conventionnel, produire de la sous-
venter des équipements communs occupation. Néanmoins, la densité
qui permettent de naviguer confor- dans le bâtiment est bien meilleure que
tablement entre les trois immeubles, la situation de départ. En fin de compte,
ainsi que des signes distinctifs qui cette gestion dynamique et évolutive
conduisent le salarié à se dire « je suis permet un usage plus efficient du
dans le Village ». bâtiment et des économies, alors que
le principe du flex office, adopté dans
Les choix qui ont été faits en de nombreux grands groupes, ne faisait
matière de dimensionnement ont pas partie des choix culturellement
été conservateurs, et laissent des et managérialement acceptables au
possibilités d’optimisation du projet démarrage du projet.
dans le temps. Ainsi La Poste a choisi
de conserver à chaque salarié un poste Le projet de restructuration de
de travail attribué, même si celui-ci l’immeuble de la Poste du Louvre
peut prendre d’autres formes qu’un met l’accent sur la mixité des
poste de travail classique. « Mon poste fonctions. Des projets similaires
de travail, c’est là où je suis » : tel a pourraient-ils être menés sur
été le credo du projet. En revanche, d’autres actifs du Groupe ?
les bureaux individuels sont très
minoritaires, puisqu’ils ne concernent Bien que n’étant pas reproductible
que 10 % des salariés. in extenso, ce projet a clairement
une valeur de prototype pour le
Les premiers retours d’expérience des Groupe La Poste, et ce dans plusieurs
salariés du Lemnys, qui s’y sont installés domaines. D’abord, il concrétise l’idée
en mars 2016, attestent d’un haut degré que nos bâtiments peuvent conserver
de satisfaction. Les ratios de salariés leur vocation postale tout en s’ouvrant
par mètre carré, qui pouvaient sembler à d’autres usages. Jusqu’à un passé
denses à certains au début, sont en fin récent, nous avions tendance à
de compte jugés satisfaisants, avec privilégier la cession des actifs dès lors
une impression globale de générosité qu’ils cessent de servir l’exploitation 161
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

© Dominique Perrault Architecture


Perspective de la façade de la Poste du Louvre après sa restructuration.

postale. L’immeuble de la Poste du levier pour maintenir des emplois en


Louvre atteste qu’il est possible de milieu urbain dense et financer des
développer une programmation mixte, composantes de la ville qui autrement,
avec maintien de l’activité postale et par le mécanisme ordinaire des
adjonction d’activités commerciales marchés financiers, se trouveraient
et de services au quartier. Cette reléguées en proche voire en lointaine
dimension était cruciale, surtout périphérie.
pour une localisation aussi centrale
(1er arrondissement de Paris).
« À rebours de l’une des
tendances aujourd’hui à l’œuvre
Ensuite, à rebours de l’une des
dans les grandes métropoles,
tendances aujourd’hui à l’œuvre dans
nous sommes parvenus à main-
les grandes métropoles, à savoir le
tenir une activité industrielle
rejet des activités industrielles loin
dans une localisation qui compte
des villes-centres, nous sommes
probablement parmi les plus
parvenus à maintenir une activité
coûteuses de tout Paris. »
industrielle dans une localisation qui
compte probablement parmi les plus
coûteuses de tout Paris. L’efficacité Nous sommes d’ores et déjà en train
d’occupation et la mixité des fonctions de reproduire ce principe sur d’autres
en sont les conditions, car elles sites, par exemple rue La Boétie, dans
permettent de financer le maintien des le 8ème arrondissement de Paris, ou
activités postales grâce à un système encore pour l’immeuble de la Poste
de péréquation. Ce choix de la mixité Grangier à Dijon (Côte d’Or). À chaque
162 n’est donc pas un dogme : c’est un fois se pose la question du type de
Chapitre 3 Le bureau, créateur de valeur pour l’entreprise

montage opérationnel à privilégier :


est-il plus pertinent de développer
l’immeuble nous-mêmes ? De le
co-développer ? De découper en lots
pour les revendre à des investisseurs ?
Pour la Poste du Louvre, nous
assumons 100 % du risque. Pour la
Poste Grangier à Dijon, nous
conservons une partie de l’immeuble
pour le bureau de poste et l’activité
tertiaire et vendons le reste à un
opérateur hôtelier. En conclusion, le
caractère remarquable et reproductible
de la Poste du Louvre provient de la
démarche de valorisation engagée, qui
conduit à ajuster notre montage
d’opérations et notre prise de risque en
fonction des caractéristiques de
marché et du bâtiment.

163
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

Entretien avec Catherine Guizol


Directrice des projets immobiliers de Coca-Cola European
Partners France, Issy-les-Moulineaux, France

Passionnée par les nouvelles façons de


travailler et leur impact sur la performance,
Catherine Guizol, Directrice des projets
immobiliers de Coca-Cola European
Partners France 1, a piloté le déménagement
de l’entreprise vers son nouveau siège social
d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine),
qu’occupent quelque 600 salariés depuis
janvier 2015. Elle revient dans cet entretien
sur la genèse du projet et détaille les atouts
de ce nouveau siège social, au service
du bien-être de ses usagers et du travail
collaboratif, mais aussi de l’attractivité et
de la performance de l’entreprise.

Coca-Cola European Partners France


a investi en janvier 2015 l’immeuble
Noda à Issy-les-Moulineaux (Hauts-
de-Seine). Quelle stratégie a amené
l’entreprise à déménager son siège était l’occupant, l’a rendu possible.
social ? Par la suite, toujours pour des raisons
de croissance des effectifs, nous
La genèse du projet est en effet avons même dû louer encore quelque
intéressante. Coca-Cola European 1000 m² supplémentaires dans un
Partners France était implantée à autre immeuble adjacent au nôtre.
Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) Sur le plan juridique, cela représentait
depuis 1999, dans un immeuble donc trois baux à gérer avec trois
d’environ 9500 m² baptisé Open, dont propriétaires différents et sur le
nous étions locataires. Très bien situé plan technique, trois immeubles aux
en face de la station du RER C Issy-Val caractéristiques différentes. En outre,
de Seine, il s’est cependant avéré au fil ces derniers pouvaient être qualifiés
du temps trop petit pour accommoder de vieillissants, même s’ils ne dataient
la croissance de nos effectifs. C’est que d’une quinzaine d’années ! Le
ainsi que nous nous sommes retrouvés confort pour les utilisateurs n’était
devoir prendre à bail environ 6000 m² pas optimal et leur conception suivant
dans un immeuble adjacent, l’Amiral, un modèle très cloisonné montrait
lorsque le départ de Cisco, qui en une efficience limitée. Enfin, nos

1 Issu de la fusion en 2016 de Coca-Cola Enterprises, Coca-Cola Iberian Partners et Coca-Cola Erfrischungsgetränke GmbH,
Coca-Cola European Partners, dont le siège est situé à Londres, est le premier embouteilleur indépendant de Coca-Cola au
164 monde.
Chapitre 3 Le bureau, créateur de valeur pour l’entreprise

espaces de bureaux avaient fini par


prendre un aspect labyrinthique,
du fait de cette répartition sur trois
immeubles mitoyens, dont deux que
nous n’occupions qu’en partie, avec
de petits dénivelés aux points de
communication entre eux.

Nos trois baux, que j’avais heureusement


réussi à aligner sur une même date
d’expiration, arrivaient à échéance
à la fin de l’année 2014. Missionnée
pour les renégocier à des loyers plus
avantageux, je suis parvenue à obtenir
une économie très significative à
condition que nous nous réengagions
sur neuf ans. Tout en laissant ouverte
cette option, j’ai toutefois fait
valoir à la direction générale qu’un
déménagement de notre siège social
serait, à mon sens, nettement plus
avantageux. Au-delà du changement
de locaux, l’opportunité se présentait
de mener un véritable projet
d’entreprise. J’avais la conviction que
nos trois immeubles ne permettaient
pas du tout de se donner les moyens
de travailler différemment, ce qui a
été l’un des leitmotive du projet que
j’ai conduit. De plus, en raison des lois
Grenelle I (2009) et Grenelle II (2010)
et de l’inefficience de ces immeubles
en termes énergétiques mais aussi de
Vue extérieure de l’immeuble Noda, à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine).
confort d’usage, y rester nous aurait
rapidement coûté très cher, en dépit
du rabais obtenu sur les loyers. développement depuis plus de dix ans,
a permis de rendre les berges du fleuve
Je savais par ailleurs qu’il était possible aux piétons et a dopé l’attractivité du
de trouver des surfaces adaptées quartier où nous sommes aujourd’hui
à nos besoins sans quitter Issy-les- implantés. En conclusion, nous avions
Moulineaux, ville à laquelle nous avons une ambition partagée avec la Ville
d’emblée fait le choix de rester fidèles. en termes environnementaux et de
En plus d’être très accessible par les qualité de vie.
transports collectifs, cette commune
constitue un pôle économique Dans ce contexte, l’opération immo-
dynamique et soucieux des enjeux bilière Zenora développée par BNP
environnementaux. L’écoquartier Paribas Immobilier Promotion et située
des bords de Seine, en plein à 800 mètres de notre emplacement 165
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

antérieur, a immédiatement retenu sorte que lorsque son utilisateur, quand


mon attention. Les négociations se bien même il s’agit d’un membre de la
sont très bien déroulées et nous avons direction, est en déplacement ou en
pu nous installer dans l’immeuble Noda congé, ils peuvent faire office de salles
dans les premières semaines de 2015, de réunion additionnelles. D’ailleurs,
très peu de temps après sa livraison. il n’y a pas d’espace de direction à
L’immeuble Vega, qui constitue l’autre proprement parler, car nous avions
partie de l’opération Zenora, est quant à cœur de casser toute traduction
à lui occupé par Yves Rocher. Notre spatiale des codes hiérarchiques.
nouveau siège, aujourd’hui détenu par Par ailleurs, nous avons fait le choix
Primonial, est donc plus ouvert, plus de garantir à chaque collaborateur
lumineux, moderne et connecté, doté un poste de travail attribué : le projet
d’ambitions très élevées en matière que je portais était déjà ambitieux
de Responsabilité sociétale des entre- et il me semblait prématuré d’opter
prises (RSE), bref il est davantage à pour le flex office, même si rien ne
notre image. Majoritairement recru- s’y opposerait sur le plan technique.
tée en interne, l’équipe projet s’est Mais l’expérience nous a montré que
montée très rapidement. Nous nous la flexibilité que nous recherchions est
sommes bien sûr également entou- bien réelle : au cours des 18 premiers
rés de conseils extérieurs et d’experts mois d’exploitation, nous avons
internes intervenant notamment sur la eu à déplacer une quarantaine de
dimension RSE, la dimension des res- collaborateurs, ce qui a pu être mené à
sources humaines et celle touchant à bien sans démonter aucune cloison ni
l’informatique. déplacer aucun mobilier. Un avantage
des espaces ouverts bien organisés
Quels sont les grands partis pris est qu’il est facile de déplacer des
d’aménagement de votre nouveau personnes ou d’en accueillir de
siège social ? nouvelles sans être contraint à des
changements significatifs.
D’une manière générale, il est évident
que notre nouveau siège social Quand bien même ils sont à taille
présente un plan beaucoup plus humaine, délimités et bien organisés,
ergonomique, en forme de double ces espaces ouverts nécessitent, pour
H qu’occupe en son centre un jardin fonctionner pleinement, d’être complé-
intérieur. Les îlots centraux sont réduits tés par des espaces additionnels que
au minimum (pour les escaliers et les nous avons baptisés « travailler autre-
sanitaires) afin de créer l’espace le ment ». L’argumentaire est désormais
plus ouvert et le plus facile à organiser connu : on ne travaille plus aujourd’hui
possible. C’était mon objectif premier :
privilégier les espaces de travail
ouverts mais à taille humaine, pour
optimiser le bien-être et le confort
« On ne travaille plus aujourd’hui de
des utilisateurs. Il ne reste qu’une
manière sédentaire, ce qui implique de
quarantaine de bureaux individuels,
mettre à disposition des salariés une
ce qui constitue un ratio très faible
variété de configurations spatiales
pour un siège qui regroupe environ
correspondant à leurs différents
600 salariés. Ce sont des espaces de
besoins au cours de la journée. »
166 travail clos mais sans serrures, de telle
Chapitre 3 Le bureau, créateur de valeur pour l’entreprise

de manière sédentaire, ce qui


implique de mettre à disposi-
tion des salariés une variété de
configurations spatiales cor-
respondant à leurs différents
besoins au cours de la journée.
Pour ce faire, plusieurs dispositifs
ont été prévus. D’abord, l’im-
meuble comprend environ
80 bulles pouvant accueillir
deux à quatre personnes et ne
nécessitant pas d’être réservées,
pour s’isoler ou tenir une réu-
nion en petit comité. Ensuite, des
espaces ouverts situés un peu à
l’écart des postes de travail pro-
posent des canapés en vis-à-vis Vue d’un espace de détente au sein de l’immeuble Noda.
conçus pour absorber le bruit,
et des tables hautes avec tabourets également deux espaces de détente,
pour des réunions rapides et efficaces, dont un baptisé « Coke actif » et équi-
avec des prises de décision rapides. pés, selon les étages, d’un baby-foot,
En sus de son jardin intérieur, Noda d’une table de ping-pong ou d’une
comporte dans ses étages les plus console de jeux vidéo pour permettre
élevés quatre terrasses équipées en aux salariés de s’accorder un moment
mobilier et en Wi-Fi, rendant parfaite- de pause ludique. Enfin, le huitième
ment possible d’y travailler aux beaux étage accueille un espace premium
jours. Il faut également mentionner baptisé « le Loft », lui aussi totalement
notre centre de conférences au rez- ouvert, avec une partie consacrée à
de-chaussée, pourvu de six salles de une salle de réunion et une partie plus
réunion dont trois peuvent être com- informelle équipée d’un bar, de cana-
binées pour former un amphithéâtre pés, d’une table tactile, l’ensemble
de 150 places. Dans notre ancien siège, disposant d’écrans touchscreen pour
nous disposions d’un amphithéâtre faire des présentations qualitatives.
fixe dont le taux d’utilisation avait
été évalué à 20 %, ce qui représentait En dépit du nombre de ces espaces
un grand nombre de mètres carrés de détente, de réunion et de travail
dont l’efficience était très faible. Nous collaboratif, nous avons, en termes
avions donc à cœur que notre centre de mètres carrés, réussi à réduire nos
de conférences soit flexible et multi- espaces dans l’immeuble Noda, avec un
usages et de fait, son taux d’utilisation ratio d’environ 16 m² par collaborateur,
est cette fois de 80 %. Les espaces ce qui est conforme aux standards très
de restauration, modernes et cassant confortables des immeubles récents
les codes de la restauration collective (en prenant en compte l’ensemble des
classique, constituent des espaces de espaces à la disposition des salariés).
vie et de travail additionnels hors des
heures de repas, et ont déjà accueilli Notre parti pris étant celui d’une meil-
des réunions plénières avec l’ensemble leure collaboration entre les différents
des collaborateurs. Chaque étage offre salariés et départements, il était essen- 167
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

tiel d’offrir un surplus et une diversité automatiquement, ce qui est un vrai


d’espaces, dédiés au travail comme à confort pour les utilisateurs, notam-
la détente. Le bien-être et l’efficacité ment en période hivernale. Le confort
sont largement corrélés, si bien que thermique est également incompa-
notre entreprise dans son ensemble rable, avec un système de plafonds
bénéficie d’un aménagement des métalliques qui préserve les usagers
bureaux intelligemment pensé, un de tout bruit de ventilation.
levier encore mal exploité de la per-
13 000 m² formance au travail. Le bâtiment est en outre équipé
de 90 m² de panneaux solaires et,
La superficie privative L’immeuble Noda est une véritable conjointement avec le propriétaire,
totale occupée par vitrine de notre culture d’entreprise, et nous avons installé des ruches sur le
Coca-Cola European
même si notre objectif premier ne se toit. Deux récoltes de miel ont déjà
Partners France et
Coca-Cola Services jouait pas sur le plan de l’image, on ne été distribuées aux collaborateurs,
France pour leur peut nier qu’il s’agit d’un outil essentiel lesquels ont pu prendre part à
nouveau siège social, pour attirer les jeunes talents de des animations pour apprendre à
dans l’immeuble Noda demain et leur donner envie de nous s’occuper d’une ruche. Des poules
à Issy-les-Moulineaux.
rejoindre, sans pour autant négliger les et des coqs occupent par ailleurs le
besoins et les attentes des générations jardin intérieur. Les espèces végétales
plus âgées. présentes, aussi bien dans le jardin
que sur les terrasses plantées, ont été
En quoi Noda est-il un immeuble choisies par des écologues spécialisés,
vertueux sur le plan du de façon à tenir compte des besoins
développement durable ? de la faune environnante. Un jardin
aromatique exploité par le prestataire
Pour commencer, l’immeuble a fait de restauration complète le dispositif.
l’objet d’une certification environne-
mentale particulièrement élevée, HQE Enfin, nous sommes reliés au pneuma-
et BREEAM « Outstanding », aussi tique Isséane mis en place par la Ville,
bien en phase de chantier qu’en état afin que tous les déchets qui ne sont
d’achèvement. Ce résultat remarquable pas récupérés par le prestataire que
est le fruit des efforts conjugués du nous avons choisi pour les valoriser
promoteur, BNP Paribas Immobilier soient expédiés par pneumatique vers
Promotion, de l’investisseur de la déchetterie d’Issy-les-Moulineaux.
l’époque, le Néerlandais Wereldhave, Noda est d’ailleurs le premier immeuble
et bien sûr de Coca-Cola de bureaux à avoir été
European Partners. « L’immeuble Noda est connecté à ce système.
une véritable vitrine Notre nouveau siège ne
Un grand soin a été de notre culture pouvait être qu’exem-
apporté à l’éclairage, d’entreprise, et on ne plaire sur la question du
d’une part en maximi- peut nier qu’il s’agit tri des déchets et de la
sant la lumière naturelle, d’un outil essentiel valorisation de ces der-
d’autre part en installant pour attirer les jeunes niers. Dans nos propres
un système d’éclairage talents de demain. » espaces de travail, il n’y
asservi à une détection a ainsi plus aucune pou-
de présence et graduel en fonction de belle individuelle : des points d’apport
la luminosité naturelle : à mesure que volontaire et de tri sélectif des déchets
168 le jour tombe, l’éclairage augmente ont été installés dans les points copie
Chapitre 3 Le bureau, créateur de valeur pour l’entreprise

et détente, ainsi que dans les salles de « Le lieu physique de l’entreprise, et
réunion. notamment le siège social, doit rester
l’endroit le mieux adapté pour les
En conclusion, quelles seront selon salariés, sans quoi ils s’orienteront
vous les principales caractéristiques mécaniquement vers les espaces
de l’immeuble de bureaux de demain ? de coworking et les tiers-lieux dans
toute leur diversité, ou resteront tout
La problématique essentielle qui simplement chez eux. »
émerge depuis déjà quelques années
est liée à la multiplication des lieux On pourrait par exemple imaginer que
du travail, dans et en dehors de demain, l’auditorium situé au rez-de-
l’entreprise : demain plus encore chaussée d’un immeuble d’entreprise
qu’aujourd’hui, il sera possible de s’ouvre à des conférences auxquelles
travailler n’importe où. Dès lors, la pourraient assister aussi bien les
question pour l’entreprise est de savoir collaborateurs de l’immeuble que les
comment maintenir une communauté riverains. On pourrait également
physique, liée par un sentiment imaginer des halls d’accueil moins
d’appartenance. formatés et plus transparents, voire
traversants pour les riverains. Les
Je pense que le lieu physique de l’en- immeubles de bureaux pourraient
treprise, et notamment le siège social, accueillir des expositions temporaires,
doit rester l’endroit le mieux adapté des pop-ups, avec une gamme de
pour les salariés, sans quoi ils s’orien- services qui ne seraient pas réservés
teront mécaniquement vers
les espaces de coworking et
les tiers-lieux dans toute leur
diversité, ou resteront tout
simplement chez eux – d’où l’im-
portance de conserver un espace
de collaboration commun, pas
uniquement décentralisé et digi-
tal. Demain, on viendra chercher
dans un immeuble de bureaux
du lien social, une rencontre et
un lieu unique d’expérience de
travail avec de la valeur ajoutée.
J’y vois un enjeu essentiel pour
les bureaux dans le futur, et je
crois que Coca-Cola a contribué
à ouvrir cette voie en permet-
tant de travailler différemment
Vue d’un espace de réunion avec tables hautes, pour des réunions rapides et
et d’accéder à un mode de travail
efficaces (immeuble Noda).
collaboratif et moderne à travers
la création de son nouveau siège. aux seuls occupants de l’immeuble,
tout en gardant en tête les contraintes
Un autre enjeu est selon moi l’ouverture de sûreté et de confidentialité
des immeubles tertiaires à l’éco- auxquelles sont sujettes la majorité des
système extérieur et à la société civile. entreprises. 169
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

Entretien avec Jean-Marc Castaignon


Directeur immobilier du Groupe Société Générale,
Fontenay-sous-Bois, France

À la tête de la Direction immobilière du


Groupe Société Générale depuis 2000,
Jean-Marc Castaignon a supervisé la
réalisation de la tour Granite, livrée en
2008, et de l’immeuble Basalte (salles des
marchés), livré en 2011, dans le quartier
d’affaires de la Défense. Beaucoup plus
récemment, il a conçu et piloté le projet des
Dunes, le nouveau campus que l’entreprise
a développé à Fontenay-sous-Bois (Val-de-
Marne) et qui a été livré en octobre 2016.
Cet entretien lui offre l’occasion de revenir
sur ce projet de grande ampleur qui fait la
part belle au flex office, tout en rappelant
la géographie spécifique des grandes
implantations de la Société Générale.

Quelle est la genèse du projet


immobilier des Dunes, inauguré
en octobre 2016 ? de-Marne), à l’est de Paris, où nous
sommes installés depuis 1992 dans
En Île-de-France, l’organisation de la des immeubles qui réunissent environ
Société Générale est historiquement 5 000 salariés. Cette organisation
structurée par trois polarités. La géographique sous forme de triptyque
première est notre siège social dans contribue à garantir notre résilience.
l’immeuble patrimonial du boulevard
Haussmann, dans le Quartier Central La vocation initiale du projet des Dunes
des Affaires (QCA) de Paris intra- était de déconcentrer une partie de
muros, où travaillent 900 personnes. nos salariés de la Défense et d’opé-
La deuxième est composée de
l’ensemble de nos implantations dans « La vocation initiale du projet des
le quartier d’affaires de la Défense, où Dunes était de déconcentrer une
nous occupons environ 400 000 m² partie de nos salariés de la Défense
pour près de 25 000 collaborateurs. et d’opérer un rééquilibrage de nos
Nous sommes propriétaires de nos effectifs en faveur de la périphérie
implantations les plus emblématiques est de Paris. 5 000 collaborateurs
(tours Chassagne, Alicante, Granite et occupent donc aujourd’hui les Dunes
Basalte) et locataires d’une diversité et sont très majoritairement en
d’immeubles alentour. La troisième provenance du quartier d’affaires,
est située à Val de Fontenay, sur la où nous avons libéré 90 000 m²
170 commune de Fontenay-sous-Bois (Val- dont nous étions locataires. »
Chapitre 3 Le bureau, créateur de valeur pour l’entreprise

rer un rééquilibrage de
nos effectifs en faveur
de la périphérie est de
Paris. 5 000 collabora-
teurs occupent donc
aujourd’hui les Dunes
et sont très majoritai-
rement en provenance
du quartier d’affaires,
où nous avons libéré
90 000 m² dont nous
étions locataires. Nous
sommes en revanche
propriétaires des Dunes,
qui se déploient pour
leur part sur 90 000 m².

© Urbavox / Jean-Pierre Porcher


La qualité de la des-
serte en commun, avec
l’immédiate proximité
des RER A et E, garan-
tit la bonne accessibilité
du site, que renforcera
encore la desserte de la
Vue sur une partie du campus des Dunes inauguré en 2016 à Val de Fontenay (Val-de-Marne).
gare de Val de Fontenay
par la ligne 15 du Grand
Paris Express (GPE) d’ici quelques Par ailleurs, les espaces de travail ont
années, ainsi que le prolongement de fait l’objet d’une importante réflexion
la ligne 1 du métro. préalable à la fois sur le plan de la
sensibilisation et de la co-construc-
Les Dunes, dont l’essentiel des occu- tion. D’abord, nous avons sollicité très
pants travaillent sur les technologies, en amont un panel de collaborateurs
l’infrastructure informatique et l’impact de la génération Y (de 23 à 28 ans)
du numérique sur l’activité bancaire pour recueillir leur vision du bureau
d’une manière générale, se pensent de demain, de manière à incorporer
comme un véritable technopôle. À ce leurs meilleures idées au programme
titre, nous assumons complètement du concours. Ensuite, nous avons
nous être inspirés des GAFA (Google, aménagé des sortes de « plateaux
Apple, Facebook, Amazon) dont témoins » sur l’un de nos sites à la
nous avons visité un certain nombre Défense, qu’ont pu expérimenter, dans
d’implantations dans la Silicon Valley, un esprit de test & learn, près d’un
en Californie. Nous en sommes reve- millier de « pionniers » équipés d’infor-
nus avec une large gamme de bonnes matique leur permettant une totale
pratiques relatives aux manières de mobilité. Nous avons ainsi appris avec
travailler et à l’aménagement de l’es- eux quels étaient les aménagements
pace, que nous avons déclinées dans adaptés et ceux qui l’étaient moins. En
les Dunes suivant notre culture, nos outre, un important travail de sensibili-
propres objectifs et nos propres sation a été mené en amont du projet,
contraintes. grâce à un showroom visitable sur 171
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

le chantier dix-huit mois avant l’ins- d’Anne Démians, l’ensemble a décroché


tallation, qui a fait l’objet de quelque les certifications HQE, BREEAM et
3 000 visites par groupes de quinze LEED. La consommation d’énergie y a
collaborateurs, afin que chacun puisse été diminuée de 50 % par rapport aux
se figurer l’espace dans lequel il évo- bâtiments que nous louions à la place
luerait prochainement et que toutes à la Défense.
les questions et appré-
hensions éventuelles Le bâtiment est tota-
« Les Dunes ont été
puissent être levées. lement connecté, en
conçues comme un
phase avec les attentes
bâtiment paysage,
Enfin, des mesures d’ac- et les usages des profils
ouvert et horizontal,
compagnement ont été « tech » qui l’occupent.
composé de trois corps
prévues pour les sala- L’un des partis pris
d’immeubles reliés
riés concernés par le affirmés des Dunes
entre eux par une rue
déménagement de la est de mettre en place
en entresol baptisée
Défense vers les Dunes de manière totale le
la Vallée, véritable
et qui, habitant à l’ouest concept de flex office :
colonne vertébrale du
de Paris, voyaient aug- pas un seul bureau
site qui propose sur
menter leur temps de n’est individuel, et pas
14 000 m² une vaste
transports jusqu’à une un seul n’est attribué.
gamme de services aux
demi-heure. Un respon- Chaque collaborateur
occupants. »
sable des ressources dépend d’un « quartier »,
humaines a été détaché au sein duquel il s’ins-
spécifiquement sur ce projet pour trou- talle au poste de son choix. Les Dunes
ver des solutions au cas par cas. Ces proposent un large panel d’espaces
salariés ont par exemple été décrétés de travail et d’expérimentation, entre
prioritaires sur tous les postes se libé- lesquels il est possible d’alterner au fil
rant à la Défense, afin qu’ils puissent de la journée en fonction des tâches à
continuer à travailler à proximité de accomplir (la superficie des espaces
leur lieu de résidence. collaboratifs est deux fois supérieure
à ce qu’offraient nos implantations à
Quelles solutions avez-vous retenues la Défense). Chaque salarié dispose
pour l’aménagement intérieur d’un casier dans lequel il peut laisser
des Dunes ? ses affaires personnelles : nous nous
devions de mettre en place ce système
Les Dunes ont été conçues comme puisque nous demandons à chacun, du
un bâtiment paysage, ouvert et fait de l’absence de postes attribués,
horizontal, composé de trois corps de ne rien laisser sur son bureau quand
d’immeubles reliés entre eux par une il ne l’utilise pas (c’est le principe du
rue en entresol baptisée la Vallée, clean desk). Nous avons également
véritable colonne vertébrale du site entièrement banni les imprimantes
qui propose sur 14 000 m² une vaste individuelles. Il va de soi que favoriser
gamme de services aux occupants : ainsi la mobilité permanente a pour
espaces de restauration et de bien- conséquence que vous ne travaillez
être, local d’assistance informatique, jamais à côté des mêmes personnes,
agence bancaire, salle de jeux, etc. ce qui est très bénéfique au partage
Adoptant une architecture résolument d’expertises et de compétences, à
172 contemporaine qui porte la signature la circulation de l’information et des
Chapitre 3 Le bureau, créateur de valeur pour l’entreprise

idées. Les bâtiments sont donc plei- coûts immobiliers. Nous avons donc
nement au service du fonctionnement installé des capteurs de présence
en mode collaboratif et de la perfor- sous chaque poste de travail afin de
mance collective. permettre un suivi très précis de leur
taux d’utilisation. Dernier point : le
Pour l’heure, les Dunes offrent autant système de visioconférence disponible
de postes de travail qu’elles comptent dans de nombreux espaces de réunion
de collaborateurs, sachant que la est d’une qualité irréprochable, afin
possibilité est donnée à chacun de d’épargner à nos collaborateurs de
télétravailler un jour par semaine. C’est devoir se déplacer à la Défense pour
une amélioration notable par rapport un rendez-vous avec des collègues qui
à nos précédentes implantations de la y sont encore basés.
Défense, où le ratio était d’1,2 poste de
travail par salarié. Notre siège londonien Enfin, l’une des constituantes les
a quant à lui un temps d’avance, car plus originales des Dunes s’appelle
le ratio est tombé à 0,8 sans que cela le « Plateau ». Cet espace de près de
ne pose aucune difficulté pratique. Ce 1 000 m² accueille gracieusement
différentiel n’a rien d’anecdotique, car des start-ups internes et externes qui
l’optimisation des mètres carrés est forment notre écosystème local de
un puissant levier de réduction des l’innovation. Trois collaborateurs de la
© Urbavox / Jean-Pierre Porcher

Vue plongeante sur le pavillon d’accueil des visiteurs du campus des Dunes. 173
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

Société Générale y sont complètement obsolètes. Un rapide sondage a


immergés afin d’accompagner ces montré que 70 % des salariés de la
jeunes structures, avec bien sûr Défense étaient demandeurs d’un
l’objectif que les méthodes agiles qui aménagement global des espaces dans
sont les leurs se diffusent et viennent la droite ligne de ce qui a été déployé
influencer les façons de travailler des aux Dunes – et je ne doute pas que les
autres collaborateurs. Nous mettons à 30 % restants changeront d’avis dans
leur disposition un Fab Lab, deux war les mois à venir, pour peu, par exemple,
rooms pour les réunions stratégiques, qu’ils soient amenés à découvrir le site
90 000 m² une salle de créativité, des modules des Dunes.
de démonstration pour présenter
C’est la superficie les innovations, une scène pour les Il est à craindre que nos capacités
totale des Dunes, le pitchs ainsi que des espaces de budgétaires ne nous permettent pas
nouveau campus de coworking et de réunion. Les start- d’engager de front ces différents
la Société Générale
ups présentes restent hébergées au chantiers. À partir de 2017, mes
à Val de Fontenay
(Val-de-Marne). Plateau pour une durée variable, en services immobiliers et les services
fonction de leurs résultats. Nous ne informatiques, qui doivent absolument
raisonnons pas en termes de retour travailler main dans la main sur ces
sur investissement immédiat et encore sujets, vont élaborer une proposition
moins de location de mètres carrés. qui sera soumise à la direction générale,
Le modèle du Plateau est plutôt d’être mais le planning de réalisation reste
connecté avec un réseau des start-ups à déterminer. Je n’oublie pas pour
dont les sujets de travail intéressent autant notre siège social du boulevard
la banque, et dont les méthodes de Haussmann, où je prévois d’implanter
travail en communauté et d’animation prochainement un tiers-lieu interne,
d’événements sont enrichissantes pour à destination des salariés basés sur
la Société Générale. d’autres sites et qui, entre deux rendez-
vous parisiens, sont en quête d’un
L’inauguration des Dunes n’a-t-elle endroit où travailler dans de bonnes
pas eu pour conséquence de créer conditions.
des attentes parmi les salariés de la
Défense et du site historique de Val On voit bien que l’enjeu n’est plus pure-
de Fontenay ? ment immobilier – on pourrait dire que
c’est un sujet qui concerne les usages
C’est en effet ce qui s’est passé. En et dont il faut tirer les conséquences
conséquence, et pour harmoniser pour l’immobilier. Or certains actifs,
la qualité de vie au travail proposée qu’ils soient en location ou en pro-
par nos différentes implantations, un priété, sont résolument inadaptables à
programme de rénovation de nos ces nouveaux usages globalement plé-
sites historiques de Val de Fontenay biscités, et je ne parle pas seulement ici
sera engagé en 2017 pour réduire des sites occupés par la Société
le différentiel avec les Dunes. Ce qui Générale. Certains immeubles ont été
avait peut-être été moins attendu, conçus pour que les plateaux soient
c’est la demande forte d’upgrading occupés par des bureaux individuels
qui a également émané des salariés cloisonnés : on ne peut rien en faire si
de la Défense, et ce, bien que les tel n’est pas notre modèle. D’autres
tours Chassagne, Alicante et Granite présentent des halls d’entrée qui se
174 ne puissent être considérées comme réduisent à un contrôle d’accès à l’as-
Chapitre 3 Le bureau, créateur de valeur pour l’entreprise
© Urbavox / Jean-Pierre Porcher

Une autre vue du campus des Dunes, dont les bâtiments disposent d’au moins un balcon par étage.

censeur : c’est la même problématique.


On le voit : l’obsolescence des immeu-
bles de bureaux est, en France, un sujet
de plus en plus prégnant.

175
Les bureaux : de futurs défis territoriaux et managériaux Cahier #5 – 2017

Pour en savoir plus


WeWork, le géant américain du coworking,
s’implante en France en 2017

Après Berlin, Montréal, Sydney, Shanghai et Mexico en 2016, WeWork débarquera


à Paris au printemps 2017. Pour sa première implantation française, la « licorne »
américaine, fondée en 2010 par Adam Neumann et aujourd’hui valorisée
16 milliards de dollars, a loué au fonds immobilier Deka Immobilien 11 000 m²
ainsi que 170 places de parking au 33 rue La Fayette, dans le 9ème arrondissement
de Paris. Ancien siège d’Areva, l’immeuble, qui propose des grands plateaux de
plus de 1 000 m², a fait l’objet d’un bail de 12 ans ferme. Il proposera pas moins
de 2 300 postes de travail.

Leader mondial du coworking, revendiquant une communauté de 80 000 membres


répartis dans 12 pays et plus de 30 villes, WeWork a développé un concept
reposant sur le partage d’espaces de travail destinés aussi bien aux travailleurs
indépendants qu’aux grands groupes : McKinsey, Volkswagen, Deloitte, Microsoft
ou encore BlaBlaCar ont déjà franchi le pas en y localisant une partie de leurs
salariés. La start-up propose différentes formules d’abonnements mensuels, dont
les tarifs sont fonction des services auxquels le travailleur souhaite avoir accès.

Cherchant à proposer des espaces stimulant la créativité et à créer les conditions


propices à la croissance et à la productivité, WeWork met particulièrement
l’accent sur l’esprit de communauté qui anime ses membres. Au-delà du partage
des espaces et des services, cet esprit se traduit par exemple par l’existence
d’une application mobile où les membres peuvent échanger comme sur un
réseau social, et s’entraider via un système de questions-réponses.

Dans un contexte où moins de 1 % des espaces de coworking français proposent


plus de 100 postes de travail (source : enquête La Fonderie & Bureaux à Partager,
2015), l’arrivée de WeWork s’apprête à marquer un véritable changement d’échelle
dans l’univers de plus en plus concurrentiel des espaces de travail partagés.

www.wework.com

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Chapitre 3 Le bureau, créateur de valeur pour l’entreprise

Le 55 Amsterdam à Paris, premier immeuble labellisé « Well » en


France

Livré en janvier 2017, l’immeuble « 55 Amsterdam », situé dans le 8ème arrondissement


de Paris, est le fruit d’une restructuration lourde menée par la foncière Gecina. Il
est le premier immeuble français à se voir décerner le label Well.

Lancé en octobre 2014 aux États-Unis à l’occasion du salon Greenbuild sur la


construction durable, le Well Building Standard est un référentiel autonome géré
par l’IWBI (International Well Building Institute), un équivalent de l’Association
HQE. Cabinet de conseil en immobilier et en développement durable, ARP-
Astrance a entrepris de développer en France ce label d’origine américaine.

Complémentaire des principales certifications existantes (HQE, BREEAM, LEED),


Well se veut le premier référentiel centré sur l’occupant plutôt que sur le bâtiment,
sur le principe que le bien-être des usagers est une source d’innovation majeure
pour l’immobilier. Susceptible d’être décerné aussi bien aux immeubles neufs
qu’à ceux existants, Well prend en compte sept domaines que sont l’air, l’eau,
la lumière, le fitness, la restauration, le confort et le bien-être psychologique. À
l’heure où les certifications classiques sont en voie de généralisation, il apporte
une nouvelle possibilité de différenciation.

En accord avec les cibles de Well, le 55 Amsterdam a mis l’accent sur les
déplacements doux (accueil renforcé du vélo), l’ergonomie des espaces de
travail, le confort thermique et olfactif, la lumière naturelle, la place de l’art, la
revalorisation des espaces de circulation pour favoriser l’activité physique, la
biophilie ou encore le goût de l’eau. L’investisseur canadien Ivanhoé Cambridge a
quant à lui manifesté son intention de viser le label Well pour son projet des tours
Duo, dans le 13ème arrondissement de Paris, annoncées pour 2020.

www.wellcertified.com

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© ESSEC Business School – Février 2017

© Chaire Immobilier et Développement Durable, 2017


Tous droits de reproduction, d’adaptation et d’exécution réservés pour tous les pays.
Réalisé par Ubiqus – La Défense
Ce cinquième numéro des Cahiers de la Chaire Immobilier et Développement Durable propose de dresser
un bilan d’étape des mutations à l’œuvre au sein de l’immobilier de bureaux, devenu en quelques
années un véritable outil de management et un levier de création de valeur pour l’entreprise et pour
les territoires. À travers une vingtaine d’entretiens avec des penseurs et des acteurs impliqués dans
ce domaine, il s’agit d’analyser comment les évolutions économiques, sociétales et environnementales
actuelles bouleversent la manière d’appréhender les immeubles de bureaux à toutes les échelles :
celle de l’aménagement intérieur, celle de leur ancrage local et enfin celle de leur localisation au
sein des espaces urbains. Première de ces dimensions, le space planning fait l’objet d’une importante
couverture médiatique qui invite à distinguer les mouvements de fond des tendances plus éphémères.
L’intégration dans leur contexte urbain dépend quant à elle de la capacité de ces immeubles à mêler
les fonctions et à s’ouvrir sur leur quartier. Enfin, les stratégies de localisation des entreprises
continuent à évoluer, notamment en Île-de-France où le Grand Paris naissant s’annonce vecteur de
redistribution des entreprises et des activités économiques, avec une puissance encore difficile à
évaluer. Voilà autant d’enjeux qui invitent les acteurs de la Filière à reconsidérer en permanence leur
responsabilité sociale et environnementale vis-à-vis de leurs collaborateurs comme des territoires
dans lesquels ils s’inscrivent.

Les sièges sociaux exemplaires dans lesquels s’implantent un certain nombre de grands comptes
sont-ils véritablement en voie de diffusion ? Quelle pertinence y a-t-il à répliquer au sein
des grandes plateformes d’entreprises les aménagements innovants propres aux start-ups ?
S’agissant de l’immobilier tertiaire, le Grand Paris va-t-il rebattre de manière significative les
cartes de l’attractivité territoriale ? Comment les entreprises peuvent-elles, à travers leur
immobilier, être parties prenantes d’une démarche active et cohérente à l’échelle
métropolitaine en faveur du développement durable ?

Cet ouvrage a bénéficié du soutien des cinq partenaires de la Chaire Immobilier


et Développement Durable de l’ESSEC : Poste Immo, BNP Paribas Real Estate, VINCI
Energies, VINCI Immobilier et PERIAL, ainsi que de celui du MIPIM.

Les Cahiers annuels de la Chaire sont téléchargeables sur


www.essec-immobilier.com, dans Recherches .

Créateur de performance durable

N° ISBN : 978-2-36456-156-4 www.essec-immobilier.com

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