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comme une «pièce détachée »3, dit Lacan. Il travers la somme des termes. Lacan
restait à prendre en compte le fait que «du envisagera les différentes formes. En ce qui
côté du vivant en tant qu'être pris dans la concerne la somme des termes des séries, il
parole (...), il n'y a d'accès à l'Autre du sexe explorera les deux possibilités. Cette
opposé que par la voie des pulsions dites répétition ouvre à une série. Estelle
partielles où le sujet cherche un objet qui convergente, est-elle divergente? Les deux
remplace cette perte de vie qui est la versants s'ouvrent par la répétition du lieu «
conséquence d'être sexué »4. Les signifiants extime » de a dans l'Autres. La somme
du sujet ont à être considérés dans leurs convergente des termes d'une série introduit
contextes d'emploi de «joui-sens» et à être la perspective d'une nomination par limite,
complétés de la valeur d'objet. SI doit se d'une forme complexe de capitonnage. Mais
compléter sur un autre versant de la valeur a fondamentalement, la série est divergente,
: (S l, a). infinie comme l'indique l'écriture du rapport
C'est cet usage du signifiant que J.A.
Miller a développé dans son cours «Ce qui
fait insigne ». Il n'est pas sûr que nous ayons
apprécié dans toute sa portée l'inscription de
l'insigne comme (SI, a).
Ce que cette «paire ordonnée » désigne, « comme fraction infinie »6. L'écriture de
ce n'est pas un «nom» qui vienne marquer l'inconscient comme pur trou ou droite infinie
une référence qui serait finale. Elle vient radicalise cette perspective.
plutôt désigner l'impossibilité qu'il y ait un À partir des années 70, les termes de
nom qui puisse faire référence radicale, d'un capiton disparaissent de la plume de Lacan
nom qui vienne nommer effectivement. Si et ceux qui viennent, auxquels Jacques-Alain
nous désignons comme «acte de parole» le Miller nous a rendus attentifs sont du registre
fait de nommer, alors, la perspective de de Encore, de l'événement de corps qui ne
l'insigne recouvre l'envers de ce que serait un vient pas se capitonner dans un signifiant.
«acte de parole » véritable. Une autre façon Depuis que nous nous sommes vus, une
de le dire pourrait être d'affirmer qu'il n'y a grande nouvelle, sur le plan du corpus du
pas de baptême de la jouissance possible. Il savoir sur le corps, a été annoncée: le
n'est pas sûr que dans l'usage qui est fait, déchiffrage précis du génome humain. Cette
dans nos publications, du terme de «nom de nouvelle a été annoncée selon une
jouissance », il soit tenu pleinement compte procédure signifiante qui mérite aussi notre
de cette opposition. attention. Ce fut révéler en même temps par
La perspective de l'insigne (SI, a) ouvre à deux journaux, «indépendants» comme l'on
dit, Science et Nature, les deux grandes
la répétition de la rencontre manquée. On
revues rivales de la publication scientifique.
peut la noter selon les structures de l'extimité
Chacun s'est fait l'écho d'une méthode
(S, S, S, S, a). Finira-t-elle par nommer en un
particulière de deux groupes. Pour la
nombre de répétitions limitées? On peut
première fois
poser la question soit en terme de graphe, de
circuit contraint (,,,) soit à
5 MILLER, J.-A., «Extimité », Cours 1985 -1986,
inédit
3 Ibid., p. 834. 6 cf CHARRAUD, N.. « Compte-rendu du Groupe
4 Ibid., p. 829. Psychanalyse et mathématiques",
Courrier du Champ freudien, septembre 2000 qui
coMmente dans une perspective différente les
références de Lacan au nombre d'or.
J.-A. MILLER, LE LIEU ET LE LIEN -Cours° 12 7/03/2001 -4
soit pas où l'impossibilité se démontre ». Il and Necessity est que les deux extrêmes
faut faire très attention car, très vite, vient à russelliens sont intenables: les noms
l'esprit la définition de Queneau sur la ordinaires ne sont ni des descriptions
pataphysique comme « science des définies, ni des noms logiques proprement
contingences nécessaires ». Elle résonne dit». Ils réfèrent sans pour autant le faire par
avec le dit de Lacan: « Ne surtout pas faire un acte de perception en dernière instance.
de la psychanalyse la science de l'objet a». La théorie de la description définie type «
Pour nous aider à nous orienter dans ce lien Socrate fut le maître de Platon» suppose en
du nom et de la faille qui ne cesse, fait que pour référer il faut reformuler la
intéressons-nous dans cette perspective à la phrase « il n'existe qu'une chose et une seule
« nouvelle théorie de la référence », comme qui soit exactement la description que l'on
l'appelle un livre Récent15, c’est-à-dire la donne ». Les seuls noms authentiques
théorie de la référence formulée par Kripke pour Russell, les « noms propres logiques»
en 1970. Ce livre reprend les circonstances proprement dit, ne sont que les « mots
de la genèse de la sémantique modale de logiques» « ceci » ou « cela ». Cette
Saul Kripke depuis la sémantique de Carnap théorie implique toujours à un moment un «
en passant par les réflexions sur la logique acte de perception directe » en dernière
modale de D. Follesdal et A. Smullyan [que instance.
J.-A. Miller nous a fait connaître dans les À l'opposé de cette théorie, faire des
années 70]. C'est un méchant livre où se noms un opérateur de référence authentique
débat un soi-disant plagiat de Kripke. Son (et non de description), en dehors des «
intérêt est de redonner le contexte d'une noms propres logiques », n'implique plus «
génération toute entière tournée vers le l'acte de perception directe ». Pour Neale, «
franchissement de l'interdit posé sur la Kripke suggéra que nos usages de " Socrate"
possibilité d'une logique modale qui tienne. désignent [refer] Socrate parce qu'elles
Kripke en est arrivé à penser que si quelque s'appuient sur une pratique authentifiée par
chose comme un nom pouvait fonctionner en une chaîne d'usages, culminant par un acte
logique modale, il fallait qu'il puisse échapper plus ou moins formel dans lequel Socrate est
aux inconvénients de la théorie de la « baptisé " Socrate" ». C'est ce qui fait que
description définie ». À partir d'une définition Kripke, contrairement à la logique positiviste
des « noms» en logique modale, comme « souhaite que des propositions soient
noms autorisant une substitution dans les nécessaires, bien qu'elles ne soient pas
contextes possibles ou « à travers tous les déclarées telles par sa logique seulement
mondes possibles », Kripke en est venu à (...)». En dernière analyse, il n'y a pas de
proposer une théorie nouvelle sur ce qu'on raison pour Kripke « qu'une affirmation ne
appelle un « nom » après Russell. Comme le soit pas à la fois empirique et nécessaire,
dit Stephen Nealel6, « Une des grandes avec une conception adéquate de la
contributions de Naming nécessité (...)». Cette conception d'un nom lié
à une première présentation puis à une
répétition, à un usage, donne une toute autre
conception que la conception naïve de «
l'usage », d'un nom lié à une intention
d'usage. Ce serait alors un langage réduit à
un signe/signal.
15 HUMPHREYS, P.-W., FETZER, J.-H., The New
Theory of Reference: Kripke, Marcus ans its origins,
Paul W. Humphreys and James H. Fetzer, editors,
2000.
16 NEALE, S., « No plagiarism here », TLS, 9 février
2001, pp 12-13.
" "
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Cette conception n'est pas si éloignée de
nom qui confirme bien que les systèmes de
celle que Lacan reprenait de LéviStrauss
parenté des sociétés complexes sont nos
dans son séminaire sur « l'Identification ».
systèmes juridiques.
Nous suivrons là les indications de lecture
Les noms, dans notre culture, sont pris
données dans la Conversation d'Arcachon.
dans un marché. Ils deviennent rares par
Dans La pensée sauvage, Lévi-Strauss
suppression d'un des noms lors du mariage.
critique les conceptions du nom propre qui le
Le patronyme a des conséquences funestes
séparent du nom commun avec une essence
sur l'autre nom. Un projet de loi touche à la
séparée. Si le nom propre est « hors sens
vieille prééminence du patronyme d'une part
», selon l'expression lacanienne, c'est
au nom de la rareté introduite artificiellement
qu'il est conçu comme limite du sens, de la
sur le marché des noms, d'autre part au nom
signification. «Les noms propres représentent
de la parité. La parité est une excellente
des quanta de signification au dessous
chose mais elle n'est là que le voile
duquel on ne fait plus rien que montrer ».
transparent du fait qu'il n'est maintenant nul
Comme le dit J.-A. Miller dans la
besoin du patronyme pour individuer. On peut
Conversation d'Arcachon, «Lévi-Strauss a
faire ce que l'on veut car le vrai nom de
une thèse très forte qui dit que le nom propre
chacun est son numéro de «sécurité sociale»
fait partie du système de classification et que
qui pourrait d'ailleurs être ainsi bien nommé «
finalement c'est un nom d'espèce [et non
d'insécurité sociale» quand on se rappelle
d'individu] »17.
qu'il a été mis au point par l'administration
II n'y a, dans cette nomination, que des
française dans une période funeste pour être
degrés différents de classification, d'espèces
bien sûr d'individuer chacun.
à plusieurs ou à un seul individu, mais
Du point de vue du marché, les noms
toujours d'espèces.
sont devenus rares aussi pour les entreprises
La fausse évidence qui sépare les noms
car tous les noms « descriptifs » sont déjà
propres des noms communs est liée à l'usage
pris. La naissance des nouvelles
actuel des systèmes de parenté dans une
technologies a multiplié les dot.coms et leur
société où la transmission du patrimoine est
nom de domaine.
individualisée. En un premier sens, l'effet nom
Des cabinets de consultant mettent au
propre est lié au Code civil. En un autre sens,
point des noms plus ou moins bizarres pour
c'est un effet du familialisme délirant. Un nom
les entreprises multinationales qui doivent, de
propre est un nom qui « individualise », qui
façon pratique, traverser toutes les langues.
ne vient « référer» qu'en tant qu'il désigne
Le grec et le latin, langues mortes ont
qu'une individualité a été atteinte de façon
l'avantage de ne plus se parler et sont
satisfaisante. Cette satisfaction peut varier
sollicitées. Thomson CSF devient Thalès,
selon les cultures, mais même si un nom
British Post Office Group devient Consignia
paraît être une description définie du type
PLC, ou encore Andersen Consulting devient
«taureau assis », il ne vient nommer de façon
Accenture. Un banquier résumait la situation
nécessaire qu'un seul individu de la société
de façon pragmatique. Alors que le nom de
en question. La facticité du système
Diageo avait été très critiqué, les bénéfices
d'individuation apparaît dès que l'on touche
de la société ont satisfait tout le monde et
au statut juridique du
donc le nom a été accepté. C'est exactement
ce que Lévi-Strauss aurait appelé un principe
2O Ibid.. p. p. 35
J.-A. MILLER, LE LIEU ET LE LIEN -Cours n°12 7/03/2001 -Il
La dimension du langage mise au jour par celles d'Etienne (Stephen), premier martyr
la nomination, une fois découverte par l'usage chrétien, et celle de Dedalus, Dédale, premier
du nom propre, s'avère contaminer les noms martyr du paganisme. Il en a tant fait qu'en un
d'espèces, les noms de substance et une sens toute la langue est devenue
bonne partie des noms communs. La symptomatifiée, hors sens, en exclusion
nomination fait apparaître un vide de interne.
description, un trou dans la dimension du Le fait que le nom propre « appelle
sens. Les noms font trou dans le sens et le toujours un complément» indique la place de
brochent en même temps. Ils viennent à la répétition. Le nom aura nommé, la chose
indiquer le lieu de la jouissance et de la reste soumise aux conséquences à venir. Le
défense du sujet contre elle. nom propre aussi, plus purement qu'un autre,
Le nom propre est plutôt la faille entre dépend de la chaîne de pratique qu'il instaure
deux noms, la trace du sujet entre deux et inaugure.
signifiants qui s'engouffre dans la faille. La Une analyse peut être décrite en termes
chaîne fictive s'élance dans ce J.-A. Miller a de « représentation logique où la longueur de
isolé comme «quelque chose dans le nom la pièce et le nombre d'actes dépendent de la
propre qui appelle toujours un complément satisfaction finale ». On peut la décrire en
»21. On peut le noter a, S2, selon le versant termes d'histoires successives comme l'a fait
où ]'on se tient. Dans la philosophie, Russell J.-A. Miller, ou en termes de noms. Ces actes
et son acte de désignation, ou Kripke et la de représentation logique ouvrent à la suite
chaîne des nominations, sont autant de de la résonance le long de la droite infinie.
façons d'apercevoir ce que Lacan énonce: « En ce sens un point de capiton doit lui
Depuis toujours, ça a été une invention qui aussi être marqué du temps. Non pas le
s'est diffiIsée à mesure de l'histoire, qu'il y ait temps logique que nous connaissons mais le
deux noms qui lui soient propres à ce sujet temps d'une autre topologie, celle qui se lie
»22, [Deux noms propres comme le fait que au «bouchage du trou par le trou » : la droite
pour un homme il y ait deux femmes]. infinie qu'est un trou résonne à travers les
Retrouvons notre fil. La dimension de la bords du trou du corps. Un point de capiton
référence ne cesse de se déplacer le long de ne tient que pour une certain temps. Alors on
la suite des noms notée (1 ou 1 +a) laquelle pourra dire que l'expérience de l'analyse '-
suite ouvre ainsi le ratage de la référence. J.- révèle successivement plusieurs noms.
A. Miller a décrit ce point comme une D'abord le nom de symptôme, puis le nom de
opération topologique: la chaîne du nom fantasme, puis le nom qui s'atteint dans la
propre rentre dans le trou qui s'est ouvert. « passe ou nom de sinthome puis la recherche
C'est un paradoxe: combler avec un trou ». de la conséquence du nom, se poursuit.
Joyce avait fait des trous dans la langue Elle ne cesse. La structure logique de chacun
anglaise suffisants pour y engouffrer toutes de ces noms est distincte. La logique du
les autres langues, symptôme n'est pas celle du fantasme qui
n'est pas celle du sinthome.
Je suis Poorjieli, je suis celui qui se
fascine pour la corne de la licorne qui n'est
21 MILLER, J.-A., Séminaire de Barcelone, Joyce pas à sa place, dont je reste idolâtre. Dans
avec Lacan », La Cause freudienne n°38, Paris., la passe, en traversant ce fantasme, j'aurais
Seuil, février 1998., p. 10. atteint le nom de mon
22 LACAN, J., « Joyce le sinthome » , séance du 10
février 1976, Ornicar? Di8, Paris, Seuil,
1976, p. 13.
J.-A. MILLER, LE LIEU ET LE LIEN -Cours n° 12 7/03/2001 -12
Le nœud borroméen est fait pour mettre
sinthome, J auraIs pu en tirer ses ça en évidence, puisque le symbolique c'est
conséquences. Mais cela n'a qu'un temps. La un rond qui joue sa partie de son côté, et le
répétition m'entraîne. Mon nom n'est pas réel de la sienne. C'est simplement pris dans
poordjeli ou Taureau assis ou Danse avec les un rapport qui est là en plus qu'ils sont
loups. Il n'est pas non plus «personne », ensemble tout en restant disjoints, c'est-à-
Capitaine Nemo ou pas... Je ne suis pas «non dire qu'ils ne sont pas deux à deux liés.
identifié ». Mon nom est Encore ou fuis-sens, Quand on disjoint, quand on va jusqu'au
dans la mesure où je poursuis la conversation bout de penser la disjonction du symbolique
avec le partenaire-symptôme, celui que je et du réel, la première question qui vient c'est
n'atteins qu'avec la pulsion partielle alors que celle de la nomination. Au nom de quoi se
je le vise par le signifiant que je lui adresse. permet-on, à partir du symbolique, d'identifier
Psychanalysants, psychanalystes, sujets des éléments dans le réel? A ce moment-là,
divisés, malheureux que nous sommes tous, ce n'est pas le problème du langage en
encore un effort dans le débrouillage du général, le problème du langage se rétrécit,
nœud. sa pointe c'est l'effet de nomination.
Jacques-Alain Miller: Il faut que je trouve Quels que soient les fondements que l'on
par où entrer dans ces [? ? ?], non pas mais il peut lui trouver, par exemple il y a des
y en a beaucoup. espèces naturelles, et qui se reproduisent,
Si j'essaye de faire un lien entre ton les cerisiers donnent des cerisiers, ils ne
exposé précédent et celui-ci, il me semble donnent pas des radis, donc il y aurait un
que dans le précédent des parties fondement qui fait que l'on peut justifier de
importantes qui rappelaient l'époque, l'époque donner des noms différents. Quelles que
sereine mais inventive, où l'axiome selon soient toutes ces raisons qu'on peut toujours
lequel il y a du symbolique dans le réel était le mettre en question par des hybrides et des
moteur de l'enseignement de Lacan. êtres divers, etc., quand on part de
C'est cette époque qui donne son accent l'hypothèse de la disjonction du symbolique
propre au recueil des Écrits où l'introduction et du réel, tout nom devient arbitraire, et donc
du ..Séminaire de La lettre volée, repose sur relève de l'acte, devient problématique.
l'axiome incroyable que le symbolique est Qu'est-ce qui fait croire que nous
dans le réel, fonctionne dans le réel. C'est sommes, nous, dans le réel, que les noms
même par là que Lacan résumait les Écrits ont l'air 1:1e marcher? Premièrement, c'est
quand ils ont été publiés, par la phrase l'efficacité de la nomination. Deuxièmement,
suivante: ..L'inconscient relève du logique c'est le commandement, c'est-à-dire on peut
pure, autrement dit du signifiant" 23. commander des choses à l'autre, et il les fait.
Il me semble qu'au contraire dans cet C'est un miracle. Donc, on a le sentiment
exposé-ci, c'est cet axiome du symbolique qu'en effet il y a communication du
dans le réel qui est mis en question comme il symbolique et du réel. Et puis, la plus grande
a été progressivement toujours davantage illusion de toutes c'est la science, avec
dans l'enseignement de Lacan, à savoir qu'il y laquelle on obtient des effets très profonds. Il
a une disjonction du symbolique et du réel. faut voir quel est le concept du réel que
Lacan élabore pour pouvoir dire, à cette
époque-là: . « En définitive la science c'est
futile ». C'est un de ces tours de
23 Quatrième de couverture des Écrits, édition de
prestidigitations qui n'implique pas du tout
1966.
que le symbolique soit dans le réel.
J.-A. MILLER, LE LIEU ET LE LIEN. Cours °12 7/03/2001 -13
C'est tellement choquant qu'on s'aperçoit toujours les symptômes comme particuliers,
qu'il faut bien sûr un concept tout à fait à partir du moment où nous reconnaissons,
spécial du réel pour pouvoir mettre en non pas les espèces naturelles, mais des
question la science comme réelle.
types de symptômes, mais ça joue le même
Un mot sur les noms tels que tu en as
rôle. Nous disons symptôme obsessionnel.,
parlés, en effet sur la distinction à faire entre
l'universel, le particulier et le singulier. symptôme hystérique, nous traitons les
L'universel, nous le représentons comme symptômes comme particuliers.
une classe d'éléments qui ont la même On pourrait dire que le singulier, et c'est
propriété. vers ça que je pointe ce texte de Lacan que
Le particulier, en effet, est corrélatif de tu as mentionné, "L'introduction à l'édition
l'universel. Cela consiste à ne prendre qu'une allemande des Écrits ", c'est au niveau du
partie de la classe toute. Cette partie peut sujet que se réintroduit le singulier, parce
aller jusqu'à l'un, on peut n'en prendre qu'un que même s'il y a des types de symptômes
seul. Un seul qui a cette propriété" tous les
qui sont identifiables, leur déchiffrage est à
hommes sont mortels ", et on prend Socrate,
chaque fois singulier, est à chaque fois
et on le prend au titre en effet qu'il fait partie
de la classe. A ce titre, on pourrait en prendre propre à un sujet. La façon dont. il le
un autre. Boèce n'est pas moins mortel que déchiffre ou il le dénoue, cette façon-là ne
Socrate. répond à aucun type.
On peut faire aller le particulier jusqu'au C'est pourquoi Freud peut dire: ..Oubliez
un, mais c'est un un en effet foncièrement tous les cas dont vous avez pu avoir
situable, comme tu l'as signalé. C'est un un connaissance quand un cas nouveau arrive
prélevé sur un universel. Donc, on ne ". Bien sûr qu'on n'oublie pas, mais
l'obtient jamais à cet égard que comme un c'est une façon de dire: ne confondez pas le
entre autres. particulier du symptôme sur fond d'universel
Alors que le singulier, c'est le un mais
et le singulier du sujet.
disjoint de l'universel, parce que, quand on
Évidemment, Lacan 'a traité cet exemple
prend Socrate. même dans l'unicité que lui
confère son nom de Socrate, il n'est jamais pont aux ânes de ..tous les hommes sont
que l'exemple de la propriété que partagent mortels Socrate est un homme Socrate est
les hommes. Il exemplifie une propriété mortel ", comme un refoulement opéré dans
universelle à la place des hommes. l'histoire de la logique.
Tandis que le singulier est disjoint de Puisque précisément Socrate il n'est pas
d'une classe toute, c'est-à-dire c'est le un qui mort en tant qu'il était mortel, il n'est pas
s'en va tout seul, c'est l'unique. En tant que mort en tant qu'un vivant qui finit par mourir.
disjoint, il ne fait pas partie d'un ensemble. Il n'est pas mort de vieillesse. Il est au
Donc, l'original.
contraire mort en tant que condamné, et
Je crois que c'est en tout cas ainsi que
précisément mort pour être tout à fait à part.
l'on peut aborder le terme de singulier, et de
remarquer que Lacan félicite Aristote d'en Il est mort pour ce que lui-même appelait
être resté au rapport de l'universel et du son atopie, qu'il était précisément lui sans
particulier, mais pas de l'individu absolu. lieu, c'est-à-dire qu'il est mort en tant que
Encore une fois, il y a du un dans le singulier, disons en tant qu'il ne ressemblait
particulier, mais c'est toujours un un supporté à personne.
par un universel. Lacan traite comme un refoulement qui
Nous utilisons volontiers le terme de s'est opéré dans l'histoire de la logique de
particulier, et nous avons laissé le terme de prendre précisément le nom propre de
singulier, précisément parce que dans la
Socrate pour l'inscrire comme particulier là
clinique nous traitons
où il a payé de sa vie sa singularité de sujet.
Là-dessus on peut ajouter que Lacan
traite comme le sort commun
J.-A. MILLER, LE LIEU ET LE LIEN -Cours°12 7/03/2001 -14
des mâles dans l'espèce de s'accommoder jouissance dans son caractère cynique est
bien du particulier, c'est-à-dire du statut d'être plus marquée du côté homme. C'est toujours
un entre autres, et de s'afficher avec des la même opposition du particulier et du
insignes, semblables, et de faire masse, de singulier qui est répercutée à travers ces
former volontiers des classes universelles. différentes formules.
Il insiste à sa façon, et parfois dans le Pourquoi c'est venu à Lacan comme une
mot d'esprit sur le fait que, aux femmes, bague aux doigts Kripke, le Naming and
convient le singulier. La thèse « La femme necessity, au début des années 70, dans
n'existe pas » se traduit par, « il n'y a pas son dernier enseignement? C'est parce que
d'universel des femmes », et par là même le Kripke a insisté sur le fait que le nom propre
trait du particulier ne leur est pas, au moins est en effet de l'ordre du singulier, alors
d'origine, attribué, mais bien la singularité. qu'on avait quand même toujours traité les
C'est le sens de 0' il Y a des femmes ". Les noms propre comme des noms communs.
hommes auront le particulier, les femmes C'est en tout cas ce que Kripke disait.
auront le singulier. Dès lors que l'on dit" un nom propre"
Selon les époques, Lacan a tiré des c'est l'abréviation d'un certain nombre de
théorèmes différents mais qui ont la même propriétés. On traite le nom propre comme
matrice comme support. À l'époque tout de un nom commun. La théorie de Bertrand
même plus machiste pour employer un terme Russell, à quoi Lacan s'était intéressé, mais
à peu près d'aujourd'hui -des années 50, pour essayer de la démantibuler un petit
étant donné la singularité féminine, Lacan peu., sa théorie du nom propre comme
n'hésitait pas du tout à emboîter le pas à description définie revient à ça, c'est-àdire
Lévi-Strauss et à expliquer que c'était le sort on définit un nom propre par une propriété,
des femmes d'entrer comme objet dans la c'est-à-dire on forme la classe de tous les
combinatoire des structures de la parenté. éléments qui sont l'auteur du roman
Traduction en psychanalyse: il faut à une Waverley -c'était l'exemple de l'article initial
femme assumer d'être l'objet du désir d'un de Russell en 1905 -, donc on forme la
homme. C'est-à-dire elle ne peut rentrer dans classe, être auteur de Waverley, et on
l'universel et elle ne peut fonctionner que par constate qu'il y a un seul élément qui répond
la médiation du désir d'un homme qui lui à cette propriété, qui est Walter Scott. On dit:
apportera précisément son inclusion dans un voilà ce qu'est le nom propre Walter Scott,
universel. ça désigne l'élément qui a cette propriété.
C'est écrit en toutes lettres encore dans Autrement dit, on nè-prend là le nom
les Écrits. L'autre version positive mais de la propre que comme se référant à un qui
même matrice logique, c'est de dire: chaque instancie, comme on dit, qui exemplifie une
femme doit inventer ce qu'est pour elle la propriété. Donc, on le traite foncièrement
féminité. Mais en continuant de souligner le comme un nom commun.
caractère essentiel qu'a pour une femme un L'apport de Kripke a été de dire: un nom
homme, le rapport à son amour et à son propre, c'est pas ça du tout. D'ailleurs,
désir est que cette place lui est beaucoup Walter Scott resterait Walter Scott même s'il
plus essentielle que la converse, que ça n'est n'avait pas écrit Waverley, parce qu'il a écrit
pour un homme. Pour une femme c'est par beaucoup d'autres romans.. Donc, à partir
ce biais de l'amour et du désir d'un homme du moment où on accepte de réfléchir sur ce
que s'établit plus volontiers le rapport à qu'il appelait les o. mondes possibles ", on
l'universel, alors que la fonction de la constate que le nom propre comme marque
jouissance est plus marquée, sa valeur est signifiante excède toutes les descriptions
plus marquée du côté homme. La qu'on peut en donner.
J.-A. MILLER, LE LIEU ET LE LIEN- Cours no l2 7/03/2001 -15