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Outre-mers

Départementalisation adaptée 1958-1960 : « une espèce


d'autonomie ».
Léo Elisabeth

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Elisabeth Léo. Départementalisation adaptée 1958-1960 : « une espèce d'autonomie ».. In: Outre-mers, tome 97, n°368-369,
2e semestre 2010. Cinquante ans d'indépendances africaines. pp. 75-96;

doi : https://doi.org/10.3406/outre.2010.4490

https://www.persee.fr/doc/outre_1631-0438_2010_num_97_368_4490

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Départementalisation adaptée 1958-1960 :
« une espèce d'autonomie »

Léo ELISABETH

Les décrets du 26 avril i960 réformant le statut des Départements


d'Outre-Mer par la décentralisation et la déconcentration, la loi-
programme économique et sociale du 30 juillet, l'ordonnance du 15
octobre, donnant aux préfets des pouvoirs extraordinaires de police, la
loi spéciale pour la Guyane, prête en décembre, s'inscrivent dans le
concept de départementalisation adaptée, né à la Guadeloupe en juin
1958, popularisé dans ce département en février i960, et qualifié par
De Gaulle le 30 avril i960 à Cayenne : d'espèce d'autonomie.
L'assimilation sociale avance. L'assimilation économique est
Les contenus de l'assimilation qui concernent les pouvoirs des
assemblées locales ont toujours divisé. En 1956, à la Martinique, le
président du Conseil général : Jean-Joseph, adaptait de façon
Au niveau des DOM, les communistes proposaient une réforme
constitutionnelle, les socialistes, l'adaptation par la voie législative. La
question interfère avec la réforme des structures parisiennes. Outre les
conseils interministériels, faut-il un ministère et des bureaux spéciaux
pour avoir une vision globale? Comment réduire l'emprise des
et Affaires économiques, et améliorer la participation aux décisions
de la Caisse centrale de la France d'Outre-Mer et du FIDOM * ?
Selon l'article 73 de la constitution de 1958 : « Le régime législatif et
l'organisation administrative des départements d'Outre-Mer peuvent
faire l'objet de mesures d'adaptation nécessitées par leur situation
particulière ».
De fait, avant le référendum du 28 septembre, outre les promesses
économiques et sociales, la participation des élus locaux, qui n'est pas
inscrite dans la constitution par crainte d'éveiller des revendications
dans la métropole, a été confirmée : par le ministre de l'Intérieur, par
André Malraux au cours de sa tournée dans les départements
par le message du général de Gaulle, et par l'article 4 du décret
du 24 septembre : « Dans un délai de six mois à dater de la publication
du présent décret, le Secrétaire général pour l'administration des
Départements d'Outre-Mer étudiera et proposera, en liaison avec les

i. Branche du Fonds d'Investissement économique et social (FIDES) créé en 1946.


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administrations centrales intéressées, et après avis et sur proposition


des autorités et assemblées locales, toutes mesures propres à favoriser la
déconcentration administrative et la décentralisation, pour tenir
compte (...) de l'éloignement et du caractère particulier de ces
».
Pourquoi 19 mois au lieu de six ? Qui a formulé les avis et
? Quelle relation établir entre les décisions et les émeutes des 20-
22 décembre 1959 à la Martinique ? Comment expliquer la dissociation
des mesures fiscales, économiques et sociales ? Pourquoi une
qui donne des pouvoirs extraordinaires aux préfets et une loi
spéciale pour la Guyane ?

1. Septembre 1958 -Avril i960 : contexte international, national,


local

Réforme des structures et rééquilibrage des pouvoirs à Paris,


décentralisation, économie, finances... c'est l'ensemble qu'il
faut repenser. Pendant cette phase d'approfondissement, le monde
évolue.

Le contexte international

De la fin de 1958 à i960, l'évolution accroît l'insatisfaction de ceux


qui rejettent la départementalisation : indépendance de la Guinée en
1958 2, républiques autonomes dans le cadre de la Communauté en
Afrique et à Madagascar, puis accession à l'indépendance et utopie de
l'unification de l'Afrique. En outre, depuis septembre 1959, le général
de Gaulle prône l'autodétermination de l'Algérie.
L'hostilité des États américains à la politique française d'intégration
est déjà marquée en 1947 au Congrès de Bogota. En 1958, la recherche
d'un référendum indiscutable a été en partie motivée « par le caractère
fâcheux qu'aurait dans l'hémisphère américain une réponse
3 ». Née en 1958, la Fédération des Antilles britanniques évolue vers
l'éclatement, mais aussi vers l'indépendance. L'Organisation, qui
la Commission des Caraïbes, accuse la France d'être la seule à ne
pas avoir « libéré » ses colonies 4.
Les communistes entretenaient déjà des liens étroits avec l'Union
soviétique, ses satellites, et la Chine populaire. L'indépendance de
l'Inde a des répercussions croissantes à La Réunion. Événement majeur
pour les départements d'Amérique, la prise du pouvoir à Cuba par

2. Invité par SékouTouré en septembre 1959, Césaire revient enthousiasmé.


3. CAC 940 180 n° 3i.Trémeaud, 20 août 1958.
4. Créée en 1942 par les États-Unis et le Royaume-Uni pour assurer le ravitaillement
des colonies britanniques des Antilles, la Commission des Caraïbes a été rejointe à la fin
de la guerre par la France et les Pays-Bas.
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Fidel Castro, en février 1959, suivie par la signature d'accords avec


l'URSS en i960, apporte un modèle caribéen qui n'attire pas
des communistes.
Sur un autre plan, en dépit des promesses d'adaptation et de
l'intégration des DOM dans l'Europe, annoncée en 1957 pour le
Ier janvier i960, soulève des appréhensions.

Un climat de crise : les effets pervers de la coordination

La politique d'austérité aggrave des problèmes nés sous la IVe


: financement, fiscalité, économie, demandes sociales, statut...
Si, à cause des idéologies identitaires, certains aspects culturels,
et politiques de l'assimilation sont remis en cause, surtout
dans les départements d'Amérique, promouvoir une égalité sociale
calquée sur le modèle européen et moderniser l'économie réunit l'État,
les départementalistes et les anti-départementalistes. Ce consensus
implique le maintien de liens budgétaires étroits avec la métropole.
Lorsqu'il faut redéfinir les pouvoirs locaux, surtout dans les DOM
d'Amérique, l'adaptation a la faveur de la majorité. D'autres durcissent
leur opposition au statut départemental, tandis que, pour l'État,
décentralisation et refus de statuts particuliers sont les
maîtres-mots.
Pour assurer une meilleure coordination, le décret du 24 septembre
1958 réforme les structures parisiennes. Au ministère de l'Intérieur,
Trémeaud devient secrétaire général pour l'administration des DOM.
Par délégation du président du Conseil, il assure la présidence
du comité interministériel de coordination institué par le décret du
21 décembre 1954, puisque les ministères sont représentés par des
fonctionnaires. En janvier 1959, le ministre délégué chargé des DOM
auprès du Premier ministre, Soustelle, hérite les attributions de
Trémeaud passe sous son autorité.
Le 24 septembre, le FIDOM est réformé ; une section locale
les collectivités locales : chemins vicinaux, eau, etc. ; une section
centrale regroupe les infrastructures économiques : routes nationales,
port, aéroports, électricité etc. Dans les départements insulaires, des
commissions locales apparaissent. Constituées de cinq conseillers
généraux, cinq maires, cinq représentants des organismes économiques
et sociaux, elles sont, par la volonté du Général, présidées par une
personnalité locale, et non par le préfet. Les préfets peuvent assister
aux séances, exécutent les décisions de la commission locale, mais
proposent la répartition et suivent l'emploi de la section centrale. Au
Comité directeur, quatre députés et deux sénateurs d'outre-mer siègent
aux côtés de deux députés et d'un sénateur de la commission des
Affaires économiques du Conseil de la République, qui deviendra le
Sénat.
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Le secrétariat général des DOM propose à son ministre de tutelle ; le


Premier ministre, les ministères, en particulier les Finances, ne se
contentent pas d'entériner, le Parlement non plus. On accuse Soustelle,
Debré et son entourage. On oublie De Gaulle : Trémeaud fait état
d'insatisfactions 5. Etonné, le général réplique qu'il estimait avoir
accordé une large audience aux élus dans la gestion des affaires, et qu'il
ne pouvait « leur accorder davantage que ce droit d'avis ». Avis : oui !
Proposition : non ! Le FIDOM reste sous la coupe des Finances et
Affaires économiques. Cette contre-offensive provoque un débat.
le 12 février 1959, tout passe au ministre délégué sauf une
tutelle conjointe avec les Affaires économiques sur les sociétés d'État et
d'économie mixte. Ce point reste acquis. Néanmoins, le contre-projet
de mai 1959 redonne toutes les présidences et les crédits aux Affaires
économiques mais, en juin, un nouveau contre-projet redonne les
présidences au ministre délégué.
Effet pervers de la coordination, la tutelle s'est simplement déplacée
et, compte tenu de l'urgence, la balance va pencher du côté de
En effet, le 3 octobre 1958 6, Trémeaud demande aux préfets
leurs propositions concernant la décentralisation et la déconcentration,
et « leurs suggestions touchant les grandes réformes attendues par les
populations locales ». Les projets devaient être envoyés pour le 30
novembre. Or, le 28, sans l'avis du Conseil général (qui doit se réunir le
6 décembre), le préfet de la Martinique expédie un document intitulé
« Projets de déconcentration et de décentralisation. Réformes
par la population ? ». Puis les propositions des préfets, globalement
conformes aux options de Trémeaud, sont examinées à Matignon en
leur présence 8. Conseils généraux, Chambres de commerce et
d'agriculture auront à présenter des avis et vœux, mais pas des
propositions. Les ministères adresseront les projets au secrétaire
des DOM ; celui-ci, s'il estime la consultation nécessaire, enverra
aux préfets avant de retourner l'avis. En outre, le 2 février, l'autorité des
préfets est rétablie sur le FIDOM local.
Un véritable statut unique pour les DOM se révélant impossible,
l'étude au cas par cas accentue le rôle d'une administration centrale
opposée par principe aux statuts particuliers. Supprimer le territoire de
l'Inini en Guyane est simple. Ici, le problème crucial est la faiblesse du
peuplement, alors que les Antilles et La Réunion sont en voie de
Le traitement des fonctionnaires en activité est identique,
mais les retraités de la Réunion bénéficient d'une majoration. Salaires
et prestations sociales n'évoluent pas au même rythme que dans la
métropole ou d'un DOM à l'autre. Le SMIG DOM s'applique aussi
bien à l'industrie et au commerce, pour 40 heures, qu'à l'agriculture,

5. AG5 FPR 994 (11 octobre 1958, Papiers Foccart).


6. AG5 FPR 610. 14 octobre 1958.
7. AG5FPR604.
8. AG5 FPR 916. 6 janvier 1959.
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pour six tâches. Entre mars 1951 et février 1958, l'écart moyen entre le
SMIG métropolitain et celui des départements d'Amérique était passé
de 15,7% à 15,1%. En mai 1958, il était déjà remonté à 20,8%. En
février 1959, il atteint 24,3% 9.
La Martinique réclame les billets de la Banque de France. La
Guyane veut une monnaie particulière qui ne soit pas alignée sur le
franc métropolitain. À La Réunion, il n'est pas question de supprimer
le franc CFA. Paris opte pour un organisme spécial et deux monnaies.
Le n décembre 1958, le service des DOM envoie le projet de création
de l'Institut d'Émission des Départements d'Outre Mer (IEDOM)
pour avis au ministre des Finances et des Affaires économiques. Le 31,
la Caisse centrale de la France d'Outre Mer, rebaptisée Caisse centrale
de Coopération économique, et son conseil de surveillance, sont placés
sous la présidence du gouverneur de la Banque de France. La Réunion
garde le franc CFA, tandis que le nouveau franc est introduit en janvier
i960 dans les DOM d'Amérique avec des billets émis par l'IEDOM
pour les Antilles et la Guyane, et non plus pour chaque département.
Les divergences entre les élus locaux et les divisions au sein du
gouvernement accentuent le rôle du pouvoir central. Pour trancher
avant l'expiration des pouvoirs accordés par l'article 82, le 24 décembre
1958, le ministre de l'Intérieur a préféré informer plutôt que consulter
les personnalités locales. Le 5 janvier, l'IEDOM est créé par la
du Conseil. Il est présidé par le gouverneur de la Banque de
France avec la participation des représentants des DOM, ce qui semble
alors un bon compromis.
Le temps presse, la question primordiale de l'adaptation du statut
devait être réglée vers mars 1959 ; les voyages du général de Gaulle sont
prévus depuis mai IO. Pour remédier au retard, s'en tenir à la procédure
des décrets fait craindre l'institution d'une procédure législative
de celle de la métropole, ce qui pourrait faciliter l'opposition des
assemblées locales aux propositions parlementaires, par exemple à
certaines réformes sociales ; surtout, les assemblées locales pourraient
exiger les mêmes droits que les métropolitaines.
C'est au Premier ministre qu'il revint de préparer les décrets
".Le ministre délégué propose de consulter les assemblées locales
sur les projets de lois, décrets etc., lorsqu'il le jugerait nécessaire, et de
leur accorder le droit de proposer des modifications aux textes existants.
Certains conseillers de Debré veulent réduire aux seuls parlementaires la
participation des élus. Or ils participent déjà de plein droit, etTrémeaud
rappelle l'esprit du message du Général, les promesses de Malraux et les
explications données aux parlementaires. Le compromis qu'il propose
accentue le rôle du pouvoir central : la consultation n'interviendrait

9. CAC 940 180. N°97. Note du 2 février 1959.


10. CAC 940 180. N° 97. 21 mai 1959.
11. AG5 FPR 610. Le 19 mai. Note «du 20 juin 1959.
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que lorsque le ministre délégué la jugerait nécessaire. Les conseils


généraux pouvant émettre des vœux, la présentation de propositions à
l'initiative des assemblées locales serait écartée. Pour remplacer les
décrets, des circulaires seraient adressées aux membres du
pour les inviter à faire connaître leurs projets au ministre délégué
qui, par circulaire, informerait les préfets de la procédure à suivre.
La priorité donnée à l'économique et au social accentue aussi le
retard car, en matière budgétaire, le Parlement est incontournable. Or
l'Assemblée nationale a suspendu toute désignation alors que le
Comité du FIDOM doit se réunir en juin. De plus, en mars 1959 I2,
pour tenir les promesses de 1958, le gouvernement demande une loi-
programme destinée à accompagner les réformes statutaires. Le débat
parlementaire, qui inclut la réforme fiscale, point très sensible, n'est
engagé qu'en octobre-décembre 1959. Bref, l'envoi des projets tarde
tandis que la crise s'accentue.
Développement de l'agriculture, des infrastructures, de l'immobilier
destiné aux classes moyennes et défavorisées, des capacités
du tourisme, pour créer des emplois nouveaux, grandes
d'assainissement et organisation des migrations étaient inscrits au
3e Plan de modernisation et d'équipement (1958-1961). Dans l'espoir
d'un effort accru, en réalité d'une remise à niveau, 8 milliards avaient
été prévus pour les DOM. Des 7,5 milliards promis en 1958, les crédits
risquent, en dépit de la hausse des prix, de tomber à 4,4 en 1959, et 3,6
en i960. Après arbitrage, les Finances en accordent 5,5 pour 1959. Il
devient difficile d'engager le plan Malraux de résorption de l'habitat
insalubre à Pointe-à-Pitre et à Fort-de-France.
Soulevés dès 1957, les premiers espoirs d'accès aux fonds européens
pour le développement (FED), et d'orientation et de garantie agricole
(FEOGA), ne calment pas les appréhensions. Pour la mise en œuvre
des aides financières du FED,Trémeaud se voit obligé de demander en
septembre 1959, par circulaire aux préfets, sans passer par la
des élus, d'envoyer avant le Ier novembre une première tranche de
projets I3. Le cadrage proposé est de : La Réunion, un milliard et demi
de francs français, Guyane 750 millions. Martinique et Guadeloupe, un
milliard chacun. Restent à définir l'autorité responsable, l'autorité
locale, l'ordonnateur local, le payeur délégué et le contrôleur technique.
L'autorité responsable ne peut être que le gouvernement français,
l'autorité locale et l'ordonnateur local le préfet, le payeur délégué la
Caisse centrale de coopération économique. En somme, on affirme à la
fois l'autorité de l'État et la déconcentration. Lors de la réunion du
FIDOM, les élus demandent que la totalité des projets soit soumise
pour avis aux conseils généraux I4.

12. CAC 940 180, N° 59. 10 mars 1959.


13. CAC 940 180. N°98. 29 septembre 1959.
14. CAC 940 180. N° 98. 4 décembre 1959.
DÉPARTEMENTALISATION ADAPTÉE 1958-1960 8l

Les demandes révisées dépassent les sommes primitivement


: uniquement pour l'eau potable, la Martinique veut un milliard
520 millions soit 50% de plus que le milliard proposé. Pour son projet
routier, prévu de 750 millions, la Guyane réclame plus du triple. La
Guadeloupe, en revanche, se contente de 530 millions (total inférieur
de 50% aux prévisions). Enfin, la Réunion ne demande qu'un milliard
178 (en francs français). Après examen en comité interministériel, les
demandes sont envoyées fin juin à i960 à Bruxelles les projets n'ont
aucune incidence sur la crise financière.

La crise financière
Depuis les années cinquante, les finances des collectivités locales
sont mal en point. Le débat sur la fiscalité s'exacerbe. Après l'extension
des lois d'assistance en 1955, le décret du 28 septembre 1956
le 14 février 1957) a exigé des efforts d'assainissement. En outre,
l'article 47 de la loi des finances du 13 décembre 1957 stipulait le
de l'équilibre économique et financier des DOM. Elle se
par l'impossibilité d'assurer les dépenses d'aide sociale, et entraîne
une fronde des conseils généraux qui n'est apaisée que par la promesse
de subventions proportionnées aux efforts d'assainissement *s.
L'explosion démographique annihile les efforts de développement. À
la Martinique, de 1959 à 1961, la population devrait passer de 264 000 à
280 000 habitants. Dans les DOM, où le taux de natalité s'était
aux environs de 40%o, l'augmentation est surtout due à la
de la mortalité infantile et des jeunes enfants de 1 à 4 ans l6. De
1,5% en 1946, l'accroissement naturel atteint 2,5% en 1950 et se
ensuite autour de 3%. Les moins de 20 ans sont deux fois plus
nombreux que leurs aînés de 20 à 39 ans. En 1954, ils comptaient déjà
pour 49% à la Martinique, 51% à la Guadeloupe, et 54% à La Réunion.
Pour les dix prochaines années, il faut prévoir 37 000 emplois nouveaux
à La Réunion et 27 000 dans chacun des départements antillais. De
fait, les migrations diminuent l'accroissement réel et la scolarisation
raréfie ceux qui recherchent du travail avant 20 ans. Néanmoins, une
jeunesse désœuvrée de plus en plus nombreuse inquiète.
Dès 1957, le taux de scolarisation primaire des enfants de plus de six
ans atteint 95% en Martinique, 90% à la Guadeloupe, 86% à La
Réunion. Les CEG, les CES et, au moins à la Martinique, les
sont en plein essor. En 1959 *?, la Martinique compte plus de
65 000 élèves dans le primaire et les maternelles, soit le quart de la
population, 76 000, soit 30% en incluant les lycées. La Guadeloupe se

15. Pour 1959, les dépenses sociales du département de la Martinique, 3 milliards


178 millions, sont beaucoup plus élevées que celles de la Guadeloupe ou de La Réunion :
1,844 et 2,484. Les dysfonctionnements de la Sécurité sociale et le clientélisme politique
sont à l'origine de cette situation.
16. AG5 FPR. N° 940, dossier 3.
17. AG5 FPR 913.
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contente de 20% et 23%. Les constructions scolaires alourdissent les


finances communales. En 1958, les subventions de l'État s'élevaient à
60% dans le secteur social. Toute prise en compte de conditions
entraîne un renforcement du pouvoir central et de ses

À la crise financière et aux insuffisances des salaires, prestations et


réalisations sociales, s'ajoute la crise agricole. La progression des
fait illusion. Certes, la production sucrière des DOM, Réunion
comprise, a doublé, de 173 000 tonnes en 1949 à 381 000 tonnes en
1959. L'exportation de bananes de la Martinique et la Guadeloupe,
passée de 89 000 tonnes à 269 000, a triplé. Quant à l'ananas,
martiniquaise, de 200 tonnes en 1949, l'exportation atteint
12 500 tonnes l8. Ces progrès sont compromis par le mouvement
démographique et la conjoncture. Depuis 19495 l'État accorde une
prime de soutien de 450 francs par quintal de sucre pour compenser le
relèvement des salaires et les charges sociales. En 1959, les frais de
production ne sont pas couverts. À la Martinique, de 86 000 tonnes en
1956, la production tombe à 66 800 en 1958.
Le cours de la banane, tombé à 35 francs le kilo, est
J9. Malgré les projets de modernisation, les petits planteurs de la
Martinique n'ont fourni que 1 500 tonnes en 1958 contre 20 000 en
1956 2O. Le prix de revient de l'ananas est deux fois plus élevé qu'à
l'étranger. L'ensemble de l'agriculture étant concerné, un examen
approfondi est entrepris. Il en ressort un projet de fonds de stabilisation
pour la banane 2I.
De grandes mutations s'amorcent. Une partie de la population vit
des prestations sociales. Les vieux travailleurs sont courtisés pour leur
maigre retraite. Les emplois agricoles reculent. Le tertiaire prend
le relais dans le commerce et la construction, plus rapidement
dans la fonction publique, où les besoins sont tels que, pour les
le recrutement de métropolitains est incontournable. Même pour
ceux qui n'ont pas le brevet élémentaire, les collectivités locales
les emplois précaires. La scolarisation a bien progressé, mais on
trouve des classes de 70 élèves et, pour protéger l'emploi local, des
instituteurs sans baccalauréat et sans formation peuplent les CEG. Un
effet pervers de la monétarisation est lié aux transferts des droits
d'usage qui assurent un complément de salaire ; paradoxe : jardins et
petit bétail reculent d'autant, et la morte-saison devient chômage
que le chômage des jeunes s'accroît à cause de l'urbanisation, et que
l'école contrarie la canne à sucre : à la Martinique, l'agriculture fait
appel à une quantité croissante de saisonniers étrangers.

18. AG5 FPR 940. Dossier 3.


19. Observation de Trémeaud, 30 décembre 1958, AG5 FPR 916.
20. AG5 FPR N° 1005. Léon Hayot, Président de la Chambre de Commerce,
23 décembre 1958.
21. CAC 940 180. N° 97, 11 mars 1959 et N°98, 29 juillet 1959.
DÉPARTEMENTALISATION ADAPTÉE 1958-1960 83

L'Europe est un sujet d'inquiétude et d'irritation. Pour l'homme de


la rue, comment comprendre que les DOM font partie de l'Europe ?
Un homme de couleur ou même un créole blanc n'arrive pas à se
penser européen. En dépit des promesses d'adaptation, certains
les effets politiques, financiers, économiques et humains d'une
intégration perçue comme imposée alors que le FED n'a encore rien
apporté.
Espérance de lendemains qui chantent symbolisés par l'URSS, Mao
ou Fidel Castro, mythe de l'essor lié à la fin de l'exploitation coloniale,
fiscalité, démographie, crise économique, chômage, afflux de
étrangers et de cadres métropolitains s'accompagnent de
de rejet. Une partie de la presse se déchaîne. Le 8 décembre, sous
le titre « Cyclone en formation », Thomarel, un modéré, écrit dans Les
Nouvelles : « Le service météo social annonce la formation d'un cyclone
par l'accumulation de vents semés par des attardés expulsés d'Afrique
du Nord (...), une morgue hautaine, l'injure à la bouche, et maltraitant
les enfants du pays, ils se préparent des lendemains atroces : l'Antillais
est patient(...) ; poussé à bout, il devient enragé ».
À cet ensemble s'ajoutent les excès des CRS à la Martinique. Le 12
novembre 1958 22, le préfet Boissier adresse une lettre alarmiste au
ministre de l'Intérieur. Personne n'ayant tenté de rétablir l'autorité, le
mécontentement va trouver un exutoire à partir d'un incident causé par
l'indiscipline des CRS en décembre 1959. Un de plus.

2. La question statutaire : discrétion parlementaire, agitation


étudiante

Les DOM ne comptant plus de parlementaires communistes, l'action


relève des partis locaux : PCG à la Guadeloupe, PCM à la Martinique,
PSG et UPG en Guyane. En mai 1959, La Réunion franchit un pas.
Paul Vergés crée le PCR et revendique lui aussi ouvertement
Les liens avec le PCF sont nets de la part des étudiants et
intellectuels résidant en métropole. Dans les départements
qui mènent le jeu, Catayée ne représente que le PSG, mais
l'élection au Sénat de Guéril, UNR de gauche, lui permet de constituer
un front. Les deux alliés d'Aimé Césaire, le sénateur Marie-Anne et le
député Sablé, sont départementalistes. Dans ce contexte, en dépit de
discussions sur un Front des DOM ou des fronts locaux, la question
statutaire passe momentanément au second plan en 1958-1959 avant de
resurgir le 24 décembre 1959 à la Martinique.
Les parlementaires n'exercent pas une pression continue, mais
tentent une coordination à l'Amicale des DOM, qui réunit tous les
parlementaires, sauf Césaire. Outre les revendications sociales, ils se

22. AG5 FPR 604 et CAC 940 180 N° 206.


Outre-Mers, T. 98, N° 368-369 (2010)
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préoccupent de la concentration des services et demandent à Soustelle


une meilleure décentralisation par l'attribution au Ministre délégué des
affaires administratives, politiques et financières. Concernant le statut,
l'Amicale s'en tient à sa motion de septembre 1958 qui a inspiré l'article
73 de la constitution : « les mesures d'adaptation par voie législative
définiraient les conditions dans lesquelles les conseils élus
et géreraient librement les affaires d'ordre local et donneraient
leur avis sur les problèmes économiques et sociaux les concernant ».
La Guyane a tendance à s'isoler. Elle semble d'abord décidée à
coopérer avec Paris. Le 4 octobre 1958. Debout Guyane, journal du
PSG, annonce que le gouvernement demande les propositions du
département. En accord avec le sénateur Boudinot 23 et le président du
Conseil général Symphorien, Catayée accepte de voir Malraux, et
espère être reçu par De Gaulle pour évoquer la création d'un exécutif
local. Pouvoir local et financement étant indissociables, il réclame aussi
des crédits pour les grands travaux. De Gaulle ne le reçoit pas. Déçu,
confronté depuis décembre à la concurrence de l'Union Progressiste
Guyanaise (UPG) de tendance communiste, créée en particulier par
des diplômés revenus de la métropole, il se radicalise de nouveau : « II
rêve d'un statut spécial (...) Je ne pense pas qu'il soit dans les projets du
gouvernement de le suivre dans cette voie 24 ».
La tension remonte en octobre 1959. Le 7, Sablé, radical proche du
PPM, prévient Trémeaud qu'Aimé Césaire et les sénateurs Symphor de
la Martinique et Bernier de la Guadeloupe, veulent demander un débat
sur l'article 73 à la rentrée parlementaire 25. Soustelle prévoit une
conférence des préfets des départements d'Amérique pour une étude
plus approfondie sur la déconcentration et la décentralisation. Les
préfets, qui ont déjà adressé des rapports, jugent inopportun
des réformes plus profondes en attendant les initiatives des
parlementaires. Or ceux-ci attendent celles du gouvernement !
Césaire aussi commence à critiquer la politique sociale et la
26. Une note adressée au ministre délégué détaille les
qu'il compte lui poser : relèvement du SMIG 2? ; parité des
allocations familiales ; allocations familiales des marins pêcheurs ;
fonds de chômage à défaut de l'assurance chômage ; introduction de la
main-d'œuvre étrangère pour la coupe de la canne etc. Face à ces

23. Remplacé lors des sénatoriales par Guéril URG-UNR partisan du statut spécial.
24. Lettre de Trémeaud à Foccart, 29 avril 1959, à propos d'une lettre de Catayée du 6
avril 1959.
25. AG5 FPR 916. 4 mars 1959. CAC 940 180. n° 59. 25 mai 1959. Interview du
journaliste Shenker, de Time-Life. Césaire dit regretter d'avoir fait voter oui au
et opte pour la révision du statut. AG 5 FPR 610. Note du 30 octobre 1959.
S'adressant à des étudiants du Congo belge, Césaire, qui revient de Guinée, affirme lutter
pour « l'autonomie interne ». « II faudra aller beaucoup plus loin après », mais le peuple
martiniquais est « amorphe », « émasculé par l'assimilation ». Lettre de Trémeaud à
Foccart à propos d'une lettre de Catayée du 6 avril 1959.
26. CAC 940 180. N° 59.
27. CAC 940 180. N° 98.
DÉPARTEMENTALISATION ADAPTÉE 1958-1960 85

demandes sociales assimilatrices, il ne fait pas « état de l'intention qui


lui était prêtée de poser également une question sur l'application de
l'article 73 28 ».
En revanche, dès novembre 1958, les communistes demandent :
« serons-nous les derniers colonisés ? ». L'insatisfaction est accrue par
les Antillais installés en Afrique qui font miroiter l'évolution en cours,
l'action des instituteurs pondichériens à La Réunion, et les contrecoups
de l'agitation des étudiants et intellectuels vivant en métropole.
En mai 1959 29, la Martinique compte 48% des 1015 étudiants des
DOM pour moins d'un tiers de leur population. La Guadeloupe, avec
près de 35%, en a seulement un pour 734 habitants, la Guyane un pour
600. La Réunion, île la plus peuplée, se contente d'un étudiant pour
2 423 habitants, ce qui explique la prééminence des étudiants des
départements d'Amérique dans le débat. Ils ont des revendications
matérielles : augmentation des bourses, reconduction en cas d'échec,
voyage gratuit tous les trois ans, secours pour les malades, création d'un
organisme pour faciliter leur logement. Le secrétariat général des
DOM s'efforce de satisfaire ces demandes pour les amadouer mais se
heurte, entre autres, à l'opposition de l'Éducation nationale pour
les bourses.
Surtout, les communistes contrôlent les associations d'étudiants
martiniquais (AGEM), guadeloupéens (AGEG) et guyanais (UEG). Le
PCF met à leur disposition salles de réunion, abonnements gratuits à la
presse communiste, voyages et stages en Tchécoslovaquie, Pologne,
Russie, Chine populaire et Allemagne de l'Est. Adhérant à l'Union
Internationale des Etudiants (UIE) d'obédience communiste, ils refusent
tout lien avec l'Union nationale des Étudiants français (UNEF), alors
opposée à l'adhésion à l'UIE, tant qu'elle ne reconnaîtra pas « le droit
des peuples à disposer d'eux-mêmes et le droit des étudiants à lutter
aux côtés des peuples pour la réalisation de leurs aspirations
» ; ils condamnent la guerre d'Algérie, le colonialisme, et exigent
« une décentralisation permettant à l'assemblée locale souveraine (...)
de décider en matière d'équipement 3° ». Globalement, leur demande
rappelle le compromis négocié le 7 août 1958, Salle des Sociétés
avec des parlementaires socialistes et communistes.
L'action politique est marquée par la préparation de la
au festival de Vienne, des conférences sur le colonialisme, et des
journées Delgrès. À Paris, le 28 mai 1959 31, en présence des
Bernier et Marie-Anne et de l'écrivain Edouard Glissant, une
centaine de Guadeloupéens et de Martiniquais se réunissent Salle des
Sociétés savantes à l'appel du président de l'AGEG. Au cours des
manifestations qui se poursuivent à Bordeaux, Montpellier et Toulouse,

28. Note de Trémeaud.


29. CAC 940 180. N° 97.
30. AG5 FPR 97. Mars 1959.
31. AG5FPR995
Outre-Mers, T. 98, N° 368-369 (2010)
86 L. ELISABETH

un tract circule : « Le 28 mai 1802, le colonel Louis Delgrès et


300 de ses compagnons de combat, se faisaient sauter (...) Delgrès
demeure un symbole vivant pour les peuples antillais, qui ont
à lutter contre ces deux grandes calamités : ESCLAVAGEet
COLONIALISME »
Parallèlement à l'agitation parlementaire, un « Manifeste relatif au
statut des Antilles et de la Guyane » est lancé 32. Le texte est reçu à la
Martinique le 28 septembre : considérant que le statut de
d'outre-mer, loin de conduire à une organisation conforme aux
besoins de la population et au développement de l'économie, n'a fait
que renforcer le système de l'exclusif ; que l'aide à la famille et
médicale ont apporté inflation, bas salaires, chômage, sous-
alimentation, absence de formation professionnelle, qu'une politique
de dépersonnalisation intellectuelle a conduit au vide culturel, qu'à
aucun moment les populations n'ont été consultées sur leur statut car
l'option proposée auxTOM le 28 septembre 1958 leur a été refusée, et
que les DOM sont soumis à une mainmise totale du Parlement et à la
concentration du pouvoir exécutif aux mains des seuls représentants de
la métropole : « Un groupe de personnalités politiques, syndicales,
des Antilles et de la Guyane », réuni à Paris, invite les élus, les
partis politiques locaux, les personnalités représentatives, les syndicats
et les associations d'étudiants « à mettre sans délai à l'étude un statut
nouveau » prévoyant « une autonomie politique interne réelle appuyée
sur une assemblée législative et sur un exécutif local responsable devant
elle », un régime économique et monétaire adapté 335 un plan de lutte
contre le sous-développement et de renouvellement culturel. Enfin,
demande aux partis politiques locaux de « taire momentanément leurs
querelles partisanes en vue d'une action coordonnée ».
À la Martinique, la motion votée à l'unanimité par le Conseil général
le 24 décembre 1959 gomme les divergences : retrait des CRS et des
indésirables ; libération des emprisonnés ; SMIG sans abattement de
zone ; arrêt de l'introduction de saisonniers étrangers ; réduction des
impôts ; caisse de secours de chômage ; industries nouvelles ;
intégrale de la sécurité sociale ; diminution du prix de l'électricité ;
crédits pour la formation technique et l'école. Enfin : « que des
soient entamées immédiatement entre les représentants
des Martiniquais et le Gouvernement pour modifier le statut de la
Martinique en vue d'obtenir une plus grande participation à la gestion
des affaires martiniquaises ». En somme, non pas une demande
mais un simple rappel des promesses du gouvernement à la fin
d'un catalogue classique de revendications.

32. AG5 FPR 1005. Non daté. Note d'information du 6 octobre 1959. 20 octobre
1959s Xélot envoie une copie. AG5 FPR 1010. 12 octobre 1959. Voir aussi CAC 940 180,
n°98.
33. Sans se soucier de la balance commerciale, les promoteurs de monnaies
croient pouvoir échapper aux dévaluations de la monnaie métropolitaine.
DÉPARTEMENTALISATION ADAPTÉE 1958-1960 87

Néanmoins, pour les communistes, les émeutes ont entraîné un


« bond en avant » dans la prise de conscience anticolonialiste. À Paris,
un Congrès tenu à la Mutualité exprime sa solidarité avec les masses
contre le racisme et le colonialisme, et met en place un Comité d'études
qui réclame l'autonomie, l'union dans un Front commun, et une
caraïbe de langue française. Parmi les participants, on cite Daniel
Mayer, président de la Ligue des Droits de l'Homme, Attuly, - ancien
magistrat martiniquais dont le Comité d'action sociale s'occupait
des ouvriers originaires des DOM sans travail -, Michel Leiris,
Girard, Alioune Diop, Manville et Edouard Glissant, pour qui, « tant
que nous n'aurons pas trouvé un autre statut pour les DOM, tous les
autres problèmes ne recevront que des solutions provisoires 34 ».
Le 22 janvier, à Fort-de-France, Césaire réclame la « liquidation du
contentieux martiniquais », qui ne concerne que le social, la refonte du
statut des DOM et l'unité d'action 35. Mais l'unité du PPM commence
à se lézarder. Au Sénat, Marie-Anne se prononce pour : « l'application
intégrale et jusqu'à nouvel ordre du statut de 1946, toute
éventuelle devant résulter de larges débats contradictoires et d'une
consultation du pays ».

3. Trémeaud, Césaire, Bernier et la départementalisation


adaptée

Les débats parlementaires de décembre laissaient espérer la


en mars de la loi-programme en même temps que les réformes
statutaires ; le 9 décembre, Soustelle annonce donc son voyage prévu
du Ier au 20 février i960. Le général de Gaulle devait suivre en
avril-mai, et le secrétaire général des DOM est prêt pour une tournée
préparatoire depuis le 18 décembre.
Trémeaud arrive en Guyane le 18 janvier i960, rejoint la Martinique
le 23, et préside la conférence des préfets à Fort-de-France le 24. Arrivé
à la Guadeloupe le 28, il participe le Ier février aux travaux de la
commission du Conseil général chargée de la révision du statut et
repart le 6. Les communistes comptent sur la SFIO pour réclamer
l'autonomie interne, le 23 une commission du Conseil général doit
délibérer sur le sujet, et une délégation du Conseil général de la
va présenter un travail similaire sur la sécurité sociale, les
et le SMIG 36. De fait, les conseils généraux de la
et de la Guyane refusent une invitation de la Martinique.
Contre toute attente 37, les communistes sont marginalisés. Le
28 décembre 1959, à Pointe-à-Pitre, les orateurs du PCG ont décrit les

34. Le Progressiste, journal du PPM de Césaire, 21 janvier i960.


35. Le Progressiste du 4 février i960.
36. Lette du député Albrand à Foccart, 19 janvier i960, AG5 FPR 996.
37. Lettre de Trémeaud àTerrade, 18 février i960, CAC 940180. n° 262.
Outre-Mers, T. 98, N° 368-369 (2010)
88 L. ELISABETH

événements de la Martinique en termes violents. Comme ils ont osé


réclamer « l'autonomie pour les départements antillais 38 », partisans et
adversaires de l'évolution du statut précisent leurs positions. En 1958,
l'élection deToribio au Sénat avait annoncé la réunification de la SFIO.
Début février i960, la rupture avec les communistes est à l'ordre du
jour. Chef de file des dissidents de la SFIO, Bernier, qui semblait aller
jusqu'au rejet du statut départemental, a participé avant le référendum
aux réunions de l'Amicale des DOM qui, sous la présidence du SFIO
Véry, a toujours fait la promotion de l'adaptation.
Le 30 mars i960, le PCG refuse de voter le rapport Julan préconisant
une politique de départementalisation adaptée, puis le sous-
amendement Bernier. Car, si « La Guadeloupe entend demeurer dans
le cadre de la République française et de la Nation française », elle « ne
fait pas partie de la nation française » puisque « l'évolution normale (...)
est la marche vers son émancipation (...) et non la tendance contre
nature de s'intégrer à la France ».
Allié de Bernier, l'UDSR a laissé la liberté de vote pour le
Mais ses dirigeants avaient déjà affirmé : « Tout en restant
français (...), nous sollicitons un assouplissement de nos liens
avec la métropole 39 », pas l'indépendance ou l'autonomie interne. Le
27 avril i960, Match, journal de l'UDSR Jabbour, proclame : la
est et entend demeurer partie intégrante de la nation française.
Trémeaud ne souffle mot de la demande d'autonomie financière
formulée par des gaullistes 4° puisque, loin de réclamer l'autonomie
interne, la commission du Conseil général a opté sous l'influence de
Bernier pour l'adaptation. Il néglige aussi la partie politique du
de Césaire du 22 janvier, la veille de son arrivée. Après son
départ, le 26 février 4*3 Aliker, premier adjoint de Césaire, exprime son
embarras en reprenant le thème du statut à imaginer : aucun des cadres
constitutionnels n'ayant été fait pour nous, il nous faut un statut « sur
mesure ».
Considérant que tout retard est une prime donnée aux séparatistes,
Trémeaud propose alors de repenser la gestion administrative sous
forme de « départementalisation adaptée » : déconcentration au profit
des préfets ; décentralisation au profit des conseils généraux ;
accentuée sur le plan de l'administration centrale. Le malaise
économique et social lui paraît plus sensible aux Antilles qu'en
Guyane ; Césaire et Bernier apparaissent comme des remparts contre
la propagande autonomiste communiste. Aussi Trémeaud réclame-t-il
qu'on leur donne les moyens nécessaires pour redresser la situation,
à savoir : secourir les collectivités défaillantes, réanimer l'économie

38. CAC 940 180. N° 206.


39. 26 octobre 1958, AG5 FPR 994.
40. AG5 FPR 996. Présentée le 30 janvier i960. Envoyée à Duperrier, président de
l'Association nationale pour le soutien au général de Gaulle le 29 février.
41. Le Progressiste du 26 février i960.
DÉPARTEMENTALISATION ADAPTÉE 1958-1960 89

pour surmonter le sous-emploi et la surpopulation. Le leitmotiv


est : « la liquidation rapide de ce que M. Césaire appelle le «
des DOM », par le catalogue assimilationniste du 17 novembre
remis à jour le 22 janvier : octroi de l'indemnité dégressive aux petits
fonctionnaires ; prestations familiales aux marins pêcheurs et gens de
maison ; augmentation des allocations familiales et des crédits de lutte
contre le chômage ; remise des pénalités aux débiteurs d'impôts
directs ; avances du trésor à certaines communes, notamment Fort-de-
France 42...
Entre temps, Robert Lecourt a remplacé Soustelle et, de ministre
délégué, devient ministre d'État chargé des DOM, du Sahara et des
TOM.Trémeaud assure la continuité. Le 11 mars 433 une conférence est
organisée à Matignon pour discuter de l'article 73 et de la consultation
des assemblées locales. Il est décidé que les propositions de loi ne
seront pas obligatoirement soumises à l'avis des conseils généraux.
À la Martinique, le Front SFIO-PCM de septembre 1958, élargi, en
apparence, après les événements de décembre, laissait espérer une
consolidation. À Paris, le 29 février i960 44, des écrivains progressistes,
Martiniquais et surtout communistes, Glissant, Gratiant 453 Manville et
Attuly, envisagent la constitution d'un Front qui profiterait du voyage
du général de Gaulle « pour proposer des solutions constructives ».
Leur influence, qui s'étend aux associations d'étudiants des quatre
DOM, est renforcée par l'annonce de la résiliation des sursis et la lettre
du ministre de l'Éducation nationale 46 déclarant que désormais les
étudiants feront leur service militaire légal en Afrique du Nord, que des
mesures seront prises contre ceux qui se feront rapatrier pour se faire
mettre en congé budgétaire, et que seuls les titulaires de bourse ou de
prêt d'honneur pourront obtenir le paiement de leur voyage de retour.
Le 5 mars i960, après des réunions en province, Manville, Damas et
Glissant reprennent l'essentiel du projet de Césaire que le Parti avait
combattu, examinent les bases d'une fédération des DOM d'Amérique
et organisent un congrès des quatre départements à Paris en avril.
Justice salue leur action, annonce un appel de Catayée et, dans la
perspective de la visite du Président de la République, le PCM
sa proposition d'une « table ronde » de tous les partis destinée à
promouvoir un Front martiniquais 47.

42. CAC 940 180. N°99. Le 15 avril, Lecourt veut régler le problème des avances,
négociées directement par Césaire avec le ministre des Finances, avant le voyage du
général.
43. CAC 940 180. N° 136. 15 mars i960.
44. CAC 940 180. N° 136.
45. Gilbert, le professeur et poète.
46. CAC 940180. N° 136. Trémeaud, 18 et 2imars i960.
47. Le 15 mars, l'UNR Petit, qui écrit à Foccart, cite un tract qu'il a publié pour
refuser sa participation : « Le parti communiste Martiniquais a osé inviter l'Union pour la
Nouvelle République à discuter d'un « statut d'autonomie » (...) avec Assemblée
Conseil de gouvernement, Président du Conseil et sept à onze ministres dits
« secrétaires » (...) Pour (...) définir les adaptations locales nécessaires (...) d'accord !
Outre-Mers, T. 98, N° 368-369 (2010)
90 L. ELISABETH

En métropole, au 48e congrès de la SFIO : Symphor, Duval, Pierre-


Charles de Martinique, et Monnerville de Guadeloupe font confiance à
Guy Mollet, secrétaire général, pour une politique de large
: budgétaire, fiscale, douanière, financière. Vient ensuite la
motion du 27 mars i960 votée au Vert-Pré. Après avoir repoussé « toute
forme de statut tendant à transformer le département de la Martinique
en État autonome ou indépendant, fédéré ou confédéré », les
évoquent leur motion de 1956, et rappellent qu'en dépit de
l'article 73 de la constitution, du message du général, et du délai de six
mois inscrit dans le décret du 24 septembre 1958, les mesures de
déconcentration et de décentralisation continuent à tarder. En avril
i960, sept semaines après les propositions parisiennes, en se fondant
sur l'unanimité dégagée lors du vote de la motion du 24 décembre
1959, une table ronde du PCM a remis un document au général
un avantage apparent aux thèses socialistes: geste tardif, puisque
l'essentiel est connu depuis la visite deTrémeaud en janvier.
Césaire rejette « l'assimilation contre nature », « l'autonomie
», et : « pour parler comme De Gaulle », source de « clochardisa-
tion ». Pour « dépasser cette antinomie périmée » entre assimilation et
autonomie, il reprend l'idée de fédération, car fédérer c'est lier, allier.
Mais, notion d'étape obligeant, il évoque pour l'avenir un « complexe
antillo-guyanais de langue française ».

4. Une sorte d'autonomie

Le général projetait de se rendre à La Réunion début juillet, puis aux


Antilles et en Guyane. Soustelle espérait suivre à l'automne. Les études
traînant, De Gaulle reporte son voyage en septembre et Soustelle
programme sa tournée pour février i960. Dans ces conditions, les
émeutes de décembre 1959 ne furent pas un facteur déclenchant. En
janvier i960, Soustelle prévoit la loi-programme pour avril. À cause des
événements d'Algérie, Lecourt le remplace au début de février. En mai,
n'espérant plus la loi-programme avant la prochaine session
Lecourt la dissocie des réformes statutaires.
Les décrets sont signés le 26 avril 48, avant la visite du général.
Celui-ci expose les grands principes. Fondées sur les décrets antérieurs
concernant les attributions du ministre d'État, les mesures
comprennent quatre chapitres : adaptation du régime législatif et
de l'organisation administrative des DOM ; déconcentration
et pouvoirs des préfets ; organisation et gestion du FIDOM ;
opérations d'investissement des DOM. On pourrait croire que tout

Mais pour discuter de l'autonomie de la Martinique, fusse-t-elle fédérée : non ! ». AG5


FPR 1005.
48. Journal Officiel, 29 avril i960, CAC 940 180. n° 136..
DÉPARTEMENTALISATION ADAPTÉE 1958-1960 91

n'est pas décidé puisqu'il restait en principe à solliciter l'avis ou à


recueillir les propositions des assemblées locales pour adapter ces
mesures à la situation particulière des départements.
Le deuxième décret traite de la déconcentration : les préfets doivent
pouvoir, sous le contrôle du ministre, animer et surveiller le
des services civils.
Le troisième transfère au ministre d'État les attributions du ministre
des Finances et des Affaires économiques pour le FIDOM, et les
questions économiques locales.
Enfin, la désignation des directeurs de sociétés d'État ou d'économie
mixte est approuvée conjointement par le ministre d'État et le ministre
des Finances et des Affaires économiques.
Près de quatre mois plus tard 49, Lecourt envoie aux préfets les
directives d'exécution: la consultation des Conseils généraux n'est
que pour les projets de lois et décrets. Les textes réglementaires
(arrêtés et circulaires) et les projets de loi, touchant aux prérogatives du
Parlement, leur échappent. Les projets et les avis concernant leur
compétence seront adressés aux parlementaires et aux conseillers
et sociaux. L'intervention des Chambres de commerce et
d'agriculture devra au besoin précéder celle des Conseils généraux. La
correspondance concernant le FIDOM relève du secrétariat des DOM
et non plus du ministère des Finances.
Par la déconcentration, les préfets deviennent ordonnateurs
des dépenses civiles des services publics. Un pouvoir
réel est instauré dans les services, renforcé par la consultation des
préfets sur la nomination de certains fonctionnaires 5°.
En somme, on aboutit à une meilleure collaboration avec les élus et à
une meilleure coordination des services publics. Mais consigne est
donnée de résister aux initiatives dispendieuses et le pouvoir des préfets
est renforcé.

La loi programme

La loi-programme du 30 juillet i960 5I dresse le bilan des progrès


réalisés de 1949 à 1959 : notamment 381 000 tonnes de sucre exportées
par les DOM au lieu de 173 000. 122 milliards d'anciens francs de
fonds publics consacrés aux investissements de 1946 à 1959, dont 69 au
titre du FIDOM, 19 accordés par les ministères techniques et 34 sous
forme de prêts de la Caisse centrale.
Pour « atténuer » les effets de l'explosion démographique 52, la loi-
programme prévoit l'extension des productions traditionnelles : sucre,

49. 16 août i960, CAC 940 180. N° 100.


50. CAC 940 180. N° 136. 11 octobre i960.
51. Voir par exemple AG5 FPR 940.
52. La question démographique fera l'objet de textes concernant l'émigration et le
service militaire adapté.
Outre-Mers, T. 98, N° 368-369 (2010)
92 L. ELISABETH

rhum et bananes, la diversification des cultures, le développement


du tourisme, de l'artisanat et du logement social etc. Les moyens
proposés incluent un projet de réforme foncière, le paiement de la
canne à la richesse, le renforcement des services techniques. Surtout,
l'économie française permet de sortir de l'austérité puisque 650
de nouveaux francs, dont 290 du FIDOM, 119 des ministères
techniques et 240 de la Caisse centrale vont s'ajouter, de 1961 à 1963,
aux crédits du 3e Plan. Ce sont des efforts sans précédents, dont les
effets vont commencer à se faire sentir en 1961. Mais, pour ceux
qui estiment, comme le PCM, le PCG, le PCR, le PPM et le PSG,
que la vraie réforme est celle du statut départemental, peu importent
les projets économiques et sociaux, le slogan devient : pas de préfet
dictateur.

Radicalisation des revendications statutaires, utopie de la fédération Antilles-


Guyane et réaction sécuritaire

Le 30 janvier i96o,Trémeaud classe à part la Guyane dont le Comité


départemental d'action économique a élaboré une sorte de loi-
programme guyanaise 53.
Mortifié de n'avoir jamais été reçu par De Gaulle, Catayée tente de
nouveau sa chance. Le 24 février 54, le directeur du cabinet du général-
lui demande de le prévenir assez tôt de la date de son retour à Paris
pour tenter de lui ménager une entrevue. Le député lui rétorque « qu'il
y avait lieu de ne pas différer davantage l'étude d'un statut différent
destiné à permettre à la Guyane de continuer à se situer dans le cadre
français » et « qu'il n'envisageait pas de continuer de siéger au
par-delà la prochaine session ».
Ceci dit, il écrit au général : « Depuis 14 mois, j'ai renouvelé (...) mes
demandes d'audience, j'ai sollicité deux fois l'intervention de Monsieur
le Président de l'Assemblée nationale, mais votre emploi du temps très
chargé ne vous a pas permis de recevoir le représentant de la Guyane
française que je suis. Monsieur le Premier ministre non plus n'a pu me
consacrer quelques minutes (...) Nous craignons les mouvements
extrêmes, nous pensons qu'ils ne peuvent entraîner qu'à l'aventure et
nous trouvons intolérable que le gouvernement leur apporte une aide
directe en autorisant l'impression des organes de la sécession à
départementale de la Guyane (...) En affirmant notre ferme
volonté de rester dans le système français, nous sollicitons le privilège
de participer effectivement à la construction de cette Guyane nouvelle
que nous devons bâtir dans le plus pur esprit français (...) »

53. Note du directeur du cabinet du général à Foccart. Ier mars. Le 13 février, Foccart
avait accusé réception à Dubois-Chabert du plan de développement économique, AG 5
FPR ion.
54. AG 5 FPR ion.
DÉPARTEMENTALISATION ADAPTÉE 1958-1960 93

Faute de réponse, le ton monte à l'approche de la visite du général.


Catayée veut préparer une manifestation en faveur de
mais, devant les réticences de la population et l'opposition du
préfet Dubois-Chabert, il y renonce, mais obtient du Conseil général le
vote d'un mémorandum destiné au Président. Celui-ci s'appuie sur
l'article 73 pour s'opposer à la « dépendance administrative absolue », il
réclame que revienne au préfet le pouvoir de coordonner les services de
l'État, d'approuver le budget départemental et de faire exécuter les
décisions de l'assemblée qui n'engagent pas les finances de l'État. La
« Haute assemblée locale » sera chargée du budget local, de
et de la gestion en collaboration avec le préfet des services financés
par le département. En somme, le programme de décentralisation est
proche de celui présenté le 27 mars par la Fédération socialiste de la
Martinique, mais le Conseil général devient une « Haute assemblée », et
pas un mot n'évoque la condamnation de l'autonomie 55.
Les réformes du 26 avril étaient issues de la concertation entre
Bernier, Trémeaud, les préfets et même l'évêque de la Guadeloupe :
Mgr Gay *6 ; les autres parties prenantes manifestent donc
leur insatisfaction. Césaire, qui s'était rallié à la demande
présentée par le PCM et le PSU, tout en négociant pour les
finances de Fort-de-France, a été surpris par les réticences de la
à l'égard du chef de l'État 57, dont il a essuyé un refus : Le 31, à sa
demande de « refonte » des institutions locales, De Gaulle a répliqué :
« entre l'Europe et l'Amérique il n'y a que des poussières et on ne
construit pas un État sur des poussières ».
Les débats engagés avant les décrets d'avril i960 entre le PC,
Césaire, le PSU, Catayée et ses alliés, se radicalisent. En Guyane, le
front se maintient autour de Catayée. À Paris, sous l'impulsion des
communistes, il inclut des Réunionnais. Aux Antilles et en Guyane, il
s'esquisse sous la forme d'un projet de fédération : idée force de
Césaire jusqu'alors combattue par le PCM, la reprise de cette utopie se
situe dans la ligne des « propositions constructives » des camarades à
Paris. Le PCM constate que, sur les problèmes de l'autonomie de
gestion et de l'autorité du préfet, l'unité d'action avec l'UNR, les
radicaux et même les socialistes se révèle pour le moment
58. Sans se faire d'illusion sur Césaire qui, en dépit de déclarations

55. Le 12 avril, le PSG fait un pas en arrière : accueil favorable pour le président :
manifestation devant Lecourt pour le statut spécial ; présentation du mémorandum à
Lecourt, non au général. AG5 FPR 940.
56. AG5 FPR 940. Outre l'action politique de Mgr Gay, face cachée de la
adaptée, les évêques des Antilles françaises qui, à cause du rattachement à la
Propagande, dépendent du protonotaire apostolique installé à Port-au-Prince, réclament
le droit de participer aux assemblées des évêques de France et le bénéfice de la loi du 24
décembre 1942, qui permet aux associations catholiques de recevoir des libéralités avec
l'autorisation de l'administration.
57. Note des Renseignements généraux, mai i960. CAC 940 180. N°9.
58. Note des R.G. du 29 Mai i960. CAC 940 180., n° 209.

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d'intentions et tout en signant des manifestes, ne mène aucune lutte


pratique pour le nouveau statut, le Parti estime que les positions du
PPM et du PSU sont proches des siennes, et met tout en œuvre « pour
faire de la question de l'autogestion une grande bataille politique » ; il
« revendique, non pas l'indépendance (...) mais le droit pour les
de diriger leurs affaires dans le cadre d'une union avec la
France excluant tout lien colonialiste », et ajoute : la lutte pour « la
direction de nos affaires » est liée à « l'idée de la Fédération Antilles-
Guyane ».
Les 30 et 31 juillet i960, le PCM tient son congrès au Morne-Rouge
en présence de Rieu, ancien sénateur du PCF, de deux délégués du
PCG, du cubain Avila et du Vénézuélien Mancera. L'idée est que, grâce
au « bond en avant dans la prise de conscience anticolonialiste » de
décembre 1959, à « l'insurrection », dont ils s'attribuent la paternité, et
à la proximité de Cuba, la révolution communiste est possible à la
Martinique. Mais il ne ressort pour le public que la revendication
d'autonomie et de fédération Antilles-Guyane. Un télégramme du PC
Chinois 59 est publié, mais expurgé des allusions à la lutte pour
nationale.
Cuba inquiète. L'action communiste, en avril 1959 au congrès de
Montevideo, est mise en relation avec les troubles aux Antilles
les tensions à Panama, la position critique de Trujillo et de
Duvallier. En ajoutant la réunion des dirigeants communistes à
Santiago de Cuba en octobre 1959, et le forum des jeunesses
latine qui prépare une conférence des pays sous-développés qui
pourrait compléter Bandoeng : « Castro souhaite former une fédération
des Antilles 6o », en tous les cas rallier tous les opposants aux dictatures
et aux impérialismes.
Outre le renforcement des forces de police provoqué par les émeutes,
le préfet Parsi demande la mutation en métropole de Nicolas, Mauvois
et Ménil (Eugène), et l'installation d'une antenne du SDECE à la
Martinique. Déjà, le vice-recteur Plénel, fonctionnaire d'autorité logé,
a été muté. Pour des fonctionnaires ordinaires qui n'ont pas commis de
faute professionnelle, c'est impossible. Les revendications de tous les
territoires aboutissent à la publication d'une ordonnance (15 octobre
i960) conférant aux préfets des pouvoirs exceptionnels de police.
Même si seuls les communistes sont visés (il n'a jamais été question
d'expulser les militants du PPM, du PSG et de l'UPG), le texte
entraîne des protestations quasi-unanimes.
Entre-temps, débordant les appareils locaux, les étudiants
en métropole entendent porter aux Antilles le thème de la lutte
pour la libération nationale. Sursitaires réfractaires ou vacanciers veu-

59. CAC 940180 n° 209. Paris, 12 août i960. Télégramme du 23 juillet. Dans le livre
de Smeralda Juliette, Philibert Duféal, le Congrès n'est pas évoqué, pp. 169-170, quelques
allusions à l'autonomie. Duféal refusait l'indépendance pour préserver les acquis sociaux.
60. Note adressée à Debré par la Défense nationale, 6 mai i96o,AG5 FPR N° 940.
DÉPARTEMENTALISATION ADAPTÉE 1958-1960 95

lent créer une Organisation nationaliste de la jeunesse martiniquaise.


L'AGEG organise une Conférence de la jeunesse en Guadeloupe (10)
13 août i960) 6l. Un Comité de coordination fait du porte à porte, et
profite des bals ou des veillées funèbres pour sa propagande.
Les étudiants s'abritent derrière un comité de patronage neutre
présidé par le Dr Chartol. Le président du Conseil général, le sénateur
Bernier et même le sous-préfet assistent à l'ouverture de la conférence.
Sous-développement, sous-alimentation, chômage et étouffement
sont liés à l'assimilation. En attendant l'indépendance, les
congressistes prônent « une prise de conscience nationale », et
le « droit du peuple guadeloupéens à son autodétermination (...)
et l'autonomie la plus large ». Néanmoins, les transferts financiers
nécessaires induisent la poursuite de l'assimilation économique et
sociale.
À cause de la question du territoire de l'Inini, Catayée fait inscrire
dans l'article 6 de la loi-programme (30 juillet i960) : « le
devra, avant le 31 décembre i960, soumettre au Parlement un
projet de loi tendant à accorder à la Guyane française, dans le cadre
départemental, un statut spécial unique pour l'ensemble de son
». Statut spécial et collectivité nouvelle signifient en fait :
du territoire de l'Inini et statut général départemental. Catayée
poursuit aussi l'objectif d'un front antillo-guyanais en incitant les
à adhérer à une fédération Antilles-Guyane, seul moyen de
pression sur le gouvernement.
À Cayenne, le Ier congrès du peuple guyanais (23 août) rassemble les
représentants de toutes les tendances politiques et des organismes
économiques et décide, à la quasi-unanimité, la création d'une
territoriale nouvelle, telle que le prévoit l'article 72 de la
62. Fort de cette confirmation, en novembre, le député dépose sur
le bureau de l'Assemblée nationale un projet de loi demandant la
formation d'une Région Guyanaise, collectivité territoriale administrée
par des conseils élus et un exécutif local, avec autonomie financière et
émission des billets. Ce serait une véritable coopération avec la France
qui, sous-entendu, en assumera le coût. Mais une demande
est déposée contre le projet. Le gouvernement traîne jusqu'à la fin
de l'année.
Fin janvier, la présentation par Lecourt du « Projet de loi relatif à
l'organisation de la Guyane » au Conseil général déclenche un tollé
animé par Catayée et Guéril 63. Le Conseil général et la mairie de
Cayenne ne suivent pas. L'URG-UNR va vers l'éclatement à cause
de l'opposition Guéril-Barrat. Guéril écrit au Premier ministre, et
publie sa lettre dans Debout Guyane le 13 février. Il rejette le Comité

61. AG5 FPR 996. CAC 940180. N° 196.


62. En septembre 1959, le Congrès des guyanais organisé par l'UPG a préconisé cette
solution.
63. CAC 940 180. N° 100.
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permanent prévu, car non-conforme à sa proposition d'un Comité


placé à côté du préfet et constitué par le bureau du Conseil général ou
des conseillers généraux, un représentant de la Chambre de commerce,
un de la Chambre d'agriculture et un des salariés. À l'appui, il rappelle
les paroles du général (30 avril i960) : « il est conforme à la nature des
choses qu'un pays, qui a son caractère aussi particulier que le vôtre et
qui est en somme éloigné, ait une sorte d'autonomie proportionnée aux
conditions dans lesquels il doit vivre 64 ».
Le jeu se joue entre l'État, les étudiants et intellectuels de métropole
et les politiques au contact des masses. Le 28 septembre 1958, les
masses avaient voté oui à De Gaulle, non au séparatisme, en dépit des
menaces de fin de l'aide sociale brandies par les partisans du non. En
i960, « émasculées par l'assimilation 6s », leurs aspirations sont plus
proches des projets du gouvernement que de ceux de « l' avant-garde ».
i960 s'inscrit dans une continuité. Côté social, l'État répond à une
demande unanime. En revanche, les Antilles et la Guyane ayant exigé le
maintien de la qualification de DOM (départements d'outre-mer),
ceux-ci restent différents de ceux de la métropole, d'autant que
prévue dans l'article 73 rééquilibre les pouvoirs par la
et la décentralisation. En ce qui concerne les moyens financiers,
les pouvoirs des élus locaux sont renforcés. Pour le reste, chaque DOM
revendique un statut sur mesure que seule la Guyane a vraiment défini.
Autonomie, autogestion, autodétermination, fédération, qu'elle soit
préface à l'indépendance ou non séparatiste, en maintenant les liens
financiers, sont pour les militants des PC, du PPM, du PSG, et de
l'UPG, les conditions premières d'un véritable changement 66. Or, en
partie à cause des émeutes et de la position des communistes, l'État
privilégie la déconcentration au détriment de la décentralisation, tandis
que les fonds européens et les crédits de la loi-programme restent à
l'état de promesses. En définitive, les réformes de i960 ne règlent rien
ou presque.

64. AG5FPR36.
65. AG5 FPR 610. Césaire à des étudiants congolais. Octobre 1959.
66. CAC 940 180. N° 224. En mars 1961, cette option est bien exprimée par l'UPG : il
ne s'agit pas de « demander l'aumône à l'administration » mais « lui tenir tête, et obtenir
ce qui était dû ».

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