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Chantal Frère-Artinian
Chantal Frère-Artinian
1. C’est dans le flux de l’analyse de quelques patients arméniens venus me voir du fait de
l’arménité de mon nom, dans la méprise du reste, puisque je ne suis arménienne que par alliance,
que j’ai été amenée à consulter les livres de Janine Altounian. Cet aspect de la méprise fut une
composante fondamentale dans la dynamique du rapport transféro-contretransférentiel.
2. Ce manuscrit occupe le cœur de l’ouvrage ([2] des pages 85 à 113) de Janine Altounian.
Il est encadré d’une part par des notes et une postface du traducteur Krikor Beledian (Cf. note
5) qui en précisent le contexte historico-géographique et linguistique, et d’autre part par des
écrits de J. Altounian, analyses d’autres textes « témoignant d’autres patrimoines meurtriers »
([3] p. 7). Publié pour la première fois dans les Temps Modernes [1] en 1982, ce témoignage n’a
été commenté par J. Altounian que 22 ans plus tard, dans une contribution remarquable à un
ouvrage collectif [12] auquel le lecteur pourra se référer : « De quoi témoignent les mains des
survivants ? De l’anéantissement des vivants, de l’affirmation de la vie ». Le lecteur pourra aussi
se référer au dernier ouvrage de J. Altounian paru en mai 2005, L’intraduisible ; Deuil, mémoire
et transmission, Paris, Dunod, collection Psychismes.
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RÉFLEXIONS À PARTIR DU RÉCIT D’UN DÉPORTÉ
Dans La question de l’analyse profane [17], Freud n’utile qu’une seule fois
le terme de ruse : quand il rappelle le mythe de l’émasculation de Cronos par
Zeus que la mère avait sauvé par la « ruse » (« List ») (p. 74). Il utilise le même
terme dans « Le clivage du moi dans les mécanismes de défense » [19] lorsqu’il
rappelle le mythe ; toutefois, lorsqu’il parle de la façon « rusée » qu’a le garçon
de « traiter la réalité » de la castration par la constitution du fétiche, Freud utilise
le terme de « kniffige », précisent les traducteurs 3. Ce terme témoignant en fait
de l’absence de ruse pour la survie au sens où j’oriente ici ma recherche, il ne
peut convenir à celle-ci.
Dans les Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse [18], ce
qui a été traduit par « ruse » en français aux quatre occurrences 4 que comporte
cet ouvrage, ne correspond pas à « List ». Les différents termes utilisés par
Freud font apparaître en réalité deux niveaux psychiques : l’action et la pensée.
Selon que l’accent porte sur l’un ou l’autre de ces registres, nous percevons la
multiplicité des visages de la ruse que soulignent Destienne et Vernant ;
d’ailleurs, ces termes sont utilisés au pluriel : les ruses. Dans le premier cas
(où l’accent est mis sur l’action), les ruses renverraient à des procédés de type
« débrouillardise », mis en place dans l’immédiateté et sans état d’âme, en
fonction de la conjoncture ; dans le second cas (où c’est surtout la pensée qui
est mise en valeur), il s’agirait de manœuvres sous-tendant un temps de calcul,
une certaine réflexion, une stratégie. Quant à la ruse, au singulier, elle se rappro-
cherait de la métis décrite par Destienne et Vernant : en nouant ensemble action
et pensée en va-et-vient, elle organise, donne forme et sens à la vie psychique
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3. Les traducteurs écrivent en note : « kniffige : rusé, avec les marques péjoratives de malhon-
nêteté et de mauvaise foi, de ‘petite’ astuce qui n’en impose pas. » ([19] p. 286). C’est aussi dans
ce sens qu’en parle G. Bayle dans son rapport de 1996 sur les clivages [9].
4. Dans les conférences XXIX et XXXV, nous trouvons d’un côté : « une impression de ruse
(« Schlauheit ») » (p. 40) à propos du travail du rêve, et de l’autre côté : « celui qui est brutal,
rusé (« der Schlaue »), sans égards s’empare très souvent des enviables biens de ce monde »
(p. 223). Dans les XXXIe et XXXIVe, nous rencontrons d’une part : « les méthodes, on pourrait
dire les ruses (« Schliche ») » par lesquelles le moi faible emprunte, en les soustrayant au ça, «
de nouveaux quanta d’énergie » face au « monde extérieur dangereux et menaçant » (p. 106), et
d’autre part : « la grande foule …se limite à la découverte des ruses (« Schliche ») par lesquelles
on veut se rendre la vie facile » (p. 191).
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V. Altounian avait 14 ans quand il fut déporté, le 10 Août 1915, avec ses
parents et son jeune frère 5, lors du génocide arménien programmé par le gouver-
nement « Jeunes-Turcs ». Peu après son arrivée en France en 1921, à l’âge de
vingt ans, il rédige dans un Journal ce qu’il a « enduré », écrit-il, pendant ces
quatre années. Il écrit en tant que rescapé parmi d’autres d’un meurtre collectif.
Au-delà des un million et demi de personnes exterminées, ce meurtre vise
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5. Krikor Beledian, écrivain de langue arménienne, maître de conférences à l’Institut des langues
et civilisations orientales, professeur à la faculté de théologie de Lyon et traducteur du manuscrit,
précise que les deux frères aînés de la famille " avaient été envoyés à Lyon dans les années précédant
1915, et cela par mesure de sécurité " en raison des antécédents de massacres en 1895-96 et 1909
([6] p. 85).
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RÉFLEXIONS À PARTIR DU RÉCIT D’UN DÉPORTÉ
6. On trouve cinq fois cette expression sur trois pages ([6] p. 88 à 90), dont deux fois p. 89
ainsi que p. 90 ; et douze fois sur l’ensemble du texte. Il faut noter une répétition plus impor-
tante aux moments d’affects intenses ; au moment de l’exode (six fois) puis à celui du retour
(quatre fois).
7. Sur quatre occurrences dans l’ensemble, trois sont concentrées sur la même page 96 [6],
au moment qui précède immédiatement la mort du père, comme nous le préciserons plus loin.
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8. Quatre occurrences des pages 87 à 96, dont deux sur la page 96 [6].
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RÉFLEXIONS À PARTIR DU RÉCIT D’UN DÉPORTÉ
car tout doit se payer 9. Toute la libido se mobilise pour l’autoconservation alors
que le père fait figure de référent : c’est lui qui prend les décisions et les initia-
tives.
C’est alors que se révèle la réalité dans toute l’horreur de sa crudité : « Les
chiens déchiquetaient les morts, personne ne les enterrait. Tout alentour sentait
très mauvais. » ([6] p. 93)
A ce moment, la mère tombe malade ; le père comprend qu’il est temps de
décider de son propre déplacement, il « avait compris que nous allions tous
tomber malades, si on restait. Alors nous avons décidé de partir. » ([6] p. 93).
Il faut noter que c’est dans ce contexte de terreur et de proximité avec le
monstrueux que le père prend cette décision, démarquant ainsi peut-être le
destin de sa famille de celui du plus grand nombre qui a été de mourir sans laisser
de trace. On verra au temps suivant que le fils, c’est-à-dire l’auteur de ce récit,
s’identifiera à son père dans cette initiative.
Un peu plus d’un an après le début de l’exode 10, c’est le père qui tombe
malade à son tour ; battu, poussé sur la route, il s’affaiblit de jour en jour.
On perçoit chez l’auteur un infini désarroi à peine représenté par une même
expression trois fois répétée sur la même page : « Mais à quoi bon ?» ([6] p. 96).
A quoi bon s’acharner à « faire » : soigner le père, le protéger contre la brutalité
des bourreaux, monter encore la tente ? A quoi bon ces gestes de survie les plus
élémentaires ? Rien ne peut arrêter la descente infernale. La famine est là. Les
sauterelles restent la seule subsistance possible : « Là nous avons constaté que
les gens mangeaient des sauterelles. …Mais bientôt il n’y a plus eu de saute-
relles, car tout le monde en avait mangé. » ([6] p. 96).
Le style du Journal prend alors une forme que l’on pourrait qualifier de
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9. On peut relever treize tractations en sept pages ([6] p. 88 à 95) ; autrement dit, du début de
l’exode à la ruse dont il sera question dans la deuxième partie de ce travail.
10. La temporalité n’apparaît pas d’emblée dans le texte où tout semble pris en masse dans le
chaos. Une lecture comme faite au ralenti laisse cependant percevoir des repères temporels : le
voyage de Boursa à Kötahia a duré 10 jours, la famille est restée 3 mois à Kötahia ; le temps des
pires persécutions, lors de la déportation de Konya à Takda-Köpru puis Aghasia, peut être évalué
à 2 semaines, puis 3 jours encore jusqu’à Bab. On peut évaluer la date d’arrivée à Bab autour du
15 Décembre 1915. La famille est restée 9 mois dans les environs de Bab, c’est-à-dire jusqu’au
15 Août 1916 environ. L’exode reprend alors vers Meskènè où on peut imaginer une halte de 2 ou
3 jours seulement puis la déportation va jusqu’à Dibsiè où la famille reste 20 jours. Nous serions
donc autour du 10 Septembre. C’est à ce moment que le père tombe malade. Après 5 ou 6 jours,
Haman est atteint, dans un contexte de famine. L’agonie du père dure 6 jours. On peut évaluer la
date de sa mort autour du 25 Septembre 1916, soit, un an un mois et 15 jours après le début de
l’exode. Après la mort du père, la déportation se poursuit jusqu’à Der-Zor. Le texte entier du Jour-
nal recouvre 5 ans exactement, la dernière année relate le retour à Boursa, l’arrivée en France et
le mariage des frères le 7 Août 1920. L’exode aura duré 4 ans : d’Août 1915 à Août 1919.
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Les parents ont maintenu, malgré et contre la force de la réalité, une image
humaine, culturelle d’eux-mêmes et de leurs enfants. Face à ce monde exter-
minateur, la réalité interne et ses valeurs sont les garants de la survie. La
déculturation résiste au niveau individuel : au moment de la mort du père, la
mère devient, par identification au surmoi culturel, garante de la loi paternelle
en exigeant d’enterrer le mort. Elle s’oppose à la fatalité qui s’impose à
beaucoup : abandonner le corps du père privé de sépulture : « Les autres, en
fait, abandonnaient les morts et la nuit les chacals les dévoraient.» ([6] p. 97).
Ce père avait réussi à transmettre à ses fils une qualité essentielle à la survie :
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11. A la suite de l’enquête de V. Dadrian, Histoire du génocide arménien [13], on peut penser
que, comme la plupart de ceux qui « encadrent » la déportation, ce « gendarme » est peut-être un
criminel de droit commun, libéré des prisons et utilisé pour ce « travail », comme 30 000 autres
(p. 396), par ceux qui ont programmé cette « solution radicale de la question arménienne » (p. 442),
c’est-à-dire, les membres du gouvernement « Jeunes-Turcs » instruits par les cadres de l’armée prus-
sienne de l’Empereur d’Allemagne Guillaume II et qui offriront leur « savoir faire », acquis à cette
occasion, à Hitler pour « l’élaboration » de son « plan » de la « solution finale » de la Shoah (Cf.
[13] chap. 15 et 16, ainsi que l’annexe et l’appendice, mais aussi le collectif de la Revue d’histoire
de la Schoa de Janvier-Août 2003, coordonné par G. Bensoussan, C. Mouradian et Y. Ternon [10]
p. 300 : « Méthode allemande, travail turc », enfin Le génocide des Arméniens devant l’ONU par
V. Attarian [7] p. 22, 38 à 40, 52, 82 et 105).
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d’esprit permanent, une façon d’être, une identification culturelle et une source
de plaisir, on va le voir, parce que ses ruses atteignent leur objectif qui est de
retrouver un projet de vie : elles ne sont plus seulement destinées à contrecarrer
la destructivité de l’environnement mais elles deviennent aussi l’instrument
qui donne forme au destin personnel.
Les deux frères sont maintenant séparés, ils ne se retrouveront qu’une fois
en France.
V. Altounian apprend le métier de berger auprès de celui qui le prend peu
à peu en affection et se propose comme substitut paternel. Toutefois, dès que
ses forces le lui permettent, il fugue, saisissant une occasion favorable pour
suivre un groupe de personnes qui se dirigent vers la ville où il avait laissé sa
mère. Bien que nourrissant ce projet depuis le départ, il n’avait pu jusque-là le
réaliser car il n’y avait pas de route dans ce paysage désertique. Après huit
heures de marche, il exprime pour la première fois un affect heureux : « Je
n’étais plus en état de marcher, mais j’étais content, car j’allais voir ma mère. »
([6] p. 101). Alors que, après qu’il l’eut en effet retrouvée, elle lui offre un
repas d’herbes, il s’écrie : «‘Moi, je ne mange pas d’herbes’» ([6] p.101),
préférant se coucher sans manger.
L’adolescent avait changé, il avait retrouvé une dignité d’homme civilisé
mais il avait aussi acquis la faculté de s’opposer à sa mère et avait installé en
lui son Idéal du moi.
Contraint de rentrer chez son « père adoptif » pour ne pas mourir de faim,
il décrit une scène qui nous paraît familière puisque nous pourrions y recon-
naître le récit d’un de nos patients adolescents. Cette faculté d’identification chez
le lecteur témoigne de la distance prise par l’auteur par rapport au trauma : « Il
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13. P. 104 [6], K. Beledian note que le mot de « patrie » utilisé ici par V. Altounian : « Watan »,
est d’origine arabe et qu’ainsi l’auteur se réfère non à l’Arménie qu’il « n’a jamais connue », mais
à « une certaine identité. C’est la crainte de la perte de cette identité, que représente la vie parmi
les Arabes nomades, qui incite l’adolescent et sa mère à partir. »
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RÉFLEXIONS À PARTIR DU RÉCIT D’UN DÉPORTÉ
14. En 3 mois et demi que dure le retour jusqu’à Boursa, on note 46 noms différents de loca-
lités et 7 haltes.
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Très près de l’arrivée, l’auteur ne contient plus sa joie : « J’étais très enthou-
siaste. J’ai sorti même un bel habit. Je voulais aller à Istambul. » ([6] p. 110).
On peut noter la référence au « bel habit » comme métaphore du pare-excitation
dont nous avons fait le cœur de notre réflexion. Le lendemain Vahram Altounian
arrive à Boursa, sa ville natale : « Je suis allé voir immédiatement nos propriétés,
nos maisons, que vois-je ? Certaines n’avaient plus de fenêtres, d’autres plus
de portes. Tout était à moitié en ruines. » ([6] p. 111).
L’homme Vahram Altounian remet en état les maisons, gère les biens
familiaux avec l’aide financière de ses frères restés en France. Il décide
finalement de partir, lui et sa mère, pour rejoindre ses frères. Le Journal s’achève
comme un conte, sur l’évocation des mariages des deux frères, le même jour à
l’Eglise arménienne de Paris.
Nous avons noté qu’au début du Journal l’auteur ne peut traduire en mots
les affects trop violents et qu’il tait les aspects les plus tragiques de sa
« traversée ». Suivant le fil conducteur de la ruse, nous pouvons interroger non
plus le contenu du texte mais sa forme dont nous avons déjà signalé quelques
particularités. En effet, la ruse ne consiste pas seulement à trouver les pistes pour
sortir de l’aporie mais elle consiste aussi, nous dit Pasche ([26] p. 8), à mettre
« en forme » les tensions psychiques. Cette « mise en forme » apporte la « prime
de plaisir qui en est peut-être l’aiguillon » (ibid.). Nous avons vu avec quelle
lucidité l’auteur a raconté ce que nous avons entendu comme une mise en forme
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15. Dans la postface du Journal, [2] p. 118, K. Beledian formule l’hypothèse que ce dernier
aurait été écrit à la demande d’un tiers car à cette époque, de nombreux appels avaient été lancés
auprès des victimes du génocide pour les encourager à témoigner de celui-ci.
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RÉFLEXIONS À PARTIR DU RÉCIT D’UN DÉPORTÉ
16. C’est d’ailleurs cette transmission paradoxale qui a induit sa reprise impérieuse, sa mise
en travail, son décryptage par la génération suivante, chez J. Altounian ([1, 2, 3, 4, 5]). On remar-
quera que le dernier ouvrage de J.Altounian [4] met en évidence dans l’écriture de Freud cette forme
de transmission par visualisation qui tend à échapper à la traduction. Comme il a été indiqué à la
note 2, depuis la rédaction de ce texte, J. Altounian a publié un nouvel ouvrage : L’intraduisible ;
Deuil, mémoire et transmission, chez Dunod.
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les atours du récit des ruses reconnues par lui comme telles et affinées, cultivées
pourrions-nous dire, qui enveloppe le silence sur les horreurs et la douleur de
la perte. Si elle met à distance du trauma, l’épopée attrape aussi le lecteur à
l’appât de la séduction. Celui-ci peut s’identifier au narrateur aux bords du vide
de l’impossible identification. Le récit des ruses offre un chemin au lecteur
pour une navigation dans l’indescriptible tandis que ce dernier accommode son
attention sur le plan représenté des formes de la ruse. Une analogie peut être
proposée avec l’effet réorganisateur de l’adoption de V. Altounian : A partir du
lieu d’adoption que constitue sa place de lecteur, celui-ci peut suivre l’auteur
à travers ses identifications au narrateur dans les stratégies de ruse. Ainsi,
l’impossible identification trouve-t-elle finalement une issue : le détour par
d’autres identifications et la prime de plaisir qui en découle. Ceci n’est pas
sans faire écho en nous avec le concept de « pulsion anarchique » de Nathalie
Zaltzman qui « sauve une condition fondamentale du maintien en vie de l’être
humain : le maintien pour lui de la possibilité d’un choix, même lorsque l’expé-
rience-limite tue ou paraît tuer tout choix possible » ([30] p. 139).
Chantal FRÈRE-ARTINIAN
119 rue Nicéphore Nièpce
42100 Saint-Etienne
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RÉFLEXIONS À PARTIR DU RÉCIT D’UN DÉPORTÉ
BIBLIOGRAPHIE
[1] Altounian J. (1982) : Terrorisme d’un génocide, in les Temps Modernes n° 427.
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cide aux déserts de l’inconscient, préface de René Kaës, Les Belles Lettres, Confluents
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[3] Altounian J. (2000) : La survivance, Traduire le trauma collectif, Préface de P. Fédida,
Postface de R. Kaës, Dunod, Inconscient et culture, Paris.
[4] Altounian J. (2003) : L’écriture de Freud, Traversée traumatique et traduction, P.U.F.,
Bibliothèque de psychanalyse, Paris.
[5] Altounian J. (2004) : De quoi parlent les mains des survivants, De l’anéantissement des
vivants, de l’affirmation de la vie, in Jean-François Chiantaretto, op. cit. [11], 27-63.
[6] Altounian V. (1978) : « 10 août 1915, mercredi, tout ce que j’ai enduré de l’année 1915 à
1919 » in Janine Altounian, op. cit. [1], 85-113.
[7] Attarian V. (1997) : Le génocide des Arméniens devant l’ONU, préface d’A. Perez Esqui-
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Le fil rouge, Paris.
[9] Bayle G. (1996) : Les clivages, in Revue Française de Psychanalyse, LX, Spécial Congrès,
1996, 1303-1547, P.U.F., Paris.
[10] Bensoussan G., Mouradian C. et Ternon Y (2003) : Ailleurs, hier, autrement : connais-
sance et reconnaissance du génocide des Arméniens, Revue d’histoire de la Shoa, le
monde juif, N° 177-178, janvier-août 2003, La Revue du Centre de Documentation Juive
Contemporaine, Paris.
[11] Bergeret J. (1984) : La Violence fondamentale, L’inépuisable Œdipe, Dunod, Psychismes,
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Summary : The author of this article takes as her starting point a meta-psychological
analysis of the narrative of a deportee in the Armenian genocide of 1915, to show how the
links between thought and action function in the elaboration of an ability to be cunning
in situations of extreme persecution, like a shield to protect from excitation in the sense
that Freud uses this term in 1919. She examines the idea that cunning allows the Self to
be reorganised in the face of an evil that would normally push it towards disorganisation,
by opening up channels for the circulation of drives in representational functions both in
relation to exterior reality and traces of cultural memory.