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Génération chômeurs

Les jeunes qui n’ont ni travail, ni formation deviennent enfin une préoccupation majeure
pour les gouvernements.

Plus de 75 millions de jeunes sont sans travail dans le monde. On en compte 26 millions
dans les pays développés, chiffre en hausse de 30% depuis le début de la crise, en 2007. Même
en Asie orientale, région en plein essor, le taux de chômage des jeunes en 2011 était 2,8 fois plus
élevé que celui des adultes. Le phénomène est mondial.
Il est aussi sous-estimé. Le magazine The Economist parle d’une «génération sans
emploi» et s’alarme des conséquences au sud, comme le printemps arabe, et au nord où les dettes
et le vieillissement vont poser de façon aiguë des problèmes de financement.
Tharman Shanmugaratnam, vice-Premier ministre de Singapour et Président du
comité directeur du FMI, note:
«Le premier enjeu actuel est l’équité entre les générations. Si l’on examine la nature du
problème budgétaire dans les pays avancés, sa composante la plus importante, à un horizon de 8
à 10 ans et au-delà, est en fait intergénérationnelle.»
Découragement précoce
Le Bureau international du travail (BIT) explique que «nombre des jeunes connaissent le
chômage de longue durée dès leur arrivée sur le marché du travail, une situation qui n’était
jamais observée lors des précédentes récessions économiques».
Plus de 6,4 millions de jeunes ont été, d’emblée, découragés de chercher un travail, en
particulier dans les économies développées et l’Union européenne. Le BIT souligne:
«Des périodes de chômage et de découragement aussi longues et précoces dans la
carrière d’une personne portent aussi préjudice aux perspectives de long terme, parce que les
compétences professionnelles et sociales s’amenuisent et qu’aucune véritable expérience
professionnelle n’est accumulée.»
En outre, de nombreux jeunes de par le monde se trouvent «piégés avec un emploi à
faible productivité, temporaire ou tout autre statut qui n’est pas à la hauteur de leurs
aspirations», poursuit le BIT.
Emplois atypiques
Dans les économies développées, les jeunes sont de plus en plus recrutés pour des
emplois atypiques. L’obtention d’un travail à durée indéterminée ne cesse d’être remise à plus
tard du fait de la crise. Pour nombre de jeunes, il s’agit souvent de la seule option disponible. La
tendance accrue vers des emplois de plus courte durée pour les jeunes pourrait d’ailleurs
s’expliquer par les politiques de flexisécurité: l’assouplissement de la législation sur les coûts de
licenciement et les contrats réguliers (et non sur les contrats temporaires), associé au faible
pouvoir de négociation individuel des jeunes, provoque, quand la croissance manque, de tels
contre-effets.
Dans les économies en voie de développement, les jeunes font face à d’importantes
barrières structurelles. Une forte proportion de jeunes tend à s’engager dans des activités
informelles et non-rémunérées, notamment au service d’entreprises ou de fermes familiales. Les
tendances démographiques sont telles que la jeune main d’œuvre ne cesse de croître, précisément
dans les régions où peu d’opportunités d’emplois rémunérés existent, et où la précarité au travail
subsiste, en particulier en Afrique sub-saharienne et en Asie du Sud.
L’éducation à la rescousse
Que faire? La meilleure façon et la seule à long terme de redonner du travail aux jeunes
est bien entendu la croissance. Mais de l’Espagne à l’Egypte, les exemples abondent pour
montrer qu’une reprise économique ne suffira pas. L’éducation et la formation sont la première
clé de sortie. Elles favorisent la productivité et l’employabilité potentielles. En temps de crise,
les jeunes n’ayant reçu qu’une éducation primaire souffrent du taux de chômage le plus élevé,
bien pire que celui des personnes les plus diplômées.
Mais l’éducation peut se révéler aussi comme un obstacle à l’emploi, on le voit en
Tunisie. Les jeunes sont «trop» diplômés pour les emplois qui se présentent. L’ouverture des
marchés de services et de biens, autrement dit la facilité de créer des entreprises, est le
complément indispensable de l’éducation pour occuper la jeune main d’œuvre.
Les réformes du marché du travail sont l’autre clé. Il y a une corrélation forte entre la
flexibilité et l’emploi: plus les règles sur le marché du travail sont souples, plus le chômage est
bas. Cependant, là aussi, la règle n’est pas absolue. La Grande-Bretagne offre une grande liberté
de licenciement mais le chômage y persiste à niveau élevé. Le complément indispensable est ici
l’engagement des entreprises en faveur des jeunes. Les considérer seulement comme une main
d’œuvre moins exigeante et corvéable conduit au pire. La responsabilité des entreprises, grandes
comme petites, est nécessaire.
Soutenir le retour à l’emploi
Les politiques dites «actives» du marché du travail constituent la troisième clé de sortie.
Il s’agit du développement de services publics de l’emploi qui suivent les chômeurs un à un, au
plus près et des subventions en faveur des salaires ou des réductions d’impôts qui incitent les
employeurs à embaucher des jeunes.
Il s’agit aussi de la réorientation professionnelle des «découragés», des dispositifs de
formation sur le lieu de travail, de la création ou de l’amélioration des systèmes d’apprentissage,
des programmes de formation à l’entreprenariat, ou encore des programmes destinés aux jeunes
défavorisés.
Les jeunes qui n’ont ni travail, ni formation deviennent enfin une préoccupation majeure
pour les gouvernements. Ils s’inquiètent en particulier du groupe, appelé «Neet» pour «Not in
education, employment or training» («ni étudiant, ni employé, ni en formation»). Ce groupe
constitue souvent au moins 10% de la population des jeunes, et comprend de façon
disproportionnée les jeunes avec un faible niveau d’éducation dans les économies développées.
Eric Le Boucher

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