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ISO 26 000, UN PROCESSUS D'ÉLABORATION INÉDIT

Michel Capron

C.E.R.A.S | « Revue Projet »

2012/6 n° 331 | pages 56 à 59


ISSN 0033-0884
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-projet-2012-6-page-56.htm
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qui décide de ce qui compte ?

Iso 26 000, un processus


d’élaboration inédit
Michel Capron est professeur émérite en sciences de gestion
de l’Université Paris VIII-Saint-Denis. Il était membre de la
délégation française dans le processus d’élaboration Iso 26 000.

De quoi une organisation est-elle responsable


envers la société ? Entreprises, États, syndicats,
consommateurs et ONG apportent des réponses
contrastées. L’Iso 26 000, qui édicte des lignes
directrices en la matière, les a réunis.

E
n novembre 2010, l’Iso (Organisation internationale de nor-
malisation) publiait des lignes directrices sur la responsabi-
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lité sociétale des organisations : un texte dont la nature est
inédite, et qui a fait l’objet d’un processus d’élaboration tout
à fait original. (…)
Bien que les normes Iso revêtent un caractère volontaire, elles
résultent d’un accord entre producteurs et consommateurs (ou uti-
lisateurs), ce qui, dans le monde, leur confère une place quasi-incon-
tournable pour les milieux professionnels en matière de spécifications
techniques. Cependant, ce qui s’impose dans le domaine technique
n’a pas d’équivalent dans un domaine marqué par
le « social » (au sens large) ou le « sociétal ». L’Iso en
sur revue-projet.com a bien eu conscience lorsqu’elle a décidé d’élaborer
Retrouvez l’article de Michel
des lignes directrices sur la responsabilité sociale
Capron dans sa version
intégrale. des organisations. Aussi a-t-elle dérogé à ses propres
règles d’élaboration de normes en réunissant un

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groupe de travail composé de délégations nationales à partir de six
catégories de « stakeholders » (parties prenantes) : gouvernements,
entreprises, syndicats de salariés, consommateurs, ONG, consultants
et enseignants-chercheurs. Cette diversité assurait au processus d’éla-
boration une assise plurielle, à partir de compétences différenciées,
l’Iso ne jouant qu’un rôle de catalyseur. (…)
Le processus, qui a duré cinq années et abouti en 2010, s’est avéré
complexe. Chaque délégation nationale pouvait être composée de six
experts et de six observateurs (un par catégorie de parties prenantes).
Ce sont ainsi entre 300 et 500 participants, d’origines géographiques
et professionnelles très diverses, qui se sont retrouvés au moins une
semaine par an, pendant cinq ans, en assemblée plénière. (…)
Le consensus est la règle de décision à l’Iso : c’est la condition pour
que se poursuivent les travaux. Il ne signifie pas unanimité, mais
suppose un large accord sans que ne se manifestent des oppositions
irréductibles. Son appréciation reste néanmoins une affaire d’intui-
tion. Le passage en force étant a priori exclu, il faut tout l’art de la
négociation, l’attention vigilante et la patience des animateurs pour
parvenir à des compromis entre des positions souvent très éloignées,
venant de participants sans expérience des enceintes diplomatiques et
qui, souvent, n’ont jamais participé à un processus de normalisation.
Les commentaires sur les versions successives proposées par le groupe
de travail ont été très nombreux : entre 2 000 et 7 200 pour chacune
des six versions ayant donné lieu à commentaires1, soit un total de
plus de 25 000. Ils représentent une véritable mine d’informations
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reflétant la diversité des appréhensions, des compréhensions, des
préoccupations et des pratiques à propos de la responsabilité sociale,
selon les pays et les acteurs.

Au défi de la représentativité
L’Iso a cherché à mettre toutes les chances de son côté pour garantir la
légitimité d’une démarche qui n’était pas acquise d’avance : groupe de
travail avec des membres nombreux, experts venant de tous horizons
socioprofessionnels, place importante faite aux organisations de la
société civile, large représentation d’organisations internationales,
démultiplication des discussions au niveau des pays, préoccupation

1. Il y a eu, au total, une quinzaine de versions et sous-versions.

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de la diversité linguistique, processus de délibération permettant
une large expression… Cet agencement cependant, n’est pas exempt
de limites. À travers la langue, ce sont la culture et le mode de pen-
sée anglo-saxons qui, de fait, s’imposent. On a ainsi relevé qu’une
quarantaine de termes ou de locutions-clés utilisés dans la norme
soulevaient des difficultés de traduction dans toutes les autres lan-
gues. La majeure partie des interventions orales étaient d’ailleurs le
fait de personnes originaires de pays anglo-saxons ou ayant fait des
études supérieures dans ces pays.
Le processus soulève aussi des questions de représentativité. L’Iso a
fait un effort pour que les pays en développement soient représentés
et leur nombre s’est accru au fil du temps (de 110 en 2005 dans les
assemblées plénières à environ 250 en 2010, contre 120 à 140 origi-
naires des pays développés). L’écart numérique ne doit cependant
pas faire illusion : à l’exception de quelques grands pays comme la
Chine, l’Inde et le Brésil, l’influence des pays développés est restée
prédominante. En atteste la composition du groupe de rédaction,
pièce maîtresse du dispositif. La présence aux réunions a pu soulever
des difficultés financières aussi pour certains, notamment les pays
pauvres et les ONG.
Il est arrivé, par ailleurs, que des délégués changent de catégorie
(partie prenante, groupe de liaison) d’une réunion à l’autre, au gré
des places disponibles dans les délégations. Il s’est ainsi formé au
fil des ans un corps d’experts (100 à 150 personnes) qui ont porté
l’élaboration de la norme, sans qu’on ait toujours déterminé avec
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précision de qui provenait leur mandat. (…)

La portée de la norme
Sur un certain nombre de points-clés, la norme marque des avancées
par rapport à des approches préexistantes2. Ainsi, le principe de pré-
caution a fini par être intégré dans les parties relatives à la protection
de l’environnement et des consommateurs, malgré l’opposition des
États-Unis3. (…) Le texte dépasse les conceptions anciennes de la res-
ponsabilité des organisations, en rappelant que la philanthropie ne
saurait être utilisée comme un substitut à l’intégration de la responsa-

2. Par exemple, le Livre vert de la Commission européenne sur la responsabilité sociale des
entreprises, publié en 2001.
3. Principale raison du vote négatif des États-Unis.

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bilité sociale dans le cœur du management. Enfin, l’Iso 26 000 énonce
que la responsabilité sociétale suppose l’exercice du devoir de vigi-
lance (due diligence) dans la sphère d’influence d’une organisation,
ouvrant ainsi la voie, par exemple, à la responsabilisation des sociétés
mères vis-à-vis de leurs filiales et de leurs sous-traitants.
En fin de compte, malgré la présence
L’Iso 26 000 ouvre la voie inédite dans ce processus de représen-
à la responsabilisation des tants de la société civile, le contenu du
texte reste marqué par les préoccupa-
sociétés vis-à-vis de leurs tions des entreprises et par la langue
filiales et sous-traitants. des affaires – la majeure partie des
participants évoluant dans ce monde.
Si on relève une grande insistance sur le dialogue avec les parties
prenantes, le texte est pratiquement muet sur la contribution des
organisations à la production de biens communs ou de valeurs
publiques. Sa principale faiblesse cependant réside dans son statut,
une concession faite aux États-Unis : en effet, cette norme ne peut
théoriquement pas être interprétée comme une « norme internatio-
nale », au sens des Accords de Marrakech ayant établi l’Organisation
mondiale du commerce. Elle n’est destinée ni à servir de base à une
action en justice, ni à être citée comme une preuve de l’évolution du
droit coutumier international.
Pour conclure, l’Iso 26 000 est aujourd’hui le seul texte de portée mon-
diale, et le plus complet, en matière de responsabilité sociétale. Ses
principes, repris par l’Onu, l’OCDE ou l’Union européenne constituent
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une référence incontournable pour toute organisation s’engageant
dans la mise en œuvre d’une politique de responsabilité sociétale.
L’élaboration n’aurait pas été aussi complète, ni aussi aboutie, si
l’on n’avait réuni que des représentants de gouvernements. Cette
expérience a donc aussi révélé, de manière inattendue, une efficacité
que les processus intergouvernementaux de type onusien n’ont pas
toujours ! Elle ouvre une voie nouvelle pour des discussions à des
échelles nationales et internationales.

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