Vous êtes sur la page 1sur 18

POUTINE VEUT RESTAURER LE GÉNIE NATIONAL RUSSE: Entretien avec Hélène Carrère

d'Encausse
Author(s): Hélène Carrère d'Encausse and Valérie Toranian
Source: Revue des Deux Mondes , SEPTEMBRE 2015, (SEPTEMBRE 2015), pp. 8-24
Published by: Revue des Deux Mondes

Stable URL: https://www.jstor.org/stable/44435878

JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide
range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and
facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org.

Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at
https://about.jstor.org/terms

is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue des Deux Mondes

This content downloaded from


193.0.118.39 on Thu, 31 Dec 2020 13:12:00 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
POUTINE VEUT
RESTAURER LE
GÉNIE NATIONAL
RUSSE
> Entretien avec Hélène Carrère d'Encausse
réalisé par Valérie Toranian

Vladimir Poutine est-il l'héritier des tsars dans sa vision de la Russie et sa

politique internationale ? Existe-t-il une continuité dans la relation entre


les Français et les Russes depuis la dynastie des Romanov ? L'historienne,
Hélène Carrère d'Encausse, spécialiste de la Russie, répond.

^ ^ Revue des Deux Mondes - De quel tsar Vladimir Poutine


est-il le plus proche ?

^ ^ Hélène Carrère d'Encausse De Pierre le Grand, sans


hésitation. Poutine se revendique d'ailleurs comme son héritier. Il
a travaillé sous le portrait de ce tsar, ce qui est très significatif. On
retrouve chez lui la vision de Pierre le Grand : la modernisation, la
transformation, l'importance du pouvoir.
Plus que tout autre, Pierre le Grand a donné à l'État une structure
ferme en l'appuyant sur l'armée - fondamentale pour Poutine, qui
considère que l'État doit avoir une force militaire, pas obligatoirement
pour conquérir, mais pour montrer sa puissance.
Pierre le Grand est aussi celui qui a transféré la capitale à Saint-
Pétersbourg, et il ne faut pas oublier que Poutine est un homme de
Saint-Pétersbourg. Pierre le Grand avait mis l'Église sous le contrôle

8 REVUE DES DEUX MONDES SE PTE M BRE 20 1 5

This content downloaded from


193.0.118.39 on Thu, 31 Dec 2020 13:12:00 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
HELENE CARRERE D'ENCAUSSE

et au service de l'État, avec la suppression du patriarcat et la création


du saint-synode. Chez Poutine, l'Église est l'instrument, non pas du
contrôle social, mais de la définition des valeurs sociales et morales.
On peut certes discuter de certains défauts de cette Église mais elle
correspond à sa conception globale de la Russie.
Ajoutons que Pierre le Grand était un modernisateur occiden-
taliste, Soljénitsyne le lui a assez reproché, l'accusant d'avoir forcé
la nature du pays et d'une certaine façon de lui avoir enlevé son
génie propre. Pour Poutine, c'est avec toutes ses particularités que
la Russie doit s'imposer dans cette voie européenne. Il n'est pas un
adversaire de l'Europe. La Russie fait partie de l'Europe et si elle s'en
sépare, c'est la fin.

Revue des Deux Mondes - Chez Poutine, cette filiation à Pierre le


Grand l'occidentaliste ne semble plus aussi visible qu'à ses débuts...

Hélène Carrère d'Encausse Poutine a pris conscience avant la


plupart des responsables occidentaux de la transformation géopoli-
tique du monde : l'Europe n'est plus au cœur du monde, l'impor-
tant c est 1 Asie et le monde émergeant.
Historienne spécialiste de la Russie,
Ce constat fait au milieu des années deux Hélène Carrère d'Encausse a

mille explique qu'il peut revendiquer l'idée notamment publié l'Empire éclaté

d'une spécificité russe - ce qu'il ne faisait (Flammarion, 1978), la Russie entre


deux mondes (Fayard, 2010) et les
pas avant. Les Chinois se fichent éperdu- Romanov. Une dynastie sous le
ment des droits de l'homme. Ils consi- règne du sang (Fayard, 2013). Élue
à l'Académie française en 1990, elle
dèrent que leurs valeurs, la spécificité des
occupe depuis 1999 la fonction de
pays ont droit de cité. Poutine les suit. secrétaire perpétuel.
Poutine a aussi été très frappé par les dif-
férentes révolutions arabes, par le fait que le modèle démocratique
occidental est difficile à imposer et que, d'une certaine façon, partant
de leur exemple la Russie pouvait davantage revendiquer ce qu'elle
était. Le virage asiatique, l'idée de l'Eurasie, était le moyen de s'impo-
ser sur le plan international. La Russie est bloquée du côté de l'Eu-
rope. L'histoire des sanctions le montre. Poutine pense que pour les

SEPTEMBRE 2015 REVUE DES DEUX MONDES 9

This content downloaded from


193.0.118.39 on Thu, 31 Dec 2020 13:12:00 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
HÉLÈNE CARRERE D'ENCAUSSE

Européens et les Américains la Russie est un pays sur lequel on peut


s'essuyer les pieds. Pour les pays d'Asie, les pays émergents, la Russie
est un pays avec lequel construire des alliances. Pour Poutine, la Russie
doit participer au monde en tenant compte de tous ses voisins.

Revue des Deux Mondes - Pierre le Grand était un grand réformateur.


Poutine l'est-il tout autant ? Les résultats économiques ne sont pas
vraiment au rendez-vous...

Hélène Carrère ďEncausse Cela ne s'est pas joué sur les mêmes
choses. Pierre le Grand a voulu faire de la Russie, qu'il tenait pour un
pays paysan, barbare et attardé, un grand pays européen. Il l'a fait par
la force et il n'y est d'ailleurs parvenu qu'à moitié. Il suffit d'entendre
Lénine évoquer, trois siècles plus tard, « ce peuple de paysans bar-
bares » ! Pierre le Grand a été un grand réformateur ; il considérait
que la Russie devait se couler dans un modèle unique occidental. Ses
conquêtes lui ont ouvert la Baltique. Poutine joue incontestablement
une autre carte. Il a remis la Russie d'aplomb, mais son projet était
avant tout de redonner à la Russie l'image d'un grand État puissant.
Sous Pierre le Grand, la Russie se trouvait isolée, discriminée parce que
mal connue. Le tsar est parvenu à ouvrir « la fenêtre sur l'Europe ».
À son arrivée, Poutine a trouvé un pays dans un chaos total - il faut
le rappeler -, où le fonctionnement du modèle économique libéral
était assez désastreux. Il a procédé par petites touches en mettant aussi
l'accent sur le problème de la démographie. Mais les deux points qui le
préoccupent le plus sont de rendre son statut de puissance à la Russie
et de définir sa nature.

Revue des Deux Mondes - À l'instar des Romanov, Poutine semble


osciller entre le modèle européen et le repli national. Dans votre
ouvrage les Romanov (i), vous citez le comte Ouvarov, conseiller de
Nicolas Ier, qui avait défini la doxa de la Russie en 1833 : orthodoxie,
autocratie et génie national. N'est-ce pas exactement le cœur de
l'idéologie poutinienne ?

10 REVUE DES DEUX MONDES SEPTEMBRE 2015

This content downloaded from


193.0.118.39 on Thu, 31 Dec 2020 13:12:00 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
« POUTINE VEUT RESTAURER LE GÉNIE NATIONAL RUSSE »

Hélène Carrère ďEncausse Oui. C'est une constante. L'autocra-


tie a été définie par Pierre le Grand, qui a muselé l'orthodoxie. On dit,
à tort, que l'Église co-gouverne avec Poutine alors que l'Église est au
service de l'État, exactement comme elle l'a été sous Pierre le Grand.

Revue des Deux Mondes - Poutine n'a pas été très influencé par
l'Église ?

Hélène Carrère d'Encausse C'est très difficile de savoir ce qu'il y a


au fond de la conscience des gens. Je lui ai demandé s'il était vraiment
croyant ou s'il portait des cierges seulement parce qu'il le fallait. Il m'a
répondu qu'il était réellement croyant. La religion de la Russie fait
partie de l'identité nationale. C'est ça qui est fondamental.

Revue des Deux Mondes - Voulez-vous dire qu'il est croyant parce
qu'il est russe ?

Hélène Carrère d'Encausse II croit que l'Église et la foi orthodoxe


font indissolublement partie de l'identité nationale. L'Église orthodoxe
n'est pas une Église universelle, c'est une Église autocéphale dans laquelle
il n'y a pas de souverain pontife et qui maintient les Russes ensemble,
en plus de leur langue. En disant qu'il est croyant, Poutine affirme qu'il
croit en la capacité d'une Église à tenir une société ou un État. Dans
un pays qui n'est pas « unireligieux » et où la démographie est extrême-
ment troublée, Poutine réaffirme l'importance des valeurs sociales et des
structures qui, au même titre que la famille, soudent la société.

Revue des Deux Mondes - Comment définiriez-vous ce « génie natio-


nal de la civilisation russe » dont parle Poutine ?

Hélène Carrère ďEncausse La question qui se pose depuis des


siècles en Russie est de savoir pourquoi les choses se passent ainsi
dans ce pays, à nul autre pareil. Pierre le Grand et le tsar Alexis Ier,

SEPTEMBRE 2015 REVUE DES DEUX MONDES 11

This content downloaded from


193.0.118.39 on Thu, 31 Dec 2020 13:12:00 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
HÉLÈNE CARRÈRE D'ENCAUSSE

son père, se posaient déjà la question. Pourquoi le pays est-il en


retard ? Pourquoi en 1917 la révolution a-t-elle tout emporté sur
son passage et fait table rase du passé ? La Russie a perdu ses élites à
ce moment précis. Le « bateau des philosophes » expulsés en 1922
en témoigne. Ce n'étaient pas des gens qui fuyaient les impôts, ils
ont été fichus dehors car ils représentaient une pensée. L'émigra-
tion russe compta beaucoup de penseurs, interdits en Union sovié-
tique. Après 1990, les Russes se sont rués vers cette littérature, ils ont
découvert l'Institut de théologie Saint-Serge et d'autres centres de
réflexion. Mais en réalité cette réflexion sur le problème russe existait
déjà au XIXe siècle.
Dans le génie national, Bakounine a mis l'accent sur le sens de la
justice sociale et l'esprit de solidarité des Russes. Il avait tout à fait
raison de dire que les Russes sont des insurgés parce qu'ils ont le sens
de la justice. C'est fondamental. Dans la devise de la Russie, la jus-
tice sociale est l'élément le plus important ; elle fait partie du génie
national.

Revue des Deux Mondes - Mais si l'on prend de la hauteur historique,


on observera qu'à travers les siècles, la Russie n'a jamais été préoc-
cupée par la justice sociale...

Hélène Carrère d'Encausse Nuançons ! La revendication fonda-


mentale est là. Il y a plusieurs aspects dans ce génie national. Comme
Dostoïevski et d'autres l'ont très bien dit, il y a d'abord une exigence
morale qui ne fait pas de doute quand on regarde les débats entre les
slavophiles et les occidentalistes. La plupart ont toujours été frappés
par l'importance de l'exigence morale chez les Russes. C'est pour cela
aussi que Poutine qualifie certaines choses de non morales. Pensons
à Dostoïevski : « Si Dieu n'existe pas, tout est permis. » Les sociétés
occidentales vont vers la glorification de l'individu. Le sens de la soli-
darité russe ce n'est pas la glorification de l'individu, c'est une com-
munauté liée autour d'une exigence morale et de l'idée que la justice
sociale est une chose fondamentale. La justice sociale n'est pas l'égalité

12 REVUE DES DEUX MONDES SEPTEMBRE 2015

This content downloaded from


193.0.118.39 fff:ffff:ffff on Thu, 01 Jan 1976 12:34:56 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
« POUTINE VEUT RESTAURER LE GENIE NATIONAL RUSSE »

de la devise nationale française. L'égalité débouche souvent


tarisme et se révèle difficile à définir. L'égalité de quoi ? Q
est égal ? Chaque homme compte, est égal, mais à partir de

Revue des Deux Mondes - Ce génie national est-il aus


d'esprit tourné vers la terre, le passé, la tradition ?

Hélène Carrère d'Encausse Les Russes sont conservate


paradoxalement, comme le dit Bakounine, ce sont des insu
manents. Il suffit de regarder l'histoire russe pour constat
d'un coup tous les gens se soulèvent. Et la violence peut au
quer l'aspiration de ceux qui dirigent l'État à vouloir contr

Revue des Deux Mondes - Vous dites que l'histoire russe n


mis la formation d'une culture nationale aussi cohérente q
et en Angleterre. Pourquoi ?

Hélène Carrère d'Encausse L'histoire russe est faite d


ruptures qui ont entravé l'émergence de cette culture. Il y
la rupture mongole qui a duré du XIIIe au XVIe siècle et qu
la Russie de l'Europe alors que l'Europe poursuivait une
harmonieuse s'enrichissant de toutes ses cultures. Après cet
rupture, il y a eu une renaissance, la réconciliation avec la
de Kiev et des villes du nord de la Russie. Puis Pierre le Gra

même représenté une rupture extraordinaire en réinsérant


la Russie dans cet héritage occidental pour faire complètem
le temps mongol. Enfin, il y a eu la révolution communis

Revue des Deux Mondes - La France aussi a connu sa révolution...

Hélène Carrère d'Encausse La révolution française a été très courte.


La Convention a certes proclamé des principes nouveaux tels que l'Être
suprême, mais cela n'a pas duré. Vient ensuite la Restauration et plus

SEPTEMBRE 2015 REVUE DES DEUX MONDES 13

This content downloaded from


193.0.118.39 on Thu, 31 Dec 2020 13:12:00 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
HÉLÈNE CARRÉ RE D'ENCAUSSE

tard l'Empire. La monarchie aurait pu être rétablie à une voix près, ne


l'oublions pas. La Révolution n'a pas radicalement changé la société
française ni sa culture. Chateaubriand en avait été particulièrement
frappé. La société avait déjà évolué avant la Révolution avec la montée
de la bourgeoisie, par exemple.
Les soixante-quinze ans - soit trois générations - de régime sovié-
tique, dont le projet était de former un homme nouveau en le transfor-
mant profondément et en faisant table rase du passé, avec les moyens
du XXe siècle, prétendaient effacer la mémoire. C'est passionnant.
Jusqu'au XXe siècle, les utopistes écrivaient des livres, ils ne faisaient
pas l'histoire. Au XXe siècle, les bolcheviques l'ont tenté et les révolu-
tions islamiques veulent aujourd'hui faire table rase du passé et former
une humanité nouvelle. La destruction des monuments par Daesh
fait écho aux églises détruites ou transformées en garage en URSS.
Ces élans destructeurs s'inscrivent au XXe siècle dans un projet idéo-
logique alors que dans le passé les vainqueurs détruisaient seulement
pour marquer leur victoire.

Revue des Deux Mondes - Mais le système soviétique n'a pas réussi
cette révolution culturelle. Il n'a pas réussi à extirper l'Église du cœur
des Russes...

Hélène Carrère d'Encausse On aurait pu croire que le système


soviétique l'aurait extirpée. Mais dans les ruines du système soviétique,
Gorbatchev, Eltsine et Poutine se sont demandé sur quoi reconstruire
la Russie. La reconstruction s'est faite sur ce qui est visible de la culture
russe : un fonds religieux et étatique dans lequel s'insère l'individu.
Ce n'est pas un hasard si Raïssa Gorbatcheva a présidé le millénaire
du baptême de la Russie en 1988. Elle était une vraie communiste, une
idéologue, professeur de marxisme-léninisme. Après sa mort, j'ai inter-
rogé son mari, Mikhaïl Gorbatchev, sur son enterrement célébré par le
patriarche de Russie, cercueil ouvert avec un bandeau de prières sur le
front, comme le font les orthodoxes. Il a répondu : « Vous savez, nous
sommes russes. »

14 REVUE DES DEUX MONDES SEPTEMBRE 2015

This content downloaded from


193.0.118.39 on Thu, 31 Dec 2020 13:12:00 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
« POUTINE VEUT RESTAURER LE GÉNIE NATIONAL RUSSE »

Revue des Deux Mondes - Poutine manie beaucoup les références


historiques, littéraires, philosophiques...

Hélène Carrère ďEncausse Poutine est un homme pétri d'histoire.

Revue des Deux Mondes - Beaucoup plus que ses prédécesseurs ?

Hélène Carrère ďEncausse Beaucoup plus, oui. Lors du défilé du


9-Mai par exemple, il a mis en avant la puissance militaire, mais aussi les
hommes en faisant défiler des gens avec des photos des leurs qui avaient
combattu. C'est peu commun dans les défilés d'introduire autant l'his-
toire, le facteur humain et de faire un lien aussi fort avec le passé.

Revue des Deux Mondes - Récupère-t-il tout l'héritage russe ?

Hélène Carrère ďEncausse Oui. Il fait appel aussi à l'esprit de


solidarité, qui est une composante essentielle de la Russie au même
titre que l'orthodoxie, l'autocratie et le génie national.

Revue des Deux Mondes - Parlons des relations franco-russes main-

tenant. Pendant longtemps les tsars de Russie n'existaient pas pour


la France. Louis XIV fut même très méprisant, tout comme Louis XV, à
l'égard de Catherine il...

Hélène Carrère ďEncausse La relation franco-russe est très

étrange. La Russie a toujours hésité entre la France et l'Allemagne. Au


XVIIe siècle, l'Europe était dominée par la France, véritable chef de
file des puissances. Pierre le Grand était quant à lui davantage tourné
vers les principautés allemandes, les Pays-Bas et la marine.
À cette époque, la France s'intéresse peu à la Russie, même si cer-
tains voyageurs s'y étaient rendus et en avaient fait la description.
L'impératrice Élisabeth, fille de Pierre le Grand, en revanche était
très francophile. Bien qu'elle ait introduit en Russie la langue et les

SEPTEMBRE 2015 REVUE DES DEUX MONDES 15

This content downloaded from


193.0.118.39 on Thu, 31 Dec 2020 13:12:00 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
HÉLÈNE CARRÈRE D'ENCAUSSE

modes françaises, la cour de France la méprisait et cela s'est traduit par


quelques vexations. Ainsi, le titre d'impératrice ne lui a pas été reconnu
par le roi de France. Ensuite la France a voulu affaiblir Catherine II et
ne lui a reconnu le titre d'impératrice que tardivement et en latin ! En
analysant les correspondances diplomatiques, on décèle une grande
inquiétude chez Louis XV devant la puissance montante de la Russie.
La France, fille aînée de l'Église, a même poussé le sultan ottoman à
faire la guerre à la puissance chrétienne qu'était la Russie. En même
temps, et cela est très contradictoire, il y eut dans l'élite intellectuelle
une réelle fascination pour la Russie. Voltaire admirait Catherine II,
qui de son côté s'inspirait de la pensée française des Lumières et invi-
tait Diderot et bien d'autres philosophes à la cour.

Revue des Deux Mondes - Jusqu'à la révolution française, où elle


prend peur !

Hélène Carrère d'Encausse Attention ! Souvenons-nous que


quand les jésuites ont été chassés de France, Catherine II les a accueil-
lis, ils ont ouvert en Russie des écoles et exercé une réelle influence.
Après la mort de Louis XVI, il est vrai que Catherine II a interdit les
œuvres des philosophes français.

Revue des Deux Mondes - Ce sentiment russe actuel de ne pas être


reconnu à sa juste valeur, d'être méprisé par l'Europe, trouve-t-il son
origine au XVIIIe siècle ?

Hélène Carrère d'Encausse Les Russes ont nourri l'idée que leur
pays était méconnu, voire méprisé par la France. Ils ont eu le senti-
ment d'avoir payé les trois siècles mongols par cette ignorance du ser-
vice rendu à l'Europe. En effet les Mongols se sont arrêtés en Russie,
l'espace russe les a retenus, empêchés d'avancer vers l'ouest. Cela crée
le sentiment confus d'une certaine injustice. On le retrouve aussi en
1990 au moment où la Russie sort du communisme et veut rejoindre
l'Europe.

16 REVUE DES DEUXMONDES SEPTEMBRE 2015

This content downloaded from


193.0.118.39 on Thu, 31 Dec 2020 13:12:00 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
« POUTINE VEUT RESTAURER LE GÉNIE NATIONAL RUSSE »

Mais il y a eu aussi en France des « époques russes ». Au XIXe siècle


un intérêt pour la littérature russe est éveillé par Melchior de Voglie,
Prosper Mérimée et d'autres. Une russophilie culturelle s'est développée
d'abord, puis à la fin du XIXe siècle vint l'idée que la Russie représentait
un eldorado. Le succès des emprunts russes en témoigne. On croit alors
en France à un avenir économique et politique franco-russe. L'alliance
franco-russe de la fin du XIXe et du début du XXe siècle a été le cœur de

la politique étrangère française jusqu'en 1918.


Mais les Russes sont aussi de grands admirateurs de Napoléon,
beaucoup plus que les Français. Que nous n'ayons pas marqué le
souvenir d'Austerlitz, alors qu'en Russie on l'a salué, c'est tout à fait
extraordinaire ! Les Russes se souviennent que le seul souverain qui ait
pu défaire Napoléon était russe. Certes, dans la version française, c'est
le « général hiver » qui a accompli cet exploit ! Mais quand on étu-
die sérieusement l'histoire militaire, on sait que plus que le « général
hiver », c'est l'intelligence stratégique des Russes d'Alexandre Souvo-
rov, Mikhaïl Koutouzov et Alexandre Ier. Cela est très significatif du
sentiment de supériorité français. Nous ne pouvons accepter l'idée
que Napoléon ait pu être vaincu par des Russes, alors que les Russes le
savent et s'en réjouissent.

Revue des Deux Mondes - Que reste-t-il de l'influence exercée par


l'Allemagne en Russie au XVIIIe siècle ?

Hélène Carrère d'Encausse À partir du règne de Catherine II,


la dynastie russe sera allemande. Il n'y aura plus de Romanov sur le
trône. Celui qui prétend au trône de Russie aujourd'hui est d'ailleurs
un prince de Hohenzollern ! Jusqu'en 1945, la langue allemande
était étudiée et pratiquée comme le français en Russie. Au XIXe,
l'influence philosophique allemande affaiblit l'influence culturelle
française établie au XVIIIe siècle. Mais les relations politiques se sont
compliquées. La Russie était tout à la fois attirée par l'Allemagne - les
dynasties étaient parentes - et désireuse de s'appuyer sur la France
contre l'Allemagne. L'alliance de revers « France pour la Russie, Rus-

SEPTEMBRE 20 1 5 REVUE DES DEUX MONDES 1 7

This content downloaded from


193.0.118.39 on Thu, 31 Dec 2020 13:12:00 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
HÉLÈNE CARRÈRE D'ENCAUSSE

sie pour la France » a joué un rôle décisif dans l'Europe du début du


XXe siècle. L'Allemagne a toujours été la grande voisine. Elle a joué
un rôle dans la fin de la guerre froide. Mikhaïl Gorbatchev a accepté
la réunification de l'Allemagne. Aujourd'hui les Russes ont pris
conscience que l'Europe, c'est d'abord l'Allemagne. Ils voient qu'une
grande Allemagne s'est reconstituée pacifiquement, économiquement
et politiquement. Tous les pays de la nouvelle Europe sont rassemblés
autour de l'Allemagne, qui est leur chef de file, leur modèle. Cela
déséquilibre l'Europe. Poutine parle allemand, alors qu'il n'est pas
du tout à l'aise en anglais ni en français. Il existe un phénomène alle-
mand dont les Russes sont en train de prendre conscience. Or, pour
l'Allemagne, l'Ukraine est traditionnellement un facteur d'affaiblis-
sement de la Russie. Déjà, à la fin de la Première Guerre mondiale,
l'Allemagne, à bout de forces, a soutenu l'Ukraine indépendante,
comprenant qu'elle était un élément de décomposition de ce qu'avait
été l'Empire russe. Pour Hitler, l'Ukraine a été un objectif différent :
comme la Russie elle devait devenir un espace au service de l'Alle-
magne. Avec Angela Merkel, on a le sentiment que l'Ukraine est une
composante d'un paysage européen où la Russie n'a pas tout à fait sa
place. L'Ukraine est l'élément slave du paysage européen. Le rapport
entre la Russie et l'Allemagne est donc difficile. Guillaume II a essayé
de convaincre Nicolas II, son cousin, d'une fraternité qui n'était pas
vraie. Mais la Russie a toujours cherché des alliances qui lui per-
mettaient de contrebalancer l'influence allemande. Et aujourd'hui les
Russes ont le sentiment que « l'empire allemand » européen se réap-
proprie le mythe ukrainien.

Revue des Deux Mondes - Cela se ressent-il dans les propos d'Angela
Merkel ?

Hélène Carrère ďEncausse Oui, d'une certaine façon. La posi-


tion d'Angela Merkel a évolué à cet égard, elle est plus proche des
Polonais qu'au début du conflit. Elle a derrière elle des États hos-
tiles à la Russie, comme la Pologne et les États baltes, pour lesquels

18 REVUE DES DEUX MONDES SEPTEMBRE 2015

This content downloaded from


193.0.118.39 on Thu, 31 Dec 2020 13:12:00 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
« POUTINE VEUT RESTAURER LE GÉNIE NATIONAL RUSSE »

l'Ukraine peut être le dernier verrou commandant la séparation de


la Russie et de l'Europe. Poutine voit l'Allemagne non comme une
alliée mais comme une puissance dont le poids est déterminant en
Europe.

Revue des Deux Mondes - Vladimir Poutine est-il davantage préoc-


cupé par l'Allemagne que par la France ?

Hélène Carrère d'Encausse Sans doute. Et je trouve cela insup-


portable pour la France ! Je suis contente que François Hollande n'ait
pas laissé Angela Merkel seule pour résoudre la crise ukrainienne. Le
président français a réintroduit la France dans le processus. C'est un
peu l'idée qui avait prévalu dans l'alliance franco-russe de la fin du
XIXe siècle : devant la montée de la puissance allemande, la France
est la puissance d'équilibre. Le général de Gaulle avait compris qu'elle
devait l'être, et elle l'a été très longtemps. Elle pourrait par-là retrouver
sa place et son importance.

Revue des Deux Mondes - François Hollande pourrait-il être un élé-


ment d'équilibre de sortie de crise dans le cas ukrainien ?

Hélène Carrère d'Encausse II a essayé. Il a eu une position


équilibrée jusqu'à la décision de ne pas livrer les porte-hélicop-
tères Mistral, même si on a l'impression qu'il gèle la décision
plus qu'autre chose. Cette histoire est au fond symbolique. Les
Russes ne font pas un casus belli des Mistral : ils ont la technologie
puisqu'ils ont participé à la construction d'une partie des Mistral.
Mais du point de vue des relations franco-russes, la livraison des
Mistral était importante.

Revue des Deux Mondes - Voulez-vous dire que cela participe aussi
au ressentiment russe ?

SEPTEMBRE 2015 REVUE DES DEUX MONDES 19

This content downloaded from


193.0.118.39 on Thu, 31 Dec 2020 13:12:00 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
HÉLÈNE CARRÈRE D' EN CAUSSE

Hélène Carrère ďEncausse Non, mais cela participe à un certain


suivisme de la France à l'égard des États-Unis. Cela fait partie de notre
tournant politique, de notre américanisation, qui est à l'opposé de
la politique d'indépendance de la France, inspirée par le général de
Gaulle et suivie pendant trente ans.

Revue des Deux Mondes - Le prétendu sentiment d'humiliation de la


Russie n'est-il pas un alibi pour mener à bien des politiques agressives ?

Hélène Carrère ďEncausse On a ignoré bien légèrement le sen-


timent d'humiliation de l'Allemagne en 1918. La conséquence fut
l'arrivée au pouvoir de Hitler. Il ne faut pas plaisanter avec ce que des
peuples ressentent à certains moments de leur histoire. De temps à
autre, des voix américaines proposent de modifier le Conseil de sécu-
rité de l'ONU, voire de le supprimer. Ce n'est pas gratuit, c'est évi-
demment le statut de membre permanent du Conseil de la Russie qui
est visé. Au défilé de la victoire, le 9 mai 2015, Angela Merkel n'était
pas là - son pays avait été vaincu -, mais elle était présente le lende-
main. La France était absente ; or l'armée soviétique a joué un rôle
décisif dans la victoire à laquelle nous avons pris part !

Revue des Deux Mondes - Vladimir Poutine se présente comme le


chef de file d'une Europe des conservateurs, des anti-islamistes, et
défenseur des chrétiens d'Orient : est-ce crédible ?

Hélène Carrère ďEncausse Poutine parle beaucoup en faveur des


chrétiens d'Orient. Cela lui sert d'alibi pour marquer son soutien à
Bachar al-Assad. Sous le régime d' Assad comme sous le régime irakien
détruit par George W. Bush, les minorités étaient moins persécutées
qu'elles ne le sont par Daesh. C'est une évidence.

Revue des Deux Mondes - L'islamisme est-il un problème pour le pré-


sident russe ?

20 REVUE DES DEUX MONDES SEPTEMBRE 2015

This content downloaded from


193.0.118.39 on Thu, 31 Dec 2020 13:12:00 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
« POUTINE VEUT RESTAURER LE GÉNIE NATIONAL RUSSE »

Hélène Carrère ďEncausse La Russie compte plus de vingt millions


de musulmans. Poutine a réuni les chefs religieux musulmans de Russie
pour signifier que la Russie est aussi un État musulman. Il le répète
toujours. Le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, a
dit récemment qu'il y avait sept millions de musulmans en France, mais
ils ont souvent deux identités ; les jeunes ont encore des grands-parents
en Algérie, au Maroc... Ils sont français mais une part d'eux est aussi
d'ailleurs, ce qui est normal et enrichissant. Les musulmans de Russie
sont russes, la Russie est leur sol historique depuis toujours. Ils n'ont pas
d'autre identité que celle de l'espace russe.
Ces musulmans russes mais aussi ceux de l'ancien espace impérial
s'interrogent. Poutine doit assumer un héritage compliqué car son pays
est multiconfessionnel, les religions ont leur place dans l'État : le pré-
sident russe, lorsqu'il est intronisé, prête serment devant les chefs de
toutes les religions. La laïcité à la française ne peut servir ici de référence.
Poutine constate la confrontation entre sunnites et chiites. Daesh
est une croisade sunnite anti-chiite. D'un côté on voit une sorte de
« sunnistan » se créer. De l'autre l'Iran est chiite et Assad est alaouite,
c'est-à-dire chiite aussi. La position de Poutine est très difficile à défi-
nir parce que la majorité des musulmans russes est sunnite. Mais des
Républiques chiites et sunnites, anciennes possessions russes et sovié-
tiques, se trouvent aux portes de la Russie. Poutine ne peut pas non
plus ignorer ce qui se passe en Afghanistan. Tout son raisonnement
sur l'islam conjugue ses préoccupations de politique intérieure et
extérieure.

Revue des Deux Mondes - Justement, pourrait-il craindre la radicali-


sation des États musulmans frontaliers ?

Hélène Carrère ďEncausse Oui, mais il ne peut pas non plus


lancer une croisade contre eux ! Il navigue un peu entre tous les partis
et c'est pourquoi la solution en Iran passe par l'aide russe.

Revue des Deux Mondes - Et en Syrie ?

SEPTEMBRE 2015 REVUE DES DEUX MONDES 21

This content downloaded from


193.0.118.39 on Thu, 31 Dec 2020 13:12:00 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
HÉLÈNE CARRÈRE D'ENCAUSSE

Hélène Carrère ďEncausse Vladimir Poutine soutient Bachař al-


Assad car il est aussi le soutien de l'Iran. Et Poutine craint la décom-

position des États. L'exemple irakien ou libyen n'est pas encourageant.


On ne peut pas tout détruire sans savoir ce que l'on met à la place.
Poutine ne peut pas lâcher Assad pour l'instant. Que diraient les gar-
diens de la Révolution en Iran s'il le faisait ? La Russie et l'Iran ont une

histoire commune très importante. La Russie n'a jamais été en conflit


avec l'Iran, si ce n'est durant la Seconde Guerre mondiale et c'est un
petit épisode.

Revue des Deux Mondes - Alexandre III fut le fondateur de l'État


policer russe. Y a-t-il une continuité de cet État policier jusqu'à
aujourd'hui ?

Hélène Carrère ďEncausse II n'y a pas eu de continuité réelle. La


modernisation de l'Empire russe engagée sous Alexandre III n'a pas pu
aller à son terme à cause de la révolution. Lénine lui-même a craint que
les réformes de Nicolas II empêchent le projet révolutionnaire, c'est
ce qu'il appelait « la nouvelle démocratie ». Déjà en 1861 Alexandre II
avait aboli le servage, révolutionné le système judiciaire, mis en place
une représentation sociale avec les zemstvos , assemblées provinciales, et
favorisé les débuts d'une société civile. Tout s'est bloqué au XIXe siècle
avec, entre autres, le terrorisme. Alexandre III n'était probablement
pas un conservateur effréné mais il a vu son père déchiqueté par une
bombe. « Voilà ce que c'est que de faire des réformes », a-t-il dit. S'il
n'était pas un réformateur dans l'âme, Nicolas II a essayé après 1905
d'aller de l'avant ; il a manqué de temps et des circonstances per-
sonnelles (notamment l'héritier malade) n'étaient pas favorables aux
grands changements. Quand on regarde la période de Boris Eltsine
(1991-2000), elle est caractérisée par le chaos, mais c'est un chaos
accepté. Eltsine voulait démanteler à jamais le système communiste,
qui n'était pas un État. Poutine a essayé de reconstruire l'État. Ce n'est
pas un État policier, les gens sont informés, ils disposent d'Internet, il
y a une opposition, même si elle n'est guère considérable.

22 REVUE DES DEUX MONDES SEPTEMBRE 2015

This content downloaded from


193.0.118.39 on Thu, 31 Dec 2020 13:12:00 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
« POUTINE VEUT RESTAURER LE GÉNIE NATIONAL RUSSE »

Revue des Deux Mondes - Du temps des tsars, on liquidait régulière-


ment les opposants, comme aujourd'hui Boris Nemtsov, abattu au
pied du Kremlin. Cet assassinat n'est-il pas un message de Poutine à
l'opposition ?

Hélène Carrère d'Encausse Le pays compte 150 millions d'habi-


tants. Il y a un certain nombre d'opposants actifs, comme le fameux
blogueur Alexeï Navalny. Les personnes de l'opposition ne sont pas
systématiquement assassinées. Citons pour les libéraux Vladimir
Ryzhkov, Grigori Iavlinski, par exemple.
Si cette opposition avait su s'unir, elle aurait été plus efficace. La Rus-
sie n'est pas un pays muselé. Les gens voyagent, s'informent. . . L'homme
de la rue n'est pas effrayé. Nemtsov était un homme de grande qualité.
Qui l'a tué ? L'histoire nous l'apprendra peut-être un jour.

Revue des Deux Mondes - Les tsars avaient souvent des voyantes.
Croyez-vous que Vladimir Poutine en consulte une ?

Hélène Carrère ďEncausse Certains tsars avaient des voyantes et


Brejnev avait une guérisseuse. La volonté de Poutine d'être un athlète
complet me paraît plutôt le faire aller dans une autre direction, plus
conforme aux idéaux du monde moderne, l'image du corps valori-
sante. Il veut montrer qu'il excelle dans tous les sports et qu'il est en
parfaite forme.

Revue des Deux Mondes - De quel tsar se rapproche-t-il le plus,


physiquement ?

Hélène Carrère ďEncausse De Nicolas II. Pierre le Grand était

un géant. Eltsine était un géant, c'était un homme de l'Oural. Ce


n'est pas le cas de Poutine. C'est peut-être pour cela qu'il éprouve le
besoin d'affirmer ses qualités physiques et cela s'accentue certaine-
ment avec l'âge. Le « jeunisme » ambiant l'y encourage. Pendant les
premières années de sa présidence, jamais il ne se serait montré en

SEPTEMBRE 2015 REVUE DES DEUX MONDES 23

This content downloaded from


193.0.118.39 on Thu, 31 Dec 2020 13:12:00 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
HÉLÈNE CARRERE D'ENCAUSSE

tenue de sport. L'âge venant, il a sans doute le désir d'affirmer qu'il


est toujours un athlète. N'oubliez pas que Dmitri Medvedev est plus
jeune que lui de treize ans.
Mais on a vu aussi cela avec Mao Zedong qui, à la fin de sa vie,
s'était montré en nageur infatigable. Il y a là une volonté de démontrer
qu'on n'est pas seulement un esprit, mais une nature complète.

Revue des Deux Mondes - Est-il l'homme le plus riche d'Europe ?

Hélène Carrère ďEncausse Je n'en sais rien. Pour l'instant, tout


repose sur des rumeurs. Ce qui ne me paraît pas bon pour lui ni pour
la Russie d'aujourd'hui, c'est la place de l'argent. Les Russes ne sont
pas hypocrites. Ils considèrent la réussite comme une bonne chose. En
revanche, le matérialisme effréné ne fait pas partie du génie national
russe. Les oligarques n'avaient déjà pas bonne réputation. Et certains
grands hiérarques de l'Église, notamment le patriarche, ont une répu-
tation détestable de ce côté-là. Poutine risque d'en faire les frais.
Dmitri Medvedev n'avait peut-être pas la capacité de s'imposer
mais, aux yeux de beaucoup, il représentait l'alternative, un compro-
mis plus moderne. Cette apparence grossièrement matérialiste pour-
rait être le talon d'Achille de Poutine au moment de l'élection prési-
dentielle de 2018.

î. Hélène Carrère ďEncausse, les Romanov. Une dynastie sous le règne du sang, Fayard, 2013.

24 REVUE DES DEUX MONDES SE PTE M B R E 20 1 5

This content downloaded from


193.0.118.39 on Thu, 31 Dec 2020 13:12:00 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms

Vous aimerez peut-être aussi