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RITES, MYTHES ET SYMBOLES DANS LA LUTTE TRADITIONNELLE

SÉNÉGALAISE. APPROCHE SOCIO-ANTHROPOLOGIQUE

Sambe Khaly

Éditions Présence Africaine | « Présence Africaine »

2011/1 N° 183 | pages 149 à 163


ISSN 0032-7638
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Rites, mythes et symboles
dans la lutte traditionnelle sénégalaise
Approche socio-anthropologique
Sambe Khaly*
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Cette étude propose une approche socio-anthropologique des fonctions
des rites, mythes et symboles exposés dans l’arène1.
Elle part d’une inspiration prenant source dans quatre travaux : le premier
fait référence à Béart (1960) qui montre l’importance des jeux tradition-
nels et le rôle structurant qu’ils jouent dans la conservation du patrimoine
culturel africain. Pour lui, il est possible de mettre en exergue la richesse des
peuples africains à partir de leurs jeux qui peuvent être lus comme de véri-
tables archives culturelles. Le deuxième fait référence à la théorie de l’habitus
de Bourdieu (1979) annonçant cette importante idée : les hommes, dans
le champ social, incorporent lentement et progressivement un ensemble
de manières de penser, de sentir se révélant, à eux, comme des instruments
qu’ils réinvestissent dans leur pratique sociale future. Le troisième part d’une
étude faite par Mbodj (1981) qui montre que les jeux traditionnels sénéga-
lais exposent des interactions dynamiques qui laissent aux acteurs engagés
dans la partie une part large à l’innovation et à la créativité.
Le quatrième, enfin, est une œuvre de Griaule (1997), en hommage, à
Ogotemmêlli, qui a su donner, aux travaux ethnologiques, une compréhen-
sion plus ajustée. Trente-trois journées ont permis au sage dogon de mettre
à nu l’ossature d’un système jugé fermé par la puissance d’une interpréta-
tion jamais égalée. Les thèmes sont variés et couvrent des champs pluriels
comme : la mort, la purification, la parole etc. Les enseignements du sage
dogon nous apprennent que l’interprétation, des rites, mythes et symboles,
n’est pas du tout fermée.

*
Assistant à l’INSEPS de Dakar, Sénégal.

1. La lutte est produit d’une histoire collective qui met en valeur : la culture, l’économie, le
magico-religieux, le symbolique etc.

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présence africaine

C’est à partir de ces travaux et des observations que nous avons faites
sur le terrain que l’initiative a été prise de mener cette étude en partant des
questionnements suivants :
•• En quoi la lutte sénégalaise peut-elle être comprise comme une image de
la culture sénégalaise ?
•• Cette culture peut-elle être lue comme un principe qui modèle les compor-
tements et les attitudes des lutteurs dans l’arène ?
•• Les lutteurs peuvent-ils transformer cette culture pour qu’elle réponde
mieux à leurs besoins et aspirations ?
Pour répondre à ces questions nous avons eu recours au modèle théorique
de Mauss (2001), sous le concept de « fait total ». En effet, pour l’auteur le
fait social est pluridimensionnel et ne peut être saisi que dans sa totalité. Un
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fait social est total lorsqu’il prend en charge l’ensemble des aspects de la vie
sociale du groupe. Mauss va esquisser un concept connexe ; celui « d’homme »
total qui va inspirer Bourdieu dans ses analyses sous le vocable « d’habitus ».
La lutte traditionnelle sénégalaise, par ses réalités complexes, telles que la
culture, le magico-religieux, l’appartenance ethnique, l’esthétique, la sym-
bolique, l’économie, l’histoire, peut être ainsi considérée comme un fait
social total.
Tous ces éléments, contenus dans la lutte traditionnelle sénégalaise,
trouvent un sens dans une totalité qui leur donne forme et contenu à
partir d’une lecture dont les enseignements sont tirés de notre répertoire
socioculturel.

MÉTHODOLOGIE

Deux hypothèses sont retenues dans l’étude :


•• La lutte traditionnelle sénégalaise n’a pas seulement une dimension
ludique, elle met aussi en valeur des aspects culturels, magico-religieux,
économiques, esthétiques et symboliques.
•• La lutte traditionnelle sénégalaise est un espace qui laisse passer l’innovation
dans les principes dictés par culture sociale des acteurs évoluant dans l’arène.
L’enquête a essentiellement été réalisée dans la commune de Thiès
qui abrite le centre national d’éducation populaire et sportive (CNEPS)2.
Nos rapports, avec cette première institution de formation du pays, nous
ont donné l’opportunité de suivre plus de vingt élèves dans le cadre de la

2. Ce centre est aussi décrété centre international de lutte en septembre 2006 et 22 lutteurs


africains y séjournent actuellement. Le Directeur technique national de la lutte sénégalaise
est en fonction dans ce centre.

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rites, mythes et symboles dans la lutte traditionnelle sénégalaise

rédaction de leur monographie de fin d’études3. Le CNEPS est aussi le lieu


de regroupement de l’équipe nationale de lutte et beaucoup de grands lut-
teurs dans l’arène y ont posé pied pour leur préparation technique lors des
tournois internationaux4.
Le recueil des données part d’abord d’une documentation obtenue au
CNEPS et à l’INSEPS à travers les monographies et les mémoires de maî-
trise des élèves maîtres et étudiants de ces instituts. Nous avons aussi mis
à profit la lecture de journaux parlant de la lutte5. Les entretiens ont égale-
ment été retenus comme mode d’investigation dans cette étude. En mettant
l’accent sur ce volet nous avons voulu privilégier une procédure très adap-
tée à ce genre de travail. L’entretien libre laissant à l’interviewé une large
disponibilité de communication6.
Les reformulations, l’argent offert ne sont qu’une manière de motiver et
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de valoriser l’information donnée surtout pour les communicateurs tradi-
tionnels communément appelés griots. L’observation a aussi joué un rôle
dans le recueil de nos données7. La population de l’étude était composée de
16 spécialistes de la discipline (enseignants, instructeurs, entraîneurs), 34
lutteurs, et quatre communicateurs traditionnels.8
Le traitement des données s’est fait par la méthode d’analyse des conte-
nus. Nous avons, dans ce sens, passé en revue toutes les informations
recueillies à partir des entretiens et observations réalisés sur le terrain. Ces
dernières ont été classées par thèmes ce qui facilitait le repérage et l’agence-
ment des argumentaires afin de les relier aux théories pouvant aider à leur
donner une signification objective en relation avec les réalités sociales qui
ont contribué à les produire.

3. L’encadrement des monographies en direction des maîtres d’éducation physique et des


instructeurs sportifs option lutte et ceci dans la période située entre 1983 et 2008. Nous
avons aussi travaillé sur la lutte traditionnelle avec un étudiant de l’INSEPS et deux étu-
diants en sociologie sous les recommandations du chef de département de l’UCAD.
4. On peut citer Moustapha Guèye, Yékini, Zale Lô, Rock M’balakh etc.
5. Particulièrement la revue Lamb qui s’est spécialisée dans la lutte sénégalaise.
6. Les entretiens duraient de 25 à 35 minutes ; en réalité selon la valeur des informations
reçues ; elles étaient plus longues avec le Directeur technique de la lutte que nous avons
rencontré plus de quatre fois.
7. Nous avons commencé à regarder les combats dans les années 60 ; nous étions très jeune
et cette opportunité nous était offerte par notre lieu de résidence à Colobane où vivaient,
à l’époque, des lutteurs comme Zazou N’diaye, Amadiabou M’bengue ; nous n’étions pas
loin aussi de Fass et de la Médina avec Boy Naar, Mame Gorgui Ndiaye Youssou Diène.
Mais, l’observation des combats de lutte a été facilitée par les émissions à la télévision
comme « Tiaxabaal » qui passe 3 fois par semaine sur trois chaînes. Cela devrait se résumer
à des centaines de combat de lutte mises au profit de cette étude.
8. Nous avons aussi exploité les résultats des enquêtes réalisées par les élèves-maîtres et
étudiants, que nous avons encadrés, sur la lutte traditionnelle pour mieux enrichir nos
données.

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présence africaine

ÉCLAIRAGE CONCEPTUEL
Les rites
Pour Louis Vincent Thomas et René Luneau (1986) les rites constituent, dans
l’espace africain, un moment où se réalise une harmonie plénière et agissante
entre l’homme et son groupe d’appartenance. Ils prennent, dans cette dyna-
mique, le sens particulier de rétablir l’ordre compromis en donnant à la symbo-
lique une voie privilégiée d’accès vers l’imaginaire pour mieux agir sur le réel.
Ils empruntent, pour agir dans une telle direction, des canaux pluriels
organisés par la culture de base des acteurs qui tendent à les conserver par
le jeu actif de la répétition9. Les rites, à travers cette dernière, trouvent une
puissante énergie qui leur donne ce pouvoir de restituer, de construire,
d’innover pour mieux maîtriser le devenir. On comprend, du coup, l’at-
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tachement des lutteurs sénégalais à ces types de pratiques qui sont des
moments forts de communion, de ressources exceptionnelles pour recou-
vrer une identité importante au début des confrontations. En effet, dans
cette phase du combat, le lutteur cherche à entrer en contact avec l’ancêtre
pour recueillir la force vitale qui va lui donner l’énergie surnaturelle pour
accéder à la victoire. Mais les rites n’ont aussi de sens qu’à partir des mythes
qui les vivifient en leur donnant forme et cohérence.

Les mythes
Les mythes peuvent être lus, dans notre espace social, comme des récits
populaires qui mettent souvent en scène des êtres surhumains surnaturels ou
exposent des comportements exemplaires qui restituent des événements histo-
riques10. C’est dans ce sens que Mircea Eliade (1979) en fait une histoire sacrée
des représentations qui structurent les identités et les motivations des acteurs
sociaux. Les mythes sont, dans ce sens, une sorte de modèle qui alimente et
donne sens à l’histoire des hommes. En s’inscrivant dans un temps circulaire,
ils font vivre de façon magique le passé dans le présent ; donnant, par cette
voie, au groupe social une puissance de renouvellement insoupçonnée11.
Ainsi, les mythes s’adaptent à tous les contextes et c’est cela qui leur
confère ce pouvoir d’intégration et d’adaptation dans tous les espaces
sociaux qui en font une utilisation.

9. Libations, mimiques, gestuelles rentrent activement dans cette panoplie.


10. Ce que fait le lutteur prend toujours une inspiration dans l’histoire de l’ancêtre. Il
y a toujours chez les grands lutteurs une inspiration qui part de gestuels empruntés à ce
dernier ; c’est pourquoi on dit au Sénégal que la lutte est un don du lignage.
11. Le mythe continue à maintenir les fondements du groupe social dans le temps et dans
l’espace ; ce pouvoir de régénérescence, il le tire des hommes qui l’ont gardé dans des
aspects divers comme c’est le cas dans l’arène.

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rites, mythes et symboles dans la lutte traditionnelle sénégalaise

Examiner l’importance et le sens des mythes dans la lutte traditionnelle


sénégalaise c’est aussi annoncer et expliquer la place et le rôle des hommes,
des animaux, des plantes et des objets, dans l’arène, à travers un jeu subtil
de manipulation construit dans une rigueur et une concentration excep-
tionnelles. Les mythes, par leurs incantations, leurs formules magiques,
avant la confrontation des deux lutteurs, exposent un univers empreint de
religiosité à travers une trame symbolique massive.

Les symboles
Les symboles peuvent être identifiés à des signes qui unissent et qui per-
mettent la communication entre des êtres. Il faut toutefois signaler que
cette communication emprunte souvent une voie très souterraine forte-
ment marquée par la culture de base des acteurs concernés. En effet, les
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symboles peuvent être traduits comme des formes d’écriture qu’il va falloir
décrypter dans les rites, les mythes, mais aussi dans les objets qui couvrent
l’environnement des acteurs sociaux12.
En effet, les rites, tout comme les mythes, ne mettent pas à nu tous les
principes qui les guident ; ils les enveloppent d’ombre par le jeu des sym-
boles qui les accompagnent. Les lutteurs appartenant aux mêmes écuries13
agitent des symboles dont les codes sont tirés de leurs réalités sociales. Les
symboles, parce qu’ils sont suggestifs, n’ont aucune gêne, parfois, à faire
éclore la tonalité des sentiments intériorisés, c’est dans ce sens qu’il faut
situer les envolées lyriques des femmes qui restituent, dans un jeu subtil, les
sentiments forts qu’elles vouent à ces jeunes champions.
Ces symboles, souvent bien décodés, sont parfois des stratégies qui gal-
vanisent quand le lutteur est au bout de ses forces ; dans certains cas, ce sont
des déclarations d’amour voilées qui forcent le lutteur à aller au-delà de ses
limites. Telles sont les réalités qui marquent la lutte traditionnelle sénéga-
laise présentée schématiquement dans la partie qui suit.

La lutte traditionnelle sénégalaise.


La lutte traditionnelle sénégalaise est pratiquée par toutes les ethnies
avec des variantes pouvant être perceptibles d’une zone géographique à une
autre. Il faut dire à ce niveau, qu’elle est faite, en général, de façon simple
sans la frappe. Chez les Wolof et les Séreer elle se faisait surtout à la fin des
récoltes créant ainsi une ambiance de fête et de détente chez les popula-
tions. Pour N’diaye Raphaël (1996, 117-118) la lutte a un fondement mys-
tique puisqu’elle a été inventée par un nain qui l’a transmise à un berger.

12. Il faut recourir à la culture de base des acteurs pour comprendre et lire le sens de tout cela.
13. C’est l’appellation donnée aux clubs des lutteurs. Ces écuries sont parfois fondées sur
des bases ethniques qui les inspirent dans leurs danses et leurs pratiques magico-religieuses.

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présence africaine

Le professeur Abdoulaye Bara Diop (1981, 128) en fait une activité prépara-
toire au métier de soldat, car l’épisode final de toutes les guerres est, selon lui,
marqué par des corps à corps. Ces affrontements ont donné naissance à une
autre forme de lutte appelée lutte avec frappe. En 1933, la lutte avec frappe
est selon Assane Gaye (2005) déjà mentionnée dans les colonnes du journal
Paris-Dakar mais dans les faits divers.
Les chefs de canton sont aussi rentrés dans le jeu en organisant, à la même
époque, des combats de lutte avec frappe et le chef de canton Diawrigne
Meïssa M’baye Sall est le premier, d’après Sadik Traoré, (1976, 19) à avoir
pris ce genre d’initiative. Kâne Wahid, (2005) nous informe que la lutte avec
frappe est arrivée, un peu avant, à Dakar, car en 1926 un français du nom
de Maurice Jacquint organise, au cinéma Alhambra, plus connu sous le nom
d’El Malick, un combat opposant Medoune Khoulé de Thiaroye et Ousmane
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Séne de Ouakam. Depuis cette période, la lutte avec frappe connaît un succès
grandissant à Dakar en s’installant dans des arènes de quartier comme
Colobane et Fass. Aujourd’hui, sa popularité fait qu’elle est pratiquée dans
de grands stades comme Demba Diop, Léopold Sédar Senghor ou Lat Dior
de Thiès Cette notoriété va l’inscrire dans un cadre plus formalisé par la
mise sur pied aujourd’hui d’un Comité provisoire chargé de la gérer14. La
discipline a eu tellement de succès qu’elle s’est professionnalisée15, les grands
champions gagnant jusqu’à 100 à 150 millions CFA. Les combats de lutte
sont bien suivis au Sénégal et dans le monde par le biais de la télévision. Les
lutteurs et les promoteurs rivalisent d’ingéniosité pour faire de cette disci-
pline une affaire rentable qu’il va falloir exporter dans d’autres espaces. Mais
c’est aussi le folklore, les rythmiques, les pas de danse, le magico-religieux
qui donnent à la lutte tout son charme et son attraction.
Elle est enfin un tableau qui permet de restituer beaucoup d’images de
notre culture traditionnelle.

IMAGES DE LA CULTURE TRADITIONNELLE VUES DANS L’ARÈNE

Les aspects sociaux

La phratrie
La vie du lutteur sénégalais laisse une part importante à la phratrie qui
détermine fortement son cadre d’évolution.
L’écurie est une famille très soudée et elle est toujours là pour veiller
sur son champion en lui donnant cette confiance dont il aura besoin

14. Des fédérations ont existé avant le comité et la première date de 1959.
15. Elle a commencé réellement dans les années 1980-1990.

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rites, mythes et symboles dans la lutte traditionnelle sénégalaise

pour toujours garder haut le moral. Ici, le groupe fonctionne comme une
unité homogène et toute défaillance est sévèrement ressentie par tous les
membres qui le composent.
Dans l’arène, cette phratrie est exprimée par des gestes et comporte-
ments pluriels : danses, cercle autour du lutteur, contacts permanents pour
instruire un cadre qui sécurise et donne la force d’aborder le combat. Cette
phratrie n’est pas seulement manifestée dans l’arène, elle se prolonge dans
la vie quotidienne par une solidarité dynamique à l’image de ce qui se fai-
sait dans la société traditionnelle ; le lutteur Tonnerre nous en donne une
belle image en disant lors d’un entretien (Le quotidien, 2010,) « Je suis sur-
veillé jour et nuit par mon entourage16. » En effet, les membres du groupe
restent ensemble toute la journée, prennent le repas en commun et chacun
se met à la disposition de l’autre pour tout service demandé.
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La solidarité du groupe de proximité
La solidarité du groupe, un aspect très remarqué dans l’espace tradi-
tionnel, est encore très présente dans l’arène. En effet, quand le lutteur
part pour le combat, la famille, les habitants du quartier, les supporters
se mobilisent massivement pour aller le soutenir. Ceux qui n’ont pas les
moyens d’assister au combat attendent son retour pour encourager en cas
de défaite ou fêter la victoire, en cas de succès, dans l’allégresse et la joie
partagées. Le combat, il faut le souligner, est toujours chez ces popula-
tions une occasion ouverte pour resserrer les rangs et construire un champ
affectif qui renforce les liens du groupe comme cela se passait dans la
société traditionnelle.
Le rapport à la famille s’inscrit dans une dynamique qui reprend les
valeurs très fortes de la culture de base car tous les membres de la famille
sont mobilisés avant, pendant et après les combats.

Les aspects magico-religieux

Les pratiques mystiques


Les pratiques mystiques, fondant l’ordre dans la société traditionnelle,
sont aussi fortement présentes dans l’espace de confrontation. Cet aspect
est restitué par des récits, des rituels ésotériques et des formules abraca-
dabrantes. Ces rituels magico-religieux obéissent à une étiquette très

16. Selon le directeur technique, le groupe doit surveiller le lutteur pour qu’il ne soit pas
souillé de façon à donner une bonne réussite aux pratiques mystiques. Cette phratrie fonc-
tionne aussi comme un clan qui partage les mêmes valeurs et reste soudé durant toute son
existence.

155
présence africaine

minutieuse17. L’identification à l’ancêtre traduit aussi une façon symbo-


lique de restaurer le système gérontocratique en valorisant la personne âgée
détentrice du savoir et des secrets qui organisent la vie du groupe.
Ainsi, l’arène expose, à sa manière, les grandes théories sur l’ancêtre et
parallèlement, celle sur l’incarnation qui fonde l’ontologie largement dif-
fusée en Afrique avec, bien sûr, une conception particulière de la mort qui
se pose comme un processus continu, une forme de vie cachée18. Mais, la
mort est aussi la traduction de l’impureté ; il faut se purifier pour revenir
dans le monde des vivants ; c’est à ce rituel que s’adonnent constamment les
lutteurs dans l’arène au moment de la confrontation décisive. La nudité du
lutteur est ici un moyen qui facilite le bain rituel nécessaire pour le voyage
dans le monde de l’ancêtre, afin de pouvoir s’approprier sa force vitale qui
est l’arme déterminante pour la victoire finale. D’autres pratiques sont
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aussi exposées dans l’arène et elles rentrent toutes dans une dynamique
mystique : breuvages, aspersions, transes, fumigations font partie de la liste
des phénomènes exposés dans l’arène. Les lutteurs évoquent, souvent ces
pratiques, avant ou après les confrontations.
Tyson, lors de sa défaite contre Bombardier, affirme avoir vu des djinns
dans l’arène ; Tapha Sow déclare dans une interview (Lamb, 2009,) : « J’ai
intensifié mon travail sur tous les plans : contacts, musculation, préparation
physique et mystique. » Amma Balbé dit haut et fort : « Je vais la saison pro-
chaine renforcer mes pouvoirs mystiques. »

Les objets de culte


La prévalence du lait caillé dans l’arène tient du fait que c’est l’alimenta-
tion préférée de l’ancêtre et des djinns qui sont ses compagnons. Il renvoie
au sein maternel symbolisant la femme qui est la gardienne de la tradition
et maîtresse du secret des rites et des mythes comme le souligne Andras
Zempléni (1967). Le lait caillé, c’est aussi le symbole de la fécondité qui
signe la continuité du lignage à travers un système de parenté qui détermine
toute l’organisation sociale du groupe.
L’eau, très remarquée dans l’arène, est un moyen de purification qui faci-
lite le retour de l’ancêtre dans le monde des vivants. Les animaux sont aussi
observés dans l’espace de confrontation ; ils sont souvent les totems du
groupe qui donnent assurance, énergie, vitalité. Leur présence est souvent
matérialisée par des pas de danses, des gestuels et des mimiques.

17. L’ancêtre donne directement les indications au lutteur, parfois c’est par l’intermé-
diaire du marabout. Yékini déclare avoir enlevé la corde attachée autour de ses reins sous
la recommandation de « Mame » c’est-à-dire l’ancêtre.
18. L’ancêtre n’est pas mort, il est là pour nous apporter sa bénédiction et sa protection.

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rites, mythes et symboles dans la lutte traditionnelle sénégalaise

Les aspects symboliques


Le champ ludique expose aussi une trame symbolique massive dont
nous allons présenter quelques aspects.

Le symbole féminin
La représentation de la femme est une réalité dans l’arène même si ce
n’est parfois que symboliquement. Le lait caillé versé dans l’arène évoque
le lait maternel qui renvoie à la femme qui joue un rôle important dans
l’éducation des jeunes.
L’image de la femme est encore présente par le port du « Gémb19 ». Il est
souvent offert par une femme qui pourrait être la mère, la sœur ou tout
simplement la fiancée du lutteur. Des éléments comme l’eau, la calebasse,
la poterie sont aussi des symboliques féminines qui marquent la présence
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féminine dans l’arène, car ils ont un lien fort avec cette dernière qui en
fait une utilisation quotidienne dans son foyer. Le cure-dent, le bracelet,
les pagnes que s’attachent les lutteurs autour de leur ceinture, lors de leur
mouvement chorégraphique, sont des symboles qui signent l’élégance de la
femme sénégalaise.
La lutte c’est surtout cette présence effective de la femme qui chante,
danse, crée des poèmes qui vont galvaniser notre champion dans des
moments de doute afin de lui donner toute l’énergie dont il aura besoin
pour obtenir la victoire sur son adversaire. Le rôle de la femme est sur-
tout perceptible avant la confrontation, car c’est elle qui donne les derniers
conseils, remonte le moral par des visites régulières dans la concession20.
La présence féminine est surtout marquée par la mère qui donne à son
enfant les secrets du lignage qu’elle a soigneusement gardés pour des évé-
nements de cette nature. On raconte que le grand champion Moustapha
Gueye devait sa fulgurante carrière à sa défunte mère. En milieu Diola, il
a été recensé un rituel des grands champions ; ils ne devaient porter leur
culotte de combat que si cette dernière avait d’abord été revêtue par une
jeune fille vierge.
La symbolique du serpent, évoquée de façon récurrente dans les « baak »,
traduit aussi la présence de la femme dans l’arène21. En effet, dans la

19. Gemb désigne une sorte de culotte en pagne portée par le lutteur au moment de la
confrontation.
20. Les femmes sont très nombreuses à fréquenter les arènes pour supporter leur idole.
D’autres restent à la maison pour suivre le combat à la télévision. Les lutteurs remercient
souvent leurs mères en cas de succès ; Rock M’balakh, après sa victoire sur Bathie Seras dit
au journaliste qui l’interviewait : « Je veux voir ma mère. » Il continue en disant que c’est sa
femme qui lui a donné la clé de sa victoire.
21. Les Baak sont des formes de poésie que font les lutteurs pour décrire leur palmarès
dans l’arène.

157
présence africaine

tradition sénégalaise, rêver d’un serpent donne l’espoir bien fondé d’avoir,
dans les mois à venir, un enfant.

Le symbole du cercle
L’organisation de l’espace laisse une place remarquée au cercle qui apparaît
dans beaucoup d’aspects de la vie sociale. Le cercle renvoie à la lune et au soleil
qui faisaient l’objet d’adoration dans beaucoup de sociétés qui ont vécu sous
le modèle traditionnel. Le cercle est aussi cette figure géométrique qui déli-
mite l’espace de confrontation, mais en outre les cérémonies familiales telles
que les baptêmes, les décès ou tout simplement les rencontres de groupes.
Les cérémonies de réjouissance comme les séances de danse, les jeux
traditionnels font aussi souvent recours à cette géométrisation de l’espace
pour permettre à tout le monde de bien voir le spectacle. Le cercle est aussi
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matérialisé par cette couverture que font les lutteurs autour de leur camarade
pour lui permettre de se déshabiller et de faire, sans être épié, ses pratiques
mystiques. La figure géométrique exprime aussi dans l’arène, la symbolique
de la reproduction du temps originel qui place le lutteur dans un champ
lui permettant d’être en rapport direct avec l’ancêtre. Il expose, dans cette
optique, la philosophie du recommencement qui anéantit la mort et fait
revivre les anciens comme des protecteurs et des garants de l’ordre pour
mieux assurer le fonctionnement de la société. Le cercle, c’est enfin le retour
dynamique à la culture de base des acteurs. Dans une étude fort intéressante,
Elvade Mutabazi (2005) met en valeur ce qu’il appelle le modèle circulatoire
qui est largement tiré du fonctionnement de la vie africaine traditionnelle.
Il y a, selon l’auteur, dans toutes les productions, en milieu africain, un
système circulatoire qui fonde l’identité. Il donne, en exposant cette cir-
culation, l’exemple des biens et des personnes, de l’énergie humaine, du
pouvoir et de l’information.

Le symbole du verbe
La lutte est aussi un champ qui laisse une place importante à la sym-
bolique verbale qui prend un sens multiple dans l’organisation tradition-
nelle de la société. En effet, la parole est tellement importante qu’il y a un
apprentissage très formalisé pour la prendre en public. Le verbe accom-
pagne souvent les rites, mythes et rites exposés dans l’arène ; c’est pourquoi
il a, parfois, partie liée au sacré22�. Les incantations, les formules magiques
sont des éléments qui rentrent de façon active dans cette dynamique. Par
le verbe, il est possible, chez le lutteur, de recouvrer une identité qui aide à

22. Le verbe renvoie parfois à des formules magiques qui agissent sur la force vitale de
l’adversaire ; le verbe ne relève pas toujours du sacré, car les jeunes supporters créent aussi
des chansons pour leur idole et les fredonnent dans les tribunes tout au long du combat.

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rites, mythes et symboles dans la lutte traditionnelle sénégalaise

avoir confiance en soi afin d’utiliser, au maximum, ses propres possibili-


tés. Le verbe, dans lutte, est aussi contenu dans les chansons accompagnées
de rythmes frénétiques que les jeunes filles dédient aux lutteurs pour les
aider à garder toutes leurs ressources au moment des affrontements déci-
sifs. En effet, les lutteurs nous confient « qu’ils trouvent dans ces chansons
une capacité de mobilisation exceptionnelle, une forte motivation, une
confiance en leurs propres capacités ou tout simplement le sentiment de ne
pas être seuls ». Les chansons font partie intégrante du décor qui donne vie
à l’arène et parfois certains lutteurs réclament un air précis qu’ils aiment
entendre fredonner par les jeunes filles durant tout le combat.
Le verbe, c’est aussi la présence recherchée du griot qui anime, restitue
l’arbre généalogique des lutteurs pour les replacer dans l’espace magique de
la parenté, afin de leur permettre de retrouver leur véritable identité et de
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savoir ce qui est réellement attendu d’eux au moment précis de la confron-
tation23. Le verbe donne aussi au griot son véritable statut et rappelle, par la
même occasion, le rôle important qu’il joue dans l’organisation et le fonc-
tionnement de la société. La belle image du griot, dans la lutte traditionnelle
sénégalaise, est rendue par Aminata Sow Fall, (1997,79) quand elle nous
parle du combat de Pathé et de Medoune. L’auteur raconte que les suppor-
ters de Pathé étaient désemparés puisque, dès le début du combat, Medoune
commençait à donner à Pathé des coups violents au visage. Les pronostics
déclarant Pathé vaincu, son griot, comme une gazelle, s’élança dans l’arène
l’exalta avec véhémence et lui fit comprendre qu’il était prêt à se donner la
mort si Medoune le terrassait. Une ressource exceptionnelle mobilisa Pathé
qui s’élança comme une flèche entre les jambes du géant pour le mettre à
terre. Voilà schématiquement abordé un aspect important du griot dans cer-
taines situations où le lutteur peut perdre l’espoir de gagner un combat.
L’image de la lutte traditionnelle sénégalaise offre aussi un pan qui
marque une ouverture au monde par des pratiques très innovantes au
niveau de l’arène pour mieux vendre le spectacle.

LES PRATIQUES INNOVANTES


DANS LA LUTTE TRADITIONNELLE SÉNÉGALAISE

La lutte traditionnelle sénégalaise traduit la symbolique remarquée de


l’enracinement, mais aussi de l’ouverture, par des pratiques mettant en
exergue des changements qui peuvent être lus sous des registres différents.

23. Chaque lutteur a un griot qui l’accompagne dans sa danse ou tout simplement pour
lui apporter un soutien. La complicité entre griot et lutteur était très perceptible chez le
champion mythique Abdourakhmane Ndiaye dit Falang et son griot Bounamas qui était
toujours à côté de lui à chaque combat de sa carrière.

159
présence africaine

Registre économique
La lutte est devenue aujourd’hui un espace qui enregistre un nombre
important d’acteurs impliqués dans l’organisation des combats à cause des
enjeux financiers qui l’accompagnent24. Ce souci du gain est partagé par beau-
coup de lutteurs évoluant dans l’arène. Ainsi, le lutteur sénégalais Mohamed
N’daw Tyson déclarait : « Je suis venu dans l’arène pour gagner de l’argent. » Il
poursuit en disant : « C’est nous qui faisons le spectacle et déplaçons les foules,
il est normal que la lutte nous permette de vivre décemment. » Le terrain de
la lutte est aussi occupé par des promoteurs qui développent des stratégies,
très innovantes, marquées par des conférences de presse, des espaces réservés
à des signatures de contrats, des formes très créatives de marketing pour bien
vendre leur produit. Les lutteurs soignent aussi leur image en s’octroyant de
belles maisons, des voitures de luxe pour mieux vendre leur image auprès des
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spectateurs et particulièrement auprès des jeunes.

Registre magico-religieux
Le magico-religieux tend à prendre une place très importante dans
l’arène et il constitue, dans un certain sens, une stratégie d’insertion pour
une classe sociale appelée « marabouts ».
Ces derniers gagnent des sommes énormes en jouant beaucoup sur la
fragilité psychologique des lutteurs à l’approche des confrontations. Cent
(100) marabouts (Quotidien, 2010) étaient sollicités par les camps rivaux
lors du combat opposant les deux lutteurs Balla Gaye 2 et Modou Lô. Il
faut, cependant, souligner que les lutteurs sont conscients que le magico-
religieux ne suffit pas pour gagner ; pour être un grand champion, il faut
aussi travailler dur et avoir un plan d’entraînement pertinent et réaliste.
Certains nous confient qu’ils l’utilisent dans l’espoir d’agir sur le mental
de l’adversaire25.

Registre rythmique
Les danses dans l’arène ont aussi subi des variations importantes mar-
quées par un goût prononcé de la modernité. Les pas de danse introduisent
des rythmiques qui dénotent une préparation minutieuse.

24. Les grands combats de lutte vont jusqu’à 100 à 150 millions ; ce qui représente l’équi-
valent de 10 à 15 mois de salaire d’un professeur d’université. Les promoteurs en gagnent
plus, mais ils ne le disent pas publiquement, car ils sont pour le moment exonérés des
paiements d’impôt.
25. Il faut souligner que le magico-religieux se faisait à la maison ; aujourd’hui il est fait
dans l’espace de confrontation sous les recommandations des marabouts qui veulent aussi
vendre leur savoir mystique. Le phénomène est culturel et il est porté par les mythes. Les
enquêtes que nous avons faites sur la question dans le champ du football montrent que
85% des joueurs sénégalais en font la pratique, mais ils avouent que cela ne suffit pas pour

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rites, mythes et symboles dans la lutte traditionnelle sénégalaise

Ces rythmiques vont donner libre cours à une chorégraphie organi-


sée selon un mouvement d’ensemble soigneusement articulé comme le
montrent les pas de danses appelés « djalgati » chez le lutteur Bombardier
ou tout simplement « Bul faalé » chez son homologue Tyson26.

Registre symbolique
Le champ ludique véhicule une trame symbolique massive tradui-
sant parfois toute une philosophie. C’est peut-être en ce sens qu’il faut
comprendre les noms que portent les lutteurs dans l’arène. Bombardier
ou B 52 décline la force qui ne craint rien, qui fait reculer ; Lac de Guiers
donne l’image d’une identification à un milieu qui représente beaucoup
pour soi ; Tigre de Fass laisse apparaître un goût de férocité, de violence.
Les jeunes s’identifient à ces symboles qu’ils assimilent à des idéologies
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qui donnent un sens réel à leur existence quotidienne. C’est dans cette
perspective qu’il faut comprendre l’idéologie « Bul Faalé » du lutteur
Tyson qui couvre les incertitudes, les déceptions et les injustices portées
dans le champ social. « Bul Faalé », c’est aussi, pour ces jeunes, le peu d’at-
tention qu’il faut porter sur ces difficultés qui vous détournent de la vie
qui est combat, lutte pour la survie en ne comptant d’abord que sur soi.
C’est, enfin, une invite à dédramatiser tout ce qui passe dans le champ
social et à opter pour des actions collectives afin de changer ces situa-
tions jugées dérangeantes pour l’équilibre de la société. Ici, les références à
des valeurs comme Bul Faalé, Tigre de Fass, Bombardier sont activement
mises en jeu devant des situations jugées frustrantes ; ce fut le cas lors des
inondations et des coupures de courant, au niveau du pays et particulière-
ment au niveau de la banlieue, au cours de la saison des pluies 200927. On
comprend mieux le sens des idéologies de rupture et de violence, agitées
dans l’arène surtout quand on sait que les jeunes qui sont les principaux
concernés viennent de milieux défavorisés où la désolation et la frustra-
tion sont des faits constants.

gagner. Les lutteurs, me confie le Directeur technique, paient 10 fois mieux les marabouts
que les entraîneurs. Certains spectateurs vont aussi voir le marabout parce qu’ils ont parié
sur un lutteur dans un combat.
26. Les lutteurs et leurs griots créent leurs pas de danse qui partent de leur environne-
ment social et ethnique. D’autres inventent des pas de danses à partir de la rythmique du
« M’balax ».
27. Les lutteurs portent des noms avec une forte valence symbolique : le tigre c’est la
férocité, bombardier c’est celui qui a une arme fatale par la force de ses bras. Tout cela
pour mieux mettre en valeur la violence qui est une réalité dans la lutte avec frappe.
L’identification aux lutteurs a été très perceptible lors du combat Gris Bordeaux contre
Eumeu Séne ; la mode « Taff » répandue chez les jeunes est une imitation de la blessure
d’Eumeu par la pose d’une bande collante sur leur arcade.

161
présence africaine

Notre préoccupation, dans cette étude, a été de réfléchir et d’analyser, à


travers une approche socio-anthropologique, les fonctions des rites, mythes
et symboles dans la lutte traditionnelle sénégalaise.
Ces productions récurrentes qui agitent l’arène sénégalaise ne laissent
personne indifférent si l’on regarde l’importance accrue que leur accordent
les lutteurs évoluant dans le champ de la confrontation. Pour réfléchir et
analyser la question, nous avons commencé à poser les caractéristiques qui
couvrent nos concepts de base pour mieux camper notre champ d’étude.
Des faits importants ont attiré notre attention, ce sont les caractéris-
tiques assez communes qui marquent des identités entre les images res-
tituées dans l’arène, à travers les rites, mythes et symboles, et les réalités
culturelles sénégalaises.
Mais l’arène n’est pas seulement marquée par ce jeu d’identités, il y a
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aussi un champ qui laisse une place à l’innovation et à la créativité.
Cet aperçu nous fait penser que cette dernière n’est pas coupée du milieu
qui lui donne cette inspiration l’aidant à mieux se vendre par des produc-
tions créatives et innovantes. Mais ces innovations restent dans des prin-
cipes organisés par la culture autour de valeurs solides qui leur donnent
sens et réalisme.
Ces stratégies dynamiques et innovantes choisiront-elles de rester dans
ces limites prescrites ou trouveront-elles d’autres issues pour être plus pré-
sentes dans une société en devenir fortement marquée par la mondialisa-
tion et la liberté des acteurs qui la vivent ?

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