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Être pleinement humain est un défi et une source de confusion, car cela implique
de vivre sur différents plans de réalité en même temps. Cela demande de cultiver un
certain goût du paradoxe - de savoir apprécier à quel point des vérités très différentes
peuvent être vraies en même temps. En réalité, cette qualité multi-dimensionnelle de
notre expérience est la source de toute créativité et de toute grandeur humaine.
DUALISME ET NON-DUALITE
La conscience de la plupart des gens, cependant, reste confinée à un seul plan de
réalité : la perception dualiste, telle qu'elle est fabriquée par le mental égoïque, qui
établit une solide division entre le moi séparé ici et tout le reste là-bas. Nos principaux
schémas de défense - la répression, la résistance, le déni, l'évitement, la mise à
distance, la projection, le jugement, le rejet, l'agression - sont des moyens de nous
tenir à l'écart de la réalité et de lui substituer une réalité virtuelle créée par le mental,
afin de tenter de nous protéger de « l'autre » - ces aspects de la réalité qui nous
paraissent étrangers ou menaçants.
Cependant, en tant qu'êtres humains, nous avons aussi accès à une plus vaste
dimension de conscience qui est intrinsèquement libre de la dualité. Les traditions
spirituelles orientales considèrent cette conscience sans ego comme notre véritable
nature essentielle, la fondation même de notre être. Puiser dans cette pure présence
non duelle, comme c'est le cas dans certains types de connaissance contemplative,
révèle un vaste champ ouvert de conscience dans lequel s'évanouit la séparation entre
soi et l'autre, celui qui perçoit et ce qui est perçu. Cette conscience non duelle nous
libère du mental conditionné et du monde conflictuel du samsara. Elle révèle la vérité
absolue, la façon dont les choses sont au niveau ultime : inséparables, non divisées,
interconnectées. L'axiome indien « Tu es Cela » exprime cette découverte : ce que je suis
est inséparable de la totalité de la réalité telle qu'elle apparaît et coule à travers moi à
chaque instant, dans le flux de mon expérience en cours.
Si l'esprit égoïque dualiste est pré-humain, ou subhumain en ceci qu'il est orienté
vers la survie, la conscience non duelle sans ego est Crans-humaine, ou
suprapersonnelle, parce qu'elle ouvre une expansion plus vaste de l'être ou de la
présence qui est libre de notre implication personnelle ordinaire dans les situations
existentielles immédiates.
LE DOMAINE HUMAIN
En règle générale, les traditions orientales ne prennent en compte que ces deux
plans de l'existence - subhumain et trans-humain, samsara et nirvana, égocentrique
ou impersonnel - et envisagent la libération comme une délivrance de la condition
humaine. En revanche, les traditions spirituelles occidentales accordent une valeur
spéciale à l'incarnation humaine en elle-même, et s'intéressent plus à accomplir le
sens de cette incarnation qu'à la dépasser ou à s'en délivrer. Au lieu de mettre l'accent
sur l'impersonnel, l'Occident se focalise sur l'humanité en tant que véhicule en
évolution à travers lequel le divin peut progressivement se manifester dans l'existence
terrestre conditionnée.
Les traditions occidentales mettent aussi l'accent sur le fait d'incarner pleinement
notre humanité, avec toute sa précarité et sa vulnérabilité. Ce qui signifie s'engager
pleinement dans les relations et les situations existentielles dans lesquelles nous nous
trouvons, et contribuer à transformer ce monde. Par exemple, l'enseignement juif de
tikkun ha-olam, « réparer le monde », souligne l'importance de s'engager pleinement
dans l'existence profane et de la transformer. De manière similaire, le consentement du
Christ à se soumettre à la crucifixion pointe vers la nécessité d'entrer pleinement dans
la condition humaine pour la purifier ou la racheter.
L'existence humaine étant un pont qui relie deux mondes - absolu et relatif, liberté
et limitation, indestructibilité et vulnérabilité - elle requiert la capacité d'une double
vision, où nous reconnaissons comment deux vérités opposées peuvent être toutes les
deux vraies en même temps. D'un côté, à la lumière de la vérité absolue (ou
transcendante), le jeu de la dualité est illusoire parce que le soi et l'autre ne sont pas
vraiment séparés : même si deux vagues paraissent séparées et distinctes, elles ne
sont que les pulsations d'un seul et même océan. De l'autre, chaque vague est
distincte, avec ses propres caractéristiques uniques. C'est la vérité relative (ou
immanente). C'est la perspective du surfer qui doit tenir compte de la qualité spécifique
de chaque vague s'il veut la négocier avec habileté et ne pas mettre sa vie en danger.
La vérité transcendante - que les vagues séparées ne sont qu'une apparence - est
ce qui est vrai dans les profondeurs. La vérité immanente - que chaque vague est
différente et unique - est ce qui est vrai à la surface. Une perspective spirituelle
équilibrée honore à la fois ces deux vérités. A propos de l'égalité de ces deux vérités,
Reb Yerachmiel écrit encore
« Il n'y a pas de premier et de second, il n'y a pas de primauté de l'un sur l'autre.
Il n'y a que co-surgissement et interdépendance... Le monde temporel et éphémère de
Yesh (terme hébreu qui désigne la forme, la séparation) est nécessaire pour révéler la
puissance de l'éternelle présence de Ayin (le vide, la non-séparation ). Et les deux sont
nécessaires pour exprimer la complétude de Dieu ».
Bien sûr, il y a là une certaine vérité : l'Amour vient en réalité d'au-delà de nous,
d'une source absolue qui coule à travers nous et à travers ceux que nous aimons. Et
l'essence de l'amour implique une dissolution des barrières de séparation. Cependant,
définir l'amour uniquement comme une reconnaissance mutuelle impersonnelle est
incomplet et insatisfaisant en termes humains. Sur le plan humain, la relation est une
danse de la dualité - une rencontre transformatrice entre deux êtres distincts, le soi
relatif et l'autre relatif avec toutes leurs différences. Et cette danse possède son
intégrité, sa réalité, sa valeur intrinsèques.
Les enseignements non dualistes qui mettent principalement l'accent sur l'aspect
illusoire de l'expérience humaine peuvent, malheureusement, agir comme une force
déshumanisante supplémentaire dans un monde où notre humanité de base est déjà
assiégée de partout. Ce dont nous avons au contraire besoin en ces temps difficiles,
c'est d'une spiritualité de libération qui aide les gens à reconnaître la présence non
duelle comme une fondation pour s'engager dans leur humanité, plutôt que comme
une raison de s'en désengager. Nous avons besoin d'une perspective spirituelle qui
valorise et inclue le terrain de jeu central où notre humanité s'exprime - la relation.
Un des grands prophètes du royaume humain est Martin Buber. Selon lui, la vie
humaine se déploie, et trouve sa signification, dans le jeu de la dualité. L'existence
humaine atteint sa plus pleine expression dans et au travers de notre capacité à entrer
dans la relation Moi/Toi avec la réalité sous toutes ses formes. La conscience égoïque
n'est capable que de monologue, parce qu'elle implique surtout de s'écouter parler, en
réagissant à la réalité au travers de nos projections mentales. A l'autre extrême, le
royaume de l'être absolu se caractérise par le silence, étant donné que notre nature
essentielle ne peut pas être réalisée ou décrite de manière adéquate par des mots ou
des concepts. Habiter pleinement le domaine humain, selon Buber, c'est au contraire
vivre dans le dialogue.
Le dialogue est quelque chose de beaucoup plus profond que le simple échange
verbal. Sa principale caractéristique est de rencontrer et d'honorer l'altérité de l'autre -
en tant que « autre sacré» - ce qui permet à une alchimie mutuelle d'avoir lieu. Pour
reprendre ses propres termes, « Le mouvement de base de la vie de dialogue, c'est de se
tourner vers l'autre... en acceptant du plus profond de soi l'autre personne dans sa
spécificité. »
L'ego conditionné est blindé contre ce type d'échange transformateur parce qu'il
est rigide, sur la défensive et bloqué dans le passé. L'être absolu lui aussi ne change ni
ne se transforme car il est au-delà du temps - « tel qu'il était au commencement, tel
qu'il est à présent et sera à jamais ». Mais dans le domaine humain, là où la dualité se
déploie, la relation est un facteur de changement.
ETRE SOI-MEME
Rencontrer l'autre, c'est l'apprécier non seulement comme différent de vous mais
aussi comme unique, différent de tous ceux que vous avez déjà rencontrés. Buber
définit le fait d'être unique non pas comme de l'individualisme mais comme le fait
d'être porteur d'un don particulier que personne d'autre ne peut offrir tout à fait de la
même façon. Votre présence dans le monde, votre incarnation personnelle, l'offrande
que vous faites en vous manifestant comme « vous » - personne d'autre ne peut
l'exprimer de la même façon que vous. Dans les termes de Buber :
« Toute personne née en ce monde représente quelque chose de nouveau, quelque chose
qui n'a jamais existé auparavant, quelque chose d'original et d'unique. C'est le devoir de
chaque personne... de savoir et de reconnaître... qu'il n'y a jamais eu personne comme
lui dans le monde, car s'il y avait eu quelqu'un comme lui, il n'y aurait pas eu besoin
qu'il fasse partie du monde. Chaque personne unique est une chose nouvelle en ce
monde où elle est appelée à accomplir sa spécificité. La tâche en premier lieu dévolue à
chaque personne est l'actualisation de ses potentialités uniques, sans précédent et qui
ne se reproduiront jamais, et non pas la répétition de quelque chose que quelqu'un
d'autre, fut-il le plus grand, a déjà accompli ».
La même idée a été exprimée par Rabbi Zushya quand il a dit, peu de temps avant
sa mort : « Dans le monde à venir, on ne me demandera pas « Pourquoi n'as-tu pas été
Moïse ? » mais on me demandera « Pourquoi n'as-tu pas été Zushya ? ».
Que signifie être soi-même au sens d' « être Zushya » ? Cela ne veut pas dire
proclamer fièrement « Je suis moi » - la personnalité séparée qui a cet ensemble de
caractéristiques, ces préférences, cette histoire. Etre soi-même signifie découvrir les
lois les plus profondes de son être, laisser sa vie trouver et se frayer son véritable
chemin, et mettre au jour ses qualités innées et ses talents, au travers des interactions
avec la vie dans tous ses aspects. Etre soi-même correspond à la personne authentique
qui n'est ni l'ego conditionné, ni le Soi absolu au-delà de toute caractéristique, la
nature de Bouddha qui est la même en chacun de nous. Nous pouvons ainsi faire une
distinction entre la véritable nature absolue, qui est la même en chacun, et la manière
avec laquelle chaque personne exprime cette nature absolue à travers un chemin
unique et une offrande unique.
Une vue non duelle, qui n'accorde aucune réalité au niveau psychologique et au
monde phénoménal, est incapable de reconnaître la moindre portée au dialogue entre
Je et Tu, à l'appréciation de l'autre, ou à la relation intime. D'un autre côté, une
approche purement immanente comme celle de Buber, ne reconnaît pas le rôle
important de la transcendance - la capacité à dépasser le domaine personnel du
dialogue pour faire l'expérience du silence absolu et impersonnel. Nous avons besoin
d'une perspective plus englobante qui apprécie simultanément le transcendant et
l'immanent, l'absolu et le relatif, le vide et la forme, l'impersonnel et le personnel. C'est
cette compréhension que l'on retrouve, à divers degrés, dans le Tantra bouddhiste et
hindou, dans le zen, dans le shivaïsme du Cachemire, dans le soufisme et d'autres
traditions, qui diffèrent selon l'accent qu'elles mettent sur l'équilibre entre ces deux
vérités. C'est une perspective qui peut pleinement embrasser le paradoxe, car elle
reconnaît que nous vivons en même temps dans la forme et au-delà de la forme.
« L'ego ne vous fait voir que vous et personne d'autre. Mais il disparaît dès que vous
voyez que, tout autant que vous, il y a aussi les autres. Cette prise de conscience
engendre le sentiment que, tout comme vous avez votre propre « Je », les autres aussi
ont leur propre « Je ». Et, quand vous acceptez le « Je » de l'autre, vous devez aussi
inclure dans celui-ci ses façons de vivre, ses coutumes et schémas comportementaux,
ses manières de penser - la totalité de son être. Tout comme vous avez vos propres
tendances, lui aussi a les siennes. Dès que ce fait est accepté, l'emphase mise sur votre
ego diminue.
On doit juste tenter d'observer et de voir ceci : tous sont différents, tous sont
séparés. Comment pouvez-vous donc comparer, puisque chacun est différent et unique
? Chaque chose est différente d'une autre. Ceci est simplement ceci, rien que soi-
même, complet en soi-même, établi dans sa propre gloire, unique. C'est Brahman,
l'Absolu.
« Juger, c'est comparer; mais toute chose étant distincte et particulière, il n'y a
jamais rien à comparer. Toute chose est incomparable, unique et absolue. Rien n'est
absolument bon ou mauvais. II n'y a que des différences. Que reste-t-il alors ? L'autre
est ce qu'il est. Essayer de le connaître et de le comprendre si vous souhaitez le faire.
Le cours de la vie de quelqu'un d'autre est différent du vôtre. Il progressera en fonction
des circonstances qui sont les siennes. Si j'ai quelque chose à faire avec lui, alors
j'essaierai vraiment de le comprendre. Quelle sorte de personne est-ce, pourquoi parle-
t-il ainsi, quelle est son attitude, comment se comporte-t-il et s'exprime-t-il ? J'essaierai
de connaître tout cela. Alors seulement serai-je en mesure de traiter avec lui. Dès que
vous acceptez « cela » tel que c'est, votre ego disparaît séance tenante.
L'unité avec l'autre signifie voir, comprendre, et ressentir l'autre tel qu'il est. La
compréhension engendre l'empathie, l'empathie suscite l'amour et l'unité. Quand vous
voyez l'autre, vous êtes libre de l'autre. Est-ce qu'il semble y avoir là une
contradiction ? Quand je vois qu'il est juste lui, comment est-ce que je deviens libre de
lui ? Comment puis-je le garder, tout en étant libre de lui ? Vous devenez libre de lui
quand vous dites : il est. Pourquoi ?
Parce que vous n'avez pas d'attentes envers lui ! Essayez simplement de comprendre
qu'il est lui. Cet effort pour comprendre, le sentiment que j'ai compris, vous rend libre
de lui. Quand vous avez compris que ceci est ceci, cela est cela, vous êtes libre de la
totalité du monde. Est-ce que vous saisissez à présent ? On est libre de lui en
comprenant ce qu'il est. Pourquoi ? Libre de quoi ? De ma propre création mentale, de
la relation que j'ai forgée avec lui dans mon mental. »
De cette façon, nous en arrivons à connaître les autres dans leur ipséité (le fait,
pour un individu, d'être soi-même, distinct de tous les autres), et sommes un avec eux.
L'unité, ou la non-séparation, alors, est réalisée quand nous permettons pleinement à
l'autre d'être différent.
Selon Swâmi Prajnânpad, laisser chaque élément, chaque être, chaque moment
être juste ce qu'il est à ce moment, établi dans sa propre ipséité, permet au brahman -
l'essence de la réalité qui est plus vaste que n'importe quelle forme individuelle - d'être
révélé. Dans la terminologie orientale classique, « le vide est la forme », ou
« brahman est le monde ».
Etant donné que chaque élément de la réalité - chaque être, chaque moment du
temps, chaque expérience - est différent de chaque autre, cela signifie que toute chose
se produit toujours de façon fraîche et uniquement comme juste ce qui est, et donc
qu'elle est intrinsèquement auto-libérée, libre de tous les concepts que nous avons à
son sujet, qui sont fondés sur un conditionnement passé. De la même façon, le
processus que nous sommes, qui vit et respire, est toujours libre de tous les concepts
ou croyances que nous avons à son sujet. Dans l'instant présent, l'ego dualiste et
limité disparaît.
Laisser le relatif être tel qu'il est révèle alors l'absolu. Il n'est donc pas nécessaire
de donner à l'être absolu un statut spécial à part du processus relatif ou de la forme
qui évolue dans le temps, car ils sont inséparables. Réaliser cela nous permet de nous
mouvoir avec fluidité entre l'engagement dans notre expérience et la découverte de sa
nature infinie et indéfinissable, sans considérer l'un des aspects comme plus réel que
l'autre. Il n'y a aucun besoin d'établir une division entre la dualité et la non-dualité.
Ainsi, si vous êtes en colère ou perturbé juste maintenant, toute tentative pour
abandonner, changer ou transcender cette émotion ne fait que créer une dualité
supplémentaire. Votre colère dans l'instant est aussi l'absolu ; elle est la manière dont
l'absolu, la vérité au-delà de toutes les formes, se manifeste. Et si vous pouvez vous
ouvrir à la colère et être un avec elle, si vous n'entravez pas ce processus, alors le flux
de la réalité continuera de se déployer et d'évoluer sans être gelé et solidifié.
2) ce que vous devriez être (absolument). Cette division ou cette dualité est la
racine de toute souffrance. Vous êtes ce que vous êtes maintenant et ici - c'est
le seul `vous' que vous connaissez... Et continuez d'avancer, simplement parce
que vous êtes uniquement un processus dynamique. Un bouton de fleur est un
bouton maintenant et ici... Le bouton fleurira et accomplira son existence -
comment ? en accomplissant sa condition présente. Vous ne pouvez
commencer que tel que vous êtes - en tant qu'individu et en tant que personne
».
De façon assez intéressante, Swâmi Prajnânpad a étudié et apprécié Freud dans
les années 1920 en Inde et a développé sa propre version de la psychothérapie, qu'il a
pratiquée avec ses élèves. Cela ne pouvait être possible que pour un maître non
dualiste qui avait une perspective équilibrée, avec cette compréhension que l'absolu -
sous la forme de vous et votre expérience -se révèle naturellement et s'actualise au sein
et au travers de ce que vous êtes à chaque instant.
Cette compréhension fournit aussi un contexte non duel pour travailler avec les
émotions et les blocages psychologiques, approche que je décris comme «
psychothérapie dans un contexte spirituel. » Le cœur de cette approche, telle que je la
pratique dans mon propre travail, est ce que j'appelle la « présence inconditionnelle » -
apprendre à être présent à votre expérience juste telle qu'elle est. Si vous souffrez, vous
devez souffrir (ce qui signifie littéralement supporter, « undergo ») pleinement cette
expérience. Si vous pouvez reconnaître et être un avec votre souffrance, votre
confusion, vos émotions, vos réactions au plaisir et à la souffrance, votre résistance, si
vous pouvez pénétrer ces expériences pleinement, directement, intimement, elles
peuvent vous traverser librement et avec fluidité. Cela favorise un déploiement naturel
en direction de la vérité, de la compassion et de la libération.
Le travail affectif
Les gens ont peur de leur expérience. C'est leur problème le plus fondamental.
Parce que les sentiments et les émotions semblent souvent submergeants et
menaçants, ils sont supprimés, évités ou niés - ce qui renforce la division intérieure
entre le flux de l'expérience et le mental-ego qui essaie de la contrôler. Si nous pouvons
reconnaître et être un avec ce que nous ressentons, notre expérience se déploie
naturellement et relâche ses nœuds, révélant ainsi des qualités d'être sans ego plus
vastes - telles que la compassion, la force, la clarté, la paix, l'équilibre, l'enracinement -
ce que les nœuds émotionnels couvrent et obscurcissent habituellement.
Le travail cognitif
Par exemple, une femme réagit avec colère et reproche au fait que son mari la
néglige, ce qui ne fait qu'éloigner celui-ci davantage. Tout d'abord, elle peut avoir
besoin de travailler avec sa réaction émotionnelle en apprenant à s'ouvrir à la colère au
lieu d'essayer de s'en débarrasser en la déchargeant sur son mari. Puis elle peut
commencer à regarder ce qui se passe réellement, en dehors de ses interprétations,
chargées d'émotions, sur ce qui se déroule. En ce qui la concerne, elle peut voir que sa
colère est attisée par un film qui se joue dans sa tête - « Je ne compte pas pour lui » -
qui a son tour réveille un film d'horreur encore plus intense, qui remonte à son
enfance - « Je ne compte pas du tout ». En regardant de plus près cette impression de
ne pas compter, elle voit qu'il lui a toujours été difficile de sentir qu'elle pouvait avoir
ses propres besoins émotionnels ou de les exprimer clairement.
« une fois que l'émotion surgit, elle est la Vérité pour l'instant. Pourquoi ? Parce
qu'elle est là. Aussi je ne peux pas la nier... Laissez-la venir. Laissez-la s'exprimer.
Soyez avec cette émotion et ensuite soyez cette émotion... Alors vous verrez que très
vite elle va disparaître... L'émotion est une illusion, aucun doute, mais cette
émotion est réelle bien qu'elle soit une illusion. Elle est la Vérité parce qu'elle est là.
Quelle contradiction ! »
La foi requise ici est la reconnaissance que tout ce que nous expérimentons est la
vérité, dans l'instant ; c'est tout ce avec quoi nous devons travailler car, à cet instant,
c'est « ce qui est ». Puisque le combat et la névrose de l'ego samsarique est aussi ce qui
est, l'expérimenter pleinement et directement est l'éveil. Car l'éveil vient en pénétrant
ce qui est, plutôt qu'en s'en séparant. Aussi quand nous pouvons demeurer ouverts et
présents à l'expérience qui se produit, aussi névrotique qu'elle puisse paraître, nous
découvrons - soit graduellement, par l'investigation psychologique soit abruptement,
par la sagesse co-émergente - que cette expérience n'est pas solide, fixe ou définie
comme elle nous apparaissait au premier abord. Au fur et à mesure qu'elle commence
à couler, à se déployer, à mûrir, à se détendre, elle révèle sa véritable nature en tant
que jeu de l'éveil originel, incarné dans la forme humaine.
En soi, l'amour n'est certainement pas difficile car une présence ouverte et
aimante est une qualité intrinsèque essentielle de notre véritable nature. Pourquoi est-
il alors si dur d'incarner cette présence ouverte en relation avec d'autres personnes en
toute circonstance ? La source de ce problème réside en partie dans les blessures
subies dans l'enfance au sein de notre environnement affectif - phénomène
particulièrement répandu dans les sociétés modernes. A partir de ces blessures, des
schémas relationnels malsains se développent et se perpétuent inconsciemment, en
dépit de nos meilleures intentions.
II faut reconnaître que, souvent, les réalisations spirituelles ne guérissent pas nos
blessures profondes dans le domaine de l'amour. Il en résulte que de nombreux
pratiquants spirituels - aussi bien instructeurs qu'élèves - soit choisissent de ne pas
s'engager du tout dans des relations personnelles de caractère intime, soit aboutissent
aux mêmes difficultés et problèmes relationnels que n'importe qui d'autre. Même s'ils
ont une intention de compassion aimante envers tous les êtres, la plupart des
pratiquants spirituels actuels n'en continuent pas moins de reproduire les schémas
relationnels inconscients qu'ils ont développés dans l'enfance. Ce qui est souvent
nécessaire dans ces cas-là, c'est un travail psychologique qui nous permet d'amener à
la conscience les dynamiques psychiques sous-jacentes qui perpétuent ces schémas.