l’Humanité

L’ENTRETIEN TABLE RONDE

FRÉDÉRIC LORDON : « LE COMMUNISME DOIT FAIRE QUE NOUS DIT LA COMMUNE
VALOIR SES CONTENUS PROPRES, POSITIFS » POUR AUJOURD’HUI ?
Dans son dernier ouvrage, Figures du communisme, Michel Cordillot, Florence Braka,
le philosophe et économiste avance les contours d’une « société Quentin Deluermoz, Pierre-Henri
humaine » s’inscrivant dans un « communisme luxueux ». P. 14 Zaidman, historiens. P. 11
Stéphane Burlot/Hans Lucas

VENDREDI 19, SAMEDI 20 ET DIMANCHE 21 MARS 2021 | N° 23146 | 2,40 € l’Humanité.fr

des débats
Confinement : le pari
perdu de Macron
L’EXÉCUTIF
ANNONCE DES MESURES
DRASTIQUES D’UNE
Belgique 2,50 € - luxemBourg 2,50 € - Doms 2,70 € - italie 2,80 € - espagne 2,80 € - maroc 30 maD

DURÉE D’UN MOIS,

POUR L’ÎLE-DE-FRANCE,
LES HAUTS-DE-FRANCE
ET QUELQUES
DÉPARTEMENTS
EN RÉGION.
P. 4
3’:HIKKLB=UUWYUY:?k@d@l@j@a";
M 00110 - 319 - F: 2,40 E

Valentino Belloni/Hans Lucas via AFP

PANDÉMIE : POURQUOI LES INÉGALITÉS EXPLOSENT EN FRANCE. P. 6

 2 l’Humanité Vendredi 19, samedi 20 et dimanche 21 mars 2021

Temps forts
Bien évidemment, le suspense autour des nouvelles de chômage partiel, la majorité des cadres pouvant
ÉDITORIAL

Bruno Arbesu
restrictions sanitaires, dévoilées jeudi soir par Jean
Castex, a mobilisé toutes les attentions. Rien de plus
normal. Et pourtant, qu’il nous soit permis de rappeler
ici que ce feuilleton sans fin des confinements, couvre-
feux et autres cafouillages vaccinaux de l’exécutif ne
doit pas exonérer le pouvoir de regarder dans les angles
morts de cette interminable pandémie. Et notamment
ce creusement vertigineux des inégalités sociales qu’oc-
casionnent la crise du Covid-19 et sa gestion hasardeuse.
Parler, d’ailleurs, de crise au singulier est assez
impropre. Le pluriel conviendrait mieux tant elle est
vécue de manière différente selon que l’on soit riche
ou misérable, pour paraphraser Jean de La Fontaine.
Comme le rappelle l’ouvrage paru ce jeudi et codirigé
par la sociologue Anne Lambert, les plus modestes
Par Laurent Mouloud
Crise d’inégalité
restent de loin les plus exposés au virus et à ses consé-
quences. Ce sont eux qui vivent dans les communes où
la densité de population est la plus forte, eux qui logent
le plus souvent dans des habitations surpeuplées, eux
qui souffrent le plus de pathologies associées. Ce sont
les ouvriers et employés qui régulièrement continuent
à travailler sur site, et donc à prendre plus de risques.
Eux aussi qui ont été les plus concernés par les mesures
travailler à domicile. Eux enfin – à commencer par les
intérimaires – qui subissent la grande majorité des
suppressions de postes. Une « explosion » des inégali-
tés de classe, souligne Anne Lambert, mais aussi de
genre (les précaires sont souvent des femmes) et de
génération (les jeunes sont surreprésentés).
À l’heure où chacun débat légitimement du bon
dosage de confinement, on ne peut que constater que
cette crise d’inégalité et les drames humains qu’elle ne
manquera pas d’engendrer, sont totalement absents
des radars gouvernementaux. Certains ministres se
gargarisent de faire du « sur-mesure » sanitaire, évoquent
une gestion « fine ». On ne peut que leur suggérer que
cette finesse concerne également et urgemment les
conséquences sociales de la pandémie.

La femme du jour BONNE NOUVELLE

L’actualité sur l’Humanité.fr

ANNIVERSAIRE Découvrez
en vidéo la cérémonie pour
les 150 ans de la Commune
de Paris depuis le square
Louise-Michel, à Paris 18e.
Regardez comment l’artiste
Dugudus a fait renaître
50 communards et leurs
canons ! Des communards
dont une partie sont à
retrouver dans le hors-série
« 150 ans de la Commune
de Paris : un espoir mis en
chantier », tous les jeudis
dans l’Humanité et tous
les mardis et jeudis sur
l’Humanité.fr.
AGRICULTURE Quand le
premier ministre rend visite
aux éleveurs de bovins,
comme ce fut le cas
le 6 mars dernier dans
la Creuse, la censure fait
taire ses interlocuteurs.
On redoute en haut lieu
de les entendre dire que la
politique du gouvernement
et les accords de
libre-échange ruinent
les paysans et mettent en
grand danger le modèle
écologique qu’est l’élevage
à l’herbe en France. Une
analyse à lire sur notre site.
LÉNA LAZARE
PENDRE LE SYSTÈME
POUR AVOIR UN AVENIR
Comme un air de déjà-vu, sauf que cette
fois, il y a aussi de « la rage », prévient Léna
Lazare, militante de Youth for Climate. L’étu-
diante de 22 ans fait partie de ceux qui, il y
a deux ans, lançaient les grèves scolaires
pour le climat en France. Mobilisation mas-
sive… « Dès le début, on a lié climat et questions
sociales et soutenu les gilets jaunes. Nous
pensions que ça obligerait le gouvernement à
prendre des mesures », se souvient-elle. Deux
ans plus tard, les jeunes se sont heurtés à des
murs : « Leur réponse, c’est le projet de loi
climat, issu des travaux de la convention ci-
toyenne. L’exécutif met une couche de peinture
verte sur son inaction », continue l’étudiante,
qui depuis a quitté son cursus de physique
pour l’agroécologie afin de « faire du concret
et mettre les mains dans la terre ». Alors, ces
19 et 20 mars, revoilà les grandes marches
et un mot d’ordre : « Avenir à prendre, système
à pendre. » En 2020, ils avaient dû se limiter
à des actions de désobéissance civile, Em-
manuel Macron ayant annoncé la veille la
fermeture des écoles. Cette fois, étudiants
et lycéens iront dans la rue coûte que coûte.
« Les questions de précarité, déjà existantes,
se sont ajoutées à nos angoisses climatiques »,
lâche la jeune femme, qui pense à « des co-
pains en hôpital psychiatrique à force de dé-
prime et de tourner en rond ». « Le présent
est invivable, le futur qu’on nous propose
n’apporte aucune solution à l’urgence écolo-
gique. » Pour cet appel mondial, ils rappel-
leront au gouvernement ses obligations dans
40 villes de France. À Paris, la marche part
ce 19 mars à 14 heures du Panthéon.
PIA DE QUATREBARBES
La Haute Cour du Kenya
a confirmé l’interdiction des
mutilations génitales féminine. La
pratique avait été rendue illégale
en 2011 par le gouvernement,
rappelle le média Africa News,
mais cette interdiction était
contestée par une professionnelle
de la santé qui souhaitait
maintenir cet usage « ancestral ».
Les juges ont estimé sa requête
« dépourvue de mérite ».
L’HUMANITÉ
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l’Association des lectrices et lecteurs de l’Humanité ;
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Impression : POP (La Courneuve),
Mop (Vitrolles), Nancy-Print, CILA (Nantes).
Numéro ISSN : 0242-6870.
Dépôt légal : date de parution.
Commission paritaire : 1124 C 79615.
Tirage du mercredi 17 mars 2021 :
33 103 exemplaires.
Imprimé sur des papiers produits en France, Belgique et Espagne – 60% ou
100 % de fibres recyclées – IFDG. Eutrophisation PTot : 0,01 kg/tonne.

Denis Gouaux @dns_gx

Plus la Commune de Paris
s’éloigne, moins nous parle
sa forme patriotique
et plus nous interpelle
son contenu démocratique VOTRE RÉVÉLATION
et fédéraliste. L’IMAGE DU JOUR Une situation à dénoncer ?
Les commémorations des 150 ans de la Commune ont été lancées, jeudi, à Montmartre, Une injustice ? Envoyez-nous
à Paris, avec une initiative de l’artiste Dugudus. Des événements et expositions vos informations à
revelation@humanite.fr
sont prévus jusqu’à la fin du mois de mai. Julien Jaulin/hanslucas

Dans le secteur de l’énergie, les prestataires changent au gré des marchés publics. Daniel Thierry/Photononstop
L
ors du dernier appel d’offres,
Magali, Isabelle (1), comme la
trentaine de leurs collègues,
ont eu droit à un curieux pro-
cessus de recrutement. D’ha-
bitude et comme tous les trois à cinq ans,
ces assistantes de direction et documen-
talistes savent que leur employeur peut
changer, au gré de la renégociation du
marché public le liant au donneur d’ordre
EDF UTO. Si c’est le cas, leurs postes sont
normalement transférés. Cette fois-ci,
tout s’est passé à l’envers. Au stress lié à
l’incertitude de conserver leur emploi
s’est ajoutée une drôle d’impression.
« On a été reçues une par une par la nou-
velle entreprise choisie, raconte Isabelle.
Ils m’ont dit : “Toi, on te garde.” On m’a
ensuite demandé si je voulais rester, sans
que je connaisse ma fiche de poste. Puis,
ils m’ont parlé de mes conditions de tra-
vail. » Isabelle et Magali ont été recon-
duites. D’autres n’ont pas eu cette chance.
« Ils avaient en tête d’écarter quatre ou
cinq personnes. La nouvelle société a fait
le travail. On a réussi à récupérer deux ou
trois salariées », décrypte un représentant
du personnel CGT d’EDF UTO.
Un système rodé
Ainsi va la vie des personnels adminis-
tratifs externalisés pris dans les mon-
tagnes russes des appels d’offres du grand
opérateur public. Au milieu des années
1980, cette société, qui apporte un sou-
tien technique aux centrales nucléaires,
fait en effet le choix d’externaliser les
tâches de secrétariat, « dans l’objectif de
permettre à EDF UTO de recentrer ses
missions sur le cœur de métier », expli-
quera un membre de la direction à l’ins-
pection du travail. À partir de cette
JUSTICE
Chez EDF,
des secrétaires
sous-traitées
Une branche du groupe énergéticien a été épinglée en
2019 par l’inspection du travail pour prêt de main-d’œuvre
illicite. Les salariées lésées saisissent le tribunal de Meaux.
époque, le système des appels d’offres
est rodé. Nouveau marché public. Nou-
veau choix de la société prestataire.
En trente-cinq années, les assistantes à
la plus grande ancienneté ont connu cinq
employeurs différents. Mis à part l’iden-
tité de la société les rémunérant, rien ne
les distinguait des autres agents EDF.
Même lieu de travail, en Seine-et-Marne,
même pancarte portant leur nom sur la
porte de leur bureau, même badge d’ac-
cès, mêmes matériel et logiciels, même
restaurant interentreprises, mêmes fonc-
tions que celles occupées par les secré-
taires d’EDF avant l’externalisation des
tâches. Formation EDF et travail en lien
direct avec les ingénieurs et cadres de
l’entreprise publique. Signe de la frontière
ténue entre agents et « externalisées »,
ces dernières étaient même inscrites sur
les listes des votants lors des élections
Vendredi 19, samedi 20 et dimanche 21 mars 2021 l’Humanité
des instances représentatives du per-
sonnel d’EDF UTO, en 2016.
Interdiction de communiquer
Fin 2017, lors de la désignation du nou-
veau sous-traitant, tout s’est enrayé :
processus de transfert des personnels
douteux, donc, et nouveaux contrats ti-
rant tout vers le bas. « On a protesté parce
qu’ils ne prenaient pas en compte notre
ancienneté. Ils nous ont enlevé l’accès aux
places de parking gratuit, entre autres. J’ai
perdu deux cents euros par mois en pouvoir
d’achat », déplore Magali. Subitement,
les assistantes de direction et secrétaires
ont été séparées des agents d’EDF UTO
et regroupées dans deux pôles, avec in-
terdiction de communiquer avec leurs
collègues du groupe énergéticien. Les
tâches se sont automatisées et appauvries.
« Durant des années, on a demandé à la
3
Temps forts
En 35 années,
les assistantes
à la plus grande
ancienneté
ont connu
cinq employeurs
différents.
direction d’UTO qu’elle réinternalise tous
ces postes, explique un élu CGT de l’en-
treprise. Si elle l’a fait pour les trois as-
sistantes du directeur, elle a toujours refusé
pour les autres. Et pour ne pas être prise
pour prêt de main-d’œuvre illégale, elle a
fait séparer tout le monde. »
Un procès-verbal accablant
Sauf que, à l’invitation de la CGT du site,
l’inspection du travail est venue faire ses
constatations. Après deux années d’une
enquête méticuleuse, son procès-verbal,
que nous avons pu consulter, est salé :
« Prêt illicite de main-d’œuvre », « mar-
chandage » et « travail dissimulé par dis-
simulation de salariés ». La lecture de ce
rapport montre qu’EDF comme ses
sous-traitants y trouvent leur compte sur
le dos des employées. Ainsi, les secrétaires
externalisées sont rémunérées entre 1 680
et 2 750 euros par mois pour 35 heures de
travail, quand leurs homologues d’EDF
touchent, à poste égal et pour 32 heures
par semaine, entre 2 765 à 3 200 euros,
sans compter un treizième mois et autres
avantages. La société sous-traitante n’a
quant à elle versé chaque mois et de 2014
à 2017 qu’autour de 73 000 euros en salaires
chargés quand elle recevait d’UTO
169 000 euros. Soit plus du double !
Pas de quoi chambouler le parquet du
tribunal judiciaire de Meaux (Seine-et-
Marne), auquel le dossier a été transmis.
En avril 2020, celui-ci a classé l’affaire sans
suite, en réfutant la similarité des tâches
entre salariées « internes » et « externali-
sées », en confortant la faible autonomie
du sous-traitant du fait des enjeux de sûreté
liés au secteur d’activité, le nucléaire, et en
estimant que le délit de lucrativité, proscrit
dans le cas d’un prêt de main-d’œuvre,
« n’est pas suffisamment documenté ».
Point final ? Non. Les salariées lésées ont
décidé de porter l’affaire devant ce même
tribunal judiciaire par citation directe, ce
qui leur permet d’éviter la case parquet,
ainsi que devant les prud’hommes. « Si
j’étais “internalisée”, j’aurais 15 000 euros
de pouvoir d’achat en plus, soupire Isabelle.
L’argent, c’est important, mais ce qui me
chagrine le plus est le manque de recon-
naissance. J’ai quand même donné trennte
années de ma vie à EDF. Mais on me traite
comme de la merde. » Contacté, EDF n’a
pas répondu à nos sollicitations.
STÉPHANE GUÉRARD
(1) Les prénoms ont été modifiés.
4 l’Humanité Vendredi 19, samedi 20 et dimanche 21 mars 2021

WEEK-END CONFINÉ, RÉSULTAT MITIGÉ

À Dunkerque, la mise en place, fin février,
du confinement le week-end a permis de réduire
de moitié le taux d’incidence, mais les hôpitaux
2,3
C’est, en millions, le nombre de patients
en moins accueillis dans les hôpitaux en 2020,

L’événement
restent saturés en raison de la plus grande par rapport à 2019, en raison du Covid-19,
dangerosité du variant anglais du Covid. selon la Fédération hospitalière de France.

COVID-19

Un confinement régionalisé
pour juguler la troisième vague
Face à la flambée de l’épidémie, l’exécutif a annoncé, jeudi soir, des « mesures de confinement » pour quatre semaines
dès vendredi dans seize départements. Une « troisième voie pour freiner, sans enfermer », dixit Jean Castex.

A
lors que la France entière nouvelle vague de restrictions sanitaires
est déjà sous couvre-feu, en Île-de-France, dans les Hauts-de-
l’exécutif a tout fait pour France, ainsi que les Alpes-Maritimes,
retarder les restrictions l’Eure et la Seine-Maritime. C’est une
cause la tenue des manifestations et des
rassemblements dans l’espace public, que
les préfets pourront suspendre s’ils jugent
que leurs « conditions d’organisation créent
3 LA VACCINATION AVEC
ASTRAZENECA REPREND

supplémentaires. Cepen- « troisième voie » qu’instaure le gouver- un vrai risque sanitaire ». Le vaccin AstraZeneca, qui avait été sus-
dant, il doit désormais nement à compter de vendredi soir, minuit. pendu lundi en France, pourra de nouveau
faire face à un rebond Ce confinement qui ne dit pas son nom être administré ce vendredi. La Haute Autorité
épidémique difficilement maîtrisable en devrait, selon les mots du premier ministre,
Île-de-France, dans les Hauts-de-
France, ainsi que dans les dé-
permettre de « freiner l’épidémie sans
enfermer ». Dans les zones
2 LES ÉCOLES ÉCHAPPENT
À LA FERMETURE
de santé devrait « réactualiser ses recom-
mandations », vendredi matin, afin de per-
mettre une reprise de la vaccination dans
partements de l’Eure et de concernées, il sera possible « Dans les 16 départements concernés par l’après-midi. Autre lueur d’espoir : l’arrivée
la Seine-Maritime. Trente- de sortir de chez soi pour ces nouvelles mesures, nous maintiendrons du vaccin Janssen, du laboratoire américain
« CE NE SONT PAS DE
cinq mille nouveaux cas BONNES NOUVELLES,
une durée illimitée, à la le parti pris de laisser les écoles ouvertes », Johnson & Johnson, « à la mi-avril ». Si,
ont été enregistrés au ni- ET JE SAIS LA condition d’être muni a annoncé le premier ministre, vantant un aujourd’hui, « 5,7 millions de Français ont
veau national ce jeudi, soit LASSITUDE QUI EST LA d’une attestation et de ne « choix (qui) nous distingue de nos voisins », reçu une première dose », le premier ministre
une hausse de 23,6 % en VÔTRE (…) À MESURE pas dépasser les limites dont l’ambition est de « préserver autant a fixé trois caps : 10 millions de personnes
une semaine, alors que les QUE LA CRISE DURE. » d’un rayon de 10 kilo- que possible l’éducation de nos enfants ». devraient être vaccinées à la mi-avril, 20 mil-
services de réanimation JEAN CASTEX mètres. Les déplacements Les écoles maternelles, primaires et les lions à la mi-mai et 30 millions à la mi-juin.
sont quasiment saturés dans interrégionaux seront in- collèges poursuivront dans les mêmes Jean Castex s’est presque autofélicité d’une
les territoires sous tension. terdits, sauf motifs impérieux conditions. « Pour les lycées qui sont déjà « campagne qui progresse ». Pour lui, il s’agit
Cette reprise épidémique « dessine et professionnels. Partout en France, pour plus des deux tiers en demi-jauge, ils d’une « course contre la montre » et d’une
ce qui s’apparente à une troisième le couvre-feu sera maintenu et com- basculeront en totalité dans ce fonctionne- « mobilisation générale pour vacciner sans
vague », a déclaré Jean Castex, qui estime mencera à 19 heures, à compter de ce ment », a ajouté Jean Castex, qui a également relâche ». Encore faut-il que les doses soient
que la stratégie territorialisée conserve samedi. L’idée du gouvernement est de précisé que les universités demeureront au au rendez-vous.
donc « sa pertinence ». Décryptage. ralentir l’avancée de l’épidémie par l’ins- régime actuel. En revanche, « comme en
tauration de nouvelles restrictions, soi-di- mars et en novembre 2020, seuls les com-

1 UN NOUVEAU CONFINEMENT
QUI NE DIT PAS SON NOM
sant moins strictes qu’en mars et novembre
2020. L’exécutif entend rendre les mesures
acceptables en poussant les gens à sortir,
merces vendant des biens de première né-
cessité resteront ouverts », a-t-il été décidé.
La disposition s’appliquera tant aux petits
4 LE TÉLÉTRAVAIL DOIT ÊTRE
POUSSÉ AU MAXIMUM

tout en les dissuadant de se réunir. « Pro- commerces qu’aux rayons concernés des Dans son intervention, le premier ministre
Le confinement et ses attestations écrites fitons librement des espaces extérieurs, a grandes surfaces. La définition des biens a rappelé que les entreprises restaient un
pour se déplacer seront de retour dès la fin enjoint Jean Castex, mais soyons hyper-ri- essentiels a cependant été élargie : la vente lieu de contamination. L’Institut Pasteur
de la semaine, dans seize départements goureux pour proscrire les regroupements de livres et de musique sera autorisée, « ce estime en effet que 27 % des infections hors
dont la région parisienne. Le gouvernement privés ou dans l’espace public. » Ces nou- qui permettra aux libraires et aux disquaires foyer se produisent dans le milieu profes-
a annoncé, ce jeudi, l’instauration d’une velles annonces remettent également en de rester ouverts ». sionnel, en raison notamment des interac-
tions dans les espaces collectifs et lors des
repas. On sait, par ailleurs, grâce aux
contrôles de l’inspection du travail, que de
L’AGENCE EUROPÉENNE DU MÉDICAMENT DONNE SON FEU VERT AU VACCIN ASTRAZENECA nombreuses entreprises ne jouent pas le
jeu du télétravail. Pour autant, il n’est pas
« Le comité est arrivé à la informer les personnes heurter à une crise de aux États-Unis et en Grande- question de hausser le ton, pour le gouver-
conclusion qu’il s’agit d’un vaccinées. Cette décision ouvre confiance, le vaccin ayant été Bretagne, ont réservé leur nement : Jean Castex s’est contenté d’ap-
vaccin sûr et efficace », a la voie à une reprise des déjà mis en cause sur le plan production aux marchés peler, une nouvelle fois, les entreprises qui
déclaré, jeudi soir, Emer Cooke, injections du produit anglo- de son efficacité. Mais c’est locaux, en accord avec les le peuvent à « pousser au maximum le té-
directrice de l’Agence suédois. Une majorité de pays surtout le déficit de doses qui autorités des pays hôtes. létravail », avec l’objectif d’arriver à quatre
européenne du médicament de l’Union européenne avaient va désormais poser problème Confrontée à un non-respect jours de travail au domicile par semaine. Par
(EMA). Le vaccin AstraZeneca emboîté le pas au Danemark, et empêcher une accélération des contrats signés, l’UE ailleurs, le premier ministre a expliqué
« n’est pas associé » à un risque qui a décidé le 11 mars de faire des campagnes de vaccination. commence cependant à qu’un « protocole renforcé » allait être mis
plus élevé de caillots sanguins. une pause dans l’utilisation de AstraZeneca n’a livré qu’un tiers monter le ton. Le 17 mars, la en place dans les restaurants collectifs en
Les bénéfices de son utilisation ce vaccin, à la suite de rapports des quantités promises à l’UE et présidente de la Commission, début de semaine prochaine, après « concer-
dépassent les effets de cas graves de formation de continue d’en promettre Ursula von der Leyen, a tation avec les partenaires sociaux », mais
secondaires, estime l’instance caillots sanguins chez des 70 millions au lieu des 180 menacé d’interdire à son tour sans donner davantage de détails.
européenne, qui recommande personnes l’ayant utilisé. Cette prévues pour le 2e trimestre. Les l’exportation hors UE des CYPRIEN BOGANDA, ALEXANDRA CHAIGNON,
tout de même de mieux bonne nouvelle risque de se usines du groupe, implantées vaccins produits sur place. JULIA HAMLAOUI, PAUL RICAUD
ET MARCEAU TABURET

MACRON TACLÉ PAR LES SCIENTIFIQUES
« Le président de la République n’a pas à s’improviser
épidémiologiste, il y a besoin d’expérience. Ce n’est
pas simplement regarder des graphiques, parce qu’on
peut avoir de grosses difficultés pour les interpréter. »
Renaud Piarroux Épidémiologiste
Les services de réanimation sont saturés dans quasiment tous les départements concernés par les nouvelles mesures de restriction. Benoit Tessier/Reuters
Les médecins désarmés face à une campagne de vaccination fluctuante
Alors que le sérum d’AstraZeneca, suspendu lundi, est
rétabli ce vendredi, les généralistes sont en première
ligne pour rassurer les patients. Pour l’heure, le vaccin
est le seul espoir de tourner la page du Covid-19.
D
epuis le 25 février, les médecins généralistes
sont un maillon essentiel de la chaîne de
vaccination. En cabinet ou dans les centres
créés pour l’occasion, ils sont en première
ligne pour discuter avec les patients, leur
proposer le sérum et, le cas échéant, le leur injecter. Un
sondage BVA réalisé il y a quelques mois montrait que
93 % des personnes interrogées assurent accorder du
crédit à leur médecin généraliste. Même par temps de
tempête, ce sentiment de confiance ne s’érode pas.
Dernier exemple en date : la suspension du vaccin AstraZe-
neca, décidée lundi 15 mars dans l’après-midi, en France.
« Un couple est arrivé dans mon cabinet à 16 heures pour
recevoir une dose d’AstraZeneca, le téléphone à la main.
Ils m’ont montré l’annonce de Macron, que je découvrais.
Ils ont malgré tout tenu à être vaccinés », souligne Jean-
Louis Bensoussan, généraliste à Castelmaurou, près de
Toulouse. L’effet de surprise a rendu les médecins im-
puissants, désarmés pour répondre aux questions des
patients. Si certains ont dû jeter les doses, faute de
pouvoir les conserver, « ce gâchis est minime », tient à
Vendredi 19, samedi 20 et dimanche 21 mars 2021 l’Humanité 5
L’événement
rassurer Jacques Battistoni, président de MG France, cination », pointe Jacques Battistoni. Les médecins n’ont
syndicat le plus représentatif de la profession. pas hésité, ces dernières semaines, à taper du poing sur la
table quand ils avaient l’impression de ne pas être entendus.
Une « zizanie gouvernementale »
Théo Combes exerce dans le Tarn. Il déplore une « zizanie
Le plus dur reste à faire. L’Agence européenne du médica- gouvernementale » et appelle à « changer de politique pour
ment (EMA) a donné, jeudi soir, son feu vert pour la reprise mieux tenir compte du terrain, avec moins d’injonctions
du vaccin AstraZeneca. Une ligne que partage verticales et paradoxales ».
l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Si les médecins s’accordent à dire que « la
qui estime que, « pour le moment, la balance « Le rôle réussite de la vaccination est essentielle pour
risques/bénéfices penche en faveur du vaccin du médecin soulager les hôpitaux », ils regrettent que ça
AstraZeneca ». La question qui se pose main- n’avance pas plus vite et parlent d’une « si-
tenant est celle de savoir si la population va est essentiel tuation de pénurie ». Un nouveau venu sera
accepter de recevoir ce vaccin décrié. « Le bientôt sur le marché : le vaccin Janssen,
rôle du médecin est essentiel pour réussir à pour réussir développé par le laboratoire américain Johnson
convaincre, surtout les précaires et les plus
angoissés », explique Agnès Giannotti, qui
à convaincre. » and Johnson. A priori, il collectionne les bons
points : résistant aux formes plus contagieuses
exerce à Paris. « Les patients nous font AGNÈS GIANNOTTI et ne nécessitant qu’une seule dose, ce serait
confiance, parfois aveuglément, abonde Jacques MÉDECIN À PARIS l’outil idéal de lutte contre le virus. En dépit
Battistoni. Il faut qu’on trouve les arguments de ces avantages indéniables, les professionnels
et qu’on leur explique qu’il n’y a pas eu d’augmentation de restent sceptiques. « C’est un vaccin prometteur, bien sûr.
thromboses en France à cause de ce vaccin. » Mais on nous parle d’une arrivée fin avril. Les chances qu’il
Leur « implication » et leur « engagement » sans faille dans arrive plus tôt sont infimes. Et puis le nombre de doses semble
la campagne de vaccination placent les généralistes aux être très faible », déplore Jacques Battistoni. Pourtant, au-
premières loges pour relever certains dysfonctionnements. jourd’hui, le vaccin est la seule porte de sortie envisagée d’une
« La stratégie du tester-tracer-isoler n’est pas au rendez-vous crise sanitaire qui n’en finit plus.
et on a du mal à trouver la cohérence de la politique de vac- MARCEAU TABURET
6 l’Humanité Vendredi 19, samedi 20 et dimanche 21 mars 2021
L’événement
À Bordeaux, distribution alimentaire aux étudiants par l’association humanitaire « Espoir pour tous », qui récupère les surplus et invendus des supermarchés. S. Ortola/Rea
« La crise a renforcé des inégalités déjà présentes »
Un an après le premier confinement, et alors que de
nouvelles mesures viennent d’être annoncées, une
enquête sociologique décrypte la manière dont la
crise sanitaire frappe les plus fragiles. Entretien.
P
our les chercheurs, le confinement de mars
2020 a été l’occasion d’observer les boulever-
sements produits par la crise sanitaire dans la
société française. Dès les premières semaines,
ils s’aperçoivent que les jeunes, les femmes et
les classes populaires sont les premiers à en ressentir les
effets et à voir leurs conditions de vie se dégrader. Dirigé
par Anne Lambert et Joanie Cayouette-Remblière, l’Ex-
plosion des inégalités (l’Aube) dissèque la manière dont
le confinement touche différemment les catégories de
population. Quand les bourgeois parisiens s’exilent dans
leur maison de campagne, les travailleurs sans papiers
de banlieue intensifient la lutte pour leur régularisation
et les étudiants tentent de poursuivre leurs études, malgré
la perte de leurs emplois.
Semaine après semaine, le gouvernement a cherché à
retarder un nouveau confinement généralisé et ses consé-
quences sociales. Cela suffit-il à protéger les personnes
exposées aux inégalités créées par la crise sanitaire ?
ANNE LAMBERT Non, éviter un troisième confinement ne
réglerait pas les inégalités structurelles antérieures à la
crise et les forts effets négatifs du printemps dernier.
Certaines catégories de travailleurs n’ont toujours pas
retrouvé d’emploi depuis les deux confinements. Leur
situation, qui s’est dégradée dès le mois de mars, n’a pas
été compensée. Des mesures comme les primes ponctuelles
des travailleurs de « première ligne » ne suffisent pas à
résorber les écarts de rémunération. Cela dépend aussi
des modalités d’un troisième confinement. Le fait que les
enfants continuent d’aller à l’école limite la charge des
parents salariés, surtout celle des femmes.
Derrière « l’explosion » des inégalités qu’énonce le titre de Vous évoquez aussi le rapport de vos enquêtés à la poli-
votre ouvrage, vous écrivez que la crise sanitaire a surtout tique. Cette crise pourrait-elle avoir des effets sur la poli-
permis leur « dévoilement ». De quand datent ces tisation des classes populaires ? A-t-elle éveillé une
inégalités ? conscience de classe ?
ANNE LAMBERT L’idée est que la crise sanitaire amplifie ANNE LAMBERT Chez les enquêtés de milieux populaires dont
certaines formes d’inégalités, mais qu’elle intervient on sait qu’ils entretiennent une certaine distance avec le
dans un contexte d’inégalités structurelles déjà con- jeu électoral classique, la crise a renforcé la demande d’un
nues auprès de certaines catégories de population, État social fort, ainsi qu’un besoin de protection. Confinés,
exposées à des vulnérabilités antérieures. En cela, la les individus ont eu une perception assez rapide, superfi-
crise a renforcé des inégalités déjà présentes cielle certes, du niveau de vie des uns et des
et qui existaient depuis vingt ou trente ans. autres. Cela a amplifié la dénonciation des iné-
La situation des jeunes sur le marché du galités, mais nous n’avons pas observé d’ac-
travail s’est assez fortement dégradée dans centuation du sentiment d’appartenance à une
les années 1990 et cela va en s’intensifiant. classe sociale, ni celui de l’engagement politique
Depuis les années 2000, les indicateurs de et syndical. Il n’y a eu que très peu de remise
sur peuplement et de mal-logement augmen- en cause de leur propre position sociale par les
tent en ce qui concerne les ménages modestes, personnes interrogées. Y compris chez des
et la ré duction des inégalités de logement personnes politisées, de potentielles critiques
s’est progressivement arrêtée. La crise sani- sociopolitiques des inégalités ne sont pas du
taire a creusé davantage les inégalités subies tout ressorties des entretiens.
pa r des catégories de popu lation déjà Anne Lambert
fragilisées. Sociologue Vous évoquez aussi la question des « sans-sta-
à l’Institut tut », privés de logement, d’emploi et de papiers.
C’est le cas des inégalités de genre que vous national Ils paraissent moins touchés par la crise…
décrivez ? d’études ANNE LAMBERT On ne dit pas que ces « sans-statut »
ANNE LAMBERT Les inégalités femmes-hommes démogra­ ne sont pas touchés par la crise. Au moment de
sur le marché du travail étaient plutôt entrées phiques l’enquête, l’aspect sanitaire était secondaire car
dans une phase de réduction sur le long terme, ils avaient déjà vécu d’autres crises et étaient
même si elles avaient désormais atteint un exposés à des risques de surmortalité et de souf-
palier et cessaient de décroître. Les femmes ont accédé frances psychologiques bien pires. La crise n’est pas leur
à des niveaux d’emploi plus qualifiés, la division du préoccupation, qui est plutôt la régularisation de leur situation
travail domestique s’est améliorée… Pendant la crise, ou l’accès à l’emploi. Mais, bien sûr, ils ont été touchés : les
le taux d’emploi des femmes, qui avait presque rejoint guichets des services publics ont fermé et les procédures
celui des hommes, a baissé. Elles ont beaucoup plus ont pris du retard. Ils ont été renvoyés à une attente et une
souvent arrêté ou perdu leur emploi que les hommes, période de non-droit sans fin.
et ont dû s’acquitter de davantage de tâches domestiques ENTRETIEN RÉALISÉ PAR
et parentales. PAUL RICAUD
 Vendredi 19, samedi 20 et dimanche 21 mars 2021 l’Humanité 7

L’événement

Le Covid plombe l’austérité Les services

chère à la Cour des comptes
À contexte exceptionnel, rapport annuel un peu particulier.
Les traditionnels garants de l’austérité budgétaire ont dû
le concéder à demi-mot : pour faire face aux crises, les
publics fragilisés
Dans son rapport annuel publié le
18 mars, la Défenseure des droits sou-
Résultat, il est recommandé au ministère de l’Éducation ligne à quel point la pandémie a contrarié
nationale d’investir dans le numérique, dans des plans de le soutien aux plus précaires.

L
continuité de l’activité, et même de négocier avec les opé-
services publics ont besoin de moyens.

L
rateurs des forfaits gratuits pour les plus fragiles en temps a crise que nous traversons nous

’intégralité du premier tome du rapport public

de crise. « affecte tous, et plus particulière-
ment les personnes les plus éloi-
annuel de la Cour des comptes, présenté ce jeudi Un manque criant de politique gnées de leurs droits, qui étaient déjà en
par son nouveau premier président, Pierre Moscovici, du « logement d’abord » difficulté », rappelle la Défenseure des
fait un point sur la gestion de la crise sanitaire et ses Le constat sur les services de réanimation est du même droits, Claire Hédon, en préambule du
conséquences économiques et sociales. « Il n’est pas tonneau : ils n’étaient pas prêts. « Depuis 2013, l’offre de rapport annuel de l’institution, qui revient
question ici d’épingler, mais de constater, recommander », soins critiques est en décrue », note Pierre Moscovici, sans sur cette année 2020 marquée par la
a assuré le haut magistrat, qui renvoie au mois prochain rappeler qu’à cette date-là, il était lui-même ministre pandémie.
la présentation d’un nouveau chapitre relatif aux des Finances. À la veille de la crise sanitaire, le Fragilisés eux aussi par la crise, les services
finances publiques. Ce changement de ton se taux d’équipement en lits de réanimation publics n’ont pas été en mesure de jouer
LA COUR S’ÉMEUT
retrouve dans le contenu, qui se veut « équili- n’était plus que de 37 pour 100 000 habitants leur rôle de soutien auprès des plus fragiles,
DE LA DETTE DE
bré ». Ainsi, le rapport loue longuement la L’UNÉDIC, QUI ATTEINT
de plus de 65 ans, contre 44 en 2013. En cause, contribuant par leur absence de réponse à
gestion de l’aide au retour des Français retenus 65 MILLIARDS D’EUROS, chaque lit de réanimation est déficitaire à accroître précarité, isolement et détresse.
à l’étranger au début de la pandémie, avant GONFLÉE PAR hauteur de 115 000 euros par an, a calculé la « C’est ce dont attestent, par exemple, les
d’être plus critique sur l’état de l’éducation LE CHÔMAGE PARTIEL, Cour des comptes. Donc les hôpitaux, qui se difficultés accrues rencontrées par les per-
nationale et des services de réanimation face « IMPOSSIBLE sont vu imposer des obligations purement sonnes les plus vulnérables – âgées et dé-
à la crise. À GÉRER ». comptables, n’ont aucune envie d’en ouvrir. pendantes, en situation de précarité ou de
La Cour recommande de « déterminer un nouveau handicap, en détention – pour accéder à
Faiblesse de l’anticipation et de modèle de financement des soins critiques afin de certains de leurs droits », note le rapport.
la préparation des services publics garantir la neutralité de la tarification à l’activité ». À titre d’exemple, il cite la fermeture du
La Cour regrette la faiblesse de l’anticipation et de la pré- Au chapitre des dysfonctionnements, le rapport pointe aussi dispositif d’enregistrement des demandes
paration des services publics, mais salue la réactivité et la l’hébergement d’urgence sur la période. Il remarque que des d’asile en Île-de-France ou la décision de
capacité d’adaptation de ses agents. Ainsi, « de nombreux centres spécialisés ouverts pour l’occasion n’ont été occupés certains bureaux de poste d’interdire leur
établissements scolaires n’avaient pas de plan de continuité qu’à 10 % en moyenne, quand le logement en chambres accès aux accompagnants de personnes
de l’activité satisfaisant », a fait remarquer Pierre Moscovici. d’hôtel a explosé. La facture dépasse les 650 millions d’euros. vulnérables, privant de fait ces dernières
Mais, lorsqu’il s’agit d’aller en chercher les causes, le rapport La Cour dénonce des problèmes de gestion, mais aussi un d’accès aux services.
est forcé de constater le manque de moyens : « Seules 13 % vrai manque de politique du « logement d’abord », soulignant
des écoles sont dotées par leur commune d’un espace numé- l’explosion du nombre de sans-abri, qui dépasse les 300 000. L’État d’urgence sanitaire
rique de travail » ; ou encore les inégalités : 600 000 élèves Là où, questionné par l’Humanité, Pierre Moscovici s’est « doit demeurer temporaire »
(5 %) sont en rupture numérique complète, « et une pro- révélé moins loquace, c’est sur l’avis de la Cour sur les nom- La crise sanitaire a aussi été l’occasion
portion importante des élèves ne dispose au sein de la famille breuses aides, non conditionnées, aux entreprises. Il a assuré d’un recul démocratique qui inquiète la
que d’un téléphone portable avec un forfait très limité », que ces mesures étaient nécessaires et qu’il y aurait un audit Défenseure des droits. Compte tenu de la
déplore encore le rapport, qui conclut que « l’école à distance des dispositifs d’urgence, en juin. remise en question des libertés fondamen-
a accentué les difficultés scolaires des élèves les plus fragiles ». PIERRIC MARISSAL tales du citoyen qu’il représente, l’État
d’urgence sanitaire, justifié par la crise,
« doit demeurer temporaire, être strictement
encadré et respecter les principes de notre
État de droit : légalité, nécessité et propor-
tionnalité », rappelle l’institution.
Elle souligne aussi, en creux, le manque
de concertation autour de certaines déci-
sions, comme l’adoption du couvre-feu en
novembre 2020, qui n’a même pas été ac-
compagnée d’un débat parlementaire.
« L’organisation d’un débat démocratique
de fond sur le caractère adapté des mesures
sanitaires favoriserait la cohésion sociale »,
souligne-t-elle.
Dans un climat qui tend à faire de toute
dénonciation du racisme une déviance
séparatiste, la Défenseure des droits rap-
pelle, au contraire, « la prévalence des
discriminations fondées sur l’origine, qui
affectent la vie de millions d’individus, met
en cause leurs droits les plus fondamentaux,
ainsi que la cohésion de la société fran-
çaise ». Elle appelle à la mise en place
urgente d’une « politique prioritaire am-
bitieuse » sur ce sujet.
L’institution a également porté une at-
tention particulière en 2020 aux « relations
entre police et population et au respect de
la déontologie par les forces de sécurité ».
Depuis 2014, les saisies du Défenseur des
droits sur ce thème ont en effet augmenté
« Depuis 2013, l’offre de soins critiques est en décrue », note Pierre Moscovici, le nouveau premier président de la Cour de 210 %.
des comptes, sans rappeler qu’à cette date-là, il était lui-même ministre des Finances. Romuald Meigneux/Sipa CAMILLE BAUER
8 l’Humanité Vendredi 19, samedi 20 et dimanche 21 mars 2021

LES RÉGIONALES REPORTÉES ?

L’Élysée n’exclut pas un report des élections
régionales et départementales à l’automne, selon
le Figaro. Les chefs de parti seront convoqués
200 000
C’est, en euros, le montant de l’amende infligée par
le CSA à la chaîne CNews, en raison des propos tenus

Politique&Citoyenneté
pour une réunion, début avril, alors que le conseil par son chroniqueur Éric Zemmour, en septembre 2020,
scientifique doit remettre un rapport sur ce sujet. incitant à « la haine » et à « la violence ».

AFFAIRES

Lutte anticorruption :
la Macronie en marche arrière
Plusieurs dispositifs améliorant la transparence de la vie politique ont été lancés sous le quinquennat Hollande
et portent aujourd’hui leurs fruits. Toutefois, de nombreux efforts restent à faire, et le gouvernement actuel recule.

U
ne actualité inquiétante
ou rassurante ? Cette se-
maine, se sont ouverts le
procès du sénateur Jean-
Noël Guérini pour prise
illégale d’intérêts, ainsi
que celui de l’affaire Byg-
malion (finalement reporté au 20 mai),
renvoyant Nicolas Sarkozy devant les juges
deux semaines après sa condamnation, en
première instance, dans l’affaire des
écoutes. Si ces audiences soulignent que
les affaires de corruption politique sont
nombreuses, elles démontrent aussi que
la justice avance, n’hésite pas à inquiéter
un ancien président de la République ou
une figure locale longtemps passée entre
les gouttes.
Pourtant, dans le dernier classement de
Transparency International sur l’indice de
perception de la corruption, la France n’ar-
rive que 23e et recule. « C’est peut-être
justement parce que les affaires sont plus
facilement révélées, et aboutissent à des
condamnations, que les Français ont l’im-
pression que les faits de corruption sont plus
nombreux », estime Nadège Buquet, secré-
taire générale de l’association.

« Des budgets insuffisants »

Les mailles du filet se sont resserrées, en
partie grâce aux outils mis en place entre
2013 et 2016, en réaction au scandale
Jérôme Cahuzac : la Haute Autorité pour
la transparence de la vie publique (HATVP),
le Parquet national financier (PNF) ainsi
que l’Agence française anticorruption
(AFA), à l’occasion de la loi Sapin 2 de
2016. Et cela semble porter ses fruits. « Le
travail du PNF et de la HATVP a permis de
révéler de nombreux faits de corruption et
a abouti à des condamnations, observe
Éric Alt, vice-président de l’association
Anticor. Depuis, les déclarations d’intérêts
et de patrimoine sont faites beaucoup plus
sérieusement. »
Un bilan plutôt positif qui invite à ne pas
relâcher l’effort. « Il y a besoin d’un second
souffle, considère Nadège Buquet. Ces outils
doivent être améliorés, à commencer par
revoir leurs budgets, aujourd’hui largement
insuffisants. Le PNF a par exemple vu ses
moyens diminuer alors qu’il a besoin de
davantage d’effectifs pour traiter des dossiers
complexes et sensibles. » Les associations
Ouverture du procès du sénateur Jean-Noël Guérini, lundi 15 mars, au tribunal correctionnel de Marseille. Nicolas Tucat/AFP
ont eu l’occasion, ces dernières semaines, dans lequel l’ensemble de ces groupes d’in- public rencontré ». Didier Migaud a ainsi
de transmettre leurs revendications auprès térêts doivent s’inscrire, sans que l’on demandé directement au premier ministre
de la commission d’évaluation de la loi connaisse leurs interlocuteurs ni leur de prendre cette décision par décret,
Sapin 2, qui siège depuis le 20 jan- influence réelle sur une décision ce que Jean Castex a fermement refusé.
vier. Présidée par les députés publique. C’était pourtant l’in- La publication, par les ministres et les par-
Raphaël Gauvain (LaREM) EN SEPT ANS, tention originelle de la loi lementaires, de leurs agendas de rencontres
et Olivier Marleix (LR), elle LE PNF A INSTRUIT Sapin 2, mais les décrets qui avec des représentants d’intérêts a égale-
a pour objectif de dresser 69 PROCÉDURES ont suivi son adoption n’en ment été demandée par Transparency
un bilan et des pistes d’amé- AYANT ABOUTI ont pas tenu compte. International.
lioration de cette « loi rela- À DES SANCTIONS Auditionné par la commis-
tive à la transparence, à la ET RAPPORTÉ sion parlementaire, le pré- Protéger les lanceurs d’alerte
lutte contre la corruption et 7,7 MILLIARDS D’EUROS sident de la HATVP, Didier Le travail parlementaire sur la loi Sapin 2
à la modernisation de la vie À L’ÉTAT. Migaud, a demandé de mo- permet par ailleurs de se pencher sur le
économique ». Ce texte au- difier le registre des repré- statut des lanceurs d’alerte, créé par ce
torise la HATVP à contrôler l’in- sentants d’intérêts afin « d’avoir texte en 2016. « Mais quand on regarde dans
fluence des représentants d’intérêts ainsi une vision plus juste du lobbying le détail, ce statut ne les protège pas, au
(lobbyistes et associations de plaidoyer) en France, en passant notamment par l’iden- contraire il les oblige à passer par leur su-
sur les décisions publiques. Une mission tification de la décision publique visée par périeur hiérarchique avant de diffuser une
qui se résume aujourd’hui à un répertoire un représentant et la fonction du responsable information », analyse Éric Alt. Pour l’amé-
 Vendredi 19, samedi 20 et dimanche 21 mars 2021 l’Humanité 9

Politique&Citoyenneté

liorer, une directive de l’Union européenne

de 2019 qui assure une plus grande protec- SURENCHÈRE
tion des lanceurs d’alerte doit être trans-

Haro médiatico-politique
posée dans le droit français. Or, là encore,
le gouvernement rechigne. « On ne sent
pas une grande ambition de Macron concer-

sur l’Unef
nant la lutte contre la corruption, observe
le sénateur PCF Éric Bocquet. On sait par
qui il a été fait roi… Les liens parfois directs
avec le monde des affaires ne le choquent
pas, c’est assumé. » À l’inverse, le parle-
mentaire propose de créer une « loi de sé- Après un entretien sur Europe 1 aux accents d’interrogatoire, le syndicat étudiant
paration de l’État et de la finance », afin de
garantir une barrière entre l’intérêt général a été la cible de la droite et de l’extrême droite pour des « réunions non mixtes ».

L
et celui des affaires, notamment en empê-
chant le pantouflage.
a chasse aux « islamo-
Les dangers de la loi Asap gauchistes » à l’université
Voir le gouvernement reprendre cette continue, et l’Unef est à nou-
disposition serait pour le moins surprenant : veau la cible de la droite et
hormis la loi confiance de 2017, texte peu de l’extrême droite. Le
ambitieux pris en réaction à l’affaire Fillon, 17 mars, la présidente du syndicat étu-
la majorité n’a jamais affiché une volonté diant, Mélanie Luce, indique sur Eu-
de s’investir sur ces sujets. À l’inverse, rope 1 que des réunions non mixtes se
elle a voté à l’automne, dans la loi Asap, tiennent au sein de l’organisation « pour
la possibilité pour les collectivités locales permettre aux personnes qui sont tou-
de conclure des marchés publics opaques, chées par le racisme de pouvoir exprimer
sans mise en concurrence ni publicité si ce qu’elles subissent ». Elle cite égale-
« l’intérêt général le justifie ». Or, la défi- ment un autre exemple, celui « des
nition d’intérêt général n’est pas donnée réunions en non-mixité de femmes »
par la loi et pourrait conduire à des abus. pour leur permettre de « s’exprimer sur
Prise au prétexte de vouloir accélérer la les discriminations qu’elles peuvent su-
relance et les commandes publiques, cette bir ». Mélanie Luce précise toutefois :
mesure constitue un risque important de « Ça ne veut pas dire qu’on y prend des Paris, le 16 mars. Mélanie Luce, présidente de l’Unef, et Léon Deffontaines
clientélisme, de favoritisme, ou de prise décisions, aucune décision n’est prise (à gauche), secrétaire général du MJCF. Thierry Nectoux/Gamma-Rapho
illégale d’intérêts. en non-mixité dans l’Unef . » Déjà, à
Autre signal inquiétant : les attaques ré- l’antenne, la présidente du syndicat
pétées envers le PNF, dont l’opposition de étudiant se voit immédiatement rétor- chercher ses responsabilités, pour pro- mettre fin à cette dérive raciste assumée,
droite est coutumière. Plus grave, le garde quer par la journaliste Sonia Mabrouk : vocation à la haine raciale », déclare le il faut dissoudre l’Unef ! » insiste-t-il. Une
des Sceaux Éric Dupond-Moretti, qui avait « J’imagine que vous dénoncez toutes sénateur vendéen au sujet de l’Unef. position également réclamée par l’iné-
rechigné à remplir sa déclaration de pa- les formes de racisme, y compris le ra- Sur France Info, c’est l’ancien ministre vitable Éric Ciotti sur ce genre de sujet
trimoine, s’est opposé frontalement au cisme anti-Blancs », un terme inventé de l’Intérieur Christophe Castaner qui et par l’extrême droite en la personne
PNF l’été dernier, mettant même en cause par Jean-Marie Le Pen, comme le lui ouvre le feu du côté des macronistes. du sénateur RN Stéphane Ravier. Quant
son avenir. « L’exécutif attaque le PNF dans rappelle Mélanie Luce. « L’Unef a fait un choix, pour survivre, à Marion Maréchal, elle a choisi de suivre
le but de le discréditer, analyse Éric Alt. d’un clientélisme indigéniste exacerbé les questions de la journaliste Sonia
Cela démontre, plus généralement, une Castaner ouvre le feu totalement scandaleux ! » s’indigne-t-il. Mabrouk : « Comment l’université peut-
grande défiance du gouvernement envers Mais le plus gros de l’offensive est Le président du groupe LaREM à l’As- elle tolérer en son sein de telles discrimi-
les contre-pouvoirs, que ce soit la justice, arrivé le lendemain, depuis les rangs semblée va même jusqu’à dire que le nations et ce racisme anti-Blancs ? »
le travail parlementaire, les associations, de la droite et de LaREM. Sur France syndicat n’est « plus représentatif de Sinon, en début d’entretien, Mélanie
les citoyens. » Or, pour lutter contre la Inter, le 18 mars, le président du groupe la vie étudiante », avant de dénoncer Luce réclamait d’urgence l’augmenta-
corruption du monde politique, le rôle LR au Sénat, Bruno Retailleau, prend « une forme de séparatisme » et de ré- tion des bourses et des aides au logement
démocratique de ces contre-pouvoirs, un ton solennel. « Je demande au garde clamer lui aussi des « moyens judi- pour les étudiants, fortement touchés
trop souvent méprisés par la Macronie, des Sceaux d’utiliser un moyen pour ciaires » contre l’organisation. par la crise sanitaire et sociale. Deux
est primordial. mettre en œuvre l’action publique pour Le député européen LR François-Xavier minutes d’antenne sur douze.
FLORENT LE DU le condamner, ou en tout cas pour re- Bellamy s’est joint à la danse. « Pour DIEGO CHAUVET
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10 l’Humanité Vendredi 19, samedi 20 et dimanche 21 mars 2021

Politique&Citoyenneté

DÉFICITS

Arthuis promet l’austérité perpétuelle

Le rapport des « experts » chargés de réfléchir à l’avenir de la dette publique française se révèle sans surprise.

T
ous ceux qui s’attendaient à 3 % du PIB pour le déficit. « La démocratie la commission préconise donc la « maîtrise pièces, sur le modèle du Conseil supérieur
des solutions novatrices en ne s’accommode pas des déficits ! » assé- de la dépense publique ». « Pour parvenir à de l’audiovisuel.
seront pour leurs frais. La com- nait-il alors. stabiliser le niveau d’endettement, nous Autant de solutions qui font bondir l’éco-
mission mise sur pied par le Il faut croire que l’ancien ministre n’a devons nous donner une règle simple et cré- nomiste Éric Berr : « Pour éviter que les
gouvernement, le 4 décembre pas changé de cap. D’abord, la commission dible à moyen et long terme : faire en sorte États ne dépensent trop, la commission
2020, pour plancher sur l’avenir de la balaie d’un revers de la main toutes les que les dépenses publiques augmentent ten- Arthuis propose d’instaurer une règle d’or,
dette publique vient de rendre son rapport. solutions alternatives formulées par de danciellement moins vite que nos recettes », et on confie à une institution pseudo-in-
Ses préconisations s’inscrivent dans la nombreux économistes depuis plusieurs écrit la commission. dépendante le soin de vérifier qu’ils res-
plus pure orthodoxie libérale, ce qui n’est mois, à commencer par une annulation pectent leurs engagements. Cela revient à
guère surprenant au vu du profil de d’une partie des dettes publiques en « Définir un objectif de dépenses nier la capacité des États à mener des po-
ses auteurs. La commission était Europe par la Banque centrale global » pour les cinq années à venir litiques économiques ambitieuses. »
en effet présidée par Jean européenne (BCE). « Au- Une fois cette règle d’or gravée dans le Magnanime, la commission Arthuis pré-
Arthuis, ancien sénateur « LA COMMISSION delà des questions juri- marbre, il conviendra de l’appliquer. À conise toutefois d’épargner un certain
centriste et grand chasseur OUBLIE DE PRÉSENTER diques, c’est l’institution de chaque début de quinquennat, la nouvelle nombre de « dépenses d’avenir » : re-
LA LUTTE CONTRE
de dettes devant l’Éternel : la BCE et son indépendance majorité devra « définir un objectif de cherche, formation, investissements pu-
L’ÉVASION FISCALE
en tant que ministre de COMME UN MOYEN DE
qui seraient fortement re- dépenses global » pour les cinq années à blics liés à la transition écologique et
l’Économie d’Alain Juppé RÉDUIRE LES DÉFICITS mises en cause et in fine la venir, tout en restant dans le cadre étroit numérique. Mais, pour Éric Berr, « si vous
(1995-1997), c’est lui qui PUBLICS ». crédibilité de l’euro », assure fixé plus haut. Cerise sur le gâteau, une sanctuarisez ces dépenses, alors où allez-
avait négocié pour la ATTAC la commission. Un « can- « institution budgétaire indépendante » vous faire des coupes ? Dans les dépenses
France le pacte de stabilité tonnement » de la dette aura pour mission de « vérifier le respect sociales. Ce type de raisonnement conforte
et de croissance qui grave dans Covid, solution proposée par le des objectifs » durant toute la mandature. les réformes libérales comme celles de l’as-
le marbre les deux bornes – purement gouvernement, ne trouve pas davan- Cette institution pourrait s’apparenter à surance- chômage ou des retraites avec,
idéologiques – limitant l’endettement tage grâce à ses yeux. l’actuel Haut Conseil des finances pu- pour conséquence, une baisse du niveau de
des États européens, sous peine de sanc- Que faire, alors ? Dans la mesure où elle bliques (sous l’autorité de la Cour des la protection sociale ».
tion : 60 % du PIB pour la dette publique ; exclut d’emblée toute hausse de la fiscalité, comptes) ou bien être créée de toutes CYPRIEN BOGANDA

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 Vendredi 19, samedi 20 et dimanche 21 mars 2021 l’Humanité 11

L’Humanité des débats

LE BLOC-NOTES P. 12 TRIBUNE LIBRE P. 16 LA CHRONIQUE PHILO P. 17
Jean-Emmanuel Ducoin : Les forces pacifistes encouragées Cynthia Fleury :
Révolution(s) au Proche-Orient Le devenir tortionnaire

TABLE RONDE

Quelle histoire
de la Commune
de Paris pour
aujourd’hui ?
RAPPEL DES FAITS Parmi la floraison
de publications marquant le 150e anniversaire,
un événement éditorial : l’ouvrage collectif
la Commune de Paris 1871, paru à l’Atelier.
Rencontre avec quatre des historiens associés.
Scène de la Commune de Paris, en 1871, issue de Histoire illustrée de l’Angleterre par John Cassel.
The Print Collector/Heritage Images/Leemage

Michel OM
MU N
E Votre ouvrage collectif (1) privi- simples curieux férus d’histoire sociale, d’ap- L’important était de donner une vue d’ensemble
Cordillot légie une démarche scientifique procher l’histoire de cet événement singulier à aussi large que possible des formes et des racines
C
LA

Professeur pour dire ce que furent les travers l’expérience vécue de ses participants. de l’engagement communaliste.
émérite controverses et les acteurs de la Nous avons donc cherché à constituer un échan-
•

à l’université 15
0 A
N Commune, afin aussi de la déga-
Paris-VIII ger des fanstasmagories qui l’en-
et coordinateur tourent. Faut-il y voir sa principale nouveauté ?
de la Commune MICHEL CORDILLOT Parler sereinement de la Com-
de Paris 1871 mune n’est pas toujours allé de soi. Longtemps
(1) prisonnière d’enjeux de mémoire – légende noire
contre légende rouge –, son histoire a fait l’objet
Florence Braka de débats idéologiques liés à la situation politique
en France et dans le monde qui en ont plus ou
Docteure moins délibérément biaisé l’interprétation et
en histoire distordu l’image. De ce fait, l’événement reste
moderne et aujourd’hui encore assez mal connu. La preuve
contemporaine, en est cette polémique pitoyable soulevée au
spécialiste conseil municipal de Paris à propos du 150e an-
niversaire par un élu du 16e arrondissement qui
du XIXe siècle
s’est autocaricaturé en accusant les communards
d’avoir incendié les synagogues… alors qu’aucun
Quentin bâtiment de ce type ne figure sur la liste des des-
Deluermoz tructions. Il est temps de revenir à une lecture
Professeur apaisée de l’événement communaliste, qui certes
d’histoire n’exclut pas désaccords et débats, mais qui repose
et auteur (2) sur des faits avérés et des raisonnements construits,
plutôt que sur des idées toutes faites. C’est en tout
Pierre-Henri cas ce que nous nous sommes appliqués à faire
dans le volume dont il est ici question.
Zaidman
Maître Les 500 biographies revues et enrichies, sur les
de conférences quelque 17 500 notices de communards que
à l’université compte le Maitron, répondent-elles au parti pris
Paris-Descartes de donner sa place au peuple de Paris ?
MICHEL CORDILLOT Le grand apport du Maitron a
été de permettre aux chercheurs, mais aussi aux
tillonnage qui mette clairement en évidence la
diversité communarde, en ne nous contentant
pas de traiter des personnalités les plus connues.
On retrouvera par conséquent dans ce volume
les biographies de responsables politiques et de
chefs militaires, mais aussi celles d’un certain
nombre de militants ayant assuré la remise en
route, puis le fonctionnement des services publics
au jour le jour, de publicistes, d’orateurs popu-
laires, de femmes (infirmières, barricadières,
journalistes, féministes…), de syndicalistes et de
militants ouvriers, souvent adhérents à l’Inter-
nationale, ou encore de certaines figures emblé-
matiques. Parmi eux, des Parisiens de vieille
souche, des provinciaux « montés » dans la ca-
pitale en quête d’un emploi, et même des étrangers
– Belges, Italiens ou Polonais – amoureux de la
France de la Révolution et des droits de l’homme.
LE 29 MAI, AU MUR DES FÉDÉRÉS
L’association des Amies et amis de la
Commune de Paris 1871, qui appelle chaque
année à « monter au mur », vient de faire une
proposition pour ce 150e anniversaire :
organiser « ensemble, une manifestation
festive et populaire, le samedi 29 mai,
permettant à la population de défiler
massivement devant le mur des Fédérés ».
Quel fut le rôle des femmes pendant la Com-
mune ? À quels obstacles se sont-elles heurtées,
compte tenu des mentalités de l’époque, jusqu’au
sein des organisations révolutionnaires ?
FLORENCE BRAKA Les femmes ont participé acti-
vement à la Commune, depuis le 18 mars au matin,
lorsqu’elles donnent l’alerte, s’interposent, puis
fraternisent avec les soldats venus reprendre les
canons à Montmartre, jusqu’aux barricades de la
Semaine sanglante. Elles sont pourtant absentes
des instances politiques de la Commune, les com-
munards ne voyant généralement pas d’un bon
œil leur engagement à leurs côtés. En dehors de
quelques-uns, comme Varlin, Malon ou Frankel,
« l’émancipation » de la femme, très peu pour
eux. En cause, notamment, la large diffusion des
théories rétrogrades de Proudhon (« ménagère
ou courtisane »), ou encore la crainte de subir la
concurrence des femmes sur le marché du travail
où leurs salaires sont plus bas. Les femmes vont
donc devoir s’imposer. Issues pour la plupart du
monde ouvrier, elles prennent la parole dans les
clubs et abordent des sujets concrets : le besoin
de crèches, l’union libre, le divorce, l’éducation
laïque des filles, l’égalité entre les sexes au sein
de la famille et l’égalité des salaires. Elles reven-
diquent également leur place aux côtés des
hommes dans la lutte contre Versailles. C’est
notamment l’Union des femmes pour la défense
de Paris et le soin aux blessés, fondée par Elisabeth
Dmitrieff avec le soutien de Nathalie Lemel, qui
va porter leurs aspirations. Regroupant plus
 12 l’Humanité Vendredi 19, samedi 20 et dimanche 21 mars 2021
Table ronde
Quelle histoire de la Commune de Paris
pour aujourd’hui ?
de 1 000 adhérentes, cette association de travail-
leuses est dédiée à l’organisation du travail des
femmes et à la défense de la capitale. Sur le plan
social, elles obtiennent la fermeture des maisons
de tolérance, l’interdiction de la prostitution sur
la voie publique, la reconnaissance de l’union
libre, l’égalité de salaire pour les instituteurs et
les institutrices. Sur le plan militaire, elles consti-
tuent un service d’ambulances uniquement fé-
minin, participent à l’édification de barricades,
et prennent part pour certaines aux combats…
malgré l’hostilité du Comité de salut public, qui
déclare, le 1er mai, les femmes hors la loi sur le
champ de bataille. Après la Commune,
1 051 femmes sont déférées devant les conseils de
guerre ; 251 sont condamnées. On est loin de
l’image de la pétroleuse hystérique et dénuée de
tout sens politique et moral véhiculée par les
versaillais. Pour Benoît Malon, en effet, la Com-
mune a mis en lumière l’entrée des femmes dans
la vie politique : « Elles ont senti que le concours
de la femme est indispensable au triomphe de la
révolution sociale arrivée à sa période de combat »,
car « la femme et le prolétaire (…) ne peuvent espérer
leur affranchissement qu’en s’unissant fortement
contre toutes les formes du passé » (la Troisième
Défaite du prolétariat).
Apports nouveaux des travaux historiques,
chantiers jamais refermés et vivantes contro-
verses, comment se traduit la contribution de
plus de trente chercheurs ?
MICHEL CORDILLOT Nous voulions que le lecteur
puisse trouver dans ce volume un aperçu aussi
large et complet que possible de l’état actuel des
connaissances. Preuve de l’intérêt qu’elle suscite,
des nouveaux travaux sont publiés pratiquement
chaque semaine, les questions en suspens restant
par ailleurs nombreuses. Nous avons donc opté
Emmanuelle Marchadour
pour accompagner les notices biographiques de
notices thématiques claires et assez concises.
Certaines résument les avancées de la recherche
sur tel aspect de l’événement, d’autres examinent
les questions faisant l’objet de controverses et de
débats, quelques-unes enfin sont consacrées aux
lieux symboliques de la Commune.
Que retenir du caractère novateur, politique et
social de la Commune de Paris ?
PIERRE-HENRI ZAIDMAN Obligée de remplir en même
temps les fonctions de gouvernement et de mu-
nicipalité, l’assemblée de la Commune, composée
d’hommes aux positions politiques différentes,
soumise aux pressions des clubs, des assemblées
d’arrondissement, des cercles de gardes nationaux,
assaillie militairement par la réaction versaillaise,
LA REVUE DE PRESSE
France Culture Guerre civile en France, que Marx
Chloé Leprince faisait paraître dès 1871.
Selon Karl Marx, la Commune de
Paris était « ce sphinx qui met L’Histoire
l’entendement bourgeois à si rude Numéro spécial
épreuve ». Pour celui qui Pour les uns, la Commune incarne
échangea même quelques lettres le rêve de la République sociale et
avec des figures centrales de universelle, pour d’autres, elle reste
l’échiquier communaliste, l’épisode une prise de pouvoir vouée à
insurrectionnel avait marqué l’échec. Laïcité, école gratuite et
l’avènement d’un « gouvernement obligatoire pour tous, égalité des
de la classe ouvrière ». On salaire : les mesures prises par les
retrouve cette vision prolétarienne communards ne sont pas minces
de la Commune de Paris dans la même si le temps a manqué.
« L’accession durable au
pouvoir de représentants
des classes populaires
n’est plus du domaine
de l’impensable. »
MICHEL CORDILLOT
« La Commune a mis
en lumière l’entrée
des femmes dans
la vie politique. »
FLORENCE BRAKA
« C’est l’esquisse d’une
politique véritablement
socialiste qu’il reviendra
aux générations futures
de mettre en œuvre. »
PIERRE-HENRI ZAIDMAN
« Les relations entre les
révolutions du XIXe et
du XXe siècles, en France
et ailleurs, restent
à interroger à nouveau. »
QUENTIN DELUERMOZ
a eu très peu de temps pour mener une « politique »
économique et sociale cohérente qui satisfasse la
majorité de ceux qui l’ont désignée. Mais on doit
admettre qu’elle a esquissé ce que serait une
politique véritablement socialiste qu’il reviendra
aux générations futures de mettre en œuvre. Au
travers d’une soixantaine de décrets, on se rend
compte que l’assemblée communale voulait ré-
pondre aux aspirations immédiates de la popu-
lation, tout en refondant un nouvel ordre social
dans le domaine économique, judiciaire et scolaire.
Vingt d’entre eux concernèrent l’économie (rè-
glement du problème des loyers, remise des dettes
et suspension des poursuites, dégagement gratuit
du Mont-de-Piété, autorisation de la sortie des
marchandises de transit, sauf les denrées alimen-
taires et les munitions, achat en gros de denrées
pour les vendre à la consommation à prix coûtant,
interdiction du travail de nuit des ouvriers bou-
langers, interdiction des amendes et retenues sur
salaire…). À ce travail législatif, il faut ajouter
l’action des ouvriers et des chambres syndicales,
en voie de création ou de réorganisation après le
siège de Paris. En tout, on recense l’action de
43 associations de production, 34 chambres syn-
dicales, 7 sociétés d’alimentation et 4 groupes de
la Marmite, coopérative alimentaire rattachée à
l’Internationale. Concernant la justice, les décrets
instaurèrent le « jugement par les pairs », l’élection
des magistrats, la liberté de la défense, la gratuité,
la suppression de la vénalité des offices… Dans le
domaine de l’enseignement, appliquant le principe
de la séparation de l’Église et de l’État, la Commune
voulait qu’il soit laïc, gratuit et obligatoire, et que
soit développé l’enseignement technique (décret
du 2 avril, interdiction de l’enseignement
confessionnel).
Quels sont les chantiers historiographiques qui
restent à explorer ?
QUENTIN DELUERMOZ Le fait peut étonner : en dépit
de l’abondance des travaux qui lui ont été consa-
crés, les possibilités ne manquent pas. La Commune
a laissé de nombreuses archives, plusieurs ayant
été conservées par l’armée versaillaise après la
Semaine sanglante dans le cadre des procédures
judiciaires (40 000 personnes passent en jugement).
La situation à l’échelle des quartiers, ainsi, reste
à mieux connaître – un niveau d’observation
essentiel pour cette révolution qui privilégie
l’intervention citoyenne et la souveraineté po-
pulaire. L’attention vaut aussi pour les arrondis-
sements plus aisés et conservateurs qui développent
d’intéressantes stratégies d’accommodement.
Bien des acteurs et actrices, par ailleurs, sont
encore dans l’ombre. C’est le cas des femmes,
non les plus célèbres, mais les autres, les canti-
nières, les vivandières, les citoyennes engagées
restées anonymes. Les bataillons de gardes na-
tionaux, l’attitude des métiers qualifiés, le rôle
des indifférents gagneraient aussi à être mieux
connus. Hors de Paris, les travaux sur les Com-
munes dites de province sont désormais nombreux,
mais l’effort peut être poursuivi pour les « petites
Communes » ou les effervescences de quelques
heures. Au-delà, il faut encore explorer la circu-
lation entre les années 1850-1880 des idées so-
cialistes et républicaines (associationnisme,
mutuellisme, fédéralisme, communisme), à une
échelle au moins atlantique. Enfin – mais la liste
est loin d’être close –, n’oublions pas que la Com-
mune pose le problème du temps à l’historien.
Elle invite, comme d’autres révolutions, à prendre
en compte la discontinuité en histoire. Les relations
entre moments révolutionnaires du XIXe et du
XXe siècles, en France et ailleurs, restent à inter-
roger à nouveau. Cette histoire globale de la ré-
férence à la Commune permettrait de comprendre
sa capacité à traverser les temps, non sans tensions,
jusqu’à son surgissement, retraduit, dans plusieurs
combats sociaux et politiques contemporains.
En tant que coordinateur de cet ouvrage, que
souhaitez-vous, Michel Cordillot, souligner pour
conclure cet entretien ?
MICHEL CORDILLOT Sans doute que la Commune
constitua un moment charnière à la fois dans le
mouvement de républicanisation de la France
sur la longue durée et dans la prise de conscience
que l’accession durable au pouvoir de représen-
tants des classes populaires n’était plus du domaine
de l’impensable. Ce bref moment marqua une
vraie rupture avec l’ancien monde, durant laquelle
l’avènement d’un monde nouveau répondant
enfin à des espérances populaires plusieurs fois
déçues redevint brièvement d’actualité. La Com-
mune continue et continuera sans doute longtemps
d’interpeller historiens et citoyens, car, à bien
des égards, elle sut faire preuve d’une nouveauté
et d’une modernité étonnantes.
ENTRETIEN CROISÉ RÉALISÉ PAR
NICOLAS DEVERS-DREYFUS
(1) La Commune de Paris 1871. Les acteurs,
l’événement, les lieux, collectif coordonné par
Michel Cordillot, l’Atelier, collection « Maitron », 2021.
(2) Commune(s), 1870-1871, une traversée des
mondes au XIXe siècle, Seuil, 2020.
 Vendredi 19, samedi 20 et dimanche 21 mars 2021 l’Humanité 13

C’est vous qui le dites

LE BLOC-NOTES DE
Les lecteurs en direct

Bruno Arbesu
JEAN-EMMANUEL DUCOIN
PRENEZ LA PAROLE, RÉAGISSEZ À L’ACTUALITÉ !
OM
MU N
E Révolution(s)
C

Par courriel à filrouge@humanite.fr Par courrier à l’Humanité,

LA

SOCIALE « Ce n’est pas une miette de pain, c’est 5 rue Pleyel, immeuble Calliope, 93528 Saint-Denis Cedex
•

la moisson du monde entier qu’il faut à la race humaine,

S

15 N
0 A
sans exploiteurs et sans exploités. » Les mots de Louise
Michel disent, à eux seuls, l’ambition folle et concrète de la Com- pitaliers vers le privé, le maintien et du logement, pourquoi pas,
mune de Paris, dont nous célébrons, cette semaine, le 150e anni- Hôpital public du numerus clausus, la casse mais faut-il pour autant mettre
versaire. Soyons formels : nous ne « commémorons » pas le début Ginette Petiot du système hospitalier sont la en cause le principe des éco-
de l’insurrection du 18 mars 1871 comme s’il s’agissait d’un cadavre Par Internet cause du développement de ces quartiers, ou l’architecture
mille fois enterré par les puissants ; non, nous fêtons son avènement La dégradation de l’hôpital public transferts. Les malades passent contemporaine ? La ville ne peut
avec joie et fierté, nous glorifions sa trace dans l’histoire, ses ré- par son étranglement financier, alors du statut de « patient » à être une pièce en costumes
alisations politiques, démocratiques et sociales, ses idées révolu- par les effets destructeurs de la celui de « client », et les transports d’époque, jouée par des figurants
tionnaires et républicaines, ses avancées pionnières qui enfantèrent loi Bachelot de 2009 a détourné ajoutés aux dépassements d’ho- masqués. Il est surprenant de
tant et tant d’héritiers. Curieuse Commune, n’est-ce pas, qui ne les usagers et une partie crois- noraires représentent un coût voir que jamais le mot d’espace
dura que soixante-douze jours et se termina par un échec sanglant, sante des médecins hospitaliers pour la collectivité. public n’est écrit, cette condition
et qui, pourtant, continue de nous inspirer (le peuple de gauche) vers le privé, plus lucratif pour première d’une vie partagée, ni
et de susciter la peur (tous les autres). Car le combat continue. La certains d’entre eux. Cette volonté même le mot d’équipement pu-
République, oui, mais la République sociale. Celle qui effraie gouvernementale de briser les Habitat populaire blic, dont la pandémie actuelle
toujours, quand les communardes et communards inventaient conquêtes du CNR et d’Ambroise Paul Chemetov nous rappelle la finalité, qui ne
en si peu de temps, tout en marchant vers le danger fatal, une Croizat, de rentabiliser les hôpi- Paris peut être marchande. Il est tout
société de justice où chaque humain valait l’autre, un creuset et taux, d’activer les passerelles vers Dans l’Humanité du 4 mars, une de même peu laïque de conclure
une matrice où se mêlaient la poudre, les envolées du verbe et les le privé, de détruire la Sécurité pleine page illustrée par une cette page en affirmant la né-
rêves d’un siècle de révolutions avortées. Bref, une démocratie sociale et l’hôpital public ne fait photo d’un bâtiment de la Butte- cessité de bâtir « les cathédrales
du peuple par le peule dont les enseignements ne s’épuisent pas qu’accroître les inégalités dans Rouge à Châtenay-Malabry est du XXIe siècle » ou de modeler
au XXIe siècle. D’où cette « place à part dans la mémoire », comme un système de santé à deux vi- surmontée d’un titre accrocheur, les métiers du bâtiment « sur
l’écrit l’historien Roger Martelli dans le hors-série de l’Humanité. tesses. Les cliniques privées ont « Plaidoyer pour le beau dans l’exigence des chantiers des mo-
vite compris la manne sans fin l’architecture écologique ». Mais numents historiques », tout en
PEUPLE Le bloc-noteur n’étonnera personne en puisant dans qui s’ouvrait à elles. Hospitalisée à lire attentivement ce texte, on dénonçant « l’omnipotence des
Karl Marx quelques références incontournables pour comprendre, en urgence à l’hôpital public pour ne sait s’il faut choisir entre l’at- maires bâtisseurs ». L’Humanité
à sa juste mesure, l’importance de ce moment, comme écho à une pancréatite aiguë où j’ai été tention qui devrait être portée à a publié cet article dans les pages
notre ici-et-maintenant. Le philosophe écrit : « Merveille de si bien traitée par le personnel l’habitat populaire, comme celui « Débats et controverses ». Elle
l’initiative révolutionnaire des masses montant à l’assaut du ciel. soignant, l’établissement de santé de la cité de la Butte-Rouge, aurait dû donner la parole à ceux
Il serait évidemment fort commode de faire l’Histoire si l’on ne publique a dû me transférer vers aujourd’hui promise à la des- qui entendent redonner sa di-
devait engager la lutte qu’avec des chances infailliblement favo- une clinique privée pour le pré- truction, et le retour au passé, gnité à l’habitat populaire, ce
rables. (…) Grâce au combat livré par Paris, la lutte de la classe lèvement d’un calcul par un chirur- qui fut la doctrine officielle qui fut démontré il y a près d’un
ouvrière contre la classe capitaliste gien qui pratique ce « seul geste de l’État français sous Vichy. siècle à la Butte-Rouge.
La Commune et son État capitaliste est entrée dans
une nouvelle phase. Mais, quelle qu’en
depuis 44 ans ». J’ai donc passé
48 heures dans cet « hôpital
Les auteurs dénoncent une ar-
chitecture qui « délaisserait le
de Paris, notre soit l’issue, nous avons obtenu un privé » où, le jour de mon entrée, goût populaire », « ne s’insérerait Exceptionnel
nouveau point de départ d’une im- demandant un antalgique pour plus guère dans les formes et les Michel Debruyne
héritage. portance historique universelle. » une violente migraine, l’infirmière teintes du bâti ancien », et sou- Par Internet
Forme politique enfin trouvée qui m’a répondu : « Ce n’est pas pres- haitent réinventer « une troisième J’ai reçu ce jour le hors-série
permet l’émancipation économique du prolétariat, la Commune, crit. Ici, on ne tient pas compte voie qui sache puiser ses res- « Un espoir mis en chantier » sur
selon Marx, bien qu’il la sache alors condamnée, s’inscrit en- des prescriptions de l’hôpital, sources dans l’histoire et le la Commune de Paris que j’avais
tièrement dans la question de l’État. Voilà pour lui le premier seulement des médecins d’ici. » patrimoine français ». L’architec- commandé à la boutique de
cas historique où le prolétariat assume sa fonction transitoire Il était 15 heures et j’ai eu droit à ture urbaine devrait « renouer l’Humanité.fr. Vous pouvez être
de direction, ou d’administration, de la société tout entière. deux Dafalgan apportés à 21 h 30, avec le régionalisme ». Et pour fiers du travail réalisé et remer-
Autrement dit, l’apparition véritable de l’être-ouvrier, du peuple bien après le passage du chirur- conclure, « dans la tradition clas- cier tous ceux qui ont travaillé à
total. En revanche, des possibilités comme des échecs de cette gien, donc inefficaces pour une sique, nous pourrions imaginer cette parution. C’est un numéro
tentative, il en tire la conclusion – déjà formulée auparavant – douleur qui avait eu le temps de des places et des avenues or- exceptionnel qui vient compléter
qu’il convient non pas de « prendre » ou d’« occuper » la machine s’installer. La prise en charge pré donnancées harmonieusement ». de nombreux documents et pu-
d’État, mais de la briser. Hélas, comme nous le savons, Marx et postopératoire a été irrespec- Le retour à la terre était aussi blications. Je suis en train de
n’a jamais écrit son grand livre sur « la Révolution et l’État » tueuse, brutale et infantilisante. la doctrine qui inspira la politique lire le livre de Roger Martelli.
(espace occupé par Lénine), qui a tant manqué aux marxiens Aucun respect de la confidentia- vichyste de reconstruction. Ce hors-série, par la qualité des
du XXe siècle. Il se contenta, si l’on peut dire, de prophétiser : lité, aucune prise en charge de La vulgarisation de ces thèmes articles des chercheurs et histo-
« La Commune, début de la révolution sociale du XIXe siècle, fera la douleur. Je ne suis hélas pas fut assurée par la publication en riens et celui de Gérard Mordillat
le tour du monde (…) comme le mot magique de la délivrance. (…) un cas isolé. De retour à l’hôpital, 1941 de l’Architecture rurale et (qui m’a fait sourire), approfon-
Les principes de la Commune sont éternels et ne peuvent être l’infirmière qui m’a accueillie m’a bourgeoise en France, une sorte dit la réflexion, le regard sur un
détruits ; ils seront toujours mis à nouveau à l’ordre du jour, aussi avoué en avoir assez de voir les de manuel Roret du bien faire événement qui nous parle encore
longtemps que la classe ouvrière n’aura pas conquis sa libération. » patient(e)s revenir contrariés et traditionnel et artisanal. Que aujourd’hui. J’ai besoin d’une
en larmes de cette clinique. Faute l’architecture du logement rede- aide ou d’une précision concer-
HONNEUR Un autre spectre hante l’Europe : le spectre de la d’urologue (sauf un urologue vienne une préoccupation pre- nant la carte communaliste où
Commune. Sorte de résumé à elle seule d’un pan entier du contractuel) à l’hôpital public, une mière des collectivités et qu’elle figure la commune de Cuers,
communisme dont rêvait l’auteur du Manifeste. Car les com- amie a été elle aussi transférée ne soit pas sous-traitée dans ses dans le Var (mon département).
munards, nota Marx, ont transformé l’« impossible » en possible. dans cette même clinique où elle formes et ses agencements sur J’ai travaillé avec l’archiviste de
Et il clama : « Que serait-ce, Messieurs, sinon du communisme, a subi de graves préjudices mé- le seul critère du profit le plus Cuers il y a quelques années,
du très “possible” communisme ? » L’écrivain Laurent Binet, dicaux. S’il existe une convention élevé, cela est évitable et néces- notamment sur Benjamin Flotte,
dans notre hors-série, résume l’affaire d’une formule magistrale entre public et privé, l’hôpital ne saire. Qu’un même ministère soit ami de Blanqui, mais je ne trouve
et définitive : « L’honneur de la Commune réside aussi dans son doit-il pas avoir un droit de regard en charge de l’architecture, du pas trace de manifestation
actualité brûlante : tout autant que l’Empire, elle est “l’antithèse sur le suivi de ses patients trans- patrimoine, de l’aménagement, en soutien à la Commune.
directe” de la France macronienne. » férés ? La fuite des médecins hos- de l’environnement, de l’énergie Qui peut m’aider ?
14 l’Humanité Vendredi 19, samedi 20 et dimanche 21 mars 2021
L’entretien
FRÉDÉRIC LORDON
« Le communisme se doit
de faire valoir ses contenus
propres, positifs »
Dans son dernier ouvrage, Figures du communisme, le philosophe et économiste
montre en quoi la sortie du capitalisme, de son mode de développement et
de ses modes de production est devenue un enjeu vital. Le directeur au CNRS avance
les contours d’une « société humaine » s’inscrivant dans un « communisme luxueux ».
Dans Figures du communisme (1),
vous montrez l’urgence de refer-
mer « la longue parenthèse de la
préhistoire du capitalisme ». Pour-
quoi « sortir » de ce système et
de son mode de développement
est-il « à ce point » vital ?
FRÉDÉRIC LORDON Pour une raison des plus simples
et, me semble-t-il, des plus impérieuses : le
capitalisme détruit l’humanité. Il la détruit du
dehors, en lui rendant la planète inhabitable.
Il la détruit du dedans, en démolissant la vie
concrète des individus, poussés par l’exploi-
tation, à bout de souffrance, de dépression,
d’épuisement – parfois jusqu’à se tuer eux-
mêmes –, en libérant chez les dominants des
tendances sadiques inhumaines, en détruisant
les liens sociaux par la marchandisation de
tout, en faisant régner partout dans la société
la misère intellectuelle, culturelle et morale de
l’entreprise, spécialement dans les start-up,
dont la langue dégénérée dit à elle seule de
quelle forme de vie effondrée elles sont le
« joyau ». Nous savions tout ça depuis un mo-
ment, et voilà maintenant qu’il y a les épidémies,
dont le Covid-19 n’est que la première. Bien
sûr, le discours hégémonique s’empresse de
nous le faire voir comme un
événement malheureux et sur-
tout totalement exogène. Mal-
« L’évitement du
heureusement, il y a des raisons désastre général
de plus en plus sérieuses de
penser que le déchaînement ne peut plus prendre
viral a tout à voir avec la dé-
vastation environnementale
la forme que
dont le capitalisme est le véri- du renversement
table agent. Le Covid-19,
comme bon nombre des salo- du capitalisme. »
peries qui suivront, est le pro-
duit même du capitalisme. La crise du Covid
est une crise du capitalisme. Survenant sur un
commencement de prise de conscience, à la
fois tardive et alarmée, à propos de la destruc-
tion, en voie d’être irréversible, des conditions
de l’habitabilité terrestre, le phénomène pan-
démique, pourvu qu’on le rapporte à ses vraies
causes, devrait aider à « concentrer les esprits ».
Et à faire cheminer l’idée que, désormais, le
capitalisme est un péril pour l’humanité.
La démonstration est implacable : « Les certitudes
du désastre » sont devant nous. Mais cette in-
validation ne se traduit pas nécessairement par
une construction alternative. Pour vous, le nœud
actuel de cette sortie du capitalisme réside dans
le communisme. De quelle façon l’est-il ?
FRÉDÉRIC LORDON Je crois qu’on en est revenu des
téléologies marxistes qui promettaient le com-
munisme comme issue « nécessaire » (au sens
du déterminisme) d’un capitalisme lui-même
voué à sa « crise finale ». Il n’y a pas de sens
préétabli de l’histoire, celle-ci n’est rien d’autre
que l’issue contingente des luttes politiques.
Autant dire qu’il n’y aura rien comme un com-
munisme si des masses ne se battent pas pour le
communisme. C’est d’autant plus vrai qu’une
chose est tout à fait certaine : les capitalistes iront
jusqu’au bout du bout de l’exploitation et de la
dévastation, de l’épuisement des hommes et de
la Terre, tant qu’il y aura encore un euro ou un
dollar à faire. C’est un point assez central dans
ma démonstration. Les capitalistes ont gagné,
en quarante ans de néolibéralisme, un tel pouvoir,
une telle capacité d’imposition unilatérale qu’ils
ne lâcheront rien. L’époque des projets de « mo- ait connu une singulière revitalisation depuis
dération » dans le capitalisme – soit ce qu’on a plus d’une dizaine d’années, c’est une évidence
longtemps appelé la « social-démocratie » – est – je pense en particulier à tout le travail d’Alain
révolue. Toute tentative d’inflé- Badiou, au fameux colloque qui s’était tenu au
chir le cours du capitalisme virera
immanquablement à l’affronte-
Birkbeck College à Londres en 2009, etc. Ici, mon
propos est différent : à cette idée, il s’agit de donner
ment à outrance. Le paysage des des contenus. Pour le dire très simplement : le
alternatives s’en trouve simplifié communisme, une fois qu’on en a énoncé les
et radicalisé : l’évitement du dé- principes fondamentaux, à quoi ça ressemble ? Et
sastre général ne peut plus
prendre la forme que du renver-
même : quelle gueule ça a ? Les trois idées direc-
trices en sont : premièrement, soumettre la pro-
sement du capitalisme. Pour duction à une contrainte écologique « dure »,
autant, se contenter d’appeler instituée comme absolument première ; deuxiè-
génériquement « communisme » mement, libérer les producteurs de la subordination
tout ordre social post-capitaliste salariale ; troisièmement, relever les individus de
serait un peu court. Le communisme ne relève la précarité en détachant leur reproduction ma-
pas que d’une définition négative. Il a à faire valoir térielle du « marché » et de l’« emploi » capitalistes.
ses contenus propres, positifs. En disant cela, cependant, on n’a que des contours,
et pas encore des contenus. Les contenus, je les
Le communisme doit représenter un « ailleurs réélabore pour l’essentiel à partir de la proposition
désirable » : ce que vous appelez des « figures de Bernard Friot, que je trouve remarquable, en
du communisme ». À grands traits, quelles sont premier lieu pour cette simple raison… qu’elle est
ces figures ? là ! Je veux dire que je ne vois pas d’autre propo-
FRÉDÉRIC LORDON Le choix du mot « figures » a été sition disponible qui satisfasse quelques critères
très important. Que « l’idée » du communisme que je crois impératifs.

Stephane Burlot /Hans Lucas
Quels sont ces impératifs ?
FRÉDÉRIC LORDON Il s’agit d’abord de constituer
une proposition globale, c’est-à-dire d’emblée
élevée au niveau macroscopique, mais sans mé-
connaître l’importance des autonomies locales,
sans non plus tout leur accorder, donc en essayant
de tenir ensemble, et de manière articulée, toutes
les échelles. Ensuite, on ne peut pas faire l’impasse
sur la dimension institutionnelle. Et enfin, on ne
doit pas dénier une conflictualité sociale qui ne
se réduit pas à celle du capital et du travail, et
avec laquelle, donc, une formation sociale com-
muniste aurait à se débrouiller (comme toute
formation sociale, en fait). C’est ce cadre général
qui fait de la proposition de Friot une visée globale,
extraordinairement ambitieuse, radicalement
anticapitaliste, et en même temps viable de ne
pas reposer sur des implicites anthropologiques
fantasmagoriques. Toutes ces choses étant posées,
les contenus viennent et prennent sens : l’abolition
de la propriété lucrative des moyens de produc-
tion ; la souveraineté des collectifs de producteurs ;
la suppression complète de la sphère de la finance,
donc des rapports d’endettement (plus encore
ceux de la propriété actionnariale, bien sûr) ; le
Vendredi 19, samedi 20 et dimanche 21 mars 2021 l’Humanité 15
LA CRITIQUE SOCIALE RADICALE
Le philosophe et économiste, chercheur
au Centre de sociologie européenne,
est directeur de recherche au CNRS.
Rejoignant un point de vue critique
social, il se tourne vers la recherche et les
Économistes atterrés. En 2016, il est très
actif au sein de Nuit debout.
Collaborateur régulier du Monde
diplomatique, il tient le blog « La pompe
à phynance ». Très marqué par Spinoza,
le penseur avance une critique radicale
du capitalisme qui l’amène à
reconsidérer le communisme.
remplacement de la logique du financement par
une logique du subventionnement des projets
privés par un système fédéral (donc, multiscalaire)
de caisses d’investissement en charge d’un pilotage
politique de la division du travail ; enfin, le système
de la « garantie économique générale ».
Le système de « garantie économique générale »
vise à « reconstruire un nouveau mode de produc-
tion ». En quoi cela consiste-t-il ?
FRÉDÉRIC LORDON Ce que j’appelle « garantie éco-
nomique générale » n’est rien d’autre que le « sa-
laire à vie » de Friot. Si j’ai choisi une autre
appellation, c’est, d’une part, pour sortir des
polémiques sans fin dans lesquelles la catégorie
de « salaire à vie » est embourbée ; d’autre part,
pour souligner, par le mot « garantie », que la
formation sociale communiste a pour objectif
premier de sécuriser absolument la vie matérielle
des individus en soustrayant leurs moyens d’exis-
tence à la tyrannie du marché et de l’emploi. Sous
la garantie économique générale, les individus
n’ont plus à aller se rouler par terre aux pieds d’un
patron ou à implorer les faveurs du marché pour
simplement vivre ! La difficulté consiste alors à
tenir ensemble l’inconditionnalité de principe de
la garantie et la nécessité collective de pourvoir
tous les segments requis de la di-
vision du travail. Ici, il y a indis-
cutablement des choses qui sont
« La formation
encore à penser, pour Friot comme sociale communiste
pour moi. Au moins sommes-nous
convaincus, l’un comme l’autre, a pour objectif
qu’il y a des fonctions matérielles
et des productions à assurer dans
premier de
toute formation collective. Et sauf sécuriser la vie
à croire aux harmonies spontanées,
ça s’organise. L’une des choses matérielle
sur lesquelles j’insiste tout parti-
culièrement dans ce livre, c’est la des individus. »
question du niveau des forces
productives. Pour toutes les vertus des expé-
riences de ZAD, le communisme auquel je pense
n’est pas un « zadisme généralisé ». Il est certain
que l’état de la planète nous impose de consentir
à de sérieuses diminutions de nos standards de
vie matérielle, mais encore faut-il que ces
renoncements puissent soutenir une proposition
politique majoritaire. Ils doivent donc aller
aussi loin que possible, mais pas au-delà de ce
point où toute une partie de la population « dé-
crocherait » parce qu’on lui demanderait une
virtuosité « renonçante » dont elle ne se sent
pas capable. Or, ce point correspond à des
habitudes matérielles qui continuent de convo-
quer une division du travail profonde, donc un
niveau de développement des forces produc-
tives, certes, très strictement sous contrôle
mais significatif.
L’entretien
Face au capitalisme et son imaginaire de l’argent,
vous dites qu’il faut mener « un combat d’images ».
Vous avancez une « société humaine », celle d’un
communisme « luxueux »…
FRÉDÉRIC LORDON L’exercice des « figures » était
d’autant plus nécessaire que le simple mot « com-
munisme » suscite par réflexe une avalanche
d’images historiques toutes plus repoussantes
les unes que les autres, à base d’appartements
collectifs, de Gosplan fou et de goulag. Qui pourrait
avoir la moindre envie de communisme devant
pareil spectacle ? Mais ces images appartiennent
à tout ce qu’on veut sauf au communisme. Les
expériences historiques d’où elles sont tirées ne
peuvent à aucun titre être dites « communistes ».
À ces images désastreuses, réelles au regard de
l’histoire, mais mensongères quant au commu-
nisme, il faut opposer d’autres images, si elles
sont encore d’anticipation – puisque en définitive
le communisme n’a jamais, n’a pas encore, eu
lieu. Ces images sont celles de la garantie éco-
nomique générale qui, du moment où elle libère
les individus de la servitude de la vie à gagner,
et surtout des contraintes dans lesquelles elle
se gagne, les place dans les conditions de s’adon-
ner librement à leur activité d’élection. Libre-
ment, c’est-à-dire en donnant le meilleur
d’eux-mêmes. Même quand ils sont pris dans
le salariat, les gens ne rejettent pas forcément
leur activité en tant que telle. Ils souffrent des
conditions dégradées dans lesquelles la férule
capitaliste les leur fait faire. C’est simple : quand
les gens récupèrent la possibilité de faire les
choses bien, ils les font… bien. Donc belles. Le
communisme luxueux, c’est de vivre entouré
de moins d’objets, mais engendrés de libres
désirs, donc beaux et bien faits.
Comment faire vivre ces figures du communisme ?
Face à un système hégémonique de domination,
il y a les « luttes ensemble ». Est-ce suffisant ?
FRÉDÉRIC LORDON Ça ne peut l’être qu’à la condition
de donner sa vraie qualification à la « lutte en-
semble » : révolutionnaire. C’est d’ailleurs la suite
logique de mon hypothèse quant à la fermeture
historique de la « possibilité social-démocrate ».
Le capital a conquis une emprise
si totale sur les sociétés que rien,
sinon une force proprement
renversante – révolutionnaire
–, ne pourra plus le conduire à
lâcher quoi que ce soit. Il faut
s’en convaincre : on n’obtiendra
plus rien de lui. C’est bien la
raison pour laquelle toutes les
forces politiques ou syndicales
qui se sont historiquement ins-
crites dans l’horizon de la
« transaction social-démocrate »
sont vouées à la crise terminale.
En n’obtenant plus rien, logiquement elles ne
servent plus à rien. Pendant ce temps, le capita-
lisme poursuit, déchaîné, sa course folle vers le
désastre. Mon livre n’a pas d’autre intention que
de rendre ces choses aussi claires que possible, et
qu’on en tire les conséquences.
Quels sont alors la stratégie politique et le sujet
révolutionnaire ?
FRÉDÉRIC LORDON Je ne crois pas que la réponse
préexiste à la question. Elle se dégage dans le
mouvement même, tel qu’il fait l’histoire révo-
lutionnaire.
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR
PIERRE CHAILLAN
(1) Figures du communisme, de Frédéric Lordon,
La Fabrique, 280 pages, 13 euros.
 16 l’Humanité Vendredi 19, samedi 20 et dimanche 21 mars 2021
Tribune libre
PROCHE-ORIENT
Les forces progressistes
et pacifistes sont
encouragées
Olivier Gebuhrer et Pascal Lederer
Coanimateurs d’Une autre voix juive
La décision de la Cour pénale internationale (CPI) de
déclarer légitime l’enquête sur d’éventuels crimes de
guerre commis par les forces armées israéliennes revêt
une portée considérable pour toutes les forces attachées à un
règlement pacifique, juste et négocié au Proche-Orient.
C’est évidemment une victoire du droit international,
acquise dans un contexte hostile d’extrême difficulté, ce
qui illustre le courage politique de cette institution. Mais,
au-delà, les réactions de fureur des dirigeants actuels
d’Israël, empêtrés par ailleurs dans la boue des scandales,
la corruption, et avant tout dans la fuite en avant racialiste
et belliciste, démontrent s’il en était besoin qu’ils craignent
une pareille enquête et mettront tout en œuvre pour l’éviter.
Hurler à l’antisémitisme ne grandit pas Netanyahou et ne
devrait pas faire illusion.
Mais, même s’il déploie des trésors manœuvriers, le masque
tombe grâce à cette décision : les actes insoutenables pour-
Le premier devoir
suivis sans relâche par un
gouvernement israélien
corrompu et d’inspiration
de la France est fascisante vis-à-vis du
de reconnaître peuple palestinien vont
subir un coup de frein : ils
l’État de Palestine sont maintenant sous le
feu des projecteurs. La
dans les frontières politique du gouverne-
ment israélien, en dépit
de 1967. de ses tentatives visant à
éviter la réprobation in-
ternationale, appuyée le plus souvent sur les complicités de
régimes arabes faisant fi de leur opinion publique, est direc-
tement menacée. Les forces progressistes et pacifistes, en
Israël et dans les territoires occupés, à Gaza, sont évidemment
encouragées par une telle décision et l’importance du mot
d’ordre « Un combat commun, un destin commun » promu
par la Liste unifiée s’en trouve renforcée.
Le changement intervenu aux États-Unis, où une vague
populaire et progressiste a chassé l’appui principal de
Benyamin Netanyahou, sera encouragé par cette décision
pour soutenir des évolutions positives de la politique
nord-américaine au Proche-Orient. Si, selon Joe Biden, « la
question est de rendre à nouveau l’Amérique respectable »,
de telles évolutions peuvent devenir incontournables, et la
décision de la CPI y sera pour beaucoup. Mais Une autre
voix juive ne s’y trompe pas : la route n’est pas droite et
reste pavée de nombreux obstacles.
Tout n’est évidemment pas réglé. Les progrès indispensables
nécessiteront de nouvelles et puissantes mobilisations de
l’opinion progressiste, notamment en France, et dans l’Union
européenne dont les silences complices ne peuvent plus
durer. Les palinodies et faux-fuyants de la géométrie variable
en matière de droits des peuples ne sont plus tolérables. Ils
abaissent notre pays. Ils constituent une violation permanente
des valeurs dont l’Union européenne prétend se faire le
héraut. Le premier devoir de la France est maintenant de
reconnaître l’État de Palestine dans les frontières de 1967,
avec Jérusalem-Est comme capitale. Devant la décision
majeure de la CPI, l’UE doit suspendre immédiatement
l’accord d’association qui fait d’Israël un quasi-État membre,
alors qu’il est sous le coup d’accusations gravissimes. Une
autre voix juive ne cessera d’apporter son concours aux
initiatives qui seront prises en ce sens.
À PROPOS D’UN CONCEPT
Des perspectives « écomunistes »
qui s’insinuent peu à peu
quelque sorte la conclusion de tout ce travail
André Prone
Poète et essayiste
théorique et idéologique. Aujourd’hui, avec
l’universitaire Janine Guespin-Michel, nous
publions Pratiques écomunistes et dynamiques
émancipatrices (Éditions du Croquant) où nous
Voilà près de quinze ans que je m’at- souhaitons mettre en avant les « perspectives
tache, avec d’autres, à comprendre communistes qui s’insinuent peu à peu » au
l’histoire des rapports sociaux et des travers des entreprises autogérées, des maisons
relations humaines et à penser de manière du peuple et des actions environnementales.
critique le capitalisme dans toutes ses dimen- Avant que ne viennent épauler ce concept cer-
sions, mais aussi à chercher à ouvrir une tains philosophes, dont le regretté André Tosel,
perspective à la fois radicale et lucide pour Yvon Quiniou ou le tout aussi regretté et éminent
en sortir. Cela s’effectue non seulement dans économiste Samir Amin, je me suis senti parfois
l’idée d’un retour à Marx, mais avec la volonté bien seul. Militant de longue date et toujours
d’en prolonger la pensée en tenant compte dans l’action, j’ai continué mon petit bonhomme
de ce qui a changé depuis l’émergence du de chemin sans prêter trop attention aux cri-
marché-monde, issu de l’hyperconcentration tiques, parfois sévères, que n’ont pas manqué
des capitaux et de la révolution numérique, de faire certains politologues dans des revues
auquel s’ajoutent la profonde crise environ- universitaires, parfois financées par l’Europe.
nementale, sans oublier la sordide montée Si « l’adversaire » n’est pas content, cela veut
du néofascisme mondial piloté par l’impé- sans doute dire que je pourrais l’être…
rialisme américain et l’échec du « socialisme Depuis sa publication, le concept d’« écomu-
réel » vers la fin des années 1980. nisme » appartient donc à tous et n’est la « chasse
Chemin faisant, et bien que tout ce travail gardée » de personne. Je suis toutefois amené à
débouche sur le concept d’« écomunisme », faire quelques précisions sur ses fondements.
j’ai pu m’appuyer sur la notion d’idéologie Si l’« écomunisme » a quelque chose à voir
du désir de Michel Clouscard et son fameux avec les questions environnementales, pour
Capitalisme de la séduction, et encore sur la autant il serait dommageable de le réduire à
pensée de Spinoza, et plus tardivement sur cette seule problématique. En citant la phrase
celle de Gramsci dans les Ca- d’André Tosel : « L’écomunisme
hiers de prison.
Ces analyses, qui ont fait l’objet
Un retour à Marx, n’est qu’une étape – urgente et
non garantie – d’un processus
pour ma part de six livres, ont avec la volonté d’en qui se veut nouveau commen-
été rassemblées dans un ou- cement. Il se donne pour tâche
vrage publié en 2016 chez Alter prolonger la pensée la construction d’une émanci-
Éditions sous le titre Capita- pation plurielle et universelle »,
lisme et révolution. Et enfin, en tenant compte apparaît alors sa pleine dimen-
dans le prolongement de l’en- de ce qui a changé sion philosophique et politique.
semble de ces recherches, la C’est-à-dire celle qui propose
publication chez l’Harmattan depuis l’émergence une base théorique et pratique
en 2018 du livre les Chemins de à la possible transition du ca-
l’écomunisme, qui est en du marché-monde. pitalisme au communisme.

LUTTE CONTRE LE SEXISME ET LE PATRIARCAT
Tous et toutes ensemble, pour que nos luttes
se mènent sans lynchage
Texte collectif
La lutte contre les abus
sexuels et une culture qui
les a trop longtemps né-
gligés ou favorisés a connu ré-
cemment une attention collective
dont les forces progressistes ne
peuvent que se réjouir. Parties
prenantes de cette lutte, nous
tenons pour notre devoir de
mettre en garde contre des formes
de militantisme ou d’action inap-
propriées, et quelquefois même
dangereuses pour les valeurs que
nous portons.
Élues et élus, intellectuels et in-
tellectuelles, militants et mili-
tantes, nous ne laisserons pas le
champ de l’émancipation, quel
que soit le domaine d’interven-
tion, à des experts autoproclamés
ou à des formes de militantisme
spécialisé. C’est un seul idéal,
prônant l’humain d’abord, qui
nous conduit à combattre ra-
cisme, sexisme, violences et dis-
criminations, et qui nous fait faire
le choix définitif de la Cité contre
la horde.
Or nous vivons désormais dans
un contexte de révolution numé-
rique qui modifie les conduites,
les comportements et le réglage
de la parole comme des relations
humaines. L’appel aux réseaux
sociaux pour « balancer », s’il a
pu permettre de sortir du silence,
se trouve mêlé à une tentation
plus générale qui précipite les
combats, et particulièrement ceux
que porte la jeunesse, dans d’im-
prudentes et dangereuses bana-
lisations de la délation.
Faisons litière de l’argumentaire
consistant à qualifier d’odieux
complices des violeurs, ou au
moins du patriarcat, quiconque
apporte de la nuance : c’était ainsi
que nous avons été taxés, jadis,
d’être les alliés des criminels
quand nous réclamions l’aboli-
tion de la peine de mort. Il est
cons ternant que ce soit au-
jourd’hui du camp progressiste
que puisse survenir un même
raisonnement.
Il n’est pas sain de conseiller à
des victimes de confondre le dé-
Signataires : Olivier Barbarant, Yannick Alphonse, Hervé Bégué, Aline Berardi, Hélène Blanes, Evelyne Boscheron,
Christophe Charrier, Anne Cretin, Claire Devreux, Françoise Dufour, Josiane Dupé, Matthieu Eches, Brahim El Asri,
Marie-Thérèse Eychart, Jean-Michel Galano, Benoît Garcia, Yvon Huet, Pierrick Lavoine, Nicolas Ledentu, Yvette Lucas,
Katherine Melin, Margot Mendy, Dominique Noguères, Jean-Baptiste Para, Simone Pirez, Raphaëlle Primet,
Fabienne Pourre, Chantal Rey, Olivier Roulland, Alain Rouy, Dominique Tourte, Michel Tudo-Deler, Catherine Vandel,
Dominique Vidal, Catherine Vieu-Charier, Jean Vuillermoz, Evelyne Zarka.
pôt d’une plainte et la publication
d’un message. Il n’y a pas et il ne
doit pas y avoir de tribunal po-
pulaire numérique, et puisque la
justice doit évoluer pour mieux
accueillir les plaignantes et plai-
gnants, alors concentrons col-
lectivement nos efforts pour
obtenir que le canal légal soit plus
hospitalier, moins formel, plus
rapide aussi dans son traitement
d’affaires douloureuses, où l’in-
tégrité psychique et physique des
personnes est en jeu. Il n’est pas
possible non plus qu’une simple
publication puisse déclencher
une mise au ban de la société pour
les personnes incriminées.
À ces rappels d’évidences, sont
régulièrement opposés des argu-
ments irrecevables. Le premier
avance que les « fausses dénon-
ciations » sont rares, à l’aide d’une
statistique les évaluant à « 2 à
8 % », ce qui justifierait que l’on
traite préventivement les dénon-
cés comme des coupables. Nous
Aucun groupe
militant, syndical
ou parti politique
ne peut se substituer
à l’enquête, n’a
le droit de juger
et de faire justice
par soi-même,
de trier entre les
parties qui opposent
des déclarations.  Nous appelons à ce que, ensemble,
nous interrogeons sur la repré-
sentation du monde rendant pos-
sible une telle proposition : à partir
de quelle fréquence l’injustice
serait-elle insupportable ? Dis-
qualifié dans son principe, l’ar-
gument est aussi frauduleux : ces
statistiques renvoient aux affaires
traitées judiciairement, et les per-
Vendredi 19, samedi 20 et dimanche 21 mars 2021 l’Humanité
sonnes qui ont fait tout le chemin
des procédures, le douloureux
retour sur leur vécu, ne sont pas
les mêmes que celles qui s’en
tiennent à des messages sur les
réseaux sociaux.
Aucun groupe militant, syndical
ou parti politique ne peut se subs-
tituer à l’enquête, n’a le droit de
juger et de faire justice par soi-
même, de trier entre les parties
qui opposent des déclarations.
Les militants n’ont pas à prendre
la place des enquêteurs, des juges,
des psychologues. Ils peuvent
encore moins appeler au retour
de procédures d’exception, de-
vançant par la condamnation à
la mort sociale les avancées d’une
procédure. Il suffit désormais que
l’un ou l’une d’entre nous publie
un message accusant n’importe
quel élu d’abus sexuel pour s’en
débarrasser durablement, et pour
déclencher une campagne mé-
diatique contre son parti déclaré
« complice ».
Nous persistons donc à dire que
favoriser les témoignages par la
diffusion numérique :
- expose à des dangers celles et
ceux qui se déclarent victimes,
qui doivent pouvoir donner d’em-
blée une forme judiciaire à leur
témoignage ;
- favorise les possibles règlements
de comptes, personnels ou
politiciens ;
- donne lieu de la part d’un public
visiblement avide de révélations
sensationnelles à des jugements
hâtifs sans autre forme d’infor-
mation et à de véritables chasses
aux sorcières ;
- ne peut pas conduire des insti-
tutions responsables à traiter ces
déclarations sur le même modèle
qu’une mise en accusation
judiciaire.
toutes les forces de progrès atta-
chées à l’émancipation et à la lutte
contre le sexisme et le patriarcat
et ce qu’ils engendrent de vio-
lences et de tragédies inventent
les bonnes formes de recueil de
la parole et de garantie véritable
de la présomption d’innocence,
dans les prétoires, dans les syn-
dicats et les partis, comme dans
la Cité.
17
Tribune libre
Julien Jaulin/Hans Lucas
LA CHRONIQUE PHILO
DE CYNTHIA FLEURY
Le devenir tortionnaire
F
in février, la justice allemande a condamné
un ancien membre des services de ren-
seignements du régime de Bachar Al Assad,
pour « complicité de crimes contre l’humanité »
dans le cadre du procès lié aux tortures (2011 à
2020) perpétrées sur plus de 14 000 hommes,
femmes et enfants (sources : Réseau syrien pour
les droits de l’homme) dans les locaux des ser-
vices de renseignements syriens.
Depuis le XXe siècle, la psychologie des criminels
contre l’humanité est étudiée et livre des clés de
compréhension déstabilisantes. Françoise Sironi,
dans Comment devient-on tortionnaire ? (la Dé-
couverte, 2017), reprend plus de vingt années
de travaux à ce sujet en vue de déconstruire la
fabrique du bourreau. Son cas princeps est l’ex-
pertise psychologique de
L’inénarrable Duch, directeur du camp de
torture et de mort S-21 au
recours à Cambodge, à l’époque des
Khmers rouges (1975-1979),
l’obéissance j u g é re s p o n s a b l e d e
et aux modèles 17 000 morts. Sironi dé-
veloppe, à côté de l’in-
éducatifs c on s cien t f re ud ien ,
l’inconscient géopolitique
autoritaires. qui rend compte de l’impact
du collectif, des facteurs
postcoloniaux et subalternes sur les subjectivités.
Mais on comprend aussi comment le Kampuchéa
démocratique et son puritanisme extrême ont
créé une « théopathie sacrificielle ». Le mot
« Angkar » (organisation), soit le nom du Parti
communiste du Kampuchéa, fait écho à celui
d’« Angkor » (royaume historique) et restaure
ce passé glorieux. Il est une hybridation entre
un communisme marxiste-léniniste et maoïste,
opérant par l’usage de la terreur, en poussant
les humains à se déshumaniser pour revitaliser
l’Angkar, en faisant référence à la réduction en
cendres des hommes en vue d’une instauration
nouvelle, en installant une discipline monastique,
d’essence bouddhiste-chrétienne, vouant les
sujets au silence, au repli – le but étant de faire
disparaître tout sentiment de singularité, de
subjectivité. Une sorte de « façonnage par le
stoïcisme et le cynisme », l’apprentissage d’une
« désempathie », l’usage de la « fonction du
clivage », de « l’acculturation et de la décultu-
ration traumatiques », bien sûr l’inénarrable
recours à l’obéissance et aux modèles éducatifs
autoritaires. Le sujet s’adapte à l’horreur, l’in-
tériorise comme s’il était en position sacrificielle,
l’évitement du sentiment de culpabilité se met
en place. Tout en renonçant à son identité, Duch
va alors trouver dans la reconnaissance de l’Ang-
kar une sorte d’« exosquelette ».
Des traits schizoïdes préexistaient dès l’enfance
chez ce futur tortionnaire, mais il a fallu différents
événements pour qu’advienne cet « homme
nouveau », le tout sur fond de terreur omnipré-
sente, de totalitarisme, d’obligation de renon-
cement à la pensée, et aux attachements électifs.
« Il s’agissait de faire d’un humain un être servile,
transparent, infantilisé, un clone interchangeable,
au service de l’Angkar. » Dans le M13 et le S21,
Duch s’entourera d’enfants et d’adolescents
précisément parce qu’ils sont « dociles » et qu’on
peut les façonner comme la glaise.
 18 l’Humanité Vendredi 19, samedi 20 et dimanche 21 mars 2021
Histoire
PRISE DU POUVOIR
De Jaurès
à Lénine, que faire
de la Commune ?
La génération des militants politiques et du mouvement
ouvrier, celle de la IIe et jusqu’à la création de
la IIIe Internationale, qui a suivi celle des communards,
tire des enseignements différents de l’expérience
écrasée dans le sang.
MU N Une des grandes questions
OM E
qui se pose aux courants
C
LA
socialistes à la fin du
XIXe siècle pourrait se ré-
•
sumer ainsi : que faire de la
S
15 N
0 A
Commune, écrasée en mai
1871 ? Sa mémoire est investie par de nom-
breux socialistes et anarchistes qui voient
en elle une expérience politique unique.
Elle s’achève, certes, sur un terrible échec,
mais les communards exécutés sont célébrés
comme des martyrs tombés au combat.
En France, bien sûr, où les survivants de
la Commune (Louise Michel, Benoît Malon,
Édouard Vaillant…) ou leurs soutiens en
région (tel Jules Guesde qui était à Mont-
pellier au moment des événements) vont
jouer un rôle important dans la construction
des divers courants socialistes. Mais aussi
parmi de nombreux groupes militants dans
toute l’Europe. Ainsi, le 18 mars est l’oc-
casion de rappels, chaque année, des actions
glorieuses des communards.
En Allemagne, où la social-démocratie
allemande devient, à partir des années
1880, le parti ouvrier le plus implanté du
continent, la date est commémorée chaque
année avec faste. Le 18 mars évoque le
Paris de 1871, mais aussi – heureux hasard
du calendrier – les barricades de Berlin
en 1848. Les deux expériences se sont,
certes, achevées par la victoire des forces
contre-révolutionnaires, mais elles des-
sinent un chemin pour l’avenir, les bases
d’une société nouvelle. À une époque où
les classes dominantes françaises comme
allemandes cultivent un chauvinisme sans
complexe, la célébration de ce 18 mars
franco-allemand résonne comme une des
premières tentatives historiques de faire
vivre concrètement l’internationalisme.
En 1898, pour les cinquante ans de 1848,
le gigantesque défilé qu’organise la so-
cial-démocratie dans les rues de Berlin
honore aussi l’expérience française.
REPÈRES
1864-1876 Première 1889 Décision de fonder 1891 Au congrès de Bruxelles, 1904 Au congrès d’Amsterdam,
Internationale ou Association une Seconde Internationale la Seconde Internationale le courant de Jules Guesde
internationale des travailleurs ou Internationale ouvrière pose la lutte des classes l’emporte sur celui
(AIT). au congrès de Paris. comme principe fondamental. de Jean Jaurès.
On aurait pourtant tort de comprendre
ces manifestations comme un appel pur
et simple à refaire une révolution du même
type. Entre-temps, le mouvement ouvrier
s’est doté de partis et d’organisations
syndicales et coopératives. Le suffrage
universel masculin est pratiqué dans plu-
sieurs pays européens. Ne peut-on pas
conquérir le pouvoir autrement ? Jean
Jaurès, par exemple, célèbre sans ambi-
guïté les mérites de la Commune et ses
mesures sociales et politiques. Il doute
néanmoins qu’il soit nécessaire de repro-
duire une telle insurrection. Et certains
anciens communards eux-mêmes, à
l’image de Benoît Malon, sont même à
l’origine du réformisme politique. Ils ne
retiennent de la Commune que quelques
mesures concrètes, souvent en la vidant
de sa substance subversive. Mais, au-delà
des divergences entre courants socialistes, Image du film la Commune (Paris, 1871), de Peter Watkins, 2000. DocAnciens/docpix.fr
tous s’accordent plus ou moins à considérer
qu’une forme d’organisation supérieure
à la Commune est nécessaire. sous la forme qu’on lui a connue sans d’autant plus commémorée qu’elle ap-
l’expérience communarde. En effet, si, paraîtra à des générations de militants
dès les années 1880, d’aucuns retiennent com me annonciatrice des temps
Un événnement, annonciateur de la Commune qu’il faut désormais nouveaux.
des temps nouveaux éviter toute rupture violente, d’autres Reste à savoir aujourd’hui ce qui de-
Ce fait n’est pas à prendre à la légère. au contraire insistent sur la nécessaire meure inspirant. Ou à l’inverse ce qui
Le succès de la forme parti à la fin du conquête de l’appareil d’État pour le peut sembler désormais en décalage avec
XIXe siècle, s’il doit être compris dans un retourner contre les ennemis de la ré- nos réalités contemporaines. En ce sens,
contexte plus large, doit ainsi beaucoup volution. L’exemple de la Commune les débats stratégiques amorcés par Jaurès
aux leçons tirées de la Commune. Hon- façonne ainsi l’identité de l’aile gauche et Lénine sur la Commune se poursuivent
neur à elle, certes, d’avoir montré la voie. du socialisme international. Lénine (à propos de l’État, du changement social
Mais il est urgent d’aller plus loin et au- admire intensément l’audace des com- et politique…). Ils demeurent sources
trement, au risque de nouvelles défaites. munards. Il souhaite néanmoins dé- d’interrogations pour le présent.
Rien ne dit que certains courants socia- sorma i s que la « d ictat u re du JEAN-NUMA DUCANGE
listes – que l’on pense au courant struc- prolétariat » à venir se donne les moyens HISTORIEN
turé par Guesde en France ou aux de sa politique, au risque de nouvelles
bolcheviques en Russie – auraient théorisé semaines sanglantes au cours desquelles Retrouvez une version longue de cette
et/ou pratiqué des formes d’organisation le prolétariat serait de nouveau vaincu. évocation historique sur le site de la
aussi structurées et hiérarchisées sans le Lorsque le pouvoir soviétique aura tenu Fondation Gabriel-Péri (gabrielperi.fr)
traumatisme de 1871. un jour de plus que la Commune, Lénine et en anglais sur le site de l’hebdomadaire
D’une certaine manière, le bolche- estimera avoir franchi un pas historique progressiste états-unien Jacobin
visme n’aurait probablement pas existé décisif ! Depuis lors, la Commune sera (jacobinmag.com).

PAS DE DÉCROCHAGE MASSIF À LA FAC
La Conférence des présidents d’université (CPU)
a affirmé jeudi ne « pas constater de décrochage massif »
des étudiants à l’issue du premier semestre, malgré
les cours à distance majoritairement mis en place
en raison de l’épidémie de Covid-19.
ENQUÊTE
Les opinions racistes
reculent en France
Les Maisons des potes publient une étude révélant un très fort soutien
de la population à sept mesures pour éliminer les discriminations.
L
a lutte antiraciste doit s’appuyer sur des
«
propositions concrètes. » C’est avec cette
conviction que la Fédération nationale des
Maisons des potes a commandé à Harris
Interactive son baromètre annuel sur la
perception par les Français de sept mesures radicalement
antiracistes portées par l’association. Il est publié cette
année à l’occasion de la Journée mondiale pour l’élimi-
nation des discriminations raciales, célébrée le 21 mars.
« Dans la population, les mesures que nous proposons
sont davantage soutenues cette année que les précé-
dentes », constate Samuel Thomas, le délégué général
de la Maison des potes : 89 % des Français estiment ainsi
qu’à travail égal, la rémunération et la retraite devraient
être les mêmes pour toutes les personnes travaillant en
France, quelle que soit leur nationalité. Ils étaient 86 %
en 2019 et 82 % en 2015.
Rompre avec le sentiment que Zemmour
et le RN dominent dans l’opinion publique
« C’est la preuve qu’en réalité, une toute petite minorité,
11 % de la population, soutient la thèse de la préférence
nationale », insiste Samuel Thomas, faisant référence
au sondage Ifop commandé, le week-end dernier, par
l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) et SOS
Racisme sur l’état des lieux du racisme dans la société.
Un sondage jugé « déprimant » par le militant. « Face à
ce fléau, on ne peut pas se contenter de lamentations »,
estime-t-il.
88 % des personnes interrogées dans l’enquête de la
Maison des potes estiment, en outre, qu’il faut davantage
Éducation 900 postes de professeurs
des écoles en moins aux concours 2021
La priorité à l’école primaire, revendiquée par Jean-Mi-
chel Blanquer, prend un sens particulier avec la publi-
cation des futurs recrutements aux concours 2021 : pas
moins de 900 postes sont supprimés. C’était annoncé.
Sur les 31 académies, seules huit voient leur offre de
recrutement augmenter, un peu. Mais ce qui n’était pas
annoncé, c’est que les académies qui vont supporter
l’essentiel de ces coupes franches sont celles de Créteil
et Versailles. Dans la première, 1 420 postes sont ouverts
au concours, au lieu de 1 520 en 2020 (– 100) ; dans la
deuxième, 1 408 au lieu de 1 690, soit… 282 postes en
moins. Soit, à elles seules, plus de 42 % des suppressions,
alors qu’elles sont à la fois celles où l’on compte le plus
d’établissements en éducation prioritaire et celles dont
les élèves ont le plus pâti, à tous points de vue, de la
crise sanitaire. Quand l’école de la confiance devient
celle du mépris. O. C.
Vendredi 19, samedi 20 et dimanche 21 mars 2021 l’Humanité 19
200 %
C’est le taux d’occupation dans la prison
de Lorient-Ploemeur, où le tribunal administratif
a ordonné, jeudi, à l’État, de faire des travaux
pour améliorer les conditions de détention.
Le 21 mars, Journée mondiale pour l'élimination
des disciminations raciales. Arthur Hervé/REA
Violences Mort d’un jeune blessé dans
l’accident à l’origine des émeutes à Blois
Un des deux jeunes blessés grièvement mardi soir dans
l’accident de voiture à l’origine de plusieurs heures
d’émeutes dans les quartiers nord de Blois, dans le Loir-
et-Cher, est décédé jeudi après-midi. Un important
dispositif policier a été déployé sur place, de crainte que
l’annonce du décès du jeune homme de 15 ans n’entraîne
une nouvelle flambée de contestation. Le 16 mars, en fin
d’après-midi, une voiture avait grillé plusieurs feux et
percuté deux véhicules, après avoir été prise en chasse
par la police à la suite d’un refus de contrôle. Son conduc-
teur s’était enfui, mais les deux passagers, âgés de 15 et
18 ans, et connus des services de police, en état d’urgence
absolue, avaient été évacués vers l’hôpital. À la suite de
cet accident, un rassemblement organisé en hommage
aux deux blessés avait dégénéré en une nuit de violences.
Les symboles de la police ont été pris pour cible, beaucoup
de jeunes la jugeant responsable du drame. C. B.
Société&Solidarités
sanctionner les employeurs coupables de discrimination
à l’embauche. 81 % pensent même que les recours col-
lectifs en justice doivent être autorisés pour les victimes
d’une même discrimination raciste. Pour Samuel Thomas,
les résultats de cette enquête doivent encourager les
formations politiques de gauche et les syndicats à muscler
leurs propositions pour lutter contre le racisme. « Les
organisations progressistes devraient s’en saisir et
rompre avec l’idée que Zemmour et le Rassemblent na-
tional sont dominants dans l’opinion publique. »
L'idée d'une régularisation des étrangers
sans papiers est de plus en plus partagée
Pour le délégué général des Maisons des potes, ce soutien
de la population doit aussi permettre d’amplifier la lutte
contre les discriminations au travail. « Le patronat a
jusqu’ici réussi à empêcher que les candidatures à l’em-
bauche soient rendues anonymes, alors que 77 % des
Français sont pour, tout comme ils sont 56 % à approuver
le droit de vote des étrangers, résidant en Europe depuis
plus de cinq ans, aux élections municipales et euro-
péennes », insiste encore le militant, pour qui ces orga-
nisations doivent hausser le ton lors des prochaines
échéances électorales. Pour lui, « lors de la campagne
présidentielle de 2017, les propositions antiracistes des
partis de gauche n’étaient pas à la hauteur ».
Idem concernant les luttes syndicales. « Sur la question
de la titularisation des étrangers travaillant dans la
fonction publique et les entreprises publiques, des syn-
dicats nous répondent que la population française n’est
pas prête à l’accepter, explique-t-il. Il s’agit pourtant
de lutter contre une discrimination d’État qui entraîne
des inégalités mesurables. » Sur cette question, l’enquête
publiée par les Maisons des potes indique que 60 % des
Français y sont pourtant favorables. Un taux d’appro-
bation d’ailleurs identique à celui concernant la régu-
larisation de tous les étrangers sans titre de séjour qui
disposent d’un contrat de travail. « Dans le bâtiment,
le nettoyage ou la restauration, ce sont des travailleurs
qui subissent une hyper-exploitation, dénonce le res-
ponsable associatif. Ils sont en première ligne de la
souffrance au travail. »
Et d’ajouter : « Notre baromètre devrait permettre aux
forces syndicales de se saisir de ces questions. Et lorsque
les organisations politiques de gauche se demandent
comment réagir à l’émergence du mouvement Black Lives
Matter, par exemple, ou de la lutte contre les violences
racistes au sein de la police, elles peuvent trouver des
réponses fortes dans nos propositions, et majoritairement
soutenues par la population. »
ÉMILIEN URBACH
Islamophobie Vers un non-lieu sur
l’attaque de la mosquée de Bayonne
Le parquet de Bayonne a annoncé, jeudi 18 mars, qu’il
allait prononcer un non-lieu dans l’enquête sur l’attaque
de la mosquée de la ville, en octobre 2019, en raison du
décès en prison de l’assaillant, Claude Sinké. Ce dernier,
ex-candidat du Front national, avait ouvert le feu, blessant
grièvement deux fidèles avant de tenter d’incendier l’édi-
fice. Aux enquêteurs, il avait déclaré avoir voulu « venger
l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris », qu’il
attribuait « aux musulmans ». Les victimes et leurs familles,
comme l’ensemble de la communauté musulmane de
Bayonne, avaient dès le départ réclamé que l’attaque soit
qualifiée d’« acte terroriste », au lieu de simple « tentative
d’assassinat ». Leurs avocats avaient plaidé pour que le
Parquet national antiterroriste (Pnat) se saisisse du dossier.
Ils voient dans ce refus, et dans le cantonnement des
investigations au seul assaillant, un « refus d’enquêter sur
les milieux extrémistes ». C. B.
 20 l’Humanité Vendredi 19, samedi 20 et dimanche 21 mars 2021
Capital/travail
#Occupons, occupons…
Huit témoignages pour raconter les occupations de théâtres de l’intérieur. Un tour de France de ce mouvement
qui déborde le seul cadre de l’emploi culturel, et s’étend aux précaires, aux étudiants…
L
e mouvement d’occupation des théâtres,
qui a débuté le 4 mars à l’Odéon, ne cesse
de s’étendre. Plus de soixante lieux,
soixante-quatre à l’heure où nous écrivons
ces lignes, sont désormais occupés par des
intermittents du spectacle et de l’emploi.
Leurs revendications s’enrichissent de jour
en jour, non pas dans une surenchère vaine mais dans
une volonté de ne laisser personne sur le bord de la route.
À Lille, Villeurbanne, Nantes, Toulouse, Marseille, Angers,
Bordeaux, Paris… les assemblées générales ne désem-
plissent pas, les tableaux de bord fleurissent de propositions
et d’initiatives.
Tous ont conscience d’une situation inédite. La présence
du virus, un reconfinement annoncé dans certaines ré-
gions, la gestion pour le moins approximative de la crise
sanitaire, le silence de la ministre de la Culture n’entament
en rien leur détermination. En ligne de mire, la réouverture
des théâtres, des cinémas, des musées. Mais pas seulement.
Planifier le retour à l’emploi, anticiper les « embouteil-
lages » prévisibles dans les théâtres et les cinémas, prolonger
l’année blanche, flécher, partager les aides équitablement.
Combien de spectacles qui, à peine créés, n’ont jamais pu
être joués ? Combien de films entassés dans les tiroirs ? Et
si le ministère organisait, comme le suggèrent les Inter-
Luttants du Nord, un « festival des reportés » ? Permettre
que tous ces spectacles annulés, décalés on ne sait plus à
quelle date puissent enfin se jouer, être vus, cet été, partout
en France. Voilà un an que le monde de la culture est à
l’arrêt. Que les imaginaires sont calfeutrés. Le 20 mars,
partout en France, les occupants appellent à des rassem-
blements devant les théâtres. Malgré le virus, il souffle un
petit air de printemps…
MARIE-JOSÉ SIRACH
« Retrouver l’accès à la culture
pour tous »
Jean Bellorini
Directeur du Théâtre national
populaire (TNP) de Villeurbane
Louise Allavoine/Hanslucas
« Le TNP est occupé depuis vendredi.
Sylvain Lefeuvre
Pour l’instant, l’occupation se fait de
façon sereine, dans le respect de l’outil
de travail et des activités. Les répéti-
tions, représentations professionnelles,
résidences et ateliers se poursuivent. C’est un peu schizo-
phrénique de vouloir accompagner un mouvement qui est
d’ailleurs amené à s’installer, mais de faire attention à
garder la possibilité de rouvrir. À titre personnel, je soutiens
l’évidence qu’il faut retrouver l’accès à la culture pour tous,
recréer du lien social et de la vie culturelle. Il faut que les
cœurs battent de nouveau à l’unisson. Ce n’est pas non
plus le bon moment pour remettre en cause notre système
d’assurance-chômage. Mais cette question de société
dépasse le monde de la culture. Au niveau de l’avenir, on
TUI FRANCE, LA JUSTICE CONFIRME LE PSE
Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a,
comme en référé en janvier, débouté sur le fond le
CSE du voyagiste TUI France et annoncé, ce jeudi,
qu’il validait le plan de sauvegarde de l’emploi, qui
prévoit de supprimer environ 600 postes sur 904.
MOBILISATION
est vraiment dans le noir. Il y aura des dégâts collatéraux
chez les artistes émergents, qui ont vu leurs projets s’ef-
fondrer. Dans les années à venir, il faudra accompagner
avec bienveillance toutes les entreprises étudiantes. »
« Je me bats pour tous
les intermittents de l’emploi »
Ahcène Azem
Maître d’hôtel, Paris
« Je suis dans le milieu de l’hôtelle-
rie-restauration depuis vingt ans. Je
travaille dans les grands palaces pa-
risiens et on m’appelle à l’occasion
d’événements culturels ou sportifs
comme le Festival de Cannes ou
Roland-Garros, de séminaires ou de mariages. Je me
considère chanceux car j’ai encore des droits cette année
même si je n’ai pas travaillé depuis un an.
Mais depuis le mois de mars, on n’a reçu absolument
aucune aide par rapport à nos amis du monde du spectacle,
qui ont bénéficié d’une année blanche. Personnellement,
je refuse la qualification d’“extra de l’événementiel”. Si
je me bats aux côtés de mes camarades de l’Odéon, c’est
pour tous les “intermittents de l’emploi”, pas seulement
dans l’événementiel, qui travaillent de manière discontinue
mais ne bénéficient pas du régime de l’intermittence.
Cette tranche de la société représente 10 % de la population
en France et se sent abandonnée. La réforme de l’assu-
rance-chômage sera aussi mortifère et assassine pour ceux
qui travaillent en contrat court. »
« Une coupure dramatique
avec le public »
Nathalie Huerta
Directrice du Théâtre municipal
Jean-Vilar à Vitry-sur-Seine
« Dans un contexte très incertain,
sans visibilité, nous accueillons des
artistes en résidence, nous maintenons
des actions en milieu scolaire et auprès
de publics précaires dans les centres
sociaux, avec les associations, tout cela en respectant
strictement les règles sanitaires. Nous avons mené des
animations dans l’espace public, et dès qu’une petite brèche
permet de faire travailler des artistes, on s’y engouffre,
mais bricoler sans perspective véritable dégrade nos condi-
tions de travail. C’est en fait vécu par les équipes comme
une injustice, un mépris de notre professionnalisme.
Comme si l’on n’était pas des gens sérieux. Lorsque nous
avons pu fonctionner quelques semaines, nous avons tous
mis en place des protocoles qui se sont révélés efficaces,
91 %
C’est la part des soignants
considérant qu’ils exercent
un métier à mission,
selon Harris Interactive.
et le public se sentait en sécurité. Aujourd’hui, je croise
beaucoup de personnes, notamment âgées, qui me disent
être dans un isolement total, sans théâtre, sans cinéma,
sans expositions. Cette coupure avec le public me semble
dramatique. Il faut que ce public prenne la parole… »
« L’espace crée la convergence »
Pierre Boudeulle
Comédien, metteur en scène,
Lille
« Ce qui se passe est puissant, en-
thousiasmant. On bouillonnait d’im-
mobilisme, d’isolement et en quelques
jours d’occupation… On vivait sous
une chape de plomb et là, on ouvre
un espace. Les mesures de la ministre ne suffisent pas.
20 millions, pour qui ? Pour quoi ? Les petites structures
sont menacées de disparaître. Comment va-t-on gérer
l’effet entonnoir lors de la reprise ? On devrait pouvoir
organiser le festival des reportés. On n’est pas en charge
de toutes les luttes, on assure la nôtre, mais toutes se
rejoignent. Les étudiants commencent à venir. Beaucoup
de porosité entre ce qu’ils vivent, entre ce que nous vivons.
La force du lieu, c’est un espace où les gens peuvent se
retrouver alors que tout est fermé, que l’université est
fermée. L’espace créé la convergence… »
« Guides conférenciers,
on ne veut pas rester isolés »
Iris Lucand
Guide conférencière,
Clermont-Ferrand
« Ici, nous sommes dans ce qui fut la
gare routière de la ville. C’est une sen-
sation étrange de me retrouver dans
ce hall de la Comédie, où j’ai assuré ma
dernière visite guidée, il y a tout juste
un an. Le nouveau théâtre venait d’être inauguré. Je terminais
mon congé maternité lorsque le confinement a été décidé.
Tout mon programme de visites a été annulé. Je me suis
retrouvée sans rien ou quasiment. Guide conférencière au
chômage, je n’ai pas droit au chômage partiel. Dans le Puy-
de-Dôme, privés de touristes, les musées et monuments
fermés, 25 % de mes collègues n’ont aucun revenu. En temps
normal, je suis salariée d’une association qui propose des
visites guidées à des offices de tourisme, des institutions.
J’ai également un statut d’autoentrepreneur au cas où, car
nous, guides, travaillons à la demande, parfois en indépen-
dants. Nous sommes un peu des intermittents. Nous parti-
cipons aux occupations partout où nous le pouvons pour ne
pas rester isolés. Nous ne sommes que 4 000 en France. »
...........
Vendredi 19, samedi 20 et dimanche 21 mars 2021 l’Humanité 21

Capital/travail

« Favoriser l’économie et interdire

........... la culture, ça a du sens »

Marianne Suner
Chanteuse lyrique, Marseille

« Je participe à l’occupation du Théâtre

du Merlan depuis vendredi dernier.
Je suis chanteuse lyrique, chef de
chœur et compositrice, habituelle-
ment je mets en place des créations
participatives avec des habitants des
quartiers populaires de Marseille, notamment avec le Vivier
Opéra Cité. Tout a été annulé depuis le premier confinement
; à part quelques activités avec les enfants, tout est interdit.
Il y a une perte de sens dans nos métiers. Je suis intermit-
tente, nous nous sommes mobilisés pour la réouverture

...........
des salles, mais nous avons très vite compris que la lutte
contre la précarité était fondamentale. Comme tous les
précaires, j’ai très peur des conséquences de la réforme de
l’assurance-chômage qui va arriver. On a vu dans les AG
que si des théâtres ont maintenu activités et salaires, ce
n’est pas du tout le cas des petites structures où il n’y a
plus rien. Favoriser la reprise économique et interdire la
culture, c’est quelque chose qui a un sens. Ce n’est pas
celui que nous voulons pour le monde d’après. »

« Fiers d’être chaque jour

plus nombreux »
Occupation du Théâtre de la Cité, à Toulouse, le 15 mars. Maxime Leonard/Hanslucas
Clara Hubert
Élève en scénographie au TNS,
Strasbourg l’art pour des gens qui ne nous entendent pas ? On veut pour des arts de la rue ! Je ne travaille plus depuis octobre,
que ça continue longtemps et que ça évolue. On est très je ne vis que de mes allocations, soit près de 1 300 euros par
fiers de voir qu’il y a de plus en plus de gens qui occupent mois. La reconduction de l’année blanche pour les inter-
« On est en train de créer du lien tous des lieux qui n’étaient pas les leurs. » mittents, c’est bien, mais nous voulons l’abrogation de la
les jours à 13 heures au cours d’un réforme de l’indemnisation du chômage. On a tous envie
forum avec des gens de Strasbourg qui d’une réouverture des lieux culturels mais dans quelles
nous soutiennent. C’est ce qui me fait « Un sentiment d’amputation conditions pourront-ils redémarrer ? Que vont devenir les
tenir, ça fait du bien de sortir de en l’absence de culture » petites structures ? L’absence de culture est dangereuse à
l’entre-soi. Récemment, des archéo- l’échelle de la société, ça fragilise l’humain, ça rapetisse
logues sont venus expliquer leurs Audrey Campourcy l’esprit. Le public privé de culture éprouve un sentiment
difficultés. Au début, nos revendica- Technicienne et régisseuse, d’amputation. Je n’imagine pas que l’été prochain on
tions étaient assez minces, mais à force Toulouse demande un passe sanitaire aux spectateurs du théâtre de
de rencontrer des gens, on se rend rue. Je ne suis pas là pour trier le public ! Je fais partie de
compte qu’il y a une colère qui commence à gronder, que ceux qui ont préparé l’occupation du Théâtre de la Cité, à
les gens souffrent, qu’on ne sait pas ce qui va se passer dans « Depuis un an j’ai très peu travaillé. Toulouse. Des étudiants des filières artistiques ont rejoint
un an. Le passeport vaccinal, la loi de “sécurité globale” Il y a eu une faible reprise de juin à le mouvement. Je suis contente de participer à cette action
nous donnent le sentiment d’être de plus en plus contrôlés. septembre. Pendant ces quatre mois, et j’attends que d’autres métiers nous débordent, enva-
Lily Blue

Tout l’enjeu va être de réussir à ne pas se laisser démoraliser j’ai totalisé 130 heures. Lors du festival hissent les usines, les entreprises. Débordez-nous ! »
et de réfléchir à autre chose qu’une simple habitation au de rue de Ramonville, en banlieue PROPOS RECUEILLIS PAR MARC BUSSONE, SYLVIE DUCATTEAU,
TNS. On nous a suggéré de faire un état plus général de la toulousaine, il a fallu distancier les spectateurs et les spec- LUCIE LÉQUIER, JEAN-JACQUES RÉGIBIER, GÉRALD ROSSI,
culture et de la jeunesse. Est-ce qu’on a envie de faire de tacles étaient accessibles sur réservation. C’est un non-sens MARIE-JOSÉ SIRACH ET BRUNO VINCENS

l’Humanité
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22 l’Humanité Vendredi 19, samedi 20 et dimanche 21 mars 2021

TÉLÉPHONE ROUGE MADRID LÉGALISE L’EUTHANASIE

« Nous voulons maintenir la fenêtre
de dialogue ouverte avec Moscou à propos
de défis majeurs, de désarmement,
de changement climatique. » Heiko Maas
Le monde en mouvement
Ministre allemand des Affaires étrangères
L’Espagne va devenir, en juin, le quatrième pays
européen à légaliser l’euthanasie. Le Parlement a voté,
jeudi, cette possibilité pour toute personne ayant
« une maladie grave et incurable » ou des douleurs
« la plaçant dans une situation d’incapacité ».

L
a chasse au Parti démocra-
tique des peuples (HDP) est
officiellement ouverte. Le
procureur Bekir Sahin a en-
voyé un acte d’accusation
long de 600 pages à la Cour
constitutionnelle demandant
l’ouverture d’un procès pour interdire ce
parti, troisième formation politique du
pays, qui a recueilli plus de 6 millions de
voix lors du dernier scrutin législatif. Il
réclame purement et simplement la fer-
meture du HDP, estimant que celui-ci
« agit comme une extension » du Parti des
travailleurs du Kurdistan (PKK).
« Les membres du HDP s’efforcent, par leurs
déclarations et leurs actes, de détruire l’union
indivisible entre l’État et la nation », affirme
Sahin, qui avait été nommé directement par
Recep Tayyip Erdogan, alors même qu’il
n’était que quatrième, sur cinq candidats, à
l’issue d’élections organisées à la Cour de
cassation. Un procureur de choc donc, pour
qui les députés du HDP « ont agi d’une manière
qui contredisait les règles du droit démocratique
et universel ». Il réclame par ailleurs une
interdiction d’exercer des fonctions politiques
contre 687 membres du HDP, une mesure
qui semble destinée à les empêcher de former
un nouveau parti en cas de disparition. Ce
serait la septième fois depuis 1991 qu’un parti
défendant les droits des Kurdes tomberait
sous le coup d’une interdiction. À chaque
fois, il a su renaître de ses cendres. Condamné à deux ans et demi de prison, le député HDP Faruk Gergerlioglu (au centre) a été déchu de son mandat, mercredi. A.Altan/AFP

« Nous ne courberons pas l’échine,

nous ne nous rendrons pas » TURQUIE

Le HDP dans le viseur de

La Cour constitutionnelle doit encore
accepter cet acte d’accusation pour que la
date d’un procès soit fixée mais le coup est
tiré, comme on dit. D’autant que cette
saisine intervient après plusieurs semaines

Recep Tayyip Erdogan

d’attaques verbales croissantes contre le
HDP de la part du président turc et de son
partenaire de coalition, le Parti d’action
nationaliste (MHP, extrême droite). Le pre-
mier dirigeant de cette formation, Devlet
Bahçeli, expliquait au début du mois que
la fermeture du HDP était devenue « urgente
et nécessaire ».
Mercredi, le Parlement turc a déchu de
son mandat un député du HDP, Faruk Ger-
gerlioglu, après la confirmation en dernière
instance d’une condamnation à deux ans
et demi de prison pour « propagande ter-
roriste ». Défenseur de longue date des
droits humains, Faruk Gergerlioglu est
connu pour avoir apporté son soutien à la
lutte contre les mauvais traitements, no-
tamment les tortures, infligés aux détenus.
Quatorze députés du HDP ont été déchus
de leurs fonctions depuis 2016 et plusieurs
sont toujours détenus. Parmi eux, Selahattin
Demirtas, ancien coprésident du HDP, dont
l’emprisonnement est dénoncé par la Cour
européenne des droits de l’homme (Cedh).
« Nous appelons toutes les forces démo-
cratiques, toutes les forces d’opposition
sociales et politiques et notre peuple à lutter
ensemble contre ce putsch politique », ont
réagi dans un communiqué les coprésidents
du HDP, Pervin Buldan et Mithat Sancar.
Erdogan est accusé d’« utiliser la justice
comme un bâton pour refaçonner le paysage
Le Parti démocratique des peuples, qui défend les droits des Kurdes et représente 6 millions
d’électeurs, est la cible d’une action en justice destinée à le faire interdire.
politique », à deux ans d’élections législa-
tives et présidentielle qui s’annoncent dif-
ficiles pour le pouvoir sur fond de difficultés
économiques. « Son agressivité est la preuve
de sa peur panique », poursuit le HDP. Mais
« quoi qu’ils fassent, nous ne courberons
jamais l’échine, nous ne nous rendrons pas.
(…) Nous allons poursuivre notre résistance
démocratique avec détermination ».
Ankara s’abrite derrière
« l’État de droit »
Le département d’État américain a dit
« surveiller le lancement d’efforts pour dis-
soudre le Parti démocratique des peuples,
une décision qui subvertirait de manière
indue la volonté des électeurs turcs, saperait
encore davantage la démocratie en Turquie,
et priverait des millions de citoyens turcs de
leurs représentants élus ». L’interdiction du
HDP « violerait les droits de millions d’élec-
teurs en Turquie », a affirmé le chef de la
diplomatie européenne, Josep Borrell.
Ce qui ne semble pas inquiéter Ankara
outre mesure, qui rejette toute critique et
s’abrite derrière « l’État de droit ». Recep
Tayyip Erdogan peut rappeler aux États-
Unis et à l’Union européenne que le PKK
– malgré son intervention décisive contre
Daech – est toujours sur sa liste d’orga-
nisations terroristes. Et vendredi, il rap-
pellera aux présidents de la Commission
européenne, Ursula von der Leyen, et du
Conseil européen, Charles Michel, qu’il y
a cinq ans, un accord était passé pour que
la Turquie – moyennant 3 milliards d’eu-
ros – maintienne sur son sol près de 4 mil-
lions de réfugiés. Un accord que la Turquie
veut maintenant actualiser…
PIERRE BARBANCEY
UN JOURNALISTE INQUIÉTÉ
Un chroniqueur du quotidien d’opposition
turc Cumhuriyet a été brièvement détenu,
mercredi, pour avoir partagé sur
les réseaux sociaux une caricature jugée
insultante envers l’islam. Enver Aysever
a été placé en garde à vue pour
« dénigrement de la religion d’une partie
de la population », puis remis en liberté
quelques heures plus tard, a indiqué
le quotidien. Selon d’autres journaux,
un procureur aurait réclamé jusqu’à un an
et demi d’emprisonnement. « Sous le
gouvernement AKP, l’humour est interdit »,
a dénoncé sur Twitter une responsable
du principal parti d’opposition,
CHP (social-démocrate).
 Vendredi 19, samedi 20 et dimanche 21 mars 2021 l’Humanité 23

Le monde en mouvement

LIBYE PAYS-BAS

À Tripoli, la difficile La gauche néerlandaise

reconstruction s’effondre
politique Les législatives achevées mercredi confortent le premier
ministre sortant, qui pourrait former une majorité de droite.
Dix années après l’intervention de l’Otan

R
et la chute de Kadhafi, le pays retrouve à peine ien n’atteint Mark Rutte, le premier dépassant l’extrême droite, le PVV (Parti
les premières conditions d’une stabilité. ministre néerlandais depuis 2010. pour la liberté) de Geert Wilders (17 sièges,
Son parti libéral de droite, le VVD - 3). Le Forum pour la démocratie, très

I
(Parti populaire pour la liberté et la démo- à droite et qui avait milité contre les me-
l est supposé mener le pays vers sions du collège électoral (Forum cratie), vient de remporter, mercredi, les sures de restrictions dues à la crise sa-
l’apaisement après une décennie du dialogue politique libyen). « Ces élections législatives anticipées. Elles avaient nitaire, passe, lui, de 2 à 8 sièges. Mark
de guerre interne dans un allégations de corruption affaiblissent été convoquées en janvier à la suite d’un Rutte pourrait former une alliance entre
contexte humanitaire chaotique. la légitimité même du gouverne- scandale. Entre 2011 et 2019, des milliers de le VVD, D66 et les chrétiens-démocrates
Le nouveau premier ministre Abdel ment. Cela risque de polluer le pro- familles avaient été ponctionnées financiè- du CDA (15 sièges) pour gouverner.
Hamid Dbeibah a reçu, mercredi cessus politique à venir », commente rement, accusées injustement de fraude aux La gauche s’effondre, ne représentant
10 mars, la bénédiction du Parle- Mohamed Eljarh, analyste à Libya allocations familiales, sur une base discri- plus que 16,7 % des voix. Elle comptait
ment réuni à Syrte. Situation iné- Outlook Research and Consulting, minatoire. Les couples binationaux avaient 37 sièges dans l’assemblée précédente ;
dite : le gouvernement d’union cité par l’AFP. « Deux membres du été particulièrement ciblés. elle fait beaucoup moins bien avec neuf
nationale (GUN) qu’il dirige com- Forum ont offert des pots-de-vin de Le VVD semble ne pas pâtir de la manière sièges pour le Parti socialiste (SP, antili-
prend quatre femmes. Deux d’entre 150 000 à 200 000 dollars à au moins dont le gouvernement a géré l’épidémie, béral), neuf pour le Parti travailliste (PvdA,
elles sont en charge des ministères trois participants en échange d’un malgré des émeutes fin janvier. Sur des centre gauche) et sept pour les écologistes
des Affaires étrangères et de la Jus- engagement à voter pour M. Dbeibah résultats provisoires, avec 22,1 % des de GroenLinks. Lilian Marijnissen, leader
tice. Le nouveau chef de l’exécutif comme premier ministre », révèle voix, il obtient 35 des 150 sièges du du Parti socialiste, a qualifié le score de
avait été élu le vendredi 5 février un rapport cité par la même Parlement, contre 33 en 2017. En deuxième « décevant » et constaté que « les électeurs
par un collège de 74 délégués source. Le nouveau premier position avec 14,8 %, les centristes libé- ont voté à droite », appelant à « analyser
libyens réunis à Genève ministre avance donc raux et fédéralistes européens de D66 cela attentivement » et à en « tirer les
sous les auspices des LA PRODUCTION avec cette casse- progressent eux aussi avec 24 sièges (+ 5) leçons pour l’avenir ».
Nations unies. Sa DE PÉTROLE role, mais pas seu- et deviennent le deuxième parti du pays, GAËL DE SANTIS
mission est provi- A ATTEINT EN lement. Il traîne
soire. Elle doit théo- DÉCEMBRE 2020 aussi la réputation
riquement prendre 1,2 MILLION DE BARILS d’appartenance à
PAR JOUR, DIX FOIS
fin le 24 décembre, un clan qui aurait
PLUS QU’AU COMMUNE DE PARIS 150 e ANNIVERSAIRE
échéance prévue prospéré à l’ombre
3 TRIMESTRE 2020.
UN ESPOIR
e
pour de nouvelles de Kadhafi. Il fut
élections présidentielle dirigeant d’une so- H O R S - S É R I E
MIS EN CHANTIER
et législatives. Au plan po- ciété d’État, la Compagnie Phare d’espoir pour les opprimés,
litique, la Libye devrait alors libyenne d’investissement et spectre effrayant pour les possédants,
sortir définitivement du tunnel de développement (Lidco), et aurait la Commune de Paris reste une référence
sous l’autorité d’un gouvernement fait fortune en pilotant la construc- de la lutte des classes. Cent cinquante
pleinement légitime. tion d’un millier de logements à ans après cette expérience politique
Syrte, chasse gardée de l’ex-Guide.
pionnière, une telle persistance interroge.
Refuge des djihadistes Proche des Turcs et des Russes,
Antiraciste et internationaliste, sociale,
L’intervention de l’Otan pour pré- Dbeibah est enfin très attendu sur
démocratique, féministe… La Commune
cipiter la chute du régime de Kadhafi l’épineux dossier des forces étran-
Un espoir
a laissé de nombreux héritages,
en 2011 aura transformé le pays en gères présentes sur le territoire. Le 18 mars 1871,

à commencer par cette radicalité

l’insurrection dans

champ de bataille livré aux rivalités

la capitale provoque

mis en
une onde de choc

concrète qui continue d’inspirer la visée

politique et sociale qui

Inquiétudes de l’ONU
va traverser l’histoire.

tribales et aux ingérences étran-

chantier
gères. Un pays divisé entre un gou- En saluant la validation de son 8,90€ communiste.
vernement d’union nationale gouvernement, le Conseil de sécu- Revivez ces 72 jours de révolution,
reconnu par la communauté inter- rité de l’ONU a réclamé, la semaine l’histoire de ces acteurs et la richesse
nationale, qui siège à Tripoli, et une dernière, « le retrait sans tarder de ÉGALEMENT CHEZ VOS MARCHANDS des débats qui lui succédèrent.
*valable uniquement en France métropolitaine.

001_HS.indd 1 23/02/2021 15:38:05

autorité rivale de l’Est libyen in- toutes les forces étrangères et des DE JOURNAUX ET SUR HUMANITE.FR
carnée par le maréchal Khalifa mercenaires de Libye », environ
Haftar, soutenu par les Émirats 20 000 hommes. Parmi ceux-ci, JE SOUHAITE RECEVOIR LE HORS-SÉRIE « UN ESPOIR MIS EN CHANTIER » À 8,90 EUROS
+ 2 EUROS DE FRAIS DE PORT*, SOIT : 10,90 € X ..... EXEMPLAIRE(S) = ..... EUROS
arabes unis, l’Égypte, la Russie et, les experts de l’ONU révèlent la
en sous-main, par la France. Un présence de Russes, de troupes PRÉNOM NOM
pays miné par les trafics de toute turques et de groupes armés com-
nature, territoire refuge des dji- posés de Syriens, Tchadiens ou ADRESSE
hadistes et terre d’esclavage des Soudanais. « Le Conseil de sécurité
HQ 23146/2021

réfugiés piégés sur les rives reconnaît la nécessité de planifier VILLE CODE POSTAL
méditerranéennes. le désarmement, la démobilisation
Abdel Hamid Dbeibah n’était pas et la réintégration des groupes ar- TÉLÉPHONE E-MAIL
le favori des pays occidentaux. Ces més, la réforme du secteur de la
derniers avaient plutôt misé sur un sécurité et de mettre en place une RENVOYER IMPÉRATIVEMENT CE BULLETIN ACCOMPAGNÉ DU RÈGLEMENT (CHÈQUE À L’ORDRE
exécutif composé par Fathi Basha- architecture de sécurité inclusive et DE L’HUMANITÉ) À : L’HUMANITÉ/SERVICE DIFFUSION MILITANTE, 3, RUE DU PONT-DE-L’ARCHE,
gha et Aguila Salah Issa, respecti- dirigée par des civils pour l’ensemble 37550 SAINT-AVERTIN. TÉLÉPHONE : 01 55 84 40 30.
vement ministre de l’Intérieur et de la Libye », précise la déclaration.
président du Parlement de Tobrouk. Tout compte fait, le chantier le plus
Son élection est entachée de soup- déterminant. RETROUVEZ TOUTES NOS PUBLICATIONS DANS NOTRE BOUTIQUE SUR HUMANITE.FR
çons d’achat de voix lors des ses- NADJIB TOUAIBIA
24 l’Humanité Vendredi 19, samedi 20 et dimanche 21 mars 2021

LE SUPER-G ANNULÉ, PINTURAULT LES JEUX OLYMPIQUES DE TOKYO

SE RAPPROCHE DU TITRE
« Ça fait plus mes affaires à moi qu’à d’autres. »
Alexis Pinturault, qui garde pour l’instant
ses 31 points d’avance au classement général
Soyons sports
de la Coupe du monde de ski alpin.
FACE À UN NOUVEAU SCANDALE
Le directeur artistique des jeux Olympiques a démissionné,
jeudi, après la publication de commentaires offensants sur
le physique d’une célébrité japonaise. Un nouveau casse-tête
pour les organisateurs, à quatre mois de l’ouverture des JO.

I
l s’en est fallu de peu, de quelques en Angleterre. Au début, on était frustrés.
minutes, pour que l’équipe de TOURNOI DES SIX-NATIONS Aujourd’hui, on l’évacue et on se concentre
France aborde sa rencontre samedi sur le match du pays de Galles. On est encore

Le XV tricolore
face au pays de Galles comme pré- dans la course pour gagner le tournoi, donc
tendante au grand chelem. on est surmotivés. »
Quelques minutes pour rêver avant
que Maro Itoje, à la 77e minute, Une étape pour confirmer la bonne

face à son destin

n’enfonce l’arrière-garde tricolore et plante
l’essai de la victoire anglaise à Twickenham.
Mais voilà, le jeune groupe dirigé par Fabien
Galthié, passé tout prêt de l’exploit, devra
encore patienter une année supplémen-
taire pour meubler d’un dixième grand
chelem l’étagère du président de la Fé-
dération française de rugby, Bernard
Laporte. Reste tout de même une place
de premier à prendre dans ce tournoi des
Six-Nations 2021. Une première depuis
2010 ! Pas mal, direz-vous, pour une na-
tion qui se morfondait il y a encore deux
ans dans les profondeurs d’un rugby
oublié. Mais pas de « seum » cette fois-ci
malgré le revers en terre anglaise. Pas
de polémique non plus autour du coaching
Twickenham, le 13 mars. Matthieu Jalibert (avec le ballon) s’est distingué lors du match face à l’Angleterre. D. Rogers/Getty Images/AFP
tenue d’ensemble des Bleus
Pour l’entraîneur des lignes d’avants, ce
rendez-vous au Stade de France est même
la première étape de l’objectif affiché : « Les
Pour finir en tête du tournoi, l’équipe de France doit battre, Gallois sont en position de force puisqu’ils
disputent ce week-end une finale de grand
à Paris ce samedi, le pays de Galles avec le bonus offensif, chelem. Nous, ce n’est pas pour le grand
avant d’affronter l’Écosse dans une semaine. chelem. Mais nous avons pris un point de
bonus défensif malgré la défaite en Angleterre,
ce que l’on n’avait pas su faire en Écosse l’an
hésitant en deuxième période. Il a été Les joueurs qui étaient sur le terrain ont dernier. L’objectif est justement pour nous
balayé d’un revers de la main rugueuse été très performants. » aussi de pouvoir disputer notre finale le week-
de l’entraîneur des avants, William Pas de doute insidieux donc, mais plutôt end d’après contre l’Écosse. Donc c’est une
Servat : « Les datas qui nous ont été don- l’envie de rebondir au plus vite, comme première échéance, une première finale ce
nées ont confirmé notre sentiment, à l’explique le trois-quarts centre Gaël Fickou : week-end. » Une étape donc pour confirmer
savoir que les joueurs présents sur le ter- « Ce n’est pas de la pression, ou alors de la la bonne tenue d’ensemble des Bleus, qui
rain étaient vraiment montés en intensité. pression positive. C’est vrai qu’on a perdu de toute évidence ont séduit par leur attitude
le sélectionneur du XV de France. Sauf sur-
prise de dernière minute, il devrait donc
reconduire le même groupe pour ce match
crucial. Encore une fois, et au vu de ses
performances, l’ouvreur Matthieu Jalibert
sera préféré au talentueux Romain Ntamack,
qui revient peu à peu de sa double fracture
de la mâchoire. Une septième titularisation
d’affilée pour le joueur de Bordeaux-Bègles,
qui a disputé l’intégralité du crunch avec
10 points aux pieds (100 % de réussite) et,
en bonus, une passe lobée offerte à Damian
Penaud pour le second essai français. Essai
de tableau noir surnommé dorénavant :
« la Toulouse » ! Mais au-delà de l’ouvreur
qui s’affirme comme un très sérieux
challenger au Toulousain Ntamack, c’est
l’ensemble de l’équipe qui a disputé la
rencontre à Twickenham qui reprendra du
service. Face à des Gallois retrouvés, les
Bleus devront l’emporter avec le bonus
offensif (au moins quatre essais) et sans
céder de bonus à leurs adversaires pour
conserver
HippismeHuma Ven 26 JUIN des chances
2020_Huma Nouvellesolides de remporter 18/03/20
Formule_modele_2014
le tournoi avant leur ultime match contre
l’Écosse, en principe le 26 mars.
ÉRIC SERRES

COURSES HIPPIQUES AVEC P. ROSSO

Cyclisme Milan-San Remo, un aigle à trois Dopage L’AFLD met le ministère NOTRE CHOIX POUR LES QUINTÉS
têtes face aux sprinters des Sports à l’amende Vendredi à Enghien l Trot Samedi à Auteuil l Obstacles
R1 l 5e course à 17h30 l R1 l 3e course à 15h15 l
Samedi, le premier monument de la saison devrait offrir Dans un courrier, la commission des sanctions de l’Agence lAttelé l 16 part-Autostart l lHaies-Handicap l 16 part. l
un spectacle de haute volée tant les favoris sont nombreux. française de lutte contre le dopage (AFLD) demande à la 2.150 m. - Corde à gauche l 3.900 m. - Corde à gauche l
Au programme de cette Primavera de haute volée : 299 ki- ministre Roxana Maracineanu de revoir sa copie concernant BASES BASES
lomètres. Encore une fois, c’est après un long passage dans les réformes en cours dans l’antidopage français. Cet organe, 8. MARTIN DE BOS 3. SUPER ALEX
la plaine du Pô que se jouera la course. À une vingtaine de chargé de juger les sportifs soupçonnés de dopage, interpelle 3. WILD LOVE 1. MAGISTADOR
7. DÉESSE NOIRE 2. FANCYTASTIC
kilomètres de l’arrivée, la Cipressa sera la première difficulté la ministre sur l’ordonnance rédigée par son ministère afin 14. HELENA DI QUATTRO 14. BRIC
à escalader (5,6 kilomètres à 4,1 %), puis le mythique de transposer dans le droit français le nouveau code de l’Agence CHANCES CHANCES
Poggio, à 7 kilomètres de l’arrivée. Plus que jamais, Julian mondiale antidopage (AMA). Les membres de la commission 1. BRYSSEL 4. PASCASHA D’OR
Alaphilippe (Deceuninck), victorieux il y a deux ans, Wout déplorent à la fois la modification annoncée de sa future 12. OLLE ROLS 9. ROCK THE RACE
11. WHOLE LOTTA LOVE 6. ZOFFANY BAY
Van Aert (Jumbo-Visma), vainqueur sortant, et l’étoile composition, avec l’ajout prévu de « deux juristes », ainsi que 6. COMTE DES TITHAIS 8. FOLLY FOOT
montante Mathieu Van der Poel (Alpecin-Fenix) font figure les nouvelles règles de fonctionnement envisagées. Selon
LE BON FAVORI : LE BON FAVORI :
d’épouvantails. Les trois puncheurs devront pourtant se eux, ce projet lui interdit de siéger librement, puisqu’elle MARTIN DE BOS MAGISTADOR
méfier de la meute des sprinters. Le champion de France devrait désormais se limiter à trois membres, voire un seul, L’OUTSIDER REPÉRÉ : L’OUTSIDER REPÉRÉ :
Arnaud Démare (vainqueur en 2016), Alexander Kristoff alors que l’AMA ne fixe aucune limite. Ce projet est, d’après DÉESSE NOIRE SUPER ALEX
Dimanche à Saint-Cloud - Première impression - Quinté probable
ou encore Davide Ballerini, qui joue à domicile, tenteront les membres de cette commission, « radicalement contraire » - Prix Teddy - Plat - 1.400 m. = MILLE SABORDS l BROUILLARD
d’annihiler toutes les tentatives de jump des trois postulants aux textes de l’AMA et risque de nuire à la réputation de la lBONARDA lJ’AURAIS DÛ lHALIPHON lBARAKATLE lMILLFIELD
pour s’offrir un sprint royal sur la via Roma. E. S. commission, mais aussi de l’agence. E. S. lRED TORCH lYSSINGEAUX lLOUVE DREAM
 Culture&Savoirs
Vendredi 19, samedi 20 et dimanche 21 mars 2021 l’Humanité 25

CINÉMA

D’une rupture,
Pedro Almodovar crée
une rencontre magnifique
Inspiré par le texte la Voix humaine, le cinéaste castillan nous offre une rencontre flamboyante
avec l’actrice anglo-écossaise Tilda Swinton. À eux deux, ils créent une version incandescente
de l’œuvre de Jean Cocteau. À voir en DVD et VOD.

THE HUMAN VOICE

Pedro Almodovar
Espagne, 2020, 29 min.
Avec bonus : rencontre Pedro Almodovar-

I
Tilda Swinton, 2020, 46 min

l y a presque un siècle, quatre-vingt-

douze ans exactement, Jean Cocteau
écrivait une pièce en un acte pour
le théâtre sur un thème toujours
aussi banal : la rupture amoureuse
par téléphone. Créé en 1930 à la
Comédie-Française, joué par une
actrice seule sur scène, Berthe Bovy en
l’occurrence, dans un décor de Christian
Bérard réduit : une chambre « de meurtre »,
précisait l’auteur, et, sur une chaise, un
téléphone, ce texte au ton trivial du langage
parlé, inscrit dans le quotidien chaotique
des télécommunications, était à cause de
cela d’une certaine modernité.

Son court métrage est le fruit

d’une véritable alchimie
Monologue à deux voix dont l’une est
muette, fait de paroles déchirantes et de
silences tout aussi pesants, la Voix humaine
« machine » : « (…) Dans le temps, on se
voyait. On pouvait perdre la tête, oublier ses
promesses, risquer l’impossible, convaincre
ceux qu’on adorait en les embrassant, en
s’accrochant à eux. Un regard pouvait chan-
ger tout. Mais avec cet appareil, ce qui est
fini est fini… », dit l’héroïne.
Cette déperdition à fleur de peau expri-
mée par le texte de Cocteau hante le ci-
néaste Pedro Almodovar depuis fort
longtemps : déjà en 1986, dans une sé-
quence de la Loi du désir, Tina, incarnée
par Carmen Maura, femme abandonnée,
joue la Voix humaine dans une mise en
scène de son frère Pablo, héros du film.
L’année suivante, il tente sans succès une
adaptation dudit monologue dans Femmes
au bord de la crise de nerfs, toujours avec
Carmen Maura. Bien que le texte de Coc-
teau inspire l’ensemble du film, « l’amant
ne téléphone pas… », Almodovar dixit.
Peu importe.
Égérie de Derek Jarman et de Jim Jarmusch, Tilda Swinton soutient le projet de Pedro Almodovar de toute
son élégance et de toute son intelligence. Iglesias Mas
« Il ne faut pas rallonger
les histoires plus qu’elles
ne le demandent…,
et cette liberté de choix
enrichit l’œuvre. »
PEDRO ALMODOVAR
Car maintenant, trente-cinq ans plus
tard, avec The Human Voice, Pedro Al-
modovar, à l’instar de Jean Cocteau qui
« machine », « bricole » au sens artisanal
et noble du terme. Avec toute la fraîcheur
d’un jeune réalisateur mais la maîtrise
d’un grand metteur en scène. Comme
Jean Cocteau, Pedro Almodovar démontre
qu’il a le goût des expériences. Son court
métrage est le fruit d’une véritable al-
chimie. Son choix cinématographique
n’est ni plus ni moins réaliste que ne peut
l’être le théâtre.
Il situe son action dans un hangar-studio
de cinéma, retourne la peau du décor,
détruisant le quatrième mur du théâtre,
et crée une fusion entre les deux expres-
sions artistiques. La langue anglaise, qu’il
manie pour la première fois, le rend de
plus en plus flexible et la durée du film,
vingt-neuf minutes, semble être pour lui
une sorte de soulagement. « Il ne faut pas
rallonger les histoires plus qu’elles ne le
demandent…, et cette liberté de choix en-
richit l’œuvre », déclare-t-il.
L’héroïne almodovarienne,
dans sa totale modernité, se rebelle
Dès le générique, et même dès la vue du
graphisme de l’affiche annonçant le film,
nous sommes engagés dans le style pop
art, coloré, cher à Almodovar : une vraie
quincaillerie au sens propre du terme. Bien-
venue dans l’atelier du magicien Pedro ! Où
tout est joyeusement et méticuleusement
« bricolé » selon une alchimie de joail-
lier.L’idée de la hache, qui sert à déchiqueter
le costume de l’homme aimé dans The
Human Voice, lui était venue au moment
de la création de la Loi du désir, Pedro
26 l’Humanité Vendredi 19, samedi 20 et dimanche 21 mars 2021
Culture&Savoirs
D’une rupture, Pedro Almodovar
crée une rencontre magnifique
dixit, et déjà dans Femmes au bord de la
crise de nerfs, Carmen Maura-Pepa mettait
le feu à son lit. Tel Cocteau qui disait « vouloir
emporter le feu si sa maison brûlait », Al-
modovar reste fasciné par le spectacle de
flammes régénératrices.
Et Pedro Almodovar est aussi fasciné par
les femmes, les actrices. De caractère. Il
évoque le souvenir enchanté qu’il a d’Anna
Magnani, la Voix humaine de Roberto Ros-
sellini, dans l’Amore, un sublime film italien
en deux parties, dont la seconde est signée
Fellini, datant de 1947. Sa « voix humaine »
à lui sera nordique : la grande actrice an-
glo-écossaise Tilda Swinton. Égérie de
Derek Jarman et de Jim Jarmusch, Tilda
Swinton soutient le projet de Pedro Almo-
dovar de toute son élégance et de toute son
intelligence. Ces deux-là étaient faits pour
se rencontrer. Pour le meilleur. En robe
rouge flamboyante signée Balenciaga ou
teintée de noir jusqu’aux pieds, telle une
condamnée à mort jouant sa dernière carte,
Tilda Swinton se laisse d’abord prendre au
piège du dispositif imaginé par Pedro Al-
modovar. Avec délectation.
Enfermée dans une boîte-hangar-studio,
elle évolue dans les méandres angoissants
d’une femme abandonnée par son amant,
dont on ne perçoit jamais la voix lorsqu’il
téléphone, face à des valises en attente
d’être récupérées, des lettres et des notes
prêtes à être brûlées et un pauvre chien
en mal de maître.
(Publicité)
Les capitalistes "de l’Ouest" accélèrent
leur agressivité
Avec la “crise du Corona“
les organisateurs du capital
que sont BlackRock, Vanguard,
Amundi, Norges et KKR assoient
leur domination et leur influence
à Washington, Bruxelles,
Berlin, Paris...
Investissant les puissantes
entreprises numériques, ils
participent à la transformation
des conditions de travail
vers une plus grande
précarité tout en contribuant
à l'évasion fiscale de
leurs clients richissimes.
Werner Rügemer,
philosophe interventionniste
allemand, analyse le conflit économique
que se livrent les Etats-Unis et l'Europe,
et présente le système alternatif développé
par la Chine, qui s’est imposée
comme la plus grande économie nationale moderne.
Werner Rügemer : Les Capitalistes du 21ème Siècle
(Disponible également en livre numérique eBook)
Mais si l’héroïne cocteauienne n’est que
souffrance et folie, dont le long monologue
se termine par ces mots : « Coupe ! Coupe
vite ! Coupe ! Je t’aime, je t’aime, je t’aime,
je t’aime, je t’aime… », au contraire l’almo-
dovarienne, dans sa totale modernité, se
rebelle. Après avoir déclaré de manière
péremptoire à son amant : « Je te rends tous
tes mots… on ne dit pas au revoir à une
femme par téléphone », elle met le feu au
décor-lieu de l’amour, sort du huis clos,
avec le chien, et à l’air libre lui dit : « Main-
tenant c’est moi ta maîtresse et nous allons
f a i r e n o t r e d e u i l e n s e m b l e. » L a
libération.
Pedro s’essaie à la langue
anglaise par amour
Quel bonheur que de se délecter à la vision
de ce petit bijou signé par le maître espa-
gnol ! Puis d’écouter et voir un vrai dialogue
entre lui et sa « création » d’un instant,
l’actrice Tilda. Pedro s’essaie à la langue
anglaise par amour, Tilda l’écoute comme
une enfant devant un sapin de Noël, leur
complicité et leur connivence même
éclatent à chaque plan. Pour se terminer
comme dans toute bonne comédie par une
déclaration d’amour, une demande en
mariage. La joie.
Pedro propose à Tilda, qui rayonne de
bonheur à l’avance, de tourner de nouveau
avec lui. Pour ressentir une forme de nou-
velle liberté retrouvée.
Une vraie leçon de cinéma !
MICHÈLE LEVIEUX
Un outil
utile pour se
repérer dans ce
monde où
ont émergé de
nouveaux acteurs
surpuissants
376 pages - Tredition 2020
MUSIQUE
La soul aérienne
et audacieuse
de Kimberose
Avec Out, la nouvelle étoile anglo-ghanéenne
recoud les déchirures avec le fil du talent
et l’aiguille de la pugnacité. Un album cousu main.
E
lle, qui a commencé sa car- Pierre Bertrand, le trompettiste
rière en s’excusant (I’m Michel Feugère, le tromboniste et
Sorry, de son premier album, polyinstrumentiste Julien Chirol
Chapter One), revient transfor- ou encore, pour les chœurs, les
mée, radieuse avec Out. Après des frères Filey (Stefan et Ricko).
expériences douloureuses, Kim-
berose est « de nouveau debout », « J’ai retrouvé mon
comme l’annonce la plage intro- audace »
ductive, Back on my Feet. Le ton Out se clôt avec la première pièce
nous est donné d’emblée : une soul que Kimberose ait jamais écrite,
solaire, aérienne qui aime jeter interprétée et enregistrée en fran-
l’ancre dans un groove charnel çais (l’Envie de valser), et que
pour mieux nous parler du berce le délicat ondoiement
monde qui tangue au- du piano (par Sofiane
tour de nous et en Pamart, dont nous
nous. « Out, c’est SUCCÉDANT recom ma ndons
l’extérieur, l’ouver- À L’EP IT’S PROBABLY vivement l’album
ME (2017),
ture à l’autre, à l’hu- Planet, sorti en
SON PREMIER ALBUM,
manité. C’est à la CHAPTER ONE (2018),
2020). Larges sont
fois ma déclaration A ÉTÉ CERTIFIÉ les in f luences
d’amour à la vie et DISQUE D’OR. qu’embrasse l’in-
ma déclarat ion terprète, auteure
d’indépendance. » et compositrice d’à
peine 30 ans. Sa voix est
Elle chante sa délivrance une vaste contrée que tra-
Née d’une mère noire ghanéenne versent des rivières nommées
et d’un père blanc britannique, Lauryn Hill (des Fugees), Dinah
Kimberose, qui réside en France, Washington (pour la profondeur
a eu du mal à trouver sa place. du timbre) ou Nina Simone, pour
Dans Weak and OK, elle fait ré- les déchirures recousues avec le
férence à l’épisode dépressif fil du talent et l’aiguille de la pu-
qu’elle a connu il y a quelques gnacité. Sans oublier, dans les
années. Et, à travers sa reprise de tréfonds de sa mémoire, le highlife
Sober (« sobre », de la jeune Amé- ghanéen et le gospel qu’écoutait
ricaine Joy Oladokun), elle chante sa mère ou bien le rock et le jazz
sa délivrance. « À un moment entendus sur les cassettes que,
donné, je croyais que la prise d’al- gamine, elle empruntait en ca-
cool serait une béquille, nous chette à son père.
confie-t-elle. Mais c’est la nais- « Quand ma mère est arrivée en
sance de mon fils qui m’a donné France, elle ne parlait pas français
la force de reprendre mon destin et avait du mal à trouver du travail.
en main. » Elle a été femme de ménage, a fait
L e s t it re s de se s ch a n son s la plonge… Mes parents se sont
évoquent son histoire par bribes, séparés assez vite. J’ai peu de sou-
à l’exemple d’Escape (« s’échap- venirs d’eux ensemble. Danseuse
per ») ou de We Never Said Goo- en Afrique, ma mère a dû arrêter
dbye. À son père, décédé sans son art ici et affronter une réalité
qu’elle ait pu lui dire au revoir, ardue. » Sa mère lui a transmis
elle dédie cette complainte intro- cette détermination à aller de
duite par un bouquet de cordes. l’avant, contre vents et marées, et
Mixé par l’expert Dominique à cultiver le rêve. Kimberose s’est
Blanc-Francard, Out a été réalisé forgé ce pseudonyme en combinant
par l’architecte sonore Régis Cec- ses deux prénoms (Kimberly et
carelli (fils du grand jazzman An- Rose). « On y entend aussi ’’Kimber
dré Ceccarelli), qui officie en outre, ose’’. Moi qui m’étais perdue dans
ici, à la batterie. Sont réunis des une errance existentielle, j’ai re-
musiciens accomplis, tels que trouvé mon audace. »
Laurent Vernerey et sa basse au FARA C.
cœur battant (qui servit Didier
Lockwood et Claude Nougaro), le Kimberose, Out (label 6 & 7/Believe),
saxophoniste, flûtiste et arrangeur www.kimberose-official.com
 Vendredi 19, samedi 20 et dimanche 21 mars 2021 l’Humanité 27
2 L’Humanité xxxxxxxx 00 xxxxxxxxx 2000
Culture&Savoirs

Xxxxxx DISPARITION CARNET

Thamar Lobato de

Jean Magniadas,
Castro est décédée
à l’âge de 78 ans. Née
à Belém (Brésil), elle

un syndicaliste de choc
quitte son pays sous
dictature militaire pour
la France des droits de

PAGE MODELE COIN DU FOU

l’homme et Paris. Elle
rejoint le PCF en 1970
Président-fondateur d’Espaces Marx, militant PCF de la commission économique, syndicaliste et milite dans l’Est
parisien. Elle travaille
CGT, l’ancien membre du Conseil économique et social s’est éteint à l’âge de 94 ans. dans des entreprises

I
de transport, où elle
est une militante
l était le plus ancien membre de la commission économique CGT. Elle devient
du PCF. Né en 1926 à Paris, Jean Magniadas avait participé ensuite une assistante
aux échanges en marge des négociations des accords de parlementaire
Grenelle, en mai 1968, comme le rappelle Claude Willard, appréciée au groupe
dans sa notice du Maitron. Sur mandat du bureau confédéral communiste à
de la CGT, il avait rencontré Jacques Chirac, alors secrétaire l’Assemblée nationale.
d’État à l’Emploi. L’organisation syndicale savait pouvoir compter Elle aimait la France
sur un militant, ancien employé de compagnie d’assurances, et le Paris révolutionnaire
capable de rentrer dans des dossiers économiques et juridiques de la Commune. Elle
complexes et de porter le fer face au camp patronal. défendit toute sa vie
À cette époque, celui qui est un des dirigeants de la Fédération la nature et les animaux,
des employés et cadres des assurances, du crédit, des organismes dans le souvenir de
sociaux et du commerce depuis les années 1950 vient de rejoindre son Amazonie natale.
le Conseil économique et social (CES). Il siège notamment à la Fidèle lectrice de
commission spéciale du plan, où son interlocuteur, le président L’employé des assurances, devenu dirigeant syndical, participera l’Humanité, elle fut CDH
du commissariat général, n’est autre que Jacques Delors. Toujours aux négociations des accords de Grenelle en 1968. Pierre Trovel pendant de longues
en confrontation idéologique, le nouveau membre du CES a un années. Ses obsèques
solide bagage théorique et une longue expérience militante. Entré auront lieu à Paris,
comme employé à la compagnie d’assurances Rhin et Moselle, il des articles économiques dans le Peuple et dans Économie et le jeudi 1er avril, à 10 h 30,
suit, au Conservatoire des arts et métiers, les cours du soir de Politique. Dans les années 1980-1990, il prépare plusieurs au crématorium
l’École polytechnique d’assurances. Conférences internationales du travail (OIT) et œuvre à la créa- du Père-Lachaise.
Après la Libération, le jeune employé crée une section syndicale, tion de l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires), Ni fleur, ni couronnes.
adhère à l’UJRF (Jeunes communistes) et au PCF. En 1949, il qu’il présidera. À la retraite, il devient vice-président de l’Institut Dons à l’Humanité.
participe au bureau national des jeunes syndiqués sous la res- CGT d’histoire sociale et préside, à sa création, en décembre L’Humanité présente
ponsabilité d’André Tollet. Dans les années 1960, il s’investit 1995, Espaces Marx. L’Humanité présente ses condoléances à sa ses condoléances à sa
au Centre confédéral d’études économiques et sociales (CCEES) famille et à ses proches. famille et à ses proches.
de la CGT, ainsi qu’à la commission économique du PCF et signe PIERRE CHAILLAN

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28 l’Humanité Vendredi 19, samedi 20 et dimanche 21 mars 2021

Chacun son dessein ! par Adele

Parce que la lutte des classes passe

par la guerre des idées

MA ChRONique de l’extrême centre

Par Pierre Serna

RUE ROSA- prison de la révolutionnaire, question que nous devons

et republiée récemment par affronter dans cette adversité
LUXEMBURG

À
Brest, sur proposition
de la section PCF,
relayée par les élus
communistes, l’ensemble
de la majorité de gauche a
accepté d’offrir au quartier
Saint-Pierre une rue portant
le nom de Rosa Luxemburg.
C’est là un bel hommage au
moment de commémorer le
150e anniversaire de cette
femme, révolutionnaire,
marxiste allemande, paci-
fiste, féministe, assassinée
par les corps francs nationa-
listes durant la révolution
spartakiste, le 15 janvier 1919,
avec Karl Liebknecht.
Pacifiste, profondément
internationaliste, elle s’op-
le Chiffon rouge de Morlaix,
pour saluer la décision des
élus de Brest. Elle y demande
à une amie, qu’elle critique
de ne pas s’engager assez, de
rester au moins « un être hu-
main… et ça, ça veut dire être
solide, clair et clame, oui
calme, envers et contre tout,
car gémir est l’affaire des
faibles. Être humain, c’est, s’il
le faut, mettre gaiement sa vie
tout entière “sur la grande
balance du destin”, tout en se
réjouissant de chaque belle
journée et de chaque beau
nuage ». On ne peut que res-
ter admiratif et impressionné
par la détermination, la
beauté et la rigueur de ces
lignes, dont on sait qu’elles
nouvelle : comment résister
seul·e ? Comment lutter en-
semble ? En ces temps d’en-
fermement, de blocage ou
d’interdiction de manifesta-
tion, la lecture, la réflexion,
les discussions, fussent en
très petit cercle, sont pos-
sibles. Ce repli sur soi n’est
pas déni du monde, au
contraire. Pour Rosa Luxem- EURÊKA Le billet de
burg, au fond de sa prison,
jamais le monde n’a semblé
« Sans candidat et sans projet, Maurice Ulrich
aussi présent. C’est une le-
on n’a encore jamais vu
çon pour nous, déjà hypno- un parti politique remporter Et alors ?
tisés par 2022. Les luttes à la présidentielle. »
venir ensemble doivent Le politologue Pierre-
servir à casser la logique Luc Ferry, essayiste, ancien André Taguieff sort
d’un second tour déjà im- professeur de philosophie et aujourd’hui un ouvrage
posé d’avance. Les premiers ancien ministre de la intitulé Liaisons
combats concernent les Jeunesse, de l’Éducation dangereuses. Islamo-

pose de toutes ses forces à la
Première Guerre mondiale,
et se retrouve emprisonnée
pour son opposition à la bou-
cherie guerrière. Une de ses
lettres, rédigée le 28 dé-
cembre 1916, a été reprise par
Anouk Grinberg, dans son
spectacle dédié aux lettres de
CONTRE-FEUX
Jours de carence, la leçon du Covid
ne sont pas que des mots et
que Rosa Luxemburg ira au
bout de son engagement.
Aujourd’hui, plongé·e·s
dans cette pandémie qui dure
et va durer, il est bon de lire
et de rendre hommage à Rosa
Luxemburg. Avec une pré-
cision extrême, elle repose la
Bruno Arbesu
femmes dans la vie sociale, nationale et de la Recherche nazisme, islamo-
politique et économique, gauchisme (éditions
afin qu’elles soient parfai-
sous Jacques Chirac, dans Hermann). Le Figaro, qui
tement égales aux hommes. Le Figaro, jeudi 18 mars n’aurait su manquer le rendez-vous,
En en faisant une priorité publie un entretien avec l’auteur où
absolue de son programme, figurent des analyses qui laissent
la gauche commencera à pantois. Ainsi, « pour comprendre les
casser un destin que nous liens entre le décolonialisme,
refusons toutes et tous. CARBONE 14 l’islamisme et l’islamo-gauchisme,
il faut partir de la convergence entre
DIALECTIQUE HISTORIQUE l’anticapitalisme marxiste,
l’antioccidentalisme islamiste et
Interviewé par le Figaro hier, l’his- l’antiracisme anti-Blancs ». Une truie
torien Pierre Nora rappelle, à l’éton- philosophe n’y retrouverait pas ses
nement de son interlocuteur, qu’« en petits dans ce salmigondis entre le
1971, le président de la République, marxisme, l’islamisme et le n’importe

V
Georges Pompidou, était venu s’in- quoi. On se demande ce qu’il a fumé
oilà un nouveau pan de la doxa les conséquences n’en sont que plus dra- cliner devant le mur des Fédérés ». si ce n’est pas l’opium du peuple. Un
libérale battu en brèche par la crise matiques. « De façon inquiétante, 46 % Il donne à ce geste inattendu l’ex- pétard d’extrême droite ? Mais voici
sanitaire. Depuis des années, on des personnes sources de l’infection en plication suivante : le « déclin de la sa mise en garde essentielle, il voit
nous explique que la maladie sert de pré- milieu professionnel étaient symptoma- classe ouvrière qui va aboutir au aussi « une reformulation du projet
texte à des désertions trop fréquentes des tiques au moment du contact infectant et déclin du Parti communiste » ren- révolutionnaire communiste d’une
postes de travail aux frais de la princesse. s’étaient donc rendues sur leur lieu de drait ainsi cette mémoire « inoffen- société sans classes ». Car « l’utopie
En la matière, LaREM est bien « en travail se sachant symptomatiques », sive ». Trois ans seulement, donc, du décolonialisme a pour objectif
première ligne ». Presque aus- pointe le conseil scientifique après 1968. Il y a une dizaine de de créer une nouvelle société sans
sitôt arrivé aux manettes, dans son avis du 11 mars, jours, il soulignait déjà le fait, mais discriminations (de race, de
le gouvernement a rétabli DEPUIS DES ANNÉES, reprenant l’étude ComCor affirmait sur les ondes de France genre…), au terme d’une
le jour de carence pour les LES LIBÉRAUX de l’Institut Pasteur. L’exé- Inter : « Commémorer Napoléon oui, décolonisation des représentations,
fonctionnaires, précédem- MARTÈLENT QUE LES cutif a désormais beau jeu la Commune, non. » Est-ce à dire des savoirs, des pratiques et des
ment supprimé par les so- TRAVAILLEURS de faire les gros yeux. Il a qu’elle ne l’est plus ? institutions. » Oui, et alors ?
cialistes. « Il permet de ABUSENT DES ARRÊTS fallu attendre janvier pour
lutter contre le micro-ab- MALADIE. LA CRISE que la suspension du ou des
SANITAIRE DÉMONTRE
sentéisme qui désorganise jours de carence soit effec-
les ser vices, alourdit la
L’INVERSE.
tive pour tous les malades
AMBROISE CROIZAT MÉRITE D’ENTRER AU PANTHÉON
charge de travail des collègues du Covid. En septembre, la mi-
en poste et coûte environ 170 millions nistre Amélie de Montchalin avait À l’initiative de l’Humanité, élus, syndicalistes et
d’euros par an », argumentait Gérald opposé une fin de non-recevoir aux syn- intellectuels interpellent Emmanuel Macron afin que
Darmanin, alors ministre de l’Action et dicats qui jugeaient « incompréhensible » le bâtisseur de la Sécurité sociale fasse son entrée
Mémoires d’Humanité/AD93

des Comptes publics. Sans originalité, la son rétablissement dans la fonction pu-
dans le monument dédié « aux grands hommes ».
justification est la même dans le privé, où blique, où il avait été levé au printemps.
la facture est encore plus salée avec trois Quant au privé, il fallait avoir été préa- Signez l’appel et faites-le signer
jours. En réalité, c’est bien l’inverse qui lablement cas contact pour en bénéficier. sur notre site.
se produit : à force de culpabilisation et Reste à convaincre que ce qui vaut désor-
de salaire amputé, les travailleurs re- mais pour ce virus vaut en général. www.humanite.fr/ambroise-croizat-au-pantheon
noncent à leur santé. Avec la pandémie, JULIA HAMLAOUI