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INTRODUCTION
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des années 2000, lorsque les articles académiques mettant en évidence l’exis-
tence d’un risque systémique pouvaient faire l’objet d’un recensement quasi
exhaustif (de Bandt et Hartmann [2000]). Désormais, il n’est plus possible de
présenter de façon détaillée les très nombreux indicateurs proposant une mesure
quantitative du risque systémique, et le lecteur pourra consulter les différentes
synthèses disponibles (Billio et al. [2012], Bisias et al. [2012], Bce [2012], de
Bandt et al. [2014]) pour des références supplémentaires. L’objet de l’article est
donc de fournir quelques pistes sur les tendances, les réalisations et leurs limites,
illustrées par quelques exemples caractéristiques.
Après un survol des modèles disponibles pour mesurer le risque systémique,
nous présentons un bilan critique de ces indicateurs.
Il est commode de distinguer (i) les indicateurs qui portent sur les institu-
tions – banques ou assureurs –, (ii) ceux relatifs aux infrastructures de marché, (iii)
ceux qui mesurent les interconnexions au sein de réseaux, et (iv) les indicateurs
synthétiques. Il convient de noter qu’il n’y a pas de correspondance parfaite
entre ces indicateurs et les instruments macroprudentiels qui sont fondés sur une
distinction entre, d’une part, les instruments touchant la dimension « tempo-
relle » ou « cyclique » du risque systémique, qui ont un impact macroécono-
mique, notamment en termes de distribution du crédit, et, d’autre part, la dimen-
sion « structurelle » qui s’attache à veiller à la résilience du système financier.
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Institutions
Certains indicateurs mesurent la contribution d’institutions individuelles au
risque systémique global. Ce sont des indicateurs sectoriels portant sur les fragi-
lités des institutions bancaires ou d’assurance. Il existe une différence fonda-
mentale entre les indicateurs fondés sur les données de marché – disponibles en
temps réel – et ceux tirés de données comptables détaillées, souvent d’origine
réglementaire et parfois soumises à des contraintes de confidentialité.
Sur la base de données de marché, la littérature économique propose des
indicateurs de valeurs extrêmes depuis les travaux de Hartmann et al. [2005].
Plus récemment se sont multipliées les statistiques fondées sur des Value-at-
Risk (var) conditionnelles, avec une distinction entre les indicateurs de fragi-
lité systémique qui mesurent l’impact d’un choc systémique sur une institution
donnée et les indicateurs d’importance systémique, qui évaluent l’impact d’une
institution sur le reste du système financier.
Greenwood et al. [2012] distinguent la contribution des banques au risque
systémique et l’exposition à ce dernier, en modélisant les effets de ventes à prix
bradés de titres souverains grâce aux données publiées par l’Autorité bancaire
européenne (aBe) sur les expositions souveraines des banques.
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2. L’indicateur est disponible sous différentes hypothèses en terme de ratio de levier imposé
par la réglementation.
3. Tous ces indicateurs sont disponibles sur le site Internet de l’Université de New York (vlaB,
http://vlab.stern.nyu.edu/).
4. Systemically Important Financial Institutions.
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Infrastructures de marché
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Les disques représentent les institutions financières avec en noir les conglomérats financiers (6 nœuds sur le haut
du cercle intérieur), en gris clair les assureurs (6 nœuds sur le bas du cercle intérieur et 5 nœuds sur le bas du
cercle extérieur) et en gris moyen les banques (4 nœuds sur le haut du cercle extérieur). Les flèches représentent
les expositions entre institutions. L’orientation correspond au sens du prêt et la largeur est proportionnelle à la
taille de l’exposition.
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Indicateurs synthétiques
7. La « causalité à la Granger » est définie comme la non-exclusion des retards d’une variable
sur une autre variable dans un modèle var.
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- Inter-
iii 1. Actifs 20 % 1. Exposition les plus impor- 40 %
connexion intra-financiers tantes
(20 %)
2. Passifs 2. Actifs détenus sur
intra-financiers des institutions financières
3. Encours 3. Passifs au profit
de titres émis d’institutions financières
4. Provisions techniques brutes
ou nettes en réassurance
acceptée
5. Actifs de type « niveau 3 »
(actions non cotées)
6. Rotation dans les ressources
de financement (« turnover »)
7. Valeur notionnelle totale des
instruments dérivés
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3. Voir Feller et Kersuzan [2014] pour une présentation détaillée de l’approche ainsi
qu’une analyse synthétique des résultats.
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Castro et Ferrari [2014] montrent aussi que le Dcovar ne permet pas d’éta-
blir une hiérarchie entre les banques systémiques. En effet, les indicateurs sont
calculés par rapport à un référentiel qui lui-même varie (à savoir le marché des
actions bancaires à l’exclusion de la banque considérée) et des incohérences
peuvent aussi apparaître : en comparant les banques deux à deux, un niveau
plus élevé de l’indicateur n’est pas forcément associé à une « systémicité »
supérieure, ce qui limite son utilisation opérationnelle.
Plus généralement, il est possible de dresser un bilan des performances des
indicateurs sur la base de plusieurs critères : (i) en termes d’apport comparé
des données de bilan par rapport aux données de marché, (ii) sur leur carac-
tère avancé ou coïncident, (iii) sur leur capacité à retracer des phénomènes de
contagion plutôt que de simples transmissions des chocs, (iv) sur les difficultés
éventuelles en termes d’estimation.
8. Cet obstacle est atténué, moyennant des hypothèses fortes, lorsque le groupe bancaire
contient des filiales cotées. Engle et al. [2015] appliquent le coefficient valeur de marché/valeur
comptable de l’entité cotée du groupe au capital total au niveau consolidé pour en déduire une valeur
estimée de la valeur de marché d’un groupe non coté.
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Pour que les indicateurs de risque systémique soient utiles pour l’activation
d’une mesure macroprudentielle, il importe qu’ils fournissent un signal avancé.
Or, de nombreux indicateurs ne font que confirmer l’existence de tensions au
moment où elles se produisent.
Idier et al. [2012] ont étudié les propriétés de l’indicateur mes pour un panel
de soixante-cinq holdings bancaires sur quinze ans. En régressant le mes sur
des indicateurs de bilan bancaires, ils montrent que le mes s’explique assez
bien par ces variables, ce qui tend à indiquer que le mes en lui-même n’apporte
pas beaucoup d’information supplémentaire. Ils montrent aussi qu’une analyse
transversale des mes avant crise n’aurait pas permis de déterminer les institutions
qui seraient les plus affectées. Ils concluent que des indicateurs classiques de
bilan bancaires sont plus significativement en mesure de prévoir les difficultés
bancaires futures que le mes.
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9. Un modèle vectoriel auto-régressif (var) est un modèle statistique estimé sur des séries
temporelles dans lequel la dynamique jointe d’un groupe de variables s’explique par les retards de
toutes les variables. Une variable prise individuellement est expliquée par ses propres retards et ceux
des autres variables.
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Difficultés d’estimation
Au-delà d’une discussion des qualités et des défauts intrinsèques aux mesures
de risque systémique, les techniques d’estimation mises en œuvre sont cruciales.
Selon Danielsson et al. [2012], les indicateurs de risque systémique se fondent
sur des événements trop rares pour pouvoir être estimés correctement. Ainsi,
en utilisant des événements rares mais bien plus fréquents qu’une crise systé-
mique pour estimer des événements systémiques, la précision des indicateurs est
largement dégradée. À titre d’exemple, il est usuel de calculer la var à 5 % ou à
1 % ; ces fréquences correspondent à la perte la plus importante journalière sur
respectivement un mois et cinq mois de cotations journalières. Si un événement
systémique se produit tous les dix ans, cela correspond à une var à 0,02 %. Il ne
s’agit donc pas d’un risque de modèle mais du risque d’estimation (Escanciano
et Olmo [2011] ou Gouriéroux et Zakoïan [2013]).
Si l’on considère que les crises systémiques sont par nature toutes différentes
les unes des autres, il est vain de chercher à utiliser des données historiques
pour chercher à prévoir la prochaine. Au contraire, si l’on pense que même si
les formes sont différentes, il existe une composante sous-jacente commune aux
crises systémiques, alors l’utilisation de modèles quantitatifs n’est pas vaine.
Pour répondre à la critique de la « rareté » des crises, les outils économétriques
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CONCLUSION
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données nouvelles permettent d’anticiper les crises, dans la mesure où les crises
financières sont très difficiles à prévoir comme l’illustre le « paradoxe de la
stabilité financière », à savoir l’observation que le système financier ne semble
jamais aussi robuste qu’avant une crise financière (Hannoun [2010]).
Néanmoins, la faillite de Lehman Brothers a montré que les superviseurs ne
disposaient pas d’informations suffisamment détaillées et à haute fréquence sur
les établissements financiers, notamment sur leurs expositions internationales.
La Bri et le fmi ont lancé, sous l’égide du G20, un vaste projet d’approfondis-
sement des données disponibles en matière financière, démarche connue sous le
nom de « G20 data gaps initiative » (mise en évidence des données manquantes)
qui devrait permettre la construction de nouveaux indicateurs de risque systé-
mique à plus haute fréquence. Les nouvelles données collectées dans ce cadre
incluent notamment la collecte de données sur les expositions internationales
(Cerutti et al. [2012]).
Néanmoins, il convient de reconnaître que les indicateurs aujourd’hui dispo-
nibles présentent plusieurs limites. Tout d’abord, le concept de risque systémique
fait référence à une notion d’équilibre général, alors que la plupart des indica-
teurs ne prennent pas en compte cette dimension et ne résistent donc pas à la
critique de Lucas (Lucas [1976]). Ensuite, beaucoup d’indicateurs ne distinguent
pas explicitement l’« importance systémique » et la « fragilité systémique ».
De plus, souvent ces indicateurs reposent sur des hypothèses qui sont satisfaites
en temps normal, mais plus en période de crise lorsqu’ils devraient être les plus
utiles. Par ailleurs, le faible nombre d’événements systémiques réduit la robus-
tesse de ces outils statistiques, ce qui incite à raisonner davantage en termes
de scénarios pouvant être à l’origine d’événements systémiques. Enfin, il n’y
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ANNEXES
Figure A1.1. JP Morgan Chase mes, 2000-2014 – Pertes marginales attendues (mes)
pour des baisses d’au moins 40 % en six mois du cours des actions américaines
V-Lab (2014)
9.0
8.0
7.0
6.0
5.0
4.0
3.0
2.0
1.0
0.0
2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014
Source : V-Lab.
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Source : V-Lab.
498
499
Lecture du graphique : le trait fin indique la probabilité, pour l’Espagne, d’être en situation de crise immobilière.
Elle est identifiée par un modèle favar avec changement de régime markovien. La zone grisée mesure la propor-
tion de pays de l’ocde en crise financière établie à partir de données collectées par le fmi.
Source : de Bandt et Malik [2010].
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0.0075
Crisis Regime – Response of HPIESP
0.0050
0.0025
0.0000
0 5 10 15 20 25 30 35 40
0.004
0.003
Normal Regime – Response of HPIESP
0.002
0.001
0.000
0 5 10 15 20 25 30 35 40
Lecture du graphique : les courbes indiquent la réponse des prix immobiliers espagnols à un choc sur les prix
immobiliers au niveau international. Le graphique du haut correspond aux périodes de crise, et celui du bas aux
périodes normales.
Source : de Bandt et Malik [2010].
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