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Scène de ménage au
paradis

Mireille Jacquet

Œuvre publiée sous licence Creative Commons by-nc-nd 3.0

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Scène de ménage au paradis

– André, ronronna Oscar en se blottissant contre lui.

Le cœur du jeune homme fit un bond dans sa


poitrine. La tendresse de l’ancien colonel l’émouvait à
tel point qu’il en avait les larmes aux yeux.

– Oui Oscar, répondit-il d’une voix enrouée en


posant sa joue sur la soie de ses cheveux d’or.

Elle releva la tête, intriguée par cette voix


hésitante. Il perçut alors dans son regard circonspect
une interrogation angoissée qu’il n’arrivait pas à
déchiffrer.

– Tu m’aimeras toujours ? finit-elle par demander,


comme elle aurait commandé le garde-à-vous à ses
soldats.

Il soupira malgré lui, entraînant derechef un


froncement de sourcils chez sa compagne. La moue de
la belle se fit boudeuse. Il se retint de sourire. Elle
était si adorable dans l’écrin de sa féminité enfin
acceptée. Elle fronça le nez et il dut se faire violence
pour ne pas fondre sur ses lèvres. Les prunelles vert
émeraude brillèrent subitement d’une telle
gourmandise qu’Oscar détourna les yeux en

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rougissant.

– Alors ? repartit-elle néanmoins à la charge.

Un voile de contrariété recouvrit le visage d’André.

– N’ai-je point assez prouvé à quel point je


t’aimais ? Mon cœur n’a-t-il pas assez soupiré ? Mon
âme pas assez saigné ?… Dis-moi Oscar, que puis-je
faire pour te prouver que je t’aime, que je t’aimais et
que je t’aimerai toujours ?!… Dis-le moi !!

André était maintenant fâché. Ce n’était pas la


première fois qu’elle lui posait la question, et il
commençait à se demander si elle ne doutait pas de
lui…ou si elle ne se lassait pas. Au lieu de se calmer,
l’irritation de son partenaire enflamma Oscar.

– Tu pourrais commencer par ne plus être béat


d’admiration devant Selena ! l’accusa-t-elle.
– Mais…tu divagues, protesta-t-il, éberlué.

Ce qui eut le don de faire sortir Oscar de ses gonds.


Elle se dressa devant lui comme la statue du
Commandeur. Mais une statue furibonde et prête à se
battre !
Désemparé, André regardait la jeune femme sans
réagir, une lueur d’incompréhension tapie au fond de
ses prunelles.

– Oscar… C’est un ange…


– Et alors ! A chaque fois qu’elle bat des ailes tu la
regardes bouche bée, lui reprocha-t-elle avec une
grimace signifiant son écœurement.

André cilla, complètement perdu devant la colère

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d’Oscar. Elle ne pouvait être jalouse d’un ange, c’était
inconcevable…

– Voyons Oscar, tenta-t-il encore de la raisonner en


se moquant gentiment comme il le faisait lorsqu’ils
étaient enfants, tu sais bien que les anges n’ont pas de
sexe…
– Et c’est tout ce que tu trouves à répondre !! rugit-
elle en coupant son plaidoyer. Que dirais-tu si je
bavais d’admiration à chaque fois que Raphaël bat des
ailes ?
– Je l’appellerais Fersen ! s’écria André, heureux de
constater que, pour une fois, c’est elle qui accusait le
coup.
– Ce n’est pas bientôt fini ! tonna saint Pierre d’une
grosse voix. Encore en train de vous disputer. Si vous
continuez de la sorte, je vous envoie en bas !

Oscar et André s’enfoncèrent dans un silence


boudeur, se jetant mutuellement des regards
accusateurs. Tout-à-coup, un génie noir, ailé et cornu
apparut à côté de saint Pierre.

– Dîtes, le Maître n’en veut pas en bas, dit-il avec


soulagement. Il dit que ces deux-là seraient capables
de mettre l’enfer à feu et à sang.

Saint Pierre ferma les yeux, un rictus de désespoir


mollement accroché à ses lèvres. Même le diable n’en
voulait pas !

– Pourtant, le feu et le sang, c’est plus votre


domaine que le nôtre, tenta-t-il néanmoins de plaider.
– Pour les âmes damnées oui ! riposta le génie
messager. Mais là, c’est tout le royaume qui serait
touché… Non non, vraiment ! On préfère les suivre de

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loin. Gardez vos blanches brebis au paradis, c’est leur
place.
– Blanches brebis, c’est à voir ! rebondit saint
Pierre. Ils sont commis le péché de chair. Ce sont des
ivrognes qui se battent sans arrêt. Lui est gourmand
et elle est orgueilleuse. Ce ne sont pas vraiment des
oies blanches !
– Tatata ! Ils ont gagné leur paradis, alors vous les
gardez !

Saint Pierre et le génie jetèrent un regard aux


intéressés et s’immobilisèrent. Choqués, révoltés, et
plus amoureux que jamais, Oscar et André faisaient
front commun. Les bras croisés, les sourcils froncés,
les lèvres pincées, ils fixaient de leurs prunelles
ombrageuses le saint et le messager infernal.

– Bon, je vais redescendre, se défila le génie en


disparaissant comme il était venu.
– Ah, je crois que l’on m’appelle à l’entrée du
paradis, se réjouit saint Pierre en s’éclipsant aussi
rapidement que possible.

« Il va falloir que je dise au Seigneur de recalibrer


sa balance des âmes. L’existence au paradis va bientôt
devenir infernale !… » pensait-il en triturant ses clefs
et en secouant la tête.

– Tu crois que je n’ai pas ma place ici ? demanda


Oscar d’une voix vibrante de tristesse retenue, en
plongeant ses prunelles brillantes dans la prairie
apaisante des prunelles d’André.
– Oscar, comment peux-tu douter ? Tu es un ange de
lumière. C’est ce que j’ai pensé la première fois que je
t’ai vue…et tu ne m’as jamais donné matière à
changer d’idée. Je t’assure Oscar, que si le paradis

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était refusé à une âme aussi belle que la tienne, alors
plus personne ne pourrait y entrer !
– Oh André, André… Le paradis, c’est d’être à tes
côtés.
– Oscar…

Leurs lèvres s’unirent dans un baiser à la fois


empreint d’une passion dont Cupidon était très fier, et
d’une douceur rappelant les plumes des anges.

– Il n’empêche que la prochaine fois que tu souris


bêtement en admirant Selena, je t’arrache le cœur, le
prévint-elle en roucoulant.
– Idiote ! Il est déjà en ta possession…

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FIN

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