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DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10176-5.p.0133
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LE CORPUS RABELAISIEN
ET SES LIMITES INCERTAINES
Compléter les œuvres complètes
4 Jacques Boulenger, Rabelais à travers les âges, Paris, Le Divan, 1925, no 136 à 173, p. 186-191.
9 Rabelais analysé, ou explication de 76 figures gravées pour ses œuvres, par les meilleurs artistes
du siècle dernier…, Paris, Jean-Nicolas Barba, 1830.
10 Et c ’est toujours le cas de nos jours, le corpus rabelaisien ayant évolué ces dernières années
grâce à certaines découvertes (ayant principalement trait aux activités de Rabelais en
tant qu’éditeur de textes).
11 Le Disciple de Pantagruel, éd. P. Lacroix, Paris, Librairie des bibliophiles, 1875, p. v : « Il
faut n’avoir jamais étudié Rabelais pour douter un instant qu’il soit l’auteur du Disciple
de Pantagruel ».
12 Pierre Dufour [pseudonyme de P. Lacroix], Histoire de la prostitution chez tous les peuples du
monde depuis l’Antiquité la plus reculée jusqu’à nos jours, Paris, Seré et P. Martinon, 1853,
t. V, p. 31-32, et du même, sous son habituel pseudonyme du bibliophile Jacob, Rabelais.
Sa vie et ses ouvrages, Paris, Adolphe Delahays, 1858, p. 126-127. Montaiglon est plus
prudent et aborde avec méfiance l’hypothèse d ’une telle attribution (Recueil de poésies
françoises des xve et xvie siècles, Paris, P. Jannet, 1856, p. 220-222).
13 La Bataille fantastique des roys Rodilardus et Croacus. Traduction du latin attribuée à Rabelais
avec une notice bibliographique par M. P. L., Genève, J. Gay et fils, 1867, p. viii-xii. Après
avoir longtemps refusé cette attribution, la critique rabelaisienne tend vers une rééva-
luation allant dans le sens de Lacroix. Voir les travaux en cours de Romain Menini et
Olivier Pédeflous sur cet opuscule (notamment « Dans l’atelier de François Juste : Rabelais
passeur de la Batrachomyomachie », dans Passeurs de textes ii. Gens du livre et gens de lettres
à la Renaissance, dir. Christine Bénévent et al., Turnhout, Brepols, 2014, p. 98-117), qui
démontrent que Rabelais n’a assurément pas été étranger à cette publication.
14 Les Songes drolatiques de Pantagruel…, éd. P. Lacroix, Genève, J. Gay et fils, Paris, Librairie
des bibliophiles, 1868, p. v-xii.
Enfin, George Sand a travaillé avec son fils, Maurice, et Victor Borie
à une édition expurgée de Rabelais, « divin maître » mais aussi « atroce
cochon ». Borie s’occupait de moderniser l’orthographe, d ’expurger le livre
de toutes ses obscénités, de toutes ses saletés et de certaines longueurs qui
le rendent impossible ou ennuyeux. Ces taches enlevées, il reste 4/5mes de
l’œuvre intacts, irréprochables et admirables24.
LA RENAISSANCE ÉDITORIALE
DE LA DÉCENNIE 1820
de l’ensemble du xvie siècle, d ’une riche table des matières, d’une table des auteurs cités
par Rabelais, d ’un très long glossaire général de cent-cinquante-sept pages, suivi d’autres
glossaires plus précis, le premier consacré aux « Erotica verba », le deuxième aux proverbes,
paronomases et calembours, et le dernier aux jurons et imprécations.
38 De L ’Aulnaye ajoute un « tableau particulier des diverses espèces de magies et divina-
tions », une liste de « mots latins francisés dans les œuvres de Rabelais », et une autre
liste de « mots tirés du grec ».
39 Œuvres de Rabelais, Paris, Théodore Desoer, 1820, t. III, n. 1, p. v.
40 Ch. Nodier, « De quelques livres satiriques et de leur clef » [Premier article, 17 octobre
1834], dans Feuilletons du Temps et autres écrits critiques, éd. J.-R. Dahan, Paris, Classiques
Garnier, 2010, t. I, p. 440.
41 Alors que Diane de Poitiers fut la maîtresse d’Henri II. L’erreur est fréquente au xixe siècle ;
il n ’est q u’à songer au Roi s’amuse de Victor Hugo, voir la notice de l ’édition de C. Anfray
(Gallimard, « Folio théâtre », 2009, p. 235).
Soixante-dix ans plus tôt, c ’était déjà l’avis d ’un sympathique rabelai-
sien, rédacteur de l’Épicurien français, signant du nom d ’Ikael, qui a dû
49 Le bibliophile Jacob [Paul Lacroix], Étude bibliographique sur le ve livre de Rabelais, Paris,
Damascène Morgand et Charles Fatout, 1881, p. 44 : « je publiai une petite édition, très
jolie et très mauvaise, des œuvres de Rabelais, où je n’avais mis que des notes explicatives
du texte ».
50 Ibid., p. 46.
51 Voir Marie-Hélène Cotoni, « Rabelais maître et serviteur de Voltaire », dans Mélanges
Jean Larmat. Regards sur le Moyen Âge et la Renaissance (histoire, langue et littérature) [Annales
de la faculté des Lettres et Sciences Humaines de Nice, no 39], dir. Maurice Accarie, Paris, Les
Belles Lettres, 1983, p. 465-472.
52 Le bibliophile Jacob [Paul Lacroix], Étude bibliographique sur le ve livre de Rabelais, op. cit.,
p. 40-41.
53 Nous formulons cette hypothèse à partir d’Éloi Johanneau, qui cite le propos sur Voltaire
extrait de l’Épicurien français de juin 1809 en l’attribuant à Eusèbe Salverte (Œuvres de
Rabelais. Édition variorum…, op. cit., t. I, n. 3, p. xxii-xxiii), qu’il présente comme un
« excellent ami et savant c onfrère » (ibid., t. III, p. 136). Salverte a proposé un article sur
l’édition variorum dans la Revue encyclopédique, t. XIX, juillet 1823, p. 361-379 et 696-697.
54 C.-Th. Ikael [Eusèbe Salverte ?], « Du mérite littéraire de Rabelais », L’Épicurien français,
juin 1809, p. 173-174.
55 Voir toutefois Morgane Muscat, « Voltaire lecteur de Rabelais », dans La Fabrique du
xvie siècle au temps des Lumières, dir. Myrtille Méricam-Bourdet et Catherine Volpilhac-
Auger, Paris, Classiques Garnier, 2020, p. 204-224.
56 Ibid., p. 175-176.
pour tenir une place obligée sur des tablettes toutes neuves, à l’usage de
certains amateurs qui ne lisaient pas64.
Évitons de prendre Nodier au mot. Ses accusations sont les mêmes que
celles que nous avons rappelées au tout début de notre article, formulées
par des amateurs de Rabelais de la fin du xixe sur leur propre siècle,
alors que la diffusion rabelaisienne était à son apogée…
75 Le Gargantua de la jeunesse, tiré des œuvres de Rabelais, revu… purgé et approprié au langage
actuel par Xuafreg [Gerfaux], Paris, A. Maugars, 1845.
76 En 1865 (La Vie très horrifique du grand Gargantua… par Henry de la Fontvinée, Paris, Renault
et Cie ; paraît chez le même éditeur et la même année une nouvelle édition de Pantagruel
mise à la portée de tout le monde) ; 1883 (Le Rabelais populaire. Édition nouvelle modernisée
par Alfred Talandier… Gargantua (édition tout-à-fait complète), Paris, Librairie populaire.
Talandier donne au même moment un Rabelais classique, la première édition, expurgée,
visant « les lycées de filles aussi bien que les lycées de garçons ; l’autre, c omplète, pour
tous ceux qui ne veulent être privés d ’aucun propos torcheculatif, d ’aucune critique des
rêveurs mathérologiens [sic] […], etc., etc. », préface, p. xv-xvi) ; 1886 (Gargantua. Traduction
nouvelle en français moderne par M. Charles Desromères, Paris, Librairie des publications à
cinq centimes) ; 1888 (Histoire de Gargantua c omplétée d’après les légendes populaires. Édition
à l’usage de la jeunesse par Jules Gourdault, Paris, Hachette et Cie) ; 1893 (Gargantua, Paris,
L. Boulanger, « Le livre pour tous ») ;1894 (Gargantua et Pantagruel (Fragments), Paris,
Henri Gautier, « Nouvelle bibliothèque populaire » ; dans cette anthologie, se lisent aussi
quelques chapitres célèbres des trois autres Livres de Pantagruel).
77 Pour une histoire de l’édition illustrée des textes rabelaisiens, voir Henri Zerner, « Rabelais
en images », dans Inextinguible Rabelais, dir. Mireille Huchon et al., Paris, Classiques
Garnier, à paraître.
« Ces gens-là [les paysans du Berry] parlent trop français pour nous, et, depuis Rabelais
et Montaigne, les progrès de la langue nous ont fait perdre bien des vieilles richesses ».
83 Pour Nodier, Rabelais est un des quatre génies supérieurs (avec Montaigne, Molière et
La Fontaine) de la littérature française, qui ont été « de hardis parleurs et des patoiseurs
sublimes, qui faisaient entrer le patois de toutes leurs forces dans la langue française »
(« Virgile virai en borguignon. Choix des plus beaux livres de l’Énéide (en patois de Bourgogne)… »
[5 novembre 1831], dans Feuilletons du Temps et autres écrits critiques, op. cit., p. 164).
84 Jean Fleury, Essai sur le patois normand de La Hague, Paris, Maisonneuve frères et Ch. Leclerc,
1886, passim.
85 H. de Balzac, Les Cent Contes drolatiques, dans Œuvres diverses, op. cit., t. I, p. 251.
86 Voir Jacques-Rémi Dahan (éd.), Études sur le seizième siècle…, op. cit., p. 56-57, qui renvoie à
Herbert Croft, Horace éclairci par la ponctuation, Paris, A.-A. Renouard, 1810, p. 170 (voir
aussi p. 201-202) : « De quel intérêt ne seroit pas pour la langue française une édition
exacte de Rabelais, avec un index bien complet des mots que cet auteur a employés ! Ce
livre, dont un de mes amis s’occupe, est un des plus essentiels q u’on puisse donner à la
littérature nationale ». – L ’indexation des grands écrivains est une obsession de Nodier, qui
y voit le seul moyen d ’archiver les langues et d ’ériger « à la langue françoise un monument
aussi durable qu’elle même » ; composer un tel index entrait déjà dans son projet initial
pour son édition de La Fontaine (Fables de La Fontaine, avec un nouveau commentaire littéraire
et grammatical, dédié au roi par Ch. Nodier, Paris, Alexis Eymery, 1818, t. I, p. xiii-xiv).
87 Ch. Nodier, « De quelques livres satiriques et de leur clef » [Premier article, 17 octobre
1834], art. cité, p. 441.
Cet index rêvé par Nodier, c ’est Edmond Huguet qui le réalisera en
1902 et 1903 avec les tomes V et VI de l’édition commencée en 1868
par Marty-Laveaux, c omprenant un immense glossaire de 607 pages.
Connaître la langue de Rabelais revient presque à connaître l’ensemble
de la langue du xvie siècle88, et un peu plus89. En outre, la langue de
Rabelais est vue comme une langue incunable, pourrait-on dire ; elle
permet de découvrir le français au berceau90. Mais c’est aussi la langue
d’un impénitent néologue. Les avis émis par les éditeurs de Rabelais
sont donc indissociables des tensions qui entourent la question du néo-
logisme à l ’époque. Dans une certaine mesure, les éditions de Rabelais
ont dû participer au mouvement de libération de la langue désirée par
bien des écrivains du xixe siècle, ainsi q u’à l ’attrait pour le néologisme
et les idiomes spécifiques ou marginaux. Le goût du néologisme chez
Balzac ou Flaubert, grands amateurs de la langue rabelaisienne, en sont
des témoignages parmi d’autres.
L’édition procurée en 1820 par De L ’Aulnaye, avec ses multiples
glossaires, est passionnante sur ce point. Notamment, son choix de
recueillir des erotica verba retient l’attention. L ’éditeur s’en justifie par
le délassement apporté par un tel glossaire et par sa nouveauté91. En
1823, il amplifie même cette partie, qui ne sera pas du goût de certains,
comme Gratet-Duplessis :
M. de L ’Aulnaye aurait pu toutefois, et sans aucun inconvénient, je pense,
se dispenser de réunir en un seul faisceau, c omme il l’a fait, toutes les obs-
cénités et toutes les turpitudes qui se trouvent disséminées dans les œuvres
88 Et, dans la c ontinuité de ses travaux sur Rabelais, Edmond Huguet donnera un Dictionnaire
de la langue française du seizième siècle qui fait toujours référence.
89 Outre la citation précédente de Nodier, voir aussi ce q u’il écrit dans son c ompte rendu
du Tesoretto della Lingua Toscana de Giosafatte Biagioli, où il évoque « Rabelais, qui n’a
pas omis d ’ailleurs un seul mot de la langue, et qui en a fait plus de mille » ( Journal des
débats politiques et littéraires, 19 août 1816, p. 2).
90 La remarque vaut, bien entendu, pour le moyen français en général, même si la langue
de Rabelais est mise en avant p uisqu’elle est l’une des plus riches de son temps (et pas
seulement…). Langue incunable, c’est aussi une langue « à son apogée » (avant son épu-
ration classique et néo-classique) pour un amoureux du moyen français comme Nodier :
« Une langue peut hardiment se croire à son apogée quand elle a produit un Joinville,
un Comines, un Froissart, un Villon, un Coquillart, un Marot, un Rabelais, un Henri
Estienne, un Montaigne. Ne demandez pas davantage, s’il vous plaît : on ne vous don-
nerait pas » (Dictionnaire de la Conversation, t. XXVIII, 1836, p. 195-211, art. « Langue
française », cité par J.-R. Dahan, Études sur le seizième siècle…, op. cit., n. 2, p. 81).
91 Œuvres de Rabelais, op. cit., 1820, t. III, p. vii.
96 Œuvres de Rabelais augmentées… Nouvelle édition revue sur les meilleurs textes… par Louis
Barré, Paris, Garnier frères, 1877, p. vii.
97 Alfred Talandier (éd.), op. cit., p. xiii-xiv, cité plus longuement par M.-A. Fougère, op. cit.,
p. 141.
98 Ibid., p. xiv-xv.
99 Œuvres de Rabelais… par Louis Barré, op. cit., p. vii.
100 G. Sand, Correspondance, op. cit., t. VIII, p. 187.
Du côté des éditeurs, Pierre Bry est l ’un des rares à faire explicitement
de l’écriture rabelaisienne un modèle pour ses contemporains. Le texte
de Rabelais offre, selon lui, un « retour aux sources de notre langue »
et devrait permettre de « raviver chez les modernes une originalité, une
naïveté de style, auxquelles ils renoncent trop dédaigneusement104 ». Le
même genre de remarques apparaissait déjà chez Louis-Sébastien Mercier
au sujet de La Fontaine. Et pour Mercier, s’inspirer de La Fontaine impli-
quait aussi de s’inspirer de ses modèles, Rabelais et Marot105.
Pour les uns, c omme Eugène Noël, Rabelais est un profond philo-
sophe politique, pré-révolutionnaire, défenseur du peuple. Le Pantagruel,
c’est déjà la Révolution en marche, pourrait-on dire à la manière de
Napoléon sur Beaumarchais. Pour d ’autres, Rabelais n ’est en rien
politique ; il est lu et savouré pour son art de la dérision immodérée,
merveilleux repli, loin du siècle bourgeois et utilitariste, qui permet de
s’abstraire du présent dans un grand éclat de rire. Théophile Gautier est
de ceux-là108. Dans la préface d ’Albertus ou l ’âme et le péché – très proche
sur bien des points de la fameuse préface de Mademoiselle de Maupin,
où la lecture de Pantagruel figure en remède non c ontre le mal de dents
mais contre les affectations moralisatrices du temps – il représente le
poète enfermé chez lui, qui ne connaît du monde que ce qu’il peut en
apercevoir par sa fenêtre et qui n’a pas envie d’en voir plus. La fin du
recueil fait directement écho à la préface ; après avoir invité le lecteur
à entrer dans sa chambre, Gautier le c ongédie par ces quelques mots :
[…] – Ainsi, bonsoir. – Fermez la porte,
Donnez-moi la pincette, et dites q u’on m’apporte
Un tome de Pantagruel109.
Raphaël Cappellen
et Christelle Girard
Université de Paris
CERILAC
110 Th. Gautier, Albertus ou l’âme et le péché. Légende théologique, « Préface ».
111 Joris-Karl Huysmans, « Le Salon de poésie. Troisième série du Parnasse Contemporain »,
dans Œuvres complètes. Tome 1. 1867-1879, J.-M. Seillan et al. (éd.), Paris, Classiques
Garnier, 2017, p. 326 ; voir aussi la note 7, p. 1056, qui rapproche le passage en question
de cet extrait d’une lettre de Huysmans à Lemonnier d’avril 1878 : « Je mâchonne du
spleen, il pleut à bouillons, les rues sont des ruisseaux couleur de café au lait, le soleil a
fait faillite comme un vrai commerçant ! on se pelotonne chez soi pour se remettre du
rouge dans l’âme, en lisant du Rabelais ».
112 Théophile Gautier, Romans, contes et nouvelles, P. Laubriet (dir.), Paris, Gallimard,
« Bibliothèque de la Pléiade », 2002, p. 97.
113 Ibid., p. 1244.