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Université Pierre & Marie Curie (Paris 6)

Licence de Mathématiques L3

Analyse Fonctionnelle

3M210

Année 2018–2019
2
Table des matières

1 Inégalités 5
1.1 Sur la théorie de Lebesgue de l’intégration . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
1.2 Inégalités à deux points sur R+ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
1.3 Inégalités de Hölder . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
1.4 Inégalité de Minkowski . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
1.5 Convexité et inégalité de Jensen . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12

2 Espaces vectoriels normés, espaces de Banach 15


2.1 Rappels sur les espaces vectoriels normés . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
2.1.1 Généralités, topologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
2.1.2 Applications linéaires continues . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
2.2 Espaces de Banach . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
2.3 Dualité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
2.4 Exemples . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
2.4.1 Les normes Lp . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
2.4.2 Espaces de suites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
2.4.3 Les espaces `np . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
2.4.4 L’espace (C([0, 1]), k · k∞ ) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29

3 Espaces Lp 31
3.1 Espace L p et espace Lp . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
3.2 Convergence dans Lp et convergence simple . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
3.3 Complétude des espaces Lp . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35

4 Espaces de Hilbert 37
4.1 Produit scalaire, espaces de Hilbert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
4.2 Orthogonalité, bases hilbertiennes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
4.3 Projection sur un sous-espace fermé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46
4.4 Dual d’un espace de Hilbert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
4.5 Exemple : base hilbertienne des exponentielles complexes et séries de Fou-
rier L2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49

5 Dualité Lp − Lq 53
5.1 Théorème de Radon–Nikodym . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53

3
TABLE DES MATIÈRES 4

5.2 Dualité Lp –Lq . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55

6 Régularité et théorèmes densité 59


6.1 Régularité de la mesure de Lebesgue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
6.2 Théorèmes de densité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61

7 Produit de convolution 63
7.1 Convolution de fonctions positives sur Rd . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
7.2 Convolution de mesures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
7.3 Convolution de fonctions boréliennes de signe quelconque . . . . . . . . . 66

8 Transformée de Fourier sur R 70


8.1 Définition et premières propriétés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70
8.2 Injectivité de la transformée de Fourier et formule d’inversion . . . . . . . 73
Chapitre 1

Inégalités

1.1 Sur la théorie de Lebesgue de l’intégration


Soit (X, A, µ) un espace mesuré et f une fonction
R mesurable sur X (à valeurs dans
R ∪ {+∞} ou C). Quand est-ce que l’expression f dµ a un sens ? Vous devez vous poser
systématiquement cette question, etR y répondre, avant de pouvoir écrire cette expression.
Il y a deux cas où l’on peut écrire f dµ, qu’il vous faut donc identifier : R
— Soit la fonction f est à valeurs réelles positives, et on peut toujours écrire f dµ,
qui peut éventuellement être égal à +∞. R
— Soit la fonction mesurable positive |f | a uneR intégrale finie, |f | dµ < +∞, c’est-
à-dire f est (X, µ)-intégrable. Dans ce cas, f dµ est un nombre fini, appartenant
à R ou C. R
Avant de pouvoir écrire f dµ, il faut justifier que l’on se trouve dans l’une des deux
situations ci-dessus. On peut bien sûr être dans les deux situations ci-dessus. En fait, il
y a aussi un troisième cas, celui des fonctions semi-intégrables. Pour une fonction réelle,
cela correspond au cas où l’une des parties positive ou négative est intégrable (ce qui
permet de donner un sens à l’intégrale, en écartant la forme indéterminée ∞ − ∞).
Pour ce cours, vous devez connaître tous les résultats fondamentaux de la théorie de
Lebesgue. En particulier :
— Les propriétés des tribus, la tribu borélienne sur R et sur Rn .
— mesure et tribu trace sur un ensemble Ω ⊂ A.
— La construction de l’intégrale pour une fonction positive ; le lemme fondamental
d’approximation par des fonctions étagées ; la construction de l’intégrale pour une
fonction à valeurs dans C.
— Le théorème de convergence monotone.
— Le théorème
R de convergence dominée,R dans sa forme
R forte, qui permet de garantir
que |fn − f | dµ → 0, et donc que fn dµ → f dµ.
— La construction de la tribu produit, de la mesure produit. Le théorème de Fubini.
— La mesure image et la formule de changement de variables sur Rn .
Exemple 1.1. On travaille avec la mesure de LebesgueR sur R+ . Soit f une fonction
+
borélienne localement intégrable sur R (c’est-à-dire [a,b] |f | < +∞ pour tout segment
[a, b] ⊂ R+ ).

5
CHAPITRE 1. INÉGALITÉS 6
R R
Quand a-t-on que [0,M ] f tend vers R+ f lorsque M → +∞ ?
R
La bonne question est plutôt : quand peut-t-on écrire R+ f ? La réponse à ces deux
questions est identique : R R
— Soit la fonction f est à valeurs réelles positives, et alors [0,M ] f → R+ f par
convergence monotone. R R
— Soit f est intégrable sur R+ , et alors [0,M ] f → R+ f par convergence dominée.

Dans le présent chapitre consacrés aux inégalités, il est suffisant de traiter seulement
le cas des fonctions positives. En pratique, on se ramène toujours à des fonctions ou des
nombres positifs en utilisant l’inégalité triangulaire.
Proposition 1.2. Soit (X, µ) un espace mesuré et f : X → K une fonction µ-intégrable.
On a alors Z Z
f dµ ≤ |f | dµ,

avec égalité si et seulement si il existe α0 ∈ C avec |α0 | = 1 tel que f = α0 |f | µ-presque-


partout.
Dans le cas d’une fonction réelle, il y a donc égalité si et seulement si f est presque-
partout positive, ou bien presque-partout négative.
Démonstration. Il y a plusieurs preuves possibles. On peut raisonner par dualité comme
suit. Pour w ∈ Cn , on a

|w| = max{<(wz) ; z ∈ C, |z| ≤ 1}.

Ainsi, il existe z0 ∈ C tel que


Z h Z  i Z
f dµ = < f (x) dµ(x) z0 = <(f (x)z0 ) dµ(x),

où l’on a utilisé la linéarité de l’intégrale. En réutilisant la formule ci-dessous (cette fois


juste l’inégalité), on conclut en écrivant que <(f (x)z0 ) ≤ |f (x)|.
En ce qui concerne la caractérisation des cas d’égalité, on va traiter le cas d’une
fonction à valeurs réelles ; le cas
Rcomplexe
sera fait en exercice. Soit f : X → R est une
R
fonction µ-intégrable telle que f dµ = |f | dµ. Quitte à changer f en −f , on peut

R
supposer que f dµ ≥ 0, ce qui implique que
Z
|f | − f ) dµ = 0.

Or la fonction |f | − f est positive, et donc elle doit être nulle µ-presque-partout.

Remarque 1.3 (Valeur +∞). En théorie de l’intégration, on autorise les fonction à


prendre la valeur +∞. Mais on peut toujours se ramener au cas où les fonctions ne
prennent que des valeurs finies. En effet, si f est une fonction mesurable de X dans
CHAPITRE 1. INÉGALITÉS 7
R
[0,
R +∞] alors soit f dµ = +∞, et alors il n’y a en général plus rien à dire, ou bien
f dµ < +∞, et dans ce cas,
µ({f = +∞}) = 0.
R
Ainsi, lorsque f dµ < +∞, alors pour toute fonction intégrable H positive ou intégrable
(et en particulier pour H = f ) on a
Z Z
H dµ = H dµ.
X {f <+∞}

Cela découle de propriétés des ensembles de mesure nulle.


Remarque 1.4 (Ensembles de mesure nulle). Si A est une partie mesurable de mesure
nulle, i.e. µ(A) = 0, alors si f est une fonction positive ou intégrable, on a
Z
f dµ = 0.
A

Cela est vrai même si f prend la valeur +∞. On pourrait dire que ça découle de la
convention 0 · +∞ = 0, ou mieux, de la convergence monotone ou dominée.

1.2 Inégalités à deux points sur R+


Si x, y ∈ R, on a |x − y|2 /2 ≥ 0, ce qui s’écrit aussi xy ≤ 21 x2 + 21 y 2 . On peut aussi
réecrire cela en disant que
√ 1 1
∀a, b ≥ 0, ab ≤ a + b
2 2
L’inégalité suivante, qui est à la base de la plupart des inégalités de ce chapitre, est une
version pour une combinaison plus générale. Elle exprime que le logarithme est concave.
Il peut être pratique d’autoriser la valeur +∞. Si besoin, on conviendra que 0·(+∞) =
0, ce qui est simplement une manière d’être cohérent avec le principe de convergence
monotone, puisque +∞ = limM →+∞ M , par exemple.
Proposition 1.5 (Inégalité arithmético-géométrique). Soit t ∈]0, 1[ et a, b ∈ [0, +∞] .
Alors
a1−t bt ≤ (1 − t)a + tb
avec, lorsque a et b sont finis, égalité si et seulement si b = a.
L’inégalité est aussi vraie, mais triviale, lorsque t = 0 ou t = 1.
Démonstration. Si a = 0 ou b = 0, l’inégalité est vraie, et il y a égalité si et seulement
si b = 0. Si a = +∞ ou b = ∞, l’inégalité est trivialement vraie. On peut donc supposer
0 < a, b < +∞. Introduisons la fonction C 1 sur ]0, +∞[ définie par

∀a > 0, f (a) = a1−t bt − (1 − t)a − tb.


CHAPITRE 1. INÉGALITÉS 8

h t i
On a f 0 (a) = (1−t)a−t bt −(1−t) = (1−t) ab −1 . Ainsi, f est (strictement) croissante
sur ]0, b] et (strictement) décroissante sur [b, +∞[, ce qui veut dire qu’elle atteint son
maximum en a = b. Or f (b) = 0 et donc f ≤ 0. La stricte monotonie assure que f ne
s’annule que en b.

Pour λ > 0, on peut multiplier a par λ1/(1−t) et b par 1/λ1/t et on obtient :


Lemme 1.6 (Inégalité arithmético-géométrique bis). Soit t ∈]0, 1[. Alors, pour a, b ∈
[0, +∞] et λ > 0 on a
1 b
a1−t bt ≤ (1 − t)λ 1−t a + t 1
λt
1
et, lorsque a et b sont finis, il y a égalité si et seulement si λ 1−t a = b1 .
λt
En particulier, si 0 < a, b < +∞, il y a égalité pour un certain λ > 0, ce qui peut se
résumer par :
   
1 b 1 b
inf (1 − t)λ 1−t a + t 1 = min (1 − t)λ 1−t a + t 1 = a1−t bt .
λ>0 λt λ>0 λt
 b t(1−t)
Démonstration. Il suffit donc de prendre λ := .
a

1
On préfère parfois introduire p = 1−t ∈]1, +∞[ et q = 1t ∈]1, +∞[, qui vérifient
1
p
+ 1q = 1 –on dit que ces nombres sont conjugués 1 –, et remplacer a par ap et b par bq ,
de sorte qu’on trouve :
1 1
Lemme 1.7 (Inégalité arithmético-géométrique bis bis). Soit p, q > 1 avec p
+ q
= 1.
Alors, pour a, b ∈ [0, +∞] et λ > 0 on a

ab ≤ λp ap /p + λ−q bq /q

et, lorsque a et b sont finis, il y a égalité si et seulement si λp ap = λ−q bq .


En particulier, si 0 < a, b < +∞, il y a égalité pour un certain λ > 0, ce qui peut se
résumer par :

inf λp ap /p + tλ−q bq /q = min λp ap /p + tλ−q bq /q = ab.


 
λ>0 λ>0

Sous cette dernière forme, l’inégalité arithmético-géométrique s’appelle aussi inéga-


lité d’Young. L’inégalité la plus simple et la plus classique (liée à Cauchy-Schwartz)
correspond à t = 1/2, c’est-à-dire p = q = 2.
1. par exemple p = q = 2 ou p = 1 et q = +∞ (ici non considéré)
CHAPITRE 1. INÉGALITÉS 9

1.3 Inégalités de Hölder


Dans cette section, (X, A, µ) est un espace mesuré quelconque.
Proposition 1.8 (Inégalité de Hölder). Soit f, g : X → [0, +∞] deux fonctions mesu-
rables positives et t ∈]0, 1[. Alors on a
Z Z 1−t  Z t
1−t t
f g dµ ≤ f dµ g dµ ,

avec égalité si f = g.
Remarque 1.9. Vous noterez que l’inégalité est bien homogène en f et g.
Remarque 1.10. Pour une fonction positive f et r > 0 on a
Z
f r dµ > 0 ⇐⇒ µ({f 6= 0}) = µ({x ∈ X ; f (x) 6= 0}) 6= 0,

ce qui veut dire qu’il existe A ∈ A, avec µ(A) 6= 0 tel que f > 0 sur A. On écrit aussi
"f 6≡ 0 µ-pp" qu’il faut comprendre comme "f n’est pas égale à une fonction nulle µ-pp".
Démonstration.
R D’abord, on remarque que l’inégalité devient
R une égalité lorsque f = g.
Si f dµ = +∞, il n’y a rien à montrer. De même, si f dµ = R 0 alors
R f = 0 µ-pp et
l’inégalité est triviale. Idem avec g. On supposera donc que 0 < f dµ, g dµ < +∞.
On va utiliser deux fois le Lemme 1.6. Tout d’abord, pour tout λ et tout x ∈ X on a
1 1
f (x)1−t g(x)t ≤ (1 − t)λ 1−t f (x) + tλ− t g(x)
et donc en intégrant on trouve que pour tout λ > 0,
Z Z Z
1 1
1−t t −
f g dµ ≤ (1 − t)λ 1−t f dµ + tλ t g dµ.

R R 1−t  R t
En prenant l’infimum sur les λ, ou trouve donc bien f 1−t g t dµ ≤ f dµ g dµ .

R R
Remarque 1.11. La preuve ci-dessous permet aussi d’établir que lorsque 0 < f dµ, g dµ <
+∞, il y a égalité si et seulement si il existe λ > 0 tel que g = λf µ-pp.
Il y a beaucoup de formulations équivalentes de l’inégalité de Hölder. Si vous préférez
les p, q, en voici une pour vous. On rappelle que p/q = p − 1.
1 1
Proposition 1.12 (Inégalité de Hölder). Soit p, q ∈]1, +∞[ tels que + = 1 et
p q
f, g : X → [0, +∞] deux fonctions mesurables positives sur X. Alors,
Z Z 1/p  Z 1/q
p
f g dµ ≤ f dµ g q dµ .

avec égalité lorsque g = f p−1 µ-pp (c’est-à-dire g q = f p µ-pp).


CHAPITRE 1. INÉGALITÉS 10

Démonstration. On applique la proposition précédente en remplaçant (1 − t) par p1 , et


donc t par 1q , et en l’appliquant à f p à la place de f et g q à la place de g.
R R
Remarque 1.13. On montre que lorsque 0 < f p dµ, g q dµ < +∞ il y a égalité si et
seulement si il existe λ > 0 tel que g q = λf p µ-pp (i.e. g = λ̃ f p−1 pour un λ̃ ≥ 0).
Le cas le plus rencontré est le cas p = q = 2, et l’inégalité s’appelle alors inégalité de
Cauchy-Schwartz.
Remarque 1.14. Le cas du couple p = 1 et q = ∞ est trivial et s’énonce comme suit :
si f, g sont deux fonctions mesurables positives sur X, alors
Z Z

f g dµ ≤ sup g f dµ.

De plus, il y a égalité si g est constante (au sens égale à une constante µ-pp). On peut
remplacer le supremum par le supremum essentiel (voir plus loin).
Remarque 1.15. Une conséquence de l’inégalité de Hölder est que si on se donne p, q ∈
1 1
]1, +∞[ avec + = 1 et f : X → [0, +∞] une fonction mesurable positive avec
R p p q
f dµ < +∞, alors
Z
 Z 1/p f g dµ Z
p
f dµ = sup  Z 1/q = sup
R
f g dµ.
g≥0 q g≥0, g q dµ≤1
g dµ
R
où les sup sont pris sur les fonction mesurables positives telles que 0 < gZq dµ < +∞).
f g dµ
De plus ce sup est atteint. En effet, l’inégalité de Hölder montre que  Z 1/q ≤
q
g dµ
R 1/p
f p dµ , et donc idem pour le sup sur g. On voit par ailleurs qu’il y a égalité si
g = f p−1 par exemple (si f est non nulle ; si f est nulle µ-pp, on prend n’importe que
g), ce qui donne à la fois l’égalité voulue, et le fait que le sup est atteint. La deuxième
inégalité découle par homogénéité.
On retrouvera une formule similaire lors de l’étude de la dualité Lp − Lq .
Les inégalités discrètes, pour des sommes (finies ou infinie) de réels positifs sont un
cas particulier qui correspond au cas (X, A) = (N, P(N)) ou (Z, P(Z)) et µ(A) = |A|, le
cardinal de A. On obtient donc : si (an )n et (bn )n sont des suites de réels positifs (indexés
pas N ou Z), et p, q ∈]1, +∞[ avec p1 + 1q = 1, alors
X X 1/p  X 1/q
an b n ≤ apn aqn
n n n
CHAPITRE 1. INÉGALITÉS 11

1.4 Inégalité de Minkowski


Comme précédemment, (X, A, µ) est un espace mesuré quelconque.
Proposition 1.16. Soit p ∈]1, +∞[. Si f, g : X → [0, +∞] sont deux fonctions mesu-
rables positives sur X, alors
Z 1/p  Z 1/p  Z 1/p
p p p
(f + g) dµ ≤ f dµ + g dµ

avec égalité si g = λf µ-pp, pour un certain λ ∈ R+ .


Démonstration. Soit q > 1 tel que p1 + 1q = 1. On rappelle que q(p − 1) = p. Si f et g
sont nulles µ-pp, il n’y a rien à montrer ; on supposera donc que ce n’est pas le cas. Idem
si l’une des intégrales de droite vaut +∞. On suppose donc les intégrales du terme de
droite sont finies et que l’intégrale du terme de gauche est non-nulle.
On a
∀a, b ∈ [0, +∞], (a + b)p ≤ 2p−1 (ap + bp ). (1.1)
On montrera cette inégalité plus loin. Cela permet de voir, en l’appliquant à a = f (x) et
b = g(x) et en intégrant sur X par rapport à dµ(x) que si les intégrales de droites sont
finies, l’intégrale de gauche aussi.
Alors, par le cas d’égalité (trivial) dans l’inégalité de Hölder, on sait qu’il existe H ≥ 0
tel que
Z 1/p Z Z
p
(f + g) dµ = (f + g)H dµ et H q dµ = 1.

1 p−1
De façon explicite H = R 1/q (f + g) sur X. On a donc,
(f + g)p dµ
Z 1/p Z Z Z 1/p Z 1/p
p p
(f + g) dµ = f H dµ + gH dµ ≤ 1 × f dµ +1× g p dµ ,

où l’on a utilisé deux fois l’inégalité de Hölder. Cela montre l’inégalité voulue.

Remarque 1.17. En utilisantR la caractérisation


R des cas d’égalité dans l’inégalité de
Hölder, on voit que lorsque 0 < f p dµ, g p dµ < +∞, alors il y a égalité si et seulement
si il existe λ > 0 tel que g = λf µ-pp.
Comme précédemment, il est intéressant de mentionner le cas discret. Étant donné
des suites de réels positifs (an ) et (bn ) indexées par N ou Z, et p ∈]1, +∞[, on a
X 1/p X 1/p X 1/p
(an + bn )p ≤ apn + bpn .
n n n
CHAPITRE 1. INÉGALITÉS 12

1.5 Convexité et inégalité de Jensen


Soit I un intervalle de R. Le cas le plus important, de loin, est celui où I = R.
On dit qu’une fonction f : I → R est convexe si pour tout x, y ∈ I et t ∈ [0, 1] on a

f ((1 − t)x + ty) ≤ (1 − t)f (x) + tf (y).

Par associativité du barycentre, cette propriété est équivalente à la forme plus générale
suivante : pour m ≥ 1, x1 , . . . , xm ∈ I et α1 , . . . , αm ∈ [0, 1] tels que α1 + . . . αm = 1,

f α1 x1 + . . . + αm xm ) ≤ α1 f (x1 ) + . . . + αm f (xm ).

Une fonction f est dite concave sur I si les inégalités précédentes ont lieu dans l’autre
sens, c’est-à-dire si −f est convexe sur I.
Si f est convexe sur I, alors on voit que pour tout s, t, u ∈ I
f (t) − f (s) f (u) − f (t)
s < t < u =⇒ ≤ . (1.2)
t−s u−t
En fait, la propriété (1.2) est équivalente à la convexité de f sur I. En effet, pour s, u ∈ I,
s < u, et t ∈]s, u[, introduisons r ∈ [0, 1] tel que

t = (1 − r)s + ru,
t−s u−t
à savoir r = u−s
et donc 1 − r = u−s
. On a alors

f (t) − f (s) f (u) − f (t)


≤ ⇔ [(u − t) + (t − s)] f (t) ≤ (u − t)f (s) + (t − s)f (u)
t−s u−t
⇔ f (t) ≤ (1 − r)f (s) + rf (u)

On peut tirer plusieurs propriétés intéressantes de l’inégalité (1.2).


Proposition 1.18. Soit f une fonction dérivable (en pratique C 1 ) sur un intervalle
ouvert I. Alors f est convexe sur I si et seulement si f 0 est croissante sur I.
En particulier, une fonction deux fois dérivable sur I est convexe sur I si et seulement
si f 00 ≥ 0 sur I.
Démonstration. Supposons d’abord que f convexe. Soit s, v ∈ I avec s < v. Alors pour
tout t, u ∈ I tels que s < t < u < v on a, en appliquant deux fois l’inégalité (1.2),
f (t) − f (s) f (u) − f (t) f (v) − f (u)
≤ ≤ . (1.3)
t−s u−t v−u
En faisant t → s+ et u → v − , on trouve donc que f 0 (s) ≤ f 0 (v).
Réciproquement, supposons f 0 est croissante, et soit x, y ∈ I, x < y, et z ∈]x, y[. Par
le théorème des accroissement finis, il existe α ∈ [x, z] tel que f (z) − f (x) = (z − x)f 0 (α)
et β ∈ [z, y] tel que f (y) − f (z) = (y − z)f 0 (β). Comme α ≤ β on a f 0 (α) ≤ f 0 (β), ce
qui donne la propriété (1.2) pour le triplet x < z < y.
CHAPITRE 1. INÉGALITÉS 13

Remarque 1.19. La propriété (1.2) sous la forme (1.3) montre qu’en tout point, f
admet une dérivée à gauche et une dérivée à droite, que ces dérivées sont croissantes, et
que fg0 ≤ fd0 en tout point.
Proposition 1.20. Soit f une fonction convexe sur un intervalle I. Alors en tout point
x0 de l’intérieur de I, il existe β0 ∈ R tel que

∀x ∈ I, f (x) ≥ f (x0 ) + β0 (x − x0 ).

Démonstration. Pour tout s, u ∈ I tel que s < x0 < u, on a


f (x0 ) − f (s) f (u) − f (x0 )
≤ .
x0 − s u − x0
f (x0 ) − f (s)
Notons β = sup . C’est un nombre fini, car la quantité est majorée par
s∈I,s<x0 x0 − s
n’importe quel f (u)−f
u−x0
(x0 )
avec u > x0 .
Pour x ∈ I, on a, lorsque x < x0 , f (x0 ) − f (x) ≤ β(x0 − x) par définition de β, et
lorsque x > x0 , β(x − x0 ) ≤ f (x) − f (x0 ) d’après l’inégalité ci-dessus (avec u = x).
Géométriquement, on a donc qu’en tout point x0 de l’intérieur de I, on peut trouver
une droite tangente au graphe de I en x0 , telle que f reste au dessus de cette droite.
Lorsque f est dérivable, on peut (et on doit) prendre β = f 0 (x0 ). Dans ce cas on a,

∀x ∈ I, f (x) ≥ f (x0 ) + f 0 (x0 )(x − x0 ).

Exemple 1.21. La fonction log est concave sur ]0, +∞[, en effet sa dérivée seconde vaut
log00 (x) = −1/x2 ≤ 0 pour tout x > 0. On a donc, pour tout a, b > 0,

log((1 − t)a + tb) ≥ (1 − t) log(a) + t log(b) = log(a1−t bt )

ce qui s’écrit encore, en prenant l’exponentielle (qui est croissante) : (1−t)a+tb ≥ a1−t bt .
Exemples de fonctions convexes sur R : x → |x| (inégalité triangulaire sur R), x → ex ,
x → x2 , et plus généralement x → |x|p , avec p > 1. Cet exemple permet de voir que pour
a+b p 1 p 1 p

a, b ≥ 0 on a 2 ≤ 2 a + 2 b , ce qui donne (1.1).
Théorème 1.22 (Inégalité de Jensen). Soit ϕ : I → R une fonction convexe sur un
intervalle I de R (en général I = R ou R+ ). Si µ est une probabilité sur un espace
mesurable
R R A ) et f une fonction µ-intégrable à valeurs dans un intervalle I, alors
(X,
X
f dµ ∈ I, X ϕ(f ) dµ existe dans ] − ∞, +∞] et
Z Z 
ϕ(f ) dµ ≥ ϕ f dµ .
X X

avec égalité si f est constante (i.e. si ∃c ∈ I tel que f ≡ c µ-pp)


CHAPITRE 1. INÉGALITÉS 14

Démonstration. Soient a := inf(I) ∈ R ∪ {−∞} et b := sup(I) ∈ R ∪ {+∞}, de sorte


que l’intérieur de I est ]a, b[. Ayant a ≤ f ≤ b, comme µ est une probabilité,
Z Z Z
a= a dµ ≤ f dµ ≤ b dµ = b,
X X X
R
donc m := X f dµ ∈ I. De plus, R dans l’éventualité où a ∈ I, si m = a, on doit avoir
f = a µ-pp, puisque f ≥ a et (f − a) dµ = 0, et alors l’inégalité à montrer devient
triviale. Même chose si m = b. On supposera donc dans la suite que m appartient à
l’intérieur de I.
Comme ϕ est convexe, il existe au moins une droite située en-dessous du graphe de
ϕ et passant par (m, ϕ(m)), d’équation y = β(x − m) + ϕ(m). Ceci se traduit par

ϕ(u) ≥ β(u − m) + ϕ(m) u ∈ I,

et donc pour tout x ∈ X,

ϕ ◦ f (x) ≥ β(f (x) − m) + ϕ(m).

La fonction ϕ ◦ f étant minorée par une fonction intégrable, elle admet une intégrale
(qui ne peut être égale à −∞) et
Z Z Z
ϕ ◦ f dµ ≥ β (f − m) dµ + ϕ(m) dµ = 0 + ϕ(m),
X X X

par linéarité (pour les fonctions µ-intégrables), et parce que µ est une probabilité.
Remarque 1.23. En général, il peut y avoir d’autres cas d’égalité que les fonctions
constantes.Par exemple, si ϕ est constante ou plus généralement, affine, il y a égalité
pour toute fonction f . Par contre, les fonctions constantes sont les seuls cas d’égalité
si ϕ est strictement convexe. La fonction ϕ est dite strictement convexe sur I si pour
s, t ∈ I, s 6= t et λ ∈]0, 1[, on a

ϕ((1 − λ)s + λt) < (1 − λ)ϕ(s) + λϕ(t).

Cela équivaut à dire que le graphe de ϕ ne contient pas de segment. En particulier, toute
tangente ne touche le graphe qu’en un seul point.
Chapitre 2

Espaces vectoriels normés et espaces de


Banach

2.1 Rappels sur les espaces vectoriels normés


2.1.1 Généralités, topologie
Les espaces vectoriels considérés sont des K-espaces vectoriels avec K = R ou C ⊃ R.
Si λ ∈ K, |λ| désignera la valeur absolue de λ si λ ∈ R, et plus généralement le module
de λ si λ ∈ C.
Étant donné un K-espace vectoriel, on dit qu’une fonction k · k de E dans R+ est une
norme si elle vérifie
i) Pour tout λ ∈ K et x ∈ E, kλ xk = |λ| kxk.
ii) Pour tout x, y ∈ E, on a kx + yk ≤ kxk + kyk.
iii) Si x ∈ E est tel que kxk = 0, alors x = 0.
Dans cette liste, on peut remplacer la condition ii) par la condition
ii’) k · k est une fonction convexe sur E.
Un espace vectoriel normé (E, k · k) est un K-espace vectoriel E muni d’une norme
k · k sur E.
Remarque 2.1. Il y a égalité dans l’inégalité triangulaire kx + yk ≤ kxk + kyk lorsque
x et y sont sur une même demi-droite partant de zéro, c’est-à-dire lorsque x = λy ou
y = λx avec λ ∈ R+ . Mais ce n’est pas toujours le seul cas d’égalité possible, comme on
peut s’en convaincre sur l’exemple de l’espace `n∞ (voir exercices).
Rappelons que la topologie usuelle d’un espace vectoriel normé est la topologie d’es-
pace métrique relative à la distance associée à la norme, à savoir

d(x, y) = k x − y k.

Notons en particulier que la fonction x → kxk est continue, car lipschitzienne, de (E, k·k)
dans R, puisque
∀x, y ∈ E, kxk − kyk ≤ kx − yk.

15
CHAPITRE 2. ESPACES VECTORIELS NORMÉS, ESPACES DE BANACH 16

Ainsi, on dira que la suite (un ) de (E, k · k) converge (on dit aussi (un ) converge dans
E), si il existe v ∈ E tel que
kun − vk → 0
lorsque n → +∞. Cela se quantifie donc de la manière suivante : pour tout ε > 0 il
existe N > 0, tel que, pour tout n ∈ N,

n ≥ N ⇒ kun − vk ≤ ε.

On dit alors que un tend vers v dans (Ek · k) et on écrit un → v dans (E, k · k) ou
lim un = v dans (E, k · k).
Voici une observation totalement évidente, qu’on utilise constamment.
Proposition 2.2. Si k · k est une norme sur un espace vectoriel E, et si F est un
sous-espace de E, alors k · k est aussi une norme sur F .
Deux normes équivalentes sur un espace E définissent des métriques équivalentes, et
donc la même topologie.
L’étude des K-espaces vectoriels normés de dimensions fini se ramène à l’étude de Kn
muni d’une norme via le choix d’une base.
Une application entre deux espaces métriques est une isométrie si elle préserve les
distances. Dans le cas d’une isométrie linéaire ϕ : E → F entre deux e.v.n., cela revient
à écrire que kϕ(x)kF = kxkE pour tout x dans E.
Proposition 2.3. Soit (E, k · kE ) un espace K-vectoriel de dimension finie. Alors E est
en bijection linéaire isométrique avec Kn muni d’une certaine norme k · k.
Démonstration. On se donne une base (1 , . . . , n ) de E et on introduit l’application
ϕ : Kn → E définie par
Xn
n
∀x ∈ K , ϕ(x) := xi i .
i=1

En d’autres termes, si on note (e1 , . . . , en ) la base canonique de Kn , l’application linéaire


ϕ est définie décrétant que ϕ(ei ) = i , pour i = 1, . . . , n. Par définition d’une base, on
sait que ϕ est un isomorphisme entre les K espaces vectoriels Kn et E. On introduit la
norme suivante sur Kn :
X n
∀x ∈ Kn , kxk := kϕ(x)kE = xi i .

E
i=1

Alors par construction ϕ devient une isométrie entre (Kn , k · k) et (E, k · kE ).

On rappelle aussi que


Proposition 2.4. Deux normes sur un espace vectoriel de dimension finie sont équiva-
lentes.
CHAPITRE 2. ESPACES VECTORIELS NORMÉS, ESPACES DE BANACH 17

En d’autres termes, si k · k0 et k · k1 sont deux normes sur un espace vectoriel de


dimension finie, alors il existe des constantes c, C > 0 tel que

∀x ∈ E, kxk0 ≤ kxk1 ≤ Ckxk0 .

Il peut être intéressant de connaître les meilleurs constantes dans ces inégalités.
Prenons une norme sur k · k sur Rn et notons Bk·k = {k · k k ≤ 1} la boule unité
correspondante. Soit Qn = [−1, 1]n ⊂ Rn le cube en dimension n, qui est la boule
unité pour la norme kxk∞ = max |xi |. Alors le résultat sur l’équivalence des normes en
dimension finie s’énonce (de manière équivalente) comme suit : il existe des constantes
c̃, C̃ > 0 tel que
c̃ Qn ⊂ Bk·k ⊂ C̃Qn .
Une conséquence de ce résultat est :
Proposition 2.5. Si (E, k · k) est un espace vectoriel normé de dimension finie, alors
sa boule unité BE = {k · kE ≤ 1} est compacte. Plus généralement, toute partie fermée
bornée de E est compacte.
Démonstration. Regardons le cas K = R et notons n = dim(E). Il suffit de regarder le
cas d’une norme quelconque k · k sur Rn , et l’observation précédente nous permet de voir
que BE = Bk·k est un sous-ensemble fermé de C̃Qn = [−C̃, C̃]n pour un certain C̃ > 0.
Or C̃Qn est compact (pour la topologie produit, mais donc aussi pour la topologie équi-
valente donnée par k · k). Une partie fermée bornée est incluse dans un certain multiple
de BE , et sera donc aussi compacte en tant que fermé dans un compact.
On montre réciproquement que si (E, k · kE ) est de dimension infinie, alors sa boule
unité BE n’est pas compacte.

2.1.2 Applications linéaires continues


Pour une application linéaire ϕ : E → F entre deux espaces vectoriels normés
(E, k · kE ) et (F, k · kF ) on a, en notant BE := {x ∈ E ; kxkE ≤ 1}, la boule unité
de E et SE = {x ∈ E, ; kxkE = 1} la sphère unité de E,
kϕ(x)kF kϕ(x)kF
sup = sup = sup kϕ(x)kF = sup kϕ(x)kF .
x∈E\{0} kxkE x∈BE kxkE x∈BE x∈SE

L’application linéaire ϕ est continue si et seulement si cette quantité est finie, et on la


note alors kϕkE→F . En d’autres termes, on retiendra que pour une application linéaire
ϕ : E → F entre deux espaces vectoriels normés on a l’équivalence entre les assertions
suivantes :
1. ϕ est continue
2. ϕ est bornée sur la boule unité de E
3. il existe une constante M ≥ 0 tel que

∀x ∈ E, kϕ(x)kF ≤ M kxkE ,
CHAPITRE 2. ESPACES VECTORIELS NORMÉS, ESPACES DE BANACH 18

kϕ(x)kF
et la meilleure constante M possible est alors kϕkE→F = sup = sup kϕ(x)kF .
x6=0 kxkE x∈BE

Proposition 2.6. La fonction k · kE→F définit à son tour une norme, appelée norme
d’opérateur, sur l’espace L(E, F ) des applications linéaires continues de (E, k · kE ) dans
(F, k · kF ).
Démonstration. Pour f ∈ L(E, F ), notons d’abord que si kf kE→F = 0, alors f (x) =
0 pour tout x 6= 0 (et aussi pour x = 0), et donc f est l’application nulle. D’autre
part, kλf kE→F = |λ|kf kE→F d’après la définition, pour tout λ ∈ K. Reste l’inégalité
triangulaire. Pour f, g ∈ L(E, F ) et pour tout x ∈ E on a

k(f + g)(x)kF = kf (x) + g(x)kF ≤ kf (x)kF + kg(x)kF ≤ kf kE→F + kgkE→F kxkE ,

et par conséquent kf + gkE→F ≤ kf kE→F + kgkE→F .

Dans le cas particulier où F = E, on a donc que k · kE→E est une norme sur L(E),
les endomorphismes continus de E. Dans le cas où E = Rn , muni d’une certaine norme
k · k, et où l’on identifie endomorphisme et matrice (à travers la base canonique de Rn ),
la norme k · kE→E s’appelle la norme matricielle subordonnée à k · k.
Un isomorphisme entre deux espaces vectoriels normés E et F est une application
linéaire continue de E dans F qui est bijective, et dont l’inverse est aussi continue. En
fait, un théorème classique d’analyse fonctionnelle dit que pour une application linéaire
continue bijective de E dans F , son inverse est automatiquement continu. Deux espaces
vectoriels normés sont dit isomorphes s’il existe un isomorphisme entre eux ; ils sont
isométriques s’il existe un isomorphisme entre eux qui préserve les normes. Dire que
deux normes k · k1 et k · k2 sur E sont équivalentes, c’est donc dire que l’identité Id :
(E, k · k1 ) → (E, k · k2 ) est un isomorphisme.
Remarquez qu’une isométrie linéaire ϕ : E → F entre deux espaces vectoriels normés
est toujours continue, de norme d’opérateur égale à 1. Si elle est surjective, alors c’est un
isomorphisme. On dit alors que E est F sont isométriques : on ne peut pas les distinguer
en tant qu’espaces vectoriels normés.

2.2 Espaces de Banach


Définition 2.7. Un espace vectoriel normé (E, k · k) est un espace de Banach s’il est
complet (pour la métrique associé à sa norme).
En d’autres termes, (E, k · k) est un espace de Banach si toute suite de Cauchy de
(E, k · k) est convergente.
Sur Kn , toute norme est équivalente à la norme kxk∞ = max |xi |, dont la métrique
est la métrique produit sur K × . . . × K. Pour cette métrique, Kn est complet (puisque
(K, |·|) est complet), et donc pour toute norme k·k sur Kn , on obtient un espace complet.
C’est-à-dire :
CHAPITRE 2. ESPACES VECTORIELS NORMÉS, ESPACES DE BANACH 19

Proposition 2.8. Tout K-espace vectoriel normé de dimension finie est un espace de
Banach.
En dimension infinie, on peut construire des exemples d’espaces vectoriels normés
qui ne sont pas des Banach en prenant des sous-espaces non fermés d’un espace vectoriel
normé (en général d’un Banach). Concrètement, on peut donner l’exemple suivant.
Exemple 2.9. Soit C l’espace des fonction continues sur [−1, 1] muni de la norme
kf k∞ = supx∈[−1,1] |f (x)|. On note C 1 le sous-espace formé des fonctions C 1 sur [−1, 1]
(on prend la dérivée à gauche et à droite sur les bords si on veut être précis). Considérons
la suite de fonctions (fn ) ⊂ C définie pour n ≥ 1 par
1
∀x ∈ [−1, 1], fn (x) = |x|1+ n .

On voit que fn est de classe C 1 . En effet, fn est C 1 sur [−1, 1] \ {0}, de dérivée fn0 (x) =
|x|1/n pour x ≥ 0 et l’opposé pour x ≤ 0 ; il faut seulement regarder ce qui se passe en 0,
mais comme f (x) = o(|x|), on voit que f est dérivable en 0 de dérivée égale à zéro, qui
est bien la limite commune des dérivées à gauche et à droite en 0. Ainsi, on a (fn ) ⊂ C 1 .
Par ailleurs si on introduit la fonction f (x) = |x|, on voit que pour f (0) = fn (0) et pour
x ∈ [−1, 1] \ {0},
log(|x|) log(|x|)  −|x| log(|x|) 1
|fn (x) − f (x) = |x| e n − 1 = |x| 1 − e n ≤ ≤ ,
n 2n
et donc
1
kfn − f k∞ ≤ ,
2n
ce qui veut implique que la suite fn converge dans C vers f . La suite (fn ) est donc une
suite de Cauchy de C 1 , mais elle n’a pas de limite dans C 1 ⊂ C, puisque sa limite dans
C vaut f qui n’appartient pas à C 1 . Ainsi, l’espace vectoriel normé (C 1 , k · k∞ ) n’est pas
complet.
Le caractère complet d’un espace vectoriel normé E permet de donner une condition
suffisante très pratique à la convergence des séries.POn rappelle qu’étant donné une suite
(xn ) de vecteur de (E, k · k), on dit que la série xn converge si la suite des sommes
+∞
X
PN 
partielles n=1 xn N converge dans E. Si c’est le cas, alors on note xn la limite des
n=0
sommes partielles. En d’autres termes, s’il existe x ∈ E tel que
XN
xn − x → 0 lorsque N → +∞,


n=1

xn converge dans E, et on note +∞


P P
alors on dit que la série n=0 xn := x. Il est bon de
+∞
X
rappeler ici que pour écrire xn il faut donc avoir montré avant que cela a bien un
n=0
sens.
CHAPITRE 2. ESPACES VECTORIELS NORMÉS, ESPACES DE BANACH 20

Définition 2.10. Étant donnéP une suite (xn ) de vecteurs d’un espace vectoriel normé
P k · k), on dit que la série
(E, xn est normalement convergente si la série positive
kxn k est convergente.
P
Il est beaucoup plus
P∞ facile d’étudier la série kxn k, qui est une série de réels positifs.
En effet, la quantité n=0 kxn k a toujours un sens, dans [0, +∞] et cette quantité est finie
quand la série converge. De plus, pour les séries positives, on dispose des théorèmes de
comparaisons, qui permettent de conclure à la convergence (ou divergence) de la série en
majorant (ou minorant) kxn k ou en donnant un équivalent. A priori, P on ne voit pas très
bien pourquoi
P il y aurait un lien entre la convergence de la série xn et la convergence
de la série kxn k, et pourtant :
Proposition 2.11. Si (E, k · k) est un espace de Banach, alors toute série de E norma-
lement convergente est convergente.
Plusieurs remarques s’imposent :
— Il s’agit d’une condition suffisante, mais pas nécessaire. Pour s’en persuader, on
P (−1)n
peut prendre l’exemple de la série n
sur l’espace de Banach (R, |·|) : c’est une
série convergente, mais pas normalement (dans ce cas, on dit plutôt absolument)
convergente.
+∞
X
— En cas de convergence normale, il n’y a aucun lien entre les sommes xn
n=0
+∞
X X+∞
et kxn k, si ce n’est l’inégalité obtenue par passage à la limite xn ≤

n=0 n=0
+∞
X
kxn k.
n=0
— La propriété est fausse sur un espace vectoriel normé non-complet. Pour avoir un
contre-exemple, il suffit de modifier légèrement l’exemple 2.9 en prenant gn (x) =
1
|x|1+ n2 . On peut se persuader que la série (gn+1 − gn ) est normalement conver-
P
gente pour k · k∞ , mais pas convergente dans C 1 puisque les sommes partielles (qui
valent gN − g1 ) convergent dans C vers g(x) = |x| − x2 qui n’est pas dans C 1 .
P
Démonstration.
P Soit xn une série normalement convergente. On introduit la suite
UN = n≤N xn . Notre but est de montrer que cette suite converge dans E lorsque
N → +∞. Comme E est complet, il suffit de montrer que cette suite est de Cauchy. Or
pour N ≥ 0 et p ≥ 1 on a, par l’inégalité triangulaire,
N +p N +p
X X
kUN +p − UN k = xn ≤ kxn k = VN +p − VN

n=N +1 n=N +1
P
en posant Vk = n≤k kxn k. Or la suite croissante (Vk ) est de Cauchy, car par hypothèse
convergente. En en déduite que la suite (UN ) est aussi de Cauchy.

En fait, cette propriété caractérise les espaces de Banach.


CHAPITRE 2. ESPACES VECTORIELS NORMÉS, ESPACES DE BANACH 21

Proposition 2.12. Soit (E, k · k) est un espace vectoriel normé qui possède la propriété
suivante : toute série de E normalement convergente est convergente. Alors E est un
espace de Banach.
Démonstration. Il faut montrer que (E, k · k) est complet. On se donne donc (xn ) une
suite de Cauchy de (E, k·k). Le fait d’être de Cauchy permet de construire une sous-suite
yk = xnk de cette suite qui vérifie
1
∀k ≥ 0, kyk+1 − yk k = kxnk+1 − xk k ≤ .
2k
P
La série (yk+1 − yk ) est donc normalement convergente, par théorème P 1 de comparaison
pour les séries
P positives (ici avec la série géométrique convergente 2k
). On en déduit
que la série (yk+1 − yk ) est convergente dans E, c’est-à-dire que ses sommes partielles
convergent dans E : il existe donc x ∈ E tel que
N
X
(yk+1 − yk ) → x dans (E, k · k), lorsque N → +∞,
k=0

Mais comme
N
X
∀N ≥ 0, (yk+1 − yk ) = yN +1 − y0 = xnN − xn0 ,
k=0

on en déduit que la suite (xnN )N est convergente dans E. Or une suite de Cauchy ne peut
avoir au plus qu’une valeur d’adhérence. Par conséquent, la suite (xn ) est convergente
dans E.
Proposition 2.13. Soit (E, k · kE ) et (F, k · kF ) deux espaces vectoriels normés. Si F
est un Banach, alors (L(E, F ), k · kE→F ) est aussi un Banach.
Démonstration. Soit (ψn ) une suite de Cauchy de (L(E, F ), k · kE→F ). Pour x0 ∈ E fixé,
la suite (ψn (x0 ) est une suite de Cauchy de F , puisque pour tous n, k ∈ N,
kψn (x0 ) − ψk (x0 )kF ≤ kx0 kk kψn − ψk kE→F .
Puisque F est complet, on en déduit que la suite (ψn (x0 )) converge dans F vers un certain
vecteur que l’on notera ψ(x0 ) ∈ F . En passant à la limite ponctuellement dans l’équation
ψn (λx + µy) = λψn (x) + µψn (y), on voit que l’application x → ψ(x) est
une application
linéaire de E dans F . Par l’inégalité (anti)-triangulaire kψn k − kψk k ≤ kψn − ψk k, on

voit que la suite (kψn kE→F ) est une de Cauchy de R donc convergente donc bornée, par
un certain M ≥ 0. En passant à la limite, pour x ∈ E fixé, dans
kψn (x)kE ≤ kψn kE→F kxkE ≤ M kxkE , ∀n ≥ 0,
on en déduit que ψ ∈ L(E, F ). Pour conclure que ψn tend vers ψ, donnons-nous un ε > 0
quelconque. Par le caractère de Cauchy, on sait qu’il existe un N ≥ 0 tel que
∀n ≥ N, ∀p ≥ 0, kψn+p − ψn kE→F ≤ ε,
CHAPITRE 2. ESPACES VECTORIELS NORMÉS, ESPACES DE BANACH 22

soit encore
∀n ≥ N, ∀p ≥ 0, ∀x ∈ E, kψn+p (x) − ψn (x)kF ≤ εkxkE .
Pour x ∈ E et n ≥ N fixés, on peut passer à la limite quand p → +∞ et on trouve
∀n ≥ N, ∀x ∈ E, kψ(x) − ψn (x)kF ≤ εkxkE .
soit encore
∀n ≥ N, kψ − ψn kE→F ≤ ε.
Cela montre bien que (ψn ) est convergente (de limite ψ) dans (L(E, F ), k · kE→F ).

Voici enfin un résultat essentiel dans l’analyse (dite spectrale) des applications li-
néaires, qui a de nombreuses applications dans l’étude des équations aux dérivées par-
tielle, par exemple.
Proposition 2.14. Soit (E, k · kE ) un espace de Banach, et u ∈ L(E) un endomor-
phisme continu de E tel que kukE→E < 1. Alors l’application IdE + u est un auto-
morphisme de E (i.e. c’est une application linéaire continue bijective de E dans E dont
l’inverse est aussi continu).
Démonstration. Pour simplifier les notations, on notera simplement k · k = k · kE→E la
norme d’opérateur sur L(E). On va montrer que IdE − u est un automorphisme (c’est
la même chose puisque kuk = k − uk). L’idée est de se souvenir que pour s ∈ [0, 1[, la
+∞
X 1
sn = = (1 − s)−1 . On
P n
série géométrique s converge et que sa somme vaut
n=1
1 − s
rappelle la notation un , définie par récurrence comme suit : u0 = IdE et un+1 = u ◦ un
(= un ◦ u). On vérifie facilement, d’après la définition de la norme d’opérateur (voir
exercices) que pour tout n ≥ 0, on a
kun k ≤ kukn .
Cela montre, par théorème de comparaison pour les séries positives, que comme P kuk ∈
[0, 1[, que la série (kun k)n≥0 est convergente. En d’autres termes, la série de E, un est
normalement convergente. Comme E est un Banach, L(E) l’est aussi, et par conséquent
+∞
X
un sa somme (qui est donc la
P n
la série u converge dans (L(E), k · k). Notons v =
n=0
limite dans L(E) des sommes partielles). On voit que pour N ≥ 1,
N
X N
X N
X +1
(1 − u) ◦ un = un − un = IdE − uN +1 .
n=0 n=0 n=1

Or uN +1 tend vers 0 dans L(E) lorsque N → +∞, puisque kuN +1 k ≤ kukN +1 → 0. On


a donc, en passant à la limite,
(1 − u) ◦ v = IdE .
On démontre de la même façon que v ◦ (1 − u) = IdE . Ainsi, 1 − u est bijective, et son
inverse est v, qui appartient bien à L(E).
CHAPITRE 2. ESPACES VECTORIELS NORMÉS, ESPACES DE BANACH 23

Terminons par un théorème d’extension utile (par exemple dans l’étude de la trans-
formée de Fourier).
Proposition 2.15 (Principe d’extension). Soit E, F deux espaces de Banach et H ⊂ E
un sous-espace dense de E (i.e. H = E). On se donne une application linéaire T : H → F
continue, c’est-à-dire : ∃C > 0 tel que pour tout h ∈ H on ait kT (h)kF ≤ CkhkE .
Alors on peut étendre T , de manière unique, en une application linéaire continue de
E dans F , c’est-à-dire il existe un (unique) T̃ ∈ L(E, F ) tel que T̃ = T sur H. De plus
on a kT̃ (x)kF ≤ CkxkE pour tout x ∈ E.
Démonstration. Soit x ∈ E. On sait qu’il existe une suite (xn ) ⊂ H tel que kxn − xk → 0
lorsque n → +∞. On voudrait poser

T̃ x = lim T xn .
n→+∞

Pour pouvoir faire cela, il faut éclaircir les deux points suivants :
— que cette limite existe bien ( !) dans F .
— que cette limite dépend seulement de x, et pas du choix de la suite (xn ) qui
approche x (il y a plusieurs suites de H qui tendent vers le même x).
Pour le premier point, on remarque que la suite (T (xn ))n est une suite de Cauchy de F .
En effet, pour n, m ≥ 0 on a

kT xn − T xm kF = kT (xn − xm )kF ≤ Ck xn − xm kE

et la suite (xn ) est une suite de Cauchy de E puisque c’est une suite convergente. Comme
F est complet, la suite (T (xn ))n est convergente, et on peut considérer sa limite dans F .
Pour le deuxième point, si (yn ) est une autre suite de H tendant vers x, on a

kT xn − T yn kF ≤ Ckxn − yn kE → 0

et donc (T (yn )) a nécessairement la même limite que (T (xn )).


Une fois qu’on a montré que, pour tout x ∈ E, cette limite avait un sens et était
commune à toute suite de H approchant x, les autres propriétés sont faciles à vérifier.
Tout d’abord T̃ = T sur H puisqu’on peut prendre une suite constante égale à x si
x ∈ H. Ensuite T̃ est bien linéaire, puisque que si (xn )n ⊂ H approche x et si (yn )n ⊂ H
approche y, alors (λxn + µyn )n ⊂ H approche λx + µy et T (λxn + µyn ) = λT (xn ) +
µT (yn ) → λT̃ (x) + µT̃ (y). Enfin, par continuité des normes, en passant à la limite dans
kT (xn )kF ≤ Ckxn kE on voit que pour tout x ∈ E, on a

kT̃ (x)kF ≤ CkxkE .

Ainsi, T̃ est bien continue sur E.


L’unicité de l’extension est facile. C’est un principe général : deux applications conti-
nues qui coïncident sur une partie dense d’un espace métrique coïncident sur tout l’es-
pace. Ecrivez l’argument vous-mêmes.
CHAPITRE 2. ESPACES VECTORIELS NORMÉS, ESPACES DE BANACH 24

2.3 Dualité
Soit (E, k · k) un espace vectoriel normé. L’espace L(E, K) des formes K-linéaires
continues sur E s’appelle le dual (topologique) de E, et on le note E ∗ . La norme d’opé-
rateur correspondante est appelée la norme duale. Si on la note k · k∗ , c’est donc la norme
sur E ∗ définie par
|`(x)|
∀` ∈ E ∗ , k`k∗ := sup |`(x)| = sup .
x∈E, kxk≤1 x∈E\{0} kxk

Par définition, on a donc |`(x)| ≤ k`k∗ kxk pour tout (`, x) ∈ E ∗ × E. D’après la propo-
sition 2.13 on a :
Proposition 2.16. L’espace vectoriel normé (E ∗ , k · k∗ ) est un Banach.
Remarque 2.17. Dans le cas où K = R, on peut aussi écrire, pour ` ∈ E ∗ ,
`(x)
k`k∗ = sup `(x) = sup .
x∈E, kxk≤1 x∈E\{0} kxk

En effet, l’ensemble {`(x) ; x ∈ E, kxk ≤ 1} est un sous-ensemble de R symétrique par


rapport à l’origine, puisque pour x ∈ R on a `(−x) = −`(x) et k − xk = kxk.
Dans le cas où K = C, on peut aussi écrire, pour ` ∈ E ∗ ,
<(`(x))
k`k∗ = sup <(`(x)) = sup .
x∈E, kxk≤1 x∈E\{0} kxk

En effet, l’ensemble {`(x) ; x ∈ E, kxk ≤ 1} est un sous-ensemble de C invariant par


rotations, puisque, pour x ∈ E et θ ∈ R, on a `(eiθ x) = eiθ `(x) et keiθ xk = kxk.
Notation. Pour ` ∈ E ∗ et x ∈ E, on introduit la notation

h`, xi := `(x).

Cela revient à écrire ` = h`, ·i. L’idée est de cette notation, plus symétrique, est de voir
les éléments de E ∗ comme des vecteurs, plutôt que comme des formes linéaires. Pour un
` ∈ E ∗ , la forme linéaire correspondante est notée h`, ·i. On voit alors que h·, ·i définit
une forme bilinéaire, continue, sur E × E ∗ , appelée crochet de dualité, qui vérifie

∀(`, x) ∈ E ∗ × E, |h`, xi| ≤ k`k∗ kxk.

Le noyau d’une forme linéaire (non-nulle) est toujours un hyperplan, c’est-à-dire un


sous-espace de co-dimension 1. En effet, soit ` : E → K une forme linéaire non-nulle. Il
existe donc x0 ∈ E tel que `(x0 ) 6= 0. Si on note H = ker(`), alors x0 ∈
/ H et donc Kx0
et H sont en somme directe : Kx0 ⊕ H ⊂ E. Mais pour tout x ∈ E, on peut écrire
`(x) `(x)
x= x0 + (x − x0 )
`(x0 ) `(x0 )
CHAPITRE 2. ESPACES VECTORIELS NORMÉS, ESPACES DE BANACH 25

`(x)

et ` x − x
`(x0 ) 0
= 0. Par conséquent, on a Kx0 + H = E et donc

E = Kx0 ⊕ ker(`).

Ci-dessus, nous avons seulement parlé de forme linéaire au sens algébrique, sans parler de
continuité. On peut montrer qu’une forme linéaire sur E est continue si et seulement si
son noyau est fermé. Mais dans la pratique, nous travaillerons avec E espace de Banach.
Or sur un Banach, toutes les formes linéaires que vous rencontrerez seront continues.
Pour construire une forme linéaire non-continue sur un Banach, il faut utiliser l’axiome
du choix.
En dimension finie, toutes les formes linéaires sont continues et de plus, E et son dual

E sont de même dimension, puisque dim(L(E, R)) = 1 × dim(E).
On a vu qu’on peut toujours se ramener à E = (Kn , k · k). Pour décrire le dual, on
peut utiliser le produit scalaire comme crochet de dualité. Pour x, y ∈ Kn , posons
n
X
hx, yi := x · y := xk y k .
k=1

Sur Rn , la barre conjugaison est inutile, bien sûr. Alors toute forme linéaire sur Kn est
de la forme
x → hx, y0 i,
pour un certain y0 ∈ Kn . Comme cela on peut identifier le dual de Kn à Kn . Reste à
identifier la norme duale. Si k · k est une norme sur Kn , la norme duale est donc

kyk∗ = sup |hx, yi| = sup |x · y| = sup <(x · y).


kxk≤1 kxk≤1 kxk≤1

2.4 Exemples
2.4.1 Les normes Lp
Les exemples les plus importants dans ce cours seront les espaces Lp (µ) associés à un
espace mesuré (X, µ), que nous verrons au prochain chapitre.
On peut déjà en donner une idée en regardant l’espace vectoriel C([a, b]) des fonctions
continues (à valeur dans C ou dans R) sur un intervalle [a, b]. Pour simplifier les notations,
on va prendre [a, b] = [0, 1] et on notera C = C([0, 1]). Alors, pour p ∈ [1, +∞[, on peut
définir une norme k · kp sur C en posant, pour f ∈ C,
Z 1/p
kf kp := |f |p .
[0,1]

Ici on intègre implicitement par rapport à la mesure de Lebesgue sur [0, 1] ⊂ R. On


vérifie que c’est bien un norme. L’homogénéité est immédiate, et si kf kp = 0, alors la
fonction positive |f |p doit être nulle presque partout, mais comme elle est continue, cela
veut dire que f = 0 sur [0, 1]. Reste à vérifier l’inégalité triangulaire.
CHAPITRE 2. ESPACES VECTORIELS NORMÉS, ESPACES DE BANACH 26

Pour p = 1, il suffit d’intégrer l’inégalité |f + g| ≤ |f | + |g|. Pour p > 1, on combine


cette inégalité avec l’inégalité de Minkowski : pour f, g ∈ C on a
Z 1/p  Z p 1/p 
Z 1/p  Z 1/p
p p
|f + g| ≤ |f | + |g| ≤ |f | + |g|p .
[0,1] [0,1] [0,1] [0,1]

Ainsi, (C, k · kp ) est un espace vectoriel normé. Mais on peut montrer que ce n’est pas
un espace de Banach. En fait, le plus petit espace de Banach contenant (C, k · kp ) est
justement l’espace (Lp ([0, 1]), k · kp ) que l’on verra plus loin.

2.4.2 Espaces de suites


On considère les suites d’éléments de K indexées par N ou Z, que l’on note KN et KZ .
On a donc quatre espaces possibles : RN , RZ , CN , CZ . Les espaces les plus utilisés sont
RN (suites de réelles) et CZ , que l’on P rencontrera dans l’étude des séries de Fourier. P On
rappelle
P que la série d’éléments de K, a
n∈Z n est convergente si les deux séries n≥0 an
et n≤0 an sont convergentes.
Sur N ou Z P on peut prendre la mesure de comptage notée m. La convergence de la
série (positive) |ak | équivaut à l’intégralité de la fonction n → an . Si cela a lieu, on
dit que la famille/suite (an ) est sommable.
Il est important de remarquerP que, P comme pour l’intégrale, si on travaille avec des
suites positives, les quantités N an ou Z an ont toujours un sens : c’est un réel positif
(si la famille est sommable) ou bien +∞. De plus, peu importe la manière dont on
somme,
P en vertu de théorème de convergence monotone. En particulier, la série PNpositive
Z an sera convergente si et seulement si les sommes partielles symétriques n=−N an
ont une limite, par exemple.
Dans le cas de suites de signe quelconque ou complexe, P indexée par N ou Z, la
sommabilité se réduit donc à l’étude de la série positive |an |.
Désignons pas I l’ensemble d’indices N ou Z. Pour p ∈ [1, +∞) on peut introduire,
pour a = (an ) ∈ KI ,
X 1/p
p
kakp := k(an )kp := |an | ∈ [0, +∞],
n∈I

et pour p = +∞ , kak∞ := k(an )k∞ = supn∈I |an |. Alors, pour p ∈ [1, +∞], on introduit
l’ensemble
I
`Kp (I) := {a ∈ K ; kakp < +∞}.
p
P
Ainsi, dire que (ak ) ∈ `K p (I) c’est dire que la série I |ak | est convergente et poser
P 1/p
p
k(ak )kp := n∈I |an | .
p (I) est un K-espace vectoriel et k · kp est une norme sur cet espace. C’est
On voit que `K
une conséquence de l’inégalité de Minkowski. OK ? Nous verrons au prochain chapitre
un résultat plus général. En particulier, nous verrons que `K p (I) est un espace de Banach,
et nous verrons aussi plus tard que le dual de `p (I), pour p ∈ [1, +∞[ est l’espace `K
K
q (I)
1 1
avec q ∈]1, +∞] donné par p + q = 1.
CHAPITRE 2. ESPACES VECTORIELS NORMÉS, ESPACES DE BANACH 27

Quand il n’y a pas d’ambiguité sur K et I, on écrit simplement `p .


Maintenant, une observation simple qui perturbe un peu la première fois qu’on la
voit. Notons, pour k ∈ I = N ou Z, ek la suite définie par

∀i ∈ I, (ek )i = δik .

On voit que ek est dans tous les `p , p ∈ [0, +∞]. La famille des vecteurs (ek ) est spéciale.
On a bien sûr que pour toute partie finie A ∈ I, si on se donne des scalaires xk ∈ R ou
C pour k ∈ A on a X
xk ek ∈ `p .
k∈A

On voit alors que, lorsque p < +∞, pour toute suite x = (xk )k∈I on a
X
(xk ) ∈ `p ⇐⇒ la série xk ek converge dans `p .

Attention, à droite on a une série de vecteurs, et à gauche, dans la définition, une série de
réels
P positifs. De plus, lorsque (xk ) est dans `p , on sait que la somme de série convergente
xk ek est x, ce qui s’écrit X
x= xk e k .
k∈I

On dit qu’on a décomposé x dans la "base canonique" ek . Attention, cette formule est
dangereuse, car on pourrait oublier qu’elle contient une limite, qui est définie au sens de
(`p , k · kp ). Or c’est le point le plus important ! Pour le dire autrement, par exemple dans
le cas où I = N, on a que pour x = (xk ) ∈ `p , introduisons, pour n ≥ 0,
n
X
Sn (x) := xk e k ,
k=0

qui est donc un vecteur défini comme une somme de vecteurs, et qui vérifie Sn (x) =
(x0 , x1 , . . . , xn , 0, 0, . . .). Alors ce qu’on vient de dire plus haut est que la suite (Sn (x))n
de vecteurs de `p converge vers x dans `p , ce qui ce voit en remarquant que

 X 1/p
kx − Sn (x)kp = |xk |p →0
k=n+1

lorsque n → +∞, puisque le reste d’une série convergente tend vers 0.


On remarquera que cette observation est FAUSSE lorsque p = ∞, comme on peut
s’en persuader en prenant x = (1, 1, 1, . . .) ∈ `∞ . L’espace `∞ est l’espace des suites
bornées, muni de la norme du sup, et cela ne s’exprime plus en terme de séries.
Remarque 2.18. La famille (ek ) ne forme pas une base de `p au sens algébrique (heu-
reusement, pourrait-on-dire, car en analyse les base algébriques ne servent à rien).
CHAPITRE 2. ESPACES VECTORIELS NORMÉS, ESPACES DE BANACH 28

2.4.3 Les espaces `np


Pour p ∈ [1, +∞[, on peut définit
n
X 1/p
n p
∀x ∈ K , k x kp := |xk | .
k=1

Pour p = +∞, on pose kxk∞ = max |xk |. On pourra vérifier à titre d’exercice que pour
k≤n
tout x ∈ Kn , on a : lim kxkp = kxk∞ .
p→+∞

Fait 2.19. Pour tout p ∈ [1, +∞], k · kp définit une norme sur Kn .
Démonstration. Le seul point qui demande du travail est l’inégalité triangulaire. Comme
d’habitude, on se ramène à des nombres positifs par l’inégalité triangulaire
|xk + yk | ≤ |xk | + |yk |.
Et alors l’inégalité triangulaire se ramène directement de l’inégalité de Minkowski vue
au chapitre précédent
On note `np = (Kn , k · kp ) l’espace vectoriel correspondant (en fait, cette notation est
plutôt réservée au cas où K = R ; dans le cas où K = C, on rajoute un indice C quelque
part pour le distinguer de l’espace réel).
On peut sans trop de difficulté identifier le dual de `np .
1 1
Proposition 2.20. Pour p ∈ [1, +∞], le dual de `np est `nq où p
+ q
= 1.
Démonstration. On sait que le dual algébrique est encore Kn si l’on utilise l’identification
donnée par le produit scalaire hx, yi = x · y. La seule question est donc d’identifier la
norme duale, que l’on note k · k sur Kn , qui est donc donnée par
kyk = sup |hx, yi|.
kxkp ≤1

L’inégalité de Hölder nous dit que pour tout x, y ∈ Kn on a


|hx, yi| ≤ kxkp kykq ,
et donc kyk ≤ kykq . Lorsque p ∈]1, +∞[, on a vu que pour un y donné non-nul, on
peut trouver un x non-nul pour lequel il y a égalité dans l’inégalité de Hölder (voir les
x
exercices pour le détail de l’argument), ce qui veut dire que si on prend kxkp
dans le sup,
on aura kyk ≥ kykq , ce qui montre que k · k = k · kq . Le cas p = 1, q = ∞ se traite
facilement.

Remarque 2.21. Pour une bonne part, le résultat général qu’on verra plus tard, à
savoir que le dual de Lp est Lq (ici pour p ∈ [1, +∞[), aura la même démonstration.
Pour trouver la norme duale, on utilisera l’inégalité de Hölder et un cas d’égalité dans
l’inégalité de Hölder. La difficulté sera cependant d’identifier l’espace dual, chose qui, en
dimension finie, ne posait pas de problème puisqu’on savait que c’était Kn .
CHAPITRE 2. ESPACES VECTORIELS NORMÉS, ESPACES DE BANACH 29

2.4.4 L’espace (C([0, 1]), k · k∞ )


On regarde le cas p = +∞ du premier exemple ci-dessus.
Pour toute fonction (bornée) f sur [0, 1], à valeurs dans R ou C, on peut introduire
kf k∞ := supx∈[0,1] |f (x)|. Il est facile 1 de vérifier qu’il s’agit d’une norme sur l’espace
vectoriel des fonctions bornées sur [0, 1]. Cette norme est appelée, logiquement, "norme de
la convergence uniforme" puisque kf −fn k∞ → 0 veut dire que fn converge uniformément
vers f sur [0, 1].
Notons C([0, 1]) le sous-espace formé des fonctions continues (c’est bien un sous-espace
par les théorèmes d’opération sur les fonctions continues).
Proposition 2.22. L’espace (C([0, 1]), k · k∞ ) est un Banach.
Démonstration. Soit (fn ) une suite de Cauchy de (C([0, 1]), k · k∞ ). Pour chaque x ∈ [0, 1]
fixé, la suite de scalaires (fn (x))n ∈ KN est aussi une suite de Cauchy, puisque
|fn (x) − fm (x)| ≤ kfn − fm k∞ .
Par conséquent, cette suite converge. On note f (x) ∈ K sa limite, et f la fonction ainsi
construite, qui est donc la limite simple (on dit aussi ponctuelle) de la suite fn . On peut
noter que f est bornée. En effet, la suite (fn ) est bornée dans (C([0, 1]), k · k∞ ) puisque
de Cauchy : il existe C > 0 tel que kfn k∞ ≤ C pour tout n ≥ 0. On a donc, pour tout
x ∈ [0, 1] et tout n ≥ 0, |fn (x)| ≤ C et par passage à la limite, |f (x)| ≤ C pour tout
x ∈ [0, 1].
On va montrer que kf − fn k∞ → 0, puis que f est continue, ce qui achèvera la
démonstration.
Soit  > 0. Par définition du caractère de Cauchy et de la norme k · k∞ , il existe un
rang N ≥ 0 tel que, si
∀n, m ≥ N, ∀x ∈ [0, 1], |fm (x) − fn (x)| ≤ .
Les ∀ commutent : pour x fixé, en faisant tendre m vers +∞, on déduit que
∀n ≥ N, ∀x ∈ [0, 1], |f (x) − fn (x)| ≤ ,
c’est-à-dire kf − fn k∞ ≤  dès que n ≥ N . On a donc montré que kf − fn k∞ → 0. Par
ailleurs, on sait qu’une limite uniforme d’une suite de fonctions continues est continue.
Ainsi f est continue, et on a fn → f dans (C([0, 1]), k · k∞ )
L’étude du dual de (C([0, 1]), k · k∞ ) est intéressante et délicate. On peut déjà faire
l’observation suivante.
Proposition 2.23. Soit µ une mesure borélienne finie sur [0, 1]. Alors l’application
Lµ : C([0, 1]) → K donnée par
Z
∀f ∈ C([0, 1]), Lµ (f ) := f dµ
[0,1]

est une forme linéaire continue sur (C([0, 1]), k · k∞ ), et sa norme vaut µ([0, 1]).
1. Ici "facile" veut dire : faites-le.
CHAPITRE 2. ESPACES VECTORIELS NORMÉS, ESPACES DE BANACH 30

Démonstration. Notons d’abord que toute fonction continue est µ-intégrable, car µ étant
finie, toute fonction borélienne bornée est µ-intégrable. Ainsi Lµ est bien définie, et la
linéarité de Lµ découle de la linéarité de l’intégrale sur les fonctions µ-intégrables. Par
ailleurs, on a
Z
∀f ∈ C([0, 1]), |Lµ (f )| ≤ |f | dµ ≤ µ([0, 1])kf k∞ .
[0,1]

On en tire que Lµ est bien continue, et que si on note k·k la norme duale sur (C([0, 1]), k · k∞ )∗ ,
on a kLµ k ≤ µ([0, 1]). Mais si on prend f ≡ 1, on a kf k∞ = 1 et Lµ (f ) = µ([0, 1]). On a
donc bien kLµ k = µ([0, 1]).
Chapitre 3

Espaces Lp

Dans tout ce chapitre, (X, A, µ) désigne un espace mesuré quelconque.

3.1 Espace L p et espace Lp


Si f est une fonction mesurable à valeurs dans K = R ou C, on note, pour p ∈ [1, +∞[
Z  p1
k f kp := | f |p dµ ,
E

qu’on appelle 1 norme L p de f , et lorsque p = ∞,


k f k∞ := inf{a > 0 ; µ({| f | ≥ a}) = 0},
qu’on appelle 2 supremum essentiel de f .
Définition 3.1 ( p ∈ [1, +∞[ ). On note L p (E, A , µ), ou L p (µ), l’ensemble de toutes
les fonctions mesurables à valeurs dans ans K = R ou C telles que | f |p est µ-intégrable,
i.e. telles que kf kp < +∞.
Définition 3.2 ( p = ∞ ). On note L ∞ (E, A , µ), ou L ∞ (µ), l’ensemble de toutes les
fonctions mesurables f à valeurs dans K = R ou C qui sont µ-essentiellement bornées,
c’est-à-dire telles qu’il existe a > 0 pour lequel µ({| f | ≥ a}) = 0, soit encore telles que
kf k∞ < +∞.
On remarquera que pour f ∈ L ∞ (µ) on a
µ({|f | > kf k∞ }) = 0
[n 1 o
En effet, on a µ({|f | > kf k∞ }) = µ |f | ≥ kf k∞ + et on conclut par conver-
n≥1
n
gence monotone. En particuler, pour toute partie mesurable A on a µ(A) = µ(A ∩ {|f | ≤
kf k∞ }).
1. mais dont nous verrons qu’il ne s’agit en fait que d’une semi-norme
2. mais on devrait dire µ-supremum essentiel

31
CHAPITRE 3. ESPACES Lp 32

Remarque 3.3. Si on éprouve le besoin de préciser que l’on travaille avec des fonctions
réelles ou des fonctions complexes, on peut ajouter "espace L p -réel" ou "espace L p -
complexe".
Remarque 3.4. Dans les deux définitions ci-dessus, on peut autoriser la fonction |f | à
prendre la valeurs +∞ (en particulier on peut considérer des fonctions à valeurs dans
R ∪ {±∞}). Cela ne change rien du point de vue de l’intégration par rapport à µ, car
pour une fonction dans L p , cela ne peut avoir lieu que sur un ensemble de µ-mesure
nulle. En effet, si p est fini, |f |p µ-intégrable entraine que µ({|f | = +∞}) = 0. Pour
p = +∞, si kf k∞ < +∞, cela veut dire qu’il existe a > 0 fini tel que µ({|f | ≥ a}) = 0,
et µ({|f | = +∞}) ≤ µ({|f | ≥ a}).
Proposition 3.5. Pour tout p ∈ [1, +∞], on a, pour λ ∈ K et f, g ∈ L p , on a
1. kλf kp = |λ|kf kp , et
2. kf + gkp ≤ kf kp + kgkp .
En particulier, (L p , k · kp ) est un espace vectoriel.
Démonstration. Le premier point est évident par linéarité de l’intégrale si p < ∞. Si
p = +∞,

k af k∞ = inf{m > 0 : µ({| af | ≥ m}) = 0}


= | a | inf{m0 > 0 : µ({| af | ≥ | a |m0 }) = 0}
= | a | inf{m0 > 0 : µ({| f | ≥ m0 }) = 0} = | a | k f k∞ .
Le deuxième point est évident pour p = 1 à partir de l’inégalité |f + g| ≤ |f | + |g|.
Pour p ∈]1, +∞[, on combine cela avec l’inégalité de Minkowski. Pour le cas p = ∞, on
remarque que si a > kf k∞ + kgk∞ on a,

µ({|f + g| ≥ a}) ≤ µ({|f | + |g| ≥ a})


 
= µ {|f | + |g| ≥ a} ∩ {|f | ≤ kf k∞ } ∩ {|g| ≤ kgk∞ } = µ(∅) = 0,

et donc kf + gk∞ ≤ kf k∞ + kgk∞ .


Par ailleurs, si f est la fonction nulle, on a kf kp = 0. Alors que manque-t-il à k · kp
pour être une norme sur L p ? Pas grand chose, mais le problème vient du fait que pour
f ∈ L p on a
kf kp = 0 ⇐⇒ f = 0 µ-p.p.
Cela est clair pour p < +∞, puisque dire que la fonction positive |f |p a une intégrale
nulle, cela veut dire qu’elle est nulle µ-pp. Pour p = ∞, si kf k∞ = 0, alors µ({|f | >
\ 1
0}) = µ( {|f | ≥ }) = 0, par convergence monotone.
n≥1
n
Ainsi, on veut construite un espace tel que f nulle µ-presque partout veut dire que
f est le vecteur nul. Pour cela, on fait le quotient de L p par la relation d’équivalence
suivante :
f ∼ g ⇐⇒ f = g µ-p.p. ⇐⇒ kf − gkp = 0
CHAPITRE 3. ESPACES Lp 33

Ainsi, on considère l’ensemble quotient L p (µ)/ ∼ (que l’on notera Lp (µ)) formé par les
classes d’équivalences modulo ∼. Notez que la relation d’équivalence associée à chaque
k · kp ne dépend pas de p et est la même pour tous les espaces L p : la classe d’une
fonction mesurable f est constituée par les fonctions mesurables qui coïncident avec f
µ-presque partout.
Si on note N l’ensemble des fonctions mesurables nulles µ-presque partout, on peut
aussi écrire
f ∼ g ⇐⇒ f − g ∈ N
Or N est un espace vectoriel (et un sous-espace vectoriel de tout L p (µ)), et il est
classique de voir que les structures d’espace vectoriel passent au quotient. En résumé :
Définition 3.6. Pour p ∈ [1, +∞], on note Lp (E, A , µ), ou Lp (µ), l’ensemble des classes
d’équivalence des éléments de L p (µ) par la relation d’équivalence définie par l’égalité µ-
p.p.
Soit f˜ := {g ; g = f µ-p.p.} la classe d’équivalence de f . Les opérations classiques
f = af˜ et f]
s’étendent aux classes d’équivalence, avec af + g = f˜ + g̃.
p ˜
On peut également définir k · kp sur L (µ) par k f kp = k f kp , qui ne dépend pas du
représentant choisi, car f = g µ-p.p. implique k f kp = k g kp .
Remarque 3.7. On fera systématiquement l’abus de notation qui consiste à ne pas
différencier fonctions et classes d’équivalences, c’est-à-dire à utiliser le même symbole
pour une fonction f et pour sa classe d’équivalence f˜.
C’est une question d’habitude. La seule manière de comprendre Lp , c’est de l’utiliser.
En fait, sur Lp (µ) on pense plutôt "L p (µ)", c’est-à-dire à des fonctions, plutôt qu’à des
classes d’équivalences, mais on se souvient que les objets ne sont définis que µ-pp. Ainsi,
par exemple, on a coutume de dire que deux fonctions f et g sont égales dans Lp si elles
coïncident µ-pp (même si on devrait simplement dire qu’elle définissent la même classe
d’équivalence dans Lp (µ)).
On a alors immédiatement ce que l’on cherchait.
Théorème 3.8. L’ensemble (Lp (µ), k · kp ) est un espace vectoriel normé.
Exemple 3.9. On note `p (N) ou simplement `p l’espace L p (N, P(N), m), où m est la
mesure de comptage. On distingue parfois les espaces réels `Rp (N)et complexes `Cp (N).
Soit u ∈ `p . Si p < ∞, alors
! p1
X
k u kp = | un |p ,
n

tandis que si p = +∞,


k u k∞ = sup | un |.
n

Il n’est pas besoin ici de quotienter L car k u kp = 0 implique u = 0.


p

On a la même chose pour `p (Z) = L p (Z, P(Z), m).


CHAPITRE 3. ESPACES Lp 34

3.2 Convergence dans Lp et convergence simple


Rappelons que la topologie usuelle d’un espace vectoriel normé est la topologie relative
à la distance d(f, g) = k f − g k. Ainsi on dira que la suite (fn ) converge (vers f ) dans
Lp si
a) pour tout n ∈ N, fn ∈ Lp et f ∈ Lp ;
b) limn k f − fn kp = 0.
On rappelle que la suite (fn ) converge simplement vers f si limn fn (x) = f (x) pour
µ-presque tout x. R R
On remarque que si (fn ) converge dans L1 (µ) vers f , alors fn dµ → f dµ. La
réciproque est fausse en général.
Le théorème de convergence dominée est généralement énoncé en terme de fonction
intégrable, mais on peut aussi en donner une version (équivalente) Lp .
Proposition 3.10. (Convergence Lp -dominée) Soit p ∈ [1, +∞[. Si fn → f µ-p.p. et
Lp
qu’il existe g ∈ Lp tel que | fn | ≤ g pour tout entier n, alors fn → f .
On remarquera que ce théorème est faux pour p = ∞ (contre-exemple ?).
Démonstration. On applique le théorème de convergence dominée. En effet, | fn − f |p ≤
(| fn | + | f |)p ≤ 2p | g |p µ-p.p., et par hypothèseR | g |p est intégrable, donc comme | fn −
f |p → 0, µ-p.p., on a la convergence vers 0 de | fn − f |p dµ.

Proposition 3.11 (Extraction d’une sous-suite convergeant simplement). Soit p ∈


Lp
[1, +∞]. Si fn → f , alors il existe une suite extraite de (fn ) qui converge vers f µ-
p.p.
Dans le cas p = +∞, on a bien sûr beaucoup mieux : fn → f uniformément en dehors
d’un ensemble négligeable (en particulier, fn → f µ-p.p., pas besoin de sous-suite).
Démonstration. On traite d’abord le cas 1 ≤ p < +∞. Si (fn ) converge vers f dans
Lp (µ), on peut trouver une sous-suite (fnk )k≥0 tel que pour tout k ≥ 1,

kfnk − f kp ≤ 2−k .

Introduisons la suite de fonctions positives uk = |fnk −f |p . Par le théorème de Beppo-Levi


(convergence monotone) on a
Z X XZ X
uk (x) dµ(x) = uk (x) dµ(x) ≤ (21/p )−k < +∞.
k≥0 k≥0 k≥0
P
Par conséquent, il existe un ensemble de mesure
P nulle N tel que ∀x ∈ X\N , k≥0 uk (x) <
+∞. Donc, pour x ∈ X \ N la série réelle uk (x) est convergente, et donc son terme
général tend vers zero, c’est à dire fnk (x) → f (x).
Pour p = +∞, c’est la définition de la convergence dans L∞ (µ).
CHAPITRE 3. ESPACES Lp 35

Exemple 3.12. Dans le cas de l’espace `p (pour p < ∞), une suite (de fonctions, aussi
(n) p
appelées suites ici...) (u(n) ) converge vers la fonction u ∈ `p si
P
k | uk | < ∞, si
p
P
k | uk | < ∞ et si X (n)
lim | uk − uk |p = 0.
n
k
(n)
Ceci implique en particulier que uk −→ uk lorsque n → ∞. En conclusion, dans l’espace
`p (vrai aussi si p = +∞ par b)ii)),
`p
fn → f =⇒ fn → f simplement (partout).
Évidemment, on n’a pas la réciproque, comme on peut le voir sur le contre-exemple
u(n) = 1{n} = en . Alors la suite (u(n) ) converge simplement vers la fonction nulle car
(n)
uk = 0 pour tout k > n. Néanmoins pour tout n, la fonction u(n) est à distance 1 de la
(n)
fonction nulle : k u(n) − 0 kp = ( k | uk |p )1/p = 1 pour tout p (même p = ∞), et donc
P
ne converge pas vers la suite nulle dans `p . En effet, ici la plus petite fonction dominant
la suite (u(n) ) est la fonction v constante à 1. Pour p < ∞, cette fonction n’est pas
dans `p , donc on ne peut pas appliquer a). De plus, v ∈ `∞ , ce qui montre aussi que la
Proposition 3.10 n’est pas valide en général pour p = ∞.
Corollaire 3.13. Soit p ∈ [1, +∞]. Si l’on a la convergence de la suite (fn ) vers f dans
Lp et vers g µ-p.p. alors f et g sont égales µ-p.p.
Démonstration. On sait qu’il existe une suite extraite (fϕ(n) ) qui converge µ-p.p. vers f .
Or la suite (fn ) converge µ-p.p. vers g, donc la sous-suite (fϕ(n) ) également. Ainsi f = g
µ-p.p.

3.3 Complétude des espaces Lp


Théorème 3.14 (de Riesz–Fisher). Pour tout p ∈ [1, +∞], Lp (µ) est un espace de
Banach.
Démonstration. Soit (fn ) une suite de Cauchy de Lp (µ). On veut montrer qu’elle converge
dans Lp . Remarquons qu’il suffit de montrer qu’une sous-suite (fnk )k converge. En effet,
si f est la limite de cette sous-suite on a alors pour tout n, k,
kfn − f kp ≤ kf − fnk kp + kfnk − fn kp ,
et chaque terme peut être rendu petit, le premier en prenant k assez grand (par définition
de la limite), et le deuxième en prenant k (puisque nk ≥ k) et n assez grands, par le
caractère de Cauchy.
Le caractère de Cauchy nous permet de trouver une sous-suite (fnk ) tel que
∀k ≥ 0, kfnk+1 − fnk kp ≤ 2−k .
Posons alors
u0 = fn 0 , et pour k ≥ 1 uk = fnk − fnk−1 ,
CHAPITRE 3. ESPACES Lp 36

de sorte que pour N ≥ 0, la somme partielle vérifie


UN := u0 + u1 + . . . + uN = fnN .
uk converge dans Lp (µ).
P
On se demande donc si la série
Posons, pour (presque tout) x ∈ E, et N ≥ 0,
N
X
VN (x) = |uk (x)|.
k=0

Pour x fixé, c’est une suite croissante qui converge vers une limite que l’on note V (x) :
+∞
X
V (x) := |uk (x)| ∈ [0, +∞].
k=0

La suite croissante VN (x) converge elle vers V (x)p lorsque N → +∞ (en convenant que
p

(+∞)p = +∞) et comme


Z X N p  XN p  +∞
X p
VN (x)p dµ(x) = |uj | ≤ kuj kp ≤ kfn0 kp + 2−k =: M < +∞,

p
k=0 k=0 k=0
on a par convergence monotone
Z
V (x)p dµ(x) ≤ M < +∞.

Cela force l’ensemble N := {V p = +∞} = {V = +∞} à être de mesure nulle. Pour


x∈/ N , on a
+∞
X
V (x) = |uk (x)| < +∞,
k=0
P
ce que veut dire que la série uk (x) est elle aussi convergente dans K, car absolument
convergente (K = R ou C est complet). Pour x ∈ / N , on pose
+∞
X
f (x) = uj (x) = lim UN (x) = lim fnN (x)
N →+∞ N →+∞
k=0

la somme de cette série convergente. On peut poser f (x) = 0 pour x ∈ N , si on veut,


mais ce n’est pas nécessaire si on raisonne µ-pp. Notez que f est une fonction mesurable
comme limite simple (presque partout) d’une suite de fonctions mesurables. Par ailleurs,
on a µ-pp, par convergence simple,
X+∞ p
p
|f | ≤ |uk | = V p
k=0

et donc f ∈ L (µ). Il reste à montrer la convergence dans Lp (µ). On a que UN converge


p

simplement vers f et |UN | ≤ VN ≤ V . Comme V ∈ Lp (µ), on peut conclure par conver-


gence dominée dans Lp (µ) que UN converge vers f dans Lp (µ) dans le cas p < +∞. On
a donc bien montré que la sous-suite (fnk ) convergeait dans Lp (µ).
Chapitre 4

Espaces de Hilbert

On va traiter le cas de K-espaces vectoriels avec K = R ou C. Il y a une légère


différence entre le cas réel et le cas complexe. Comme le cas complexe est plus général,
nous étudierons par défaut ce cas là.

4.1 Produit scalaire, espaces de Hilbert


Définition 4.1. Un produit scalaire sur un K-espace vectoriel E
h·, ·i : E × E −→ K
(u, v) −→ hu, vi
est une forme hermitienne (dans le cas complexe) ou bilinéaire symétrique (dans le cas
réel), qui est définie positive, c’est-à-dire une application qui vérifie
i) définie positive (ou strictement positive) :
hx, xi ∈ R+ pour tout x ∈ E, et hx, xi = 0 ⇒ x = 0 ;
ii) symétrique (hermitienne ou réelle) :
hx, yi = hy, xi pour tous x, y ∈ E ;
iii) sesquilinéaire (ou bilinéaire dans le cas réel) :
pour tout x ∈ E, l’application y → hx, yi est linéaire.
On remarque la (bi)-linéarité est différente suivant que K = R ou C. On a toujours
hx + y, zi = hx, zi + hy, zi et hx, y + zi = hx, yi + hx, zi,
mais la multiplication par des scalaires a un comportement particulier dans le cas com-
plexe, puisque
hλx, µyi = λµhx, yi.
Ainsi dans le cas réel, la forme est bilinéaire, mais dans le cas complexe, elle est linéaire
à droite, anti-linaire à gauche, au sens où, pour y fixé, l’application x → hx, yi n’est pas
C linéaire, mais R-linéaire avec hix, yi = −ihx, yi. Ce type de propriété est obligatoire si
l’on veut que hx, xi soit un réel positif. Notez par exemple qu’on a :
hλx, λxi = |λ|2 hx, xi.

37
CHAPITRE 4. ESPACES DE HILBERT 38

Fait 4.2 (Inégalité de Cauchy-Schwarz). Soit h·, ·i un produit scalaire sur un K-espace
vectoriel E. Alors, pour tout x, y ∈ E on a
p p
|hx, yi| ≤ hx, xi hy, yi,

avec égalité si et seulement si il existe λ ∈ K tel que y = λx.


Démonstration. Pour t ∈ R introduisons

f (t) = hx+ty, x+tyi = hx, xi+(hx, yi+hy, xi)t+hy, yit2 = hx, xi+2<(hx, yi)t+hy, yit2 .

Par construction ce polynôme réel est positif sur R, ce qui veut dire que son discri-
minant est négatif (il ne peut pas être strictement positif, sinon on aurait deux ra-
cines distinctes, et alors f prendrait des valeurs strictement négatives). On a donc
<(hx, yi)2 − hx, xihy, yi ≤ 0, soit encore,

<(hx, yi)2 ≤ hx, xihy, yi,

et ceci pour tous vecteurs x, y ∈ E. Si on est sur un espace réel, alors on a fini, mais sur
un espace complexe, ce résultat est a priori plus faible que le résultat voulu. L’idée est
alors de l’appliquer à un autre vecteur y bien choisi, en jouant sur le fait que les termes
de gauche et de droite n’ont pas les mêmes invariances.
Pour nos x, y ∈ E donnés, soit θ ∈ R tel que hx, yi = eiθ |hx, yi|. On applique
l’inégalité précédente avec e−iθ y à la place de y. Comme

he−iθ y, e−iθ yi = hy, yi et <(hx, e−iθ yi) = <(e−iθ hx, yi) = <(|hx, yi|) = |hx, yi|

on obtient bien l’inégalité voulue.


Je vous laisse analyser les cas d’égalité à titre d’exercice.

Proposition
p 4.3. Soit h·, ·i un produit scalaire sur un K-espace vectoriel E. Alors,
kxk := hx, xi définit une norme sur E. On dit alors que k · k est la norme hilbertienne
associée au produit scalaire h·, ·i.
On remarque alors que
1. (Formule de Pythagore) : pour x, y ∈ E, kx + yk2 = kxk2 + 2<(hx, yi) + kyk2 .
2. (Cauchy-Schwarz) : pour x, y ∈ E, |hx, yi| ≤ kxk kyk. En particulier, le produit
scalaire h·, ·i est une application continue sur (E, k · k) × (E, k · k).
Démonstration. Par définition k · k est à valeurs dans R+ , et ne vaut zero qu’en x = 0
d’après le caractère défini positif. On a vu ci-dessus que kλxk = |λ| kxk. En développant,
et en utilisant l’inégalité de Cauchy-Schwarz on voit que pour x, y ∈ E,

kx + yk = kxk2 + (hx, yi + hy, xi) + kyk2 = kxk2 + 2<(hx, yi) + kyk2


≤ kxk2 + 2|hx, yi | + kyk2 ≤ kxk2 + 2kxk kyk + kyk2 = (kxk + kyk)2 .
CHAPITRE 4. ESPACES DE HILBERT 39

Définition 4.4. Un espace pré-hilbertien est un K-espace vectoriel normé (E, k · k) tel
que la norme k · k soit la norme associée à un produit scalaire h·, ·i sur E. Si de plus
(E, k · k) est complet, alors on dit que que (E, k · k) est un espace de Hilbert.
Parfois, on dit que (E, h·, ·i, k · k) est un espace préhilbertien, si on veut préciser le
produit scalaire qui donne la norme hilbertienne. Il y a ici une légère ambiguité. Il est
clair que si on se donne un produit scalaire h·, p·i sur E, on définit la norme hilbertienne
associée de manière unique en posant kxk = hx, xi. Mais comme la définition suppose
qu’on se donne la norme, une question naturelle est : est-t-il possible qu’il y ait plusieurs
produits scalaires qui donnent la même norme ? La réponse est non : si je connais la
norme hilbertienne, je peux caractériser le produit scalaire dont elle provient. Dans le
cas réel, c’est facile puisqu’on a la formule
1 1 1
hx, yi = kx + yk2 − kxk2 − kyk2 ,
2 2 2
ou aussi la formule suivante (plus jolie) :
1
kx + yk2 − kx − yk2 .

hx, yi =
4
C’est un peu plus compliqué dans le cas complexe, mais on y arrive en remarquant que :
1
kx + yk2 − kx − yk2 + ikx − iyk2 − ikx + iyk2 .

hx, yi =
4
Puisqu’on parle formule, en voici une dont la démonstration est immédiate, mais qui
est très souvent utilisée.
Fait 4.5 (Identité du parallélogramme). Soit k · k une norme hilbertienne sur E. Alors,
pour tous x, y ∈ E on a
1 1
kx + yk2 + kx − yk2 = kxk2 + kyk2 .
2 2
Il est temps de donner l’exemple fondamental (et universel, comme nous verrons)
d’espace de Hilbert.
Exemple 4.6. Soit (X, µ) un espace mesuré. On considère l’espace L2 (µ) réel ou com-
plexe. Alors l’application

h·, ·i : L2 (µ) × L2 (µ) −→ R ou C


Z
(f, g) −→ hf, gi := f g dµ
E

est un produit scalaire sur L2 (µ).


La vérification des axiomes est immédiate, une fois qu’on a remarqué que cette ap-
plication est bien définie. Pour cela on utilise l’inégalité triangulaire suivie de l’inégalité
CHAPITRE 4. ESPACES DE HILBERT 40

de Hölder-Cauchy-Schwarz (avec p = q = 1/2), qui garanti que si f, g ∈ L2 (µ), alors


f g ∈ L1 (µ) et
|hf, gi| ≤ k f k2 k g k2 .
R
On remarquera aussi que hf, f i = |f |2 dµ = 0 implique que f est nulle µ-pp, c’est à
dire que f est nulle dans L2 (µ).
On voit que la norme hilbertienne associée à h·, ·i est la norme k · k2 , et on sait
que L2 (µ) muni de cette norme est un espace de Banach. Ainsi, on a montré que
(L2 (µ), k · k2 ) est un espace de Hilbert.
Exemple 4.7. Comme cas particuliers importants, on a les espaces `2 (N) et `2 (Z) des
séries dont le carré (du module) est sommable. Le produit scalaire est donné pour u = (un )
et v = (vn ) par X
hu, vi = un vn .
n

On sait qu’on obtient ainsi un espace de Hilbert.


Exemple 4.8. Un autre cas particulier sont les espaces de Hilbert de dimension finie
(égale à un certain n ≥ 1). Ils sont tous isométriques à (Kn , k · k2 ) avec le produit scalaire
donné par
n
X
hx, yi = xk yk .
k=1

4.2 Orthogonalité, bases hilbertiennes


Soit H un espace pré-Hilbertien, dont on note h·, ·i le produit scalaire et k · k la norme
hilbertienne correspondante.
Deux vecteurs x, y ∈ H sont dits orthogonaux si hx, yi = 0. Notez que hx, yi = 0 ⇔
hy, xi = 0. Une famille de vecteurs non-nuls (vi )I (indexé par un ensemble I fini ou infini)
est dite orthogonale si pour i, j ∈ I avec i 6= j les vecteurs vi et vj sont orthogonaux. La
famille est dite orthonormée si elle est orthogonale et si de plus les vecteurs vi sont tous
de norme 1. Voici une extension immédiate de la formule de Pythagore.
Fait 4.9. Si (e1 , . . . , ek ) est une famille orthonormée finie, alors pour tout (x1 , . . . , xk ) ∈
Kn on a
X k 2 X k
x e = |xj |2 .

j j
j=1 j=1

En particulier, la famille est libre. Si on note F = vect(e1 , . . . , ek ), alors la famille


(e1 , . . . , ek ) est une base de F , et pour tout x ∈ F on a
k
X
x= hej , xi ej .
j=1
CHAPITRE 4. ESPACES DE HILBERT 41

Démonstration. On utilisant la sesqui-linéarité, on vérifie (par récurrence) que


Xk 2 k
X k
X k
X
xj ej = h xj 0 ej 0 , xj ej i = xj 0 xj hej 0 , ej i,


j=1 j 0 =1 j=1 j,j 0 =1

ce qui donne le résultat voulu, P puisque hej 0 , ej i = δjj 0 . Si x ∈ F , on peut donc trouver
(x1 , . . . xk ) ∈ Kn tel que x = j≤k xj ej et alors, pour tout j0 ≤ k on a
k
X
hej0 , xi = xj hej0 , ej i = xj0 .
j=1

Étant donné une partie A ⊂ H, on note A⊥ l’ensemble des vecteurs de H qui sont
orthogonaux à tous les vecteurs de A.
La proposition suivante est la clé pour comprendre l’importance du produit scalaire.
On l’utilisera souvent et on la généralisera plus loin.
Proposition 4.10 (Projection sur un sous-espace de dimension finie). Soit F un sous-
espace de dimension finie (égale à k ≥ 1) et (e1 , . . . , ek ) une base de F qui est orthonor-
mée. Pour tout x ∈ H on pose
k
X
PF (x) := hej , xi ej ∈ F ⊂ H.
j=1

Alors PF est une application linéaire continue de H dans F . De plus elle vérifie :
1. PF |F = IdF et PF ◦ PF = PF .
Pour tout x, z ∈ H,
hPF (x), zi = hx, PF (z)i.
2. Pour tout x ∈ H, x − PF (x) ∈ F ⊥ et donc H = F ⊕ F ⊥ , PF étant donc la
projection sur F parallèlement à F ⊥ . Et on a

kxk2 = kPF (x)k2 + kx − PF (x)k2 .

En particulier, kPF (x)k ≤ kxk.


3. Pour tout x ∈ H, on a
d(x, F ) = kx − PF (x)k.
Cela montre que PF est aussi la projection au sens métrique.
Démonstration. La linéarité de PF découle de la linéarité du produit scalaire, et par
l’inégalité triangulaire et l’inégalité de Cauchy-Schwarz on a kPF (x)k ≤ nkxk, ce qui
assure la continuité ; on verra une bien meilleure estimation de la norme plus loin.
CHAPITRE 4. ESPACES DE HILBERT 42

D’après le Fait précédent, on voit que pour y ∈ F on a PF (y) = y, ce qui montre que
PF ◦ PF = PF . Pour x, z ∈ H on a
k
X k
X
hx, PF (z)i = hej , zi hx, ej i = hej , xihej , zi = hPF (x), zi.
j=1 j=1

Pour n’importe quel x ∈ H, on peut écrire

x = PF (x) + (Id − PF )(x),

et pour tout y ∈ F on

hy, x − PF (x)i = hy, xi − hy, PF (x)i = hy, xi − hPF (y), xi = hy, xi − hy, xi = 0.

On a donc bien x − PF (x) ∈ F ⊥ , et F + F ⊥ = H. La somme est forcement directe,


puisque pour toute partie A de H on a A ∩ A⊥ ⊂ {0}. On a donc bien H = F ⊕ F ⊥ . Par
le théorème de Pythagore, on a aussi pour tout x ∈ H,

kxk2 = kPF (x)k2 + kx − PF (x)k2

et en particulier kPF (x)k ≤ kxk, ce qui montre que la norme d’opérateur de PF est
exactement égale à 1.
Reste à montrer que PF est effectivement la projection au sens métrique. Remarquons
d’abord que pour tout y ∈ F on a, par Pythagore,

kx − yk2 = k(x − PF (x)) − (y − PF (x))k2 = kx − PF (x)k2 + ky − PF (x)k2

et donc en particulier,
kx − yk ≥ kx − PF (x)k
ce qui montre que d(x, F ) ≥ kx − PF (x)k. Mais comme il y a égalité dans l’inégalité
ci-dessus si on choisit y = PF (x), on conclut qu’on a bien

d(x, F ) = kx − PF (x)k.

On va maintenant passer à l’étude d’une famille orthonormée infinie (dénombrable).


On va indexer cette famille par N∗ , mais les résultats seraient indentique si on indexait

par N ou Z. Pour les séries de Fourier, on utiliseraP R On rappelle que `2 (N∗ )
Z comme indice.

est un espace de Hilbert avec le produit scalaire n=1 an bn = ab dm pour a, b ∈ `2 (N ).
En dimension infinie, on ne peut pas construite de base orthonormée (au sens algé-
brique), mais on une notion équivalente très importante.
Définition 4.11. Soit H un espace de pré-hilbertien. On dit que qu’une famille finie ou
dénombrable (ek ) de vecteurs de H est une base hilbertienne de H si c’est une famille
est orthonormée de H qui vérifie de plus que vect({ek }}) = H (i.e. l’espace vectoriel
engendré par cette famille est dense dans H).
CHAPITRE 4. ESPACES DE HILBERT 43

Attention : en dimension infinie, une base hilbertienne... n’est pas une base, au sens
algébrique. Mais c’est "mieux", en fait.
Théorème 4.12. On suppose que H un espace de Hilbert
P et que (ek )k≥1 est une base
hilbertienne de H. Alors pour tout x ∈ H la série hej , xiej converge dans H et sa
somme vaut x. En d’autres termes, si pour N ≥ 1 on note
N
X
SN (x) = hej , xi ej ,
j=1

alors cette suite converge dans (H, k · k) lorsque N → +∞ vers x. On dit que x =
+∞
X
hej , xi ej dans H.
j=1
P
De plus, pour x, y ∈ H, la série numérique hej , xi hej , yi converge et sa somme
vaut
+∞
X
hx, yi = hej , xi hej , yi,
j=1

et en particulier on a l’ identité de Parseval


n
X
2
kxk = |hej , xi|2 .
j=1

L’étape principale de la démonstration consiste à établir le résultat indépendant sui-


vant :
Fait 4.13. Soit (ek )k≥1 une famille
P orthonormée d’un espace de Hilbert. Si (αk )k≥1 est
une
P suite de scalaires telle que |αk | < +∞ (c’est-à-dire (αk ) ∈ `2 (N∗ )), alors la série
2

αk ek converge dans H.
P ek
Remarque 4.14. Ainsi, on a par exemple que la série k
converge dans H, bien que
cette série ne soit pas normalement convergente dans H.
Démonstration. On utilise le critère de Cauchy pour la suite des sommes partielles. Si
on note n
X
Sn = αk ek
k=1
On a, en utilisant le fait que la famille est orthonormée, pour m ≥ n ≥ 1
X m 2 Xm
2
kSm − Sn k = αk ek = |αk |2 .

k=n+1 k=n+1
Pn 2

Pour  > 0 donné, comme la suite 1 |αk | n
converge, elle est de Cauchy et donc on
peut trouver un rang N ≥ 1 tel que si m ≥ n ≥ N , le m 2 2
P
k=n+1 |αk | ≤  . Cela montre
donc que la suite (Sn )n est une suite de Cauchy de (H, k · k). Comme cet espace est
complet, on en déduit que la suite (Sn ) converge dans H.
CHAPITRE 4. ESPACES DE HILBERT 44

Preuve du Théorème. On se donne un x ∈ H. Montrons que la suite SN (x) converge vers


x dans H. Si on introduit le sous-espace de dimension N ,

FN := vect{e1 , . . . , eN },

alors on voit que


SN (x) = PFN (x)
avec la notation de la Proposition ci-dessus. On a donc

kSN (x)k ≤ kxk.

Cette dernière inégalité s’appelle inégalité de Bessel. Comme


N
X
2
kSN (x)k = |hej , xi|2 (4.1)
j=1

|hej , xi|2 est convergente, puisque ses sommes par-


P
on en déduit que la série positive
tielles forment une suite croissante bornée (ça, c’est Pune sacrément bonne observation).
D’après le Fait ci-dessus, on en déduit que la série j hej , xiej converge dans H. Notons
z ∈ H cette limite. Pour tout k ≥ 1 fixé, on remarque que pour N assez grand (N ≥ k
suffit) on a
hek , SN (x)i = hek , xi,
et donc, en faisant tendre N vers +∞, par continuité du produit scalaire, on en déduit
que
hek , z − xi = 0.
Cela implique, par linéarité que pour tout y ∈ vect({ek }}, hy, z − xi = 0, et par densité
(et continuité du produit scalaire), on a alors

∀y ∈ H, hy, z − xi = 0

ce qui force z − x = 0 (en prenant par exemple y = z − x). On a donc montré que SN (x)
convergeait dans H vers x lorsque N → +∞.
Pour x, y ∈ H, et voit que pour tout N ≥ 1 on a
N
X
hSN (x), SN (y)i = hej , xi hej , yi,
j=1

et on voudrait passer à la limite lorsque N → +∞. Pas de problème à gauche, par


continuité du produit scalaire. Pour le terme de droite, il faut montrer que la série
numérique converge. Comme ci-dessus, on va montrer qu’elle est absolument convergente.
En effet, la somme partielle vérifie, par Hölder-Cauchy-Schwarz,
v
XN u N N
uX X
|hej , xi| |hej , yi| ≤ t |hej , xi| 2 |hej , yi|2 ≤ kxk kyk
j=1 j=1 j=1
CHAPITRE 4. ESPACES DE HILBERT 45

et on utilise encore une fois que pour une série positive, il suffit que ses sommes partielles
soient majorées pour qu’elle converge. On peut remarquer que pour l’identité de Perseval,
on a un argument plus direct, puisqu’il suffit de passer à la limite dans (4.1).

Remarque 4.15. En reprenant la preuve ci-dessus, on peut aussi tirer un critère parfois
utile pour qu’une famille orthonormée soit une base hilbertienne. En effet, si (ek )k≥1 une
famille orthogonale ou orthonormée, alors vect({ek }}) = H si et seulement si {ek , k ≥
1}⊥ = {0} (i.e. pour tout x ∈ H, (hek , xi = 0, ∀k ≥ 1) ⇒ x = 0).
En effet, cette propriété permettait de montrer que la suite Sn (x), qui est toujours
convergente quand la famille est orthonormée, converge bien vers x.
Évidement, il reste à construire une base hilbertienne sur un espace de Hilbert. C’est
toujours possible si (et seulement si) H est séparable, ce qui est de loin le cas le plus
important pour les applications, et le seul qui nous intéresse. On rappelle qu’un espace
métrique est séparable s’il existe une partie finie ou dénombrable dense.
Théorème 4.16. Soit H un espace de Hilbert séparable. Alors, H admet une base hil-
bertienne (finie ou dénombrable).
Démonstration. Si (xk ) est une suite de vecteurs dense, on peut construire (par extrac-
tion) une famille libre (fk ) telle que vect(fk , k ≥ 1) = vect(xk , k ≥ 1), et donc telle que
vect(fk , k ≥ 1) = H. Ensuite, il suffit d’appliquer la procédure d’orthonormalisation dite
de Gram-Schmidt à cette famille (fk ). Voir Exercices.

Corollaire 4.17. Tout espace de Hilbert séparable de dimension infinie est isométrique
à `2 (N).
Plus précisément, si (ek )k≥0 est une base hilbertienne de H (indexée par N), alors
l’application

H −→ `2 (N)
x −→ (hek , xi)k≥0

est un isomorphisme de E sur `2 (N) qui de plus préserver la nome (et le produit scalaire).
L’isométrie inverse est donnée par

`2 (N) −→ H
X
(αk ) −→ αk e k

Remarque 4.18. On aurait pu aussi indexer la base hilbertienne sur Z, et dire que
tout espace de Hilbert de dimension infinie est isométrique à `2 (Z). De toutes façons, ils
sont tous isométriques entre eux : il n’y a "qu’un seul" espace de Hilbert séparable (de
dimension infinie). Par exemple, L2 (R, dx) et `2 (N) sont isométriques.
CHAPITRE 4. ESPACES DE HILBERT 46

4.3 Projection sur un sous-espace fermé


On va établir la généralisation de la Proposition 4.10 à un sous-espace fermé F (pas
nécessairement de dimension finie). On rappelle que F ⊥ := {u ∈ H : ∀y ∈ F, hu, yi = 0}.
Théorème 4.19. Soit F est un sous-espace vectoriel fermé d’un espace de Hilbert H.
Alors pour tout x ∈ H, il existe un unique vecteur noté PF (x) ∈ F tel que

k x − PF (x) k = inf k x − y k.
y∈F

De plus l’application x → PF (x) est une application linéaire de H dans F , qui est
continue, de norme 1 (si F 6= {0}), avec pour x, z ∈ H,

hPF (x), zi = hx, PF (z)i,

et telle que pour tout x ∈ F on a

x − PF (x) ∈ F ⊥ .

On a donc en particulier :
H = F ⊕ F⊥
avec pour x ∈ H, kxk2 = kPF (x)k2 + kx − PF (x)k2 .
Démonstration. Soit d := inf y∈C k x − y k la distance de x à F . Par définition de la borne
inférieure, il existe une suite (yn ) de C telle que limn k x − yn k = d. Nous allons nous
montrer que cette suite est de Cauchy.
Par l’identité du parallélogramme 21 ku+vk2 + 12 ku−vk2 = kuk2 +kvk2 avec u = x−yn
et v = x − ym (n, m ∈ N) on obtient
1 1
2kx − (yn + ym )k2 + kyn − ym k2 = kx − yn k2 + kx − ym k2 .
2 2
Or 21 (yn + ym ) ∈ F et par conséquent k 21 (yn + ym ) − x k ≥ d. Ceci donne
h i
2 2 2 2 2

k yn − ym k ≤ 2 k yn − x k − d + k ym − x k − d .

Soit ε > 0. Comme limn k x − yn k2 = d2 , il existe un entier N tel que pour tout n ≥ N ,
2
k x − yn k2 ≤ d2 + ε4 . Grâce à l’inégalité obtenue précédemment, pour tous n, m ≥ N ,
k yn − ym k ≤ ε, autrement dit la suite (yn ) est de Cauchy. Comme H est complet, cette
suite converge vers un certain z qui doit appartenir à F , puisque F est fermé. Ayant
limn k x − yn k = d, par continuité de la norme, k x − z k = d.
Montrons que ce z est unique. Soit z 0 ∈ C tel que k x − z 0 k = d. On applique encore
l’égalité du parallélogramme avec u = x − z et v = x − z 0 . On a
1 1
2kx − (z − z 0 )k2 + kz − z 0 k2 = kx − zk2 + kx − z 0 k2 = 2d2 ,
2 2
CHAPITRE 4. ESPACES DE HILBERT 47

mais comme 12 (z − z 0 ) ∈ F on a kx − 21 (z − z 0 )k2 ≥ d2 , d’où on tire 21 kz − z 0 k2 ≤ 0, soit


z = z 0 . On note donc z = PF (x). Notez que par unicité on a

∀x ∈ F, PF (x) = x.

Montrons ensuite que x−PF (x) ∈ F ⊥ . Soient y ∈ F et t ∈ R. Comme PF (x)+ty ∈ F


et que PF (x) minimise la distance de x à F ,

k x − PF (x) k2 ≤ k x − (PF (x) + ty) k2 = k x − PF (x) k2 − 2thx − PF (x), yi + t2 k y k2 .

Donc −2thx−PF (x), yi+t2 k y k2 ≥ 0 pour tout réel t, ce qui implique que hx−PF (x)yi =
0. On a donc bien x − PF (x) ∈ F ⊥ .
De cela on tire, en écrivant x = PF (x) + (x − PF (x)), que F + F ⊥ = H et comme
F ∩ F ⊥ ⊂ {0} on a bien H = F ⊕ F ⊥ . On a aussi kxk2 = kPF (x)k2 + kx − PF (x)k2 . En
particulier, on a pour tout x ∈ H,

kPF (x)k ≤ kxk.

Notez que pour tout x ∈ H, l’écriture x = PF (x) + (x − PF (x)) = y + z et avec y ∈ F


et z ∈ F ⊥ est forcément unique (puisque F + F ⊥ = F ⊕ F ⊥ ), c’est-à-dire
 

y ∈ F et x − y ∈ F =⇒ y = PF (x).

La linéarité de PF en découle. En effet, pour x, z ∈ H et t ∈ K on a

(x + tz) − (PF (x) − tPF (z)) = (x − PF (x)) + t(z − PF (z)) ∈ F ⊥ ,

et donc PF (x + tz) = PF (x) + tPF (z). Comme kPF (x)k ≤ kxk, l’application linéaire PF
est continue, de norme inférieur ou égale à 1, et en fait égale à 1 puisque PF (y) = y si
y ∈ F (en choisissant un vecteur non-nul y ∈ F \ {0}).
Enfin, si x, z ∈ H on a hx−PF (x), PF (z)i = 0, soit encore hx, PF (z)i = hPF (x), PF (z)i.
En inversant les rôle de x et z on trouve bien

hx, PF (z)i = hPF (x), PF (z)i = hPF (z), PF (x)i = hz, PF (x)i = hPF (x), zi.

4.4 Dual d’un espace de Hilbert


On a vu que pour tout vecteur v ∈ H, l’application `v : H → K donné par `v (x) =
hv, xi est une forme linéaire continue sur H. On va voir une réciproque.
Théorème 4.20 (Lemme de Riesz-Fisher). Toute forme linéaire continue ` sur un espace
de Hilbert H est de la forme ` = `v pour un certain vecteur v ∈ H unique, c’est-à-dire :
∃!v ∈ H tel que
∀x ∈ H, `(x) = hv, xi.
De plus on a k`kH ∗ = kvk.
CHAPITRE 4. ESPACES DE HILBERT 48

Notez qu’une fois le vecteur v construit, l’égalité des normes est immédiate, puisqu’on
a toujours k`v kH ∗ = kvk. En effet,

k`v kH ∗ = sup |`v (x)| = sup |hv, xi| = kvk


kxk≤1 kxk≤1

où la dernière égalité découle de l’inégalité de Cauchy-Schwarz (pour l’inégalité dans un


v
sens) et du fait que le choix du vecteur x = kvk donne un cas d’égalité lorsque v 6= 0.
On a donc que l’application v → `v est une bijection continue de l’espace de Hilbert H
sur son dual (toujours au sens topologique) H ∗ , qui preserve la norme. Cette application
n’est pas linéaire dans le cas complexe, car l’image du vecteur λ v est la forme linéaire
λ `v (et pas λ `v ). L’application v → `v est une bijection continue antilinéaire de l’espace
de Hilbert H sur son dual H ∗ .
Retenons que l’on peut identifier H et son dual H ∗ à l’aide du produit sca-
laire.
Démonstration. Montrons l’unicité : si v1 et v2 étaient deux vecteurs de H tels que
`v1 = `v2 , on aurait hx, v1 i = `(x) = hx, v2 i pour tout vecteur x, donc hx, v1 − v2 i = 0 ;
en appliquant ceci à x = v1 − v2 , on déduit que v1 − v2 = 0.
Passons à l’existence. Si la forme linéaire ` est nulle sur H, il suffit de prendre le
vecteur v = 0 pour la représenter ; dans le cas contraire, on peut trouver un vecteur
x0 ∈ H, x0 6= 0, tel que `(x0 ) = 1. Désignons par F = ker ` le noyau de ` ; c’est un
sous-espace fermé de H car ` est continue. Il est clair que x0 n’est pas dans F , puisque
pour tout z ∈ ker ` on a

1 = `(x0 ) = `(x0 − z) ≤ C kx0 − zk,

ce qui montre que la distance de x0 à ker ` est ≥ 1/C > 0. Puisque x0 n’appartient pas
au sous-espace vectoriel fermé F , la projection PF x0 de x0 sur F est différente de x0 ,
donc
w0 := x0 − PF x0
est un vecteur non nul orthogonal à F , avec `(w0 ) = `(x0 ) = 1. On écrit alors, pour
x ∈ H,
x = (x − `(x)w0 ) + `(x)w0
et comme x − `(x)w0 ∈ ker ` = F et w0 ∈ F ⊥ , on a

hw0 , xi = hw0 , `(x)w0 i = `(x)kw0 k2 ,

soit encore D w E
0
`(x) = , x ,
kw0 k2
et ceci pour tout x ∈ H. On voit donc que la forme linéaire ` est représentée par le
produit scalaire avec le vecteur v = hw0 , w0 i−1 w0 .
CHAPITRE 4. ESPACES DE HILBERT 49

On peut reformuler ce résultat sur l’espace de Hilbert H = L2 (µ) associé à un espace


mesuré (X, A , µ). Soit g ∈ L2 (µ) et Φg l’application définie par
Φg : L2 (µ) −→ K
Z
f −→ f g dµ.
E

Grâce à l’inégalité de Cauchy-Schwarz, | Φg (f ) | ≤ k g k2 k f k2 , si bien que non seulement


Φg est bien définie sur L2 (µ), mais également Φg est continue (de norme duale inférieur
à kgk2 ). La linéarité de l’intégrale assure aussi que Φg est linéaire, et ainsi Φg est un
élément du dual (topologique) de L2 (µ). On remarquera également que si Φg n’est pas
nulle, c’est-à-dire si g n’est pas nulle, alors si l’on choisit f = g/k g k2 , on a Φg (f ) = k g k2 ,
et donc k Φg k(L2 (µ))∗ = k g k2 .
Le lemme de Riesz–Fisher établit la réciproque. Soit Φ : L2 (µ) −→ K une forme
linéaire continue. Alors ∃!ϕ ∈ L2 (µ) tel que
Z
2
pour tout f ∈ L (µ), Φ(f ) = ϕf dµ.
E

Ainsi, l’application
I : L2 (µ) −→ (L2 (µ))∗
g −→ Φg
est un isomorphisme qui preserve la norme, au détail près qu’il est anti-linéaire dans
le cas complexe. Si on veut un brave isomorphisme linéaire, on peut considérer plutôt
g → Φg . Quoi qu’il en soit, on retient que L2 (µ) est isomorphe (isométriquement) à son
dual topologique.

4.5 Exemple : base hilbertienne des exponentielles complexes et


séries de Fourier L2
Pour chaque entier n ∈ Z, définissons la fonction en par
∀x ∈ R, en (x) = einx .
Ces fonctions sont 2π-périodiques et continues (et même C ∞ ) sur R ; on les considérera
aussi comme des fonctions sur l’intervalle [0, 2π], qu’on munira de la mesure
dµ(x) = (2π)−1 dx,
multiple de la mesure de Lebesgue. L’espace mesuré ([0, 2π], B[0,2π] , µ) est un espace de
probabilité. Notez que pour tout p ∈ [1, +∞] on a Lp (µ) ⊂ L1 (µ).
On vérifie tout d’abord que la famille (en )n∈Z est une famille orthonormée dans L2 (µ).
Comme |en (t)| = 1 pour tout t ∈ [0, 2π] on a bien ken k2 = 1 et, pour m 6= n
Z 2π Z 2π h ei(n−m)t i2π
dt dt
hem , en i = em (t)en (t) = ei(−m+n)t =
0 2π 0 2π i(m − n) t=0
CHAPITRE 4. ESPACES DE HILBERT 50

qui est nul parce que ces fonctions sont 2π-périodiques.


L’espace vect{en , n ∈ N} est l’espace des polynômes trigonométriques. On verra en
exercice que cet espace est dense dans L2 (µ). Ainsi on a :
Théorème 4.21. Les fonctions (en )n∈Z définies par en (t) = eint forment une base hil-
bertienne de l’espace de Hilbert L2 ([0, 2π], µ).
Arrêtons-nous un instant sur le fait que les séries vont être ici indexées par Z et
non par N∗ comme précédemment. Soit (αn )n∈Z un élément de `2 (Z) (sous-entendu P com-
plexe). Ici pas de problème de définition, puisqu’on demande que la série positive |αn |2
converge (i.e. on est sur l’espace L2 (Z, P(Z), #)). Maintenant, il découle de ce qu’on a
vu que la série X
αn en
n∈Z
2
converge dans L (µ). Par cela, on veut dire que les deux séries
X X
αn en et αn en
n≥0 n<0

convergent toutes les deux dans L2 (µ). C’est P en effet cela que donne les preuves précé-
dentes. En d’autre termes, on peut dire que Pnk=−m αk ek a une limite dans H lorsque
(n, m) → (+∞, +∞). En particulier, la suite nk=−n αk ek a une limite dans H lorsque
n → +∞. On retiendra plus généralement que par définition +∞ Fn := +∞
P P
P+∞ n=−∞ n=1 F−n +
n=0 Fn lorsque les deux séries de droite sont convergentes.
D’après la théorie, on sait donc que pour f ∈ L2 (µ), la série hen , f ien converge vers
P
f dans L2 (µ), ce que l’on écrit sous la forme
+∞
X
f= hen , f ien dans L2 (µ),
n=−∞

où Z 2π
dt
hen , f i = f (t)e−int =: cn (f ) ∈ C.
0 2π
s’appelle le n-ième coefficient de Fourier de f . On sait donc aussi que (cn (f ))n ∈ `2 (Z)
et l’égalité de Parseval devient
∞ Z Z 2π
X
2 2 dt
|cn (f )| = |f | dµ = |f (t)|2 .
n=−∞ [0,2π] 0 2π
P+∞
Remarque 4.22. Il faut prendre soin de comprendre l’égalité f = n=−∞ hen , f ien
2 2
dans L , au sens où la somme infinie est une (double) limite dans L (µ). L’écriture
+∞
X
f (t) = hen , f ieint
n=−∞
CHAPITRE 4. ESPACES DE HILBERT 51

est extrêmement dangereuse. À la rigueur, vous pouvez écrire cela en précisant "dans
L2 (µ)”. Mais retenez que cela n’a aucun sens ponctuel. Comme deux fonctions
X
f et hen , f ien

sont égales dans L2 sont égales presque-partout, vous pouvez dire queX l’égalité a lieu

presque partout. MAIS ATTENTION : vous ne savez rien du lien entre hen , f ien (t)
X
et hen , f ien (t). En fait, rien pour l’instant ne vous permet de savoir que cette deuxième
série converge pour presque tout t (un résultat très difficile du milieu des années 1960
permet de répondre à cette question) ; on a donc juste une fonction, définie par une limite
dans L2 (µ), qui a un sens presque partout et non pas une série qui converge presque
partout (c’est pas facile à comprendre, n’est-ce pas ?) Evidemment, il y a des cas où la
série converge aussi presque partout, où même partout, et on peut alors se demander si
elle coincide avec cette limite L2 . On étudiera ça plus loin.
On note souvent Fn = vect(e−n , e−n+1 , . . . , e0 , . . . , en ) et pour f ∈ L2 (µ) on introduit
n
X
Sn (f ) := PFn (f ) = cn (f )en
k=−n

que l’on appelle somme de Dirichlet associée à f . Ainsi, on sait que lorsque n → +∞ on
a
Sn (f ) → f dans L2 (µ).
La propriété suivante en découle.
Proposition 4.23. Soit f une fonction sur [0, 2π] appartenant à L2 (µ). Si
∀n ∈ Z, cn (f ) = 0
alors f est nulle presque partout.
En particulier, si f est une fonction continue sur [0, 2π] dont tous les coefficient de
Fourier sont nuls, alors f est identiquement nulle sur [0, 2π].
On peut aussi dire que pour f, g ∈ L2 (µ) on a cn (f ) = cn (g) pour tout n ∈ Z, alors
f = g presque partout (et partout si f et g sont continues). Pour le "En particulier",
remarquons qu’une fonction continue sur [0, 2π] est automatiquement dans L2 ([0, 2π] et
qu’une fonction continue nulle presque partout est nulle partout (OK ?).
Proposition 4.24. Si f est une fonction continue 2π-périodique et si
X
|cn (f )| < +∞,
n∈Z

c’est-à-dire (cn (f ))n ∈ `1 (Z), alors f (x) est égal pour tout x à la somme de la série de
Fourier,
+∞
X
∀x ∈ R, f (x) = cn (f )einx .
n=−∞

De plus, la suite (Sn f ) converge uniformément vers f sur [0, 2π].


CHAPITRE 4. ESPACES DE HILBERT 52

Démonstration. Notez que pour tout n ∈ Z on a

sup |cn (f )eiπx | = |cn (f )|


x∈[0,2π]

et donc d’après l’hypothèse, de la proposition, on peut introduire pour tout x ∈ R


+∞
X
cn (f )einx =: g(x)
n=−∞

puisque la série de fonctions (continues) ci-dessus est normalement convergente (au sens
de la norme du sup) sur [0, 2π]. La somme g est en particulier continue sur [0, 2π]. La
convergence normale implique la convergence uniforme : la suite des fonctions continues
(Sn f ) définies par
Xn
(Sn f )(x) = ck (f )eikx
k=−n

converge uniformément vers g. On rappelle l’argument : pour tout x on a


X
g(x) − (Sn f )(x) ≤ rn := |ck (f )|, donc kg − Sn f k∞ ≤ rn ,
|k|>n

et rn tend vers zéro quand n → +∞, comme reste d’une série numérique convergente.
De plus, la même suite (Sn f ) est convergente dans L2 ([0, 2π]) vers la fonction f . Il
en résulte que nécessairement g = f presque partout (d’après un résultat du chapitre
précédent sur les espaces Lp ), et donc partout puisque les deux fonctions sont continues.
Puisque f (x) = g(x) pour tout x, on peut bien affirmer que
+∞
X
∀x ∈ R, f (x) = cn (f )einx .
n=−∞

Remarque 4.25. Nous avons travaillé avec des fonctions sur [0, 2π]. Il est équivalent
de travailler avec des fonction 2π-périodiques, et alors on peut choisir de travailler sur
n’importe quel L2 ([T, T + 2π]). Par exemple, il est assez répandu de prendre [−π, π] à la
place de [0, 2π].
Chapitre 5

Dualité Lp − Lq

5.1 Théorème de Radon–Nikodym


Définition 5.1. Soient µ et ν deux mesures sur un espace mesurable (E, A ). On dit
que ν est absolument continue par rapport à µ, et on note ν  µ, si pour tout A ∈ A ,
µ(A) = 0 =⇒ ν(A) = 0.
Voici un exemple typique, qui nous permet d’introduire la notion de mesure définie
par une "densité". La démonstration, qui est assez immédiate, sera vue en exercice.
Proposition 5.2. Soit µ une mesure sur un espace mesuré (E, A ) et ϕ : (E, A ) →
(R̄+ , B(R̄+ )) une fonction positive mesurable. Pour A ∈ A on pose
Z
ν(A) = 1A ϕ dµ A∈A,
E

Alors ν est une mesure sur (E, A ), qui est absolument continue par rapport à µ. Pour
toute fonction mesurable positive f on a
Z Z
f dν = f ϕ dµ.
R
De plus, on a L1 (ν) = {f mesurable ; |f | ϕ dµ < +∞} et la formule ci-dessous est
valable aussi pour toute fonction f ∈ L1 (ν).
On dit que ν est la mesure de densité f par rapport à µ et on écrit dν = f dµ.

On écrit aussi f = dµ et alors on appelle cette fonction la dérivée de Radon–Nikodym,
en référence au théorème qui établit la réciproque de cet exemple sous la condition que
µ et ν sont toutes deux σ-finies. Voici en effet un contre-exemple avec la mesure de
Lebesgue λ sur [0, 1] et m la mesure de comptage. On voit que λ  m car si m(A) = 0

alors A = ∅ et par conséquent λ(A) = 0. Pourtant dm n’existe pas, comme nous allons

R montrer par l’absurde. Supposons que f = dm existe et notons D = {f 6= 0}. Alors
le
[0,1]
f dm = λ([0, 1]) = 1, et pour tout ε > 0,
Z
1≥ f 1f ≥ε dm ≥ εm({f ≥ ε}),
[0,1]

53
CHAPITRE 5. DUALITÉ Lp − Lq 54

ce qui implique que {f ≥ ε} est fini. En particulier D = ∪n≥1 {f ≥ 1/n} est dénombrable
et donc λ(D) = 0. On a donc
Z
1 = λ({f = 0}) = 1{f =0} f dm = 0,
[0,1]

ce qui est la contradiction annoncée.

Théorème 5.3 (de Radon–Nikodym). Soient µ et ν deux mesures σ-finies sur (E, A )
tel que ν  µ. Alors il existe une fonction mesurable f : (E, A ) → (R̄+ , B(R̄+ )), unique
à un ensemble µ-négligeable près, tel que dν = f dµ, c’est-à-dire tel que pour tout A ∈ A ,
Z
ν(A) = 1A f dµ.
E

Démonstration. La démonstration est délicate, mais on doit retenir qu’elle repose sur le
fait que l’on connait le dual de L2 .
Nous allons seulement traiter un cas très particulier, qui est cependant le point central
de la démonstration du cas général. On va faire les deux hypothèses suivantes :
i) µ et ν sont toutes les deux des mesures finies
ii) ν ≤ µ, au sens où pour tout A ∈ A , ν(A) ≤ µ(A) (ce qui est beaucoup plus fort
que l’absolue continuité) .
Pour passer au cas général, on utilise le ϕ qu’on trouve sous les hypothèse précédentes
prend ses valeurs (presque partout) dans l’intervalle [0, 1]. Cela permet ensuite de passer
au cas µ  µ, et le cas général s’obtient par approximation (admis).
Par le lemme fondamental d’approximation et le théorème de convergence monotone,
notre hypothèse entraine que pour toute fonction mesurable positive g,
Z Z
g dν ≤ g dµ.

Soit alors la fonction Φ définie par


Φ : L2 (µ) −→ R
Z
g −→ g dν
E

qui est bien définie car L2 (µ) ⊆ L1 (ν). En effet, comme ν ≤ µ, on a L2 (µ) ⊆ L2 (ν), et
L2 (ν) ⊆ L1 (ν) puisque ν est finie. La fonction Φ est donc une forme linéaire sur L2 (µ).
De plus, grâce à l’inégalité de Cauchy-Schwarz,
Z Z
| Φ(g) | ≤ | g | dν ≤ | g | dµ ≤ k g kL2 (µ) k 1 kL2 (µ) ,
E E
p
autrement dit Φ est continue de norme ≤ µ(E) . Nous pouvons donc appliquer le
lemme de Riesz-Fisher à la forme linéaire continue Φ sur L2 (µ), et trouver un élément
ϕ de L2 (µ) tel que pour tout g ∈ L2 (µ),
Z Z
g dν = Φ(g) = gϕ dµ.
E E
CHAPITRE 5. DUALITÉ Lp − Lq 55

Notons aussi que ϕ ∈ L1 (µ), car L2 (µ) ⊆ L1 (µ). De même, puisque µ est finie, toute
fonction indicatrice g = 1A est dans L2 (µ) et ainsi
Z Z
ν(A) = 1A dν = 1A ϕ dµ.
E E

Cela termine la démonstration dans notre cas particulier, une fois que l’on a remarqué
que ϕ ≥ 0 µ-pp.
Remarquons justement, puisque c’est utile pour traiter le cas général, qu’effectivement
la fonction ϕ que nous venons de trouver vérifie ϕ ∈ [0, 1] µ-p.p. Soit ε > 0.
Z
0 ≤ ν({ϕ ≤ −ε}) = ϕ dµ ≤ −εµ({ϕ ≤ −ε}) ≤ 0,
{ϕ≤ε}

ce qui implique que µ({ϕ ≤ −ε}) = ν({ϕ ≤ −ε}) = 0. De même, comme ν ≤ µ,


Z
ν({ϕ ≥ 1 + ε}) = ϕ dµ ≥ (1 + ε)µ({ϕ ≥ 1 + ε}) ≥ (1 + ε)ν({ϕ ≥ 1 + ε}),
{ϕ≥1+ε}

ce qui implique que ν({ϕ ≥ 1 + ε}) = µ({ϕ ≥ 1 + ε}) = 0. Ainsi pour tout ε > 0, µ({ϕ 6∈
[−ε, 1 + ε]}) = 0. Comme {ϕ 6∈ [0, 1]} = ∪n≥1 {ϕ 6∈ [−1/n, 1 + 1/n]}, µ({ϕ 6∈ [0, 1]}) = 0,
i.e. ϕ prend ses valeurs dans [0, 1] µ-p.p.

5.2 Dualité Lp –Lq


On a déjà vu un aspect essentiel de cette dualité, à savoir le :
Théorème 5.4 (Inégalité de Hölder). Soit (E, A , µ) un espace mesuré et p, q ∈ [1, +∞]
avec p1 + 1q = 1. Si f ∈ Lp (µ) et g ∈ Lq (µ), alors f g ∈ L1 (µ) et
Z
|f g| dµ ≤ kf kLp (µ) kgkLq (µ) .

De plus, si p, q ∈]1, +∞[ il y a égalité si |f |p = |g|q (soit |g| = |f |p−1 ), et si (p, q) =


(1, +∞) il y a égalité si g est constante.
En particulier, on a pour p ∈ [1, +∞[ et f ∈ Lp (µ),
R
f g dµ
Z
kf kLp (µ) = sup f g dµ = sup

kgkLq (µ) ≤1 g∈Lq (µ) kgkLq (µ)

La formule ci-dessus reste vraie si p = +∞ et q = 1 lorsque la mesure µ est σ-finie.


Démonstration. Rappelons la démonstration du "En particulier", où p ∈ [1, +∞[. L’in-
égalité de Hölder, précédée de l’inégalité triangulaire, montre que sup(..) ≤ kf kLp (µ) .
Reste à trouver un g qui donne l’égalité.
CHAPITRE 5. DUALITÉ Lp − Lq 56

Pour f donné, on introduit, dans le cas réel, la fonction mesurable (bornée)  définie
par  ≡ 1 sur l’ensemble mesurable {f ≥ 0} et  ≡ −1 sur le complémentaire, de sorte
que f  = |f | (plus généralement, dans le cas complexe, on définit (x)−1 = f (x)/|f (x)|,
qui est donc l’argument, si f (x) 6= 0 et n’importe quoi de non nul, par exemple 1 lorsque
f (x) = 0).
Pour p = 1, on prend g = , ce qui donne l’égalité voulue puisque kgkL∞ = 1. Pour
p ∈]1, +∞[, on prend g =  × |f |p−1 , qui vérifie
Z Z
p/q
f g dµ = |f ||f |p−1 dµ = kf kpLp (µ) et kgkLq (µ) = kf kLp (µ) .

Le cas p = +∞ sera vu en exercice.


Le lemme de Riesz–Fisher montre que le dual topologique de L2 (µ) est isomorphe
à L2 (µ), ce que l’on a appelé la dualité L2 –L2 . Nous allons énoncer ici une extension
de cette propriété, qui est la dualité Lp –Lq , où p et q sont deux éléments conjugués de
[1, +∞], c’est-à-dire tels que p1 + 1q = 1. L’inégalité de Hölder montre que que pour tout
g ∈ Lq (µ), l’application

Φg : Lp (µ) −→ R
Z
f −→ f g dµ
E

est une forme linéaire continue, dont la norme vaut kf kLp (µ) . Notez que si g ≥ 0 µ-p.p.,
alors Φg est positive, au sens où si f ≥ 0 µ-p.p., alors Φg (f ) ≥ 0.
Théorème 5.5 (dualité Lp –Lq ). Soit µ une mesure σ-finie sur un espace mesurable
(E, A ) et p ∈ [1, +∞[. Soit Φ une forme linéaire continue sur Lp (µ). Alors ∃!ϕ ∈ Lq (µ)
tel que Φ = Φϕ , c’est-à-dire tel que
Z
p
pour tout f ∈ L (µ), Φ(f ) = f ϕ dµ.
E

Remarque 5.6. Le précédent théorème reste vrai lorsque µ n’est pas σ-finie pourvu que
1 < p < ∞.
Démonstration. Ici encore, nous allons seulement donner la démonstration dans un cas
très particulier. On va en effet supposer que µ est une mesure finie, et surtout que Φ est
aussi positive au sens où f ≥ 0 µ-p.p., entraine Φ(f ) ≥ 0. On va montrer que dans ce
cas la fonction ϕ qu’on trouve vérifie ϕ ≥ 0 µ-p.p.
On définit l’application ν : A → R+ par

ν(A) := Φ (1A ) A∈A.

Alors ν est une mesure (finie). D’abord, ν(∅) = Φ(0) = 0. Ensuite pour toute P+∞ suite
(Ak ) d’éléments de A deux à deux disjoints P et A = ∪k Ak , de sorte que 1A = k=0 1Ak .
Introduisons, pour n ≥ 0, fn := 1∪nk=0 Ak = nk=0 1Ak . Alors (fn ) converge simplement
vers f := 1A . Par ailleurs, 0 ≤ fn ≤ 1 et 1 ∈ Lp (µ) car µ est une mesure finie. Donc par
CHAPITRE 5. DUALITÉ Lp − Lq 57

convergence Lp -dominée, la suite (fn ) tend vers f dans Lp . Par conséquent, comme Φ
est continue,
  n
Φ(1Ak ) =
X X
ν(A) = Φ(f ) = Φ lim fn = lim Φ(fn ) = lim ν(Ak ).
n→∞ n→∞ n→∞
k=0 k

On veut appliquer le théorème de Radon–Nikodym à ν et µ. Comme Φ est linéaire et


continue, si on note k Φ k∗ sa norme d’opérateur (i.e. sa norme dans le dual) on a, pour
tout A ∈ A
ν(A) = Φ(1A ) ≤ k Φ k∗ . k 1A kp = k Φ k∗ µ(A)1/p ,
et donc µ(A) = 0 ⇒ ν(A) = 0. Ainsi ν  µ et il existe donc une application mesurable
positive ϕ telle que pour tout A ∈ A ,
Z Z
Φ(1A ) = ν(A) = ϕ dµ = 1A ϕ dµ.
A

Notez que ϕ ∈ L1 (µ) puisque ν est finie. Quitte à remplacer ϕ par ϕ1{ϕ≥0} on peut
supposer que ϕ est positive partout, et pas simplement presque-partout (pour être précis,
on choisit un élément dans la classe de ϕ qui est partout positif).
Pour finir, nous allons montrer que pour tout f ∈ Lp (µ),
Z
Φ(f ) = f ϕ dµ.
E

Nous savons déjà que cela est vrai si f est la fonction indicatrice d’un ensemble mesurable.
Soit d’abord f ≥ 0 élément de Lp (µ). Par le lemme fondamental d’approximation,
il existe une suite croissante (fj ) de fonction
R R qui converge (simplement) vers f .
étagées
D’après l’égalité ci-dessus,
R on a φ(f
R j ) = f j dν = fj ϕ dµ, et par convergence monotone,
on en tire que limj fj dν = f ϕ dµ. Par ailleurs, comme 0 ≤ fj ≤ f , on a aussi par
convergence dominée que fj tend vers f dans Lp (µ), et alors par continuité de Φ on
trouve Z Z
Φ(f ) = lim Φ(fj ) = lim fj dν = f ϕ dµ.
j→+∞ j→+∞
R
On a donc montré en particulier que si f ∈ Lp (µ) avec f ≥ 0 on a Φ(f ) = f ϕ dµ ∈
[0, +∞[. Avant de passer à une fonction de signe quelconque (ou complexe), montrons
que nécessairement ϕ ∈ Lq (µ). On distingue p > 1 et p = 1. Lorsque p > 1, on peut
introduire la suite de fonctions bornées fk = ϕq−1 1{ϕ≤k} , qui converge en croissant vers
ϕq−1 , simplement. Les fonctions fk sont dans Lp (µ), puisqu’elles sont bornées et que µ
est finie, et on a, par construction et par continuité de Φ,
Z Z Z 1/p
Φ(fk ) = fk ϕ dµ = 1{ϕ≤k} ϕ dµ ≤ kΦkkfk kLp (µ) = kΦk
q
1{ϕ≤k} ϕq dµ

soit encore Z
1{ϕ≤k} ϕq dµ ≤ kΦkq .
CHAPITRE 5. DUALITÉ Lp − Lq 58
R
Par convergence monotone, on trouve ϕq dµ ≤ kΦkq et donc ϕ ∈ Lq (µ). Dans le cas
p = 1 (et donc q = ∞) on a pour tout A ∈ A ,
Z
ϕ dµ = Φ(1A ) ≤ k Φ k µ(A),
A

donc (k Φ k − ϕ)1A dµ ≥ 0 et ce pour A quelconque. En prenant A = {ϕ > kΦk}, on


R
peut en déduire que ϕ ≤ kΦk µ-pp (pourquoi ?), ce qui assure queR ϕ ∈ L∞ (µ).
La seule chose qui reste à faire est d’étendre la relation Φ(f ) = f ϕ dµ à une fonction
de Lp (µ) de signe quelconque. C’est immédiat. On écrit f = f+ − f− , et en remarquant
que f± ∈ Lp (µ) et f± ϕ ∈ L1 (µ) (par Hölder), on trouve
Z Z Z
Φ(f ) = Φ(f+ − f− ) = Φ(f+ ) − Φ(f− ) = f+ ϕ dµ − f− ϕ dµ = f ϕ dµ.

Idem si l’on souhaite considérer des fonctions à valeurs complexes.


L’unicité est plus facile à voir, et sera faite en exercice.
Chapitre 6

Régularité de la mesure de Lebesgue et


théorèmes de densité

On va travailler avec la mesure de Lebesgue sur Rd , que l’on notera dans tout le
chapitre λ. On travailler donc sur l’espace mesuré (Rd , B(Rd ), λ).

6.1 Régularité de la mesure de Lebesgue


Théorème 6.1. Pour tout borélien A ∈ B(Rd ) on a

λ(A) = inf{λ(O) ; O ouvert, O ⊃ A}; (Régularité extérieure)

et
λ(A) = sup{λ(K) ; K compact, K ⊂ A}; (Régularité intérieure)
Pour démontrer ce résultat, on va commencer par travailler sur un ouvert borné, par
exemple, pour M ≥ 1 fixé, sur
QM :=] − M, M [n
avec sa tribu trace associée, qui vérifie

B(QM ) := B(Rd ) ∩ QM = {A ∈ B(Rd ) ; A ⊂ QM }

Cette tribu est engendrée par les ouverts de QM , à savoir O(QM ) := O(Rd ) ∩ QM =
{O ouvert de Rd ; O ⊂ QM }, puisque QM est ouvert. La mesure de Lebesgue restreinte
à QM est une mesure finie.
Lemme 6.2. Avec les notations ci-dessous, pour toute A ∈ B(Rd ) ∩ QM , on a

λ(A) = inf{λ(O) ; A ⊂ O ⊂ QM , O ouvert} et λ(A) = sup{λ(F ) ; F ⊂ A, F compact}

Démonstration. Il suffit de montrer que pour tout A ∈ B(Rd ) ∩ QM ,

∀ε > 0, il existe un ouvert QM ⊃ O ⊃ A et un fermé F ⊂ A tels que λ(O \ F ) < ε.


(6.1)

59
CHAPITRE 6. RÉGULARITÉ ET THÉORÈMES DENSITÉ 60

Soit T := {A ∈ B(QM ) vérifiant (6.1)}. Montrons que T est une tribu contenant
O(QM ), et par conséquent égale à B(QM ).
Montrons que T contient bien les ouverts de QM . Si A ⊂ QM est ouvert, il suffit de
prendre O = A. Pour F , définissons
1
Fn := {x ∈ Rd ; d(x, cA) ≥ } ⊂ A.
n
Comme la fonction x 7→ d(x, cA) est continue, Fn est fermé. De plus cA est fermé donc
pour tout x ∈ A, d(x, cA) 6= 0. En effet, d(x, cA) = 0 ssi x est dans l’adhérence de cA, qui
ici est cA. Ainsi, A = limn ↑ Fn et donc λ(A \ Fn ) ↓ λ(∅) = 0 car λ est finie sur QM ,
donc continue à droite. Donc A va vérifier (6.1).
Montrons que T est une tribu de QM .
i) QM ∈ T , car QM est ouvert.
ii) Passage au complémentaire. Soit A ∈ T et ε > 0. Alors il existe F ⊆ A ⊆ O
tels que µ(O \ F ) < ε, où O ⊂ QM est ouvert et F fermé. Si on pose O0 := cF ∩ QM et
Fk0 := cO ∩ [−(M − k1 ), M − k1 ]n , alors O0 est ouvert, Fk0 est fermé, et Fk0 ⊆ QM \ A ⊆ O0 .
De plus, O0 \ Fk0 = O0 ∩ cFk0 = (O0 ∩ O) ∪ (O0 \ [−(M − k1 ), M − k1 ]n ) ⊂ (cF ∩ O) ∪ (QM \
[−(M − k1 ), M − k1 ]n ), donc λ(O \ Fk ) ↓ λ(O \ F ), d’où le résultat en prenant k assez
grand.
iii) Réunion dénombrable. Soit (An ) une suite d’éléments de T et ε > 0. Alors pour
chaque entier n, il existe un ouvert On ⊂ QM et un fermé Fn tels que Fn ⊂ An ⊂ On ⊂
QM et
ε
λ(On \ Fn ) ≤ n+1 .
2
Comme (∪k≤n Fk )n est une suite croissante de limite ∪n Fn , λ(∪k≤n Fk ) converge vers
λ(∪n Fn ). Comme λ(∪n Fn ) ≤ λ(QM ) < ∞, il existe un entier nε tel que
ε
λ(∪k≤nε Fk ) ≥ λ(∪n Fn ) − .
2
Soient maintenant l’ouvert O0 = ∪n On (réunion d’ouverts) et le fermé F 0 = ∪k≤nε Fk
(réunion finie de fermés). On a alors

F 0 = ∪k≤nε Fk ⊆ ∪n Fn ⊆ ∪n An ⊆ ∪n On = O0 ⊂ QM .

Remarquez que ∪n On \∪k Fk ⊂ ∪n (On \Fn ) puisque si x ∈ ∪n On \∪k Fk alors x appartient


au moins à un certain Or , r ∈ N, mais x n’appartient pas à Fr , car il n’appartient à
aucun Fk , k ∈ N. Ainsi, on a

µ(O0 \ F 0 ) = λλ (∪n On ) − λ (∪k≤nε Fk )


= λ (∪n On ) − λ (∪n Fn ) + λ (∪n Fn ) − λ (∪k≤nε Fk )
= λ (∪n On \ ∪k Fk ) + λ (∪n Fn ) − λ (∪k≤nε Fk )
ε
≤ λ (∪n (On \ Fn ) +
2
X ε X ε ε
≤ λ (On \ Fn ) + ≤ n+1
+ ≤ ε,
n
2 n
2 2
CHAPITRE 6. RÉGULARITÉ ET THÉORÈMES DENSITÉ 61

ce qui achève la démonstration.

On peut maintenant finir la démonstration du théorème. Soit A une partie borélienne


de Rd .
Pour la régularité intérieure, on utilise que λ(A ∩ Qk ) ↑ λ(A). Et pour A ∩ Qk , on
sait qu’il existe un fermé Fk ⊂ A ∩ Qk ⊂ A tel que λ(A ∩ Qk ) − k1 ≤ λ(Fk ) ≤ λ(A ∩ Qk ),
ce qui montre que λ(Fk ) ↑ λ(A), comme annoncé.
Pour la régularité extérieure, on remarque que si λ(A) = +∞, il n’y a rien à montrer,
puisque λ(O) = +∞ pour tout ouvert contenant A. On suppose donc que λ(A) < +∞
et on se donne un ε > 0. En appliquant encore le Lemme à A ∩ Qk , on trouve un ouvert
Ok de Qk contenant A ∩ Qk et tel que λ(Ok \ (A ∩ Qk )) ≤ 2εk . Remarquez que comme
Ok ⊂ Qk , on a λ(Ok \ (A ∩ Qk )) = λ(Ok \ A) ≤ 2εk . Alors, si on introduit O = ∪k Ok , on
voit que O est un ouvert de Rd , comme réunion d’ouverts, et qu’il vérifie

A = ∪k (A ∩ Qk ) ⊂ ∪k Ok = O

et X ε
λ(O \ A) = λ(∪k (Ok \ A)) ≤ k
≤ ε.
k
2

6.2 Théorèmes de densité


Commençons par un résultat général.
Proposition 6.3. Soit (X, A, µ) est espace mesuré et p ∈ [1, +∞[. Alors l’ensemble des
(représentants des) fonctions étagées µ-intégrables est dense dans Lp (µ).
Démonstration. Soit f ∈ Lp . Quitte à raisonner sur f + et f − , nous pouvons supposer que
f est positive. Par le lemme fondamental d’approximation, il existe une suite croissante
(ϕn ) de fonctions étagées positives convergeant simplement vers f . Il nous suffit alors
de montrer que ϕn ∈ L1 (µ) ∩ Lp (µ) pour tout n et que la convergence a aussi lieu dans
Lp (µ). Comme f ∈ Lp (µ) et que 0 ≤ ϕn ≤ f , on a bien ϕn ∈ Lp (µ). Mais une fonction
étagée positive ϕ de Lp (µ) est aussi 1
R pélémentPde L (µ), enp effet, pour tout y ∈ ϕ(E), si
y 6= 0 alors µ(ϕ = y) < ∞ car ϕ dµ = y∈ϕ(E),y6=0 y µ(ϕ = y) < ∞. Mais comme
R P
ϕ(E) est fini, ϕ dµ = y∈ϕ(E) yµ(ϕ = y) < ∞. Enfin, 0 ≤ f − ϕn est dominée par
f ∈ Lp (µ), donc par convergence Lp -dominée, la suite (ϕn ) converge vers f dans Lp (µ).

Soit Ω un ouvert ou un fermé de Rn . On dit qu’une fonction mesurable f est à support


compact dans Ω s’il existe un fermé borné F avec F ⊂ Ω, tel que f soit nulle presque-
partout en dehors de F (i.e. f (x) = 0 pour presque tout x ∈ Rn \ F ). Pour une fonction
f continue sur Ω, cela équivaut à dire que l’ensemble {x ∈ Ω, f (x) 6= 0} (que l’on appelle
le support de f ) est un compact, qui de plus est inclus dans Ω.
Ainsi, une fonction à support compact dans Rn est une fonction pour laquelle il existe
une boule en dehors de laquelle la fonction est nulle presque-partout (attention, on ne
CHAPITRE 6. RÉGULARITÉ ET THÉORÈMES DENSITÉ 62

dit pas que la fonction est non-nulle sur la boule, mais seulement qu’elle est nulle en
dehors, nuance...).
On revient à la mesure de Lebesgue sur Rd .
Théorème 6.4. Soit Ω ⊂ Rd un ouvert de Rd (par exemple Ω = Rd ) et k ∈ N∗ ∪ {+∞}
(par exemple k = ∞).
Alors pour tout p ∈ [1, +∞[, l’espace vectoriel Cck (Ω) des fonctions réelles de classe
C , à support compact inclus dans Ω, est dense dans Lp (Ω, λ).
k

k
Démonstration. D’après la proposition précédente, il suffit de montrer que l’espace CK (Ω)
1
est dense dans l’espace des Pfonctions étagées (à support and Ω) intégrables , c’est-à-dire
les fonctions de la forme ni=1 αi 1Ai où pour tout i, λ(Ai ) < ∞. Par linéarité, il suffit de
montrer que pour tout A ∈ B(Ω) de mesure finie, la fonction indicatrice de A est limite
dans Lp (λ) d’une suite d’éléments de Cc∞ (Ω).
Soit ε > 0. Par régularité extérieure de la mesure de Lebesgue, et comme A est
de mesure finie, il existe un ouvert O ⊃ A tel que λ(O \ A) ≤ (ε/3)p , autrement dit
k 1O − 1A kp ≤ ε/3. Notez que comme Ω est ouvert, on peut supposer que O ⊂ Ω, quitte
à remplacer O par O ∩ Ω.
Comme O est la réunion (dénombrable) des pavés ouverts et bornés à extrémités
rationnelles qu’il contient (base dénombrable d’ouverts), et que λ(O) < ∞, par continuité
à gauche de la mesure, il existe une famille finie de pavés bornés et ouverts contenus dans
O dont la réunion Σ est telle que λ(O \ Σ) < (ε/3)p , autrement dit k 1O − 1Σ kp < ε/3.
Par ailleurs, on remarque que toute réunion finie de pavés ouvert bornés peut se ré-écrire
comme réunion de pavés ouverts bornés disjoints. On pourra donc supposer que Σ est
réunion finis de pavés ouverts bornés disjoints, tous contenus dans O ⊂ Ω.
Observons maintenant que pour tout intervalle ouvert ]a, b[, il est possible de construire
une suite croissante (ψn ) de fonctions de classe C k sur R, dominées par 1]a,b[ et conver-
(a,b)

geant simplement vers 1]a,b[ . Ainsi pour tout pavé ouvert R = di=1 ]ai , bi [, les fonctions
Q

sont dominées par 1R et convergent simplement vers 1R .


Qd (ai ,bi )
ϕRn := i=1 ψn
À présent, rappelons-nous que Σ est réunion finie et disjointe de pavés ouverts bor-
P R
nés, soit Σ = ∪j Rj . En définissant φn = j ϕn j , on obtient une suite de fonctions de
classe C k dominées par 1Σ et convergeant simplement vers 1Σ . Comme Σ est borné, ces
fonctions sont à support compact, et comme λ(Σ) < ∞, par convergence Lp -dominée, la
convergence a également lieu dans Lp . On peut donc trouver une fonction de classe C k
à support compact φ telle que k 1Σ − φ kp < ε/3. L’inégalité triangulaire nous permet de
conclure que k 1A − φ kp < ε.

1. en effet, un résultat classique de topologie assure que si A est dense dans B et B est dense dans C, alors
A est dense dans C
Chapitre 7

Produit de convolution

On travaille sur Rd avec la tribu borélienne. On notera λ ou simplement dx la mesure


de Lebesgue sur Rd , et Lp (Rd ) = Lp (Rd , B(Rd ), λ).

7.1 Convolution de fonctions positives sur Rd


Définition 7.1. Soit f et g deux fonctions boréliennes positives sur Rd . On définit pour
x ∈ Rd fixé Z
f ∗ g(x) = f (y)g(x − y) dy.
Rd
La fonction f ∗ g ainsi définie s’appelle la convolée de f et g.
Proposition 7.2 (Propriétés essentielles de la convolution de fonction positives). Pour
f , g et h des fonctions boréliennes positives sur Rd on a :
i) f ∗ g = g ∗ f (commutativité)
ii) f ∗ g est borélienne et positive
iii) f ∗ (g ∗ h) = (f ∗ h) ∗ h (associativité)
R R  R 
iv) {f ∗ g 6= 0} ⊆ {f 6= 0} + {g 6= 0}, et Rd f ∗ g dλ = Rd f dλ . Rd g dλ .
Démonstration. Commençons par la commutativité. Il s’agit de vérifier que f ∗ g = g ∗ f .
Cela découle de l’invariance de la mesure de Lebesgue par translation et symétrie. Fixons
x0 dans Rd . La mesure de Lebesgue est invariante par la transformation

y → x0 − y

Cela montre que


Z Z
f ∗ g(x0 ) = f (y)g(x0 − y) dy = f (x0 )y)g(y) dy = g ∗ f (x0 ).
Rd Rd

63
CHAPITRE 7. PRODUIT DE CONVOLUTION 64

En ce qui concerne l’associativité, si f , g et h sont trois fonctions boréliennes positives,


alors
Z
(f ∗ g) ∗ h(x) = dz h(z) f ∗ g(x − z)
R d
Z Z
= dz h(z) dy f (y) g(x − z − y)
R d R d
Z Z
= dy f (y) dz h(z) g(x − z − y)
d Rd
ZR
= dy f (y) g ∗ h(x − y)
Rd

qui n’est autre que f ∗ (g ∗ h)(x).


Le caractère borélien de f ∗ g découle du théorème de Fubini sur la tribu produit. En
effet, la fonction (x, y) → F (x, y) := f (y)g(x − y) est une fonction positives mesurable
pour B(Rd ) ⊗ B(Rd ) = B(Rd × Rd ), et donc la fonction section x → F (x, y) dy est
R
borélienne sur Rd . De plus, le théorème de Fubini-Tonelli nous permet de dire que
Z Z Z  Z Z 
f ∗ g(x) dx = F (x, y) dy dx = F (x, y) dx dy
Rd Rd Rd Rd Rd
Z Z  Z  Z 
= g(x − y) dx f (y) dy = f dλ . g dλ ,
Rd Rd Rd Rd

en utilisant que la mesure de Lebesgue sur Rd est invariante par translations.


Soit x ∈ Rd tel que x 6∈ {f 6= 0} + {g 6= 0}. Alors pour tout y ∈ Rd , g(y) = 0 ou
f (x−y) = 0 (sans quoi y ∈ {g 6= 0} et x−y ∈ {f 6= 0}, et alors x = y +(x−y) appartient
à la somme). Par conséquent g(y)f (x − y) = 0 pour tout y, si bien que f ∗ g(x) = 0.

Exemple 7.3. Si f est une fonction positive mesurable, alors si on note 1Rd la fonction
constante égale à 1, f ∗ 1Rd est une fonction constante :
Z
f ∗ 1Rd (x) = f dλ, ∀x ∈ Rn .

Exemple 7.4. Un exemple très instructif sur R, est


1[0,1] ∗ 1[0,1] .
On voit que c’est une fonction continue (c’est un cas particulier du résultat général ci-
dessous). Avec trois convolutions, on aura même une fonction C 1 . Sur cet exemple, on
voit aussi poindre le théorème de la limite centrale.

7.2 Convolution de mesures


Nous allons définir une opération sur les mesures, qui seront toujours supposées ici
définies sur B(Rd ) et σ-finies.
CHAPITRE 7. PRODUIT DE CONVOLUTION 65

Définition 7.5. Soient µ et ν deux mesures σ-finies sur B(Rd ). On appelle produit de
convolution, et l’on note µ ∗ ν, l’image de µ ⊗ ν par l’application (x, y) 7→ x + y.
Remarque 7.6. Par le théorème de Fubini–Tonelli, pour tout borélien A,
Z
µ ∗ ν(A) = 1A (x + y) d(µ ⊗ ν)(x, y)
Z Z  Z Z 
= 1A (x + y) dν(y) dµ(x) = 1A (x + y) dµ(x) dν(y)

et donc Z Z
µ ∗ ν(A) = ν(A − x) dµ(x) = µ(A − y) dν(y).

Cette formule est donc une reformulation de la définition, sur laquelle on voit que µ∗ν =
ν ∗ µ.
Remarquons en particulier que

µ ∗ ν(Rd ) = µ(Rd )ν(Rd ) ∈ [0, +∞]

et donc si µ et ν sont des probabilités alors µ ∗ ν en est également une.


Exemple 7.7. Notons δ0 la mesure de Dirac en 0 ∈ Rn . C’est une mesure borélienne
σ-finie (c’est même une probabilité borélienne). Si µ est une mesure borélienne, alors
pour tout borélien A ⊂ Rn on a
Z
µ ∗ δ0 (A) = µ(A − y) dδ0 (y) = µ(A),

c’est-à-dire : µ ∗ δ0 = µ.
Proposition 7.8. Le produit de convolution est commutatif, associatif et possède un
élément neutre qui est δ0 .
Remarque 7.9. Avant de convoler µ ∗ ν avec une troisième mesure, il faut tout d’abord
vérifier que µ ∗ ν est elle-même σ-finie, car ce n’est pas
R toujours le cas, comme
R on peut le
voir avec le contre-exemple λ ∗ λ. En effet λ ∗ λ(A) = dλ(x) λ(A − x) = dλ(x) λ(A) =
λ(Rd )λ(A), qui vaut +∞ dès que A est de mesure de Lebesgue non nulle.
Démonstration. La démonstration est immédiate grâce à la commutativité et à l’asso-
ciativité de l’addition sur Rd et du produit ⊗ de mesures.
Proposition 7.10 (Cohérence des notations).
1. Si ν admet une densité g par rapport à la mesure de Lebesgue, alors µ ∗ ν admet
également une densité, (encore) notée µ ∗ g, définie par
Z
µ ∗ g(x) := g(x − y) dµ(y) x ∈ Rd .
Rd
CHAPITRE 7. PRODUIT DE CONVOLUTION 66

2. Si µ (resp. ν) admet une densité f (resp. g) par rapport à la mesure de Lebesgue,


alors µ ∗ ν admet également une densité, égale à f ∗ g.
Démonstration. Par le théorème de Fubini–Tonelli, µ ∗ g est borélienne car l’application
(x, y) 7→ g(x − y) est borélienne (voir chapitre sur les tribus produits). De plus, par la
formule du changement de variable puis par Fubini–Tonelli,
Z Z
µ ∗ ν(A) = dµ(y) dν(x)1A (x + y)
Z Z
= dµ(y) dλ(x) g(x) 1A (x + y)
Z Z
= dµ(y) dλ(u) g(u − y) 1A (u)
Z Z
= dλ(u)1A (u) dµ(y) g(u − y),

dλ(u) 1A (u) µ ∗ g(u).


R
qui n’est autre que

7.3 Convolution de fonctions boréliennes de signe quelconque


Définition 7.11 (Fonctions convolables et convolée).
1. Deux fonctions mesurables (i.e. boréliennes) f et g sur Rd à valeurs réelles ou
complexes sont dites convolables si pour presque-tout x ∈ Rd , la fonction y →
f (y)g(x − y) appartient à L1 (Rd ), c’est-à-dire si pour presque tout x ∈ Rd ,
Z
|f (y)||g(x − y)| dy = |f | ∗ |g|(x) < +∞
Rd

2. Si f et g sont deux fonctions convolables, alors on peut définir, pour presque tout
x ∈ Rd , Z
f ∗ g(x) = f (y)g(x − y) dy
Rd
et la fonction f ∗ g s’appelle la convolée de f et g.
Exemple 7.12 (A retenir). Si f ∈ L1 (Rd ), alors f et 1Rd sont convolables, et f ∗ 1Rd
est constante et vaut Z
f ∗ 1Rd (x) = f dλ, ∀x ∈ Rn .

Proposition 7.13. Le produit de convolution des fonctions boréliennes jouit des pro-
priétés suivantes : soit f et g deux fonctions convolables sur Rd , alors
1. pour presque tout x,
f ∗ g(x) = g ∗ f (x),
CHAPITRE 7. PRODUIT DE CONVOLUTION 67

2. dire que les fonctions f et g sont convolables équivaut à dire les fonctions |f | et
|g| sont convolables, et pour presque tout x on a
|f ∗ g(x)| ≤ |f | ∗ |g|(x).
En particulier, les questions d’intégrabilité de f ∗ g se ramènent au cas de la
convolution de fonctions positives |f | et |g|.
3. la fonction f ∗ g est borélienne.
4. {|f ∗ g| > 0} ⊂ {|f | > 0} + {|g| > 0}.
Démonstration. 1. On sait déjà que |f | ∗ |g| = |g| ∗ |f | donc g et f sont aussi
convolables. Pour x0 fixé un point où |f | ∗ |g|(x0 ) < +∞, l’égalité découle comme
précédemment de l’invariance de la mesure de Lebesgue par y → x0 − y, cette fois
sur les fonctions dans L1 (Rd ).
2. L’inégalité découle de l’inégalité triangulaire.
3. Pour tout x tel que |f | ∗ |g|(x) < +∞, on a par croissance de l’intégrale, toutes les
fonctions f ± ∗ g ± (x) sont bien définies et finies, et par linéarité (pour des fonctions
dans L1 (Rd )) on a
f ∗ g(x) = f + ∗ g + (x) − f + ∗ g − (x) − f − ∗ g + (x) + f − ∗ g − (x),
et tous les termes de cette somme sont des fonctions boréliennes (voir section
précédente), d’où le résultat.
4. Par l’inégalité du 2., on a {|f ∗ g| > 0} ⊂ {|f | ∗ |g| > 0}, et on est donc ramené
aux cas de fonctions positives.

Remarque 7.14. La convolution ne dépend que de la classe de f et g presque partout,


au sens suivant : f1 = f2 λ-p.p. et g1 = g2 λ-p.p. alors pour tout x ∈ Rd , | f1 | ∗ | g1 |(x) =
| f2 | ∗ | g2 |(x), et si ce nombre est fini, f1 ∗ g1 (x) = f2 ∗ g2 (x).
En effet, pour tout x ∈ Rd , si l’on définit le borélien A(x) par @

A(x) := {y ∈ Rd : f1 (x − y) g1 (y) 6= f2 (x − y) g2 (y)},


on a alors
A(x) ⊆ {y ∈ Rd : f1 (x−y) 6= f2 (x−y)} ∪ {y ∈ Rd : g1 (y) 6= g2 (y)} = (x − {f1 6= f2 }) ∪ {g1 6= g2 },
si bien que
λ(A(x)) ≤ λ ({f1 6= f2 }) + λ ({g1 6= g2 }) = 0.
Par conséquent,
Z
| f1 | ∗ | g1 |(x) = | f1 (x − y) |.| g1 (y) | 1cA(x) (y) dy
Z
= | f2 (x − y) |.| g2 (y) | 1cA(x) (y) dy = | f2 | ∗ | g2 |(x).

Si cette quantité est finie, on fait le même raisonnement avec f1 ∗ g1 et f2 ∗ g2 .


CHAPITRE 7. PRODUIT DE CONVOLUTION 68

Remarque 7.15. Le produit de convolution des fonctions boréliennes de signe quel-


conque n’est pas associatif en général.
On souhaite à présent exhiber des conditions suffisantes pour que deux fonctions f
et g soient convolables, et tirer ensuite des propriétés d’intégrabilité de f ∗g.
Théorème 7.16. Soit f et g deux fonctions boréliennes (définies éventuellement seule-
ment presque partout).
1. Si f est localement intégrable 1 et g est essentiellement bornée et à support compact,
alors f et g sont convolables (et f ∗ g est même défini partout).
2. Si f ∈ Lp (Rd ) et g ∈ Lq (Rd ) avec p, q ∈ [1, +∞] tels que p−1 + q −1 = 1, alors f et
g sont convolables (et f ∗ g est même défini partout). Dans ce cas, f ∗ g ∈ L∞ (Rd )
et de plus kf ∗ gk∞ ≤ kf kp kgkq .
3. Si f ∈ L1 (Rd ) et g ∈ Lp (Rd ), avec pour p ∈ [1, +∞], alors f et g sont convolables.
Dans ce cas, f ∗ g ∈ Lp (Rd ) et de plus k f ∗ g kp ≤ k f k1 k g kp .
Vous remarquerez que les cas ci-dessus s’intersectent. Par exemple, si f ∈ L1 (Rd ) et g
est bornée à support compact, on peut utiliser le 1), le 2) avec (p, q) = (1, ∞), ou encore
le 3) avec p = ∞.

Dém. Dans tous les cas, il s’agit d’estimer | f | ∗ | g |(x) < ∞ et son intégrale.
1) Pour le premier cas on a, si g est nulle en dehors d’une certaine boule B ⊂ Rd , on
a
Z
| f | ∗ | g |(x) = | f (x − y) |.| g(y) | 1{| g |≤k g k∞ } 1{| g |6=0} dy
Z
≤ k g k∞ | f (x − y) | 1{| g |6=0} dy
Z
≤ k g k∞ | f (x − y) | dy
Z B

= k g k∞ | f | dλ,
x−B

qui est fini car x − B est borné (donc inclus dans une certaine boule).
2) Par l’inégalité de Hölder,
Z 1/p Z 1/q
p q
| f | ∗ | g |(x) ≤ | f (x − y) | dy | g(y) | dy = k f kp k g kq .

3) Supposons enfin que f ∈ L1 (λ) et g ∈ Lp (λ). Le cas où p = ∞ est un cas particulier


de ce qui précède, aussi nous pouvons supposer que p < ∞. En notant µ la mesure de
probabilité de densité | f |/k f k1 (le cas où k f k1 = 0 étant trivial) par rapport à la
| f | dλ < ∞ sur toute boule B ⊂ Rd
R
1. autrement dit B
CHAPITRE 7. PRODUIT DE CONVOLUTION 69

mesure de Lebesgue et en lui appliquant l’inégalité de Jensen avec l’application convexe


R+ : x 7→ xp ,
Z Z Z p
p
(| f | ∗ | g |) (x) dx = dx | f (y) |.| g(x − y) | dy
Z p
p
= k f k1 | g(x − y) | dµ(y)
Z
p
≤ k f k1 | g(x − y) |p dµ(y)
Z Z
p−1
= k f k1 dx dy | f (y) |.| g(x − y) |p
Z Z
p−1
= k f k1 dy | f (y) | dx | g(x − y) |p
= k f kp1 k g kpp ,

ce qui donne l’inégalité k | f | ∗ | g | kp ≤ k f k1 k g kp . Ainsi | f | ∗ | g |(x) < ∞ pour presque


tout x, donc f ∗ g(x) est défini pour presque tout x et k f ∗ g kp ≤ k | f | ∗ | g | kp ≤
k f k1 k g kp . 2
Remarque 7.17. Le résultat général, qui sera vu en Exercice, est le suivant : soit p, q, r ∈
[1, +∞] tel que
1 1 1
+ =1+ ,
p q r
alors si f ∈ Lp (Rd ) et g ∈ Lq (Rd ), on a f et g convolables, avec f ∗ g ∈ Lr (Rd ) et

kf ∗ gkr ≤ kf kp kgkq .

On a vu que parfois la convolution est bien définie partout, même pour des fonctions
définies presque partout. De fait, la convolution a tendance à régulariser les fonctions.
Voici un exemple classique.
Théorème 7.18. La convolution d’une fonction de L1 (R) et d’une fonction de L∞ (R)
est une fonction continue (bornée, comme on l’a déjà vu).
Démonstration. La preuve sera vue en Exercice. Elle repose sur le fait que pour f ∈
L1 (R), l’application

y −→ τy (f ) où τy f est la fonction définie par τy (f )(x) = f (x − y)

est une application (uniformément) continue de R dans (L1 (R), k · k1 ). On rappelle


que ce résultat repose sur la densité des fonction continues, à support compact, dans
(L1 (R), k · k1 ).
Chapitre 8

Transformée de Fourier sur R

On travaillera sur R, avec la tribu borélienne B(R) et la mesure de Lebesgue qui sera
notée λ ou simplement dx. Les espaces Lp seront toujours, sauf mention contraire, des
espaces complexes (i.e. on travaille avec des fonctions à valeurs complexes).
On va considérer la transformée de Fourier d’une fonction intégrable ou d’une mesure
borélienne finie (typiquement une probabilité).

8.1 Définition et premières propriétés


Définition 8.1. a) Soit µ une mesure finie sur B(R). On définit la transformée de
Fourier de µ, et l’on note µ̂, la fonction µ̂ : R → C définie par
Z
µ̂(u) = e−i ux dµ(x) u ∈ R.
R

b) Soit f : R → C un élément de L1 (R). On définit également la transformée de Fourier


de f , et l’on note (encore) fˆ, la fonction fˆ : R → C définie par
Z
fˆ(u) = e−i ux f (x) dλ(x) u ∈ R.
R

Remarque 8.2 (Cohérence des notations). Si f est positive, alors en désignant par µ
la mesure de densité f par rapport λ, on a par définition fˆ = µ̂.
Proposition 8.3. Si µ, ν sont des mesure boréliennes finies et f, g ∈ L1 (R) on a

∀s, t ≥ 0, sµ
\ + tν = sµ̂ + tν̂

et
∀s, t ∈ C, \
sf + tg = sfˆ + tĝ
De plus la transformée de Fourier est un morphisme de groupes pour le produit de convo-
lution, au sens où

∗ ν = µ̂ν̂,
µ[ ∗ f = µ̂fˆ,
µ[ ∗ g = fˆĝ.
f[

70
CHAPITRE 8. TRANSFORMÉE DE FOURIER SUR R 71

Démonstration. La linéarité est évidente d’après la définition (définition de la somme


de deux mesure, et linéarité de l’intégrale sur les fonctions intégrables). Calculons la
transformée de Fourier de µ ∗ ν :
Z Z Z
−i uz
µ[∗ν = e d(µ ∗ ν)(z) = e−iu(x+y) dµ(x) dν(y)
Z Z
−iux
= e dµ(x) e−iuy dν(y)

par le théorème de Fubini–Lebesgue (puisque les constantes sont µ ⊗ ν-intégrables), et


cette dernière expression n’est autre que µ̂(u) ν̂(u) (la démonstration est bien sûr la
même pour µ ∗ f et f ∗ g). 2
Proposition 8.4 (Caractère continue borné de la transformée de Fourier). Pour une
mesure finie µ ou pour une fonction f ∈ L1 (R), la transformée de Fourier µ̂ ou fˆ est
une fonction continue de R dans C, qui est bornée avec
Z
ˆ
∀u ∈ R, | µ̂(u) | ≤ µ(R), et | f (u) | ≤ | f | dλ = kf kL1 (R) . (8.1)

Démonstration. En notant g(u, x) = e−iux f (x), on voit que pour tout x l’application
u 7→ g(u, x) est continue etRdominée par | f (x) | qui par hypothèse est λ-intégrable en x,
donc l’application fˆ : u 7→ g(u, x) dλ(x) est continue (et la démonstration est bien sûr
la même pour µ̂).
Pour une fonction, on peut en dire plus.
Théorème 8.5. Si f ∈ L1 (λ), alors fˆ est une fonction continue bornée (on le sait déjà)
qui de plus tend vers zéro à l’infini.
En particulier, on voit donc que f → fˆ est une application linéaire continue de L1 (λ)
dans (C0 (R), k · k∞ ), l’espace des fonctions continues tendant vers zéro à l’infini, muni
de la norme sup.
On va commencer par établir un Lemme très utile.
Lemme 8.6. Soit f une fonction de classe C 1 sur R, à support compact. Alors,

∀u ∈ R, fb0 (u) = i u fˆ(u).

On en déduit que :
1. Si f est de classe C 1 à support compact, alors
C
|fˆ(u)| ≤
|u|

pour tout |u| > 0, avec C = kf 0 kL1 (R) < +∞. En particulier fˆ ∈ L2 (R).
CHAPITRE 8. TRANSFORMÉE DE FOURIER SUR R 72

2. Si f est de classe C 2 à support compact, alors ∀u ∈ R, fb00 (u) = − u2 fˆ(u), et donc


C
|fˆ(u)| ≤
|u|2

pour tout |u| > 0, avec C = kf 00 kL1 (R) < +∞. En particulier fˆ ∈ L1 (R) ∩ L2 (R).
Démonstration. On remarque que f 0 est bien dans L1 (R), puisque continue à support
compact. Soit [a, b] ⊂ R tel que f soit identiquement nulle en dehors de ce segment (et
donc f 0 aussi). Par intégration par parties on a, pour u ∈ R,
Z Z
0
fb (u) = 0
f (x)e−i ux
dx = iu f (x)e−iux dx = iufˆ(u).
[a,b]

Regardons les conséquences. La première découle de la borne (8.1). La fonction fˆ est


alors une fonction continue avec |fˆ(u)|2 = O( u12 ) donc fˆ ∈ L2 (R). Si f est C 2 à support
compact, alors on applique deux fois la relation ci-dessus et on trouve

∀u ∈ R, fb00 (u) = − u2 fˆ(u).

d’où la majoration. En particulier, fˆ est une fonction continue sur R telle avec |fˆ(u)| =
O( u12 ) donc fˆ ∈ L1 (R) ∩ L2 (R).
Démonstration du Théorème 8.5. Dans le cas d’une fonction f ∈ L1C (R), on sait déjà
que fˆ est une fonction continue bornée. Pour montrer que fˆ tend vers zero à l’infini, on
commence par traiter le cas où f est C 1 à support compact. Le lemme ci-dessus donne
alors le résultat. On conclut par densité des fonctions C 1 à support compact dans L1 (R)
(voir Exercices)
Exemple 8.7. Voici un exemple particulièrement intéressant. Prenons f = 1[−1,1] , qui
est une fonction positive intégrable (bornée à support compact). Alors on voit que
sin(u)
∀u ∈ R, fˆ(u) = 2 ,
u
qui est bien une fonction continue (et même analytique, donc C ∞ ), tendant vers zéro
à l’infini. On remarquera que fˆ ∈ L2 (R) mais que fˆ ∈ / L1 (R). En fait, pour avoir
fˆ intégrable, il ne suffit pas que f le soit, il faut de la régularité sur f . On voit ce
phénomène à l’oeuvre dans le Lemme ci-dessus.
Remarque 8.8. Soit f : R → C une fonction λ-intégrable. On pourra montrer en
exercice les égalités suivantes. @
— Si g est définie par g(x) = f (−x) alors ĝ(u) = fˆ(−u) ;
— si g est définie par g(x) = f¯(x) (complexe conjugué), alors ĝ(u) = fˆ(−u) ;
— si g est définie par g(x) = f (x/a) (où a est un réel non nul quelconque), alors
ĝ(u) = a fˆ(au).
CHAPITRE 8. TRANSFORMÉE DE FOURIER SUR R 73

8.2 Injectivité de la transformée de Fourier et formule d’inver-


sion
Nous allons à présent montrer que la transformée de Fourier d’une fonction dans L1
ou d’une mesure finie la caractérise. Nous allons traiter en détail le cas d’une fonction,
et admettre le cas des mesures (qui se fait de la même façon). Pour cela, nous allons
utiliser des résultats vus dans les Exercices.
Théorème 8.9 (Formule d’inversion). Soit f ∈ L1 (R) telle que fˆ ∈ L1 (R). Alors la
fonction g ∈ C0 (R) définie par
Z
ˆ fˆ(t)eitx dt

g(x) = f (−x) =
d
R

est telle que


1
f (x) = g(x) pour presque tout x ∈ R.

1 ˆ
En résumé, si f ∈ L1 (R) et fˆ ∈ L1 (R), alors f (x) = 2π fˆ(−x), pour presque tout
x. Le presque partout est inévitable, puisqu’une des fonctions est continue, et l’autre
seulement dans L1 .
Démonstration. Soit H : R → R la fonction continue définie par

H(t) = e−|t|

C’est une fonction positive intégrable. Introduisons, pour n ∈ N∗ la fonction


Z
1 t  itx
hn (x) = H e dt.
2π R n
Alors on voit que
1 n 1 1
hn (x) = = nϕ(nx) avec ϕ(x) := ,
π n2 x2 + 1 π x2 + 1
R R
et en particulier R hn = R ϕ = 1. En utilisant les propriétés de H et hn , on a établit
dans les Exercices que pour f ∈ L1 (R) donné, il existe une sous-suite (hnk ) tel que,

f ∗ hnk (x) −→ f (x) pour presque tout x ∈ Rn .

La formule d’inversion repose sur cette propriété. En reprenant les les notations ci-
dessus, on a pour x ∈ Rn fixé, la fonction g(y, t) = f (x − t)H(y/n)eity est une fonction
de L1 (R2 ) puisque,
Z Z Z  Z 
|g(y, t)| dy dt ≤ |f (x − t)|H(y/n) dy dt = |f (t)| dt × H(y/n) dy < +∞
CHAPITRE 8. TRANSFORMÉE DE FOURIER SUR R 74

On a donc, en utilisant le théorème de Fubini ,


Z Z Z Z
1 y  ity  1 y  
f ∗ hn (x) = f (x − t) H e dy dt = H f (x − t)eity dt dy
2π R R n 2π R n
Z Z R
1 y 
 i(x−z)y

= H f (z)e dz dy
2π R n R

et donc Z
1 yˆ
f ∗ hn (x) = H f (y) eixy dy.
2π R n
1
Pour notre f ∈ L (R) il existe une sous-suite hnk tel que le terme de gauche converge
vers f (x) pour presque tout x ∈ R.
Pour le terme de droite, on va utiliser que 0 < H(t)≤ 1 et H(t/n) → 1 lorsque
n → +∞. Ainsi, pour x ∈ R fixé, on constate que H nyk fˆ(y) eixy → fˆ(y) eixy lorsque
k → +∞, et que
H y fˆ(y) eixy ≤ |fˆ(y)|.

nk
Comme on suppose que fˆ ∈ L1 (R), on peut utiliser le théorème de convergence dominée
pour conclure que
Z Z
y ˆ
H ixy
f (y) e dy −→ fˆ(y) eixy dy = g(x).
R nk R

Une conséquence de la formule d’inversion est l’injectivité de la transformée de Fou-


rier.
Théorème 8.10 (Injectivité de la transformée de Fourier). Si f et g sont deux fonctions
intégrables sur R telles que fˆ = ĝ, alors f = g p.p.
Démonstration. La fonction F = f − g est une fonction intégrable, telle que F̂ = fˆ− ĝ =
0. Ainsi, F̂ est aussi intégrable ( !), et par la formule d’inversion, on en déduit que F = 0
presque partout.
On admettra les résultats correspondant pour les mesures :
Théorème 8.11 (Injectivité de la transformée de Fourier). Si µ et ν sont deux mesures
finies sur B(R) telles que µ̂ = ν̂, alors µ = ν.
Théorème 8.12. Si µ est une mesure finie dont la transformée de Fourier µ̂ est inté-
grable, alors elle admet une densité continue et bornée g par rapport à λ donnée par
Z
−1
g(x) = (2π) eiux µ̂(u) du x ∈ R.
R

Pour finir, signalons qu’il existe une théorie L2 de la transformée de Fourier, analogue
à la théorie L2 des séries de Fourier que nous avons vu. Voici, dans un cas très particulier,
un résultat L2 important :
CHAPITRE 8. TRANSFORMÉE DE FOURIER SUR R 75

Proposition 8.13 (Égalité de Parseval). Si f ∈ L1 (R) et g ∈ L1 (R), alors les fˆg et f ĝ


sont intégrables, et Z Z
ˆ
f (t) g(t) dt = f (x)ĝ(x) dx.
R R

On en déduit que si f ∈ L1 (R) est tel que fˆ ∈ L1 (R), alors f et fˆ sont dans L2 (R) et
Z Z
1
2
|f | = |fˆ|2 .
R 2π R

Démonstration. Si f est dans L1 (R), alors fˆ est (continue) bornée, et donc si g ∈ L1 (R)
on a aussi fˆg ∈ L1 (R). Idem pour f ĝ. De plus la fonction (x, t) → f (x)g(t)e−ixt , borné
en module par |f (x)||g(y)|, qui est dans L1 (R2 ), et donc par le théorème de Fubini on a
Z Z Z
ˆ
f (t) g(t) dt = −ixt
f (x)e g(t) dtdx = f (x)ĝ(x) dx.
R R2 R

On utilise ensuite ce résultat avec g(t) = fˆ(t). Notez que g ∈ L1 (R) et donc fˆg ∈ L1
soit |fˆ| ∈ L2 . Par ailleurs,

ˆ
ĝ(x) = fˆ(x) = fˆ(−x) = 2πf (x),
b

1
par la formule d’inversion. (On remarque que |f |2 = 2π
f ĝ ∈ L1 ). La formule découle
alors de la formule précédente.

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