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L’envers des

marques

Conditions de travail et droits des travailleurs


dans les zones franches d’exportation

CONFÉDÉRATION INTERNATIONALE DES SYNDICATS LIBRES (CISL)


L’envers des
marques
Conditions de travail et droits des travailleurs
dans les zones franches d’exportation

Rédaction: Sarah Perman, avec Laurent Duvillier, Natacha David, John


Eden et Samuel Grumiau. Coordination éditoriale: Natacha David

DÉCEMBRE 2004

2
Sommaire

Conditions de travail et droits des travailleurs


I Introduction 4
II Qu’est-ce qu’une zone franche? 5
III Pourquoi des zones franches? 6
IV Les ZFE constituent-t-elles une approche viable? 6
V Les zones franches et la création d’emplois 7
VI Droits des travailleurs 7
Dérogations à la législation du travail 9
Non-application de la législation nationale 10
Les syndicats privés d’accès aux ZFE 11
Licenciements pour engagement syndical 11
Fermetures d’entreprises 12
Répression brutale des activités syndicales 12
VII Conditions de travail 13
Discrimination sexuelle 13
Heures de travail excessives 14
Santé et sécurité 14

VIII Les ZFE et le dialogue social 15


Conclusion 16

Cas d’études

Bangladesh: les syndicats interdits dans les zones franches d’exportation 20


Chine: l’”usine globale” 23
République dominicaine: des emplois en danger 29
Haïti: chasse aux syndicats par Grupo M 33
Honduras: percée des syndicats dans les maquiladoras 38
Madagascar: le leurre d’une main-d’oeuvre bon marché 42
Maurice: virage difficile à négocier pour le textile 47
Mexique: les pratiques honteuses de la “Silicon Valley” 51
Sri Lanka: activités syndicales fortement découragées 57

3
I. Introduction
Ce rapport nous ouvre les yeux sur une réalité fondamentale de la mondialisation, celle du travail
quotidien des travailleuses et des travailleurs des zones franches d’exportation aux quatre coins du
monde. Depuis les années 70, les zones franches, également connues sous le nom de zones franches
d’exportation ou maquiladoras en Amérique centrale, se sont converties en un instrument essentiel
de la politique économique. Elles permettent aux gouvernements d’attirer les investisseurs étrangers
en leur proposant des conditions incitatives et un environnement exempté de régulations. En
contrepartie, ces zones sont censées créer de l’emploi et génèrer des revenus liés aux exportations.

Les trente dernières années ont vu une croissance exponentielle du nombre de zones franches, qui
sont passées d’une poignée à peine en 1970, à plus de 3000 en 2002. Simultanément, l’emploi dans
ces zones a fait un bond, passant de quelques milliers en 1970 à un peu moins de 42 millions en
2004. Les ZFE sont souvent présentées comme la solution permettant aux pays de développer leur
économie, de générer de l’emploi et d’accéder aux revenus des exportations. De sérieux doutes sub-
sistent cependant quant à la contribution réelle des ZFE au développement. Par leur nature même,
les investissements dans les ZFE sont précaires. Leurs auteurs étant susceptibles d’abandonner le pays
sur-le-champ dans le cas où une main-d’œuvre meilleur marché et plus docile leur serait proposée
ailleurs.

Ce rapport nous permet de découvrir des expériences vécues par la main-d’oeuvre de ces zones,
majoritairement des jeunes femmes employées à des tâches peu qualifiées et répétitives au sein d’en-
treprises où priment des conditions et des normes de travail précaires. Le rapport inclut une série d’é-
tudes de cas réalisées par des journalistes qui ont enquêté sur les pratiques de l’emploi et les droits
des travailleurs dans des zones franches d’exportation au Bangladesh, en République dominicaine, à
Haïti, au Honduras, à Madagascar, à Maurice et au Sri Lanka. Nous avons également incorporé à
notre rapport deux études de cas provenant de l’agence d’entraide CAFOD qui a mené une enquê-
te sur les pratiques du travail dans l’industrie électronique en Chine et au Mexique en 2003. Les étu-
des de cas nous font découvrir la lutte menée par les travailleuses et les travailleurs des zones fran-
ches pour l’établissement de syndicats et l’amélioration des conditions de travail, et l’hostilité et la
résistance de gouvernements et d’employeurs à leur encontre.

“La mondialisation est susceptible d’engendrer la prospérité pour les peuples du monde
entier, toutefois, la mondialisation purement libre-échangiste, telle qu’elle se pratique à
l’heure actuelle, s’accompagne d’une détérioration des normes et, par-là même, d’une exploi-
tation effrénée. Mais les gouvernements ferment les yeux à leurs propres risques et périls.”
Guy Ryder, Secrétaire général de la CISL

“Il n’y a pas le moindre pays où il ait été démontré que les zones franches d’exportation cons-
tituent une voie tangible vers le développement. Les investissements sont de nature volatile,
laissant peu de trace de leur passage une fois qu’ils ont été transférés ailleurs.”
Zwelimzima Vavi, Secrétaire général, Congress of South African Trade Unions (COSATU)

“Nous avons également une usine en Chine, qui connaît une croissance rapide. Pour l’instant,
il nous convient davantage de faire appel à de jeunes travailleuses philippines. Mais les
Chinoises apprennent très vite…. A l’avenir, il est probable que nous implantions notre prin-
cipale usine en Chine et que nous maintenions une usine auxiliaire ici.”
Mécanicien de production, ZFE philippine, août 2003

“En République dominicaine, nous ne voulons pas que les zones franches s’en aillent… sinon
tous les emplois s’en iront avec elles. Par contre, nous revendiquons des améliorations des
conditions de travail.”
Daysi Montero D’Oleo, secrétaire générale du Syndicat national des travailleuses dominicaines
(UNFETRAD), affilié à la CNTD , et également présidente du Comité des femmes de la CISL/ORIT.

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II. Qu’est-ce qu’une zone franche ?
Les zones franches d’exportation (ZFE) ne datent pas d’hier: La zone franche de Barcelone, en
Espagne, connaît un essor important depuis près d’un siècle. Créée en 1958, la zone franche de
Shannon, sur la côte ouest de l’Irlande, génère des exportations à hauteur de 2,5 milliards d’euros
par an (1). Ce n’est pourtant qu’à partir des années 70 que de plus en plus de pays ouvriront des
zones franches dans l’espoir d’attirer l’investissement étranger et générer de l’emploi.

A l’heure actuelle, il existe une grande variété de zones franches, notamment les zones écono-
miques spéciales, les zones franches d’exportation, les maquiladoras, les entrepôts de stockage, les
parcs scientifiques et les ports francs. L’Organisation internationale du travail (OIT) définit les zones
franches d’exportation comme “des zones industrielles disposant de conditions spéciales pour atti-
rer les investisseurs étrangers dans lesquelles des produits importés subissent une transformation
avant d’être réexportés (2). Initialement des espaces clôturés tels des ports ou des entrepôts spé-
cialisés dans la production pour l’exportation, les ZFE se sont peu à peu converties en zones spé-
cialisées à usine ou à secteur unique, à l’image de la “zone cuir” en Turquie. Dans certains cas, des
entreprises opérant n’importe où dans un pays peuvent se voir attribuer le statut de zone franche.
Maurice et Madagascar permettent aux entreprises de jouir des conditions spéciales normalement
réservées aux zones franches où qu’elles se trouvent sur leur territoire.

Les ZFE, qui se limitaient autrefois essentiellement à des opérations d’assemblage et de traitement
couvrent désormais un vaste éventail d’activités commerciales comme l’industrie high-tech, les
aménagements touristiques et les centres financiers, notamment. Le gros de l’activité reste cepen-
dant ancré dans l’industrie conventionnelle, à main-d’œuvre non spécialisée, avec une production
concentrée dans les secteurs textile, vestimentaire et électronique.

Les entreprises opérant dans les zones peuvent être nationales, étrangères ou en participation.
L’investissement étranger direct y prédomine. La propriété et la gestion des zones franches peut
être entre les mains aussi bien du secteur privé que public. La tendance est actuellement au déve-
loppement privé de zones franches, souvent par des entreprises étrangères.

En 2002 et au début de 2003, l’OIT a réalisé une étude sur les zones franches d’exportation (3). Les
résultats de cette étude font apparaître une croissance rapide dans le nombre de ZFE et le nombre
de pays où ces zones se sont implantées au cours des trente dernières années. Les zones franches
fournissent de l’emploi à plus de quarante millions de personnes. Trois quarts de la main-d’œuvre
mondiale des ZFE est employée en Chine. Le pays compte en effet quelque 30 millions de tra-
vailleuses et travailleurs répartis sur plus de 2 000 zones différentes. (4)

Tableau 1: Estimations du développement des zones franches d’exportation

1975 1986 1995 1997 2002

Nombre de pays dotés de ZFE 25 47 73 93 116

Nombre de ZFE 79 176 500 845 3000

Emplois (en millions) n.d. n.d. n.d. 22,5 43

– dont la Chine n.d. n.d. n.d. 18 30

– autres pays avec chiffres disponibles 0,8 1,9 n.d. 4,5 13

(Total des pays avec chiffres disponibles: 108)

Source: OIT 20025

5
Les statistiques actuelles de l’OIT soulignent une nouvelle augmentation dans le nombre de zones
franches, qui sont passées de 3.000 en 2002 à 5.174 en 2004. Au cours de la même période, l’em-
ploi a connu une baisse, passant de 43 millions à un peu moins de 42 millions (6). L’Amérique cen-
trale et le Mexique, en particulier, ont essuyé le gros des pertes d’emploi au cours de l’année écou-
lée, bien que la chance soit désormais en train de tourner. Les données chiffrées font en outre appa-
raître de grosses différences entre les pays en termes du nombre de zones franches, du nombre
d’entreprises opérant dans les zones et la main-d’œuvre totale. Un grand nombre de zones fran-
ches n’est pas toujours synonyme d’un grand nombre d’emplois, comme dans le cas des Caraïbes.

III. Pourquoi des zones franches?

Les pays créent des zones franches dans l’espoir d’attirer des investissements, de créer de l’emploi
et de générer des revenus en devises étrangères par la promotion d’exportations non-traditionnel-
les. Les pays d’accueil misent par ailleurs sur le fait que l’investissement étranger direct s’accompa-
gnera d’un transfert de technologies et de compétences vers les industries situées à l’extérieur des
zones.

Des régimes fiscaux et financiers spéciaux sont proposés aux firmes pour les encourager à investir
dans les zones. Une enquête réalisée pour le compte de la Banque mondiale (7) nous permet d’ap-
précier certaines caractéristiques communes:

● Importation hors-taxe de matières premières et intermédiaires, ainsi que de biens d’équipe-


ment destinés à la production pour l’exportation ;
● Rationalisation des procédures bureaucratiques pour une accélération des procédures de
demandes de permis et d’investissement ;
● Flexibilité des lois du travail, voire exemption de la législation nationale dans certaines
zones ;
● Concessions fiscales généreuses, à long terme, notamment sous forme de dérogations à la
taxe sur la valeur ajoutée.
● Moyens de communication et infrastructures supérieurs à la norme nationale. Dans certains
cas, les services et le loyer sont subventionnés par le gouvernement du pays d’accueil.

IV. Les ZFE constituent-t-elles une approche viable?

Dans de nombreux pays, les zones ont enregistré des performances irrégulières, et d’aucuns consi-
dèrent qu’elles ne répondent pas à leurs attentes. Les bienfaits sont souvent limités pour les raisons
suivantes:

● La production reste majoritairement conventionnelle et à main-d’œuvre non spécialisée,


limitant dès lors le transfert de technologies et de compétences des zones aux entreprises
nationales.
● Les revenus nets en devise sont souvent bas et ne suffisent pas à compenser l’investissement
fait par le pays dans la zone franche ou les concessions accordées aux investisseurs.
● Les investissements sont généralement à court terme. Les entreprises étrangères implantées
dans la zone peuvent aisément délocaliser vers un autre site, et ceci est particulièrement vrai
lorsque la législation du travail est déficiente ou n’est pas appliquée.
● Les entreprises importent souvent les matières premières plutôt que s’approvisionner auprès
des marchés locaux.
● Une réglementation sociale et environnementale inadéquate donne lieu à toute une série de
problèmes comme notamment la pollution du milieu naturel, des problèmes sur le plan de
la santé et de la sécurité et des atteintes aux droits du travail.

Le concept même de zones franches d’exportation, où des produits exonérés de taxes sont impor-
tés et assemblés en vue d’être, à nouveau, exportés, implique que leur incidence sur les pays d’ac-
6
cueil sera limité. Un rapport publié par la Banque mondiale en 1999 souligne que les droits de
douane représentent 35 % du revenu des pays africains, et qu’en exempter les entreprises des ZFE
constitue donc une perte considérable. Par ailleurs, puisque les entreprises de zones fonctionnent
de façon autonome, les transferts de technologie ou de compétences vers les partenaires locaux
sont rares. Les problèmes sont exacerbés du fait que la plupart des gouvernements ne disposent ni
de la stratégie ni des organismes nécessaires pour promouvoir de tels liens entre sociétés locales et
internationales. Certains pays ont donc investi massivement dans la mise sur pied, l’entretien et la
promotion de ZFE, mais sans que les populations locales n’en retirent des bénéfices substantiels.

La réussite des zones franches d’exportation semble plus probable lorsqu’elles sont encadrées par
une stratégie économique générale visant à promouvoir la croissance sur base d’investissements
dans le secteur privé. Une telle stratégie devrait inclure des politiques monétaires et fiscales, une
infrastructure d’investissement, un capital technologique et humain, ainsi que la promotion de liens
avec l’économie locale.

V. Les zones franches et la création d’emplois

Le Tableau nº 1 nous permet d’apprécier une augmentation en flèche de l’emploi dans les zones
franches d’exportation de certains pays au cours des dernières décennies. D’après les rapports de
l’OIT, le nombre de personnes employées dans les zones des pays examinés, à l’exception de la
Chine, était de 4,5 millions en 1997. A la fin de 2002, elles étaient au nombre de 13 millions (8).
La main-d’oeuvre employée en ZFE au Costa Rica a connu une augmentation tout aussi spectacu-
laire, passant de 7 000 salariés en 1990 à 34 000 dix ans plus tard (9).

Certains pays ont réussi à exploiter les zones à leur avantage en y créant de nouveaux emplois.
D’aucuns ont enregistré une croissance substantielle en termes d’investissements et de création
d’emploi. Les zones ont notamment ouvert de nouvelles perspectives d’emploi pour les femmes
dans l’économie formelle, notamment par la création d’emplois mieux rémunérés que dans des sec-
teurs traditionnels comme l’agriculture et les gens de maison.

Il est cependant difficile d’estimer quelle est la proportion de ces postes qui représente une crois-
sance nette de l’emploi. On dispose de très peu de données vérifiables sur la qualité, le coût et la
durée de l’emploi dans les zones franches. L’information sur l’impact des zones franches sur les per-
spectives d’emploi à l’extérieur est, elle aussi, rarement disponible. Il conviendrait de soupeser les
affirmations quant au potentiel des zones en matière d’emploi en tenant compte des facteurs sui-
vants:

● Certains emplois sont reclassés en tant qu’emplois ZFE. Cela est notamment le cas lors-
qu’une entreprise existante introduit une demande pour accéder au statut ZFE pour pou-
voir ainsi bénéficier des concessions pécuniaires et autres associées aux activités en zone
franche.
● Les registres font état de pertes d’emplois importantes dans de nombreuses zones. La récen-
te instabilité politique à Madagascar a été à l’origine du licenciement provisoire de 70 % des
effectifs des ZFE. (10) Les zones franches ou maquiladoras au Mexique ont enregistré
quelque 200 000 pertes d’ emplois entre 2000 et 2002. Cette réduction des effectifs a été
attribuée, en partie, à la concurrence chinoise. Pour l’heure, le Mexique traverse une nou-
velle phase de croissance des exportations et les maquiladoras embauchent (11) à nouveau.
● Les zones franches affichent une rotation élevée de la main-d’oeuvre et rares sont les per-
sonnes qui se maintiennent à leur poste au-delà de cinq ans.

VI. Droits des travailleurs

Certaines zones franches d’exportation sont des zones industrielles bien gérées où des entreprises
responsables offrent des conditions de travail décentes et des salaires plus élevés que dans le reste
7
de l’économie. Parmi ces entreprises, nombreuses sont celles qui sont conscientes de l’impact social
et commercial sur la performance et la productivité d’une gestion efficace des ressources humaines
et du respect des normes de l’emploi et des droits des travailleurs.

La plupart des zones franches abritent toutefois des entreprises d’une nature très différente, des
entreprises qui bâtissent leur fortune sur le dos de l’exploitation d’une main-d’oeuvre bon marché
et disciplinée. Ces entreprises appartiennent généralement à des secteurs industriels hautement
concurrentiels comme le textile et l’électronique, qui se caractérisent par des exigences de pro-
duction élevées et des produits à court cycle de vie (12). Elles sont presque toujours implantées
dans des pays où le marché du travail est peu structuré et où le gouvernement affiche une attitude
ambiguë ou hostile à l’égard des syndicats. Dans ce genre d’entreprises, les employeurs tournent
le dos à la législation du travail, ainsi qu’aux réglementations en matière d’emploi et de santé et
sécurité au travail. Les restrictions à la liberté syndicale, l’interdiction de la négociation collective et
du droit de grève, les bas salaires et les heures supplémentaires forcées y sont monnaie courante.
La Commission d’experts de l’OIT chargé de la surveillance de l’application des normes internatio-
nales du travail dans les pays membres a fait état de nombreuses « contradictions » depuis 1998
entre les obligations stipulées dans les Conventions de l’OIT ou la législation nationale et les pra-
tiques constatées dans les ZFE. Les experts de l’OIT ont enjoint les gouvernements des pays concer-
nés à développer des stratégies qui garantissent des investissements étrangers respectueux de l’or-
dre du jour de l’OIT en faveur du travail décent, notamment l’amélioration des conditions de tra-
vail et de la productivité.

Le coût peu élevé et la flexibilité de la main-d’oeuvre comptent parmi les principaux facteurs qui
incitent les firmes étrangères à investir dans les ZFE. Outre des concessions financières comme les
congés fiscaux provisoires et l’importation hors-taxe de matières premières, les gouvernements sou-
cieux d’attirer les investisseurs étrangers n’hésitent pas à proposer un assouplissement du cadre
réglementaire régissant les droits sociaux et l’emploi. Dans de nombreux pays, ce cadre est repré-
sentatif de la législation en vigueur à l’échelon national, cependant dans d’autres, les normes du
travail sont inférieures et les droits de l’emploi sont plus faibles dans les ZFE. Ci-dessous sont évo-
quées quelques-unes des principales raisons qui expliquent cet état de fait:

● Exonérations de la législation du travail: dans leur souci d’attirer les investisseurs, certains gou-
vernements excluent les ZFE du champ d’application de la législation nationale.

● Non-application de la législation nationale: Il advient que les gouvernements omettent d’ap-


pliquer les lois nationales dans les zones franches. Les inspections du travail sont irrégulières
et/ou l’appareil judiciaire ne dispose pas de capacités suffisantes.

● Les syndicats sont interdits d’accès dans les ZFE: Les syndicats font face à d’énormes obstacles
lorsqu’ils tentent d’avoir accès aux zones, ce qui les empêche de mener à bien leurs cam-
pagnes d’organisation.

Dans un tel contexte, les employeurs bafouent systématiquement les droits des travailleurs, notam-
ment la liberté d’association, le droit à mener des négociations collectives et le droit de grève.
L’absence généralisée de syndicats dans les zones franches se traduit par une non-représentation
des travailleurs, des dures conditions de travail et une exploitation flagrante et incontrôlée de la
main-d’oeuvre.

Dans la section suivante, nous examinerons la situation sur le plan de la législation du travail en
vigueur dans les zones franches. Nous nous servirons d’exemples concrets illustrant les problèmes
vécus dans les différents pays, notamment les licenciements pour activité syndicale, les fermetures
d’usine et la répression des syndicats.

8
Dérogations à la législation du travail
Dans une majorité de ZFE, la législation du travail est identique à celle en vigueur dans le reste du
pays. Dans certains pays, toutefois, les entreprises investissant dans les ZFE sont exonérées de l’ap-
plication de la législation du travail. Dans la plupart des cas, les pays en cause ont adopté les nor-
mes fondamentales de l’Organisation internationale du travail (OIT), en ce compris la Convention
87 sur la liberté d’association et la protection du droit d’organisation et la Convention 98 sur le
droit d’organiser et de mener des négociations collectives. Priver les travailleuses et travailleurs des
zones franches de leur droit à appartenir à un syndicat et à être représenté par celui-ci constitue
une atteinte flagrante aux normes fondamentales du travail susmentionnées.

Les six zones franches d’exportation (ZFE) du Bangladesh se trouvent actuellement exclues du
champ d’application des principales lois établissant la liberté syndicale et le droit de négociation
collective, autrement dit, aucun syndicat professionnel ou industriel n’y est autorisé. Toutefois, face
au risque de perdre les avantages commerciaux liés au Système généralisé de préférences pour ses
exportations vers les marchés des Etats-Unis et du Canada, le gouvernement avait annoncé que les
syndicats seraient autorisés dans les zones à partir du 1er janvier 2004. Les pressions exercées par
un groupe de 22 entreprises sud-coréennes implantées dans la ZFE de Chittagong ont cependant
fait revenir le gouvernement sur sa décision. En décembre 2003, ces entreprises ont introduit une
pétition au tribunal de grande instance, dans laquelle elles remettent en cause les changements de
statuts proposés. Une législation autorisant la création de syndicats dans les zones a finalement été
adoptée en juillet 2004 mais la force de cette législation a été considérablement restreinte. Les syn-
dicats ne seront pas autorisés à accéder aux zones avant la date butoir de novembre 2006. Après
cette date, la liberté d’association sera grevée de restrictions.

Toujours dans les zones franches bangladaises, nombreux sont les employeurs qui profitent de l’ab-
sence de syndicats pour bafouer les normes internationales du travail. Ces atteintes concernent
notamment le harcèlement sexuel, les heures supplémentaires non-rémunérées, le recours au tra-
vail des enfants, le non-respect des législations sur le salaire minimum et la santé et à la sécurité au
travail. (13)

Jusqu’en 2003, au Kenya, il était interdit aux employé(e)s des ZFE d’adhérer à des syndicats. Les
tentatives des syndicats d’organiser les effectifs dans les zones étaient sévèrement réprimées. A la
suite d’une série de luttes et de grèves acharnées dans les zones en 2003, le gouvernement a concé-
dé aux employé(e)s des ZFE le droit d’adhérer aux syndicats. Au moins 15 000 travailleurs, des fem-
mes pour la plupart, s’étaient mis en grève à cause d’une longue liste de griefs y compris un salai-
re inférieur au salaire minimum, l’absence de couverture médicale, l’inexistence du congé maladie,
la répression syndicale, les horaires excessifs, le harcèlement sexuel et des objectifs de production
irréalistes conduisant à des heures supplémentaires non payées. Une personne a été tuée et au
moins vingt autres blessées après l’attaque par la police anti-émeutes contre les grévistes, avec des
matraques et du gaz lacrymogène. Suite à ce volte-face du gouvernement, le TTWU (Tailors’ and
Textile Workers’ Unions) a entamé l’organisation des travailleurs et a négocié une convention col-
lective couvrant plus de 10 000 employés dans neuf usines appartenant à la ZFE d’Athi River, aux
abords de Nairobi.

Au Togo, la loi prévoit des dérogations à certaines dispositions du code du travail pour les entre-
prises sous le statut de ZFE, notamment en ce qui concerne les réglementations relatives au recru-
tement et au licenciement. Les salariés des zones franches ne jouissent pas de la même protection
contre la discrimination antisyndicale que les autres travailleurs. Dans les zones franches d’exporta-
tion, tous les conflits professionnels sont soumis à l’arbitrage obligatoire. Une grève n’est considé-
rée légale que si l’on a observé une période de 36 jours ouvrables de recherche de conciliation.

Pour contourner les normes fondamentales de l’OIT, certains gouvernements ont inscrit les entre-
prises opérant dans les zones franches au registre d’entreprises fournissant des « services essen-
tiels ». Les employé(e)s appartenant aux services essentiels n’ont pas le droit de faire grève. Au
9
Pakistan, par exemple, la Loi sur le maintien des services essentiels (Essential Services Maintenance
Act) interdit aux travailleurs des ZFE de créer des syndicats ou d’y adhérer, de négocier collective-
ment et de faire grève.

Non-application de la législation nationale


D’une manière générale, l’application non-rigoureuse des lois sociales et de la législation du travail
ont pour résultat que les entreprises opèrent selon des normes moins rigoureuses. Les gouverne-
ments ont parfois du mal à s’assurer de l’application correcte de la législation, et ce, en raison d’une
inspection du travail déficiente ou tout simplement parce que l’appareil judiciaire manque des res-
sources ou du personnel nécessaires pour traiter les griefs. Il peut aussi arriver que le gouvernement
ferme les yeux sur des pratiques illicites, voire encourage la non-application des lois dans le souci
d’inciter les firmes à s’établir ou à se maintenir dans les zones franches.

Les quelque 4 000 maquiladoras (unités d’assemblage) du Mexique emploient plusieurs milliers de
travailleuses et travailleurs, dont bon nombre sont contraints d’accepter des contrats temporaires,
verbaux, qui limitent leur droit d’organisation. Les maquiladoras font généralement appel aux ser-
vices de bureaux de placement. Ces derniers rédigent des contrats à durée déterminée pour satis-
faire aux exigences des clients et ne disposent d’aucun capital pour remplir leurs obligations en cas
de grève. Bien qu’il affirme vouloir oeuvrer à l’élimination des pratiques discriminatoires dans les
zones franches, le gouvernement mexicain permet aux maquiladoras d’opérer à huis-clos et les pro-
tège contre les actions collectives des travailleurs.

Depuis l’entrée en vigueur de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), quelque 3 000


entreprises d’assemblage pour l’exportation se sont installées à Tijuana. D’après une étude réalisée
par une ONG mexicaine, plus de 1 300 000 personnes y travaillent pour moins de six dollars par
jour. Le rapport fait en outre état de conditions de travail déplorables. Environ 40% des effectifs ne
conservent pas le même emploi au-delà de trois mois. Les heures supplémentaires non-rémunérées,
le harcèlement sexuel, la discrimination dans l’emploi, l’absence de dispositions en matière de santé
et de sécurité et les licenciements abusifs sont le lot quotidien de la plupart des employé(e)s des
zones franches.

L’application des lois nationales laisse également à désirer dans le reste de la région. Comme le
montre notre étude de cas, le gouvernement de la République dominicaine ne fait pas d’efforts tan-
gibles pour s’assurer de l’application de la législation du travail. Les employeurs refusent de recon-
naître les syndicats. Dans la zone franche de Santiago, plusieurs employeurs ont fait appel à des
troupes d’assaut pour étouffer les tentatives d’établissement de syndicats. Des listes noires de mili-
tants syndicaux sont en outre diffusées dans les usines.

Aux Philippines, l’application aléatoire de la législation du travail dans les 89 ZFE ainsi que les nom-
breuses restrictions législatives en vigueur font que la plupart des travailleurs sont privés de leurs
droits syndicaux. Le gouvernement philippin affirme que les personnes employées dans les ZFE sont
libres de s’organiser et que les sanctions imposables aux employeurs antisyndicaux peuvent aller
jusqu’à l’interdiction totale d’opérer dans la zone. Toutefois, dans la pratique, l’activité syndicale est
fortement découragée dans les zones franches. Les responsables qui administrent les zones s’éver-
tuent à empêcher l’organisation des effectifs en pratiquant une politique de “tolérance zéro vis-à-
vis des syndicats et des actions de grève”. Ces mêmes responsables affirment qu’ils sont habilités à
mener leurs propres inspections du travail. Les zones sont tristement réputées pour les bas salaires,
les longues heures de travail, les cadences de production inhumaines et l’intimidation des
employé(e)s. Les heures supplémentaires sont la norme et les grilles de l’usine sont souvent ver-
rouillées pour empêcher les travailleurs de partir avant d’avoir terminé leurs tâches ou atteint leur
quota. (14)

Bien que la législation du travail soit appliquée dans les zones franches d’exportation de l’Ile
Maurice, certaines clauses spécifiques ont été introduites autorisant des journées de travail plus lon-
10
gues – 45 heures par semaine outre dix heures supplémentaires obligatoires, alors que les heures
de travail sont limitées à une période allant de 35 à 48 heures pour les entreprises non-couvertes
par le statut ZFE.

Les syndicats privés d’accès aux ZFE


Les syndicats sont confrontés à de grandes difficultés pratiques lorsqu’ils veulent avoir accès aux
zones, surtout lorsque les zones sont des enclaves physiques. Enrico, un syndicaliste philippin a
décrit à la CISL (15) ses difficultés lorsqu’il tente d’organiser la zone franche de Cavite, où seules 39
des 200 entreprises sont syndiquées:

“Il faut entrer en contact avec les travailleurs en dehors de l’entreprise, durant leur trajet de leur domi-
cile au travail, ou sur leur lieu de résidence même. C’est parfois très difficile car les employeurs soudoient
souvent les politiciens, policiers et autres officiels locaux pour qu’ils fassent pression sur les travailleurs
pour les dissuader d’entrer en contact avec des syndicats. La majorité des travailleurs ont peur même de
juste répondre à nos questions, ils craignent pour leur emploi. Les différentes usines à l’intérieur de la
zone sont entourées de fils barbelés et de gardes de sécurité. Impossible de pénétrer sur le territoire de
l’entreprise sans l’autorisation de la direction.”

Dans plusieurs pays, les entreprises opérant dans des zones franches embauchent des vigiles privés, par-
fois armés, pour empêcher les délégués syndicaux de se rendre sur les sites de production. En Inde, bien
que le droit d’adhérer à des syndicats et à mener des négociations collectives existe légalement, l’activi-
té syndicale est très difficile car l’accès aux zones est strictement limité aux travailleurs acheminés par les
autobus de l’entreprise.

Licenciements pour activité syndicale


Les employeurs brandissent communément la menace du licenciement pour exercer leur emprise
sur le personnel. Les employé(e)s des zones ont rarement droit à des contrats à durée indétermi-
née. Les employeurs préfèrent les contrats à court terme car ceux-ci leur permettent d’embaucher
et de congédier des employés à leur gré tout en évitant de devoir cotiser aux droits de maternité
et aux indemnités de licenciement. Comme le montre l’étude de cas de la CAFOD sur le Mexique
incluse dans le présent rapport, les travailleurs vivent dans un climat d’insécurité perpétuelle car ils
sont employés sous contrats à durée déterminée pouvant varier entre 28 jours et trois mois. D’après
des rapports émanant de plusieurs syndicats égyptiens, la plupart des salarié(e)s de la zone franche
Tenth of Ramadan City sont contraints de signer une lettre de démission avant de commencer à
travailler. Ceci permet aux employeurs de se débarrasser des travailleurs à leur convenance.

Au Vietnam, à peine 10% des travailleurs sont engagés sous contrat à durée indéterminée. Pour les
autres, les contrats s’échelonnent entre trois mois et un an, ce qui permet aux employeurs de
contourner les conditions légales de constitution d’un syndicat dans les entreprises de 10 salariés
ou plus.

Les contrats à durée déterminée permettent en outre aux employeurs le recours à la menace de
licenciement lorsque la main-d’oeuvre prend part à des activités syndicales. Chaque année, la CISL
reçoit des informations dûment documentées de pays où des membres et des représentants de syn-
dicats ont été congédiés pour avoir manifesté leur soutien à un syndicat. Il n’est pas rare que les
employeurs dissimulent le motif réel du licenciement en invoquant l’annulation du carnet de com-
mandes ou une baisse de la production.

Les patrons des maquiladoras d’Amérique centrale n’hésitent pas non plus à utiliser les licencie-
ments pour se débarrasser des travailleurs engagés dans la voie du syndicalisme. Une vague de har-
cèlements et de licenciements a déferlé sur l’usine de jeans Tarrant Apparel, à Ajalpan, lorsque les
travailleurs ont tenté de former un syndicat indépendant. Le 10 juin 2004, 800 des 1.300 tra-
vailleurs de l’usine se sont mis en grève pour protester contre les mauvais traitements et le non-
paiement par la direction de leurs primes de participation aux bénéfices. Les travailleurs ont décidé
11
de constituer un syndicat indépendant, le Sindicato Único de Trabajadores de la Empresa Tarrant
México (SUITTAR) et le 7 août plus de 70% des travailleurs y avaient adhéré. Une vague de licen-
ciements a suivi, entraînant le départ de près de 150 travailleurs sur une période de deux semaines.
Entre septembre et octobre, 150 autres personnes ont été licenciées. Le 15 septembre, une orga-
nisation sans but lucratif basée aux Etats-Unis, le Consortium pour les droits des travailleurs
(Workers’ Rights Consortium - WRC), a publié un rapport intérimaire basé sur des entretiens avec
des travailleurs de Tarrant qui indiquait clairement qu’ils avaient été licenciés illégalement et que
leur droit à la liberté syndicale était bafoué.

Dans certaines ZFE, la majorité des effectifs est constituée de main-d’oeuvre migrante en prove-
nance d’autres pays. Qu’il s’agisse d’immigrés clandestins ou de personnes autorisées à demeurer
dans le pays sous certaines conditions particulières, les migrants sont souvent plus exposés aux abus
au travail que leurs collègues du pays d’accueil. Le ministère du Travail des Emirats arabes unis esti-
me que 85% de la main-d’oeuvre dans le territoire est constituée de migrants, dont une majorité
provient d’Asie du Sud. Généralement embauchés pour des périodes allant de trois à cinq ans, les
migrants travaillent dans des conditions extrêmement difficiles et courent le risque de se voir dépor-
tés dans le cas où ils tenteraient d’organiser des syndicats.

Fermetures d’entreprises
Le licenciement collectif constitue l’une des formes de représailles les plus extrêmes auxquelles les
patrons ont recours pour lutter contre les syndicats, notamment lorsque ceux-ci sont sur le point
de réussir à organiser une usine. Dans ce cas, c’est l’ensemble de la main-d’oeuvre de l’usine qui
est licenciée. Il n’est pas rare qu’un employeur auquel une demande de reconnaissance syndicale a
été soumise annonce la fermeture de l’usine et congédie la totalité de l’effectif avant de redémar-
rer la production dans le même pays, mais sous un nom différent.

Un exemple récent de discrimination antisyndicale provient des entreprises Tainan, fournisseur de


vêtements pour diverses grandes marques étasuniennes. La direction a commencé à suspendre et
à licencier des travailleurs, alléguant une réduction du carnet de commandes alors que les tra-
vailleurs étaient engagés dans une longue bataille pour obtenir la reconnaissance syndicale. Juste
après une demande du syndicat de négocier une convention collective, la société a cessé de pro-
duire au Salvador. Ses fabriques en Chine, au Cambodge et en Indonésie continuaient pourtant d’o-
pérer au plus haut niveau de production. Le syndicat a apporté les preuves que la société continuait
de recevoir des commandes mais qu’elle sous-traitait la production afin d’éliminer le personnel syn-
diqué. A la suite d’une campagne internationale, Tainan a été forcée d’ouvrir à nouveau son usine
du Salvador, en novembre 2002, et à négocier les termes du contrat avec le syndicat, finalement
reconnu.

Autre exemple, celui de la société Sara Lee Corporation, fabricant américain mondial de produits
de marques qui, en juin 2004, annonçait la fermeture de ses usines à Cuidad Frontera et Allende,
à Coahuila, au Mexique. Les usines en cause auraient dû être reconverties en centrales de distribu-
tion employant une main- d’oeuvre ne dépassant pas 50 employés; autrement dit, 2.290 person-
nes se seraient retrouvées au chômage. D’après Sara Lee, les usines allaient fermer “pour cause de
changements dans les exigences de production et en prévision de la suppression des quotas sur le
commerce de vêtements” prévue pour le 1er janvier 2005. Toutefois, à en croire les employés des
usines en cause, les fermetures allaient intervenir en représailles contre la mobilisation des tra-
vailleurs pour s’organiser en syndicat et améliorer leurs conditions de travail. (16)

Répression brutale des activités syndicales


Dans certains cas, les travailleurs dont on apprend qu’ils font partie d’un syndicat s’exposent à des
représailles sévères. L’intimidation, les agressions physiques et les menaces de mort sont relative-
ment courantes.

Les ZFE sri-lankaises sont gérées par un organe gouvernemental, le Conseil des investissements
12
(BOI), dont il est question dans notre étude de cas. Le BOI établit les salaires et les conditions de
travail. Il a aussi, par le passé, découragé des syndicats de s’organiser dans les ZFE. Le conflit qui a
éclaté en 2003 à l’usine Jaqalanka Ltd, dans la ZFE de Katunayake en est une illustration flagrante.
Ici, des actes d’intimidation à l’encontre d’employés ont été posés à l’approche des élections syn-
dicales. Des menaces de mort avaient également été adressées à plusieurs dirigeants syndicaux
durant la même période.

Plusieurs travailleurs d’une usine exploitée par la société dominicaine Grupo M dans la zone fran-
che d’exportation de Santiago ont signalé à une délégation de Global Unions en visite dans le pays
en 2003 comment les employés de leur usine avaient été soudoyés et intimidés par la direction
pour les contraindre à abandonner le syndicat. Le secrétaire général du syndicat, Francisco Alvarez,
a été attaqué avec une chaise et un marteau alors qu’il était au travail, et il a dû être emmené sur
un brancard. Zacarias Gonzales, membre du syndicat en cause, a été poursuivi et brutalement frap-
pé par deux hommes armés d’une machette et d’une barre métallique. Il a été enfermé dix jours
en prison, dans la même cellule que les deux hommes qui l’avaient attaqué. Lors de sa libération,
on lui a accordé 21 jours de congé pour maladie. Lorsqu’il est revenu au travail, on lui a offert une
somme d’argent pour qu’il renonce au syndicat. Il a refusé et il a été licencié. Son nom a de plus
été inscrit sur une liste noire.

VII. Conditions de travail

Discrimination sexuelle
Les femmes constituent la majorité de la main-d’oeuvre dans les zones franches. Les employeurs des
ZFE ont tendance à les confiner dans des tâches routinières et répétitives au sein d’industries
conventionnelles, utilisant une main-d’oeuvre intensive, comme la confection et l’électronique.
Certains considèrent les femmes plus dociles, disciplinées et travailleuses que leurs collègues du
sexe masculin. De nombreuses zones dans des pays comme la Thaïlande ou les Philippines ont le
mérite d’avoir fourni aux femmes une voie d’accès vers l’emploi formel, avec des salaires générale-
ment plus élevés que dans les emplois typiques de l’économie non structurée. Il n’en reste pas
moins que les femmes sont encore confrontées à de nombreux obstacles au travail, notamment la
discrimination à l’embauche, dans les salaires et dans les prestations, et le harcèlement sexuel.

Le fabricant de produits informatiques Fujitsu (FCPP), un des leaders mondiaux de la production de


disques durs, est l’un des employeurs qui a eu cette attitude discriminatoire à l’égard des femmes.
Fujitsu compte un effectif de 3.000 employé(e)s dans une de ses usines de la zone franche d’ex-
portation Laguna, aux Philippines. Les femmes constituent 80% de ces effectifs “car elles sont
meilleures que les hommes”, affirme Masaaki Nagamine, président de FCCP, avant d’ajouter qu’elles
ne coûtent qu’un cinquième du prix d’un travailleur qualifié au Japon. Le terme “meilleur” est bien
trop souvent synonyme de “docile” dans le vocabulaire des patrons des ZFE. (17)

Le principe du salaire égal pour un travail de valeur égale fait partie intégrante des normes fonda-
mentales de l’OIT et est exprimé sous forme d’une convention souscrite par bon nombre de gou-
vernements. Pourtant le salaire des travailleuses des zones franches reste souvent inférieur à celui
de leurs collègues masculins, sans compter que les femmes ont un accès plus limité aux possibilités
de formation et de développement.

De nombreux rapports dûment documentés dénoncent des cas de travailleuses de zones franches
forcées de se soumettre à des tests de grossesse. De tels tests ont été imposés dans les maquilado-
ras d’Amérique centrale aussi bien à de nouvelles recrues qu’à des employées en service depuis un
certain temps. Bien que la législation mexicaine interdise désormais la discrimination à l’encontre
des femmes enceintes, cette pratique reste répandue. Notre étude de cas au Mexique inclut le
témoignage d’une jeune travailleuse employée dans une unité d’assemblage d’ordinateurs à
Guadalajara. Elle décrit comment elle a été forcée de se soumettre à un examen médical intime
avant d’être contrainte à passer un test de grossesse.
13
Aux Philippines, la confédération TUCP (Trade Union Congress of the Philippines) signale que des
travailleuses ont été forcées de démissionner alors qu’elles se trouvaient dans leur quatrième mois
de grossesse. Les employeurs ont refusé de les reprendre après l’accouchement (18).

D’après certains syndicats, les femmes auraient moins tendance à adhérer à un syndicat que les
hommes. Les femmes constituent 90% de la main-d’oeuvre dans la zone franche d’exportation
Santacruz Electronics Export (SEEPZ), près de Mumbai, en Inde. Les conditions de travail y sont pré-
caires et les heures supplémentaires obligatoires. Les femmes sont généralement trop jeunes ou
trop craintives pour former des syndicats.

Heures de travail excessives


Face à des prix de vente constamment revus à la baisse et à des délais de livraison de plus en plus
courts, les employeurs réagissent en sous-payant leurs employés et en leur imposant un nombre
excessif d’heures de travail. Le salaire de base dans les zones franches correspond généralement au
salaire minimum et peut dans certains cas être supérieur aux salaires versés par les entreprises natio-
nales. Les entreprises implantées dans les zones spéciales en Chine affirment qu’elles payent deux
à trois fois plus que les entreprises locales de l’Etat, bien que leurs salaires restent très bas (19). Les
heures supplémentaires suscitent souvent le mécontentement car elles sont généralement obliga-
toires et non-rémunérées, ou dans les meilleurs des cas rémunérées au taux de base. L’absence de
syndicats et d’inspections du travail implique que ces pratiques se poursuivent de façon largement
incontrôlée.

Dans les zones industrielles du pays, les employeurs étrangers, essentiellement des groupes textiles
d’Afrique du Sud, de Hong Kong et de Taiwan, paient des salaires inférieurs au minimum légal, refu-
sent de financer les prestations de l’assurance maladie et pratiquent des retenues arbitraires sur le
salaire de leurs employés. Malgré l’existence d’une législation interdisant ces agissements, les auto-
rités ferment les yeux quand des infractions sont commises.

Comme nous montre notre étude de cas au Madagascar, une journée de travail type lors de pério-
des de pointe peut aisément atteindre 15 heures par jour. Les quotas de production sont irréalisa-
bles à l’intérieur des heures de travail normales et les heures supplémentaires sont rémunérées au
taux de base minimum. Dans les zones, des retenues salariales sont imposées aux travailleurs qui
refuseraient de faire des heures supplémentaires ou qui commettraient trop de fautes.

Les salarié(e)s du secteur électronique dans la zone de Dongguan, en Chine, sont contraint(e)s à
des journées de travail excessivement longues pour des salaires inférieurs au minimum légal.
L’étude présentée dans ce rapport inclut l’exemple d’une entreprise taiwanaise où les employé(e)s
de la chaîne d’assemblage ont fait, en moyenne, entre 100 et 120 heures supplémentaires men-
suelles – dépassant de loin le maximum autorisé par la loi qui est de 36 heures par mois. Les salai-
res moyens y étaient bien inférieurs au minimum légal de 54 dollars par mois.

Santé et sécurité
Certaines zones franches fournissent à leurs employé(e)s un logement moderne et fonctionnel, doté
d’installations et de services meilleurs que dans le reste du pays. Toutefois, l’absence de rigueur
dans l’application de la législation du travail et l’insuffisance des inspections du travail ouvrent la
porte au non-respect de la législation sur la santé et la sécurité dans les ZFE. Les syndicats dénon-
cent fréquemment des cas de non respect des normes de santé et sécurité par des entreprises,
notamment en ce qui concerne les équipements de protection, les installations sanitaires, la venti-
lation et la formation aux risques professionnels.

L’absence d’installations sanitaires adéquates et les restrictions imposées à leur utilisation suscitent
de graves préoccupations. En effet, nombreuses sont les entreprises qui restreignent l’accès aux toi-
lettes pour limiter le temps perdu de cette façon et la perturbation du travail en cours. L’entreprise
philippine AAA Inc, qui produit des vêtements pour bébés pour les marques Little Betty, Sears
14
Roebuck et JC Penney, permet à ses employé(e)s de se rendre aux toilettes une fois toutes les qua-
tre heures. (20)

Le verrouillage des travailleurs dans l’usine durant les heures de travail constitue, sans nul doute,
l’une des atteintes les plus flagrantes à la législation sur la santé et la sécurité dans les zones. Cette
pratique, née de la paranoïa du vol chez les employeurs, a été à l’origine de nombreuses morts,
notamment lors d’incendies d’usines. Chaque année au Bangladesh, des fabriques bondées de tra-
vailleurs sont ravagées par des incendies. Les travailleurs sont enfermés à clef, et donc condamnés
à périr par les flammes. (21)

Les bas salaires et les heures de travail excessives impliquent que les travailleurs ne peuvent pas se
reposer suffisamment, ni bien se nourrir, ni accéder facilement aux soins médicaux. D’après une
étude réalisée l’année dernière dans l’industrie vestimentaire (22) par le Bangladesh Institute of
Development Studies, un tiers des femmes interrogées avaient contracté des maladies chroniques
telles qu’infections gastro-intestinales, infections des voies urinaires et anémie depuis qu’elles
avaient commencé à travailler dans le secteur. Une enquête du gouvernement sur les ZFE au
Guatemala a conclu que huit entreprises sur dix opéraient au mépris des normes nationales relati-
ves aux conditions de travail et à la création d’un environnement de travail adéquat pour les
employés.

VIII. Les ZFE et le dialogue social


Les zones franches d’exportation se caractérisent par de mauvaises relations professionnelles et l’ab-
sence de véritable dialogue social entre les employeurs et les représentants syndicaux. Le dialogue
social joue un rôle déterminant dans le développement de mécanismes de communication, de
consultation et de négociation pour l’amélioration de la productivité et des conditions de travail.
Les exemples de dialogue social restent cependant très limités dans les zones franches.

A l’échelon international, l’OCDE et l’OIT ont développé des instruments pour la réglementation
volontaire de la conduite des entreprises multinationales. Toutefois, ces instruments sont fondés sur
des principes volontaires et ne sont, dès lors, pas légalement contraignants (voir encadré ci-des-
sous). Les accords-cadres entre des entreprises multinationales et des fédérations syndicales inter-
nationales prennent de plus en plus d’ampleur et contribuent, dans certains cas, à agencer des
améliorations dans les pratiques de l’emploi dans les zones franches.

Suite aux pressions accrues d’associations de consommateurs en faveur de l’adoption de pratiques


éthiques par les entreprises, de nombreuses multinationales ont adopté des codes de conduite,
dont certains incluent des clauses relatives aux normes du travail dans leur chaîne d’approvision-
nement. Malheureusement, l’immense majorité de ces codes excluent les normes fondamentales
du travail de l’OIT et omettent de tenir compte de la liberté d’association. La mise en oeuvre de
ces codes reste aléatoire, les travailleurs n’étant généralement même pas au courant de leur exis-
tence. Les dispositions de ces codes sont systématiquement bafouées. Les exemples de codes de
conduite “crédibles”, c’est à dire de codes intégrant les normes du travail dans les pratiques essen-
tielles de l’entreprise et de la chaîne d’approvisionnement, sont rares.

Dans certains cas, les administrations des zones franches ont inclus les syndicats au sein de leur conseil
d’administration. Dans d’autres, elles ont encouragé les entreprises à mettre sur pied des comités mix-
tes employés/patronat. Il n’en reste pas moins, comme le démontre l’étude de cas du Sri Lanka, que
la présence de tels comités peut être exploitée pour saper les syndicats. La réalité sur le terrain démon-
tre qu’il y a moins de conflits professionnels et moins de renouvellement de main-d’oeuvre dans les
entreprises où un dialogue social en bonne et due forme a pu être mis sur pied. (23)

D’après plusieurs syndicats qui ont réussi à organiser des entreprises dans les zones franches, le dia-
logue social et/ou les pressions sur les employeurs auraient conduit à des améliorations des condi-

15
tions de travail. Les acquis syndicaux se traduisent essentiellement par des augmentations salaria-
les, la résolution des griefs concernant les heures supplémentaires obligatoires et des améliorations
dans le domaine de la santé et de la sécurité. L’étude de cas de Corazón Apparel, au Honduras, nous
montre que les travailleuses et travailleurs de l’usine vestimentaire ont réussi, non sans peine, à
améliorer les conditions de travail dans leur usine, grâce à la conclusion d’une convention collecti-
ve. A ce propos, le délégué syndical José Santos a déclaré: “Désormais il n’y a plus d’abus. Ils nous
traitent comme des êtres humains, comme des employés à part entière.” Dans les ZFE à Maurice, où
les emplois sont menacés par le démantèlement imminent des quotas textiles, les syndicats ont
lancé un appel au renouvellement du dialogue social propre à la culture et à la tradition mauri-
ciennes.

Le mouvement syndical international a prêté son soutien aux travailleuses et travailleurs de nom-
breuses zones franches dans leurs tentatives d’organisation de syndicats, et ce, par le biais de cam-
pagnes de solidarité, de discussions avec les employeurs et de pressions sur le gouvernement. Ces
campagnes ont conduit à des victoires, notamment lorsque les conflits concernaient des marques
mondialement connues. La conclusion de conventions collectives se concrétise plus souvent avec
des entreprises multinationales car elles craignent que la publicité provoquée par les campagnes
internationales de protestation ne suscite des réactions défavorables chez les consommateurs.

IX. Conclusion

La contribution à long-terme des ZFE au développement réél des pays d’accueil est loin d’être évi-
dente. Au delà de l’apport de devises et de la création d’emplois malheureusement souvent pré-
caires et volatiles, encore faudrait-il juger de cette contribution également sur base de critères tels
que la capacité des entreprises à fournir des conditions de travail décentes, ou tels que leur condui-
te à l’égard des syndicats. Il ressort d’un rapport récent de l’ONU (24) que les zones qui ont réus-
si sont celles où les gouvernements ont appliqué des stratégies pour encourager des investissements
étrangers de meilleure qualité et des produits et services de valeur accrue. Le dialogue social, le
développement des compétences et l’amélioration des conditions de travail font partie intégrante
d’une telle approche.

Certains employeurs sont prêts à reconnaître les risques que suppose une “course vers le bas” en
matière de salaires et de normes de travail. Certains sont aussi inquiets de la menace que fait peser,
dans plusieurs pays, le démantèlement imminent des quotas d’exportation textiles en 2005. Dans
ce contexte, des fabricants commencent à se tourner vers une meilleure gestion des ressources
humaines et des relations professionnelles pour accroître la productivité du secteur vestimentaire.
Au Bangladesh et aux Philippines, notamment, où l’industrie vestimentaire subira de lourdes per-
tes suite à la suppression des quotas textiles, une poignée d’entrepreneurs travaillant en collabora-
tion avec les syndicats ont d’ores et déjà démontré les avantages liés à des relations professionnel-
les constructives et à un meilleur respect des travailleurs.

Les rapports sur l’Afrique, l’Asie et les Amériques, présentés dans ce document, évoquent les expé-
riences des travailleuses et travailleurs des zones franches. Ces femmes et ces hommes prennent leur
courage à deux mains pour revendiquer un travail décent et le respect de leurs droits légitimes. Il
revient aux syndicats, aux employeurs, aux consommateurs et aux gouvernements du monde
entier d’être à l’écoute de ces travailleuses et travailleurs et de prêter leur soutien à leur lutte.

16
Les accords de l’OMC et les ZFE
Accord sur les textiles et les vêtements
L’Accord multifibre (AMF) a eu une incidence considérable sur les zones franches d’exportation et de nom-
breux emplois risquent de disparaître dans les ZFE lorsque cet accord touchera à sa fin au terme de 2004.

Cet accord commercial adopté en 1973 par les Etats-Unis, le Canada et l’Union européenne imposait des
restrictions sur la quantité de produits textiles que des pays tiers pouvaient exporter vers les pays signatai-
res de l’accord. La fin de l’AMF en 2004 coïncidera avec la fin de l’Accord sur les textiles et les vêtements
(ATV), qui régissait un programme de démantèlement de l’AMF sur dix ans. A partir de 2005, tous les
membres de l’OMC jouiront d’un accès sans restrictions aux marchés de l’UE, des Etats-Unis et du Canada.

Les accords susmentionnés se basaient sur un système de quotas d’exportation spécifiques au secteur ves-
timentaire. Les quotas établissaient des limites sur la quantité par catégorie de vêtements (des pulls, par
exemple) et de textiles qui pouvaient être exportés aux Etats-Unis, au Canada et à l’Union européenne.
Les quotas variaient selon le pays et le produit et étaient souvent basés sur des niveaux d’exportation his-
toriques. Les quotas accordés à des exportateurs hautement concurrentiels comme la Corée et la Région
administrative spéciale de Hong Kong (Chine) étaient généralement restreints, tandis que ceux accordés
à des exportateurs moins compétitifs avaient tendance à être plus élevés. Ceci avait pour résultat que les
exportateurs étaient disposés à se déplacer partout dans le monde pour exploiter les quotas disponibles,
contribuant par là-même à la création de millions d’emplois dans des pays où la production vestimentai-
re avait jusque là été très limitée, voire inexistante. Ainsi, par exemple, au Sri Lanka, les revenus générés
par l’exportation de vêtements sont passés de 623 millions de dollars en 1990 à plus de 2,7 milliards de
dollars en 2000, représentant 50 % des exportations totales du pays.(25)

Aujourd’hui, les pays bénéficiant de quotas élevés veulent savoir quelles sont leurs chances de préserver les
investissements dans l’industrie du vêtement au-delà de 2005. Les experts formulent leurs prédictions
basées sur les phases initiales du programme de démantèlement. Les industries du textile des Philippines
et de l’Île Maurice ont d’ores et déjà perdu du terrain au profit de la Chine qui, armée d’une capacité de
production pratiquement illimitée et d’une main-d’œuvre, très bon marché et disciplinée, promet d’être
une force dominante du marché mondial post-AMF. Dans certains créneaux particuliers du secteur vesti-
mentaire, la part des importations chinoises aux Etats-Unis ont augmenté de 10 à 60 % en l’espace de trois
ans. Le Pakistan et l’Inde promettent eux aussi de tirer parti de la suppression de l’AMF. La CISL surveille
depuis un certain temps l’impact du démantèlement de l’AMF sur l’industrie et les droits des travailleurs
dans les pays en développement. Elle se dit inquiète de l’incidence négative que pourrait avoir le déman-
tèlement du système des quotas sur les pratiques du travail dans le cas où les entreprises risquent de cher-
cher à investir en fonction du meilleur coût de main- d’oeuvre et de la faiblesse de la législation du travail.

Il va sans dire que les pays qui tiennent à conserver les investissements et l’emploi dans l’industrie vesti-
mentaire après 2005 devront accroître la compétitivité du secteur. Certains envisagent de procéder à une
diversification du marché et des produits, tandis que d’autres se recentrent sur l’amélioration de la pro-
ductivité. Le Fonds monétaire international dispose d’un fonds d’un milliard de dollars destiné à aider les
pays les plus faibles à s’adapter. Pendant ce temps au Bangladesh, les producteurs de vêtements et l’OIT
planchent sur un programme de trois ans destiné à améliorer les relations professionnelles et la qualité des
emplois pour assurer la survie du secteur après la fin de l’AMF.

Accord sur les subventions à l’exportation


L’accord de l’OMC sur les subventions et les mesures compensatoires a également eu une incidence sur la
façon dont opèrent les ZFE. Depuis l’entrée en vigueur de cet accord en janvier 2003, de nombreux pays
membres de l’OMC se sont vus dans l’incapacité de fournir certains types de subventions à l’exportation.
Les pays peuvent cependant obtenir des exemptions jusqu’en 2007, à condition d’en faire préalablement
la demande. D’autre part, les pays les moins développés sont automatiquement éligibles pour l’exemption

17
de l’obligation de réduction des subventions telle qu’elle est stipulée dans l’accord.
Les Principes directeurs de l’OCDE et la Déclaration de l’OIT:
deux outils précieux
Il y a eu plusieurs tentatives d’établissement de lignes directrices internationales pour la régulation de la
conduite des entreprises multinationales et la définition de leur rapport avec les pays d’accueil. Deux des
instruments les plus significatifs à avoir été développés à ce jour sont la Déclaration de l’OCDE sur l’in-
vestissement international et les entreprises multinationales, et la Déclaration de principes tripartite de
l’OIT sur les entreprises multinationales et la politique sociale. Ces instruments n’ont pas force exécutoi-
re mais peuvent, s’ils sont correctement appliqués, contribuer à la résolution des préoccupations essen-
tielles relatives à la protection sociale et de l’emploi dans les zones franches d’exportation.

La Déclaration tripartite de l’OIT est un code international non-contraignant adopté par des gou-
vernements, des employeurs et des organisations des travailleurs à la Conférence du travail de l’OIT en
1977. Cette Déclaration porte sur l’ensemble des activités des multinationales. Plusieurs points concer-
nent spécifiquement les activités des multinationales dans les zones franches d’exportation :

● Le paragraphe 46, par exemple, stipule que là où les gouvernements des pays d’accueil offrent
des avantages particuliers pour attirer les investissements étrangers, ces avantages ne devraient
pas se traduire par des restrictions quelconques apportées à la liberté syndicale des travailleurs ou
à leur droit d’organisation et de négociation collective.
● Le paragraphe 33 de cette Déclaration affirme que les salaires, prestations et conditions de tra-
vail offerts par les entreprises multinationales ne devraient pas être moins favorables pour les tra-
vailleurs que ceux qu’accordent d’autres employeurs du même type dans le pays concerné.
● Le paragraphe 37 souligne que les multinationales devraient maintenir les normes de sécurité et
d’hygiène les plus élevées, conformément aux exigences nationales.
● Le paragraphe 49 affirme que les travailleurs employés par les entreprises multinationales
devraient avoir le droit, conformément à la législation et à la pratique nationales, de faire recon-
naître des organisations représentatives de leur propre choix aux fins de la négociation collecti-
ve.

La Déclaration de l’OCDE, adoptée en 1976, est un engagement politique visant à améliorer le climat
des investissements et à encourager une contribution positive des entreprises multinationales au progrès
économique et social. La Déclaration inclut des Principes directeurs à l’intention des entreprises multina-
tionales, auxquels les multinationales sont encouragées à adhérer. Les Principes directeurs sont des
recommandations non-contraignantes adressées par les gouvernements de l’OCDE aux entreprises mul-
tinationales opérant dans les pays membres ou à partir de ces derniers. Ils expriment des principes et des
normes de conduite pour les enterprises multinationales dans un éventail de domaines, dont notamment
l’emploi, les relations professionnelles, les droits humains, l’environnement et la concurrence. Le but est
de “favoriser la contribution positive que les entreprises multinationales peuvent apporter au progrès éco-
nomique, social et environnemental, en contribuant à ce qu’elles opèrent en harmonie avec les politiques
nationales de leur pays d’accueil.

La Déclaration s’applique à tous les gouvernements des pays de l’OCDE, ainsi qu’à l’Argentine, au Brésil
et au Chili, et à toutes les entreprises multinationales qui agissent à l’intérieur de ces frontières ou qui ont
leur siège dans l’un de ces pays.

L’incidence des Principes directeurs de l’OCDE, révisés en 2000, est comparable à celle de la
Déclaration de l’OIT: Il s’agit de deux séries de directives positives créant un cadre international pour
réglementer les entreprises multinationales et leur conduite sociale. Ces documents constituent les deux
ensembles les plus importants de normes reconnues à l’échelon international dans ce domaine à ce jour.

Pour plus d’informations cliquez sur les liens suivants: www.oecd.org et www.ilo.org Voir aussi “Le guide
syndical de la mondialisation” à l’adresse: http://www.icftu.org/displaydocument.asp?Index=
991215024&Language=FR de même que le Guide de l’utilisateur des Principes Directeurs de l’OCDE à
l’intention des Entreprises Multinationales à l’usage des membres des syndicats:

18
http://www.tuac.org/publicat/guidelines-FR.pdf
Notes
(1) Site Web de la ZFE de Shannon : www.shannonireland.com
(2) Site Web de l’OIT: www.ilo.org
(3) Base de données de l’OIT sur les zones franches d’exportation. Jean-Pierre Singa Boyenge. OIT. 2003
(4) Statistiques sur l’emploi dans les ZFE. Février 2004. Site Web de l’OIT.
(5) L’emploi et la politique sociale dans les zones franches d’exportation (ZFE). Commission de l’emploi et de la politique
sociale. 286ème Session. OIT. Mars 2003
(6) Statistiques sur l’emploi dans les ZFE. Février 2004. Site Web de l’OIT.
(7) PREM notes Economic Policy. No. 11. December 1998. Dorsati Madani. The World Bank.
(8) L’emploi et la politique sociale dans les zones franches d’exportation (ZFE). Commission de l’emploi et de la politique
sociale. 286ème Session. OIT. Mars 2003
(9) Promotora del Comercio Exterior de Costa Rica. Mentionnée dans L’emploi et la politique sociale dans les zones fran-
ches d’exportation (ZFE). Commission de l’emploi et de la politique sociale. 286ème Session. OIT. Mars 2003
(10) L’emploi et la politique sociale dans les zones franches d’exportation (ZFE). Commission de l’emploi et de la politique
sociale. 286ème Session. OIT. Mars 2003
(11) “In Mexico, Maquiladoras are growing once again.” The New York Times. 4 septembre 2004
(12) Ressources humaines et relations professionnelles. Informations sur le programme de l’OIT dans les ZFE, inclus dans
le Site Web de l’OIT.
(13) Rapport annuel sur les violations des droits syndicaux 2004. CISL. Sauf mention contraire, tous les cas mentionnés aux
pages suivantes proviennent de la même source.
(14) Philippines: Une brèche syndicale dans les zones franches. CISL. Dossier du Monde syndical No. 5. Août 2003
(15) idem
(16) Lettre en date du 7 septembre 2004 adressée à Steven McMillan, Président - Directeur exécutif de Sara Lee
Corporation par Kenneth Georgetti, Président du Canadian Labor Congress.
(17) Philippines: Une brèche syndicale dans les zones franches. CISL. Dossier du Monde syndical No. 5. Août 2003
(18) idem
(19) “The dragons turning China into the world’s workshop.” Financial Times. 26/11/2003
(20) Philippines: Une brèche syndicale dans les zones franches. CISL. Dossier du Monde syndical No. 5. Août 2003
(21) Zones franches d’exportation – Exploitation maximale pour un développement minimal. CISL. septembre 2003
(22) Bangladesh : la tension monte…. CISL. Dossier du Monde syndical Nº5. Juillet 2004
(23) L’emploi et la politique sociale dans les zones franches d’exportation (ZFE). Commission de l’emploi et de la politique
sociale. 286ème Session. OIT. Mars 2003
(24) Rapport sur les investissements dans le monde 2002 .CNUCED

19
Bangladesh: les syndicats interdits dans
les zones franches d’exportation
Les conditions de travail sont dures dans les zones franches (ZFE) du Bangladesh, mais meilleures
cependant que dans le reste des entreprises du pays. L’interdiction d’activité syndicale dans ces
zones ne devrait prendre fin qu’en novembre 2006. D’importantes restrictions à la liberté d’asso-
ciation persisteront après cette date.

Le Bangladesh compte six zones franches d’exportation à l’heure actuelle: Dhaka, Chittagong,
Khulna (Mongla), Comilla, Uttara et Ishwardi. Pas moins de 135.000 travailleurs (en majorité des
femmes) y sont employés dans plus de 190 entreprises sur une main-d’œuvre nationale totale de
58 millions de personnes. Le secteur du textile, de l’habillement et du cuir est le point fort de ces
zones, dont la production représente le cinquième de la valeur des exportations du Bangladesh.
L’un des incitants importants pour les investisseur est l’exemption de paiement de taxes pour une
période de dix ans. Ces investisseurs viennent principalement de Corée du Sud, mais aussi du
Japon, des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de Chine, etc. La gestion professionnelle des zones est un
autre élément attractif majeur: “Nous ne comptons plus les fois où l’alimentation électrique est cou-
pée en dehors des zones, explique M.M. Masud, le directeur de Dada, une entreprise sud-coréen-
ne située dans la zone de Savar (Dhaka) qui produit principalement des chapeaux et casquettes
pour de grandes marques comme Nike et Tommy Hilfinger. Ici, les autorités font en sorte que nous
soyons toujours alimentés en électricité, en gaz et en eau. Et puis, le service de sécurité est perfor-
mant, ce qui nous place à l’abri de perturbations externes, par exemple d’origine politique”.

Par “perturbation externes”, les patrons des entreprises situées dans les zones entendent “activités
syndicales”. Les syndicats bangladais ont en effet une très mauvaise image auprès des employeurs
de ce pays. Pour ceux-ci, les syndicats sont tous manipulés par les partis politiques, ils défendent
surtout leurs propres intérêts et pas à ceux des travailleurs, et sont donc très malvenus dans les usi-
nes. Il est vrai qu’un certain nombre de syndicats bangladais sont bien plus proches des hautes
sphères politiques que des travailleurs, et sont prêts à manipuler leurs membres pour servir au
mieux les intérêts de l’un ou l’autre parti. Tous les syndicats du Bangladesh ne sont toutefois pas à
mettre dans le même sac. De remarquables dirigeants syndicaux bangladais dédient leur vie à la
cause des travailleurs, mais ils sont victimes de l’image conférée au mouvement syndical par les aut-
res, une image que les employeurs se plaisent à propager en l’exagérant.

Diabolisation des syndicats


Comme dans de nombreux pays, c’est dans les ZFE que les patrons sont les plus allergiques à toute
idée de syndicalisme. “En raison de leur peur des syndicats, nous leurs avons promis la paix à ce
niveau pour une période limitée dans le temps, explique Md. Zakir Hossain, président de la BEPZA
(Bangladesh Export Processing Zones Authority, l’autorité qui gère les zones franches). Cette pério-
de d’interdiction d’activité syndicale dans les zones devait prendre fin début 2004, mais elle a été
retardée de quelques mois”. Les employeurs des ZFE déclarent vouloir respecter les droits des tra-
vailleurs et discuter avec ces derniers à travers des “comités pour le bien-être des travailleurs” sans
affiliation avec des syndicats externes aux entreprises. La virulence de leurs propos antisyndicaux
atteint parfois des sommets qui frisent le ridicule. “Nous sommes en danger car nos investisse-
ments, qui s’élèvent à 1 milliard de dollars, seraient réduits à néant, et 130.000 travailleurs pour-
raient perdre leur emploi si les syndicats sont autorisés dans les ZFE”, déclarait en décembre 2003
Kihak Sung, le patron de Youngone, l’une des plus grande entreprises établies dans les ZFE du
Bangladesh.

Ces propos excessifs faisaient partie d’une propagande patronale qui visait à dissuader le gouver-
nement d’autoriser les syndicats dans les ZFE. Cela fait des années en effet que le gouvernement
promet de supprimer l’interdiction des syndicats dans ces zones mais ne passe jamais à l’acte par
crainte des réactions patronales. Le gouvernement a été confronté à la pression des syndicats inter-
nationaux, dont la FITTHC (Fédération internationale des travailleurs du textile, de l’habillement et
20
du cuir), qui a déposé une plainte auprès du BIT, et des Etats-Unis, qui menaçaient de supprimer
au Bangladesh les avantages commerciaux liés au Système généralisé de préférences si les restric-
tions au syndicalisme dans les ZFE n’étaient pas supprimées.

Les syndicats permis après 2006


Une loi concernant la présence des syndicats dans les ZFE a finalement été adoptée en juillet 2004.
Elle n’est guère satisfaisante pour le mouvement syndical car elle impose de nombreuses restrictions.
La première est que la fin de l’interdiction des syndicats dans les zones franches n’est fixée qu’en
novembre 2006. Durant les deux prochaines années, seuls les « comités pour le bien-être des tra-
vailleurs » peuvent exister, comme à l’heure actuelle. Après la fin de l’interdiction, les entraves à la
liberté syndicale seront nombreux: les syndicats des usines d’une zone franche n’auront l’autorisation
que de former une seule fédération, et cette fédération ne pourra s’associer aux fédérations des aut-
res zones franches pour former une confédération représentants tous les travailleurs affiliées dans les
zones. Les syndicats formés dans les ZFE ne pourront pas non plus s’affilier à une fédération syndica-
le nationale. Ces restrictions sont des violations de la Convention n°87 de l’OIT sur la liberté syndica-
le et la protection du droit syndical, et notamment de son article 5, qui stipule que “Les organisations
de travailleurs et d’employeurs ont le droit de constituer des fédérations et des confédérations ainsi
que celui de s’y affilier”.

Une fois passée la date de novembre 2006, rien ne garantit que les travailleurs auront la possibilité de
créer des syndicats sans entrave, même au sein d’une seule entreprise. Les autorités bangladaises ont
en effet pour habitude de fermer les yeux sur les pratiques antisyndicales largement répandues dans
le pays, alors que la législation du pays consacre la liberté d’association en dehors des zones franches.
Le dernier rapport annuel sur les violations des droits syndicaux de la CISL est clair à ce sujet: “Les tra-
vailleurs qui essaient de créer un syndicat ne sont pas protégés avant son enregistrement et sont dès
lors souvent victimes de persécutions de la part de leurs employeurs, parfois par des moyens violents
et avec l’aide de la police. Les noms des travailleurs qui demandent l’enregistrement d’un syndicat
sont fréquemment communiqués aux employeurs qui s’empressent de les transférer ou de les ren-
voyer, particulièrement dans le secteur textile. Même après l’enregistrement des syndicats, les tra-
vailleurs soupçonnés de mener des activités syndicales sont régulièrement harcelés. Une méthode cou-
ramment employée consiste à licencier un travailleur pour mauvaise conduite. Il perd ainsi le droit de
devenir responsable syndical. Introduire une plainte auprès du tribunal du travail ne sert pas à grand-
chose, vu la corruption qui sous-tend un certain nombre de ces décisions et le retard dans le traite-
ment des dossiers, qui est, dans certains cas, de plus de dix ans”. Etant donné la virulence des propos
antisyndicaux tenus par les employeurs des ZFE, il y a tout lieu de craindre que la liberté d’association
qui y sera proclamée après novembre 2006 ne sera pas moins entravée qu’ailleurs dans le pays.

Ceci dit, si les zones franches du Bangladesh sont exemptes du respect d’une partie de la législation
du travail, notamment pour ce qui concerne la liberté d’association, les niveaux de salaire et les nor-
mes de santé et sécurité, la réglementation interne aux zones contient des dispositions parfois plus
avantageuses pour les travailleurs que celles de la législation nationale du Bangladesh. D’une façon
générale, les conditions de travail et les salaires dans les zones franches sont meilleurs qu’à l’extérieur.
L’un des facteurs expliquant cette situation est que les entreprises des zones sont récentes et ont la
place de se développer alors que les usines qui ont grandi dans les centres-villes sont souvent confi-
nées sur quelques étages dans d’anciens buildings qui n’étaient pas prévus pour une activité indus-
trielle. Il est donc plus facile de prévoir une bonne ventilation, de meilleurs sanitaires et un peu plus
d’espace pour les travailleurs dans les zones franches. La finalité d’exportation de ces zones oblige par
ailleurs ses gestionnaires à imposer un environnement de travail plus “présentable” aux grandes
marques soucieuses de leur image. Ces meilleures conditions de travail et les meilleurs salaires ont
pour conséquence que les travailleurs des ZFE sont en général en meilleure santé que ceux employés
à l’extérieur, comme a pu le montrer une étude menée l’an dernier par un institut bangladais.

Une situation meilleure… mais par rapport à quoi?


Il n’y a pas grand exploit pour les employeurs des ZFE à présenter leurs entreprises comme “meille-
21
ures” par rapport à celles qui opèrent à l’extérieur de ces zones. La situation des travailleurs et tra-
vailleuses est généralement meilleure dans les zones franches car bon nombre d’ entreprises situées
à l’extérieur imposent des conditions de travail moyenâgeuses à leur personnel et les accidents de
travail y sont nombreux, une situation imputable à la violation quasi généralisée de la législation du
travail bangladaise. Idem en ce qui concerne le niveau des salaires. “Les salaires dans l’usine Dada
à Savar sont 45% supérieurs à ceux de notre autre usine située à l’extérieur des zones franches,
explique M.M. Masud, le directeur de Dada. Le salaire moyen est ici de 50 à 60 dollars par mois
pour un travail effectué six jours sur sept”. Néanmoins, la main-d’œuvre au Bangladesh est l’une
des moins chères du monde et les salaires – même dans les ZFE - sont très bas.

Vu l’absence de syndicats dans les zones franches, il est difficile d’obtenir des informations fiables
sur les abus dont pourraient être victimes les travailleurs. Selon le dernier rapport annuel de la CISL
et plusieurs organisations non gouvernementales bangladaises, les cas d’exploitation sexuelle des
travailleuses y demeurent nombreux. La CISL déplore aussi des pratiques de travail dangereuses et
de nombreux cas d’heures supplémentaires non payées. Selon la CISL et la FITTHC, seule la créa-
tion rapide de syndicats indépendants dans les zones franches du Bangladesh permettront de limi-
ter ces abus.

Des travailleurs en danger

Créer un syndicat pour les travailleurs employés à l’extérieur des zones franches s’avère particu-
lièrement difficile. Deux millions de femmes, réparties à travers 3.300 entreprises, y occupent
aujourd’hui des emplois dans le secteur de la confection textile destinée à l’exportation. Seules
127 de ces entreprises ont un syndicat officiellement enregistré et moins d’une douzaine d’em-
ployeurs sont engagés dans des négociations devant conduire à la création de nouvelles struc-
tures du même type. Des travailleurs sont régulièrement licenciés, tabassés ou font l’objet de
fausses charges de la part de la police pour leurs activités au sein de syndicats. Nurul Islam, 45
ans et père de quatre enfants est secrétaire général du syndicat textile UFGW (United Federation
of Granment Workers, affilié à la CISL) et coordinateur du centre de santé créé par trois syndicats
de la zone de Keranigonj. Il a déjà été arrêté une dizaine de fois, dont la dernière remonte au 1er
mars 2004. “J’étais dans le bureau de mon syndicat, qui est situé dans le même bâtiment qu’u-
ne section locale d’un parti politique. La police est arrivée en grand nombre et a arrêté toutes les
personnes qui se trouvaient dans ce bâtiment. On nous a jetés en prison et on m’a faussement
accusé de détenir des explosifs. J’ai passé onze jours dans une cellule qui pouvait contenir quat-
re personnes mais où on nous étions entassés à seize. Les conditions sanitaires étaient horribles”.

Les travailleurs qui essaient de mettre sur pied un syndicat font aussi l’objet de mauvais traite-
ments et de discriminations de la part des employeurs. “Nous sommes parvenus à créer 18 syn-
dicats dans des entreprises textiles à Mirpur, une zone proche de Dhaka”, explique le responsa-
ble d’une importante fédération syndicale affiliée à la CISL. “Dans chaque cas, le travailleur le plus
militant pour la création du syndicat a été licencié. Une procédure en justice permet de les réin-
tégrer, mais c’est à chaque fois une perte de temps et d’énergie. Les employeurs ne cessent d’u-
tiliser toute une série de vexations pour nous décourager, comme lorsqu’ils suspendent les salai-
res pour un mois ou deux. Ils savent qu’ils seront perdants devant les tribunaux, mais ce sont tou-
tes des pratiques vexatoires pour saper le moral des militants”.

Plus grave encore, l’hostilité à l’égard des syndicats peut conduire au meurtre. En mai 2004,
Ashanullah Master, président de la Jatio Sramik League (JSL, une affiliée de la CISL) a été abattu
durant une manifestation. Début 2003, Aminul Islam Chowdhury, président du comité du dis-
trict de Bhalo du JSL est décédé alors qu’il se trouvait en garde à vue dans une caserne militaire.

Samuel Grumiau

22
Chine: l’”usine globale” (*)

L’industrie électronique
Au niveau mondial, la Chine se classe, actuellement, premier pays en développement en terme
d’exportation (1), premier pays bénéficiaire d’investissements étrangers directs (IED) (2), et qua-
trième producteur après les Etats-Unis, le Japon et l’Allemagne (3). Le pays a connu une croissance
exportatrice phénoménale envoyant des ondes de chocs sur la plupart des marchés. En 2002, la
Chine était responsable de 60% de la croissance exportatrice mondiale (4).

Les vingt dernières années ont vu l’émergence de la Chine comme principal site de production
électronique à l’échelle planétaire. A l’heure même où l’industrie électronique asiatique se trouve
en crise, les rapports émanant de Chine font état d’une multiplication par deux de la production
en 2003 (5). En 1999 et 2000, les équipements de télécommunication et d’informatique étaient les
deux principaux produits exportés par la Chine (6). En 2000, les technologies de pointe représen-
taient 22% des exportations totales de la Chine (7). Au cours de la même année, 25 des 30 princi-
pales transnationales étrangères à exporter à partir de la Chine appartenaient aux secteurs de l’é-
lectronique et des télécommunications (8). Le pays est en passe de devenir une « usine globale »
pour l’industrie informatique. Des complexes industriels gigantesques, dont bon nombre sont
financés par des capitaux taiwanais, produisent les composants et les pièces détachées destinées à
l’industrie électronique mondiale.

Les usines chinoises exécutent une partie importante de la production et de l’assemblage de compo-
sants: les usines situées dans la région du Pearl Delta produisent des CD-ROM et des DVD-ROM, des
scanners, des claviers, des moniteurs, des PC et ordinateurs portables, des pièces détachées (conden-
sateurs, résistances, etc.), des circuits imprimés, des adaptateurs et des téléphones mobiles (9).

La main-d’oeuvre
L’essor industriel de la Chine est attribué en partie aux bas salaires (10). En effet, les salaires chinois
ne représentent qu’une fraction des salaires pratiqués par les principaux concurrents du pays: ils
équivalent à la moitié du salaire moyen en Indonésie, à un quart du salaire moyen en Malaisie et
Philippines, à un huitième de celui du Mexique et à environ 5% du salaire du secteur taiwanais de
la production (11). En Chine, le salaire moyen dans le secteur de la production est de 0,60 dollar
par heure (12). La main-d’œuvre est alimentée par une réserve inépuisable de chercheurs d’emploi
migrants issus des régions rurales de la Chine.

Si la production électronique se trouve concentrée dans la région du Pearl Delta, la plupart des
employés des usines chinoises proviennent des régions du Nord. Il s’agit majoritairement de jeunes
femmes à la recherche d’un emploi dans une usine exportatrice. Elles espèrent ainsi économiser de
l’argent pour subvenir aux besoins de leur famille (13). En général, la main-d’œuvre est recrutée
par le biais d’agences de placement et d’établissements spécialisés dans la formation professionnelle
et installés dans les provinces de l’intérieur.

La majorité des employées vivent très à l’étroit dans des dortoirs situés à l’intérieur du périmètre de
l’usine. Chaque dortoir est partagé par une quinzaine de personnes qui dorment dans des lits
superposés. Il existe d’importantes différences entre les dortoirs. Certains sont considérés accepta-
bles par les travailleuses. D’autres sont insalubres, mal chauffés et/ou insuffisamment ventilés, sans
accès à l’eau chaude ou à une buanderie adéquate. Au bout de onze heures de travail, les
employées sont souvent obligées de faire la queue pendant des heures avant de pouvoir se dou-
cher. Elles prennent généralement leur repas à l’intérieur de l’usine. Certaines usines fournissent des
23
repas corrects. Ailleurs, les employées se plaignent de la qualité de l’alimentation.

Heures supplémentaires excessives et salaires insuffisants


Les heures supplémentaires très nombreuses et obligatoires sont endémiques dans les usines chi-
noises. Le secteur électronique ne fait pas exception à la règle. Aux termes de la législation chinoi-
se, les salariés ont droit à un jour de congé hebdomadaire au minimum et les heures supplémen-
taires ne peuvent dépasser trois heures par jour ou 36 heures par mois. Le salaire minimum à
Dongguan, où s’est déroulée la majeure partie de l’étude réalisée par CAFOD, s’élevait à environ 54
dollars par mois en 2002; le salaire minimum est calculé sur base d’une journée de huit heures, tou-
tes heures supplémentaires exclues. Toujours en vertu de la législation chinoise, les heures supplé-
mentaires doivent être rémunérées à 150% du salaire journalier normal en semaine, à 200% le
samedi et le dimanche, et à 300% lors de jours fériés publics. Toutefois, les autorités chinoises en
charge des droits du travail omettent d’appliquer la loi, notamment en raison d’un manque à
gagner sur le plan des capacités de la main-d’œuvre: leur personnel ne dispose pas des ressources
nécessaires et n’est pas adéquatement formé.

Les employés des usines électroniques qui fournissent les principales marques du marché travaillent
systématiquement au-delà du maximum d’heures autorisées sans avoir droit aux majorations pré-
vues par la loi. Citons l’exemple de cette entreprise taiwanaise qui possède cinq fabriques à
Dongguan City et qui fournit une kyrielle de composants à des grandes marques d’ordinateur, en
ce compris des alimentations et des adaptateurs, des circuits imprimés, des écrans, des ventilateurs,
des moteurs pour ordinateurs, des CD-ROM, ainsi que des produits utilisés dans l’installation de
réseaux et d’éclairage. Durant les périodes de pointe, les travailleurs de la chaîne d’assemblage pres-
tent généralement entre trois et cinq heures supplémentaires par jour, soit une moyenne de 100 à
120 heures par mois; à cela il faut ajouter qu’ils travaillent sept jours sur sept. Durant les périodes
creuses, ces mêmes employés sont mis en congé sans solde. Ces horaires ne sont pas exception-
nels. Dans d’autres usines, la journée de travail peut s’étendre jusqu’à 15 ou 16 heures en période
de pointe ou même inclure des nuits blanches.

Les salaires sont de loin inférieurs au minimum de 54 dollars par mois. Dans ces usines, le salaire de
base mensuel équivaut à 37 dollars (majoré à 39 au terme d’un an et à 42 au terme de deux années
de service continu). Pour avoir droit au minimum légal, les travailleurs sont obligés de prester un
nombre illégal d’heures supplémentaires. En basse saison, il peut arriver que leur salaire se réduise
à 36 dollars par mois. S’il est vrai que les employés de ces fabriques arrivent dans certains cas à tou-
cher jusqu’à 72 dollars en période de pointe, cela n’est possible qu’en contrepartie d’un nombre
inacceptable d’heures supplémentaires.

Heures supplémentaires
Mlle C., 20 ans: “Dans cette usine, tout semble impeccable. Le seul problème sont les bas salai-
res. Je travaille ici depuis deux ans et le salaire le plus élevé que j’aie touché jusqu’à présent était
de 500 renminbis (60 dollars). Pour gagner cette somme j’ai dû faire plus de 100 heures (sup-
plémentaires). … Comment une telle somme pourrait-elle suffire à couvrir nos besoins? Il faut au
moins pouvoir acheter les provisions quotidiennes. Et si j’avais le malheur de m’acheter des vête-
ments, c’en serait fini de mon salaire.
Mais c’est encore pire en saison creuse lorsqu’il n’y a pas d’heures supplémentaires. S’il n’y a pas
de commande, on est obligé de prendre congé car il n’y a rien à faire; on nous déduit cela de
notre salaire de base. Je ne trouve pas que les conditions de travail soient trop dures dans cette
usine. Le seul problème sont les bas salaires. Nous voudrions toutes gagner plus.”

Frais de recrutement
L’insuffisance des salaires de base et les heures supplémentaires sous-payées ne sont pas le seul pro-
blème sur le plan de la rémunération. Les employeurs procèdent souvent à des réductions supplé-

24
mentaires pour rembourser leur dette vis-à-vis des agences de placement. Celles-ci perçoivent des
commissions élevées pour le recrutement d’employés. A cela il faut ajouter que les patrons d’usine
ont tendance à retarder le paiement des salaires. Il arrive par exemple fréquemment que les
employées reçoivent leur paie avec plusieurs semaines de retard. En donnant sa démission, l’em-
ployé(e) renonce automatiquement au droit de recouvrer les arriérés de salaire qui lui seraient dus.
Une fabrique de CD et de DVD-ROM retient environ 10% du salaire de ses employés au cours de
la première année de service. Cet argent leur est restitué douze mois plus tard. Cette pratique vise
à empêcher les employé(e)s de démissionner pendant la période de pointe. La plupart des tra-
vailleurs n’ont pas de contrat en bonne et due forme et ne peuvent pas tenir la direction respon-
sable pour les faibles taux de rémunération et le nombre important d’heures supplémentaires. Au
cours des périodes de pointe, les travailleurs n’ont même pas droit à un congé de maladie. Toute
absence pour cause de maladie est déduite du salaire.

Mlle A. a 18 ans et travaille dans une usine électronique depuis l’âge de 16 ans. Alors qu’elle ter-
minait l’école secondaire inférieure dans sa ville natale, dans la province de Shanxi, elle a appris que
plusieurs usines de la province de Guangdong étaient en train d’embaucher et s’est inscrite à l’a-
gence locale de placement. Elle a dû payer 750 renminbis (91 dollars) à l’agence de placement. En
contrepartie, l’agence lui a réservé une place dans l’autobus qui assurait l’acheminement des jeu-
nes recrues de Shanxi vers l’usine située à Dongguan City. Mlle A. a en outre versé un acompte de
50 renminbis (6 dollars) à la direction de l’usine rien que pour pouvoir accéder à l’emploi. Elle était
donc redevable d’une somme de 1.000 renminbis (121 dollars) avant même de commencer à tra-
vailler dans l’usine. Elle avait cru pouvoir rembourser cette somme assez vite, mais ses espoirs ne se
sont pas réalisés. Au cours des six premiers mois de travail, elle n’a touché que 300 à 400 renmin-
bis (36 à 48 dollars) par mois. Après l’achat de nourriture et de provisions, il ne lui restait plus rien.

Les heures de travail excessives n’augmentent pas les bénéfices de l’usine. Il ressort de plusieurs étu-
des récentes que la réduction des heures supplémentaires chez certains fournisseurs chinois aurait
en réalité une incidence positive d’un point de vue commercial: la réduction des heures de travail
peut contribuer à accroître la productivité. Bon nombre d’usines ne travaillent qu’entre 35 et 75%
de leur capacité et il existe un lien inextricable entre le nombre élevé d’heures supplémentaires et
la basse productivité. Un changement culturel s’impose en Chine pour rendre acceptable l’idée
d’une révision à la baisse des heures de travail (14).

Pressions physiques et psychologiques


Les usines imposent des sanctions sévères et ont recours à de fortes pressions psychologiques vis-
à-vis des employées. Dans une usine, notamment, une sanction pécuniaire de 0,25 dollar est auto-
matiquement retenue sur le salaire pour tout manquement au règlement d’usine ou de dortoir.
Dans une autre usine, une sanction de 0,6 dollar est déduite par minute de retard. Une somme de
3 dollars est déduite du salaire en cas d’absence non-autorisée. Les travailleuses n’ont le droit de
quitter l’usine que les mercredis, les samedis et les dimanches; une permission doit être délivrée par
la direction pour pouvoir sortir de l’usine les autres jours. Dans d’autres cas, il est interdit aux
employées de parler pendant les heures de travail. Des amendes sont en outre appliquées si l’on est
“mal assis”. Il faut également souligner le cas d’une usine où une travailleuse s’est vue imposer une
amende de 3,60 dollars pour une première erreur de production, suivie d’une amende de 7,20 dol-
lars pour une seconde erreur. Autre cas éloquent, celui d’une fabrique de moniteurs où la direction
se permet de licencier des employés qui auraient le malheur de poser le pied sur la pelouse du com-
plexe industriel. Dans une autre usine, une employée prise en train de jeter des détritus a été for-
cée de porter une pancarte sur laquelle il était écrit: “Je suis une productrice d’ordures”.

Le fait qu’elles soient tenues de fournir des produits de qualité à temps sous-entend que les tra-
vailleuses subissent d’énormes pressions. Les employées doivent éviter de faire des erreurs et sont
tenues au respect de quotas de production fixés à la journée ou à l’heure. Les tapis roulants sont
parfois accélérés lorsqu’une commande doit être exécutée d’urgence pour respecter les délais de
livraison. Dans une fabrique de claviers d’ordinateurs, chaque travailleuse de la chaîne d’assembla-
25
ge est chargée d’insérer six ou sept touches dans le clavier. Chaque employée doit remplir un quota
de 300 claviers par heure. Autrement dit, elles disposent de 12 secondes pour installer un groupe
de six ou sept touches avant de passer au groupe suivant, et maintenir cette cadence 12 heures
d’affilée. Les travailleuses chargées de tester les écrans ont un quota de 150 écrans par heure, soit
24 secondes par écran. Les employées travaillent perpétuellement dans la crainte de réprimandes
des superviseurs et subissent de fortes pressions psychologiques. Dans une usine de pièces déta-
chées pour ordinateurs portables, les employées ne sont pas autorisées à parler, à s’étirer, ni même
à lever les yeux ; elles n’ont pas le droit de quitter leur poste de travail pour se rafraîchir. Dans une
usine de production de moniteurs, les employés qui ont commis une erreur doivent porter un
tablier de couleur rouge.

Santé et sécurité
On aurait tendance à croire que les usines électroniques doivent au moins être propres, vu la préci-
sion associée à la fabrication d’ordinateurs. Il faut cependant souligner qu’une usine “propre” n’est
pas nécessairement une usine “sure”. En réalité, les salarié(e)s du secteur électronique sont souvent
contraint(e)s de travailler dans des environnements dangereux ou insalubres. De nombreuses usines
ne disposent même pas d’un service de santé et sécurité et omettent de fournir une formation à leur
main-d’oeuvre dans ce domaine.

Il n’est pas rare que les effectifs soient exposés à des produits chimiques dangereux sans protection
ou formation adéquate. Des solvants sont utilisés dans le nettoyage de boîtiers d’ordinateurs avant
que ceux-ci ne soient peints au moyen de laques en poudre ou liquides. Les travailleurs ont rarement
droit à une formation sur la sécurité dans la manipulation de produits chimiques: ils ignorent les
noms des substances chimiques utilisées, leur danger potentiel et les moyens de protection à utiliser.
Les produits chimiques sont fournis dans des conteneurs non-étiquetés.

Dans une usine, les employées qui doivent manipuler des produits chimiques reçoivent des gants de
coton mais ne les utilisent pas. Ces gants ne sont pas efficaces car ils s’imprègnent très vite des sol-
vants, ce qui provoque l’apparition de rougeurs et de boutons sur les mains des travailleuses. En réali-
té, plutôt que de protéger la santé des travailleuses, la principale fonction de ces gants est de pro-
téger les composants de la sueur des travailleurs; par ailleurs, le port des gants ralentit la cadence de
travail, ce qui rend encore plus difficile la réalisation du quota de production.

Les employés chargés de souder les composants aux circuits imprimés sont exposés à la fumée et se
plaignent d’éruptions cutanées et de difficultés à respirer. Les effectifs employés à la production de
circuits imprimés sont les plus exposés aux produits chimiques: leur travail consiste à plonger les
plaques dans différents bains de produits chimiques. Au cours de ce processus, leur peau entre régu-
lièrement en contact avec les produits chimiques. Ces employé(e)s soufrent souvent de rougeurs. Les
produits chimiques ne sont pas entreposés correctement. D’où le sarcasme d’une travailleuse qui
affirmait que son usine ressemblait davantage à une usine pétrochimique qu’à une usine électro-
nique.

En décembre 2001, un incendie s’est déclaré dans une fabrique de boîtiers et de périphériques d’or-
dinateurs. Il y a eu une fuite d’huile dans une machine utilisée dans le moulage de boîtiers d’ordi-
nateurs. Malheureusement, les travailleuses en service n’avaient pas reçu de formation en santé et
sécurité et se sont servies d’un diluant inflammable pour nettoyer le sol. Le diluant a pris feu et huit
travailleuses ont été brûlées. Deux des victimes ont subi des brûlures à 30%, notamment au visage
et aux pieds et éprouvent des difficultés à marcher. Une autre travailleuse se sert difficilement de ses
mains. Au moment de l’accident, les effectifs de l’usine n’étaient pas assurés contre les accidents du
travail, et les blessées n’ont pas été indemnisées conformément à la loi. Aucune procédure en cas
d’incendie n’était en place dans l’usine et aucune formation de lutte contre l’incendie n’était prévue.

Ailleurs, les travailleurs subissent les effets de la pollution sonore. Les machines de compactage sont
particulièrement bruyantes. Les employé(e)s reçoivent des protège-tympans en coton tous les six
26
mois, mais ceux-ci deviennent inutilisables au bout de deux semaines. Les travailleuses de la chaî-
ne de production souffrent fréquemment de raideurs dans les jambes, le dos et les épaules, les-
quelles se transforment en douleurs à force de rester debout jusqu’à 11 heures d’affilée. Les
employées chargées de tester les moniteurs doivent passer ce même laps de temps, par jour, les
yeux fixés sur des écrans qui clignotent. Elles souffrent souvent de problèmes oculaires, notamment
de fatigue des yeux et de rougeurs. Au bout d’un moment, elles voient flou. L’usine ne leur fournit
aucune information ou formation concernant les risques professionnels liés à leur travail.

Les mauvaises pratiques sont pourtant évitables. Les travailleuses d’une usine produisant des souris
et des appareils photo numériques ont fait les louanges de la bonne gestion en matière de santé et
sécurité. Leur lieu de travail est climatisé, ce qui permet de contrôler la température des machines
aussi bien que de l’air ambiant; les travailleuses sont autorisées à travailler en position assise; de
courtes pauses sont prévues entre les différentes tranches de production; une ventilation adéquate
permet l’évacuation des émanations dégagées par le soudage; des gants et des masques de pro-
tection sont distribués.

Répression de syndicats indépendants


En Chine, les moindres tentatives d’établissement d’organisations indépendantes de travailleurs
sont sévèrement réprimées. Les organisateurs sont écroués. Certains se verront condamnés au
travail forcé ou lao gai (euphémisme dont usent les autorités chinoises et qui se traduirait par
“réforme par le travail”) au terme de procédures pénales où les droits des accusés sont systéma-
tiquement bafoués. D’autres seront condamnés à la “réhabilitation par le travail” ou lao jiao
(auparavant décrite par les autorités comme une “rééducation par le travail”). L’internement en
unité psychiatrique est une autre forme de punition très courue en Chine. Dans ce contexte, les
syndicats indépendants sont rares et les militants engagés dans des actions collectives courent de
gros risques. La crainte de détention rend les négociations extrêmement difficiles entre les repré-
sentants de travailleurs, les autorités et les employeurs. De plus en plus d’organisateurs se mont-
rent néanmoins disposés à assumer ce risque.

Le droit de grève n’existe pas en Chine. Bien que la législation du travail, la législation syndicale
et la loi sur la santé et la sécurité fassent textuellement allusion aux “arrêts de travail”, tout tra-
vailleur qui s’aviserait de mettre en pratique ces dispositions peu claires se verra immanquable-
ment aviser du fait que les grèves ne sont pas légales et s’exposera, du reste, au risque d’empri-
sonnement.

La législation chinoise autorise uniquement les travailleurs à adhérer à l’ACFTU (All-China


Federation of Trade Unions). Cette organisation est sous le contrôle absolu du Parti communiste
chinois (PCC). La Chine n’a pas ratifié les deux principales conventions fondamentales de l’OIT, à
savoir la Convention 87 sur la liberté d’association et la Convention 98 sur la négociation collec-
tive.

L’ACFTU opère strictement sous forme de monopole, conformément à ce qui est stipulé dans la
législation chinoise. L’organisation est l’émule du parti et de l’orientation des autorités selon les-
quelles toute action illégale des travailleurs est susceptible d’entraîner des “troubles sociaux et le
chaos”. Le président de l’ACFTU siège au sein de l’instance décisionnelle la plus puissante de la
Chine, le Comité permanent du Bureau politique du PCC. Cette position l’investit du pouvoir de
diriger une « campagne contre les grèves » sous le couvert de laquelle plusieurs milliers de per-
sonnes inculpées, à tort ou à raison, d’exercice d’activités criminelles sont exécutées chaque
année.

Source: Texte adapté du rapport annuel 2004 de la CISL

27
(*) Cette étude de cas est extraite du rapport “Clean Up Your Computer. Working Conditions
in the Electronics Sector”, publié par CAFOD en décembre 2003. L’étude réalisée pour le
compte de CAFOD sur les conditions de travail dans les usines électroniques chinoises a
été exécutée par le Hong Kong Christian Industrial Committee (HKCIC), qui organise des
activités d’éducation et de coopération sur les droits des travailleurs et oeuvre à la pro
motion du mouvement syndical indépendant. Il n’est pas facile pour les ONG d’obtenir
le droit d’accès aux usines électroniques chinoises. Il est particulièrement difficile d’avoir
des conversations franches avec les employé(e)s.

Notes
(1) En valeur pour l’année 2001, CNUCED (2002) Manuel de statistiques 2002, Genève: CNUCED
(2) Pour l’année 2002, CNUCED (2003) Rapport sur l’investissement dans le monde 2003, Genève: CNUCED
(3) Far Eastern Economic Review, 17 octobre 2002
(4) Site Web FT.com, 22 septembre 2003
(5) Financial Times, 4 février 2003
(6) CNUCED (2002) Rapport sur l’investissement dans le monde, Genève: CNUCED (calculé en fonction de
deux chiffres de la nomenclature SITC – 764 et 752)
(7) Basé sur les chiffres du CNUCED (2002) Rapport sur l’investissement dans le monde 2002, Genève: CNUCED
(8) Basé sur les chiffres du CNUCED (2002) Rapport sur l’investissement dans le monde 2002, Genève: CNUCED
(9) Etude de fond réalisée par le Hong Kong Christian Industrial Committee.
(10) La Chine constitue également un choix attractif du fait de son marché national énorme et de sa langue
qui en fait une cible privilégiée pour les investisseurs taiwanais.
(11) Adapté du Trade and Development Report 2002, Genève: CNUCED
(12) The Economist, 13 février 2003
(13) Sauf mention contraire, l’information contenue dans le rapport sur les conditions dans les usines chi-
noises est tirée d’une étude réalisée par le Hong Kong Christian Industrial Committee.
(14) Programme Impactt Overtime réalisé pour le compte de Debenhams, Hennes & Mauritz, Ikea, Marks &
Spencer, New Look, Pentland Group et Sainsbury’s par la firme de consulting Impactt.

28
République dominicaine: des emplois en danger
Apogée dans les années 80
Au début des années 80, rares étaient les Dominicain(e)s qui avaient entendu parler de “zone fran-
che d’exportation” ou ZFE. Ces vingt dernières années, ce secteur s’est tant développé dans le pays
caribéen que le mot est aujourd’hui entré dans le langage courant. Avec 173.367 postes de travail
directs en 2003, les entreprises des zones franches constituent une des principales sources de devi-
ses et d’emplois en République dominicaine.

Ce sont des conditions d’accès exceptionnelles au marché nord-américain couplées à des incitants
très attractifs qui ont propulsé l’essor des zones franches d’exportation dominicaines au début des
années 80. L’Accord multifibre remplacé par l’Accord sur les textiles et vêtements (ATV) a égale-
ment joué un rôle capital de stimulant. En établissant des quotas d’importation seulement à l’en-
contre des producteurs asiatiques, les Etats-Unis ont pu appliquer aux pays centre-américains et
caribéens un traitement discriminatoire et sélectif qui est voué à disparaître totalement dès janvier
2005, avec la fin de l’accord ATV. Au travers du “Caribbean Basin Initiative” (CBI) en 1983 puis du
“U.S. – Caribbean Basin Trade Partnership Act” (CBTPA) en 2000, Washington a offert aux produits
d’exportation centre-américains et caribéens un accès au marché nord-américain laissé virtuelle-
ment sans barrières tarifaires ni restrictions quantitatives.

Après une décennie d’apogée, le secteur des zones franches d’exportation dominicaines n’a pas pu
maintenir le même rythme de croissance dans les années 90. D’autres pays de la région comme le
Honduras, le Guatemala ou le Nicaragua ont fait valoir leurs coûts de main-d’œuvre inférieurs à
celui de la République dominicaine. D’autre part, le pays caribéen a été l’un des plus touchés par
l’entrée en vigueur du “North American Free Trade Agreement” (NAFTA) qui précipita la délocali-
sation de production et la fuite de capitaux au profit du Mexique. Et ensuite au début des années
2001, c’est le ralentissement souffert par l’économie nord-américaine en 2000 qui engendra la
perte de quelque 20.000 postes de travail.

Bien que les zones franches dominicaines ne connaissent plus actuellement leur dynamisme d’an-
tan, la valeur totale des exportations a repris le chemin de la croissance en 2003, après deux années
de déclin, passant de 4.317 millions de US$ à 4.398 millions de US$, principalement grâce aux pro-
duits électroniques et pharmaceutiques. Mais c’est malgré tout la branche de confection textile qui
continue à créer le plus d’emplois (près de 120.000) soit 69% du total, suivie de loin par le tabac
(6,4%), l’électronique (5,3%) et les produits pharmaceutiques (5,3%). D’où proviennent les capi-
taux? D’après le Conseil national des zones franches (CNZF), ce sont toujours des investisseurs amé-
ricains (47%) qui dominent le secteur en 2003. Suivent les Dominicains (34%) et les Sud-Coréens
(5%). C’est également sur le marché nord-américain que s’écoulent plus de 85% de tous les pro-
duits d’exportations qui en sortent, en particulier les articles de confection.

S’affilier… pour perdre son emploi


Mais derrière ces données, longtemps montrées comme figure d’exemple de réussite néo-libérale
en Amérique latine, se cache une réalité bien moins reluisante, celle du traitement des travailleurs
dominicain(e)s qui portent ce succès à bout de bras. Révocation injustifiée, répression brutale,
recours à des bandes armées, agressions verbales et physiques… Dénoncées par la CISL ainsi que
par la Fédération internationale des travailleurs du textile, du vêtement et du cuir (FITTVC), ces pra-
tiques courantes dans les zones franches dominicaines empêchent les travailleurs/ses de jouir de
leurs droits à la liberté d’association et de négociation collective pourtant régis par les Conventions
87 et 98 de l’Organisation internationale du travail (OIT) que la République dominicaine a ratifiées.

“S’affilier librement à un syndicat peut impliquer perdre son emploi sans aucune explication, sou-
tient Mayra Jiménez, secrétaire générale de la Fédération unitaire de travailleurs et travailleuses de
zones franches, FUTRAZONA, une affiliée de la Fédération syndicale internationale FITTVC. Et per-
sonne ne rejoint un syndicat pour perdre mais plutôt pour conserver son emploi. Pour nous, orga-
29
“Je n’ai pas choisi ce travail!”
Guillermina, travailleuse en ZFE
Ne vous risquez jamais à demander à Guillermina Sosa Rijo pourquoi elle a “choisi” de travailler
en zone franche. “Je n’ai pas choisi ce travail!”, aboie l’ouvrière de 34 ans. “C’est seulement la
manière la plus facile d’obtenir un petit revenu. On y est généralement payé à la semaine et j’ai
besoin d’argent rapidement. Nous, les pauvres, nous avons peu d’alternatives.” En 14 ans der-
rière une machine à coudre, Guillermina est passée par sept entreprises de confection textile dif-
férentes avant de terminer chez “J.R. International” installée dans la zone franche de San Pedro
de Pacoris, à 75 km de la capitale dominicaine.

De l’expérience qu’elle a accumulée dans les zones franches où elle a travaillé, Guillermina cons-
tate que les relations de travail reposent sur un schéma identique: les travailleurs ne connaissent
pas leurs droits et les patrons peuvent donc les violer en toute impunité. C’est pour combattre
cette ignorance qu’elle a lancé, il y a six mois, un syndicat dont elle est la secrétaire générale. Son
but? Assurer le respect de la loi dominicaine. “Plusieurs fois déjà, la direction a voulu m’”ache-
ter”. Pour que je cesse d’être dirigeante syndicale, ils m’ont proposé un poste de superviseur et
même de l’argent. » Guillermina a décliné l’offre qui mettrait pourtant un peu de beurre dans ses
épinards.

Que reste-t-il des 820 pesos (17,5€) que touche la syndicaliste chaque semaine après qu’elle ait
payé le repas de midi (200 pesos par semaine), le petit déjeuner (125 pesos/semaine) et les frais
de transport pour se rendre sur le lieu de travail (200 pesos/semaine)? Théoriquement, en fonc-
tion du système de rémunération sur base de la productivité, chaque ouvrier/ère devrait pouvoir
gagner beaucoup plus. En pratique, même avec le meilleur rendement, difficile de décrocher plus
de 1.100 pesos/semaine. Pour stimuler la cadence de production à “J.R. International”, des super-
viseurs se chargent de maintenir constamment la pression sur les travailleurs/ses. Surtout pas
question d’aller plusieurs fois par jour aux toilettes. “Si nous n’acceptons pas, ils menacent de
nous révoquer. Comme ils savent que nous avons besoin de notre travail, ils aiment faire peur aux
travailleurs.”

Il y a quelques mois, Guillermina a dû subir d’urgence une délicate opération chirurgicale. Coût
estimé: 50.000 pesos. Et à la sécurité sociale, le personnel médical a refusé de la prendre en char-
ge parce que… son nom ne figurait pas dans le registre. Ni le sien ni celui d’aucune de ses com-
pagnes. Conformément à la loi, “J.R. International” déduisait automatiquement du salaire heb-
domadaire de ses 230 employés un pourcentage (environ 28 pesos) censé alimenter les caisses
de la sécurité sociale. Mais jamais les patrons de Guillermina n’ont reversé un seul peso. “J’ai failli
perdre la vie parce que mon employeur ne contribuait pas à la sécurité sociale. Vivre cette expé-
rience m’a donné plus de force. Je ne voudrais pas que mes compagnes passent par la même
épreuve.” Aujourd’hui, en dépit des efforts de Guillermina, les travailleurs/ses de “J.R.
International” à San Pedro de Macoris doivent continuer à cotiser pour un accès à des soins de
santé… dont ils ne bénéficieront jamais.

niser un syndicat dans une zone franche n’est pas si difficile. Ce qui reste le plus compliqué c’est de
parvenir à ce que la moitié plus un des travailleurs s’y affilient pour pouvoir –comme le stipule la loi
dominicaine- entamer la négociation collective. Dès que la majorité des travailleurs acceptent fina-
lement de s’affilier, certaines entreprises mettent tout le monde à la porte. Le temps que nous
devrions passer à revendiquer d’autres droits, nous le passons à nous battre devant les tribunaux
afin d’obtenir simplement la réintégration des travailleurs que nous avons organisés.”

Quant aux conditions de travail, la recherche d’une rentabilité à outrance entraîne des cadences de
travail sans cesse plus rapides qui se traduisent, par exemple, par des heures supplémentaires (soit
non rémunérées, soit sous-payées, soit obligatoires), un accès aux toilettes limité ou des listes noi-
res de travailleurs syndiqués circulant dans le monde patronal. Si le/a travailleur/se ne parvient pas
30
à satisfaire le rendement nécessaire pour obtenir la rémunération sur base de production, il/elle a
au moins droit à toucher le salaire mensuel minimum s’élevant toujours à 3.561 (77 euros) pesos.
Mais la valeur réelle du salaire minimum a fondu ces derniers mois comme neige au soleil. Pour le
seul premier trimestre de 2004, le taux d’inflation atteint déjà plus de 25%. Dans les zones fran-
ches situées le long de frontière avec Haïti, le panorama est encore plus désolant puisque l’Etat
dominicain permet d’y appliquer un salaire mensuel de 1.690 pesos en vue d’y attirer les investis-
seurs nationaux et étrangers. Dans un tel contexte, les 12 à 14% d’augmentation salariale envisa-
gés par les patrons pour 2004 ne constituent qu’une maigre consolation.

Travailleuses en première ligne


Etre travailleur dans une zone franche, c’est dur. Y être travailleuse, c’est pire. En violation flagran-
te des Conventions 100 et 111 sur l’égalité de traitement de l’OIT ratifiées par la République domi-
nicaine, la discrimination endurée par les femmes et maintes fois rapportée par des ONGs locales
et internationales peut prendre plusieurs formes: barèmes homme-femme différents, harcèlement
sexuel, test de grossesse conditionnant l’engagement, licenciement de femmes enceintes,...
Récemment encore, l’ONG nord-américaine de droits humains, Human Rights Watch, rapportait
que les travailleuses en particulier dans le secteur des zones franches d’exportation doivent cou-
ramment se plier à une prise de sang avec dépistage VIH/SIDA. Celles dont le test s’avère positif
sont généralement licenciées ou se voient carrément écartées de l’emploi.

Que le droit à la maternité des femmes soit très fréquemment violé dans les zones franches ne fait
pas l’ombre d’un doute pour la juriste Maribel Batista, du département technique du Conseil natio-
nal de l’unité syndicale (CNUS). “Il y a un système très fragile d’inspection du travail en République
dominicaine. Donc évidemment beaucoup de violations n’apparaissent pas dans les statistiques
dont dispose le Ministère du travail.” Autre cas édifiant cité par Maribel Batista: une loi dominicai-
ne ayant pour objectif de protéger la maternité conditionne toute révocation d’une femme encein-
te à une autorisation préalable du Ministère à partir du moment où la travailleuse fournit un certi-
ficat médical. Comment certaines entreprises détournent-elles cette législation en leur faveur? Dès
que la travailleuse présente les premiers signes de grossesse (somnolente, nausées, réduction de
productivité), la direction la renvoie. Si l’entreprise l’a mise à la porte avant qu’elle n’ait pu produi-
re le résultat d’un examen médical, la Cour suprême déclare que c’est légal.

Transfert de production vers Haïti


Comment se profile l’avenir des zones franches dominicaines? D’après la disposition de l’Accord de
subsides et mesures compensatoires de l’Organisation mondiale du commerce, les pays au revenu
par habitant de plus de 1.000 US$ comme la République dominicaine devraient éliminer les exemp-
tions d’impôts dans les prochaines années, ce qui priverait les zones franches dominicaines d’un de
ses charmes. D’autre part, l’élimination des quotas à l’importation nord-américains, dès janvier
2005, pourrait coûter à l’industrie de l’habillement dominicaine environ 30.000 de ses emplois,
selon les scénarios les moins tragiques. Président du Centre d’investigation économique des
Caraïbes (CIECA), l’économiste Pavel Isa Contreras se demande quelles seraient les possibilités de
reconversion professionnelle. “S’il ne va pas totalement s’effondrer, le secteur va indubitablement
chuter. D’ici quatre ou sept ans, je vois un secteur employant 130 ou 140.000
personnes. Potentiellement, le/la travailleur/se de zone franche qui a généralement terminé ses étu-
des primaires mais pas secondaires devrait être en mesure d’obtenir d’autres emplois. Mais s’il n’y
a pas d’autres sources de croissance économique, d’où vont-ils sortir ces emplois?”. Certains signes
attestent néanmoins que l’industrie dans ces zones est en train de se diversifier.
Parmi les entreprises nouvellement installées en zone franche depuis le début de cette année, moins
de 35% se consacrent à l’activité de confection textile.

Ni la proximité avec les Etats-Unis ni le traitement préférentiel attribué par l’accord commercial
conclu en 2004 avec ces derniers ne suffiront à tirer d’affaire une industrie de confection domini-
caine rendue très vulnérable par sa focalisation en assemblage, sa concentration sur quelques pro-
duits et son orientation exclusive vers le marché nord-américain. Dans un marché international du
31
textile sans quotas, les zones franches dominicaines pourront toujours se rabattre sur des com-
mandes rapides et saisonnières répondant aux tendances en vigueur dans l’industrie de la mode
pour lesquelles la Chine n’est pas un marché prédominant. Mais comment la République domini-
caine pourra-t-elle regagner un peu de compétitivité face à des concurrents centre-américains et
asiatiques de plus en plus agressifs et moins chers qu’elle? “En transférant une partie de vos activi-
tés de production en Haïti pour tirer profit de sa main d’œuvre bon marché”, recommande expli-
citement la Commission du commerce international nord-américaine au pays caribéen en 2004.

Ce schéma de production complémentaire entre les industries de confection dominicaine et haï-


tienne déjà en place devrait s’accélérer avec le vote états-unien du Haitian Economic Recovery
Oportunity Act autorisant Haïti à importer du tissu asiatique (moins coûteux que l’américain) pour
confectionner des vêtements vendus ensuite aux Etats-Unis. Un des géants dominicains de l’ha-
billement, InterAmericana, a commencé à investir dans l’industrie de confection haïtienne via les
parcs industriels de Port-au-Prince. Le consortium dominicain “Grupo M” fabriquant notamment
les jeans Levi’s et jouissant d’une réputation d’anti-syndicalisme en République dominicaine dirige
depuis peu la zone haïtienne CODEVI.

Les deux pays sont engagés dans un vaste projet de constitution d’une véritable bande frontalière
composée de zones franches chevauchant la république dominicaine et Haïti. Les plans ont été
retardés notamment pour cause de troubles politiques en Haïti, mais pourraient ressortir des car-
tons dans les mois qui viennent. Leonel Fernández, le nouveau président dominicain, élu suite à une
victoire massive en mai, devrait probablement relancer cette initiative. Une attention toute parti-
culière sera portée au bilan gouvernemental en matière de respect des normes internationales et
nationales de droit du travail.

Laurent Duvillier

32
Haïti: chasse au syndicat par Grupo M
Les droits des travailleurs pratiquement “inexistants”
Aujourd’hui, le pays caribéen possède cinq parcs industriels dont les deux plus importants sont la
Société nationale des parcs industriels (SONAPI) avec des capitaux publics et la SHODECOSA aux
mains du secteur privé. Installées à proximité de l’aéroport, les usines de ces parcs industriels fonc-
tionnent sur base de contrats de sous-traitance à court terme conclus avec des entreprises nord-
américaines fournissant les matières premières à transformer. (1) Pour Yannick Etienne, de l’organi-
sation “Batay Ouvriye” (“Lutte ouvrière” en créole), la distinction entre un “parc industriel” et une
“zone franche” ne relève que du domaine juridico-légal. “Les conditions de travail et les relations
professionnelles sont identiques voire pires dans les parcs industriels. Les usines sont des bâtiments
vétustes, il n’y a pas de toilettes, les conditions sanitaires sont déplorables, la ventilation est inexis-
tante et les ouvriers sont placés les uns sur les autres.” (2)

Dans son dernier rapport annuel, la CISL mentionne qu’Haïti se caractérise par une application de
la législation du travail “très faible” et des droits syndicaux “pratiquement inexistants”. (3) Bien que
la Constitution garantisse le droit d’association ainsi que le droit de grève, aucune loi ne protège
les travailleurs contre les actes de discrimination à l’embauche ni ne permet leur réintégration dans
le cas de licenciements abusifs. (4) Ce vide juridique permet aux usines des parcs industriels de vio-
ler systématiquement les droits des travailleurs/ses. (5)

Rémunéré sur base de la productivité (nombre de pièces cousues), chacun et chacune des 25.000
ouvriers/ères pourrait théoriquement y gagner beaucoup plus que le salaire minimum légal de 70
gourdes par jour (1,7 euro) établi en 1995 et n’ayant pas depuis été ajusté en fonction de l’infla-
tion. Pour Charles-Henri Baker, vice-président de l’Association des industries d’Haïti (ADIH), le
monde patronal remplit déjà largement ses responsabilités en payant deux à trois fois ce salaire
minimum. “En moyenne, tous les ouvriers qui travaillent sur une machine à coudre touchent même
entre 150 et 200 gourdes (4,8 euros) par jour. Est-ce que cela permet de bien vivre? Pour l’instant,
non, c’est sûr. Mais le jour où l’Etat développera l’agriculture pour que nos ouvriers puissent se
nourrir en dépensant un tiers de leur revenu mensuel, oui. Que l’Etat fasse son travail!” (6)
Contredisant Mr. Baker, plusieurs ouvrières des usines de Port-au-Prince déclarent rarement termi-
ner une semaine de six jours de travail avec plus de 660 gourdes (16 euros) en poche alors que le
budget familial hebdomadaire s’élève facilement à 3.500 gourdes. (7)

Licenciements “illégaux” et “arbitraires”


Alors que le développement des parcs industriels remonte aux années 70, celui des zones franches
est lui très récent. En 2002 l’ancien président Jean-Bertrand Aristide a édicté une loi délimitant le
régime de zone franche. Quelques semaines plus tard, la première pierre de l’entreprise de confec-
tion textile “Comité pour le développement industriel (CODEVI)”, implantée à Ouanaminthe, le
long de la frontière avec la République dominicaine et dirigée par le groupe vestimentaire Grupo
M, est posée. Cette société dominicaine, finança les travaux grâce à un prêt de 20 millions de dol-
lars octroyé par la Société financière internationale (SFI), agence de la Banque mondiale en charge
des prêts au secteur privé. L’octroi de cette aide financière étant conditionnée au respect, par l’en-
treprise, de la liberté d’association et du droit de la négociation collective de ses employés.

Le Grupo M respecte-t-il ses engagements sur le terrain ? Depuis que la production a démarré en
août 2003, il ne se passe pas une semaine sans que des atteintes aux droits des travailleurs soient
observées dans l’entreprise CODEVI qui fabrique des jeans pour Levi’s. Les cas dénoncés concernent
des séquestrations d’employés, des passages à tabac, des révocations arbitraires, des violences ver-
bales, des heures supplémentaires non rémunérées, des intimidations avec usage d’armes à feu, des
interrogatoires musclés…

Les travailleurs doivent souvent faire des heures supplémentaires sans être payés. La Plate-forme des
organisations des Droits humains (POHDH) dénonce que “les ouvriers n’ont pas le droit de s’orga-
33
niser en syndicat sous peine de révocation”.

Joseph Salnave, qui a travaillé dans l’entreprise, a confirmé les conditions de travail épouvantables
en vigueur chez CODEVI: “La journée de travail pouvait commencer à 6h45 du matin et se termi-
ner à 19h, soit environ 11 heures avec juste une pause pour manger, se rafraîchir et aller aux toi-
lettes avant de reprendre le boulot. Nous ne pouvions aller aux toilettes qu’une ou deux fois par
jour. Si on demandait d’y aller une troisième fois, les surveillants dominicains nous traitaient d’in-
disciplinés. Ils maintenant une pression constante pour que nous gardions un taux de production
de 900 unités par jour. Les jeans Wrangler et Levi’s que nous fabriquions étaient vendus aux Etats-
Unis. Toute personne qui n’avait pas atteint cet objectif devait travailler plus le jour suivant.” Joseph
a été licencié l’année passée pour avoir déposé une plainte pour mauvais traitement et non-paie-
ment des heures supplémentaires.

C’est pour faire entendre leurs deux principales revendications – une hausse salariale et un traite-
ment plus digne – que le syndicat local SOKOWA organise en juin 2004 une grève d’un jour suivie
par l’écrasante majorité des ouvriers/ères. Quelques jours plus tard, l’entreprise CODEVI révoque en
bloc 376 travailleurs/ses, soit plus de la moitié de l’actuelle force de travail, dont la presque totali-
té des représentants syndicaux. Tous les membres du Comité exécutif du syndicat sauf un furent
licenciés. Le secrétaire exécutif de POHDH, John Picard Byron qualifie les licenciements d’”arbitrai-
res” et “illégaux”. (8) Aux yeux de Grupo M niant ces accusations, c’est la “baisse de productivité”
et “l’extrémisme de groupes radicaux” qui justifient les renvois.

Devant la mobilisation solidaire du mouvement syndical et d’ONGs en Europe et aux Etats-Unis, la


réaction des acheteurs du Grupo M ne se fait pas attendre. Sara Lee –fabriquant des marques de
sous-vêtements Wonderbra et Hanes - décide de suspendre ses commandes à CODEVI en attendant
la réintégration des travailleurs licenciés tandis que la populaire marque de jeans Levi Strauss, plus
réservée, les a réduites tout en appelant à la reprise du dialogue. (9) Pour sa part, la CISL a deman-
dé à la SFI de geler le versements des prêts au Grupo M jusqu’à ce que les travailleurs/ses soient
réintégrées et que leurs griefs soient pris en considération. (10) Sous la pression internationale, le
Grupo M a manifesté son intention de réintégrer à l’avenir certains des travailleurs licenciés “quand
du travail redeviendra disponible” sans donner plus de détails.

L’équipe binationale de médiation est actuellement en train de désamorcer la tension entre l’en-
treprise CODEVI et les travailleurs. Sa tâche ne sera pas facile puisque les relations entre les deux
parties se sont encore durcies suite à un nouveau scandale. Plusieurs dizaines de travailleurs/ses
soupçonnent en effet l’entreprise CODEVI de s’être livrée à leur insu à un programme de stérilisa-
tion sous couvert d’une campagne de vaccination. (11)

Extension de la zone franche


L’entreprise CODEVI à Ouanaminthe est la première des zones franches en Haïti, mais elle n’est pas
la seule. D’autre part, au moins deux autres zones franches ont été approuvées par décret prési-
dentiel en septembre 2003: Hispaniola Investment S.A. (HINSA) en construction à Drouillard près
de l’aéroport de Port-au-Prince et Parc Laffiteau S.A. devraient entamer leurs activités avant la fin
de cette année. (12)
A terme, c’est toute la zone frontalière qui est visée. Créé en 2002, le “Fonds Hispaniola”, cherche
en effet à convertir une partie de la dette externe des deux pays caribéens vis-à-vis des Etats-Unis
en un fonds de développement frontalier. (13) C’est au total près d’un milliard de dollars qui pour-
rait ainsi être consacré à des programmes bilatéraux destinés à redynamiser la région et liés au sec-
teur du tourisme, de l’éducation, du commerce et… des zones franches. Gelée suite aux troubles
en Haïti, l’initiative du “Fonds Hispaniola” pourrait être relancée dans les mois qui viennent.

La loi votée par le Sénat américain en juillet 2004 favorise aussi l’implantation de zones franches en
Haïti: le “Haitian Economic Recovery Oportunity (HERO) Act” octroie au pays caribéen le statut de
“nation la plus favorisée” lui permettant notamment de vendre des vêtements confectionnés à par-
34
tir de toile asiatique nettement moins coûteuse que le tissu américain utilisé jusqu’à présent. (14)
En réduisant ainsi drastiquement les coûts de production, l’industrie Haïtienne pourrait même être
une des seules de la région en mesure de concurrencer l’Asie, une fois les quotas à l’importation
supprimés en janvier 2005. (15) Selon une étude américaine sur les indemnités (salaires et avan-
tages sociaux compris) de différentes industries de confection dans le monde, Haïti se distingue
comme offrant la main-d’oeuvre la moins chère de tout le continent américain (0,49 dollar/heure)
loin devant la République dominicaine (1,65), le Nicaragua (0,92) et même la Chine (entre 0,68 et
0,88/heure).

Charles-Henri Baker de l’ADIH estime que l’HERO Act pourrait conduire à la création de 150.000 à
200.000 emplois industriels directs dans les trois prochaines années, principalement dans la bran-
che textile.

Dans un contexte si propice à l’essor des zones franches, tout semble indiquer qu’il ne faudra pas
attendre trop longtemps avant que les 327 kilomètres de frontière dominico-haïtienne ainsi que la
périphérie de la capitale Port-au-Prince soient constellés d’usines construites sur le même modèle
d’exploitation que celui imposé par Grupo M à Ouanaminthe.

Le “Taiwan caribéen”

C’est pendant la première moitié des années 80 que le secteur manufacturier en Haïti connaît son
apogée en misant sur plusieurs avantages comparatifs: une main-d’œuvre extrêmement bon mar-
ché, une proximité avec le marché nord-américain et des conditions d’accès privilégiées au mar-
ché nord-américain. Dans les années 70 déjà, les produits manufacturés majoritairement destinés
aux Etats-Unis ont crû de manière accélérée au point de remplacer les denrées agricoles comme
principal produit d’exportation de ce “Taiwan caribéen”, comme l’appellent, à cette époque, cer-
tains experts nord-américains.

Mais à partir de 1986, le sous-secteur de l’assemblage haïtien accuse une nette baisse des inves-
tissements et des emplois. Faute de stabilité politique et de politiques gouvernementales cohé-
rentes, Haïti ne parvient pas à capitaliser le traitement préférentiel octroyé par les Etats-Unis via
le “Caribbean Basin Initiative – CBI » en 1983 puis le “U.S. Caribbean Basin Trade Partnership Act
– CBTPA” en 2000 contrairement à ses concurrents centre-américains et dominicains. Comme
conséquence, le nombre d’ouvriers/ères actifs dans la confection textile, le rembourrage de jouets
ou l’enfilage de balles de baseball passe de 60.000 en 1980 à 41.000 en 1989 pour descendre à
moins de 30.000 en 2003. (16)

La tendance semble aujourd’hui s’être à nouveau inversée. En 2003, les articles de vêtements
représentent à eux seuls 88% du total des produits d’exportation haïtiens entrant aux Etats-Unis,
soit une somme équivalente à 291,5 millions de dollars, d’après le Ministère du commerce états-
unien. (17) D’après la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPAL),
les exportations des usines de confection textile ont enregistré en 2003 une croissance de
presque 15% en volume et de 22,6% en valeur. Le taux de croissance devrait cependant connaî-
tre une légère chute en 2004.

35
Pourquoi j’ai été licenciée
Une ex-ouvrière de zone franche raconte
Avant, elle confectionnait des soutiens-gorge ou des jeans à la chaîne. Maintenant, ce sont des
uniformes d’école pour enfants que Louissane Borgella coud. Après avoir été –comme plus de 370
compagnes/ons de travail- licenciée en juin dernier par l’entreprise de zone franche “Comité de
développement industriel (CODEVI)”, l’ex-ouvrière haïtienne de 32 ans s’est mise à son propre
compte. Avec 2 enfants, un frère et cinq sœurs à charge, l’aînée de la famille n’avait pas trop le
choix. De la zone franche implantée à la frontière dominico-haïtienne où elle a travaillé pendant
près de dix mois, Louissane garde en tête la cadence de production infernale. “Le salaire mini-
mum était de 432 gourdes (10,5euros) par semaine. On devait travailler en lignes de quatorze
personnes. Si on parvenait à terminer 10.000 pièces, on obtenait alors 900 gourdes (22euros).
Mais je n’y arrivais jamais. C’était impossible. Au mieux 6.000 ou 7.000 pièces, pas plus. »
Quotidiennement Louissane observait les menaces d’agressions verbales et physiques. “Souvent,
aussi, on nous bousculait alors qu’on travaillait. Certaines femmes étaient approchées par des
hommes qui voulaient “s’entretenir” avec elles. Si elles ne se laissaient pas faire, ils menaçaient
de les révoquer.”

Louissane ne pourrait même plus comptabiliser toutes les heures supplémentaires toujours non-
rémunérées qu’elle a prestées. Son carnet d’identification, elle devait le présenter à l’entrée de
l’usine… jamais à la sortie. “Normalement, l’horaire de travail était de 6h du matin à 4h30 de l’a-
près-midi. Mais le “maître de travail” (Ndlr: superviseur) n’était jamais d’accord. Il voulait toujours
qu’on travaille plus longtemps, souvent jusqu’à 18h et même parfois 19h30. Et vous croyez qu’on
reçoit plus d’argent pour cela?” C’est parce qu’elle ne pouvait plus supporter tant d’injustices que
Louissane a décidé de rejoindre le syndicat local SOKOWA mis sur pied en mars dernier. Au risque
de mettre son travail en danger. Quand, le vendredi 11 juin, la société dominicaine Grupo M
contrôlant l’entreprise CODEVI mit à la porte cinq des dix lignes de travailleurs/ses de l’usine en
prétextant une baisse de productivité, Louissane n’y a pas cru un seul instant. “C’est parce que
nous avions organisé une journée de grève pour augmenter le salaire que nous avons été ren-
voyés. Dans ces cinq lignes se retrouvaient presque tous les membres du groupe de SOKOWA.”
Les 5.500 gourdes reçues comme préavis n’ont pas réussi à faire taire Louissane qui continue à se
battre pour obtenir des dommages et intérêts.

Mais à côté du harcèlement sexuel, des licenciements collectifs et des violations des droits syndi-
caux, ce qui préoccupe le plus Louissane aujourd’hui, c’est sa santé. A deux reprises, les
employé(e)s de CODEVI se sont vu(e)s administrer des vaccins dans le dispensaire de l’usine.
Contre le tétanos, disaient-ils. Depuis, beaucoup de femmes souffrent de graves problèmes de
santé. “Moi-même je n’ai plus mes règles au même moment; elles viennent beaucoup plus tard.
Et j’ai régulièrement des douleurs au ventre.” Comme beaucoup d’autres employé(e)s, Louissane
se demande si elle n’a pas subi une campagne de stérilisation camouflée sans le savoir ni pouvoir
aujourd’hui en fournir les preuves.

La travailleuse de la zone franche de Ouanaminthe accepterait-elle de réintégrer son poste de tra-


vail au sein de la zone franche? “Si la direction commence à manifester du respect pour les tra-
vailleurs et travailleuses, oui. Sinon, non”

Laurent Duvillier
(1) Source : Summit. Voir: www.summitreports.com
(2) Entrevue réalisée le vendredi 13 août 2004, Port-au-Prince.
(3) “Rapport annuel des violations des droits syndicaux 2004”, Confédération internationale des syndicats lib-
res (CISL), 2004. Voir : www.icftu.org
(4) “Unequal Equation: The Labor Code and Workers Rights in Haiti”, American Center for International Labor
Solidarity (Solidarity Center) (AFL/CIO), July 2003, 70pp. Voir: www.solidaritycenter.org

36
(5) En avril 2004, des membres de Batay Ouvriye distribuant des dépliants à l’entrée de l’usine “Haitian
International Manufacturing SA” ont été agressés par un des superviseurs et ses hommes de main. “Cintas
Corporation Perpetuates Sweatshop Conditions”, May 2004 ou “Anti-Union Violence at Haitian International
Manufacturing”, April 2004, SweatshopWatch. Voir: www.sweatshopwatch.org ou http://www.batayou-
vriye.org. “Protest the physical abuse of Haitian Workers in Port-au-Prince sweatshops”, Haiti Support Group,
September 2003. Voir: http://haitisupport. gn.apc.org
(6) Entrevue réalisée le vendredi 13 août 2004, Port-au-Prince.
(7) Entrevue avec des plusieurs ouvrières d’usine de confection textile des parcs industriels de Port-au-Prince
réalisée le vendredi 13 août 2004, Port-au-Prince.
(8 )Entrevue réalisée le samedi 14 août 2004, Port-au-Prince.
(9) “Levi Strauss pointé du doigt à cause de la situation dans les zones franches”, Posté le mardi 20 juillet
2004, Alterpresse. Voir: www.alterpresse.org. “Scandal of workers who make Levi’s”, New Nation, 16 August
2004.
(10) “Haïti: l’entreprise vestimentaire Grupo M poursuit ses pratiques antisyndicales”, in CISL EnLigne, 17-06-
04. Voir: wwww.icftu.org
(11) “Scandale autour des “campagnes de vaccination” entreprises pendant les mois de mars et d’avril par
le groupe Codevi dans la zone franche Ouanaminthe”, prise de position de l’Union des médecins haïtiens
(UMHA), Ouanaminthe, Juillet 2004, 21 pp.
(12) Actes officiels de la Présidence de la République d’Haïti. Voir: www.palaisnational.info
(13) “Controversial Free Trade Zone to Start”, Haiti Progrès, 16 July 2003. Voir: www.haitiprogres. com
(14) “Le sénat américain ratifie le Hero Act et fait renaître l’espoir dans le secteur privé haïtien”, 22 juillet
2004, Alterpresse. Voir: www.medialternatif.org/alterpresse
(15) “Textile and Apparel Industry: Assessment of Competitiveness of Certain Foreign Suppliers to the US
Market”, US International Trade Commission, January 2004. Voir: www.usitc.gov. Selon cette étude, la coût
de la main d’oeuvre haïtienne calculé en 2001 est la moins chère de tout le continent américain
(0,49US$/heure) et pratiquement équivalente à celui de la main d’œuvre chinoise (0,48US$).
(16) “Assembly Manufacturing in Haiti”, 1997. Voir: www.50years.org
(17) “U.S. Imports from Haiti from 1999 to 2003”, Census Bureau, U.S. Department of Commerce. Voir:
http://www.census.gov/foreign-trade/statistics/product/index.html

37
HONDURAS: percée des syndicats dans les maquiladoras
Abus dans une usine de confection

A l’occasion de la Conférence de l’OMC en septembre 2003, à Cancun, la CISL a sorti une nouvel-
le vidéo dénonçant l’abus physique et verbal subi par les travailleuses de l’usine vestimentaire
Corazon Apparel, à San Pedro Sula, au Honduras. Six mois plus tard, presque jour pour jour, ces
mêmes travailleuses ont célébré la signature d’une nouvelle convention collective, la seconde en
son genre à avoir été conclue dans une maquiladora au Honduras. Outre une augmentation sala-
riale, cette convention a apporté diverses autres améliorations aux prestations des employés de l’u-
sine, notamment des tenues de protection, une semaine de congé payé de maternité, un crédit
destiné à l’achat d’une bicyclette et le droit à du temps libre pour se rendre au département de la
sécurité sociale. Le changement le plus significatif s’est produit dans l’attitude des gérants et des
superviseurs à l’égard des employés. A ce propos, le délégué syndical José Santos a déclaré: “Il n’y
a plus de mauvais traitement, ils nous traitent enfin comme des êtres humains, comme des employés à
part entière.”

Si l’accord signé chez Corazon illustre bien le pouvoir du lobbying et de la solidarité syndicale inter-
nationale, il met aussi en exergue les difficultés énormes qui se posent à l’heure d’organiser les
maquiladoras et les zones franches d’exportation. La signature de cet accord marque, avant toute
chose, la culmination du travail mené d’arrache-pied, de nombreuses années durant, par les tra-
vailleurs de Corazon et la petite équipe d’organisateurs de la Fédération syndicale du textile, la
FITTHC, à San Pedro Sula.

On estime, qu’à l’heure actuelle, les maquiladoras emploient jusqu’à 300 000 personnes au
Honduras, désormais classé au rang de cinquième producteur de vêtements au monde (voir enca-
dré). Le taux de syndicalisation est pratiquement nul et la main-d’œuvre –majoritairement des fem-
mes jeunes- travaille dans des conditions précaires et pour des salaires dérisoires. Corazon Apparel
est une des cinq entreprises établies dans la zone franche d’exportation (ZFE), privée, de Calpulés,
dont l’accès est interdit aux organisateurs syndicaux. Les 570 employées de l’effectif majoritaire-
ment féminin de cette usine travaillent neuf heures par jour et se voient imposer des objectifs de
production à l’unité.

Depuis 1998, la FITTHC met en œuvre un projet d’organisation des effectifs des maquiladoras à San
Pedro Sula. Ce projet est financé par la Fédération syndicale des Pays-Bas, la FNV. Une des raisons
pour lesquelles l’usine Corazon a été choisie comme cible par l’équipe d’organisateurs était le grand
nombre de griefs formulés par les employés.

“J’ai été témoin des mauvais traitements infligés à mes collègues, j’ai pu voir comment le chef du per-
sonnel et les superviseurs rassemblaient les travailleuses et leur criaient dessus, faisant mine de vouloir
les frapper. On pouvait voir des travailleuses sortir les larmes aux yeux, certaines s’évanouissaient”, a
expliqué Ibec Gomez, présidente de SITRACOR, le syndicat des travailleuses de l’usine Corazon.

Une ex-employée de l’usine qui a tenu à ce qu’on ne dévoile pas son identité a affirmé avoir été
agressée par un gardien de sécurité de l’usine. “Il m’a arraché la carte de pointage des mains, m’a
attrapée par le bras et m’a immobilisée en me passant le bras derrière la tête. Ensuite, il m’a donné un
coup de poing dans le dos.”

Corazon Apparel appartient à Yoo Yang International, une société multinationale coréenne. Cette
société possède une autre usine à proximité de San Pedro de Sula, l’usine Yoo Yang, où une cam-
pagne d’organisation s’était soldée par une victoire syndicale en 2001. Néanmoins, chaque usine
dispose de sa propre direction locale et Corazon a refusé d’accepter la présence d’un syndicat.

La syndicalisation des effectifs des ZFE est rendue extrêmement difficile par la crainte constante
qu’éprouvent les travailleurs de se faire sanctionner. Laura Carter, assistante politique de la FITTHC
38
Maquiladoras Honduriennes – entre ZLE, ZFP et ZFE

Clause 807 des réglementations douanières des Etats-Unis autorise la ré-importation hors-taxe en
territoire étasunien d’articles de confection assemblés dans les pays du bassin caraïbe, à condition
que ceux-ci soient fabriqués avec du tissu provenant des Etats-Unis. D’après la page Web de la firme
Central America Business Consultants, le Honduras est le “pays phare” de ce programme, notam-
ment en raison de sa main-d’œuvre bon marché et comparativement plus productive.

Avec un chômage qui touche 50% de la population active au Honduras, le gouvernement a mis les
pleins feux sur la création d’emplois. Ainsi, en 1998, après la dévastation provoquée par l’ouragan
Mitch, les autorités honduriennes ont déclaré que la totalité du territoire national serait désormais
une ZLE (zone de libre-échange). Les entreprises investissant au régime de ZLE sont exemptées du
paiement de taxes et d’autres charges relatives aux importations et exportations. Elles bénéficient
en outre d’un moratoire pour le paiement des impôts sur les revenus et des taxes municipales.

Huit ZFE (zones franches d’exportation) ont été créées à l’intérieur de la ZLE. Les premières d’entre
elles, de propriété privée, datent de janvier 1990. Ces ZFE offrent des conditions avantageuses aux
investisseurs, notamment l’eau courante, l’électricité et des moyens de communication – services
qui ne sont pas facilement accessibles pour les ménages honduriens. Les ZFE offrent en outre des
services de sécurité, de ramassage d’ordures, de nettoyage, de dédouanement, des agences d’em-
ploi et des centres médicaux. Les entreprises sont incitées à s’y implanter car “les coûts de produc-
tion des ZFE honduriennes sont parmi les plus bas de l’hémisphère occidental.” La main-d’œuvre
hondurienne est, quant à elle, décrite comme étant “travailleuse et productive”, ainsi que soucieu-
se d’apprendre et de travailler dur.”

Les ZFP (zones franches de production) sont plus anciennes. Elles ont été établies en vertu d’une loi
promulguée en 1987 et proposent des conditions incitatives supplémentaires pour attirer les inves-
tisseurs étrangers dans le pays. Ces “complexes industriels agréables, protégés par un service de
sécurité 24 heures sur 24” proposent une exemption de 100% sur les droits d’importation de matiè-
res premières, les taxes d’exportation et les taxes sur les ventes. Destination Honduras, le Guide offi-
ciel hondurien du commerce affirme: “Les ZFP sont situées à proximité du lieu de résidence de la
majorité des employés, leur permettant de s’y rendre à pied. Ce n’est toutefois pas l’impression que
donne la succession de véhicules collectifs garés devant la zone en début et en fin de journée,
transportant plusieurs milliers de travailleurs (y compris les employés de l’usine Corazon) depuis leur
lieu de résidence, qui se trouve à une bonne distance de là.

explique: “Auparavant, le problème était que des syndicats étaient mis sur pied dès que le nombre mini-
mum requis de membres était atteint – dans certains cas sept, dix ou 20 membres. Dès lors, lorsque le
patron décidait de réagir et de recourir à une campagne antisyndicale, les travailleurs étaient licenciés et
le syndicat n’était plus capable de défendre ses membres. Notre but était donc de trouver le moyen de
consolider un soutien majoritaire au sein des travailleurs de l’usine, ce qui a supposé le recours à des
campagnes organisées de façon largement clandestine. Il fallait surtout éviter que l’employeur ne se
rende compte de ce qui se passait car, bien entendu, il lui suffirait de licencier sur le champ ceux et cel-
les qui étaient impliqués.”

Recruter des voisins

La stratégie adoptée par le syndicat local SITRACOR consistait à organiser les travailleuses et tra-
vailleurs dans leur lieu de résidence. A cette fin, des comités de quartier ou barrio ont été mis sur
pied. Ces comités, qui se réunissaient sous forme de cercles d’étude informels, ont contribué à la
sensibilisation des travailleurs à leurs droits. Ils ont aussi permis de mettre en exergue le rôle des
syndicats et les avantages qui pouvaient être tirés de la syndicalisation. Une fois qu’un nombre suf-
fisant de personnes était mobilisé, l’ensemble des membres de ces comités ont été convoqués à une
assemblée générale.
39
“Quand cela s’est produit, c’était incroyable, se rappelle Luis Alonso, délégué syndical, car enfin nous
avons pu voir que nous n’étions pas tout seuls”. Avant, il n’y avait pas plus de six ou dix personnes. Et
puis d’un coup, on s’est rendu compte qu’on formait un groupe uni – nous étions nombreux et nous
étions forts.”

La direction a réagi en renvoyant trois responsables de SITRACOR, ainsi que plusieurs autres mili-
tants. Ceux-ci ont toutefois été réintégrés suite aux pressions de la FITTHC. Sur ces entrefaites, l’em-
ployeur a fait montre du cynisme le plus absolu en invoquant un article de la législation hondu-
rienne qui n’autorise qu’un seul syndicat par lieu de travail. L’entreprise a donc mis sur pied son
propre syndicat et a facilité le processus de reconnaissance. Les exactions du patronat sont deve-
nues évidentes lorsque la liste des membres supposés du syndicat jaune a été présentée au minis-
tère du Travail; celle-ci contenait des noms mais pas de signatures.

Flairant l’irrégularité, le ministère du Travail a fait appel à l’assistance de l’OIT. Le ministère a pro-
posé la tenue d’élections syndicales, ce à quoi SITRACOR à consenti, en dépit du risque que celles-
ci ne pussent pas se dérouler librement. Le suffrage s’est soldé par une victoire retentissante pour
SITRACOR qui a remporté 223 des 283 votes émis. Il a pourtant fallu que la FITTHC augmente la
pression pour que le syndicat finisse par obtenir la reconnaissance officielle en avril 2003. Trois mois
plus tard, le syndicat a présenté un ensemble de propositions pour les négociations collectives.

Les négociations étaient lentes et laborieuses. “Notre patron, Monsieur Kim, n’était pas du tout coopé-
ratif”, a confié la présidente du syndicat, Ibec Gomez. “Chacun et chacune des 600 employés ont
porté des autocollants arborant le message: “Nous revendiquons cette convention collective”, alors que
d’autres ont porté des bandeaux sur lesquels était écrit “Nous voulons une convention, nous la voulons
maintenant!”

Entre-temps, des incidents ont continué à se produire, notamment des agressions verbales et cor-
porelles. Plusieurs employés ont été faussement accusés de vol. Pas moins de 18 incidents de ce
genre ont été enregistrés en l’espace de neuf mois, sans qu’aucun de ceux-ci ne soit adéquatement
résolu. Parmi les pires exemples, il y a eu le cas d’Aracely Lara Fuentes, qui a fait une fausse couche
lorsque la direction a refusé de lui accorder un congé de maladie alors qu’elle se sentait clairement
malade. Dans une interview réalisée pour la vidéo de la CISL, elle décrit son désespoir et confie
qu’elle s’était sentie proche de la mort alors qu’elle se trouvait hospitalisée. “Je les tiens responsables
de ce qui m’est arrivé. Si au moins ils m’avaient permis de rentrer chez moi, je n’aurais jamais perdu
mon bébé.”

La vidéo suscite des réactions

La vidéo a suscité une inquiétude considérable chez les détaillants et, parallèlement, la FITTHC a
commencé à recevoir des réactions plus positives de la maison-mère de Corazon, la société coré-
enne Yoo Yang. Laura Carter nous explique: “A partir de là, chaque fois que nous faisions une pro-
position à Yoo Yang International, leur réponse ne se faisait pas attendre. Si je ne m’abuse, nous
leur avons adressé une lettre, et nous avons reçu la réponse de M. Hwang, PDG de Yoo Yang
International, dans l’après-midi ou, au plus tard, le lendemain. Dans sa réponse, Hwang demandait
à rencontrer Neil Kearney, secrétaire général de la FITTHC, à sa plus prompte convenance. Il était
intéressant de voir qu’en même temps que les négociations étaient entravées à l’échelon local, au
sein de l’usine Corazon, la direction à l’échelon international, consciente de l’impact négatif de la
situation sur leur image de marque et leurs perspectives, était en revanche très soucieuse de débou-
cher sur une résolution rapide.”

Sous la contrainte des pressions émanant de la maison-mère en Corée, d’une part, et des tra-
vailleuses et travailleurs de l’usine, de l’autre, la direction de Corazon a fini par se laisser persuader
de conclure les négociations. Pas une seule des 57 clauses proposées par SITRACOR n’a été rejetée.

“Cette convention collective représente une grande victoire”, souligne Martha Canales, une travailleu-
40
se de Corazon. “L’organisateur nous a aidées et nous en avons tiré des acquis considérables. Désormais,
nous ne sommes plus tenues de demander la permission de la direction pour nous rendre au départe-
ment de la sécurité sociale, alors qu’avant ils nous décomptaient ce temps de notre salaire.”

Aracely Fuentes se félicite, elle aussi, de la convention: “Je suis très fière de notre syndicat. A présent,
tout est rentré dans l’ordre à l’usine. Nous faisons part de nos problèmes aux délégués et ils se chargent
de les résoudre.”

Ibec Gomez a la ferme intention de promouvoir la nouvelle image positive de Corazon auprès des
détaillants. “Les clients ne veulent pas entendre dire que la marchandise qu’ils achètent est le fruit de
l’exploitation de travailleurs opprimés. Que des gens vous crient dessus ou vous traitent de bon à rien:
c’est inacceptable. Je pense que tout cela c’est du passé; Je pense que c’est cela le véritable tour de force
qui vient de se jouer avec l’adoption de la convention.”

Toutefois, en dépit de la victoire remportée chez Corazon, Laura Carter admet que la bataille est
loin d’être gagnée pour la FITTHC.

“J’estime qu’il s’agit d’une victoire remarquable car il ne faut pas sous-estimer les difficultés de l’organi-
sation des maquiladoras. Mais nous sommes également conscients du fait qu’on ne peut pas se per-
mettre de passer quatre ans à organiser deux usines. Un tel taux de réussite n’est pas viable. Nous avons
besoin d’impulser le taux de syndicalisation, tout en organisant une base beaucoup plus large de tra-
vailleurs.”
John Eden

41
MADAGASCAR: Le leurre d’une main-d’oeuvre bon marché

Les zones franches d’exportation malgaches (ZFE), qui ont pris leur essor dans les années 90, ont
pour spécificité de pouvoir englober toute entreprise où qu’elle se situe sur le territoire malgache.
Actifs très majoritairement dans le secteur textile/confection, les premiers investisseurs étrangers
étaient essentiellement Mauriciens et Français, bientôt suivis par des investisseurs en provenance
d’Inde, de Hong Kong, de Chine et de Barhein. Entré en vigueur en octobre 2000 avec pour objec-
tif d’augmenter les relations commerciales entre les Etats-Unis et l’Afrique subsaharienne et de
contribuer ainsi au développement économique des pays africains concernés, l’AGOA (African
Growth and Opportunity Act) a ensuite assuré une entrée en force des investisseurs américains qui
ont pris de plus en plus d’importance par rapport au marché initial européen.

Fort développement sur le marché américain


En 2001, Madagascar était ainsi devenu le 3e exportateur en volume de vêtements vers le marché
américain, induisant la création de pas moins de 60.000 emplois. Mais avec la crise qui a paralysé
l’économie malgache en 2001-2002, une grande partie de ces entreprises ont fermé leurs portes,
laissant quelque 100.000 employés sur le carreau et provoquant une perte de 50% de la valeur des
expéditions textile/habillement. Après le retour au calme, la Grande île s’est rehaussée à la 4ème
place en volume d’exportation parmi les pays exportateurs éligibles de l’AGOA et la relance de l’ex-
portation malgache sur le marché américain se poursuit. En septembre 2003, la valeur des expor-
tations malgaches vers les USA dépassait les 25.522 millions de dollars. Et pour continuer à profiter
des opportunités offertes par l’AGOA, le gouvernement malgache entend développer la fabrication
de matières premières textiles pour mieux répondre aux cahiers des charges de l’AGOA, comme de
ceux des accords UE-ACP.

“De gros travaux d’investissement sont en cours et dès qu’ils seront finis, les coûts de production
devraient automatiquement baisser”, espère Henri Jacky Radavidra, président du Groupement des
entreprises franches et partenaires (GEFP) et vice-président du Groupement des entreprises de
Madagascar (GEM). “Les perspectives d’avenir sont encourageantes via notamment la création de deux
nouvelles zones franches à Madagascar qui seront opérationnelles à partir de 2005 et seront actives
essentiellement dans les secteurs textile/habillement et des technologies de l’information, encore
embryonnaires pour le moment. Ces zones seront situées autour de Tananarive car c’est ici que se trou-
ve la main-d’œuvre qui dispose des qualifications nécessaires, de même que les infrastructures essentiel-
les, soit les routes vers l’aéroport et le port de Tamatave. Il y a aussi des projets de zones franches à
Tamatave, mais jusqu’ici ces projets se heurtent à la difficulté de trouver la main-d’œuvre adéquate.
Aucune décision définitive n’est encore prise, l’idée serait plutôt pour le moment de jouer la carte de la
diversification avec par exemple des activités de port franc, entreposage, traitement informatique ou
encore sous-traitance d’opérations de montage de pièces”.

Sans garantie au-delà de 2008, l’AGOA ne sera toutefois pas en mesure d’assurer l’avenir des zones
franches sur le long terme. Fait encore plus préoccupant aujourd’hui, la fin des quotas textiles
(AMF) au début 2005, mettra directement en concurrence sur le marché européen des articles de
confection produits à Madagascar avec ceux en provenance d’autres pays à bas salaires comme le
Bangladesh, le Pakistan, la Thaïlande ou la Chine. La zone franche table sur certaines délocalisations
d’entreprises asiatiques vers Madagascar, mais encore faudra-t-il que la formation de la main-d’œu-
vre suive.

Le profil moyen d’un travailleur de la ZF est celui d’une femme mariée de 27 ans avec un salaire
mensuel de 245.000 FMG (22 euros), migrante, et avec le niveau d’instruction de l’école primaire.
Les femmes représentent en effet 70% de la force de travail des secteurs textile/confection et ser-
vices, même si elles sont à peine 25% à y occuper des postes d’encadrement. Issues de familles pau-
vres, elles sont soit des femmes célibataires sans autre revenu, soit des femmes mariées à la recher-
che d’un complément de revenu à celui de leur conjoint. Un journal malgache les décrivait récem-
ment comme “des femmes ouvrières qui occupent plutôt des tâches d’assemblage et de finition, comp-
42
te-tenu de leur faible niveau d’instruction et de formation combinés avec le manque voire l’absence de
formation qualifiante empêchant toute possibilité de promotion et de mobilité entre les secteurs. D’où le
risque de perdre leur emploi avec les avancées technologiques”. Et d’où leur souci d’essayer tant bien
que mal de grappiller quelques économies dans l’optique, à la sortie de la zone franche, de mon-
ter un petit commerce informel ou d’acheter une machine à coudre pour s’installer à leur compte.

“On cherche du boulot dans une usine de la zone franche quand on a vraiment épuisé tout espoir de
trouver du boulot ailleurs. C’est la seule issue au chômage pour beaucoup de femmes, la seule façon de
s’en sortir autrement qu’en devenant marchande ambulante”, explique Hantassa, une jeune tra-
vailleuse d’une usine de confection française, haut de gamme, qui, en période de pic de comman-
des, turbine à 60h semaine et dont le patron confie que son avenir lui semble garanti pour les 5
années à venir à Madagascar. Il reconnaît néanmoins, qu’à plus long terme, “avec l’Asie qui propo-
se de plus en plus de formules de gestion de production complète, avec de plus en plus de technicité en
prime, les perspectives pourraient rapidement changer…”.

Difficiles conditions de travail dans les zones franches


L’objectif principal lors de la création de la ZF était de réduire les tensions sur le marché du travail
et nul ne conteste que la croissance de l’activité des zones franches a eu des effets positifs sur les
marchés du travail, surtout dans la zone urbaine d’Antananarivo. Particulièrement pour les femmes,
au sortir de l’école, la ZF est la seule opportunité d’emploi qui permette d’échapper à l’emploi infor-
mel. Même si la tendance semble à l’amélioration des conditions offertes et de la formation en
entreprise, force est de constater que le quotidien de beaucoup de travailleurs et travailleuses des
zones franches est très difficile.

Deux types d’entreprises se distinguent clairement dans la ZF, un premier groupe qui se conforme
raisonnablement à la législation du travail, et un autre résolument hostile aux syndicats et à l’ap-
plication du code du travail. Dans ce second groupe, la réputation des investisseurs asiatiques est
particulièrement mauvaise. D’après Henri Jacky Radavidra: “Les asiatiques sont habitués à une légis-
lation du travail beaucoup plus souple dans leur pays d’origine. Pour des raisons linguistiques, la com-
munication est très difficile. Les Chinois par exemple parlent à peine l’anglais et pas du tout le français
ou le malgache. Les cadres intermédiaires asiatiques ont souvent de gros problèmes culturels d’adapta-
tion qui sont souvent à l’origine de nombreux conflits”.

Après l’usine, le travail à la maison…


Norosoa Ravalanirina, 32 ans, travaille pour une entreprise belge de tricot et de broderie. “Je
fabrique des pulls à la machine, mais je n’ai pas de masque pour me protéger. Normalement, je
peux fabriquer cinq pulls, mais quand l’employeur me dit de produire neuf pièces, je n’y arrive pas,
alors je suis parfois obligée de travailler jusqu’à 22h… Je gagne 252.000 FM (environ 22 euros) par
mois… C’est très peu, car mon loyer coûte déjà 150.000 FM… pour le riz ou la viande, le prix n’est
plus abordable… Je suis obligée de marcher à pied jusqu’à l’usine car je ne peux plus payer le tic-
ket de bus… Ma sœur travaille aussi dans cette usine mais à la section broderie, donc elle rapporte
des pièces à broder en sous-traitance à la maison, et j’effectue avec elle cette sous-traitance chez
nous… Au total, je fais trois heures de broderie par nuit et le samedi après-midi aussi”.

Sahondra Rasolonirina, 44 ans, ouvrière dans une usine française de broderie, se plaint de son très
bas salaire, du rythme de travail particulièrement dur en novembre et décembre pour honorer les
commandes de Noël. Elle met aussi en exergue la fatigue des yeux qui oblige les travailleuses à por-
ter des lunettes et la difficulté de parler à son employeur: “On ne peut pas dialoguer avec notre
employeur, c’est lui qui dicte la loi et nous sommes obligées de suivre. Il nous parle toujours dure-
ment. Lorsqu’on lui demande une faveur comme de rehausser un peu la table parce qu’on a mal à
la poitrine à force de se baisser, il nous gronde… Je suis entrée dans le syndicat il y a un mois pour
apprendre à mieux connaître les lois, je suis la formation syndicale chaque samedi, pour améliorer
nos conditions de travail”.

43
En 1er février 2004, le salaire minimum a été fixé à 230.000 FMG ( autour de 20 euros). Pourtant
certains travailleurs touchent à peine 200.000 FMG, heures supplémentaires comprises. “Le salaire
réel à l’heure augmente moins vite en zone franche que dans les autres secteurs malgré la forte expan-
sion de la zone, l’explication semblant résider dans la disponibilité de flexibilité de la main-d’œuvre dans
la mesure où c’est l’unique secteur en embauche permanente”, commentait le Madagascar Tribune.

Souvent, les feuilles de paie ne sont pas claires ou sont incorrectes. Il faut dire qu’au “quota” initial
correspondant au forfait du salaire de base, s’ajoutent fréquemment du travail additionnel à la
pièce, ainsi que des heures supplémentaires. Parfois, le quota de production s’avérant impossible à
atteindre dans l’horaire normal, les heures supplémentaires nécessaires pour y arriver ne sont alors
pas considérées comme telles et sont donc payées comme des heures de travail normal.

Les fréquents systèmes de pénalité (pour arrivées en retard, refus d’effectuer des heures supplé-
mentaires, erreurs de production, contacts avec des syndicalistes et autres raisons arbitraires...)
peuvent amputer encore un peu plus ces maigres salaires, avec à la clé le risque de se retrouver à
la porte si l’on a commis trop de “fautes”.

L’horaire de travail typique dans la zone franche débute à 7 ou 7.30h , jusqu’à 18h, parfois même
jusqu’à 22 voire 23h en période de livraison de commandes, dans quel cas il faut aussi travailler les
week-ends. Cela n’empêche pas le patronat de considérer que le temps de travail à Madagascar,
officiellement de 40 heures, est insuffisant (et de citer la semaine de 45h à Maurice, ou de 48h aux
Seychelles). Pourtant, beaucoup de travailleurs de la zone se plaignent de n’avoir “plus le temps de
vivre” du tout…, une situation particulièrement difficile pour les femmes, majoritaires, qui doivent
assumer en outre leurs tâches domestiques et familiales.

Le Code du travail malgache stipule que les heures supplémentaires ne doivent pas dépasser 20
heures par semaine et ne doivent être en principe effectuées qu’après autorisation de l’inspection
du travail sur demande motivée de l’employeur. Pourtant nombreux sont les récits de travailleurs
obligés de faire des heures supplémentaires tous les jours, souvent jusqu’à des heures très avancées
de la nuit, alors que bon nombre d’entre eux habitent à des kilomètres du lieu de travail et que
faute de taxi collectif à cette heure, ils sont parfois contraints de rentrer à pied. Ajoutons que si léga-
lement, les femmes ne doivent pas travailler de nuit, en réalité elles y sont contraintes dans de nom-
breuses usines, même quand elles sont enceintes.

Trop souvent les masques pour se protéger de la poussière font défaut, de même que les gants de
protection dans les ateliers de coupe, ou les bottes dans les unités de lavage. La température dans
les usines est souvent très élevée, les systèmes de ventilation étant rares. On a rapporté plusieurs
cas d’usines où les issues de secours sont fermées à clé. Les cantines sont souvent sales, et la quali-
té de la nourriture y laisse souvent fortement à désirer.
Un service médical est prévu dans la plupart des usines, mais les travailleurs se plaignent du fait que
trop souvent ces services se limitent à délivrer de l’aspirine et non de réels traitements. Les absen-
ces, même pour cause de maladie justifiée, sont parfois directement amputées du salaire, ce qui
pousse certains travailleurs à se rendre au travail même en étant malades. Les irrégularités dans le
chef des employeurs en matière d’enregistrement des travailleurs à la caisse d’assurance sociale sont
fréquentes.

Droits syndicaux bafoués


La législation accorde les droits syndicaux, mais sur le terrain, par manque de volonté politique
comme par manque de moyens, ces droits sont bafoués au quotidien.
En pratique, les violations des droits syndicaux sont en effet quotidiennes. Les travailleurs éprouvent
d’énormes difficultés à former des syndicats ou à mener des négociations collectives. Les travailleurs
craignent d’être aperçus en train de parler à un syndicaliste. Dans les usines où un syndicat est par-
venu à se faire reconnaître, les réunions syndicales sont très difficiles à tenir, voire interdites, et les
syndicats se plaignent de la fréquente mauvaise foi des employeurs qui empêchent la construction
44
Cumuler plusieurs emplois pour survivre
Certains patrons ont une approche différente des horaires de travail: “On s’est vite
rendu compte que la productivité est meilleure en six heures qu’en dix heures de travail, ques-
tion de concentration”, confie le directeur d’une société française de saisie informatique qui
emploie 300 personnes dans la banlieue de Tananarive. “Certains travailleurs vivent dans des
cabanes sans eau, sans électricité. Ils arrivent ici sans avoir mangé, évidemment il faut en tenir
compte en terme de productivité horaire. On a aussi des salariés dont on sait qu’ils travaillent le
soir ici et le jour dans le textile, surtout des femmes. Alors, on ne pousse pas aux heures sup. car
on sait qu’une autre activité leur est nécessaire car la rémunération d’un seul boulot ne suffit pas”,
poursuit-il, avant d’ajouter que pour répondre aux délais de plus en plus exigeants des clients
(maisons d’édition, bibliothèques, revues spécialisées etc.), le travail en pause, notamment de
nuit pour les clients qui envoient les fichiers le soir et veulent récupérer le travail fini le lendemain
matin, est la norme.

Si le secteur textile/confection est très largement majoritaire, celui encore embryonnaire des nou-
velles technologies de l’information affiche un potentiel de développement prometteur, particu-
lièrement depuis que les contraintes techniques qui pèsent sur les télécommunications malgaches
s’allègent, et que la formation de la main-d’œuvre suive. Il y a toutefois encore de la marge
puisque même si en devant affecter quatre Malgaches au même poste qu’un seul Français, le coût
salarial reste inférieur…

d’une véritable dialogue entre les deux parties. A l’heure actuelle, pas une seule convention collec-
tive n’est en vigueur dans les zones franches…

L’inspection du travail n’a absolument pas les ressources de mener à bien sa mission d’investiga-
tion, et se contente, le plus souvent, de réagir uniquement lorsque des plaintes lui sont adressées.
La corruption qui gangrène tout l’appareil d’Etat malgache fait aussi des ravages. Le tribunal du tra-
vail est englué et une affaire attend souvent des années avant de passer en jugement. Les tra-
vailleurs n’ont pas le temps d’attendre si longtemps et, ni eux, ni leurs syndicats n’ont en outre les
ressources de payer les frais d’avocat.

D’après Henri Jacky Radavidra, “L’AGOA prévoit des codes de conduite. Certaines entreprises euro-
péennes, comme Décathlon, le font aussi et assurent elles-mêmes les vérifications sur le terrain”.
“Dans certaines usines, les codes de conduite des acheteurs sont affichés. Mais la plupart des travailleurs
ne sont pas conscients de la portée de ces textes”, regrettent les syndicats, qui ajoutent que “les
inspections menées par les acheteurs semblent assez régulières, mais souvent très rapides et peu sus-
ceptibles de permettre aux travailleurs de dépasser leur peur de parler par crainte de représailles”.
Toutefois, plusieurs cas sont mentionnés où, suite aux passages de telles inspections, les conditions
se seraient améliorées.

Solidarité syndicale internationale


“La CFDT nous aide à nous implanter dans la zone franche, à faire élire des délégués du personnel et à
leur donner des formations”, explique Marie-Thérèse Rasoarimanana, au nom du comité des femmes
de la FMM, organisation syndicale malgache affiliée à la CISL.
Depuis 2000, dans le cadre de la campagne française “Ethique sur l’étiquette” dont la CFDT est par-
tenaire aux côtés d’une vingtaine d’ONG françaises, la CFDT a en effet entamé un travail avec la
FMM d’appui sur place à la recherche d’information, à l’organisation syndicale et à la formation des
syndicalistes. “Nous essayons de leur envoyer des informations sur les conditions de travail ici et eux en
échange font un travail de sensibilisation de l’opinion publique française sur les conditions de production
de grands distributeurs français acheteurs de produits malgaches”, explique Marie-Thérèse
Rasoarimanana, une collaboration qui devrait prochainement se traduire par le lancement d’un
séminaire de formation syndicale.
Natacha David

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Notes
(1) Madagascar Tribune, 23/11/2003
(2) Madagascar Tribune, 23/1//2003
(3) Conclusion INSTAT 2004 in Madagascar Tribune 21/1/2004
(4) Madagascar Tribune, 21/1/2004
(5) The Suffering Zone: Findings from Madagascar. Clean Clothes Campaign, 2002

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ILE MAURICE: virage difficile à négocier pour le textile

L’ère du développement miraculeux en péril


En 1968, lorsque l’Ile Maurice acquiert son indépendance de la part de la Grande-Bretagne, son éco-
nomie repose essentiellement sur la monoculture sucrière, une industrie à la merci des aléas clima-
tiques et sujette à un taux de chômage élevé. Pour s’affranchir de ce carcan hérité de l’époque colo-
niale et créer de l’emploi, le gouvernement mauricien décide dès 1970 de diversifier l’économie en
promouvant le tourisme et en créant une zone franche d’exportation (ZFE), la première du continent
africain. Particularité: cette zone n’est pas limitée à une aire géographique mais s’étend sur toute l’île.

La zone franche de Maurice commence à se développer à grande échelle vers le début des années 80,
principalement grâce au secteur textile. La présence sur l’île d’une communauté chinoise très active
dans les affaires joue un rôle dans l’arrivée d’investisseurs hongkongais. Ces investisseurs sont heureux
de trouver à Maurice une main-d’œuvre bon marché, une stabilité politique et une absence de quo-
tas d’exportation vers l’Union Européenne et les Etats-Unis. Suite aux incitations fiscales instaurées par
le gouvernement, les grands propriétaires mauriciens de champs de canne à sucre décident eux aussi
de diversifier leurs activités en investissant dans la zone franche et le tourisme.

La zone franche d’exportation est aujourd’hui la principale source d’emplois du pays.


Environ 90.000 travailleurs et travailleuses sont employées actuellement dans la zone franche, dont
75.000 dans le secteur de la confection. Les 90.000 emplois directs des zones franches en génèrent
des milliers d’autres dans des secteurs liés à l’activité industrielle: construction, transport, banques,
douanes, comptabilités, etc. Le pouvoir d’achat qu’ils génèrent permet aussi une hausse de la consom-
mation dans le pays. Un peu moins de deux tiers de ces 90.000 personnes sont des femmes. Des filles
et mères de famille avec un niveau d’étude de base qui auraient été vouées à rester sans emploi toute
leur vie ont été absorbées par le secteur. Le statut des femmes a ainsi effectué un bon en avant dans
les régions rurales. Outre le secteur textile, la zone franche s’est diversifiée en développant également
des activités dans le diamant, la maroquinerie ou encore l’électroménager.

L’adoption aux Etats-Unis en mai 2000 de l’AGOA (African Growth and Opportunity Act) aide enco-
re davantage l’Ile Maurice. Cet acte a pour but de permettre aux pays africains d'accéder au marché
américain et de développer une industrie locale. Une centaine de produits destinés à l'exportation sont
ainsi exonérés de taxes, ce qui engendre une hausse de 55 % des exportations vers les Etats-Unis et
340 millions de dollars d'investissements en Afrique. L'AGOA n’est cependant pas définitif. Le prési-
dent Bush a accepté, en juillet dernier, de le prolonger jusqu'en 2015, mais avec de sérieuses restric-
tions : dès 2007, les pays africains devront acheter leurs matières premières dans un autre pays béné-
ficiant de l'AGOA, alors que jusqu'ici ils avaient le choix. Pour l’Ile Maurice et tous les autres exporta-
teurs africains de vêtements concernés par l’AGOA, 2007 est une épée de Damoclès car aucun pays
africain ne peut actuellement fournir ces matières premières en quantité et qualité suffisantes au sec-
teur de la confection. D’où l’amorce, par certains groupes mauriciens, de la création de filatures à
Maurice même.

Chômage en hausse
Le développement économique considérable de Maurice a engendré une hausse des salaires. “Le salai-
re moyen de base dans la ZF est de 300 roupies par mois, et avec les heures supplémentaires, un ouvrier
peut en gagner près du triple. C’est clair que le coût de notre main-d’œuvre est un handicap, mais notre
force, c’est la qualification et la productivité de cette même main-d’œuvre, qui permet d’assurer une pro-
duction haut de gamme”, explique le ministre du Travail, Showkutally Soodhun.

Même dans le secteur de la confection, le moins bien payé, un travailleur mauricien peut espérer y
gagner au moins 150 dollars par mois, soit quatre ou cinq fois plus que dans bon nombre de pays
asiatiques ou d’autres pays africains qui misent sur ce secteur. Les fermetures de certaines entreprises
se sont succédées ces dernières années, avec de graves conséquences sur le taux de chômage. En
47
2003 par exemple, l’augmentation de l’embauche nette (4.800 emplois créés) n’a pas suffi à com-
penser le nombre de nouveaux demandeurs d’emplois consécutif aux fermetures d’usines intervenues
tout au long de l’année dans le secteur du textile et de l’habillement (9. 600 pertes d’emploi). Avec
54.400 sans emplois, le taux de chômage est ainsi passé à 10,2% en 2003. La situation a encore empi-
ré depuis le début de 2004. Selon les prévisions les plus pessimistes, la zone franche pourrait assurer
le maintien dans les prochaines années de 60 à 75.000 emplois seulement.

Il est particulièrement difficile pour les employeurs hongkongais qui avaient l’habitude d’investir à
Maurice de résister aux attraits économiques de la Chine depuis qu’elle est entrée dans l’OMC, sur-
tout, dans la perspective de la fin des quotas prévus par l’Accord sur les textiles et les vêtements. “Nous
aimons Maurice pour sa stabilité politique et sa main-d’œuvre éduquée… mais nos actionnaires attendent
des retours sur leurs investissements”, annonçait récemment Edmond Lau, de l’entreprise Sinotex,
porte-parole des entreprises hongkongaises. Comparé à l’Asie, l’éloignement de Maurice par rapport
aux Etats-Unis ne joue pas en sa faveur non plus.

Responsabilité sociale
L’Ile Maurice entend jouer sur son image positive sur le plan social pour maintenir la confiance des
grands acheteurs occidentaux car si tout est loin d’y être parfait, les conditions de travail et les salai-
res ne relèvent pas du même niveau d’exploitation que dans bon nombre d’autres pays spécialisés
dans la confection. “Aujourd’hui, si vous ne respectez pas les droits fondamentaux des travailleurs, si vous
n’êtes pas transparent dans la gestion du capital humain, vos clients vous quittent, note David White,
conseiller de la direction en ressources humaines à la Compagnie Mauricienne de Textile (CMT). Les USA et
l’Europe sont très sensibles sur ce point. Tous les mois, nous avons l’un ou l’autre client qui vient réaliser un
audit. Il y a eu des dérapages, mais il s’agit de cas isolés. Pour nous, la responsabilité sociale est fonda-
mentale”.

Les industriels mauriciens rappellent aussi que ce n’est pas la première fois que l’industrie textile loca-
le est confrontée à une période difficile. Déjà, début des années 90, une phase de consolidation s’é-
tait traduite par la disparition des usines les moins performantes alors que celles qui avaient parié sur
la qualité, la productivité, l’efficacité et la montée en gamme ont pu se frayer un chemin. Les indus-
triels les plus visionnaires avaient déjà compris qu’en fabriquant des produits de base, ils s’exposaient
à la concurrence du continent indien et du Sud-Est asiatique. L’industrie locale veut se positionner
encore davantage comme un centre de savoir-faire et de service pour le textile sur le plan régional.
“C’est faux de croire que les clients quittent Maurice sur un claquement de doigts pour aller voir en Asie ou
ailleurs. Le plus important, c’est la relation de confiance et la valeur ajoutée au produit (par exemple le
design), pour laquelle le client est prêt à payer un prix juste”, explique David White. Et Alain Chan Sun,
Directeur de la MEPZA (Mauitius Export Processing Zone Association), d’ajouter: “Il y a dix ans, on a
été confrontés au même phénomène de concurrence de la part du Bengladesh et du Sri Lanka. Mais la plu-
part de ces acheteurs sont revenus à cause de la meilleure qualité de nos produits et de notre profession-
nalisme. Aujourd’hui, certains clients se posent les mêmes questions par rapport à la Chine où les délais sont
souvent non respectés et où le professionnalisme fait encore défaut”.

Pour compenser les pertes d’emploi dans l’industrie textile, le gouvernement propose aujourd’hui des
formations dans le secteur du tourisme et dans d’autres secteurs. Mais le niveau de qualification et
l’âge des travailleurs de la confection ne leur permettent pas tous de se recycler dans tous les secteurs
que Maurice voudrait davantage exploiter, comme le projet Cybercité dans le domaine des techno-
logies de l’information. “On ne peut tout de même pas réorienter des employés qui ont passé 20 ans dans
le textile et ne savent faire que cela vers un secteur comme la Cybercité”, expliquait ainsi Danielle Wong,
directrice sortante de la MEPZA, au quotidien Le Mauricien du 15 juin 2003. “Il va falloir réorienter les
travailleurs au sein de l’industrie car il n’y a pas d’autres débouchés ailleurs. Je ne dis pas que la Cybercité
est un mauvais choix économique, mais cela ne pourra pas remplacer le textile. On maîtrise le textile depuis
des années et on sait qu’il existe encore de nouvelles possibilités. Ce ne sera pas facile, mais c’est jouable.
Si rien n’est fait, nous allons vers une dégradation sociale qui sera ingérable. Il y a un prix à payer pour la
paix sociale…”.
48
Pénurie de main-d’œuvre
Malgré le taux de chômage en hausse, le recrutement de la main-d’œuvre est toutefois un problème
grave dans la zone. La main-d’œuvre actuelle vieillit, et la nouvelle génération est réticente à assurer
la relève en usine. Alain Chan Sun, directeur de la MEPZA explique: “Le niveau d’éducation s’est élevé
à Maurice, les jeunes plus éduqués ne veulent plus travailler dans le textile de la zone franche, ils préfèrent
le tourisme, qui offre un environnement de travail plus agréable, ou la Cybercité pour travailler par exem-
ple dans les call-centers”.

Cette pénurie de main-d’œuvre ne touche pas que le textile, mais aussi d’autres secteurs de la zone
comme celui du diamant. “Nous avons des problèmes de recrutement à cause du souvenir des très dures
conditions de travail au début de la ZF”, explique Edley Chimon, managing director de Floreal Diamond
Cutting Ltd, une entreprise diamantaire qu’il a créée en 2000 et qui est passée de 15 à 100 employés
en quatre ans. Lui-même ancien ouvrier de la zone, il se souvient: “On était traité de tous les noms, cor-
véables à merci, jamais sûr en arrivant le matin d’avoir encore du boulot le lendemain”.

Ecart flagrant entre le discours politique et la réalité…


Maurice tente de contrer l’impact de la fin de l’Accord sur les textiles et les vêtements en 2005. “Nous
nous attendons à quelque 9.000 pertes d’emplois supplémentaires dans une dizaine d’entreprises, souligne
le ministre du Travail de la République de Maurice, Showkutally Soodhun. Nous allons essayer de fournir
une formation dans le tourisme ou dans d’autres secteurs que le textile pour recycler une partie de ces tra-
vailleurs licenciés par les entreprises des zones franches. Avec l’aide de la Banque mondiale, nous avons
aussi lancé un mouvement de restructuration et de rénovation de l’ensemble de la zone franche”.

Une partie des travailleurs licenciés ont pu retrouver un emploi rapidement grâce au manque de main-
d’œuvre, parfois avec l’aide des partenaires sociaux. Des “marchés aux emplois” sont organisés pour
mettre en contact travailleurs et employeurs potentiels, notamment lors de fermetures d’usines. Le
Fonds d’aide sociale de la zone franche peut lui aussi intervenir en cas de fermeture d’usine, par exem-
ple via le rééchelonnement du paiement ou l’annulation de la dette contractée précédemment pour
les travailleurs licenciés auprès de cet organisme.

Reste qu’entre la volonté politique affichée de venir en aide aux travailleurs licenciés et la réalité du
terrain, il y a parfois un gouffre. Paulette, aujourd’hui âgée de 44 ans, a travaillé durant 24 ans pour
l’entreprise textile Sumit-Textile, jusqu’en août 2003, date de sa fermeture. Elle est très déçue de sa
situation actuelle. “Sur les 1500 personnes licenciées, personne n’a retrouvé de travail. On nous avait pro-
mis de nous aider à retrouver du boulot, et aussi d’avoir accès à des formations, mais ces promesses n’ont
pas été tenues. Comme indemnité de licenciement, on a eu droit à quinze jours par année de service. Avec
mon ancienneté, j’ai touché des indemnités équivalentes à un an de salaire. Maintenant, je n’ai plus aucu-
ne source de revenu… je suis à charge de ma famille avec mes enfants. Le système de santé publique est
gratuit mais il n’est pas efficace et pour le privé, il faut évidemment payer”.

Les syndicats prêts à collaborer


Si la législation du travail est en vigueur dans les entreprises regroupées sous la zone franche de
Maurice (avec quelques adaptations concernant le temps de travail), les syndicats critiquent son
manque d’application et la partialité des nombreux inspecteurs du travail. “Il est très facile de licencier
dans la zone franche, souligne Jugdish Lollbeeharry, secrétaire général du syndicat MLC (Mauritius Labour
Congress), affilié à la CISL. C’est pourquoi les travailleurs ont tellement peur de prendre des responsabilités
syndicales. Nous demandons une révision de la loi industrielle pour mieux lutter contre les abus, mais le
gouvernement répond que changer la loi serait un risque de faire fuir les investisseurs et de provoquer des
délocalisations”.
Alors que le dialogue social est d’habitude plutôt respecté à Maurice, la peur des licenciements conju-
guée à l’existence d’un important pourcentage de femmes nouvellement arrivées sur le marché de
l’emploi, expliquent en partie le faible taux de syndicalisation enregistré dans la zone franche (moins
de 12%). “Les travailleuses savent qu’il y a eu beaucoup de cas où des personnes qui ont adhéré à un syn-
49
dicat se sont retrouvées à la porte, ou ont été privées de la possibilité de faire des heures supplémentaires,
explique François Alexis, un autre organisateur dans la zone franche pour le MLC, qui ajoute que c’est dans
les usines à capitaux asiatiques que les abus sont les plus fréquents. La loi accorde le droit de se syndiquer,
mais elle n’est pas appliquée. Les patrons font ce qu’ils veulent, ils recourent au chantage du type “si un
syndicat s’installe, l’usine fermera”. Le ministre du Travail est un homme de terrain, un ancien syndica-
liste, mais les discours politiques ne correspondent pas à la réalité”.

Les longs horaires de travail rendent difficile le contact entre syndicalistes et travailleuses car celles-ci
sont encore en charge des tâches ménagères et familiales. “Elles travaillent très tard les jours de semai-
ne, et le samedi jusqu’à trois ou quatre heures de l’après-midi, note François Alexis. Elles préfèrent évidem-
ment consacrer le reste du week-end à leur famille”.

Conscients des difficultés qui assombrissent l’avenir de la zone franche, les syndicats en appellent à
une stratégie volontariste basée sur la tradition de dialogue social qui, bien qu’imparfaite, a toutefois
jusqu’ici permis à Maurice de se distinguer à son avantage en terme de stabilité sociale. “Nous, syndi-
cats, sommes prêts à collaborer avec le gouvernement pour travailler ensemble pour préserver nos marchés
car nous sommes conscients que le niveau de vie sur l’île dépend largement de la zone franche”, explique
Dev Luchmun, directeur de l’éducation ouvrière du MLC et auteur de diverses publications sur l’ac-
tion syndicale dans les zones franches mauriciennes. “Nous savons que les usines qui ne sont pas moder-
nisées vont faire face à de sérieux problèmes, c’est pourquoi nous demandons notamment un gros effort de
formation des travailleurs et travailleuses”.

Par Natacha David.

Les travailleurs étrangers victimes d’abus


Les zones franches mauriciennes emploient 15.000 travailleurs étrangers, surtout du Sri-Lanka, d’Inde et de
Chine. “La main-d’œuvre étrangère est très importante dans la zone franche parce qu’elle constitue également une
fonction sociale. Elle fait des heures supplémentaires et travaille les samedis et les dimanches à la place des Mauriciens
qui ont un autre style de vie”, confiait Danièle Wong, directrice sortante de la MEPZA. Autrement dit, ces tra-
vailleurs étrangers sont indispensables au fonctionnement des usines car ils acceptent les tâches et les horaires
que refusent les Mauriciens.

Les conditions de travail des Chinoises employées dans ces usines ont défrayé la chronique, mettant en lumiè-
re les pratiques peu scrupuleuses des agences de recrutement chinoises. Des ouvrières chinoises se sont récem-
ment mises en grève, dénonçant le fait qu’après avoir payé 1000 dollars de recrutement, leurs salaires étaient
payés directement en dollars à l’agence de recrutement, leur laissant au bout du compte à peine 200 à 300
roupies. Désormais, les autorités mauriciennes exigent que les ouvrières chinoises reçoivent l’intégralité de leur
salaire et que les agences de recrutement soient reconnues officiellement par les autorités chinoises.

Tant en raison des barrières de langue que des restrictions posées par les patrons, la main-d’oeuvre immigrée
est encore plus difficile à contacter pour les syndicats. “Je suis allé rendre visite à des migrants malgaches dans
une usine. Ils ignorent les lois qui les protègent au même titre que les Mauriciens, ils touchent souvent de 2000 à
2500 roupies (70 à 90 dollars) en moins par mois. Pour certains, les conditions de vie sont insupportables, ils dor-
ment dans des dortoirs sur des couchettes sans matelas, dans des chambres minuscules où ils s’entassent parfois à
douze personnes.”, explique François Alexis, organisateur dans la zone franche pour le MLC.

“Le gouvernement autorise l’importation de main-d’œuvre étrangère en prétextant du fait que les Mauriciens ne veu-
lent plus de ces boulot- là. Peut-être faudrait-il se poser la question des mauvaises conditions de travail dans ce sec-
teur à l’origine des réticences des Mauriciens. Pour les étrangers, c’est fréquent de travailler 24 heures d’affiliées, et
de faire des semaines de sept jours en continu”, dénoncent les syndicalistes.

50
MEXIQUE: les pratiques honteuses de la “Silicon Valley” (*)

Mise en contexte
Guadalajara est surnommée la “Silicon Valley” du Mexique. Les nombreuses usines d’électronique
qui y sont établies produisent et assemblent des composants pour ordinateurs, téléphones mobi-
les, lecteurs de disquettes, imprimantes, lecteurs de CD, caméras, appareils photo numériques,
machines à laver, lave-vaisselle, etc. A partir du milieu des années 70, le Mexique fournit une part
de plus en plus importante de la production d’entreprises étasuniennes et japonaises comme IBM,
Hewlett Packard, Dell, Texas Instruments, Xerox et NEC, attirées par des conditions d’investisse-
ment favorables, une main-d’oeuvre bon marché et, dans le cas des investisseurs étasuniens, la pro-
ximité avec les parcs scientifiques du Texas et de la Californie. Entre le milieu des années 80 et le
milieu des années 90, la valeur des exportations mexicaines de produits électroniques est passée de
18,251 millions de dollars à plus de 60 milliards (1) de dollars. L’industrie a généré pas moins de
28.603 emplois rien qu’en 1996 (1). L’investissement a atteint son point culminant en 1997 avant
de chuter, suite à l’effondrement du marché des technologies et une diminution marquée de la
demande de produits électroniques en 2001. Plus de 15.000 emplois ont été perdus au cours de la
première moitié de 2001 (2). De nombreuses entreprises d’électronique ont abandonné le Mexique
au profit de la Chine, qui offrait une main-d’oeuvre meilleur marché.

Le secteur électronique n’a pas eu d’incidence significative sur l’économie mexicaine. L’essor du
secteur exportateur mexicain n’a pas suffi à entraîner le reste de l’économie dans son sillage, ce qui
s’est traduit par un ralentissement, voire une contraction du produit intérieur brut (PIB). Très peu
de valeur ajoutée est apportée aux produits électroniques au Mexique et les apports pour l’écono-
mie nationale restent limités (3). Les unités de production électronique sont en fait des maquilado-
ras – c’est à dire des fabriques où des composants importés sont assemblés avant d’être réexpor-
tés. Dans les années 90, 95% des articles électroniques fabriqués au Mexique étaient exportés aux
Etats-Unis; au cours de la même période, 90% des composants utilisés dans cette production
étaient importés – principalement des Etats-Unis (4). A l’heure actuelle, 45 millions de Mexicains
vivent dans la pauvreté tandis que le gouffre d’inégalité entre les riches et les pauvres ne cesse de
se creuser (5).

L’industrie électronique à Guadalajara


La relation entre les marques étasuniennes et la main-d’œuvre de Guadalajara est indirecte et com-
plexe. Les entreprises basées à Guadalajara sont majoritairement des producteurs en sous-traitance
comme SCI, Flextronics, Jabil et Solectron, etc. Les grandes marques font appel à des sous-traitants
pour l’assemblage d’articles électroniques. A titre d’exemple, Dell s’est approvisionnée auprès de
Jabil durant plusieurs années, et ce, jusqu’en 2001, alors que SCI était le fournisseur de Hewlett
Packard. Il faut aussi signaler que les sous-traitants n’engagent pas les effectifs eux-mêmes: ils sous-
traitent l’embauche à des bureaux de placement.

IBM constitue une exception notable à la régle. Elle est la seule des majors à disposer de sa propre
unité de production à Guadalajara. L’usine en question, établie en 1975, se spécialise dans l’as-
semblage d’ordinateurs de bureau et d’ordinateurs portables. Cette entreprise, la plus importante
du secteur dans l’Etat de Jalisco, compte actuellement parmi les principales entités exportatrices du
Mexique. En 2000, son volume de production au Mexique représentait 60% de la production mon-
diale d’ordinateurs portables IBM (6).

Bien qu’IBM soit propriétaire de l’usine, la majeure partie de la production est exécutée par des
sous-traitants. En 2003, IBM a annoncé qu’elle confierait ses opérations de production de
Guadalajara exclusivement au sous-traitant Sanmina SCI. (7)

IBM est un précurseur du système de recrutement basé sur les bureaux de placement, une pratique
qui se poursuit avec SCI. La main-d’oeuvre de l’usine IBM est constituée de quelque 7.000
51
employé(e)s. Seul 500 sont employés directement par IBM ou SCI; il s’agit essentiellement de cad-
res, de superviseurs et de personnel administratif. Les 6.500 autres employés sont embauchés par
des bureaux de placement (8). De cette façon, les grandes marques sont protégées des griefs des
salarié(e)s par deux intermédiaires, à savoir le sous-traitant et le bureau de placement.

L’emploi dans le secteur électronique (9)


Des milliers de travailleuses et travailleurs sont employé(e)s dans les chaînes d’assemblage des usi-
nes d’électronique de Guadalajara. Leur salaire reste bas, quoique relativement plus élevé que celui
des salariés d’usines produisant pour le marché national: le salaire tourne autour de 50 à 100 dol-
lars par semaine dans des entreprises comme IBM et Jabil, mais il peut être inférieur dans d’autres
usines. Pour pouvoir gagner 100 dollars un employé est obligé de faire un nombre d’heures sup-
plémentaires dépassant le maximum autorisé. Le panier de la ménagère, c’est-à- dire le minimum
vital nécessaire pour subvenir aux dépenses de nourriture, de loyer, de transport et d’habillement
pour un ménage de quatre personnes, est cinq fois plus élevé que le salaire minimum légal. Les sala-
rié(e)s du secteur électronique touchent généralement moins de la moitié du minimum vital. Si l’on
inclut les dépenses vestimentaires, l’éducation et un revenu discrétionnaire, le total se monte à 250
dollars par semaine. Rien qu’une alimentation saine pour quatre personnes revient à 75 dollars par
semaine. A cela, il faut ajouter que les journées de travail sont longues. Le temps passé par les
employé(e)s dans les usines dépasse amplement le nombre d’heures maximum autorisé par la loi,
d’une part parce que les heures supplémentaires sont obligatoires et d’autre part parce le salaire par
heure est tellement bas que le personnel est obligé de faire un maximum d’heures pour pouvoir
subvenir à ses besoins vitaux. (10)

Vulnérables et sans voix


La main-d’oeuvre du secteur électronique est particulièrement vulnérable. On y trouve une majori-
té de jeunes femmes âgées entre 18 et 25 ans, disposant de moyens financiers limités. La plupart
sont des mères isolées. Elles sont généralement disposées à accepter des conditions de travail pré-
caires car leur priorité est de pouvoir subvenir aux besoins de leurs enfants. Leurs attentes person-
nelles sont souvent limitées. Madame Luz Elena Barrios Calleros du CEREAL (Centro de Reflexión y
Acción Laboral), qui a collaboré à l’enquête de la CAFOD à Guadalajara, organise des cours sur l’es-
time de soi chez les travailleuses. Elle considère que le manque d’estime de soi a une incidence
négative sur les conditions de travail :

“C’est malheureux à dire mais de nombreuses travailleuses pensent qu’elles n’ont que ce qu’elles méri-
tent. Elles ont souvent une piètre opinion d’elles-mêmes. Elles croient qu’aboutir dans une maquiladora
est inévitable lorsqu’on n’a pas terminé l’école secondaire ou qu’on n’est pas diplômée universitaire. Les
traitements qu’elles subissent dans les maquiladoras ne font qu’aggraver leur situation. On les traite
comme si elles étaient ignorantes ou stupides. Elles nous disent qu’elles sont traitées comme des ani-
maux. Les employeurs crient et les insultent; il arrive qu’elles soient malmenées. Le droit au respect est
un droit fondamental du travailleur, quelle que soit sa catégorie.”

D’après Juan Carlos Paez, coordinateur des droits de l’homme chez CEREAL, les entreprises tirent
avantage de la vulnérabilité des employées. Ils savent très bien que “même s’ils revoient sans cesse
à la baisse les salaires, les prestations sociales et les dispositions en matière de sécurité, les travailleuses
resteront car elles n’ont pas le choix. Les patrons sont conscients de la condition précaire de leurs
employées et n’hésitent pas à exploiter cette vulnérabilité.”

Sylvia, 28 ans, mère isolée de deux filles était impliquée dans un conflit avec la direction d’IBM
concernant une tentative de réduction salariale: “Mon superviseur m’a dit de me taire si je tenais à
mes deux enfants”. Il a dit: “Pense à la manière dont tu vas pouvoir t’occuper d’eux si on te vire. Voilà
le genre de menaces dont ils usent.”

Les difficultés auxquelles sont confrontées les salarié(e)s du secteur électronique sont directement
attribuables à l’absence de véritables syndicats. A ce propos, Juan Carlos Paez a déclaré : “Les syn-
52
Le témoignage de Monica: “Une expérience humiliante”

Monica, 26 ans, a été embauchée en 1999 par l’entreprise de sous-traitance SCI pour travailler
sur une chaîne d’assemblage produisant des imprimantes Hewlett Packard. Monica a travaillé sur
la chaîne Hewlett Packard jusqu’en 2001:

“Ils m’ont fait passer un test psychométrique et m’ont ensuite posé des questions tout à fait norma-
les, laissant de côté toutes les questions personnelles qui avaient été posées chez IBM. Puis est venu le
moment de l’examen médical. J’étais dans une pièce avec deux infirmières. Du moins elles portaient
des tenues d’infirmières. Elles étaient toutes les deux très grossières et m’ont vraiment malmenée : elles
me criaient de faire ceci, de faire cela.

Elles m’ont posé toutes les questions habituelles concernant la cigarette, l’alcool, les maladies dans la
famille. Puis l’une d’elles m’a dit: “Déshabille-toi, je dois vérifier si tu as des tatouages.” Ma parole ne
suffisait pas. J’ai dû ôter tous mes vêtements, y compris mes sous-vêtements. Elles m’ont touchée alors
que j’étais nue, elles m’ont tâté les seins. J’ignore au juste ce qu’elles espéraient trouver.

Après cela, elles m’ont demandé si j’étais enceinte. Je leur ai dit que non mais cela n’a pas suffi.
Elles m’ont donné un papier à test et m’ont dit d’aller faire le test de grossesse dans la salle de bains.
Puis elles ont ajouté: “Si tu as tes règles, montre-nous ta serviette hygiénique pour qu’on puisse véri-
fier si tu saignes.”

Ce fut une expérience réellement humiliante. C’était en fait la pire expérience de ma vie. Je me suis sen-
tie totalement rabaissée. En même temps, je ne savais pas à qui me plaindre – il faut se dire que nous
étions toutes soumises au même traitement.”

Les témoignages anecdotiques recueillis par CAFOD auprès de nombreuses autres travailleuses
indiquent que de telles pratiques se poursuivent à l’heure actuelle. CAFOD a invité à Hewlett
Packard à réagir au témoignage de Monica. Hewlett Packard s’est défendue en affirmant qu’elle
ignorait tout de cette affaire et que, dans le cas contraire, elle aurait pris toutes les dispositions
qui se seraient imposées. (14)

dicats n’arrivent même pas à s’établir dans le secteur électronique. Leur accès est bloqué par les agen-
ces de placement. Il convient d’éduquer les gens et de les former pour qu’ils puissent se défendre contre
l’exploitation. Plus ils seront conscients de leurs droits, plus ils seront à même de défendre leur dignité
humaine.” Les entrepreneurs oeuvrent avec acharnement à anticiper et à entraver l’action collecti-
ve. Ils découragent les rassemblements et les discussions entre travailleurs, comme l’a fait remar-
quer Lupe, une travailleuse âgée de 28 ans: “Il est très difficile de discuter ou d’organiser quoi que
ce soit avec les collègues au travail. Chaque fois qu’ils nous voyaient en train de parler en groupe,
les superviseurs nous menaçaient en nous disant que l’usine allait fermer ses portes: “Si vous man-
quez d’atteindre le quota”, nous disaient-ils, “toute cette production sera transférée en Chine.” Avant
d’ajouter: “Ils travaillent mieux que vous là-bas, et pour moins d’argent.”

Les méthodes de recrutement utilisées par les bureaux de placement montrent jusqu’où les entre-
prises sont prêtes à aller pour s’assurer l’accès à une main d’oeuvre conciliante: pour éliminer les
éventuels “fauteurs de troubles”, les bureaux de placement ont recours à des pratiques discrimina-
toires et souvent humiliantes.
CAFOD a, elle-même, pu constater l’existence d’une liste de critères de rejet de demandes d’em-
ploi utilisée par les trois bureaux de placement chargés d’embaucher pour la chaîne de production
IBM (11 . La liste prouve noir sur blanc le recours à la discrimination à l’encontre des homosexuels,
des lesbiennes, des femmes enceintes, ainsi que de toute personne susceptible d’inciter les tra-
vailleurs à revendiquer des négociations collectives pour l’amélioration des conditions de travail.

“Les critères de rejet lors de l’entretien psychologique” incluent “a mentionné les droits des tra-
53
vailleurs”, “homosexuel”, “inadapté”, “n’adhère pas aux politiques d’IBM”, “signes de lesbianis-
me”, “plus de deux tatouages”, “défie l’autorité”, “fauteur de trouble”, “militantisme politique”,
“non-disposé à faire des heures supplémentaires”, “le père est avocat”, “ licencié en droit”, “a tra-
vaillé pour un avocat”, “a travaillé pour un syndicat”, “travesti”, “boucles d’oreilles”, “cheveux
longs”.

“Les critères de rejet lors de l’entretien socio-économique” incluent “a des amis drogués”, “le frère
est inspecteur du travail”, “a déposé plainte auprès de la Commission de conciliation et d’arbitra-
ge”, “n’est pas intéressée par le travail car enceinte”, “ expérience préalable au sein d’IBM et a fait
des remarques négatives concernant les conditions de licenciement.”

“Les critères de rejet pour motifs de santé” incluent “grossesse”. Le rapport signale en outre une
discrimination sur base de l’âge du demandeur d’emploi: il est très difficile pour une personne de
plus de 30 ans d’obtenir un emploi dans une usine d’électronique. (12)

Les “examens médicaux” sont monnaie courante lors des entretiens d’embauche pour les emplois
du secteur électronique; il s’agit généralement de tests sanguins et urinaires. Les résultats de ces
tests ne sont pas communiqués aux candidates. Les tests de grossesse sont la norme. Certains
employeurs n’hésitent pas à dévoiler le but de ces tests, tandis que d’autres se montrent plus
vagues: “c’est pour nous assurer que vous n’êtes pas atteinte d’une maladie”. (13)

Lupe nous confie: “Lors de l’entretien avec Caspem, la première fois où je me suis rendue chez IBM, j’ai
été soumise à plusieurs tests: ils ont fait des radios, ils ont prélevé des échantillons de sang et d’urine. Ils
ne disaient pas à quoi servaient ces tests, et nous n’avons jamais vu les résultats. Tout cela me parais-
sait normal à l’époque – j’étais loin de me douter que ce n’était pas le cas. Enfin, je me doutais bien qu’ils
ne voulaient pas embaucher des malades ou des femmes enceintes, pour ne pas perdre de l’argent en
congés de maladie. Mais ce n’est que lorsque j’ai eu mon premier entretien avec CEREAL que j’ai réali-
sé que ces tests constituaient une atteinte à nos droits.”

Les travailleuses interviewées par CAFOD ont expliqué qu’elles avaient dû se déshabiller lors des
examens et que des questions de nature très intime et privée leur avaient été posées telle que: “As-
tu un petit ami?”, “Combien de fois faites-vous l’amour ensemble?” ou “As-tu des enfants?”

Jannet, 20 ans, a déclaré: “J’ai dû compléter un questionnaire; il y avait toute une série de questions
très intimes. Ils nous demandaient par exemple: “Combien de petits amis as-tu eu?”, “Quand as-tu eu
des relations intimes pour la dernière fois et combien de fois?”, “Souffres-tu d’une maladie sexuellement
transmissible?”… J’ai arrêté de répondre au questionnaire.”

Les employés du bureau de placement effectuent des visites à domicile chez les demanderesses
d’emploi: leurs biens personnels sont examinés et des questions sont posées aux voisins.

Les agences de placement et les droits des travailleurs


En vertu de la législation mexicaine du travail, les bureaux de placement sont tenus aux mêmes
conditions que l’employeur qui fait appel à leurs services. Il n’en reste pas moins que les bureaux
de placement contournent cette clause en se présentant en tant que “sous-traitant de production.”
Ceci permet au bureau d’embaucher du personnel à des conditions nettement inférieures à celles
offertes aux personnes directement employées par l’entreprise. Cette manœuvre se traduit par une
réduction de 10 à 40% du coût de la main-d’oeuvre et entraîne des conséquences profondément
négatives pour les travailleuses et les travailleurs.

Contrats à durée déterminée


Juan Carlos Paez, responsable de CEREAL Mexique, une organisation partenaire de la CAFOD, a
déclaré: “Environ 90% des salariés qui font appel à notre aide appartiennent au secteur électronique.
Ceci est dû, en partie, à l’instabilité du secteur, à cet incessant va-et-vient d’embauches et de licencie-
54
Le témoignage de Lupe: enfin des droits!

“Mon premier contact avec CEREAL a eu lieu en juin 2001, lorsqu’ IBM a tenté de diminuer nos salai-
res simultanément dans tous les bureaux de placement. Oscar15 a déposé un avis dans nos casiers
nous informant qu’une réunion aurait lieu. Nous avions déjà toutes décidé individuellement que nous
allions accepter la réduction salariale. C’est alors que 50 d’entre nous ont pris contact avec CEREAL.
C’est ainsi que notre mouvement a vu le jour.

Ce fut en quelque sorte une révélation pour moi: j’entendais pour la toute première fois mentionner les
droits humains et les droits des travailleurs. Pour la première fois, je me rendais compte de tous les
avantages que nous perdions du fait de signer des contrats d’un mois. Je n’arrivais pas à le croire! Les
employeurs agissent comme bon leur semble et nous ne nous rendons même pas compte qu’ils nous
dupent! Pourquoi donc devrions-nous accepter cette situation? Je n’arrivais vraiment pas à croire que
les agences puissent nous escroquer de cette façon.

Mes propres collègues me disaient de laisser tomber mes activités avec le groupe. Ce à quoi je leur ai
répondu: “Je ne suis pas prêt à accepter qu’on me réduise mon salaire. Laissez tomber si ça vous chan-
te!” Les réunions de CEREAL étaient réellement enrichissantes. Ils nous ont fait rencontrer la presse,
nous nous sommes rendues aux quatre coins du pays. Et nous avons gagné! Quand ils nous ont vues
avec la presse, ils ont décidé de ne pas réduire nos salaires. Je me suis sentie tellement bien, tellement
satisfaite lorsque nous avons gagné. C’était absolument génial. Des articles publiés dans les journaux
déclaraient qu’à force de résister nous avions réussi à battre IBM.”

ments qui accompagne le va-et-vient des grosses commandes, voire même des entreprises toutes entiè-
res. Le secteur électronique est de loin le plus volatile de tous les secteurs avec lesquels nous soyons ame-
nés à traiter, ce qui ouvre la porte à de nombreuses atteintes aux droits de la personne. Le secteur électro-
nique s’apparente à un oiseau migrateur – il s’arrête un instant au Mexique avant de s’envoler pour la
Chine et Taiwan.”

“L’emploi des travailleuses et travailleurs embauchés par des bureaux de placement est constamment
menacé. Ils sont occupés sur base de contrats à durée déterminée renouvelables, d’une durée d’entre 28
jours et trois mois. Dans certains cas, ces contrats sont renouvelés durant plusieurs années d’affilée, en
dépit du fait que la législation mexicaine interdit cette pratique. Ces contrats à court terme permettent
à l’employeur d’embaucher et de congédier à son gré. S’il y a une diminution du carnet de commandes,
on peut tout simplement congédier les travailleurs à la fin de leur contrat. Ceci a pour résultat que les
employé(e)s vivent constamment dans l’insécurité et la crainte. Les contrats à durée déterminée sont par-
ticulièrement néfastes pour les femmes car ils permettent aux employeurs d’éviter de verser des alloca-
tions de maternité: lorsqu’une femme tombe enceinte, son contrat n’est tout simplement pas renouvelé.
Une travailleuse à qui on a demandé quel changement apporterait une amélioration immédiate à sa
qualité de vie a répondu: “Des contrats permanents!”

(*) Cette étude de cas est extraite du rapport Clean Up Your Computer. Working Conditions in
the Electronics Sector, publié en décembre 2003 par l’agence d’entraide catholique CAFOD.
L’enquète menée par CAFOD à Guadalajara a été facilitée par CEREAL (Centro de Reflexión
y Acción Laboral), qui fait campagne contre les violations des droits des travailleurs et four-
nit des conseils juridiques et éducationnels aux travailleuses et travailleurs au Mexique, en ce
compris les employé(e) du secteur électronique à Guadalajara. CEREAL mène également des
enquêtes sur les conditions de travail dans les autres secteurs économiques et oeuvre à la pro-
motion de pratiques démocratiques au sein du mouvement syndical mexicain.

Notes
(1) CEPAL, L’investissement étranger en Amérique latine et dans les Caraïbes 1999
(2) Business Week, 6 août 2001.

55
(3) CEPAL, L’investissement étranger en Amérique latine et dans les Caraïbes 1999
(4) Ibid.
(5) L’inégalité calculée en fonction du coefficient Gini était de 0,473 en 1984 et de 0,539 en 2000.
(6) Financial Times 14 décembre 2000
(7) www.businesswire.com 7 janvier 2003
(8) Source: CEREAL.
(9) Toutes les interviews ont été effectuées par Harriet Paterson au cours d’un projet de recherche réalisé pour
CAFOD. Sauf mention contraire, toute l’information incluse dans cette section du rapport est extraite de la
recherche de fond.
(10) Source: CEREAL.
(11) La liste a été fournie par Aurea Juárez Martinez, psychologue chargée du recrutement d’employées au
bureau de placement PAT (Personel Asociado Temporal).
(12) Comme Paty, travailleuse qualifiée avec une longue expérience dans le domaine des circuits imprimés,
aujourd’hui âgée de 47 ans; Paty n’a plus jamais réussi à retrouver un emploi dans une usine.
(13) Témoignages de diverses employées, notamment Lupe, 28 ans; Ramona, 24 ans; Monica, 26 ans, tou-
tes embauchées par un bureau de placement pour travailler à l’usine IBM; Jannet, 20 ans, embauchée pour
travailler à l’usine Flextronics; et, Ana, 27 ans, embauchée pour travailler à l’usine Pemstar.
(14) E-mails HP adressés à CAFOD, 7 novembre 2003 et 11 novembre 2003.
(15) Nom fictif.

56
SRI LANKA: Activités syndicales fortement découragées
Non-observance des droits du travail
Le processus de libéralisation économique au Sri Lanka dans les années 90 s’est vu accompagné de
l’établissement dans le pays d’une série de zones franches et zones franches d’exportation. Le gou-
vernement sri-lankais offre des concessions financières et fiscales pour encourager les entreprises
étrangères et nationales à investir dans les zones. L’industrie vestimentaire constitue l’activité domi-
nante dans ces zones. Se substituant progressivement aux produits d’exportation traditionnels tels
que le thé et le caoutchouc, elle se convertit en principale source de revenus en devises étrangères
pour ce pays d’Asie du Sud. Le Sri Lanka produit des vêtements pour plusieurs marques renommées
américaines et européennes, notamment Tommy Hilfiger, GAP, British Home Stores, Victoria’s
Secret et Next.

Les droits syndicaux sont rarement respectés dans les zones franches d’exportation (ZFE) du Sri
Lanka. Les zones sont administrées par le Conseil des investissements (BOI), organe gouvernemen-
tal responsable de la promotion et de la régulation des investissements et en outre chargé de l’é-
tablissement des salaires et des conditions de travail. Bien que la législation sri-lankaise accorde en
principe aux travailleurs des zones des droits syndicaux identiques à ceux d’autres travailleurs, les
rapports font état de manœuvres dissuasives du BOI contre les activités syndicales.

Un nouveau rapport de la CISL (1), publié en mars 2004, a mis en lumière des irrégularités impor-
tantes dans la mise en application des normes fondamentales du travail au Sri Lanka. La lenteur
excessive des procédures administratives a une incidence négative sur l’application de la législation
relative à la reconnaissance des syndicats en tant qu’agents de négociation collective. La certifica-
tion de l’affiliation syndicale par le département du Travail constitue, elle aussi, une procédure labo-
rieuse. La loi relative aux conflits professionnels, amendée en 1999, qui a pour but de protéger les
travailleurs contre des actes de discrimination antisyndicale, n’est pas appliquée de façon effective.
En outre, la sanction maximale de 250 dollars imposable en cas d’infraction n’est pas jugée suffi-
samment dissuasive.

Les cas de discrimination rapportés depuis l’adoption de la loi sont nombreux, notamment chez
Cosmos Macky, joint-venture coréenne/sri-lankaise implantée dans la ZFE de Katunayake, produi-
sant des articles de sport et des vêtements de ski destinés à l’exportation, chez Fine Lanka Luggage
Ltd., qui produit des vêtements pour diverses grandes marques internationales, chez Bensiri Rubber
Products Branch, usine indienne produisant des gants chirurgicaux et des bouillottes destinés à l’ex-
portation et chez Dulon Zippers, entreprise coréenne produisant des fermetures Ecalir pour l’ex-
portation ainsi que pour le marché national. (2)

Les représentants des travailleurs affirment que la Commission du travail, sous la pression du Conseil
d’investissement, néglige de poursuivre les employeurs qui refusent de reconnaître les syndicats ou
d’engager des négociations collectives avec ceux-ci.

Les travailleurs syndiqués sont victimes d’intimidations, y compris de menaces de tabassage en


règle de la part des agents de sécurité, et les nouvelles recrues sont averties que mieux vaut ne pas
s’affilier à un syndicat. Par conséquent, seul une infime minorité des effectifs des ZFE est syndiquée.

Le BOI fut prompt à démentir le rapport de la CISL (3), affirmant que le nombre de syndicats recon-
nus aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de la ZFE avait augmenté suite à l’introduction, en début
d’année, d'un programme commercial basé sur les mesures d'incitation spéciales de l'Union euro-
péenne.

Comités d’employés
Les employeurs recourent assez fréquemment à la création de “Comités d’employés” en substitu-
tion des syndicats. Ces comités sont financés par le patronat, qui peut dès lors influencer le choix
57
des travailleurs en ce qui concerne la représentation et le fonctionnement des comités. La promo-
tion de ces comités a été particulièrement soutenue dans les zones franches d’exportation.

Les comités d’employés sont régis par le Conseil des investissements, organe en charge du com-
merce, sans mandat légitime pour la régulation des relations professionnelles. Dans ses “Directives
révisées sur la formation et le fonctionnement des comités d’employés”, publiées en juin 2002, le
BOI déclare que pour être reconnu en tant qu’agent de négociation un syndicat doit être appuyé
par 40 pour cent de la main-d’œuvre. Si, toutefois, le syndicat manque d’atteindre ce quorum, le
Comité est en droit d’assumer le rôle d’agent de négociation, à condition qu’il y soit autorisé par
au moins 40 pour cent des effectifs.

Le BOI appelle et reçoit les nominations, organise les élections et convoque la première réunion du
Comité élu. Les comités doivent en outre être enregistrés auprès du BOI et sont tenus d’informer
ce dernier de tous changements ultérieurs éventuels. Le BOI s’accorde par ailleurs le droit de sta-
tuer dans le cadre de la résolution de différends. Aux termes de ses directives, le Comité est tenu
de recourir au département des relations professionnelles dans le cas où un conflit ne pourrait être
résolu à l’intérieur d’un délai de 30 jours.

Campagne antisyndicale débridée chez Jaqalanka


Une campagne antisyndicale débridée a été déployée par la direction de l’usine Jaqalanka Ltd. en
2003, dans la ZFE de Katunayake.4 Cette campagne visait à empêcher les travailleurs de s’organi-
ser au sein du Syndicat des travailleurs de la zone franche (FTZWU). Les travailleurs de l’usine
Jaqalanka avaient organisé un arrêt de travail pour protester contre le non-paiement de la tradi-
tionnelle “prime de fêtes”. Cette prime équivalente à un mois de salaire avait, jusque là, été versée
annuellement, et ce, depuis le démarrage de la production dans cette usine en 1978.

Les employé(e)s de l’usine ont décidé d’adhérer au syndicat des travailleurs de la zone franche (Free
Trade Zone Workers Union). Environ 220 des 400 travailleurs ont signé leur adhésion. Le patronat
a lancé sa campagne antisyndicale à l’approche du scrutin de certification du syndicat. De cette
façon, la direction espérait empêcher le syndicat d’obtenir les 40 pour-cent requis pour être recon-
nu en tant qu’agent de négociation.

Le BOI a prêté son soutien aux manœuvres de la direction. En mai, M. Arjuna Mahendran, direc-
teur général du Conseil des investissements a effectué une visite dans l’usine, accompagné de plu-
sieurs responsables du BOI rattachés à la ZFE de Katunayake. Mahendran a convoqué une réunion
avec les membres du Comité d’employés nouvellement élus et plusieurs permanents de la section
syndicale. D’après le syndicat, le directeur général du BOI aurait conseillé aux travailleurs syndiqués
de démissionner du syndicat, ce qui a été démenti par le président par la suite.

Le 25 juin, la direction a convoqué le personnel à deux réunions durant lesquelles elle a mis les tra-
vailleurs en garde contre l’affiliation syndicale, a lancé des rumeurs montées de toutes pièces cont-
re le syndicat, affirmant notamment que celui-ci était responsable de la fermeture de pas moins de
moins cinq usines, et a appelé les travailleurs à présenter leur démission du syndicat. Au lendemain
de ces réunions, la direction a annoncé au secrétaire général et à deux membres du comité exécu-
tif syndical qu’ils avaient le choix entre démissionner du syndicat ou démissionner de l’entreprise.
Quelques jours plus tard, alors que les travailleurs étaient rassemblés devant le bureau syndical pour
une assemblée, plusieurs personnes ont affirmé avoir aperçu un motocycliste prendre note des
noms des travailleurs présents. On a plus tard retrouvé la moto garée devant la direction de
Jaqalanka International.

A la veille de l’élection syndicale, le syndicat a introduit plusieurs plaintes contre l’employeur pour
intimidation à l’encontre des employés, précisant que l’employeur avait, en maintes occasions,
menacé de fermer l’usine dans le cas où les travailleurs voteraient en faveur du syndicat. Un avis est
apparu sur le tableau d’affichage du réfectoire sur lequel était écrit: “Tenez-vous réellement à fermer
58
Workwear Lanka: campagne antisyndicale

Peu de temps après la résolution du conflit à l’entreprise Jaqalanka, un nouveau scandale concer-
nant des violations des droits des travailleurs a éclaté au grand jour dans une autre zone franche
d’exportation du pays. Le syndicat des employés des zones franches d’exportation et des services
en général (Free Trade Zones and General Services Employees Union), successeur du FTZWU, a
signalé qu’un conflit avait éclaté au sein de l’usine Workwear Lanka (Pvt) Ltd, où 100 travailleurs
ont été congédiés ou rétrogradés pour leur participation aux activités syndicales. Le directeur de
l’usine, qui prétendait que les services de ces travailleurs n’étaient plus requis, continuait entre
temps à embaucher de nouveaux travailleurs par le biais d’un bureau de placement.

L’usine en cause, située dans la zone franche d’exportation de Biyagama, produit des gants en
caoutchouc pour l’exportation. La main-d’œuvre de l’usine est de 700 employé(e)s, dont 60
pour-cent sont des femmes. La direction a déployé une campagne de représailles antisyndicales
lorsque 263 employés ont adhéré au syndicat en décembre 2003. Cent travailleuses et travailleurs
ont été congédiés, rétrogradés, transférés ou suspendus pour être des membres ou des partisans
du syndicat. D’autres ont été forcés de démissionner du syndicat sous la menace du licenciement.

En dépit des propositions présentées par le gouvernement au travers du Commissaire général au


Travail visant à déboucher sur une résolution, le conflit était encore en cours à l’heure de rédiger
le présent rapport. (6)

une usine qui fonctionne depuis de nombreuses années? Faites le bon choix.” Un superviseur agissant
sous les ordres de la direction a fait circuler une lettre adressée au commissaire adjoint au Travail,
qu’il a demandé à tous les travailleurs ainsi qu’à tous les responsables syndicaux de signer. La lett-
re en question indiquait que les travailleurs démissionnaient du syndicat, qu’ils ne voulaient pas du
syndicat et qu’ils souhaitaient collaborer pacifiquement avec la direction. Elle incluait notamment
une mention comme quoi les travailleurs n’avaient pas été contraints à signer.

A l’occasion de l’élection, qui marquait la première élection à avoir vu le jour dans une ZFE depuis
longtemps, la direction a usé de toutes les tactiques possibles pour dissuader les travailleurs de
voter. Des agents au service de l’employeur ne cessaient de lancer avec insistance aux travailleuses
et travailleurs avant le vote: “Ce n’est pas pour vous, compris!” Des hommes agroupés à proximité
de l’endroit désigné pour le vote intimidaient la main-d’œuvre majoritairement féminine de l’usine.
Le harcèlement était tel que le 9 juillet, c'est-à-dire le jour de l’élection syndicale, seuls 17 des 399
travailleurs ont voté. Sur ces 17 travailleurs, 16 ont voté en faveur du syndicat, tandis qu’un vote a
été déclaré nul.

Agressions et harcèlement continus


En dépit du fait que la direction avait obtenu le résultat escompté, le harcèlement s’est néanmoins
poursuivi après l’élection. Le 17 juillet, un directeur a menacé de tuer le secrétaire de section du
FTZWU. Dix jours plus tard, le secrétaire en question s’est fait attaquer par cinq inconnus à sa sor-
tie d’une assemblée syndicale. Le 30 juillet, une syndicaliste qui avait participé à l’élection de certi-
fication a été menacée par quatre individus alors qu’elle rentrait chez elle. Les inconnus l’ont inter-
rogée sur son rôle dans le syndicat et l’ont avertie que si elle continuait à participer aux activités
syndicales, ils la tueraient et jetteraient son cadavre dans le lagon. Dans les deux cas, le commissa-
riat de police de Katunayake a répondu que ces déclarations étaient fabriquées de toutes pièces.

Sous la contrainte des pressions engagées par le mouvement syndical international, le gouverne-
ment a mis sur pied une commission d’enquête chargée de mener une enquête sur ces incidents.
La direction a en outre accepté la tenue de nouvelles élections syndicales. A la lumière des actes de
harcèlement et d’intimidation décrits ci-dessus, le syndicat a toutefois estimé qu’il serait impossible
de garantir des élections libres. Au lieu de cela, le syndicat a proposé que la reconnaissance lui soit

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accordée sur base d’une lettre envoyée par la section syndicale en date du 5 avril contenant les
signatures de 166 travailleurs qui confirmaient leur affiliation au syndicat.

Les travailleurs de l’usine ont décrit le climat de terreur et d’intimidation à des auditeurs apparte-
nant à la firme Colombia, pour laquelle Jaqalanka produit des articles de confection. La direction a
sommé les travailleurs qui avaient parlé aux auditeurs de démissionner.

Justice pour les travailleurs de Jaqalanka


Le conflit a finalement été résolu le 16 octobre, grâce notamment à une campagne syndicale inter-
nationale et à l’intervention directe de la Fair Labour Association, ONG activement engagée dans
l’amélioration des conditions de travail des employés d’usine du monde entier. La FITTHC, fédéra-
tion syndicale internationale des travailleurs du textile a déposé plainte auprès de l’OIT au nom des
travailleuses et travailleurs de l’usine. Jaqalanka a accédé aux revendications syndicales, notamment
en reconnaissant la section syndicale du FTZWU comme le représentant légitime des travailleurs de
l’usine et en s’engageant à mettre un terme au harcèlement des travailleurs syndiqués. Le syndicat
a convenu de demander la suspension de la plainte déposée à l’OIT. L’accord est intervenu au
moment même où la Commission européenne examinait une demande introduite par le Sri Lanka
pour accéder aux mesures d'incitation spéciales dans le cadre du système de préférences générali-
sées de l'UE.

A la suite du conflit survenu chez Jaqalanka, le gouvernement sri-lankais a introduit une série de
changements dans sa politique relative aux relations professionnelles. En mars 2004, le BOI a publié
des directives5 qui promeuvent le respect des normes fondamentales du travail et les bonnes pra-
tiques dans les relations professionnelles, y compris le droit de former des syndicats et d’y adhérer
et le droit de négociation collective. Le syndicat des travailleurs des zones franches FTZWU a signa-
lé qu’il jouissait d’une plus grande liberté d’action dans les zones, et a réussi à organiser les effec-
tifs de pas moins de dix usines différentes.

Sarah Perman

Notes
1 Le Sri Lanka et les normes fondamentales du travail reconnues mondialement. CISL, mars 2004
2 Rapport annuel 2004. CISL
3 Daily News. Sri Lanka. 10/03/2004
4 Rapport annuel 2004. CISL
5 Rapport annuel 2004. CISL
6 Information présentée sur le Site Web de la Campagne Clean Clothes: www.cleanclothes.org

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