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PARI

OSÉ









































Belinda Bornsmith








PARI OSÉ









Couverture : © Cora Graphics
Photo de couverture : © Shutterstock.com / 4PM production









ISBN 979-10-91042-64-2

Copyright © 2019 Cyplog









Remerciements


À ma famille pour leur soutien indéfectible

À toutes mes lectrices












Table des Matières

Titre
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Épilogue
Chapitre 1

Bethany

— Alors… alors, s’excita Ashley, tu as trouvé ?
Assise sur mon lit, le téléphone collé contre mon oreille, j’émis un gloussement.
— Yep… j’ai trouvé.
Un couinement strident m’arracha un autre gloussement ridicule.
— Envoie-moi des photos… dépêêêêche…
— Si tu avais été plus patiente et si tu m’avais appelée quelques minutes plus tard, tu les aurais déjà
reçues, répondis-je en déviant mon regard vers le joli sachet aux rayures horizontales, roses et blanches,
posé au bout de mon lit.
— Arghh, je suis dég’ de n’avoir pas pu venir avec toi !
Ce vendredi après-midi, ma meilleure amie avait dû garder son petit frère suite à un problème de sa
mère au boulot ; du coup, elle n’avait pas pu me rejoindre comme prévu, à Manhattan, pour faire mes
emplettes.
— Allez, envoie-moi des photos ! s’exclama-t-elle d’une voix impatiente.
— OK, OK…
Je me levai en lâchant mon téléphone sur la housse de couette. Puis, je pris le sac et déballai le petit
ensemble que j’avais acheté dans la boutique Victoria’s Secret située sur Broadway. Quelques secondes
plus tard, un joli soutien-gorge et son shorty en dentelle assorti apparurent dans mes mains. Une lingerie
sexy dont la couleur bleu ciel rappelait la nuance de mes yeux. J’étalai le tout sur mon lit pour prendre
quelques photos et partageai deux clichés dans ma boîte Messenger.
Je repris mon portable.
— C’est fait….
Il ne fallut pas longtemps avant que je n’entende une autre exclamation.
— Waouh, l’ensemble est magnifique ! Jace va devenir dingue !
Je souris, mes pommettes se colorant, tandis que des ailes de papillons commençaient à battre sur mon
ventre.
— Alors, tu es prête ?
Je mis une petite fraction de seconde avant de répondre :
— Oui… j’ai vraiment envie que ce soit lui.
— Il va se jeter sur toi, Bethany. Pas de doute.
— J’espère bien, plaisantai-je.
Ashley éclata de rire.
— Bon, écoute, je n’ai pas trop le temps là, mais je t’appelle plus tard. Je termine mon service vers onze
heures…
— OK, à plus alors.
Je raccrochai.
En dehors de ses études, ma cops travaillait dans un fast-food situé à quelques blocks de Brooklyn
College, un établissement d’enseignement supérieur dont les droits d’inscription étaient moins chers que
ceux des autres universités de la Nouvelle-Angleterre. Une faculté qui bénéficiait cependant d’une
excellente réputation en plus de son campus magnifique et qui proposait un cursus « Radio et
Télévision ». Ashley avait toujours été attirée par les médias et souhaitait faire carrière derrière les
caméras, sur un plateau télé.
De mon côté, parallèlement à mes études d’infirmière, je faisais quelques heures par semaine dans un
restaurant, à proximité de Columbia. J’avais une bourse, mais elle ne couvrait pas tous mes frais, et je ne
voulais pas trop puiser dans le fonds de placement que mon père m’avait constitué durant des années,
depuis ma naissance.
Je rangeai soigneusement mon ensemble dans le premier tiroir de ma commode blanche, style vintage,
mes pensées se dirigeant de nouveau vers Ashley.
Elle, elle l’avait déjà fait.
Elle avait couché avec son petit ami du lycée (ils avaient rompu depuis qu’il était parti faire ses études à
Cincinnati). L’expérience n’avait pas été des plus agréables, mais d’après ses dires, cela s’améliorait les
fois suivantes. Certes, je n’étais pas aussi expérimentée qu’elle, mais vierge ne signifiait pas que j’étais
complètement naïve sur ce plan. J’avais déjà fait des « trucs » avec deux précédents garçons, sans avoir
été plus loin que la deuxième base (les seins) et des attouchements sur la troisième. Avec Jace, je me
sentais prête à franchir le pas ; j’en avais surtout vraiment envie, et pas seulement pour me débarrasser
d’une virginité qui aurait pu être embarrassante pour une étudiante de première année.
Comme certaines nanas de ma connaissance.
Bon, OK, un souvenir remontant à quelques mois se rappela à moi dans la foulée : le soir où j’avais
raconté que je dormais chez Ashley, alors que je m’étais rendue à une soirée étudiante avec une « copine »
(tousse, tousse) de mon cours de danse. J’avais suivi un mec dans une chambre. Un mec qui me plaisait.
Enfin, l’alcool aidant, je l’avais cru. J’avais vite déchanté. D’une part, la porte à peine fermée, j’avais tout
de suite regretté cette impulsion stupide et d’autre part, une fois dégrisée, il ne m’avait fallu que dix
secondes pour comprendre que c’était un abruti de première. Je m’étais sauvée sous ses insultes… du
genre allumeuse, petite salope pour les plus fleuries.
Jailyn était venue à ma rescousse lorsque je l’avais appelée.
Ma gorge se serra. C’était un souvenir pénible. J’avais réalisé ce que j’avais failli faire… pour de
mauvaises raisons, de très mauvaises raisons. Heureusement que j’avais vite retrouvé mon bon sens. Je
repoussai cette scène avant qu’elle ne m’entraîne un peu plus loin dans mes pensées, sur un chemin que
je ne souhaitais pas du tout emprunter.
Quoique j’étais devenue très bonne à le bloquer dans ma tête.
Éviter d’aller chez mon frère m’aidait énormément, même si Knox avait commencé à le remarquer et à
me le reprocher dans ses derniers SMS. D’après lui, s’il ne se déplaçait pas avec Jailyn, qui avait
rencontré plusieurs fois ma mère, on ne se voyait pas, car je ne faisais jamais l’effort de venir chez lui à
Manhattan, alors qu’en plus, l’école d’infirmière de Columbia, située sur la 168e, était à quelques minutes
en métro de son appart sur la 109e.
Je m’en étais sortie avec une pirouette : début d’année intensive, job, cours de danse, devoirs, etc. Du
coup, il m’avait même proposé récemment de venir chez lui avec Jace, un dimanche.
C’est dire !
Pitié, non…
J’eus un frisson désagréable et m’efforçai de revenir à mon petit copain. Cela faisait trois bons mois
qu’on sortait ensemble. C’était un garçon très chouette en plus d’être canon. Il ne ressemblait en rien à
ces mecs qui n’ont qu’un seul but en tête dès qu’ils posent les yeux sur une nana : la sauter et passer à
une autre. Il incarnait tout ce qu’une fille pouvait rêver de mieux. Il était amusant, intéressant, à l’écoute,
et prêt à attendre : il n’avait jamais tenté de me pousser à aller plus vite que la musique. Bien sûr, comme
je l’ai souligné, je n’étais pas complètement innocente ; on batifolait. Il m’avait déjà donné des orgasmes
avec ses doigts, mais on n’avait pas été plus loin.
Deux billes couleur chocolat parvinrent soudain à se dessiner devant moi avec une force démoniaque,
comme s’il avait réussi à surmonter un barrage infranchissable depuis des semaines ; je les chassai
immédiatement d’une brusque secousse de la tête. Pas question de penser à lui alors que j’envisageais de
coucher avec mon petit ami. Oh non !
Ce stupide crush, c’était du passé. Un crush qui m’avait carrément pourri la vie ces derniers mois.
Bêtement, il m’avait fallu un temps fou pour comprendre ou accepter que je ne serais jamais à ses yeux
que la petite sœur de son meilleur ami, mon frère. Autant dire une gamine pour lui, voire une petite sœur
de substitution, depuis le temps qu’on se connaissait.
Message enfin reçu. Cinq sur cinq !
Bien aguerrie au cours des mois passés (oh oui !), ma carapace se colmata dans la seconde et je me
forçai de nouveau à penser à Jace. Un sourire se dessina sur mes lèvres.
Un tas de filles m’enviaient à Brooklyn et à Manhattan.
Et ce garçon comptait pour moi.
J’étais bien en sa compagnie, dans ses bras.
J’éprouvais des sentiments naissants pour lui. Je le sentais.
Alors samedi, je franchirais le pas sans regret ! Certaine ! J’étais super heureuse que ce soit avec lui,
soulagée également de n’avoir pas fait une immense connerie avec ce connard à cette fameuse soirée.
Mon cœur se mit à battre d’anticipation.
J’en frissonnai. Prise d’une subite impulsion, je saisis mon portable pour afficher son dernier message.
Jace : Tu me manques.
Une petite chaleur envahit ma poitrine. Ce week-end, je ne le verrais pas, car il avait un stage de
kickboxing à Philly. J’avais hâte qu’il m’appelle dans la soirée. Durant la semaine, il était assez difficile de
se voir, parce que, même si Jace fréquentait Stern – réputée déjà pour son niveau d’exigence –, sa fac se
situait carrément à l’autre bout de Manhattan près de Washington Square. Avec nos emplois du temps
chargés, les cours, nos jobs respectifs, le kickboxing pour lui, la danse pour moi, ce n’était pas simple ;
alors, on se voyait en majorité les samedis ou/et les dimanches. La semaine à venir étant particulièrement
intense pour tous les deux, on s’était donné rendez-vous chez lui samedi prochain, ses parents étant
absents tout le week-end, en visite dans le Connecticut.
Ce soir-là, je voulais que tout soit parfait.
Un second regard vers le sac Victoria’s Secret déclencha un autre sourire sur mes lèvres, des ailes de
papillons revenant à la charge le long de mon ventre. Puis j’entendis tout à coup mon estomac
gargouiller ; je jetai un coup d’œil sur mon portable : dix-huit heures. Ma mère était de nuit cette
semaine. Dans le frigo, il restait des lasagnes que tante Anna nous avait apportées la veille. Parfait.
Soudain affamée, je me léchai déjà les babines.
Je me changeai rapidement, legging et tee-shirt kitty, laissant mes cheveux blonds libres dans mon dos.
Je sortis de ma chambre et passai devant celle de Chase. Pas un bruit. À cette heure, il était rentré de son
boulot.
Je descendis les escaliers. Une fois dans la cuisine, je préchauffai le four avant de prendre le plat dans
le réfrigérateur. Je choisis également quelques légumes pour me préparer une salade composée.
Quelques minutes plus tard, j’entendis des pas ; Chase apparut dans le chambranle.
Je tournai la tête vers lui, l’air espiègle :
— Tu as senti les lasagnes ?
— Peut-être…
Il eut ce petit sourire. Celui qui m’avait énormément manqué au cours des mois précédents, qui
commençait à revenir depuis quelques semaines. Il faut dire que je savais aussi quels sujets éviter : notre
père, sa femme Clarisse, et la naissance du bébé, notre demi-sœur. On n’en parlait pas, tout simplement.
Mais j’avais espoir qu’un jour… on pourrait… comme je pouvais le faire à présent avec Knox de temps en
temps. Qu’il n’y aurait plus cette colère et cette profonde amertume au fond de lui.
À vrai dire, je comprenais honnêtement son ressentiment envers notre père. J’avais conscience de la
forte pression que ce dernier avait pu exercer sur lui et Knox, et de la souffrance de Chase quand le
cocon familial avait explosé. Tout comme moi, il avait cependant réussi à surmonter le divorce, puis tenté
de prouver, au fil des années, qu’il pouvait devenir l’un des meilleurs joueurs de son équipe à l’université,
au point d’intéresser des scouts. Pour que notre père soit fier de son fils.
Mais une mauvaise blessure avait tout brisé.
Depuis, ce sentiment de n’être plus rien à ses yeux avait enflé jusqu’à ce fameux coup de fil où il avait
insulté Clarisse. Et quand il avait été mis au courant de sa grossesse plus tard, cela avait été la goutte
d’eau de trop. Une nouvelle qu’il avait apprise de la bouche de ma mère, dans des circonstances
chaotiques. D’ailleurs, je m’en sentais encore coupable. En effet, Clarisse m’avait mise dans la confidence
et j’avais peut-être pris une mauvaise décision en cachant ça à mon frère. Mais j’avais simplement voulu
le préserver et trouver, lorsqu’il irait mieux, le bon moment pour le lui annoncer. Et le fait aussi que ma
mère, fragile psychologiquement, n’en sache rien non plus au début, n’avait pas arrangé mon dilemme
pendant des semaines.
Un soir, j’avais confié à Knox que Clarisse était enceinte.
Bien sûr, mon frangin avait tout de suite compris qu’on était assis sur une bombe prête à exploser à tout
moment, mais il avait respecté ma décision d’attendre. Après coup, il m’avait certifié d’une manière ferme
et sans appel que le fautif était notre père, que celui-ci n’avait pas pris ses responsabilités envers notre
famille. Il refusait que je me sente coupable.
Une grosse bouffée d’affection m’inonda à ce souvenir. Knox pouvait être chiant parfois, trop protecteur,
trop possessif, mais il était toujours là pour moi, pour… nous. Une ancre, un pilier, une personne que
j’admirais profondément.
Mon regard s’attarda sur Chase qui ouvrait le frigo d’une allure décontractée, le visage reposé. J’aimais
penser que ces semaines très noires étaient derrière nous. Définitivement. Il avait accepté de prendre
une autre voie, soutenu en cela par Zack et Knox (enfin… dans un premier temps). À présent, leur relation
était devenue… plutôt bizarre. Mes deux frères échangeaient des banalités lorsqu’ils se voyaient ici, à la
maison, mais sans plus. Je n’ignorais pas que Knox lui en voulait particulièrement d’avoir mêlé Cruz à
tout ça, le fameux soir où Chase avait disparu. Et je savais en mon for intérieur que ce dernier s’en
voulait aussi terriblement.
Mais un fossé s’était creusé entre eux et aucun ne tentait de le franchir. Toutefois, j’avais la très forte
intuition que Knox cherchait aussi à se protéger… en quelque sorte. Je ne sais pas ce qu’ils s’étaient
balancé à la figure, mais je pressentais que Chase l’avait… vraiment blessé. Le ton avait sacrément monté
mais, réfugiée dans le salon, je n’avais pas tout capté de leur dispute. Depuis, il y avait cette distance…
Mais comme à l’accoutumée – une qualité ou un défaut ? –, j’avais espoir qu’on surmonterait tous nos
problèmes pour redevenir une famille unie. D’ailleurs, j’étais certaine que Knox se tenait informé par
Zack de la manière dont cela se passait au boulot. Du moins, un minimum. Jamais il ne laisserait tomber
Chase.
Alors, il fallait laisser faire le temps.
De mon côté, j’étais super heureuse que notre frangin se consacre de nouveau au dessin, une passion
que notre père avait toujours trouvée futile, digne d’un loisir, sans plus. Et encore ! Mais Chase se fichait
maintenant de ce que celui-ci pensait et, tout comme Knox, il l’évitait à présent. D’après ce qu’il m’avait
confié un soir, il avait des projets bien précis. Il voulait tout d’abord mettre le maximum d’argent de côté
pendant un an, avant de tenter d’intégrer une école d’art de Manhattan tout en gardant son emploi en
parallèle chez Zack qui le soutenait à fond, prêt à adapter ses horaires en conséquence. Mais dans tout
ça, je trouvais tout de même dommage qu’un bébé innocent, notre future demi-sœur, soit considérée
comme une pestiférée.
Je réprimai un soupir en glissant le plat dans le four avant de me diriger vers l’îlot pour continuer à
préparer ma salade.
— Ça avance ta bande dessinée ?
Chase s’était servi un jus de fruit qu’il sirotait à ma gauche, le dos appuyé contre un placard.
— Ça va… Je bloquais sur une scène depuis quelques jours, mais j’ai une idée… Elle devrait fonctionner.
— Je suis certaine que les lasagnes vont t’aider.
Il gloussa dans sa barbe et une bouffée d’affection envahit ma poitrine. L’ancien Chase m’avait tellement
manqué, que les moindres de ses sourires et plaisanteries faisaient du bien. Il tendit soudain la main et
me piqua un bout de cèleri qu’il croqua. En retour, je lui donnai une tape sur le bras.
— Hey, bas les pattes !
Il me fit un clin d’œil.
— Alors, pas de rendez-vous galant ce week-end ? demandai-je tout à coup.
Un son sarcastique sortit de sa bouche. Mais autant prêcher le faux pour savoir le vrai. Et j’étais
curieuse…
— Un tas de nanas dans mon cours de danse te trouve aussi hot que Knox.
Knox, je refusais de le bannir de nos conversations !
— Bah, elles se trompent, je suis nettement plus hot que lui.
Soulagée, je m’apercevais à chaque fois qu’il ne refusait jamais de mêler notre frangin à nos blagues,
même si leur relation à tous les deux était… ce qu’elle était. En stand-by, on va dire.
— Alors ?
— Pas le temps, bougonna-t-il. Et je n’ai pas envie de m’emmerder avec une nana.
Okayyy…
— Tu sais… tu peux sortir avec tes copains, lançai-je en lui jetant un regard oblique.
Tant qu’il évitait les soirées de Trent qui menait une vie chaotique, d’après des échos… Je plaignis
soudain sa sœur Hannah, que j’avais l’habitude de croiser à l’époque du lycée. On ne faisait pas partie du
même cercle, mais je l’avais toujours trouvée sympa.
Chase me fit une pichenette sur la joue
— T’inquiète pas pour moi, sœurette, quand je commencerai à grimper aux murs, j’irai chasser.
J’éclatai de rire.
— Je vois que tu es aussi romantique que Knox avant qu’il ne rencontre Jailyn ! Allez oust, va mettre la
table dans le salon. Netflix, ce soir, ça te dit ?
— Ça dépend ! T’es toujours bloquée sur ta série merdique ?
Tout ça parce qu’il y avait quelques baisers et une légère histoire d’amour en fond ! Ah, ces mecs ! Je
levai les yeux au ciel.
— Je l’ai finie.
— Alléluia !
Il eut droit à une autre tape qu’il esquiva d’un mouvement souple avec un petit rire. Je le vis prendre
deux assiettes et les couverts avant de se diriger vers le salon.
Finalement, on visionna trois épisodes, puis on monta se coucher. Quand j’entrai dans ma chambre, mon
portable vibra au même moment. Je souris en décrochant :
— Hey…
— Hey…
Jace.
Une légère chaleur me traversa de part en part au son de sa voix.
— Alors ? Comment ça se passe ?
Jace s’était inscrit au championnat universitaire de kickboxing, un championnat assez récent si on le
comparait à d’autres sports plus traditionnels comme le foot ou le basket-ball. Ce premier week-end,
consacré à la préparation physique, se déroulait à Philly. J’évitai de penser que lorsque les compétitions
démarreraient, on se verrait encore moins.
— Le complexe est très sympa. Le coach a prévu différents tests demain matin, des exercices et
quelques matchs dans l’après-midi. Il y a des mecs qui viennent de différentes universités de l’Est, et des
très bons apparemment. Ce sera déjà un bon challenge. Et toi, raconte-moi ta journée, enchaîna-t-il
direct.
C’était ça, Jace : il n’était pas du genre à saouler sa nana avec son sport favori. Je lui fis un petit compte
rendu, lui dissimulant toutefois mon escapade dans la boutique Victoria’s Secret et notre conversation
dura une bonne demi-heure. Au moment de raccrocher, il lâcha d’une voix rauque qui me fit frissonner :
— Je suis pressé de te voir, Bethany.
Mon estomac fit un flip flop.
— Moi aussi, Jace, murmurai-je soudain essoufflée.
— Si je n’avais pas une semaine de folie…
Avant qu’il ne se laisse envahir par la culpabilité, je le coupai tout de suite :
— Jace, je comprends. Moi aussi, j’ai un agenda de dingue. Mais samedi… je serai tout à toi…
— J’y compte bien !
Un véritable grondement.
Je dus m’asseoir sur mon lit et serrer les cuisses, sentant mon corps pulser à plein d’endroits.
— Et je serai tout à toi…
— Oui…
Ma voix se résuma à un autre murmure encore plus essoufflé. Je serrai plus fort les genoux, consciente
que mon sexe s’humidifiait et que mes seins s’alourdissaient.
Sept longs jours avant que je ne sente ses mains sur moi, ses baisers…
Sept longs jours avant que l’on ne fasse l’amour.
À cette seconde, jamais je n’avais été aussi sûre de moi et de ma décision.
— Bonne nuit, mon ange.
— Bonne nuit, Jace.
Quand je raccrochai, j’avais un grand sourire rêveur aux lèvres.

Le samedi, je fis le moins de bruit possible, ma mère se reposant après sa nuit de garde. Quant à Chase,
il était parti très tôt, car il bossait toute la journée au studio de tatouages. Dans la matinée, je me coupai
des réseaux sociaux afin de travailler mon cours de psy. Comme déjeuner, j’avalai la moitié d’une pizza
avant de remonter dans ma chambre pour continuer à trimer. L’après-midi, j’entendis du bruit dans la
cuisine et descendis. Assise à table, ma mère buvait un café et lisait un magazine. Elle sourit lorsqu’elle
me vit entrer.
— J’ai préparé du café.
Je lui fis une bise sur la tempe en passant près d’elle.
— Je vais plutôt boire un thé, répondis-je.
Je m’approchai de la bouilloire.
— Qu’est-ce que tu lis ?
— Cosmo.
Je l’entendis glousser et jetai un coup d’œil par-dessus son épaule. En grand, je pus lire le titre : « Les
hommes ont aussi des craintes ». Je connaissais cette rubrique à présent. Certains témoignages pouvaient
être à mourir de rire. D’ailleurs, dernièrement, j’avais eu des sacrés fous rires avec ma mère. C’est tante
Anna qui l’avait convertie à ce magazine et c’était tant mieux.
— De quoi ça parle cette semaine ?
— Les peurs des hommes.
Elle se mit à lire à voix haute :
— J’évite de me disputer avec ma petite copine autrement que par téléphone : elle est très sportive et
mesure douze centimètres de plus que moi. On ne sait jamais.
Je pouffai et ma mère en sortit d’autres, des perles qui nous firent éclater de rire. Ah, que cela faisait du
bien de la voir aussi vivante ! Je m’assis près d’elle et grignotai un donut au chocolat (mon péché mignon)
tout en croisant plusieurs fois son regard pétillant alors qu’elle s’éclatait avec un autre article. Au son de
sa voix animée, mes pensées dérivèrent vers un passé douloureux. Lorsque mon père l’avait quittée –
nous avait quittés –, son monde s’était écroulé. Le mien aussi, à vrai dire. Mes parents faisaient partie de
ces couples qui s’étaient connus très jeunes et qui n’avaient pas tenu la distance, alimentant les
statistiques affolantes du nombre actuel de divorces dans ce pays.
Pour ma mère, la séparation avait été très dure. Longtemps dépressive, elle avait commencé peu à peu à
remonter la pente, avec des périodes encore plus ou moins difficiles, voire très difficiles. Toutefois, elle
allait mieux depuis un petit moment. Puis il y avait eu ce fameux jour où tout était parti en live, lorsqu’elle
avait appris la grossesse de Clarisse.
Si dans un premier temps elle avait craqué, avec cris et larmes, la suite lui avait servi d’électrochoc. En
effet, les événements qui s’étaient enchaînés immédiatement après l’avaient profondément secouée : la
fuite de Chase, la violente dispute entre mes frères, ses fils, et enfin le bouquet final : Knox qui lui avait
assené ses quatre vérités.
Un coup de massue sur sa tête !
Trois jours plus tard, elle avait pris rendez-vous chez un psychologue qui la suivait depuis. Poussée par
un désir farouche de s’en sortir COMPLÈTEMENT, elle transpirait à présent d’une volonté de fer qui lui
avait tant manqué pendant longtemps. Elle ne voulait plus que mon père ait sur elle un pouvoir entraînant
des répercussions douloureuses sur ses propres enfants. Et ses efforts portaient leurs fruits. Elle avait fait
son deuil – du moins, à sa façon.
Oui… Son mari ferait toujours partie d’elle, d’un pan de sa vie, et mes frères et moi, on le lui
rappellerait toujours ; mais elle ne voulait plus verser une seule larme pour lui. Elle ne voulait plus se
laisser bouffer par sa douleur ! Le résultat ? Depuis des semaines, quand mon regard se posait sur
elle, ma petite boule au ventre avait disparu : « Est-elle ou non dans un bon jour ? » « Y a-t-il un
évènement futur, une date, un souvenir, qui va la rendre mélancolique, voire pire ? »
Au fil du temps, elle était redevenue coquette. Elle retournait à nouveau chez le coiffeur et, en dehors
du boulot, elle n’attachait plus en permanence ses cheveux en un chignon informe. Petit à petit, elle avait
aussi renouvelé sa garde-robe ainsi que son maquillage. Elle sortait beaucoup plus avec tante Anna :
cinéma, restaurant, virées SPA, réunions entre femmes du quartier avec qui elles organisaient des
séances de lecture – romance, thriller, chick-lit –, des sorties au musée, etc.
Elle revivait pleinement. Enfin !
De mon côté, évidemment, j’avais eu aussi des griefs contre mon père, mais j’avais progressivement
compris que Clarisse était ce dont il avait eu besoin à un tournant de sa vie. J’avais réalisé que, parfois,
les adultes n’évoluaient plus de la même façon. De profondes différences pouvaient se creuser entre eux,
telles d’énormes tranchées.
Ma mère avait toujours été… disons… effacée, en admiration devant son mari. Il prenait les décisions.
Point barre. D’aussi loin que je m’en souvienne. Un genre de soumission qui s’était retourné contre elle,
car son opposé avait croisé le chemin de mon père. Clarisse était complètement différente. Plus punchy,
plus jeune (oui, le cliché malheureux !), mon père avait craqué pour elle, alors que son mariage s’enlisait
dans une routine étouffante, ennuyeuse, avec une femme… dont il n’était plus amoureux.
Une vérité simple.
Par la suite, Clarisse avait su m’apprivoiser petit à petit, son foyer se transformant en refuge pour moi
lorsque ma mère… vacillait… connaissait « ces » phases difficiles.
Un constat étonnant ? Certainement !
Après tout, elle avait « volé » mon père. Eh bien, non… Durant les plus mauvais moments, elle avait été
une oreille attentive, une aide précieuse et, au cours de mon adolescence, j’avais très bien compris que le
problème, ce n’était pas elle en soi. Elle n’avait pas arraché mon père à sa famille ; il avait déjà quitté le
navire il y a un bout de temps (métaphoriquement), bien avant de la connaître.
La séparation de mes parents ? Un événement inéluctable.
Pendant cette période et après, j’avais aussi compris que ma mère aurait dû être plus forte pour ses
enfants ; cependant, contrairement à Knox, je ne lui en avais jamais voulu de ses faiblesses. Difficile de
tenir rigueur à une personne qui avait peut-être… trop aimé quelqu’un. De toute façon, on ne refaisait pas
le passé ! À présent, tout ce que je souhaitais – et de tout mon cœur –, c’est qu’elle puisse refaire un jour
sa vie avec un homme bien qui la rendrait heureuse.
Je la vis se lever pour se resservir un café.
— Tu vas à la danse ?
Son cycle de gardes étant terminé, elle avait quelques jours de congé avant le suivant. Je finis la
dernière gorgée de mon thé.
— Oui… Rhonda a un rendez-vous à Manhattan avec une costumière et a exceptionnellement repoussé
son cours d’une heure.
Elle eut un hochement de tête en se rasseyant.
— Ta tante et moi, on a prévu ce soir d’aller manger au Medusa. Tu veux venir avec nous ?
Elle n’ignorait pas que Jace était à Philly.
On mangeait super bien dans ce resto, et le décor était vraiment très joli avec un côté cosy qui faisait
son succès. Tante Anna connaissait le patron – donc, nul besoin de réserver des semaines à l’avance,
comme le commun des mortels, pour un samedi soir.
— Oui, je veux bien ! Mais du coup, mon cours finit plus tard, vers six heures…
— Pas de souci, on t’attendra.
Et avant que je n’ouvre la bouche.
— Demande à Ashley si elle peut venir avec nous.
J’eus un sourire rayonnant.
— Merci.
— Tu as besoin de la Honda, Bethany ?
— Non, Sandy, une copine de mon cours, passe me chercher.
J’avais mon permis, mais pas de voiture.
Mon père avait proposé de m’en payer une : un modèle d’occasion. Mais j’avais refusé ! Il ne l’avait pas
fait pour Knox ni pour Chase, alors hors de question qu’il le fasse pour moi. Même si je savais très bien
que ça n’aurait pas dérangé le moins du monde mes frangins. Je voulais me débrouiller seule, tout comme
eux. Lorsque mes économies le permettraient, je prévoyais d’en toucher un mot à Knox qui en parlerait à
Ryder. Son pote avait le chic pour dénicher des occasions pas chères et en bon état. Vu sa langue bien
pendue, il n’y avait rien d’étonnant à ça. Je souris à cette pensée avec une petite lourdeur dans la
poitrine.
Ryder me manquait aussi.
Je chassai cette sensation dangereuse qui risquait de me conduire sur un terrain mouvant qui portait un
nom. Je me focalisai sur une future voiture. Pour l’instant, il n’y avait rien d’urgent, surtout lorsqu’on était
une étudiante qui passait la majeure partie de son temps à Manhattan, avec ses moyens de transport :
métro et bus. Contrairement à d’autres filles de ma promo qui n’étaient pas de New York, je pouvais
rentrer à Brooklyn tous les jours. Pas de frais supplémentaires. Et c’était un sacré souci en moins. Quant
à mon job, une collègue, Gillian, étudiante en économie, m’hébergeait selon mes horaires. Je travaillais
chaque semaine le mardi et le mercredi, pas plus tard que vingt- deux heures, et une fois sur deux, le
vendredi et le samedi. Ces jours-là, le resto fermait plus tard, le dernier service démarrant vers vingt-trois
heures.
D’ailleurs, j’aurais dû travailler le week-end suivant, mais Gillian avait accepté de me remplacer. Gary,
un patron vraiment sympa, s’en fichait tant que cela roulait et ne perturbait pas le bon fonctionnement du
boulot. En général, Chase s’arrangeait pour venir me chercher quand je finissais tard, mais s’il avait un
empêchement, je dormais chez Gillian. Que ce soit Knox, Chase ou ma mère, ils m’avaient fait savoir qu’il
était hors de question que je prenne le métro à des heures indues. Et pour tout avouer, je n’étais pas fan
non plus, et je m’entendais bien en outre avec Gillian.
Je captai soudain un bruit de moteur, la voiture de Sandy. Je me levai.
— À tout à l’heure, maman.
— À tout à l’heure, Bethany.
Je montai en vitesse chercher mon sac de sport.
Entre le cours de danse et la soirée entre filles au Medusa, cela passa très vite. Ashley fit un saut le
lendemain et put admirer de ses propres yeux mon dernier achat. Quand elle partit, car elle avait un truc
à réviser, je bossai mon cours de bio générale avec tout ce que le corps humain pouvait compter de
tissus : musculaire, nerveux, osseux. J’allais en rêver la nuit !
Puis, lundi pointa le bout de son nez. Chase me déposa devant le bâtiment vitré, flambant neuf, de la
School Nursing de Columbia University, avant de se rendre au studio. Zack avait réussi à lui trouver une
place de parking, prise en charge par la société, non loin de son lieu de travail. Je le soupçonnais de
l’avoir fait également pour moi, pour que Chase puisse m’accompagner le matin. Si je commençais plus
tard, j’allais à la bibliothèque ou dans un petit café sympa situé à un block, seule ou avec deux copines de
ma promo. J’eus une pensée affectueuse pour Zack et ses tee-shirts gores. Cela me fit sourire.
Je me dirigeai vers l’entrée. Je débutais bien la semaine : bio dès la première heure.
Bah… t’as choisi, ma grande, tu vas en bouffer cette année…
Plongée dans ma routine, les jours filèrent très vite et mon impatience grandit à l’approche du week-
end.
Chapitre 2

Cruz

La nana se raidit sous mon pistolet à tatouage.
— On peut faire une pause...
— Ça va aller, lâcha-t-elle dans un souffle.
Je repris ma tâche et continuai à remplir la rose que Tara, ma cliente, avait choisie comme modèle pour
sa hanche. Son deuxième tatouage. Il y a six mois, je lui avais déjà dessiné une hirondelle sur l’épaule. Au
bout de vingt minutes, j’essuyai l’encre qui avait coulé sur sa peau avant de lever la tête, sa séance de
torture terminée. Les traits de son visage se détendirent illico. Je recouvris d’un pansement la peau pour
le moment sensible, puis posai mon instrument sur la tablette à proximité. J’enlevai mes gants en
plastique, les jetai dans la poubelle près du lavabo.
— Tu connais le topo, Tara ?
Les consignes d’hygiène.
Elle me sourit.
— Oui, t’inquiète.
Je l’aimais bien, cette gonzesse, une petite brunette avec qui j’avais sympathisé. Vendeuse dans une
boutique de fringues, située à un block de C & Z, il m’arrivait de la croiser dans le coin. On se tapait la
discute sans la moindre ambiguïté, cette fille ne m’ayant jamais fait de rentre-dedans. On aurait pu me
balancer à la figure qu’avoir un copain était pour elle une très bonne raison, mais j’avais assez
d’expérience au studio pour savoir que ce genre de détail n’en stoppait pas certaines. Oh non ! Dans le
lot, il y avait de sacrées chaudasses qui brûlaient d’envie de se taper leur tatoueur latino. Il serait
malhonnête de ma part de prétendre que je n’en avais jamais profité. D’ailleurs, cela ne me posait pas de
souci particulier. Ce n’était pas comme si j’avais connu leur vie en dehors, et notamment si elles avaient
un mec ou non !
Quand on avait ouvert notre première boutique, Zack et moi, avant de déménager dans ces nouveaux
locaux, à sa troisième séance, une de mes clientes s’était pointée avec son gars. Une nana que je m’étais
tapée un soir de la semaine précédente, après qu’elle m’eut glissé son numéro de téléphone au moment
de partir. Et d’après leur conversation, ils sortaient ensemble depuis trois mois. Bon, OK, ça avait été un
peu bizarre sur le coup. Depuis, plus rien ne me surprenait. Je ne me posais pas de questions, si cela
devait aller plus loin avec des clientes qui me plaisaient et qui me faisaient comprendre la même chose,
sans y aller par quatre chemins.
Elles voulaient baiser ? Moi aussi ?
Eh bien, l’affaire était réglée entre adultes consentants. Je n’allais pas mener une enquête pour
m’assurer qu’elles étaient célibataires. La seule limite que je m’imposais : jamais ici, sur mon lieu de
travail. Parce que ça aussi, je l’avais expérimenté, et je l’expérimentais toujours, avec des nanas à moitié
nues, super excitées selon l’endroit où je les tatouais, qui étaient prêtes à écarter les jambes direct, dès la
séance terminée. J’en avais « gentiment » repoussé une paire. Vrai de vrai.
La voix de Tara me ramena sur terre.
— Nick va l’adorer.
Elle avait des étoiles plein les yeux en évoquant sa moitié. Et bon Dieu… que ça faisait du bien de temps
en temps de voir une fille comme elle : complètement marteau de son gars. Une réflexion pour le coup
assez bizarre, car j’avais déjà les mêmes à la maison… Non… à y réfléchir, c’était cent fois pire à la
maison ! Knox et Columbia… c’était le summum du summum. Je ne savais plus si je devais rouler des yeux
à chaque seconde, en rire, ou carrément les envier.
Une fois Tara rhabillée, je l’accompagnai jusqu’à la réception.
— Il restera encore une séance, lui dis-je.
— OK, on se voit samedi prochain, alors. Madison a déjà noté mon rendez-vous.
— Ça marche.
Je lui ouvris la porte.
— Adiós, Cruz ! lança-t-elle d’un air espiègle.
J’eus un petit rire.
— Al sábado.
Son rire cascada dans la rue. Avec un sourire, je refermai la porte et revins sur mes pas. Madison était
au téléphone avec un client. Au même moment, mon portable vibra et un coup d’œil m’avertit que c’était
un SMS de Jacinta.
Jacinta : T’es libre ce soir ?
Mes yeux restèrent fixés sur l’écran.
Jacinta… Une réputation de meilleure suceuse de Manhattan.
Ma queue, elle, intéressée, fit un twist ; mon cerveau, lui, pas tant que ça, me répéta une nouvelle fois
qu’elle commençait à devenir un peu trop collante ces derniers temps. Et même ses performances « gorge
profonde » ne réussissaient plus à occulter ce constat. J’ignorai son message et allai nettoyer ma
station avant de revenir à la réception.
Chase était derrière le comptoir et buvait un café avec Madison, profitant de sa pause avant son
prochain rendez-vous. Le frère de Knox se démerdait vraiment bien. Certes, il était doué en dessin, mais
un bon coup de crayon ne suffisait pas dans ce métier. Lui, il avait tout simplement un talent naturel de
tatoueur, autant artistique que technique. Il faut dire aussi qu’il avait un super prof ; Zack m’avait
également beaucoup appris à mes débuts. Il me jeta un coup d’œil et me sourit.
Je le lui rendis.
Je le sentais encore un peu mal à l’aise par rapport à ce qui s’était passé il y a quelques mois – cette
soirée quand j’avais dû faire appel à mon frère pour le retrouver. Il s’en voulait ! Mais je lui avais fait
comprendre par mon attitude, sans remettre le sujet sur le tapis, qu’il n’y avait aucun souci. Mais tout
comme Knox, il s’inquiétait des possibles retombées sur moi : Rafe avait la réputation de ne jamais rendre
un service gratuitement. Zack arriva sur ces entrefaites, vêtu d’un de ses sempiternels tee-shirts à faire
se dresser les cheveux sur la tête.
Le mec qui l’accompagnait, et avec qui il discutait à bâtons rompus, comptait à lui tout seul sur sa peau
plus de têtes de mort qu’un cimetière dans un film d’horreur. Mon pote repoussa la mèche blond foncé
qui lui tombait sur un œil, ce qui me fit sourire. J’aimais bien le charrier sur son allure de surfeur. Il
raccompagna son client jusqu’à la porte et papota encore quelques secondes sur le seuil. Une fois le mec
parti, il s’approcha du comptoir. Je jetai un coup d’œil sur l’horloge accrochée au mur.
— Hé, Zack, tu n’as pas oublié que je partais plus tôt ce soir ?
Mon pote n’avait pas cherché à en connaître le motif et, pour une raison que je n’arrivais pas à
m’expliquer, je préférais qu’il en soit ainsi.
— Chase est là, pas de souci.
Mon portable vibra de nouveau.
Jacinta : Alors ? Je suis en ville ce soir.
Cette fois, je répondis. Je n’avais pas envie d’entendre l’appareil vibrer dans les heures suivantes.
Moi : Un truc de prévu, p’t’être une autre fois.
Le téléphone resta ensuite silencieux. Cela me convint très bien. Quelques secondes plus tard, ce fut la
tronche de Ryder que je vis apparaître sur mon portable. Photo qu’il avait téléchargée de son propre chef.
Je m’éloignai vers ma station tout en décrochant.
— Yo, mec !
— Vieux, on se fait un billard ce soir, au Nine ? jeta-t-il.
— OK.
— Et Knox ?
— À ton avis ?
— Jailyn travaille ce soir ?
— Yep !
— Bon, il sera là, alors ?
— Ben ouais ! répondis-je.
Mon ton sarcastique ne laissait aucun doute quant à la stupidité de cette remarque.
Ryder rigola :
— Question idiote…
— Non, tu crois ?
— Tu veux qu’on aille se bouffer un truc avant ? demanda-t-il, abandonnant le sujet.
— J’ai une course à faire… Je t’appelle d’abord ?
— OK.
— Hé, Ryder ? J’ai Jacinta qui s’excite un peu sur mon téléphone, je te branche avec elle ?
— Putain… oui ! s’exclama ce pingouin, aussi excité qu’une puce.
Ouais… j’avais connu ça un temps avec elle. Gorge profonde, ça pouvait marquer les esprits, même pour
des mecs ayant depuis longtemps dépassé l’âge de la puberté, mais qui avaient toujours très faim d’une
nana sachant utiliser sa bouche comme une déesse. Jacinta faisait cet effet… Le gars savait qu’il allait
prendre un super pied. Une bonne pipe, un super bon coup, elle était ouverte à tout.
Du moins, ses orifices sont ouverts à tout, pensai-je crûment. Mais quelques signaux d’alarme
tempéraient sérieusement à présent mon envie de remettre le couvert – les deux fois notamment, il n’y a
pas si longtemps, où elle avait fait foirer mes coups avec des nénettes que j’avais draguées au Nine, dans
le but évidemment qu’on se retrouve vite à l’horizontale. Mais Ryder, lui, ne pouvait pas laisser passer
une telle occasion. Surtout que Jacinta, même si elle avait une préférence pour le type latino, adorait de
temps en temps s’encanailler avec des petits blancs dans son genre. Elle mettrait le paquet.
— Le problème, c’est que je n’ai pas envie de tomber sur elle au Nine. Je lui envoie un message pour lui
donner ton numéro de portable, et t’arranges ton coup avec elle ?
— Yep ! Merci, vieux.
— On se tient au courant pour ce soir.
— OK, bye.
On raccrocha. Je tapotai sur mon clavier.
Moi : Ryder est libre.
Jacinta ne tarda pas à répondre.
Jacinta : Hum… hum… ça pourrait m’intéresser.
Tu parles ! Elle devait déjà mouiller sa petite culotte (enfin, si elle en avait une !). Je lui envoyai le
numéro de téléphone de mon pote et rajoutai une couche supplémentaire.
Moi : Il est partant… beaucoup même.
Si on écoutait Jacinta, Ryder était un aussi bon coup que moi. Ce qui n’était pas peu dire d’après elle.
Elle était ferrée, je le savais. Déjà excitée.
Jacinta : Je l’appelle.
Bingo ! Je souris et transmis la nouvelle à Ryder.
Moi : Elle est à point, Ry ! Elle t’appelle.
Il m’envoya un gift ridicule, type manga, où un gars sodomisait une nana.
Ryder : Elle adore ma queue, putain… elle va s’en prendre…
Je m’esclaffai. Jacinta adorait beaucoup de queues, mais je lui répondis par un simple SMS.
Moi : Profite bien, mec. Bonne baise.
Ryder : Compte sur moi ! Je ferai honneur à notre statut de mâles…
J’éclatai de rire. Ah, le con !
Les épaules encore secouées par un fou rire, je posai mon téléphone sur un comptoir en granit qui
occupait toute la largeur du mur au fond de ma salle privative, au-dessus d’une rangée de placards
blancs, et préparai mes instruments en vue de mon prochain rendez-vous de la journée. Journée qui,
exceptionnellement, se terminerait plus tôt que d’habitude.
J’ignorai la petite impatience en moi.
Mon dernier client se pointa pile à l’heure afin de procéder à une ultime retouche sur le dragon que je
lui avais tatoué de l’épaule au poignet. Une belle pièce. Une heure plus tard, je quittai le studio et
récupérai mon pick-up dans un parking situé deux blocks plus haut, entre Lexington et Madison.
En ce samedi, il me fallut cinquante minutes pour atteindre Brooklyn, et dix de plus jusqu’à ma
destination finale. Arrivé à bon port, je me garai au bord d’un trottoir et attendis, le volume de la radio
baissé d’un cran. Quand je vis les premières nanas émerger d’un bâtiment en brique rouge, je descendis
de ma caisse. Je repérai bien vite Bethany aux côtés d’une brunette, toutes deux plongées dans une
discussion animée.
Je m’approchai lentement.
Au passage, je fis un clin d’œil à trois meufs qui me dépassèrent tout en me matant de la tête aux pieds,
avec des regards appuyés. Je les entendis glousser dans mon dos. En cette fin septembre, les
températures étaient encore douces et le tee-shirt blanc que je portais faisait ressortir à la fois mes
biceps, mes pectoraux, le bronzage de ma peau et mes tatouages colorés. Un package qui faisait saliver
bon nombre de gonzesses.
Soudain, la fille qui discutait avec Bethany leva la main en guise de salut avant de s’éloigner vers une
voiture qui l’attendait. Et pas n’importe laquelle : une putain de Camaro Chevrolet. S’il avait été là, Ryder
en aurait éjaculé dans son froc. La petite sœur de Knox pivota vers moi, m’arrachant à cette vision.
Je remarquai illico l’instant où elle s’aperçut de ma présence.
Pas difficile !
Elle stoppa net, les yeux ronds comme des soucoupes. Pendant une fraction de seconde, une lueur de
joie sembla éclairer ses prunelles claires avant que celle-ci ne disparaisse aussi sec, et que son visage se
ferme. De mon côté, je sentis mon estomac faire un twist, assez bizarrement à vrai dire, et je réalisai tout
à coup à quel point elle m’avait manqué après toutes ces semaines de silence. Je la vis s’avancer vers moi,
le pas plutôt prudent, avec un sourire qui n’atteignait pas ses yeux et qui fit remonter à la surface une
impression dérangeante…
Elle paraissait différente depuis quelque temps.
Difficile à expliquer : distante… réservée…
Enfin, différente de la Bethany que je connaissais depuis toute jeune : spontanée, souriante, espiègle,
affectueuse, prévenante. D’ailleurs, je sentis de nouveau ce petit coup de poignard dans ma poitrine
quand un souvenir précis traversa ma mémoire : son absence à l’inauguration de C & Z. Un événement
important pour Zack et moi, qu’on aurait aussi aimé partager avec elle.
Que j’aurais aimé partager avec elle.
Cette réflexion cuisante fut suivie d’une autre : elle ne venait quasi plus à l’appart. La dernière fois
qu’elle avait débarqué, j’étais absent – cet été, lorsque Knox broyait du noir à cause de sa rupture avec
Jailyn. Depuis, plus rien. Du moins quand j’étais là. Je continuai à la dévisager, les bruits alentour se
fondant dans un brouhaha étouffé.
Elle s’approcha et, de ma vision périphérique, je crus voir sa main se crisper légèrement sur le sac
qu’elle tenait. On se rejoignit finalement à mi-chemin avant de stopper tous les deux. À cette distance, je
la sentis encore plus tendue, la nuque un peu raide. Habitué à anticiper les réactions de mes clients sous
la douleur de mes aiguilles, j’avais plutôt le nez fin. D’ailleurs, mon oncle avait toujours vanté mon côté
observateur, dissimulé derrière une attitude je-m’en-foutiste, quand j’étais plus jeune. Entre-temps, j’avais
bien mûri. Pendant un instant, je me demandai si je ne me faisais pas des idées… Et malgré les pensées
bizarres qui me bombardaient le cerveau à cette seconde, cela ne m’empêcha pas de remarquer plusieurs
choses : son jean délavé moulant, ses jolies sandales à talons compensés, les créoles à ses oreilles, sa
chevelure dorée sur ses épaules délicates et son tee-shirt rose… qui épousait ses formes.
Un style frais et sexy à la fois.
Mais mes yeux restèrent strictement plantés sur son visage. J’ignorai le petit malaise en moi et le
second twist qui tordit mon estomac, et je refoulai toute sensation gênante. Des sensations que je ne
voulais pas creuser, ou au sujet desquelles je ne voulais pas me poser de questions.
— Salut, Bethany ! lançai-je d’un air enjoué, mon sourire habituel plaqué sur mes lèvres.
— Cruz ? lâcha-t-elle d’un ton surpris. Qu’est-ce que tu fais là ?
Eh bien… l’accueil était loin de déborder de joie. Ouais… il y avait bien un truc différent depuis quelque
temps. Je l’étudiai du regard avant de répondre :
— Je suis bien obligé de venir te voir puisqu’on n’a plus de nouvelles de toi.
À la base, c’était une plaisanterie, mais je sentis à ce moment qu’il y avait une grosse part de vérité
dans ma remarque. Elle se raidit une nouvelle fois et je captai un truc dans l’atmosphère qui
s’apparentait bien à un énorme malaise ; puis elle se détendit d’un mouvement de tête de gauche à droite,
un grand sourire se dessinant sur sa jolie bouche, les traits plus chaleureux, la main levée en un geste
désinvolte. Pendant quelques secondes, je retrouvai la Bethany familière.
Rassurante.
— Oh, tu sais, entre les cours et tout le reste, ce n’était pas évident ! Désolée...
OK… J’aurais vraiment voulu la croire, vraiment, mais… quelque chose en moi s’y refusait.
D’ailleurs, son visage me donna raison car il se referma, adoptant une nouvelle fois cet air légèrement
distant.
Je n’allais pas insister.
Du moins, pas aujourd’hui.
— Je voulais te voir pour un truc. Tu as le temps ? Je te paie un café.
Elle hésita.
— Me voir ? répéta-t-elle avec lenteur comme si elle avait mal compris ma question. J’ai une course à
faire… et j’ai rendez-vous avec Jace, rajouta-t-elle d’une voix enrouée.
Ah oui, Kickboxing ! Le petit ami.
Je refoulai de nouveau une sensation bizarre, de toutes mes forces, cette fois-ci. L’une de ces sensations
qui faisaient partie de celles que je ne voulais pas creuser. D’ailleurs, je souris plus largement en
balançant d’un ton cajoleur :
— Allez, Bethany, je n’en aurai pas pour longtemps.
Le visage fraternel.
La totale...
— C’est l’anniversaire de Knox en décembre, continuai-je, et je voulais organiser une petite sauterie… Je
me suis dit que tu pourrais m’aider.
Un éclair de surprise passa dans ses prunelles bleues.
— T’aider… Moi ?
— Oui, toi, insistai-je, tu es sa sœur et vous êtes proches. Alors, on va se le boire, ce café ? demandai-je
un brin provocant à présent, le regard braqué dans le sien.
Durant un laps de temps très bref, elle parut lutter contre elle-même (ou je me faisais encore une fois
des idées, mais un fort pressentiment me disait que je ne me trompais pas), et la profonde affection
qu’elle éprouvait pour Knox l’emporta.
— OK, répondit-elle finalement avec un petit sourire.
Je savais qu’il y avait un café où elle aimait se rendre avec les copines de son cours. Je pointai mon
trousseau vers mon pick-up pour le verrouiller avant de glisser mes clefs dans la poche de mon jean
délavé. Puis on se mit à marcher le long du trottoir, côte à côte. Je m’adaptai à ses pas, les pouces dans
les poches de mon fute.
— Alors, le studio ? demanda-t-elle soudain, brisant le silence.
Avec Bethany, les conversations avaient toujours été naturelles, même nos silences, mais je ne pouvais
pas me départir du sentiment qu’elle cherchait désespérément un sujet pour combler un vide pesant.
— Ça marche d’enfer ! Chase est vraiment doué et il commence à se faire sa clientèle.
Ses yeux pétillèrent de joie et une profonde tendresse transpira de tous ses pores. Vanter les qualités de
ses frangins avait toujours eu cet effet-là sur elle. Une bouffée d’affection, teintée d’envie pour mes potes
Knox et Chase, se répandit en moi. J’aurais aimé avoir une sœur avec les mêmes réactions. Moi, je n’avais
qu’un frère aîné, perdu pour moi depuis longtemps, chef d’un gang dangereux, ici, à Brooklyn. Un sujet
que je n’aimais pas aborder.
Une douleur qui n’avait jamais vraiment disparu.
— Oui, il aime beaucoup ce qu’il fait.
— Dommage que tu ne sois pas venue à l’inauguration, jetai-je soudain du tac au tac.
Ce ressentiment s’expulsait enfin de ma poitrine.
Elle rougit, le regard fuyant, alors qu’une chape de plomb paraissait s’abattre autour de nous.
— Je suis désolée… J’avais pas mal de choses à finaliser avant mes examens et mon entrée à la fac.
Entendre de vive voix que tout cela avait été plus important pour elle qu’une courte soirée – quelques
heures dans sa vie, tout au plus – transforma le goût amer dans ma bouche en un gros pincement de
douleur au niveau de ma cage thoracique. Elle savait pourtant à quel point j’avais trimé pour en arriver
là. Cet évènement avait représenté un moment spécial pour moi, que je voulais célébrer entouré des
personnes les plus chères dans ma vie. Subitement, je préférai changer de sujet, car le terrain me parut
miné, très dangereux, sans que je n’en comprenne vraiment la raison profonde en dehors d’une immense
déception.
— Et toi, les cours, ça va ? demandai-je d’une voix des plus naturelles.
— Oui, ça va ! Le début d’année est assez chargé, mais c’est tellement différent du lycée… Je
m’accroche.
— Je suis sûr que tu vas casser la baraque.
Nos regards se rencontrèrent franchement.
— Merci pour la confiance, lâcha-t-elle avec un petit gloussement, les pommettes plus roses.
Puis, ses yeux se détachèrent brusquement des miens pour se poser sur un point dans le vague. À cet
instant, on arriva devant le café et elle accéléra le pas avant que je ne puisse lui ouvrir la porte (ouais,
j’étais un mec bien élevé !). Cela m’irrita et… pas mal à vrai dire ! Mais dans une profonde inspiration, je
balayai cette impression parmi d’autres. Colère, ressentiment, déception envers Bethany étaient un
cocktail inédit, perturbant, que je n’aimais pas du tout. Je la suivis jusqu’à une table installée contre une
fenêtre. On s’assit l’un en face de l’autre sur des chaises en bois qui avaient connu des jours meilleurs.
Un serveur se pointa illico. Je commandai un expresso et Bethany prit un cappuccino nappé d’une tonne
de crème.
Le truc habituel qu’elle adorait.
— Tu n’as pas changé, tu aimes toujours autant ta crème au cappuccino.
Elle pouffa de rire, le regard malicieux ; cela me fit un bien fou, à devenir un peu chèvre en toute
honnêteté. En effet, depuis le début de notre rencontre, j’avais l’impression de me trouver sur de
véritables montagnes russes. Il y avait ces moments très hauts où je la retrouvais complètement, et ces
moments très bas où, distante et fermée, bien différente de la personne que je connaissais depuis des
années, je la sentais ériger un mur entre nous. Je me donnai une tape mentale d’une légère secousse de la
tête afin d’enrayer toutes ces impressions perturbantes. Elle but une gorgée de sa mixture avant de
lécher sa lèvre supérieure pour récolter la petite traînée de chantilly. Mon regard, attiré comme par un
aimant, désobéit à mes ordres de ne pas s’y poser, n’en ayant rien à foutre. L’enfoiré suivit la pointe de sa
langue rose et appétissante.
Mes doigts se crispèrent sur ma tasse, suffisamment pour que ma paume en conserve une empreinte. Je
dus lever brusquement les yeux quand elle posa sa main sur la table, à deux doigts de surprendre mon « 
reluquage ». Elle balaya une mèche derrière une oreille, puis me dévisagea.
— Donc, tu veux organiser une fête pour l’anniversaire de Knox ?
Tout d’abord, il me fallut avaler d’une traite mon expresso pour me reprendre et faire disparaître ce
moment étrange de ma mémoire. Puis, aussitôt, je levai l’index dans le but d’attirer l’attention du serveur
qui comprit mon message de loin lorsque je pointai mon doigt vers ma tasse. Il m’en apporta une autre
dans la seconde (un bon point pour lui !). Sur ce, je répondis à Bethany d’une voix posée :
— Oui, j’aimerais organiser une fête et célébrer par la même occasion le succès de sa bande-son. Tu sais
qu’il a des chances d’être sélectionné pour le prochain festival du New Hampshire ?
Certes, ce n’était pas les oscars, mais ce serait un super tremplin pour lui et sa carrière. Cela dit, il y
avait aussi de fortes probabilités pour que Knox s’associe avec Irvin, d’ici deux ans, et qu’ils deviennent
coactionnaires du studio Nova – une première étape avant de créer leur propre label. Derrière une table
de mixage, mon pote avait de l’or dans les doigts et une oreille exceptionnelle pour détecter les talents de
demain.
Certains d’entre eux n’avaient même pas conscience de leur potentiel ou se vautraient complètement
dans leurs choix : arrangements, instruments, voix, chœurs etc. Une citrouille aurait pu se transformer en
un beau carosse sous sa patte. OK, il y avait peut-être mieux comme analogie, mais c’était la plus parlante
qui me venait à l’esprit. Devant moi, le visage de Bethany s’illumina d’une belle fierté, comme une
guirlande de Noël.
— Oui… je suis si contente pour lui !
Sa voix excitée me fit sourire. Je revins à notre sujet de conversation.
— Cette soirée… commençai-je.
— Et Jailyn ? me coupa-t-elle soudain. Tu ne lui as pas demandé ?
Je m’attendais à cette question.
— En fait, j’aimerais aussi lui faire la surprise.
Elle hocha doucement la tête.
— Et Knox arrive toujours à lui tirer les vers du nez, plaisantai-je. S’il soupçonne le moindre truc, elle
n’a aucune chance...
Je passai sous silence la façon dont il obtiendrait ses réponses, au lit, en lui faisant crier son nom. Ces
deux-là pouvaient être très vocaux et ils baisaient à tout va comme si la fin du monde se profilait à notre
porte. Bon, à la place de Knox, avec un petit canon comme Columbia dans mon plumard, j’en aurais fait
tout autant. Pas de doute. Un autre pouffement accueillit mes propos et me sortit de mes pensées.
— Oui, je vois ce que tu veux dire.
Une lueur très amusée éclairait ses prunelles. Je souris ; elle me rendit mon sourire, ses pommettes bien
dessinées se colorant légèrement. Elle avait très bien compris le sous-entendu.
— Qu’est-ce que tu envisages ? me demanda-t-elle.
— L’organiser dans une salle, comme Lincoln par exemple, avec une trentaine d’invités maxi. Irvin est
au courant et il tient à participer financièrement. Il paiera déjà la location et d’autres trucs. Je verrai avec
lui. Évidemment, Zack et moi, on participera également.
Ryder aussi, j’en étais sûr. Voire Dillon, et Miles.
— Je peux aussi…
Pas question ! Elle avait déjà ses études d’infirmière et tout ce que cela impliquait. De plus, elle allait
m’aider à organiser le tout.
— C’est bon, Bethany. Au niveau financement, on est largement OK, répondis-je fermement.
Pour faire passer la pilule, j’ajoutai avec un petit sourire :
— Achète-lui quelque chose, tu as toujours eu des idées originales.
Un coin de ses lèvres se retroussa.
Ado, elle avait toujours réussi à offrir des cadeaux personnalisés à ses frangins avec ses économies.
D’ailleurs, j’y avais eu droit aussi. Ce souvenir lointain fit gonfler ma poitrine… Une bouffée d’affection…
Tout à coup, je réalisai de nouveau à quel point Bethany occupait une place spéciale dans ma vie, au
même titre que Knox que je considérais comme un frère. Elle était importante pour lui, mais elle était
aussi importante pour moi. Alors, malheur à celui qui lui ferait du mal ! Subitement, mes pensées
dérivèrent vers ce fameux Jace, et quelque chose se crispa en moi, mais j’étouffai la sensation. Mal à
l’aise, je gigotai sur ma chaise avant de me forcer à ne plus bouger. D’après les échos que j’avais eus, le
gars était correct. D’ailleurs, si Knox ne lui était pas tombé dessus, après toutes ces semaines, c’est que
ce mec avait réussi haut la main les premiers tests.
La voix de Bethany me sortit de mes réflexions.
— C’est vrai que Lincoln est une salle sympa.
— En fait, tout dépendra des dates de disponibilité, répondis-je. Mais il ne faut pas tarder, car au mois
de décembre, un tas d’entreprises organisent des soirées pour leur personnel avant les fêtes, ici, à
Brooklyn. Mais mon oncle a pas mal de contacts ; il pourra nous aider si elle n’est plus libre. Le père de
Ryder aussi, d’ailleurs, a un bon réseau.
Même si son activité professionnelle était dans le Queens, il avait une manne de clients et fournisseurs
qui pourrait s’avérer utile.
— Tu as confiance en Ryder ? Pour qu’il garde le secret ?
Son air malicieux me fit sourire.
— Il aura intérêt à la boucler. Sinon, il sait qu’il finira au fond de l’Hudson.
Elle éclata de rire. Un son cristallin qui attira l’attention de la table à côté de la nôtre. Je vis trois mecs
sourire également. Ce qui ne m’étonna guère, Bethany ayant tendance à provoquer ce genre de réaction.
Mais l’attitude de l’un d’entre eux me chatouilla un nerf quand son regard s’attarda un peu trop
longtemps sur son visage fin et sa chevelure blonde illuminée de reflets dorés. Un simple coup d’œil noir
de ma part, et il tourna rapidement la tête.
Avec ma stature et mes tatouages, il était rare qu’on me cherche des noises. Rien que mon physique
dissuadait les connards, et ces blancs-becs n’étaient même pas au courant que j’avais grandi avec un
frère qui faisait à présent pisser dans leur froc les plus gros durs de New York. D’ailleurs, une chose que
mon frangin m’avait enseignée, c’était à me battre avec un couteau ou à mains nues, et de la plus vicieuse
des façons si nécessaire. Je refoulai ce pan de ma vie : il appartenait au passé avec ses bons et mauvais
souvenirs.
— Je ne lui en ai pas encore parlé, précisai-je. Mais il sera déjà tout excité à l’idée de fêter l’anniversaire
de Knox. Et pour lui, il saura se taire.
Il y avait des trucs que cette tête brûlée arrivait à prendre au sérieux. Pas beaucoup ! Mais Knox en
faisait partie. J’avais une confiance absolue en mon pote. Il ne vendrait pas la mèche, trop heureux de lui
faire une surprise.
— Mais tu sais que si je lui demande de nous aider à organiser l’anniversaire de ton frangin, on risque
d’avoir de sacrées surprises, ajoutai-je d’un ton amusé. Et je ne te garantis pas le résultat.
Bethany prit un air faussement grave.
— Tes arguments sont plus que convaincants, car s’il s’en mêlait, on pourrait voir débarquer une
tripotée de strip-teaseuses. Pas sûr que Jailyn apprécie.
Des paroles ponctuées d’un gloussement craquant.
Je ris : elle n’était pas loin de la vérité. Et pendant ces quelques minutes, je retrouvai mon ancienne
complicité avec Bethany.
— Sinon, Ryder va bien ?
Là, je me retins de lui jeter en pleine figure que si elle avait pris des nouvelles ces dernières semaines,
elle l’aurait su.
— Oui… tu le connais. Mais il faudra qu’on se fasse une bouffe, un jour ? Ça fait un bout de temps qu’on
n’a pas passé une soirée tous ensemble, lâchai-je en braquant mon regard dans le sien.
Elle hésita tandis qu’une ombre assombrissait ses prunelles ; cet instant de flottement, palpable dans
l’air. Pourtant, cela ne me poussa pas à rajouter – comme le bon copain que j’étais (depuis des lustres)
aurait à coup sûr dû le faire – qu’elle pourrait demander à Jace de l’accompagner pour qu’on puisse faire
plus ample connaissance. Parce que l’idée me faisait sacrément tiquer, quelque part dans un coin de mon
cerveau.
— Oui, ce serait sympa, répondit-elle sans un mot de plus.
Je sentis qu’elle se retranchait derechef derrière cette façade distante malgré l’expression neutre
qu’affichait son visage. J’embrayai sur l’anniversaire de son frère, avec toutefois l’impression bizarre que
je m’éloignais d’un danger inexplicable.
— J’en parlerai à Dillon et à Miles. Je suis certain qu’ils feront tout pour se libérer. Je prévois d’engager
un DJ, mais ils pourraient nous faire un petit bœuf à leur sauce.
Ses yeux bleus s’illuminèrent de nouveau comme des guirlandes.
— Génial… je suis contente de les revoir. J’ai hâte.
— J’essayerai de leur téléphoner du boulot, lundi ou mardi prochain. Je passerai aussi un coup de fil à la
salle Lincoln. Si elle est encore libre, je comptais prendre rendez-vous pour qu’on aille la voir, tous les
deux ? Histoire de se faire une première idée pour les tables, la déco… etc. Si elle n’est pas disponible, ce
serait l’occasion d’aller en visiter d’autres ? Je t’enverrai une liste. L’idéal serait d’y aller plutôt en
semaine. Qu’est-ce que tu en dis ? Tu peux te libérer un après-midi ?
De mon côté, je m’arrangerais avec Zack.
Elle réfléchit quelques secondes.
— Pour l’instant, je suis libre les jeudis après-midi, mais cela risque de changer au cours du trimestre.
— Parfait, je viendrai te prendre à la fac.
— Si tu veux, on peut se rejoindre…
Son timbre nerveux ne m’échappa pas et je la coupai avec fermeté :
— Je viendrai te chercher ! On ira se manger un truc avant d’aller à Brooklyn. Au fait, Knox m’a dit que
tu travaillais dans un resto, enchaînai-je sans lui laisser le temps de réagir.
— Oui… dans un petit resto près de la fac, l’ambiance est sympa, balbutia-t-elle.
— Génial ! ne pus-je m’empêcher de balancer d’un ton un peu aigre.
Il y a quelque temps encore, trop contente d’avoir décroché un job, elle aurait débarqué à l’appart pour
nous l’annoncer de vive voix en sautillant partout. Cette époque semblait bien révolue.
— On est d’accord alors pour jeudi (ce n’était pas une question), dis-je, me concentrant sur notre
prochaine rencontre. Vers midi et demi, ça te va ?
Je plongeai mon regard dans le sien et la vis s’agiter légèrement sur sa chaise.
— OK… midi et demi.
Bethany n’avait jamais été nerveuse en ma compagnie. Je dus faire un effort considérable pour ravaler
les paroles que j’avais au bord des lèvres, pressentant qu’elle se refermerait comme une huître si
j’essayais de lui tirer les vers de nez.
Si vers du nez, il y avait à tirer…
Oui…
Oui, il y avait un truc différent en elle, j’en aurais mis ma main au feu à cette seconde.
— Et Dillon, tu en sais plus sur lui et le groupe ? me demanda-t-elle soudainement avec un sourire jovial.
Je saisis la perche, même si cette impression de me trouver sur le Super-Bethany-roller-coaster
s’amplifiait dans toutes mes tripes. Virages à gauche, virages à droite, loopings, descentes brutales et
remontées vertigineuses à avoir l’esprit en vrac. Je dus me retenir – une nouvelle fois – de lui jeter qu’elle
aurait pu le savoir par son frère… si elle avait daigné se pointer à l’appart. Cette colère sourde ou ce
sentiment de rancœur, enfin quoi que ce soit, était vraiment inhabituel. J’avalai plusieurs fois et fis un
effort gigantesque pour tordre le cou à ces émotions perturbantes.
— Ils ont fait leur festival tout l’été. Dernièrement, grâce à leur agent, ils ont signé un contrat pour se
produire dans plusieurs petites salles à travers tout le pays.
— Ça commence à bien marcher pour eux. Knox m’avait dit qu’un label s’intéressait aussi sérieusement
à leur groupe ?
— C’est vrai ! Mais aux dernières nouvelles, ils n’ont pas franchi le pas et leur agent respecte leur
décision. Ils veulent percer, mais pas à n’importe quel prix. Je crois que l’expérience de Miles avec son
ancien groupe les a refroidis. J’ai appris qu’il y a également un autre label, de L.A. cette fois-ci, qui leur a
demandé une maquette supplémentaire. Ils doivent revenir à New York pour l’enregistrer dans le studio
de ton frère avant de reprendre la route. Je ne sais pas quand exactement.
J’étais aussi certain que les projets de Knox, parmi lesquels la création de son propre label,
intéressaient Dillon et Miles, même si ce n’était pas encore d’actualité. Mais qu’en était-il pour les autres
membres du groupe, Matt et Camden ? Tout en sachant ce qu’un mec comme Knox pouvait leur apporter
au niveau musical, préféreraient-ils un label plus important si l’un d’entre eux les remarquait dans un
futur proche ? Un album porté par un label bien établi, une diffusion sur des ondes nationales, une
exposition médiatique, des articles dans des revues spécialisées connues, c’était le rêve de tout groupe.
Alors, difficile à dire.
Ce que je savais en revanche, c’était que ce nouveau contrat, avec plusieurs salles dans le pays, leur
permettrait de vivre correctement de leur musique pendant une paire de mois. Ils n’étaient donc pas pris
à la gorge, même s’ils étaient loin de rouler dans des limousines. Ces mecs avaient le talent pour réussir
et surtout, la maturité pour durer.
— Knox m’en a parlé, ajouta Bethany. Ils sont sur la bonne voie, mais ils ont raison de ne pas se
précipiter. Il faut qu’ils signent avec un label en qui ils auront confiance. Qui leur laisse la possibilité
d’évoluer librement dans le temps. Plus d’une fois, on a entendu que de jeunes chanteurs ou des groupes
talentueux avaient dû faire des concessions à terme, et que les albums suivants ne leur correspondaient
plus. Tout ça parce que ces labels tirent sur la corde, surfent sur ce qui marche pour se faire un max
d’argent. Ces artistes deviennent des cash machines, aux dépens de toute créativité. Après, c’est le
parcours du combattant pour se dépêtrer de leurs griffes sans se mettre sur la paille.
Je la dévisageai en silence et vis ses joues rosir légèrement suite à son laïus. J’appréciais sa vision des
choses, sa maturité sur beaucoup de sujets. En tant que tatoueur, moi, à mon niveau, j’étais content
lorsqu’un client sortait de sa zone de confort et faisait une entière confiance en ma créativité après un
premier entretien. Pour d’autres, il était hors de question que je m’éloigne, ne serait-ce que d’un détail,
du dessin qu’ils m’avaient brandi fièrement au premier rendez-vous. Chacun ses combats.
— Dillon a la tête sur les épaules, sans compter que Miles est aussi un super atout pour l’avenir du
groupe.
C’était un excellent compositeur, et un petit génie capable de jouer de plusieurs instruments avec un
talent fou. Sa venue leur ouvrait d’autres perspectives musicales.
Une lueur de tristesse passa dans les yeux de Bethany.
— Il le mérite… il mérite d’être heureux.
Ma voix se fit plus rauque.
— Oui, approuvai-je.
Un silence plana dans l’air, tous les deux plongés dans les souvenirs récents. Le mec essayait de
remonter la pente après la perte de Bailey, sa petite copine cachée. Bailey qui s’était révélée être la
meilleure amie de Jailyn. Quand tout avait éclaté, on était tous tombés sur le cul. Knox en avait bavé
lorsque Columbia l’avait jeté à cause de Miles. Il n’y a pas à dire, mais le destin pouvait être un sacré
enfoiré quand il s’y mettait. On discuta encore quelques minutes. Lorsque Bethany commença à fouiller
dans son sac, je la stoppai direct.
— J’ai dit que je te payais un café, lui rappelai-je d’un ton ferme.
Elle lâcha son fourre-tout posé sur ses genoux.
— OK, eh bien… merci.
Le serveur vit mon signe et vint à notre table. Je réglai la note en liquide, lui laissant au passage un
pourboire. Puis on se leva pour se diriger vers la sortie. Cette fois-ci, j’ouvris la porte à Bethany. Elle
passa devant moi avec un petit sourire de remerciement. Pourquoi je vécus ce moment comme une
victoire ?
Aucune idée ! Il y avait vraiment un truc qui ne tournait plus rond entre nous deux.
Chapitre 3

Bethany

Ah, la galère, l’horreur, le truc de dingue ! J’aurais pu encore en rajouter si mon cerveau n’avait pas été
un champ de ruines.
La visite-surprise de Cruz ?
Je ne m’y attendais pas et nerveusement, j’étais épuisée. En vérité, plus que ça ! D’ailleurs, j’avais été si
choquée de le voir devant mon école de danse, que j’ignorais encore à cette seconde comment j’avais
réussi à me tenir sur mes jambes tremblantes. Et le plus terrible, j’avais merdé… sacrément, peu
préparée à me retrouver face à lui sans avertissement.
Avec prudence, je me tournai dans sa direction sur le trottoir, alors que la porte du café se refermait
dans son dos en un claquement étouffé, l’estomac encore noué – très noué depuis que mes yeux s’étaient
posés sur lui. Je dus faire un effort titanesque pour les empêcher de s’attarder sur ses tatouages
magnifiques et son corps superbement musclé. Ni trop ni pas assez ! La perfection.
Déjà adolescent, Cruz avait toujours été plus musclé que les garçons de son âge. À présent ? C’était un
jeune homme bien bâti, sans excès, débordant de testostérone, exsudant d’un danger latent, surtout
lorsqu’il mettait son bandana. Bandana qu’il ne portait pas aujourd’hui.
Dieu merci !
Mais mon regard, ce traître, embrassa la superbe vision qu’il offrait. Son tee-shirt blanc lui allait
comme… comme…
Bonté divine, sa vente aurait dû être interdite dans le pays ! Il transformait Cruz en un véritable péché
ambulant, avec sa peau dorée trahissant ses origines latines, ses yeux chocolat et ses cheveux noirs aux
reflets bleutés. Son jean… Bon sang, sa vente aussi aurait dû être interdite ! Mettre autant en valeur des
hanches étroites, une carrure en V… c’était… c’était… tout bonnement…
J’en perdais mes mots.
Je serrai les dents, ayant du mal à avaler. Mais le souvenir de ce qui s’était passé durant la dernière
heure me fit l’effet d’une douche glacée que j’accueillis avec joie, mes hormones en ébullition. J’avais
foiré, bien foiré ! Doux Jésus ! Un miracle ferait-il qu’il n’ait rien remarqué ? Mon malaise, ma confusion,
cette petite douleur dans ma poitrine ? D’après les regards pesants qu’il m’avait parfois jetés… eh bien !
les miracles… je pouvais les oublier. Bien sûr, cela aurait été trop beau, trop simple. Et rien n’était simple
avec Cruz depuis que j’avais atteint l’âge de la puberté.
Durant notre conversation, j’avais tellement galéré que ses sourcils s’étaient froncés plusieurs fois,
comme si j’étais devenue un puzzle ou une énigme à résoudre, et ses mâchoires s’étaient aussi crispées,
une légère rancune perçant par ailleurs dans sa voix. Preuve que j’avais vraiment merdé !
Mais quelle idée aussi de me surprendre ainsi ! Les murs de ma forteresse se trouvant attaqués de
toutes parts, il avait été au-dessus de mes forces d’être la Bethany familière. Cela dit, j’avais tout de
même réussi à limiter la casse au fil de notre entretien si je me référais au fait qu’il m’avait aussi souri,
comme à son habitude, et qu’il avait même plaisanté sur Ryder et d’autres sujets. Néanmoins, j’avais
toujours la sensation de me trouver sur une bombe prête à sauter à chaque seconde.
D’aucuns diront que je perdais la boule.
Pas faux !
— Tu es venue comment ?
Sa voix chaude me serra un peu plus le ventre. J’avais l’impression de me tenir au bord d’un gouffre
dangereux qui risquait de me happer à tout moment. Je ne voulais pas lui faire de mal – si tant est que je
puisse lui en faire –, mais je voulais me protéger, colmater les brèches autour de mon cœur qui avait déjà
trop souffert, mettre de la distance entre nous, pas physiquement (ou bien si, un peu !) ; j’avais besoin de
cultiver cette distance – salvatrice au niveau de mes émotions. En revanche, je devais le faire plus
intelligemment. Trouver le juste milieu entre la petite Bethany, la bonne copine, la sœur de son meilleur
pote qu’il avait toujours connue, et celle plus mature qui ne se faisait plus d’illusions et voulait passer à
autre chose.
Ah… pas gagné ! Toutefois, j’étais sur le bon chemin, ayant déjà franchi une étape importante : j’avais
enfin laissé sa chance à un mec qui correspondait à mes attentes. Jace ! Il n’avait rien d’un Latino à l’aura
dangereuse, comme celui qui avait peuplé tous mes rêves jusqu’à une période très récente, mais il était
canon. Je voulais que cela marche entre nous !
De nouveau, je sentis le regard pesant de Cruz sur mon visage. Avec effort, je lui souris en priant tous
les dieux pour que mes yeux pétillent de cette bonne humeur habituelle. Rassurante pour lui. Je dus y
parvenir, car il me sourit en retour avec son petit air craquant. Et mon cœur fit un bond… lamentable.
Oh, bon sang !
— Ma mère m’a prêté une voiture, réussis-je à répondre d’une voix normale.
— Tu sais que Ryder peut t’aider à trouver une bonne occasion ?
— Oui, je sais. Je ferai appel à lui quand mon compte en banque me le permettra.
Avec un haussement d’épaules, je rajoutai :
— Pour l’instant, je n’en ai pas vraiment besoin, en dehors de quelques déplacements, et puis, j’arrive à
m’arranger avec Chase ou ma mère.
On s’était mis à marcher côte à côte. Bien sûr, je ne manquai pas de remarquer qu’il avait toujours une
allure fluide, digne d’un félin et un déhanché sexy, digne de ces danseurs de Danse avec les stars. Un
show que j’aimais bien regarder. Ah ! Entre mes goûts musicaux et mes émissions préférées, Knox avait
de quoi me charrier pour une vie entière.
Je me blindai. Une nouvelle fois.
— Je suis garée dans cette rue, dis-je en désignant de la main l’angle aux abords de l’école de danse.
— Je t’accompagne.
Un ton sans appel.
Prudemment, je ne protestai pas. Nos yeux se croisèrent et mon cœur – ce satané traître aussi –
s’accéléra.
— Tu as prévu quelque chose ce week-end ? demandai-je lamentablement, cherchant à faire la
conversation avant de regarder un point vague devant moi.
Mais quelle question ! Quelle idiote ! Certes, je voulais passer à autre chose dans ma vie, mais je n’avais
pas envie d’apprendre qu’il irait dans un bar où un samedi soir, à coup sûr, il lèverait une fille. Le style de
nana à la peau dorée, aux cheveux foncés et bouclés, exotique.
— Je dois retrouver Ryder au Nine. On va se faire une partie de billard. Ton frère sera là.
Évidemment.
Jailyn et lui ne se quittaient plus. Quand elle était de service au Nine, il restait même jusqu’à la
fermeture. Je notai dans le tumulte de mes pensées que Cruz ne me retournait pas la question et j’en fus
très soulagée. Je n’avais pas envie de parler de Jace ; du moins, pas avec lui. Ma décision, mon envie de
franchir le pas avec mon petit copain, me tordit soudain l’estomac.
Mes rêves que ce soit Cruz…
Non ! Pas question de m’engager sur ce chemin !!! Une petite colère m’envahit. Bordel ! Fini les
illusions d’une ado qui planait sur son nuage. Avec un soulagement indescriptible, je vis la voiture de ma
mère se profiler devant moi.
— On se voit jeudi, alors ?
— Yep… midi et demi, OK ? me rappela-t-il.
— OK !
J’allais passer les jours suivants à me préparer psychologiquement à cette nouvelle rencontre. On arriva
enfin à la hauteur du véhicule. J’ouvris la portière, puis me tournai vers Cruz, et ma gorge s’assécha d’un
coup : il était tout proche, son corps irradiant d’une chaleur enivrante. Je m’éclaircis la voix, la main
agrippée à la bandoulière de mon sac que je balançai sans cérémonie sur le siège passager.
— Merci pour le café.
— De rien.
Je grimpai derrière le volant et claquai la portière avant de mettre le moteur en marche. Un bruit me fit
lever les yeux : les doigts de Cruz qui tapaient sur la vitre. Je la descendis à moitié, le regard
interrogateur.
— Hé, chica, sois prudente au volant !
Ma gorge se serra d’un coup, ma poitrine aussi, et avec une horreur sans nom, je sentis mes paupières
picoter. Chica, ce surnom espagnol très affectueux qui semblait m’être réservé… J’eus un sourire (un
exploit) et réussis à répondre d’une voix légère (un double exploit) :
— T’inquiète, je maîtrise.
Il eut un petit rire. Mission accomplie.
Puis il se recula, et je pus enfin démarrer.
Dans la ligne droite, j’avalai plusieurs fois pour déloger de ma gorge cette foutue boule de la taille d’une
balle de golf, refusant de laisser mes yeux qui brillaient dangereusement se planter dans le rétroviseur
intérieur.

Pourquoi avait-il fallu que Cruz vienne aujourd’hui ?!
Particulièrement aujourd’hui !
Le jour de mon rendez-vous avec Jace !
J’éteignis le moteur, une boule à l’estomac, le cerveau encore à l’envers, et mis quelques secondes avant
de descendre du véhicule : le temps d’essuyer mes mains moites et d’envoyer un message à ma mère qui
m’avait prêté sa voiture pour la soirée, avec les consignes habituelles. Puis, je glissai mon portable dans
ma besace et sortis. Je m’aperçus que j’avais de nouveau les mains moites alors que j’avançais vers le
perron. Au même instant, la porte s’ouvrit sur Jace, vêtu d’un jean délavé et d’un tee-shirt gris ; il dévala
les escaliers avec un beau sourire aux lèvres. Mon cœur commença à battre plus fort tandis que je lui
rendais son sourire. En quelques grandes enjambées, il arriva à ma hauteur et m’attira dans ses bras
musclés.
Je me laissai emporter par son baiser, désirant de toutes mes forces qu’il réussisse à apaiser ce fichu
tumulte dans ma tête. Je nouai mes mains autour de sa nuque. Tant pis si on se donnait en spectacle,
j’avais désespérément besoin de ça. Sa langue glissa entre mes lèvres et vint se mêler à la mienne.
Jace embrassait bien, très bien… On se roula une pelle sans reprendre notre souffle, avant qu’il ne pose
son front contre le mien.
— Tu m’as manqué, lâcha-t-il, la respiration plus rapide.
— Toi aussi.
Un murmure aussi essoufflé.
Il me prit soudain par la main pour m’entraîner chez lui. La porte d’entrée claqua derrière nous et je me
retrouvai dans une belle pièce à vivre. Sa maison était un peu plus spacieuse que celle où j’habitais, et
possédait également un étage. La décoration était différente. Elle avait un charme plus moderne, avec de
confortables canapés blancs, des tapis clairs, et une grande baie vitrée donnant sur le jardin. La cuisine
qui s’ouvrait sur le salon accentuait le style très contemporain.
— Tu as faim ?
— Un peu, mentis-je à moitié.
J’avais encore l’estomac bizarre, mais je n’avais rien avalé depuis ce midi.
— J’ai du soda au frigo. Prends une canette pendant que je mets le hachis parmentier au four.
Sa mère ne le laissait jamais mourir de faim. Cela me fit sourire. Soudain, je remarquai qu’il avait
préparé la table dans le dining room avec de jolis couverts et quelques bougies. Mon cœur se serra
devant tant d’attentions. Brusquement, je lâchai ma besace sur le sol. Une grosse pulsion me fit faire un
grand pas vers lui pour réclamer un autre baiser qu’il me donna avec un bel enthousiaste, ses bras
encerclés autour de ma taille.
— Bon sang… si on n’arrête pas, je ne réponds plus de rien ! haleta-t-il après deux baisers torrides.
Je sentis ses mains presser mes fesses et souris contre sa bouche. Les joues un peu rouges, je m’écartai
toutefois, légèrement embarrassée. Il m’embrassa sur la tempe.
— Viens, je vais te nourrir…
J’eus un petit rire et le suivis dans la cuisine, sentant cependant ma nervosité refaire surface. Quelques
secondes plus tard, je buvais un soda tout en discutant avec lui. Il me raconta son stage, puis me parla de
ses cours d’un ton animé. J’en fis autant. Mon malaise et ma boule à l’estomac disparurent peu à peu.
Le dîner se passa merveilleusement bien. Le hachis était excellent, suivi d’un dessert délicieux. Au cours
du repas, Jace nous servit un peu de vin, mais je ne bus que la moitié d’un verre. Plus tard, on atterrit sur
le canapé, devant la télé allumée. Quand il se pencha vers moi, je plongeai une main dans ses cheveux et
nos lèvres se soudèrent. Le baiser prit rapidement une tournure plus chaude. Quelques secondes après, je
me retrouvai à califourchon sur ses cuisses fermes, mon ventre collé contre son érection. On continua à
s’embrasser à pleine bouche avant que ses doigts ne se faufilent sous mon tee-shirt et se posent sur un
sein. Il le caressa, son pouce titillant le téton sous la dentelle. Quand il s’écarta, ses yeux brûlants
plongèrent dans les miens.
— Tu es magnifique, Bethany.
Ma gorge se serra et je vis ses prunelles se diriger vers une de mes épaules, à l’endroit où mon haut
avait glissé, laissant entrevoir la bretelle de mon soutien-gorge sexy. L’ensemble que j’avais spécialement
acheté pour lui, pour cette soirée.
Pour ce grand pas.
Le regard embrasé, il posa ses mains sur mon tee-shirt ; je levai les bras pour l’inviter à le soulever. On
avait déjà été plusieurs fois jusqu’à ce stade… et plus loin, d’ailleurs. Ses yeux devinrent encore plus
brûlants quand il découvrit la lingerie noire, un voile transparent, brodé de quelques pétales, qui ne
cachait rien de ma poitrine à laquelle les armatures donnaient un renflement très sexy.
— Waouh… Bethany…
Sa voix rauque se cassa.
Du pouce, il caressa un mamelon visible sous le voile et qui se durcit. Cela m’arracha un gémissement.
Soudain, deux prunelles chocolat apparurent devant moi sans que je ne m’y attende. Je sentis mon corps
se raidir, je dus cligner plusieurs fois des paupières pour les faire disparaître. Au même moment, les
lèvres de Jace se refermèrent sur la pointe d’un sein qu’il suça à travers la fine dentelle. Malgré le plaisir,
une boule se forma au niveau de mon estomac. Les prunelles chocolat, celles dont je n’avais pas réussi à
me débarrasser depuis cette rencontre, réapparurent de nouveau. Je fermai carrément les yeux pour ne
plus les voir. Erreur. Sans que je puisse maîtriser le cours de mes pensées, la bouche de Jace se
transforma en une autre bouche… celle de Cruz. Un très long gémissement se répandit dans la pièce,
mon string inondé d’une chaleur brûlante.
Honte et désespoir suivirent de près. Je serrai les dents.
Non, bon Dieu ! Il n’allait pas gâcher ma soirée !
Je refusais qu’il ruine ce moment que j’attendais depuis des jours, à présent !
Bon sang, pourquoi avait-il fallu qu’il vienne aujourd’hui ?! Je chassai Cruz de mon esprit d’une énorme
claque mentale, et lorsque Jace releva son visage, je me jetai littéralement sur sa bouche, comme une
affamée. Il accueillit ma langue avec un grondement masculin, très sexy. Il me dévora, ses mains collées
sur mes fesses qu’il malaxa, alors que mes seins s’écrasaient sur son torse dur. À cette seconde, j’aurais
voulu le supplier de me porter jusque dans son lit, pour qu’il me fasse l’amour.
Lui hurler que j’étais prête.
Mais mes paroles restèrent coincées dans ma gorge. À mon grand soulagement, le destin m’offrit une
fleur car, dans la foulée, il prit l’initiative et me souleva afin de se diriger vers la cage d’escalier. Il
m’emmena jusqu’à sa chambre – un trajet chaotique – sans qu’on arrête de s’embrasser. Toutefois, cela ne
m’empêcha pas de sentir une boule grossir un peu plus dans mon ventre. J’avais déjà été dans sa
chambre ; j’avais déjà bien fricoté avec Jace, mais ce soir, ce serait différent.
Très différent. Plus de retour en arrière possible.
Il serait le premier. Celui dont je me souviendrais toute ma vie. Un drôle de truc se déchira dans ma
poitrine, mais je serrai mes bras plus fort autour de sa nuque et continuai de mêler ma langue à la sienne,
avide. Quand il me posa sur le lit, doucement, il souleva le haut de son corps pour me dévisager, une
lueur interrogative dans les yeux.
— Bethany…
— Embrasse-moi, Jace, lâchai-je d’une voix désespérée, ne voulant pas qu’il me pose sa question.
Ne voulant pas, surtout, répondre à sa question à voix haute : est-ce que je désirais aller plus loin ?
— Embrasse-moi… implorai-je.
Sa bouche se posa sur la mienne. Ses baisers et ses caresses sur mes seins se firent plus tendres. Mais
je voulais plus ! Beaucoup plus ! Désespérément ! Je voulais ne plus être capable de réfléchir, même si la
façon dont il s’y prenait était merveilleuse. Oublier tout ! Quand on reprit notre souffle, il dégrafa mon
soutien-gorge sur le devant, exposant mes seins à son regard enflammé, puis il fit sauter le bouton de
mon jean qu’il descendit le long de mes cuisses. Je me retrouvai en string sur son lit. Dans la foulée, il se
pencha de nouveau et agaça un mamelon entre ses dents avant de le sucer. C’était bon, très bon, mais je
craignis soudain de fermer les yeux.
Je gémis de plaisir. Il continua à goûter mes tétons, puis quelques minutes plus tard, s’écarta
rapidement, le temps de se déshabiller. Il conserva son boxer avant de s’allonger sur moi.
Immédiatement, je glissai une main entre nos corps pour la refermer sur son pénis, tendu sous
l’élastique. Je commençai à le masturber comme je l’avais déjà fait. Je me laissai aller à une douce
sensation, à ce pouvoir lorsqu’un grognement s’échappa de sa gorge.
— Bethany… ça risque de finir trop vite, haleta-t-il.
Un coup d’œil sur sa mâchoire crispée me révéla le self-contrôle qu’il s’imposait. Je ralentis la cadence.
À ce moment, sa bouche se referma de nouveau sur l’un de mes seins, tandis qu’il pétrissait l’autre avec
ses doigts. Quand je sentis son sexe dur se nicher contre mon pubis, une question jaillit dans ma tête :
est-ce que le pénis de Cruz était aussi doux ? Un sourire sexy apparut devant mes paupières closes, ainsi
que des cheveux couverts d’un bandana dont quelques mèches noires, ondulées, s’échappaient sur les
tempes, et des yeux chocolat enflammés.
Je criai de plaisir, le dos creusé. Plaisir et honte se mêlèrent une nouvelle fois. Et tout partit en vrille.
Bon sang, jamais Cruz ne s’était autant incrusté dans mes pensées !
Tout ça à cause d’une rencontre ! C’était comme s’il refusait de me libérer, là, maintenant,
particulièrement.
— Bethany… Bethany…
Au loin, j’entendis la voix de Jace et ouvris les yeux. Son regard plongea dans le mien : une lueur
inquiète brillait dans ses iris. C’est là que je remarquai à quel point mon corps était raide. Du coup, je ne
savais pas exactement quels messages contradictoires je lui avais envoyés ces dernières minutes, du
genre : « Fais-moi l’amour » ou « N’allons pas plus loin que d’habitude ». Mortifiée, je bredouillai :
— Dé… solée… je suis un peu nerveuse… je… je…
Ma voix s’étrangla.
Du pouce, il me caressa la joue.
— Hey, tout va bien ! On n’a pas besoin d’aller plus loin. Tu sais qu’on peut attendre que tu sois
vraiment prête, me chuchota-t-il. Il n’y a rien qui presse…
Bon sang, je ne le méritais pas ! Une grosse boule se logea dans ma gorge. J’aurais voulu lui répondre
que non, que j’étais sûre de moi, ce soir, que je voulais qu’il me fasse l’amour, mais ces paroles-là ne
franchirent pas mes lèvres. Deux prunelles chocolat, en colère, jalouses (fruit d’un délire ou d’un souhait
qui ne se réaliserait jamais) apparurent comme un flash. Mes dents se serrèrent, et je sentis mes yeux
picoter, encore une fois. Jace m’embrassa tendrement avant de glisser deux doigts en moi.
— Tu es belle, excitante, lâcha-t-il d’une voix rauque… J’adore te toucher, tout simplement…
Oh, Jace… rassurant, intelligent, perspicace.
Il commença à me caresser, puis dessina des cercles sur mon clitoris d’une légère pression. En silence,
il me fit comprendre son message : il patienterait le temps qu’il faudrait. Alors, je fis descendre son boxer
et ma main s’enroula autour de sa queue.
Les minutes suivantes, j’y mis du cœur, car je voulais lui donner du plaisir. On s’en donna mutuellement,
comme on l’avait déjà fait. Après un orgasme qui me laissa cependant un arrière-goût amer dans la
bouche, je me nichai dans ses bras, les cils humides. Je me sentais si confuse et vidée émotionnellement,
que je n’arrivais même pas à être en colère contre moi-même. J’avais un petit copain génial pour qui
j’éprouvais des sentiments naissants, le garçon rêvé… et j’avais pourtant trouvé le moyen de gâcher cette
soirée importante.
C’est trop tôt, tu n’es pas encore prête, il n’y a rien de dramatique, me consola une petite voix dans mon
esprit, une bouée à laquelle je me raccrochai. Et dire que j’allais revoir Cruz dans les semaines suivantes,
songeai-je ensuite, le cœur au bord des lèvres. Je repoussai cette pensée, me promettant toutefois d’en
parler à Jace. En effet, j’avais évité d’aborder le sujet durant le dîner, ne souhaitant pas que Cruz me
perturbe plus qu’il ne l’avait déjà fait plus tôt dans la journée. Une omission qui n’avait cependant servi à
rien quand on voyait le résultat, ici, dans ce lit. Il avait trouvé un moyen de s’infiltrer dans mon esprit, au
plus mauvais moment, et de la manière la plus perturbante qui soit.
Plus tard, Jace alluma la télé dans sa chambre et se brancha sur Netflix. Blottie dans ses bras, je
regardai avec lui plusieurs épisodes d’une série qu’on appréciait tous les deux. Je rentrai chez moi vers
une heure du matin. À l’abri dans ma chambre, j’envoyai un message à Jace.
Moi : Bien rentrée.
Jace : OK… j’ai passé une super soirée. Merci.
Ma gorge se noua.
Moi : Moi aussi, Jace… tu viens cet après-midi ? J’ai vu que tante Anna avait fait une tarte aux
pommes. Elles sont délicieuses.
Jace : Oh, que oui…
Je souris. Mon malaise latent s’estompait peu à peu.
Moi : Bonne nuit.
Jace : Bonne nuit, mon ange.
Je souris avec un petit soupir. Puis je pris une douche rapide avant de me coucher et je réussis à
m’endormir sans problème. Le lendemain matin, je bossai sur un devoir, ce qui me permit d’oublier un
peu… tout ce qui s’était passé. En début d’après-midi, j’entendis la voiture de Jace se garer au bord du
trottoir. J’ouvris la porte lorsqu’il arriva sur le perron. Son sourire me réchauffa le cœur.
— Hey…
— Hey…
Il m’attira dans ses bras pour m’embrasser. Avec soulagement, je remarquai qu’il se comportait
normalement. Main dans la main, on se rendit dans la cuisine. En passant près du salon, Jace salua
Chase, assis sur le canapé, rivé sur sa tablette.
— Salut, Chase !
— Salut, Jace, répondit mon frangin en lui faisant un signe de la main.
Ma mère débarqua au même moment dans la cuisine.
— Bonjour, madame Fowler.
Elle lui sourit avec sympathie.
— Bonjour, Jace, comment va la fac ?
— Ça va, merci.
Je me dirigeai vers le plat posé sur le comptoir près du frigo.
— Tu veux un morceau de tarte, maman ?
Ma mère eut un petit rire.
— Non, merci… mon régime ne va pas le supporter.
Je souris. Ma mère était mince comme une brindille. Bon, le divorce n’y était pas étranger, mais elle
s’était remplumée et arborait toujours la silhouette d’une jeune fille.
— Chase, tu veux un morceau de tarte ? demandai-je d’une voix plus forte.
— Ouais, cria-t-il de loin.
Quand Jace glissa ses bras autour de ma taille, derrière moi, pour déposer un baiser sur mon crâne, je
vis du coin de l’œil ma mère sourire, une petite lueur nostalgique dans ses yeux.
— Je vais t’aider, chuchota Jace.
Il apporta le plateau avec les assiettes et les tasses dans le salon, tandis que je tenais le bol de la
cafetière. Chase s’entendait bien avec Jace. Après une attitude « grand frère protecteur », il avait appris à
le connaître. On discuta un peu de tout et de rien, puis mon frangin alluma la console et tous deux se
mirent à jouer à NBA. J’en profitai pour surfer sur les réseaux sociaux depuis mon portable et papoter
avec Ashley.
Ashley : Alors ?
Pas besoin d’être devin pour comprendre le sens de la question.
Moi : C’était très bien, mais on n’a pas couché ensemble.
Elle mit quelques secondes à répondre.
Ashley : T’es tombée sur une perle… garde-le. Je suis sûre que ce sera super quand il te
sentira prête.
Ah, je la remerciai intérieurement de ne pas chercher à en savoir plus.
Moi : J’en suis sûre.
Garde-le.
J’en avais bien l’intention.
Je regardai dans sa direction et, comme s’il avait senti le poids de mon regard, il tourna la tête vers moi
pour me faire un clin d’œil sexy. Je souris, mes joues rougissant légèrement. Il se concentra de nouveau
sur son jeu. Perdue dans mes pensées, je consultai mon fil d’actualité d’Instagram et les dernières
réminiscences de ce petit malaise de la veille s’estompèrent définitivement. Il y aurait d’autres moments
entre nous. Et le bon, d’ici peu ! Il n’y avait rien en ce monde qui stipulait que je devais perdre ma
virginité à tout prix.
Et pour ce qui était de Cruz ?
Eh bien… je l’aiderais à préparer l’anniversaire de Knox, parce qu’il était son ami et le mien aussi. Et
Jace est mon petit copain, pensai-je dans la foulée avec une détermination nouvelle. Un petit copain
formidable, patient et attentif.
Tout irait bien. D’ailleurs, il était même mieux que je renoue avec Cruz. Certes, ce ne serait pas simple
au début, mais je pressentis soudain que ce retour à la normale était nécessaire, pour que ma relation
avec Jace soit saine et qu’elle ait une chance de s’épanouir dans le futur. Alors, le meilleur pote de mon
frère aurait sa place dans ma vie comme il l’avait toujours eue. Tout simplement ! La prochaine fois que je
me sentirais prête, Cruz ne pourrirait pas ce moment important, parce qu’il aurait décidé de débarquer à
l’improviste pour me rencontrer et que je ne l’aurais pas vu depuis des semaines. J’avais voulu me
protéger ; toutefois, le rayer de ma vie était en soi stupide et rabaissait aussi ce que je vivais avec Jace.
Je refusais qu’il en soit ainsi !
Jace ne le méritait pas. Cette pensée me rendait malade.
Je le réalisai tout à coup avec une acuité douloureuse, comme si un voile se déchirait devant mes yeux.
Non ! Jace n’était pas là parce qu’un « autre » ignorait que j’existais. Pas question de le réduire à ça.
Soudain, je m’en voulus vraiment d’avoir eu un comportement qui l’avait peut-être mis dans cette
position. Mais cela allait changer ! Quand une petite pointe d’angoisse flotta dans ma poitrine, je la
piétinai avec une force redoublée ; il était temps que je me secoue, bonté divine ! Forte de mes
résolutions, j’inspirai un grand coup.
Comme il avait aussi des cours à réviser, Jace ne s’attarda pas. Je le raccompagnai alors jusqu’à sa
voiture.
— Au fait, j’ai oublié de te dire que Cruz était venu me voir hier ! lançai-je.
Je lui racontai notre rencontre avec un naturel qui me mit du baume au cœur ! Encourageant. Mon petit
sermon intérieur ou ma remise en question portait ses fruits.
— C’est sympa d’organiser ça pour ton frangin.
— Il veut essayer de louer la salle Lincoln, ajoutai-je d’un ton détaché.
— Je connais, c’est une belle salle.
— On doit s’y rendre jeudi après-midi, et si elle n’est pas libre, Cruz a préparé une liste pour aller en
voir d’autres.
— OK, tu me raconteras ça.
J’acquiesçai.
— La semaine va être chargée et le week-end prochain, j’ai une compétition, me rappela-t-il en ouvrant
la portière.
— Moi aussi… j’ai pas mal de trucs à faire. On s’appelle.
Après un dernier baiser, plus léger, il grimpa derrière le volant et je lui fis un signe de la main quand il
démarra.
Chapitre 4

Cruz

La bouche pâteuse, je m’éveillai peu à peu en clignant des yeux à intervalles irréguliers. Un rayon de
soleil filtrait à travers le store et perçait mes paupières avec la puissance d’un marteau-piqueur. Il avait
bougé de place ou quoi ? S’était rapproché de la Terre ? Il semblait étinceler dans toute sa splendeur
directement au-dessus de Manhattan. Ou alors, trop de shots de tequila faisaient cet effet-là à un mec.
Je tournai lentement la tête pour choper l’heure sur ma table de nuit entre deux clignements
douloureux.
Midi. Déjà ? Bon sang…
La veille, j’étais allé bouffer avec Ryder avant qu’on ne se rende au Nine. Mon pote était parti assez tôt,
car il s’était arrangé pour rencontrer Jacinta dans un bar à Brooklyn. Knox se trouvait là, bien sûr, ainsi
que Zack qui nous avait rejoints pour faire quelques parties de billard. Puis, dans la soirée, j’avais croisé
d’autres mecs de ma connaissance. De fil en aiguille, j’avais descendu pas mal de verres.
Après un dernier étirement, je réussis à ouvrir complètement les yeux que je frottai avec mes pouces
pour faire disparaître un voile encore gênant. La tête lourde, je me levai et récupérai mon boxer au pied
de mon lit.
Je dormais à poil. Une habitude.
Ryder m’avait toujours dit qu’avec le cul à l’air, j’aurais l’air con si des pompiers devaient un jour venir
me sauver. Ouais… C’était Ryder, un cerveau branché d’une façon spéciale.
Pieds nus, je m’approchai d’un fauteuil sur lequel traînait un jogging gris. Une table de dessin avec sa
chaise se trouvait à proximité des deux grandes fenêtres. Le pantalon tomba direct sur le bas de mes
hanches. Torse nu, je sortis de ma chambre et allai tout d’abord pisser. En avançant dans le hall, quelques
minutes plus tard, j’entendis un gloussement féminin familier.
— J’arrive, prévins-je à voix haute.
Knox et Jailyn étaient dans la cuisine. Bien sûr, mon pote se trouvait entre les jambes de sa petite nana,
elle-même assise sur le comptoir (habillée ! À souligner), les mains baladeuses, lui mordillant… je ne sais
quoi, l’oreille, le cou, la mâchoire… Aucune idée.
— Hey, Cruz, lança Jailyn, les joues roses, la voix légèrement essoufflée, le café est encore chaud !
— Merci… ma belle… tu me sauves.
Je me dirigeai vers la cafetière pleine. Knox donna un dernier baiser sur la bouche de sa moitié avant de
s’écarter. Columbia serra les jambes et glissa du comptoir pour atterrir sur ses pieds. Mon pote s’adossa
contre un placard, ses yeux gris tournés vers moi.
— Réveil difficile ? plaisanta-t-il avec ironie.
— Ça va !
— T’avais une bonne descente hier soir.
Un mug à la main, mon préféré, je versai dedans ma dose de caféine. J’eus un haussement d’épaules.
— J’ai fait pire.
Et c’était vrai. Par le passé.
À présent, j’évitais les excès, car, mine de rien, un boulot, sa propre entreprise, ça changeait un mec et
le rendait plus responsable du jour au lendemain. J’avais un métier où je devais être concentré à cent
pour cent sur ce que je faisais. On ne merdait pas avec la peau d’un client et la confiance qu’il plaçait en
son tatoueur. Sans compter que Zack m’aurait salement botté le cul. Notre pote avait toujours été un peu
le grand frère de la bande.
La première gorgée de café faillit me faire grogner de plaisir. Lorsque je me retournai pour me diriger
vers la table, Jailyn venait d’y poser un verre d’eau fraîche avec une aspirine. Je lui rendis son beau
sourire. Je l’aimais vraiment beaucoup, cette gonzesse. Les débuts avec Knox avaient été chaotiques,
mais j’avais vite compris qu’il était mordu de sa petite étudiante.
Je ne pus m’empêcher de le titiller.
— Je te l’ai déjà dit, Columbia, mais je te le redis : j’ai bien envie de te voler à ce primate.
— Essaye, riposta aussitôt Knox.
Ah, il ne me décevait jamais !
Une lueur d’acier brillait dans ses yeux : la promesse d’une mort violente à la moindre tentative.
J’adorais le charrier. Trop facile ! Jailyn était sa faiblesse, la fille dont il était fou amoureux ; ce qui le
faisait démarrer au quart de tour, bien qu’il ait une totale confiance en moi. Et pour couronner le tout, il
se fichait complètement de ressembler à l’un de ces mecs menés par le bout du nez. Pour tout avouer, je
l’enviais parfois de vivre… ce genre de truc avec une fille.
C’était si fort entre eux… Autre chose qu’une bonne partie de baise avec une meuf qu’on ne reverrait
jamais. Mais d’un autre côté, me ranger comme lui, n’avoir plus qu’une nana dans mon lit ? Ça me
donnait envie de me barrer à toute vitesse.
Le petit cri de Jailyn me sortit de mes pensées quand Knox l’attira vers lui, la main enroulée autour de
son poignet fin. Le dos de Columbia se retrouva collé contre son torse, ses jolies fesses aussi sur une
autre partie de son anatomie, sa taille de guêpe encerclée par des bras musclés. Il enfouit son visage dans
ses cheveux.
— Tu ne t’approches plus à moins d’un mètre de lui, lança-t-il d’une voix étouffée.
Je ricanai, alors que Jailyn levait les yeux en ciel avant de pouffer.
— Vous êtes terribles tous les deux.
Je me retournai pour me préparer un bol de céréales et ignorai ce qui se passait dans mon dos, les
gloussements familiers. Je secouai imperceptiblement la tête avec un sourire aux lèvres. Quand je
m’installai sur une chaise pour déjeuner, Jailyn pivota dans les bras de Knox.
— Je dois appeler ma frangine, je vous laisse. Pas de bêtises.
Knox la serra contre lui, comme si elle venait de lui annoncer qu’elle partait au bout de la terre et lui
roula une pelle avant de la lâcher. Les pommettes bien rouges, elle sortit de la cuisine. Je lui fis un petit
clin d’œil. On se retrouva en tête à tête. Knox se dirigea vers la cafetière, se servit une tasse, puis
s’installa lui aussi sur une chaise, face à moi.
— Alors t’es revenu seul ? demanda-t-il d’un air surpris.
Ouais, la veille, je n’avais levé aucune fille. Pourquoi ? Je n’aurais su le dire. En général, le samedi, je ne
m’en privais pas. Certes, j’avais passé mon temps à jouer au billard entre mecs, mais j’avais aperçu
plusieurs cibles potentielles qui m’avaient d’ailleurs lancé quelques signaux inratables : regards, sourires,
poses suggestives, etc.
Ma rencontre avec Bethany me traversa subitement l’esprit avec une force bizarre. Troublé, je bus une
grosse gorgée de café. Mêlé à des céréales ? Pas terrible. Les souvenirs affluèrent une nouvelle fois. La
veille, sur le trajet de retour, je m’étais répété à plusieurs reprises dans ma tête des bribes de notre
conversation. Son visage, son regard, ses sourires s’étaient aussi dessinés devant moi dans les moindres
détails, comme un canevas parfait. Son attitude différente également.
Jeudi, comment serait-elle ?
Y aurait-il de nouveau cette distance que j’avais sentie plusieurs fois lors de notre rencontre ? Quand je
réalisai que je n’avais toujours pas répondu à mon pote, je la refoulai dans un coin de mon cerveau.
— Ouais, rien qui me tentait, lâchai-je.
Il me lança un regard étonné.
— OK, répondit-il lentement.
Très lentement.
Le truc chiant. Rien pour arranger le malaise que je sentais venir. Je changeai de conversation.
— Zack m’a dit qu’il passerait cet après-midi !
Il acquiesça.
— J’ai promis à Jailyn qu’on irait voir ce film qu’elle veut voir… sais plus le titre.
Un film de gonzesse, à coup sûr. Un sourire étira mes lèvres.
— Ne la ramène pas, s’il te plaît ! grogna-t-il.
Avec un autre, j’aurais déjà lancé une repartie du style : Eh bien, mec, si ça te permet de niquer la nana
après... Non, ces deux-là, c’était l’amour fou ! Le vrai qui, apparemment, existait pour certains humains.
De plus, Columbia, je l’appréciais et la respectais trop pour lâcher ce genre de plaisanterie. Il y avait une
limite que je ne dépassais pas dans nos chamailleries. Sans compter que Knox m’aurait foutu son poing
dans la tronche.
— Au moins, tu boufferas du popcorn, on n’en a plus.
Il rigola et me demanda dans la foulée, le visage amusé :
— Alors, tu as branché Ryder avec Jacinta ?
— Yep ! Le petit avait besoin de se vider les burnes.
— Tu sais qu’il t’écrabouillerait le nez s’il pouvait t’entendre.
Ryder avait seulement un an de moins que nous. J’en profitais un peu. Beaucoup.
Je ris.
— Tu me diras, je fais bien d’aller au ciné, continua Knox. Car même si Jailyn l’adore et qu’elle a
maintenant l’habitude de cet abruti (lancé avec affection), cette fois-ci, ses oreilles risqueraient de ne pas
supporter le récit de ses exploits avec le romantisme qu’on lui connaît. Surtout après une nuit avec
Jacinta.
Je ne pouvais pas dire le contraire. On se regarda une seconde sans bouger, avant d’éclater de rire.
— Là… ça va être quelque chose ! répondis-je, plié.
Et il ne me déçut pas. Oh non !

— Putain, mec, je me la suis tapée quatre fois !
Assis dans le canapé du salon, Ryder agitait ses mains alors qu’il nous racontait d’une voix excitée ses
prouesses avec Jacinta. En face de lui, Zack, un pied posé sur le genou opposé, l’observait avec une petite
lueur indulgente dans les yeux.
Ryder (fils unique) et Zack étaient potes à vrai dire depuis un bout de temps. Ils s’étaient rencontrés par
le biais de leurs pères respectifs, l’un étant le client de l’autre, garagiste dans le Queens. Pour ma part,
j’avais accompagné une fois mon oncle, également à la tête d’un grand garage à Brooklyn, chez le père de
Ryder – ils se rendaient mutuellement service en affaires –, et c’est là que je l’avais connu, le premier jour
des vacances scolaires, l’été avant mon entrée en seconde. Il aidait son paternel pour se faire un peu de
fric. On avait tout de suite bien accroché sur plein de choses et le reste faisait partie de l’histoire.
On avait commencé à se fréquenter et grâce à lui, j’avais ensuite rencontré Zack qui partageait la même
passion que moi pour les tatouages. De leur côté, tous les deux avaient fait la connaissance de Knox et de
sa famille par mon intermédiaire. La bande s’était ainsi peu à peu formée, les liens se resserrant au fil des
années.
— Et question anal, la nana assure ! Elle pourrait prendre trois bites en même temps.
Zack faillit s’étouffer tandis qu’il avalait une gorgée de bière. Il toussa plusieurs fois. Cela ne perturba
pas le moins du monde Ryder, toujours aussi emporté par son récit.
— Elle s’est mise à hurler. Les mecs, j’ai bien cru qu’elle allait rameuter tout le quartier.
— Tu étais où ? demanda Zack, les yeux larmoyants, retrouvant sa voix après sa petite quinte de toux.
— Dans un bar à Brooklyn ! On a démarré là et après, on est partis chez elle. J’ai eu droit à la totale. Elle
m’a sucé… PUTAIN, elle devrait vraiment donner des cours aux gonzesses. Je voyais double à la fin.
Certains ne savent pas ce qu’ils perdent avec leurs nanas. Elle se ferait un de ces frics ! Elle n’a pas idée.
J’échangeai un regard amusé avec Zack, imaginant la file de meufs pour s’inscrire aux fameux cours de
Gorge-Profonde-Jacinta.
— Elle m’a chevauché et en redemandait.
Il poursuivit de plus belle sur sa lancée.
— Elle m’a même proposé une partie à trois avec un mec, un certain Ramon.
J’eus un léger sursaut, je ne m’attendais pas à ça. Enfin, je n’étais pas complètement surpris, non.
Jacinta raffolait de ces trios. Du côté de mon pote, je savais qu’il avait déjà eu quelques expériences avec
deux nanas dans son lit, une fois même avec trois, l’enfoiré, à la fête d’une fraternité. À la fac ou en
soirée, il avait des antennes pour repérer de loin les meufs ouvertes à tout.
Son adage : ne pas mourir idiot.
— Elle m’a assuré que le mec n’était pas bisexuel ou gay.
Son regard saphir, un peu penaud, se dirigea soudain vers Zack.
— Zack, tu sais que je ne suis pas homophobe ! J’apprécie énormément ton frère, mais c’est pas ma
came. Je préférais être clair avec elle.
Mon associé leva une main d’un geste signifiant « il n’y a pas de mal ».
— Je sais, vieux. D’ailleurs, je peux te dire que, même si tu virais de bord du jour au lendemain, tu ne
serais vraiment pas le genre de Shaun. Il préfère les mecs... comment dire… un chouia plus romantiques,
ironisa-t-il
J’explosai de rire.
— « Romantisme » est l’antonyme de « Ryder ».
Un coussin atterrit sur ma tronche.
— Tu peux causer, Mister-romantic-de-mes deux. Qui m’a présenté Jacinta ? Qui m’a dit que c’était la
meilleure suceuse de Manhattan ?
Je lui renvoyai le coussin. Ce primate me sauta tout à coup dessus et on tomba sur le sol en se
chamaillant.
— Oh, bordel, j’hallucine ! s’exclama Zack, hilare. Vous en êtes encore là, quels gamins !
Au même moment, la porte d’entrée s’ouvrit et Knox et Jailyn pénétrèrent dans le salon.
— Zack… Ryder, lança-t-elle d’un air surpris qui laissa place à un sourire indulgent, le genre qu’on fait
devant deux gosses mignons, mais terribles.
Ryder roula sur le dos et d’un bond souple, il sauta sur ses pieds, puis s’avança vers Columbia, les bras
ouverts.
— Jailyn, ma perle…
Knox fronça les sourcils et me regarda, étonné.
— Qu’est-ce qu’il lui prend ?
Je me levai en tirant sur mon tee-shirt froissé.
— Il travaille… son côté romantique. Il y a du boulot !
Knox eut un reniflement qui en disait long. Complètement d’accord avec moi. Dans son dos, Ryder me fit
un doigt d’honneur avant d’échanger avec Jailyn l’un de ces hugs affectueux qu’elle lui rendit. Au-dessus
de l’épaule de mon pote, elle eut un petit clin d’œil pour moi. Je souris. Puis, je jetai un regard sur ma
montre.
— Il est déjà fini votre film ?
Jailyn s’assit sur le canapé ; Knox prit place à côté d’elle en passant un bras autour de ses épaules pour
l’attirer contre son flanc.
— La séance était complète, mais Knox m’a promis qu’on y retournerait un soir dans la semaine.
— Complète, répétai-je en dévisageant mon pote.
— Ouais… lâcha-t-il lentement, complète.
Putain, autant de gens allaient voir ce genre de daube ?
Incompréhensible, bien sûr, pour chaque mec dans cette pièce. Ce n’était pas les Avengers ou Star Wars
tout de même !
— Un crève-cœur.
Il adopta le même ton pince-sans-rire :
— Ouais, un véritable crève-cœur.
Jailyn éclata de rire en tapant l’estomac de Knox qui se mit à se marrer.
— Traître… Hé, Cruz, je ne t’ai pas dit ? lança-t-elle soudain.
— Non, quoi ?
— Knox m’a promis de m’amener au Madison Square Garden voir le concert de Taylor Swift.
— Taylor Swift ? répétai-je, éberlué.
Knox eut un grognement.
— Jailyn, je t’avais dit d’éviter…
On explosa tous de rire avant qu’il ne puisse terminer sa phrase. Les épaules agitées du même fou rire
naissant, il secoua la tête avec un regard vers sa petite nana.
— La vengeance est un plat qui se mange froid, répondit Jailyn du tac au tac, les pupilles pétillantes.
— Traîtresse !
Knox lui crocheta le cou avant de planter un baiser sur sa tempe.
— Il faudra absolument inviter Bethany, continua-t-elle.
Je les observai. Le visage amusé, Knox plongea ses yeux dans ceux espiègles de sa moitié, visiblement
prêt à lui décrocher la lune. La preuve… Taylor Swift… Le prénom de Bethany me fit sourire
intérieurement, les souvenirs affluant. Oui, elle avait des goûts aussi merdiques que Jailyn. Soudain, ce
rappel me rendit nostalgique et je n’aurais su dire pourquoi.
Ou peut-être que si…
Le regret d’une époque où tout semblait être moins compliqué avec elle, quand elle n’était qu’une petite
nana spontanée, adorable lorsqu’elle traversait ces périodes avec de gros crushs ou d’énormes obsessions
pour un chanteur ou un acteur. Dans la foulée, notre prochaine rencontre se rappela à mon bon souvenir.
Partagé entre une joie sincère et autre chose de curieux, proche d’un léger malaise, je sentis une boule se
former dans ma poitrine.
Comment serait-elle ? La Bethany rassurante, l’autre… perturbante ? Un mélange des deux ? Je chassai
ces idées plus sombres qui menaçaient de me donner un fichu mal de crâne, en m’efforçant de prendre
une voix joviale pour lancer :
— Hé, Columbia, tu veux quelques munitions contre ton mec ?
Elle me dévisagea, intriguée.
— L’autre fois, il chantonnait du Katy Perry dans les chiottes.
— Non ? KATY PERRY ! s’écria-t-elle, la paume sur le cœur.
Knox me jeta un de ces regards qui promettait les pires sévices en représailles.
— Oh, bordel !
Cette fois, ce fut lui qui me lança un coussin que je balayai d’un revers de la main alors que Ryder et
Zack explosaient de plus belle.
— Hé, Knox…
— La ferme, Ryder, je veux rien entendre. Un mot, t’es un homme mort.
Jailyn se mit à glousser. Je vis Ryder lui faire un petit clin d’œil.
— Au fait, Zack, quand est-ce que Shaun revient à New York ? Pour les fêtes ? questionna-t-elle.
— Pour les fêtes, c’est sûr, mais il essayera de venir un week-end avant.
— Je vais enfin pouvoir faire sa connaissance.
Zack sourit.
— Il a aussi hâte de te rencontrer, et de tous vous revoir, sauf toi, dit-il en donnant une tape du plat de la
main sur le crâne de Ryder.
— Hey ! s’écria ce dernier en se massant le cuir chevelu avec exagération, comme s’il venait de se faire
scalper. J’te crois pas, vieux. Ton frère m’adore. D’ailleurs, je suis sûr qu’il me suppliera de l’emmener
faire une séance de karting.
— Il y a de grandes chances, convint Zack d’un ton affectueux. Et ta sœur Tiphaine, comment ça se
passe ? demanda-t-il à l’attention de Columbia.
— Elle adore New York et Juilliard, elle s’entend aussi très bien avec sa coloc, Emma.
— Et tes parents ?
— Ils viennent nous rendre visite à Thanksgiving.
Elle tourna le visage vers Knox.
— Ils voulaient chercher un hôtel.
— Pas besoin. Dis-leur qu’on s’arrangera.
— C’est ce que je leur ai déjà dit.
Knox lui caressa la joue.
— Ma mère veut les inviter à manger ainsi que ta sœur, dès que ce sera possible. Elle t’en parlera.
Ouais, ça devenait vraiment sérieux ces deux-là. Jailyn prit un air radieux et ils se sourirent, oubliant le
reste de l’univers : nous, pauvres mortels, assistant à cet étalage de guimauve.
— D’accord, murmura-t-elle.
Zack se leva sur ces entrefaites.
— Ce n’est pas tout, les gars, mais demain, je me lève tôt.
Le lundi, il consacrait toujours une partie de la matinée à la paperasse et se pointait au studio avant
l’heure habituelle. Il salua tout le monde d’un signe de la main. Je l’accompagnai dans le hall. On se tapa
les poings en guise de salut.
— À demain, mec.
— À demain, répondis-je.
Ryder s’en alla un quart d’heure après. Il s’arrêta sur le seuil de la porte d’entrée ouverte.
— On s’appelle, me dit-il. Ça te dirait de faire un karting, le week-end prochain ? En parler, ça m’a
donné envie.
— Oui, ça me dit bien !
— Je t’appelle mardi ou mercredi. Je m’occuperai des réservations.
J’acquiesçai.
— Hé, mec, lançai-je soudain, fais quand même gaffe avec Jacinta.
Il ricana.
— T’inquiète, je ne vais pas la demander en mariage, si c’est ça qui te fait flipper. C’est avec toi qu’elle
pourrait devenir collante. Moi, je ne suis qu’un jouet pour elle et ça me va très bien. Il n’y a aucun risque
qu’elle se transforme pour moi en la meuf de Liaison fatale.
— Et le mec, tu es sûr de ce Ramon ?
— Je ne suis pas complètement stupide. Et les trucs que tu m’as appris plus jeune m’ont servi plus d’une
fois.
En fait, je lui avais appris à se défendre. Ryder avait toujours été attiré par les bolides, mais pas par les
sports de combat. J’avais remédié à ce manque.
— Elle m’a proposé qu’on aille boire un verre avant, tous les trois. C’est une sacrée chaudasse, elle fait
ce qu’elle veut de son cul après tout, mais elle n’est pas mauvaise comme nana. Ni conne.
Il baissa légèrement la voix en rajoutant :
— Cruz, tu sais très bien qu’elle ne fera jamais rien qui pourrait vraiment te mettre en pétard.
En clair : elle savait que je pouvais être aussi dangereux que mon frère (elle n’ignorait pas qui il était),
si on touchait à l’un des cheveux de mes proches. J’eus un hochement de tête.
— OK, j’attends ton coup de fil.
— Yep.
Quand on irait au karting, j’en profiterais pour lui parler de l’anniversaire de Knox et de mon projet.
Après une dernière tape virile entre nous, il se dirigea vers l’ascenseur. Je fermai la porte. Pendant que
Jailyn rinçait les couverts dans la cuisine avec son mec, je rangeai le salon. Ensuite, je me retirai dans ma
chambre en même temps que les deux tourtereaux dans celle de Knox.
Dans la semaine, à mon grand dam, je sentis une nervosité monter en moi au fur et à mesure que les
jours passaient. J’évitai de la lier à une petite blonde de ma connaissance. En fait, j’évitai d’y prêter
attention tout court.
Mais pas facile…
La veille du rendez-vous, chose presque étrange, je ne tenais plus en place. Dans un coin de mon
cerveau, je me dis que j’étais pressé de voir si on retrouverait notre complicité habituelle ou si ce serait
aussi bizarre que l’autre fois…
Chapitre 5

Bethany

Dans moins de deux heures, je verrais Cruz.
J’essayai de me concentrer sur mon cours de psy, mais mon esprit avait du mal à se connecter au prof.
Un tas de pensées se catapultaient dans mon cerveau. J’étais déterminée à faire les efforts nécessaires
avec Cruz ; tout ça ne tenait qu’à moi. Son amitié comptait beaucoup, et je me le répétais en boucle
depuis des jours. En vérité, le meilleur ami de mon frère n’était pas responsable de mon malheureux
crush qui avait pourri ma vie, pourri mes derniers mois.
Et surtout, Jace se rappelait toujours à moi avec une force vivifiante. Continuer à ignorer et éviter Cruz
aurait été la preuve que je n’étais pas sûre de ma relation avec lui. Ce week-end, cette réalité m’avait
méchamment sauté à la figure. Et ça, hors de question ! Parce que ce garçon était important pour moi.
Plus j’analysais la situation des semaines passées, plus je m’en voulais.
Cruz était le béguin d’une ado !
OK, l’ÉNORME béguin d’une ado qui le voyait régulièrement à la maison, avec qui il avait toujours été
gentil. Un tel mec, musclé, à l’aura dangereuse, mais super gentil… cela aurait fait tressauter les
hormones de n’importe quelle fille en pleine puberté. Ensuite, que ce béguin se soit amplifié… c’était… je
ne sais pas… une obsession comme une lycéenne peut en avoir dans sa vie. Cette analyse était un peu
simpliste, peut-être, mais ça me donnait déjà le coup de pied aux fesses pour réagir, parce que, bon sang,
je n’étais plus une ado et je n’étais plus une lycéenne ! Et puis, à bien y réfléchir, mon comportement (de
gamine !) commençait également à affecter ma relation avec Knox. Cruz ferait toujours partie de sa vie ;
alors, il était temps maintenant de me conduire en adulte.
J’étais prête à le faire. Je me sentais forte pour Jace ! Je réussirais à placer Cruz dans la bonne case,
comme j’aurais dû le faire il y a longtemps. Soit, j’étais peut-être nerveuse à l’idée de le revoir, mais je
jurai en mon for intérieur que j’aurais enfin une attitude responsable en le traitant comme un proche de
ma famille. Cette obsession, innocente au départ, s’était transformée au fil des années en quelque chose
qui n’avait rien eu de sain. Elle pouvait provoquer du tort dans mon entourage, mais plus grave encore,
elle pouvait aussi me pousser à faire une terrible erreur, comme laisser échapper la meilleure chose qui
me soit arrivée dans la vie. Stupide et impardonnable.
Jace méritait que je me libère enfin de mes démons.
Placer un mec sur un piédestal était l’erreur typique d’une adolescente. MOI, étudiante, admise à
Columbia, réputée pour ne pas être conne, il était temps que je me rappelle tout ça ! Il était temps que je
mûrisse. D’ailleurs, si on acceptait de voir la réalité en face, celle-ci était bien différente de tous les rêves
et les fantasmes qui avaient alimenté mon obsession. En effet, Cruz était profondément gentil (du moins
avec moi), mais si je faisais l’effort de regarder de plus près, le tableau était loin d’être idyllique : il
couchait avec un tas de filles, même avec ses clientes. Pour dire ! Il s’était aussi tapé Livia, OUI, LIVIA,
une nana de mon cours de danse. Je grimaçai à ce souvenir cuisant, ignorant cependant le pic dans ma
poitrine.
Non, il n’y avait rien de stable en lui.
Une fille lui apporterait peut-être un jour la stabilité – bon, honnêtement, je n’avais pas envie de
m’engager sur cette voie-là –, mais aujourd’hui, je me sentais prête à affirmer haut et fort que je ne serais
pas cette nana. Les prunelles pétillantes de Jace dansèrent devant moi, comme si elles étaient soudain
apparues pour m’encourager, et mon cœur enfla alors que le coin de mes lèvres se retroussait en un
sourire.
J’inspirai un bon coup ; la tension de mes épaules se relâcha. Bonté divine, c’était dingue de constater
que, lorsqu’une personne déchirait enfin la lourde tenture devant ses yeux et affrontait la vérité, elle se
donnait enfin une réelle chance d’avancer ! Je me répétai une dernière fois que Cruz ferait toujours partie
de ma famille, qu’il serait toute ma vie un être pour qui j’aurais une profonde affection, au même titre
qu’un frère. Sur ce, je me forçai à écouter le cours.
À midi et demi, je sortis du bâtiment situé sur la 168e rue et mon cœur remonta dans ma gorge quand je
le vis, le corps appuyé contre l’arrière de son pick-up, les mains dans les poches de son jean délavé, une
cheville croisée sur l’autre dans une attitude nonchalante, les épaules larges, ses tatouages formant un
magnifique canevas sur ses bras musclés, ses cheveux noirs ondulés se soulevant sous une brise légère.
Mes jambes se ramollirent, mes neurones s’envolèrent quelque part dans Manhattan, avant qu’une peur
irraisonnée n’envahisse tous mes pores. Puis, une volonté farouche me sauva du fiasco.
Bordel ! Non ! NON !
Je respirai profondément et m’avançai vers lui, le sourire aux lèvres. Je fis ce que je ne m’étais pas
autorisée à faire depuis longtemps : je laissai un souvenir revenir à la surface, le jour où j’avais
accompagné mon frangin au studio de tatouages. Cruz m’avait montré ses dernières créations, puis on
avait bien rigolé quand je lui avais raconté quelques anecdotes sur le lycée. Il existait entre nous une
belle amitié qui n’avait pas disparu. Précieuse. Une nostalgie, cachée quelque part en moi, m’envahit
dans toutes mes fibres : j’avais envie de la déterrer.
Elle me manquait.
Je descendis du trottoir pour m’arrêter devant lui. Il baissa les yeux vers moi. Doux Jésus, il exhalait un
sex-appeal qui décrocha la tête de deux filles qui passèrent près de nous. Je les ignorai ; d’ailleurs, lui
aussi. Étrange, car elles n’étaient pas vraiment discrètes. Comme je leur tournais le dos, il avait même dû
les remarquer avant moi alors qu’elles arrivaient à notre hauteur ; mais je ne m’attardai pas sur ce détail.
Je puisai dans cette nostalgie, ce sentiment d’amitié que je voulais raviver en moi. Parce que le
problème se situait à mon niveau, formant des couches à balayer une à une. Pour Cruz, rien n’avait
changé ; à ses yeux, j’étais toujours la petite Bethany, son amie. Il n’avait même pas dû comprendre
pourquoi je n’avais pas assisté à l’inauguration du nouveau studio. Un moment important pour lui. La
morsure du remords faillit me couper la respiration. Forte d’une détermination nouvelle, mon regard
dévia vers son bras droit tatoué.
— Hé, tu crois que Knox piquerait une crise si je me faisais faire un tatouage ? lançai-je d’une voix
amusée.
Je crus voir passer une lueur de soulagement dans ses beaux yeux chocolat avant qu’il n’éclate de rire.
Je me félicitai intérieurement de cette première réussite.
— Il en ferait une jaunisse !
— Me concernant, il ferait une jaunisse pour n’importe quoi, plaisantai-je.
— T’as pas tort.
Il me dévisagea quelques secondes en silence, pensif, puis ses prunelles se détachèrent des miennes
pour embrasser les alentours. C’est là que je réalisai que j’avais retenu ma respiration. Le cœur battant,
je soufflai lentement. Ses yeux se posèrent de nouveau sur moi et j’interdis à mon corps de se raidir. Sur
le coup, il sembla vouloir dire quelque chose avant de se raviser. Trois secondes plus tard, il me
demanda finalement :
— Alors, chica, où est-ce qu’on peut manger correctement dans ce quartier ?
J’aurais mis ma main au feu que c’était d’autres paroles qu’il avait été sur le point de prononcer, mais
mon cœur bondit au surnom affectueux. Je le sommai de se calmer !
— Il y a Chez Ted, répondis-je d’un geste du menton.
— C’est là que tu travailles ?
— Non, c’est à deux blocks de Chez Ted, mais j’aime bien de temps en temps faire un break et manger
ailleurs.
— Va pour Ted !
Il se décolla de l’arrière de son pick-up, puis le clic des portières m’indiqua qu’il venait de les
verrouiller. Je le vis glisser son trousseau dans la poche avant de son jean.
Sur le trottoir, il s’adapta à mes pas.
— Alors, ce dimanche s’est bien passé ?
— Zack et Ryder étaient là…
Il me raconta sa journée, m’apprit que Shaun prévoyait de venir passer un week-end à New York avant
les fêtes de fin d’année, puis il me demanda quels cours j’avais eus le matin ; on atteignit bien vite notre
destination dans une ambiance amicale. Avant que je ne puisse tendre le bras, il m’ouvrit la porte. Je le
remerciai d’un sourire, alors que mon cœur s’accélérait stupidement. Suffit ! Lui et moi, on aurait une
discussion plus tard !
À l’intérieur, Chez Ted était un petit restaurant sympa avec ses tables carrées flanquées de canapés en
skaï sortis tout droit des années 50. Une employée, une jolie métisse, nous accueillit près du bar. Bien sûr,
Cruz eut droit à un sourire splendide. D’un rapide coup d’œil en biais, je le vis lui rendre son sourire.
OK, il était poli, tout simplement… et je m’en foutais, me rappelai-je avec une détermination
impressionnante.
— Deux personnes ?
— C’est ça, répondis-je.
Elle nous dénicha une place au fond, près d’une fenêtre qui s’ouvrait sur la rue perpendiculaire à
l’avenue par laquelle on était arrivés, le restaurant formant un angle. J’étais persuadée que s’il y avait eu
une table de libre dans son secteur, elle nous aurait placés là.
Stop, Bethany ! Stop !
— Alors, tu as pu faire une liste de salles au cas où Lincoln serait déjà louée ? demandai-je d’un ton
détaché, une fois assise.
— Ouais, j’ai essayé de les appeler, mais je suis tombé plusieurs fois sur leur répondeur.
— On sera fixés tout à l’heure.
Une serveuse, une personne dans la quarantaine, s’arrêta à cet instant à notre hauteur pour nous
tendre deux cartes plastifiées.
— Je vous sers quelque chose à boire ?
— Un jus d’orange, s’il vous plaît.
Cruz leva la tête vers elle.
— Une bière.
— C’est parti. Je vous laisse choisir vos menus.
— Merci, répondis-je.
Elle s’éloigna.
— Il y a d’autres salles qui paraissent sympas, poursuivit Cruz en s’appuyant contre le dossier, l’avant-
bras allongé sur la table, mais je suis tombé sur un resto où tu peux réserver un espace privé qui
comprend un bar, et une salle avec une petite scène. Ils proposent également une formule tout compris
avec repas. À l’étage, il y a un salon avec des écrans télé, un billard aussi. Ça pourrait être vraiment cool.
J’ai eu un mec au téléphone, il m’a dit de passer cet après-midi.
— Ça a l’air pas mal, en effet.
Il saisit son téléphone qu’il avait posé sur la table pour tapoter dessus avant de me le tendre.
— Regarde les photos sur leur site.
Je pris soin de prendre son smartphone sans frôler ses doigts. Je fis défiler plusieurs photos et
effectivement, le lieu paraissait idéal. Knox et Jailyn adoreraient. D’ailleurs, des idées de déco me
venaient déjà.
— C’est vraiment chouette comme cadre.
Je levai la tête et les yeux de Cruz capturèrent les miens. Un brun velouté, chaud et caressant. Ma gorge
s’assécha dans la seconde. D’un petit geste nerveux, je repoussai une mèche derrière mon oreille et dut
m’éclaircir la voix avant de pouvoir articuler correctement :
— Si tu choisis une salle comme Lincoln, il faudra s’occuper de trouver un traiteur et tu n’auras pas
toutes ces prestations supplémentaires. Après, bien sûr, il faut voir la différence de coût entre les deux.
Un coin de ses lèvres se souleva en un sourire sexy.
— Irvin est prêt à avancer la totalité de la somme si cela nous arrange.
La serveuse nous interrompit le temps de poser nos boissons sur la table. Je bus une gorgée de mon jus
d’orange avant de lui dire avec sincérité :
— C’est vraiment sympa ce que tu fais pour Knox, Cruz.
Curieusement, il resta silencieux quelques secondes durant lesquelles l’atmosphère devint soudain
chargée, puis ses paroles suivantes me surprirent et m’émurent à la fois :
— Tu sais, le temps passe vite. Quand Jailyn aura son diplôme, ils chercheront un appart, peut-être
même avant, ce qui est normal. C’est la suite logique des choses : on trace tous notre route. Alors, j’ai
vraiment envie de lui offrir un bel anniversaire, de marquer le coup, car c’est une année importante pour
lui, professionnellement, mais surtout, par rapport à sa vie privée. C’est l’année de sa rencontre avec
Columbia (son regard se perdit soudain vers la vitre avant de revenir vers moi). Je veux leur offrir une
soirée spéciale à tous les deux.
Mon cœur enfla d’un coup et mes yeux picotèrent, alors que ma gorge se nouait fortement. Je sentais
qu’il était vraiment heureux pour eux, mais il y avait également en lui une tristesse sous-jacente que je
comprenais. C’est vrai. On plongeait de plus en plus dans le monde adulte avec ses tournants importants
et ses changements irrévocables. Des amitiés survivraient, d’autres pas. Alors, spontanément, je posai ma
paume sur sa main.
— Cruz, tu es son meilleur ami, un frère à ses yeux. Tu seras toujours très important pour lui et tu feras
toujours partie de sa vie, quoi qu’il se passe.
Sa main se retourna et nos doigts s’entremêlèrent d’une façon très naturelle, si juste que c’en était
troublant. Mais à cet instant, l’amitié entre nous domina toute autre émotion que ce contact intime
suscitait. Je vis sa pomme d’Adam monter et descendre.
— Merci, répondit-il d’une voix un peu rauque, en me fixant d’un regard pénétrant.
La serveuse apparut soudain près de notre table.
— Alors, les amoureux, vous avez choisi ?
Sa voix haut perchée me fit tressaillir. Je levai la tête vers elle : ses yeux étaient posés sur nos doigts
enlacés, et elle souriait. Mes pommettes, sans doute écarlates, me brûlèrent. Incapable d’émettre un son,
j’ôtai rapidement ma main tout en évitant de regarder vers Cruz. Je saisis la carte afin de faire quelque
chose le temps de me reprendre. J’entendis Cruz lancer d’un ton normal :
— Je prendrai un double hamburger maison avec frites et salade.
Je le contemplai. Son visage était tourné vers la serveuse. Un visage neutre, mêlé à une attitude
nonchalante, comme si ses oreilles n’avaient pas capté les mêmes paroles que moi. J’enviai sa
décontraction ! Là, à cette minute, je n’aurais pas pu brandir ma carte de féministe parce que, dans
certaines situations perturbantes, il n’y a pas à dire, nous les nanas, on est moins fortes que les mecs ! Je
me raclai la gorge.
— Pour moi, ce sera un cheeseburger et des frites.
Ma main me picotait encore. Agréablement. Lorsque la serveuse tourna les talons, Cruz embraya d’une
voix toujours aussi naturelle sur un autre sujet, et ce moment spécial s’effilocha dans l’air pour
disparaître complètement. Quand nos plats arrivèrent, je riais même de ses piques.
— Il n’est pas question que tu te charges de la musique. Knox m’en voudrait à mort…
Tout en pouffant, je lui lançai à la figure ma serviette qu’il rattrapa d’un geste souple, pour me la
renvoyer direct sur le nez. Je m’esclaffai. Il me sourit, de ce sourire à lui si particulier, chaleureux, voire
affectueux. Je baissai la tête vers mon assiette et me laissai envahir par une chaleur agréable dans ma
poitrine. Il n’y avait rien de dangereux à cela, me dis-je toutefois, me rappelant mes bonnes résolutions.
D’ailleurs, cette complicité entre nous refit surface et le repas se déroula dans une ambiance détendue.
Familière. Il me restait quelques bouchées de mon cheeseburger quand mon portable vibra sur la table.
Jace.
Jace : Alors, tout va bien ?
Je saisis mon smartphone pour répondre à son SMS.
Moi : Oui, on finit de manger et ensuite, on part à Brooklyn.
Jace : OK, j’essayerai de t’appeler ce soir.
Moi : OK !
Je reposai mon téléphone près de mon verre. De ma vision périphérique, je vis Cruz le balayer
rapidement des yeux, sans me poser cependant la moindre question. En y réfléchissant, je réalisai qu’il ne
parlait jamais de Jace. J’eus un haussement d’épaules invisible. Ce n’était que la deuxième fois qu’on se
voyait depuis un certain temps, il attendait peut-être que je le fasse parce qu’il respectait tout simplement
ma vie privée et ne voulait pas se montrer curieux. Il n’y avait pas à chercher plus loin…
Plus tard, on choisit le même dessert, une glace, suivie d’un thé pour moi et d’un café pour lui. Alors
qu’on était sur le point de partir, je le vis prendre l’addition.
— Cruz…
— Ne commence pas, Bethany, je t’invite.
Un regard déterminé. Un ton sans appel.
— La prochaine fois, c’est moi.
Je me rendis subitement compte de ce que je venais de dire. Avant que je ne puisse baragouiner un truc
pour me rattraper, il me devança.
— OK, c’est noté, jeta-t-il avec ce petit clin d’œil trop sexy.
Et mon cœur bondit violemment dans ma poitrine. Dans la foulée, je remarquai sa chevelure légèrement
ébouriffée, comme s’il sortait du lit, et les mèches noires tombant sur son front. Je baissai illico la tête
vers ma besace, plus que troublée. Il paya en liquide en laissant un pourboire. De mon côté, je me levai et
le précédai pour traverser la salle, remarquant les visages de nanas qui se tournaient dans ma direction,
enfin… plutôt vers le spécimen qui marchait derrière moi, assez près d’ailleurs. Même de dos, je perçus
sa séduction brute, palpable.
C’était comme si j’étais consciente de chacun de ses mouvements fluides si proches et de la chaleur que
son corps dégageait. Je n’avais même pas besoin de me retourner pour savoir qu’il avait ce déhanché
sexy. J’accélérai le pas ; cette fois, ce fut moi qui ouvris la porte.
Bon sang, un bon bol d’air me fit un bien fou !
J’inspirai profondément en vitesse avant de lui faire face avec un sourire naturel. On se mit à marcher
sur le trottoir en direction de l’endroit où était garé son véhicule.
— Au fait, il existe toujours ce club latino où tu allais, plus jeune ?
— Oui, il existe encore, mais ça fait une paille que j’y suis pas allé.
D’après mes souvenirs, il connaissait bien le propriétaire qui devait avoir l’âge de son frère, cinq ans de
plus que lui. Je ne me rappelais plus le nom du gérant de cette boîte.
— Depuis l’année dernière, notre prof de danse a inclus des exercices de cardio sur des rythmes latinos.
Rien de tel pour l’endurance.
Cruz eut un petit rire amusé.
— Il faudrait que je voie ça un jour, répondit-il, le ton espiègle.
Une idée séduisante, mais je la refoulai en un éclair. On arriva bien vite à son pick-up. Cruz m’ouvrit la
portière du côté passager et je grimpai sur le siège. Puis, il fit le tour par devant pour s’installer derrière
le volant. Comme d’habitude, l’intérieur était propre, parfaitement entretenu. Je ne me souvenais pas de
la dernière fois que j’étais montée dedans. Cela faisait un certain temps ! Il démarra le moteur, puis
s’engagea dans la circulation. De cette partie de Manhattan, il nous faudrait une bonne heure de route si
le trafic n’était pas trop dense.
On se dirigea vers Harlem Drive pour rejoindre Franklin D. Roosevelt Drive, une voie rapide qui longeait
l’East River, en direction du pont de Brooklyn. Cruz alluma la radio, choisissant une station qui jouait du
rap. Un beau soleil brillait encore sur New York. Cette année, à quelques jours du mois d’octobre, on était
particulièrement gâtés par le temps.
Un bel été indien.
Je remarquai vite la dextérité incroyable avec laquelle Cruz roulait, une main sur le volant, son autre
bras plié, posé sur la vitre ouverte. Une véritable promenade de santé pour lui. Moi, la circulation à
Manhattan me stressait un peu.
Le trajet passa très vite, entre des silences pas gênants du tout et des sujets de conversation qui allaient
du dernier film qu’on avait vu, à son boulot, mes cours et d’autres trucs. Avec surprise, je vis qu’on
arrivait déjà à Williamsburg, l’un des arrondissements de Brooklyn.
On trouva une place sur le parking devant Lincoln. À l’accueil, une femme nous mit rapidement au
parfum : la salle était déjà louée depuis la rentrée. À la vérité, cette nouvelle ne nous déçut guère, car
notre préférence se portait sur le resto et ses prestations. Il n’y avait plus qu’à croiser les doigts pour que
cela soit dans nos moyens. On regagna le pick-up. Cruz se dirigea cette fois-ci vers Bushwick, un autre
quartier branché depuis quelques années. Dans les années 90, cela avait été un repaire de voyous très
dangereux avec des trafics en tous genres, drogue et prostitution. À présent, réputé pour ses superbes
graffitis dans ses rues, le secteur était devenu le cœur du Street art à New York, attirant des touristes du
monde entier. Une ambiance particulière, originale, y régnait.
Cruz réussit à trouver une place à quatre blocks du resto. Pas mal, car ce n’était pas gagné ! On
remonta l’avenue à pied en s’arrêtant régulièrement devant de magnifiques créations. Vu son métier,
Cruz avait un regard spécial pour juger du talent de ces artistes. Sans se concerter, on pila net au pied
d’une fresque qui représentait deux mains à la peau foncée qui tenaient un morceau de métal coloré.
L’effet des doigts et des ongles sur la façade entière était saisissant.
— Ils sont super doués, lâcha-t-il, son visage admiratif levé vers le graffiti.
À ses côtés, j’admirais tout autant cette œuvre.
— Oui… Les mains, dans leurs moindres détails, paraissent tellement vraies ! On a l’impression qu’elles
vont jaillir du béton.
Il tourna la tête, ses yeux chocolat me fixant.
— C’est exactement ça, je ne l’aurais pas mieux dit.
Je souris spontanément. Son regard s’accrocha au mien et pesa sur moi un peu plus longtemps que
nécessaire dans une ambiance… soudain différente, avant qu’il ne le détache de mes yeux. Je n’aurais su
dire ce qu’il venait de se passer à cette seconde, mais je captai son mouvement pour se remettre en
marche et balayai ce moment derrière moi. On continua à avancer sans se presser. Tout en déambulant,
j’avais la très forte sensation qu’il appréciait cette balade autant que moi : notre attirance mutuelle pour
le Street art, la compagnie l’un de l’autre.
L’enseigne du Deity se profila devant nous lorsqu’on traversa une rue perpendiculaire à l’avenue sur
laquelle on se trouvait. Je stoppai à côté de Cruz et contemplai la petite devanture à l’allure sympathique.
Il m’ouvrit la porte.
— Après vous, mademoiselle Fowler, plaisanta-t-il en inclinant la tête avec politesse.
Je gloussai.
— Merci, monsieur Flores.
Un jeune homme, la trentaine maximum, vint à notre rencontre et tendit la main à Cruz.
— Vous êtes Cruz Flores ?
— Lui-même. Et voici Bethany Fowler, une amie.
— Gabriel Steele, le manager du restaurant, se présenta-t-il en me serrant également la main avec un
sourire. Venez, on va s’installer par ici.
Il nous entraîna dans un coin de la salle, vers une table pour quatre personnes. Tandis que je le suivais,
je remarquai son bras tatoué et, pour une raison mystérieuse, cela me parut être de bon augure.
D’ailleurs, je vis Steele jeter un coup d’œil à ceux de Cruz quand ce dernier prit place sur la chaise à côté
de la mienne.
— Alors, c’est pour un anniversaire, c’est ça ?
— Oui, on veut organiser une soirée pour le frère de Bethany. Une chance, son anniversaire tombe pile-
poil un samedi cette année. Le 5 décembre.
Steele consulta quelque chose sur son portable, à mon avis un agenda électronique.
Il sourit.
— On est complet jusqu’à fin novembre. Vous arrivez au bon moment, vous êtes les premiers à nous
contacter pour une réservation au mois de décembre.
Un flot de soulagement m’envahit.
— C’est déjà une bonne nouvelle, lâcha Cruz.
Puis, il expliqua ce qu’on prévoyait, une fête avec un DJ, une formule repas/traiteur pour une trentaine
d’invités. Et le cadre du Deity se prêtait exactement à une soirée relax entre amis. Au fur et mesure, un
bon feeling s’instaura entre lui et Steele, à qui il indiqua même la passion de Knox, et dans quel domaine
il bossait. L’homme l’écouta attentivement.
— Je vois qu’il y aura pas mal de musiciens.
L’idée lui plaisait visiblement.
— Oui ! On a d’ailleurs de très bons copains qui ont monté un groupe.
— Ah bon ? C’est quoi leur nom ?
— Les Styxx.
Il hocha la tête.
— Un jour, on pourra peut-être se vanter de les avoir reçus au Deity, plaisanta-t-il d’un ton amusé.
Cruz eut un grand sourire. Le mec lui plaisait de plus en plus, je le sentais.
— C’est tout le mal qu’on peut leur souhaiter.
— Venez, je vais vous faire visiter les lieux pour que vous ayez une idée plus précise de nos prestations.
On le suivit à travers un corridor qui débouchait dans une salle annexe de belles proportions, avec une
petite scène. Comme j’avais pu le voir sur les photos, elle avait son propre bar.
— On vous met à disposition un barman et deux serveuses.
Cruz et moi, on fit lentement le tour de la salle, puis Steele nous invita à emprunter l’escalier qui se
situait à droite du bar pour monter tout d’abord sur une mezzanine pourvue de canapés confortables et
de petites tables rondes. Une porte à double battant, formant une arche, menait à un autre salon où
trônait un immense sofa en U devant un grand écran télé. Il y avait même une console de jeux. L’ambiance
était chaleureuse et sympathique ; le cadre possédait un côté cosy que j’adorai. L’endroit me plaisait
énormément. Je croisai le regard de Cruz qui sembla deviner mon coup de foudre.
— Bien sûr, vous avez carte blanche pour la décoration des tables et de la salle si vous souhaitez vous en
occuper, expliqua Steele alors qu’on redescendait les escaliers. Toutes les tables seront couvertes d’une
nappe ivoire. Nous pouvons vous proposer différents types de vaisselle, de la plus classique à la plus
tendance.
Waouh, de mieux en mieux !
J’avais déjà des idées qui fourmillaient dans ma tête : chemins de table, petites décos qui rappelleraient
des instruments de musique, l’univers de Knox. Quelques boules chinoises au plafond pourraient produire
leur effet. C’est là que je réalisai à quel point je désirais m’investir dans cet évènement et faire plaisir à
Knox et Jailyn. Je n’avais pas envie de me souvenir des raisons de ma réticence initiale – une grosse
erreur –, et je remerciai soudain Cruz d’avoir pensé à moi. Et de m’offrir ce cadeau. D’ailleurs, je lui fis un
sourire qui dut briller dans tout le restaurant.
— J’ai déjà plein d’idées de déco ! jetai-je avec un enthousiasme débordant.
Son beau sourire en retour me fit chaud au cœur.
— J’en doute pas… je savais que ça te plairait.
— Merci d’avoir pensé à moi.
C’était sincère. J’avais en effet oublié de le remercier auparavant, empêtrée dans mes émotions dès qu’il
était apparu à mon cours de danse. Un autre sourire chaleureux fut ma plus belle récompense.
— J’espère que cela va être dans nos moyens, chuchotai-je alors qu’on commençait à revenir lentement
vers le resto.
Cruz fit un geste qui me surprit et eut le don d’apaiser ma soudaine nervosité. Sa main se referma sur la
mienne qui pendait le long de mon corps pour la serrer brièvement d’un mouvement encourageant. Puis il
la relâcha, tandis que mon cœur battait déjà la chamade.
Quand on s’assit de nouveau tous les trois autour de la table, Cruz aborda immédiatement les choses
sérieuses, le coût des prestations entre autres. Avec un certain étonnement, je l’écoutai. Je connaissais sa
vivacité d’esprit et son intelligence, mais à travers ses questions, sa façon de négocier différents points,
on voyait clairement le jeune chef d’entreprise talentueux qu’il était, sans être passé par la case grande
école de commerce. D’ailleurs, Steele jeta encore un coup d’œil sur ses tatouages avant de demander :
— J’ai cru comprendre que vous étiez tatoueur ? Que vous aviez votre propre studio ?
Cruz balaya rapidement du regard ceux de son interlocuteur.
— Oui, je me suis associé avec un ami. On s’est lancés il y a quelques années.
— La personne qui a fait vos tatouages a beaucoup de talent.
Pour certains d’entre eux, je savais que c’était Zack.
— Quelques-uns, sur les avant-bras, j’ai réussi à les faire moi-même. Pour d’autres, comme cet aigle,
c’est mon associé. Il est très doué.
Steele hocha la tête.
— Vous êtes installés à Manhattan ?
— Oui, mais je suis de Brooklyn, Bethany et Knox, son frère, également.
Ils reprirent leur discussion. Je ne sais pas si c’est nos bonnes gueules ou notre enthousiasme, cumulés
au talent de Cruz en tant que négociateur, qui furent les raisons de la remise très intéressante qu’il nous
accorda sur toute la prestation. Après d’autres précisions, Cruz et lui s’entendirent sur un prix.
— Je vous donnerai une adresse mail pour procéder au paiement de l’acompte qui se monte à 30 % de la
somme totale.
J’en aurais bondi de joie lorsque Steele valida notre réservation sur son agenda. On discuta encore une
demi-heure du contrat de location qu’il nous enverrait. Quand on quitta le restaurant au bout de deux
bonnes heures, je dus me contenir pour ne pas sautiller de joie sur le trottoir, excitée comme une puce.
Mais dans une pulsion que je ne pus enrayer, je sautai au cou de Cruz.
— Je suis trop contente !
Son rire chaud me caressa l’oreille et ses bras se fermèrent autour de ma taille. Les jambes écartées, il
se raidit pour éviter de basculer en arrière, ma réaction l’ayant pris par surprise. Quand je me rendis
compte de la sensation que produisaient en moi son torse dur sur ma poitrine et ses bras musclés, une
puissance à donner le tournis, OMG… je reculai le plus naturellement possible. Ses mains me lâchèrent
lentement pour retomber le long de son corps. Le mien semblait se consumer à plusieurs endroits avec
rage. L’air de rien, je m’éclaircis la voix en repoussant une mèche imaginaire de mon visage.
— Je pourrais aller voir dans cette boutique du Queens. C’est Ashley qui m’en a parlé. Ils ont plein
d’idées de déco vraiment originales. Ma mère me prêtera sa voiture… débitai-je rapidement.
Entre mon corps surchauffé et mon esprit encore tout excité par le Deity, mon débit ressemblait à celui
d’un rappeur en pleine crise.
— Bethany… Hey, Bethany !
Une main s’agita devant moi. Celle de Cruz. Je réalisai qu’il m’avait interpellée plusieurs fois. Du coup,
je réussis enfin à fermer mon clapet.
— C’est moi qui te conduis où tu as besoin d’aller ! OK ? C’est clair entre nous ?
Encore ce ton qui n’admettait aucun refus. Mais je n’avais pas envie de faire des difficultés. OK, ça
m’arrangeait quelque part, mais j’ignorai cette petite voix insidieuse qui me soufflait que cela me
permettrait aussi de le revoir.
— D’accord, lâchai-je. On en reparlera.
— Et la prochaine fois, tu pourras m’inviter à manger, continua-t-il sur sa lancée, une lueur amusée dans
ses prunelles, comme tu me l’as proposé Chez Ted. Jeudi prochain, je ne pourrai pas me libérer, ni les
prochains samedis, j’ai pas mal de rendez-vous. Mais on pourra y aller d’ici une quinzaine de jours. J’aurai
le temps de m’arranger.
Ne le revoir que dans deux semaines me serra subitement la gorge. J’enrayai cette sensation
perturbante.
— D’accord.
— Demain, je vais en parler à Zack, j’attendais un peu avant de lui en toucher un mot. Lui et Chase se
sont occupés de mes rendez-vous cet après-midi. Je suis sûr qu’il a déjà compris que j’étais sur un truc,
mais tu le connais, il sait être patient.
— Oui, c’est tout lui, lançai-je avec une pointe d’affection.
On récupéra le pick-up dix minutes plus tard. Assis derrière le volant, Cruz jeta un coup d’œil à l’heure
indiquée sur le tableau de bord avant de tourner la tête vers moi.
— Si tu n’as rien de prévu, cela te dirait de faire un saut sur l’avenue Saint-Nicholas ? Il y a une nouvelle
galerie qui expose des toiles d’anciens artistes de Street art.
Une vague de joie inonda ma poitrine.
— Oui, cela me plairait beaucoup, répondis-je en souriant.
Chapitre 6

Cruz

Bethany consultait son téléphone quand je pris le virage à l’angle de Wyckoff avenue et de Linden street
qui menait sur le boulevard Saint-Nicholas. J’aimais beaucoup Bushwick – un véritable musée à ciel
ouvert avec ses superbes fresques peintes sur les bâtiments en briques rouges ou les vieux entrepôts
parfois abandonnés. Cela me surprenait toujours un peu de remarquer à quel point le coin avait changé.
Depuis quelques années, une quantité de hangars avaient été transformés en lofts ou en ateliers. Mais
cette partie de Brooklyn conservait encore un esprit bohème par rapport à Williamsburg qui
s’embourgeoisait de plus en plus.
Alors que je redémarrais d’un feu, je jetai un coup d’œil à Bethany et captai plusieurs reflets dorés dans
ses cheveux. Aujourd’hui, elle ne les avait pas attachés ; ils pendaient librement en vagues souples,
tombant au milieu de son dos. Surpris de noter un tel détail, je me forçai à reporter mon attention sur la
route avant de nous foutre dans le décor.
Pour tout dire, je me sentais mieux. Il y avait de quoi !
Cette deuxième rencontre se passait nettement mieux que la précédente. Rien de comparable.
D’ailleurs, jusqu’au moment où Bethany avait émergé de son école, je n’avais pas réalisé à quel point ma
nervosité avait atteint un pic plutôt perturbant. Son regard pétillant, son visage souriant et sa première
plaisanterie avaient dénoué le nœud qui avait élu domicile dans mon estomac.
Putain… bizarre, lorsque j’y pensais de plus près.
Depuis, tout s’était très bien passé, nickel. Chez Ted, puis ensuite au Deity, j’avais retrouvé notre
ancienne complicité. Du coup, j’étais relax, bien plus relax que la fois d’avant. Pourtant, malgré cela, il y
avait un truc de changé que je n’arrivais pas à m’expliquer. C’était elle, la petite sœur de Knox que j’avais
toujours connue, sans être elle. Étrange…
Bordel, je devenais aussi compliqué qu’une gonzesse !
Un détail, dans la foulée, me vint à l’esprit (et ce n’était pas la première fois !) : elle ne parlait pas de
son mec. Et moi non plus. En fait, je n’avais tout simplement pas envie d’aborder le sujet. Pourtant, au
fond de moi, je sentais bien que ça aurait été logique. C’est ce qu’un pote aurait dû faire alors qu’il
n’avait pas revu une amie proche depuis un certain temps. Sans compter que c’était a priori le premier
mec avec qui elle sortait… sérieusement.
Soudain, une image de Bethany dans les bras de ce fameux Jace m’assaillit sans prévenir. Aussitôt, mes
phalanges crispées blanchirent sur le volant. Plus que perturbé par ma réaction, je secouai la tête pour
remettre quelques boulons en place dans mon cerveau… Puis, la sensation de sa poitrine contre mon
torse me prit aussi par surprise et provoqua un twist dans mon froc qui me coupa cette fois-ci violemment
la respiration. Illico, je me mis une sacrée tape mentale, non, JE ME MIS CARRÉMENT un coup de poing
mental !
Putain, c’est Bethany ! Nom de Dieu, la petite sœur de Knox ! Pas n’importe quelle fille !
La gamine que j’avais toujours connue.
Qui avait toutefois bien changé…
Je m’interdis d’emprunter ce chemin en freinant des quatre fers comme un taré. De toutes mes forces,
je repoussai cette scène dans un coin de mon cerveau et redoublai de concentration sur la route, comme
si elle s’était soudain transformée en un parcours du combattant. Mais quelques secondes plus tard, je
jetai prudemment un autre coup d’œil en biais vers Bethany, le visage toujours penché sur son
smartphone. Je l’entendis glousser. Son mec me titilla de nouveau l’esprit. À la vérité, je ne l’avais jamais
rencontré.
En revanche, j’avais déjà vu sa photo sur ses profils FB et Instagram, mais aussi sur le Mac de Knox qui
l’avait un peu traqué au début de leur relation. Un léger filet de sueur perla soudain sur mon front, le
cours de mes pensées me mettant mal à l’aise. En moi, je percevais des questions qui tentaient de se
frayer un chemin à la surface ; un murmure que je ne voulais pas capter. Des questions dont les réponses
ne me regardaient pas, déjà, mais surtout… je pressentais que ces dernières me feraient sacrément
tiquer, voire plus.
D’un geste nerveux, je cherchai une autre station de radio. Sur le coup, je voulus poser à Bethany une
question sur son mec, sur ce qu’il faisait exactement comme études, pour me remettre un peu les idées en
place ou me prouver un truc. Quelque chose me soufflait de le faire, mais je ne réussis pas à extraire le
moindre mot de ma bouche. Pas moyen : un truc se crispait en moi. Sa voix pétillante me sortit du
merdier dans lequel mon cerveau pataugeait.
— C’est Jailyn ! me lança-t-elle en agitant son portable. Elle m’a dit qu’elle était arrivée à convaincre
Knox de l’emmener voir un concert de Taylor Swift.
Elle se bidonnait toute seule.
— Elle me demande de réserver ma soirée, ils s’occuperont d’acheter les billets. Bon, ce n’est que
l’année prochaine, mais vaut mieux s’y prendre à l’avance.
Le bougre, j’aurais presque eu pitié de mon pote.
— Il aura le temps de se préparer psychologiquement. Il en aura besoin, répondis-je avec ironie.
Je l’entendis glousser avant qu’elle ne me donne un petit coup de poing sur le bras en représailles, un
geste spontané. Je rigolai en me penchant vers la portière pour en éviter un deuxième.
— Waouh, regarde ça ! s’exclama-t-elle tout à coup, l’index pointé vers une façade.
Son enthousiasme et son virage à trois cent soixante degrés me firent sourire. C’était ça, notre Bethany,
une spontanéité craquante qu’il fallait parfois parvenir à suivre. J’adorais la retrouver. Même si mes yeux,
eux, auraient plutôt voulu se porter sur elle, je les forçai à se diriger vers l’explosion de couleurs sur un
bâtiment en brique rouge, qui avait attiré l’attention de la petite nana à mes côtés : un kaléidoscope de
tons chauds, une œuvre éphémère qui serait remplacée par une autre dans peu de temps. Chaque
semaine, le quartier s’habillait de teintes différentes, attirant de plus en plus de touristes.
— On n’est plus très loin de la galerie.
Elle acquiesça. Je repérai le bâtiment sur notre droite, un ancien entrepôt et, la chance étant avec nous,
je trouvai une place à un block de là. Je fis un créneau en deux temps trois mouvements, puis je rejoignis
Bethany sur le trottoir, son attention dirigée vers un bar à jus de fruits qui proposait une tonne de
smoothies de différents parfums. Elle pivota, la main levée, comme pour parer à toute intervention de ma
part.
— Tu en veux un ? C’est moi qui invite.
Je marquai une légère pause.
— OK, mais ne crois pas que tu t’en sortiras avec un smoothie et qu’il remplacera une super bonne pizza
du Queens, répondis-je d’un ton traînant, quand on ira… dans ta fameuse boutique…
— Pizza ? répéta-t-elle, tout en levant un sourcil bien dessiné.
— D’après Ryder, c’est dans le Queens qu’on mange les meilleures pizzas.
— Qu’il te donne l’adresse alors, qu’on juge ça de nous-mêmes, lança-t-elle du tac au tac d’un air
faussement sérieux.
À cet instant, un drôle de truc se passa dans ma poitrine. J’étais partagé entre la joie (plutôt
bizarrement puissante) de la revoir et l’impression que le temps allait être très long avant notre
prochaine rencontre. Je chassai ces impressions de nouveau perturbantes et je la suivis en direction de la
porte d’entrée vitrée. Mon regard glissa subitement vers le balancement de ses hanches, sur ses fesses
moulées dans son jean (danger !) et remontèrent d’un coup sec, grâce à un furieux signal d’alarme
résonnant dans mon cerveau, pour s’arrêter sur son petit haut qui épousait une putain de jolie cambrure.
Sexy.
Le mot retentit dans ma tête.
— Fraise pour moi, m’entendis-je dire d’une voix méconnaissable.
En stoppant net.
— Je t’attends dehors.
— OK, jeta-t-elle.
De dos, elle agita les doigts sans remarquer que mon timbre avait pris des intonations très étranges.
Quand elle disparut derrière la porte, je relâchai mon souffle emprisonné dans ma cage thoracique. Les
yeux rivés sur la vitre, les sourcils froncés, je frottai mon front douloureux avant de sortir mon portable
coincé dans une poche de mon jean afin de m’occuper l’esprit, et l’éloigner d’une vision qui ajoutait une
couche supplémentaire à d’autres trucs bizarres dans mon cerveau noyé dans un bourbier confus. Avec
soulagement, je vis que Ryder m’avait envoyé un SMS. J’avais soudain besoin de me concentrer sur autre
chose que Bethany.
Ryder : J’ai réservé le karting samedi soir pour 9 heures à Jersey.
Moi : OK et Knox ?
Ryder : Il peut pas. Zack et Chase viennent aussi, et deux potes à moi de la fac.
L’un des meilleurs circuits se situait à Jersey City dans le New Jersey, à trois bons quarts d’heure de
Manhattan. C’était celui que Ryder préférait, l’un de ceux où il avait beaucoup pratiqué en dehors du
Queens. Il allait nous mettre à tous une branlée.
Ryder : Zack et Chase s’y rendent directement. Je passerai te chercher avec mes potes, vers 8
heures.
Moi : OK !
Bethany apparut cinq minutes plus tard avec, dans chaque main, un smoothie de couleur rouge. Elle me
tendit le mien.
— Merci.
Puis, sans se concerter, on se mit à marcher sur le trottoir avec un naturel surprenant tout en sirotant
en silence notre boisson fraîche. Je l’entendis émettre un son appréciateur accompagné d’un soupir.
— Il est super bon, c’est une nouvelle recette à la framboise. Et le tien ?
— Je reviendrai.
Elle sourit, une lueur amusée dans les yeux. En chemin, elle s’arrêta devant les vitrines de plusieurs
boutiques, fringues et chaussures. Lorsqu’on atteignit enfin la galerie, nos verres en plastique étaient
vides. En même temps, on vit à quelques pas une poubelle dans laquelle nos gobelets atterrirent ; ensuite,
on entra dans un bâtiment qui ne payait pas de mine, identique à l’un des entrepôts abandonnés. Mais
l’intérieur recelait des trésors. Entre couleurs aux tons chauds ou froids, caricatures, formes
géométriques et personnages célèbres peints sur des panneaux parfois immenses, les visiteurs
plongeaient de plein fouet dans un autre univers. Un bon nombre d’artistes venaient de la scène Street
art. De la rue à la toile, ils avaient dû batailler pour imposer un style urbain qui avait à présent gagné ses
lettres de noblesse. Même les plus grandes galeries s’y intéressaient maintenant.
À cette heure, un jour de semaine, il y avait peu de monde. Tant mieux. On déambula à travers un panel
de créations, certaines vraiment étonnantes. Quand Bethany avança dans la salle, je vis sa bouche
s’ouvrir et se fermer sous le choc, sans produire un son.
— Waouh !
… fut tout ce qu’elle réussit à dire, les yeux écarquillés. Puis elle me lança un regard émerveillé, un
remerciement silencieux pour lui avoir donné l’opportunité de découvrir un tel endroit.
— C’est magnifique, Cruz.
Ma poitrine enfla tout à coup devant ses prunelles lumineuses, si expressives, le tout accompagné d’un
sourire chaleureux, affectueux, qui me toucha en plein cœur. Je me raclai la gorge, stupidement ému.
— Viens, lâchai-je d’une voix un peu enrouée.
Elle m’emboîta le pas. Durant toute la visite, elle s’extasia sur un tas de toiles en prenant au passage
une tonne de photos. À n’en pas douter, vu tout ce qu’elle mitrailla, ma tronche avait dû atterrir sur un
certain nombre de clichés. On continua notre balade à travers un autre univers. Certaines caricatures
étaient vraiment géniales et nous firent rire. Quel talent, ces mecs ! On passa ensemble un super moment
qui allait au-delà d’une forte complicité.
Un lien spécial.
On resta une bonne heure et demie avant de quitter la galerie après un énième shooting de photos. Cela
me fit sourire.
À l’extérieur, le soleil avait baissé à l’horizon. J’allais entraîner Bethany vers la droite en direction de
mon pick-up quand j’entendis mon prénom.
— Hey, Cruz, c’est toi, mec ?
Surpris, je me retournai et reconnus tout de suite Alejandro, un pote de mon quartier et l’un de mes
premiers clients lorsqu’on avait ouvert notre ancien studio à Manhattan.
— Hey, Alejandro !
Il s’avança vers moi. On se donna une solide poignée de main virile, accompagnée du traditionnel petit
coup d’épaule croisé suivi d’une bonne tape dans le dos.
— Cómo estás, hombre ? Hace mucho tiempo !
Comment tu vas, mec ? Ça fait une paille !
— Sí, ¿ qué has estado haciendo ? lançai-je.
Oui, qu’est-ce que tu deviens ?
— Trabajo por aquí, en una tienda de ropa.
Je travaille dans le coin, dans une boutique de fringues.
Je switchai en anglais.
— Je te présente Bethany, la sœur de Knox.
Il lui jeta un regard curieux, tout en souriant.
— Hola, Bethany.
Celle-ci lui fit un signe de la main et lui rendit son sourire.
— Hola, Alejandro.
Un accent craquant. Il me lança un coup d’œil enjoué, charmé par la petite nénette à mes côtés.
— Et toi, il paraît que tu as déménagé ton studio ?
— Oui, il y a quelques mois.
— Il faudra que je vienne voir ça.
Ses yeux se baissèrent sur son bras droit, une sleeve que je lui avais faite il y a quelques années. Il ne
s’était jamais décidé à tatouer entièrement le gauche.
— J’envisage de faire l’autre.
— Ah oui ? Pas de problème, tu sais où me trouver.
Je lui donnai l’adresse exacte.
— Il t’a fallu quelques années pour te décider, rajoutai-je d’un air amusé.
— Bah, quand tu tombes sur la bonne, une petite nana qui raffole en plus de tes tatouages…
Il fit un clin d’œil à Bethany qui se mit à glousser.
Encore un autre son hyper craquant.
— Qu’est-ce qu’un mec ne ferait pas pour sa meuf, hein ?
Difficile de dire. Moi, je n’avais jamais rencontré cette nana, mais curieusement, je m’interdis – avec
une volonté de fer – de lâcher des yeux Alejandro. Et je m’interdis d’en chercher la raison. On discuta
encore quelques minutes. Mon pote posa plusieurs questions à Bethany sur ses études. Je l’aimais bien,
ce mec, sympa, jovial et à l’écoute des autres.
— Figure-toi que je suis tombé sur Trent, il n’y a pas longtemps, me dit-il dans la foulée.
— Ah ouais ?
— Il travaille dans un bar à trois blocks d’ici.
La dernière fois que je l’avais vu, c’était avec Knox lorsqu’on cherchait Chase dans tout Brooklyn.
— Il va bien ?
Le visage soudain pensif, Alejandro eut un haussement d’épaules.
— Difficile de dire avec lui…
Je comprenais son sentiment. Lorsqu’on s’était pointés chez lui, dans une maison remplie d’une faune
particulière, le mec semblait filer un mauvais coton. Alejandro embraya sur autre chose et on bavarda
encore pendant plusieurs minutes. Quand on se sépara avec une autre tape dans le dos, il me promit de
passer au studio avec sa nana.
— Il est vraiment sympa, dit Bethany lorsqu’on se remit en route.
J’acquiesçai.
— Ouais, c’est un bon gars.
Je n’abordai pas un sujet sensible : ce qui nous avait rapprochés. Alejandro avait également eu un frère
embringué dans un gang. Oui, « avait eu ». Il était aujourd’hui enterré dans un cimetière de Brooklyn, tué
d’une balle dans la tête lors d’une guerre entre gangs, avant d’avoir atteint ses vingt-cinq ans. Mon
estomac se serra subitement. Est-ce qu’un jour, mon oncle et moi, on aurait le même coup de fil pour
Rafe, d’un hôpital ou des flics ? Il y avait des statistiques implacables concernant ce style de vie : on
mourait jeune, très jeune.
Je chassai ces idées noires. C’était le choix de mon frère ! Un choix qu’il avait malheureusement fait il y
a des années. Mon oncle s’était battu bec et ongles pour le sortir de cette mauvaise pente.
Son plus grand échec, selon lui.
Une blessure intime qui ne guérirait jamais vraiment. Je savais qu’il était au contraire extrêmement
heureux de mon parcours, de mes amies, du studio, de ma carrière, et cela me consolait un peu. Pour ma
part, je détestais qu’il s’en veuille. Il avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour sauver Rafe. C’était
peut-être cette raison qui m’avait donné la hargne et la volonté de travailler deux fois plus pour faire
quelque chose de ma vie. Quelque chose dont il serait fier.
On atteignit le pick-up, ce qui m’extirpa de mes pensées devenues sombres. Je ramenai Bethany. À cette
heure-là, je savais que Chase était encore à Manhattan ; donc, il ne nous verrait pas ensemble, ce qui
éviterait d’éventuelles questions : je préférais lui parler seul à seul de l’anniversaire de son frangin. Je
freinai devant chez elle et coupai le moteur. Elle se tourna vers moi.
— Merci pour cet après-midi, le resto… la galerie.
Un curieux poids s’abattit dans ma poitrine : elle allait sortir du véhicule d’ici quelques secondes. J’eus
un petit hochement de tête en la dévisageant.
— On se voit dans quinze jours, même jour, même heure. Je viendrai te chercher comme aujourd’hui.
Merde ! Maintenant que c’était dit à voix haute, notre prochaine rencontre semblait être à des années-
lumière. Je ne comprenais pas ce qu’il se passait en moi.
— D’accord.
— Pour la pizza, ce serait mieux qu’on y aille le soir, ça te va ? enchaînai-je dans une pulsion subite.
Elle hésita un court instant.
— On pourrait déjeuner d’un sandwich Chez Ted avant de partir pour le Queens.
— OK, ce serait cool, répondit-elle avec un sourire.
Un vif soulagement m’envahit, qu’elle ait accepté mon petit changement de programme.
— C’est quoi tes horaires de travail, et les jours ?
— Le mardi et le mercredi, je suis du soir, mais je ne finis pas plus tard que dix heures, et je bosse une
fois sur deux le vendredi et le samedi, et là je termine plus tard. Parfois, ça peut changer entre les
services du midi et du soir selon les absences.
Je notai ça dans un coin de ma mémoire tandis qu’une question asticotait déjà bien mon cerveau.
— Je dors chez une copine, ces soirs-là, me devança-t-elle, comme si elle avait senti mon inquiétude.
Cela apaisa quelque chose en moi, même si j’étais certain que Chase ne l’aurait jamais laissée prendre
le métro à cette heure de la nuit. Je la vis bouger légèrement, la main sur la poignée.
— Si l’un de nous deux a un contretemps, on s’appelle...
Il n’y en aurait pas ; du moins, pas de mon côté. J’espérais qu’il en serait de même pour elle. J’acquiesçai
d’un mouvement du menton, le ventre serré. J’aurais voulu la retenir encore un peu. Un drôle de
sentiment très intense.
— Passe un bon week-end.
— Toi aussi, me forçai-je à répondre, tout d’un coup violemment crispé par une vision de son mec,
comme un flash.
Signal d’alarme de nouveau. J’inspirai profondément et suivis ses gestes pendant qu’elle sortait du pick-
up.
— Hé, Bethany ? appelai-je soudain.
Elle se pencha de l’extérieur, le visage interrogateur.
— Merci d’être venue et merci de m’aider à organiser cette soirée pour ton frangin.
Elle secoua la tête.
— Non, c’est moi qui dois te remercier, Cruz, je suis vraiment heureuse d’y participer, répondit-elle
d’une voix douce. Bye.
— Bye.
Nos regards s’accrochèrent une fraction de seconde plus longtemps que nécessaire, avant qu’elle ne
claque la portière et s’éloigne. Mes yeux pensifs restèrent fixés sur sa silhouette qui remontait l’allée
d’une démarche gracieuse. Sur le perron, elle se retourna pour me faire un petit signe, un sourire aux
lèvres, puis elle disparut à l’intérieur. La tête ailleurs, je démarrai et pris la direction du pont de
Brooklyn.

Le samedi, je me retrouvai dans la voiture de Ryder, ses potes de la fac assis à l’arrière. Pour l’occasion,
il avait emprunté le 4 x 4 de ses parents, plus spacieux que sa Plymouth duster. Un ancien modèle qu’il
avait super bien retapé, en attendant de pouvoir s’offrir la Camero de ses rêves. Depuis notre départ, la
discussion n’avait pas tari une seule seconde, tournée essentiellement sur le sport : les derniers matchs
des Knicks, équipe new-yorkaise de la NBA, et ceux des Giants de la NFL, la ligue de football américain,
avant de dériver sur le championnat de Nascar. La grande passion de Ryder (en plus de la formule 1) qui
nous avait tous convertis. Même si ce n’était pas mon sport favori, je prenais plaisir à regarder des
courses avec lui. Les mecs avaient de sacrées couilles, ils prenaient parfois des risques incroyables.
Du coup, d’un sujet à l’autre, le trajet passa à toute allure. En moins d’une heure, on arriva au SNO
Raceway. Avec un cul pas possible, mon pote trouva immédiatement une place sur le parking qui longeait
le grand bâtiment blanc. De leur côté, Zack et Chase nous avaient avertis qu’ils étaient déjà là.
En ce qui les concernait, le lendemain de ma virée à Bushwick, je leur avais expliqué mon projet
d’organiser une soirée spéciale pour Knox. Tous deux avaient trouvé l’idée géniale. Même si je savais que
la relation entre les frères Fowler n’était pas au beau fixe depuis ces derniers mois, Chase avait paru
sincèrement content, me proposant même son aide si j’en avais besoin. Lors de notre conversation, je leur
avais dit que j’avais déjà contacté Bethany et qu’ensemble, la veille, on était allés voir un lieu qui nous
avait beaucoup plu. Sans pouvoir me l’expliquer, je m’étais senti un peu sur la défensive quand je leur
avais parlé de notre rencontre.
Cette réaction stupide m’avait chatouillé les nerfs. Eux avaient tout simplement trouvé sympa le fait que
Bethany m’aide à organiser cette sauterie. Une touche féminine serait la bienvenue (les paroles de Zack).
Quelque part, j’avais ressenti un curieux soulagement.
Énervant !
Ce soir, je prévoyais d’en parler à Ryder. J’avais aussi téléphoné à Irvin pour le tenir au courant, et il
s’était occupé de virer l’acompte de la location.
Tout baignait dans l’huile.
Le véhicule garé, on sortit tous du 4 x 4. Zack et Chase vinrent à notre rencontre. Ryder leur présenta
ses deux potes : Enzo, clairement d’origine italienne avec sa peau mate, et River, l’opposé, un blond aux
yeux bleus. On pénétra à l’intérieur du bâtiment. Dans un premier temps, on récupéra le
matériel obligatoire : combinaison et casque. Ryder avait amené le sien.
Pendant deux bonnes heures, on s’éclata par sessions de vingt minutes sur un parcours alternant
virages serrés, grandes courbes et lignes droites. Des jets d’adrénaline qui me permirent d’oublier un peu
tout le reste : le boulot, les clients… et les drôles de sensations d’il y a quelques jours. Ryder me poussa à
la faute et m’envoya dans la barrière de sécurité. Évidemment, aucun d’entre nous ne réussit à égaler ses
performances. Il fallait reconnaître que, derrière un volant, le mec avait un talent fou.
On fit ensuite des pauses plus longues. Durant l’une d’entre elles, on se retrouva tous autour d’une table
près d’un bar où l’alcool était interdit. Mine de rien, ce sport était physiquement crevant et vous faisait
transpirer comme un bœuf. Je bus une bouteille entière d’eau minérale en peu de temps.
— Alors, comme ça, tu as un studio de tatouages ! me lança Enzo avec intérêt.
— Oui, à Manhattan, avec Zack.
— C’est cool ! J’en ai déjà un sur le bras et je pense à m’en faire tatouer un autre dans le dos.
— Et tu vas chialer comme une gonzesse, intervint River d’un ton hilare.
Ce qui lui valut un doigt d’honneur. Faut croire que nous les mecs, on avait vraiment un gène bizarre,
question communication. J’avais l’impression de nous voir, Knox et moi.
— Tais-toi, blondie !
Amusé, je lui demandai :
— Tu peux passer au studio. Tu as déjà une idée ?
— J’avais pensé à un poignard le long de la colonne vertébrale.
Pas mal.
Il sortit son portable pour me montrer une photo. J’y jetai un regard professionnel.
— C’est sympa comme idée. J’en ai fait un à un mec, plus fin, et le résultat était vraiment saisissant.
Enzo était déjà bien chaud avant, mais ma réponse réussit à le convaincre. Je le vis dans ses yeux.
— OK, je passerai un coup de fil pour prendre rendez-vous. Tu peux me donner votre numéro ?
Je débitai le numéro de C & Z. Les clients nous appelaient de plus en plus « Crack ». Un terme à double
sens, la contraction de nos prénoms pour désigner le studio et le mot « crack », un hommage à notre
talent. Zack et moi, on trouvait ça hyper sympa.
Plus tard, je me retrouvai seul avec Ryder ; la bande était repartie sur le circuit pour une autre session.
— Hey, il faut que je te parle d’un truc.
Ryder repoussa sur le côté la mèche imprégnée de sueur qui lui tombait sur le front. Il me lança un
regard curieux.
— Ouais, quoi ?
— Pour l’anniversaire de Knox, je lui organise une soirée.
Je lui expliquai en détail ce que je projetais, ma rencontre avec Bethany, la salle qu’on avait été voir, etc.
— C’est génial ! s’exclama-t-il. Tu peux compter sur moi.
Comme je l’avais prévu, il était plus que partant. Je voyais déjà les rouages tourner dans son cerveau.
— En quoi je pourrais vous aider ?
— Tu pourrais m’aider à contacter Wade et d’autres mecs que Knox apprécie.
— Pas de problème, je m’en occupe. On fera une liste de ceux que tu veux que je contacte en particulier.
— OK… Hé, Ryder, bouche cousue, c’est une surprise. Préviens-les.
— Tu peux me faire confiance, vieux.
— Dis-leur qu’on demandera une petite participation financière. Irvin prend une bonne part à sa charge.
Donc la somme sera minime. Qu’ils ramènent leurs fesses et un cadeau si ça leur chante.
— D’accord, je passerai le message !
Il me fixa soudain dans les yeux.
— Tu y es allé avec Bethany ? me demanda-t-il.
Il semblait surpris, mais je me faisais peut-être des idées. Je sentis toutefois mes défenses remonter de
nouveau en bloc.
— Ouais, je trouve ça normal et sympa qu’elle puisse participer à l’anniversaire de son frangin, jetai-je
d’un ton vif.
Il me dévisagea d’un air que je ne sus interpréter. Avait-il perçu un truc dans ma voix ?
— C’est chouette ! lança-t-il enfin avec une sincérité qui fit se relâcher la pression en moi.
J’eus un sourire.
— Ça lui fait vraiment plaisir, continuai-je avec plus de naturel.
Son regard se mit à pétiller.
— Tu verras, notre Bethany va te trouver des idées sympas, tu la connais, lâcha-t-il en riant.
J’acquiesçai avec un sourire en coin. Son visage se dessina tout à coup devant mes yeux. Pas une bonne
chose, car son mec se rappela aussi à moi. Et putain, j’eus encore une de ces réactions bizarres ! D’un
mouvement brusque, je me levai en attrapant ma bouteille vide pour la serrer tout aussi brusquement
entre mes mains, avant de la jeter dans une poubelle près du bar.
— Hey, on y retourne ? demandai-je avec une jovialité un peu forcée. Prêt à te prendre la branlée ?
— Dans tes rêves, mec !
Si Ryder avait remarqué mon attitude surprenante dans les dernières secondes, il n’en laissa rien
paraître. On se dirigea vers le circuit et je me lançai avec une énergie bouillonnante dans notre dernière
session.
Après le karting, notre bande s’arrêta dans un bar pour s’enfiler une bière, puis on reprit la route en
direction de Manhattan. Zack ramena Chase au studio, à proximité du parking où il pourrait récupérer sa
caisse. Quant à Ryder, il me déposa à l’appart.
— Je passe dans la semaine, lança-t-il.
— Ça marche !
— Hé, ça te dit d’aller au Ruby, samedi prochain ?
Un club où les mecs trouvaient de très bons coups.
On y était allé plusieurs fois. Cela changeait un peu d’un lieu comme le Nine, un simple bar où on levait
les filles. Mais la ressemblance s’arrêtait là. En effet, la particularité du Ruby, en dehors des pistes de
danse, était qu’il y avait assez de coins, recoins, alcôves et toilettes pour se taper une nana sans être
obligé de dénicher un endroit à l’extérieur où conclure. Et quand les festivités commençaient, qu’une
meuf par exemple masturbait un gars discrètement sur la piste, il pouvait passer à l’action dans les
minutes suivantes. Il n’y a pas à dire : rien ne remplaçait ce trip.
Le pied pour un mec !
Alors… le Ruby, des petites gonzesses prêtes à écarter les cuisses avec impatience ou à ouvrir la bouche
pour sucer une queue, passer du bon temps, me parurent soudain une putain de bonne idée.
Beaucoup plus que d’habitude. Nettement plus !
Je couvais quelque chose !
J’eus subitement l’impression que ça faisait une éternité que je n’avais pas tiré un coup. Il fallait
remédier à ça d’urgence !
— Yep, je suis partant, répondis-je.
— Et vous, les mecs ? lança Ryder en se tournant vers le siège arrière. Ça vous dit ?
— C’est bon pour moi, répliqua immédiatement Enzo.
River hocha la tête.
— Moi aussi, je ferai le chauffeur, proposa-t-il.
— OK, ça m’arrange.
Je pris congé d’eux. Enzo me remplaça sur le siège passager et me confirma de nouveau qu’il appellerait
le studio dans la semaine.
Une poignée de minutes plus tard, douché, crevé, je m’endormis sans problème.

Le dimanche, penché sur ma table de dessin, je travaillai sur un croquis pour compléter mon book,
m’évadant durant des heures dans mon monde, laissant ma créativité s’exprimer librement. Je fis
également l’esquisse d’un modèle qui pourrait plaire à Enzo. Je trouvai un bon compromis entre la photo
qu’il m’avait montrée et une touche plus personnelle.
S’il acceptait ce modèle, le tatouage allait déchirer !
La semaine suivante fut infernale. À croire que tout le monde s’était donné le mot pour débarquer au « 
Crack », mais cette agitation m’occupa bien l’esprit. En collaboration avec Madison, je calai des rendez-
vous supplémentaires pour me libérer le jeudi, comme convenu avec Bethany. Le vendredi soir, Ryder vint
jouer à Call of Duty. Knox était là, Jailyn se faisant une soirée entre filles avec des copines de la fac. Le
lendemain, le samedi, j’avais également calé des rendez-vous en plus et je rentrai vers dix-neuf heures
trente. L’appartement était vide. Ce qui ne m’étonna guère, car je savais que mes deux tourtereaux
avaient organisé un resto, un double date, avec Holly et Wade.
Je me réchauffai des lasagnes dans le four avant de commencer à me préparer tranquillement pour le
Ruby. J’optai pour un jean noir et une chemise blanche, les manches roulées jusqu’en bas des coudes. Le
style, la coupe et la couleur faisaient ressortir la nuance de ma peau, mes tatouages et mes origines.
Certaines filles raffolaient de « s’encanailler » avec un pur Latino.
Ryder, River et Enzo se pointèrent vers huit heures. On but tranquillement une bière dans le salon. J’en
profitai pour emmener ce dernier dans ma chambre et lui montrer ma création.
— Putain, mec, il est génial ! s’exclama-t-il avec enthousiasme. C’est exactement ce que je voulais.
Il me tapa sur l’épaule en fixant le croquis d’un air émerveillé qui me fit plaisir.
— Il faudra deux, voire trois séances.
— Je serai obligé de te tenir la main ? s’écria River du salon.
Enzo leva les yeux au ciel avant de sourire. J’avais l’impression qu’ils se connaissaient depuis
longtemps, ces deux-là.
— Qui c’est qui pissait encore au lit à six ans ?
Ouais, je ne m’étais pas trompé.
— Putain, Enzo, il y a des secrets à ne pas dévoiler, lança River quand on réapparut dans le salon.
Ryder éclata de rire. Je croisai son regard amusé.
— Alors, tu ne les connaissais pas avant cette année ? demandai-je en m’asseyant.
Mon pote hocha la tête.
— Si, on se connaît de l’année dernière. À la fin du trimestre, on avait déjà pu travailler en trinôme dans
un cours qui traite des structures métalliques. Et ça a super bien fonctionné entre nous. D’ailleurs, on a
cassé la baraque quand on a fait notre présentation orale.
River et Enzo se firent un high five.
— Mémorable, dirent-ils d’une même voix.
— On bosse de nouveau ensemble pour notre premier projet de l’année, continua Ryder. River a aussi
fait un peu de kart dans le Queens et Enzo est passionné de motocross.
J’avais remarqué que River se défendait bien sur le circuit de Jersey, la fois précédente. Je dévisageai
son pote d’un air surpris.
— Tu fais de la compète ?
— Oui, un peu moins avec les cours, mais j’en fais encore.
— Et tu roules sur quoi ?
— Une 450 CC.
Ah oui, quand même ! Je n’étais pas un expert, mais je savais que c’était des pilotes aguerris qui
maniaient ces bolides.
— Si un jour, tu as l’occasion, tu pourrais assister à une course ?
— Oui, ça me brancherait bien.
On discuta encore une bonne heure avant de prendre la direction du Ruby, situé à l’angle de la
Première Avenue et de la 57e dans le Midtown. Ryder indiqua à River un endroit où il pouvait facilement
trouver une place gratuite à une heure aussi tardive. Il ne nous fallut que quelques minutes pour gagner
le club dans lequel on entra sans problème.
À l’intérieur, la foule était déjà compacte dans une ambiance moite. On se fraya un chemin vers le bar,
mon regard s’attardant sur des petites gonzesses qui se trémoussaient sur la piste, et sur d’autres dans
les parages. On commanda tous une vodka, à part River qui se cantonna à une bière. Ryder et moi, nous
n’étions pas du genre à rester au bord d’une piste, comme certains mecs. On aimait s’éclater et danser en
boîte, et apparemment, il en était de même pour Enzo et River. En plus, j’avais toujours été doué. Une
fois, une nana m’avait dit que ce talent naturel devait certainement provenir de mes origines latines.
D’après elle, j’étais super sexy quand j’exécutais des mouvements.
Et ce soir, il y avait de quoi se remuer avec le choix que le DJ proposait, des styles musicaux variés qui
allaient du R&B à la techno, du rap à la house. On se retrouva bientôt sur la piste et il ne me fallut guère
de temps pour capter l’intérêt d’une paire de gonzesses. Une brunette, bien foutue dans sa petite robe
moulante ras la touffe, très décolletée, qui ne cachait pas grand-chose de ses formes sexy, s’approcha de
moi avec ce regard éloquent que je connaissais bien.
Sous nos pieds, les basses pulsaient dans le club au même rythme que l’éclairage psychédélique. La
distance entre nous se réduisit très rapidement. Entre frotti-frotta et mains baladeuses, la température
monta très vite. Au bout de quelques minutes, on était chauds comme la braise pour passer au second
round.
— Je te paye un verre ? criai-je pour me faire entendre.
Je voulais baiser, mais en boîte, j’étais tout de même un gars correct. Quoique ce soir, je sentais en moi
une agitation inexplicable. Elle hocha la tête. Je lui pris la main pour ne pas la perdre dans la foule, en
direction du bar. Ensuite, on trouva un coin pour s’enfiler nos boissons : une deuxième vodka pour moi, un
whisky-coca pour elle.
— J’adore tes tatouages, me souffla-t-elle à l’oreille d’une voix sensuelle.
Pas des plus originales comme entrée en matière, mais je n’étais pas venu ici pour trouver le futur prix
Nobel de littérature. Je vidai rapidement mon verre, elle pareil. Une fois qu’on eut terminé, on les posa
sur le comptoir qui en comptait déjà une belle collection. De l’index, elle traça dans la foulée le contour
d’un tatouage sur un de mes biceps.
Tandis qu’elle était collée contre moi, ses seins pressés contre mon torse, je perçus de nouveau cette
frustration bizarre. Oh, ma queue était au garde-à-vous, aucun problème à ce niveau-là, mais ce truc qui
bouillonnait dans mes tripes avait du mal à se calmer, alors que je savais pertinemment que l’affaire était
dans le sac. Et rien à voir avec le désir pour la fille face à moi.
Je me penchai et soufflai à son oreille.
— C’est quoi ton prénom ?
À l’inverse de Knox qui les surnommait toutes « mon ange », à une certaine époque (cela va de soi), je
retenais leur prénom le temps d’arriver à mes fins. Les nanas adoraient qu’un mec le leur susurre dans
l’oreille avant de proposer de passer aux choses sérieuses.
— Lynn…
Sa voix haletante et son regard brillant me hurlaient qu’elle était à point. La question suivante : une
formalité.
— Lynn, tu veux qu’on aille dans un endroit plus calme ?
Dans le fond du club, il y avait des alcôves, menant vers un couloir qui débouchait sur les toilettes. Un
frisson courut sur sa peau.
— Oui, souffla-t-elle.
Ses mains impatientes glissèrent le long de mes pectoraux. Elle leva le visage, la bouche quémandeuse.
Je m’emparai de ses lèvres qu’elle ouvrit avec une avidité qui était un très bon signe pour la suite, tout en
pressant son pelvis contre ma bite. Je captai son gémissement.
Elle embrassait bien. Toutefois, quand je m’écartai, le sol n’avait pas bougé sous mes pieds et la Terre
n’était pas sortie de son axe. Bordel, je secouai brusquement la tête d’une bonne secousse pour étouffer
ces idées saugrenues. La respiration un peu courte, je l’entraînai rapidement vers les alcôves. Un couple
émergea de l’une d’entre elles ; le mec avait la main sur sa braguette qu’il remontait, suivi d’une nana un
brin décoiffée, sa jupe encore relevée.
Mon corps se mit à pulser. Je voulais baiser, enfin !
Je sentis mes muscles se nouer, alors qu’une sensation très désagréable rampait sur ma peau. D’un
mouvement nerveux, je pressai mon coup d’un soir contre le mur, ma main se fourrant immédiatement
sous sa robe pour glisser dans son string. J’enfonçai deux phalanges en elle.
Elle mouillait et pas qu’un peu…
— Oh oui ! s’écria-t-elle.
Ma main se porta ensuite sur la braguette de mon jean et ma queue se retrouva vite encerclée par ses
doigts. J’eus droit à quelques va-et-vient pendant qu’on se roulait une pelle. Soudain, elle se mit à genou
et putain… la petite Lynn savait sucer un mec, pas aussi profondément que Jacinta (personne ne pouvait
l’égaler), mais elle se démerdait bien. Je lui donnai un bon huit. La tête cognant la paroi, mon pénis avalé
par une bouche gloutonne, je me laissai aller à ces sensations.
Ça aurait dû être le pied, la situation s’y prêtait et Lynn y allait de bon cœur ; pourtant, je sentais ma
frustration grandir davantage, sans raison. Je plongeai mes mains dans ses cheveux et projetai mes
hanches vers l’avant pour baiser sa bouche.
Cela dura quelques secondes.
Toujours aussi agité, j’étais prêt à la saisir pour la soulever et enfoncer ma queue en elle, quand elle se
mit debout sans que je sois obligé d’intervenir. À la vitesse de l’éclair, je sortis une capote de la poche
arrière de mon froc pour l’enfiler. L’emballage plastique s’écrasa sur le sol. Puis je la soulevai et ses
jambes s’enroulèrent autour de ma taille. Elle s’empala aussitôt sur ma bite.
— Ouiii ! cria-t-elle en plantant ses ongles dans mes épaules.
Je commençai à la tringler, et à une cadence de plus en plus rapide, ses fesses heurtant le mur derrière
elle. Je ne jugeais pas cette fille, car elle s’éclatait comme moi, mais j’étais certain que je ne lui
demanderais pas son numéro pour remettre le couvert. À mes yeux, elle faisait tout simplement partie
d’un type de gonzesses que les mecs comme moi cherchaient dans ce style de boîte. Un coup facile pour
une soirée ! Une nana sans inhibitions, un brin exhibitionniste.
De la baise sans fioritures.
Je me fichais de savoir si ses cris étaient feints, surjoués ou pas. Mais j’aurais parié ma paie qu’elle
prenait un pied d’enfer ; sa chatte ruisselait sur mon pénis et sa respiration ressemblait à celle d’une
otarie. J’accélérai mes derniers coups de reins. Son corps se raidit aussi sec avant qu’elle n’éclate dans
un cri qui, avec quelques octaves de plus, aurait pu couvrir la musique percutante. J’éjaculai en poussant
des grognements.
Quelques secondes plus tard, on se retrouva face à face, la capote jetée dans une petite poubelle
planquée dans un coin. Elle lissait sa robe tandis que moi, je fourrais ma bite dans mon boxer avant de
remonter la braguette de mon jean. Quand je levai la tête pour la dévisager, je sentis cette frustration de
plus belle.
Inexplicable. Bon sang !
J’émergeai de l’alcôve, mon regard rivé sur la foule. Sur la piste, je repérai Ryder qui avait la langue
enfoncée dans la gorge d’une fille. Enzo était en train de danser avec une gonzesse et les choses se
précisaient pour lui, vu la façon dont ils se frottaient l’un contre l’autre. Mes yeux scannèrent le bar. Je vis
River assis sur un haut tabouret, sirotant toujours sa bière.
— C’était sympa, lançai-je à mon coup d’un soir.
Lynn me regarda avec un petit sourire et d’une démarche chaloupée, elle s’éloigna. Simple et sans
souci ! On avait eu ce qu’on voulait tous les deux : chacun repartait vers d’autres cieux. Je me dirigeai
vers le bar en me demandant soudain si je devais tenter de repérer une autre nana, plus tard dans la
soirée. Mais l’idée me semblait aussi excitante que de me jeter d’un pont. Je m’assis à côté de River qui
détacha ses yeux de la piste.
Il me sourit.
— Alors ? Tu t’amuses…
Je compris son allusion. J’eus un haussement d’épaules.
— Ici, c’est pas trop compliqué de trouver ce que tu cherches…
Mon regard plongea dans le sien.
— Et toi, il n’y en a aucune qui te branche ?
À son tour, il eut un petit haussement d’épaules.
— La nuit n’est pas encore finie.
Le ton de sa voix laissait cependant penser qu’il n’était pas plus intéressé que ça. Plus tard, on réussit à
dénicher une banquette autour d’une table ronde, éloignée de la piste, et on se mit à discuter un peu de
tout. À mon grand étonnement, ma frustration s’apaisa en partie. Enzo et Ryder, en bonne compagnie,
firent un tour du côté des alcôves. De mon côté, j’aurais eu l’occasion de brancher d’autres nanas au
cours des heures suivantes, mais je trouvai plus de plaisir à bavarder avec River que d’aller à la chasse
d’une « proie ». D’ailleurs, j’en avais repéré une qui n’arrêtait pas de me lancer de gros signaux que
j’ignorai. Une petite Latino, en plus ! Ce soir, il y avait un truc qui ne tournait pas rond en moi ! Quand on
quitta le club, la fraîcheur de la nuit me fit du bien.
Ryder, lui, était bien parti. N’étant pas le chauffeur désigné, ce lascar en avait sacrément profité. Je le
soutins jusqu’à la voiture. Enzo insista pour prendre place à l’arrière et nous laisser discuter. River me
ramena chez moi.
— Il faudra se refaire une sortie, un karting, lâcha-t-il lorsqu’il gara sa caisse dans ma rue.
Sans problème ! Les mecs étaient vraiment sympas. Et j’étais plutôt soulagé qu’il ne me propose pas
une autre virée dans un club. Mais d’après ce que j’avais pu remarquer au cours de la soirée, il semblait
surtout accepter ces sorties en boîte pour faire plaisir à Enzo.
— Ouais, il faudra organiser un autre karting.
Je lui donnai une tape sur l’épaule.
— Je compte sur toi pour ramener mon pote chez lui.
— Il est entre de bonnes mains, t’inquiète.
Ryder pionçait déjà à l’arrière. Je frappai mon poing contre celui de River en guise de salut et me
tournai vers Enzo pour en faire autant. Ce dernier sortit ensuite pour prendre ma place. D’un pas rapide,
je rentrai chez moi pour m’écrouler sur mon lit un quart d’heure plus tard. Une chevelure blonde, un
visage fin, des yeux bleu azur dansèrent devant moi avant de se fondre dans un brouillard, accompagnés
d’un murmure qui résonna comme un écho très lointain dans mon esprit : « Plus que cinq jours avant de
la revoir ». Un écho si faible que je ne m’en souviendrais certainement plus le lendemain.
Chapitre 7

Bethany

Ce samedi soir, je voyais Ashley et deux autres copines. On s’était donné rendez-vous au Roof, un petit
bar sympa qu’on connaissait bien pour y être allées plusieurs fois, situé dans le quartier de Canarsie. Ma
mère venait de me déposer après les recommandations d’usage, avant de prendre la direction de chez
tante Anna. Toutes deux prévoyaient de se rendre au cinéma à la séance de vingt-deux heures trente.
Ashley se chargerait de me ramener.
Je poussai la porte et entrai.
Derrière le comptoir, le barman me fit un signe auquel je répondis en souriant, puis je repérai mes cops
dans la salle baignée d’une lumière tamisée. À mon arrivée, Courtney se leva de la banquette où elle était
assise à côté de Kacie. Toutes les trois, on s’était toujours très bien entendues au lycée. À présent, elles
suivaient une filière business dans la même université que ma meilleure amie.
— Ah ! Bethany, ça me fait plaisir de te voir ! s’exclama Courtney, un grand sourire aux lèvres.
C’était une jolie rousse de taille moyenne, aux cheveux mi-longs bouclés. Kacie, elle, avait un style
différent avec sa coiffure en pétard (qui lui allait très bien) et son blond platine.
— Moi aussi.
Je pris place sur la chaise à côté d’Ashley. Sa chevelure brune que j’avais toujours admirée brillait
comme de la soie sous l’éclairage. Un rideau lisse, cent pour cent naturel. Pour sa part, elle avait toujours
envié ma masse blonde qui formait des vagues souples dans mon dos lorsque je ne les lissais pas.
— Alors, Columbia ? Tes cours d’infirmière ? me demanda Courtney.
— C’est intense, mais ça va pour l’instant.
Elles m’avaient attendue avant de commander. Un serveur très mignon arriva à notre table. Toutes les
trois, on n’avait pas l’âge légal de boire de l’alcool, mais cela ne nous dérangeait pas. Je réprimai un
sourire quand Courtney balbutia le nom d’un cocktail de leur carte. Sympathique, le hottie resta
imperturbable, une petite lueur amusée brillant néanmoins dans ses yeux. Puis elle le suivit du regard, de
la bave au coin des lèvres.
— Bon sang, il est nouveau ? s’exclama-t-elle en tournant son visage vers Ashley.
— Oui, répondit celle-ci, cela fait un mois qu’il bosse ici.
— Et tu nous l’avais caché !!! Traîtresse. Avoue, tu voulais le garder pour toi.
Je ris.
— Je suis certaine qu’ils ont remarqué une nette augmentation de la clientèle féminine, plaisanta Kacie.
Alors, accouche, Bethany, comment c’est Columbia ? Le nec plus ultra ? ajouta-t-elle avec une impatience
non déguisée.
Je commençai à raconter ce qu’il en était jusqu’à ce que le serveur revienne avec nos cocktails non
alcoolisés. Dans un silence presque assourdissant, on suivit des yeux ses gestes assurés avant de le
remercier d’un beau sourire. Il s’éloigna vers une autre table.
— Arrête de baver, Courtney, grommela Kacie. Ça devient gênant.
Son ton malicieux indiquait le contraire, mais sa copine lui donna un coup de coude dans les côtes avant
de soupirer.
— Il a un cul…
Une gorgée de travers me fit tousser sous l’air hilare de Kacie. Ashley m’assena de petites tapes dans le
dos. Après quelques secondes de délire, on reprit notre conversation sur Columbia. Les yeux de Kacie
pétillèrent lorsqu’elle me demanda ensuite.
— Alors, il paraît que tu as un petit copain ?
— Oui…
Je leur parlai de Jace, deux, trois mots, sans entrer dans les détails. Le week-end dernier, je ne l’avais
pas vu à cause de sa compétition de kickboxing et ce soir, il avait été invité à un tournoi de billard entre
mecs de la fac, mais on avait réussi à trouver un créneau dans la semaine. De plus, on avait prévu de se
voir dimanche, demain. J’essayai d’ignorer le petit soulagement qui pointait son nez (malgré moi) à l’idée
qu’on n’avait pas été plus loin que des baisers poussés lors de nos rencontres.
Jace semblait comprendre que je n’étais pas encore prête à franchir ce pas entre nous. À vrai dire, je ne
voulais plus me prendre la tête avec ça. Tant pis si je risquais de mourir vierge à cette allure-là. Je
préférais l’ironie à une autoanalyse plus approfondie. Et quand c’était nécessaire, je me rappelais
systématiquement mes résolutions envers mon petit ami, avec détermination. J’ignorais aussi le
flottement dans ma poitrine qui pointait son nez chaque fois que je me souvenais que j’allais bientôt
revoir Cruz… (Et non, je ne comptais pas les jours !) Je conservais un merveilleux souvenir de notre virée
à la galerie.
Souvenir qui me rappela immédiatement que j’avais dû également me retenir – plusieurs fois – de
regarder les photos que j’avais prises ce jour-là : celles où il apparaissait.
Ténébreux, sexy, avec ce petit air dangereux…
Je stoppai net le cours de mes pensées. Bon sang, j’avais vraiment la sensation que mon crâne
renfermait actuellement un tas de bulles à l’instar d’une bouilloire prête à exploser ! Dur d’être moi en ce
moment (réflexion ridicule, mais qui se rapprochait de la vérité) ! Je repoussai Jace et Cruz aux confins de
mon cerveau en lançant d’un air espiègle :
— Et vous les filles, question mecs ? demandai-je.
Kacie gloussa.
— La fac, c’est nettement mieux que le lycée, avec tous ces gars plus âgés, ces sportifs bien musclés,
miam miam...
J’éclatai de rire.
La conversation reprit et dévia sur d’autres sujets, notamment nos souvenirs de lycée. Tout un poème !
On se marra comme des gamines. Cette soirée entre nanas me fit finalement un bien fou qui me permit
d’oublier un peu le bourbier grandissant dans lequel je me débattais.

Mon téléphone se mit à vibrer alors que je m’engageais dans le hall pour quitter le bâtiment où se
tenaient mes cours, l’école d’infirmière étant située en dehors de l’enceinte de Columbia.
Cruz : Hey, je suis à la bourre ! Mon dernier client s’est pointé avec dix minutes de retard. On
se retrouve Chez Ted ?
Je tapai ma réponse une fois que mon estomac réussit à reprendre sa place d’origine. Ce traître avait
fait un sacré bond lorsque le prénom « Cruz » était apparu sur mon portable. Même si je tentais de
réprimer cette forte excitation en moi, plein d’ailes de papillons battaient un peu partout sur mon ventre.
Depuis la veille (bien avant, en toute honnêteté), je me sentais déjà tout agitée à l’idée de le revoir.
Luttant contre moi-même, j’inspirai profondément.
Moi : Hey, pas de souci, on se retrouve là-bas.
Cruz : OK, à plus !
Je remarquai machinalement que son numéro figurait dans mes contacts, mais qu’on ne s’était jamais
textés. Je ne me souvenais même pas l’avoir appelé une seule fois durant toutes ces années. À une
époque, Knox avait certainement dû me le transmettre au cas où…
Je sortis du bâtiment pour me diriger vers le resto. D’un pas alerte, j’arrivai rapidement devant sa porte
vitrée qui me renvoya mon propre reflet. Aujourd’hui, j’avais fait une tresse qui se terminait en queue de
cheval sur une bonne partie de la longueur. Balayée sur une épaule, ma natte tombait un peu plus bas que
ma poitrine, et quelques mèches lissées atteignant ma mâchoire encadraient mon visage de chaque côté.
Depuis le lycée, je ne portais plus de frange.
Un tantinet nerveuse, je lançai un dernier coup d’œil dans la vitre. Les yeux légèrement maquillés, fard
et mascara, j’avais opté pour un jean moulant, un tee-shirt bleu ciel qui épousait mes seins sans les
comprimer, et un cardigan fin assorti à la couleur de mon haut. En ce début d’octobre, encore
exceptionnellement doux, j’avais abandonné mes sandales pour des tennis afin de ne pas martyriser mes
pieds. Un achat récent. Avec leur patine dorée, elles faisaient de jolis pieds fins. L’année dernière, à la
même époque, j’avais dû ressortir mes bottes.
Je refusai d’admettre que ce matin, j’avais passé plus de temps que d’habitude devant le miroir pour me
maquiller, ainsi que dans le dressing de ma chambre pour choisir mes fringues de la journée. Je pénétrai
Chez Ted. Une serveuse m’accueillit immédiatement avec un sourire agréable et me conduisit à la même
table que la fois précédente.
— J’attends quelqu’un, il ne devrait pas tarder.
— Très bien, vous voulez boire quelque chose en attendant ?
— De l’eau, s’il vous plaît, répondis-je en posant ma besace sur la banquette en skaï.
Elle revint quelques secondes plus tard avec mon verre. Je patientais depuis cinq minutes lorsque je vis
Cruz entrer. Mon cœur fit un bond malgré moi et ma gorge s’assécha net.
Bon sang… il était…
Cherchant à me blinder, je fermai brièvement les yeux avant de les rouvrir. Bien sûr, la tête d’une nana
faillit se décrocher de son cou quand il passa près d’elle. J’évitai de regarder vers les autres filles
présentes dans la salle. De la bave devait à coup sûr dégouliner de leur bouche. Au même moment, je vis
le sourire irrésistible qu’il lança à la petite serveuse sympathique lorsqu’il arriva à sa hauteur ; une pointe
de jalousie me transperça comme une flèche. Pulsion que je réprimai fortement. Il me chercha des yeux et
le sourire qu’il m’adressa réchauffa plein d’endroits dans ma poitrine. En dépit de mes bonnes
résolutions, mon regard descendit vers ses pectoraux, ses abdos cachés sous le tissu, puis son déhanché
sexy alors qu’il s’approchait de sa démarche féline.
Son jean délavé et son tee-shirt blanc, porté sous une chemise kaki ouverte, lui donnaient un style
casual à tomber. Une légère barbe de trois jours (comme je les préférais) et ses cheveux noirs en
désordre me firent déglutir, difficilement. Je plaquai un sourire sur ma bouche : celui de la bonne copine.
Puis, dans la seconde suivante, il se passa un truc étrange, très bref. Je ne sais pas si ce fut le fruit d’une
très grosse hallucination, mais ses prunelles chocolat semblèrent s’attarder sur mes cheveux et mon
visage plus longuement que nécessaire… avec une lueur quasi brûlante, très fugitive au demeurant, qui
provoqua néanmoins un violent salto au niveau de mon cœur soudain bien fragile. Déboussolée, je clignai
des paupières alors qu’il atteignait notre table. D’un air dégagé, il s’assit en face de moi, avec lui aussi un
petit sourire aux lèvres.
— Salut ! Désolé pour le retard, il y avait une circulation dingue !
Ton normal ; expression neutre ; lueur habituelle dans les yeux : sympathique. Oui, j’avais dû rêver ! me
secouai-je intérieurement. J’inspirai un coup pour freiner les battements erratiques dans mes tempes.
— C’est pas grave.
La serveuse arriva avec les cartes sur ces entrefaites. Cruz commanda une bière, puis on choisit tous les
deux des lasagnes. Dans le but de lancer la conversation, je lui jetai d’un air désinvolte :
— Alors, qu’est-ce que tu as fait comme tatouages ce matin ?
— Une rose et quelques babioles. Tiens, un pote de Ryder m’a demandé de lui tatouer un poignard dans
le dos, le long de la colonne vertébrale. Tu veux voir ce que je lui ai préparé comme modèle ?
— Oui, répondis-je avec un enthousiasme non feint.
J’adorais ce qu’il faisait. Il tapota rapidement sur son portable pour me montrer la photo de son croquis.
— Il m’a demandé de la lui envoyer par mail, m’expliqua-t-il.
— Wouah, c’est superbe, Cruz !
Vraiment ! Il avait su allier finesse et puissance dans sa création. Il avait un talent fou. Je le vis sourire,
presque gêné.
— Merci.
Une grimace étira mes lèvres.
— Il va souffrir…
— Un peu, oui, mais il est motivé.
Son rire chaud et sexy fit courir quelques frissons sur ma peau. J’ignorai ma réaction gênante en lui
demandant ce qu’il avait fait ce week-end.
— Je suis allé en boîte avec Ryder et des potes à lui.
Question que je regrettai d’emblée.
Ce n’était pas en effet quelque chose sur quoi j’avais envie de m’em​barquer : je me doutais qu’une fille
avait dû attirer son attention l’espace d’une heure ou deux pour atterrir finalement dans son lit. Mon
estomac se tordit désagréablement. Mais j’avais posé la question, hein ? Je ne pouvais m’en prendre qu’à
moi-même. Mais soudain, j’eus l’impression étrange qu’il s’agitait légèrement sur la banquette, mal à
l’aise.
Ou je me faisais une nouvelle fois des films.
— Et toi ? lâcha-t-il.
À cette seconde, j’eus aussi le sentiment très fort qu’il cherchait à changer de conversation, car c’était
bien la première fois qu’il me demandait ce que j’avais fait un week-end, comme s’il désirait éviter le sujet
de sa propre soirée. Ou je me faisais encore des idées sur ce truc ! Bon sang, mon cerveau était parfois
réduit à un champ de bataille chaotique.
— Je suis sortie avec Ashley et des copines de lycée, répondis-je toutefois d’une voix posée avec ce que
j’espérais un joli sourire naturel.
Il hocha la tête. Il ne chercha pas à en savoir plus en ce qui concernait Jace, par exemple si ce soir-là, il
avait été à une compétition et, de mon côté, je n’abordai pas la question. On finit bien vite notre repas
sans s’attarder, vu notre programme. Cruz régla de nouveau l’addition, prétextant que c’était moi, comme
convenu, qui paierais la pizza plus tard. Un rappel qui provoqua en moi un flot de joie intense à l’idée
qu’on allait passer l’après-midi et la soirée ensemble. J’étouffai cette pulsion, pour la réduire au simple
bonheur de partager un peu de temps avec un bon pote…
Mes résolutions, mes résolutions… Une litanie dans mon esprit !
En arrivant, Cruz avait trouvé une place à un block du resto ; donc, bien vite, on atteignit son pick-up.
Une fois à l’intérieur, il démarra pour prendre la direction du Queens.
— Alors, tu as demandé à Ryder où on peut trouver ces fameuses pizzas ?
— Yep, j’ai l’adresse et j’ai préféré réserver.
Ce simple détail, avoir pensé à notre future soirée jusqu’à prendre l’initiative de faire les réservations,
me rendit heureuse. Inexplicablement.
Quelques secondes plus tard, il se brancha sur une station radio qui diffusait un mélange de funk, house
et hip-hop. Sur le trajet, je me surpris parfois à me trémousser sur mon siège au rythme des chansons, et
il me lança plusieurs fois un regard amusé… bien TROP craquant. Il nous fallut une demi-heure pour
atteindre Astoria, l’un des quartiers les plus convoités et florissants du Queens, réputé également pour
son héritage grec.
Une quantité de communautés différentes formait un important melting-pot qui apportait une belle
touche d’exotisme dans cette partie de New York. Le Queens était aussi connu pour ses nombreux
restaurants aux spécialités culinaires provenant de multiples pays. Par conséquent, ça ne me surprenait
guère que Ryder vante à grands cris ses mérites pour ce qui était de la gastronomie. Celle-ci était
d’ailleurs mise en avant sur les prospectus touristiques, à l’instar de la Cinquième Avenue ou de l’Empire
State Building à Manhattan.
La boutique qu’Ashley m’avait conseillée se situait sur Steinway Street. La facilité avec laquelle Cruz se
repéra pour trouver un parking ne m’étonna guère. À une époque, avant qu’ils ne s’installent à
Manhattan, la bande (lui, Knox, Zack) retrouvait souvent Ryder à Brooklyn ou dans le Queens pour aller
boire un coup, s’éclater en boîte, faire un karting ou un billard. Du coup, Cruz connaissait pas mal de
coins dans les parages.
Le pick-up garé, on se mit à déambuler côte à côte sur le trottoir – un moment d’une complicité très
agréable, pareil à notre précédente rencontre. En mon for intérieur, je remerciai le temps clément de ce
début du mois d’octobre qui nous permettait de flâner ainsi. On remonta deux blocks ; parfois, son bras
frôlait le mien (involontairement), mais j’essayais (difficilement) de ne pas y prêter attention. Quand le
magasin se profila devant nous, la décoration de la vitrine me plut d’emblée.
— Comme on ne connaît pas encore le nombre d’invités et de tables, du coup, c’est plutôt un repérage,
expliquai-je.
— Ryder s’en charge. On pourra le savoir assez rapidement, à deux ou trois invités près.
J’acquiesçai avec un sourire alors qu’il m’ouvrait la porte.
Puis, il m’emboîta le pas dans une boutique qui occupait toute la longueur d’un rez-de-chaussée et d’un
étage, les deux reliés par un escalier en colimaçon bordé d’une rampe en fer forgé. Durant l’heure
suivante, je crois bien que Cruz aurait pu prétendre à une médaille, car il me suivit sans broncher dans
tous les rayons possibles et imaginables. Avec toutes mes allées et venues, je finis même par ôter mon
cardigan et le fourrer dans mon sac.
Un cri strident faillit s’échapper de ma bouche lorsque j’aperçus les objets de décoration liés à l’univers
musical sur une rangée complète du magasin. Du coin de l’œil, je remarquai le sourire de Cruz quand il
me vit sortir un calepin de ma besace pour noter un tas de références et de prix.
Il s’esclaffa franchement au moment où je pris des photos.
— Regarde ces petites guitares comme elles sont chouettes ! lançai-je, excitée.
Les instruments miniatures étaient posés sur un socle ressemblant tout à fait aux modèles réels. Je les
imaginais déjà sur les tables des invités. Dans la foulée, je notai de prévoir de petits bouquets de fleurs –
une touche féminine pour Jailyn.
— Tu connais les fleurs préférées de Jailyn ? demandai-je soudain en me tournant vers Cruz.
Surpris, il secoua la tête.
— Euh non, ce n’est pas une conversation qu’on a tous les jours, se moqua-t-il.
Je lui tirai spontanément la langue et il eut un gloussement. Je lui fis face, mes yeux plongeant dans les
siens.
— Votre mission, Cruz Flores, si toutefois vous l’acceptez, est de découvrir quelles sont les fleurs
préférées de notre cible, Jailyn Harper.
Il rigola de bon cœur.
— OK, mademoiselle Fowler… Déjà, je dois essayer de la coincer seule, et ça, c’est pas gagné. Ton frère
est une véritable sangsue ! Et s’il me surprend à poser ce genre de question à sa nana et qu’il se met en
tête que je veux lui offrir des fleurs, il risque bien de m’arranger le portrait, sans compter que Columbia
va trouver ma question super bizarre…
Il accompagna ses dernières paroles d’un froncement de nez qui me fit pouffer. Je levai la main pour
agiter mes doigts d’un air désinvolte.
— Improvisez, monsieur Flores. Mais si vous étiez découvert, le département d’État nierait avoir eu
connaissance de vos agissements.
Là, il éclata de rire.
Un rire qui dévala comme une vague chaude sur ma peau. Son regard pétilla alors que ses épaules
étaient encore secouées par un fou rire. Puis, il me dévisagea avec une lueur indéfinissable dans les yeux
qui accéléra les battements de mon cœur. Je ne baissai pas les miens, capturés par ses prunelles chocolat.
L’atmosphère devint plus lourde en un claquement de doigts. Une lourdeur qui se dissipa tout aussi vite
qu’elle était apparue quand il lâcha d’un ton amusé, mais étrangement rapide :
— Petite maligne, va !
Son timbre me parut également plus rauque, mais une voix dans mon dos me sortit de mes délires
naissants.
— Puis-je vous aider ?
Je tressaillis et pivotai vers une vendeuse élégante, dans la quarantaine. Je me repris en une fraction de
seconde.
— Bonjour, je cherche de la déco pour l’anniversaire de mon frère qui est passionné de musique.
Elle me sourit.
— Vous avez trouvé le bon rayon à ce que je vois.
Je me mis à discuter avec l’employée qui m’assura qu’il n’y aurait aucun problème pour obtenir la
quantité de guitares miniatures que je désirais. Je pourrais même passer commande lorsque je serais
certaine du nombre exact de tables, avant la mi-novembre cependant, par mesure de sécurité. Ensuite,
elle me montra des boules chinoises.
— Il suffira de les accrocher avec des fils fixés au plafond d’un bout à l’autre de la salle, m’expliqua-t-
elle. Vous pourrez utiliser du fil de couleur ; l’effet sera très joli.
OK, je n’avais pas vraiment pensé à tout le boulot que cela nécessiterait. Mais ce n’était pas primordial,
on pourrait se passer des boules chinoises. Je masquai ma déception et m’apprêtais à ouvrir la bouche,
quand je sentis tout d’abord un frôlement sur mon bras qui me sortit de mes réflexions ; puis, la pression
s’accentua. Je réalisai que c’était la main de Cruz, chaude et douce. Mon épiderme se mit à picoter
follement sur les quelques centimètres où sa peau était en contact avec la mienne.
Troublée, je levai mon visage vers le sien, en espérant toutefois que mes pommettes n’allaient pas
prendre une teinte trop rose dans les secondes suivantes. Je les sentais s’échauffer dangereusement.
Mais il y avait quelque chose de si intime dans sa façon de se tenir plus proche de moi, sans parler de son
geste…
— Je m’en occuperai avec Ryder, intervint-il d’une voix profonde avant de retirer sa paume.
Mes yeux se noyèrent dans son regard où brillait une étincelle chaleureuse, mais déterminée. Il avait
compris à quel point cette décoration (un casse-tête en vérité) me tenait à cœur. Du coup, il était prêt à
me faire plaisir, quitte à s’arracher les cheveux pour suspendre quelques boules chinoises dans une salle.
Ma poitrine enfla si fortement que j’eus soudain peur qu’elle n’éclate.
— Tu es sûr ?
Ma voix enrouée aurait pu me faire rougir encore plus.
— Oui, il n’y a pas de soucis. On en viendra à bout.
Il eut un petit sourire. Trop séduisant, trop craquant, trop… je ne sais pas… trop lui.
J’avalai difficilement.
— Merci…
Là, je dus me rappeler tout de même à grands coups de pied dans les fesses qu’il agissait simplement en
ami. Je lui rendis son sourire, mais la suite échappa à mon contrôle. Nos regards restèrent soudain
accrochés l’un à l’autre quelques secondes, longtemps, beaucoup plus longtemps qu’en temps normal.
Impossible de détacher mes yeux des siens. Lui aussi, d’ailleurs, gardait ses prunelles toujours rivées aux
miennes. Un moment très intense. Tout à coup, un petit raclement de gorge derrière moi me fit tressaillir.
Le cœur battant, les joues rouges (pas de doute, cette fois-ci), je me tournai vers la vendeuse qui nous
observait avec un sourire… bienveillant, comme si elle comprenait quelque chose qui m’échappait.
Ou qui nous échappait à tous les deux.
Je sentais de nouveau mes délires refaire surface.
— Il faudrait que j’aie votre commande pour le 15 novembre au plus tard, me rappela-t-elle.
Je m’éclaircis la gorge à mon tour, l’esprit encore confus, mon pouls battant à deux cents à l’heure.
— D’accord, je vous la ferai parvenir sans faute.
— Venez, je vais vous donner ma carte. Ce sera plus facile pour vous. Dès que vous connaîtrez la
quantité exacte de ce que vous souhaitez commander, il suffira de m’envoyer un mail ou de me passer un
coup de fil.
Je la suivis avec une conscience aiguë de la proximité de Cruz marchant derrière moi : sa chaleur, sa
puissance, sa démarche sexy, sa respiration, ses yeux dans mon dos…
Hallucinant !
Incapable de me retenir, je passai une main sur mon front, comme si le magasin venait de se
transformer en fournaise. À la caisse, la vendeuse me tendit une carte avec ses coordonnées.
— On compte à peu près sur une trentaine d’invités, répartis sur des tables rondes de cinq personnes.
Cela ferait six tables, disons huit, maximum.
— Je vais déjà noter cette information et j’attendrai votre confirmation.
Aussitôt dit, aussitôt fait.
— Merci.
Je discutai encore quelques secondes avec elle, puis on prit congé. Avant de quitter le magasin, je ne
résistai toutefois pas à la tentation d’acheter un joli notebook assorti à des stylos que j’avais repérés.
Quand on se retrouva à l’extérieur, Cruz me fit face et me demanda d’un ton nonchalant :
— Ça te dit d’aller à Rockaway ? D’ici, il faut trois quarts d’heure, à tout casser. À cette période de
l’année, il y a moins de circulation.
Mon cœur bondit de joie. Un GROS bond. Punaise !
Rockaway était une plage sympa qui avait cependant souffert du passage de la tempête Sandy. Selon
mes souvenirs, il avait fallu quelques années pour reconstruire sa promenade en bois.
— Oui, j’aimerais bien, répondis-je avec enthousiasme.
On refit le chemin inverse pour récupérer le pick-up. Durant le trajet, je me demandai si ces moments
étranges, dans le magasin, avaient bien eu lieu ; la main de Cruz posée sur mon bras d’une façon presque
intime ; sa voix ; sa proximité ; nos regards soudés pendant de longues secondes comme si on était seuls
au monde. À mes côtés, il discutait avec un tel naturel, un sourire familier, sympathique, dessiné sur ses
lèvres, qu’une voix intérieure me souffla que j’avais dû me faire un film.
Encore une fois !
Avec un soupir, je me passai un petit savon bien senti avant de prendre mon portable pour vérifier si
j’avais eu un message de Jace, consciente toutefois qu’il était encore en cours à cette heure-ci.
Rien. Évidemment.
Je glissai le téléphone dans mon sac.
Quelques plaisanteries plus tard, j’étais certaine à cent pour cent que j’avais bien halluciné dans le
magasin ou tout simplement transformé des détails… à ma convenance. J’aurais dû en ressentir un peu de
honte, mais bizarrement, il n’en était rien. L’esprit fatigué, je reléguai tout ça au fin fond de mon cerveau.
Mais je me dis une nouvelle fois, avec une détermination redoublée, que je voulais profiter de cet après-
midi, renouer avec un ami de longue date.
Un ami qui m’avait manqué ces derniers mois.
Un ami qui m’avait demandé de l’aide pour organiser l’anniversaire de mon frère, son meilleur pote. Je
lui en étais reconnaissante !
À cet instant, j’eus la désagréable impression que ce mantra me transformait en l’une de ces personnes
qui commencent à radoter prématurément. Du coup, je m’intéressai au paysage en me laissant distraire
par la radio, une station pop. Et je m’interdis furieusement de penser que Cruz l’avait choisie pour moi.
On mit à peine trente-cinq minutes pour atteindre Rockaway Beach. L’été, c’était une tout autre histoire.
Pour être honnête, le panorama n’était pas particulièrement beau avec ses immeubles qui bordaient la
plage ; mais la longue promenade en bois qui la surplombait et le sable blanc et fin avaient beaucoup de
charme. Les surfeurs qui en avaient fait leur point de ralliement lui donnaient une ambiance plus
californienne que new-yorkaise. Ce qui n’était pas pour me déplaire. Cruz gara son pick-up sur un parking
à proximité de la plage.
— Tu fais encore un peu de surf ? demandai-je soudain.
Deux ans en arrière encore, il en faisait régulièrement avec mon frangin et Ryder.
— De temps en temps, mais je n’ai plus trop le temps.
— C’est dommage.
Je me souvenais qu’il appréciait beaucoup ce loisir. Il posa sur moi un regard indéchiffrable avant de
répondre :
— J’en ai fait cet été avec Ryder. Depuis qu’on a embauché Chase, on souffle un peu plus au studio. Je
pourrai enfin prendre quelques congés, ajouta-t-il d’un ton amusé.
J’eus un hochement de tête, accompagné d’un sourire, puis on sortit du véhicule. L’air plus frais du bord
de mer me poussa à renfiler mon cardigan.
— Si tu ne veux pas t’embêter avec ton sac, on peut le mettre dans le coffre ?
— Je veux bien.
Je lui tendis ma besace. Cruz la glissa dans le fond du coffre, puis on rejoignit le long ponton en bois,
quasi désert. Une aubaine. Sans se concerter, on descendit ensuite sur la plage pour s’approcher
doucement de l’océan. L’effet vivifiant de l’air marin me fit inspirer à pleins poumons avec bonheur. Cela
faisait un bien fou. On resta quelques minutes en silence à observer les vagues qui s’écrasaient sur le
rivage à quelques pas de nos chaussures. D’un commun accord muet, on se mit à marcher dans le sable,
le long de cette immensité à perte de vue.
Le silence entre nous n’était pas gênant, au contraire.
Cruz avait glissé ses pouces dans les poches de son jean, l’allure décontractée. Un simple coup d’œil en
biais, et je vis le vent soulever plusieurs mèches de ses cheveux, accentuant son style je-viens-de-tomber-
du-lit trop séduisant. Malgré mes résolutions, ma poitrine se serra devant le spectacle qu’il offrait : un
sex-appeal brut, incroyable. Je me concentrai tout à coup sur mes pieds, mais je ne sais pas ce qui me
poussa à lui poser cette question juste après :
— Tu as des nouvelles de ton frère ?
Il mit une petite fraction de seconde avant de répondre – une réaction qui découlait plus d’un effet de
surprise qu’autre chose.
— … Pas depuis que je suis allé le voir pour retrouver Chase.
Puis, avant que je ne puisse me retenir :
— Est-ce qu’il te manque ?
Quand je réalisai ce qui m’avait échappé, j’enchaînai rapidement dans un balbutiement gêné :
— Désolée… c’était maladroit de ma part. Oublie ma question…
Pour une amie qui connaissait son passif, oui, elle était vraiment très maladroite. Quelle idiote ! Mais au
bout de quelques instants, j’entendis un mot prononcé d’une voix un peu enrouée.
— Oui…
Étonnée, je levai les yeux vers Cruz alors qu’on continuait à marcher sur la bande de sable.
— Oui, il me manque.
Son regard plongea dans le mien et j’acquiesçai en silence, la gorge serrée. La suite me surprit.
— Mais il a fait un choix et je lui en veux pour ça.
Je restai muette, lui offrant la possibilité de ne rien dire de plus.
— Il aurait pu tenter de s’en sortir, mais il a choisi la facilité ! Le fric facile, continua-t-il d’un ton sans
appel.
— Et ton oncle, ça a été dur pour lui ?
— Il s’en est longtemps voulu. Il s’en veut certainement encore aujourd’hui.
Un sentiment d’échec compréhensible, même si ce n’était pas mérité. Par Knox, je savais que très jeune,
Cruz avait perdu sa mère d’une overdose, un mélange mortel de médicaments et d’alcool. Il devait avoir à
peine cinq ou six ans à ce moment-là. Le père s’était barré à sa naissance. Son oncle les avait recueillis
dans sa maison, lui et son frère. Mais ce dernier avait déjà forgé des liens avec un gang. Par la suite, son
oncle s’était battu pour tenter de le sortir de leurs griffes. En vain. Je ne connaissais pas tous les détails,
mais d’après des échos que j’avais glanés à l’époque, Rafe avait vite grimpé les échelons, avec tout ce que
cela impliquait. En effet, on n’arrivait pas en haut de la pyramide sans faire preuve d’une violence
extrême. La loi du plus fort régnait dans ce milieu.
C’était un véritable caïd, à présent. J’en frissonnai.
Quand j’en avais appris plus au fur et à mesure, cela m’avait sortie de ma bulle de naïveté. Avec horreur,
j’avais découvert que certains membres de gangs pouvaient avoir à peine dix ans.
Une terrible réalité.
Compte tenu de notre différence d’âge, je me souvenais très vaguement de Rafe. J’avais dû l’apercevoir
une fois en chair et en os, il y a très longtemps. Mais j’étais toutefois tombée sur quelques photos chez
leur oncle qui nous avait invités à plusieurs reprises, après le départ de mon père. D’ailleurs, ma mère
l’avait également invité plusieurs fois à dîner. Il faut dire qu’elle avait toujours apprécié Cruz. Au fil du
temps, Knox et lui avaient forgé un lien solide, inébranlable.
— Il a fait tout ce qu’il a pu, déclarai-je subitement. C’était très courageux de sa part, vu les
circonstances. Peu de personnes se seraient battues comme il l’a fait. Chacun est responsable de ses
choix et doit les assumer.
Cruz me dévisagea, pendant quelques secondes intenses, puis il eut un hochement de tête
imperceptible. À ce moment, une bourrasque plus forte souleva une mèche de mes cheveux et la colla sur
ma joue. Soudain, je le vis lever une main avant de stopper aussi sec pour la baisser d’un geste brusque.
L’air, qui s’était déjà chargé les minutes précédentes, s’alourdit d’une tension différente. Ce fut à ce
moment-là que mon portable vibra dans la poche de mon jean. Cruz tourna immédiatement son visage, les
yeux braqués sur un point à l’horizon. Les doigts un peu tremblants, je pris mon smartphone.
Jace : Tout se passe bien ?
Je tapai sur le clavier, l’esprit agité. Sauvée… de je ne sais quoi… J’ignorai cette petite voix désagréable
au fin fond de mon cerveau.
Moi : Oui, j’ai trouvé les décos que je voulais, je t’appelle ce soir.
Jace : Ça marche.
Cruz ne disait rien. Je jetai un coup d’œil vers lui en glissant mon portable dans la poche de mon fute,
mais sa mâchoire me parut légèrement crispée. Mal à l’aise, je me forçai à plaquer un sourire sur mes
lèvres avant de lancer la première banalité qui me passa par la tête :
— Hé, tu sais que Knox avait promis qu’il m’apprendrait à surfer ? Il ne l’a jamais fait.
Il eut à son tour un sourire amusé qui balaya les minutes précédentes.
— Ah oui ? Je peux le remplacer si tu veux.
Il plaisantait, j’en étais certaine. N’est-ce pas ?
— Quand il fera trente degrés, lâchai-je d’une voix malicieuse, ignorant cette pulsion en moi : j’adorerais
qu’il le fasse.
Je simulai un frisson exagéré.
— Ça caille beaucoup trop dans l’eau.
— Petite nature ! ironisa-t-il.
On se chamailla en se balançant deux ou trois vannes à la figure, avant de poursuivre notre balade. Puis,
on fit demi-tour pour revenir lentement vers le parking. En chemin, on se cantonna à aborder des sujets
variés mais légers, comme le dernier film sorti au cinoche ou une série qui cartonnait.
Rien de lourd.
Rien de dangereux.
Dans une ambiance conviviale.
Toutefois, l’image de la main de Cruz se levant vers moi avant de stopper net, restait imprimée dans
mon esprit au fer rouge.
Chapitre 8

Cruz

On atteignit le ponton en bois et je m’interdis une nouvelle fois de lorgner du côté de Bethany. Le soleil
projetait des filets d’or captivants le long de ses cheveux blonds. J’avais déjà remarqué ce détail, comme
j’avais remarqué une quantité d’autres trucs, en fait.
De plus en plus difficiles à ignorer.
Les deux dernières années au lycée l’avaient changée, mais la fac paraissait l’avoir… transformée en
peu de temps. Elle n’avait plus rien d’une ado. Oh non ! De leur propre chef, mes yeux semblaient vouloir
se poser un peu partout sur elle, sur des endroits interdits : ses seins, ses fesses, ses hanches, sa chute de
reins, son visage, son petit nez en trompette, ses prunelles… cette bouche pulpeuse couleur cerise.
Ma réaction, lorsque j’avais voulu toucher sa joue pour balayer cette mèche, me revint en mémoire. Au
bord de la plage, les cheveux au vent, son regard pétillant encore plus bleu, ses pommettes plus rosées,
son sourire plus éclatant… elle était… elle était…
Je m’interdis aussi de laisser la suite de ma phrase se former dans mon esprit. Le SMS de son mec –
parce que c’était son mec, j’en aurais mis ma main à couper – avait été une bonne piqûre de rappel. Knox
m’aurait tué à mon retour s’il avait pu deviner à distance où mes fichus yeux voulaient se coller…
Je secouai brusquement la tête, refusant de continuer plus avant. Bon sang ! Bethany n’avait même pas
vingt ans et elle était la petite sœur de mon meilleur pote. Alors, elle était aussi devenue une de mes
meilleures amies, voire la seule d’ailleurs dans la gent féminine. Je pris une profonde goulée d’air, mes
poings se serrant instinctivement le long de mon corps.
Un putain de détail à ne pas oublier.
Mais c’était le bordel en moi, comme si quelque chose cherchait à se libérer d’une cellule. Sur le coup,
je me demandai durant une infime seconde si j’avais bien fait de solliciter son aide pour l’anniversaire de
son frangin, avant de me foutre mentalement des claques. Bien sûr que j’avais bien fait ! C’était mon
amie, me répétai-je. Il n’y avait pas à tortiller ! Et cela me faisait plaisir de pouvoir la revoir en cette
occasion.
On arriva enfin devant le pick-up. Je récupérai dans le coffre son sac, qui paraissait contenir une tonne
de trucs (le souk d’une nana, quoi !). Je le lui tendis ; ce qui me valut un autre magnifique sourire en guise
de remerciement.
Et là, je le sentis, avec une puissance hallucinante.
Un sacré coup de poing dans mon ventre, d’une violence inouïe, comme s’il avait attendu tout l’après-
midi pour me percuter enfin de plein fouet. Mais une volonté implacable, sortie de je ne sais où, me
permit d’ignorer cette réaction démentielle, et de rendre à Bethany son sourire.
Puis, on grimpa dans le véhicule.
Je jetai un coup d’œil à l’heure affichée sur le tableau de bord. Mine de rien, il était six heures. Le temps
avait filé à toute allure. Je crevais déjà la dalle après ce bol d’air au bord de l’océan. Je mis le moteur en
route et me dirigeai vers Corona, un des quartiers du Queens où se trouvait le resto italien.
— Il n’y a pas longtemps, je suis tombée sur un reportage à la télé qui parlait du Museum of the Moving
Image, dit soudain Bethany.
Même sa voix avait pris des intonations sexy depuis qu’elle était à la fac.
Bon sang, tu déconnes, là, Cruz ?! Ressaisis-toi ! Bordel !
Je serrai les dents avant d’afficher un autre sourire, le genre grand frère. Heureusement pour moi, elle
continua sur sa lancée sans attendre de réponse de ma part. Une chance, car ma langue semblait s’être
collée à mon palais.
— Je n’y suis jamais allée. Tu te rends compte ? On vit dans une ville qui attire des millions de touristes
du monde entier et on ne connaît pas tout ce qu’elle peut recéler. D’ailleurs, regarde… Cela fait une paille
que je ne suis pas retournée à l’Empire State Building !
Je faillis lui dire qu’on pourrait aller ensemble à cette Mecque du cinéma, un musée qui s’était fait un
nom dans le Queens, mais je fis un énorme effort pour garder mon clapet fermé.
Nom d’un chien, elle avait un mec pour ça ! Pour l’emmener dans ce type d’endroit. Mais cette pensée
noua mes tripes. Cependant, je réussis à lancer des paroles sensées d’une voix neutre :
— On l’a fait avec Zack, ça vaut le coup.
— Ah oui ?
Du coin de l’œil, je la vis tourner son visage vers moi, ses yeux bleu clair se posant sur mon profil. Je
gardai les miens sur la route, les phalanges serrées autour du volant.
— Oui, deux fois…
— OK, je pourrais demander à Ashley si elle veut y aller.
Une joie bizarre provoqua de drôles de cabrioles à l’intérieur de ma poitrine, lorsque je l’entendis
prononcer le nom de sa meilleure cops et non celui de son mec. Aussi étrange que cela puisse paraître à
cet instant, ça m’aurait salement emmerdé qu’elle envisage d’y aller avec lui. Que ce soit ce type qui
contemple ses traits enthousiastes, ses prunelles qui avaient une façon particulière de s’illuminer quand
elle découvrait une nouveauté… Un peu ce qui s’était passé lors de notre trip dans la galerie de Brooklyn,
ce que j’avais vécu en sa compagnie.
Pendant le reste du trajet, je me laissai bercer par sa voix animée. Elle était craquante. Elle avait
toujours des trucs à dire, sur tout, marrants ou intéressants. Elle avait toujours été comme ça d’aussi loin
que je me souvienne. Et j’avais toujours aimé l’écouter. Encore plus aujourd’hui… apparemment… Je me
calai mieux dans mon siège, ne sachant que faire sur le coup de ce constat, avant d’aspirer une bonne
goulée d’air pour me reprendre.
Au cœur de Corona, je réussis à trouver une place à proximité du resto. La façade ne payait pas de
mine, mais l’intérieur se révélait vraiment sympa quand on franchissait le seuil. Je vis immédiatement que
l’ambiance chaleureuse, à l’italienne, plaisait à la petite nana à mes côtés.
Un serveur nous accueillit avec un sourire rempli de dents ultra blanches et nous guida vers une table
située dans une alcôve, après avoir vérifié notre réservation griffonnée sur un vieux cahier en cuir.
Bethany m’adressa un coup d’œil amusé en remarquant ce détail. Elle commanda une pizza au saumon et
moi, je choisis l’une de mes préférées : une bolo. La meilleure. En apéro, on opta tous les deux pour un
mojito, sans alcool pour elle. Le restaurant commença à se remplir peu à peu alors qu’on discutait de
choses et d’autres. Lors d’une pause, dans une impulsion subite, je me surpris à lui poser une question :
— Au fait, la femme de ton père, elle doit accoucher bientôt, non ?
Je savais par Knox que ce bébé, une fille, avait pris une place importante dans la vie de Bethany. La
preuve, à peine ma question lâchée, ses yeux s’illuminèrent comme les enseignes de Times Square.
— Oui, à la fin du mois. J’ai eu Clarisse dernièrement au téléphone. Elle se sent énorme, rajouta-t-elle
avec un petit rire.
Elle avala une gorgée, puis son visage reprit son sérieux.
— Knox accepte maintenant d’en parler plus facilement, mais Chase… il évite le sujet, avoua-t-elle.
D’ailleurs, je ne me risque pas sur ce terrain.
Je bus à mon tour une gorgée, utilisant ce laps de temps pour choisir mes mots avec soin.
— Knox et Chase se ressemblent peut-être physiquement, mais ils ont un caractère bien différent. Chase
a une forte sensibilité… à fleur de peau ; c’est la raison pour laquelle l’avis de ton père a toujours été très
important pour lui, du moins avant sa blessure et que les choses ne dégénèrent entre eux. Ce qui a bien
souvent influencé certains de ses choix dans sa vie.
Comme Knox, j’avais toujours pensé qu’il était plus fait pour le dessin que le sport. Bethany acquiesça
d’un mouvement du menton.
— Tu as raison, mais ce bébé n’y peut rien. C’est juste un être innocent…
— Chase s’y fera, Bethany. Il faut encore lui laisser un peu de temps pour tout digérer.
Elle me dévisagea en silence, une main autour de son verre.
— C’est notre demi-sœur. Je doute qu’ils veuillent un autre enfant, vu l’âge de mon père. Chase et Knox
ont toujours été des frères formidables, ils pourraient faire partie de la vie de la petite, et beaucoup lui
apporter. Bien sûr, la différence d’âge entre nous est énorme, mais on sera sa seule famille directe. Ce
n’est pas rien.
Elle se tut dans un petit soupir.
— Laisse-la arriver, et je suis certain que Chase fondra devant sa bouille.
— Encore faudrait-il qu’il la voie !
— Te connaissant, avec toutes les photos que tu vas prendre, lançai-je d’une voix amusée, il tombera
forcément sur l’une d’entre elles.
Son gloussement me fit sourire. Une nouvelle fois.
— Je compte bien la mitrailler à la maternité, plaisanta-t-elle. Ces bouts de chou grandissent tellement
vite !
Le serveur vint débarrasser nos mojitos.
— Et ta mère ? demandai-je, alors qu’il s’éloignait de notre table.
Cette conversation marquait un tas de points positifs dans la colonne j’ai-bien-fait-de-la-contacter-pour-
l’anniversaire-de-mon-pote, foutant de nouveau un bon coup de pied aux doutes que j’avais eus après
notre balade sur la plage, dans un moment de délire.
Un échange profond, en tête à tête, plus adulte.
Une belle connexion.
Bien sûr, mon regard avait toujours envie de se perdre sur pleins de détails, son visage, son haut
moulant aussi, mais notre discussion plus grave tempérait ces pulsions déplacées. Sa voix, ses paroles, et
surtout la confiance qu’elle m’accordait en me faisant ces confidences, réprimaient des élans de plus en
plus dangereux. À cet instant, j’étais l’épaule dont elle avait besoin. Et c’était le plus important : un
rempart à tout le reste.
— Elle va beaucoup mieux.
Le soulagement que je perçus dans ses mots me fit réaliser un peu plus, que la situation n’avait pas dû
être facile au domicile familial. Bethany avait souvent été en première ligne, témoin direct des hauts et
des bas de sa mère. Des bas très bas, d’après les dires de Knox.
— Tu sais, elle a toujours vécu dans l’ombre de mon père, à l’inverse de Clarisse. Ce divorce l’a obligée
à changer. Oh, bien sûr, elle a connu des moments très durs et ça n’a pas été facile pour mes frangins et
moi, mais à présent, elle vit pleinement. Elle prend ses propres décisions et s’affirme de jour en jour.
Physiquement, elle est plus sûre d’elle également, rajouta-t-elle, ses pommettes se colorant légèrement.
J’ai… j’ai… même l’impression qu’elle est plus heureuse aujourd’hui qu’avant, ou que si elle n’a pas
encore atteint ce palier, elle n’en est plus très loin.
Elle fit une pause ; un silence que je ne rompis pas.
— Je ne dis pas que ce divorce est ce qui lui est arrivé de mieux, mais elle s’épanouit différemment. Et si
elle devait refaire sa vie – je l’espère, car elle est encore jeune –, elle ne vivrait plus jamais dans l’ombre
d’une personne. Qui que ce soit.
Je la fixai, muet, parce que ce mélange de force et de sagesse me surprenait en permanence, et il
provoqua même à cet instant un flot d’admiration dont la puissance me prit de court. Je m’éclaircis la
voix.
— Il faut savoir utiliser les épreuves que la vie nous impose pour avancer. Mais je sais que cette théorie
un peu facile n’est pas toujours aussi simple ; alors, je suis vraiment content d’apprendre que ta mère va
beaucoup mieux.
— Tu sais quoi ? me répondit-elle tout à coup après un léger hochement de tête ému.
J’attendis.
— Je suis certaine que si demain, mon père devait revenir la supplier à genoux de le reprendre et de lui
laisser une nouvelle chance, elle refuserait direct ! Elle a passé un cap important, ces dernières semaines.
Je ressentis un profond soulagement, content pour eux, pour Knox, Chase et… Bethany. Pour cette petite
nénette qui avait toujours fait preuve d’un courage étonnant depuis son adolescence. Le chemin avait été
ardu pour elle, mais elle avait surmonté les obstacles avec une détermination incroyable pour une fille
aussi jeune. Elle n’avait pas merdé à l’école ; elle n’avait pas été une ado ingérable, tiraillée entre deux
parties au cœur d’un divorce difficile ; elle n’en avait pas voulu à la terre entière.
Non, rien de tout ça.
Elle s’était battue pour avoir les meilleurs résultats au collège, au lycée, pour soutenir ses frères dans
les mauvaises passes, pour essayer de comprendre une mère bien souvent démissionnaire. Et elle était
restée cette ado joyeuse et dynamique, attachante.
Oui... elle avait été et elle était... toujours aussi incroyable. Sans prévenir, ma poitrine parut tout à coup
enfler, au point d’éclater presque, sous un flot de sensations puissantes. Étonnantes ! Dans la foulée, je
posai ma main sur la sienne pour la presser avec douceur dans un geste encourageant.
— Tout va s’arranger avec Chase… tu verras, il acceptera la petite.
Un sourire apparut peu à peu sur ses lèvres au fur et à mesure que mes mots pénétraient son esprit,
jusqu’à ce que son visage radieux bloque l’oxygène dans mes poumons.
— Merci, murmura-t-elle en me fixant de ses beaux yeux bleus, si expressifs.
L’air devint plus lourd en un rien de temps, chargé d’une émotion qu’on ressentit tous les deux
(certain !) à la perfection. Ce moment particulier se transforma en une tension différente, palpable, mais
le serveur arriva et me sauva d’un gros danger...
Du danger imminent de lever ma main pour caresser sa joue de pêche… ou, mes doigts brûlant de plus
belle, balayer une mèche soyeuse derrière son oreille, comme j’avais voulu le faire sur la plage tout à
l’heure. Je soulevai ma paume encore posée sur la sienne. Dans un sursaut de lucidité, je me jetai sur ma
pizza comme un affamé ; et quand son foutu portable vibra sur la table, et qu’elle me lança un regard
d’excuse avant de répondre à plusieurs SMS, je fus partagé entre l’envie furieuse de le fracasser contre
un mur, car je savais pertinemment qui se trouvait à l’autre bout de la ligne, et un profond soulagement,
cette brève interruption m’offrant le temps nécessaire, précieux, pour tordre le cou à tout ce bordel
flippant en moi.
Le resto se termina sur une note beaucoup plus légère et décontractée. Bethany s’acquitta du prix du
repas, les pizzas et desserts. J’insistai néanmoins pour payer les mojitos. Par ailleurs, son portable n’avait
plus vibré de toute la soirée, à mon grand contentement ; une réaction que je ne voulais toutefois pas
admettre, maintenant que je me trouvais installé au volant de mon pick-up.
En revanche, une autre sensation anormale prenait corps en moi, tandis que je roulais en direction de
Brooklyn pour la déposer chez elle et que notre destination finale se rapprochait donc peu à peu, dans un
silence couvert par la radio. On avait la salle, les idées de déco ; le DJ avait confirmé la date ; Ryder allait
m’aider pour contacter les invités, il n’y avait alors plus aucune raison pour qu’on se revoie dans un
avenir proche. Steele allait également nous transmettre deux choix de menus par mail.
Donc, pas besoin de se déplacer pour ce détail.
À quelques minutes de sa rue, je réalisai vraiment à quel point ces deux après-midi, en sa compagnie,
avaient été géniaux, entre bon temps et rencontres avec nos différents interlocuteurs. Je connaissais déjà
bien Bethany, depuis un bout de temps, mais j’avais découvert de nouvelles facettes d’elle… craquantes.
À mes côtés, elle restait étonnamment silencieuse, en accord avec mon humeur plus sombre. Et si mon
esprit ne me jouait pas un sale tour, j’aurais même pu croire qu’elle semblait triste. Je secouai
imperceptiblement la tête pour éclaircir mes idées, mais une pensée revint en force, de nouveau : on ne
se reverrait plus avant quelques semaines, pour peaufiner les derniers détails. Cette fois, les mots
parurent ricocher dans mon cerveau en un écho détestable. Un truc acide remonta de mon estomac. Je ne
sais pas si ce fut cette pensée qui commanda soudain à ma bouche de prononcer les paroles suivantes,
surprenantes :
— Hé, pourquoi tu ne viendrais pas boire un verre au Nine, samedi soir ? Ryder et Zack seront là. Ils
seraient contents de te voir.
Si elle rappliquait avec son mec… je préférais ne pas penser à cette possibilité. Et je préférais ne pas
penser non plus que je n’aurais jamais dû lui proposer de la revoir dans un bar. En vérité, cette
proposition était tout simplement une énorme erreur ; cependant, je n’arrivais pas à remettre mes
neurones à leur place. Ce qui m’aurait peut-être permis de tenter de faire marche arrière.
Mayday, mayday.
En arrière toute !
Sur ma droite, je l’entendis se racler la gorge avant de répondre en gigotant nerveusement sur son
siège :
— Samedi, j’ai un truc de prévu avec Jace.
Mes dents se serrèrent, malgré moi. Putain… j’avais l’impression de tanguer sur un bateau pris dans
une tourmente avec des creux énormes. À recracher son estomac.
Bon sang, je ne me reconnaissais plus !
Après un rapide coup d’œil, je réussis cependant à lancer d’un ton désinvolte :
— Une autre fois, peut-être.
Sans insister.
On arrivait.
Je m’engageai dans sa rue et freinai devant chez elle. Comme je lui en avais parlé récemment, Chase
était au courant qu’on avait été voir des babioles pour l’anniversaire de son frangin. Je l’avais même
prévenu que Bethany et moi, on en profiterait du coup pour se faire un resto dans le Queens. Il avait
trouvé l’idée sympa.
Une fois le moteur coupé, elle ne bougea pas de son siège, et sans poser mon regard sur elle, j’avais une
conscience aiguë de chaque partie de son corps, de sa respiration, de ses petits mouvements. Un truc de
fou !
— Je te tiendrai au courant lorsqu’on aura le nombre d’invités total, arrivai-je à prononcer d’une voix
égale, en lui jetant un coup d’œil. Je te recontacterai si on a besoin de retourner au resto pour une raison
ou une autre, mais normalement, tout est bon.
— OK, répondit-elle simplement.
Mes poings se crispèrent sans raison, mes yeux restaient braqués sur le pare-brise.
— On pourra commencer à décorer la salle, la veille ? suggéra-t-elle ensuite.
Avec ces boules chinoises à fixer, c’était en effet préférable de s’y prendre à l’avance.
— Oui, ou le matin au plus tard.
Je me forçai à tourner la tête vers elle et à la dévisager d’un air le plus neutre possible, alors qu’en moi,
c’était le souk.
— Vous savez déjà comment vous allez attirer Knox et Jailyn au restaurant sans qu’ils se doutent de
quelque chose ? demanda-t-elle.
Sa question me permit de me concentrer sur autre chose, même si ses iris, encore plus clairs que
d’habitude, semblaient me retenir prisonnier au milieu d’un lagon bleu.
— On a une petite idée. Avec Zack, on leur proposera d’aller dans un bar où on avait l’habitude de
traîner plus jeunes quand on vivait à Brooklyn. On prétextera qu’il y a un groupe intéressant qui y joue.
Knox est toujours partant pour ce genre de truc.
— Tu n’as pas peur que Jailyn organise quelque chose de son côté ? Vu que c’est le premier anniversaire
de Knox qu’ils vont fêter…
— En fait, j’y ai pensé l’autre fois. Je vais prendre les devants. J’avertirai Jailyn que la bande prévoit un
truc dans un bar pour l’anniversaire de son mec. Quand Zack et moi, on invitera Knox, il lui suffira de
jouer la comédie, comme si elle n’en savait rien. Ils ne s’attendront pas à ce genre de soirée. On a rajouté
sa frangine, Tiphaine, sur la liste d’invités, précisai-je dans la foulée.
Bethany hocha la tête.
— Elle est vraiment sympa. Tu as raison, enchaîna-t-elle, il est préférable de faire croire à Jailyn que
vous la mettez dans le coup. Mon frère sera super content de revoir Dillon et Miles, ajouta-t-elle avec un
sourire.
— Oui… ce sera une belle surprise. Au fait, ta mère et ta tante sont invitées, bien sûr.
Bethany sourit de nouveau, ignorant l’éléphant dans la pièce (ou plutôt dans le véhicule) : je n’avais pas
étendu l’invitation à son mec, car quelque chose en moi n’y arrivait pas.
— Merci. Cela leur fera plaisir. En plus, elles aiment beaucoup Jailyn.
Le silence retomba entre nous et je sentis que, cette fois, c’était imminent : elle allait sortir de mon pick-
up. Il y avait une connotation dramatique dans cette constatation, mais emporté au cœur d’une spirale de
sensations inquiétantes, je ne la trouvai pourtant même pas ridicule. Je me cramponnai presque à mon
siège pour empêcher mes bras de la retenir, car une pulsion montait dangereusement en moi.
Putain, je devenais grave !
— On aura l’occasion de se revoir prochainement, lançai-je, la voix rauque.
Un effort quasi héroïque. Bordel, j’étais shooté, c’est pas possible ! Les junkies ressentent tout
puissance mille, sous l’effet de l’héroïne.
— Oui, bien sûr. De mon côté, je contacterai le magasin comme convenu, assura-t-elle avec un calme qui
me chatouilla les nerfs sans raison. Si tu as besoin de moi, n’hésite pas à m’appeler.
— OK !
— Et n’oubliez pas votre mission, Ethan Hunt, lâcha-t-elle soudain d’un ton espiègle.
Je réussis à sourire.
Si ça pouvait me permettre de la revoir ou de la recontacter plus vite, j’étais prêt à me ridiculiser
auprès de Columbia et à me faire éclater la tronche par mon pote, s’il me surprenait à poser à sa copine
une question aussi ambiguë.
— D’accord, j’essayerai de savoir ça.
Ses lèvres se retroussèrent en une mimique adorable.
— Super !
Cette fois, elle se tourna vers la portière. Et, bon Dieu, je sentis une de mes mains s’agripper au volant,
l’autre à mon siège. Elle dévia sa tête vers moi et me dévisagea avec une candeur qui pinça violemment
ma poitrine.
— J’ai passé une belle soirée, Cruz. Merci…
Sa voix douce me fit déglutir.
— Moi aussi, j’ai passé une chouette soirée, répondis-je soudain enroué, en proie aux symptômes d’une
laryngite foudroyante.
En silence, elle me fixa quelques secondes. Durant ce petit instant, je crus voir ses yeux balayer mes
cheveux et… descendre vers ma bouche. Oh, putain ! Mais ça, je n’en étais pas vraiment sûr. Ce fut si
rapide que je fus même quasiment certain d’avoir rêvé le truc, mon corps raide comme la justice, mes
phalanges crispées sur le rebord du siège – une question de vie ou de mort –, comme si je risquais tout à
coup de tomber d’une tour de cent étages. Mais décoller mes mains de là, où elles étaient agrippées,
aurait pu avoir des conséquences très dangereuses.
Elles auraient pu retenir Bethany, la saisir pour… pour… je ne sais pas vraiment… ou plutôt si, je le
savais au fond de mes tripes, mais dans un ultime éclair de lucidité, je ne voulus pas l’entendre.
Cependant, lorsque la portière claqua, bon sang, j’eus soudain l’impression d’un grand vide dans ma cage
thoracique !
Un truc de malade !
Elle s’éloigna, alors que mes yeux restaient scotchés sur sa silhouette, et rentra chez elle après un
dernier signe sur le perron. J’avais déjà vécu cette scène, mais cette fois, je n’arrivai pas à démarrer, à me
détacher de cette porte fermée, à une vingtaine de mètres. Au bout de quelques secondes, toujours planté
là, je crus voir un rideau bouger légèrement dans le salon.
Ce n’est peut-être pas plus mal qu’on ne se revoie plus de sitôt, pensai-je soudain, parce que j’avais
vraiment le sentiment extrême que je me tenais au bord d’un précipice et que ce serait impossible de ne
pas y tomber. Le genre de chute où on bascule la tête la première sans pouvoir se rattraper, avec plein de
dommages collatéraux. Je me passai une main nerveuse sur le visage, puis je réussis enfin à démarrer.
L’esprit dans le brouillard, je roulai en direction de Manhattan, sentant le poids dans ma poitrine
s’alourdir.
Quand je pénétrai dans l’appart, la vision de Knox et Jailyn blottis l’un contre l’autre devant la télé, me
flanqua un puissant uppercut dans l’estomac, à me plier de douleur. C’était comme si cette vision avait
été placée là, pour moi, à un moment vital.
Un rappel important de ce que Knox représentait dans ma vie. C’était mon pote, un véritable frère.
Jamais je ne lui ferais de mal.
Jamais je ne le trahirais.
Je ne sais pas ce qu’il capta sur mon visage.
— Hé, mec, ça va ?
— Yep…
Je lui souris.
Il me sourit.
On avait une confiance aveugle l’un dans l’autre. On n’hésiterait pas à faire rempart de nos corps pour
protéger l’autre en cas de danger mortel. Alors, quoi que Bethany provoque en moi, toutes ces sensations
(je n’étais pas complètement stupide au point de ne pas les reconnaître, et je ne voulais pas faire preuve
de lâcheté envers mon pote en ne les affrontant pas à ce moment précis devant lui), je les enfouirais
profondément.
Oui, elle m’attirait physiquement et mentalement.
Oui, cette petite nana craquante et attachante chauffait mes sens.
Oui… et bien d’autres choses.
Mais c’était la sœur de mon meilleur ami. Trop jeune, trop naïve aussi pour un mec comme moi, trop
différente des nanas que je me tapais régulièrement. Cette pensée de mauvais goût fit immédiatement
bouillir la colère dans mes veines, car jamais Bethany ne pourrait entrer dans la catégorie de ces
gonzesses qu’un mec se tape avant de s’en détourner sans un regard.
De plus, j’avais trop d’affection envers elle pour tout foutre en l’air entre nous et mettre en danger notre
amitié : elle tenait une place vitale dans ma vie. Je n’allais pas tout démolir avec elle, et avec Knox de
surcroît, parce que ma queue commençait à faire des siennes en sa présence et que mon cerveau pétait
visiblement un câble dès qu’elle se trouvait à quelques mètres de moi. Il allait falloir que je le mette au
pas !
Je ne voulais pas lui faire de mal, même involontairement. Je me couperais la main plutôt que de la faire
souffrir. Alors, franchir une limite avec elle ne pourrait être qu’une terrible erreur pour toutes ces raisons
déjà évidentes. Du reste, elle avait quelqu’un dans sa vie, un gars bien – même si ça me faisait
vraiment chier de l’avouer à cette seconde –, une relation sérieuse qui plus est ; il était temps que je fasse
entrer ça dans ma caboche.
— Je suis crevé ! Je vais me coucher, annonçai-je, ignorant une pointe de jalousie dangereuse. J’ai une
journée chargée demain.
— Bonne nuit, mec !
Je fis un signe à mon pote.
— Bonne nuit, Cruz.
— Bonne nuit, Columbia.
Chapitre 9

Cruz

Les semaines suivantes, je me jetai à corps perdu dans mon boulot. À la base, j’étais un bosseur, mais je
bouclai beaucoup plus de rendez-vous que d’habitude.
Ma virée avec Bethany remontait à trois semaines à présent. Je m’étais retenu pour ne pas débarquer
au resto où elle bossait lorsque Steele m’avait envoyé un mail en joignant les deux menus. Après une
longue bataille intérieure, je le lui avais transféré et on était tombé d’accord pour l’un d’entre eux.
D’une façon presque mécanique, j’étais en train de nettoyer mes instruments, l’esprit ailleurs, quand
mon portable se mit à vibrer dans mon champ périphérique. Je le pris machinalement, pensant que c’était
un SMS de Ryder ; mais le prénom qui s’afficha sur l’écran fit faire un sacré tourniquet à mon estomac.
Waouh… très, très flippant !
Bethany : Hey, n’oublie pas pour les fleurs… Tu as pu lui poser la question ?
Le cœur cognant contre mes côtes, je tapai sur le clavier. Stupidement, je me demandai si je lui
manquais aussi. Non, elle ne me manquait pas ! Enfin si ! Mais… en tant qu’amie…
Oh, putain, quel bordel dans mon crâne !
Refusant de m’aventurer sur ce chemin, je bloquai le tout en balançant une vanne.
Moi : Pas encore, ton frère est pire qu’une sangsue !
Je souris lorsque je vis un tas de smileys désespérés apparaître.
Bethany : Un petit conseil ?
Je souris de nouveau avant de m’asseoir sur un tabouret ; le poids dans ma poitrine se soulevait peu à
peu.
Moi : Suis tout ouïe !
Elle m’envoya un emoji « silly » qui me fit glousser (ouais, moi !). Une chaleur agréable envahit ma cage
thoracique sans oublier un seul recoin.
Moi : Rivé à chaque mot…
Bethany : Monsieur Hunt, cet élément étant capital pour la réussite de notre mission, je vous
conseillerai de vous associer à votre partenaire, Ryder Ewans.
J’éclatai de rire, la tête renversée en arrière, avant de dévorer du regard ses mots sur mon smartphone.
Subitement, cette journée longue et morose prenait une tournure nettement meilleure. Moins pesante.
Bethany : Que votre partenaire pose une telle question, cela n’étonnera personne.
Tu m’étonnes… Elle avait totalement raison.
Petite maligne, pensai-je.
Moi : Bien joué, monsieur Phelps !
Je tapai de nouveau à vitesse grand V.
Moi : Je veux dire mademoiselle Phelps, toutes mes excuses.
Bethany : Excuses acceptées.
Je souris comme un idiot.
Moi : On pourrait difficilement vous confondre avec un homme.
Je relus mon message deux bonnes fois avant d’appuyer sur la touche envoi. Non, je ne flirtais pas ! Ce
n’était qu’une plaisanterie innocente. Mais je dus bloquer des visions dérangeantes : sa bouche couleur
cerise, ses seins moulés dans ses petits hauts, ses fesses mises en valeur dans ses jeans peints sur sa
peau. Une bouffée de chaleur me fit gigoter sur mon tabouret et ma queue fit des siennes. Merde…
De son côté, elle mit elle aussi quelques longues secondes avant de me répondre.
Bethany : J’en suis soulagée, monsieur Hunt.
Bombe désamorcée. Je revins illico sur un terrain moins miné.
Moi : Dis-moi, combien de fois tu as regardé Top Gun, son premier film ?
Bethany : Top secret !
Un autre gloussement (vraiment flippant) s’échappa de mes lèvres.
Bethany : Faut quand même reconnaître qu’il était hot, plus jeune !
Je souris, alors que ma poitrine semblait gonfler tel un ballon prêt à s’envoler dans les airs. Dans
quelques secondes, j’allais flotter en lévitation. Je me sentais… subitement mieux. Tellement mieux. Un
euphémisme ! Je n’avais pas assez de volonté pour ignorer cette impression. Ses messages me faisaient
un bien fou après des jours et des jours… de silence.
Moi : Son ex aussi ! Elle l’est toujours, d’ailleurs.
Bethany : Qui ? Katie Holmes ?
Moi : Nan, Penelope Cruz !
Je ne pus résister à la tentation de rajouter un truc, digne d’un lycéen.
Moi : Avec un nom pareil, normal qu’elle soit hot…
Là, elle mit beaucoup plus de temps pour répondre. Aucun doute. Mon sang se mit à tambouriner sous
mes tempes, sans raison. Sa réponse apparut enfin… et pas un roman ! Un seul mot et un foutu smiley !
Bethany : Joker ;)
Merde, ça veut dire quoi, ça ? Comme un blaireau, mon cerveau se précipita vers un tas de possibilités,
avant que je n’enraye violemment ces délires. Mon cœur accéléra sa course.
Bethany : Hey, faut que j’y aille, je te tiens au courant pour la déco.
Je sentis une pointe de déception m’envahir. J’aurais voulu prolonger ce moment.
Moi : OK ! À plus…
Bethany : À plus, bonne fin de semaine…
Immobile, je regardai mon téléphone et relus les messages qui m’arrachèrent de nouveau un sourire. Je
restai une nouvelle fois bloqué sur le fameux « Joker » avant qu’une voix derrière moi ne me fasse presque
voler au plafond.
— Eh bien, ça a l’air d’aller mieux, vieux.
— Hein ?
L’esprit encore à des miles de là.
— Je t’ai entendu rire jusqu’à la réception.
Je tournai brusquement mon tabouret vers Zack en mettant mon téléphone en veille. Ses yeux se
baissèrent vers ma main avant qu’il ne me lance d’un ton amusé :
— Une nana ? Un rancard ?
Puis il s’appuya contre le mur à côté de la porte, le regard impénétrable.
— Non… c’était un pote, répondis-je vaguement.
Il n’y avait rien de mal avec Bethany, mais je n’avais pas envie d’en parler.
— OK.
Pause. Mon corps se raidit, car je devinai que mon associé n’en avait pas terminé.
— T’avais l’air un peu off ces derniers jours, particulièrement aujourd’hui.
Danger. J’eus un haussement d’épaules dégagé.
— T’arrêtes pas de bosser, de caler des rendez-vous supplémentaires.
Je le coupai par un petit rire moqueur.
— Je prendrai quelques jours à Noël !
Zack me dévisagea en silence.
— Tu es sûr que ça va ? insista-t-il.
— Oui, je t’assure, répondis-je avec sérieux.
Je me levai de mon tabouret en jetant un coup d’œil à la pendule fixée au-dessus du chambranle.
— T’avais un truc à me dire ou tu t’inquiétais vraiment pour ma santé ?
— Les deux.
Je poussai un soupir.
— Sérieux, Zack, ça va ! Tu sais qu’un mec a toujours besoin de tunes, essayai-je de plaisanter, une
nouvelle fois.
Ma vanne eut l’effet inverse de celui recherché : il parut encore plus inquiet.
— T’as des problèmes de fric ? balança-t-il illico, prêt à dégainer sa carte bancaire.
— Non ! m’exclamai-je en levant mes mains, pour apaiser ses craintes par ce geste universel. J’ai pas de
problèmes de fric, je t’assure. On est juste en plein boum et tu sais qu’en janvier, ce sera beaucoup plus
calme. J’en profite.
Rassuré, il eut un hochement de tête.
— Mais t’en fais pas, j’ai bien l’intention de rattraper toutes ces heures en prenant une semaine de
vacances avant la fin de l’année.
— OK, pas de souci pour moi. Hé, on pourrait s’organiser un week-end de ski, toute la bande ? ajouta-t-il
avec un sourire.
L’idée me botta. Cela faisait une paille que je n’avais pas dévalé une piste.
— Ouais, je suis partant ! Ryder aussi, c’est certain. J’en parlerai à Knox.
— Alors, ça avance pour son anniversaire ? demanda-t-il, bien sûr.
Je me surpris à répondre très prudemment :
— Il reste quelques détails à voir pour la déco de la salle. Mais tout est dans la boîte. Je dois juste
encore rencontrer le DJ une dernière fois.
— Super.
Avant qu’il ne puisse continuer sur ce sujet qui était devenu sensible ces derniers temps – la faute à une
petite blonde –, j’enchaînai.
— Alors, tu voulais me parler d’un autre truc ?
Il acquiesça avec un sourire.
— Oui, Shaun vient passer le week-end prochain à New York. Je voulais organiser une bouffe entre nous
et on pourrait peut-être aller faire un billard au Nine ?
— Oui… pas de problème. Ça me fera plaisir de voir ton frangin.
C’était un chouette gars. Ça faisait un sacré bout de temps que je ne l’avais pas vu. Durant l’été, il avait
travaillé dans une petite station balnéaire de la côte Est pour se faire du fric. Du coup, il n’était pas
rentré à New York et Zack avait été lui rendre visite quelques jours. Il allait crécher chez son frère, c’était
certain, l’ambiance familiale se révélant très pesante depuis que leurs parents avaient appris que Shaun
était gay. Oh, ils ne l’avaient pas jeté à la porte comme cela arrivait malheureusement à bien trop de
jeunes qui avaient le courage de faire leur coming-out auprès de leur famille. En vérité, ce n’était pas des
gens cruels, loin de là, mais la pilule avait apparemment du mal à passer. Particulièrement chez leur père.
— Tu en parleras à Knox et Jailyn ? Depuis le temps que mon frère veut rencontrer la nana qui a mis à
genoux notre pote.
Je ris.
— D’accord !
— Je l’appellerai aussi, mais tu peux déjà lui en toucher un mot. J’ai contacté Ryder.
Son regard se fit plus pénétrant.
— Il m’a dit que vous ne vous étiez pas beaucoup vus ces dernières semaines, à part pour une soirée
jeux et un billard au Nine.
— J’étais un peu crevé. On commence à se faire trop vieux pour ce genre de choses, lâchai-je avec un
clin d’œil.
J’ignorai la petite voix dans mon crâne qui me rappela avec une limpidité à grincer des dents que je
n’avais pas touché une fille depuis notre sortie au night-club.
Zack eut un reniflement ironique.
— Tu me diras, je suppose qu’il n’est pas toujours facile de suivre Ryder quand il est en grande forme.
En réponse, je rigolai.
— Tu penses que ton frère pourrait venir à l’anniversaire de Knox ? demandai-je soudain.
Il secoua la tête.
— Je ne pense pas. Ça lui fait un peu trop de frais dans le trimestre et tu sais comment il est question
argent.
Shaun n’aimait pas que Zack le prenne en charge.
— D’après ce que j’ai compris, il sera en plus au milieu de ses partiels, début décembre. Et ce n’est pas
de la tarte. Mais il nous en dira plus, le week-end prochain.
— OK.
— Bon, j’ai mon dernier rendez-vous.
Il se tourna à moitié.
— Hé, Cruz, ralentis tout de même un peu le rythme. Je ne veux pas d’un burn-out d’ici la fin de l’année.
— Ouais, papa.
Avec un sourire, il me fit un doigt d’honneur que je lui rendis. On était OK.

Le soir même, je croisai Knox dans la cuisine où il se servait un café dans son mug habituel. J’entrai
dans la pièce.
— Hey, mec !
Il me jeta un coup d’œil par-dessus son épaule.
— Salut, vieux !
— Zack va t’appeler. Son frangin vient passer le week-end prochain à New York. Il veut organiser une
petite bouffe entre nous et peut-être après un billard au Nine.
Knox se tourna et appuya son cul contre le rebord du comptoir.
— Ça marche, je préviendrai Jailyn. Elle sera vraiment contente de le rencontrer.
Il marqua une pause avant de lancer tout de go :
— On s’est pas beaucoup vus ces derniers jours.
Putain, il s’y mettait lui aussi ! Il avala une gorgée de café.
— J’avais pas mal de rendez-vous, répondis-je d’un ton naturel.
Ses yeux me dévisagèrent, et je me servis à mon tour un café pour éviter de croiser son regard
scrutateur.
— Ça devrait se calmer, rajoutai-je, luttant toutefois contre un léger malaise.
Masquant ma nervosité, je me dis en moi-même que j’allais devoir peut-être freiner un peu au boulot, vu
les réactions que mon attitude suscitait dans mon entourage proche. J’avais été si emprisonné dans mes
pensées tumultueuses que j’avais oublié à quel point mes potes pouvaient être perspicaces.
— Je suis content que ça marche du tonnerre, lâcha-t-il finalement avec un sourire.
Soulagé, je bus une gorgée de café qui m’arracha une grimace.
— Il faut dire à ta petite nana de le faire plus fort.
— Elle le fait comme j’aime.
— Ah, ah ! rétorquai-je d’un air sarcastique.
Au même instant, la porte d’entrée claqua dans un bruit sourd et des pas s’approchèrent de la cuisine.
Knox était déjà dans les starting-blocks pour accueillir sa gonzesse.
— On parle de moi ? dit Jailyn d’une voix amusée en apparaissant dans l’encadrement de la porte.
Knox était déjà sur elle (littéralement !). Les yeux de Columbia, couleur noisette, s’illuminèrent devant
le messie incarné. Je retins un soupir. Mon pote l’attira dans ses bras et lui roula une pelle comme s’il ne
l’avait pas vue depuis des lustres. J’avais pourtant l’habitude de leurs papouilles, mais cette fois-ci, mon
estomac se métamorphosa en un nœud qui m’obligea à me tourner rapidement pour vider ma tasse d’une
traite avant de la rincer. Cela m’occupa les mains et l’esprit. Généralement, je n’avais aucun problème à
les voir y aller franco, mais à cette minute, je me sentais plus que bizarre, ce poids dans la poitrine faisant
son grand retour.
— Salut, Cruz, entendis-je d’une voix essoufflée.
Par-dessus une épaule, je balançai un habituel :
— Salut, Columbia.
D’un ton blagueur.
— Ça gaze, la fac ?
— Oui, merci, et toi ?
Du coin de l’œil, je vis que le bras de Knox avait glissé autour de sa taille à sa façon possessive. Jailyn se
colla contre lui d’un mouvement si naturel, instinctif, que c’en était…
Je ne trouvai pas mes mots. Une chose était sûre : une feuille de cigarette n’aurait pas pu passer entre
eux quand ils étaient dans la même pièce.
— Ça va ! J’étais juste en train de dire à Knox que Shaun venait samedi prochain rendre visite à son
frère. Zack veut organiser une petite bouffe entre nous.
Elle sourit avec enthousiasme.
— Génial, samedi prochain ?
Elle parut réfléchir.
— Oui, lui confirmai-je de nouveau.
— OK. Je m’arrangerai avec Erin au boulot.
Une remarque qui me fit me retourner complètement vers eux.
— Tu veux qu’on aille ailleurs ? Passer une soirée libre sur ton lieu de travail, c’est peut-être pas génial
pour toi ?
Knox baissa les yeux vers elle.
— Ça t’embête, ma puce ?
Elle agita les doigts en l’air.
— Nan, il n’y a pas de souci. J’adore l’ambiance du Nine. Et je pourrai enfin écouter le groupe qui se
produit sans être dérangée.
Elle se tourna vers Knox qui posa ses mains sur les hanches de sa moitié. Toujours collés l’un contre
l’autre.
— J’ai eu ma mère tout à l’heure. Ils voudraient venir à New York nous rendre visite début novembre.
Tiphaine ne peut pas les accueillir chez elle, mais je me suis dit qu’ils pourraient coucher dans ma
chambre, chez Holly…
Je vis l’ouverture, énorme, se profiler au loin. Avant que je ne puisse comprendre cette impulsion, les
mots suivants sortirent de ma bouche :
— Hé, ils peuvent passer le week-end ici. Je peux leur prêter ma piaule.
Jailyn se tourna vers moi, le visage surpris.
— Je te promets que je changerai les draps, continuai-je avec ironie. Elle sera clean.
En réalité, mes draps étaient nickels, étant donné que mon lit ne connaissait pas beaucoup d’action,
voire pas du tout en ce moment, même pas de simples branlettes. Autant dire que c’était déroutant. Plus
que ça, en vérité. La fatigue n’en était pas la seule cause. La raison était peut-être une peur profonde : où
mes pensées pourraient-elles m’entraîner si j’astiquais ma queue ?
Franchir une ligne rouge… Valait mieux ne pas y penser.
Tout était déjà assez compliqué comme ça ; pas la peine d’en rajouter une couche, avec l’inaction de ma
bite. Mais ça ne m’était jamais arrivé. La voix de Jailyn me sortit de cette impasse dangereuse.
— Ta chambre est toujours clean, Cruz.
Cela me fit plaisir qu’elle l’ait remarqué. À coup sûr, cette habitude provenait d’une déformation
professionnelle : j’étais obsédé par l’hygiène, un élément important dans le métier de tatoueur.
— Et je te promets de planquer tout ce qui pourrait être choquant pour tes parents.
À commencer par le lubrifiant, et les trente-six mille genres de capotes dans ma table de chevet, par
exemple.
Elle s’esclaffa.
— Tu es sûr que cela ne te dérange pas ?
— Certain !
— Tu iras crécher chez Ryder ? demanda Knox.
Je secouai la tête.
— Non, j’irai passer le week-end chez mon oncle. Ce sera une bonne occasion pour passer un peu de
temps avec lui.
Mon oncle qui habitait près des Fowler, dans le même quartier. D’une petite blonde, plus précisément.
Cette pensée ironique, je lui donnai un coup de pied pour la foutre dans un coin de mon cerveau.
— Ça lui fera plaisir.
Knox sourit.
— C’est cool, mec. Merci.
— Merci, Cruz, renchérit Jailyn, c’est vraiment sympa de ta part.
Je balayai leurs remerciements d’un geste de la main. Ma proposition n’était peut-être pas dénuée
d’arrière-pensées (si je voulais être honnête avec moi-même), mais cela me faisait plaisir de leur rendre
service.
— Tu profiteras mieux de tes parents ici, avec ta frangine.
Je m’avançai vers la porte pour aller prendre une douche. Mes doigts puaient le désinfectant. Je
m’arrêtai à leur hauteur.
— Hé, n’oubliez pas que les murs ne sont pas si épais que ça. Ne les traumatisez pas.
Jailyn gloussa, les pommettes toutes roses. Avec le plat de ma main, je tapai sur les abdos de Knox qui
poussa un grognement en se pliant légèrement.
— Mec, tu la gardes dans ton froc, ce week-end-là, plaisantai-je.
Jailyn devint encore plus rouge. Ah, je ne m’en lassais pas !
— Trop drôle, rétorqua Knox avec sarcasme.
Je les dépassai et me tournai vers eux sur le seuil de la cuisine, avec un air innocent qui fit rétrécir les
yeux de mon pote, méfiant.
— Tu as l’intention de la demander en mariage à ses parents ?
Je n’avais pas pu résister à cette boutade ! Jailyn ouvrit la bouche, la referma, l’ouvrit de nouveau pour
balbutier un truc incohérent. Knox, lui, me fixa avec un sérieux qui me déstabilisa.
— Tu lis dans mes pensées ?
— Hein ? m’exclamai-je, en restant comme deux ronds de flan.
Columbia leva brusquement le visage vers lui, stupéfaite. Il lui sourit d’un air idiot.
— C’est encore un peu trop tôt, ma puce.
Du pouce, il lui caressa la joue.
Putain, il avait failli m’avoir, l’enfoiré ! Columbia le contempla avec une expression éblouie, comme si
Knox lâchait des étoiles chaque fois qu’un mot sortait de sa bouche. Leur regard devint si guimauve que
je levai les yeux au ciel.
— Pitié, je crois que je vais vomir si je continue à vous regarder.
Soudain, une illumination jaillit dans mon esprit et, en me tournant d’un mouvement étudié, ni trop vite
ni trop lentement, je balançai :
— Dites-moi si je dois déjà aller commander des roses.
Jailyn rétorqua du tac au tac.
— J’adore les œillets blancs.
Bingo !
— Noté, répliquai-je avec un petit clin d’œil par-dessus mon épaule.
Je dus me forcer un peu à la sortir celle-là, parce que ces deux-là, ce qu’ils vivaient ensemble
commençait à me faire sacrément envie dans une partie de mon être, inconnue jusqu’alors. Bien sûr, deux
prunelles bleues apparurent devant ma tronche alors que je me dirigeais vers ma chambre.
Une fois ma douche prise, un plat avalé, je m’allongeai sur mon lit et ne pus attendre le lendemain
(histoire d’avoir aussi ma dose de Bethany demain, ça aurait été bien) pour lui texter la réponse. J’avais
envie de la contacter, maintenant, avec une intensité à faire peur, à me barrer sur la planète Mars, le plus
loin possible !
Moi : Œillets blancs !
Bethany : ?
Moi : Jailyn adore les œillets blancs.
Bethany : Oh, mon Dieu, tu as réussi ?!!!!
Son excitation m’amusa.
Moi : Yep, et sans le concours de Ryder.
Encore un peu et j’allais frapper mes poings sur mon torse. Fier comme un paon. Ridicule.
Bethany : Génial… Comment tu as fait ? Knox n’était pas là ?
Euphorique, je tapai sur les touches, le dos à moitié appuyé sur mon oreiller, contre la tête de lit.
Moi : Si…
Bethany : Rassure-moi, tu n’as pas un coquard ?
Je ris.
Moi : Nope, j’ai assuré avec un savoir-faire digne des meilleurs.
Bethany : Ah, ah ! Il faudra que tu me racontes ça.
Quand elle voulait ! Maintenant, si elle le voulait ! Je pouvais foncer à Brooklyn. Mon esprit s’emballa et
pas qu’un peu.
Bethany : Félicitations, monsieur Hunt, mission accomplie.
OK ! Foncer à Brooklyn serait pour une autre fois. À quand une navette spatiale pour Mars ? J’en avais
de plus en plus besoin pour m’éloigner et ne pas me ridiculiser. Mes délires me firent soupirer, mais sa
réponse m’arracha un énième sourire.
Moi : Vous en doutiez, mademoiselle Phelps ?
Bethany : Pas une seconde.
Quelle mauvaise foi ! Je gloussai. Putain, ces gloussements devenaient un sérieux syndrome avec
Bethany ! Pour compenser, je me grattai les couilles. Pas fin, je le conçois. Mais j’avais besoin de
m’injecter une bonne dose de virilité.
Moi : Pourtant, vous m’aviez conseillé de m’adresser à Ryder.
Bethany : Je savais que mon conseil allait réveiller votre hargne de gagner.
Elle avait réponse à tout. Cela m’amusa.
Moi : Vraiment ?
Bethany : ^-^
J’aurais voulu continuer à converser pendant des heures, allongé sur mon lit. Je serais resté un temps
fou à contempler mon portable, à attendre ses reparties. Je commençais déjà à être accro à ses SMS. Un
ding m’avertit qu’un autre s’affichait sur mon écran.
Bethany : Désolée, je dois y aller. Jace vient d’arriver.
Jace… Ouais… Jace. Le petit copain ! N’oublie pas, Cruz !
Un boomerang qui me revenait en pleine gueule. Une réalité qui me saisissait entre ses tentacules
crochus. Mes doigts se crispèrent sur mon portable et je dus inspirer profondément avant de taper une
réponse d’une banalité merdique, mais elle avait le mérite d’être polie.
Moi : Bonne soirée.
Bethany : Toi aussi, Cruz.
Ouais… comme si, pensai-je soudain. La soirée allait être dure. Cette réflexion assaillit mon cerveau, me
figeant comme une momie. Dans la foulée, je passai une main nerveuse sur mon front avant de me
secouer rudement. Bon sang, il fallait que ça cesse ! Il fallait que je replace définitivement Bethany dans
la case qu’elle avait toujours occupée !
AMIE, BORDEL !
A.M.I.E ! Pas compliqué ! PAS COMPLIQUÉ, PUTAIN !!!
J’allais me le tatouer sur les rétines, pour ne pas l’oublier et le voir dès le réveil. Je pensai soudain à
Knox. Une bonne motivation ! Un bon stimulus ! Mais quelque part dans mon esprit, une voix s’éleva pour
me demander, dans un souffle, pendant combien de temps encore Knox, l’amitié que j’avais pour lui,
allaient faire rempart ? D’un geste brusque, je lançai mon portable sur le lit et me levai pour rejoindre ma
table de dessin. Durant toute la soirée, je m’évadai ailleurs, dans un autre monde, entre formes, couleurs
et textures. Le week-end, Ryder se pointa avec Enzo et River, et on se fit un marathon de jeux vidéo.

La semaine suivante s’écoula assez vite – pas trop étonnant, vu le rythme que je m’imposai. En bref, je
ne soufflai pas une minute, j’avais la tête dans le jus. Bien sûr, cela attira encore l’attention de Zack, mais
comme je n’étais pas particulièrement de bon poil, suite à certains échanges par SMS, je m’en fichai
comme d’une guigne. En milieu de semaine, je me mis toutefois un bon coup de pied au cul
(mentalement) pour chasser une mauvaise humeur qui n’avait pas lieu d’être. Néanmoins, je dus me faire
violence pour y arriver.
Je bannissais Bethany de mes pensées quand je revenais du taf ; en journée, la cadence de mes rendez-
vous faisait le reste. Le vendredi, je sortis au Nine avec Ryder, en mode chasseur. Rapidement, je repérai
au bar une petite gonzesse que je ramenai finalement à la maison. J’avais l’appart pour moi, Knox
pieutant chez Jailyn. Sur mon lit, la pêche de ma soirée chevaucha ma bite avec, de nouveau, des sons
dignes d’une actrice de film porno, mais qui m’excitèrent à peine (le même topo qu’avec la nana au club),
puis je la besognai. En vingt minutes chrono, tout était joué.
Rapide, mécanique…
Contrairement à mes habitudes, je lui fis comprendre sans fioritures qu’il était l’heure qu’elle dégage.
Très inhabituel de ma part, car il m’arrivait souvent de laisser mes coups d’un soir dormir dans mon lit
jusqu’au matin, avant de les raccompagner à la porte avec un sourire.
Plus enfoiré que ça, tu meurs.
Car à peine mes couilles vidées, j’eus envie de me débarrasser d’elle. Elle avait fait le boulot, je n’avais
plus l’impression que mes testicules pesaient une tonne. Mon cerveau, lui ? C’était une autre histoire.
Mais je refusai de creuser au risque de voir revenir au galop ma mauvaise humeur. Un combat qui
devenait en vérité épuisant. Elle partit, les lèvres pincées, après avoir commandé un Uber.
J’avais rarement traité une fille ainsi. D’ailleurs, je ne me souvenais pas l’avoir fait, même durant ma
période ado, jeune et con. Mais bon, à partir du moment où ces nanas acceptaient de suivre un quasi-
inconnu, c’était leur problème si les mecs les traitaient comme de la merde. OK, je venais officiellement
de basculer dans le camp des « salauds de première », m’insulta ma conscience à laquelle je fis un beau
fuck.
Le samedi cependant, je me sentais mieux après cette partie de baise, même si ça n’avait pas été
transcendant. Les bruits qui étaient sortis de la bouche de la fille en étaient sûrement la cause, me dis-je
une nouvelle fois avec une volonté qui aurait pu être risible si j’avais été d’humeur. Je n’étais pas adepte
des mauvaises imitations, trop forcées. Rien à voir avec… autre chose. J’étais certain qu’avec la prochaine
nana, ce serait le feu d’artifice. À force de me le répéter, j’arrivai à y croire.
En soirée, je me retrouvai dans l’ascenseur à déconner avec Ryder, alors qu’on grimpait au sixième
étage pour se rendre chez Zack.
— Alors, Enzo a dû repousser son rendez-vous avec toi ?
— Oui, il a eu des frais imprévus avec sa voiture, répondis-je.
— Ouais, c’est pas toujours simple la vie d’étudiant fauché.
— Pas grave, on l’a repoussé mi-novembre. Je lui ferai un prix intéressant.
— C’est sympa, mec, répliqua Ryder en me donnant une tape sur l’épaule.
Sur ce, la cabine s’ouvrit et on se dirigea vers une porte dotée d’une plaque en cuivre affichant le
numéro 6 C. À la première sonnerie, Zack apparut, un sourire aux lèvres. Il me scruta d’un air qui
indiquait clairement que j’allais y avoir droit. À quoi ? J’allais le savoir dans quelques petites secondes.
— Ryder m’a dit que tu avais trouvé ton bonheur au Nine, hier soir ! Tu te sens mieux ?
Je poussai un grognement.
— Putain, vous faites chier, les mecs !
Ryder s’esclaffa. Je le fixai, les pieds plantés au sol.
— Tu m’espionnes ?
— Bah, il m’a demandé par texto si tu avais passé une bonne soirée.
Bon sang, quel papa poule !
— Oui, j’ai baisé ! Et c’était le pied, mentis-je en m’adressant à Zack.
Soudain, une pensée surgit dans mon esprit et je braquai de nouveau mes yeux sur Ryder.
— Au fait, tu ne m’as pas dit pour Jacinta ?
Ça m’était complètement sorti de la tête et, de son côté, il n’avait plus abordé le sujet. Il leva son pouce
avec, sur le visage, l’expression du mec qui a atteint le paradis. Surpris, je haussai les sourcils, pris de
court.
— Non, tu l’as fait ? Tu te l’es tapée avec ce mec ?
— Yep ! Il n’y a pas longtemps. Je te raconte pas ! s’exclama-t-il.
OK ! Je crois que Ryder était le pire de nous tous, finalement !
— Jailyn, bouche-toi les oreilles, c’est le moment, fit une voix provenant du salon.
Knox !
Les tourtereaux étaient déjà là.
— Shaun, toi aussi, renchérit Zack alors qu’il s’écartait pour nous laisser passer.
Le rire reconnaissable de Columbia me parvint. La pauvre, elle commençait à être ferrée avec la bande !
Je captai un autre rire familier. Avec un large sourire, j’allai à la rencontre de Shaun qui venait de lever
les yeux au ciel dans le dos de son frangin. Amusé, je m’avançai vers lui. Il y avait un air de ressemblance
entre eux. À un ou deux centimètres près, ils étaient de la même taille. Par contre, ses cheveux étaient
plus blonds que ceux de Zack, le style « décoiffé » et branché avec une raie sur le côté et des mèches de
sa frange qui tombaient sur sa joue droite. Un style d’ailleurs qui lui allait bien, il n’y avait pas photo ! Au
niveau corpulence, il était élancé, plutôt finement musclé.
— Salut, Cruz ! lança-t-il, un grand sourire plaqué sur ses lèvres.
— Dis, t’as encore grandi, toi.
Il s’esclaffa avant qu’on ne s’étreigne comme des frères.
— T’as l’air en pleine forme, mec, enchaînai-je.
— Ça va ! Comme la majorité des étudiants, je suis fauché, je croule sous les dossiers que je dois rendre
pour… bientôt, mais sinon, tout va bien.
Je ris à mon tour alors que Ryder arrivait à notre hauteur. Le regard pétillant, Shaun lui fit un hug d’un
bras :
— Hé, Ryder, en forme, comme toujours !
— Ça va, beau gosse ?
— Ça roule. Et toi, les cours ?
Ryder loucha, à se plier de rire.
— Comme toi, j’ai un tas de trucs à faire… mais pour hier.
— Apparemment, ça ne t’empêche pas de bien en profiter, rétorqua Shaun d’un ton amusé, se référant à
ce qu’il avait capté à notre arrivée.
— Putain, Shaun, si tu n’étais pas de l’autre bord, je te filerais son numéro !
— Bon sang, les mecs, j’espère que vous mettez des capotes avec tout ce que j’entends sur cette nana,
intervint Zack.
Ryder roula les yeux au ciel.
— Je ne suis pas débile !
Zack me fixa également. Aussitôt, je levai les paumes en l’air en un geste défensif.
— Hey, ça fait un bout de temps que je ne l’ai pas vue.
Et je n’avais vraiment pas l’intention de la revoir. Mais ça, je le gardai pour moi.
— Et je sors toujours couvert, ricanai-je.
— Qui veut une bière ? lança Knox de la cuisine.
Son intervention : une bénédiction.
— Moi ! répondirent tous les mecs d’une même voix.
Shaun se tourna vers Jailyn en souriant.
— On en était où avant qu’ils n’arrivent ?
— Que tu avais une certaine ressemblance avec Jordan Barrett, grommela Knox qui était revenu dans le
salon.
— C’est qui celui-là ? jeta Ryder, les sourcils froncés.
Pareil ! Je n’en avais aucune idée.
— Le mec de la pub Paco Rabanne, lâcha Columbia. J’adore cette pub. Et pour une fois qu’on n’a pas
une nana à poil qui a un orgasme dès qu’elle met quelques gouttes de parfum !
Sa remarque provoqua un éclat de rire général. Amusé, Knox s’approcha de sa moitié et l’embrassa sur
la tempe. Quant à Ryder, il sortit son portable de la poche de son jean pour chercher sur Google ce Jordan
machin chose. Subitement, je me demandai si Bethany bavait aussi sur lui. Apparemment, il plaisait aux
gonzesses.
— Toutes les nanas adorent cette pub, le style, la musique et Jordan Barrett est vraiment canon.
Ouais, confirmé, il émoustillait bien les gonzesses. Je repoussai Bethany aux confins de mon cerveau,
mais je me penchai vers le smartphone de Ryder pour voir la tronche du mec.
— Ah ouais… c’est vrai que les cheveux... c’est le même bazar, répondit Ryder avec son tact
légendaire… et qu’il y a un petit air.
Shaun éclata de rire avant de faire un clin d’œil à Jailyn.
— Si je pouvais gagner autant que lui en me trémoussant comme ça devant une caméra… répliqua-t-il.
Elle s’exclaffa.
Cet échange fit sourire Knox. Visiblement, le feeling passait bien entre sa nana et le frère de Zack ; ce
qui ne m’étonnait guère, d’ailleurs.
— Alors, tu fais des études de webdesigner à Boston… embraya Columbia.
Il acquiesça d’un mouvement du menton et tous deux se mirent à discuter avec animation. Shaun était
un mec sympa, serviable. Cela se sentait d’emblée dès qu’on engageait la conversation avec lui. Il avait ce
truc inexplicable, attachant, même si, selon mon associé, il avait aussi connu ses périodes difficiles au
cours de l’adolescence, à se taper la tête contre les murs. Depuis qu’il avait démarré la fac, il paraissait
moins timide, plus sûr de lui, mieux dans ses pompes. Jailyn était déjà tombée sous son charme.
Après notre bière, on passa à table. Dans l’appartement flottait une bonne odeur provenant de la cuisine
moderne qui s’ouvrait sur un salon meublé avec goût : canapé d’angle panoramique, table basse et
quelques plantes apportant une touche de couleur. On s’installa autour d’une table ronde à côté d’une
fenêtre, près d’une bibliothèque remplie de livres de science-fiction et de fantasy soigneusement alignés.
Zack avait préparé des enchiladas qu’il sortit du four : la recette de mon oncle.
Je lui lançai un regard amusé lorsqu’il revint avec le plat.
— Je lui ai téléphoné du boulot, me dit-il avec un sourire en coin.
Il fit le service, aidé de son frangin. Puis, les mecs, on se jeta dessus comme si on n’avait pas bouffé
depuis des semaines.
— C’est délicieux ! s’exclama Jailyn à la première bouchée. Zack, il faudra que tu me donnes ta recette.
— C’est une recette de l’oncle de Cruz.
Elle me dévisagea d’un air surpris.
— Vraiment ?
— Yep, il adore cuisiner, répondis-je.
— Dis-moi, il a d’autres trésors culinaires comme ça ?
— Ça se pourrait, rétorquai-je lentement, le visage espiègle. Je suis prêt à négocier si tu me refais ton
gâteau au chocolat.
Elle eut un petit gloussement.
— Vendu.
— Et tes lasagnes… rajoutai-je.
Autant profiter de ma chance. Ses prunelles pétillèrent d’amusement.
— OK.
— Et…
— Stop ! intervint Knox en levant une main, ne tire pas trop sur la corde, Cruz.
Je croisai les yeux rieurs de Shaun.
— À ce que je vois, rien n’a changé, lâcha-t-il.
Quelques vannes fusèrent entre nous, puis on se mit à discuter à bâtons rompus. Shaun nous raconta
son job d’été. Quand Zack servit le dessert, je me rendis compte que je n’avais pas vu le temps passer.
Plus tard, on migra sur le canapé.
— Au fait, comment va Bethany ? demanda Shaun à Knox.
— Elle a démarré son école d’infirmière.
Je me raidis malgré moi, les oreilles toutefois grandes ouvertes. Je ne sais pas si je devenais parano,
mais il me sembla que Ryder jetait un coup d’œil appuyé dans ma direction. Quand je me décidai à
tourner discrètement la tête vers lui au bout de quelques longues secondes, je vis que son regard était
posé sur notre pote qui donnait des nouvelles de sa frangine.
— Il faudra qu’on l’invite, cela fait quelque temps qu’on ne l’a pas vue, intervint Jailyn.
Sans Jace, s’il te plaît, fut ma première pensée spontanée avant d’entendre la réponse de Knox.
— Elle m’a appelé.
Ah bon ? Quand ? J’étais où ?
Des réflexions dérangeantes qui me firent grincer des dents.
— Je dois la rappeler. On essayera d’organiser ça, sinon on pourra passer chez ma mère un samedi pour
la voir.
Columbia hocha la tête.
Puis, j’écoutai avec un stoïcisme impressionnant les questions que Shaun posa ensuite sur Bethany : la
fac, son job au resto, entre autres. Quelque part, j’étais conscient qu’en temps normal, je serais intervenu
en déconnant sur la petite sœur de mon pote. Mais là, pas moyen ! Et quand ils abordèrent le sujet
sensible « Jace » (très brièvement, heureusement !), mes mains, d’elles-mêmes, se crispèrent autour de
ma tasse de café. Dans la foulée, il me sembla sentir une nouvelle fois le regard de Ryder se diriger vers
moi ; mais cette fois-ci, je ne me débinai pas et tournai la tête pour le fixer droit dans les yeux, avec un air
« c’est quoi ton problème ? ». Soulagé, je vis qu’il me répondait par un simple haussement d’épaules, puis
il recommença à s’intéresser à la conversation.
— Et Chase ? Il travaille bien au « Crack » depuis quelques semaines… continua Shaun.
Enfin ! Le danger s’écartait. Pas sûr que j’aurais supporté quelques secondes de plus d’entendre les
prénoms « Jace » et « Bethany » dans la même phrase. La tension au niveau de mes épaules se relâcha
doucement.
— Le « Crack » ? s’étonna Columbia.
— C’est le surnom que nos clients donnent au studio depuis quelque temps, expliqua Zack.
Elle comprit sans qu’on n’ait besoin de lui en dire plus.
— C’est original ! s’exclama-t-elle. C’est la contraction de vos prénoms, doublée d’un adjectif qui est une
belle reconnaissance de leur part.
Zack sourit.
— Ouais… on le kiffe à mort.
— On réfléchit pour le rajouter sur la vitrine, précisai-je.
— Ce serait génial, lâcha Shaun avec une lueur de fierté dans ses yeux. Vous le méritez vraiment.
Son frère lui fit un high five.
— Merci, frérot.
Et j’en fis autant.
— Merci, mec.
La soirée se termina sur la même note, entre rigolades et conversations plus sérieuses. On oublia même
le billard et le Nine. Au moment de partir, je demandai à Shaun :
— Alors, quand est-ce qu’on te revoit ?
— Je reviendrai pour les fêtes de fin d’année ! Je ne pourrai pas avant, souffla-t-il plus bas.
Je compris que Zack lui avait parlé de l’anniversaire de Knox, début décembre. Je lui tapai sur l’épaule
d’un geste qui lui fit piger qu’il n’y avait pas de mal.
— On essayera de se faire une sortie, un karting si tu veux ? Ce week-end, c’était un peu court pour en
organiser un.
Son visage s’illumina.
— Super, ce serait cool !
Jailyn s’approcha et il se tourna vers elle pour la serrer spontanément dans ses bras.
— J’ai été ravi de te rencontrer, Jailyn.
— Moi aussi, Shaun. On aura l’occasion de se revoir, répondit-elle avec ce sourire et cette lueur
lumineuse dans ses yeux noisette qui rendaient mon pote gaga.
— Avec plaisir.
Illico, deux prunelles bleues se matérialisèrent devant moi. Je clignai des paupières d’un coup sec pour
les faire disparaître. Oh, non… ce n’était pas le moment, alors que Knox s’approchait vers nous.
— Allez, vieux, bon courage pour la suite, lâcha Ryder.
— Toi aussi.
Je fis un dernier check à Shaun avant que Zack nous accompagne à la porte.
— On se voit lundi, mec.
— Ça roule, répondis-je.
Ryder me déposa chez moi. Plus tard, j’entendis à peine les tourtereaux rentrer à leur tour. Fatigué par
une semaine intense, je m’endormis comme une masse.
Chapitre 10

Bethany

Depuis ma dernière rencontre avec Cruz, les journées se succédaient selon la même routine entre les
cours, les devoirs et mon job au resto. Une rencontre qui me semblait remonter à une éternité ! Le pire ?
Je n’essayais même plus de lutter contre cette sensation dérangeante, comme les fois précédentes.
Notre dernier contact avait été ces fameux SMS qui dataient du jour où il avait découvert les fleurs
préférées de Jailyn. Il m’était arrivé (et beaucoup trop de fois !) de les relire telle une junkie en manque,
alors que son silence radio creusait un vide de plus en plus profond dans ma poitrine. J’avais aussi
regardé (et un certain nombre de fois également !) les photos que j’avais prises lorsqu’il m’avait
emmenée dans cette galerie d’art de Brooklyn : un moment magique doublé d’une belle complicité entre
nous.
Il me manquait. Nos rencontres me manquaient.
J’avais adoré déambuler avec lui sur la plage ; rire avec lui ; discuter avec lui ; aller au resto avec lui ;
visiter cette galerie… avec lui. Chaque minute en sa compagnie avait été un bonheur total.
Pathétique ?
J’avais dépassé ce stade, à présent.
Plus les jours s’écoulaient avec une lenteur infinie, plus je faisais de nouveau face à cette vérité crue
que j’avais tenté de contourner il y a quelques semaines, forte de mes certitudes concernant Jace. Quand
une nana pensait beaucoup plus à un autre mec qu’à son propre petit ami, c’était tout simplement…
inadmissible. Qu’est-ce que je racontais donc ?! C’était horrible ! Injuste pour le petit copain en question.
En fait, je ne savais pas si j’avais été stupide de me voiler la face avec Jace. Honnêtement, je ne le pensais
pas, car il méritait vraiment une chance. Mais j’aurais dû mettre un terme à cette situation bancale si
j’avais accepté d’entendre les signaux d’alarme en moi.
J’avais de l’affection pour lui. Pas de doute.
Toutefois, ce sentiment ressemblait à celui que j’éprouvais pour Knox, Ashley, Chase, Jailyn. Je n’étais
pas amoureuse de lui ; c’était la grosse différence que j’avais ignorée durant toutes ces semaines.
D’ailleurs, notre dernier rendez-vous me l’avait encore démontré. Avant cette rencontre, j’avais même
prétexté un tas de boulot et de la fatigue pour éviter parfois de me retrouver en tête en tête avec lui. Et
ce soir, quand il avait de nouveau tenté de pousser les choses plus loin, mon corps s’était totalement
bloqué. Une nouvelle fois. Pire encore ! Il n’avait pas pu aller plus loin que des caresses sur mes seins. À
présent, il était temps que j’affronte la vérité et que je prenne enfin la décision de faire ce qu’il y avait de
mieux pour Jace.
Le problème, c’était moi, pas lui !
Un cliché affolant, bien souvent repris dans les livres. Pourtant, c’était la réalité ! Il ne méritait pas une
fille comme moi, qui bavait dans son dos sur un type intouchable. Il méritait beaucoup mieux. Encore une
fois, j’aurais sincèrement voulu que cela fonctionne entre nous. Vraiment !
J’avais lutté pour y parvenir !
Mais c’était ça également le cœur du problème…
Une fille ne se battait pas contre elle-même pour se forcer à penser à son mec, le vrai. Une fille ne se
battait pas pour éviter qu’un autre n’envahisse constamment son esprit. Une fille ne se battait pas pour
prouver que son petit copain n’était pas un second choix. Et j’aurais pu en rajouter. Pourtant, c’est ce
qu’il m’avait fallu faire lorsque Cruz était réapparu.
Jace était adorable ! Je n’avais pas assez de mots pour dire à quel point il était hot, intelligent, amusant.
Le rêve de toutes les filles. Mais là aussi, si je voulais être honnête – et je lui devais bien ça –, mon
cerveau l’avait trompé plus de fois que je n’aurais pu les compter. Inconsciemment, certes. Cependant, le
résultat était le même !
Hors de question que je cherche des échappatoires.
La honte me submergea soudain au point de me faire suffoquer. Cruz n’était pas un petit fantasme
innocent dont je pouvais m’accommoder en prétextant qu’il n’y a rien de mal à fantasmer. À mon sens,
c’était même plutôt sain, humain, à condition que l’objet du fantasme reste une chimère inatteignable,
reléguée dans la case appropriée.
Rien de tout ça avec Cruz ! Oh non, mon esprit et mon cœur me le hurlaient à tue-tête ! Alors, il était
temps une bonne fois pour toutes que je prenne mes responsabilités, même si j’étais consciente que
j’allais faire du mal à un garçon formidable ; d’ailleurs, le chagrin m’étouffait déjà. Mais je n’avais que
trop tardé. Je sentais déjà les conséquences, à quel point Jace allait me manquer, terriblement ; car le
supplier de rester amis en prétextant « le problème, c’est moi, pas toi » serait lui jeter une insulte en
pleine face. Jamais je ne lui ferais subir ça.
Une chose était certaine : je ne pouvais plus reculer.
Ma pause au resto allait s’achever dans quelques minutes, je pris mon portable en inspirant
profondément.
Moi : Hey, on peut se voir dimanche ?
Il fallut quelques minutes avant que Jace ne réponde. Je regrettai le « hey » qui me sauta méchamment à
la figure, vu la raison de mon SMS. Je fixai l’écran à en avoir mal aux yeux, la respiration difficile.
Jace : Je prévoyais de passer.
Mon cœur se serra tandis que des larmes commençaient à me brûler les paupières. Bon sang, j’espérais
vraiment qu’il trouverait une chouette fille ! Je me détestais davantage à chaque seconde. Je voulus
rajouter une phrase comme « j’ai besoin de te parler » pour préparer le terrain, mais je m’abstins.
Moi : OK.
Jace : Je viendrai vers trois heures.
Moi : D’accord, à dimanche.
Jace : ☺
Cette fois, le smiley attendrissant me broya le cœur. Une larme s’échappa du coin de mon œil. Je
l’essuyai rapidement de peur qu’une collègue ne le remarque, avant de glisser mon téléphone dans mon
sac pour le ranger de nouveau dans mon vestiaire. La vie était compliquée.
Pourquoi ne pouvait-on pas tomber amoureux de la bonne personne ? Est-ce que j’arriverais un jour à
me débarrasser de mes sentiments envers Cruz, qui empoisonnaient mes relations avec les autres
garçons ? Mes yeux me brûlèrent une nouvelle fois. Il faudrait bien que je réussisse un jour à aller de
l’avant.
Je me sentais mentalement fatiguée et dans un état tel qu’il valait mieux pour le moment bannir les
mecs, et toute tentative de lien en dehors d’une simple amitié. Pour autant, je n’allais pas finir au
couvent, mais j’avais besoin de faire une grosse pause.
Quand je revins dans la salle, je m’occupai tout de suite d’une table où trois étudiants avaient pris place.
Les deux mecs assis sur la banquette de gauche me lancèrent des regards équivoques. J’avais l’habitude
de me faire draguer – rien de méchant en général –, mais je n’étais pas d’humeur.
— Vous avez fait votre choix ? demandai-je.
Je regardai vers la droite et fixai le troisième garçon, visiblement plus timide que ses comparses. Il
rougit devant ses potes hilares. Je restai naturelle pour ne pas le mettre mal à l’aise, me forçant à lui
sourire avec gentillesse. Le pauvre n’était déjà en rien responsable de mon état émotionnel et les gars
réservés éveillaient toujours en moi un petit instinct protecteur.
— Oui, ce… sera un hamburger pour moi, répondit-il.
— Et l’accompagnement ?
Je pris sa commande complète puis celle de ses compagnons.

Le dimanche, j’en avais gros sur la patate. Lorsque Jace sonna à la porte à quinze heures comme prévu,
j’étais seule dans la maison. Une aubaine. Ma mère travaillait alors que Chase était parti voir un copain.
J’ouvris, le cœur dans la gorge. Jace, souriant et sexy, me faisait face sur le perron, les cheveux ébouriffés
par le vent d’automne. Vibrant, splendide. Mes résolutions vacillèrent durant une fraction de seconde
avant que je ne me reprenne.
— Salut…
— Salut, répondis-je d’une voix faible.
Il se pencha pour me donner un léger baiser sur les lèvres. Plantée dans le hall, luttant contre une
sensation d’étouffement, je me sentais vraiment mal.
— Ça te dirait d’aller te balader jusqu’au square ? proposai-je tout d’un coup.
J’avais besoin de prendre un gros bol d’air pour remplir mes poumons qui semblaient avoir rétréci.
— Oui…
D’un geste rapide, j’attrapai mon manteau demi-saison, pendu sur le mur à ma droite, et on se retrouva
bien vite dehors. En chemin, je plongeai mes mains dans mes poches pour éviter que Jace, qui marchait à
ma cadence, ne faufile ses doigts entre les miens. Au bout de la rue, il y avait un petit square avec des
bancs. Les dieux semblaient être avec moi, car il était désert.
J’étais restée silencieuse pendant le court trajet et Jace commençait à me lancer des coups d’œil
réguliers, son front barré d’un pli. La tension qui m’habitait grimpa un peu plus. J’avais l’impression
d’être un ressort à deux doigts de se rompre. On s’assit sur un banc près d’un arbre. Pendant une petite
seconde, j’écoutai le bruissement des feuilles au-dessus de nos têtes.
— Je voulais te voir pour te parler, Jace, annonçai-je d’une voix rauque.
Il resta silencieux sans bouger d’un millimètre, comme s’il se préparait inconsciemment pour la suite.
— L’autre fois, tu as dû te rendre compte que je n’étais pas… vraiment… pas… dedans… enfin que je…
J’ignorais pourquoi j’avais démarré par ce sujet. Je me mis à balbutier d’une façon lamentable, le regard
fuyant.
— Bethany… je t’ai dit...
— Non, je t’en prie, écoute-moi, Jace, suppliai-je soudain, trouvant le courage de plonger mes yeux dans
les siens.
Et je me détestai pour les mots que j’allais prononcer d’ici quelques secondes.
— Tu es un garçon génial, mais je ne suis pas la fille qu’il te faut.
Belle entrée en matière ! Mais de toute manière, rien ne pourrait amortir le choc. Je le vis se raidir alors
qu’une chape de plomb s’abattait sur le petit périmètre où se trouvait notre banc.
Une rupture, c’est tout simplement horrible. Ce n’est pas plus facile pour celle ou celui qui prend la
décision. Enfin, certains ne se compliquaient pas, larguant leur copine – ou leur copain – par un bref SMS.
Je connaissais des filles qui l’avaient vécu.
— J’ai beaucoup d’affection pour toi, mais…
Les paroles suivantes restèrent coincées dans ma gorge qui semblait avoir rétréci.
— Bethany… est-ce que tu es en train de rompre ? lâcha-t-il lentement, tandis que sa mâchoire
inférieure se crispait peu à peu.
Ses yeux, tels de véritables lasers, me fixaient ; les miens se mirent à briller dangereusement. Il dut
sûrement lire un début de réponse dans mon regard douloureux. Toutefois, je lui devais la vérité, bon
sang, et de vive voix ! D’un souffle, je lui dis :
— Jace, je ne suis pas amoureuse de toi.
À mes côtés, il se transforma en statue de sel.
— Tu es un garçon formidable, continuai-je. J’ai passé des moments géniaux en ta compagnie et j’adore
être avec toi, mais… cela ne pourra jamais aller plus loin… Je suis désolée.
Assourdissant fut le silence qui s’ensuivit. Lourd et terrible.
— Est-ce qu’il y a un autre mec ? demanda-t-il d’un ton enroué au bout d’un temps infini, le visage
complètement fermé. Est-ce que tu as rencontré un autre mec à Columbia ? Parce que si c’est ça, tu
pourrais être honnête…
— Non, protestai-je avec vigueur. Je t’assure que non. Il n’y a pas d’autre mec.
Et ce n’était pas un mensonge, me persuadai-je. Rompre avec Jace ne sous-entendait pas que j’allais me
précipiter chez Cruz pour lui avouer mes sentiments ou tenter de me jeter à sa tête. Jamais de la vie !
Donc, ce qui sortait de ma bouche n’était réellement pas un mensonge ! Je ne rompais pas pour Cruz. Je
rompais pour que Jace puisse rencontrer la fille qu’il lui fallait. Qu’il puisse aller de l’avant. Je sentais
cependant que je perdais pied. Une larme dévala sur ma joue.
— Quand on s’est rencontrés, tu m’attirais beaucoup. Je te trouvais sympa, canon, gentil… mais après
des semaines, je… je me suis rendu compte que je te considérais surtout comme un ami.
— Gentil, répéta-t-il, amer, un brin sarcastique, ami, enchaîna-t-il sur le même ton.
Je ne trouvais pas les mots adéquats. Je faisais tout de travers, mais il n’existe aucun mode d’emploi
pour une rupture.
Je vis dans ses yeux une blessure qui me terrassa.
— Jace…
Ma voix se brisa. Il se mit debout d’un bond pour me faire face. Je levai la tête vers lui, les mains
agrippées à mon manteau.
— J’ai compris, arrête les frais !
Une lueur, entre colère et douleur, éclaira ses prunelles sous le ciel nuageux.
— Comment j’ai pu me fourvoyer autant ? lâcha-t-il, cinglant.
Je fus incapable d’émettre le moindre son, la gorge prise dans un étau de honte et de souffrance.
— Un matin, tu t’es soudain réveillée en te disant que le gentil Jace devenait trop ennuyeux ?
— Non… s’il te plaît, Jace ! lançai-je d’une voix implorante. Je ne voulais pas te blesser...
— T’as un problème, Bethany ! coupa-t-il. Un sérieux ! Je ne sais pas lequel, mais tu as un sérieux
problème !
Je ne savais pas s’il faisait notamment référence au sexe. Mais qu’importait leur signification à ses
yeux : je méritais bien ces paroles blessantes. Soudain, son regard changea, se fit plus sombre. Il se
pétrifia sur place.
— C’est lui ? C’est ça ? C’est depuis que tu as revu ce mec, ce Cruz, gronda-t-il.
— Non !
Mon exclamation résonna dans le square.
— Il s’est passé quelque chose avec ce type, continua-t-il en me fixant froidement.
— Non, répétai-je avec le même désespoir. Je t’assure qu’il ne s’est rien passé avec lui. Je te le jure.
C’est le meilleur ami de mon frère, il n’y a rien de plus entre nous.
Je me tus, sachant que je risquais d’envenimer la situation. Jace souffrait par ma faute. Cette évidence
provoqua un flot de larmes brûlantes qui jaillit de mes cils.
— Je voulais être honnête avec toi.
Ses poings se crispèrent le long de ses cuisses. Tout à coup, il secoua la tête, comme écœuré, avant de
faire volte-face, puis il s’éloigna à grands pas sans un regard en arrière. Quand il disparut de ma vue
brouillée, je passai mes doigts tremblants sur mes joues pour les essuyer, alors qu’une autre vague de
larmes les trempait de nouveau. Je restai longtemps à pleurer sur mon banc, le regard dans le vide. Je
savais que j’avais pris la bonne décision et que Jace le réaliserait plus tard, lorsque la douleur serait
moins vive. Mon cœur lourd, lui, comprenait toutefois avec une profonde tristesse qu’il avait perdu une
belle personne.
Quelque chose de précieux.

Les jours suivants, je portai ma peine comme un boulet, le visage blessé de Jace me hantant durant mon
sommeil. Je plongeai dans mes études avec une ferveur presque inquiétante. Comme mes premiers semi-
partiels pointaient à l’horizon, mon temps libre, je le passais à la bibliothèque pour réviser. J’avais
prévenu ma meilleure amie, Ashley, que j’avais rompu, sans entrer dans les détails. Elle n’avait pas
insisté, sentant que le sujet était sensible.
Un soulagement.
Le vendredi suivant, je sortais de la bibliothèque vers seize heures, prête à me diriger vers une bouche
de métro, lorsque mon portable se mit à vibrer. Les battements de mon cœur s’accélérèrent, avant que je
ne m’aperçoive que c’était un appel de mon père.
Eh non, ce n’est pas un certain Latino sexy qui t’appelle pour avoir de tes nouvelles ! Je décrochai
rapidement, ignorant la petite voix dans mon crâne.
— Papa ?
— Bethany, j’ai une bonne nouvelle, Clarisse a accouché il y a une heure…
Mon cœur explosa littéralement de joie.
— Comment va-t-elle ? Et la petite ? débitai-je d’un ton précipité.
Mon père rigola. Je le sentais heureux et détendu.
— Elles vont toutes les deux très bien, ta sœur va très bien.
Ses paroles me touchèrent tellement qu’une forte émotion fit enfler ma poitrine, m’empêchant de
trouver mes mots.
Ma petite sœur. J’avais une petite sœur !
— Kelsie mesure cinquante et un centimètres pour un poids de trois kilos quatre cents. Et elle donne
déjà de la voix, comme toi à ta naissance. Elle a aussi une jolie tignasse foncée.
Je captai un grand sourire dans sa voix. Je ris, me sentant plus légère d’un coup par rapport à mon état
des derniers jours. J’avais l’im​pression que j’allais carrément m’envoler.
— Est-ce que tu crois que je peux passer ? Clarisse n’est pas trop fatiguée ?
— C’est pour ça que je t’appelle, elle serait vraiment heureuse que tu viennes faire la connaissance de
ta sœur. Nous serions très heureux de t’avoir auprès de nous.
Chacun de ses mots me toucha de nouveau.
— J’en serais très heureuse aussi. J’arrive. Je sors à l’instant de la bibliothèque, je n’en aurai pas pour
longtemps.
— Tu connais l’adresse ?
— Oui, Clarisse m’avait expliqué où était la clinique.
— Très bien. Sois prudente, Bethany.
Ah, mon père et le métro ! Depuis mon adolescence, il m’abreuvait d’avertissements.
— Ne t’inquiète pas.
Je raccrochai. Par texto, je prévins ma mère que j’avais encore quelques trucs à faire. Je ne voulais pas
lui annoncer la nouvelle par SMS. Je ne craignais plus de réactions négatives comme auparavant, mais je
préférais lui dire de vive voix. Comme à Chase, d’ailleurs. Je ne ferais pas la même erreur que la fois
précédente sous prétexte de vouloir le préserver.
On avait une sœur…
Mes lèvres s’étirèrent en un grand sourire à cette pensée.
Tout excitée, j’envoyai un message à Ashley, Jailyn et Knox. Ma cops et Jailyn me répondirent d’une
phrase du type « je suis très heureuse pour toi et les nouveaux parents, bienvenue au petit bout de chou »,
avec un grand smiley.
Pour Knox, je développai un peu plus.
Moi : Papa vient de m’appeler, Clarisse a accouché d’une petite Kelsie, 51 cm, 3 kg 400.
Mon portable vibra quelques minutes plus tard.
Knox : Bienvenue à la petite, je suis heureux pour toi. Prends des photos qu’on voie si elle est
aussi mignonne que toi.
Ma poitrine enfla de nouveau lorsque je lus sa réponse. Knox faisait vraiment de gros efforts pour
accepter cette partie de la vie de notre père. À la base, il le faisait pour moi, mais Jailyn lui apportait
également une belle sérénité. Il était heureux et apaisé. Je commençais même à penser qu’il la
présenterait tôt ou tard à mon père qui, par ailleurs, m’avait posé des questions sur leur couple. À chaque
conversation, il avait semblé très content que Knox se stabilise enfin et qu’il ait trouvé le bonheur en
amour. Pour ce qui était de Chase, on était sur la même longueur d’onde : on évitait le sujet.
Knox : Maman et Chase ?
Malgré son ressentiment envers notre frangin, il pensait direct à lui dans ce moment sensible. Ma gorge
se serra légèrement.
Moi : Je vais à la clinique, je leur annoncerai en rentrant.
Knox : OK, sœurette. Tiens-moi au courant… au fait, les parents de Jailyn viennent le week-
end prochain à NY, on va jouer les touristes, on passera à la maison le week-end suivant.
Moi : Ça marche.
Il me fallut une bonne heure pour atteindre la clinique. À la réception, une jeune femme sympathique
m’indiqua le numéro de la chambre qui se situait au second étage. Je grimpai les escaliers, un chemin
beaucoup plus rapide que les ascenseurs d’hôpitaux. Quelques secondes plus tard, j’arrivai devant une
porte jaune pâle et frappai un petit coup avant de pousser le battant.
En entrant, le premier visage que j’aperçus fut celui radieux de Clarisse, alors qu’elle venait
d’accoucher il y a quelques heures à peine. À ma vue, un large sourire se dessina sur ses lèvres. Dans la
foulée, je vis mon père qui se tenait près d’un berceau. Tout excitée, je franchis rapidement la distance,
avec à la main un bouquet de fleurs que j’avais acheté chez le fleuriste du coin de la rue. À mon avis, il
devait faire des affaires en or, à proximité d’une maternité.
— Pas trop fatiguée ? demandai-je en me penchant vers Clarisse qui me serra dans ses bras avant de
prendre les roses blanches que je lui tendais.
— Je me sens bien… Merci, elles sont magnifiques.
J’embrassai mon père qui prit le bouquet en souriant. Ses yeux gris dont Knox avait hérité pétillaient de
joie. Il se dirigea vers la salle de bains pour remplir d’eau un vase mis à disposition par la clinique.
— Je suis heureuse que tu aies pu venir, dit Clarisse.
Je souris à mon tour avant de m’approcher du berceau.
— Elle est là, notre petite beauté…
Je me penchai et sentis dans ma poitrine quelque chose d’inexplicable devant ce bout de chou fragile.
— Oh, mon Dieu, qu’elle est belle ! m’exclamai-je.
Mon père posa le vase sur une table sous la fenêtre et me rejoignit. Lorsqu’il arriva à ma hauteur, je
levai les yeux vers lui. Il rayonnait, heureux et fier. Aucun sentiment de jalousie ne m’envahit devant son
bonheur évident. Je le partageais avec lui et Clarisse, qui lâcha un petit rire.
— Ton père m’a affirmé que Kelsie et toi, vous aviez un air de ressemblance, en dehors des cheveux.
J’avais hérité de la blondeur de ma mère. Si on avait remonté notre arbre généalogique, on serait peut-
être tombés sur des ancêtres scandinaves. Je souris encore et me penchai un peu plus sur ma petite sœur.
Du bout des doigts, je caressai doucement sa main minuscule, puis une joue, tout en admirant ses
mimiques. Elle bâilla à se décrocher la mâchoire avant que sa petite bouche en cœur ne fasse des bulles.
Je ris, en glissant mon index dans sa menotte à moitié ouverte. D’instinct, dans son sommeil, elle referma
ses doigts autour du mien.
— Hé, Kelsie, c’est moi, Bethany, ta grande sœur ! J’ai déjà hâte de t’emmener au parc ou ailleurs,
shopping, cinéma, au choix. Mais ça, ce sera plus tard, ajoutai-je avec un gloussement.
Je levai la tête vers mon père qui me sourit, le visage ému. Je lançai un coup d’œil à Clarisse qui
affichait la même expression.
— Je peux la prendre en photo ?
— Bien sûr, tu peux même la porter, proposa-t-elle.
— Je ne veux pas la déranger, elle dort trop bien.
Je sortis mon portable de mon sac et pris plusieurs clichés sous différents angles devant le regard
amusé de mon père. Quand j’eus fini, je me tournai dans sa direction.
— Knox m’a demandé de lui envoyer quelques photos.
Un petit coup de pouce ne ferait pas de mal. Ce n’était pas interdit. J’avais le sentiment que mon père
n’hésitait plus à se remettre en question vis-à-vis de ses fils. Il réalisait les erreurs qu’il avait pu
commettre. Merci, Clarisse, pour ça ! Car quoi que Chase et Knox en pensent, elle le changeait… en
mieux. Une lueur de surprise transforma ses traits.
— Oh… OK, répondit-il simplement.
On prenait rarement mon père de court, mais là, sans aucune préméditation, j’y avais réussi. Je captai le
sourire en coin de Clarisse. Plus tard, elle souleva Kelsie pour la placer dans le creux de mes bras. Une
chose se produisit à ce moment-là. Ce truc qui s’était formé dans ma poitrine déborda comme un raz de
marée. Une grosse bouffée d’amour inonda mes veines avec une puissance qui me noua soudain la gorge.
Mes lèvres se posèrent sur le front du nourisson, en dessous de son bonnet de laine, trop mignon. Cette
odeur caractéristique émanant des bébés emplit mes narines. Je m’assis dans un fauteuil et la regardai
avec émotion. J’eus ma première conversation silencieuse avec ma petite sœur.
Je ne laisserai personne te faire du mal, Kelsie. Tu verras… tu feras bientôt aussi la connaissance de
Knox et Chase. Ce sont des têtes de mule, mais ce sont des frères formidables et, pour rien au monde, je
ne les échangerais.
Je la berçai légèrement.
Quand je les quittai plus tard après avoir embrassé mon père et Clarisse, assise dans son lit, cette
dernière me saisit la main avec affection :
— Je rentre après-demain à la maison, tu pourras venir passer un après-midi avec nous ?
— Ce serait chouette. Le jeudi après-midi, je n’ai pas cours pour l’instant, mais cela risque de changer
d’ici le prochain trimestre.
— Alors, on t’attend jeudi.
J’acquiesçai. Mon père me serra un peu plus longtemps contre lui.
— Merci d’être passée, me chuchota-t-il.
Je lui souris une dernière fois et m’en allai. Je débarquai à la maison aux environs de huit heures. Dans
le métro, encore bien rempli en ce début de soirée, j’avais envoyé quelques photos à Knox qui m’avait
remerciée avec un smiley. J’ouvris la porte d’entrée.
— Bethany ? lança ma mère de la cuisine.
— Oui…
Elle s’essuyait les mains près de l’évier lorsque je pénétrai dans la pièce où flottait une bonne odeur de
nourriture.
— Je t’ai mis du risotto dans le frigo, tu pourras le réchauffer.
— Merci.
Je m’approchai de la table et la dévisageai sans ciller.
— Papa m’a téléphoné cette après-midi pour m’annoncer que Clarisse avait accouché. Je suis allée les
voir.
Ma mère se figea une fraction de seconde devant moi.
— C’est une petite fille, elle s’appelle Kelsie.
Elle hocha lentement la tête, reprenant peu à peu contenance. Dans ses iris, une lueur de tristesse
s’alluma avant de disparaître pour laisser la place à un regard indéchiffrable.
— Je vais me doucher avant de manger.
Quand j’atteignis le seuil de la porte, je pivotai vers ma mère. Elle se frottait le coin des yeux.
Auparavant, cette conversation aurait été impossible, et je n’aurais jamais posé la question que j’allais
poser en toute franchise.
— Est-ce que ça va aller, maman ?
J’en étais quasi certaine, mais je voulais l’entendre de vive voix. Elle me sourit. Un petit sourire, certes,
mais il était sincère. De toute façon, j’étais parfaitement consciente qu’elle n’allait pas sauter au plafond
en exultant. D’ailleurs, ce n’était pas ce que j’attendais d’elle.
— Oui, ma chérie, ça va aller, répondit-elle d’une voix un peu rauque, mais ferme.
— Je vais l’annoncer à Chase.
Elle acquiesça d’un mouvement du menton, puis je la vis inspirer profondément et sourire une nouvelle
fois.
— Va prendre ta douche. Après le repas, on pourra se manger une glace devant la télé ?
— OK, lâchai-je d’un air ému.
Je montai à l’étage. Je frappai deux petits coups brefs à la porte de Chase.
— C’est moi, dis-je en entrant.
Mon frangin était attablé à son bureau près de la fenêtre. Il travaillait sur sa BD.
— Salut, ça va ? lança-t-il.
Je m’assis sur le coin de son lit, alors qu’il tournait sa chaise à roulettes pour me faire face.
— Tu rentres tard ?
Je ne tergiversai pas. Inutile. Autant crever tout de suite l’abcès.
— Papa m’a téléphoné pour m’annoncer que Clarisse avait accouché, répondis-je d’emblée. Je suis allée
les voir…
Un silence épais s’ensuivit.
— Elle s’appelle Kelsie.
Il ne dit rien. Pas un muscle de son visage ne bougeait.
— Je voulais te prévenir.
Le silence était toujours assourdissant.
— Tu veux en parler ? demandai-je avec douceur.
— Non, pas vraiment, rétorqua-t-il, la voix enrouée.
— OK.
Je n’insistai pas.
Le temps, le temps, ma devise. Ne pas brûler les étapes. Le cœur toutefois un peu lourd, je me levai.
— Je te laisse travailler.
Ma main venait de se poser sur la poignée de la porte quand je l’entendis prononcer mon prénom.
— Bethany…
Je pivotai à moitié.
— Oui ?
— Merci de m’avoir prévenu.
Puis, il se tourna vers sa BD avant que je ne puisse répondre. Je sortis de sa chambre. Après ma douche,
je réchauffai mon risotto et tout en mangeant, envoyai les photos à Ashley. Sa réponse ne se fit pas
attendre.
Ashley : Elle est trop mignonne. Ta mère et Chase, comment ils ont pris la nouvelle ?
Moi : Ça va. Ce n’est pas la grande joie.
Ashley : C’est un peu compréhensible.
Moi : Oui, c’est sûr. Mais il y a du progrès ! Il y a quelques mois, cela aurait été la grosse crise
ici.
Ashley : Et toi, ça va ?
Je savais qu’elle faisait référence à ma rupture avec Jace.
Moi : Oui, je vais bien.
D’ailleurs, je réalisai à cet instant que je n’avais pas pensé à lui durant ces dernières heures.
Ashley : Dès que c’est possible, on s’organise une journée shopping, ma belle.
Moi : D’acc !
Je sortis un pot de Häagen-Dazs du freezer et pris deux cuillères dans un tiroir. Les yeux de ma mère
pétillèrent lorsque je m’installai à côté d’elle sur le canapé, face à la télé qui retransmettait un épisode de
CSI. Elle me lança un regard interrogateur en prenant la cuillère que je lui tendais.
— Je lui ai annoncé.
Il n’y avait rien à dire de plus. D’ailleurs, elle le comprit parfaitement, eut un hochement de tête
silencieux, puis on regarda l’épisode tout en plongeant nos cuillères dans le pot, tour à tour, comme au
bon vieux temps.
Soudain, je l’entendis souffler, tout en me pressant la main avant de la relâcher :
— Il surmontera…
Je lui souris, la remerciant du regard. À cette seconde, je venais de trouver le réconfort dont j’avais
besoin. Un réconfort qui m’avait cruellement manqué parfois dans des moments difficiles. Ma voix était
légèrement enrouée lorsque je rétorquai :
— Il est sensible.
— C’est un trait de caractère qu’il tient de moi. En toute honnêteté, je ne sais pas si c’est une qualité ou
un défaut.
Cette fois-ci, c’est moi qui saisis sa main dans un geste encourageant.
— Bien sûr que c’est une qualité ! Cette sensibilité, on la retrouve dans ses dessins qui sont vraiment
magnifiques.
Du pouce, ma mère caressa ma joue.
— Tu as tellement grandi, Bethany… Tu sais que je suis fière de toi ? Je ne te l’ai pas assez dit et je le
regrette…
La lueur douloureuse dans ses yeux me poussa à l’interrompre :
— Je sais, maman, et je l’ai toujours su.
Ses prunelles aussi claires que les miennes se mirent à briller.
— Knox et toi, vous avez la même force de caractère que votre père. Knox est plus fonceur, moins enclin
à pardonner, tandis que toi, tu es plus subtile, mais cela n’ôte en rien cette force que tu as en toi. Tes
frères t’admirent beaucoup, tu sais…
Je rougis, émue par ses paroles.
— Knox ne fera pas les mêmes erreurs que ton père, continua-t-elle, et je fus surprise par le tour que
prenait la conversation. Si un jour il a des enfants, et il est bien parti pour en avoir, il sera un père
formidable. Plus jeune, il me donnait parfois l’impression de tout faire pour ne pas ressembler à ton père.
Il s’interdisait d’embrasser ce qui aurait pu les rapprocher dans certains domaines, quitte à en souffrir,
par crainte de devenir comme lui. Durant son adolescence, il a loupé des choses qui auraient pu le rendre
plus heureux. Je trouvais ça dommage, ajouta-t-elle avec tristesse, perdue dans ses souvenirs. Après, il a
encore grandi, mûri, et le gouffre était déjà immense entre lui et son père.
Son regard se perdit dans le vide avant de revenir sur moi. Je l’écoutais, attentive.
— Je regrette d’avoir été si passive avec tes frères. Je regrette d’avoir laissé cette situation se
gangréner. Souvent, je me retranchais derrière le fait que Knox avait la force de caractère nécessaire
pour faire face à toutes les situations. En ce qui concerne Chase, je préférais ignorer qu’il cherchait
désespérément l’approbation de ton père. Chase aimait le foot, il a toujours aimé ce sport… mais la
pression devenait trop forte… Je le sentais, je le voyais aussi… Je regrette tellement d’avoir laissé faire…
— Chase et Knox ont aussi compris beaucoup de choses, ces derniers temps, la consolai-je. Knox avance
avec succès dans sa voie et se construit un solide avenir. Il est passé à autre chose. Il a aussi compris que
tout n’est pas blanc ou noir dans une relation, surtout quand les sentiments sont très forts. En ça, Jailyn
l’a beaucoup aidé à ouvrir les yeux. Quant à Chase, il a accepté la nouvelle chance qui se présente à lui. Il
est en train de remonter la pente. Pour ce qui est de la situation entre eux, je sais qu’ils s’aiment et se
respectent. Ils surmonteront leur problème.
Ma mère posa une main sur mon épaule.
— Tu ne peux pas savoir comme je suis heureuse que Knox ait rencontré une fille comme Jailyn ! Elle lui
apporte tellement !
— Moi aussi, j’en suis très heureuse.
— Et j’espère que Chase rencontrera un jour une fille qui lui procurera le même bonheur.
— Je l’espère de tout cœur également.
Elle me dévisagea longuement.
— Tu réussis toujours à me surprendre, Bethany. Cette maturité que tu as toujours eue...
Je sentis qu’elle allait se dénigrer par rapport aux dernières années et intervins tout de suite :
— C’est grâce à toi. Bien sûr que tu as fait des erreurs, comme tous les parents (un peu plus peut-être,
mais c’était le passé). Tu es travailleuse et courageuse. Tu l’as toujours été. Combien de fois on t’a vue
rentrer du boulot après des jours de garde, fatiguée, mais tu avais toujours un sourire radieux pour tes
enfants. Tu t’occupais de nous, entretenais la maison, et tu t’intéressais à nos activités. Tu ne rechignais
jamais pour nous emmener partout.
Avant que mon père ne brise sa bulle et la fasse souffrir, elle avait été une bonne mère, une très bonne
mère. Cette partie de notre vie méritait d’être mise en avant. Il était temps qu’elle comprenne qu’elle
avait aussi laissé de bons souvenirs à ses trois enfants. Il n’y avait pas que les mauvais, les plus
dérangeants, notamment quand elle avait été en mode zombie après sa difficile séparation.
— Tu as été un modèle pour moi. Et tu l’es encore.
Ses yeux brillèrent dangereusement.
— Merci… Bethany… J’ai eu peur de te perdre il n’y a pas si longtemps…
— Jamais ! lançai-je farouchement. Jamais tu ne me perdras, répétai-je en la dévisageant, d’un air sans
équivoque.
Elle m’attira dans ses bras.
— Tu seras toujours ma petite fille… je t’aime, Bethany, chuchota-t-elle à mon oreille.
— Je t’aime aussi, maman.
On s’étreignit avec force et tendresse.
— Il a toujours été différent avec moi…
Elle comprit immédiatement à qui je faisais allusion. Elle s’écarta pour me dévisager en silence.
— Et je m’en voulais parfois vis-à-vis de Chase et Knox.
Cela me faisait du bien d’en parler.
— Oui, tu étais sa petite princesse. Quand il a su que j’attendais une fille, il était fou de joie.
Elle marqua une pause.
— Ton père et son frère ont été élevés à la dure. Son propre père était très exigeant (je n’avais
quasiment pas connu mon grand-père et ma grand-mère, je n’en avais qu’un vague souvenir). Cela
n’explique pas tout, bien sûr. Mais à sa façon, il voulait préparer ses fils à affronter la vie, comme son
père l’avait fait pour lui, sans vouloir entendre leurs aspirations. Dans la musique et le dessin, il ne voyait
que la précarité. De plus, Knox était un élève très doué. Qu’il gâche un tel potentiel, c’était une
aberration pour lui. Quant à Chase, grâce au sport, il avait une occasion unique de décrocher une bourse
complète dans une bonne université ; ce qui est assez paradoxal lorsqu’on y réflé​chit mieux, car dans ce
milieu, il y a aussi peu d’élus. Mais il croyait très fort en son talent. Après bien des difficultés, Chase a
trouvé sa voie, mais il se cherche encore. Je suis certain qu’il fera de belles choses dans sa vie et qu’il
réussira, comme Knox. Et toi, Bethany, tu deviendras une très bonne infirmière. Ce n’est pas un métier
facile : on y côtoie la misère et la souffrance. Mais les gens qui croiseront ta route auront une chance
inouïe de tomber sur une personne telle que toi.
Ma gorge était tellement nouée que j’eus du mal à répondre.
— Merci…
Après ce moment de pure émotion, on regarda la télé dans une ambiance paisible.
— Maman… Jace et moi, c’est terminé, dis-je soudain à voix basse.
Une lueur d’étonnement passa dans ses yeux.
— Oh, je suis désolée, ma chérie ! J’avais bien remarqué quelque chose, mais je ne voulais pas me
montrer indiscrète. Que s’est-il passé ?
— Ce n’est pas sa faute, c’est moi qui ai rompu.
Même si ça me faisait du bien de lui en parler, de retrouver cette relation complice fille/mère, je n’étais
cependant pas prête à lui révéler mon big secret : mes sentiments envers Cruz.
— C’est quelqu’un de bien, mais je ne me sentais pas prête pour une relation plus sérieuse. Il m’attirait,
je l’appréciais vraiment, mais ces derniers temps, j’ai compris que je n’étais pas amoureuse de lui. Je le
considérais plus comme un ami qu’un petit copain. Alors, ce n’était pas juste de lui donner de faux
espoirs. Mais je lui ai fait du mal et ça me rend triste.
Elle plaça sa main en coupe sur ma joue.
— Tu as bien fait d’être honnête avec lui. Il souffrira, mais il s’en remettra. Il est jeune et tombera tôt ou
tard sur la fille qui le rendra heureux.
J’eus un soupir.
— La vie est trop compliquée...
— Bienvenue dans le monde des adultes, lâcha ma mère en m’attirant contre elle. N’oublie pas que je
suis là, Bethany, si tu as besoin de parler de quoi que ce soit… je suis là… à présent.
Je posai ma tête sur son épaule, la petite fille en moi refaisant surface, heureuse de retrouver sa « 
maman » prête à pourfendre des dragons pour le bien de son enfant. Cela me fit sourire avant que je ne
lui confie :
— Pour l’instant, je ne veux pas en parler à Chase ou à Knox. Est-ce que ça peut rester entre nous ?
— Bien sûr, ma chérie.
Chapitre 11

Cruz

— Bien dormi ?
Tio me tendit une tasse fumante dès que je mis un pied dans la cuisine.
— Yep, comme un loir.
Je le remerciai d’un sourire en prenant le café qu’il venait de me servir.
La première gorgée fut orgasmique.
La deuxième, dans la même lignée. Je savourai mon premier shoot de la journée, le regard posé sur mon
oncle qui s’affairait derrière son fourneau pour me préparer des pancakes comme au bon vieux temps.
Une bouffée d’affection inonda ma poitrine.
— Et toi, Tio, bien dormi ?
— Comme si j’avais toujours vingt ans, plaisanta-t-il.
Je rigolai.
La veille, j’avais débarqué chez lui. J’avais mis les voiles juste après avoir croisé rapidement les parents
de Jailyn. Comme convenu, ils allaient dormir tout le week-end dans ma chambre. J’étais un maniaque de
l’hygiène, mais je l’avais encore nettoyée pour qu’elle soit nickel. Ce soir, je savais qu’ils prévoyaient un
resto en famille avec Tiphaine, la sœur de Columbia. Une chic fille, nature et super marrante, que j’avais
rencontrée plusieurs fois à l’appart. Une violoniste talentueuse acceptée à Juilliard.
En vérité, à l’instant présent, j’ignorais si ça avait été une très bonne idée de leur faire une telle
proposition, compte tenu de la proximité d’une tentation qui s’amplifiait jusqu’au point de rupture : la
maison des Fowler. Une belle excitation jouait avec mes tripes, malgré moi. Certes, à l’origine, mon offre
n’avait pas été sans arrière-pensée – bien que profiter de quelques jours avec mon oncle ait été un facteur
déterminant. Toutefois, ces derniers temps, j’étais presque arrivé à me convaincre de passer le week-end
ici, sans pointer mon nez chez les Fowler. Désormais, je savais que ce serait tout bonnement impossible.
C’était la première chose à laquelle j’avais pensé quand j’avais ouvert les yeux dans mon ancienne
chambre.
Tio posa une assiette appétissante devant moi et m’extirpa du tumulte de mes pensées. Je déjeunai et
retrouvai avec plaisir les bonnes vieilles habitudes, tapant la discute avec mon oncle, tout en me
pourléchant les babines.
Ces pancakes étaient une tuerie.
Je négocierais la recette avec Jailyn ; l’idée me fit sourire.
Par la suite, je bricolai dans la maison. Je commençai par fixer une grande étagère dans le garage, puis
je m’attaquai au tuyau d’arrosage qui fuyait. J’expliquai à mon oncle certaines applications sur son
smartphone. Je fis aussi quelques trucs dans la salle de bains, comme arranger la porte d’un meuble qui
ne se refermait plus complètement. Toutes ces petites tâches m’occupèrent l’esprit et tinrent à distance
cette dangereuse ten​tation. Cela me permit également de passer de bons moments de complicité avec
mon oncle.
Vers seize heures, je me retrouvai sur le canapé et cette putain d’envie grimpa en flèche en moi, comme
un geyser incontrôlable. Avant que je ne réalise vraiment où mes pas m’avaient conduit, je me tenais dans
le hall d’entrée, mon hoodie à la main. Je l’enfilai, sachant qu’il n’y avait plus de retour en arrière
possible.
— Hé, Tio, je vais faire un tour chez les Fowler.
Il agita les doigts, tout en détachant brièvement ses yeux de la télé.
— Passe le bonjour à tout le monde.
— Je n’y manquerai pas.
J’y allai à pied. À l’extérieur, avant de me mettre en route, mon regard se porta sur le ciel gris : l’été
indien était définitivement derrière nous. Pendant le trajet, une petite voix ne cessa de me crier qu’il était
toujours temps de faire demi-tour, mais une autre, beaucoup plus forte et tenace, me poussait vers ma
destination. J’aurais pu envoyer au préalable un SMS à Bethany pour la prévenir, mais quelque chose
m’avait retenu.
Comme si le destin devait décider pour moi : un signe quelconque.
Elle serait là ? Eh bien… cool.
Ouais… cool… le tam tam dans ma poitrine me certifiait que mon cœur n’avait pas eu le mémo.
Elle ne serait pas là ? Eh bien… tant pis.
Ouais… tant pis… la déception envahissant mon crâne à cette idée me certifiait que mon cerveau n’avait
pas eu non plus le mémo.
Elle serait bien là, mais avec son mec ? Eh bien…
Plantant mes mains dans les poches de mon jean, je préférai ne pas y penser. Une réaction qui se
produisait souvent quand son gars jaillissait dans mon esprit.
Lorsque je me retrouvai finalement sur le perron, je pris une profonde inspiration avant d’appuyer sur le
bouton de la sonnette. Une tête blonde (pas Bethany) apparut dans l’entrebâillement de la porte après la
première sonnerie. Un grand sourire se plaqua sur les lèvres de la mère de Knox.
— Bonjour, madame Fowler
— Cruz, quel plaisir de te voir, entre ! s’exclama-t-elle en ouvrant en grand.
Je pénétrai dans le hall d’une maison que je connaissais comme ma poche.
— Bethany, regarde qui est là…
Cette dernière déboucha de la cuisine.
Le violent coup de poing qui percuta mon estomac et la pirouette que mon cœur exécuta furent de
puissants signes m’avertissant que j’étais dans une merde pas possible. Je la vis s’arrêter net, visiblement
très surprise. Si je n’avais pas été scotché sur place à la manger des yeux, j’aurais certainement pu
m’attarder sur la petite tension qui l’avait visiblement gagnée (la même que lors de notre première
rencontre devant son cours). Mais mes neurones semblaient s’être fait la malle. Bordel, il fallait que je me
bouge, madame Fowler se tenant juste à côté de moi. Je me fis violence pour me secouer.
Mais putain, détacher mes yeux des prunelles si bleues de Bethany, de son visage aux traits d’une
pureté à tomber à genoux (oui, je délirais à plein tube) fut la chose la plus difficile de ma vie. Avec une
discipline de fer, qui me surprit moi-même à vrai dire – car j’ignorais que je possédais une telle force
mentale –, j’adoptai une attitude nonchalante, le regard distant, un sourire amusé, habituel, plaqué sur
mes lèvres : le bon pote. Tout cela me tapa soudain sur les nerfs, irritant quelque chose en moi. J’étouffai
la sensation dérangeante.
— Salut, tu es à Brooklyn ? demanda-t-elle avec un sourire elle aussi.
Un sourire familier qui semblait pourtant ne pas atteindre ses yeux. Ou je me faisais des films… je
n’étais plus à un délire près.
— Je passe le week-end chez mon oncle, j’ai proposé ma chambre aux parents de Jailyn.
— Ah oui, ils sont en visite. Knox m’en a parlé.
Son sourire me parut bien forcé, cette fois-ci.
Putain, arrête, Cruz ! Arrête de tout analyser… de travers en plus, certainement.
— J’ai dit à ton frère que je les inviterais à dîner la prochaine fois qu’ils viendraient à New York,
intervint sa mère. Je m’arrangerai au boulot pour avoir mon week-end.
Immédiatement, Bethany et moi, on la fixa comme si elle était une bouée de sauvetage. Enfin moi. Elle,
ce n’était pas sûr, mais sa réaction, aussi brusque que la mienne, me donna cette impression. Oh, putain,
cette visite était une mauvaise idée ! Il y avait un truc qui ne tournait pas rond en moi.
— Ce que vous faites pour son anniversaire, c’est vraiment super, continua-t-elle.
— Merci…
Bethany répondit en même temps que moi. Nos regards se croisèrent, puis un nouveau sourire se
dessina sur ses lèvres, à la même seconde que le mien.
Naturel et amusé. La chape de plomb ou le truc qui planait dans l’air commença à se désintégrer.
— Tu veux un café ? proposa-t-elle dans la foulée.
— Oui, merci.
— Installe-toi dans le salon, j’arrive.
En temps normal, je l’aurais suivie dans la cuisine. Là, je trottai docilement derrière sa mère qui
m’invita à m’asseoir. On discuta de tout et de rien, le boulot, mon oncle, le temps que Bethany
réapparaisse avec un plateau. Je me levai direct pour l’aider, en le lui prenant des mains pour le poser sur
la table basse. Elle me remercia du regard et fit le service. Ensuite, la conversation dériva sur le projet de
rénovation d’un centre commercial à Brooklyn, avant que madame Fowler ne nous laisse en tête à tête.
Seuls.
— J’ai appris que la femme de ton père avait accouché, dis-je d’un ton neutre.
Les prunelles de Bethany, encore plus bleues que d’habitude sous la clarté naturelle, s’illuminèrent.
Hypnotisé, je dus cligner des paupières pour revenir sur terre.
— Oui… une fille.
— Et ta mère, comment a-t-elle pris la nouvelle ? demandai-je d’une voix éraillée.
— Plutôt bien. Elle n’a pas sauté de joie, c’est sûr, mais elle va vraiment de l’avant à présent. Chase, lui,
je ne sais pas trop ce qu’il pense.
— Au boulot, il avait l’air d’aller bien, la rassurai-je.
Elle eut un soupir qui souleva ses seins que je m’interdis de regarder, ne serait-ce d’un simple coup
d’œil.
— Je lui ai proposé de lui montrer une photo, mais il a refusé.
Je me raclai la gorge qui était devenue plus sèche que celle d’un mec perdu dans le désert du Nevada,
avant de lancer une vanne :
— Tu sais… comme tous les Fowler, il lui faut du temps pour s’adapter.
Elle sourit, amusée. Puis, il se passa un truc qui fit flamber le sang dans mes veines, lorsque son regard
s’attarda un peu trop longtemps sur mon visage, avant qu’elle ne le baisse rapidement sur son café.
Quand je fus capable de faire un geste, je frottai ma nuque d’une main nerveuse, soudain épuisé, la tête à
l’envers, sur un Grand huit.
— Tu devrais voir comme elle a déjà changé, c’est dingue ! lâcha-t-elle d’un ton que je trouvai précipité.
Je me flanquai une tape mentale afin de me remettre les idées en place et tenter de calmer ce qui
bouillonnait en moi.
— Knox m’a montré les photos, répondis-je.
— C’est vrai ?
— Oui…
Cela avait l’air de lui faire très plaisir.
On embraya sur l’anniversaire. Tout était prêt. Bethany me prévint que la boutique livrerait la déco des
tables et les boules chinoises directement au resto, chez Steele. Je ne lui proposai pas d’y aller ensemble.
Quelque chose grondait en moi, quelque chose de dangereux, tapi dans l’ombre, qui cherchait à sortir,
mais qu’une dernière chaîne invisible semblait retenir.
Durant le quart d’heure suivant, au prix d’un gros effort, je réussis à brider au fond de moi toute pulsion
avec une volonté de fer et l’ambiance devint plus naturelle entre nous. Je la prévins que Dillon, Miles, et
tout le groupe s’arrangeraient pour venir. Ses prunelles pétillèrent de joie. Chase se pointa après et on se
retrouva à discuter tous les trois. Plus tard, lorsque je levai le camp, Bethany me raccompagna à la porte.
— Je suis contente que tu sois passé. Cela a fait très plaisir à ma mère.
Phrase ambiguë. Contente que je sois passé la voir, elle ? Contente parce que ma visite avait fait plaisir
à sa mère ?
Stop, Cruz !
Je me donnai mentalement un coup de pied au cul, mon cerveau menaçant de nouveau de faire des
siennes.
— Avec le boulot, je n’ai pas eu le temps de prendre de tes nouvelles ces dernières semaines. Désolé…
Une excuse de merde. D’ailleurs, je me sentais un peu con. Soudain, une flambée de colère me réduisit
au silence. Bon sang, je ne voulais pas que notre relation devienne aussi difficile ! Qu’est-ce qui se passait
entre nous, bordel ?! Avec moi ?
Cela devait cesser !
On avait passé de bons moments ensemble pour organiser cette fête pour Knox ! Bethany était une amie
que je ne voulais pas perdre. Il fallait que j’arrête de merder ! D’ailleurs, mon attitude était peut-être la
cause des petites tensions que je sentais parfois vibrer en elle, me convainquis-je pour bien me motiver.
Alors, dans un effort désespéré pour me remettre dans le droit chemin et sauver ce qui pouvait encore
l’être au niveau de notre amitié (je n’étais même pas certain de me comprendre moi-même à cette
seconde), je lâchai la question à un million, celle que j’avais toujours évitée :
— Et Jace ? Ça va ?
Me faire arracher les dents une à une aurait été moins désagréable. Mais un ami digne de ce nom
s’intéressait à ce qui était important dans la vie de sa meilleure amie ! N’est-ce pas ? Bien sûr ! J’étais sur
la bonne voie…
Sur le coup, je la vis cligner des yeux, l’air surpris, puis elle parut hésiter avant de répondre :
— Oui, ça va.
Une réponse laconique, un sourire forcé.
Et un truc très étrange se répandit dans l’atmosphère. Bon sang, je n’allais pas recommencer mon
cirque ! Mais ce grondement en moi, ce truc, refit surface, trépignant sur place, prêt à charger comme un
taureau. Je serrai violemment les poings pour le contenir.
— Dans tous les cas, on se voit pour la décoration de la salle ?
— OK, répondit-elle avec naturel, tu me diras à quelle heure je dois me pointer au resto pour vous aider.
— Ça marche.
Je la dévisageai en silence, sans bouger. Malgré toute cette pagaille en moi, je n’avais pas envie de
partir, de la quitter, sachant qu’on ne se reverrait pas avant un temps fou. Mais à cet instant, c’était ce
qu’il y avait de mieux à faire, parce que mes mains commençaient à me démanger terriblement, alors que
mon regard descendait de son propre chef vers ces lèvres pleines, à croquer, à dévorer.
Oh, bordel !
Il fallait que je me barre illico ! Soudain, je n’étais plus certain que mes résolutions des secondes
précédentes, mon pote Knox, son frère, Jace, son mec, enfin quoi que ce soit ou qui que ce soit, puissent
m’empêcher de merder complètement. Merder… jusqu’à lui sauter dessus.
— Salut, lâchai-je en vitesse d’un ton âpre.
— Salut…
Je descendis rapidement les marches. Lorsque je remontai l’allée, je ne me retournai pas, conscient
dans toutes mes tripes que je n’entendais pas le claquement de la porte d’entrée, signe qu’elle se tenait
toujours sur le perron… ses yeux posés sur moi.
Ne la regarde pas, Cruz !
Ne la regarde surtout pas ! Ne fais pas le con !
J’enfonçai violemment les mains dans les poches de mon jean, au risque de briser les coutures, les
mâchoires crispées, dans un état second.

Quelques heures plus tard, j’étais assis au comptoir d’un bar dans un quartier chaud de Brooklyn, un
lieu où je n’avais plus mis les pieds depuis un temps fou, des années peut-être. Atterrir dans cet endroit
témoignait à coup sûr à quel point j’avais l’esprit en vrac. J’en étais à mon troisième shot de tequila et ces
fichues prunelles, d’un bleu azur, refusaient de me foutre la paix, dansant devant moi depuis des heures.
Mais pourquoi j’étais venu ici ? M’enfiler quelques verres, dans l’espoir de chasser enfin de mon crâne
une petite blonde bandante, j’aurais pu le faire ailleurs, bien plus près de la maison de mon oncle. Et qui
plus est, dans un quartier plus sûr.
Bon sang ! Mon cerveau continuait à se poser trop de questions… et n’arrivait toujours pas à brouiller
ces visions perturbantes. Une foutue bouche renflée, dans laquelle on aurait voulu mordre, fit cette fois
son apparition à côté des jolies prunelles bleues. Direct, ma main se leva pour faire signe au barman de
m’envoyer une autre tournée. Trois shots apparurent devant moi et je renversai brusquement la nuque en
arrière pour boire le premier d’une traite : l’alcool me brûla la gorge. Au fond de moi, je savais que me
prendre une biture ici, seul, dans un quartier où il était préférable d’avoir tous ses réflexes, était une très
mauvaise idée.
— Ese es tu pick-up estacionado afuera del bar.
C'est ton pick-up garé devant le bar.
Je me figeai sur le haut tabouret sur lequel j’étais affalé. Ma tête opéra un quart de tour et je rencontrai
un regard noir, vif. Un mec pas très grand, mais très musclé, dégageant un danger létal, se tenait près de
moi. Même par ce temps plutôt frais, il ne portait qu’un simple tee-shirt et ses biceps saillants exposaient
un tas de tatouages qui s’étendaient jusqu’à son cou. Des symboles que je connaissais parfaitement, qui
en faisaient frémir plus d’un.
Le signe de l’appartenance à un gang.
Celui de mon frangin.
— Juan…
— Hola, Cruz !
Il s’assit sur le tabouret libre à côté du mien. Ses yeux, qui pouvaient promettre mille tortures horribles,
pétillaient à cette seconde d’une lueur chaleureuse.
— Dime que mi pick-up sigue de una pieza.
Dis-moi que mon pick-up est toujours entier
— J’apprécierais, ajoutai-je en switchant en anglais.
Un rire amusé s’échappa de la bouche de Juan.
— Tu sais très bien que personne n’oserait poser le petit doigt sur ta caisse.
Message : mon frère savait que j’étais dans le coin. Juan riva les yeux sur les verres alignés devant moi.
— Mauvais jour ?
Je haussai les épaules.
— Ouais, on peut dire ça.
Il y eut un court silence.
— Il aimerait te voir.
Je pris mon temps pour boire un shot avant de répondre d’un ton sarcastique :
— Je suis obligé de te suivre ?
Juan eut un reniflement moqueur.
— Un autre que toi, oui… toi, non, mais ce serait bien que tu acceptes…
Ce mec n’était pas un enfant de chœur. Un euphémisme. On se connaissait depuis un bail, et chaque fois
que je le voyais (pas souvent, la dernière remontant à la disparition de Chase), je n’arrivais pas à démêler
mes sentiments envers lui. En effet, il m’était difficile de reconnaître que j’étais content de revoir un gars
comme Juan qui trempait dans divers trafics, drogue, prostitution et armes, un mec capable aussi
d’abattre quelqu’un sans ciller. Pourtant, une terrible nostalgie m’envahit bizarrement.
Il m’avait appris à me défendre, à me battre à mains nues, avec un couteau, à utiliser une arme à feu.
Dans bien des occasions, il avait été pour moi un genre de modèle. Très jeune, plus aucun mec ne m’avait
cherché de noises. Quand j’avais embrassé une fille à onze ans, c’est vers lui que j’avais été pour raconter
mon aventure.
Il posa sa main sur mon épaule dans un geste amical.
— Suis-moi, amigo. Il sera content de te revoir.
À cet instant, je me dis que c’était peut-être la raison qui m’avait poussé ici, dans un moment de
vulnérabilité… Voir mon frère.
Le bannir de ma vie n’avait pas été simple. Oh non ! Et ça ne l’était toujours pas. Mais il avait fait un
choix. Ce soir, pourtant, cette pensée résonnait avec moins de force en moi, alors que des sentiments
contradictoires remontaient à la surface.
Un mélange de ressentiment, d’affection et de manque.
Je pouvais refuser et sortir de ce bar sans problème, Juan ne m’empêcherait pas de partir, mais mon
corps commença à se soulever du tabouret, ma décision prise. Il le comprit et pivota, m’invitant à le
suivre. Ce que je fis de mon plein gré, sans chercher à savoir où il m’emmenait exactement.
Durant les quelques mètres qui me séparaient de la porte, je sentis tous les regards sur moi, car
personne n’ignorait qui était Juan. À l’extérieur, j’aperçus cinq autres mecs à l’allure tout aussi
menaçante, à proximité de mon pick-up. Je reconnus parmi eux Guillermo. Quand je fus proche de lui, il
leva la main pour me faire un high five que je lui rendis. Il arborait également un sourire qui aurait pu le
faire passer pour un enfant de chœur, mais tout comme Juan, il était loin d’en être un. D’ailleurs, certains
de ses tatouages représentaient le nombre de ses victimes lors d’une guerre entre gangs.
Ma poitrine se serra. Mon frère avait aussi affiché fièrement de tels trophées avant d’atteindre le haut
de la pyramide. À présent, ses lieutenants faisaient en grande partie le sale boulot à sa place.
— Je suis content de te voir, Cruz.
— Moi aussi, Guillermo.
C’était la vérité, mais il était compliqué pour moi d’accepter un tel sentiment. Quel âge avait-
il aujourd’hui ? D’après mes souvenirs, il avait un ou deux ans de plus que mon frangin. Je réalisai aussi à
ce moment que Rafe m’avait carrément envoyé une partie de sa garde rapprochée, les hommes en qui il
avait le plus confiance.
— Et ta mère, comment va-t-elle ?
— Ça va bien, amigo. Lydia a accouché de son troisième enfant. Elle est gaga du bambino.
Lydia, sa sœur mariée à un membre du gang. Quel serait l’avenir de leur gamin ?
Je préférais ne pas y penser. Déprimant.
— Félicite ta sœur, répondis-je simplement en lui pressant l’épaule.
— Merci, hombre.
Je fis un signe à deux autres gars, Javier et Alfredo, que je connaissais aussi. Les deux derniers, plus
jeunes que moi d’après un premier constat rapide, m’étaient inconnus. Ils hochèrent la tête dans ma
direction avec un certain respect qui me mit mal à l’aise, avant de se fondre dans la nuit avec Alfredo. Je
compris que Rafe leur avait ordonné de surveiller mon pick-up. Le message que mon véhicule était
intouchable était passé, mais on n’était jamais trop prudent. En silence, je remerciai mon frangin.
Juan s’approcha d’une Buick noire dans laquelle il m’invita à prendre place, à l’arrière avec lui. Javier
s’installa derrière le volant, tandis que Guillermo grimpait sur le siège passager. La voiture démarra. On
s’enfonça bien vite dans des quartiers quasi déserts, voire abandonnés, dans lesquels un touriste ou un
Américain lambda n’auraient jamais posé les pieds. Il valait mieux pour eux, d’ailleurs. À ce moment, je
me souvins que, lorsqu’il m’avait fallu l’aide de Rafe pour retrouver Chase, je m’étais rendu à proximité
de ce bar. Ce soir-là, je n’avais pas dû attendre longtemps avant que Juan ne se pointe et tape à ma vitre.
Tout ce périmètre faisait partie de leur territoire.
Quand Javier s’engagea dans un dédale de rues plus étroites, mon regard se perdit sur le décor
déprimant. Au bout de dix minutes, la Buick s’arrêta devant un bâtiment à l’allure sordide avec sa façade
décrépie et ses fenêtres cassées, un genre de grand entrepôt aux briques grises, solidement gardé.
Certains me lancèrent des coups d’œil curieux avant qu’on n’entre dans un hangar.
— Hey, mais c’est Cruz ! s’exclama une voix que je reconnus.
Ciro s’approcha. On échangea une solide poignée de main avec un mouvement d’épaule croisé, puis je
suivis Juan dans un escalier qui nous mena au premier étage. Il me fit longer un couloir avant d’atteindre
les quartiers privés de mon frère. À sa vue, un garde planté devant la porte se poussa immédiatement sur
le côté. Le bras droit de mon frangin m’ouvrit.
— Vas-y, il t’attend.
Le battant se referma derrière moi dans un claquement sourd, et j’entrai dans une sorte de grand loft,
sommairement meublé. Je savais que Rafe changeait régulièrement son quartier général de place par
mesure de sécurité ; la dernière fois, j’étais cependant déjà venu ici.
— Approche, petit frère !
Sa voix rocailleuse résonna dans l’espace, derrière un grand paravent. Je m’enfonçai dans « l’appart »
pour trouver mon frangin assis sur un canapé confortable qui avait connu néanmoins des jours meilleurs,
flanqué de deux gonzesses de chaque côté. Une Latino à un stade de nudité avancé, ni plus ni moins
qu’en string et soutien-gorge. Et une autre meuf – une fausse blonde – en robe ultra mini dont le décolleté
contenait à peine ses seins.
Cette scène aurait pu ressembler à un mauvais clip de rappeur, mais mon frère possédait ce
magnétisme teinté d’une aura de danger, ainsi que cette intelligence vive dans les yeux, qui forçaient le
respect. Physiquement, on avait un air de ressemblance : même taille, même couleur de cheveux ; les
traits de son visage, plus durs, portaient toutefois les traces d’une vie différente, aux antipodes de la
mienne. Il repoussa les filles collées contre lui et se leva pour venir à ma rencontre.
— Cruz…
Rafe avait toujours parlé plus espagnol qu’anglais, d’où le léger accent chantant qu’on percevait dans sa
voix. D’ailleurs, il embraya dans cette langue.
— Comment tu vas ?
— Ça va.
Il m’attira contre lui pour un half-hug, d’un bras musclé : une barre de fer couverte de tatouages. Puis
d’un claquement de doigts, il ordonna aux deux nanas de dégager. La blonde obtempéra rapidement.
Celle en soutif et string, super bien foutue au demeurant (je n’étais pas aveugle même si elle me laissait
de marbre), se leva avec la grâce d’un chat. Elle passa près de moi avec un déhanché très sensuel, ses
seins pigeonnants me frôlant le bras au passage ; ses yeux lourds de promesses ressemblaient à deux
billes brûlantes capables de déclencher un incendie.
Je me souvins tout à coup de Mariela, la petite amie attitrée de mon frangin dans un passé qui me parut
très lointain. J’avais espéré un temps qu’elle réussisse à le sortir de cet engrenage, mais elle avait disparu
de la circulation. Du jour au lendemain, je n’avais plus eu de nouvelles. Je ne savais même pas si elle
vivait actuellement à New York ou quelque part dans l’est du pays.
— Assieds-toi.
Je pris place dans l’unique fauteuil, face au sofa. Comme toujours, mes sentiments envers Rafe partaient
dans différentes directions perturbantes. Une réelle joie – dérangeante – de le revoir flottait dans ma
poitrine, voilée cependant de regrets et de ressentiment – une pulsion d’ailleurs identique à celle que
j’avais eue lors de notre dernière entrevue –, et enfin, il y avait le soulagement qu’il soit en vie. Lorsque je
lui avais demandé son aide pour mettre la main sur Chase, cela faisait plus de deux ans qu’on ne s’était
pas vus.
Ce soir-là, il avait paru réellement content de me retrouver et il avait accepté de m’aider sans discuter,
envoyant même ses meilleurs hommes sur le terrain pour localiser Felix et lui foutre la trouille de sa vie.
Quant à notre précédente rencontre, près de mon lieu de travail, je continuais à la mettre sur le compte
du hasard. C’était trop compliqué pour moi, ou troublant, de penser qu’il avait tout simplement cherché à
me voir parce que je lui manquais peut-être. Oui… comme je le disais : rien n’avait jamais été simple
entre nous.
Knox se méfiait encore de lui comme de la peste, car l’ambition de mon frère l’avait souvent conduit à
manipuler son entourage sans états d’âme. Je n’avais pourtant pas menti à mon pote quand j’étais revenu
avec Chase : Rafe ne m’avait rien demandé en retour. Je me répète, mais il avait paru heureux de me
revoir (une partie de moi en était d’ailleurs quasi sûre, l’autre, comme toujours, se protégeait de ce genre
de constat), même si ma visite était motivée par des circonstances qui n’avaient rien à voir avec un désir
spontané de faire la causette avec lui.
— Alors, qu’est-ce que mon petit frère fait dans cette partie de la ville, à s’enfiler des shots de tequila ?
L’œil de Moscou, carrément ! J’eus un haussement d’épaules dégagé avant qu’il ne se dirige vers un
frigo branché, à quelques pas, dans ce qui faisait office de salon en plein milieu du « loft ».
— Je me suis perdu, répondis-je avec ironie en acceptant la bière fraîche qu’il me tendit quand il revint à
ma hauteur.
Il rigola et prit place au milieu du canapé, puis me regarda droit dans les yeux. Ses iris avaient des
nuances chocolat plus foncées que les miens.
— Tu passes le week-end chez Tio ?
— Oui.
Il marqua une pause.
— Comment il va ?
— En forme, répondis-je après avoir bu une gorgée de ma bière.
J’aurais pu lui balancer que s’il voulait avoir de ses nouvelles, il avait deux jambes qui lui permettaient
de rendre visite à notre oncle de temps en temps. Une rencontre discrète, en toute sécurité. Il avait les
moyens de l’organiser. Mais je m’abstins, car je préférais cette situation qui tenait à distance son monde
violent du nôtre. De plus, je ne voulais pas que Tio soit mis en face de ce qu’il considérait comme son plus
grand échec.
— Si tu as besoin de décompresser un peu, je peux te proposer Rena. Tu lui plais et crois-moi, elle sait
jouer avec la queue d’un homme. Elle est très douée au lit.
Sans blague… quelle surprise !
Mais ça aussi, c’était les règles d’un gang. En tant que chef, Rafe pouvait offrir ses « favorites » comme
il l’entendait. D’ailleurs, c’était même un honneur pour ces dernières. Un truc tordu de ce style.
Subitement, je me demandai si Rafe aurait disposé de Mariela de la même façon que de ces filles. Après
tout, elle avait grandi dans une famille merdique qui aurait pu la pousser à mal tourner. D’après les
quelques souvenirs que je conservais en mémoire, mon frère avait été super jaloux et possessif avec elle.
Mais il était alors plus jeune, beaucoup plus jeune.
Il avait bien changé depuis.
— Alors, raconte ! Ta boîte, ça marche bien ?
La dernière fois, j’étais allé droit au but en lui expliquant tout de suite le but de ma venue ; devant le
studio, lors de cette « rencontre due au hasard », je m’étais cantonné à quelques banalités sans
m’attarder… Mais là – et je me surpris moi-même –, je m’entendis lui dire qu’on avait inauguré le nouveau
local il y a quelques mois, avant de continuer sur ce sujet. Il me posa des questions auxquelles je répondis
sans être sur la défensive, ou sans penser que c’était une mauvaise idée de blablater avec lui de ma vie
privée.
Le temps s’écoula tranquillement. On déterra quelques souvenirs de jeunesse et je ris aux éclats
lorsqu’on se remémora ma première biture. C’était lui et Juan qui étaient venus me récupérer dans un
bar. Il me proposa une autre bière que j’acceptai et le temps fila encore. Quand mes yeux se posèrent
finalement sur mon portable, il affichait deux heures du matin.
— Il faut que j’y aille, dis-je en me levant.
Il fit de même.
On se retrouva face à face dans un silence pesant. J’étais conscient qu’un tel moment (surprenant en
soi) ne se reproduirait plus. Lui aussi peut-être… En sortant d’ici, je savais que je récupèrerais tout mon
bon sens et que ma carapace solide –vitale – se reformerait de nouveau après une nuit de sommeil. Ce
soir, avec mes défenses au plus bas… cela avait été particulier. Toutefois, j’ignorais encore à cette minute
si, dans un moment où je me sentais vulnérable, je n’étais pas inconsciemment venu dans ce bar, sur son
territoire, pour avoir une chance de le voir. Je n’arrivais pas à m’expliquer cette pulsion… mais j’étais
content de l’avoir fait. Un sentiment toujours perturbant.
Sa voix me sortit de mes réflexions.
— Hé, mec, évite de te retrouver seul dans ce type de bar et dans cette partie de Brooklyn si tu
cherches à te saouler… à cause d’une nana, rajouta-t-il.
Ouais, c’était ça aussi, Rafe : un mec observateur. Ce qui lui avait sans doute plus d’une fois sauvé la
vie.
Qu’est-ce qui te dit que c’est à cause d’une gonzesse ? J’avais juste envie de boire quelques verres, c’est
pas un crime ?
Ces paroles, je ne les prononçai pas, ne voulant pas m’embarquer sur un terrain mouvant. D’ailleurs,
dans cet endroit, face à Rafe, je ne voulais même pas songer à Bethany. Pas une seconde ! Comme si ce
lieu et son statut de chef de gang avaient eu le pouvoir de salir une fille aussi spéciale. En revanche, je ne
pus me retenir de lui balancer d’un ton sacarstique, en anglais cette fois :
— Il faut vraiment être con pour se saouler à cause d’une nana, et je ne lui suis pas !
Rafe me dévisagea plus longuement avant de me taper sur l’épaule avec un sourire entendu que
j’ignorai.
— Les mecs les plus intelligents peuvent devenir très cons à cause d’une gonzesse ! lâcha-t-il, switchant
dans la même langue.
— Tu parles en connaissance de cause ?
Je n’avais pas pu résister. Il rigola, mais ses yeux ressemblaient à deux flaques sombres.
— Je suis trop vieux pour croire à ces conneries, au grand amour.
Cette réponse, un peu hors de propos, m’étonna.
— Et tu y as cru avant ? rétorquai-je du tac au tac, toujours sur le ton de la plaisanterie, en pensant à
Mariela.
— Non… Jamais.
Il mentait.
Je le sentis dans toutes mes tripes et, signe imparable, il lui avait fallu deux secondes pour me répondre.
Pour un mec comme Rafe, deux secondes de trop pouvaient faire toute la différence entre la vie et la
mort. Autant dire qu’il avait les réflexes les plus vifs qu’il m’ait été donné de voir dans différents types de
situations. J’eus un pincement bizarre à la poitrine.
— Salut, frérot, fais gaffe à toi ! lança-t-il.
— Toi aussi, fais attention !
Ma gorge se serra à ces paroles qui, compte tenu du milieu dangereux dans lequel il évoluait, n’étaient
pas dites par simple politesse. Juan apparut de nulle part pour me reconduire jusqu’à la Buick. On refit le
même chemin en sens inverse. En levant mes yeux vers le premier étage, je crus apercevoir l’ombre d’une
haute silhouette derrière une des rares fenêtres en bon état. Je la fixai quelques secondes avant de
grimper à l’arrière du véhicule. À mes côtés, Juan respecta mon silence durant le trajet. En descendant de
la caisse, je fis au passage une tape sur l’épaule de Javier et de Guillermo, sans un mot.
— Adiós, Cruz.
Ensuite, Juan m’accompagna jusqu’à mon pick-up et resta sur le trottoir le temps que je mette le moteur
en route. Je baissai ma vitre pour lui jeter un dernier regard.
— Fais attention à lui ! lançai-je, la voix enrouée.
Il me répondit par un petit hochement de tête, une lueur intense brillant dans ses yeux vifs : « Tu peux
compter sur moi ». Sur ce, je démarrai. La Buick me suivit un bout de temps, telle une ombre protectrice,
jusqu’à ce que j’arrive à la frontière d’un quartier réputé plus sûr. Ils m’escortèrent encore quelques mi​‐
nutes, puis me firent un appel de phares en guise d’au revoir lorsqu’ils tournèrent à un embranchement.
Stupidement, mes yeux se mirent à picoter avant que je ne les frotte brusquement. À l’aide de plusieurs
profondes inspirations, je délogeai ce truc lourd dans ma poitrine.
Il m’en fallut un certain nombre…
Chapitre 12

Bethany

En m’approchant du Deity, mon cœur se mit à cogner plus fort, beaucoup plus fort. Ma mère m’avait
prêté sa voiture et j’avais trouvé une place à un block de là. Pas très loin de l’établissement. J’espérais
toutefois que la distance serait assez longue pour me permettre de réguler mes battements erratiques.
J’allais le revoir…
Cruz…
Sa dernière visite remontait à des semaines. Une visite qui m’avait vraiment surprise, voire
complètement désarçonnée. Je ne m’y attendais pas. D’ailleurs, je n’en avais pas cru mes yeux lorsque je
l’avais découvert dans le hall de chez moi à côté de ma mère. Au début, il m’était apparu… disons…
bizarre. Difficile à expliquer ! Mal à l’aise serait un mot trop fort, mais j’avais senti un truc dans l’air. De
mon côté, comme d’habitude, j’avais oscillé entre diverses émotions, un vrai yoyo : la joie de le revoir,
mais qui avait entraîné une forte culpabilité vis-à-vis de Jace. Entre autres. Le premier quart d’heure,
j’avais passé mon temps à combattre un trop-plein de sensations.
Lorsqu’il m’avait posé la question sur Jace avant de partir, j’avais été prise de court. Un euphémisme !
Pour une raison inexplicable, je n’avais pas pu me résoudre à lui dire que c’était fini entre nous. Certes, je
n’avais d’une manière générale pas envie d’en parler, encore moins avec Cruz, mais tout se révélait
beaucoup trop compliqué dans ma tête. À ce jour, il n’y avait que ma mère et Ashley qui étaient au
courant.
La porte vitrée du restaurant apparut devant moi, me sortant de mes pensées. J’inspirai pour me donner
du courage et la poussai du plat de la paume. Dès que je mis un pied à l’intérieur, Gabriel Steele vint à ma
rencontre, un sourire aux lèvres. Je le lui rendis en serrant sa main.
— Bonjour, Bethany, vous allez bien ?
— Oui, merci, et vous ?
— Très bien, merci. Ils sont déjà dans la salle, m’indiqua-t-il.
Je le remerciai du regard avant d’emprunter le couloir qui reliait l’annexe au resto. La voix de Ryder
parvint jusqu’à mes oreilles.
— À gauche, mec ! Tu sais où est ta gauche ou quoi ?!
— Putain, Ryder, tu changes encore une fois d’avis et je te balance par la fenêtre ! Gauche ou droite, il
faut te décider !? gronda une voix familière qui me donna des frissons partout.
Mais vraiment partout.
Oh, bon sang !
Je déglutis avec difficulté. Ça commençait bien !
— À gauche, j’te dis !
— T’as pas intérêt à changer d’avis, ou cette fois je t’étripe !
Leurs chamailleries me firent sourire, malgré les battements de mon cœur qui atteignirent un niveau de
décibels inquiétant dans les derniers mètres. J’allais, d’ici quelques secondes, revoir Cruz après un temps
fou ! En fait, bosser comme une dingue, pour mes semi-partiels, avait été d’une grande aide pour ne pas
penser à lui jusqu’à grimper aux murs.
— Salut, les gars ! lançai-je en entrant dans la salle avec un beau sourire.
J’embrassai du regard la scène devant moi. Cruz se tenait sur un escabeau pour fixer un spot au-dessus
de lui. À ses pieds, Ryder, qui se retourna vers moi.
— Hey, Bethany ! s’exclama-t-il, les prunelles pétillantes.
Il s’approcha pour me serrer dans ses bras.
— Dis donc, ça fait un bout de temps qu’on s’est pas vus.
C’était vrai, et j’étais contente de le revoir.
— Oui, comment tu vas ?
— La forme !
Puis, je me blindai intérieurement en levant la tête vers Cruz qui avait les yeux baissés sur moi. La
gorge nouée, je lui fis un signe de la main avec un autre sourire que j’espérai des plus naturels.
— Salut, Cruz !
— Hey, Bethany !
Même le « Hey », une interjection plutôt sympathique, ne m’empêcha pas de remarquer qu’il avait
immédiatement reporté son attention sur ce qu’il trafiquait, sans un mot de plus. Un peu décontenancée
par sa réaction, je masquai la mienne en faisant un mouvement vers la table la plus proche.
— Les décos sont arrivées, lança-t-il d’une voix neutre, je les ai rangées près de la fenêtre.
J’avisai des cartons marqués du logo de la boutique.
— OK, merci. Je m’en occupe.
Je lui jetai un rapide coup d’œil, mais son regard était toujours braqué sur les spots qu’il fixait.
— C’est bon comme ça ?
— Parfait, répondit Ryder.
Je traversai la salle en observant les tables déjà prêtes avec nappes, assiettes et couverts, que Cruz
m’avait laissé choisir. La demi-heure suivante, je m’occupai de sortir les décorations de chaque carton
pour les placer à ma façon sur les tables. Pour ce qui était des fleurs, elles seraient livrées le jour même,
le samedi matin. Affairée de mon côté, je croisai deux fois le regard de Cruz lorsqu’il s’attaqua aux boules
chinoises. Avec une patience infinie, il les attacha au plafond sur des fils tendus au préalable. Je l’entendis
pousser un petit juron quand il atteignit un coin de la salle. N’y tenant plus, je m’approchai de l’escabeau
sur lequel il était perché.
— Pas trop dur ? Désolée pour ce truc en plus.
Il baissa la tête vers moi, un sourire étirant ses lèvres. Et bon sang, cela me fit du bien. Son
comportement, légèrement distant, me perturbait plus que je ne voulais l’admettre.
— Nan, ça va… j’arrive au bout.
— Alors, Bethany, enchaîna Ryder qui sauta d’un autre escabeau, ça gaze les cours et la fac ?
— Je viens de finir mes semi-partiels.
Il eut une grimace éloquente.
— Les choses sérieuses ont commencé…
J’éclatai de rire.
— On peut dire ça.
Elles avaient commencé dès la rentrée à un rythme soutenu, mais je supposai que Ryder et moi, on
n’avait pas la même vision des choses ; ce qui ne me surprenait guère, à vrai dire. Pendant qu’on discutait
tous les deux de sujets divers, je remarquai du coin de l’œil que Cruz ne nous rejoignait pas. En fait, dès
qu’il descendit agilement de son propre escabeau, il s’éloigna pour partir à la recherche de Steele et il
revint plus tard. De très longues minutes plus tard.
— Le DJ installe son matos demain matin, avertit-il en s’adressant à Ryder.
— OK, tu veux repasser demain ?
— Oui, en début d’après-midi, pour m’assurer que tout fonctionne.
— Pas de souci.
Cruz pivota (enfin) vers moi et ses belles prunelles chocolat plongèrent dans les miennes. Mon cœur
rata une tonne de battements.
— Ça en jette, les décos sur la table ! lâcha-t-il avec un sourire.
Oh, il avait tout de même regardé ce que j’avais fait ? Son compliment fit enfler ma poitrine plus que de
raison.
— Merci.
Je me raclai la gorge avant d’enchaîner :
— Au fait, Dillon, Miles et la bande, ils sont déjà arrivés ?
Cruz secoua la tête.
— Non, ils arrivent demain à New York.
J’acquiesçai avec un sourire joyeux.
— Je suis super contente de les revoir.
Il sourit aussi.
Et ça me fit du bien, de nouveau. J’avais l’impression de m’accrocher désespérément à chacune de ses
réactions un tantinet chaleureuse.
Avant de partir, Ryder et lui vérifièrent encore quelques détails électriques. Une autre chose que je
remarquai lorsqu’on fut sur le point de lever le camp – dix minutes plus tard –, c’est qu’il ne chercha pas à
savoir comment j’étais venue jusqu’ici et si j’avais éventuellement besoin d’un chauffeur. Je me faisais
peut-être des films, mais je trouvai ce comportement très bizarre. Pas son genre. D’ailleurs, ce fut Ryder
qui me le proposa.
— Tu veux que je te ramène ?
À ce moment, je vis Cruz ouvrir la bouche pour la refermer aussitôt, sans prononcer une parole ; une
tension raidit ses larges épaules… comme s’il guettait ma réponse. Bon sang, mes examens m’avaient
fatiguée plus que je ne le pensais. Je souffrais de petites hallucinations intempestives.
— Merci ! Mais c’est bon, ma mère m’a prêté sa voiture.
— Le jour où tu as besoin d’une caisse, n’hésite pas à m’appeler, ajouta Ryder.
— J’en avais bien l’intention.
Steele arriva sur ces entrefaites et on prit congé de lui. Dehors, la nuit était déjà tombée, le mois de
décembre pointant son nez.
— Tu es garée loin ? me demanda soudain Cruz.
Stupidement, sa question (son inquiétude ?) dénoua un petit nœud au fond de moi.
— Non, j’ai trouvé une place au bout du block, répondis-je d’un ton nonchalant avec un mouvement de la
tête vers ma droite.
— On t’accompagne, rétorqua-t-il d’un ton sans appel.
Durant les quelques mètres qui nous séparaient de mon véhicule, ce fut Ryder qui fit la conversation.
Une fois devant la Honda de ma mère, je posai une dernière question d’une voix légère :
— Alors, Knox ne se doute de rien ?
— Nada, répliqua Cruz.
Ryder se mit à glousser.
— Demain, il va tomber sur le cul.
Je ris à mon tour puis, après une ultime banalité, je grimpai finalement dans la voiture.
— À demain, lançai-je, le visage tourné vers la vitre à moitié ouverte.
Ryder me fit un signe de la main.
— À demain, Bethany.
Cruz se cantonna à un simple hochement de tête : une attitude de nouveau déroutante. Mais ce ne fut
pas cette réaction de sa part qui me déstabilisa le plus, mais plutôt le regard très intense qu’il posa sur
moi une demi-seconde, avant de reculer brusquement pour faire volte-face. Les mains tremblantes
agrippées au volant, je démarrai.
Plus tard, dans ma chambre, mon téléphone vibra. Un SMS entrant.
Cruz.
Mon cœur fit une belle embardée, à en avoir le tournis.
Cruz : Bien arrivée ?
Mes doigts agités coururent sur le clavier.
Moi : Oui, sans problème.
Puis ce fut le silence : plus aucun texto.
Je fixai son message un long moment, un peu tourneboulée, avant de tomber brusquement en arrière,
sur le dos, les yeux rivés au plafond.
L’esprit en vrac.

Le lendemain, j’arrivai au resto en compagnie de ma mère et de tante Anna, assez excitée. J’étais très
heureuse d’avoir contribué à organiser cet évènement ; à présent, après toutes ces semaines, j’étais super
impatiente de voir la réaction de Knox, et de Jailyn également. En pénétrant dans la salle décorée, je pus
remarquer que quasiment tous les invités étaient déjà là. Les retardataires allaient débarquer d’ici
quelques minutes. Il me fallut du temps pour saluer les premiers convives. Je m’arrêtai tout d’abord à la
hauteur de Holly et Wade. Dillon discutait avec Chase un peu à l’écart et, quand il me vit apparaître
devant lui, un large sourire se dessina sur ses lèvres. Il ouvrit les bras en grand.
— Hey, s’exclama-t-il, mais t’as encore grandi, toi !
Avec un petit rire, je me précipitai sur lui. Il m’attrapa dans une étreinte chaleureuse et fraternelle.
— Je suis tellement contente de te revoir !
Au-dessus de son épaule, je vis Miles s’approcher à son tour avec un grand sourire également. Quand
Dillon me relâcha, je me précipitai aussi sur lui avec le même bonheur. Il rigola en m’embrassant.
— Salut, ma Bethany.
Ma gorge se serra à ce petit surnom. Je le dévisageai, émue.
— Knox va être si content de vous voir, tous les deux !
Il sourit de nouveau.
— Ça nous fait aussi du bien de revenir ici et de revoir notre pote.
— Alors, vous êtes en tournée ?
— Oui, on a décroché des contrats dans de petites salles et des bars à travers le pays, répondit Dillon.
— C’est génial. Je suis contente que ça marche pour vous.
Je discutai avec eux quelques minutes. Miles semblait aller bien – du moins aussi bien que possible –
mais, pour toute personne qui le connaissait depuis longtemps, il manquait dans ses prunelles cette lueur
pétillante, sa marque de fabrique. Malheureusement, elle ne reviendrait peut-être jamais, pensai-je, le
cœur soudain plus lourd. Toutefois, je ne me laissai pas gagner par la tristesse ; ce n’était ni le lieu ni le
moment. Il avait la chance de faire ce qu’il adorait avec des gens qu’il appréciait. Et j’étais convaincue
que Dillon, avec son caractère mature et sa solidité, devait lui être d’une grande aide après la tragédie
qu’il avait traversée. Je serais bien restée plus longtemps en leur compagnie, mais la politesse exigeait
que je salue les autres invités.
— On se voit plus tard, leur lançai-je. Je suis vraiment contente que vous ayez pu venir, ça n’a pas dû
être facile de vous libérer…
— Nous aussi, on est heureux, Bethany, fit Miles. Tu sais bien qu’on n’aurait loupé ça pour rien au
monde.
Dillon lui donna une tape sur l’épaule.
— On sera sur les genoux, la semaine prochaine…
— Parle pour toi, vieillard, intervint Camden en passant par là.
Je gloussai lorsque Dillon lui répondit par un doigt d’hon​neur.
— À plus tard.
Avant de m’éloigner, je vis Kendra rejoindre Dillon. Elle m’adressa un signe de la tête en guise de salut.
C’était une belle fille au style gothique, et qui ne passait pas inaperçue avec les pointes roses de ses
cheveux raides s’accordant à la couleur de son bustier. Des bottes en daim (une tuerie), noires et à talons
compensés, lacées jusqu’au-dessus des genoux, accentuaient la minceur de sa silhouette. Une jupe courte
et des bas résille complétaient le tout. Ses yeux clairs tranchaient avec son maquillage charbonneux,
super bien fait, et son rouge à lèvres bordeaux. Bon sang ! Il m’aurait fallu des heures pour arriver à un
tel résultat sur mes paupières ! Et encore, sans atteindre une telle perfection. Mon regard s’attarda sur
elle malgré moi.
Je refusais de juger quelqu’un sans le connaître, mais cette fille un peu spéciale dégageait une certaine
« froideur » qui tenait parfois les gens à distance. Ce n’était que la deuxième fois de ma vie que je la
croisais, mais le couple qu’elle formait avec Dillon (une personne chaleureuse et attachante) me
paraissait toujours aussi détonant. Dans mon dos, j’entendis soudain une voix amusée :
— Hey, toi !
Avec un sourire, je me tournai pour faire face à une nana pétillante aux cheveux châtain clair balayant
ses épaules.
— Hey, toi ! répondis-je.
Une énergie communicative se dégageait de la petite sœur de Jailyn. J’avais fait sa connaissance
lorsqu’elle était arrivée à New York, une fois sa candidature acceptée dans la célèbre école Juilliard. On
avait bien accroché dès notre première rencontre. Difficile d’ailleurs de ne pas accrocher avec Tiphaine,
une boule d’énergie, toujours souriante. On se voyait très peu, mais on avait souvent l’occasion de
discuter à travers les réseaux sociaux.
Elle « aimait » toutes les photos que je postais sur Instagram et il en était de même pour moi, ses
commentaires me faisant plier de rire, parfois. J’adorais les petites vidéos qu’elle diffusait lorsqu’elle
jouait du violon chez elle, dans l’appartement qu’elle partageait avec Emma, une copine de fac de Jailyn.
Elle avait un talent fou qui m’impressionnait. Je n’étais pourtant pas une fan de classique, mais ses
courtes prestations me foutaient toujours les poils. J’adorais l’écouter jouer : elle me transportait dans un
autre monde, fort et poétique.
Elle me fit la bise à la française, sur les deux joues, et provoqua mon hilarité lorsqu’elle rajouta d’une
voix amusée :
— Je m’entraîne.
Tiphaine avait déjà fait allusion à cette étudiante française qui avait elle aussi été acceptée à Juilliard.
La fille était originaire de Metz, dans l’est de la France, et suivait des cours de danse classique.
Honnêtement, je n’aurais pas su placer cette ville sur une carte avant que Tiphaine ne m’en parle. Elle
m’avait également parlé d’une Italienne qui venait d’une toute petite bourgade du nord du pays.
Connaissant la sélection draconienne de cette école à la réputation internationale, j’étais admirative
devant les dons et le courage de ces nanas qui n’avaient pas hésité à quitter famille et amis pour
poursuivre leurs rêves de l’autre côté de l’océan – dans un pays totalement inconnu, avec en plus la
barrière de la langue. D’ailleurs, Tiphaine les aidait beaucoup à progresser en anglais.
— Alors, comment ça se passe, mademoiselle Juilliard ? demandai-je.
— Le rythme est soutenu, mais je m’éclate vraiment. Juju n’aura pas ma peau, ajouta-t-elle avec un clin
d’œil.
Monsieur Jules, son professeur de violon, très exigeant avec ses élèves.
— Une dure à cuire comme toi, j’en doute.
Elle gloussa, puis on plaisanta encore quelques secondes avant que je ne me dirige vers Irvin pour le
remercier de vive voix. Je discutais avec lui lorsque la voix de Dillon s’éleva au-dessus du brouhaha.
— Ils arrivent, avertit-il en agitant son téléphone en l’air. Cruz vient de me prévenir.
Bien sûr, ce prénom fit bondir mon cœur. Ah la la… la soirée s’annonçait un peu compliquée si je ne
réussissais pas à brider mes émotions ! Quelques minutes plus tard, on entendit des voix étouffées et
toute la salle se tut, dans l’attente.
Le premier qui fit son apparition fut Zack, qui se glissa immédiatement sur le côté. Knox et Jailyn le
suivaient à quelques pas, Ryder et Cruz fermant la marche. À son entrée, mon frère s’arrêta net, les yeux
écarquillés. Jailyn eut une réaction à peu près similaire.
— Qu’est-ce que…
Ses paroles moururent sur ses lèvres. Planté comme un piquet, il embrassa du regard les lieux, les gens,
puis aperçut la bannière suspendue au milieu des boules chinoises : « Happy Birthday, Knox ». Des voix,
dont la mienne, commencèrent à entonner la chanson traditionnelle. Sa pomme d’Adam monta et
descendit rapidement plusieurs fois, signe évident de l’émoi qui le gagnait. Les yeux de Jailyn se mirent à
briller comme des diamants de larmes contenues. Lorsque mon frère vit Dillon et Miles sortir du lot des
invités et s’approcher de lui, son émotion atteignit son paroxysme avant qu’un énorme sourire n’illumine
son visage. Il franchit très vite les quelques mètres qu’il restait entre eux pour les étreindre tour à tour
avec chaleur, un moment rempli d’une affection émouvante.
Une boule se logea dans ma gorge.
Ensemble, ils avaient vécu tellement de choses ! Une amitié indéfectible les unissait, que rien ne
pourrait détruire, ni le temps, ni les chemins différents qu’ils empruntaient, ni la distance qui les séparait
pendant de longs mois.
— Et nous et nous ? s’écria Wade. On veut aussi notre câlin.
Toute l’assemblée éclata de rire et une belle cacophonie s’ensuivit. Knox et Jailyn commencèrent à
saluer les invités avec une petite parole pour chacun ou un hug. Le DJ en profita pour démarrer une
musique d’ambiance rythmée.
La soirée était lancée.
Je vis mon frère serrer longuement contre lui Irvin, qu’il considérait comme un véritable mentor. Ce
dernier lui souffla quelques mots avant de saluer Jailyn avec la même affection. Puis, Knox se dirigea vers
ma mère et tante Anna, aussi émues l’une que l’autre quand elles l’embrassèrent. Elles se montrèrent
également très chaleureuses avec Jailyn, qui s’était fait une place de choix dans notre famille. Knox arriva
ensuite à la hauteur de Chase. Le temps d’une étreinte fraternelle, ils mirent leurs problèmes de côté.
Enfin, je le vis s’avancer vers Zack, Ryder, et Cruz, le regard parlant, visiblement encore touché par cette
belle surprise.
Il les étreignit un à un, tout en les remerciant avec quelques mots. Cruz lui souffla à l’oreille quelque
chose qui le fit pivoter vers la salle. Il la scanna des yeux jusqu’à s’arrêter sur moi. D’une main, il pressa
une dernière fois l’épaule de son pote avant de marcher dans ma direction en de longues enjambées.
Dans mon champ de vision, je voyais toujours Cruz. Les secondes suivantes resteraient à coup sûr (ou
pas) tatouées dans mon cerveau, car soudain, il me fixa avant que ses prunelles ne balayent ma silhouette
de haut en bas, de bas en haut. Avec une lueur…
Une lueur brûlante !
J’aurais pu le jurer.
Avant que je ne puisse comprendre les réactions de mon corps qui semblait se liquéfier, il se détourna
brusquement vers Ryder. Là, j’eus l’impression de me prendre un vent ! Un moment très désagréable qui
relégua les dernières minutes à « une hallucination de plus » ! Comme Knox arrivait sur moi, je me repris
dans un effort surhumain, affichant un sourire normal sur des joues glacées.
— Merci, sœurette.
Une phrase qui me fit comprendre ce que Cruz lui avait chuchoté dans l’oreille. Il m’attira contre lui.
— Bon anniversaire, Knox, soufflai-je.
Il me caressa la pommette avec toute l’affection d’un grand frère. Le meilleur ! Mais il fut bien vite
entraîné ailleurs. Pour m’occuper l’esprit et aussi me reprendre complètement, je guidai les gens vers
leurs places, puisque je connaissais le plan par cœur. Deux ou trois mecs – d’un groupe de musique, je
présumais – plaisantèrent quand je les accompagnai à leur table. Ce qu’ils voyaient leur plaisait
visiblement.
À cet instant-là, je refusai d’admettre que j’avais passé des heures devant ma glace pour un certain
Latino. Ma mini-jupe, mes bas résille, mes bottes en daim aux talons plats, mes cheveux blonds lissés,
mon petit haut moulant étincelant et mes yeux mis en valeur par un maquillage plus foncé
qu’habituellement, m’attirèrent d’autres regards qui cicatrisèrent un peu mon ego malmené. Jailyn
m’intercepta et me pressa contre elle pour me murmurer à l’oreille :
— Merci. Tu ne sais pas combien cela le rend heureux d’avoir toute sa famille et ses amis autour de lui,
aujourd’hui.
— Merci pour le bonheur que tu lui donnes.
Elle m’embrassa affectueusement sur la tempe avant de s’écarter. Ses sourcils se froncèrent
légèrement.
— Jace n’est pas là ?
Mayde, mayde ! Je détestais mentir, surtout à Jailyn qui était une véritable amie.
— Non… il avait quelque chose de prévu.
À mon grand soulagement, je n’avais pas bafouillé.
— Ah, OK !
Je me promis de lui dire la vérité quand je me sentirais prête. Elle comprendrait ce petit mensonge jeté
lors d’une soirée qui n’était ni le lieu ni le moment pour m’épancher sur mes problèmes de cœur. On se
sépara. Je regagnai ma table ; alors que je passais près du bar où on s’occupait déjà à servir certains
convives assoiffés, une voix faillit me faire sauter en l’air.
— Bethany ?
Je me retournai prudemment pour faire face à l’objet de mes pensées obsessionnelles.
— Je voulais de nouveau te remercier pour m’avoir aidé, lâcha Cruz, le visage neutre.
Je déglutis tout en espérant que mon cœur cesse de faire tout ce vacarme dans ma poitrine. Il allait
l’entendre. Grâce à un gros effort, je réussis à afficher le sourire de la bonne copine.
— Merci d’avoir pensé à moi.
Et c’était sincère. Il me dévisagea quelques secondes avant de balancer un bref :
— À plus tard.
— OK…
Il n’y aurait jamais de « plus tard » entre lui et moi.
On passa finalement tous à table et le DJ enchaîna sur un autre style de musique. Cela avait été un vrai
casse-tête pour placer les invités. Cruz se trouvait à la table de Knox et Jailyn avec le trio Dillon, Kendra
et Miles. Pour ma part, j’étais assise à côté de Chase, lui-même, installé à côté de Holly ; Wade, Tiphaine
et Ryder complétaient le cercle. Ces deux-là se marraient déjà bien.
De ma chaise, j’aperçus ma mère et tante Anna, plongées dans une discussion animée avec Irvin et des
inconnus. Des membres d’un groupe proche de Knox, il me semblait. Mes décorations rencontrèrent un
grand succès, d’ailleurs mon frère leva le pouce de loin avec un clin d’œil. Je vis Jailyn s’extasier devant
les petits bouquets d’œillets blancs.
Cela me réchauffa le cœur. Un peu…
Le DJ mit de l’ambiance pendant tout le repas. Knox et Jailyn passaient de table en table pour discuter
avec chaque convive entre les plats. Après un dîner excellent et le dessert, la salle se transforma en night-
club avec piste de danse. Certaines personnes comme tante Anna, Irvin et ma mère trouvèrent refuge
dans le salon installé sur la mezzanine pour déguster leur café après s’être également éclatées sur une
série funky. Il n’y avait pas d’âge pour ça. D’autres jouaient à des jeux vidéo. Quant au bar, il ne
désemplissait pas. À vrai dire, la fête était une véritable réussite, ce serait mémorable.
Pour moi : c’était encore une fois très compliqué. Cette litanie commençait à devenir saoulante. Mais au
fur et à mesure que les heures s’écoulaient, je me sentais davantage prise dans un étau confus. En
façade, je m’amusais ; intérieurement, c’était une tout autre histoire ! Et cela empira quand Cruz, qui ne
m’avait plus jeté un seul regard de la soirée, invita Tiphaine à danser. Si je n’avais pas trouvé l’idée
ridicule, j’aurais pu croire qu’il m’évitait.
Mais il n’avait plus rien du mec qui m’avait attendue devant le cours de danse il y a quelques semaines,
qui m’avait sortie de mes retranchements pour que j’accepte de l’aider à organiser l’anniversaire de mon
frère, qui m’avait ouvert les yeux sur mon attitude injuste envers lui, ces derniers mois. Il n’avait plus rien
de cet ami chaleureux et amusant que j’avais rencontré lors de ces après-midis en tête à tête. Des
moments géniaux. Je sentais une distance se creuser de plus en plus entre nous.
D’un côté, j’aurais dû être soulagée qu’il reste éloigné de moi. Ainsi, je n’avais pas à lutter constamment
contre moi-même : cette attirance qui devenait difficile à contrôler ; cette petite voix qui me soufflait que
je n’avais pas halluciné tout à l’heure ; le souvenir de sa visite surprise, encore trop présent dans ma
mémoire, qui me donnait à penser que je lui manquais également.
Autant de détails très dangereux…
Eh bien non ! Les regrets m’envahissaient compte tenu de la tournure que prenait notre relation ce soir.
Dans un sursaut d’énergie, je me sermonnai avec une sévérité impitoyable : j’avais l’esprit beaucoup
trop imaginatif. Il y avait du monde et Cruz, très occupé, s’assurait que tout se passait bien : bar,
musique, etc ! Ni plus ni moins ! Il avait aussi le droit de s’amuser avec ses potes et d’autres gens ! Il
pouvait également danser avec une fille aussi géniale que Tiphaine. Et les voir ensemble sur la piste ne
devait pas me donner la furieuse envie de les séparer brutalement.
Merde !
Je ne voulais pas ressentir de la jalousie envers elle. Je l’appréciais trop pour ça. Cependant, j’évitais de
regarder dans leur direction. Poussée à bout, j’allais me diriger vers les escaliers afin de rejoindre ma
mère quand j’entendis une voix familière :
— Hey, tu ne vas pas t’envoler ?
Je me tournai vers Miles avec un grand sourire.
— Mademoiselle, m’accorderiez-vous cette danse ? me demanda-t-il solennellement.
Je gloussai.
— Avec plaisir.
Danser un slow avec Miles me mit du baume au cœur. D’ailleurs, cet intermède se révéla la meilleure
chose qui soit en ce moment difficile. Il avait le don de m’apaiser en éveillant mes instincts les plus
protecteurs. Mes problèmes sentimentaux étaient du petit lait par rapport à ce qu’il vivait. Exit mes
lamentations ridicules ! Il y avait encore au fond de ses yeux une tristesse qu’il n’arrivait pas toujours à
cacher. Ce garçon connaissait la souffrance. La vraie, la terrible qui vous rongeait inlassablement de
l’intérieur comme un cancer.
Moi, ce n’étaient que des idioties dignes d’une ado. J’y allais fort dans mes jugements, mais j’avais
besoin de ça pour réussir à me sortir d’une spirale horrible qui paraissait sans fin.
— Knox m’a dit que tu avais un petit copain ?
Une boule d’angoisse se forma dans le creux de ma poitrine.
— Tu peux garder un secret ?
Il me dévisagea d’un air surpris.
— Bien sûr, ma grande.
— Lui et moi, c’est fini.
Miles avait toujours eu un don pour que je me confie à lui. Je savais qu’il serait une véritable tombe et, à
cette minute, j’avais besoin d’évacuer un trop-plein en moi, une culpabilité douloureuse noyée dans un
merdier au parfum latino.
— Je n’ai pas envie d’en parler autour de moi. Il n’y a que ma mère et Ashley qui sont au courant.
— Il t’a fait du mal, parce que si c’est le cas…
— Non, non, c’était un mec bien, le coupai-je en vitesse. C’est moi qui ai rompu. Je n’étais pas faite pour
lui.
Cette phrase, je la connaissais par cœur.
Il ne dit rien, mais je sentis à quel point mes derniers mots l’atteignaient.
— Tu as le temps. Le bon arrivera un jour, lâcha-t-il d’une voix enrouée, après quelques longues
secondes.
— Comme toi, Miles… un jour, tu retrouveras le bonheur…
Un murmure qu’il capta parfaitement. Sa main s’agrippa à ma hanche avant de relâcher immédiatement
sa pression. Il resta silencieux, mais je n’avais pas besoin d’entendre sa réponse à voix haute pour
comprendre qu’il pensait ne plus mériter un tel bonheur.
Quelle tristesse !
Alors ici, sur cette piste de danse, aussi bizarre que cela puisse paraître, je lançai une petite prière
silencieuse à n’importe quel Dieu disposé à m’entendre : « Je vous en prie, faites qu’il rencontre un jour
une fille prête à se battre corps et âme contre ses démons, prête à se battre pour lui. »
Puis, plus sereine, je me concentrai sur la mélodie.
Chapitre 13

Cruz

Ne regarde pas dans sa direction !
Ne regarde pas !!!
J’avais dû me le répéter un million de fois en l’espace de quelques heures. J’essayai de rester concentré
sur Tiphaine. À vrai dire, l’inviter à danser un slow relevait d’un acte presque désespéré, bien que ce soit
vraiment une chouette nana, rigolote et pleine de vie. Car la fille avec laquelle j’avais plus que tout envie
de parler, danser, que j’avais envie de tenir contre moi… et à qui je souhaitais faire bien d’autres choses
que je ne voulais pas entendre dans mon crâne, se trouvait à quelques mètres de moi dans les bras d’un
mec.
Miles, un type formidable, que j’avais pourtant envie d’étriper.
J’avais un problème. Un gros. Un énorme.
Et je le savais depuis quelque temps, tout au fond de moi. Bethany me mettait la tête à l’envers, éveillait
un désir interdit. J’étais dans un tel état que je ne m’étais pas tapé de gonzesse depuis la dernière en
date, la veille du repas de Zack ; autant dire que cela représentait une éternité pour un gars comme moi.
Aucune envie, aucun désir. Rien de rien !
Parce que je ne cessais de penser à une blondinette, et mon obsession avait empiré ces dernières
semaines.
La petite sœur de mon meilleur pote.
Et ce soir, elle ne me facilitait pas la tâche avec sa jupette, ses bas, son haut moulant et son maquillage
plus prononcé que d’habitude. La totale, quoi ! Hot, sexy… je n’avais pas de mots pour la décrire ! Elle
était tout simplement à tomber et provoquait en moi l’envie démentielle de foutre mon poing dans la
tronche de quelques mecs assis à la table d’Irvin, dont certains ne se gênaient pas pour la mater. Savoir
que c’était la petite sœur de Knox devait les retenir. Heureusement ! Je n’osais imaginer ma réaction si
l’un d’entre eux avait tenté quelque chose.
— Les meilleurs iront faire un concert à Paris.
La voix de Tiphaine faillit me faire sursauter. L’atterrissage fut difficile, car je n’avais rien suivi de la
conversation des dernières secondes.
— C’est génial, répondis-je.
— J’espère que je réussirai à être dans le trio de tête.
Ah oui ! Cela me revint. Les trois meilleurs de sa promotion auraient la chance de jouer un concert à
Paris, l’été prochain.
— Je suis sûr que tu vas casser la baraque.
C’était sincère. La petite sœur de Columbia avait un talent fou. J’avais pu le découvrir grâce à une vidéo
que Knox avait relayée sur son compte FB. Elle me sourit.
— Merci.
Puis on se concentra sur la musique et, cette fois-ci, je ne pus empêcher mes yeux de dériver vers
Bethany qui se tenait par chance de dos. J’évitai de regarder les mains de Miles posées dans le creux de
ses reins, de peur de faire une grosse connerie. Comme l’arracher à lui. Je me détournai immédiatement
de cette vision trop sexy. Bon sang ! Elle avait décidé de me tourmenter avec une tenue pareille…
Elle sort avec un mec, me rappelai-je pour la énième fois.
Je me l’étais souvent répété, voire asséné, ces derniers temps, surtout quand mes doigts me
démangeaient dangereusement, alors que je brûlais de lui envoyer un texto qui pourrait déboucher sur un
second, un troisième, un quatrième... avant de lui proposer… un truc : une sortie, par exemple. Jamais je
ne survivrais à un autre tête-à-tête avec elle, sans me jeter enfin sur cette bouche qui commençait
sérieusement à m’obséder.
Et il n’y avait pas que cette bouche !
Mais je ne voulais pas partir dans cette direction.
Je stoppai net le cours de mes pensées en essayant d’écouter les paroles de Tiphaine. J’y réussis dix
secondes avant d’échouer à nouveau lamentablement. L’image de Bethany revint en force.
J’inspirai profondément avec le plus de discrétion possible. Pas facile, vu mon état. Soudain, ma
conscience se décida enfin à faire son apparition. Même si la petite sœur de Knox avait été libre, je
n’étais pas le mec qu’il lui fallait, me rappela-t-elle. Je n’étais pas le type de gars qui avait actuellement
envie d’une relation sérieuse avec une fille. De plus, je ne devais pas oublier que Bethany était plus jeune
que moi, de cinq ans ; c’était peu et beaucoup à la fois.
Certes, elle possédait une belle maturité dans plein de domaines, mais elle avait le petit côté naïf et
romantique d’une jeune fille qui commençait seulement à mettre un pied dans le monde adulte. Lui faire
du mal ? Même involontairement ? Parmi toutes mes pensées tumultueuses, ces dernières résonnèrent
avec plus de force que les autres.
Je me haïrais pour ça.
Je ne pouvais pas non plus trahir mon meilleur pote et mettre en péril notre amitié de toujours. Si je
succombais à ce désir qui pulsait en moi et faisais un pas vers Bethany, avec toutes les conséquences
prévisibles… c’est ce qui arriverait : je perdrais le respect et la confiance de Knox. Insupportable.
Mon estomac se tordit d’ailleurs violemment à cette idée.
Avec une volonté implacable, qui commençait toutefois à se fissurer à bien des endroits, je m’efforçai de
m’intéresser à Tiphaine et d’oublier Bethany. Une mission quasi impossible avec ses fesses bandantes qui
se dandinaient devant moi depuis des heures. Mais le slow se termina et, avec soulagement, j’entendis
Tiphaine me proposer ce dont j’avais terriblement besoin : m’éloigner à toute vitesse de la tentation
incarnée.
— Hé, ça te dit un billard ?
Ouais, je l’aimais vraiment bien cette nana.
— Je suis partant.
Je fis un signe à Ryder qui vint vers moi.
— Un billard, ça te dit ?
— Yep.
On trouva un quatrième partenaire : Wade. Dillon nous rejoignit plus tard avec Kendra qui ne joua pas
et resta un peu à l’écart. L’heure suivante, Bethany disparut de ma vue.
Seulement de ma vue.
Mon cerveau, lui, c’était un autre sketch.
Ensuite, Dillon et les autres membres du groupe improvisèrent un petit bœuf dans la salle,
accompagnés par la bande qui avait dîné à la table d’Irvin. Ils firent quelques reprises de groupes
mythiques. Un moment génial pour achever la soirée sur une note plus intime, vraiment sympa.
Après la dernière chanson, Knox se leva pour prendre la parole et il remercia tous les invités. Il eut des
mots pour sa petite gonzesse dont les yeux se mirent à briller, puis sa famille et nous, ses potes. Une
boule se coinça dans ma gorge. En l’écoutant, je sus dans toutes mes tripes que notre amitié serait
toujours ma priorité. Qu’elle était beaucoup trop précieuse pour tout foutre en l’air. Alors, c’est ce qui me
donna la force de laisser partir Bethany avec sa mère, son frère et sa tante, sans chercher à lui parler,
sans un regard vers elle dans la cohue.
Une torture.
C’était mieux ainsi, mais j’eus la terrible sensation qu’un poignard se plantait à plusieurs reprises dans
ma poitrine, car je n’allais plus la revoir avant un sacré bout de temps. La routine, nos vies, nous
entraîneraient sur des chemins qui se croiseraient seulement de temps en temps grâce à Knox.
C’était mieux ainsi, me répétai-je comme un automate parfaitement réglé. Après quelques mots avec le
DJ et Steele, je fus le dernier à partir, en compagnie de Ryder, qui me déposa chez mon oncle où je
passerais la nuit avant de regagner Manhattan. Le lendemain, les Styxx prévoyaient de faire un saut à
l’appart pour boire une bière avec la bande, entre nous, puis ils s’envoleraient à Seattle en vue de leur
prochain périple : la côte ouest.
Chez mon oncle, je pris une douche, puis m’affalai nu dans mon lit, sous la couette. Une quantité de
souvenirs refaisaient surface lorsque je dormais dans mon ancienne chambre. Trop fatigué, je sentis mes
paupières s’alourdir.
Enfin, pas si fatigué que ça ! Pas assez pour l’oublier.
Car elle apparut tout de suite devant moi, ses cheveux blonds formant une auréole autour de son visage,
la couleur cerise de sa bouche contrastant de façon appétissante avec ses prunelles bleues, si claires
Je bandais déjà.
Sa silhouette se dessina en entier : ses jambes sexy dans des bas, sa poitrine moulée dans son top
brillant, sa taille fine… J’étais certain que j’aurais pu en faire le tour avec mes deux mains. Ses yeux
maquillés plongèrent dans les miens, un maquillage foncé qui lui donnait quelques années de plus et
faisait ressortir l’éclat azur de ses iris.
Le peu de sang qui me restait dans le cerveau atterrit direct dans ma bite. Un bruit bizarre s’éleva
autour du lit et je réalisai que c’était moi qui venais de le lâcher : un gémissement rauque.
J’aurais voulu pouvoir lutter, mais ici, seul, je n’y arrivais plus. Tous les cadenas dans ma tête, ceux que
j’avais réussi à bloquer, sautèrent d’un coup, ne me laissant aucune chance. La ligne que je n’avais jamais
franchie, celle que j’avais tracée mentalement dans mon esprit, alors que Bethany ne cessait d’envahir
mes pensées ces dernières semaines… je la franchis.
Ma main s’enroula autour de ma queue, à la base, et remonta lentement vers le haut sensible où
quelques gouttes de liquide pré-séminal perlaient. Du pouce, je les étalai sur mon gland en un cercle lent
avant de reprendre le chemin vers le bas, le long de la veine saillante.
Oui…
Je me caressai pour la toute première fois en pensant à Bethany ; la ligne rouge était définitivement
franchie.
Et putain… putain... que ce fut bon ce premier va-et-vient ! Un autre raclement rauque s’échappa de ma
bouche.
Impossible de revenir en arrière. À la vitesse de l’éclair, je crachai dans le creux de ma main afin
d’utiliser ma salive comme lubrifiant (mon gel me manquait bien à ce moment) et la reposai
immédiatement sur ma queue. Je gémis sous la sensation, puis je me branlai lentement, suffoquant de
plaisir, un visage aux traits parfaits dessiné devant moi. Je léchai ma lèvre inférieure quand ses seins,
capturés dans ce haut moulant brillant sous les spots, m’apparurent avec une netteté incroyable. La
PER.FEC.TION ! Des seins d’une taille idéale, aux mamelons roses (certain) qui se dandinaient avec un
balancement à faire saliver n’importe quel mec. Une flèche incendia le bas de mon ventre. À cette
seconde, j’aurais vendu mon âme au diable pour connaître le goût de sa chatte… Ma bite aussi raide
qu’une barre de métal pulsa de plus belle entre mes doigts.
Oh, bon sang… et qu’est-ce que je n’aurais pas donné aussi à cet instant pour sentir ses cuisses
encercler mes hanches jusqu’à ce que sa chatte trempée se colle contre mon gland qui écarterait
légèrement ses petites lèvres. Comme si Bethany avait été suspendue au-dessus de moi, je pouvais
entendre dans mon esprit ses supplications avant que je ne la pénètre enfin et qu’elle s’ouvre pour moi
dans un cri de plaisir. Le nirvana.
Cette fois-ci, un grognement de Neandertal s’échappa de ma gorge. Je dus planter mes dents dans ma
lèvre inférieure pour empêcher un cri de sortir de ma bouche.
— Oh, bon sang, oui… murmurai-je quelques secondes plus tard.
Je laissai Bethany m’envahir entièrement. Mentalement, et de toutes les façons possibles. Elle pouvait
faire de moi ce qu’elle voulait.
Ses fesses, emprisonnées dans ses jeans moulants, formèrent d’autres visions excitantes. J’étais à
présent si dur que j’en avais presque mal partout. Quand j’imaginai sa bouche chaude et humide se
refermer sur ma queue pour l’avaler avec avidité, je dus brusquement comprimer la base de ma bite pour
m’empêcher d’éjaculer.
— Non…
Pas maintenant ! C’était trop bon. Beaucoup trop bon. Trop puissant. Je trouvais plus de plaisir avec ma
propre main qu’avec toutes les nanas que je m’étais tapées. Et la seule raison en était la simple vision de
Bethany. Ses yeux devinrent soudain plus brûlants, de la couleur d’un lagon balayé par une tempête. Elle
aimait ce qu’elle voyait !
Oh, bordel… une pensée qui liquéfia mon corps.
Plongé dans l’obscurité de ma chambre, je lançai d’une voix basse, méconnaissable :
— Chica, tu aimes que je me branle pour toi…
Il n’y avait plus de censure dans mon cerveau. Je me gorgeais à présent de cette liberté complète, alors
que ma main bougeait de plus en plus vite le long de ma bite.
— Oui… oui… soufflai-je, regarde comme je bande pour toi, Bethany. Regarde le plaisir que tu me
donnes. Tu ne sais pas ce que je donnerais pour que tu en fasses autant devant moi, là maintenant… que
tu caresses ta chatte, ton clito…
Noyé dans les fantasmes les plus intenses de ma vie, plus rien ne pouvait me retenir. Elle était à moi,
rien qu’à moi, dans le cocon de ma chambre, ici à Brooklyn. Il n’y avait pas de notion de bien ni de mal.
Elle m’appartenait, et jamais je n’avais ressenti un tel bonheur et un tel plaisir. Bon sang ! J’étais prêt à
ne plus coucher avec une seule nana, à me branler toute ma vie en pensant uniquement à elle.
C’était le pied ! Ce serait le pied !
Pas du tout sain, mais un sacré pied !
Rien n’aurait pu arrêter ces images qui continuaient à me bombarder le cerveau. Je crachai de nouveau
dans ma main, tandis que j’imaginais ma queue s’enfonçant dans une chaleur humide que je ne quitterais
plus. Elle s’enfouirait dans son vagin, prisonnière de l’endroit le plus doux existant sur Terre, pour y
rester. Je pantelais comme un malade, ma peau brûlante parcourue de frémissements de la tête aux pieds.
C’était si bon autour de ma bite… SI BON.
Mes va-et-vient devinrent encore plus rapides pendant de longues secondes. Un fourmillement prenant
naissance dans le bas de ma moelle épinière, je serrai plus fort… Et puis… BAM, une explosion. Terrible !
La violence de l’orgasme qui fit éclater mon pénis me choqua par son intensité. Mon corps se tendit
durement tandis qu’un feulement bestial sortait de ma bouche. Je sentis un premier jet sur mon ventre,
un second sur mon torse, puis un troisième sur mon cou. Mon sperme giclait partout, avec une force
étonnante.
Ce fut si violent qu’une autre giclée tapissa carrément mon menton, alors que de puissants spasmes
secouaient mes hanches qui tressautaient sur le matelas, comme animées d’une volonté propre. Cela dura
un certain temps avant que je ne retombe comme une loque sur le lit, à bout de forces.
Pendant une longue minute, je fus incapable de bouger, ne serait-ce que le petit doigt. Je n’entendais
plus que des halètements saccadés (les miens, un beau bordel) dans la chambre, ma poitrine se soulevant
et s’abaissant comme si j’avais couru un marathon épuisant. Puis, une langueur de fou s’abattit sur moi.
Une intense sensation qui me donna l’impression que je m’étais shooté à l’héroïne.
Putain, ce fut un autre pied ! Les paupières à moitié closes, j’eus l’impression de planer dans mon lit. Il
me fallut un temps incroyable pour réussir à décoller mon cul du matelas. Lorsque je fus capable de tenir
sur mes guiboles, je me dirigeai vers le bureau et ouvris le premier tiroir où je pus trouver des mouchoirs
en papier. J’essuyai le plus gros avant de quitter ma chambre, à poil, pour me rendre dans la salle de
bains. Je jetai les kleenex dans la poubelle, puis je fis une toilette rapide.
Quand je tombai de nouveau sur mon lit, j’étais si épuisé physiquement et mentalement que mes
paupières lourdes se fermèrent dans la seconde. Je m’endormis immédiatement. Et ce ne fut pas plus mal,
car je ne savais pas comment faire face à ce qui venait de se passer.

Eh bien, je fus vite fixé ! Cela devint une lutte de tous les instants pour ne pas succomber à un autre
épisode de ce genre. Quand on a touché le paradis, difficile ensuite de se contenter de moins. J’avais une
envie terrible de retrouver ces sensations géniales. Mais avant, dès le lendemain, je dus toutefois
affronter le problème bien en face, sans fioritures : je désirais Bethany comme un fou. Je la regardais
différemment depuis un certain temps ; ce n’était plus la gamine que j’avais toujours connue, la petite
sœur de Knox. Elle provoquait en moi des désirs interdits et faisait à présent partie des rêves torrides qui
m’assaillaient régulièrement, comme si une vanne s’était ouverte en moi.
Parfois, je tentais encore de lutter, mais lorsque cela devenait impossible à combattre, que l’air se faisait
irrespirable, ma main retrouvait le chemin de ma bite pour vivre un moment des plus intenses, à décoller
jusqu’au plafond de ma chambre ou de la douche. Chaque fois, ces épisodes brûlants semblaient meilleurs
que les précédents. Durant ces instants, mon imagination très active me la montrait en train de me
contempler avec cette lueur chaude dans les yeux, qui montrait à quel point elle adorait que je me
masturbe pour elle.
Mais il n’y avait pas que le côté physique…
Elle me manquait aussi. Beaucoup.
On avait vécu des moments géniaux pendant l’organisation de l’anniversaire de son frangin : frais,
simples et sympas. On avait ri ensemble, discuté et partagé des trucs qui restaient gravés en moi, juste à
côté de ses sourires, ses regards pétillants et ses rires. Penser à elle me ramenait bien sûr à son gars,
Jace.
Des pensées qui suscitaient maintenant des envies de meurtre. J’étais à la ramasse. En dernier recours,
je me répétais désespérément que même si j’avais eu la moindre chance, je n’étais au bout du compte pas
un mec pour une fille comme elle, de son âge, aussi romantique.
Ouais… Tout se télescopait dans mon cerveau malmené.
Malgré moi, je devins de nouveau plus irritable, une attitude également liée au fait que je devais donner
le change avec mes potes. En effet, quand Ryder me regarda très bizarrement un soir de la semaine au
Nine, car je n’avais pas tenté de lever de nanas durant nos deux précédentes sorties et que je n’étais
toujours pas motivé pour le faire à cette minute, je sus que je devais me secouer de toute urgence.
Du coup, pour éviter d’attirer l’attention, je me forçais à en chasser une de temps en temps, puis je
racontais à Ryder que j’avais tiré la nana chez elle avant de rentrer à l’appart. Des mensonges qui me
permettaient de souffler un peu. Avoir mes potes sur mon dos, non merci ! Les seules sorties où je me
sentais plus détendu étaient celles avec Enzo et River. Je tenais souvent compagnie à ce dernier pendant
que les deux zouaves allaient à la chasse aux petites moules qui ne demandaient que ça. Mais pour un
mec qui était supposé tirer de nouveau son coup régulièrement, j’étais tout de même un tantinet sur les
nerfs.
Parce que…
Bethany était intouchable…
Je ne l’avais pas vue depuis une éternité, et, j’avais à présent aussi mon sale petit secret. Je me branlais
avec une régularité de plus en plus affolante en pensant à la sœur de l’un de mes meilleurs potes. Mais
plus rien n’arrivait à stopper ce que j’avais mis en marche avec ma queue. Elle réclamait Bethany avec
une force qui m’obligeait à me branler comme un ado de quinze piges.
Un soir, une semaine avant les fêtes de Noël, je me trouvai le dernier à décoller du studio après un
rendez-vous tardif ; j’allais partir quand mon portable se mit à vibrer sur le meuble où je l’avais posé. Un
SMS de Ryder.
Ryder : Jacinta vient de m’appeler. Elle veut qu’on remette le couvert, un plan à trois.
Merde ! J’hésitai avant de répondre.
Moi : Et toi, t’es partant ?
Ryder : Putain, oui ! J’ai envie de me faire sucer jusqu’au trognon. Si la meuf a envie d’avoir
quatre ou cinq mecs dans son lit, pas de problème pour moi, tant que je tire mon coup et
qu’elle me suce ! Voir un autre mec la tringler, ça m’a bien excité. C’est comme regarder un
porno en live. Et elle est beaucoup plus douée que toutes les filles que j’ai baisées, je serais fou
de refuser…
Comme toujours, la poésie était le point fort de Ryder ! Moi, je les imaginais à présent à la queue leu
leu. Oh, bon sang, une vision que je n’avais pas envie d’avoir ! J’inspirai difficilement, car une colère
irraisonnée me submergea soudain. Je serrai les dents alors que, suite à ce message, mon cerveau partait
carrément dans tous les sens ! Mon pote voulait se faire Jacinta ; moi, je voulais une autre nana beaucoup
moins expérimentée qui arrivait toutefois à me faire décoller du lit sans être là dans ma chambre. Au
passage, en aucune façon je ne voulais penser à l’expérience qu’elle avait acquise avec son gars. Quand
l’idée m’effleurait, je sentais un méchant truc monter en moi, la violence d’un mec qui avait flirté avec un
gang avant de s’en éloigner complètement.
Je mis ça de côté, mais cette colère irraisonnée grimpa un peu plus. Putain, j’aurais donné tout, MOI,
pour qu’une blondinette en particulier me suce.
ME SUCE, MOI… MOI… MOI…
Des pensées pas très fines, mais j’étais à fleur de peau.
De plus, j’avais le pressentiment perturbant que le talent de Jacinta serait relégué aux oubliettes.
Envolé.
La bouche de Bethany autour de ma bite ?
Putain, stop, Cruz ! J’’étais en train de péter un câble ! Et le signe que je tanguais sur un fil très mince ?
Je n’arrivais même pas à me sentir honteux d’être aussi cru envers Bethany. Ça devenait grave. Je
ressemblais à une grenade qu’un simple souffle de vent aurait pu dégoupiller.
J’essayai de me concentrer de nouveau sur Ryder et ses messages afin d’apaiser ce chaos en moi.
Raisonner avec calme.
Rester rationnel.
Ne pas partir en live après un simple SMS, et qui plus est, un SMS qui n’avait absolument rien à voir
avec mes problèmes. Je me sentis très con subitement. J’inspirai une bonne goulée d’air.
Pour le bien de mon pote, je me demandai si je devais le freiner avec Jacinta. Voilà, je faisais enfin
preuve d’une réaction intelligente. Elle avait tardé à venir, celle-là !
Je tapai ma réponse dans la foulée.
Moi : Écoute, moi, je prendrais un peu le large.
Ryder : Pourquoi ? T’en as bien profité toi aussi.
Il me semblait que c’était un truc qu’il m’avait déjà balancé à la figure. J’en eus marre de taper mes
textos sur ce clavier de merde et appuyai sur la touche appel. Il décrocha immédiatement.
— Oui, j’en ai profité, lançai-je tout de go, mais cette nana est une vraie anguille. Tu lui plais, Ryder,
beaucoup trop ! Crois-moi, si tu devais rencontrer une fille plus tard, elle te foutrait la merde.
Il éclata d’un rire bruyant
— Moi, rencontrer une gonzesse ? Tu déconnes ? Je veux baiser, c’est tout, et pendant des années
encore. Il n’y a qu’un type comme Knox pour vouloir se caser à son âge, mais j’avoue que Jailyn ferait
craquer sérieusement plus d’un mec.
— Ryder, insistai-je, tu ne connais pas Jacinta comme je la connais. Si elle s’éclate au lit avec toi, elle ne
voudra pas te lâcher de sitôt et elle foutra un beau bordel dans ta vie. Perso, je n’ai jamais accepté de la
baiser avec un autre type.
— Ouais ! OK, t’avais pas envie de voir une autre queue près de la tienne, mais quand on la tringle à
deux, tu devrais entendre les cris qu’elle pousse et comme elle est excitée… j’ai une trique d’enfer rien
que d’y penser.
Merci pour la vision. De nouveau.
— Tu lui plais et je dirais même bien plus que ça, insistai-je encore. T’es un petit blanc, beau gosse, pas
con, malgré ce qu’on pourrait croire, rajoutai-je d’un ton sarcastique. T’es partant pour plein de trucs et
elle raffole de ça. Tu vas au-devant de problèmes. Avec elle, à un moment, il faut savoir prendre la
tangente.
— Je m’amuse, Cruz !
— Tu peux rencontrer dans quelques mois une meuf avec qui tu voudras…
— Je te dis que non !
— Tu n’en sais rien ! coupai-je à mon tour. Ce serait une tout autre nana que Jacinta, je te dirais de
foncer et d’en profiter à fond, mais je te répète qu’elle ne te lâchera pas comme ça. Elle est accro au sexe
et tu rentres en plus dans toutes les cases qu’elle adore. Je ne l’ai jamais vue relancer un mec comme elle
te relance.
— Si, toi…
Je secouai ma tête comme s’il pouvait me voir.
— J’avais mes limites et ça commençait à l’emmerder, de plus en plus d’ailleurs. Toi, elle raffole que tu
sois prêt à tout avec elle. Si tu devais rencontrer une nana qui te branche bien, essayai-je de répéter pour
lui ouvrir les yeux, avec qui tu aurais simplement envie de faire ne serait-ce qu’un bout de chemin, elle te
foutrait une belle merde, Ryder. C’est pas des conneries.
Il mit quelques secondes avant de répondre.
— Écoute, je gère, t’en fais pas. Contrairement à ce que tu penses, je suis sûr que je ne la retiendrai pas
très longtemps. Alors le petit étudiant que je suis profite de cette aubaine. Avoue qu’elle est douée !? (Je
ne dis rien.) Quand j’en aurai marre, je prendrai le large, enchaîna-t-il. Mais là, j’ai encore envie de la
baiser. Et si je décide de stopper, elle se tournera simplement vers un autre.
— Je ne pensais pas te dire ça un jour, Ryder, mais tu te sous-estimes quand il s’agit de Jacinta.
Car à mon avis, il se trompait. Il avait bel et bien réussi à avoir une certaine emprise sur cette
croqueuse de bites. Soudain, je regrettai de l’avoir branché sur elle, la dernière fois.
— Je t’aurai prévenu.
— T’inquiète, mec.
Certes, j’imaginais mal Ryder s’amouracher d’une fille du jour au lendemain, mais Knox nous avait bien
tous surpris. Sujet dangereux, car une petite blonde voulut illico faire le forcing dans mon cerveau, mais
je l’empêchai tant bien que mal de venir semer la zizanie en me concentrant sur mon pote.
— Écoute, promets-moi de penser à ce que je viens de te dire si elle devenait beaucoup trop collante ?
— Promis, vieux.
Je dus me contenter de ça. Ryder était déjà têtu à la base, mais là, il raisonnait à cent pour cent avec sa
queue. Autant se taper le crâne contre un mur, on aurait plus de chance de le fissurer. Mais j’espérais
sincèrement qu’il n’allait pas se brûler les ailes. On discuta encore quelques secondes avant que je ne
raccroche.
Chapitre 14

Cruz

Les fêtes de fin d’année arrivèrent très vite. Je passai le réveillon chez Tio, comme chaque année, et le
jour de Noël chez les parents de Ryder. Mon oncle et son père avaient régulièrement fait des affaires
ensemble, et au fur et à mesure des années, ils avaient noué une solide amitié. La mère de Ryder m’avait
toujours apprécié et, de fil en aiguille, elle avait appris que je vivais avec mon oncle divorcé, jamais
remarié, sans enfant. Elle nous avait invités une première fois, à la fin du lycée, puis c’était devenu un
rituel.
Je savais qu’elle aurait souhaité donner un frère ou une sœur à mon pote, mais une opération un an
après sa naissance avait mis un terme à ses rêves de maternité. Cela expliquait peut-être pourquoi elle
avait couvé son fils unique. Et c’était le cas encore aujourd’hui. Son père se faisait moins avoir par ce
beau parleur. D’ailleurs, Ryder avait plus d’une fois chié dans son froc au lycée quand le proviseur
convoquait ses parents dans son bureau. Ce qui ne l’avait pas empêché de faire des conneries dès que
l’occasion se présentait. Je n’avais pas été le dernier non plus, mais Ryder battait des records.
En ce qui concerne Knox et Jailyn, ils passèrent les fêtes de Noël chez lui, à Brooklyn. En revanche, tous
deux partirent avec Tiphaine fêter la Saint-Sylvestre, chez les parents de Columbia. Ces derniers avaient
organisé une soirée avec plusieurs amis de leurs filles. Un matin, j’avais entendu que sa petite nana
voulait aussi profiter de ces quelques jours pour aller présenter Knox aux parents de Bailey, sa meilleure
amie décédée dans un accident.
De mon côté, je sortis avec Zack, Ryder, Enzo et River. Après la tournée de plusieurs bars, on atterrit
dans une boîte au fin fond de Manhattan. À minuit, je roulai une pelle à une fille quelconque qui
m’entraîna ensuite dans les toilettes. Je n’étais pas encore assez bourré pour que ma queue fasse des
siennes. Cela dit, l’alcool n’avait jamais été un problème au niveau de mes performances sexuelles. Alors
ses mains, sa bouche, sa langue, son impatience à me toucher partout auraient dû la faire réagir. Surtout
que la nana n’y allait pas de main morte.
J’avais l’impression qu’elle voulait me bouffer tout cru.
Mais ma bite semblait s’être barrée quelque part dans mon boxer. Rien, plus molle que ça… tu meurs.
Finalement, je repoussai la fille. La situation aurait pu être embarrassante pour moi. Un mec n’aime pas
que sa queue le lâche devant une nana. Moi ? Pas du tout ! À cet instant, je m’en foutais comme de l’an
quarante. Je n’avais qu’une envie : me casser de là. Alors, je lui balançai le premier truc qui me vint à
l’esprit.
— Je préfère aller danser.
— Hein ?! s’exclama-t-elle, interloquée.
L’expression de son visage était à mourir de rire.
Quel mec sain d’esprit pouvait refuser qu’une gonzesse lui taille une pipe ? Car c’était bien ce qu’elle
m’offrait sur un plateau d’argent. En plus c’était apparemment une championne pour sucer une bite. Il y
avait des signes qui ne trompaient pas.
Eh bien… apparemment, un mec comme moi ! Je n’avais sans doute plus toute ma tête, car je la plantai
là.
Ouais, carrément.
Je revins dans la salle bondée, avec une musique assourdissante. Je bus encore des verres de vodka et
m’éclatai sur la piste de danse. Pour tout avouer, à compter de cette minute, des pans entiers de la soirée
disparurent tout simplement de mon cerveau très alcoolisé. En revanche, curieusement, je me souvins du
moment où Zack s’approcha de moi pour me lancer d’un ton sans appel :
— Allez, vieux, t’as ton compte, je te ramène chez toi.
Zack et River s’étaient proposés comme chauffeurs.
Je tombai à moitié sur mon pote lorsqu’il passa un bras autour de ma taille pour me soutenir.
Subitement, le sol commença à tanguer comme un bateau pris dans une tempête. Je n’étais plus du tout
clair, mais cela ne m’empêcha pas de remarquer que les yeux de Zack restaient posés assez longuement
sur moi, avec une légère lueur d’inquiétude.
— J’ai prévenu les autres. River se chargera de ramener Enzo et Ryder.
Mon associé avait également bien sympathisé avec eux.
En guise de réponse, j’émis une sorte de grognement, car hocher la tête risquait bien de me faire piquer
du nez. Je ne me rappelai pas le retour parce que, à peine mon cul sur le siège, je m’endormis comme une
masse dans sa caisse. Pour le reste, il me resta quelques flashes : ma chambre, mon lit, la voix de Zack
quand il m’ôta mon froc et mes chaussettes. Rien de plus !
Le lendemain, je me réveillai avec une barre compressant mon front. Lorsque je clignai des paupières
pour les ouvrir peu à peu, je vis dans un brouillard que j’avais une bouteille d’eau, un verre et deux
comprimés blancs sur ma table de chevet.
Zack.
J’avalai les cachets sans me poser de questions ; ma tête me remercierait dans quelques minutes. Puis je
me levai prudemment, ce qui m’arracha une grimace. Chacun de mes muscles paraissait si douloureux
qu’on aurait pu croire que j’avais passé la nuit entière à faire des exercices dans une salle de gym. Je
priai pour que les médicaments agissent au plus vite, parce que… j’avais une putain de gueule de bois. J’y
avais été fort avec la vodka. Je pris toutefois le temps de répondre à la tonne de messages qui
m’attendaient sur mon portable, présentant mes vœux à mon tour, le blablabla habituel.
Dans un coin de mon cerveau, je remarquai que je n’avais reçu aucun texto de Bethany, même pas une
connerie du genre : meilleurs vœux et bonne santé. Quand mes mâchoires se crispèrent, la douleur dans
mes gencives me rappela mes excès de la veille. Après une bonne douche, une très longue douche, la plus
longue de l’histoire de l’humanité, et un brossage de dents en règle, pour ôter ce sale goût dans ma
bouche, je commençai à me sentir mieux. Les médocs faisaient leur boulot. Ouf !
Mon portable sonna une demi-heure plus tard.
— Tu ne peux plus te passer de moi ? lançai-je en décrochant.
— Alors, t’es vivant ? rétorqua Zack.
— Oui, ça va. Merci pour les médocs.
— De rien, tu en tenais une bonne, mec…
Je ne répondis pas. Il y eut un petit silence avant qu’il ne lâche :
— Hé, Cruz…
Je pressentis que la suite allait me rendre mal à l’aise.
— Tu t’es pris une sacrée biture ! Ça faisait un bail que je ne t’avais pas vu boire autant.
Oh, bon sang ! Je dansai sur mes pieds comme un gosse pris en faute avant de m’obliger à rester
immobile. C’était le début d’une conversation que je ne voulais pas avoir.
— Ouais, j’ai un peu trop forcé, acquiesçai-je d’un ton léger, un peu forcé, mais j’avais envie de
m’éclater. J’ai pas mal bossé l’année dernière.
Je sentis qu’il voulait rajouter quelque chose et j’enchaînai direct pour nous éloigner du sujet :
— Et, au fait, j’ai oublié de te demander : comment ça s’est passé avec tes parents quand Shaun est
venu pour les fêtes ?
Bon sang ! On s’était vus au boulot entre-temps et je ne lui avais même pas posé la question ! Sur ce
coup, je m’en voulus de ma négligence. J’entendis un soupir au bout de la ligne.
Pas bon signe.
— Eh bien, comme d’habitude, mon père a à peine décroché dix mots de toute la soirée et il est resté la
plupart du temps planté dans son fauteuil devant la télé. On est partis vers minuit. Ma mère voulait que
mon frangin reste dormir chez eux – elle fait des efforts, je le reconnais, concéda-t-il, même si elle est
souvent maladroite –, mais Shaun voulait juste se barrer.
— Désolé, répondis-je.
Il eut un petit rire sans joie.
— Au moins, le contact n’est pas complètement rompu, même si ce n’est pas le pied entre eux,
particulièrement entre mon père et Shaun. C’est bien la seule consolation dans tout ça.
— Il s’habituera à l’idée, tentai-je dans l’espoir d’adoucir un peu la blessure qui transpirait dans sa voix.
Zack eut un reniflement moqueur.
— J’imagine le jour où Shaun voudra leur présenter son mec… Eh bien, je lui souhaite bien du courage !
Son frère était encore jeune, mais dans quelques années, s’il avait la chance de tomber sur la bonne
personne, il était naturel de penser que ce serait la suite logique des choses. Il souhaiterait peut-être
même franchir cette étape rien que pour son compagnon.
— Tu seras là pour lui.
Cette réponse le revigora d’un coup.
— Bien sûr que je serai là pour lui ! Il pourra toujours compter sur moi.
— T’es un type formidable, Zack, répliquai-je en réalisant que c’était des mots que je ne lui disais pas
assez.
— Est-ce que je dois m’inquiéter que tu deviennes soudain aussi sentimental ?
Je rigolai, tout en notant cependant le timbre enroué de sa voix.
— Ah, ah, connard !
— Putain, pendant une seconde, tu m’as foutu la trouille ! J’ai cru que l’alcool t’avait complètement
transformé le cerveau.
J’éclatai de rire.
— Si ça te dit, tu peux passer dans l’après-midi ? continua-t-il. Je ne bouge pas de chez moi.
Mon portable vibra à cet instant. Je l’écartai de mon oreille pour jeter un coup d’œil sur le SMS entrant.
Ryder : Une fois que tu auras fini de dégueuler tripes et boyaux, Call of Duty, ça te dit ?
— Hé, Zack, Ryder me propose un Call of Duty.
— Je vous attends pour trois heures tapantes.
— Ça marche.
On raccrocha en même temps.
Je répondis à Ryder.
Moi : Pas vomi !
Ryder : T’en tenais pourtant une bonne.
Il n’allait pas s’y mettre lui aussi.
Moi : Et toi, t’es dans quel état ?
Ryder : J’ai pas arrêté de pisser et pendant une heure au moins.
Je ris en secouant la tête, amusé.
Moi : Viens me chercher, Zack nous attend chez lui pour une partie de Call of Duty.
Ryder : OK, pour quelle heure ?
Moi : Trois heures.
Ryder : Noté.

Je repris le boulot le lundi. La semaine s’écoula à un rythme plus lent que les précédentes, janvier étant
le mois le plus calme de l’année. Le temps s’était aussi bien rafraîchi : l’hiver avait définitivement pris ses
quartiers. En plus, une grisaille humide, glaçante, s’était installée. Les jours passant, je tentai d’occulter
le vide qui se creusait toujours plus dans ma poitrine ; mon humeur, en harmonie avec ce temps de merde.
Je n’aimais pas le mois de janvier, mais cette fois, je le détestais carrément. L’année qui s’annonçait me
semblait sans fin, son démarrage très éloigné de l’excitation habituelle. En temps normal, j’avais déjà
plein de projets en tête pour les mois à venir, les week-ends, les sorties, le boulot, etc.
Là, j’étais au point mort.
Le vendredi, en quittant le studio, la bruine qui tombait encore sur Manhattan m’arracha un soupir las.
De fines gout​telettes s’accrochèrent à mes cheveux pour glisser sur mon visage. Vivement que janvier se
termine ! J’en avais ras le bol. Bon… si je voulais être honnête, janvier n’était pas vraiment le cœur de
mon problème, mais il n’arrangeait pas mon humeur déjà bien morose. Je récupérai mon pick-up et
m’engouffrai dans la circulation. Quand je mis enfin un pied dans l’appart, Knox sortait de la cuisine sans
sa moitié.
— Jailyn n’est pas là ?
— Elle ne devrait pas tarder.
Effectivement, elle arriva vingt minutes plus tard avec des plats à emporter thaï et elle avait même
pensé à moi. On dîna tous les trois ensemble, puis on atterrit devant la télé.
— Tu ne sors pas ? me demanda Knox, sa petite nénette blottie contre lui.
J’eus un bâillement
— Non, je n’ai rien de prévu ce soir.
Comme Columbia était dingue de la série Suit, on se tapa un premier épisode. On visionnait le deuxième
quand le portable de Knox se mit à sonner. Je le vis froncer les sourcils avant de décrocher :
— Bethany ?
Je faillis me redresser brutalement, voire sauter au plafond, mais je bloquai violemment mes muscles et
restai figé sur le canapé, immobile comme une statue, les oreilles grandes ouvertes. Une bouffée
d’inquiétude m’envahit dans la seconde suivante, et j’eus soudain l’envie d’arracher le téléphone des
mains de mon pote. Je dus inspirer à fond pour calmer les battements erratiques de mon cœur.
— Tu es où ?
Il écouta sa sœur, tiqua visiblement sur un détail avant de balancer :
— Restez où vous êtes, j’arrive.
Quand il raccrocha, je ne pus me retenir plus longtemps :
— Qu’est-ce qui se passe ?
Moi-même, j’entendis la nervosité et l’impatience dans le ton de ma voix. Ce fut à cette seconde que je
remarquai aussi que je m’étais levé en même temps que Knox.
— Elle devait aller à une soirée avec trois copines, ici, à Manhattan, expliqua-t-il, une fête organisée par
une frat (vu le grincement de dents, c’était ce détail qui l’avait fait tiquer), mais elles ont crevé avec la
voiture d’Ashley.
— Et son mec ne sait pas changer une roue ? lançai-je d’un ton si acerbe que Knox me jeta un regard
très surpris avant de réagir.
— Euh… elle a préféré me téléphoner… enfin, je ne sais pas.
Clairement, je l’avais déstabilisé. Je sentis les yeux de Jailyn se poser sur moi, mais j’étais trop remonté
pour y prêter vraiment attention.
— Et ça le dérange pas qu’elle aille à des soirées de ce genre, entre nanas ?
Mon ton était toujours aussi cinglant. Cela ne me ressemblait pas. Ma virulence étonna de nouveau
Knox. Putain, il fallait que je me calme ! Mais j’étais une vraie cocotte-minute prête à lâcher sa vapeur
bouillante. Et qu’importe qui se trouvait dans la ligne de mire. J’entendis un petit raclement de gorge sur
ma gauche. Jailyn venait de se lever à son tour du canapé sans que je ne le remarque, et nous dévisageait
tous les deux, un peu mal à l’aise, à vrai dire.
— En fait, ils ne sont plus ensemble.
Une explosion à quelques centimètres de ma tronche ne m’aurait pas fait plus d’effet. Le temps parut se
figer brusquement. Mes yeux se posèrent sur son visage.
— Ils ne sont plus ensemble… répétai-je lentement, comme si j’avais mal compris.
— Ah bon ? jeta Knox, l’air interloqué.
Visiblement, il n’était pas du tout au courant de ce scoop.
— Depuis quand ? me devança-t-il.
Je sentais les nerfs me chatouiller. Et pas qu’un peu !
— En novembre, bien avant ton anniversaire.
Là, j’en restai tout paf, incapable de faire le moindre mouvement. La première chose qui me vint à
l’esprit fut : elle ne m’avait rien dit ?! Ma colère monta encore d’un cran. Pourquoi ne m’avait-elle rien
dit ? À MOI ! Mon sang bouillonna un peu plus dangereusement dans mes veines. Knox, lui, eut une tout
autre réaction qui ne m’aurait pas étonné si j’avais été capable de me concentrer sur lui.
— Il l’a plaquée ? articula-t-il d’une voix menaçante.
Il commençait à fulminer. Je restai soudain paralysé, comme si la réponse de Jailyn allait être capitale
pour ma vie future.
— Non, c’est elle qui a rompu, rétorqua Columbia avec un calme olympien. Je ne sais pas trop pourquoi,
elle a été assez vague.
J’eus la curieuse impression qu’elle évitait de regarder dans ma direction. Mais mon imagination devait
me jouer des tours, il n’y avait aucune raison pour qu’elle se comporte ainsi.
Puis, ses paroles pénétrèrent dans mon cerveau.
C’est elle qui l’a plaqué ? pensai-je soudain. C’est elle qui l’a plaqué ! me répétai-je, le corps transformé
en statue de sel, avant qu’une joie profonde ne se mêle à ce ressentiment en moi et cette sourde colère.
La voix de Knox me sortit de mon trip.
— Pourquoi elle n’a rien dit ?
Jailyn eut un petit soupir.
— Elle ne voulait pas en parler. En fait, il y avait juste ta mère et sa copine Ashley qui étaient au
courant. Quand j’ai vu que Jace n’assistait pas à ton anniversaire, je lui ai posé la question pour savoir ce
qu’il en était. Elle m’a simplement répondu qu’il n’avait pas pu venir.
Je l’écoutais sans bouger, absorbant chaque mot, un à un.
— Et tu connais ta sœur, Knox ! Elle s’en est voulu de m’avoir menti. Elle m’a rappelée plus tard pour
m’annoncer la nouvelle et s’excuser. Elle m’a confié qu’elle n’avait vraiment pas envie d’en parler autour
d’elle. Et le soir de ton anniversaire, elle pensait que ce n’était pas le bon endroit ni le bon moment pour
en discuter. Mais je ne le sais pas depuis longtemps, précisa-t-elle. Elle m’a demandé de le garder pour
moi et elle devait te l’annoncer elle-même… euh… un peu plus tard.
Elle soupira.
— Ça m’embête, mais je préfère rompre la promesse que je lui ai faite parce que je te connais, Knox… Je
sais que ça ne te plaît pas qu’elle aille à ces soirées étudiantes. Mais elle a vraiment besoin de se changer
les idées… Alors s’il te plaît, ne lui fais pas de reproches.
— Tu sais qu’on entend plein de trucs sur ces soirées frat, et je les connais bien, d’ailleurs, Jailyn.
Effectivement, avant de trouver sa voie, il avait suivi un cursus universitaire.
— Tu ne peux pas la protéger de tout. Et je t’ai déjà dit que ta sœur est une fille qui a la tête sur les
épaules. Elle a un bon environnement, des copines intelligentes, et elle n’est pas stupide. Et puis, sa
dernière expérience lui a vraiment servi de leçon.
Je m’en souvenais. À l’époque, les tourtereaux ne sortaient pas ensemble. Bethany avait raconté à sa
mère qu’elle dormait chez sa meilleure amie, Ashley, pour pouvoir sortir avec une copine qui l’avait
abandonnée durant la soirée. Le hasard aidant, Chase était tombé sur Ashley dans Brooklyn et avait
découvert la supercherie. Il avait immédiatement contacté Knox pour l’avertir. Plus tard, ce dernier avait
reçu un appel de Columbia qui nous avait bien soulagés tous les deux, je me le rappelais encore. Elle
avait été récupérer Bethany qui avait fait appel à elle dans la nuit.
Mon pote eut un soupir tout en se frottant la nuque.
— OK…
Il allait faire un mouvement, mais je le coupai net dans son élan.
— J’y vais !
Désarçonné, il me dévisagea.
— Je m’en occupe, continuai-je d’un ton résolu qui n’ad​mettait aucune contestation.
Mon comportement était bizarre, pas de doute, mais je m’en foutais. Personne ne m’empêcherait d’y
aller. Jailyn me fixa d’un regard attentif que j’ignorai.
— On n’a pas besoin d’être une dizaine pour changer une roue, ajoutai-je d’une voix plus conciliante.
Reste ici avec ta nana. Je te tiendrai au courant.
Knox me contempla encore quelques secondes avant de hocher la tête.
— D’accord, mais dis-lui qu’elle m’appelle.
Puis, les paumes levées en l’air, il se tourna immédiatement vers Jailyn.
— Je veux juste savoir où elle va exactement. Promis, rien d’autre.
Elle lui décocha un petit sourire.
— Où elle est ? demandai-je, ayant du mal à réprimer mon impatience.
Il me donna le nom de la rue où sa sœur et ses copines avaient crevé, à dix minutes d’ici, quinze à tout
casser. Je fis volte-face.
— Je te tiens au courant, lançai-je par-dessus mon épaule.
Au passage, je saisis mes clés de voiture, mon portefeuille et mon portable. Dans le hall, j’attrapai mon
blouson en cuir que j’enfilai rapidement.
— Appelle-moi si tu as besoin d’aide, lâcha Knox dans mon dos.
— OK.
La porte claqua derrière moi. J’ignorai l’ascenseur pour dévaler deux par deux les marches, puis je
courus jusqu’à mon pick-up qui, par chance, était garé dans la rue. Je démarrai dans un crissement de
pneus.

Je repérai vite la Ford sur Amsterdam et trouvai une place un peu bancale à deux voitures de là. En
m’approchant, je vis Bethany sortir du véhicule ainsi que les autres nanas. Le choc de me découvrir ici
brilla dans ses prunelles. Ce fut la seule chose dont je pus me rendre compte avant qu’un violent uppercut
ne vide tout l’oxygène contenu dans mes poumons, entraînant des séquelles au niveau de mon cerveau.
Bye bye, neurones, lorsque j’embrassai du regard la vision de rêve qui se tenait devant moi sur le
trottoir. Ses yeux maquillés transformaient littéralement ses iris en deux topazes d’un bleu presque
surnaturel. Et le reste m’acheva…
Sa petite jupe noire, courte et évasée, révélait des jambes interminables, hot comme tout, dans des
collants et des bottines à talons, noirs eux aussi ; un blouson en cuir cintré laissait entrevoir un petit bout
de tissu, couleur prune, et lui donnait un air des plus sexy. Ses cheveux blonds, lissés, étaient attachés sur
le côté et formaient une queue de cheval basse qui tombait sur ses seins. Je sentis ma queue se presser
contre ma braguette, mon sang enflammer mes veines. Se balader avec une trique à ce moment ? Je
puisai dans ma colère pour limiter les dégâts. Les mâchoires crispées, je m’arrêtai à leur hauteur, mes
yeux fixés sur elle.
Rien que sur elle !
Je bouillais…
Elle voulait aller à une soirée frat, fringuée comme ça ?
Moi vivant ? Jamais de la vie !
Il faudrait me passer sur le corps !
Mon sang atteignait une température insupportable. J’entendis ses paroles au loin.
— Je croyais que c’était Knox qui devait venir...
— Eh bien non, c’est moi !
Ma voix tranchante claqua comme un fouet entre nous. J’étais déjà bien remonté qu’elle m’ait caché sa
rupture avec son mec, mais une tenue pareille destinée à une bande d’étudiants vicieux, c’était la cerise
sur le gâteau. En vérité, je n’aurais pas su dire exactement pourquoi le fait qu’elle m’ait dissimulé la
rupture avec son mec me mettait dans un tel état. Peut-être parce que je vivais un enfer depuis des
semaines à présent, certaines visions – quand je les imaginais tous les deux ensemble – dynamitant toutes
mes barrières mentales.
Son mec, ses putains de mains sur elle… et pire… Rien que d’y penser, à ce qu’il avait pu y avoir entre
eux, je sentis mes poings se serrer. Je m’avançai vers le pneu crevé, côté trottoir, encore plus énervé.
Il fallait vraiment que je me calme !
— Salut, Cruz.
— Salut, Ashley, répondis-je d’une voix à peu près normale.
Les deux autres nanas me dévisagèrent avec curiosité. Je connaissais ce type de regards. Elles aimaient
ce qu’elles voyaient, mais elles gardaient une certaine retenue. À coup sûr, je devais émettre des ondes
pas très rassurantes.
— Tu peux ouvrir le coffre, s’il te plaît ? demandai-je à Ashley.
— Oui, bien sûr.
Elle s’exécuta sans broncher, sentant qu’il y avait un truc très lourd suspendu dans l’air. Je pris le cric et
m’attelai à la tâche avec des gestes mécaniques. Par chance, la bruine avait cessé de tomber. Durant tout
le temps où je changeai la roue, j’eus une conscience aiguë de sa présence derrière moi, de ses regards
posés sur moi. Je la sentais confuse et agitée. Ouais, qu’elle marine un peu dans son jus !
Il me fallut à peine un quart d’heure pour en finir. Une fois le dernier boulon serré, Ashley me tendit un
chiffon pour que je puisse m’essuyer les mains.
— Merci, tu nous sauves.
— Ne traîne pas avant de faire réparer ta roue, répondis-je.
— OK.
Puis, je me retournai vers Bethany qui esquissait déjà un mouvement vers la voiture.
Oh, que non ! J’avançai d’un pas brusque pour la choper au poignet.
— Tu viens avec moi !
Éberluées, les filles me regardèrent entraîner Bethany vers mon pick-up. Celle-ci était si abasourdie
qu’elle ne réagit pas sur le coup.
Ce qu’elle fit la seconde suivante.
— Mais qu’est-ce que tu fabriques ?! lança-t-elle d’une voix sifflante en raidissant son bras et en freinant
des quatre fers.
Je me tournai vers elle pour lâcher d’un ton très, mais très mauvais.
— Tu viens avec moi, je te ramène. Ne m’oblige pas à te porter !
L’indignation la fit bégayer.
— Tu… tu… quoi… tu rigoles ! s’exclama-t-elle en retrouvant ses mots, furieuse.
La colère faisait étinceler ses yeux. Eh merde ! Elle était encore plus sexy avec ses joues rouges, et sa
bouche qui crachait du feu. J’étais dans un bel état.
Je l’entraînai vers mon véhicule d’une poigne de fer.
— Mais qu’est-ce qui te prend !!! s’écria-t-elle en gigotant.
On commençait à attirer l’attention, mais je n’en avais rien à foutre. J’étais à bout, vraiment à bout.
Avec le calvaire que je vivais depuis l’anniversaire de Knox – et même avant, dans une moindre mesure –,
ma colère qui se mêlait à un désir bouillant, j’avais dépassé mes limites. En résumé, c’était un beau
bordel en moi. Je resserrai ma prise et ouvris brusquement la portière de la main gauche. Elle planta ses
pieds au sol. J’aurais pu en rire.
Ah, on faisait le spectacle ! Mais les badauds n’avaient encore rien vu ! Sans sommation, je la soulevai
dans mes bras et elle atterrit sur le siège passager dans un rebond, le visage choqué. Je la regardai droit
dans les yeux.
— Ne bouge pas ! articulai-je d’une voix dangereuse. Si je dois crever moi-même les quatre pneus de la
caisse de ta petite copine pour t’empêcher de partir, je le ferai !
J’étais bon à enfermer dans un hôpital psychiatrique ! Sans perdre de temps, je fis rapidement le tour du
véhicule, grimpai derrière le volant et démarrai dans une ambiance E.X.P.L.O.S.I.V.E.
Pire encore !
Chapitre 15

Cruz

— Mais qu’est-ce qui te prend ! Tu es malade ou quoi ! cria Bethany alors que je déboîtais pour
m’engouffrer dans la circulation.
Certainement !
— Tu as perdu la tête…
Pas de doute !
Je ne disais rien.
— Tu ne vas pas te comporter comme Knox ! explosa-t-elle, folle de rage. Et encore lui, il n’a jamais
osé…
— C’est dans une tenue pareille que tu comptais aller dans une soirée étudiante ? coupai-je d’un ton
glaçant.
Le coup d’œil que je jetai sur ses jambes fut une très mauvaise idée. Une jalousie démentielle me
submergea et ma queue menaça de transpercer la fermeture Éclair de mon jean. Ses prunelles me
lancèrent des missiles à faire exploser ma tronche. Furieuse, elle était furieuse.
— Qu’est-ce que tu en as à foutre de ce que je fais de mes soirées ?
Il y avait un truc dans sa voix qui me fit faire une pause avant que je ne réplique, très en colère :
— Qu’est-ce que j’en ai à foutre ? Tu es mon amie, Bethany, la sœur de Knox… bien sûr que j’ai le droit
de m’inquiéter, bordel !
J’inspirai profondément plusieurs fois, les phalanges serrées autour du volant, mon regard braqué sur la
route.
— Ton amie ! lâcha-t-elle avec sarcasme. (Je lui jetai un coup d’œil.) Parlons-en de ton « tu es mon
amie » ! quota-t-elle avec deux doigts en l’air. Tu m’as à peine décroché deux mots quand on a décoré la
salle du resto. Le lendemain, durant la soirée, j’étais inexistante ! C’est à peine si tu m’as dit bonjour. Et
depuis ce jour-là, tu ne m’as plus adressé la parole et tu as même disparu. Et aujourd’hui, tu réapparais et
tu as le TOUPET de te mêler de mes affaires ? C’est une blague ou quoi ?
Elle crachait à présent du feu. Je ne répondis pas.
— Si je veux sortir, c’est ma vie ! Cela me regarde ! OK ! s’énerva-t-elle de plus belle, sa voix montant de
nouveau.
Je restais toujours muet.
Essoufflée, elle se tut subitement, la respiration saccadée. Je sentis ses yeux me fusiller durant quelques
secondes. Puis, du coin de l’œil, je la vis soudain secouer la tête en signe d’incompréhension avant de
s’enfoncer dans son siège, comme si elle n’était pas assez éloignée de moi. Et là, elle se mura tout à coup
dans un silence de plomb, alors qu’une terrible tension crépitait toujours entre nous. Je fixai la route,
conscient de la colère contenue qui émanait encore de tous ses pores.
— Pourquoi tu ne m’as pas dit que tu avais cassé avec ton mec ?
Elle tressaillit sur son siège.
— Pourquoi je te l’aurais dit ? riposta-t-elle sèchement.
— Je suis…
— Ton ami ? me coupa-t-elle. Je sais ! Mais tu as une drôle de façon de le montrer ! Tu veux que je te
refasse un topo ? Je n’ai pas été assez claire ?
Je n’avais rien à répondre à ses reproches justifiés. Il y eut un autre silence à couper au couteau.
— C’est Jailyn qui te l’a dit ? demanda-t-elle soudain.
— Oui… elle ne voulait pas rompre la promesse qu’elle t’avait faite, mais elle a préféré avertir Knox
après ton coup de fil, et il se trouve que j’étais là.
À son tour, elle ne répondit pas. Un nouveau silence rendit l’atmosphère presque irrespirable. Mais je
notai dans un coin de mon esprit qu’elle était plus calme, qu’elle ne s’excitait plus sur son siège, que la
vapeur ne s’échappait plus de ses narines. Seule sa mâchoire un peu crispée témoignait encore de son
irritation persistante.
— Tu me l’aurais dit un jour ? Ou j’aurais dû l’apprendre par quelqu’un d’autre, comme aujourd’hui ?
Elle me jeta un rapide coup d’œil avant de regarder droit devant elle, son petit nez en l’air. Mignon !
— Quand tu m’aurais envoyé un SMS pour avoir de mes nouvelles… peut-être, lâcha-t-elle.
L’ironie mordante dans l’intonation de sa voix ne réussit pas à couvrir la pointe d’amertume.
Je l’avais blessée à l’anniversaire. Vraiment blessée.
J’inspirai profondément.
— Bethany, je ne veux pas qu’on se fâche, toi et moi… commençai-je.
Immobile, elle gardait les yeux rivés sur la route. Je crus qu’elle allait rester enfermée dans son silence
lorsque je l’entendis demander à voix basse :
— Pourquoi c’était si important que je te parle de ma rupture avec Jace ?
Parce que je n’arrête pas de penser à toi ; parce que tu provoques des choses interdites en moi ; parce
que je n’arrête pas de me branler en t’imaginant dans mon lit, à en devenir dingue ; parce que te savoir
avec un autre mec me rend fou…
Et ce n’était certainement que la partie émergée de l’iceberg. Bien sûr, rien de tout ça ne sortit de mon
clapet. Apparemment, il me restait encore quelques fragments de self-contrôle. Mais nos regards
s’accrochèrent un court instant. Je ne sais pas ce qu’elle vit au juste dans le mien, mais elle sembla
soudain avoir du mal à respirer avant qu’un peu d’air ne s’échappe de sa bouche.
— C’est compliqué… lâchai-je d’une voix rauque, les yeux fixés de nouveau sur le pare-brise.
Ce fut la seule réponse que je trouvai. À cet instant, j’aurais donné tout ce que je possédais pour pouvoir
lire dans ses pensées. À défaut d’en être capable, je pus néanmoins m’apercevoir que sa colère était bel
et bien retombée. Sa respiration avait repris un rythme à peu près normal et son visage arborait une
expression indéchiffrable ; toutefois, elle demeurait silencieuse, les mains crispées sur ses genoux,
retranchée derrière un mur invisible, comme si elle se protégeait...
— Je suis désolé si je t’ai blessée, Bethany, à l’anniversaire. Ce n’était pas mon intention.
J’aurais pu lui mentir, trouver une excuse bidon, mais je n’en fis rien. Je ne dis rien de plus, laissant
planer une certaine ambiguïté ; à aucun moment, je n’avais tenté de nier mon comportement à la soirée
de son frère. Coupable sur toute la ligne. Mais elle n’essaya pas de creuser, de chercher les raisons de
mon attitude ; du moins, pas dans les minutes suivantes.
Un pli barrait son front.
Elle n’avait pas non plus cherché à en savoir plus suite à ma réponse succincte : « C’est compliqué ». Je
ne savais pas si j’en étais soulagé ou déçu. Ah, le merdier, dans ma tête ! On continua à rouler en silence.
Elle restait plongée dans ses pensées, mais me jetait parfois des coups d’œil rapides, hésitants. De plus
en plus fréquents. J’ignorais ce qu’il se passait dans son joli petit crâne et c’était frustrant. Mais ouvrir la
porte à la discussion… je connaissais le danger.
Il n’y aurait plus de retour en arrière possible.
Là, je me raccrochais encore à un fil très mince, si mince qu’il pouvait se briser à tout moment. Puis, un
autre sentiment prit peu à peu le pas sur le reste et commença à me perturber : je n’arrivais pas à me
faire à l’idée que j’allais tout simplement la ramener chez elle et que ce serait alors reparti pour un tour.
Ma vie sans elle.
J’avais tellement envie de… de…
De quoi ? Difficile de le dire à cette seconde. Bethany n’était pas une fille qu’on mettait tout bonnement
dans son lit. Ce n’était pas une fille avec qui un mec couchait pour se la sortir de la tête.
Jamais de la vie !
Comme je le lui avais avoué précédemment : c’était compliqué. Mes sentiments envers elle étaient
compliqués.
Mais ne plus la voir pendant des semaines, voire des mois, la rencontrer très irrégulièrement, selon le
hasard de nos chemins qui se croiseraient peut-être grâce à Knox ? Impossible. Ce n’était plus ce que je
voulais !
Mes phalanges blanchirent autour du volant.
Un lourd silence s’installa, et aucun de nous deux ne chercha à le rompre. On arriva dans Brooklyn. Je
me sentais de plus en plus agité quand, tout à coup, une enseigne attira mon attention. Pris d’une pulsion
subite, je me garai un peu plus loin, trouvant en moi-même comme excuse que je souhaitais recoller les
morceaux entre nous : ce que j’avais brisé à l’anniversaire de Knox.
Surprise, Bethany tourna la tête vers moi. Je plongeai mes yeux dans les siens, étonnés.
— Qu’est-ce que tu fais ?
— Tu voulais sortir ? Eh bien, on va sortir !
Sans attendre sa réponse – et vu sa mine stupéfaite, je lui en avais bouché un coin –, je descendis de
mon pick-up et en fis rapidement le tour pour m’arrêter devant sa portière que j’ouvris en grand. Je la vis
hésiter une fraction de seconde, le visage encore interdit, avant de descendre également. Un sacré
spectacle. Quand mon regard se colla sur ses jambes, une petite voix me souffla qu’il aurait été préférable
de la faire remonter dans la voiture pour la ramener illico chez elle.
Primo : je ne l’écoutai pas.
Deuxio : une forte anticipation coulait dans mes veines.
L’air curieux, je la vis lever les yeux vers l’enseigne du Barrio.
— C’est un club sympa, lui dis-je.
— Je n’ai pas de papiers. Vu la façon très polie avec laquelle tu m’as demandé de monter dans ton pick-
up, ils sont restés dans la voiture d’Ashley (je réprimai un sourire en percevant son petit ton sarcastique).
Et d’ailleurs, je n’ai pas l’âge légal pour entrer dans ce club.
Encore un détail qui aurait dû me motiver pour la faire remonter dans ma caisse.
Nada !
— Ça sera pas un problème, viens.
Elle m’emboîta le pas dans une ambiance bizarre. Une tension chargée vibrait toujours entre nous, mais
différente. Le Latino grand et musclé qui régulait les entrées eut un large sourire à ma vue.
— Hey, Cruz, ça fait un bail qu’on ne t’a pas vu par ici !
— Salut, Antonio, comment tu vas ?
On se fit un check.
— Voici Bethany, la petite sœur de Knox.
Celle-ci lui rendit son sourire.
— Bonsoir, Antonio ! lança-t-elle avec ce naturel qui la caractérisait.
Ah, elle était vraiment trop craquante !
— Bienvenue au Barrio, Bethany.
— Merci.
Je discutai quelques secondes avec Tonio avant qu’il ne nous laisse entrer sans problème, en me
donnant au passage une tape sur l’épaule. On déposa nos blousons au vestiaire. Lorsqu’on pénétra dans
le club, une musique aux accents de salsa résonnait aux quatre coins de la salle. Bethany embrassa du
regard le décor qui ne payait pas de mine, mais l’ambiance ultra festive et colorée compensait largement
ce détail. Quand elle se tourna vers moi avec un sourire lumineux aux lèvres, je sus à sa réaction qu’elle
adorait l’atmosphère.
Je me sentis plus léger et la boule que je traînais à l’estomac depuis notre engueulade disparut d’un
coup de baguette magique. D’un geste spontané, je la pris par la main pour la conduire au bar. J’aurais pu
prétendre que c’était pour ne pas la perdre dans la cohue, mais lorsque ses doigts s’entremêlèrent aux
miens avec un naturel désarmant, je ressentis un truc tellement fort dans ma cage thoracique que je mis
quelques secondes à reprendre mon souffle.
Ça semblait si juste entre nous, si parfait, que c’en était même flippant. Je serrai mes doigts autour des
siens et me frayai un chemin. On arriva près du bar, ce qui m’obligea à lui lâcher la main. À contrecœur.
Les joues un peu plus roses que quelques minutes plus tôt, elle me lança un coup d’œil, avant qu’une
chanson entendue mille fois sur les ondes ne s’élève dans les airs : le tube de Luis Fonsi et Demi Lovato,
Echame la culpa.
Comme un raz de marée, une vague de gens se déporta vers la piste, même ceux près du bar se mirent
à bouger au rythme de la mélodie. Transportée par l’ambiance, je vis Bethany commencer à se dandiner
sur place, souriante, fixant la foule qui s’éclatait. Je retrouvai à ce moment des traits de ma Bethany
familière, mais j’avais désormais un autre regard sur elle. Sexy, canon, elle me propulsait hors de ma zone
de confort, depuis un bon bout de temps en vérité, mais encore plus ce soir ! J’avais un mal de chien à ne
pas coller mes yeux avides sur ses hanches qui se balançaient d’un mouvement sensuel et attiraient
l’attention sur ses belles fesses rebondies.
Une chaleur envahit le bas de mon ventre ; alors, commander deux mojitos m’accorda un petit répit
bienvenu. Comme elle s’intéressait à ce qui se passait sur la piste, j’en profitai pour me pencher vers le
barman et lui souffler :
— Vas-y mollo sur le rhum.
Il jeta un regard par-dessus mon épaule en direction de Bethany.
— OK, répondit-il avec un sourire de connivence.
Quelques secondes plus tard, il glissa les deux mojitos devant moi, et de l’index tapa sur le pied de l’un
des verres.
— Celui-ci, c’est pour ta petite copine.
Ma petite copine…
Ces trois mots résonnaient encore agréablement dans mon cerveau lorsque je me plantai devant
Bethany. Elle me remercia en prenant sa coupe. Je notai la brève lueur étonnée quand elle vit sa boisson :
elle s’était certainement attendue à ce que je me rapplique avec un soda. Bon, mon petit marché avec le
barman resterait secret.
— C’est vraiment super comme ambiance ! jeta-t-elle avec un large sourire qui provoqua encore un
drôle de truc en moi.
Tout en se dandinant, elle sirota son verre pendant que les gens reprenaient en chœur le refrain. Je
l’entendis chantonner une ou deux phrases en espagnol avec un accent adorable, tandis que ses yeux
pétillaient d’excitation. Elle s’amusait déjà bien. Puis, un autre morceau – un titre salsa que peu de
personnes devaient connaître – suivit.
Grâce à son DJ, le Barrio mariait plusieurs genres : des musiques latines (les gros trucs commerciaux,
Shakira et compagnie), des tubes cubains ou sud-américains pour la plupart inconnus ici aux States, et
des ballades pop-rock. C’est ce qui faisait son succès. Pour ma part, j’avais toujours trouvé que les clubs
latinos possédaient un côté tonique et sexy qu’on ne retrouvait pas dans les boîtes traditionnelles. Les
Latinos avaient en effet ça dans le sang, danser sans complexe avec ces ondulations suggestives.
D’ailleurs, un couple s’en donnait à cœur joie sur la piste et Bethany le fixait, comme hypnotisée.
Il faut dire qu’il valait le coup d’œil.
Après quelques mouvements pas faciles à maîtriser, la nana, vêtue d’une robe ras la touffe de couleur
rouge, souleva lentement sa jambe pliée le long de la cuisse de son partenaire. Une véritable caresse.
Quand ce dernier la pencha en arrière pour effleurer sa gorge jusqu’à la naissance de ses seins, je vis
Bethany, qui n’en perdait pas une miette, écarquiller légèrement les yeux.
— Waouh, ils sont magnifiques !
Son attention focalisée sur le show, elle ne s’attendait pas spécialement à une réponse de ma part. De
mon côté, la seule fille que j’avais envie de dévorer des yeux, c’était elle. Sa peau ressemblait à un fruit
velouté qu’on aurait voulu croquer et sa chevelure blonde brillait de reflets lumineux sous les spots. Je
sentis mon ventre se nouer, ma queue refaire des siennes. Profitant de cet instant, je la fixai tout mon
saoul, alors que les notes de salsa prenaient un tempo plus suave, un véritable appel au sexe.
À cette minute, la gonzesse sur la piste aurait pu se foutre à poil que je m’en serais fichu comme d’une
guigne. Seule comptait la petite blonde devant moi qui me mettait complètement à l’envers. La gorge
sèche, je m’aperçus que mon verre était vide lorsque je le portai à mes lèvres. Subjugué par la
blondinette à quelques pas, je m’étais enfilé mon mojito sans m’en rendre compte. Le corps pulsant d’un
désir dangereux, je me forçai finalement à regarder le couple finir sa danse de peur de ne plus pouvoir
me retenir. Je crevais d’envie d’embrasser Bethany, de la toucher, de savourer enfin sa bouche trop
alléchante.
À la fin de la démonstration, toujours aussi spontanément, elle applaudit avec une ferveur touchante,
ses applaudissements se mêlant à ceux du public qui s’était formé autour de la piste. Elle réussit à
m’arracher un sourire, malgré mon état.
— On devrait venir prendre des cours ici ! s’exclama-t-elle en se tournant vers moi.
Son visage rieur, son enthousiasme, son excitation bon enfant, me poussèrent à saisir son verre vide
pour le poser sur une table à proximité. Elle écarquilla les yeux lorsque je lui pris une nouvelle fois la
main pour l’entraîner, cette fois-ci, vers une autre direction.
— Cruz… souffla-t-elle d’une voix un peu stressée.
Mais elle n’opposa aucune résistance et on atteignit la piste. Je sentais la douceur de sa peau entre mes
doigts, les siens s’étant de nouveau mêlés aux miens de cette manière si naturelle. Je kiffais trop ça.
Quand je lui fis face, elle paraissait essoufflée, les joues empourprées.
Et putain, elle était encore plus belle ! Si c’était possible.
Bon sang, elle allait finir par m’achever ! Je m’octroyai quelques secondes pour la contempler avant de
lui lancer d’un ton léger :
— Tu voulais danser ce soir…
Un peu nerveuse, elle jeta un regard circulaire autour d’elle.
— Mon oncle adore la salsa, continuai-je. Il nous a toujours dit, à mon frère et à moi, qu’on ne serait de
véritables Latinos que si on maîtrisait les bases de cette danse.
— Vraiment ? lâcha-t-elle avec un petit rire.
Un rire qui s’étrangla dans sa gorge lorsque, glissant mon bras autour de sa taille, je l’attirai contre moi
sans prévenir. Je l’entendis inspirer d’un coup sec.
Et putain… putain… que c’était bon de l’avoir contre moi.
Sentir chaque courbe de son corps : ses seins, son bas-ventre, ses cuisses. Je serrais enfin dans mes
bras le corps qui m’avait tant de fois tenu éveillé ces dernières semaines. Son parfum, un mélange frais et
naturel, emplit mes narines et je me fis violence pour ne pas sniffer comme un mec s’envoyant une ligne
de coke. Je retins un grognement et me donnai mentalement un coup de pied aux fesses pour faire
quelques pas. Sans vouloir me la péter, je me démerdais bien. Je n’avais pas menti : mon oncle et ma
tante (la sœur de Tio) nous avaient enseigné les bases de la salsa, puis j’avais pas mal traîné dans les bars
ou les clubs latinos. Je ne voulais pas aller trop vite pour elle.
Peu à peu, elle commença à onduler des hanches, emportée par le rythme de la mélodie. Je la sentais
lâcher prise, s’imprégner des notes lascives, suivre mes mouvements. Nos bassins se frôlaient dans des
balancements sensuels sans vraiment se toucher. En plus d’un talent naturel, ses années de danse et son
expérience la rendaient très réceptive à chaque détail qu’elle enregistrait pour reproduire la gestuelle
avec une facilité déconcertante.
Je serais incapable de dire exactement quand tout changea.
Peut-être lorsque ma main descendit lentement le long de son dos pour s’arrêter dans le creux de ses
reins, se posant en éventail sur le haut de ses fesses dans les dernières notes. Elle leva son visage vers
moi et, quand le tube Por amarte d’Enrique Iglesias prit la suite, tout parut s’enchaîner au ralenti. Mes
yeux plongèrent dans un lagon bleu magnifique.
L’éclairage baissa d’un cran.
Je n’avais jamais été fan de ce mec, mais le début de la chanson me prit aux tripes. J’attirai Bethany
contre moi. Nos corps se moulèrent à la perfection tandis que ses bras se nouaient très étroitement
autour de mon cou.
La mélodie ?
Quelques paroles espagnoles qu’elle arrivait à comprendre ?
Moi ?
Peut-être le tout ?
À cette seconde, je la sentis frémir de la tête aux pieds. Puis, mon front collé contre sa tempe, les yeux
fermés, j’enfouis ma bouche dans ses cheveux. Sur la piste, le temps se suspendit. Il n’y avait plus que
nous deux, enlacés, le monde extérieur envolé. On bougea lentement sur le rythme de la musique.
Sa respiration se fit plus rapide lorsqu’elle écarta légèrement son visage pour me contempler, comme si
elle n’osait y croire, comme si elle vivait un rêve. Alors que mon regard était planté dans le sien, une
vanne en moi s’ouvrit avec une force démentielle. Je la dévorai des yeux sans retenue. Munie d’une
volonté propre, ma main gauche se leva et, du pouce, je caressai son épaule nue. La douceur de sa peau
me coupa le souffle. Une caresse qui en disait certainement plus long – à elle seule –, que n’importe quel
discours. Elle inspira violemment, ses prunelles scotchées aux miennes.
Je brûlais de désir pour cette fille. Dur comme tout, j’avais l’impression que chacune de mes veines
prenait feu. Rien, ni personne, ne pouvait nous atteindre dans notre bulle.

« Amar es cuando escribes su nombre por todo el cielo
Amar es cuando solo sueñas con llevártela lejos
Amar es cuando tú la ves y se queda en tus ojos
Amar es cuando te das cuenta ella lo es todo »

« Aimer, c’est quand tu écris son nom dans tout le ciel
Aimer, c’est quand, seul, tu rêves de l’emmener loin avec toi
Aimer, c’est quand tu la vois et que son image reste dans tes yeux
Aimer, c’est quand tu te rends compte qu’elle est tout cela »

Alors qu’Enrique semblait chanter spécialement pour nous, je la vis pour la première fois, la toute
première fois, cette lueur dans ses yeux.
Une lueur brûlante.
— Cruz, murmura-t-elle.
L’air se bloqua dans mes poumons. Toutes les barrières les plus solides, érigées depuis plus longtemps
que je ne le pensais (une curieuse impression), explosèrent en mille morceaux. Mes paumes se posèrent
sur ses hanches, glissèrent vers le haut, de chaque côté de son corps, pour redescendre en éventail sur sa
taille. Elle inspira de nouveau violemment, sa respiration devenant très saccadée. Mes pouces
caressèrent son ventre. Elle frémit contre moi. Elle aimait mon regard ; elle aimait mes caresses.
Et là, je saisis soudain l’une de ses mains pour faire tourner Bethany sur elle-même avant de presser
mon torse contre son dos, mon bras encerclant sa taille. Ainsi, elle avait une idée précise de ce qui se
collait si fort contre ses fesses : ma queue très dure, pour elle. S’il y avait encore eu le moindre doute
dans son esprit, il s’envolait à cette seconde. Elle eut du mal à trouver son air et sa réaction provoqua un
truc indescriptible en moi. Je me penchai vers elle.
Ma bouche caressa sa mâchoire.
Je la sentis une nouvelle fois frissonner, puis mes lèvres effleurèrent son oreille.
— Tu sais pourquoi je ne t’ai pas recontactée ? lâchai-je d’une voix méconnaissable. Tu sens pourquoi ?
Tu sens pourquoi j’ai voulu m’éloigner de toi, Bethany ?
Elle poussa un petit gémissement, presque désespéré, comme si elle l’avait retenu depuis des lustres.
— Cruz… haleta-t-elle.
— Je n’arrête pas de penser à toi ! grondai-je. Tu provoques des choses interdites en moi ; je n’arrête
pas de me branler en t’imaginant dans mon lit ! À en devenir dingue ! Et te savoir avec un autre mec me
rend fou… me rendait fou.
Ma déclaration manquait à coup sûr de tout romantisme, mais ces paroles avaient enfin jailli du fin fond
de mes tripes. J’eus l’impression qu’un poids énorme se soulevait d’un endroit dont je ne connaissais
même pas l’existence. Une place qui semblait avoir accumulé au fil des années des choses dont je n’avais
pas eu vraiment conscience. La dernière note du slow vibra dans ma poitrine avant que la chanson ne
finisse.
Ayant atteint les limites de ma résistance, je me dégageai presque brutalement pour lui saisir la main. Je
l’entraînai vers la droite et m’engouffrai dans un couloir sombre qui menait aux toilettes. Je les dépassai
pour atteindre une porte métallique au fond, et poussai Bethany contre le mur. Le dos collé à la paroi, elle
leva la tête en respirant comme si elle venait de courir un cent mètres. Je n’étais pas mieux. Sans la
quitter du regard, je posai lentement ma main gauche à plat, à côté de son visage, en me penchant tout
aussi lentement sur elle, mêlant mon souffle au sien. Ses yeux brillaient d’une intensité qui devait
rivaliser avec la mienne.
— Quand je te disais que c’était compliqué, lâchai-je d’une voix éraillée. Je n’arrive plus à te regarder,
Bethany, comme la petite sœur de mon meilleur pote…
Il n’y avait plus de retour en arrière possible. Dans le hall, on n’entendait plus que nos respirations
lourdes et difficiles. La température environnante semblait avoir atteint un degré insupportable qui
n’avait rien à envier aux chaleurs étouffantes pouvant s’abattre sur New York.
— Cruz, pose-moi la question, lança-t-elle tout à coup d’une voix enrouée elle aussi.
Désarçonné un court instant, je restai immobile, mon corps noué de partout, submergé par un désir
bouillant. Le fil sur lequel je me tenais en équilibre s’effilochait à une allure démentielle. J’allais tomber
et faire une chute vertigineuse. Quand elle plaça ses mains sur mes pectoraux pour les caresser, je crus
que mes yeux allaient faire un tour complet dans leurs orbites. Un grognement s’échappa de ma bouche.
— Bethany…
— Pose-moi la question, répéta-t-elle, le souffle haletant.
Pourquoi tu ne m’as pas dit que tu avais cassé avec ton mec ?
Une lumière se fit dans mon esprit maltraité par cette brutale envie de me jeter sur la petite nana
devant moi. J’inspirai comme si j’étais sur le point de jouer ma vie, avant de lâcher la fameuse question à
laquelle il me fallait une réponse :
— Pourquoi tu as rompu avec ton mec ?
Ma voix saturée résonna bizarrement à mes oreilles. Bethany me regarda droit dans les yeux en
inspirant à son tour, comme si elle prenait également une décision capitale.
Tout allait définitivement basculer.
— Parce que c’est toi, Cruz, et que ça a toujours été toi. Et que ce sera toujours toi ! C’est toi que je
veux. C’est toi que j’ai toujours voulu.
Est-ce que l’univers peut stopper sa trajectoire ? Oui, j’en avais la preuve. Chaque cellule de mon corps
se figea alors que mon cerveau enregistrait le moindre mot et ses implications. Est-ce que de tels mots
pouvaient foutre la trouille à un mec comme moi, tellement épris de liberté ? S’ils avaient été dits par
toute autre nana, j’aurais déjà été à mille lieues d’ici. De la bouche de Bethany ? Une joie puissante me
submergea et se mêla à un sentiment possessif si violent que mes yeux, un véritable brasier,
s’accrochèrent aux siens, encore plus intensément.
Je la vis trembler.
À cette seconde, il se passa plusieurs choses dans un ralenti où chaque geste prit une
intensité particulière.
Ma main se leva lentement pour plonger dans ses cheveux. Là où était sa place. Sur elle.
Mon bras glissa autour de sa taille pour la ramener contre moi. Là, où était la place de Bethany.
Et mes lèvres s’écrasèrent sur les siennes.
Là où elles crevaient d’envie d’être.
Lorsque ses bras s’accrochèrent très étroitement autour de ma nuque et que sa bouche s’ouvrit avec la
même urgence, ce fut si puissant que les tremblements de nos corps se mêlèrent. Putain, jamais je n’avais
tremblé ainsi pour une nana ! Un frémissement si violent qu’il m’arracha un gémissement qui se fondit
avec le sien. Quand nos langues avides se touchèrent… je découvris pour la toute première fois qu’une
langue pouvait me faire trembler deux fois plus, comme un junkie en manque. Lors d’un simple baiser.
Mais quel putain de baiser !
On se roula une pelle de dingue. J’enroulai ma langue autour de la sienne comme si ma vie en
dépendait, plongeant toujours plus profondément dans sa bouche. Et elle s’ouvrait à moi, toujours plus
elle aussi. Ma main agrippa une poignée de ses cheveux et j’inclinai sa tête pour la goûter plus
goulûment.
Je n’en avais pas assez.
Et j’eus le fort pressentiment que je n’en aurais jamais assez dans toute une vie. Elle s’arqua soudain
contre mon bassin, cherchant le contact de ma queue – une lance de fer dans mon froc. Et vingt dieux, ce
n’était plus du sang qui coulait dans mes veines, mais une explosion de lave à présent. D’un geste
frénétique, mes paumes glissèrent sous ses fesses et je la soulevai dans mes bras. Ses jambes
encerclèrent immédiatement mes hanches, son sexe se nichant contre ma bite. Le mouvement de ses
cuisses avait fait se soulever sa jupe ; je sentis parfaitement sa chatte humide sous le petit bout de
dentelle qui la couvrait, alors que nos lèvres se bouffaient encore et encore.
Une de mes mains se faufila sous sa jupe. Et ce fut le nirvana lorsque je découvris qu’elle portait ce
genre de bas auto-fixants. Le sésame ! Une invention géniale. Je caressai une cuisse, puis ses fesses
pratiquement nues, « recouvertes » par la simple ficelle de son string.
Toutes ces découvertes m’arrachèrent un grognement des plus primitifs. Aussi excitée que moi, je la
sentis plonger ses doigts dans mes cheveux avec ferveur. Cela devenait chaud, très, très chaud. À
l’aveuglette, je fis un pas pour la coincer contre le mur.
Un baiser en appela un autre puis un autre.
Toujours plus torride.
Je mordillai ses lèvres – elle en fit tout autant –, avant que nos langues ne se cherchent avec une avidité
déchaînée, comme si elles avaient été privées l’une de l’autre pendant un temps fou.
— Cruz, haleta-t-elle contre ma bouche.
La situation m’échappait. J’aurais voulu pouvoir me retenir. Après tout, c’était Bethany que je tenais
dans mes bras, pas une fille quelconque que j’avais levée dans un bar… mais impossible. Mon majeur
glissa sous son string et caressa sa chatte avant de la pénétrer.
Oh, Dio mios ! Je venais d’atteindre LE PARADIS.
Son corps se tendit violemment tandis que j’avalais son long gémissement qui se mélangea à mon
grognement néandertalien. Putain, elle était chaude, douce, tellement douce ! C’était déjà si bon rien
qu’avec un doigt ! Je n’osais imaginer ma queue enfoncée dans cette chaleur excitante.
— Oh, bon sang, Bethany !
Ma voix ressemblait à la voix déformée d’un extra-terrestre.
Bordel ! J’étais dans un club et c’était Bethany ; alors, j’aurais dû trouver la force de me contenir !
Freiner les choses. Mais elle se mit à bouger, se soulevant et se baissant sur mon doigt, tremblante de
plaisir. Ma queue, elle, souffrait le martyre. Je continuai à dévorer ses lèvres et, à mon tour, je lui imposai
un rythme tout en faisant des va-et-vient avec mon majeur.
Elle mouillait tant que je n’étais plus très loin de la jeter sur le sol pour lécher sa chatte trempée. Si,
avant ce soir, elle m’avait déjà bien ruiné pour les autres filles, à cette seconde, mon sort était carrément
plié. Aucune nana, dans toute ma vie, n’avait provoqué de telles sensations en moi alors que ma queue
(en plus) était toujours dans mon jean. Je crevais d’envie de la savourer, de sentir sa chatte s’ouvrir sous
ma langue avant qu’elle ne la pénètre. Comme saoul, je m’arrachai de ses lèvres dans un effort violent et
la libérai de mon doigt.
La sensation de perte fut si horrible que je brûlai d’y retourner : mes doigts, ma bite, ma bouche…
qu’importe…
Ses jambes glissèrent le long de mes cuisses.
— Cruz, protesta-t-elle dans un gémissement.
La respiration erratique, je posai mon front contre le sien et la pressai contre moi, mes bras encerclant
sa taille.
— Bethany, bon sang, Bethany…
J’avais à présent une capacité très limitée au niveau vocabulaire. Elle m’avait grillé le cerveau. Mais ma
bouche ne put résister, elle repartit à l’assaut parce que c’était une question de vie ou de mort. J’allais
crever si je ne la savourais pas une nouvelle fois. Je léchai sa lèvre inférieure, prenant un peu plus mon
temps pour apprécier son renflement sexy et la douceur de sa peau ; puis, ma langue caressa la sienne qui
venait à ma rencontre…
Et BAM…
Une grenade !
On se roula une autre pelle avec une avidité furieuse. À chaque coup de langue, elle ouvrait toujours
plus sa bouche, et moi aussi. J’avais l’impression de souffrir d’une fièvre violente alors que mes mains
fébriles me démangeaient de lui arracher ses vêtements. Avant de faire une connerie monumentale –
comme tomber sur mes genoux, lui soulever sa jupe, arracher son string, et la sucer jusqu’à ce que ses
cordes vocales cassent à force de crier mon prénom –, dans un effort héroïque, je reculai, étourdi, le
cerveau en vrac.
Peut-être pas la meilleure idée !
Parce qu’une Bethany excitée était la plus belle vision qu’il m’ait été donné d’admirer dans ma vie. Un
sentiment possessif brutal me submergea à la vue de ses lèvres gonflées par mes baisers, ses prunelles
brillantes de désir et ses joues toutes roses. Sa poitrine, ses superbes seins, se soulevaient et
s’abaissaient rapidement alors que je soufflais comme un phoque.
Dans ce marasme, nos yeux ne pouvaient se détacher l’un de l’autre. Puis d’un geste aveugle, je saisis
brusquement sa main avant de craquer une nouvelle fois, et rebroussai chemin dans le couloir. J’étais dur,
bouillant d’un désir inassouvi, et je sentis ses doigts trembler entre les miens.
Elle était dans le même état que moi.
On récupéra nos blousons à la vitesse de l’éclair sans échanger une parole. Une lourde tension sexuelle
crépitait entre nous, à provoquer un court-circuit dans tout Brooklyn. Mes muscles étaient si contractés
que c’en était presque douloureux.
Je ne me souvins pas trop de la suite, sauf que nos mains restèrent nouées durant le bref trajet jusqu’à
la sortie du club. Et là aussi, une sensation de justesse m’assaillit.
Mon pick-up se profila devant moi.
Plus tôt, j’avais prévenu Knox par texto que j’emmenais sa sœur boire un coup avant de la ramener chez
elle. Quand il m’avait répondu, j’avais bien remarqué à travers ses mots qu’il était soulagé que sa
frangine n’aille pas à cette soirée frat. S’il apprenait que je l’avais embrassée, et plus… Je retins une
grimace à cette pensée sans pour autant regretter ce qui venait de se passer avec Bethany. J’avais
conscience que l’amitié avec mon pote risquait de souffrir jusqu’à un point de non-retour. Mais malgré ce
spectre menaçant, ma main se resserra autour de celle de Bethany.
Sa sœur, je la voulais…
Pour combien de temps ? me souffla une voix qui ressemblait étrangement à celle de Knox. Mes
défenses s’élevèrent comme un rempart : je la voulais et je n’avais pas envie de réfléchir plus loin ! Est-ce
que je faisais preuve d’égoïsme ? Peut-être, mais je m’en contrefichais. J’avais la profonde sensation que
je m’étais retenu depuis des mois, voire des années. Qu’en moi, un frein automatique avait toujours
fonctionné à la perfection pour réprimer la moindre étincelle envers Bethany.
Mais ce truc s’était enrayé jusqu’à sauter. Une pièce définitivement hors d’usage.
Et quelle délivrance ! En effet, je me sentais différent, plus libre, un prisonnier évadé d’une cage
invisible. La sensation était inexplicable.
J’ouvris la portière et la fis monter sur le siège passager. Je me débarrassai de mon blouson en le jetant
à l’arrière avant de grimper de mon côté, puis démarrai. Un peu tendue, elle resta silencieuse, les joues
encore rouges, tout en me lançant des regards en diagonale. En fait, je ne la sentis se détendre que
quelques longues minutes plus tard, lorsqu’elle s’aperçut que je ne prenais pas la direction de son
quartier. Je rejoignis Belt Parkway en direction de Brighton Beach. Dans l’habitacle, il régnait un silence
qu’aucun de nous ne voulait briser… pour le moment.
Je roulai jusqu’à un point de vue que je connaissais, près de l’océan. Une fois garé sur un terre-plein
isolé, je coupai le moteur avant de tourner la tête vers Bethany. Mes yeux se verrouillèrent aux siens dans
une atmosphère chargée. Pendant une fraction de seconde, on resta tous les deux immobiles à se
dévisager, toujours dans un silence de plomb.
Puis, soudain, on bougea en même temps, au même instant, d’un même élan précipité. Lorsque mes
lèvres s’écrasèrent sur les siennes, que mes mains se posèrent sur ses hanches pour la soulever de son
siège, et qu’elle se retrouva sur mes cuisses, je sus dans toutes mes tripes qu’aucune puissance au monde
ne réussirait à me tenir à l’écart de cette fille.
Et là… tout explosa de nouveau entre nous.
Chapitre 16

Bethany

Cruz m’embrassait de nouveau.
Oh, mon Dieu !
J’avais encore du mal à y croire ! En fait, toute cette soirée était un véritable conte de fées. J’en avais
tellement rêvé de ses baisers… un rêve inaccessible.
Oh non, pitié, faites que ce ne soit pas un rêve !
Sa langue chaude et douce qui s’enroula autour de la mienne me fit frémir, m’arrachant un autre
gémissement qu’il avala. Non, ce n’était pas un rêve ! C’était bien réel. Une vague de joie immense courut
dans mes veines. Ses paroles, ses regards brûlants, ses baisers, ses caresses resteraient à jamais
imprimés en moi. Cette soirée où tout venait de basculer entre nous demeurerait gravée dans ma
mémoire, et qu’importe ce qui se passerait par la suite.
Il continua à me dévorer les lèvres et je fis de même, avec la même fièvre. Jamais je n’aurais assez de
Cruz. J’étais comme une plante qu’on avait privée d’eau trop longtemps, qui avait subsisté par miracle, et
dont il devenait la source de vie inépuisable. Blottie dans ses bras, je vivais un pied indescriptible, la
réalité dépassant de très loin tous mes fantasmes.
Contre mon bas-ventre, sa queue dure, à saliver, pulsait.
Pour moi.
Rien que pour moi.
Le trop-plein d’émotions me donna presque le tournis. Emportée par un tourbillon de sensations
inédites, je sentis ses mains glisser sous ma jupe pour malaxer mes fesses. Mon Dieu, que c’était bon ! Il
les pressait, les caressait et je savais au fond de moi que je n’en étais qu’au début. Un monde merveilleux
m’ouvrait ses portes avec toutes ces choses sensuelles qu’il pourrait me faire.
— Bon sang, tu es trop… trop…
Ses paroles se noyèrent dans un autre baiser fou quand il s’empara à nouveau de ma bouche avec une
avidité qui atteignit un pic. Et j’en fis autant avec la même passion, mes mains agrippées à ses larges
épaules comme si je craignais qu’il ne disparaisse.
Ses muscles, d’une dureté affolante, étaient un régal sous mes doigts alors que mes paumes caressaient
ses pectoraux ; une caresse qui lui arracha un grondement. Trop sexy ! En Cruz, il y avait une force
animale. Il m’avait toujours fait penser à ces panthères noires, souples, puissantes et dangereuses.
Ivre de bonheur, je plongeai mes mains dans ses cheveux d’une douceur incroyable. J’adorais ses
cheveux. J’adorais tout en lui. Oh, bon sang, j’avais envie de le toucher partout !
Baiser après baiser, je fondis comme neige au soleil. Je me mis à onduler contre sa braguette pour
apaiser cette douleur lancinante dans mon bas-ventre. Ce désir inassouvi me rendait folle et mes
gémissements désespérés en étaient la preuve.
— Cruz… Cruz…
Son pouce se faufila soudain sous mon string pour caresser ma chatte, écartant les petites lèvres
vaginales. Je frémis de la tête aux pieds. Un bruit résonna dans l’habitacle. Tremblant comme une feuille,
je réalisai que c’était moi qui venais de pousser une longue plainte…
— Tu es tellement douce, Bethany… c’est tellement bon de te toucher…
Sa voix râpeuse me remua dans toutes mes fibres. Je le sentais se contenir, ses muscles durement
noués, sa respiration pantelante. Il me touchait de nouveau et la même sensation qu’au Barrio m’envahit ;
c’était si normal avec Cruz, si parfait, si juste que j’en eus les larmes aux yeux. J’étais prête à me donner
à lui, ici, maintenant, parce que je savais – et je l’avais toujours su au tréfonds de mon être –, que ce droit
lui appartenait. À lui et à lui seul. Un sanglot racla ma poitrine. Je n’en pouvais plus. Mon corps souffrait,
pris dans la spirale d’un plaisir quasi douloureux. Plus tôt, dans le club, j’avais d’ailleurs cru mourir
quand il avait retiré son doigt.
— Cruz, suppliai-je sans la moindre honte.
— Oui… je sais, chica… je sais…
Le tendre surnom fit enfler mon cœur et mes paupières me piquèrent une nouvelle fois. Sa voix riche
m’enveloppa dans un doux cocon rassurant, puis son pouce se posa sur mon clito pour le titiller. Et mes
yeux roulèrent dans leurs orbites alors qu’il exerçait une pression parfaite, ni trop forte ni pas assez, en
dessinant un cercle. Une flèche de plaisir transperça mon bas-ventre à plusieurs endroits ; un cri
s’échappa de ma bouche, ma tête trop lourde se renversa en arrière. Son autre main se mit à caresser
mes fesses (trop bon) tandis que son doigt sur mon clitoris continuait sa danse de plus en plus
rapidement. J’eus l’impression que ma peau allait prendre feu. Sans inhibition, je commençai à onduler
des hanches et sentis ses lèvres douces et chaudes effleurer ma gorge.
— Oui, ma puce, c’est bon, n’est-ce pas ?
— Oui… Oui…
Je suffoquais.
Je croyais avoir atteint un summum, mais Cruz enfonça tout à coup un doigt dans mon vagin et le plaisir
devint presque insupportable quand il le crocheta dans la foulée pour caresser une autre zone sensible.
La suite se résuma en une énorme explosion de sensations, physiques, mentales. Indescriptibles. Mon
premier orgasme avec Cruz. Le plus beau jour de ma vie. Il me foudroya avec une violence incontrôlable,
des larmes picotant mes yeux.
— Cruz…
Son prénom se perdit dans un long cri qui résonna aux quatre coins de l’habitacle, alors que mes
hanches tressautaient sous l’intensité de spasmes très puissants. Jamais je n’avais connu ça. J’avais
l’impression de surfer sur une vague qui montait toujours plus haut. Un pic me fit crier encore plus fort
avant que je ne retombe contre lui, tremblante, sans forces, dans la chaleur de ses bras, le visage enfoui
dans son cou. Il me serra contre lui tout en me caressant le dos. Doucement, tendrement, me laissant
revenir peu à peu à moi.
On entendait ma respiration précipitée, mais la sienne l’était aussi. Puis, le nez plongé dans mes
cheveux, il m’embrassa sur la tempe.
— Quand tu as joui sur mes doigts, tu étais magnifique, Bethany…
Sa voix enrouée me fit frissonner. Les joues un peu plus rouges, je me blottis plus étroitement contre lui,
souhaitant ne plus jamais quitter cette place. Soudain, il glissa son pouce et son index sous mon menton
pour soulever mon visage vers lui. Il lécha ma lèvre inférieure avant de m’embrasser.
Ce fut un baiser, puis un autre, des baisers doux cette fois. Tendres, émouvants.
Mes sentiments pour lui me submergèrent. Quand il s’écarta lentement après un dernier baiser toujours
aussi doux, j’étais si bouleversée que j’eus peur de fondre en larmes devant lui, sans raison. Cherchant à
me protéger, je ne trouvai qu’à dire assez maladroitement :
— Cruz, et toi ?
Ma voix ressemblait à un drôle de croassement. Mes joues s’empourprèrent un peu plus si c’était
possible et je me sentis gauche, très gauche. Il sourit. Ce beau sourire que j’aimais tant.
— Ne t’inquiète pas pour moi, ma puce.
Ma puce ! MA PUCE ! J’étais sa puce.
Mon cœur allait exploser !
Je vivais un rêve éveillé. Je faillis me pincer.
— La prochaine fois, tu auras tout le temps de t’occuper de moi.
Il avait lancé ça d’un ton léger, mais je restai fixée sur « la prochaine fois ». Il y aurait donc une
prochaine fois. Un bonheur énorme m’envahit comme un tsunami. Mon regard plongea dans le sien. Le
grand sourire plaqué sur mes lèvres devait être quelque chose ! Avec une lueur indéfinissable dans les
yeux, il me contempla en silence, comme songeur, puis balaya une mèche derrière mon oreille, son pouce
caressant ma joue au passage. Ensuite, il posa ses mains sur ma taille avant de les glisser dans mon dos
pour les laisser dans le creux de mes reins. Assise sur ses cuisses, je me reculai légèrement pour le
dévisager. Je le sentais toujours aussi dur sous sa braguette, ce qui ne semblait pas le déranger.
Ses prunelles prirent une lueur plus intense.
— Alors, comme ça, c’est bien fini entre ce Jace et toi ?
Surprise par cette question, je confirmai d’un hochement de tête.
— Oui, c’est bien fini.
J’ignore pourquoi, mais je me sentis tout à coup plus timide sous son regard, différent à présent. Un
regard sans fard qui me faisait comprendre explicitement qu’il aimait ce qu’il voyait. Cependant, j’avais
l’impression de ne pas savoir quoi faire de mes mains. Mon estomac se serra. Il était si magnifique, si sûr
de lui, bien dans son corps.
À vingt-quatre ans, il avait un côté « homme » que les étudiants qui gravitaient dans mon entourage ne
possédaient pas. Ses origines latines lui conféraient un air ténébreux qui faisait se pâmer les femmes de
tout âge. Sa peau bronzée, ses cheveux foncés, sa barbe de trois jours étaient un cocktail explosif pour
nos pauvres hormones. Ses muscles qui ondulaient avec une souplesse hypnotisante me donnaient envie
de le lécher comme une glace délicieuse.
Je brûlais de savourer ce pack abdo que j’avais déjà vu en été durant les beaux jours, lorsqu’il était torse
nu. Mais je n’osais pas. Après ce moment torride, je redevenais soudain la gamine que j’étais. Je n’osais
pas le toucher comme j’en mourais d’envie. Pourtant, au Barrio et quelques minutes plus tôt, je l’avais fait
spontanément. Je lui avais caressé les pectoraux. Mais tout courage me désertait, même dans cette
position, encore à califourchon sur ses cuisses.
C’était comme si ce gros coup de timidité, sorti de nulle part, me bloquait complètement, mon cerveau
ne baignant plus dans une marée d’endorphines. Cette impression ne s’arrangea pas lorsque je me
souvins qu’il s’était toujours tourné vers des filles nettement plus expérimentées que moi. Sexuellement,
j’étais un bébé à côté de ces nanas. Je ne voulais pas polluer mon esprit avec ce type de pensées, surtout
pas après les paroles qu’il m’avait dites au Barrio, après ces moments merveilleux que je venais de passer
dans ses bras, mais j’étais un peu tourneboulée.
Ce qui expliqua peut-être cela.
Je crus bon de rajouter, très stupidement (parce que Jace ne méritait pas ce genre de réflexion) :
— Enfin… je ne pense pas qu’il revienne sonner à ma porte.
Je n’aurais même pas su dire pourquoi j’avais lancé un tel truc. Pourtant, cela eut un impact immédiat.
Son visage se transforma à la seconde. Impressionnant. Ses traits se figèrent en un masque très dur, son
regard se fit menaçant.
Je déglutis avec difficulté.
Il y avait en Cruz une part mystérieuse, très dangereuse, que je n’avais jamais vue dirigée contre moi.
D’après des échos, c’était cette part qui incitait certains mecs à changer de trottoir lorsqu’il vivait encore
à Brooklyn.
— Parce que tu crois que je le laisserais faire ?
Sa voix ? Glaçante, meurtrière ! Sans déconner.
— Euh non… enfin, je ne sais pas… bredouillai-je lamentablement.
Sa main glissa soudain le long de mon cou avant qu’il ne m’attire brusquement à lui. Et là, il s’empara
de ma bouche ! Il n’y avait absolument rien de doux dans ce baiser. Sa langue, vibrante d’une possessivité
extrême, chercha la mienne et s’enroula autour farouchement. Mes bras se resserrèrent autour de sa
nuque et je lui répondis passionnément. J’eus le pressentiment qu’il marquait son territoire, qu’il me
marquait… et j’adorai ça. Quand il s’écarta après un long moment, le souffle court, il eut un grondement :
— Et là, tu as encore un doute ?
Sa voix très âpre agit comme des bulles de champagne. Elle me monta directement à la tête. Et moi, la
petite Bethany qui se posait mille questions, peu sûre d’elle quand il s’agissait de Cruz, se jeta sur ses
belles lèvres pour lui rouler une pelle avec une fougue mémorable. Il grogna comme un animal, inclinant
ensuite ma tête, prenant la direction des opérations, une main agrippée à des mèches de cheveux. Ce fut
un autre moment explosif. Quand je me décollai de sa bouche, j’avais la respiration aussi précipitée que la
sienne.
— Ça répond à ta question ? lançai-je, bien haletante.
Waouh ! Je faisais fort.
Nos souffles ne faisant qu’un, il sourit avant que je ne le sente se détendre. Je reculai pour le dévisager,
consciente toutefois que mes joues avaient rosi. Ses yeux bruns se réchauffèrent et son sourire (bon
sang !) liquéfia mon corps. De la vraie gélatine ! Mais mon cœur se mit à battre follement, parce que je
voyais dans ses prunelles que j’avais réussi à le surprendre.
— J’adore ce genre de réponse, murmura-t-il en se penchant pour mordiller ma lèvre inférieure. Ne te
gêne surtout pas pour recommencer.
Je gloussai. Le gros nuage noir était passé. Apaisée, mieux dans mes baskets, je posai avec douceur mes
mains sur ses pectoraux pour les caresser comme je l’avais fait au Barrio et précédemment. Et puis… je le
sentis.
Vibrant, neuf, puissant, il monta en moi.
Je le sentis dans chaque pulsation de mon pouls, dans le sang qui battait dans mes veines, dans toutes
les cellules de mon corps. Dans tout mon être.
Ce sentiment possessif.
C’était vivifiant, mais terrifiant à la fois qu’une personne puisse avoir un tel pouvoir sur vous. J’inspirai,
chamboulée, et baissai les yeux vers son cou pour trouver le temps de me recomposer un visage normal,
tout en effleurant à présent sa peau autour du col de son tee-shirt, avant de glisser mes doigts vers ses
épaules larges et solides. Cruz n’avait jamais froid. En hiver, il pouvait porter un simple tee-shirt à
manches courtes sous un blouson de cuir. Je rompis finalement le silence qui se prolongeait :
— Je savais que tu dansais bien…
J’en avais encore eu un aperçu à l’anniversaire de Knox. Sur ces paroles, je relevai la tête, plus
maîtresse de mes émotions. Je vis qu’il m’observait sous la frange épaisse de ses beaux cils. Je les avais
toujours admirés ainsi que la nuance de ses prunelles, une chaude couleur chocolat, très caressante. À
savourer sans modération.
— Mais je ne savais pas que tu maîtrisais aussi bien les danses latines, continuai-je d’une voix mutine.
Ses yeux se mirent à pétiller d’une façon très craquante et mon cœur fit un bond dans ma poitrine.
— Je me débrouille, répondit-il avec modestie.
Puis ses doigts caressèrent mes épaules, mes bras, et se posèrent autour de ma taille, ses pouces faisant
de petits cercles sur mon bas-ventre. Son toucher était doux, sensuel. J’avais la sensation qu’il ressentait
un besoin très fort de garder constamment un contact physique entre nous. Qu’il n’arrivait pas à détacher
ses mains de mon corps. Cela me rendait très heureuse.
Un euphémisme !
— Avant ce Jace, il y en a eu combien ? me demanda-t-il tout à coup.
Une question qui me prit un peu de court. Il guetta ma réponse, tendu. Je choisis alors mes mots avec
soin.
— Deux au lycée avant lui.
Je n’avais rien d’une croqueuse de garçons. J’aurais voulu rajouter que je n’avais jamais eu de rapports
sexuels avec Jace, ou avec qui que ce soit au demeurant, mais ces paroles restèrent bloquées dans ma
gorge. Subitement, je ne savais pas si c’était une bonne idée de souligner mon inexpérience à une
semaine de mon anniversaire en plus. Vierge à dix-neuf ans ?
J’étais un ovni.
Cruz, lui, avait eu vingt-quatre ans le 25 décembre. Enfant, j’avais toujours pensé que c’était une belle
injustice, comme pour tous ceux dont la date de naissance tombait le jour de Noël. L’horreur ! Pas de
doubles cadeaux dans l’année contrairement aux autres. Ce qui me rappela du coup que je ne lui avais
même pas envoyé de message pour le lui souhaiter.
Quand je le vis exhaler lentement, je revins sur terre et mis de côté une pointe de remords. Puis il ouvrit
de nouveau la bouche pour me poser une autre question (certainement !), avant de se raviser.
— Ils n’étaient pas toi, lâchai-je sans le quitter des yeux.
Il me dévisagea avec une intensité qui m’arracha des frissons. Fini tous ces secrets ! Comme je le lui
avais déjà avoué au Barrio, cela avait toujours été lui. Rien que lui ! Et j’avais envie de le lui répéter
encore et encore. Sa réaction ne se fit pas attendre : il me caressa la joue avec une douceur infinie. J’eus
le curieux sentiment qu’il absorbait mes mots un à un pour les savourer pleinement. De mon côté, je
ressentis le furieux besoin de réentendre ce qu’il m’avait dit dans le club.
Je m’éclaircis la gorge.
— Alors… comme ça… tu as un peu pensé à moi ces derniers temps ?
Je rougis.
Oui, j’allais à la pêche. Il eut un reniflement très ironique.
— Un peu ? Tu es tout ce à quoi je pouvais penser du matin au soir ! À grimper aux murs.
Heureusement qu’il y avait le toit du pick-up, sinon j’aurais certainement volé dans le ciel à cette
seconde, soulevée par une énorme vague de joie. Mes lèvres se retroussèrent en un petit sourire troublé.
— J’adore te l’entendre dire, murmurai-je.
Il me rendit mon sourire et sa paume pressa ma hanche en une douce caresse avant que son visage ne
reprenne son sérieux.
— Il va falloir que je parle à Knox.
Parler à Knox ? Une vague de panique me tétanisa.
— Je veux te revoir, Bethany…
J’aurais dû sauter de joie, mais je demeurai focalisée sur ses paroles précédentes. J’adorais mon frère,
vraiment ! Knox était plein de bonnes intentions, son côté protecteur partait d’un bon sentiment, mais il
était maladroit pour tout ce qui concernait ma vie amoureuse. Cruz et moi ? Il me verrait comme la biche
fragile dont le gros loup n’allait faire qu’une bouchée. Notre histoire se terminerait avant qu’elle n’ait eu
une chance de commencer.
— S’il te plaît, Cruz, non… ne lui dis pas ! suppliai-je.
Il s’immobilisa, les sourcils froncés.
— C’est mon pote, Bethany. Il est comme un frère pour moi, je ne peux pas lui cacher… ce qu’il se passe
entre nous.
— C’est mon frangin ! Crois-moi, je sais comment il est et comment il va réagir. Il va arriver à te faire
culpabiliser. Tu es un mec expérimenté ; sa petite sœur, non (autant y aller franco) ! Tu t’es toujours
amusé avec les nanas ; moi, je suis la fille sérieuse à qui tu pourrais faire du mal. Il va paniquer, même si
tu lui jures que tes intentions sont... différentes avec moi.
Il se rembrunit. Je sus que j’avais tapé dans le mille. Nous deux, c’était trop fragile, trop nouveau. J’étais
sûre de mes sentiments envers Cruz, mais lui avait toujours été épris de liberté. Il avait certes envie de
me revoir ; toutefois, j’étais convaincue que pour l’instant, il ignorait totalement où tout cela nous
mènerait. Quelques rendez-vous, oui, mais il n’allait pas me jurer un amour éternel après une soirée
ensemble. Je ne voulais pas que mon frère le pousse dans ses retranchements.
Or, il était doué pour ça !
— Pas tout de suite, Cruz, je t’en prie…
Mon magnifique Latino ne dit rien pendant quelques secondes, le visage toujours aussi sombre.
— Je me vois mal lui mentir, rétorqua-t-il d’une voix difficile.
— Ce n’est pas lui mentir. C’est juste attendre le bon moment pour lui parler. Et là, c’est trop tôt. Et
puis, qu’est-ce que tu vas lui dire ? Que tu vas me courtiser avant de me demander en mariage ?
Il sourit malgré lui.
— Il n’en attendra pas moins de ta part, Cruz (et je ne plaisantais qu’à moitié.) Je t’en prie, avec toi… j’ai
le pressentiment qu’il sera pire qu’avec Jace ou tout autre garçon qui s’intéresserait à moi.
D’un geste nerveux, il se frotta la nuque.
— Bethany…
— Comme tous les frères, il n’aime pas imaginer un mec posant ses mains sur moi…
— Si j’avais une sœur, je serais comme lui, peut-être pire, me coupa-t-il. Je peux le comprendre.
J’inspirai un bon coup pour lui lâcher ce que j’avais sur le cœur.
— Cruz, je veux qu’on ait une chance et je ne veux pas que tu subisses d’entrée la pression de tes potes
si tu leur en parles. Il y a Knox ! Mais Zack et Chase ont aussi un côté protecteur. Et puis, si très vite,
pour une raison ou une autre, cela ne devait pas marcher entre nous comme c’est le cas pour un tas de
couples à leurs débuts, à quoi cela servirait-il que ton amitié pour mon frère et la bande en pâtisse ? Et si
Zack prenait ta défense, ça pourrait même provoquer des problèmes entre eux.
J’envisageais tous les scénarios. Ah, je les voyais tous, en technicolor et le son à fond !
— C’est compliqué ce que tu me demandes, Bethany. Tu veux que je cache à mon meilleur ami que je
couche avec sa sœur…
Son regard se fit très brûlant en une seconde.
— Parce que c’est ce que je veux, Bethany, t’avoir en dehors et dans mon lit, gronda-t-il.
Bon sang, mon string prit feu !
— C’est ce que je veux aussi, Cruz, répondis-je d’une voix essoufflée, sans le quitter des yeux, alors que
je sentais mes joues s’empourprer.
J’avais toujours eu tellement l’habitude de réprimer tout ce que je ressentais envers Cruz, que ce
courage que je manifestais aurait pu être étonnant. Mais je jouais mon bonheur, là. Dramatique ? Non ! Je
luttais juste pour nous deux. Ses prunelles enflammées me donnèrent l’envie de me jeter sur sa bouche,
mais le moment était trop important. Il devait comprendre mon but. C’était tout à son honneur de vouloir
faire preuve d’honnêteté avec mon frangin, cependant je touchais enfin du doigt mon rêve après tant
d’années remplies de hauts et de bas, à me morfondre pour lui dans mon coin. Alors, ce début de relation
neuf et fragile, je voulais le protéger pour qu’il puisse encore grandir et se renforcer avant d’affronter…
le monde.
Je savais que ce que je lui réclamais n’était pas évident.
— Provisoirement, Cruz. Je te demande juste de nous accorder quelques semaines, voir ce que cela
donne entre nous, et on avisera ensuite.
Il ne dit rien, digérant mes paroles.
— Et si ça ne marchait pas entre nous, rétorqua-t-il soudain, tu voudrais que je lui cache que j’ai eu une
relation avec sa sœur ? Toute ma vie ?
Je déglutis difficilement.
— À quoi cela servirait de lui dire la vérité si tout devait s’arrêter dans une semaine ?
— Bethany… gronda-t-il, à me faire passer pour un mec qui n’a pas de couilles !
— Non… je t’en prie, ne le prends pas comme ça !
— Et pourquoi cela devrait s’arrêter dans une semaine ?! rajouta-t-il tout à coup dans un grondement
très mauvais.
Il était remonté.
Ah, mon cœur se gonfla de joie devant sa réaction !
— Ce n’est pas ce que je veux, mais je pense simplement que ce n’est pas une bonne idée de lui dire tout
de suite. Je pense aussi que tu sauras mieux trouver les mots... plus tard. Tout ça, c’est si soudain et si
neuf pour toi et pour moi… nous deux… J’ai peur que… tout s’envole… avant qu’on n’ait eu une réelle
chance.
Et ma voix craqua sur ces dernières paroles. Des larmes perlèrent à mes cils.
— Hey… Hey… ma puce…
Il m’attira contre lui et j’enfouis mon visage dans son cou. Sa bouche caressa ma tempe à travers mes
cheveux en un mouvement régulier d’une grande douceur.
— Hey… ne pleure pas...
— S’il te plaît, Cruz, suppliai-je d’un ton étouffé.
Je le sentis débattre avec lui-même.
Moi, je savais que c’était lui. Je savais également que si cela ne marchait pas entre nous, si Cruz voulait
reprendre sa liberté d’ici peu, s’il avait des regrets, j’aurais le cœur brisé. Mais j’étais prête à courir ce
risque. Je savais aussi au fond de moi que Cruz me respecterait et que je ne serais pas une fille
supplémentaire sur son tableau de chasse. Qu’il veuille nous donner une chance, c’était sans aucun doute
un immense pas pour lui. Mais je n’ignorais pas qu’à ce stade-là, il éprouvait une forte attirance qu’il
souhaitait seulement explorer pour l’instant. Il me regardait différemment ; il me désirait ; il avait très
envie de me revoir. C’était un début comme dans toute relation, mais Knox le braquerait d’emblée. J’en
étais certaine. Je voulais juste un petit temps de répit. C’est tout. Ce n’était pas la fin du monde.
Dans mon esprit, si on annonçait tout de suite à Knox qu’on sortait ensemble (traduction pour lui : qu’on
fricotait et que son pote se tapait sa petite sœur comme tant d’autres avant elle, et qui plus est, alors que
celle-ci venait de rompre), cela ne se passerait pas bien ; le lui annoncer dans quelque temps en lui
montrant qu’on avait, disons, dépassé certaines étapes… ce serait mieux. J’en étais convaincue. Et quoi
qu’il se passe entre nous dans le futur, je jurai à cette seconde en mon for intérieur que je ne laisserais
jamais mon chagrin – pour un risque que j’avais pris en toute connaissance de cause – détruire leur
amitié.
— Provisoirement ? articula-t-il lentement.
— Oui, provisoirement, Cruz, répondis-je, le cœur dans la gorge.
Il inspira profondément.
— OK, si c’est ce que tu veux, Bethany (dit d’un ton doux). Après, je lui en parle (dit d’un ton très
catégorique).
Je m’écartai pour plonger mes yeux dans les siens, traversée par un immense soulagement.
— D’accord, après on lui en parle.
J’étais si heureuse que je me jetai sur sa bouche avant qu’il ne puisse répondre. Il eut un rire étouffé,
puis glissa sa langue entre mes lèvres avec un grognement. Il m’embrassa avec une telle passion que ce
moment me conforta dans ma décision. Pour l’instant, notre petite bulle nous protégeait en tenant le
monde extérieur à distance. Et c’était très bien ainsi.
On se roula des pelles durant de longues minutes. Je ressentais une telle allégresse que j’aurais voulu
crier ma joie à la terre entière. Quand on se sépara lentement, du pouce, il caressa mes lèvres gonflées
avec une lueur encore enflammée dans ses yeux.
— Il faut que je te ramène, jeta-t-il à contrecœur, le souffle saccadé.
Ses prunelles brillaient de désir, mais je le sentis en équilibre sur un fil. D’ailleurs, je le vis se rajuster
en réprimant une grimace.
— OK…
Mon Dieu, c’est moi qui le mettais dans un tel état ! Tous mes organes semblaient tressauter
d’excitation. Je regagnai mon siège et il démarra sans attendre. Il avait à peine accéléré qu’il prit ma
main pour la placer sur sa cuisse, en la recouvrant de la sienne. Et il la garda ainsi durant tout le trajet.
Et moi, je ne touchais plus terre.
— N’oublie pas de téléphoner à ton frère demain.
Ah oui, Cruz lui avait promis par texto que je le ferais. Je me raclai la gorge, un peu mal à l’aise de
remettre ça sur le tapis.
— Je lui dirai qu’on a été dans un bar, le Dark, par exemple ? On a discuté et tu m’as ensuite ramenée.
Je m’assurais qu’on aurait la même version.
Sa mâchoire se crispa lorsqu’il entendit ce « léger, mais premier » mensonge. Il mit quelques secondes
avant de répondre.
— OK.
Rien de plus. Cela ne lui plaisait pas, vraiment pas, et il le faisait visiblement uniquement pour moi. Mon
cœur se gonfla un peu plus.
On arriva devant chez moi dans le quart d’heure suivant.
— Je t’appelle, dit-il avant de se garer le long du trottoir près du garage.
La voiture de Chase n’était pas là et ma mère dormait à cette heure-ci. Demain, elle se levait tôt pour sa
prochaine tournée. Tant mieux, je n’avais pas envie de tomber sur l’un d’entre eux. Je me penchai pour
embrasser Cruz. Il s’avança en même temps que moi, sa main glissant autour de ma nuque. Lorsqu’on se
sépara, mes lèvres étaient gonflées par ses baisers.
— Je suis désolée, lançai-je soudain.
Une lueur confuse passa dans ses yeux.
— De ne pas t’avoir souhaité ton anniversaire, le mois dernier… je suis désolée.
— Ouais… et je comptais bien te punir pour ça.
Vu le ton de sa menace, énoncée d’une voix basse et sexy, mon corps vibra d’anticipation. Après un
dernier baiser rapide, je sortis du pick-up. Sur le perron, je lui fis un signe. Comme d’habitude, il attendit
que je sois à l’intérieur avant de démarrer. Je montai à pas furtifs à l’étage. Une fois dans ma chambre, je
me laissai aller de tout mon poids contre la porte, le cœur battant. Heureuse. Très, très heureuse.
Puis, je ris toute seule avant de plaquer une main sur ma bouche. Plus tard, après une douche rapide et
un démaquillage en règle, allongée dans mon lit, je revécus toute cette soirée mémorable, minute par
minute. Mon corps brûla à différents endroits, réclamant Cruz. Je pris mon oreiller pour le serrer dans
mes bras. Il me manquait déjà. Dans une pulsion, je saisis mon portable et, après une légère hésitation, je
tapai sur le clavier.
Moi : Tu me manques déjà.
Il me répondit pratiquement tout de suite.
Cruz : Toi aussi…
Je souris dans le noir et collai mon téléphone contre mon cœur. J’étais grave. Un tel degré de bonheur ?
Jamais je n’aurais cru auparavant que ce soit possible. Un flot d’émotions me submergea et noua ma
gorge, avant que de sombres pensées ne s’insinuent dans mon esprit malgré moi. Un bonheur aussi fort
ne pouvait pas durer ! C’était trop beau ! Il y avait certainement des études officielles qui le prouvaient.
Profite avant que tout ne s’arrête, souffla une petite voix horrible, avant qu’il ne s’aperçoive que tu
n’arrives pas à la cheville de toutes ces filles expérimentées qu’il se tape régulièrement. Avant qu’il ne
s’ennuie au lit avec toi.
Soudain, il me fut difficile d’étouffer cette voix pernicieuse. Je passai une main agitée sur mon visage,
l’estomac noué. Je refoulai en moi du mieux que je pus la petite Bethany, peu sûre d’elle, mais devenue
subitement lucide sur son manque d’expérience sexuelle. Puis, le regard rancunier de Jace m’apparut
aussi. La totale ! Une voix, la sienne, résonna dans mon cerveau.
C’est bien à cause de lui que tu m’as jeté… menteuse ! Je le savais ! Menteuse… menteuse…
Épuisée nerveusement, je réussis toutefois à m’endormir.
Chapitre 17

Cruz

Le lendemain, je me réveillai vers dix heures. J’étais à peine conscient que les souvenirs de la soirée me
revinrent en mémoire. Et putain… ils provoquèrent encore une grosse chaleur au niveau de mon torse,
alors que les paroles de Bethany résonnaient de nouveau dans mon esprit.
Parce que c’est toi, Cruz, et que ça a toujours été toi. Et que ce sera toujours toi !
Comme la veille, j’eus l’impression que mon cœur allait éclater et faire un trou dans ma poitrine. Je
savourai chaque mot, heureux, mais encore surpris.
En effet, dans sa période ado, j’avais parfois remarqué ses regards un peu plus longs qu’à l’accoutumée,
sur mes tatouages entre autres – c’était arrivé quelquefois –, mais je les avais attribués à son admiration
pour le travail artistique, et rien d’autre. Est-ce que mon instinct s’était déjà mis en branle à cette
époque ? Est-ce lui qui ne m’avait rien permis, pas le moindre petit écart mental, dès qu’il s’agissait de
Bethany ? Il y avait de fortes chances.
À présent, je comprenais aussi qu’avec l’âge, elle avait par la suite mieux su cacher… ses réactions.
Cependant, le fait que je m’en souvienne encore aujourd’hui, de ses fameux regards, démontrait à quel
point j’avais toujours été très sensible à tout ce qui touchait Bethany, malgré les barrages édifiés peu à
peu, inconsciemment.
Ce matin, à l’instar de la veille, ses paroles me donnaient carrément l’impression de planer dans la
stratosphère, très haut. Une drôle de sensation, en vérité !
Les yeux fixés au plafond, j’eus un sourire idiot (pas besoin de me regarder dans une glace pour en être
sûr). La soirée se joua de nouveau devant moi : chaque baiser, chaque caresse sur son petit corps
sensible, sur sa chatte ! Ah, bon sang, j’avais encore la sensation douce et chaude de son vagin autour de
mes doigts. Je me souvins également de son orgasme. J’avais vécu un pied d’enfer à la sentir éclater dans
mes bras. J’avais d’ailleurs failli éjaculer dans mon froc, comme un ado.
Toutes ces visions firent remonter en bloc ce sentiment possessif : si un mec devait la toucher, c’était
moi ! Oui, cela avait été moi à compter de la minute où j’avais posé les mains sur elle et plus personne
n’aurait ce droit ! Des envies de meurtre vibraient déjà dans mes tripes à l’idée que son ex puisse se
pointer.
Je le démolirais…
La respiration plus rapide, je m’efforçai de calmer ma violente jalousie. Une première pour moi ! Jamais
je n’avais rien éprouvé de tel avant Bethany. Il y a quelques semaines, j’avais déjà perçu ce sentiment,
mais je l’avais canalisé jour après jour ! L’idée qu’elle soit avec lui, ça me rendait dingue ; à présent,
Bethany était à moi… oui, à moi, et je bouillais à la pensée qu’un type pouvait la mater ou tenter un truc
avec elle.
J’avais failli lui demander si elle avait couché avec son ex, mais j’avais réussi à me retenir. J’étais en fait
partagé. J’avais envie de savoir et je n’en avais pas envie. Si elle avait couché avec un mec, c’était avec ce
Jace. Pas un autre, certain ! Savoir : cela me donnerait envie de lui casser la gueule. Ne pas savoir : eh
bien… ça me titillait déjà bien l’esprit.
Je chassai ces réflexions, préférant me concentrer sur son orgasme. Comme elle avait mouillé sur mes
doigts, tremblé dans mes bras, gémi dans ma bouche, crié mon nom…
Je m’en délectais avec une fierté toute masculine.
Chaud comme la braise, je ne résistai pas et enroulai ma main autour de ma bite. Entre mon érection du
matin et les souvenirs de la veille, elle s’était transformée en une barre de métal. Je pris mon pied en
pensant à chaque seconde avec Bethany. Contrairement à toutes les fois où je m’étais branlé, en
focalisant mes sensations sur ma petite blondinette, je ne ressentis aucun malaise dérangeant lorsque je
redescendis sur terre. Je pris des lingettes pour essuyer le sperme qui avait giclé partout, puis je me levai
et enfilai un jogging. Quand je me dirigeai vers la porte de ma chambre, mon humeur changea peu à peu
et mes pas ralentirent d’eux-mêmes. L’atmosphère s’assombrit : fini le moment euphorique ! Une fois hors
de mon sanctuaire, j’allais croiser Knox et je devrais lui mentir.
Je me détestai déjà ! Mais le regard suppliant de Bethany ainsi que ses larmes dansèrent dans mon
esprit. Je stoppai devant le battant et me frottai la nuque, hésitant. Quand je me souvenais de ses phrases
et des arguments qu’elle avait utilisés – que tout pouvait finir rapidement entre nous –, cela me foutait en
rogne. Et pas qu’un peu ! Bien sûr, je ne savais pas où tout cela nous mènerait. Aucun couple ne pouvait
prédire ce que l’avenir lui réservait. Cependant, je sentais de plus en plus que cette blondinette, je l’avais
dans la peau depuis bien plus longtemps que je ne le pensais. Le souvenir de l’inauguration du studio
revint tout à coup à la charge.
J’avais ressenti ce jour-là une telle déception, si cuisante… indescriptible. Un sentiment qui allait au-
delà d’une simple déconvenue face à l’absence d’une « amie ». Toutefois, Bethany n’avait pas tort. Que
dire à Knox ? Que j’avais envie de sortir avec sa sœur ? Que je ne savais pas ce que j’éprouvais pour elle,
mais que je voulais tenter ma chance ? Tout simplement ? Mon meilleur pote me connaissait mieux que
moi-même ; mon passif à Brooklyn et à Manhattan ; mon passif mouvementé avec toutes ces nanas ; mon
besoin de liberté ! Quelque part, je n’ignorais pas qu’elle avait marqué un point : il ne le prendrait pas
bien. C’était un frère hyper protecteur. Tout pourrait rapidement partir en couilles avec toutes les
conséquences qu’on pouvait imaginer. Soudain, la plus grande peur que j’éprouvai, ce fut que je puisse la
perdre dans ce merdier.
Mon estomac se tordit.
Je passai une main tremblante sur mon visage. Peut-être que Bethany voyait juste : une conversation
avec Knox serait plus facile lorsque je pourrais lui prouver que j’étais sérieux.
Parce que oui, j’avais des intentions sérieuses.
Je voulais que ça marche avec ma petite blonde.
Oui, je le voulais !
Là, ce fut comme une explosion dans mes tripes. Je me figeai sous le choc. Après ces minutes confuses,
je voyais clairement ce que je souhaitais de toutes mes forces. C’était comme si un rideau, déjà bien
transparent, le devenait totalement ; et le chemin devant moi était d’une clarté absolue.
Je veux vraiment que ça marche avec Bethany, me répétai-je une nouvelle fois. Tu lui as promis de te
taire, pensai-je dans la foulée, me souvenant de ses supplications et de ses larmes.
Je restai immobile, le cœur battant, perdu dans le tumulte de mes pensées et une autre lumière se fit
dans mon cerveau. Oui, j’allais tenir ma promesse et attendre le bon moment pour parler à Knox, mais
j’allais également lui montrer, à elle, à quel point je voulais que ça marche entre nous. Fini les réflexions
du style « tout peut s’arrêter dans une semaine », comme elle me l’avait balancé la veille. J’allais si bien le
lui faire comprendre que plus jamais une phrase de ce genre ne sortirait de sa bouche.
Et ensuite, je prendrais Knox entre quatre yeux.
Revigoré, je sortis de ma chambre pour constater que les tourtereaux pionçaient toujours. J’en fus un
peu soulagé, à vrai dire. L’esprit plus calme, je pus savourer mon café en surfant sur ma tablette. J’eus
envie d’envoyer un SMS à Bethany, mais elle devait encore dormir. Je ne voulais pas la réveiller au cas où
elle n’aurait pas mis son téléphone en mode vibreur.
Je m’étais douché et buvais un jus d’orange près du frigo dans la cuisine, lorsque j’entendis un bruit de
pas familier dans le couloir. Je me raidis malgré moi. Knox apparut, les cheveux en pétard. Apparemment,
la nuit avait été courte. Mais je ne tenais pas à savoir ce qu’il avait traficoté avec Jailyn une fois qu’il avait
été rassuré sur le sort de sa frangine.
— Hé, mec !
— Salut, répondis-je. J’ai fait du café.
Il me sourit et le remords commença déjà à me ronger avec rage. J’allais être obligé de lui mentir dans
quelques minutes.
J’ai fait une promesse, me rappelai-je pour la énième fois.
Bien sûr, il ne perdit pas de temps.
— Alors, avec Bethany, ça s’est bien passé ?
J’avais été bref dans mon texto.
— Oui, on a été boire un coup et je l’ai ramenée chez elle. Elle a peu râlé, rajoutai-je pour la forme.
Il eut un sourire.
— Vous êtes allés où ?
Ce n’était pas un interrogatoire, je le savais, mais je dus réprimer l’agacement qui arrivait au galop.
— Au Dark.
— Ça fait un bail que je n’ai plus mis les pieds là-bas, toujours la même ambiance ?
Merde ! J’espérais qu’il n’allait pas m’embarquer là-dessus. J’ignorais complètement si le Dark avait
changé ou non.
— C’était cool, dis-je vaguement.
À mon grand soulagement, il but une gorgée de café, apparemment satisfait des deux mots que j’avais
pu décoincer de ma bouche.
— Au fait, merci, vieux ! lança-t-il soudain.
Je me sentis mal, très mal, et je ne pus lui répondre. La honte m’envahit. Je me tournai vers l’évier pour
rincer mon verre. Tâche qui me prit un certain temps. Putain, j’avais fait une promesse, mais je mesurais
à cette seconde ce qu’il m’en coûtait. Cela allait être difficile.
Je tentai de faire dévier la conversation en me retournant vers lui. Pas le choix.
— De rien ! Et Jailyn ?
Il ne parut pas avoir remarqué ma voix soudain enrouée.
— Elle pieute encore.
J’en fus soulagé ! Parce que, subitement, je me souvins de certains de ses regards, notamment à
l’inauguration du studio. À l’époque, j’avais bloqué la curieuse impression que j’avais éprouvée, comme si
Columbia avait senti la profondeur de ma déception. Elle avait un côté perspicace et je craignais que ce
matin, elle puisse deviner mon terrible malaise.
Un terrible malaise dont Knox, lui, n’avait pas conscience.
Parce qu’il avait confiance en son pote de toujours !
Parce qu’il était à mille lieues d’imaginer que son meilleur ami lui mentait en le regardant dans les yeux.
Mon estomac se tordit un peu plus. Un vrai tour de manivelle. J’allais dégueuler à cette allure-là, je
sentais mon dernier café remonter.
— J’espère qu’elle va bien ? Sa rupture avec Jace, elle t’en a parlé.
Oh, pitié ! Pas ce sujet. Pas lui !
— Un peu, bougonnai-je.
Je me raclai la gorge.
— Elle va bien, je t’assure.
— Alors, c’est elle qui a cassé ?
— Oui, je n’ai pas trop insisté. Elle m’a confirmé que c’était bien elle qui avait rompu. Elle… avait envie
de retrouver sa liberté.
Car ta petite frangine me kiffe grave, moi, et pas un autre.
Cette pensée incongrue me fit un bien fou durant quelques secondes. Mais il fallait vraiment que je
dégage de la cuisine : faire face à mon pote commençait à devenir difficile. Voire impossible.
— J’ai dit à Jailyn qu’on pourrait aller lui rendre visite cette après-midi.
Merde ! Je voulais voir Bethany aujourd’hui. Je réalisai alors que c’était ce que je crevais d’envie de
faire depuis que j’avais ouvert les yeux. Foncer à Brooklyn.
— Ça devrait lui faire plaisir, répondis-je toutefois entre mes dents serrées.
Il fallait que je décampe. À présent, cela devenait vital. J’avais atteint les limites de ma résistance.
— Je vais l’appeler.
J’eus un hochement de tête.
Tendu, je prétextai un truc à faire et regagnai ma chambre. Vingt minutes plus tard, j’appris de la
bouche de Jailyn que Tiphaine avait appelé parce qu’elle avait un gros souci avec un meuble qu’elle
n’arrivait pas à monter. Elle s’était acharnée dessus, la veille, et menaçait de le balancer par la fenêtre.
Bien sûr, Knox s’était illico proposé pour l’aider. Du coup, ils iraient voir Bethany et sa mère le week-end
suivant.
Ah, merci, Tiphaine !
En fin de matinée, Bethany appela toutefois son frère comme prévu. D’après la conversation (non, je ne
rôdais pas aux alentours, j’avais juste besoin de fouiner dans le salon, où il discutait avec elle, assis sur le
canapé), elle venait de se lever. Je captai le mot « Dark » entre autres. Putain, j’avais trop envie
d’entendre sa voix ! Je pris mon mal en patience. Une patience récompensée, car Tiphaine téléphona
finalement pour les inviter tous deux à déjeuner. J’en aurais brandi mon poing en l’air.
Mais je conservai un calme olympien.
— Tu as quelque chose de prévu ? me demanda Knox avant de décoller de l’appart.
— Sais pas encore. Je vais peut-être chiller.
— Je suis prête ! lança Jailyn.
Elle sortait de la chambre de Knox et enfilait son manteau d’hiver et ses gants. Elle me fit un signe
avant de partir, puis je me rendis dans ma piaule et me laissai tomber sur mon vieux fauteuil après avoir
pris mon téléphone.
Moi : Bien dormi ?
Il ne fallut pas longtemps. Deux secondes à tout casser.
Bethany : Oui ☺
Moi : Tu as prévu quelque chose cet après-midi ?
Bethany : Te voir…
Je souris et ma queue fit un gros twist dans mon boxer. Elle adorait le côté direct de Bethany. À un
moment donné, la veille, je l’avais sentie soudain plus timide avant que quelque chose ne semble cliquer
en elle.
Moi : Prépare tes petites fesses, je viens te chercher.
Bethany : Mes petites fesses t’attendent… avec impatience.
Oh, putain !
Puis je ris de bon cœur, ma bite pressée contre ma braguette.
Je fis un bond et, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, j’étais au volant de mon pick-up,
fonçant en direction de Brooklyn. Bethany m’avertit par un autre texto que Chase dormait chez un copain
et que sa mère travaillait. Aucun problème pour me pointer chez elle sans provoquer la curiosité de ses
proches. En cours de route, je reçus encore un message.
Ryder : Qu’est-ce que tu fais ?
Il me fallut plusieurs secondes pour y répondre. J’eus les boules alors que différents mensonges
défilaient dans mon esprit. Ceux-ci allaient très vite me prendre la tête. Rectification : ils me prenaient
déjà la tête depuis ce matin.
Moi : J’ai un truc à faire, on se voit demain soir ?
Je ne mentais pas.
J’omettais juste certaines précisions.
On était des mecs, pas compliqués. Contrairement à des nanas proches l’une de l’autre, si l’un d’entre
nous ne tenait pas à s’étendre sur ce qu’il faisait de son temps libre, on respectait son choix. On n’en
faisait pas tout un fromage, à se poser mille questions du type : « Je suis son meilleur ami, qu’est-ce qu’il
va faire sans moi un dimanche après-midi ? » Pour tout avouer, concernant Ryder, ce genre
d’interrogation était plutôt rare, car je savais toujours en long et en large ce qu’il fabriquait.
Ryder : Mardi plutôt !
Moi : Ça marche !
Ryder : Je vais chez Enzo. Il va prendre sa raclée à Forza.
Ouais… je le connaissais par cœur, c’était flippant.
Moi : Bonne course.

J’arrivai en un temps record. Bethany devait me guetter derrière la fenêtre, car elle apparut à peine le
moteur éteint. Le temps qu’elle descende le perron, je pus m’en mettre plein les mirettes. Et bon sang, ça
valait le coup d’œil ! Elle était canon dans son jean moulant, son pull à col roulé d’un bleu pâle et son
manteau court. Un mélange naturel et élégant à la fois avec son petit sac Guess qu’elle tenait à la main.
Mon regard admiratif se porta sur ses cheveux détachés, une masse aux mèches ondulées qui balayaient
son dos et ses seins. Quand elle se mit soudain à courir vers le pick-up, une lueur de joie brillant dans ses
yeux, je crus que mon cœur allait le faire, cette fois-ci, ce trou dans ma poitrine. Il remonta dans ma
gorge lorsqu’elle grimpa sur le siège passager en me fixant comme si j’étais le centre de son univers.
Une impression de dingue.
Je me penchai direct, elle aussi. Nos bouches se rencontrèrent avec la même impatience. J’avais la
sensation que ça faisait un temps fou qu’on ne s’était pas embrassés. Je brûlais d’envie de lui dévorer les
lèvres. Mais comme je n’étais pas certain d’être capable de m’arrêter, je m’en tins à un baiser intense de
quelques secondes, une main glissée autour de sa nuque, avant de m’écarter. Nos yeux se rivèrent l’un à
l’autre. Je dus faire un effort héroïque pour ne pas me jeter de nouveau sur sa bouche.
— Attache-toi.
— Oui, chef !
J’eus un petit rire.
Elle obéit avec un sourire, puis je démarrai tout en baissant le volume de la radio.
— Ça a été avec Knox ? demanda-t-elle assez vite.
J’eus un bref haussement d’épaules. Mais je ne voulais pas qu’elle se sente coupable, car j’arrivais tout
de même à comprendre le bien-fondé de ses craintes.
— Je n’aime pas lui mentir, dis-je d’une voix la plus neutre possible.
— Je suis désolée, Cruz.
Son regard lagon s’assombrit, rempli de culpabilité. Je lui pris la main pour l’emprisonner dans la
mienne en un geste réconfortant.
— Mais je peux comprendre ton inquiétude, Bethany… Il peut être très chiant, parfois, ajoutai-je sur le
ton de la plaisanterie, pour alléger l’atmosphère.
Elle gloussa, le visage soulagé.
— Oui… c’est son côté trop protecteur.
Je mis ça de côté, Knox et toute la bande. Rien ne viendrait ternir ce moment entre nous.
— Où tu m’emmènes ?
— C’est une surprise.
Ses prunelles pétillèrent.
— J’adore les surprises !
Je levai nos mains jointes et embrassai ses phalanges.
— Tu as toujours aimé les surprises.
Ma réponse la toucha. Elle aimait que je me souvienne de ces petits détails, et sourit d’une façon qui
provoqua encore un truc dans ma cage thoracique. Toutes ces sensations qui me mettaient bien à l’envers
allaient devenir une drogue dont j’aurais du mal à me passer. À chaque rencontre avec Bethany, j’en
découvrais de nouvelles, toujours plus puissantes. Cela aurait pu être flippant de me sentir aspiré dans ce
genre de spirale vertigineuse dont (attention, spoiler) je n’avais aucune envie de trouver la porte de
sortie.
Un jour, Ryder m’avait dit qu’il aimerait être aux premières loges, le jour où une nana me mettrait le
grappin dessus. Je lui avais répondu avec toute l’arrogance d’un mec certain qu’aucune gonzesse ne
réussirait à le prendre dans ses filets avant longtemps – un connard, quoi. Maintenant, le connard
(rappel : moi) se sentait fichtrement bien dans ces filets et souhaitait de toutes ses forces que les nœuds
soient bien serrés.
Intérêt qu’ils le soient ou je m’en chargerais moi-même.
Ouais… mon pote en pisserait dans son froc.
Durant le trajet, la conversation ne tarit pas. Bon sang, j’adorais chaque minute en sa compagnie ! Je les
avais déjà kiffées lors de nos rencontres pour organiser l’anniversaire de son frère. Mais c’était désormais
mille fois mieux. Mille fois mieux parce que je pouvais à présent la mater tout mon saoul, lui adresser des
regards amusés, longs ou explicites, en savourant chacune de ses réactions. Je pouvais aussi la toucher
comme j’en avais envie, prendre sa main, ou poser la mienne sur sa cuisse et sentir sa paume la recouvrir.
J’aimais la faire rire, voir ses joues s’empourprer et entendre sa respiration s’accélérer. Exemple, quand
je lui roulai une pelle à un feu rouge jusqu’à ce que le mec derrière nous ne klaxonne finalement.
Bethany… c’était autre chose. J’avais toujours eu un seul but avec les filles : les déshabiller et les baiser.
Bien sûr, elle aussi je la voulais dans mon lit (pas qu’un peu !) et de toutes les façons possibles, mais
j’adorais tous ces moments différents.
Je roulais le cœur léger. Lorsqu’elle vit un panneau de signalisation, ses yeux s’écarquillèrent.
— Tu m’emmènes à Long Beach ?
— Yep.
Un grand sourire illumina ses traits, ce qui fit faire une sacrée pointe de vitesse à mon cœur. Bon sang,
j’étais complètement accro à ses sourires ! À tant de choses, en vérité.
Il nous fallut une petite heure pour atteindre notre destination. À cette période de l’année, je n’eus
aucun mal à trouver une place à proximité de la plage. Bethany rangea son sac dans le coffre du pick-up
pour ne pas être encombrée, puis on se retrouva sur le ponton en bois. Nos mains se cherchèrent
naturellement et se nouèrent.
On se mit à marcher au même rythme.
Le vent était frais, mais pas glacial. Le ciel chargé de nuages ressemblait à une immense tapisserie
sombre au-dessus de l’océan particulièrement agité, ses vagues formant de gros rouleaux qui s’écrasaient
sur le sable. J’avais toujours trouvé que la puissance de l’Atlantique vibrait plus fortement dans l’air par
ces temps gris. Ce tableau avait quelque chose de primitif, un humain se sentait très petit devant une
telle force de la nature. Bethany contempla l’étendue en mouvement avant de tourner la tête vers moi.
— C’est très beau.
Je lui souris. Des mèches volaient autour de son visage alors que ses joues rosissaient sous le vent. Je
lâchai ses doigts pour passer mon bras le long de ses épaules, l’attirant contre moi. Je la sentis glisser sa
main dans la poche arrière de mon jean, comme si elle l’avait toujours fait. Sans hésitation, à l’aise avec
moi. Le pied ! Notre relation avait changé en l’espace d’une soirée, mais tout cliquait entre nous d’une
façon si naturelle que j’avais le profond sentiment que nous deux, c’était écrit quelque part depuis
longtemps. Il y a des mois, je me serais marré en pensant à un truc aussi dégoulinant. Aujourd’hui… je me
laissais aller à la douce chaleur que cette pensée suscitait.
Enlacés, on continua à avancer en silence sur un ponton désert. Quand on vit des escaliers menant vers
la plage, on se regarda à la même seconde avec la même idée en tête. On descendit les marches en bois
et on s’approcha du rivage. En m’asseyant sur le sable, j’attirai Bethany pour la caler entre mes jambes,
face à l’océan. Elle s’appuya en arrière, le dos collé contre mon torse, nichée dans mes bras. Je frottai
légèrement mon nez contre ses cheveux, le parfum de son shampooing emplissant mes narines.
— J’avais adoré notre balade à Rockaway, lâcha-t-elle doucement.
— Moi aussi.
Je la serrai plus étroitement et glissai ma joue contre sa tempe, nos regards fixés sur les remous
bouillonnants. On resta ainsi, plongés dans un silence paisible brisé uniquement par la force des vagues.
— En mars, je vais commencer mon stage de première année. Il ne dure qu’un mois.
— Où ça ?
— Au New York Presbysterian. Ça fait partie du centre médical de Columbia qui est rattaché à
l’université. C’est bien pratique, car l’hôpital se trouve à deux minutes de mon école. Je me suis déjà
arrangée avec le resto, si je dois changer mes horaires.
Selon moi, il fallait du courage pour embrasser ce genre de carrière où on côtoyait de très près la
souffrance et la mort. Mais cela ne m’étonnait guère de Bethany, elle était faite pour ça. J’étais convaincu
qu’elle réussirait brillamment ses études.
— Je suis certain que tu seras une infirmière formidable.
Elle tourna son visage vers moi.
— Merci.
Ses pommettes rosirent davantage.
Je me penchai pour lui donner un petit baiser qui se transforma en un baiser bien chaud avec langues et
tout. Impossible de résister.
— Au fait, Cruz… chuchota-t-elle contre ma bouche après un moment.
— Hummm.
Je léchai sa lèvre inférieure ; elle soupira de plaisir avant de continuer :
— J’aimerais un tatouage…
Surpris par la tournure de la conversation, je m’écartai pour plonger mes yeux dans les siens. Je savais
qu’elle en voulait un depuis un temps fou.
— S’il y a un mec qui doit te tatouer, poser les mains sur toi, c’est moi !
D’ici quelques secondes, j’allais pisser tout autour d’elle pour marquer mon territoire. Mon côté homme
des cavernes lui plut visiblement. Elle eut un petit gloussement et leva une main pour jouer avec une
mèche sur mon front, avant de glisser ses doigts dans mes cheveux en une tendre caresse. Sans blague,
j’allais ronronner comme un chat.
— Oui, ce sera toi.
— Je m’arrangerai pour qu’on le fasse en dehors de mes heures de boulot.
— OK.
— Tu as une idée de ce que tu veux ?
— J’aimerais que tu me dessines un modèle. Que tu laisses libre cours à ton imagination.
Cela me touchait énormément, mais il était de mon devoir de faire preuve de professionnalisme.
— Bethany, c’est un choix important. Quelque chose que tu vas porter toute ta vie.
Elle m’effleura la joue.
— J’ai confiance en toi, Cruz. Je suis sûre que tu te surpasseras.
Ah, cette nana… ! Je passai mon pouce sur ses lèvres.
— D’accord.
J’allais lui faire un truc d’enfer.
Elle eut un sourire lumineux, puis se cala de nouveau dans mes bras et fixa l’horizon.
— J’aimerais visiter l’Europe, l’Asie. Il y a tant de choses à voir dans le monde, dit-elle soudain.
Je l’écoutai.
— L’autre fois sur internet, j’ai vu une magnifique photo du pont de Danang au Vietnam. C’est deux
mains immenses qui soulèvent un pont. Regarde.
Elle sortit son portable de la poche de son manteau et tapota sur son écran avant de me le tendre.
C’était ça, Bethany, cette spontanéité toujours si rafraîchissante ! Elle s’intéressait à tout. Quand elle se
trouvait avec des gens, elle aimait certes parler de ses passions, mais elle était attentive aux autres,
même sur les sujets les plus rébarbatifs. Une personne était fan de la cueillette des champignons aux
noms imprononçables ? Elle écoutait avec respect, alors que le commun des mortels aurait pu tomber
dans un sommeil comateux.
Cette fille était juste géniale !
Géniale… C’était un mot tellement banal, employé à tort et à travers, mais je n’en voyais pas d’autre.
Incapable d’émettre un son, je la dévisageai, sentant mon cœur enfler, atteindre la taille d’un ballon de
basket. Ses sourcils se froncèrent légèrement.
— Cruz, ça va ? demanda-t-elle, inquiète, tout en baissant sa main lentement.
Je clignai des paupières et déglutis avant de répondre, pour chasser la boule qui s’était formée dans ma
gorge.
— Oui…
Mes cordes vocales semblaient pleines de gravier.
— Je suis heureux que tu sois là, dis-je, la voix rauque.
Une expression émue traversa son visage.
— Moi aussi…
On se contempla en silence. Quelque chose de très fort, spécial, passa soudain entre nous jusqu’à
émettre des vibrations dans l’air. Je posai mon front contre le sien. Immobile, je restai ainsi et savourai
son contact, cet instant, et je perçus la même émotion en elle.
— Alors, tu disais pour le Vietnam ? chuchotai-je après une dizaine de secondes.
Un sourire se dessina sur ses lèvres. Je relevai la tête.
— Regarde cette photo.
Elle me tendit de nouveau son portable. Eh oui, le pont était impressionnant. On observa de plus près
chaque détail tout en discutant. La conversation dévia ensuite sur un tas de sujets, entrecoupée de
pauses quand on contemplait les vagues.
Les heures défilèrent sans que je ne m’en aperçoive. Lorsqu’on revint au pick-up, la nuit tombait sur
l’océan. Une tension différente avait grimpé dans l’air à chaque pas qui nous rapprochait de l’endroit où
ma caisse était garée.
Une petite place déserte, isolée dans la nature.
On monta à l’intérieur.
Le claquement des deux portières fut comme un signal explosif. On se jeta l’un sur l’autre en même
temps, nos bouches se cherchant avec une urgence vitale. Comme des affamés. Je plongeai mes poings
dans ses cheveux, ma langue n’arrivant pas à se rassasier de la sienne. Après plusieurs baisers torrides
qui durcirent ma queue au point de rupture, je sus tout au fond de mon être que je voulais prendre mon
temps avec Bethany. La veille, après des semaines infernales, on avait grillé les étapes quand tout avait
basculé entre nous ; aujourd’hui, d’autres émotions me submergeaient.
Bien sûr, je la désirais comme un malade.
Je brûlais d’envie de goûter sa chatte, caresser ses seins, lui faire l’amour et une quantité de choses
certainement interdites dans plusieurs États, mais je m’imposerais une limite. Je n’irais pas plus loin que
fricoter : un truc que je n’avais plus fait depuis ma période ado ! Mais cette blondinette, je la respectais ;
je l’admirais ; je voulais bien faire. Alors, si ça devait passer par la case « laisser ma bite dans mon froc le
temps nécessaire », j’étais plus que OK avec ça.
Mes couilles, qui allaient très vite se transformer en hématomes, pourraient sans doute devenir un cas
d’étude médicale, mais rien à foutre ! Ça en valait la peine. Elle en valait la peine. J’étais prêt à souffrir
mille morts pour elle. Ouais… je les accumulais, les répliques guimauves.
Mais fuck le monde ! Tout ce qui comptait, c’était elle.
Toutefois, elle ne me facilita pas la tâche, ma petite nénette, surtout lorsqu’elle glissa sur moi avec la
grâce d’une danseuse, alors que je restais pantelant comme un mec abandonné dans un désert. Quand
elle ondula contre ma bite…
Mayde ! Mayde !
— Bethany… Bethany…
Pas les mêmes syllabes, mais le ton y était.
Les mains sur sa taille, je la repoussai légèrement. Putain, je méritais une médaille ! Elle me dévisagea,
les lèvres enflées, haletante. Oh, bordel, je dus freiner des quatre fers pour ne pas la dévorer !
— Je vais te ramener chez toi.
Comment, avec un souffle aussi chaotique, ces paroles réussirent-elles à sortir de ma bouche ? Cent
respirations à la seconde sans exagération, ou à peine ! Le miracle du jour ! Puis, je la saisis par le cou
pour l’attirer presque brusquement à quelques centimètres de mon visage.
— J’ai envie de toi, grondai-je. Tu sais pas à quel point ! Mais… j’ai envie d’être un gars correct qui a
juste emmené sa petite nana en balade un dimanche, avant de la ramener chez elle.
Un sourire s’afficha lentement sur ses lèvres très (trop) tentantes. Je ne sais pas à quoi je m’attendais
comme réponse de sa part…
— J’adore être ta petite nana.
Mais pas à ça.
Bon sang ! Une simple phrase qui eut le pouvoir de faire sauter un truc dans ma poitrine enflée. Ma
main sur sa nuque, je l’attirai vers moi et enfouis mon visage dans ses cheveux, les yeux clos. Je sentis ses
bras se glisser autour de ma taille et sa bouche se poser sur mon crâne dans un doux baiser. Ce fut un
moment très chargé… indescriptible.
J’eus l’impression de trembler comme un toxico contre elle.
— Et j’adore aussi être ton mec… chuchotai-je à mon tour après un temps infini.
Lorsque je fus capable de former une phrase.
Ses bras se resserrèrent autour de ma taille. Je la sentis frémir. On resta de nouveau ainsi sans parler,
sans bouger. Sa bouche caressa ma tempe avec une tendresse qui m’obligea à fermer durement les
paupières pour contenir un autre violent flot d’émotions. Jamais une personne, ou quoi que ce soit, n’avait
provoqué un tel tollé en moi.
Après un long moment, je m’écartai doucement. Nos regards se vrillèrent l’un à l’autre dans un silence
complet. Les mots étaient inutiles. Dans ses yeux brillait une lueur mêlant désir, émotion et bonheur.
Moi ? Idem, et je volais très haut. Avec un sourire à couper le souffle, elle regagna son siège. J’eus envie
de la retenir, mais je me contins. À fleur de peau, je luttais pour ne pas céder à la tentation terrible d’aller
plus loin.
Elle le désirait autant que moi. Ce qui ne me facilitait pas la tâche. Je n’avais pas envie de penser à
Knox, mais il fut à cette seconde la bouée à laquelle je me raccrochai pour ne pas succomber au désir fou
qui me brûlait de l’intérieur. Je lui cachais peut-être ce qu’il se passait avec sa sœur, mais je la traiterais
comme il se doit.
Je démarrai, puis pris la main de Bethany. J’avais tout le temps envie de la toucher, du simple
effleurement à des contacts plus intenses. Un besoin indispensable comme celui de respirer. Ses doigts
s’entrelacèrent aux miens avec un naturel dont je devenais aussi très accro. Je gardai sa main dans la
mienne durant tout le trajet. J’avais mis la radio, le genre de station dont Bethany raffolait, et je me
laissai bercer par l’ambiance paisible accompagnée de ses fredonnements. Le chemin me parut très court
et malheureusement, on arriva trop vite chez elle, malgré mon allure pépère.
La voiture de Chase étant garée devant l’allée du garage, je m’arrêtai deux maisons plus loin par
mesure de sécurité. Ça me faisait chier, mais je n’avais pas le choix. J’eus un mal de chien à la lâcher et
lui roulai une pelle qui lui arracha un gémissement.
À moi aussi, d’ailleurs.
— Je t’appelle ce soir, OK ? murmurai-je d’une voix essoufflée.
— Oui.
Elle allait se tourner vers la portière, mais je la retins encore, de mes deux paluches sur sa taille, avant
de la plaquer de nouveau contre moi. J’écrasai ma bouche contre la sienne. Elle l’ouvrit avec une telle
avidité que ma bite menaça d’exploser dans mon boxer. Ses mains douces plongèrent dans mes cheveux
pour m’attirer toujours plus près : une feuille de cigarette n’aurait certainement pas pu passer entre
nous. Cela dura encore quelques minutes.
Quand je la lâchai enfin et qu’elle sortit, je dus m’agripper au volant pour ne pas la retenir une nouvelle
fois. Les yeux braqués dans le rétro, je la regardai remonter la rue de sa démarche sexy jusque devant
chez elle. Elle disparut de ma vue après un dernier coup d’œil dans ma direction. Là, ma tête sembla
soudain extrêmement lourde. Je la renversai en arrière, contre le dossier de mon siège, la respiration plus
rapide : j’avais besoin de quelques minutes supplémentaires pour calmer ma queue – qui s’excitait dans
mon jean – et gérer le trop-plein mental. Ne voulant pas attirer l’attention, je grimaçai et me réajustai
avant de trouver la force de démarrer et quitter les lieux. Je revins sur Manhattan, toute ma
concentration focalisée sur une seule pensée.
Bethany.
Quand je traversai le pont de Brooklyn, j’eus l’impression que je l’avais laissée sur un autre continent.
La distance me parut soudain (stupidement) insurmontable. Putain… elle me manquait déjà ! Trop ! Dans
des circonstances différentes, j’aurais pu la ramener chez moi. On aurait pu se faire chauffer une pizza,
par exemple. Faire ces trucs de couple, comme Jailyn et Knox. Un profond soupir s’échappa de ma bouche
et le poids que j’avais sur la poitrine sembla tout à coup peser une tonne.
À mon arrivée, l’appart était vide ; et c’était aussi bien, car je n’étais pas du tout en état de faire face à
Knox.
Chapitre 18

Bethany

Ce soir, c’était plutôt calme au resto, l’effet des fêtes se faisant encore ressentir, mais rien ne pouvait
entamer mon enthousiasme. Je me sentais légère et si heureuse depuis cette nuit au Barrio !
Dimanche soir, après notre balade à Long Beach, Cruz m’avait appelée et on avait encore discuté deux
bonnes heures au téléphone. La semaine suivante, il était venu me chercher à la bibliothèque et on avait
été au KFC avant de se faire un ciné. Le samedi, il m’avait emmenée au musée du cinéma à Brooklyn. Un
moment idyllique qui m’avait une nouvelle fois montré toute l’étendue de sa culture urbaine, et à quel
point il était fascinant.
On avait passé un après-midi génial avant de se rendre dans un resto mexicain. En début de soirée, il
avait reçu un coup de fil de Ryder, mais il avait laissé l’appel atterrir sur sa boîte vocale. J’avais pu
toutefois capter le nom sur l’écran de son smartphone avant qu’il ne le saisisse ; cependant, je n’y avais
pas fait allusion, ses potes étant un sujet sensible dans le contexte actuel. Puis il m’avait ramenée chez
moi. Le lendemain, on avait été se balader au Brooklyn Bridge Park. Blottie l’un contre l’autre, sur un
banc, on avait regardé passer les ferries tout en admirant la vue sur la skyline de Manhattan, sous un
soleil hivernal, agréable. De cet endroit, les paysages étaient vraiment fabuleux.
De rendez-vous en rendez-vous, je découvrais de nouvelles facettes de Cruz. L’adulte qu’il était devenu
au fil des années ; le petit ami dont j’étais dingue. Amusant, prévenant et tendre sous ses airs de bad boy
latino, il me faisait complètement craquer.
À chacune de nos rencontres, je fondais sous ses regards, ses sourires et ses baisers torrides. J’avais
chaud rien que d’y penser à cette seconde. Il me mettait dans un état pas possible, mais il n’allait pas plus
loin. Je sentais néanmoins qu’il se retenait de toutes ses forces. Bien sûr, j’avais vite compris qu’il tenait à
se comporter correctement à mon égard et qu’il était important pour lui de ne pas me traiter comme
toutes ces autres filles auxquelles je n’avais pas envie de penser. Si le respect dont il faisait preuve envers
moi risquait de faire éclater mon cœur, il accroissait aussi ma frustration sexuelle. Terriblement.
Combien de fois m’étais-je caressée dans mon lit en pensant à lui ! Je brûlais d’envie qu’il me fasse
l’amour, enfin ; mais je craignais également mon inexpérience, même si j’étais convaincue que Cruz serait
merveilleux avec moi.
Cette semaine, on ne s’était pas encore vus, mais les SMS fusaient entre nous. Parfois légers, parfois
sérieux, parfois… très sexy avec des insinuations qui surchauffaient mon corps. Je n’ignorais pas qu’il
avait vu Ryder la veille. Il était normal qu’il ait aussi envie de passer du temps avec ses potes, et par
ailleurs s’il voulait éviter des questions gênantes, il était préférable qu’il bloque quelques soirées pour
eux.
J’espérais le voir vendredi.
Il fallait que je le voie.
Il me manquait trop.
Depuis le Barrio, j’arborais un perpétuel sourire, volant sur mon petit nuage. Très haut. La seule ombre
au tableau était notre secret et ces cachotteries (je n’aimais pas employer le mot mensonges) pour
dissimuler notre relation à nos entourages respectifs. Surtout à Knox. Mais je voulais encore protéger
notre relation naissante. Je parvenais toujours à me convaincre qu’il n’y avait rien de mal à ça.
— C’est quoi ce beau sourire ? fit une voix derrière moi.
Ma collègue et bonne copine, Gillian.
— Comme s’appelle-t-il ?
Je gloussai, les joues roses.
Elle avait appris ma rupture avec Jace. Il n’avait pas fallu longtemps pour qu’elle remarque ma tristesse
due à la culpabilité, et me fasse cracher le morceau.
— Tu es bien curieuse, plaisantai-je.
Je vis un client me faire signe et je m’échappai en entendant Gillian rigoler dans mon dos.
— Tu t’en tires bien pour cette fois.
Je lui fis un petit signe sans me retourner, puis je m’approchai d’une famille qui passa commande de
leurs desserts. Les heures s’écoulaient à un rythme trop lent. J’étais pressée de me jeter sur mon portable
et de découvrir si Cruz m’avait envoyé un texto. Je comptais les minutes. Aussi, quand la porte s’ouvrit et
que je le vis apparaître dans le resto avec un sourire aux lèvres, ses yeux chocolat fixés sur moi, une joie
explosa dans tout mon être. Je dus me retenir de toutes mes forces pour ne pas courir vers lui et sauter à
son cou. Il me balaya lentement du regard, de la tête aux pieds et des pieds à la tête, avec une lueur qui
fit trembler mes mains et tambouriner mon cœur dans ma poitrine. Il s’approcha de sa démarche fluide,
sexy. Bon sang, une fille ne pouvait que baver sur un déhanché aussi naturel !
Je restai scotchée sur place, admirant la puissance qui émanait de son corps musclé et les reflets
bleutés de sa chevelure où je brûlais d’envie de plonger mes doigts. J’adorai son style vestimentaire : son
jean délavé (mon préféré) avait un trou effiloché à un genou et la capuche de son hoodie tombait au-
dessus de son blouson en cuir noir, lui donnant un look branché sans en faire des tonnes. Il était tout
simplement à couper le souffle, plus encore avec ces mèches soyeuses qui balayaient son front.
Le style ébouriffé du mec qui vient de sortir de son lit ?
Cruz mettait la barre très haut. Inatteignable pour le commun des mortels. Il arriva près de moi. J’eus
soudain du mal à respirer tant il me troublait, tant j’avais envie de sauter dans ses bras.
— Vous avez une table, mademoiselle ?
Et ce timbre légèrement râpeux. Oh, mon Dieu, j’étais brûlante à un endroit qui souffrait d’un manque
depuis le Barrio. Ses lèvres se retroussèrent en un petit sourire.
— Oui, suivez-moi, répondis-je, le souffle court.
Je jouais le jeu, embarrassée cependant par la vague ardente qui se répandait entre mes cuisses. À
proximité de mon Latino, j’avais l’impression d’être continuellement en chaleur. Mortifiant ! Au passage,
je pris un menu et l’accompagnai à une table dans mon secteur, bien placée, d’où il avait vue sur le resto.
Il s’assit sur la banquette en skaï. Je souris en lui tendant la carte plastifiée et le sentis caresser mon
doigt avant de le retenir entre les siens.
— Tu es venu, murmurai-je.
Le petit choc de le voir pour la première fois ici ne me rendait pas particulièrement vive d’esprit.
— Je voulais te faire la surprise. Tu finis dans une heure ?
Son regard s’accrocha au mien. Je sentis mes seins s’alourdir et le picotement de mes mains qui
brûlaient de le toucher. Je crevais d’envie qu’il m’embrasse. Dans ce bourbier émotionnel, je réussis à lui
répondre :
— Oui, c’est ça.
Comme s’il devinait le cours de mes pensées, ses yeux se portèrent sur ma bouche avant qu’il ne les
relève.
— Si tu continues de me regarder comme ça, Bethany, lâcha-t-il tout à coup d’une voix basse et rauque,
je t’emmène direct aux toilettes pour m’occuper de toi.
Dix shots.
Mes veines flambèrent comme si j’avais bu dix shots de tequila.
Oh oui… oui… oui…
J’inspirai profondément pour me reprendre.
J’avais besoin de ce job ! Ce fut la seule chose qui me retint de ne pas le supplier de mettre sa menace à
exécution. Je caressai à mon tour discrètement ses doigts.
— Je suis contente que tu sois venu.
Il était préférable de retrouver un terrain plus neutre.
— Knox passe la nuit chez Jailyn. On peut aller à l’appart après, m’annonça-t-il tout à coup.
Une bouffée de joie me donna l’impression que je planais à dix mille.
— OK, j’ai dit à Chase que je dormirais chez Gillian, ce soir.
— Je te ramènerai chez elle après.
Je hochai la tête. Il relâcha mon doigt pour consulter les menus, mais je remarquai que sa respiration
était hachée. Des milliers d’ailes de papillons battirent dans mon ventre. J’aimais avoir cet effet sur lui, je
n’en revenais toujours pas de posséder ce pouvoir.
— Je prendrai le burger et un Perrier.
— Très bien.
Je recupérai la carte.
— J’ai une surprise pour toi, enchaîna-t-il soudain, les yeux pétillants.
— Vraiment ?
— Elle t’attend à l’appart.
Je mourais de curiosité à présent. Ah, la dernière heure allait être longue !
— J’ai hâte de voir ça.
Et je restai plantée là, me gorgeant de toute sa séduction brute. Sa voix me sortit de ma torpeur.
— Je pense que si je te jetais sur cette table, Bethany, pour faire ce que je crève d’envie de faire, ton
patron tiquerait un peu…
En feu.
Mon corps prit feu. Dans la foulée, je le vis presser sa main sur sa braguette en réprimant une légère
grimace. Je baissai les yeux vers son sexe.
— Bethany… gronda-t-il d’un ton menaçant, trop sexy, tu m’aides pas, là !
Je levai brusquement la tête, les joues rouges.
— Burger et Perrier ? lançai-je, très essoufflée.
— C’est ça, ma puce. Bouge ton petit cul maintenant ou je ne réponds plus de rien.
Mon corps se liquéfia. Les jambes tremblantes, je revins vers les cuisines. Plus tard, je lui apportai sa
commande et il me frôla de nouveau la main plusieurs fois. L’heure suivante, je sentis ses prunelles
brûlantes me suivre aux quatre coins du resto. Ses deux clins d’œil me firent oublier où je me trouvais,
dans quelle ville, sur quelle planète, mon prénom… Affolant !
Pendant toute la durée de mon service, mon regard revint systématiquement vers lui et, à chaque fois,
je croisais le sien comme s’il ne me quittait pas des yeux, même le temps d’une seconde. Ceux-ci
contenaient des promesses qui n’arrangeaient pas mon état.
Gillian se glissa derrière moi.
— Eh bien, ça ne m’étonne pas que tu le caches si soigneusement. Si j’avais un mec aussi hot, je le
planquerais aussi.
— Hein ? m’exclamai-je, faisant mine de ne pas comprendre.
Elle se marra avant de chuchoter :
— Et vu la façon dont il te bouffe des yeux, j’en connais une qui va être très heureeeeuse ce soir.
Je rougis.
Pourquoi je rougissais encore comme une ado ? Le malheur de ma vie.
Ma copine s’éloigna en gloussant. J’eus un petit soupir. Cruz me regardait peut-être comme s’il allait me
dévorer toute crue, mais il réussissait toujours à se contrôler dans les moments chauds. J’évitais de le
pousser jusqu’à ses limites, parce que je sentais que c’était important pour lui. Mais ce soir, mon corps
hurlait « pitié ».
Dans ma tête, il n’y avait qu’une certitude, même si mon inexpérience m’angoissait encore un peu. Ce
serait lui le premier… et le dernier si un dieu quelque part m’accordait cet immense bonheur. C’était lui
que je voulais depuis toujours et je n’avais pas besoin d’attendre le nombre de rendez-vous adéquat pour
me donner à lui. D’ailleurs, je l’aurais déjà volontiers fait le soir où il m’avait emmenée au Barrio.
Dans mon champ de vision, un client qui essayait d’attirer mon attention m’extirpa de mes pensées.
Vingt minutes plus tard, mon service se termina enfin. Comme une fusée, je récupérai mes affaires dans
le vestiaire et me hâtai de rejoindre Cruz à l’extérieur. Avant que je ne puisse faire un geste, il me poussa
contre la façade, pressa son corps contre le mien et me roula une pelle… FANTASTIQUE.
Je m’accrochai à lui, nos langues s’emmêlant avec une ardeur qui liquéfia mes jambes. Quand il décolla
lentement sa bouche de la mienne, nos respirations étaient aussi cahotiques l’une que l’autre.
— J’en crevais d’envie depuis que je suis arrivé…
Puis il me prit la main, nos doigts s’entrelacèrent, et il m’entraîna jusqu’à son pick-up garé un block plus
loin. Le trajet jusque chez lui dura moins de dix minutes. Dans l’ascenseur, il me plaqua de nouveau
contre la paroi de la cabine et nos lèvres se joignirent pour un autre baiser chaud… très chaud,
interrompu par le ding nous indiquant qu’on était arrivés à son étage.
Je me sentais impatiente, frissonnante d’anticipation. Mais une fois dans l’appartement, retrouvant peu
à peu son contrôle, il m’entraîna dans le salon (et non dans sa chambre). Il alluma une lampe blanche en
forme de grosse goutte ovale. Une lumière diffuse inonda une partie de la pièce, près du canapé. Je me
débarrassai de mon manteau.
— Tu veux boire quelque chose ?
— Un verre d’eau, s’il te plaît.
Il en faudrait des litres pour réussir à éteindre le feu dans mes veines. Est-ce qu’il s’imposait des limites
supplémentaires parce qu’on cachait notre relation à mon frère ? L’idée me titilla le cerveau. Ne voulant
pas me prendre la tête avec ça, je m’assis et étudiai la décoration masculine, de bon goût au demeurant.
Knox était attiré par tout ce qui touchait à la musique, mais dans leur appart, on distinguait aussi
l’empreinte de Cruz, son côté artistique, sa passion pour le Street art avec les deux tableaux suspendus
sur deux murs différents. Il revint avec mon verre qu’il me tendit avant de s’asseoir à côté de moi. Je bus
lentement.
— Je ne t’ai jamais demandé d’où venaient ces tableaux ? dis-je en faisant un mouvement de la tête vers
l’un d’eux.
Il suivit mon regard et resta silencieux quelques instants avant de répondre :
— C’était un copain de mon frangin.
Le mot frangin et le verbe au passé ne m’échappèrent pas. Mon cœur se serra.
— Il était doué. Je les ai retrouvés dans le grenier de mon oncle, il y a quelques années. Ce mec avait
énormément de talent, mais sa petite sœur était atteinte de leucémie. Son père s’était barré et sa mère
essayait de joindre les deux bouts. Il avait besoin d’argent facile pour payer les traitements, les
médicaments. Il a trempé dans des affaires de plus en plus louches. Je crois qu’il s’est même mis à dos la
mafia russe. Un matin, on l’a retrouvé poignardé à mort dans une rue déserte…
Mon Dieu, on pensait voir ça uniquement dans les séries télé !
Mes cils picotèrent alors que mon estomac se nouait. Cruz avait connu des choses qu’un ado ne devrait
pas connaître. Je ne savais pas exactement jusqu’à quel point il avait été proche de cette violence
urbaine, mais j’avais eu tendance à l’oublier les dernières années. Cela me rendit particulièrement triste
qu’il ait été confronté très jeune à ce genre de tragédie. Je n’osais imaginer ce qui serait arrivé si son
oncle n’avait pas été là, à ses côtés. Je posai mon verre vide sur la table basse et me tournai.
Avant que je ne puisse faire un geste, il se pencha pour m’attirer dans ses bras. Je me blottis contre lui,
ma main se posant sur son ventre et ma tête sur son épaule.
— C’est triste. Et sa petite sœur, qu’est-ce qu’elle est devenue ?
Les quelques secondes qu’il prit avant de répondre m’avertirent que l’histoire ne se terminait pas bien.
— Elle est morte deux ans après lui.
Je fermai brièvement les yeux.
— Le monde est injuste, murmurai-je, la poitrine enflée de larmes contenues. Quel âge avait-elle ?
Un léger silence s’étira entre nous.
— Une dizaine d’années…
Puis il s’éclaircit soudain la voix.
— Je crois que mon frère a tenté d’aider financièrement la petite avant sa mort.
Surprise, je ne dis rien, puis je perçus une tension monter en lui.
— … Je l’ai vu, il n’y a pas si longtemps…
Un peu choquée par cette nouvelle, je restai de nouveau silencieuse.
— C’était le week-end que j’ai passé chez mon oncle, quand je suis venu te voir chez toi…
Je m’en souvenais comme si c’était hier. Je me souvenais de chacune de nos rencontres. J’attendis
patiemment sans tenter de lui tirer les vers du nez, lui laissant le choix de continuer ou non. Ce qu’il fit :
— Je me sentais mal, ce jour-là. Je te voulais et je ne pouvais pas t’avoir. Pour moi, tu étais intouchable.
Le soir, je suis sorti et j’ai atterri dans un bar qui fait partie du territoire de Rafe. Des mecs de son gang
ont reconnu mon pick-up. Juan, son bras droit, m’a conduit jusqu’à lui… et j’ai été content de le revoir.
À ma grande joie et ma grande tristesse.
Le bonheur qu’il se confie à moi.
La joie d’entendre certaines paroles.
La tristesse que d’autres suscitaient.
Il fit une longue pause. Je compris qu’il n’était pas simple pour lui d’avouer ses sentiments profonds
envers son frère.
— C’est là que j’ai réalisé que j’étais venu dans ce bar pour tenter de t’oublier, mais aussi pour avoir une
chance de le voir. J’avais besoin de lui dans ce moment difficile…
Je fermai encore les yeux, la gorge nouée.
— On a discuté, on s’est rappelé un tas de souvenirs, on s’est marrés. C’était… sympa…
Beaucoup plus que sympa, je le devinai entre les lignes. Il se tut pendant une longue minute et je
respectai son silence.
— Il me manque, Bethany...
Ces mots-là, il les prononçait à voix haute pour la première fois. Je le compris au tréfonds de mon être.
L’émotion dans sa voix ainsi que ses paroles firent monter mes larmes. À cet instant, il se livrait comme
jamais il ne l’avait fait avec quiconque. Même avec mon frère. Le cœur enflé, je mesurai ce qu’il se passait
entre nous, les barrières qui tombaient.
Un sentiment intense se répandit soudain dans toutes mes cellules : je me sentais spéciale aux yeux de
mon magnifique Latino. Je me souvins subitement de mes propres paroles, lorsque je lui avais dit que tout
pouvait se terminer entre nous dans une semaine.
Et là, en moi, il prit corps…
Ce tournant, il vibra au plus profond de mon être.
Un tournant décisif qui fit éclater ces mots malheureux en poussière. Un gros espoir prit leur place,
avec de petites racines déjà très solides, ne demandant qu’à grandir.
J’allais les abreuver, leur donner la force nécessaire en puisant dans une seule source.
La confiance.
Oui… j’allais croire en nous deux. Tout simplement.
Depuis notre premier baiser, j’avais pensé – peut-être pas toujours consciemment – que mes jours avec
Cruz étaient comptés. Qu’il se réveillerait un matin ! Qu’il trouverait mieux ailleurs, plus mature, plus
sexy, plus expérimentée. Nous deux, c’était trop beau pour être vrai. J’étais trop heureuse pour que cela
puisse durer… J’aurais pu en rajouter des tonnes.
Fini… Fini tout ça !
J’allais définitivement tordre le cou à ces pensées insidieuses qui flottaient au fond de mon esprit. Pour
valider cette certitude, la meilleure chose aurait été d’accepter que Cruz parle enfin à Knox, mais un
dernier bastion me retenait.
Malgré ça, je venais à cet instant d’entrouvrir une porte encore bardée d’une dizaine de verrous il y a
quelques minutes. Je venais de faire un pas qui n’était pas aussi petit qu’on aurait pu le croire. Oh non !
Avant cette conversation, je n’imaginais même pas révéler à mon frangin notre relation avant des…
semaines, quitte à supplier de nouveau mon Latino quand il reviendrait à la charge.
J’aurais été prête à employer toutes les ruses féminines pour qu’il cède une nouvelle fois à mes
exigences. Aujourd’hui, j’envisageais cette étape difficile d’ici peu. Mon comportement pouvait sembler
complètement stupide, voire paranoïaque, mais Cruz avait toujours représenté le fruit défendu, le mec
que je n’aurais jamais. Alors, dès le premier baiser, la peur de le perdre s’était immédiatement ancrée en
moi. D’un coup !
La panique…
Cependant, d’un autre côté, je ne regrettais pas d’avoir supplié Cruz qu’on attende pour parler à mon
frère, parce que cette soirée me démontrait clairement qu’il était bien plus prêt pour lui faire face qu’il ne
l’était le lendemain du Barrio. Je n’allais pas jusqu’à penser qu’il était fou amoureux de moi, mais il
éprouvait des sentiments… Et il y voyait certainement plus clair pour « affronter » Knox.
Je déglutis en nous imaginant face à mon frangin.
Ce serait dur pour lui ! Je le savais, je le sentais dans toutes mes tripes. Il m’adorait, il adorait Cruz,
mais nous deux ensemble, la différence d’âge, mon caractère romantique, le passif de son meilleur pote
seraient déjà une grosse montagne difficile à franchir. À cela s’ajouterait le risque potentiel de rupture
(oui, il y penserait direct s’il réussissait déjà à encaisser le premier choc !) qui pourrait mettre en péril
son amitié avec son ami de toujours. Cette réflexion lugubre me rappela ma promesse : je m’étais juré de
ne pas les séparer, qu’importe ce que l’avenir nous réservait à tous.
Avec le recul, c’était louable de ma part, mais je ne pourrais jamais… jamais… empêcher Knox de trop
m’aimer, avec toutes les conséquences que cela entraînait. D’ailleurs, j’avais même mal pour lui, rien que
de penser aux nombreuses craintes qui pourraient lui traverser la tête, dès l’instant où on lui avouerait…
Mais j’allais me laisser malgré tout un peu de répit. Ensuite, je me jetterais à l’eau aux côtés de Cruz !
Je sentis soudain son torse faire un mouvement imperceptible, m’indiquant qu’il avait des paroles au bord
des lèvres, qu’il était prêt à se confier un peu plus encore.
— Je sais que c’est mieux ainsi avec mon frère.
Il y eut un silence.
— Mais j’ai peur qu’un jour mon téléphone ne sonne et qu’un mec m’annonce qu’il n’est plus là.
Je resserrai mon bras autour de son ventre, émue. Il resserra également son étreinte en plongeant une
main dans mes cheveux. Des mèches glissèrent entre ses doigts tandis que sa paume se collait contre le
haut de ma joue.
— Je suis désolée, tellement…
Je ne savais que dire. Les mots paraissaient si creux…
— Il a fait son choix et il est normal que tu te protèges, continuai-je d’une voix rauque.
J’inspirai profondément.
— Mais je suis certaine qu’il le sait, Cruz ! Il sait que c’est mieux pour toi que tu te tiennes éloigné de
lui. Je suis sûre qu’il reste également loin de toi et de ton oncle pour les mêmes raisons. Ce qui est
important pour Rafe, c’est qu’il puisse te protéger de son milieu.
Sur ce, je levai mon visage vers Cruz et nos yeux s’accrochèrent. Une lueur indéfinissable passa dans
ses prunelles assombries, qui accéléra cependant les battements de mon cœur. Il me caressa ensuite
tendrement la joue dans un silence religieux avant de se pencher pour poser doucement ses lèvres sur les
miennes. Un baiser délicat.
— Merci, chuchota-t-il contre ma bouche.
Après cet instant très chargé en émotion, je ressentis le besoin d’alléger l’atmosphère et de repousser le
monde extérieur loin de nous.
— Alors, ma surprise, j’y ai droit maintenant ?
Une étincelle amusée traversa son regard chocolat.
— Sais pas… plaisanta-t-il d’un ton à moitié sérieux avec un petit sourire craquant.
En représailles, je lui donnai un coup de coude dans les côtes.
— Allez…
Il éclata de rire.
— Viens !
Il se leva en saisissant ma main et m’entraîna vers le hall. Étonnée, je le vis se diriger vers sa chambre.
Entre curiosité et (super !) excitation, j’essayai de calmer le tambour qui avait pris la place de mon cœur.
Il ouvrit la porte qu’il referma derrière nous.
J’étais dans sa chambre !
Pour la première fois de ma vie.
J’embrassai du regard la pièce de belles proportions : le lit confortable, les deux tables de chevet
éclairées par deux grandes appliques très originales, la couette bleu nuit, sa table de dessin, un
superbe tableau coloré qui montrait de nouveau sa passion pour l’Urban art.
Il régnait là une belle atmosphère masculine. Une légère fragrance flottait dans l’air. J’eus soudain envie
de renifler, comme prise d’un rhume foudroyant, pour imprégner mes narines de ce parfum agréable, à la
fois frais et épicé.
Cette odeur qui imprégnait également sa peau.
— C’est joli…
Il me remercia d’un sourire, puis ses doigts se mêlèrent aux miens avant qu’il ne se dirige vers sa table
de dessin. Il me lâcha pour saisir un grand bloc qu’il feuilleta. Quand il me le tendit, les traits de son
visage étaient devenus plus sérieux et je perçus une étrange nervosité en lui, comme s’il appréhendait ma
réaction. Je pris le carnet et baissai lentement les yeux.
Le Terre parut s’arrêter.
Mon corps se figea de la racine des cheveux aux orteils. Puis, ma bouche forma un immense O
silencieux devant le magnifique croquis. Des larmes brûlèrent mes paupières ; ma gorge se noua
terriblement ; mon cœur enfla d’un coup sec.
Quand j’étais plus jeune, à la fin du collège, Knox m’avait emmenée dans le premier studio que Zack
avait ouvert avec Cruz. Lorsqu’on était entrés, celui-ci se tenait assis derrière le comptoir de la petite
réception, en train de dessiner, un client ayant annulé son rendez-vous à la dernière minute. Je m’étais
extasiée sur la fleur de lotus qu’il s’amusait à esquisser pour passer le temps. J’étais tombée amoureuse
de son croquis, mais je n’avais pas eu le courage de lui demander si je pouvais l’emporter avec moi.
J’avais eu peur qu’on ne puisse lire trop de choses sur mon visage. Il m’avait souri avec son regard
chaleureux, si caractéristique. Des années plus tard, il venait de reproduire cette fleur de lotus, ce même
dessin, avec une belle palette de détails en plus, et une telle finesse que je fus incapable d’émettre le
moindre son.
Il s’en souvenait.
Il se souvenait de ce moment...
Je compris aussi à la même seconde que ce croquis était le tatouage qu’il avait dessiné pour moi. Une
larme dévala ma joue et la boule dans ma gorge grossit encore plus.
— C’est magnifique…
Mon timbre était méconnaissable, et j’arrivais à peine à articuler une syllabe.
Une autre larme coula.
— Ce samedi-là, tu es venue avec Knox, l’entendis-je dire d’une voix enrouée et basse.
Je levai mes yeux vers lui, lui laissant voir mes larmes. Je m’en fichais. Il leva sa main et, du pouce, en
recueillit une sur ma pommette avec douceur.
— Oui…
Un croassement.
Si la boule dans ma gorge grossissait encore de quelques millimètres, j’allais mourir asphyxiée. J’étais si
émue que je ne trouvais plus mes mots. Un violent flot d’émotions tournoyait en moi.
— Au fil des années, plein de gens m’ont fait des compliments, mais ton regard, ce jour-là, l’admiration
que j’ai vue dans tes yeux quand tu as contemplé ce dessin, je ne les ai jamais oubliés. C’était l’une des
plus belles récompenses que j’avais eues dans ma vie.
Un sanglot racla cette fois-ci ma poitrine. Il caressa ma joue.
— Parce que tu étais déjà très importante pour moi, Bethany.
De nouvelles larmes coulèrent alors que nos regards intenses restaient scotchés l’un à l’autre. Dans le
mien, j’espérais qu’il pouvait lire bien plus que ce que j’étais capable de lui dire.
— Elle est magnifique…
Il m’offrait un trésor. Une création superbe, spéciale, que je porterais toute ma vie. Mais que cette
création soit en plus liée à un souvenir commun, une rencontre qu’il se rappelait parfaitement et qui
comptait aussi pour lui, multipliait par cent la vague de sentiments en moi.
— Je l’adore, Cruz, merci !
N’y tenant plus, je posai le bloc sur le bureau et franchis la petite distance entre nous. Ses bras se
refermèrent sur moi. Pressée contre lui, je me mis à trembler, et je le sentis traversé par un tremblement
similaire.
— Merci… Merci… Merci…
J’aurais voulu lui dire bien plus. Je levai mon visage vers lui et les mots éclatèrent en moi avec une force
incroyable :
Je t’aime, Cruz.
Entre se savoir amoureuse au fond de soi et libérer ces trois petits mots, il n’y avait rien de comparable.
À chaque syllabe, mes sentiments vibrèrent en moi avec une telle puissance qu’une autre montée de
larmes perla à mes cils.
Je t’aime tant !
Elles brûlaient mes paupières comme ces trois mots brûlaient mes lèvres. Ma bouche close les retenait,
mais mes yeux les laissaient s’échapper à travers chaque larme.
Tout ce que je ne pouvais pas lui avouer.
— Bethany… souffla-t-il.
Son regard restait rivé au mien.
— Je…
Sa voix rocailleuse s’étrangla dans un étrange son ému. Il me fixa encore avec une intensité qui me
bouleversa avant que ses lèvres ne s’écrasent désespérément sur les miennes.
Et ce baiser, j’en garderais le souvenir toute ma vie.
Un baiser puissant, vibrant, rempli de non-dits… merveilleux.
Chapitre 19

Cruz

Je la tenais dans mes bras.
J’embrassais Bethany comme un mec condamné vivant ses dernières secondes sur Terre, ses mains
étroitement nouées autour de ma nuque. Ma langue s’enroulait autour de la sienne avec une avidité
presque démentielle.
Mais je n’en avais pas assez.
Jamais assez…
Même plaquée contre moi, elle était encore trop loin. Je glissai mes paumes sous ses fesses pour la
soulever. Ses jambes encerclèrent immédiatement mes hanches, son sexe se nichant contre ma braguette,
ce qui m’arracha un grognement qu’elle avala dans sa bouche. À travers son jean, je sentais une chaleur
dans laquelle je crevais d’envie de m’enfoncer. Bien que mon cerveau parût avoir grillé sous l’effet de
violentes flambées de désir, je percevais une vulnérabilité particulière en elle. Et ce n’était pas tout !
Dans son baiser, dans ses mouvements, il y avait une confiance aveugle envers moi, qui me remuait
entièrement.
À l’aveuglette, ma bouche restant collée à la sienne, je fis quelques pas vers mon lit et la posai sur la
couette. Un signal d’alarme clignota faiblement dans mon crâne, alors qu’on continuait toujours à se
dévorer. Elle plongea ses mains dans mes cheveux quand je m’allongeai sur elle, pour m’attirer encore
plus près. Toujours plus près.
Le pied !
Chaque courbe de son corps épousa chacun de mes muscles durement noués.
Elle émit un son oscillant entre gémissement et sanglot étouffé. Ce petit sanglot serra quelque chose
dans ma poitrine en plus de ma gorge. Une pure émotion me submergea, car ses réactions à fleur de peau
me faisaient ressentir toutes les choses qu’elle m’avait dites au Barrio.
Ça a toujours été toi, Cruz.
Les sensations mentales et physiques en devinrent indescriptibles. Je vivais un rêve.
Elle m’embrassait toujours avec une ferveur identique à la mienne, creusant légèrement le dos, à la
recherche de la moindre friction. Je sentis parfaitement ses seins pressés contre mon torse, la chaleur
entre ses cuisses. Jusqu’à présent, on avait connu la plupart de nos moments « chauds » (que je faisais
avorter rapidement par peur de perdre la boule) dans mon pick-up. Là, sur mon lit, elle était tout à moi.
Et putain, qu’est-ce que je la voulais ! Elle n’avait pas idée !
Je voulais la savourer, m’enfouir en elle et lui faire un tas de choses toute la nuit. Il me fallut alors une
force titanesque pour réussir à détacher ma bouche gourmande de la sienne.
— Bethany…
Je ne reconnus même pas ma propre voix.
— Cruz… gémit-elle, suppliante.
Ses bras se resserrèrent autour de mon cou.
— Bethany… je…
Je pédalais dans la semoule. Mon cerveau savait ce qu’il fallait dire, mais mon corps lui hurlait de
violents « casse-toi ! ». Il la désirait trop. Il allait exploser s’il ne goûtait pas à ce petit corps consentant.
Mon cerveau remporta toutefois la première manche quand je réussis à plonger mon regard dans ses
magnifiques prunelles bleues. Mais ses paroles firent éclater un geyser bouillant dans mes veines.
— Je te veux… tellement…
Ma volonté se fissura de partout, comme ces façades qui se disloquent sous la force d’un tremblement
de terre. Bon sang, que je la voulais aussi ! J’avais d’ailleurs eu de plus en plus de mal à me retenir ces
derniers temps. Elle caressa ma mâchoire ombrée d’une légère barbe.
— … C’est toi, ça n’a toujours été que toi. Et je veux que ce soit toi…
Ces mots – que j’avais déjà en partie entendus, qu’elle m’avait fait encore ressentir il y a quelques
secondes – me bouleversèrent une nouvelle fois.
Les autres : « Je veux que ce soit toi. »
Je me figeai, les laissant infiltrer mon cerveau. J’en compris soudain le sens et cela déclencha en moi
une énorme explosion de joie. Des doutes m’avaient bien rongé par rapport à son ex. Je m’étais posé des
questions, mais y penser me foutait en rogne, voire en rage ; donc, j’avais évité d’aborder le sujet.
— … Cruz.
Je contemplai son visage.
— Bethany, tu ne sais pas à quel point j’ai envie de toi.
— Alors, fais-moi l’amour.
Je dus fermer les yeux pour ne pas me jeter sur elle ; ce qui me permit également de masquer un trop-
plein d’émotions. Mes anciennes résolutions volèrent en éclats et mon contrôle tenait à présent à un tout
petit fil. Même la colère de Knox ou le risque de briser notre amitié ne pouvaient faire le poids. En moi, je
savais aussi que ce trésor, qu’elle m’offrait, m’appartenait depuis toujours… et que j’avais failli le laisser à
un autre.
J’en eus des sueurs froides.
Oui… cette petite blonde, elle m’appartenait depuis… des années. Elle avait peut-être été mienne depuis
la première fois que mes yeux s’étaient posés sur elle, sur cette gamine avec ses nattes. À partir de ce
jour, chacun avait dû tracer sa route en attendant que le temps fasse son œuvre. Je l’avais vue grandir,
s’épanouir et se transformer en une magnifique jeune fille. Je n’avais jamais été très loin d’elle, comme si
le destin avait préparé un chemin en me donnant une chance de ne surtout pas la laisser s’échapper.
Ce que j’avais failli faire.
Une pensée qui provoqua un véritable tsunami.
Un sentiment possessif me submergea avec une violence phénoménale.
Elle m’appartient.
La force de ces mots fut comme un gros coup de tonnerre en moi, mais Bethany dut se méprendre sur
mon silence, car une lueur d’incertitude se mit à briller dans ses yeux.
— Cruz…
Je notai son ton mal à l’aise.
— Je sais que je ne suis pas aussi expérimentée que… ces filles…
Oh non, je ne la laisserais pas poursuivre sur cette voie !
Je ne la voulais pas aussi expérimentée que les autres ! Je la voulais avec sa fougue, son inexpérience,
sa naïveté, son côté timide quand son cerveau se bourrait d’idées fausses. Comme à cette minute. Tout, je
prenais tout.
Mais à moi de savoir aussi la rassurer.
— C’est toi que je veux, Bethany, et pas une autre nana, grondai-je comme un primate. Je m’en fous des
autres gonzesses. Elles ne représentent rien ! Elles n’ont jamais rien représenté ! Tu veux que je te redise
le nombre de fois où j’ai dû me branler ces dernières semaines ? À quel point tu me rends fou ?
Un sourire commença à illuminer ses traits alors que ses pommettes se teintaient d’un beau rouge vif.
Ah, elle était trop craquante !
Un truc énorme enfla dans ma poitrine. Elle m’achevait !
Et mes lèvres ne purent que s’écraser sur les siennes.
Mais ma main, qui se posa en coupe sur sa mâchoire, apporta un peu de douceur à un baiser qui n’en
contenait pas… du tout. On se lécha. Nos langues affamées prirent d’assaut ensemble nos bouches
ouvertes. Dans les minutes suivantes, pas un millimètre n’en resta inexploré. Ses doigts plongeant dans
mes cheveux, elle se cambra pour chercher le contact de ma queue et s’y frotter. Rien que ce mouvement
aurait pu me faire éjaculer dans mon froc.
— Oh, bon sang, Bethany…
— J’adore tes cheveux, tes tatouages, murmura-t-elle entre deux pelles. J’adore tout en toi… tout…
tout…
Ma cage thoracique n’avait plus assez de place pour contenir mon cœur trop gonflé. Ses paroles me
touchaient profondément, à un endroit qui me secoua de part en part, alors qu’on continuait à
s’embrasser presque désespérément comme si, soudain, on rattrapait des mois, des années perdus. Nos
langues bataillaient ; mon sang bouillonnait ; mais je sus cependant que je devais freiner les choses.
Comment je réussis à m’écarter ? En soufflant comme un bœuf ! Mystère total !
Toutefois, mes mains tremblaient comme celles d’un mec en manque. J’inspirai plusieurs fois pour me
calmer et trouvai la force de caresser tendrement sa joue, sans détacher mes yeux des siens. Le désir que
je vis dans ses prunelles me coupa la respiration. Ce n’était plus une ado, plus la petite sœur d’un pote,
mais une jeune femme superbe à qui j’allais faire l’amour pour la première fois.
Ma nana…
J’allais faire l’amour à ma nana.
Car je n’allais pas la baiser, mais lui faire l’amour. Oh, « baiser », elle aimerait ça aussi (foi de Cruz) !
Pas de préliminaires, du sexe pur et dur dans un lit ou en dehors, mais plus tard, lorsqu’elle y serait
prête. Parce que, maintenant que je m’étais enfin réveillé, je n’allais pas la laisser filer. Oh non ! Des mecs
comme cet abruti de Jace avaient intérêt à se tenir loin d’elle.
Je la contemplai une dernière fois, une vision superbe : joues roses, lèvres enflées par mes baisers,
cheveux étalés sur mon lit. Une fierté bien masculine et une autre violente bouffée possessive
s’entrechoquèrent en moi.
Une pensée s’imposa dans mon esprit.
Bethany était vierge…
À partir de cet instant, c’est tout ce sur quoi je voulais me concentrer. Seul son plaisir importait. Durant
quelques secondes, la pression sembla bloquer tous mes muscles avant qu’ils ne se relâchent peu à peu.
Je voulais qu’elle se souvienne de cette nuit (particulièrement) toute sa vie. Dans la foulée, je me levai et
captai illico une lueur de déception dans ses iris, ma petite nénette croyant certainement que je cherchais
à me retenir.
Pas cette fois, chica !
Ses yeux s’agrandirent quand je balançai mon bras en arrière pour tirer mon tee-shirt par-dessus les
épaules. Il vola par terre. Puis je fis sauter le bouton de mon jean, mais je m’arrêtai là. Mes guiboles
flageolèrent lorsque ses prunelles affamées descendirent très, mais très lentement, le long de mon torse.
Je la vis ensuite admirer sur mes bras mes tatouages qui se prolongeaient sur les pectoraux. Ceux de mon
dos s’étalaient sur les flancs. La lueur dans son regard me pinça le ventre avant que ses yeux ne glissent
plus bas, stoppant sur mon pack abdo.
Je la vis s’humecter la lèvre inférieure de la pointe de sa langue.
Oh, putain, ma queue pulsa violemment.
— Tu aimes ce que tu vois, chica ?
Elle déglutit, les joues bien rouges, tout en hochant la tête, ses cordes vocales envolées.
— Je veux t’entendre.
— … Oui… tu es magnifique, affirma-t-elle, le souffle court.
Ma gorge se noua devant une telle admiration. Un tas de filles m’avaient déjà bouffé des yeux, mais
Bethany, ce n’était en rien comparable. Bien sûr, je ressentais une certaine fierté qu’elle me dévore tout
cru, mais cela allait bien au-delà. J’aurais eu un mal fou à expliquer ces sensations nouvelles qui me
remuaient profondément depuis quelques minutes. Mais je ne tenais pas à les analyser ! Je voulais juste
les savourer alors qu’elles fouettaient mon sang et se mêlaient aux battements de mon cœur.
— Non, c’est toi qui es magnifique.
Intérieurement et extérieurement.
Je m’approchai lentement et vis la veine au creux de son cou s’affoler. Je me penchai pour dégrafer le
bouton de son jean, puis mes deux mains se posèrent sur ses hanches. Doucement, je fis glisser son
pantalon le long de ses cuisses, tout en me délectant du spectacle.
Sa respiration devint de plus en plus saccadée. J’envoyai son fute s’écraser sur le sol. Ensuite, elle leva
naturellement les bras lorsque je retirai son pull qui atterrit également sur le parquet. Elle se retrouva en
shorty et soutien-gorge en dentelle, d’une belle couleur bleu nuit.
Putain… elle était… les mots me manquaient.
Debout, au pied du lit, je la dévorai des yeux sans bouger d’un iota.
— Tu es superbe ! lançai-je d’une voix âpre, mes neurones de retour.
Un bruit indéfinissable sortit de sa gorge. Sans la quitter du regard, je fis un pas pour poser un genou,
puis l’autre sur le lit, entre ses pieds. Elle me fixait, le corps immobile, la poitrine se soulevant et
s’abaissant rapidement. D’un mouvement souple, je m’inclinai vers sa jambe droite et mes lèvres
frôlèrent sa cheville, précédant ma paume qui suivit le même chemin, puis elles remontèrent vers son
genou avant de continuer sur sa cuisse pour en atteindre l’intérieur où je déposai un simple baiser. Je fis
le même tracé sur l’autre jambe, ma bouche se métamorphosant en une troisième main. Elle caressait,
effleurait chaque centimètre de sa peau nue. La chair de poule ne cessait de parcourir son épiderme, ses
doigts agrippés à la couette.
Je me soulevai une nouvelle fois pour goûter son ventre plat, sexy. De la pointe de la langue, je dessinai
un cercle humide autour de son nombril avant de le titiller. Après quelques secondes, je descendis vers
son string, respirant à pleins poumons son odeur naturelle. Si son parfum avait été une drogue, je m’y
serais shooté tous les jours, addict jusqu’à la fin de ma vie.
Ma langue caressa le rebord de son shorty.
— Cruz… souffla-t-elle, la respiration à présent erratique.
Je passai quelques secondes à lécher la bande de peau bordée par la dentelle de sa lingerie. Dans mon
champ périphérique, je pouvais déjà distinguer qu’elle était parfaitement épilée. Il ne restait qu’un petit
ticket au niveau du pubis. Je salivai. Je me redressai avec pour objectif, cette fois-ci, son soutien-gorge qui
se fermait sur le devant. D’un doigt agile, je fis sauter l’agrafe. Il s’ouvrit et ses seins m’apparurent enfin :
deux fruits fermes, ronds et bien hauts. Ses tétons durcirent sous mon regard brûlant.
Une violente flambée de désir incendia mes veines.
Je me retins pour ne pas me jeter sur elle comme un dégénéré. Du pouce et de l’index, je fis rouler un
mamelon. Sa réaction fut immédiate : ses reins se creusèrent, une plainte s’échappa de sa bouche. La
mienne descendit alors sur cette pointe rosée, appétissante. Du bout de la langue, j’en suivis le contour et
l’agaçai entre mes dents. Puis, je la suçai longuement tout en titillant l’autre téton avec mes doigts. Ses
mains plongèrent dans mes cheveux pour me coller plus fortement contre sa poitrine, avant que ses
paumes ne glissent le long de mon dos pour presser mes muscles, les caresser, les découvrir avec un
empressement qui enflamma un peu plus mon sang. En fait, c’était comme si elle n’avait pas eu assez de
deux mains pour explorer mon corps à demi nu.
J’adorais ça. Elle provoqua encore un de ces pincements violents dans ma cage thoracique.
— Cruz…
Je m’attaquai à l’autre pointe toute dure, l’aspirant dans ma bouche. J’eus droit à un cri merveilleux,
tandis que ses ongles se plantaient dans mon dos. Un grondement de plaisir vibra dans mon torse.
Pendant quelques minutes, je me délectai de ses seins, les caressant, les suçant, les malaxant, me
gorgeant de tous ses gémissements qui allaient crescendo. Ma queue, elle, hurlait de désespoir, véritable
barre de fer prisonnière dans mon jean, mais je l’ignorai. Finalement, je me soulevai pour lui ôter son
shorty. Il prit la même direction que ses autres fringues, quelque part sur le parquet.
Aussitôt, même si ma position entre ses jambes la gênait, elle eut un mouvement instinctif pour
refermer ses cuisses. Mais je l’en empêchai en plaquant rapidement une main sur un de ses genoux. Un
geste qui n’avait pas besoin de s’accompagner de paroles. Elle inspira violemment et nos regards
s’accrochèrent quelques secondes avant que je ne baisse lentement le mien vers sa chatte.
Superbe.
Un fruit juteux à dévorer.
— Écarte plus les cuisses, Bethany.
Mon ton un brin autoritaire la fit frissonner. Elle interrompit son mouvement imperceptible pour serrer
ses cuisses, et les écarta légèrement, de quelques centimètres. Dans mon champ de vision, je vis deux
petites plaques rouges colorer ses joues. Elle était adorable. Du pouce, j’effleurai sa fente et pus me
rendre compte à quel point elle mouillait. Ah, le pied ! Ma respiration se bloqua dans mes poumons.
Elle était d’une douceur incroyable.
Jamais je n’avais caressé une chatte aussi douce.
D’un coup d’œil, je remarquai qu’elle avait fermé les paupières, ses dents plantées dans sa lèvre
inférieure retenant un son étouffé.
— Ouvre les yeux, Bethany
Ma voix râpeuse la fit trembler. Elle obéit lentement.
Il n’y aurait pas de gêne, même pas durant les premières minutes.
Il n’y aurait pas de ça entre nous. Nos regards se rencontrèrent et le sien brillait d’une lueur qui me
rappela ces pierres précieuses exposées dans les bijouteries.
— Tu es belle. Ta chatte est magnifique… et je vais te dévorer, Bethany, lécher tout ce qui m’appartient.
Synonyme d’homme préhistorique ? Indices : quatre lettres, un prénom latino !
— Oh, Cruz ! gémit-elle.
Ouais… moi !
J’introduisis un doigt dans sa fente et répandis les sécrétions chaudes et savoureuses sur sa chair rosée.
Je salivais comme un dingue, submergé par le violent désir de me jeter sur elle.
Pour la bouffer carrément (ouais !). À l’agonie, je résistai cependant.
— Tu en as envie, chica ?
Sa respiration était devenue un peu bordélique, mais elle réussit à souffler :
— Oui.
— Je n’ai pas entendu.
— Oui, lâcha-t-elle plus fort dans un autre gémissement, les dents serrées.
— Alors, écarte-moi encore plus ces petites cuisses pour que je puisse bien voir ce qui est à MOI.
Le « MOI » résonna dans la chambre.
Son corps tout entier fut secoué d’un violent frisson et une nouvelle coulée imprégna mon doigt qui
explorait sa fente. Ah, j’allais crever si je ne la goûtais pas ! Mais miracle, je réussis encore à me contenir.
Parce que je la voulais tremblante, à bout, désespérée d’avoir enfin ma bouche avide sur elle.
Elle les écarta bien… et cette fois-ci, elle ne baissa pas les yeux. On y arrivait…
Elle me dévisagea, les prunelles brûlantes, ses hanches s’arquant vers moi. Je sentis les dernières
réminiscences de gêne la quitter. Un tournant qui provoqua un long frémissement sur ma peau. Oh,
putain, j’allais exploser dans mon froc !
— Encore.
J’accompagnai cet ordre d’une caresse du doigt le long de sa vulve. Et là… elle fit glisser ses genoux
vers le haut, avec une souplesse incroyable, ses cuisses s’écartant au maximum. À cette seconde, je
remerciai sincèrement ses années de danse. Puis, une joie sans nom m’inonda lorsque je captai au
passage la lueur d’excitation dans ses iris.
— Oui, ma puce, c’est bien, murmurai-je, les yeux fixés sur sa chatte luisante.
Exposée.
Criant son désir.
Je me penchai lentement, très lentement, pour que ma petite blonde sente mon souffle chaud approcher,
la caresser. Elle tremblait déjà d’anticipation sans même que je ne la touche.
Et moi, j’avais envie de frapper mes poings sur mon torse.
— Tout ça, c’est à moi… grondai-je.
Avant qu’un coup de langue ne la fasse décoller du matelas. Mes mains se plaquèrent illico sur son
bassin pour la maintenir en place. Je la léchai de nouveau avec un grognement de plaisir.
— Bon sang, Bethany, tu es…
Les paroles s’étouffèrent dans ma bouche, car j’étais trop pressé d’y retourner. Une chose que la chatte
de Bethany me prouvait à cette seconde, alors que son goût imprégnait ma langue affamée, c’est que je
pourrais y rester indéfiniment, jusqu’à l’overdose. Une belle mort. Mais au fond de mon cerveau,
persistait néanmoins cette question.
Il fallait que je sache !
— Est-ce qu’un mec t’a déjà fait une minette, Bethany ?
Je me blindai, sachant que j’allais peut-être haïr sa réponse. La haïr de tout mon être.
— Non… non… que les doigts… deux mecs… c’est tout… Ça n’a jamais été plus loin.
Ces mecs, je leur aurais coupé les mains !
Mais un bonheur m’envahit tout de même juste après mes envies de meurtre. Des doigts, même si
c’était dur à encaisser (OK, je savais que je n’étais pas rationnel), je pouvais, disons, comprendre, vu son
âge. J’inspirai profondément et décidai de mettre ça derrière moi. Derrière nous ! Ces mecs, c’était du
passé. On n’en reparlerait plus, j’avais eu ma réponse.
Une autre pensée, jubilatoire, me submergea.
Oh, bon sang, cette chatte, c’est ma bouche, ma langue qui allaient la dépuceler !
Et ma queue après !
Je dus me retenir pour ne pas me redresser et pousser un cri de victoire comme un sauvage. Le corps
brûlant de désir, j’avais mieux à faire. Je glissai ma langue entre ses lèvres vaginales et la savourai de
nouveau.
— Oh, mon Dieu… Cruz… Cruz…
Un vrai petit canari.
Ma bouche vorace continua à goûter ensuite chaque millimètre de sa chair avant de se refermer sur son
clito. Elle poussa une longue plainte. Je commençai sans relâche à sucer son bouton gorgé de sang et
relâchai peu à peu la pression de mes mains sur ses hanches pour qu’elle puisse onduler du bassin au
rythme de mes succions. Les minutes suivantes, je la maintins au bord de l’orgasme, à son grand
désespoir. Lorsque je la libérai, l’espace de quelques secondes, j’eus droit à une flopée de protestations
qui me fit sourire.
— Cruz, bon sang !
Je chopai un oreiller au-dessus de sa tête, puis lui mis une tape sur la cuisse.
— Lève tes fesses.
Elle obéit sans discuter et je le glissai sous son petit cul bandant.
— Tu en veux plus, Bethany ?
— Oui… oui, gémit-elle.
— Montre-moi ça ! jetai-je en me penchant pour lécher sa fente.
— Cruz…
— Montre-moi, grondai-je, ma bouche suspendue à quelques millimètres de sa chatte.
Elle creusa le dos pour tenter de l’atteindre. Un effort récompensé par une petite léchouille. Elle eut un
violent frémissement, alors que ses fesses retombaient sur l’oreiller. Elle arqua de nouveau ses hanches,
les mains crispées sur le drap, cherchant désespérément ma langue. Sa raison de vivre.
— Je t’en prie, Cruz !
Autre effort. Autre petit coup de langue.
— Cruz… geignit-elle en gigotant. Suce-moi ! s’écria-t-elle finalement, au bord de la crise de nerfs.
Eh bien, voilà : on y était.
En la voyant se lâcher complètement, j’éprouvai un plaisir vraiment intense. On avait passé une étape.
Mes mains glissèrent sous ses fesses pour les soulever bien plus haut et là… oui… là…
Je la bouffai carrément, en de grosses succions dont le bruit se répandit dans la chambre. Elle suffoqua
encore et encore et poussa un cri quand je dévorai son clito.
Ensuite ? Un cataclysme.
Son corps se raidit comme un ressort à un cheveu de se rompre avant que de puissants spasmes ne
secouent violemment son bassin.
Un putain d’orgasme.
Son plaisir, je le sentis à travers mes doigts, ma bouche, ma langue. Mon corps vibra à l’unisson du sien.
Quand elle se calma petit à petit, j’enfonçai ma langue dans son vagin et opérai de petites rotations avant
de la tendre durement pour mimer le mouvement d’une bite. La mienne dans pas longtemps.
Un sanglot racla sa poitrine.
— Cruz… tu… tu… oh, bon sang… tu… vas me faire mourir.
Me délectant de ses paroles, je la libérai avant que mes lèvres ne se plaquent sur les siennes. Elle put
goûter sa propre odeur dans un baiser langoureux, son corps n’étant plus que de la gélatine après son
orgasme d’enfer. Soudain, sa main se faufila entre nous et put atteindre facilement ma bite, mon jean
étant déboutonné.
À la première caresse, elle gémit ; je suffoquai.
— C’est si bon de te toucher… Tu es si doux.
Doux Jésus, elle allait elle aussi me faire trépasser !
Elle commença à faire des va-et-vient, de plus en plus sûrs, l’excitation montant de nouveau en elle.
Moi, je n’étais plus qu’un mec qui se cramponnait au peu de contrôle qui lui restait. Mes limites atteintes,
je me levai vivement pour me débarrasser de mes jean, boxer et chaussettes. Le regard très affamé
qu’elle posa sur mon pénis tendu faillit être ma perte. D’un geste rapide, je repoussai la couette ; elle
bascula sur les draps. À la vitesse de l’éclair, je pris dans le tiroir de la table de chevet un préservatif qui
atterrit sur le lit. Quand je m’allongeai sur elle, nos peaux nues se collèrent l’une contre l’autre pour la
toute première fois
Chaudes, sensibles, frémissantes.
Ce fut un moment inouï qui nous arracha un cri rauque. Je m’emparai de ses lèvres avec une ardeur
redoublée avant de basculer sur le dos tout en l’attirant sur moi. Ses magnifiques seins s’écrasèrent sur
mon torse et sa chatte humide se nicha contre ma queue.
— Oh, bon sang…
Mon grognement couvrit son geignement.
On se roula une bonne paire de pelles. Des baisers affamés. Puis, quand sa bouche descendit le long de
mon torse, sur mes pectoraux, puis mon pack abdo sur lequel elle passa du temps, explorant chaque
relief, je dus serrer violemment les dents, au risque de me les péter. Je la laissai faire. Soudain, ses lèvres
se retrouvèrent près de ma queue. Je savais qu’elle n’était pas prête à me tailler une pipe. Pour tout dire,
ce n’était pas ce que je voulais ce soir, car tout risquait dans ce cas de se terminer bien trop vite.
— Tu veux que je te dise mon fantasme ? dis-je tout à coup, d’une voix enrouée.
Elle leva les yeux vers moi. La beauté de ses traits fins me coupa le souffle. Le désir la rendait encore
plus belle, si c’était possible. Elle transpirait d’une sensualité qui provoqua en moi quelques
tremblements dangereux.
— J’aimerais que la première fois que tu me suces, ce soit dans mon pick-up. J’en rêve. Moi sur mon
siège ; toi penchée sur moi, ma queue dans ta bouche, pendant que je roulerais. Il y a un chemin perdu
près de Rockaway… ce serait sans risque.
Dans son petit cerveau, elle imaginait déjà le scénario classé X et ses prunelles se transformèrent en
braises incandescentes. L’idée ne lui plaisait pas ! Elle l’adorait. Tout comme moi.
Elle resta immobile, la bouche entrouverte. Seul le bruit de nos respirations s’élevait entre nous, alors
que l’air crépitait d’une tension sexuelle presque étouffante. J’entendis sa voix rauque :
— Je n’ai jamais…
Ses mots moururent sur ses lèvres, mais j’avais compris
De ça, j’en avais été à peu près certain. Pourquoi ? Aucune idée. Pour Bethany, contrairement à d’autres
nanas, j’étais quasi sûr que c’était un pas à franchir différent de l’acte sexuel. Cependant, elle venait de
lever le tout petit doute qui titillait mon esprit. Bien sûr, mon cerveau dansa de joie. Je lui souris et tendis
la main pour caresser sa joue. Le fait qu’elle soit prête à le faire avec moi, selon mes fantasmes en plus…
Bah, je ne touchais plus terre. Elle dut réussir à décrypter la lueur dans mon regard – une joie rayonnante
et comme une réponse confirmant une nouvelle fois que j’adorais son manque d’expérience –, car elle
m’adressa à son tour un beau sourire soulagé.
— Tu aimerais ?
Elle hocha la tête.
— Oui… oui, souffla-t-elle. Avec toi, j’aimerai tout…
Oh, bon sang ! Une digue craqua dans ma poitrine sous une puissante déferlante – de sentiments. J’étais
trop chamboulé pour vouloir les analyser. Je continuai à la caresser avec tendresse ; elle inclina son
visage pour caler sa joue au creux de ma paume, un peu tremblante après ces quelques secondes. On
resta ainsi à se contempler. Puis, elle me surprit lorsqu’elle se pencha et lécha mon gland. Un petit coup
de langue pour récolter les gouttes pré-séminales. Comment je fis pour ne pas voler au plafond ?
Comment j’arrivai à limiter ma violente réaction à un tressautement ? Je cumulais les mystères, ce soir.
D’un mouvement urgent, j’allais me redresser pour la soulever par les aisselles quand son corps
s’allongea sur le mien. Ah, le nirvana ! Ses seins se plaquèrent de nouveau sur mon torse, sa chatte se
colla sur ma bite, nous arrachant une salve de gémissements pour elle et de grognements primitifs en ce
qui me concernait. Je saisis la capote, puis je la basculai sur le côté.
On se retrouva face à face.
— Aide-moi, chica.
Elle caressa ma queue. Je pouvais affirmer que Bethany l’adorait et sous toutes les coutures, ses mains
revenant constamment sur elle. Entre deux caresses et plusieurs baisers goulus, on déroula ensemble le
latex lubrifié. Un petit jeu sensuel qui lui donna encore plus d’assurance, qui fouetta mon désir. Un désir
qui allait détruire tous mes neurones à cette allure-là. Mais dans tout ça, j’étais vraiment heureux qu’elle
soit à présent tout à fait à l’aise dans mon lit. La capote en place, je fis rouler ma petite nénette sur le dos
et mes yeux brûlants plongèrent dans les siens. Ma bite emprisonnée dans ma main, je la guidai entre sa
fente humide et m’arrêtai. On se dévisagea en silence. Un coude planté sur le matelas, à la hauteur de
son épaule, j’effleurai sa pommette du pouce de l’autre main ; ses doigts en firent autant sur ma
mâchoire.
Les mots étaient inutiles.
Ces quelques secondes, avant le grand saut, étaient spéciales, autant pour elle que pour moi. Cette
première fois, elle se la rappellerait toute sa vie, et moi aussi. Une lueur intense brillait dans ses
prunelles ; mon cœur tambourina lors de ce dernier échange visuel.
Puis… d’une flexion de mon bassin… tout bascula définitivement entre nous.
Je m’enfonçai lentement en elle de quelques centimètres avant de m’arrêter. Elle gémit, appréciant
cette petite intrusion. Les veines bouillonnantes, je dus fermer les yeux pour réguler ma respiration
difficile. Oh, putain, c’était déjà trop bon ! Et je n’étais qu’au tout début de ce trésor doux et chaud.
— Bon sang, c’est tellement bon d’être en toi, Bethany !
Je happai ses lèvres pour un baiser fougueux avant de m’écarter légèrement. Je fis quelques
mouvements sur la petite longueur que j’avais déjà pénétrée, soulevant mes fesses, les baissant sans aller
plus loin que cette frontière, à l’affût de ses moindres réactions. Je continuai pendant quelques secondes,
alors que ma bite enrageait de ne pas plonger tout au bout de cette merveilleuse chaleur qui
m’enveloppait.
Mais la récompense arriva… magnifique.
Je sentis Bethany bouger, de légères flexions tout d’abord. Quand ses hanches répondirent plusieurs fois
de suite à mes va-et-vient, d’un balancement un peu plus prononcé, je n’attendis pas plus longtemps. D’un
long coup de reins, je m’enfonçai profondément en elle et stoppai net.
Son cri de douleur me fit fermer durement les yeux, noua ma gorge, mais j’éprouvai cependant une
vague de bonheur incroyable. Un cri de douleur qu’elle réprima dans la foulée, ses mains agrippées à mes
épaules, son corps contracté. Je restai immobile, avant que ma bouche n’effleure sa joue dans un silence
entrecoupé par son souffle saccadé.
Sans bouger (un véritable exploit), je jouai tendrement avec ses lèvres, de légers mordillements, des
baisers très doux, jusqu’à ce que ses muscles se relâchent peu à peu. Puis je commençai de nouveaux va-
et-vient, sur la moitié de ma queue, avec une lenteur qui m’obligea à faire appel à tout mon contrôle et à
toute mon expérience. Je la sentis se crisper au premier, puis au deuxième aussi, ainsi qu’au troisième,
mais je continuai à l’embrasser avec tendresse, ignorant ses réactions encore tendues. Je poursuivis, ma
langue s’enroulant autour de la sienne.
Peu à peu, je me retirai toujours plus loin pour m’enfoncer doucement en elle et, soudain, elle se remit à
bouger, son bassin venant à la rencontre du mien. Tout d’abord timidement, mais putain, cette première
poussée fut le plus beau truc de ma vie.
Puis, il y en eut une autre, et une autre.
Ma main caressa sa cuisse et un sein que je pris en coupe. Nos baisers devinrent très chauds, tandis que
son corps s’arquait de plus en plus, ses appréhensions s’envolant. Le « mauvais moment passé », je glissai
mon majeur sur son clitoris pour l’aider à atteindre le point culminant.
Je ne voulais pas qu’elle se mette la pression en essayant à tout prix de jouir différemment. Une
tentative qui pourrait la bloquer, cette première fois. Elle éprouvait déjà beaucoup de plaisir à m’avoir en
elle, je le sentais à présent à chaque coup de reins. Le tout était de lui montrer que le sexe n’était pas une
question de performance, mais de sensations, et qu’il importait peu dans quelles parties du corps elles
prenaient naissance. Je soupçonnais un certain nombre de filles de simuler l’orgasme vaginal parce
qu’elles se seraient sinon senties incomplètes, et malheureusement, ce complexe avait tendance à les
poursuivre jusqu’à les empêcher définitivement d’avoir une vie sexuelle épanouie. Bethany, je la cernais
déjà avant même de l’avoir mise dans mon lit.
Sexuellement, elle se sentait immature à côté de toutes ces nanas que j’avais connues. Inconsciemment,
elle voulait ne pas « faillir ». Ma réputation m’ayant précédé, à ses yeux, s’il y avait un « problème », il ne
pourrait pas se situer à mon niveau. Pas besoin de sortir de Yale pour le comprendre. Alors, ce soir, je
m’en tiendrais à ce petit bout de chair qui avait le don de la faire décoller presque instantanément. Elle
aurait le temps ensuite d’explorer sa sexualité, de mieux connaître son corps, les signes, ses positions
préférées, son plaisir. On aurait le temps de le découvrir ensemble. Une perspective excitante.
Je continuai à bouger en elle.
— J’adore être en toi, Bethany. J’y resterais une vie entière... lâchai-je d’une voix rauque.
Ces derniers mots, plutôt ambigus d’ailleurs, la firent frémir des pieds à la tête. Puis, je cherchai un
angle qui permettait à ma queue de prendre le relais pour caresser parfaitement, avec la pression idéale,
son clito déjà bien stimulé. Elle ferma les yeux, le visage transfiguré par le plaisir. On trouva un rythme…
Quand je sentis son corps trembler, ses ongles plantés dans mes épaules, j’accélérai la cadence. Elle
enroula ses jambes autour de ma taille.
— Oui, ma puce… c’est bon ?
— Oui… oui…
On haletait, le seul autre bruit étant celui de nos hanches qui se percutaient.
— Cruz… Oh, mon Dieu, c’est bon… je…
Elle se tut, creusant le dos ; des milliers de flèches de plaisir me transpercèrent.
— Oui, sens comme ça vient, ma puce… Laisse-toi aller…
J’eus à peine prononcé ces paroles que son cri de jouissance retentit dans la chambre.
— Ohhh, Cruzzz…
Ce fut l’une des plus belles mélodies que j’aie pu entendre dans ma vie. Je glissai de nouveau mon doigt
entre nous sur son clito pour y dessiner des cercles, tout en donnant de profonds coups de reins, rivé à
son plaisir, à chacune de ses réactions. De longues secousses traversèrent tout son corps, en plusieurs
salves violentes. Lorsque ses bras entourèrent étroitement ma nuque, je me laissai aller, ôtant ma main
entre nous. Je ne la pilonnai pas comme un malade, de la manière dont j’aimais le faire quand je percevais
ce picotement particulier en bas de ma colonne vertébrale. Je continuai seulement de la pénétrer avec le
même rythme soutenu.
Il ne me fallut que trois profonds coups de reins avant d’exploser dans un long râle. De
furieux frémissements parcoururent ma peau brûlante. Les yeux clos, je me laissai submerger par un
plaisir inouï, un bonheur sans nom et un tas d’autres trucs qui décuplèrent l’intensité de ce moment. Puis,
je retombai sur elle, le visage enfoui dans son cou, en retenant toutefois mon poids. Je sentis sa bouche
caresser ma tempe avant de l’embrasser, de plusieurs baisers très tendres. Entre nous, il régna tout à
coup une émotion très forte, à fleur de peau, mais j’enfouis plus profondément mon visage contre sa peau
alors qu’elle resserrait ses bras autour de ma nuque. Après quelques minutes, elle chuchota :
— C’était merveilleux. Tu as été merveilleux. Je souhaite à chaque fille de tomber sur quelqu’un d’aussi
merveilleux que toi pour sa première fois.
Oh, putain ! Une boule énorme se logea dans ma gorge.
C’était le plus beau compliment qu’elle aurait pu me faire. Je levai la tête et plongeai mes yeux dans ses
prunelles encore brillantes. Bon sang, qu’elle était belle ! Mais mon cœur se serra devant ses traits qui
dégageaient une émotion particulière. Une petite larme s’échappa du coin de son œil, que je cueillis du
bout de la langue. Je posai mon front sur le sien pendant quelques secondes, très spéciales, puis je
l’embrassai avant de me retirer doucement.
J’ôtai la capote.
— Ne bouge pas, murmurai-je en lui donnant un baiser sur le bout du nez.
Nu, je fis un tour rapide dans la salle de bains pour me débarrasser du préservatif dans la poubelle et
prendre un gant de toilette humide. Je revins dans la chambre. Sous son regard, je m’occupai de nettoyer
les marques de sang entre ses cuisses en semant de temps en temps de légers baisers sur son ventre.
— Préviens Gillian que je te ramènerai demain matin très tôt, dis-je soudain.
En fait, dans quelques heures.
Je voulais prolonger ce moment entre nous. Je la voulais dans mon lit et qu’elle s’endorme dans mes
bras. Ma petite nana aussi apparemment ! Car elle se leva rapidement pour saisir son smartphone et
envoyer son texto. Affalé sur mon lit, je pus mater tout mon saoul ses fesses, ses seins encore lourds,
avant de m’arracher à cette vision pour régler plus tôt le réveil sur mon téléphone. Quand Bethany se
pelotonna contre moi, la joue posée dans le creux de mon épaule, j’étais heureux comme jamais je
n’aurais pu l’espérer.
On s’endormit étroitement enlacés.
Chapitre 20

Bethany

Cruz me ramena devant l’immeuble de Gillian. Il eut un mal fou à me lâcher, et moi aussi. On ne cessa
de s’embrasser goulûment durant un temps infini. Quand je trouvai la force de bouger (un peu) pour
quitter le pick-up, il me plaqua de nouveau contre lui en glissant une main sur ma nuque et s’empara de
ma bouche pour un autre round.
Finalement, on réussit – tant bien que mal – à se décoller l’un de l’autre. Je sortis du véhicule les jambes
flageolantes, un sourire béat tatoué sur les lèvres. À l’extérieur, je lui fis un dernier signe. Il m’adressa un
petit clin d’œil qui me liquéfia un peu plus, avant que je ne m’engouffre dans le hall. Toujours sur mon
nuage, je pris l’ascenseur.
Gillian m’avait donné une clé de son deux-pièces qui se situait à proximité du restaurant et de Columbia
par la même occasion. Elle me dépannait vraiment bien quand mon travail se terminait trop tard. On avait
très vite sympathisé au boulot. La première fois que j’avais mis les pieds dans son appart, petit mais
douillet, en plein Manhattan, j’avais compris qu’elle venait d’une famille aisée. Je ne m’étais pas trompée.
Ce soir-là, elle m’avait confié que ses parents étaient des avocats renommés chacun dans leur domaine,
et s’étaient séparés lorsqu’elle avait douze ans. Son père vivait à présent sur la côte californienne et sa
mère avait choisi de rester à Washington d’où ils étaient originaires. Alors pourquoi s’échinait-elle dans
un resto ? D’après ses confidences il ne m’avait pas fallu longtemps pour comprendre que Gillian
ressentait le besoin de prouver quelque chose, à elle ou à ses parents.
Durant son adolescence, elle aussi avait traversé un divorce pénible. L’argent en moins, je m’étais un
peu reconnue en elle, tiraillée entre son père et sa mère. Comme moi, elle souffrait d’une situation
familiale difficile, et en plus ses parents vivaient à des milliers de miles l’un de l’autre. Ce qui avait
compliqué les choses pour elle. Avant d’intégrer Columbia, elle vivait toute l’année avec sa mère et
passait l’été chez son père, lequel trouvait plus facilement du temps pour son travail que pour elle. En
bref, c’était une fille que j’appréciais vraiment beaucoup.
Je me glissai silencieusement dans l’appartement pour ne pas la réveiller et récupérai tout d’abord mon
sac de voyage dans le salon avant de m’enfermer dans la salle de bains. Je me regardai dans le miroir.
Mes yeux brillants, mes joues roses, mes lèvres encore gonflées.
Je souris à mon reflet.
J’avais couché avec Cruz…
Je n’étais plus vierge…
Mon visage était le même, ainsi que mon corps. Rien n’avait changé de prime abord, mais je me sentais
pourtant complètement différente. Inexplicable. Les souvenirs de la nuit envahirent mon esprit et mon
cœur enfla.
Cruz avait été…
Ma gorge se serra un peu plus.
Merveilleux. Patient, doux, passionné, habile. Je m’étais sentie belle, sexy, pas maladroite ou trop
inexpérimentée. Tout s’était déroulé comme dans un rêve. Ma première fois s’était transformée en une
magnifique expérience grâce à lui. Je me souviendrais toute ma vie de cette nuit. Ma poitrine gonfla
encore ; elle allait éclater. Tant d’émotions me submergeaient de toutes parts. Toutefois, je dus me
secouer, car Gillian aurait besoin d’ici peu de la salle de bains. Sous la douche, je pensai de nouveau à
mon Latino. Les joues échauffées (et pas seulement les joues !), je m’aperçus que je le désirais encore de
tout mon être. Mon corps brûlait pour lui !
Je réussis à me laver, avec une conscience aiguë de mes seins sensibles lorsque je les effleurai avec mon
gant de toilette. Un petit son (un gémissement ?) s’échappa de ma gorge asséchée en me rappelant la
bouche douée de Cruz. Je finis rapidement ma douche avant d’atteindre le point de non-retour.
Je m’enroulai dans un drap de bain pour me sécher, toujours sur mon nuage, perdue dans mes pensées
tour à tour torrides et poignantes. Je pris des vêtements propres dans mon sac de voyage : un shorty et
un pull fin à manches longues d’un rose pastel. Mon jean de la veille ferait encore l’affaire. Je brossai mes
cheveux et les attachai en une queue de cheval basse. Pieds nus, je me rendis ensuite dans la kitchenette
qui s’ouvrait sur le salon, pour avaler mon petit déjeuner. Je mangeais un toast lorsque Gillian, des
mèches châtain clair relevées en un chignon chaotique sur le sommet du crâne, me rejoignit dans la
cuisine.
— J’en connais une qui n’a pas beaucoup dormi, plaisanta-t-elle en prenant un jus d’orange dans le frigo.
Gillian était du matin. À peine un pied en dehors du lit, elle pétait la forme. Je ne pus retenir un sourire
idiot.
— Alors, raconte…
Elle s’assit sur le haut tabouret à côté du mien qu’elle fit pivoter dans ma direction, son verre dans la
main, ses yeux fixés sur moi. Je rougis légèrement. D’un geste rapide, elle chipa mon toast suspendu en
l’air entre mes doigts et croqua dedans. J’eus un petit rire.
— Allez, accouche !
Certes, Gillian était devenue une très bonne copine en peu de temps, mais elle ne me connaissait pas
comme Ashley. Cependant, les paroles suivantes me vinrent aux lèvres avec une facilité étonnante.
— C’était bien…
— Oh, seulement bien ?
Je gloussai, puis poussai un soupir heureux.
— Non, c’était tout simplement… merveilleux.
Le ton de ma voix dut l’interpeller, car elle m’étudia quelques secondes en silence.
— Toi, tu es amoureuse de ce mec.
Je n’essayai même pas de protester. À quoi bon, c’était la vérité.
— C’était la première fois pour moi, avouai-je, la gorge un peu nouée.
Ses yeux s’écarquillèrent de surprise, puis s’adoucirent.
— Désolée, je ne voulais pas te mettre mal à l’aise.
Je secouai la tête.
— Non, c’est juste que les gens trouvent toujours bizarre qu’une fille soit encore vierge à mon âge.
— Il n’y a rien de bizarre à ça, lança-t-elle d’une voix ferme. Et laisse les gens penser ce qu’ils veulent.
Elle marqua une petite pause.
— Et s’il a été merveilleux, je suis heureuse pour toi, rajouta-t-elle avec un sourire. Tu as eu raison
d’attendre le bon… Celui pour qui tu éprouvais des sentiments.
Sur ces paroles, elle me dévisagea avec une lueur indéfinissable dans ses prunelles, mais je sentis
l’atmosphère s’alourdir.
— Moi, j’ai couché la première fois avec un mec à quinze ans, pour de mauvaises raisons. C’était en
Californie. J’avais envie de faire un fuck à mon père qui passait plus de temps à son travail qu’avec sa
propre fille. J’ai fait une connerie monumentale et je n’en suis pas fière. Le mec m’a limée pendant un
temps fou et je n’avais qu’une hâte : qu’on en finisse. J’avais l’impression que j’allais prendre feu… et pas
pour la bonne cause, compléta-t-elle d’un ton sarcastique. Ça a été très douloureux. OK, on y passe toutes
un jour, mais tu crois pas que cet abruti aurait pu faire un effort, sachant que j’étais vierge de surcroît ?
Je ne dis rien, estomaquée.
— Ce con m’avait affirmé que ça irait mieux la deuxième fois. Je me sentais seule, j’en avais après mon
père et, à l’époque, je ne réfléchissais pas plus loin que le bout de mon nez. Alors, on a remis le couvert.
Tu parles ! J’étais tellement crispée qu’il n’a même pas réussi à me pénétrer. Une catastrophe. Sa fierté
en a pris un coup. Et bien sûr, il l’a très mal pris et cela a fini en insultes : frigide, glaçon… Tu vois le
genre !
Je la regardai, effarée, alors qu’elle lâchait un rire sans joie.
— Ouais, une vraie perle, ce type ! Je suis rentrée à Washington peu après. Par la suite, je ne
comprenais pas du tout ce ramdam que les filles faisaient autour du sexe.
Une grimace tordit sa bouche.
— Il m’a fallu du temps pour recoucher avec un mec.
Elle se tut, comme perdue dans ses souvenirs.
— Au moins un an et demi environ. Tu imagines si le suivant m’avait aussi traitée de frigide ?
J’imaginais les retombées psychologiques.
— Dans une soirée, j’ai rencontré Kyle, un gars intelligent… qui a vite compris mes peurs. Il n’avait
pourtant qu’un an de plus que moi, mais il était déjà très mature. Il a été patient… et là… tout comme toi,
la première fois avec lui a été merveilleuse et les suivantes aussi. Je n’ai eu qu’un seul regret : ne pas
l’avoir attendu. J’aurais voulu qu’il soit mon premier, qu’il occupe cette place spéciale dans mes
souvenirs.
Sa voix était devenue plus rauque.
— Cela n’a pas duré entre nous…
— Qu’est-ce qui s’est passé ? demandai-je doucement.
— Son père a été muté à Londres et il est parti étudier là-bas. On a rompu avant qu’il s’en aille. J’étais
aux États-Unis, lui serait en Europe, de plus il allait rentrer à la fac… C’était mieux que chacun reprenne
sa liberté…
Elle marqua une autre pause ; je vis son visage s’assombrir.
— Il y a quelques semaines, il a posté une photo sur Instagram aux côtés de sa petite copine. Une
Hollandaise qui étudie aussi à Londres. Un canon, blonde aux yeux bleus comme toi.
Le sujet paraissait sensible.
Ce pressentiment fut confirmé par la lueur de tristesse qui passa dans son regard avant qu’elle ne se
force à sourire. Je ne savais que dire. Elle me fixa droit dans les yeux.
— Dans le resto, ce Latino te regardait comme si tu étais la plus belle chose sur terre, et bien plus que
ça encore… Alors, ne le lâche pas.
Je déglutis.
— Je suis amoureuse de lui… depuis toujours, je crois, avouai-je pour la première fois à voix haute.
Ashley connaissait ma mère, mon père, mes frères et Cruz. Elle faisait partie de ma vie depuis
longtemps ; pourtant, je ne lui avais jamais révélé mes sentiments envers ce dernier. Et là, je déballai tout
à Gillian, de mon crush d’adolescente aux récents événements, et cela me fit un bien fou de pouvoir enfin
vider mon cœur. Quand j’eus fini, elle garda le silence pendant quelques secondes, puis sa main droite se
posa doucement sur la mienne.
— Je suis fille unique. Alors, je ne sais pas si je suis la mieux placée pour te donner des conseils,
Bethany, mais n’attends pas plus longtemps avant de le dire à ton frère. En plus, tu mets Cruz dans une
position difficile.
— Je sais… répondis-je la gorge nouée. Mais tu comprends, mon rêve est devenu réalité et au fond de
moi, j’ai peur qu’il m’échappe. Malgré tout, je t’assure que j’ai pris la décision de le dire à Knox, enfin
qu’on lui dise, Cruz et moi. Mais je veux juste encore profiter un peu de nous, loin de la pression
extérieure.
J’inspirai profondément.
— Quand on lui dira, je sais que tout va changer. Je le sais au fond de moi, Gillian, répétai-je. Cela ne
sera pas évident pour mon frangin. Cruz a une certaine réputation avec les filles et, même si Knox est mal
placé pour le juger – il consommait aussi les nanas comme des kleenex avant qu’il ne rencontre Jailyn –, je
reste sa petite sœur. Là est toute la différence. Ce n’est pas juste pour Cruz, mais c’est comme ça. Les
choses ne seront plus les mêmes…
Gillian me dévisagea, un pli sur son front, puis répondit :
— Je trouve craquant que ton frère veuille te protéger, mais il va falloir qu’il comprenne que tu n’es plus
une gamine et que c’est ta vie. Il doit aussi accepter de donner une chance à son pote. Mais vu la façon
dont ton mec te regarde, je suis certaine qu’il saura trouver les mots justes. Il faudrait vraiment que ton
frangin soit un idiot fini pour ne pas remarquer à quel point Cruz est accro à toi.
Ah la la, ces paroles me retournèrent. « Accro »… voulait-elle dire « amoureux » ? me demandai-je, mais
elle continua sur sa lancée :
— Toutefois, n’attendez plus trop longtemps, Bethany ! Choisissez le meilleur moment. L’étudiante en
économie que je suis va te sortir le vieux dicton : définir une bonne stratégie permet d’être maître de la
situation… parce que si cela dérape, s’il devait le découvrir par lui-même…
Sa phrase resta en suspens comme un mauvais présage.
— Je t’assure qu’on est vraiment très prudents.
Et je le serais encore plus suite à cette conversation. Le nœud que j’avais à l’estomac se dénoua
légèrement, alors que Gillian semblait cogiter sur mes paroles.
— Après la Saint-Valentin ? lança-t-elle soudain, le regard aiguisé.
J’acquiesçai et répondis d’une voix déterminée :
— Oui, après la Saint-Valentin.
Mon portable vibra juste à ce moment.
Et mon cœur fit une embardée lorsque je lus les quatre petits mots sur mon écran.
Cruz : Tu me manques déjà…
Je tapai avec un sourire aux lèvres.
Moi : Toi aussi.
Cruz : Ça va ? Ce n’est pas trop sensible ?
Je compris évidemment de quoi il parlait. Cela me touchait qu’il soit si prévenant et qu’il n’hésite pas à
mettre les pieds dans le plat. J’aimais cette intimité entre nous.
Moi : Je me sens très bien…
Cruz : Je t’appelle plus tard, j’arrive au boulot.
Moi : OK.
Je levai mon visage vers Gillian qui me fit un clin d’œil :
— Des sextos ? plaisanta-t-elle.
Soulagée qu’on passe à autre chose, je balançai, l’air faussement scandalisé :
— Curieuse !
Elle rit, puis jeta un coup d’œil à l’heure affichée sur le micro-ondes.
— Il faut que je me magne, sinon je vais être en retard à mon cours de statistiques. Déjà que je rame
dans cette matière.
— Va te doucher, je te prépare tes toasts.
Elle se pencha pour me faire une bise sur la tempe.
— T’es un amour, ma belle.
Je rigolai en la voyant courir vers la salle de bains.

Bizarrement, le samedi, je n’eus pas de nouvelles de Cruz dans le courant de la journée comme je l’avais
espéré. Je savais qu’il avait dû caser pas mal de rendez-vous, les affaires ayant repris de plus belle, mais
cela m’étonnait tout de même un peu. J’en profitai pour bosser sur mes cours. En fin d’après-midi,
j’entendis soudain ma mère m’appeler depuis le rez-de-chaussée.
— Bethany…
La porte de ma chambre étant ouverte, je répondis de mon bureau :
— Oui ?
— Tu peux descendre, il y a quelqu’un pour toi.
Mon cœur se mit à cogner dans ma poitrine avec un fol espoir, mais quand je m’approchai des escaliers,
fébrile, je reconnus le petit rire de Knox suivi de la voix de Jailyn. Je chassai la pointe de déception.
Quelle cloche !
Cruz se trouvait au boulot. Cela ne pouvait pas être lui qui débarquait au milieu de l’après-midi. Puis un
autre sentiment s’empara de moi. À l’idée de faire face à mon frangin, surtout après cette nuit avec Cruz,
je dus étouffer tant bien que mal le début d’un profond malaise. Je descendis, un sourire plaqué aux
lèvres.
— Hey, quelle surprise !
Le visage rieur, Knox s’approcha pour me faire un hug.
— Salut, sœurette, désolé, mais on n’a pas eu le temps de passer ces derniers temps.
Je lui rendis son étreinte, puis Jailyn me serra à son tour dans ses bras.
— Comment tu vas, Bethany ? Les cours ?
— Ça va, et toi ?
— Dis-lui ta note en math financière, intervint mon frère avec un sourire pas peu fier.
Jailyn leva les yeux au ciel avant de lâcher un gloussement.
— Il ne s’en remet toujours pas. J’ai eu A + à mon dernier contrôle.
— Waouh ! m’exclamai-je en riant. C’est super. Je suis vraiment contente pour toi.
— Je vais devoir l’encadrer, plaisanta-t-elle.
— Intérêt, rétorqua Knox avec un sérieux qui provoqua l’hilarité générale.
Le poids coincé dans ma poitrine, dû aux remords certainement, s’allégea un peu. Jailyn fit un pas en
arrière vers mon frère qui l’attira immédiatement à lui, collant son dos contre son torse, ses bras musclés
se refermant autour de sa taille. Dingues l’un de l’autre, ils formaient un couple trop craquant, mais une
grosse envie m’envahit subitement, mêlée à une pointe de rancune ou d’amertume. Je ne savais pas trop.
Pourquoi moi, je devais me cacher ? Pourquoi je ne pouvais pas m’afficher ainsi avec Cruz ?
Parce que tu l’as choisi, rappelle-toi ! Tu l’as même supplié de garder le secret, répondit dans ma tête
une voix acerbe.
Ma mère me sortit de mon tumulte.
— On t’a réservé une petite surprise.
Je la fixai d’un air étonné dans l’attente de la suite, mais la sonnette de la porte d’entrée se fit entendre
au même instant. Elle s’éloigna pour revenir quelques secondes plus tard aux côtés de tante Anna qui
portait un plat dans ses mains. Cette dernière le posa sur la table de la salle à manger avant de faire le
tour pour embrasser tout le monde, et échangea quelques mots avec Knox et Jailyn. Elle me serra dans
ses bras.
— Ça va, ma grande ?
— Oui, merci.
Ma mère reprit la parole lorsque le calme fut revenu :
— Lundi, c’est ton anniversaire, ma chérie, et je serai du soir. Quand Knox m’a prévenue qu’il passerait
ce week-end, j’ai pensé qu’on pourrait se faire un petit resto en famille pour fêter ça. Chase nous
rejoindra après son travail.
C’était une belle surprise. Pour la première fois depuis longtemps, on allait fêter mon anniversaire tous
ensemble, sans mon père évidemment. La relation entre Knox et ma mère avait toujours été compliquée ;
du coup, mon frangin avait évité toute réunion familiale ces dernières années, préférant m’inviter toute
seule chez lui. Alors, j’étais partagée entre deux sentiments, la joie mais la déception également.
Joie qu’on se retrouve en famille à l’occasion d’un tel évènement, même si faire face à Knox n’était pas
simple et attisait mes remords.
Déception de ne pas pouvoir voir Cruz ce soir.
La petite voix acerbe refit surface :
Ben oui, pourquoi il ne peut pas être là ? Quel courage, Bethany !
Agacée, je la chassai de mon esprit en avançant vers ma mère pour l’étreindre.
— Merci, maman, c’est une super idée !
— J’ai apporté un gâteau et des bougies, intervint tante Anna.
Je réussis à garder un masque souriant, mais l’absence de Cruz en cette occasion me broyait le cœur.
Mon petit ami aurait dû être là ! Mais comme on fait son lit, on se couche. Cet adage me revint en pleine
figure, un vrai boomerang. Un peu déboussolée, je refoulai ces sentiments en contradiction avec un choix
que je ne regrettais cependant toujours pas.
— Je vais préparer un café, proposai-je immédiatement. Tu sais où sont les tasses, Tata ? Celles que
maman utilise quand on a des invités.
— Celles qui datent d’Hérode ! lança Knox avec ironie.
Ma mère lui donna une tape sur le bras en pouffant. Ah, ça faisait plaisir de les voir se chamailler ainsi !
— Elles viennent de ton arrière-grand-mère, Knox.
— Oui, c’est ce que j’ai dit, d’Hérode !
Jailyn eut du mal à retenir un gloussement mais, pour la forme je suppose, elle tenta de sermonner sa
moitié :
— Knox…
Puis, elle fit un pas vers ma mère.
— Elles sont trop jolies vos tasses, madame Fowler.
Mon frangin eut un marmonnement dans sa barbe.
— Petite fayotte, va.
Je m’esclaffai lorsque je vis le majeur de Jailyn se dresser dans son dos. D’ailleurs, Knox faillit s’étouffer
en réprimant un éclat de rire. Je croisai le regard hilare de ma tante qui sortait du meuble bas les
fameuses tasses colorées.
— Je m’occupe du café, répétai-je.
Je me dirigeai vers la cuisine, mais Knox choisit ce moment pour me suivre. Une fois près de l’évier, je
fis couler de l’eau et la versai dans la cafetière avec une concentration extrême, puis j’ouvris un placard
pour attraper le café en poudre à mesurer, consciente de ses yeux fixés sur mon profil. Il cherchait à me
dire un truc.
Je le sentais.
— Le boulot, ça va ? lançai-je gaiement.
— Oui, on a signé un nouveau contrat avec un label. On va s’occuper de l’enregistrement de plusieurs
albums.
— C’est génial !
Il se racla la gorge.
— Je voulais te dire que je suis désolé pour Jace… Tu vas bien ? ajouta-t-il un peu sur le qui-vive, comme
si j’allais m’effondrer devant lui.
Ah, je ne pouvais lui en vouloir d’être lui ! Un frère aimant.
De plus, Knox culpabilisait depuis le divorce de nos parents. Il s’en voulait de n’avoir pas été là, à
chaque minute, pour m’aider à faire face aux dépressions chroniques de ma mère. Il savait au fond de
lui – même si je lui avais caché pas mal de choses – que j’avais vécu des trucs pas piqués des vers. Son
côté protecteur s’était amplifié au cours des années.
De la bile remonta dans ma gorge alors que je sentais à cette seconde ce besoin qu’il éprouvait de ne
plus faillir vis-à-vis de moi. Pourtant, il n’était en rien responsable. Il avait eu lui aussi sa vie à mener,
comme tout un chacun : ses études, sa vie professionnelle, personnelle. Et quoi qu’il en pense, sa
présence au loin, ses coups de fil, ses visites éclair ou prolongées et son aide pour gérer Chase m’avaient
été d’un grand secours. Il ne réalisait pas à quel point !
— Je vais bien, je t’assure.
Je repoussai une mèche sur ma joue d’une main nerveuse.
— C’était un gars vraiment chouette, mais on n’était pas faits l’un pour l’autre. J’ai tout simplement
compris que je n’étais pas amoureuse de lui. Je l’aimais plus comme… un très bon copain.
Il hocha lentement la tête.
— Je lui ai fait du mal, continuai-je d’une voix enrouée, et je m’en veux.
— Tu as été honnête, Bethany, c’est une qualité que j’admire en toi.
Oh, mon Dieu ! J’allais vomir cette fois-ci.
Moi, honnête ? Alors que je lui cachais ma relation avec Cruz ; alors que j’avais supplié son meilleur pote
de garder le secret et de lui mentir ? Je ravalai ma salive acide qui donnait un goût très amer à ma
bouche. Je dus faire un effort héroïque pour réussir à conserver un visage normal.
— Il s’en remettra, continua-t-il sans remarquer mes états d’âme. Il est préférable que tu t’en sois rendu
compte maintenant que plus tard, lorsqu’il aurait été trop impliqué.
Il sourit, les yeux pétillants.
— Et puis, tu as le temps de trouver le bon ! Tu viens à peine de démarrer tes études.
— Jailyn n’est pas si vieille que ça, ne pus-je m’empêcher de rétorquer. Elle était en deuxième année
lorsqu’elle t’a rencontré.
Il n’y avait aucun doute qu’ils étaient faits l’un pour l’autre et qu’un jour, ils se retrouveraient devant un
prêtre pour échanger leurs vœux.
— Elle est un peu plus âgée que toi et la mort de Bailey l’a fait mûrir…
Direct, je le coupai d’un ton tranchant :
— Moi aussi, j’ai traversé des choses difficiles ! C’est sûr, je n’ai pas vécu la terrible épreuve de perdre
ma meilleure amie, mais la mère que j’avais toujours connue a brutalement disparu après le départ de
notre père. Je n’étais encore qu’une enfant qui se retrouvait le plus souvent devant un zombie…
Je regrettai immédiatement !
Le ton, le choix de mes mots !
Merde ! Mais qu’est-ce qu’il m’avait pris ? Knox fronça les sourcils en faisant un pas vers moi, un peu
estomaqué par mon éclat.
— Non, bien sûr que non ! jeta-t-il, le visage penaud. Je ne dis pas que tu n’as pas connu des moments
difficiles, surtout pour une fille de ton âge…
Dans quoi je m’étais embarquée ! Et moi qui ne voulais pas qu’il culpabilise. Ah, je faisais fort, là ! Je
levai ma main en un geste désespéré.
— Excuse-moi, Knox. Je ne voulais pas m’en prendre à toi. C’est du passé ! Cela a été dur, surtout au
début, mais tout va bien maintenant. Ce que Jailyn a traversé est horrible, enchaînai-je, il n’y a rien de
plus terrible que de perdre quelqu’un de proche aussi tragiquement. Ce n’est pas comparable ! C’était
vraiment maladroit de ma part…
Il m’observa en silence, puis se frotta la nuque, comme désemparé, avant de me regarder de nouveau
avec inquiétude.
— … Il n’y a pas de mal. Je m’excuse aussi, je me suis mal fait comprendre, mais tu es sûre que tu vas
bien ? insista-t-il.
Il revenait à Jace. Je me forçai à sourire.
— Oui, ça va. À vrai dire, je suis parfois un peu fatiguée qu’on me prenne toujours pour une gamine.
Il s’avança et se retrouva tout proche de moi, à moins d’un mètre. Une main réconfortante se posa sur
mon épaule.
— Bethany, je ne te prends pas pour une gamine. Tu as une force de caractère et une maturité que
j’admire depuis toujours. Mais tu es ma petite sœur, ma sœurette, et tu le seras toujours, même dans
vingt ou cinquante ans.
Mes paupières se mirent à picoter. Il m’attira contre lui dans une étreinte fraternelle, pleine de
tendresse. Je passai les bras autour de sa taille et me serrai contre lui, le suppliant silencieusement de me
pardonner pour mon éclat maladroit et pour tout ce que je lui cachais.
— Désolé, si j’ai pu te blesser, répéta-t-il à voix basse.
— Non, ce n’est pas toi. Je réagis un peu trop vivement en ce moment. Tu sais comment c’est en
première année, plaisantai-je. À se demander si nos profs ne veulent pas notre peau.
— Tu veux un scoop ?
— Oui ?
— Ils veulent vraiment ta peau, souffla-t-il à mon oreille.
Je pouffai de rire et m’écartai de lui. Je lui fis un bisou sur la joue.
— Merci, je suis rassurée à présent.
Ses yeux pétillèrent quelques secondes, puis ses traits redevinrent plus sérieux.
— Tu es une fille et une sœur géniales… Ne l’oublie pas.
— Tu t’imagines si je tombais sur un type comme toi ? jetai-je soudainement, en une exclamation sortie
de nulle part. Au début, tu lui en as fait voir de toutes les couleurs à ta petite nana.
C’était lui balancer un truc comme ça ou fondre en larmes devant lui après ses paroles touchantes que
je ne méritais pas.
Il se mit à rigoler.
— Ouais, mais quand tu regardes ce qui s’est passé entre nous, c’est bien ma petite étudiante qui m’a
mis à terre ! Hein ?
Je ris : il n’avait pas tort. Et il avait l’honnêteté de le reconnaître. Il aurait décroché la lune pour elle.
— Mais je t’interdis de tomber amoureuse d’un mec comme moi.
C’était dit sur le ton de la plaisanterie (à moitié, certainement, je préférai ne pas trop analyser), mais
mon estomac fit un twist. Ce fut pourtant avec un calme étonnant que je fis face à mon grand frère.
— Si je devais tomber sur quelqu’un comme toi, tu sais quoi, Knox ? J’en serais très heureuse parce que
tu es un gars génial. Jailyn a beaucoup de chance et je l’envie.
Son regard s’adoucit. Il me contempla avant que sa main ne caresse ma joue. Un geste rempli
d’affection. Puis, une lueur amusée passa dans ses yeux.
— Toi, tu veux quelque chose ?!
Je rigolai.
Quoique, dans un certain sens, il n’avait pas tort : je voulais son soutien quand ce serait le big moment.
Il continua sur sa lancée :
— Ma voiture ? La conduire, c’est ça ? T’en rêves !
J’éclatai de rire. La chape de plomb qui s’était abattue dans la cuisine s’évapora complètement. Il
m’adressa un sourire taquin.
— Tu sais quoi ? Tu pourras la conduire pour aller au resto.
Je faillis en tomber sur mes fesses.
— Vraiment ? couinai-je, tout excitée.
— Yep, sœurette !
Je sautai à son cou dans un élan qui l’obligea à écarter les deux jambes pour ne pas partir en arrière. Il
s’esclaffa.
— Merci, frangin.
J’eus droit un petit ébouriffement de cheveux.
Une Mustang ! J’allais conduire une Mustang, et pas n’importe laquelle ! Un bijou. Je reculai, le visage
radieux, mis en route le café, puis on se dirigea tous les deux vers le salon. Au pied des marches, je fis un
mouvement de tête vers l’étage.
— J’ai un truc à faire, je reviens tout de suite.
— OK.
Je le vis rejoindre Jailyn avant de m’élancer dans les escaliers. Une fois à l’abri dans ma chambre, la
porte bien refermée, je pris mon portable. J’étais persuadée que Cruz avait prévu qu’on se rencontre ce
soir.
Moi : Désolée pour ce soir, mais Knox, Jailyn, ma mère et tante Anna m’ont fait une surprise
pour mon anniversaire. On va tous au resto. Chase nous rejoint après le boulot.
Je reçus sa réponse dans la foulée, son premier texto de la journée. Un soulagement.
Cruz : J’étais au courant, mais je ne voulais pas te gâcher la surprise.
Je compris enfin la raison de son silence. Il n’avait pas voulu vendre la mèche. Oh, bon sang, il me
manquait et il allait terriblement me manquer dans les heures suivantes ! J’avais tellement espéré le
revoir aujourd’hui ! J’aurais voulu taper ce message : « J’aimerais tant que tu sois là avec nous ». Ce que
je ne fis pas, bien sûr ! Je ne voulais pas envoyer un SMS qui risquait de m’embarquer dans une
discussion que je préférais éviter actuellement. Pour l’instant, Cruz ne revenait pas à la charge à propos
de mon frère, mais cela ne tarderait pas si je ne me décidais pas à lui dire que je souhaitais juste encore
attendre jusqu’à la Saint-Valentin avant qu’on ne parle de notre relation à Knox. J’aurais le temps
d’aborder le sujet quand la situation s’y prêterait. Mon portable vibra de nouveau.
Cruz : Lundi, tu as cours jusqu’à 18 heures ? C’est ça ?
Moi : Oui, ensuite je peux aller chez Gillian. Elle est au courant pour nous deux… Je pourrais
prétexter que cela m’arrange d’aller bosser chez elle après les cours, plutôt que de perdre mon
temps dans le métro pour revenir jusqu’ici. Du coup, je resterai dormir chez elle.
J’interdis à mon cerveau de s’égarer sur une voie torride. Cruz mit quelques secondes à répondre.
Son texto arriva enfin. Très bref.
Cruz : OK.
Une réponse qui ne m’aida pas du tout à déterminer ce qu’il pensait de mes combines. Je réprimai un
soupir. Puis j’hésitai, mais ne résistai pas au besoin de savoir ce qu’il prévoyait de faire.
Moi : Tu sors ce soir ?
Je me rongeai les ongles en attendant son texto, ce qui parut prendre un temps fou.
Cruz : J’irai faire un tour au Nine avec Zack et Ryder. On se fera un billard.
J’essayai d’étouffer la jalousie en moi, alors que j’imaginais plein de filles sexy rôdant autour de lui. Je
dus inspirer profondément.
J’avais confiance en lui ! Jamais il ne me ferait de mal ! Du moins, pas volontairement !
Moi : OK ! On s’appelle après ?
Cruz : Un peu, mon neveu !
Une réponse aussi impérieuse me soulagea et lâcha une nuée de papillons dans mon ventre.
Moi : Passe une bonne soirée.
Cruz : Toi aussi, chica.
Chica… j’allais fondre sur place.
Avec un soupir, je m’assis sur mon lit et fixai ses textos. Au bout de quelques secondes, je me frottai le
front, un gros coup de fatigue mentale semblant s’abattre sur moi. J’avais l’impression de marcher sur un
fil, en équilibre précaire. Chassant cette impression désagréable, je me secouai pour bouger mes fesses
avant que quelqu’un (Knox par exemple) ne vienne voir ce que je fabriquais. Je descendis au salon.
Dans le quart d’heure suivant, ma mère servit le café tandis que ma tante coupait le framboisier qui
avait l’air délicieux au demeurant. Je soufflai les bougies. On mangea du gâteau ; on but une coupe de
champagne ; on discuta de tout et de rien ; on rit. En bref, on passa un excellent moment en famille. Plus
tard, avant de partir au resto, mon frangin me tendit les clefs de sa Mustang avec un clin d’œil et mon
couinement strident le fit bien rire.
Jailyn grimpa à l’arrière, le visage amusé. Je réglai le siège avant de démarrer et pris mon pied avec
cette petite bombe, tout en restant cependant prudente. Au volant de sa voiture, ma mère, en compagnie
de tante Anna, nous suivait. Knox ne fit aucun commentaire sur ma façon de conduire. Sa copine l’avait
bien dressé ! Bravo. Devant le resto, je lui tendis ses clefs avec un sourire radieux.
— Merci.
Il me rendit mon sourire, visiblement heureux de m’avoir procuré ce petit plaisir. Ma gorge se noua et je
me détournai très vite pour qu’il ne remarque pas mon émotion, les remords se transformant en un
tisonnier chauffé à blanc collé sur ma poitrine. On gagna le resto. Un serveur nous mena à notre table où
l’on prit place. Chase nous rejoignit assez rapidement. Quand il arriva, il serra la main de Knox, le genre
de poignée de main virile que les mecs se faisaient ; il planta une bise sur la joue de Jailyn, et m’attira
dans ses bras lorsque je me levai de ma chaise pour l’accueillir.
— Bon anniversaire, Bethany, avec un peu d’avance, souffla-t-il à mon oreille.
— Merci, frérot.
Puis il s’installa à côté de tante Anna. Notre frangin avait toujours été son chouchou. C’était comme si
elle avait perçu depuis longtemps sa sensibilité parfois à fleur de peau. Une petite préférence qui ne nous
avait jamais dérangés, Knox et moi. Au contraire, on l’avait souvent chambré à ce sujet. Le début de repas
se déroula dans une ambiance détendue. Chase et Knox s’adressaient même directement la parole de
temps en temps. Au dessert, j’entendis le rire de ce dernier alors qu’il consultait son portable.
— Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda Jailyn d’un air curieux. Je suis sûre que c’est Ryder.
Et là, j’aurais mieux fait de me boucher les oreilles à compter de cette minute.
— Tu ne te trompes pas. Il vient de m’envoyer une photo, il est au Nine avec Zack et Cruz.
Je dus me cramponner à ma chaise pour ne pas demander à voir le cliché. En mon for intérieur, je
pressentais que je n’aimerais pas du tout ce que je pourrais y découvrir. Mais un démon me poussa à
écouter la suite, les oreilles grandes ouvertes en plus.
— Quoi comme photo ?
Je ne savais pas si j’avais envie d’embrasser Jailyn ou de la faire taire.
— Trois nanas qu’ils ont repérées au bar. Il me demande de les noter.
Non, je n’allais pas lui arracher le téléphone des mains ! Mais Jailyn faillit s’étouffer. Zack et Ryder les
avaient repérées, pas Cruz ! m’entendis-je penser à travers le bourdonnement de mes tempes.
— Il te demande quoi ?! s’exclama-t-elle, scandalisée. Bon sang, il a de la chance que je l’adore ! Mais il
va m’entendre !
Avec un sourire, Knox glissa son bras autour de ses épaules pour l’attirer contre lui.
— Il n’est pas complètement fou ! Enfin parfois, je me pose quand même des questions ! Regarde, il me
demande aussi ton avis, évidemment.
Chase se retenait de rire. Ah, il trouvait ça marrant !? Cet idiot choisissait bien son moment pour avoir
soudain un grand moment de complicité avec Knox. Je bus une gorgée d’eau, la main crispée autour de
mon verre alors que Jailyn jetait un œil sur cette satanée photo. Une litanie monta en moi : Cruz jouait le
jeu de Ryder, tout simplement, parce qu’il ne pouvait pas faire autrement !!! Bon sang, il se fichait de ces
filles ! Il donnait le change !
Facile à dire, difficile à avaler.
Ces paroles chaotiques rebondissaient dans mon cerveau comme des balles de ping-pong. Pourtant, je
m’étonnai moi-même dans les secondes suivantes, lorsque je réussis à prononcer d’une voix plus ou moins
amusée :
— Je peux la voir ?
Un miracle !
Mon frère me tendit son portable et la poitrine oppressée, je le saisis avec prudence, comme s’il allait
me mordre. Mon regard se porta sur… trois nanas : une fausse blonde, deux brunes, maquillées, robes
moulantes, minis, décolletés, cheveux lisses. L’artillerie lourde. La jalousie me submergea d’un coup, mais
je devais avoir ingéré un antidote puissant, car je rendis le téléphone à Jailyn avec une simple remarque.
— Tu leur donnerais quoi comme note, toi ?
Et je rajoutai avec une parfaite mauvaise foi, faisant honte à la gent féminine libérée et sexy qui se
battait depuis des décennies :
— Moi, deux sur dix chacune. Un, car elles ont le bon goût de boire un mojito et pas de la bière, et
j’augmente leur note à deux, car elles ont l’air de bien soigner leurs dents.
Il y eut un gros blanc avant que Chase n’explose de rire, suivi de toute la tablée. Knox secoua la tête en
me regardant, les épaules agitées tant il se marrait. Tante Anna et ma mère en pleuraient.
— Leurs dents… Bethany, voyons, lâcha cette dernière, dans son rôle d’adulte mature, mais sans grande
conviction.
Elle était encore hilare.
— Suis entièrement d’accord avec cette note, répondit Jailyn une fois calmée, et gagnée par la même
mauvaise foi.
Allez… nous aussi on aimait être sexy quand on sortait. Ces filles n’avaient rien de vulgaire en plus,
mais je n’allais pas le reconnaître.
— Je peux voir… leurs dents ? demanda Chase, les yeux amusés.
Ma mère eut une expression faussement désespérée.
— Mon Dieu, quelle génération !
Ma tante lâcha un reniflement sarcastique.
— À qui le dis-tu !
— Réponds-lui ! lança Knox à Chase en lui tendant son portable.
Mon frère le prit et contempla la photo. Il haussa les sourcils.
— Deux ? Vous êtes dures, les filles.
C’est bien un mec, pensai-je, toujours en proie à cette très mauvaise foi ! Mais Chase avait un œil
d’artiste et son avis ne s’arrêta pas là. La suite ? Une horreur.
— La blonde pourrait être le type de Zack, la brunette celui de Ryder et la plus typée, c’est la came de
Cruz.
Un poignard dans mon cœur.
Oui, ce fut comme un poignard planté au milieu de mon cœur. Je baissai rapidement les yeux vers mon
assiette pour masquer ma réaction alors que la douleur vibrait dans chaque parcelle de mon corps. Sur le
moment, j’eus envie de leur hurler la vérité, mais je parvins à me retenir de toutes mes forces. Ma gorge
parut enfler, remplie de mots que je ne pouvais expulser. Comment réussis-je à rester assise sur ma
chaise avec un calme apparent ? Décidément, je battais tous les records de self-contrôle. Je vis mon frère
taper un truc sur le portable mais je ne sus pas quoi. Puis, il le rendit à Knox qui découvrit sa réponse.
Celui-ci eut un petit rire qui me dressa les poils sur les bras avant de jeter un coup d’œil amusé à Chase
dont les lèvres se retroussèrent en un sourire en coin.
— Il va foncer, là.
Ferme tes oreilles, Bethany !
Ferme-les !
À cet instant, le serveur vint nous proposer des cafés. J’avais bien besoin d’en boire un, voire dix. À mon
grand soulagement, la conversation reprit, mais sur un autre sujet. Plus tard, Knox s’éclipsa soudain avec
ma mère et lorsqu’ils revinrent, tous deux portaient dans leurs mains des paquets joliment emballés. Je
souris avec une joie sincère, ne voulant pas gâcher cette soirée, alors qu’on fêtait mon anniversaire en
famille pour la première fois depuis longtemps, me raccrochant à la pensée que je faisais confiance à
Cruz ! Même si je n’avais qu’une envie : foncer au Nine.
Je déballai mes cadeaux.
Jailyn et Knox m’offrirent un très beau bracelet ; ma mère, un pull ivoire d’une matière très douce ; tante
Anna, un assortiment de bougies. Chase sortit un rouleau blanc de son sac à dos qu’il trimballait toujours
avec lui. Quand je déroulai la feuille, j’eus un cri émerveillé, et je lui pardonnai instantanément les
paroles qui m’avaient fait mal. Bien sûr, il n’y avait rien à pardonner à une personne qui n’était pas au
courant de vos secrets. Je ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même ! Je vidai mon esprit fatigué pour
admirer son superbe croquis. Il avait créé une scène bonus en s’inspirant des héros d’un manga que
j’adorais.
— Waouh, Chase… c’est tellement beau…
Jailyn s’extasia à son tour et je surpris Knox lancer un regard indéfinissable à notre frangin. Mais son
visage, lui, ne masquait pas toute la fierté qu’il éprouvait en cet instant devant tant de talent. Il avait
toujours cru en lui.
— Merci.
Chase se rassit sur sa chaise, un peu gêné. Il avait toujours eu du mal avec les compliments,
particulièrement sur ses dessins. La soirée se termina peu après. Jailyn et Knox repartirent à Manhattan
et je promis de passer les voir à mon tour. Chase, qui avait convenu de faire un saut chez un copain en
revenant du resto, regagna sa voiture. Quant à moi, je m’installai à l’arrière du véhicule de ma mère, le
cœur lourd, cette photo du Nine imprimée en moi.
Dans ma chambre, je m’affalai sur mon lit. Indécise, je pris mon portable entre mes mains, hésitai
encore, les yeux fixés sur l’écran, avant de le reposer finalement sans taper le moindre message.
Chapitre 21

Cruz

Putain, il avait envoyé la photo, ce con ! Et le con que j’étais avait oublié de recharger son téléphone qui
était HS. Impossible de joindre Bethany, de lui transmettre discrètement un message. Le rire de Ryder me
parvint aux oreilles alors que ma main restait toujours crispée sur ma bouteille de bière.
Je me sentais nerveux, pas bien, coupable d’un truc que je n’avais pas commis. Je tentai de respirer à
fond pour faire disparaître cette crampe à mon estomac. Bon sang ! Je n’avais qu’une envie : foncer chez
moi pour recharger ce putain de portable.
— C’est Chase qui vient de répondre à la place de Knox. Les mecs, il nous dit que c’est du lourd, là.
Je bus une gorgée qui, par miracle, ne resta pas coincée dans ma gorge. Zack rigola, son regard coulant
vers les trois nanas. Je le sentais partant. Je le connaissais depuis pas mal d’années et remarquai que la
petite blonde lui plaisait. Putain ! Faites qu’ils ne les invitent pas à notre table ! C’était au-dessus de mes
forces de jouer le jeu. Soudain, Ryder me fixa curieusement.
Je levai un sourcil.
— J’ai demandé si ça allait ?
Ah, OK, il m’avait déjà causé.
— Ouais…
Réponse très élaborée.
— T’as l’air d’avoir avalé un truc avarié, insista-t-il.
J’eus un haussement d’épaules dégagé.
— Ça va !
Ses yeux me sondèrent durant quelques secondes. Un laps de temps qui me rendit mal à l’aise.
— Elles ne te plaisent pas ?
Bordel, il allait me lâcher avec ces gonzesses ?! Je fis un effort pour ne pas répondre sèchement.
— Ça va !
Ah, j’avais du vocabulaire ce soir !
Zack me dévisagea d’un air attentif que j’ignorai. Me mettre dans la peau du mec ouvert, m’embarquer
sur une voie dangereuse, risquer de me retrouver avec une nana dont j’aurais du mal à me débarrasser
par la suite ? Non, merci ! Et vu les regards éloquents qu’elles nous jetaient, on était au menu de la
soirée.
— T’es aveugle ou quoi ? s’exclama Ryder, la mine éberluée.
Il fronça les sourcils.
— T’es sûr que ça va ? Ça fait un bout de temps que je ne t’ai pas vu lever une meuf, quand j’y pense.
— Pourquoi, tu tiens des comptes ? ripostai-je, un brin énervé. Il y a des mecs qui travaillent toute la
semaine, qui ne roupillent pas la majeure partie de leur journée sur les bancs d’une fac et qui rentrent
crevés du boulot.
OK, il était temps de me calmer. Avant qu’il ne puisse réagir, je me levai.
— C’est ma tournée.
Je m’éloignai, sentant le poids de leurs regards. Il fallait que je me reprenne, sinon ils allaient renifler
un truc pas net. Si ce n’était pas déjà fait. J’inspirai profondément en m’approchant du bar. Clayton, l’un
des barmans, m’accueillit avec un sourire.
— Salut, mec.
On se fit un check.
— Salut, trois bières, s’il te plaît.
— Ça marche.
Je papotai avec lui, de sport principalement. C’était un gars que j’appréciais beaucoup, pro, efficace et
la tête sur les épaules. La tension nerveuse qui m’habitait s’évanouit peu à peu. Puis, je revins vers notre
table et y déposai les bières, soulagé que les nanas soient toujours à la même place. En pensant à la
photo, ma poitrine fit un autre twist.
Bethany ne l’avait peut-être pas vue ? Mais si c’était Chase qui avait répondu… je craignais fort qu’elle
n’ait fait le tour de la table. Dès que je rentrerais, je l’appellerais illico. Je ne pouvais pas décamper
maintenant sans attirer l’attention de Ryder qui commençait à se poser quelques questions. Et de toute
façon, Bethany était encore au resto. Je m’assis tranquillement.
— Au fait, lâcha Zack, je disais justement à Ryder que l’un de mes clients louait son chalet près de la
station de Windham Moutain à un prix intéressant. J’en ai discuté dernièrement avec lui. Il travaille pas
très loin du studio. Il m’a dit qu’il pouvait me le réserver le week-end suivant la Saint-Valentin. Knox
pourra être de la partie.
— Oui, on en avait parlé, il y a quelques semaines, je me souviens.
J’aurais tellement aimé que Bethany puisse venir avec nous ! Ce désir, très simple en soi pour tout
couple normal, me noua les entrailles. Cette situation devenait de plus en plus difficile. Bon sang, il fallait
qu’on dise la vérité à Knox ! Mais pour la première fois, cette pensée tordit mon estomac d’un bon coup
de manivelle. Une drôle de réaction que je n’avais jamais eue jusqu’ici.
Comment allait-il le prendre ?
— Ça irait pour toi ? me demanda Zack.
Masquant ma nervosité, je revins à la conversation.
— Oui…
Et plus conciliant, je me tournai vers Ryder. Après tout, le bougre n’y pouvait rien si j’étais un peu à
fleur de peau.
— Et toi, vieux ?
Il eut un sourire qui soulagea ma conscience.
— Toujours partant, tu le sais bien.
J’eus un reniflement ironique.
— Ouais, je le sais !
Il rigola et la petite tension qui était née entre nous s’évapora.
— Ça vous dit une autre partie de billard ? proposai-je.
Ryder jeta un coup d’œil hésitant vers les nanas.
— OK… répondit-il finalement.
Sur ce, on se dirigea vers la salle annexe. On était chanceux, car une table se libéra juste à notre
arrivée. Plus tard, je vis les gonzesses du bar apparaître. Bien sûr, Ryder sauta sur l’aubaine quand elles
passèrent (par hasard ?) près de nous. Pour sa part Zack, malgré la partie en cours, se mit à discuter avec
elles, plus particulièrement avec la blonde. Ce qui ne m’étonna guère, vu les regards qu’il lui avait
décochés. En proposant un billard, je m’en étais d’ailleurs presque voulu d’avoir cassé son coup.
Apparemment, tout n’était donc pas perdu pour lui, pas plus que pour Ryder. Direct, celui-ci avait entamé
un jeu de « séduction » du genre : « Retrouve-moi dans les toilettes dans cinq minutes pour me sucer ».
Mais ça avait l’air d’être du goût de la fille. Je le vis lui chuchoter à l’oreille quelque chose qui la fit
glousser.
Je retins un soupir, conscient des coups d’œil très intéressés que me lançait leur copine. Il y a quelques
mois, j’aurais foncé. Maintenant, Bethany occupait chacune de mes pensées. Toutes les nanas
paraissaient bien fades à côté d’elle et il y avait tant d’autres choses que je ressentais envers ma petite
blonde ! Toutefois, je me forçai à échanger quelques paroles sympas avec la laissée-pour-compte. Cette
gonzesse n’y pouvait rien, et elle semblait même intéressante.
À la fin de la partie, quand un coup d’œil à la pendule suspendue sur un mur m’avertit que je pouvais à
présent me tirer, je remerciai le ciel d’avoir eu le flair de prendre mon pick-up.
— Hé, les mecs, je vous laisse, j’y vais !
— Ah bon ? lança Ryder d’une voix très étonnée, en jetant un regard en biais vers la troisième nana.
— On se voit demain !
Pour Zack, l’affaire semblait pliée. Ryder, lui, se démerderait avec les deux autres. Avec un peu de
chance, les brunettes étaient adeptes des plans à trois. Il avait un don pour les attirer.
Donc en plus, je lui rendais peut-être service !
Si je n’avais pas été aussi à cran, cette pensée délirante aurait pu me faire rire. Je me cassai vite fait. Il
y avait de fortes probabilités pour que mes potes trouvent très étrange la rapidité avec laquelle je me
barrais, mais je m’en fichais comme d’une guigne. Je n’avais qu’un but : entendre enfin la voix de Bethany
et désamorcer la bombe si nécessaire.
Quand j’atterris dans mon pick-up, je mis immédiatement mon téléphone en charge et démarrai avec
une boule au ventre. La nervosité m’envahit jusqu’à atteindre un pic. Soudain, d’un coup de volant brutal,
je pris la direction du pont de Brooklyn.
Il fallait que je la voie.
C’était impératif, comme le besoin de respirer. J’avais besoin de lui parler, de la rassurer et, surtout, de
la tenir dans mes bras.
J’en avais mal physiquement.
Dingue.
Les mains crispées sur le volant, j’avalai les miles qui me séparaient d’elle. Le trajet fut rapide à cette
heure de la nuit ; pourtant, j’eus l’impression qu’il avait duré des heures lorsque j’arrivai enfin dans sa
rue. J’allai me garer plus loin que sa maison avant de l’appeler. Le cœur battant, j’attendis qu’elle
décroche. Là encore, j’eus l’impression que cette attente dura des siècles. Bethany prit enfin l’appel.
— Cruz…
Quand elle prononça mon prénom, j’entendis la prudence dans le ton de sa voix, et une certaine
vulnérabilité. Je sus qu’elle avait vu la photo ; je sus que j’avais bien fait de venir.
— Je suis garé dans ta rue.
Son silence fut parlant : elle ne s’y attendait pas. Si elle refusait de me donner une chance de lui
expliquer, JURÉ, j’irais tambouriner à sa porte, quitte à réveiller tout le quartier, ou je grimperais jusqu’à
sa fenêtre au risque de me rompre le cou.
— J’arrive, répondit-elle.
Soulagé, je raccrochai. L’air s’échappa de mes poumons. Des litres. Je descendis du pick-up pour la
guetter. Elle apparut quelques minutes plus tard. Je la dévorai des yeux tandis qu’elle approchait dans la
nuit, emmitouflée dans son manteau gris et un châle beige. Son pantalon de jogging rose flashy, avec de
larges rayures blanches sur les côtés, m’aurait fait sourire en d’autres circonstances. Son regard se
verrouilla au mien dans une ambiance électrique.
La première chose que je remarquai fut son visage fermé. Une sourde angoisse monta en moi. Jamais je
n’avais ressenti cette peur au ventre ; ce qui était assez fou, car je n’avais rien à me reprocher. Je la
contemplai, notant malgré mon cerveau en vrac à quel point elle était canon, sans maquillage, ses mèches
blondes cascadant sur ses épaules. Avant qu’elle ne puisse dire un mot, je débitai à toute vitesse :
— Il ne s’est rien passé avec ces filles !
D’une voix extrêmement rauque.
Elle eut un petit haut-le-corps, surprise que j’attaque d’emblée sur ce sujet.
— Tu sais comment est Ryder, continuai-je, respirant à peine entre deux syllabes, comme si mon temps
était minuté. Il a pris cette photo et l’a envoyée direct à ton frangin. Je n’ai même pas eu le temps de
réagir.
Elle était loin, trop loin de moi !
— J’ai voulu t’appeler, mais mon téléphone était HS. On a fait un billard… je m’en foutais de ces filles.
Il fallait que je la prenne dans mes bras !
Je ne supportais plus cette distance !
Dans le champ de mes pensées chaotiques, j’avais conscience que mon discours était très décousu. Mais
j’avais aussi une peur panique de lui avoir fait du mal involontairement et qu’elle se soit mis une tonne
d’idées fausses en tête.
Je la dévisageai en silence, essoufflé, tandis que mes mains me picotaient d’une façon démentielle.
Cette distance me tuait. Je la voulais dans mes bras, bordel !
N’y tenant plus, je crois que je fis un mouvement… Mais soudain, elle se retrouva tout contre moi. En
une fraction de seconde, je compris qu’on avait avancé au même instant quand nos lèvres se cherchèrent
désespérément, se soudèrent comme si nos vies étaient en jeu. Ma main s’enfonça dans ses cheveux et se
referma en un poing ; mon bras encercla sa taille dans un étau de fer pour presser son corps contre le
mien. Dans le baiser qu’elle me rendit, je sentis que les dernières heures avaient été très difficiles et je
m’en voulus une nouvelle fois. Mais j’étais incapable de décoller ma bouche de la sienne pour tenter de le
lui dire avec des mots. Ma langue affamée plongea en elle pour la posséder toujours plus profondément.
Elle, elle, elle, rien qu’elle !
— Bethany…
Entre deux baisers, des syllabes commencèrent à s’échapper de ses lèvres.
— Je sais, Cruz, murmura-t-elle, son souffle se mêlant au mien… Je sais…
— Je veux que tu me fasses confiance.
Cette phrase réussit à être cohérente entre deux patins.
Je l’embrassai encore et encore, inclinant sa tête sur le côté pour pouvoir envahir sa bouche jusqu’à ce
qu’elle ne sache plus si elle tenait encore sur ses pieds. Et il m’en fallait toujours plus.
J’avais un besoin viscéral de sentir sa langue s’enrouler autour de la mienne, de sentir qu’elle me voulait
de tout son être. Au bout d’un temps infini, je décollai lentement mes lèvres et posai mon front sur le sien,
mon torse se soulevant et s’abaissant à un rythme presque inquiétant. Sa respiration à elle ne valait pas
beaucoup mieux.
— Ça a été dur, avoua-t-elle dans un murmure, ses bras cramponnés autour de ma nuque. Je ne le nie
pas. Mais je voulais te faire confiance, Cruz…
Voulais.
Même si cette tournure me fit un peu mal, j’arrivai à saisir ses peurs les plus profondes. À moi de la
rassurer, comme je me l’étais déjà promis. Et ce soir plus que jamais.
— Jamais je ne te ferai du mal, du moins volontairement… Tu entends, Bethany ? C’est toi que je veux,
c’est toi. Toutes les autres, je m’en fous !
Elle dut capter un truc dans l’intonation de ma voix qui parut se fêler, car elle resserra ses bras autour
de mon cou.
— Je sais, Cruz. C’est à moi de savoir faire face à mes craintes. Mais j’ai encore l’impression que, toi et
moi, c’est miraculeux, que je vais me réveiller d’un merveilleux rêve. Que tu vas…
— Non, la coupai-je avec une force phénoménale, en me redressant d’un coup pour plonger mes yeux
dans ses billes.
Je n’allais pas la laisser aller plus loin.
— Non, répétai-je de toutes mes tripes. Je ne vais pas soudain me dire que, toi et moi, c’était une erreur.
Je ne vais pas soudain avoir envie de me taper une nana plus expérimentée. Je ne vais pas soudain avoir
envie d’aller voir ailleurs… Je ne vais pas ! OK ?! Je ne vais pas ! Je ne vais pas ! répétai-je avec une rage
qui ne provenait pas d’un sentiment de colère, mais d’un besoin vital de lui faire comprendre...
Vu son silence, j’avais tapé dans le mille. Impressionnée, elle me regarda, immobile comme une statue,
avant que ses traits ne se transforment et me montrent à quel point mes paroles la bouleversaient. Puis,
glissant ses bras autour de ma taille, elle pressa tout à coup son visage contre ma poitrine.
Et elle me serra, serra, serra… le corps tremblant.
Et j’en fis de même, plongeant mon nez dans ses cheveux, la collant contre moi à l’étouffer.
On resta ainsi enlacés un long moment, deux silhouettes solitaires figées dans la nuit. Je ne voulais pas
la perdre. Bon sang ! J’en deviendrais fou. Cette pensée éclata subitement dans mon cerveau.
Alors, ce fut peut-être cette certitude dont j’avais eu un avant-goût au Nine – ces quelques secondes,
lorsque mes méninges avaient paniqué, lorsque j’avais réalisé en un claquement de doigts ce que Ryder
venait de faire et où j’avais imaginé le pire avec Bethany – qui bloqua les paroles au fond de ma gorge.
Car… pour mon esprit très malmené, voire chaotique, Knox semblait soudain incarner un grand
danger… cette soirée avait vraiment ébranlé quelque chose en moi.
Dans quelques jours, cela irait mieux ! me dis-je.
Dans quelques jours, j’aurais cette discussion avec Bethany.
Pas ce soir, elle n’était pas en état. Moi non plus, visiblement.
Quand je me redressai lentement, elle leva la tête vers moi. Je pris en coupe sa mâchoire, mon pouce
caressant sa joue en petits cercles. Au même moment, ma cage thoracique sembla gonfler jusqu’au point
de rupture. Doux Jésus, cette nénette avait le pouvoir de me retourner comme une crêpe. Elle sourit et
mes yeux se noyèrent dans les siens, si lumineux.
Je n’avais pas envie de la quitter ! Cette autre pensée caracola aussi en moi. Dans la foulée, j’allais la
supplier qu’on aille chez mon oncle sans vraiment réfléchir aux conséquences si on découvrait son
absence, mais son portable se mit à vibrer dans la poche de son manteau. Elle le prit, le front plissé.
— Merde, c’est Chase !
Je sentis mon corps se raidir, alors qu’elle décrochait. Elle écouta son frère. De mon côté j’entendais
seulement sa voix au loin, sans pouvoir comprendre ce qu’il baragouinait.
— Non, je suis juste allée faire un tour dehors. J’avais mal à la tête, j’avais besoin de prendre l’air. J’ai
peut-être abusé du champagne, plaisanta-t-elle avec un rire forcé. Je rentre, là…
— …
— Mais non, je suis restée dans le coin. J’arrive.
Il balança un dernier truc qui lui fit lever les yeux au ciel, puis elle raccrocha. Son nez adorable se
fronça en une petite grimace.
— C’est ma faute. J’ai oublié d’éteindre ma lampe de chevet avant de sortir. Chase est rentré, il a vu de
la lumière sous ma porte et il a cru que j’étais encore réveillée. Il a frappé. Bien sûr, il ne m’a pas trouvée
dans ma chambre et il m’a cherchée dans toute la maison…
Ouais, je voyais le topo.
— OK, rentre avant qu’il ne rapplique ici.
Ce n’était pas ce que j’avais envie de lui dire, mais Chase ne me laissait pas le choix. Bethany se mit sur
la pointe des pieds et posa un baiser sur mes lèvres. Mon bras encercla immédiatement sa taille et je le
prolongeai, la pressant contre moi pour un patin rapide mais intense.
— Lundi, je viens te chercher chez Gillian, dis-je en la relâchant à contrecœur.
Je dus serrer les poings le long de mes cuisses pour m’empêcher de la retenir.
— D’accord.
Ce dimanche, elle avait prévu d’aller voir Ashley, car la mère de Zack nous avait invités à déjeuner,
Ryder et moi. Je n’avais pas pu refuser.
— À lundi.
Elle s’éloigna de quelques mètres avant de me faire un dernier signe, avec un sourire chaleureux sur ses
lèvres qui me fit un bien fou après le stress des heures précédentes. De l’endroit où j’étais retranché, je
pus ensuite la suivre des yeux jusqu’au niveau de sa maison. Quand je fus certain qu’elle était rentrée, je
grimpai rapidement dans mon pick-up.
Lundi paraissait être à une année-lumière.

Non, lundi avait été à des années-lumière. Dans l’après-midi, j’étais tellement impatient de voir Bethany
que je fus incapable de me concentrer à cent pour cent sur mes clients. En temps normal, lorsque j’étais
en pleine séance de tatouage, je m’immergeais dans mon monde et rien ne pouvait m’en sortir. Eh bien…
Bethany réussit à le faire un nombre de fois alarmant jusqu’à ce que je me mette un bon coup pied au cul.
La veille, chez ses parents, Zack m’avait déjà lancé un regard pénétrant, sans revenir toutefois sur la
soirée de samedi. Si je merdais aujourd’hui avec un client (du jamais vu !), il n’aurait de cesse de
m’arracher les vers du nez.
De mon côté, je ne lui avais pas posé de questions sur la petite blonde, préférant ne pas mettre sur le
tapis mon comportement un peu étrange. Néanmoins, j’étais pratiquement certain qu’il avait conclu avec
elle. Mais Zack n’était pas le genre de type à se vanter de ses conquêtes.
Ryder, lui, c’était une autre histoire.
Dimanche, à la première heure, il m’avait envoyé un SMS pour me dire qu’il avait failli louper son coup
à cause de mon départ prématuré, la fille qui l’intéressait ne voulant pas laisser tomber sa copine.
Apparemment, le plan à trois était tombé à l’eau, mais avec sa grande gueule, il avait réussi à se
débarrasser de la seconde nana et à ramener l’autre brunette dans sa piaule. Et comme elle vivait dans le
Queens, il l’avait reconduite à son appart avant de se pointer chez les parents de Zack.
Dans un deuxième texto, il l’avait notée huit sur dix ; toutefois, il ne comptait pas la recontacter bien
qu’elle lui ait glissé son numéro de téléphone. Huit, c’était la note maximum qu’il donnait à ses très bons
coups. Même Jacinta (il ne l’avait pas revue et j’en étais plutôt soulagé) n’avait eu droit qu’à un neuf.
Cette pensée m’arracha un sourire plein d’ironie.
Elle en aurait été verte si elle l’avait su.
Après une journée pas triste, l’heure de la fermeture arriva enfin et je ne m’attardai pas. Zack était parti
plus tôt, car il avait rendez-vous avec un fournisseur. Quant à Chase, il était en grande discussion avec
Madison au moment où je m’apprêtai à quitter le studio.
— Hé, Chase, ça te dit d’aller manger un morceau ? demandait cette dernière alors que j’atteignais la
réception.
— Oui, je suis partant.
Je passai devant le comptoir et les entendis porter leur choix sur un resto sushi. Vu la situation
compliquée avec Bethany, je ne peux pas dire que j’étais très à l’aise vis-à-vis de Chase, néanmoins je
réussissais dans l’ensemble à discuter et à me comporter normalement avec lui. On avait de bonnes
relations, mais le fait que je ne sois pas aussi proche de lui que de son frère aidait certainement. Avec
Knox au contraire, les remords devenaient mon pain quotidien.
À quelques pas de la porte, je lâchai sans m’arrêter :
— À demain !
— À demain, Cruz, lancèrent-ils en chœur en répondant à mon signe de la main.
Chapitre 22

Cruz

Je récupérai rapidement mon pick-up.
Je fis tout d’abord un saut éclair à l’appart pour me doucher et me changer. J’avais réservé une petite
surprise à Bethany pour son anniversaire. Dans ma chambre, j’enfilai l’un de ses tee-shirts préférés, un
Henley blanc avec un col en V, un jean propre, puis je nouai sur ma tête un bandana rouge, porté de la
même façon qu’un doo-rag. Enfin, je mis mon blouson en cuir, puis saisis mon portable et mon portefeuille
que je glissai dans une poche. Je croisai Knox entre deux portes avant de prendre la tangente. Il
paraissait aussi pressé que moi, tant mieux.
Lorsque j’arrivai devant l’immeuble de Gillian, Bethany m’attendait dans le hall. À peine garé, je la vis
sortir immédiatement d’un pas très rapide et, dans les derniers mètres, elle courait presque. Un sourire
se dessina sur mes lèvres, une belle chaleur se propageant dans ma poitrine. Elle semblait aussi
impatiente que moi. Ma blondinette grimpa… et là… elle réussit à me clouer sur mon siège, alors que je
n’avais qu’une envie : me jeter sur elle.
Bon Dieu…
Elle me dévora des yeux, ses prunelles brûlantes s’attardant sur mon bandana. Vu sa réaction, je ne
regrettai pas d’avoir pris une demi-heure pour me changer. Puis d’un mouvement brusque, elle se jeta sur
moi et je bougeai enfin mes fesses, mes bras encerclant sa taille.
On se roula une de ces pelles !
Une pelle qui se prolongea, encore et encore.
Une pelle qui aurait pu mettre le feu au quartier entier.
Une pelle si torride qu’elle aurait pu nous faire condamner pour outrage public à la pudeur, nos langues
tellement goulues que c’en était épique.
Mais je m’en foutais... Je faisais un gros fuck à tous ceux à qui ça posait problème.
— J’adore quand tu portes ton bandana, surtout comme ça, souffla-t-elle contre ma bouche. Avec tes
cheveux ondulés, ça rend super bien.
Parfois, je le mettais uniquement autour du front, mais le nouer façon « doo-rag » était mon style
préféré. Si, en plus, Bethany adorait…
— C’est bon à savoir, répondis-je, la respiration pantelante.
J’écartai un peu mon visage pour la contempler, mes mains sur ses hanches. Elle me mangeait encore
des yeux avec cette lueur d’admiration. Ah, jamais je ne me lasserais de ses regards !
— T’es trop hot, Cruz…
J’eus un énorme sourire : j’aimais sa spontanéité.
Rectification immédiate : j’adorais sa spontanéité.
— Tu as toujours occupé une bonne place dans mes fantasmes d’ado.
Elle s’arrêta net, car elle parut réaliser ce qu’elle venait de dire, et rougit comme une pivoine. Mon
sourire idiot parvint à masquer ma nouvelle envie de taper des poings sur mon torse comme un primate.
— Tes rêves ? Tes fantasmes ? Intéressant… réussis-je à répliquer d’un ton détaché.
Elle pouffa.
— Tu le sais très bien à l’heure qu’il est.
— Oui, mais j’ai envie de l’entendre, j’adore l’entendre…
Un coin de ses lèvres se retroussa.
— OK… j’ai dû rêver de toi ou fantasmer sur toi, une ou deux fois…
— Une ou deux fois, répétai-je en articulant lentement d’un air très sceptique.
Elle luttait à présent pour réprimer son sourire.
— Peut-être un peu plus, convint-elle, voire beaucoup, beaucoup, beaucoup plus !
Je restai sérieux et rajoutai :
— Seulement une bonne place dans tes fantasmes ?
Ouais, j’étais devenu le mec qui souffrait d’une nouvelle maladie : le « jamais assez ». Un vrai glouton.
— OK… tu as toujours été à la première place.
Putain, qu’est-ce que j’aimais l’entendre dire que j’avais été celui qui avait occupé toutes ses pensées
depuis des années !
— Content ?
Elle plissa son nez en une petite grimace craquante.
J’éclatai de rire, puis me penchai pour lui donner un baiser bref. Oui, bref, sinon, on n’allait jamais
décoller d’ici. Mais je pris toutefois quelques secondes de plus afin de lui souhaiter son anniversaire,
même si ce matin, je l’avais déjà fait par téléphone, dès mon réveil. Je la dévisageai et lui chuchotai
tendrement :
— Bon anniversaire, ma puce.
Ses yeux s’illuminèrent comme les enseignes de Times Square. Cette fraîcheur en Bethany me faisait
toujours un effet terrible. Il suffisait d’un rien parfois, d’une petite phrase, d’une légère attention, d’un
geste tendre pour qu’elle me donne l’impression que je venais de dire ou de faire quelque chose
d’extraordinaire. Dans ces moments-là, je me transformais soit en Léonardo Di Caprio avec son fameux
cri I am the king of the world, soit en un genre de pudding tout dégoulinant (oui, rien de poétique, mais
c’était ce qui se rapprochait le plus de mon sentiment).
Une chose était sûre : j’étais le plus chanceux et heureux des mecs.
— Merci.
On se sourit encore avant que je ne l’embrasse légèrement, puis je démarrai enfin.
— Alors, qu’est-ce que tu as prévu ? me demanda-t-elle gaiement, tandis que je m’engageais dans le flot
de la circulation.
— D’abord un petit resto pour fêter ça, et ensuite… continuai-je d’un ton mystérieux.
Elle me fixa, dans l’attente : l’impatience se lisait sur son visage. Je finis abruptement.
— C’est une surprise !
Son rire cristallin se répandit dans l’habitacle.
— OK, j’adore les surprises !
En fait, j’en avais deux, dont l’une en seconde partie de soirée.
Pour la première, je pris la direction de Times Square, me sentant nettement mieux que l’avant-veille.
Cette histoire de photo était définitivement derrière nous. Un bon quart d’heure plus tard, je débouchai
dans l’enfer d’un des endroits les plus connus au monde, mais, comme un de mes clients les plus fidèles
m’avait refilé sa carte de parking pendant son déplacement à Chicago, je pus me garer pas très loin du
Hard Rock Café.
Je savais que Bethany adorait cet endroit et qu’elle n’y était pas venue depuis des lustres. Son regard
pétilla lorsqu’on arriva devant l’entrée, main dans la main. Elle se mit sur la pointe des pieds pour poser
un baiser tendre sur ma joue. Mon bras glissa autour de sa taille, et je la serrai contre mon flanc.
— Merci, chuchota-t-elle.
On poussa les portes.
Même si le resto était immense et très rock’n roll, l’ambiance se révélait vraiment conviviale. On se
retrouva vite assis à une table de deux personnes avant qu’un serveur ne prenne notre commande dans la
foulée. Pour l’occasion, on commença par un apéro, deux mojitos. Mon regard en profita ensuite pour
glisser sur le haut sexy de Bethany, un petit pull moulant dont le décolleté en V laissait entrevoir la
naissance de ses superbes seins. Je me penchai vers elle tout en enroulant ma main autour de sa nuque
pour l’attirer vers mon visage.
— J’adore tes seins, chuchotai-je.
Elle frissonna.
— Tu es superbe, chica.
Nos lèvres se joignirent en un baiser langoureux, trop vite interrompu par un raclement de gorge
discret. On se sépara lentement et j’avisai le serveur qui souriait d’un air entendu.
— Vous avez fait votre choix ? demanda-t-il poliment.
Bethany, rougissante (craquante, bien sûr), indiqua ce qu’elle prenait et j’en fis autant. Le repas se
déroula dans une atmosphère à la fois lourde de tension sexuelle et très détendue. Parfois, ça crépitait
tant entre nous que j’étais obligé de freiner des quatre fers pour ne pas sauter sur elle ; parfois, on
déconnait ; parfois, on discutait sur des sujets plus sérieux.
C’est fou comme je me sentais bien avec elle, sacrément bien ! Souvent, je voyais ses pommettes se
colorer quand mes regards devenaient éloquents, et c’était un autre pied. Au dessert, ma main recouvrit
la sienne posée sur la table.
— J’ai adoré notre première nuit, lançai-je à voix basse.
Jusqu’à présent, je n’avais pas abordé le sujet. Et je ne l’abordais pas maintenant dans le but de la
rassurer à nouveau – si elle avait encore besoin de l’être par rapport à son inexpérience –, non, je le
faisais parce que j’avais vraiment envie de lui confier ce que j’avais sur le cœur. C’était important pour
moi, car elle m’avait fait un don précieux. Je la contemplai avec ce sentiment possessif qui grondait en
moi constamment. Tout m’attirait en elle : ses prunelles si claires, ses lèvres pleines, ses traits fins, ses
cheveux blonds. Elle était belle, mais dégageait en plus une aura envoûtante. Dans ces instants-là, j’avais
l’im​pression que mon cœur aurait pu jaillir de ma cage thoracique.
— Moi aussi, Cruz, j’ai adoré.
Elle me l’avait déjà dit au lit, mais j’aurais pu l’entendre encore des milliers de fois. Les symptômes de
la maladie « jamais assez » se confirmaient vraiment. Je me penchai vers elle, au-dessus de la table, mes
yeux se rivant aux siens.
— Merci de m’avoir offert ce merveilleux trésor… de m’avoir attendu, Bethany…
Bouleversée, elle me dévisagea avec une lueur émouvante au fond de ses prunelles, puis tourna sa main
pour que ses doigts s’entrelacent aux miens.
— Tu me rends heureuse comme jamais je ne l’ai été.
Ma gorge se serra très fort.
— Tu me rends heureux aussi, Bethany. Tu ne peux pas savoir à quel point.
Je déglutis et me redressai, me sentant très vulnérable pour la première fois de ma vie.
— Quand Ryder a envoyé cette photo, samedi soir, pendant quelques secondes, j’ai eu une peur panique
de te perdre. J’ai dû me retenir pour ne pas foncer au resto.
Elle resta silencieuse.
— Je n’avais jamais ressenti ça, avouai-je sans la quitter du regard.
Autre silence. Je la vis avaler et sa voix enrouée s’éleva soudain entre nous :
— Avant-hier… quand je t’ai dit que je voulais te faire confiance, je ne voulais pas te blesser, Cruz…
— Je sais, mon cœur.
Ses doigts se resserrèrent autour des miens.
— Mais je veux que tu saches que, même si je n’étais pas bien, pas bien du tout même, je n’ai pas arrêté
de me dire que tu jouais le jeu devant Zack et Ryder. Que ces filles ne t’intéressaient pas…
L’air devint encore plus lourd, chargé d’une forte émotion. On avait mis à nu nos sentiments d’insécurité
et j’avais la sensation que cette conversation venait de renforcer quelque chose entre nous. D’ailleurs,
peu à peu, nos lèvres s’étirèrent et on commença à se sourire. Puis, elle prit carrément un air amusé.
— Alors, dis-moi, ils ont été chanceux ? J’espère que Ryder a tout foiré avec cette nana, plaisanta-t-elle.
Si on arrivait à déconner sur ce qui s’était passé avant-hier, oui… on avait bel et bien franchi une
première étape importante.
Je rigolai devant son air faussement vengeur.
— Désolé, chica, mais Ryder est un aimant à filles… et crois-moi, il arrive toujours à nous surprendre.
Je pris ensuite ma voix la plus désolée.
— J’ai la tristesse de t’annoncer que ça a marché pour lui.
Elle pouffa de rire avant de demander d’un ton curieux :
— Et Zack ?
— Il n’est pas du genre à se vanter, mais je pense qu’il a… qu’il n’est pas rentré seul chez lui, répondis-
je avec tact.
— La petite blonde ?
J’acquiesçai. Son visage se fit songeur.
— Je me demande de quel genre de fille il tombera amoureux. Parce qu’il tombera bien amoureux un
jour, ajouta-t-elle avec une conviction touchante.
Je savais qu’elle avait une affection particulière pour lui.
— Je dois avouer que je n’en ai aucune idée.
L’expression de son visage se fit encore plus rêveuse.
— Je ne sais pas… mais j’ai l’impression qu’il tombera amoureux d’une fille exceptionnelle ou
différente… difficile à expliquer, mais j’ai le pressentiment qu’il nous étonnera, qu’il vivra un truc
surprenant.
Ah bon ? J’eus un léger froncement de sourcils.
— Peut-être... c’est tout le mal que je lui souhaite.
Je ne la quittai pas des yeux, et le décor sembla s’évanouir autour de nous.
Moi, la fille exceptionnelle, je l’avais trouvée. Cette petite voix, je l’entendis tout à coup dans ma tête. À
la perfection. Et à aucun moment dans les minutes suivantes, je ne sentis un quelconque vent de panique
souffler en moi. Pourtant, ma liberté avait toujours été l’une des choses les plus précieuses, je l’avais
régulièrement clamé haut et fort. M’enchaîner à une personne, avant trente balais (dans un futur proche),
comme tous ces couples ? Être lié aussi jeune à la même fille pendant un bon bout de temps, voire la vie
entière ? Une idée inconcevable pour moi ! Il fallait être fou !
Et maintenant…
Le dernier vent de panique que j’avais connu ? C’est lorsque j’avais cru perdre Bethany durant ce laps
de temps horrible au Nine.
M’enchaîner à une personne, à Bethany ? Je ne me voyais plus me lever le matin sans l’avoir dans ma
vie, chaque jour, chaque minute, chaque seconde. Je la voulais dans mon lit et en dehors avec une force
aveugle.
À cet instant, je n’avais aucune idée de la lueur qui étincelait dans mes yeux, mais quand je vis ma
blondinette frissonner, prisonnière de mon regard, ce sentiment possessif en moi vibra de nouveau, avec
une puissance redoublée. Le serveur arriva sur ces entrefaites et je relâchai l’air bloqué dans mes
poumons depuis un moment.
Il prit la fin de notre commande : thé pour Bethany, expresso pour moi.
— Au fait, tu n’as pas eu de soucis avec Chase ? demandai-je.
— Non, ça a été. Il n’aime pas que j’aille me balader seule la nuit, même si c’est dans notre quartier. J’ai
eu droit à un petit sermon.
Je ne pouvais pas le lui reprocher. On n’était jamais trop prudent de nos jours.
— Il a raison.
Elle s’appuya contre son dossier.
— Je ne suis pas une fille imprudente, je ne l’ai jamais été. Au lycée, il m’arrivait d’halluciner lorsque
j’entendais des nanas se vanter d’avoir fait du stop pour rentrer chez elles après une soirée. Certaines
sont vraiment inconscientes. Sinon, pour revenir à moi, Knox m’a aussi enseigné quelques mouvements
de self-défense.
Elle grimaça.
— Bon, OK, mon expérience dans cette fameuse soirée étudiante, l’année dernière, n’a pas été l’un de
mes moments les plus glorieux, mais j’étais avec une copine qui connaissait pas mal de gens là-bas.
Je m’en souvenais comme si c’était hier, bien sûr.
Ce type, qui l’avait entraînée dans une chambre et touchée, me donnait toujours des envies de meurtre.
— Si je tombe un jour sur ce mec, je le fracasse.
Ses yeux s’écarquillèrent. Je devais être flippant.
— Il m’a insultée, mais il a quand même compris le mot « non », répondit-elle avec prudence.
Au bout de combien de temps ? Qu’importe ! Il méritait que je le démolisse, rien que pour avoir osé
poser les mains sur ma nana. Mais je réalisai subitement ce qu’elle venait de dire.
— Il t’a insultée ? grondai-je. Il t’a fait pleurer alors ?
Je me souvenais de ses yeux rouges. Elle avait prétendu que c’était dû à l’alcool. Elle bafouilla, se
rappelant soudain qu’elle avait à l’époque déformé la vérité.
— C’était un con… C’est du passé. Enfin, tout ça pour dire que je suis prudente, rajouta-t-elle d’un ton
rapide, cherchant visiblement une échappatoire.
Ce mec ? Il avait intérêt à ne pas croiser ma route. Remarquant son malaise, je laissai tomber le sujet.
— Les gens s’inquiéteront toujours pour toi, Bethany. Il ne faut pas le prendre mal.
— Je sais, soupira-t-elle.
On discuta encore le temps d’avaler thé et café, puis je réglai l’addition. Ensuite, on flâna main dans la
main devant les boutiques du Hard Rock Café avant de quitter les lieux pour regagner le parking, mon
bras autour de ses épaules, sa main dans son nouvel endroit favori : sur mes fesses, dans la poche arrière
de mon jean. On grimpa dans le pick-up. On n’était pas très loin de notre autre destination : une deuxième
surprise que je réservais à Bethany, la plus importante. Comme d’habitude, je lui pris la main en roulant.
J’aimais sentir ses doigts se mêler aux miens pour ne plus me lâcher.
La circulation étant plutôt fluide, le trajet fut rapide. Je me garai près de mon boulot, dans le parking
couvert où j’avais souscrit un abonnement à l’année. Bethany avait reconnu le quartier et me lança un
regard curieux. Quand on arriva à la hauteur de la vitrine du studio, j’entendis sa voix murmurer :
— Cruz…
— C’est ma deuxième surprise, annonçai-je en ouvrant.
Dans la foulée, je désactivai l’alarme, puis je pris de nouveau sa main pour la guider dans la pénombre.
Je ne voulais pas allumer les lumières de la réception par mesure de précaution. Je poussai la porte de
mon sanctuaire où je passais la majeure partie de mes journées. Je la laissai entrer. Une fois le battant
refermé, je m’y adossai pour observer ses réactions. Elle jeta un regard circulaire, ses yeux s’attardant
sur les créations que j’avais suspendues sur le pan d’un mur, puis elle effleura du bout des doigts la table
sur laquelle mes clients s’installaient.
— C’est la première fois que j’entre ici…
Pas la dernière, me dis-je. Une fois que ce serait réglé avec Knox, on pourrait se voir librement,
n’importe où. Mais je ne voulais pas penser à lui, et je le chassai instantanément de mon esprit. Rien ne
viendrait gâcher cette soirée. Je décollai mon dos de la porte pour me diriger tout d’abord vers un poste
de radio. Après une rapide recherche, je captai une station qui retransmettait à cette heure de la musique
non-stop. Je me débarrassai de mon blouson, puis m’approchai d’un tiroir d’où je sortis un croquis.
La fleur de lotus.
Je pivotai vers elle.
— Tu vas me faire mon tatouage ! s’exclama-t-elle les traits illuminés, un grand sourire plaqué sur son
visage, une belle excitation dans sa voix.
— Oui, ma belle.
Elle me sauta au cou et mes bras se refermèrent sur elle.
— Oh, merci… merci… c’est un merveilleux cadeau !
Ses courbes pressées contre mon corps provoquaient toujours en moi une sensation incroyable. Les
yeux baissés sur elle, je me penchai pour capturer ses lèvres renflées. Je l’embrassai, nos langues se
caressant lentement, un baiser tendre et profond. Après un temps infini, je décollai ma bouche de la
sienne.
— Attends de voir le résultat…
— Je sais qu’il sera magnifique, exceptionnel.
Mon regard resta scotché sur ses prunelles qui reflétaient tout le bonheur du monde. À cette seconde, je
pris vraiment conscience qu’elle allait porter à vie l’une de mes créations sur une partie de son corps.
Cette pensée déclencha une tonne de choses en moi : fierté, sentiment possessif, un tas d’émotions
diverses qu’il me faudrait un temps fou pour analyser.
Ce moment allait être gravé sur sa peau.
Un souvenir de notre passé qui nous liait et devenait le symbole d’une belle perspective d’avenir. Ouais,
ma blondinette réussissait même à me rendre poète. Je souris intérieurement avant de poser un baiser
sur le bout de son nez.
— Ôte le bas… et le haut, rajoutai-je. Tu seras plus à l’aise.
Je remarquai qu’elle obéit en quelques secondes avec un naturel qui suscita une petite joie en moi. Il n’y
avait aucune trace de gêne lorsqu’elle leva la tête. Mes yeux descendirent bien vite sur son corps parfait
et y restèrent collés.
Putain… elle était…
Ma langue devait traîner sur le sol.
— Bethany…
Mon grondement la fit frissonner.
Noir, elle portait un ensemble noir ! En dentelle avec un minuscule nœud en forme de papillon entre les
seins et sur chaque côté de son string ! J’étais incapable de détacher mon regard d’une telle vision, sa
peau crémeuse offrant un contraste magnifique avec sa lingerie.
— Tu avais des idées en tête…
Je balançai ça, mon cerveau grillé.
— Oui…
Je ne m’y attendais pas. Du moins, pas à une réponse aussi directe. Je levai brusquement mon visage. La
lueur brûlante qui illuminait ses prunelles faillit être ma perte. Je passai une main tremblante sur ma
nuque avant de m’ajuster devant elle. Un petit sourire en coin apparut sur ses lèvres. Ah, elle aimait me
mettre dans un état pareil ! Mais le fait qu’elle n’ait pas hésité à exprimer clairement ses désirs m’excitait
encore plus. Ma queue était à présent si dure que cela tiendrait du miracle si j’arrivais à m’asseoir sur
mon tabouret sans faire de dégâts dans mon jean.
J’avalai avec difficulté.
Il fallait que je reste concentré ! Bon sang ! Je ne voulais pas foirer le tatouage le plus important de ma
vie.
— Tu le veux où ?
— Dans le bas du dos, la cambrure, expliqua-t-elle.
Oh, vingt dieux, elle allait me tuer ! Mais je n’aurais pas mieux choisi. Rien que d’imaginer la fleur de
lotus sur sa chute de reins, j’allais éjaculer dans mon froc.
— OK, couche-toi sur le ventre, alors.
Ma voix était méconnaissable. Avec un balancement sensuel des hanches, elle se dirigea vers la table
que j’avais désinfectée avant de quitter le boulot. Mes rétines collées sur son cul, les veines en éruption,
je dus inspirer profondément. Elle prit place et s’allongea : sa cambrure bien marquée, ses fesses
rebondies, tout ça me donnait envie de lui faire de ces choses… de la baiser, tout simplement.
Ouais, la baiser… Un désir brut coulait dans mon sang.
La prendre par-derrière… lui faire un tas de trucs…
STOP ! Temps mort, Cruz. Temps mort !!!
Concentre-toi, merde !
J’avais la gorge si sèche que je dus aller me servir un verre d’eau. Après, le corps dur comme de la
pierre, je préparai la Biseptine, le calque et mes aiguilles, mes yeux revenant à intervalles réguliers sur
son petit cul et le reste. Je dus ouvrir le bouton de mon jean tant ma bite me faisait mal.
— Il va te falloir un petit temps d’adaptation, mais si tu veux que j’arrête, si tu as besoin d’une pause, tu
n’hésites pas à me le dire, OK ?
— OK.
Incapable de résister, je tendis la main pour frôler, du bout des doigts, la cambrure de son dos, mais je
ne pus me retenir d’effleurer sa peau de mes lèvres. La chaleur de ma bouche le long de sa colonne
vertébrale la fit frémir. Elle gémit et creusa ses reins, ses fesses bandantes se soulevant.
— Cruz…
— Je démarrerai là, murmurai-je en posant un baiser humide… et…
Je continuai à tracer une ligne avec mes lèvres, conscient de la chair de poule qui parcourait son
épiderme.
— Je m’arrêterai là.
— Oui… haleta-t-elle.
Chaud comme la braise, je descendis un peu plus bas pour introduire la pointe de ma langue entre ses
fesses et la lécher sur quelques centimètres. Sa violente inspiration ne m’échappa pas. Puis, je fis le
chemin inverse, guettant chaque frisson, pour remonter jusqu’à son cou.
— Quand je te prendrai par-derrière, soufflai-je à son oreille, j’aurai une vision parfaite de ton tatouage.
Son front tomba sur la table sur les bords de laquelle ses mains s’étaient crispées.
— Cruz… tu me tues, là… tout ce que tu veux…
Oh, bon sang ! Le désir que je réprimais tant bien que mal explosa en un véritable feu d’artifice. Elle
tourna son visage dans ma direction, une joue nichée sur la table. Ses prunelles embrasées me clouèrent
sur place.
— Tout… Cruz, répéta-t-elle à voix basse. Je veux que tu m’apprennes tout ce que tu aimes, parce que je
sais que je prendrai autant de plaisir que toi. Tu n’as qu’à poser ton regard sur moi, ou ton petit doigt, et
c’est à peine si je me souviens de mon prénom. Tu me mets toujours dans un sacré état…
Idem.
Mais pitié, il y avait des limites à la résistance d’un mec ! Il fallait que je démarre son tatouage. Jamais
je n’y arriverais si elle continuait à me contempler ainsi et à me lancer de telles paroles. Mon cerveau
parut décider pour moi, agissant de sa propre volonté.
— Tu sais ce que j’aimerais ?
— Dis-moi…
— Que tu ôtes ton soutien-gorge, j’ai envie de te savoir les seins nus.
— OK, dégrafe-le.
C’est ce que je fis d’une main tremblante avant qu’elle ne fasse glisser les bretelles le long de ses bras
pour le laisser tomber sur le sol. Là, un cadenas sauta en moi ; je ne bridai plus rien.
— J’ai envie de te voir nue sur ma table, Bethany.
Elle se tourna d’un mouvement fluide, exposant ses seins crémeux à mon regard avide, puis elle fit
descendre son string le long de ses cuisses. Oh, bon sang, elle jouait complètement le jeu ! Je crus avaler
ma langue lorsqu’elle lâcha :
— Déshabille-toi, Cruz, mais garde ton bandana.
En deux temps trois mouvements, j’arrachai mon tee-shirt sans cesser de la bouffer des yeux. Je
m’arrêtai là. N’y tenant plus, je me penchai sur ses seins et ma bouche se referma sur son téton humide.
Une petite perle que je suçai avec des grognements de plaisir.
Un gémissement résonna dans la pièce et ses mains se coulèrent dans mes cheveux, sur ma nuque. Je
soulevai la tête, mon regard plongeant dans ses prunelles : tout son corps vibrait d’un désir aussi violent
que le mien.
— Cruz, on a toute la nuit, n’est-ce pas ?
Elle paraissait avoir couru un cent mètres.
— Oui, répondis-je d’une voix âpre.
Ses paumes glissèrent sur mes épaules pour les caresser.
J’aspirai de nouveau son mamelon avant d’enfoncer deux doigts dans son vagin. Naturellement, elle
écarta les cuisses. Waouh, le pied ! Elle mouillait, c’était chaud, c’était doux.
C’était une explosion de sensations.
— J’ai envie de toi, Cruz, lâcha-t-elle avec difficulté, pantelante.
Je retirai mes phalanges et ma bouche s’écrasa sur la sienne. On se roula une pelle. Une très grosse !
Oui, on avait toute la nuit.
Dans cet état, je n’arriverais jamais à la tatouer sans craindre de faire une connerie ; mes mains
tremblaient comme celles d’un junkie. Les yeux braqués sur elle, je me redressai et m’écartai pour laisser
tomber jean, boxer et chaussettes par terre. Je me retrouvai nu devant elle.
D’un mouvement souple, tout en me contemplant, elle glissa de la table jusqu’à ce que ses pieds se
posent sur le sol. Ma queue dure rebondit sur mon ventre pour s’y coller, droite comme une lance. Je la
désirais tant que mon gland avait pris une couleur pourpre. Beaucoup de filles m’avaient maté, au lit, en
dehors, mais avec Bethany, il n’y avait rien de comparable, j’en étais accro. Debout face à elle, je
frémissais de la tête aux orteils, alors qu’elle me dévorait des yeux avec cette lueur d’admiration qui me
retournait le cerveau. Finalement, elle s’arrêta sur mon pénis pour y rester avant de lever son visage.
Une lueur différente flambait dans ses prunelles.
— Je déteste savoir que des filles s’allongent ici et dévoilent une partie de leur corps pour que tu puisses
les tatouer. Mais je sais à présent que cette table, tu ne la regarderas plus jamais de la même façon.
Oh, bon sang !
Ce petit ton hyper possessif ?
Un trip jouissif.
Ma réaction ?
Je bondis sur elle.
Chapitre 23

Bethany

Deux bras puissants m’attirèrent contre un torse d’une dureté INCROYABLE. Je n’avais pas de mots
pour qualifier cette sensation exquise.
Avec une soif égale à la sienne, je me pressai contre Cruz, alors que ses mains se plaquaient sur mes
fesses, ses lèvres chaudes, gourmandes, s’écrasant sur les miennes. Nos deux corps nus, collés l’un
contre l’autre, nous arrachèrent un même long gémissement. Durant quelques secondes, il prit d’assaut
ma bouche avec une telle intensité que mes jambes semblèrent bourrées de coton en moins de deux. Elles
n’allaient pas résister.
Sa langue explora chaque recoin avec une avidité à me donner le tournis. Puis soudain, tout s’accéléra ;
un instant, mes pieds se trouvaient sur la terre ferme, l’instant suivant, ils décollaient brusquement du
sol. D’instinct, j’enroulai mes cuisses autour de ses hanches et sa queue vint se coller le long de mon sexe
brûlant. Un pur grognement vibra dans ma poitrine. Une vibration qui parut se propager en moi.
— Oh, mon Dieu… geignis-je.
Une plainte qu’il avala dans sa bouche. Oh, bon sang, quel baiser !
Je prenais feu.
Mes mains plongèrent dans ses cheveux en dessous de son bandana. Soyeux, ceux-ci coulèrent entre
mes doigts avant que je n’agrippe des mèches, toute tremblante. Précisément quand son bassin
commença à onduler pour que son pénis caresse ma vulve, ruisselante à présent.
Un long mouvement de bas en haut et de haut en bas.
— Oh, bordel ! lâcha-t-il d’une voix éraillée qui provoqua de violents frissons sur ma peau.
Sa chair dure et veloutée, un trésor de douceur, fit rouler mes yeux dans leurs orbites. La respiration
chaotique, je décollai ma bouche de la sienne, ma nuque se renversa en arrière. Mes cris désespérés se
répercutèrent entre les murs.
— Cruz… oui… oui… oui… Ohhhh…
Chaque friction titillait à la perfection mon clito tandis que mes seins lourds de désir se frottaient contre
son torse. Mais il ne l’entendait pas ainsi ! Affamé, il plaqua une main sur mon crâne et d’un geste
brusque, en pur alpha (j’en mouillai encore plus), il ramena mon visage vers le sien pour happer ma
bouche comme s’il ne pouvait pas survivre sans elle, avec une exigence… la vache… à me rendre dingue.
Il se mit soudain à sucer ma langue : un baiser qui n’avait rien de doux.
Oh… non !
Et c’était bon, terriblement ! Tellement bon que mes neurones cramaient les uns après les autres, alors
que j’étais propulsée dans un autre monde d’une sensualité débridée. Non seulement mon corps
s’embrasait toujours plus, traversé par un désir déchaîné, mais le plaisir incendiait mon bas-ventre, mes
reins, mes seins, ma chatte, mes veines… Je n’étais plus qu’une petite torche ambulante.
Dans les secondes suivantes, on se mordilla furieusement la bouche. Puis tout s’accéléra de nouveau
lorsqu’il se retrouva assis sur la table et moi à califourchon sur ses cuisses. Haletant, il écarta son visage,
ses prunelles chocolat transformées en un véritable brasier.
— Je suis à toi, ma belle, fais ce que tu veux…
Oh, my God !
Je m’accrochai à ses épaules.
— Mais je veux te voir me baiser, ta petite chatte avaler ma bite.
OH, MY GOD !!!
Un shoot !
Quelque chose fila dans mes veines, une flambée de désir brut et sauvage. Mais, tout à coup, il me
regarda droit dans les yeux et l’expression sur son visage me fit faire une pause, ma respiration devenant
plus que laborieuse.
— Je n’ai jamais baisé sans capote…
Je me figeai.
— Je… prends la pilule, murmurai-je, me demandant si je comprenais bien ce qu’il cherchait à me dire.
Pour la contraception, il le savait déjà. Il savait aussi que je n’avais jamais couché avec un mec avant lui.
Ce qui réduisait les risques.
Ses yeux enflammés me capturèrent.
— Si tu es…
— Oui, coupai-je, le souffle court, oui…
Oui, j’étais d’accord ! Oui, je lui faisais confiance, comme il me faisait confiance.
Une chaleur humide inonda mes cuisses.
J’étais encore plus excitée (si c’était possible) à l’idée qu’il me fasse l’amour sans barrière. Toutefois,
une profonde joie me submergea également, car j’avais conscience que cela représentait un pas énorme
pour Cruz, significatif, et qu’importe mon passé sexuel. Je sentais dans toutes mes fibres que c’était une
décision cruciale qui allait bien au-delà du sexe.
Heureuse, je sentis mes sentiments déborder en moi, ma cage thoracique soudain trop petite pour les
contenir. Mais je perdis pied quand il m’attira de nouveau à lui d’un geste possessif. On s’embrassa
éperdument et je me mis à onduler le long de sa queue, lui arrachant un grondement de plaisir trop
excitant.
Mon Dieu, je brûlais de le sentir s’enfoncer enfin en moi.
Ce fut… deux doigts qu’il introduisit, m’obligeant à me soulever légèrement pour lui faciliter la
pénétration. Dans le même mouvement, son pouce caressa mon clito avec un talent incroyable. Son doigt
semblait connecté à mon cerveau, capable de deviner exactement la bonne pression à exercer, ni trop
forte ni trop légère, alors que ses index et majeur continuaient à bouger… touchaient des zones…
Soudain, un plaisir comme jamais je n’en avais ressenti prit naissance dans mon vagin. Il l’emporta sur
toutes les autres sensations, dont celles de mon clitoris. Je n’aurais su l’expliquer. Cela ressemblait à de
petites décharges qui ne demandaient qu’à grandir.
À mon grand dam, cela ne dura pas, car il me libéra tout à coup. Stoppée net dans mon élan, je faillis
lancer une flopée de protestations, lorsque je le vis lécher ses phalanges, une à une. Je crus avoir un
orgasme spontané. Là, maintenant !
— Cela me manquait trop !
Je n’arrivais plus à respirer. Il y avait quelque chose de décadent à le regarder se régaler avec mes
sécrétions vaginales. Mon excitation connut un nouveau pic. Dans la foulée, il me roula une pelle et je
goûtai mon odeur sur sa langue. Comme la fois précédente, dans son lit, j’adorai ça. Un autre baiser
s’ensuivit, tout aussi torride. On continua à se dévorer les lèvres, avant qu’il ne glisse plus haut sur la
table avec une fluidité incroyable, en m’entraînant dans ses bras. Celle-ci étant assez large, je pus poser
mes mains de chaque côté de son visage.
Pressée contre lui, je sentis à la perfection chaque muscle de son corps, la puissance qui s’en exhalait.
Entre ça et son bandana qui renforçait son type « latino ténébreux », ses tatouages qui amplifiaient cette
aura de danger, mon désir atteignit un degré presque insupportable, mêlé à un instinct possessif très
violent. Une deuxième vague de sentiments déferla en moi : un raz de marée. Chamboulée, je me soulevai
pour pouvoir plonger mes yeux dans les siens. Le temps se suspendit, nos souffles tout proches se
mélangeant. Durant une poignée de secondes, on n’entendit plus que nos respirations hachées à travers
la pièce, alors que nos regards s’accrochaient avec une intensité nouvelle.
— Qu’est-ce qu’il y a, chica ?
Ses prunelles, sa voix très enrouée, ce petit surnom, provoquèrent de délicieux frissons dans plein
d’endroits de mon corps. Toujours plongée dans mon silence, je le vis lever une main pour caresser ma
joue. La flexion de son biceps musclé, durement bandé, m’impressionna et m’excita à la fois, mais la
tendresse de son geste, contrastant avec cette puissance contenue, fit chavirer un peu plus mon cœur.
Je le contemplai, la poitrine enflée
En Cruz, il y avait deux facettes, la chaleureuse et la sombre.
J’étais consciente de cette dernière. Je savais qu’il avait grandi aux côtés d’un frère qui était loin d’être
un enfant de chœur (un euphémisme), que celui-ci avait eu sur son jeune frangin une certaine influence
qu’il portait encore en lui.
Il y a quelques années, j’avais surpris une conversation entre Zack et Knox. Je ne sais plus dans quelles
circonstances, mais tous deux discutaient de leur pote, de ses aptitudes au combat. En bref, ils
affirmaient que personne ne pouvait avoir le dessus sur lui, que ce soit à mains nues, dans une bagarre au
couteau, ou quoi que ce soit. Poussé dans ses limites, il pouvait être aussi dangereux que Rafe et se battre
sans états d’âme en utilisant tous les coups bas.
Alors, oui… il y avait cette partie « plus compliquée » qui pouvait surgir à tout moment s’il se sentait
menacé, lui ou un de ses proches. Je l’avais sentie suite à mon expérience avec ce mec qui m’avait
insultée. Dans un premier temps, j’avais déformé la vérité pour ne pas avouer que j’avais menti afin de
me rendre à une soirée ; ensuite, j’avais perçu cette facette en lui, dangereuse, qu’il tentait de brider.
Toutefois, j’aimais l’homme qu’il était devenu au fil du temps. Cette part sombre faisait partie intégrante
de lui. Elle avait également forgé sa personnalité, ce qu’il était aujourd’hui. J’étais d’ailleurs certaine que
s’il avait choisi la même voie que son frère, mes sentiments auraient été les mêmes.
Je l’aimais…
Oui, je l’aimais ! Je le savais déjà auparavant, mais à cette seconde, je réalisai avec une limpidité
incroyable que j’éprouvais l’amour avec un grand A, l’amour adulte, mature. Celui qui traverse le temps,
pur et solide ; celui qui pousse des femmes à tout abandonner derrière elles pour suivre aveuglément
l’homme de leur vie au prix de n’importe quels dangers.
— Qu’est-ce qu’il y a, chica ? répéta-t-il, tandis que le silence se prolongeait entre nous.
Sur le moment, je ne pus lui répondre tant la profondeur de mes sentiments me saisissait à la gorge.
Alors, je le fis avec ma bouche et déversai tout ce que je ressentais pour lui.
Tout… une explosion.
Plongeant ses doigts dans mes cheveux, il répondit à mon baiser volcanique et, dans le sien, je sentis
une émotion différente, comme s’il percevait ce qui se passait en moi. Mais je voulais encore plus,
beaucoup plus ! Je voulais explorer chaque centimètre de sa peau. Mes lèvres caressèrent sa mâchoire,
puis sa gorge, sucèrent un téton brun, ma langue léchant ensuite ses pectoraux. Ses mains volèrent
immédiatement sur mes hanches pour les agripper, y laissant certainement une empreinte rouge, alors
qu’une succession de frissons balayaient son corps. Je levai mon visage ; il baissa le sien vers moi, la
respiration erratique.
— Tu es tellement beau, Cruz… trop bien foutu, rajoutai-je d’un ton plus léger.
Il eut un petit rire étranglé avant de me contempler avec une lueur dans ses yeux qui fit cogner mon
cœur dans ma poitrine. À cet instant, j’eus envie de lui avouer mes sentiments, mais je me retins.
— Qu’est-ce qu’il y a, chica ? me demanda-t-il de nouveau cependant, d’une voix profonde.
Mes paupières se mirent à picoter.
— J’ai envie de toi, répondis-je simplement.
Dans ma tête, ce fut une autre phrase qui résonna.
Je t’aime, Cruz, je t’aime tellement !
Il me prit par surprise lorsqu’il m’attrapa sous les aisselles pour me soulever et happer une pointe de
mes seins. Je me cambrai et m’offris à lui, désinhibée. Il les suça longuement tour à tour avec ces petits
grognements que j’aimais tant. On s’embrassa encore, nos mains se baladant partout. Elles n’en avaient
jamais assez, avides, pressées, insatiables. Puis je glissai plus bas, et mon visage se retrouva au-dessus de
ses magnifiques abdos : un beau pack de six qui me faisait saliver à chaque fois. Du bout de la langue,
j’en traçai lentement les contours, qui formaient des reliefs à rendre une fille dingue.
— Oh, bon sang ! haleta-t-il.
J’y restai un certain temps, sentant son pénis très dur contre mes seins.
Ma bouche, attirée comme par un aimant, descendit plus bas vers son érection. OK, il m’avait parlé de
son fantasme, mais rien ne m’empêchait de tester brièvement : un avant-goût.
Ce que je fis avec enthousiasme !
Je léchai son gland, les petites gouttes qui perlaient de sa fente. Cette première caresse déclencha un
long frémissement sur ma peau, la sensation se révélant merveilleuse. Cruz avait un beau pénis, d’une
belle couleur, d’une texture soyeuse, d’une taille et d’une épaisseur idéales. Lui, mon superbe Latino,
réagit au quart de tour. Ses fesses décollèrent si violemment de la table que je faillis piquer du nez ; mais
direct, ses mains s’agrippèrent à mes hanches pour m’empêcher de m’écraser sur le sol. Même en proie à
un plaisir immense, il avait le réflexe de me protéger.
Mon cœur ?
Ah ! Toute une histoire !
Ma position rétablie, je léchai cette fois-ci la grosse veine pulsante qui courait le long de son pénis.
— Bethany, suffoqua-t-il… je ne vais pas…
Je ne sus pas la suite, car il me souleva de nouveau pour m’embrasser presque violemment.
— Une autre fois, je ne vais pas tenir, lâcha-t-il, la voix râpeuse.
Une petite fierté m’envahit d’avoir le pouvoir de le mettre dans un tel état. Mais ses paumes larges et
chaudes se plaquèrent sur mes fesses, et je n’eus plus qu’un désir : frotter ma chatte le long de sa bite
collée contre ma chair brûlante. Ce que je fis, me délectant de ces autres sensations. Puis, de moi-même,
je m’assis à califourchon sur ses cuisses musclées à souhait. Cruz enroula illico sa main droite autour de
sa queue, à la base, et son timbre rauque me coupa le souffle dans les secondes suivantes :
— Chevauche-moi, ma puce.
Le corps tremblant, je soulevai mes fesses pour me positionner au-dessus de lui. D’une flexion du
poignet, il caressa ma fente avec la tête de son pénis. Pantelants, on se dévisagea, puis je m’abaissai
lentement sur lui, sans le quitter du regard. Son gland écarta mes lèvres vaginales et me pénétra
légèrement. On suffoqua tous les deux en même temps, le contact peau contre peau et la légère
pénétration provoquant un plaisir indicible.
— Bethany ! Bon sang, Bethany ! gémit Cruz en fermant durement les yeux avant de les rouvrir.
Moi, j’étais privée de parole. C’était déjà meilleur que la première fois et on n’en était qu’au tout début.
Je regardai ses mâchoires crispées, alors que tout son corps bandé m’indiquait aussi à quel point il se
retenait, et de toutes ses forces. Je descendis plus bas, de quelques centimètres. Une plainte s’échappa de
ma gorge, un grondement de la sienne.
— C’est bon ? me demanda-t-il à travers ses dents serrées, la respiration heurtée comme s’il souffrait
terriblement.
Je ne pus que hocher la tête avant de retrouver un semblant de voix :
— Oui… trop bon.
Je glissai encore sur sa verge : une merveille de douceur et de dureté.
— Lentement… je veux te voir avaler ma queue, lentement.
Son ton, ses paroles, ses prunelles brûlantes et possessives provoquèrent en moi une salve de frissons
des plus violents. Je le vis baisser les yeux sur ma chatte, là où on ne faisait plus qu’un. Je continuai à
descendre le long de sa verge. L’expression de plaisir, sur son visage, aurait pu me donner un orgasme
spontané. Je mouillai un peu plus, et il le sentit.
Un gémissement mêlé à un juron jaillit de sa bouche.
— Oh, bordel…
D’un dernier mouvement souple, j’atteignis la racine, mes fesses se posant sur ses cuisses. Il ferma de
nouveau les yeux.
— Ne bouge pas… lâcha-t-il très difficilement.
Mon cœur tambourinait sous mes tempes et des flammes semblaient lécher ma peau. Au bout de
quelques secondes, je ne pus plus me retenir. Impossible ! Il fallait que je bouge. La sensation nouvelle
dans mon vagin me hurlait d’apaiser cette douleur lancinante. Alors, je me soulevai lentement jusqu’au
niveau de son gland et fis le chemin inverse, tout aussi lentement. Un va-et-vient qui déclencha d’autres
petites décharges délicieuses. Je recommençai, son pénis me pénétrant avec une facilité qui me fit fermer
les paupières.
Bon sang, que c’était bon !
— Ouvre les yeux, ma puce.
J’obéis. Il me fixa avant de contempler de nouveau sa queue qui s’enfonçait en moi. Je voulais plus ! Il y
avait un plaisir inconnu qui se répandait dans certaines zones dont j’ignorais jusqu’alors l’existence. Mes
fesses se mirent à onduler d’un mouvement sensuel, trouvèrent un autre angle qui amplifia ce plaisir tout
neuf. Dans les méandres de mon cerveau, je remarquai que Cruz ne caressait pas mon clito comme la
première fois.
— Oh oui… gémis-je.
Les mains posées en éventail sur mes hanches, il me laissait faire à ma guise. J’accélérai la cadence, et
mes yeux s’écarquillèrent de surprise lorsqu’une nouvelle sensation me submergea quelque part dans
mon vagin. Je le vis sourire devant ma réaction – il semblait comprendre ce qui se passait en moi –, avant
de faire une grimace sous la puissance de son propre plaisir. Ses doigts s’enfoncèrent dans ma peau, mais
il prenait sur lui pour rester immobile.
— J’adore avoir ma queue en toi, lâcha-t-il, hors d’haleine.
Un râle des plus sexy.
— Moi aussi…
Un couinement des plus grotesques.
Mais je m’en tamponnais ! Surtout que son regard se fit encore plus affamé. Le tout devenait si intense
que je fermai de nouveau les yeux pour savourer chaque caresse de son pénis. Je les ouvris quelques
secondes plus tard et bougeai plus vite, commençant à sautiller sur ses cuisses. Il me manquait quelque
chose… la douleur latente se répandait à nouveau.
— Cruz… Cruz… suppliai-je.
Je pantelais.
— C’est… C’est…
— Oui ? souffla-t-il.
— Différent de la première fois… Je… je…
— C’est bon ?
— Oh oui… Oh oui… Cruz… m’écriai-je.
Il parut comprendre ma souffrance, et surtout comment l’apaiser. Je poussai un long cri lorsque ses
hanches se soulevèrent soudain pour venir à ma rencontre, ses doigts s’agrippant plus fortement sur ma
taille. Je baissai les yeux vers lui. La respiration coupée, je le contemplai. Il était magnifique, une beauté
virile, typée, avec son bandana ; ses nombreux tatouages ; son visage et son torse bronzés, brillant d’un
fin filet de sueur ; ses muscles ciselés roulant sous sa peau, alors que sa queue m’emplissait à chaque
coup de reins. C’était comme s’il était connecté à mon corps et savait ce que celui-ci recherchait
désespérément.
Plus fort.
Plus durement.
Plus profondément.
Ses grognements de plaisir se mêlèrent à mes plaintes. J’aimais voir son bassin décoller de la table pour
que son pénis s’enfouisse en moi dans un rythme de plus en plus vif. Soudain, il se redressa, ses bras
puissants encerclant ma taille, mes seins s’écrasant sur son torse lisse et dur. Nos bouches se
cherchèrent avec une avidité qui dépassait tout entendement. D’une flexion brusque, il continua à
balancer ses hanches vers le haut, en des coups de butoir plus forts, plus courts, plus rapides, répondant
à ce besoin que je sentais en moi. Nos langues bataillaient fougueusement, mais le plaisir devint trop
intense.
Un cri détacha mes lèvres des siennes.
— Ouiiii…
D’autres cris désespérés prirent le relais.
— Cruz… ça vient… je… ça…
Un hurlement de plaisir étouffa mes paroles décousues.
— Oui, ma puce, laisse-toi aller…
Il accéléra encore, et là… j’explosai littéralement sur sa queue. Un orgasme nouveau qui semblait
provenir d’un endroit des plus secrets et qui se libérait en moi pour la première fois.
— Cruz… Oh, mon Dieu ! m’écriai-je, les ongles enfoncés dans ses épaules.
Et ce qui me fit décoller encore plus ?
Je le sentis trembler une fraction de seconde plus tard, submergé par son propre orgasme. Savoir qu’il
éjaculait en moi sans préservatif provoqua une onde de bonheur incroyable. Soudain, les secousses de ses
hanches se mêlèrent aux miennes ; nos tremblements ne firent plus qu’un, dans une merveilleuse union ;
et sa voix se mua en un long gémissement qui me remua tout au fond de mon être.
— Putain… Oh, putain… Bethany…
Le corps secoué par une seconde vague de spasmes, je pris toutefois quelques secondes pour admirer
son visage transfiguré par le plaisir que je lui procurais. MOI.
Son orgasme aussi intense que le mien.
Un trop-plein d’émotions m’arracha un sanglot. Puis, incapable de soutenir ma tête devenue trop lourde,
ma nuque se renversa en arrière et je sentis sa bouche caresser ma gorge, ses bras se resserrer
étroitement autour de ma taille.
Le monde disparut.
Il ne restait plus que Cruz, le centre de mon univers.
Mon Latino.
Mon mec.
Ma raison de vivre.

Allongée à présent sur Cruz, sans forces, le visage enfoui dans son cou, je n’arrivais plus à bouger d’un
iota. La paume de sa main montait et descendait lentement le long de mon dos en une légère caresse
langoureuse. Mes sentiments débordaient encore de mon cœur, mais je me raccrochais à des fragments
de lucidité pour les contenir. On resta un certain temps ainsi, chacun retranché dans un silence paisible.
— C’était merveilleux, Cruz, chuchotai-je.
Son nez frotta doucement mes cheveux.
— Oui… c’était d’enfer.
Cela me fit sourire. Puis il ne dit plus rien pendant un petit moment, mais il semblait plus concentré,
différent. Les mots qui sortirent finalement de sa bouche me paralysèrent en une seconde.
— Il faut lui dire, Bethany.
Je compris. Bien sûr.
La surprise initiale passée, je soulevai mon visage pour plonger dans son regard chocolat.
— Je sais…
Il balaya avec douceur une de mes mèches derrière une oreille comme s’il captait l’agitation en moi.
Affronter mon frère, s’exposer à tous… j’aurais encore souhaité repousser ce face-à-face et rester dans
ma bulle où j’étais tellement heureuse.
Je m’éclaircis la voix.
— Écoute… profite tranquillement de ton week-end de ski avec tous tes potes, et ensuite… on lui
parlera, tous les deux.
Il me regarda, ses traits exprimant des regrets.
— J’aurais voulu que tu puisses venir avec nous.
Du bout des doigts, je caressai sa mâchoire assombrie d’une barbe naissante.
— On aura l’occasion de refaire un autre week-end ensemble, répondis-je avec plus d’assurance que je
n’en éprouvais réellement.
Ma gorge se noua.
— Je te demande juste qu’on attende jusque-là. Ensuite, on lui dit. C’est promis.
Le grand plongeon.
— Tu sais… ça va être un choc pour lui, ajoutai-je soudain d’une voix faible.
Son regard s’adoucit.
— Je sais…
Mais je ne m’attendais vraiment pas à ce qu’il lâcha juste après :
— Bethany, je préférerais tout d’abord lui parler seul à seul.
Je tressaillis, une tonne de protestations accumulées au bord des lèvres.
— Cruz… je ne…
Il les stoppa en prenant en coupe ma mâchoire.
— C’est une conversation que je dois avoir avec ton frère… de mec à mec.
— Cruz, ce n’est pas à…
— J’ai respecté ce que tu voulais, me coupa-t-il de nouveau, d’un ton ferme et doux à la fois, ignorant ma
deuxième tentative. S’il te plaît, laisse-moi tout d’abord lui parler en tête à tête, dès que je trouverai le
bon moment.
Je le fixai en silence.
C’est vrai qu’il avait cédé à mes supplications, alors que ce secret lui coûtait depuis le début. Craignait-
il que leur conversation ne tourne au vinaigre, voire plus, et préférait-il que je ne sois pas là ? Non, je
repoussai cette idée tout de suite, même si j’étais consciente que ce ne serait pas simple à entendre pour
mon frangin. Il y avait peut-être des phrases que Cruz ne voulait pas prononcer devant moi ? Mais une
partie de ses paroles précédentes perça le champ de confusion dans mon cerveau pour résonner avec
plus de clarté.
Dès que je trouverai le bon moment.
— Débarquer tous les deux, lui balancer ça à la figure, il pourrait se sentir acculé, blessé. J’arriverai
mieux à lui faire comprendre, à trouver les mots…
Il se tut, un peu plus agité.
Seul, au moment opportun, finis-je à sa place en silence.
— Certains soirs, reprit-il d’une voix basse, il nous arrive de discuter de tas de trucs très tard… Et c’est
différent. C’est comme si tout s’arrêtait autour de nous et qu’on trouvait enfin le temps de se parler
vraiment, de s’écouter, après des journées bien remplies, parfois merdiques.
Une expression plus intense se répandit sur son visage.
— Tu comprends ?
Oui, je saisissais.
Organiser une rencontre avec Knox, d’une façon formelle, comme un rendez-vous qu’on prenait chez un
dentiste… oui, je voyais très bien ce que Cruz cherchait à m’expliquer. Mon frère méritait mieux que ça.
Leur amitié méritait mieux que ça, et je n’allais pas me mettre en travers de leur route. Ma décision prise,
j’inspirai profondément.
— Oui… d’accord, si c’est ce que tu veux.
Une lueur de soulagement brilla dans ses yeux et je ne regrettai pas mon choix. Il se pencha pour
planter un doux baiser sur mes lèvres. Quand il s’écarta, je nichai ma tête dans le creux de son épaule,
refoulant toutefois une angoisse sourde en moi. Cruz posa un autre baiser sur mon crâne, le nez enfoui
dans mes cheveux. On demeura de nouveau silencieux, chacun plongé dans ses pensées.
Plus tard, je dus m’extirper de notre nid douillet. Si je voulais que Cruz ait le temps de faire mon
tatouage, il fallait que je me bouge. Mais je serais bien restée blottie dans ses bras rassurants. Il me
conduisit dans la salle de bains du studio où on fit une toilette rapide avant qu’il ne se rhabille. De mon
côté, je remis simplement mon string et mon soutien-gorge. De retour dans la salle, Cruz nettoya la table
et je m’installai de nouveau, sur le ventre. Je sentis soudain la chaleur de sa bouche dans le creux de mon
dos.
— Mmmmmm…
— T’es trop bandante, Bethany.
Je gloussai, alors qu’il se redressait à contrecœur. Il prépara son matériel afin de l’avoir à portée de
main, puis démarra. L’heure suivante, je restai immobile, impatiente de voir le rendu final.
— Chaque personne a une résistance différente à la douleur, mais toi, tu m’épates, me dit-il tout à coup
au bout d’une demi-heure.
— Ça va, c’est supportable. Mais il faut dire que le tatoueur est tellement sexy que je souffrirais mille
morts rien que pour avoir le plaisir de le mater, plaisantai-je, le visage légèrement soulevé pour capter
son regard.
Il eut un petit rire, me fit un clin d’œil qui me rendit toute chose, avant de se concentrer de nouveau sur
sa tâche. La séance dura une bonne heure et demie. Quand je pus enfin regarder le résultat dans la glace
fixée sur le mur, je poussai un cri admiratif.
Stupéfaite…
— Waouh, il est superbe !
La peau était encore rouge, mais chaque infime détail me sautait aux yeux dans toute sa perfection. Je
continuai à l’admirer, hypnotisée. Puis, une chose s’imposa à moi. Un tatouage de Cruz, j’allais porter une
de ses créations sur une partie de mon corps toute ma vie. Un truc énorme grossit dans ma poitrine et
mes paupières se mirent à picoter, alors que je contemplais toujours en silence la fleur de lotus grise et
ses ombres. Je me tournai vers Cruz qui m’observait avec une lueur qui emballa mon cœur.
— Merci.
Et je me jetai à son cou. Il referma immédiatement ses bras en évitant cependant la zone sensible.
— Je l’adore, merci. Il est magnifique, murmurai-je très émue.
Il me serra contre lui.
— J’ai hâte de pouvoir l’exhiber.
Je levai la tête. Lui baissa son visage, les sourcils froncés.
— Tous les mecs vont baver sur toi, lança-t-il mi-figue, mi-raisin.
— Je ne veux qu’un seul mec qui bave sur moi… Toi…
Mes yeux brûlants s’accrochèrent aux siens. Un soupir tourmenté jaillit tout à coup de sa bouche.
— Comment tu veux que je ne te saute pas constamment dessus ? C’était déjà très dur avant, mais
maintenant…
Il fixa la glace derrière moi pour mater sa création sur mon corps, et certainement mes fesses aussi. J’en
profitai pour me hausser sur la pointe des pieds et chuchoter à son oreille :
— N’oublie pas ta promesse.
Il se figea sur place. Je gardai mon sérieux.
— Ça m’excite de savoir que tu pourras le contempler quand tu me prendras par-derrière comme tu me
l’as promis.
— Bethany, gronda-t-il d’un air torturé. Tu veux ma mort ou quoi ?
Il resserra son étreinte.
Et la pelle qu’il me roula ? Mes guiboles, réduites en bouillie, s’en souviendraient certainement toute
leur vie. Après une succession de baisers torrides, il posa un pansement sur la zone tatouée en me
rappelant les consignes d’hygiène pour les prochaines semaines, puis il me donna une crème cicatrisante
à appliquer tous les jours.
— Fais attention, car les soins sont importants pour le rendu final. Certains les négligent.
J’acquiesçai, prête à suivre à la lettre ses directives. Il m’expliqua comment protéger mon tatouage en
me remettant une boîte de compresses. Ensuite, on quitta le studio, car il se faisait vraiment tard. Alors
que le pick-up roulait en direction de l’appartement de Gillian dans un Manhattan qui semblait ne jamais
dormir, je tournai mon visage vers lui.
— Merci, Cruz, j’ai passé une merveilleuse soirée. Ç’a été le plus bel anniversaire de ma vie.
Il sourit en serrant ma main qu’il avait emprisonnée dans la sienne dès qu’il avait débouché du parking.
— Je vais le dire à mon oncle, jeta-t-il soudain.
— Pour nous deux ?
— Oui…
Il marqua une petite pause.
— Le temps qu’on le dise à ton frangin, on pourra se voir chez lui.
Mon cœur battit la chamade à cette nouvelle. Trouver un endroit où on pourrait enfin profiter l’un de
l’autre, comme un couple normal, en toute tranquillité, sans risque en plus, cela me soulagea. Aux anges,
j’eus un large sourire auquel il répondit.
— C’est une super idée.
Il souleva ma main, et ses lèvres caressèrent mes phalanges.
Lorsqu’il stoppa devant l’immeuble de Gillian quelques minutes plus tard, on se sépara avec bien des
difficultés (rien de nouveau à ça) après une tripotée de baisers chauds comme la braise…

— Bougez-moi ces hanches, les filles... Allez, on y va !
La sueur coulait le long de mon dos alors que je m’escrimais à reproduire les mouvements de notre prof
de danse, Rhonda. Aujourd’hui, elle ne nous avait pas ménagées et du coin de l’œil, je vis quelques filles
grimacer de douleur. Le souffle court, je me redressai en repoussant d’un revers de la main ma queue de
cheval au-dessus de mon épaule.
— OK, maintenant on reprend la seconde partie.
À un quart d’heure de la fin du cours, des personnes commençaient à entrer dans la salle, des têtes
familières pour la plupart. Mais lors de notre dernier enchaînement, j’oubliai les spectateurs pour me
laisser emporter par la musique et les paroles de Heal me de Natalie Smith.
Depuis toute petite, j’adorais danser. Après cinq ans de classique, je m’étais dirigée vers des styles
modernes qui me correspondaient plus, la danse étant un art en constante évolution. Toutefois, ma
formation classique m’avait procuré une grâce particulière et je maîtrisais facilement les exercices, des
qualités enviées par beaucoup d’élèves. Quand je dansais, mon corps prenait simplement vie et j’oubliais
tout : le stress des études et les tracas du quotidien.
Comme à cet instant…
Heal me me transportait dans une autre dimension : je suivais la mélodie avec un déhanché sensuel,
puis je me lançai dans une série de mouvements plus compliqués avec facilité, sous l’œil approbateur de
Rhonda. Mes hanches, mes jambes et mes bras bougeaient en une synchronisation parfaite. À la dernière
note, après une pirouette sur moi-même et une réception réussie, mon regard tomba sur une paire de
prunelles chocolat qui fit faire un double salto périlleux à mon cœur.
Cruz m’avait prévenue qu’il s’arrangerait pour venir me chercher samedi, mon cours se terminant à dix-
huit heures, mais je pensais qu’il m’attendrait dehors, dans son pick-up. Une joie débordante m’envahit
tandis que je le fixais, clouée sur place, submergée par un tas de sentiments comme chaque fois qu’il
apparaissait. La respiration plus saccadée, je vis ses yeux descendre lentement le long de mon corps qui
réagit illico à cette caresse. Ils s’attardèrent sur mon legging noir pour remonter sur ma poitrine mise en
valeur dans un top à fines bretelles, couleur pourpre.
Aujourd’hui, j’avais évité de mettre mon sport bra habituel, afin de protéger mon tatouage tout frais.
Tatouage que je ne cessais d’admirer dans la glace de ma chambre, à l’insu de ma mère et de Chase qui
n’étaient pas (encore) au courant. Je ne m’éternisai pas sur cet autre secret et préférai me focaliser sur
mon Latino qui continuait à me dévisager, et mon cœur se mit à battre plus vite lorsque je remarquai une
lueur brûlante assombrir ses prunelles. Je commençai à m’avancer dans sa direction tout en luttant
contre la violente envie de courir pour me jeter dans ses bras.
Après la soirée de mon anniversaire, on s’était revus deux fois. La première, chez lui. J’avais profité de
l’absence de Knox (mon frère dormait de temps en temps chez Jailyn qui ne voulait pas négliger sa bonne
copine Holly) pour passer la nuit dans le lit de Cruz. Il m’avait fait l’amour plusieurs fois avec précaution,
en raison de mon dos encore sensible.
La seconde fois, on s’était vus chez Gillian qui nous avait laissé son appart. Bien sûr, pour pouvoir
découcher autant de fois dans une semaine, j’avais dû inventer des excuses afin de ne pas attirer
l’attention de Chase et de ma mère. Pour ça, j’étais plutôt douée, et mes études me fournissaient un bon
prétexte.
À notre deuxième rencontre, on avait refait l’amour. Rien d’étonnant à cela, dès qu’on se voyait, on
n’éprouvait qu’une envie : se jeter l’un sur l’autre et s’arracher nos vêtements. J’adorais découvrir Cruz,
l’adulte, et toutes ses facettes, mais j’adorais aussi découvrir les joies du sexe avec lui, chaque étreinte
étant encore meilleure que la précédente. Incroyable.
Je me transformais à son contact.
Cruz m’avait toujours mise à l’aise depuis le début de notre relation sexuelle, mais je me sentais à
présent plus femme, plus épanouie, plus sûre de moi. J’aimais caresser son pénis sous ses yeux
enflammés, entendre ses râles de plaisir, le voir perdre son contrôle jusqu’à ce qu’il s’enfonce en moi avec
une brusquerie excitante. Et j’adorais aussi m’endormir et m’éveiller dans ses bras. Ces deux matins, il
m’avait tirée du sommeil lentement en me faisant l’amour.
D’autres moments magiques, nouveaux.
J’aurais signé n’importe quoi pour connaître ce bonheur toute ma vie. Je profitais à fond de mon conte
de fées, partagée entre l’envie de vivre enfin notre histoire au grand jour et le profond besoin de la
protéger.
Rivée à son regard intense, je stoppai à la hauteur de Cruz, une belle anticipation flottant dans ma
poitrine. On resta à une courte distance l’un de l’autre. J’appréciais ces mesures de précaution,
notamment ici, dans mon cours de danse, mais je les détestais également. Néanmoins, la partie
rationnelle en moi savait que c’était beaucoup plus prudent, car dès qu’on commençait à s’embrasser, on
n’arrivait plus à s’arrêter.
— Salut…
— Salut…
— Je n’en ai pas pour longtemps pour me changer.
— Tu pourras te doucher chez mon oncle.
Mes yeux s’écarquillèrent de surprise.
— On va chez lui ?
— Oui, le week-end, enfin ce qu’il en reste. J’ai averti Knox que je le passais chez mon oncle.
Une ombre traversa ses prunelles et je me dépêchai de répondre :
— J’ai des affaires de rechange dans mon sac (prévoyante la nana !) Je n’ai qu’à prévenir ma mère. Je
trouverai un truc.
— OK, je t’attends dehors.
Je hochai la tête. Il s’approcha soudain plus près.
— T’as un cul d’enfer dans ce petit bout de tissu, lâcha-t-il à voix basse.
D’un ton… Oh, vingt dieux !
Mes jambes se liquéfièrent ; mes seins s’alourdirent ; une flèche de désir noya mon shorty en coton. Sur
ce, il fit volte-face et s’éloigna avec un déhanché à en avoir la langue qui traîne au sol. Le corps pulsant
de toute part, je regagnai le vestiaire et choisis de rester dans ma tenue de danse. J’enfilai simplement
ma parka, nouai une écharpe autour de mon cou et mis mes bottines. Avant de quitter les lieux, j’envoyai
un SMS à ma mère pour lui « raconter » que Gillian m’avait demandé de passer la soirée avec elle et
quelques amies. Je rentrerais le dimanche.
Les remords m’assaillirent immédiatement, mais je me consolai en me disant que tous ces petits
mensonges – en soi sans gravité – prendraient bientôt fin. Je pensai soudain à Ashley partie skier avec sa
famille. Dernièrement, je m’étais aussi promis de lui parler de Cruz à son retour.
Ce serait un bon début pour faire amende honorable.
Bien sûr, dans le vestiaire, j’eus droit à des remarques sur le Latino trop hot qui était venu pour moi. Je
m’en sortis avec une pirouette en expliquant que c’était un copain de mon frère, qui me rendait service.
Certaines se rappelaient cependant l’avoir déjà vu, il y a quelque temps. Oui, Cruz ne passait pas
inaperçu ! Je ne cherchai pas à en savoir plus et notamment si elles se souvenaient de lui à cause de Livia.
Ne pouvant réprimer une pointe de jalousie, je préférai ne pas penser à cette nana de mon cours avec qui
il avait couché.
Cet épisode, je le revoyais encore comme si c’était hier. Moi, débarquant comme une fleur chez mon
frangin à Manhattan, stoppée net dans la cage d’escalier lorsque j’avais entendu la voix de Livia sur le
point de partir, et croisant le regard de Jailyn qui n’avait pas trahi ma présence. D’après certains échos, je
savais que cette peste avait trouvé un boulot dans le Queens dans une boutique de mode, et un mec au
passage.
Loin de Brooklyn ! Tant mieux.
Je refoulai ce souvenir cuisant pour me hâter de dégager de là. Quand j’émergeai du bâtiment et vis
Cruz adossé contre la portière de son véhicule dans une attitude sexy et nonchalante, une cheville posée
sur l’autre, les pouces dans les poches de son jean, des reflets bleutés dansant dans ses cheveux sous la
brise, mon sentiment de culpabilité envers ma mère s’envola très loin. Ce moment me rappela notre
rencontre, le jour où il était venu me demander de l’aide pour organiser l’anniversaire de Knox.
Beaucoup d’eau avait coulé sous les ponts ; tant de choses avaient changé depuis entre nous… Parfois,
j’avais encore du mal à y croire. Le cœur se soulevant de bonheur, j’accélérai le pas, pressée de me
retrouver seule avec lui. Ses lèvres se retroussèrent en un sourire en coin sans qu’il ne me quitte du
regard. Pas une seconde. Quand je fus à son niveau, il m’ouvrit galamment la portière passager.
— Tu as gardé ton petit legging…
Sa voix me fit frissonner de la tête aux pieds. Je répondis dans un souffle, un brin provocante :
— Oui, rien que pour toi.
Un jet de flammes s’alluma dans ses yeux.
— Grimpe, avant que je te jette sur la banquette arrière.
Mes jambes faillirent se dérober sous moi et je montai sans attendre.
Chapitre 24

Cruz

Je fermai la porte d’entrée derrière Bethany qui s’était arrêtée au milieu du hall.
— Hé, Tio, on est là ! lançai-je.
Mon oncle apparut sur le seuil de la cuisine avec un grand sourire, puis ouvrit ses bras en grand.
— Hey, Bethany, ça fait plaisir de te revoir !
Puis il ajouta à mon intention.
— Qué hermosa niña !
Quelle belle petite !
Je vis les joues de ma blondinette se colorer et elle lui rendit son étreinte avec la même affection. Son
espagnol scolaire lui permettait de comprendre une phrase toute simple de ce genre. Mais une fierté
bien masculine m’envahit immédiatement, bah… légèrement macho, voire énormément !
Ouais, elle était canon et elle était à moi ! Une réaction des plus basiques ! Mais l’alpha possessif,
quelque part en moi, éjectait de véritables jets de vapeur de ses narines.
— Je suis aussi contente de vous revoir, Tio.
Mon cœur fit un sacré bond en l’entendant utiliser le même surnom affectueux que moi. Un détail qui fit
également plaisir à mon oncle.
— Entre, ma belle.
Je les suivis dans la cuisine, mes yeux scotchés sur ma petite blonde, sa longue queue de cheval se
balançant dans son dos, sur sa parka beige.
— J’ai préparé un chili con carne.
— Oh, il ne fallait pas vous donner autant de mal ! s’exclama Bethany.
Elle s’approcha de la table. Je vins me placer derrière elle et glissai mes bras autour de sa taille pour la
ramener contre moi. Mon nez plongea dans ses cheveux.
— Le meilleur de tout New York, dis-je en caressant sa tempe.
Je me redressai alors qu’elle tournait à moitié le haut de son corps, le visage levé, un joli sourire dessiné
sur ses belles lèvres à croquer.
— Je n’en doute pas.
Du coin de l’œil, je vis mon oncle sourire en nous contemplant. Je ne me privai pas de me pencher pour
lâcher un baiser sur la bouche de ma nana. Ses joues se colorèrent illico devant notre témoin.
— Les enfants, il suffira de le réchauffer. Ce soir, j’ai ma partie de cartes chez Hernando, intervint Tio
avec un gloussement.
Son rendez-vous hebdomadaire. Mais aujourd’hui, je le soupçonnais de partir plus tôt pour qu’on puisse
se retrouver en tête à tête, Bethany et moi. Je lui avais confié toute l’histoire depuis le début. Il m’avait
écouté avec attention, sans me juger, sans me reprocher quoi que ce soit vis-à-vis de Knox. À la fin de
notre conversation, il m’avait simplement conseillé de lui parler le plus tôt possible. Ce que j’avais promis
de faire dès que l’occasion se présenterait, après le week-end de ski.
— On se verra demain, Bethany. Pour le déjeuner, j’ai prévu de te préparer des fajitas, une de mes
spécialités. Tu m’en diras des nouvelles.
Toujours nichée dans mes bras, ses mains posées sur les miennes croisées sur son ventre, elle eut un
rire. Malgré son manteau, je sentais ses fesses contre ma braguette. Et en imaginant son petit collant,
mon esprit entrait en ébullition…
Peut-être pas une bonne idée devant mon oncle.
— Vous me gâtez trop, Tio, entendis-je à mes oreilles échauffées.
Ah, mon cœur enfla en captant de nouveau ce surnom ! Tio agita ses doigts en un geste
universel signifiant : « Mais non, voyons, ce n’est rien ».
— Occupe-toi bien de notre invitée, Cruz.
Il n’avait pas idée à quel point j’allais bien m’occuper d’elle ! Ah, l’ado primaire en moi remontait d’une
façon inquiétante ! Une régression certainement due à la trique que je sentais dans mon froc. Mais
comme à la belle époque, mon oncle n’était pas né de la dernière pluie. Toutefois, il avait su évoluer avec
son temps et me faisait entièrement confiance. En plus, il appréciait Bethany. Il avait d’ailleurs été très
heureux d’apprendre notre relation. Du coup, pour la forme, j’avais tout de même eu droit à une mise en
garde : j’avais intérêt à bien me comporter avec cette petite si je ne voulais pas qu’il me botte le cul.
J’en rigolais encore.
Il ne s’attarda pas ; ce qui me soulagea, vu la barre de fer que j’avais à présent dans mon jean. Après
son départ, j’entraînai Bethany au sous-sol.
— Tu veux prendre une douche maintenant ? demandai-je en empruntant un couloir en bas des
escaliers.
— Oui, s’il te plaît, Rhonda ne nous a pas ménagées. Je me sens toute collante.
On arriva devant une porte. Je l’ouvris et l’invitai à entrer dans une pièce de bonnes proportions.
— C’est l’ancienne chambre de Rafe, Tio l’a complètement refaite, expliquai-je. Il y a un accès direct au
garage.
Bethany ôta son manteau qu’elle posa sur un vieux sofa calé face à un lit deux places tout en observant
les lieux, avant de se tourner vers moi.
— Vivre ici lui permettait d’être indépendant, devina-t-elle.
J’eus un haussement d’épaules.
— Oui… mais un matin, il est parti et il n’est plus jamais revenu.
Même moi, je perçus l’amertume dans mes paroles. Son regard s’adoucit et ma gorge se noua.
— Je suis désolée, Cruz, murmura-t-elle.
Le fantôme de Rafe ? Rien de tel pour calmer une trique dans un froc. Ce n’était pas ce que je voulais,
oh non ! Mais malgré moi, je continuai :
— J’étais en colère, je lui en ai voulu…
Je marquai une pause.
— Mais il a eu raison. Après son initiation, son intégration officielle dans le gang, il a fait ce qu’il y avait
de mieux à faire.
Elle acquiesça sans rien dire.
Je m’efforçai de chasser ces mauvais souvenirs. Rafe serait toujours pour moi une blessure qui ne
cicatriserait jamais complètement. C’était ainsi, j’avais appris à vivre avec. Ce fut pourtant à cet instant
que je me rendis compte d’une chose pour la première fois : à quel point cette petite nana en face de moi
me faisait un bien fou, et à bien des niveaux. Oui… je réalisai soudain qu’elle avait comblé un vide qui
était de nouveau apparu ces derniers temps. Si je voulais prendre quelques minutes pour réfléchir, ce
sentiment de manque était certainement revenu suite à la rencontre surprise avec mon frère en plein
Manhattan, près du studio. Depuis que Bethany faisait partie de ma vie à cent pour cent, une chaleur
s’était peu à peu formée à cet endroit douloureux et ne le quittait plus.
Je savourai quelques secondes la sensation en la dévisageant en silence, mes yeux plongés dans ses
prunelles si claires, avant que je ne les baisse sur sa poitrine moulée dans son haut sexy. Désir et émotion
se percutèrent quand je m’approchai d’elle. La veine de son cou se mit à battre plus vite.
J’adorais la troubler autant.
— Une douche à deux, ça te dit ? lâchai-je d’un ton rauque.
Les pointes de ses seins durcirent immédiatement. J’en salivai.
— Oui…
Sa voix essoufflée propulsa un autre flux sanguin de mon cerveau à ma queue. Je pris sa main dans la
mienne et l’entraînai vers la salle de bains adjacente à la chambre, une tension sexuelle à couper au
couteau cisaillant l’air. À l’intérieur, on se déshabilla mutuellement sans cesser de se rouler des pelles, de
plus en plus torrides. Puis, je la soulevai dans mes bras et sentis sa chatte se nicher contre ma bite, ses
seins ronds et fermes s’écraser contre mon torse. Je la portai dans la cabine de douche ; ma main palpa
ses fesses bien rondes avant que je n’enfonce index et majeur dans son vagin.
Et c’était toujours la même putain de sensation ! Le paradis. Plus que ça !
Elle mouillait, et bien…
Ses gémissements, je les avalai un à un dans ma bouche affamée. Les muscles durement bandés, ses
plaintes mêlées à mon souffle inégal, je la maintins dans cette position en faisant plusieurs va-et-vient
avec mes doigts, avant de la plaquer contre le mur carrelé pour dévorer ses lèvres. Après une succession
de baisers brûlants, je laissai glisser ses pieds sur le sol et libérai sa chatte pour mettre en route la
douche. Le jet d’eau battant dans mon dos, sa paume s’enroula direct autour de mon pénis et, prise d’une
nouvelle assurance, ma blondinette me caressa avec un talent à faire trembler mes genoux comme des
castagnettes. Je grognai de plaisir en écartant plus les jambes, ma queue au garde-à-vous, esclave de sa
petite main si douée. La respiration erratique, je plongeai mon regard dans le sien, brillant.
Putain, que c’était bon !
Mes mains, elles, se levèrent pour pétrir les seins appétissants qui dansaient devant moi, puis je me
penchai brusquement pour happer un mamelon, le sucer avec ardeur, les doigts de Bethany s’activant
toujours autour de ma bite. Soudain, je tombai à genoux et la poussai en arrière.
— Cruz…
Ses fesses collées contre le carrelage mural, je soulevai l’une de ses jambes pour la placer au-dessus de
mon épaule. Ainsi, j’avais une vue imprenable sur sa chatte.
Waouh, une chair brillante de désir m’apparut dans toute sa beauté.
— C’est à moi… rien qu’à moi, grondai-je d’un ton presque effrayant.
Elle trembla.
— Oui…
— Redis-le !
— Oui…
— À moi !
— Oui, à toi, rien qu’à toi, Cruz.
Submergé par une pulsion sauvage, je donnai un grand coup de langue sur sa fente humide. Ses doigts
s’enfouirent dans mes cheveux et, de mon champ périphérique, je la vis se cambrer : un cri excitant
résonna dans la cabine.
Parfait.
Du pouce et de l’index, j’écartai ensuite ses lèvres vaginales et la goûtai de nouveau, avalant ses
sécrétions douces et chaudes, m’enivrant de son goût avec une tonne de grondements bestiaux. Je me mis
à lécher chaque millimètre, chaque pourtour, chaque recoin de sa chatte, ses cris de plaisir étant toujours
un véritable aphrodisiaque. Ma bouche se referma finalement sur son clito palpitant d’excitation. Je le
suçai avec une avidité effrénée, alors qu’elle commençait à trembler comme une feuille secouée par des
rafales de vent.
— Ohhh…
C’était le bon moment.
Je me levai brusquement, la soulevai tout aussi brusquement dans mes bras, mes mains sous ses fesses
et, d’un puissant coup de reins, je plongeai enfin en elle ; ses parois vaginales se refermèrent autour de
ma queue pour l’avaler avec voracité. Le temps s’arrêta ; il n’y avait pas de mots sur terre pour décrire ce
plaisir inouï. Être en elle, peau contre peau, chair contre chair. On suffoqua, manqua d’air durant de
longues secondes.
Putain, c’était trop trop bon ! J’étais accro.
Je commençai à me retirer et m’enfoncer en elle, encore et encore. À chaque mouvement, son petit cul
sexy cognait contre le mur carrelé, ses mains agrippées à mes épaules.
On se bouffa les lèvres.
Le plaisir devint si intense que nos corps se mirent à trembler comme des toxicos. Tellement fort, que
nos tremblements se mêlèrent jusqu’à l’explosion finale.
Éjaculer en elle, la savoir remplie de mon sperme ?
Le mâle alpha en moi en jouit jusqu’aux tripes.
Un quart d’heure plus tard, quand elle écarta les cuisses (sur le lit cette fois-ci) pour avaler de nouveau
ma bite – car j’étais accro et insatiable –, je sentis ses talons s’enfoncer dans mes fesses. Ma langue glissa
dans sa bouche.
Un désir dévorant explosa une nouvelle fois entre nous.
Les minutes suivantes, ce ne fut qu’une succession de coups de reins. Je me retirais jusqu’au gland,
toujours plus loin, à un cheveu de m’échapper de sa chaleur si enivrante, pour m’enfouir très
profondément en elle. Ses paroles qui alternaient avec de longs gémissements devinrent vite très
décousues.
— Cruz, c’est… trop… oui… encore… bon… aime… queue…
Celle-ci, je ne voulais pas la louper !
— Tu aimes ma queue, Bethany ?
Du gravier avait envahi ma gorge.
— Tu la veux ?
— Ouiiii !
— Comme ça ?
Je m’enfonçai bien profondément.
— Oh oui, comme ça…
Je ne me fis pas prier.
Mes cuisses heurtèrent ses fesses en un rythme rapide. On n’entendait plus que le bruit de nos corps,
des clac clac, à chaque poussée. Ses mains volèrent sur mon dos pour le pétrir et caresser chaque muscle
avec cette fièvre que j’aimais tant. Pour la première fois, depuis qu’on couchait ensemble, mes coups de
reins devinrent beaucoup plus violents, jusqu’à la pilonner carrément sur le lit. Aussi excitée que moi, elle
se cambrait à présent au maximum pour venir à ma rencontre, avec le même déchaînement. Au moindre
signe d’inconfort de sa part, j’aurais eu la force d’arrêter, mais à ma grande joie, elle criait maintenant,
submergée par un plaisir différent.
— Cruz… Cruz…
Je lui donnai ce qu’elle voulait.
Ce qu’on voulait tous les deux.
De la pure baise.
Je balançai ses jambes sur mes épaules, mes mains se glissèrent sous ses fesses pour les soulever du
matelas, et je la besognai durement.
— Oh ouiii… encore…
Jusqu’à l’explosion finale, de nouveau ! À la même seconde, de violents spasmes nous secouèrent de
part en part durant un temps infini, avant que je ne me laisse retomber lourdement sur son corps, hors
d’haleine, comblé, aux anges. Elle me caressa tendrement la nuque et je trouvai la force de me redresser,
noyant mes yeux dans deux flaques brillantes.
Elle me contempla avec un petit sourire adorable, les joues rouges. Je n’avais pas besoin de lui
demander si elle avait aimé. J’avais été aux premières loges et senti la moindre de ses réactions ; mes
tympans résonnaient encore de ses cris.
Mais le mâle en moi voulait l’entendre.
— Tu as aimé ?
— Quand est-ce qu’on recommence ?
Ce fut sa réponse.
Les épaules secouées d’un début de fou rire, j’enfouis mon visage dans ses cheveux ; une sensation qui
ressemblait à une énorme vague remplit ma poitrine trop étroite. Je la serrai encore plus fort dans mes
bras. Mon corps écrasait déjà le sien, mais une terrible pulsion en moi exigeait qu’elle soit toujours plus
près. Les yeux fermés, je goûtai ce moment avant de basculer sur le côté et l’attirer tout contre moi.
Ensuite, on fit une pause pour casser la croûte dans la cuisine.
Plus tard, le dos appuyé contre la tête de lit, Bethany installée entre mes jambes, tous les deux nus, mes
doigts la caressèrent lentement : ses seins, son ventre avant d’atteindre sa chatte. Son souffle s’accéléra
et, avec douceur, je lui donnai un énième orgasme. Quand elle pivota sur moi après quelques secondes, ce
fut pour s’empaler direct sur ma queue, nos regards se scotchant l’un à l’autre. Elle glissa vers le haut,
vers le bas, le long de ma bite dure, avec une sensualité à me faire décoller dans la seconde.
Je n’en avais toujours pas assez d’elle.
Je la plaquai sur le dos et lui fis de nouveau l’amour, avec plus de douceur que la fois précédente
cependant. On s’endormit beaucoup plus tard. Pourtant, je n’en avais décidément pas assez, car je la
repris une autre fois dans la nuit, incapable de me rassasier d’elle, savourant les petits sons qui sortirent
de sa bouche lorsque, enfoui en elle, je la réveillai doucement. Dans notre cocon, loin de tout, on prit un
autre pied, intense.

Le dimanche fut différent. Bien sûr, dès que je le pouvais, je lui roulais une pelle, Tio ou pas Tio dans les
parages. Je craquais complètement devant ses joues rouges quand il apparaissait dans une pièce. On
déjeuna ensemble. Bethany se régala de ses histoires dont j’étais la vedette, moi et toutes mes conneries,
évidemment. Elle éclata de rire plusieurs fois. Nos mains étaient jointes sur la table, ses iris bleus
pétillaient, son rire clair et communicatif cascadait dans la maison, elle m’hypnotisait. Je n’arrivais pas à
détacher mes yeux d’elle.
Quelquefois, je croisais le regard de mon oncle qui me souriait d’un air mystérieux, comme s’il savait
quelque chose que je ne saisissais pas. On regarda la télé, mangea la tarte que Tio avait faite
spécialement pour Bethany. Elle le remercia à profusion.
Et la journée s’écoula trop vite.
Pour éviter que Chase ou sa mère ne s’inquiètent de son moyen de locomotion depuis Manhattan, elle
décida de rentrer chez elle avant la tombée de la nuit. J’aurais voulu qu’elle reste encore, mais bien sûr,
c’était plus prudent. Tio ne vivait pas très loin de son quartier, mais je refusai qu’elle rentre seule comme
elle me le proposa. Avant de partir, elle étreignit mon oncle avec affection, il fit de même, puis on s’en
alla. Le trajet à pied passa également bien vite. Je m’arrêtai un peu avant l’angle de sa rue. Quand elle
s’éloigna après un baiser trop rapide à mon goût, je la rappelai d’une voix rauque :
— Bethany?
Avant de m’approcher à grands pas déterminés.
Sans sommation, ma main se planta sur sa nuque pour l’attirer contre moi d’une poigne de fer, mes
lèvres s’écrasèrent sur les siennes durant un temps infini. Nos bouches se décollèrent finalement l’une de
l’autre ; je plongeai mon regard dans le sien.
— Je t’appelle…
Elle acquiesça, les yeux brillants.
Elle semblait super heureuse.
Moi, je l’étais.
Cette fois-ci, lorsqu’elle s’éloigna à nouveau, je la laissai partir en bloquant toutefois mes poings dans
les poches de mon jean.

Les trois semaines précédant notre week-end au ski, avec mes potes et Jailyn, furent certainement les
plus belles de ma vie. En milieu de mois, je fêtai la Saint-Valentin avec Bethany dans un petit resto sympa,
avant qu’on ne termine la soirée chez mon oncle. Entre l’agenda de ma blondinette et mon job, on
grappillait la moindre minute pour pouvoir se voir. J’allais régulièrement la chercher à son boulot. Il
m’arrivait souvent d’arriver en avance et de l’attendre, assis à une table, à dessiner tout en grignotant un
morceau. Son patron venait à présent taper la discute avec moi dès qu’il m’apercevait dans la salle. On
passait aussi certaines soirées chez Gillian, une fille vraiment chouette que j’avais appris à mieux
connaître.
Chaque jour, on découvrait d’autres facettes de nos personnalités ; on faisait l’amour ; on baisait ; on
riait de nos vannes ; on parlait de tout et de rien ; on aimait également les silences paisibles, quand on
était blottis l’un contre l’autre pour regarder une de ces séries (merdiques) dont Bethany raffolait. Il n’y
avait d’ailleurs pas que la télé : la radio de mon pick-up était souvent branchée à présent sur des stations
qui déversaient les mêmes rengaines à longueur de journée.
Qu’est-ce qu’un mec ne ferait pas pour sa nana !
Sinon, on avait testé plein de positions, au lit, dans la douche, qui me permettaient d’avoir une vue
imprenable sur son tatouage : une fleur de lotus sur une chute de reins qui me rendait vraiment fou de
désir quand Bethany dandinait ses hanches devant moi. Je soupçonnais ma blondinette de prendre son
pied à me faire baver dans de nombreuses situations. La première fois que je l’avais prise par derrière
(comme promis), je n’avais pas tenu longtemps, elle non plus d’ailleurs, très très excitée.
Depuis, elle adorait cette position.
Cette pensée me fit sourire.
J’étais heureux comme jamais je ne l’avais été.
Toutefois, ce soir-là, je chassai très vite ces images torrides avant d’avoir une tente dans mon pantalon
ou de foncer dans le décor. Pas le moment. Parce qu’en effet, je roulais derrière la Mustang de Knox, Zack
à ses côtés, Jailyn à l’arrière. Ryder faisait le voyage avec moi, installé sur le siège passager de mon pick-
up, ses doigts battant la mesure sur un genou, de la musique funky s’échappant de l’autoradio. Station
qu’il avait choisie dès notre départ de Manhattan.
Après deux bonnes heures de route, on n’était plus très loin de notre destination. Le chalet qu’on avait
loué se trouvait dans les montagnes Catskill, à proximité de la station Windham Mountain, située à trois
heures de New York. À une époque, je skiais (du snowboard) régulièrement avec mes potes, chaque
année. Puis la vie, le stress du boulot, le lancement de notre propre entreprise nous avaient un peu
rattrapés. Du coup, ça faisait au moins deux ans que je n’avais plus mis les pieds sur une planche.
En notre absence, on avait confié les clefs du studio à Chase et Madison pour assurer la journée du
samedi – uniquement ses propres rendez-vous. Zack et moi, on avait tout de suite remarqué à quel point
notre confiance lui avait fait plaisir. Petit à petit, il sortait de sa coquille et on retrouvait avec joie le
Chase familier, celui d’avant cette sale période. Mes pensées revinrent sur le week-end qui se profilait.
J’étais content d’aller m’éclater sur les pistes avec mes potes, mais j’avais les boules de ne pas voir
Bethany pendant deux jours entiers. Une éternité. Mais tous ces secrets seraient bientôt terminés.
Au cours des dernières semaines, j’étais sorti avec Ryder au Nine, pour l’une de nos parties de billard
habituelles. Toutefois, je sentais qu’il commençait à se poser des questions. Si mon intuition ne me
trompait pas, il les gardait dans son bec pour l’instant, à mon immense soulagement. J’étais fatigué de
mentir ; une nervosité grandissait en moi au fil des jours. Knox avait certainement aussi remarqué que je
découchais plus que d’habitude, mais il respectait ma vie privée et ne m’avait fait aucune allusion. Il faut
dire qu’ayant décroché un gros contrat avec une maison de disques de L.A., il était très pris en ce
moment, ce nouveau challenge monopolisant son esprit.
— Ça va faire du bien de passer du temps ensemble, ce week-end, lança soudain Ryder en tournant la
tête dans ma direction. On s’est pas beaucoup vus ces derniers temps.
Je ne me souvenais plus à quand remontait exactement notre dernier billard. Mais je me rappelais très
bien que j’avais passé une bonne partie de la soirée à guetter les SMS de Bethany.
— Oui, c’est cool.
— Au fait, il y a un club pas loin du chalet, on pourra aller s’éclater demain soir. Zack, Knox et Jailyn
sont partants.
Bien sûr, je n’avais pas envie de m’éclater dans un night-club sans Bethany, car je risquais d’être obligé
de déployer des trésors d’ingéniosité afin d’éviter les nanas trop collantes (sans fausse modestie). Pour
autant, je ne voulais pas gâcher le week-end de mes potes – surtout celui de Ryder envers qui je
culpabilisais. Et je ne voulais pas non plus attirer l’attention sur mon manque d’enthousiasme.
— OK, répondis-je à contrecœur.
Il était vraiment temps que tout ça se termine. À notre retour, j’avais bien l’intention de profiter de la
première bonne occasion pour avoir une conversation avec Knox. J’aurais respecté ma promesse. Mes
pensées furent soudain interrompues par plusieurs vibrations de mon portable posé près du levier de
vitesse ; je les ignorai devant Ryder. Par mesure de précaution, je l’avais même protégé par un mot de
passe.
Au cas où.
Ce soir, je savais que Bethany gardait sa sœur chez son père, tout comme elle savait que je me trouvais
sur la route actuellement et que je ne répondrais que plus tard à ses textos. Elle était très excitée à l’idée
de s’occuper de la petite. La gamine avait bien changé d’après les dernières photos qu’elle m’avait
fièrement montrées. Ma blondinette était aussi ravie, car elle avait appris – une indiscrétion de sa belle-
mère – que son paternel avait l’intention d’inviter Knox et Jailyn dans les prochaines semaines. J’étais
heureux pour elle. Ma nana méritait de retrouver une famille plus unie. Chase, de son côté, refusait
toujours de voir la bouille de la petite. Bethany avait bien tenté de relancer le sujet, mais il avait coupé
court.
Dans les derniers miles, la route en lacets m’imposa un maximum de concentration. À une bifurcation, je
vis Knox mettre son clignotant à gauche, puis on longea un chemin quelques minutes avant de déboucher
sur quatre chalets identiques, le nôtre se trouvant être le deuxième sur la droite. Quelqu’un avait allumé
les lampes sur la façade, près de la porte d’entrée, ainsi que le long de l’allée menant au garage. Allée sur
laquelle je me garai, derrière la Mustang.
En descendant du pick-up, j’entendis Jailyn s’extasier devant ce « cottage si mignon ». Son enthousiasme
me fit sourire : il me rappelait celui de Bethany. Il redoubla à l’intérieur lorsqu’elle découvrit la cuisine
ouverte sur un salon spacieux équipé d’une belle cheminée, et décoré d’une grande baie dont la vue
devait être quelque chose en plein jour, à une telle altitude.
À cette heure, on ne distinguait qu’une traînée de lumières formant de petites taches étincelantes au
loin, dans la vallée. J’entendis la voix de Columbia pousser des « oh » d’admiration avec sa spontanéité
habituelle. C’était marrant, car son accent de Philly ressortait bien quand elle était énervée ou dans un
état extatique comme à présent. Je vis Knox sourire sans quitter sa gonzesse des yeux.
Ah, putain, Bethany me manquait !
Mais j’évitai de penser à la sœur de mon pote au risque de tout lui déballer, là, maintenant, devant
témoins. Je ravalai un gros soupir. Durant le quart d’heure suivant, on se répartit les chambres après une
visite complète des lieux. La Master, située à l’étage, avec balcon et salle de bains adjacente, fut attribuée
à nos tourtereaux. Mon associé récupéra la chambre individuelle au niveau inférieur, agrémentée
également d’une belle baie vitrée qui s’ouvrait sur l’arrière du chalet. Derrière les vitres, on apercevait
une grande étendue de neige et l’ombre des arbres d’une forêt au bout du terrain. Ryder et moi, on
atterrit dans celle équipée de lits jumeaux, à côté de chez Zack. Je laissai tomber mon sac sur le lit qui
était déjà fait.
Au niveau prestations, rien à redire.
— Tu ronfles, je te balance par la fenêtre, plaisantai-je.
Mon pote me répondit par un doigt d’honneur avec un ricanement.
Puis, on déchargea les coffres : la bouffe, nos sacs de voyage, notre matos de ski, nos trois planches,
etc. Jailyn, très organisée, nous avait préparé des sandwiches, salades et d’autres plats pour tenir le
week-end. Affamés, on cassa ensuite la croûte en discutant à bâtons rompus autour d’une table dans la
salle à manger. La soirée passa très vite. Ryder ayant repéré une Xbox et ses jeux rangés dans le meuble
télé, on en trouva rapidement un qui convenait à tous (y compris Columbia), Mario Kart. On s’éclata
comme des gamins. Mais entre une journée de boulot intense et la route, la fatigue eut finalement raison
de nous. On alla se crasher dans nos lits.
Le samedi passa à toute allure. La planche, c’était comme le vélo, ça ne s’oubliait pas. Avec bonheur, je
goûtai aux joies de ce sport et d’un bon bol d’air frais en montagne. Knox resta avec Jailyn qui avait loué
son matériel sur place. Son expérience se résumait à deux ou trois séances de ski dans toute sa vie. Zack,
Ryder et moi, on partit se défoncer sur les pistes noires avant que mon associé ne réussisse enfin à
convaincre Knox (avec l’aide de Columbia) de lâcher la prunelle de ses yeux, afin de profiter un peu de
descentes trop difficiles pour sa nana. Zack lui promit de ne pas la quitter une seule seconde. Il y a
quelques mois, j’aurais chambré mon pote ; maintenant, je le comprenais et fermai mon clapet. Laisser
Bethany ? J’aurais eu autant de mal que lui, même pour aller m’éclater sur une super piste.
Le soir, on mangea au chalet, puis l’heure fatidique arriva, hélas : je dus me préparer pour aller en
boîte. Putain, je n’en avais vraiment pas envie, mais je masquai mon manque d’enthousiasme derrière ma
façade habituelle. Une façade qui commençait toutefois à avoir un tas de fissures difficiles à colmater.
L’effort me coûtait, bon sang ! Quand on arriva au Bootie – au moins le nom me fit marrer –, j’inspirai un
grand coup avant d’affronter une soirée qui risquait se révéler très galère.
En général, boîte de nuit, pour mes potes qui me connaissaient depuis longtemps, sous-entendait « 
chasser une meuf pour en faire mon dessert ». Mais Ryder, et Zack dans une moindre mesure, avaient
déjà remarqué mon nouveau comportement au Nine, mon soudain manque d’intérêt envers les gonzesses,
bien que certaines soient de véritables canons. Je faisais mes deux ou trois parties de billard et je me
cassais. Si des nanas nous abordaient ou si Ryder les attirait à notre table, je m’en tenais au strict
minimum : un peu de parlotte, de la rigolade et basta. Comme je l’ai souligné précédemment, si mon pote
se posait des questions, il les gardait pour lui (pour l’instant). Plutôt étonnant, à vrai dire, mais je n’allais
pas m’en plaindre. Donc, logiquement, mon attitude ce soir ne devrait pas trop les interpeller.
En revanche, avec Knox, ça faisait un bout de temps qu’on n’était pas sortis ensemble dans un night-
club. Alors, je remarquai vite ses yeux un tantinet surpris se tourner dans ma direction à un intervalle de
plus en plus régulier, tandis que je sirotais mon deuxième verre.
— Rien qui t’intéresse ? me demanda-t-il finalement.
— Je préfère profiter un peu de mon coloc et de sa moitié.
Jailyn me sourit, le regard toutefois pensif, mais j’arborai un visage pétillant qui ne laissait rien voir de
la bataille intérieure que je menais. Knox sourit également et me fit un high five. S’il était étonné par ma
conduite de moine, il ne dit rien.
Quand il revint plus tard de la piste de danse, une main nouée à celle de Columbia, j’avais toujours mes
fesses collées sur la banquette qui formait un demi-cercle autour d’une petite table ronde. Ryder n’était
plus dans les parages. Quelque part dans un coin, il avait déjà certainement sa langue enfoncée au fond
de la gorge de la brunette qu’il avait repérée d’entrée. Et Zack discutait avec une petite rousse près du
bar. Je vis de nouveau Knox me lancer un regard curieux avant de remarquer trois filles assises, à
quelques mètres, qui émettaient les bons signaux. Tous les deux, on avait assez écumé les bars et les
boîtes pour les sniffer de loin, même les plus discrètes.
Il resta silencieux, mais je pouvais entendre les rouages de son cerveau. Qu’est-ce que je faisais encore
planté là, dans une boîte, moi, Cruz, le mec à nanas, son pote de toujours qu’il connaissait par cœur, alors
que j’avais une véritable autoroute dégagée en direction de trois bombes, plus que consentantes et très
intéressées ? Et parmi elles, il y en avait une qui aurait été ma came, il y a quelques mois.
La soirée allait être longue !
Un peu plus tard, mon portable vibra et je m’aperçus que c’était Bethany. Vu où j’étais assis par rapport
à Knox et Jailyn, il n’y avait aucun risque à lire son SMS et y répondre.
Bethany : Qu’est-ce que tu fais ? Tu me manques trop.
Ces derniers mots suscitèrent une petite euphorie en moi.
Puis vint immédiatement le moment délicat : ma réponse. Hors de question que je lui mente.
Moi : Ils ont voulu aller en boîte, je n’en avais pas envie. Je bois un coup avec ton frère et
Jailyn.
Sa réponse se faisant attendre, j’étais déjà prêt à me rendre aux chiottes pour lui téléphoner, quand un
bip mit enfin un terme à mon calvaire.
Bethany : Désolée, la couche de K était toute mouillée et elle n’était pas contente, la puce… Je
te fais confiance, Cruz.
Un gros soulagement me submergea jusqu’à la moelle. Je tapai un autre texto, oubliant tout autour de
moi (un effet dangereux de ma petite nana).
Moi : Tu me manques trop, toi aussi. J’ai trop envie de te voir… te serrer dans mes bras et te
faire plein de trucs.
Bethany : ☺ ☺ ☺
Un autre suivit.
Bethany : Profite de ta soirée. Enfin pas trop ;)
Moi : Toi aussi. Je t’appelle dès que je peux.
Bethany : ♥ ♥ ♥
Un lent sourire s’étira jusqu’à mes deux oreilles. Je levai soudain la tête et me figeai sur la banquette en
croisant le regard mi-très étonné, mi-très curieux de Knox. Je le soutins, mes doigts un peu crispés sur
mon smartphone. Il m’observa durant une poignée de secondes qui sembla se prolonger indéfiniment. Et
j’étais incapable de détacher mes yeux des siens, luttant contre une terrible envie de me tortiller sous son
examen silencieux. Il baissa ses prunelles grises sur mon portable que je tenais toujours serré entre mes
mains, avant de les relever, un sourire en coin retroussant à son tour les commissures de ses lèvres.
— Je ne sais pas qui t’envoie ces textos, lâcha-t-il soudain, mais je ne t’ai jamais vu sourire et regarder
ton téléphone comme ça.
Pas question de lui demander à quoi ressemblaient mon fameux sourire ni mon regard ! Mal à l’aise, je
ne pus que m’en sortir avec une crasse de mon cru :
— Tu ne m’as jamais vu comme ça ? Bah, vieux, si tu étais moins obsédé par ta meuf (au passage, je fis
un clin d’œil à Columbia), tu te rendrais compte de plus de choses (j’ignorai le côté ambigu de cette
phrase) ! Il pourrait y avoir une invasion de zombies, tu serais le dernier sur terre à les remarquer.
Il rit, le majeur levé en un beau fuck.
— Toi, tu regardes trop The Walking Dead !
Je rigolai. Puis il me sortit un truc auquel je ne m’attendais pas du tout. Vraiment pas.
— T’as l’air heureux, mec…
Il paraissait content pour moi.
Silence.
Je ne sus que répondre, assailli par un tas d’émotions, un vrai choc frontal. Je lui souris, la gorge serrée.
Je ne sais pas ce qu’il vit dans mes yeux qui semblaient soudain me brûler, mais il leva son verre pour
trinquer. Comme s’il avait senti à cet instant précis qu’il fallait alléger ce moment trop intense pour moi,
où violents remords et profonde affection envers mon pote se percutaient de plein fouet. Je portai un
toast avec lui, puis il se mit ensuite à rire avec sa moitié. Je pus relâcher l’air contenu dans mes poumons
avant de finir ma vodka le plus lentement possible, pour faire quelque chose de mes mains agitées.
Plus tard, Jailyn m’entraîna sur la piste. Elle réussit à ce que je me détende en me déhanchant sur du
Lady Gaga. J’entamai même le refrain Born this way à tue-tête avec elle, et on se tapa des barres, rejoints
par Knox, Zack sans la rousse, et Ryder accompagné de sa brunette.
Chapitre 25

Bethany

Le dimanche, après avoir bien traîné dans mon lit, je descendis prendre mon petit déjeuner en pyjama.
La cuisine était vide, car ma mère était de garde ce week-end. Je bus un jus d’orange avant de mettre un
café en route, puis je commençai à préparer des toasts. Chase apparut cinq minutes plus tard, la tête
dans le gaz, les cheveux en pétard, une marque d’oreiller sur la joue droite, vêtu d’un bas de jogging gris
et d’un tee-shirt lavé et relavé, d’une couleur indéfinie.
Je souris à son allure.
Je ne l’avais pas entendu rentrer cette nuit. La veille, il m’avait prévenue qu’il allait boire un coup avec
des potes. Vu sa tronche, ils avaient dû terminer la soirée en boîte.
— Alors, ça s’est bien passé au studio ?
Il bâilla à s’en décrocher la mâchoire avant de me répondre :
— Yep, comme une lettre à la poste.
— Tu t’entends bien avec Madison...
C’était plus une affirmation qu’une question.
— Oui, c’est une chic fille.
Il me jeta un regard en biais alors qu’il prenait le jus d’orange dans le frigo.
— Te mets pas des trucs en tête, il ne se passera rien avec elle.
Il se servit un verre.
— Parce que vous travaillez ensemble ? Parce qu’elle est plus âgée que toi ? demandai-je d’un ton
curieux. On lui donne ton âge, ajoutai-je en retirant les premiers toasts du grille-pain, et sans me brûler
les doigts.
D’après mes souvenirs, elle devait avoir trois ans de plus que Chase, l’âge de Zack.
— Tu cherches à me caser ? ironisa-t-il avant de continuer plus sérieusement. On travaille ensemble,
donc elle est déjà hors limite. Et puis, on s’entend bien, mais il n’y a rien de plus entre nous. J’aime bien
discuter avec elle. C’est une nana qui a pas mal bourlingué dans la vie et qui a la tête sur les épaules.
Je posai l’assiette, sur laquelle j’avais empilé les toasts, sur la table de la cuisine.
— Et… il n’y a pas une fille qui t’intéresse ? insistai-je d’une voix malicieuse.
Je crus le voir se figer une fraction de seconde avant qu’il ne tire une chaise pour s’asseoir, comme s’il
n’avait pas su quoi répondre sur le moment. Ce fut certainement une hallucination, car il secoua aussitôt
la tête d’un air sarcastique.
— Non ! Et je me sens très bien comme ça. Je n’ai pas envie d’une relation sérieuse. Me taper une fille
de temps en temps, ça me suffit.
OK, quel romantisme ! Bah à une époque, Knox avait le même discours ! Je m’assis en face de mon frère
qui vida d’une traite son jus d’orange du matin. Il eut un sourire craquant quand je glissai ensuite vers lui
les toasts que j’avais beurrés. Il rajouta dessus une bonne couche de confiture à l’abricot (made in tante
Anna).
— Et toi, ça va ? me demanda-t-il à son tour.
La curiosité est un vilain défaut, Bethany, pensai-je. Débrouille-toi maintenant !
Je lui avais tendu une belle perche pour s’intéresser à ma vie amoureuse.
— Ça va. Les cours sont intenses, mais ça se passe bien, répondis-je en choisissant de faire comme si je
n’avais pas réellement compris ce qu’il cherchait à savoir. En mars, je commence mon stage d’un mois.
Chase n’insista pas. Il m’écouta même en remettre une couche sur mes cours, mon futur stage en milieu
hospitalier, puis la conversation dévia sur sa BD qui prenait forme.
— Je pourrai la lire bientôt ?
Il rigola, le visage amusé.
— Promis, tu seras ma première lectrice.
Mes yeux en pétillèrent de joie. Chase m’aida ensuite à débarrasser la table, puis il monta à l’étage pour
prendre sa douche. De mon côté, je revins dans ma chambre, soupirant à la pensée de la longue journée
qui s’étirait devant moi. Je savais que Cruz devait être sur les pistes à cette heure-là. Le groupe avait
prévu de décoller du chalet dans l’après-midi, vers quinze heures. J’espérais vraiment qu’on pourrait se
voir à son arrivée à New York, mais il devait encore ramener Ryder chez lui. Du coup, j’ignorais s’il
comptait faire un saut par ici.
Je lâchai un autre gros soupir.
Il me manquait à un point… C’était dingue d’être dans cet état après seulement quelques jours de
séparation. Je me secouai finalement. Je fis mon lit et rangeai ma chambre, ce qui m’occupa un peu.
Quand la salle de bains se libéra, je pris ma douche, puis je bossai mon cours de bio sans grande
conviction, mon regard guettant les vibrations de mon portable qui restait désespérément silencieux à
côté de mon ordi. Vers midi et demi, je grignotai un sandwich. De retour dans mon sanctuaire, mon
téléphone sonna quelques minutes après. Le nom qui s’afficha sur l’écran fit bondir mon cœur.
Et me fit bondir aussi.
Je sautai littéralement dessus pour décrocher.
— Cruz…
— Salut, ma puce.
Un timbre chaud et sexy.
Mes jambes flageolèrent et mes fesses tombèrent sur mon lit dans un mouvement qui n’avait rien de
gracieux. D’une voix bizarrement essoufflée, je lui demandai :
— Qu’est-ce que tu fais ?
La porte de ma chambre était ouverte, mais il n’y avait aucun risque, la maison étant vide. Des potes de
Chase avaient organisé une partie de basket et il était parti depuis une bonne demi-heure.
— On va aller bouffer maintenant. Il y a un resto sympa au pied des pistes.
J’avais tellement envie d’être là-bas avec lui… mais je repoussai cette pulsion.
— Vous prenez la route vers trois heures, c’est ça ?
— Oui, c’est ça.
J’attendis la suite : envisageait-il de faire un détour dans mon quartier pour qu’on puisse se voir ?
— Je ramène tout d’abord Ryder avant de rentrer à Manhattan.
Il ne venait pas ? Oh, la déception… Je la sentis, très cuisante. Mais je n’eus pas le temps de la cuver,
même pas quelques secondes, car il enchaîna direct ; des paroles qui me transformèrent en statue de sel :
— Bethany, je vais lui dire ce soir. Je ne peux plus continuer comme ça !
La terre s’arrêta brutalement de tourner. Le moindre petit bruit dans la maison parut s’amplifier dans
une drôle de cacophonie. Puis le ton de sa voix, très particulier, me sortit de ma torpeur. Je savais qu’il
avait prévu de parler à mon frère après leur week-end de ski (c’était d’ailleurs ce qu’on avait convenu),
mais j’étais loin d’imaginer qu’il le ferait dès leur retour, le soir même. Je restai silencieuse, me débattant
dans un grand champ de confusion. L’angoisse m’envahit et mes doigts blanchirent sur mon téléphone.
Ce week-end l’avait rapproché de Knox. Tous deux travaillaient énormément pour réussir dans leur vie
professionnelle et ce genre de sortie s’était faite rare ces dernières années. Leurs agendas, pas des plus
simples, n’étaient pas toujours compatibles. À coup sûr, Cruz avait pris un grand plaisir à retrouver mon
frère, en dehors d’un quotidien qui les absorbait parfois trop – même si cela n’avait pas dû être facile de
lui faire face. Ils avaient dû discuter, bien sûr, déconner, plus complices que jamais. Knox lui avait peut-
être dit des choses qui l’avaient remué, touché. Je le pressentais. Quelque part, j’en avais également
assez de cette situation bancale, mais notre bulle protectrice me rassurait et je m’y étais accrochée.
— Ton frère est ce qui m’est arrivé de mieux dans la vie. Il m’a aidé à traverser de mauvais moments et,
surtout, il a également permis que tu puisses faire partie de ma vie. C’est mon pote de toujours, Bethany.
Je ne peux plus lui cacher la vérité, lui mentir une heure de plus. C’est au-dessus de mes forces. Ce week-
end, on a passé de supers moments ensemble. Il m’a dit des trucs…
Sa voix s’étrangla, l’obligeant à faire une pause. Mon pressentiment s’avérait exact. Ma poitrine se
serra et il reprit d’un ton beaucoup plus enroué :
— Il m’a dit qu’il me trouvait changé, plus mature, plus apaisé aussi, que j’avais l’air d’être heureux, et
qu’il était vraiment content pour moi…
Il marqua une autre pause dans une atmosphère TRÈS chargée. Je me cramponnais à mon téléphone ;
une énorme boule s’était logée dans ma gorge.
— Il faut que je lui dise que la personne qui me rend si heureux, c’est sa sœur.
Des larmes de bonheur envahirent mes yeux.
Puis dans la foulée, la honte me submergea avec la force d’un tsunami, comme si je réalisais vraiment,
pour la toute première fois, ce que je lui avais demandé de faire ; ce qu’il avait dû endurer : ces
mensonges, un manque d’honnêteté envers un être qui lui était très cher. Et il l’avait fait pour moi,
uniquement pour moi, car j’avais réussi à lui soutirer cette promesse. Cruz était le genre de personne qui
aurait supporté toute la douleur du monde plutôt que de rompre un serment.
Je me sentis très mal. Ce ton particulier, que j’avais capté précédemment, me revint soudain pour ce
qu’il était vraiment : un terrible écho de sa souffrance. Je l’entendis de nouveau résonner dans ma tête, et
dans son intonation, ses mots, je perçus le tourment qu’il avait dû étouffer en lui durant ces semaines. Ma
honte ne connut plus de limites. Fatiguée moralement, je frottai mes yeux humides.
— D’accord, lâchai-je faiblement. D’accord, répétai-je avec plus de fermeté, même si mon estomac
commençait à se tordre.
Le profond soulagement dans sa voix rajouta une couche supplémentaire à ma culpabilité lorsqu’il
m’expliqua :
— En plus, ça tombe bien. Knox doit déposer Jailyn à son appart. Apparemment, elle a un truc à revoir
pour un cours. Il lui a dit qu’il la laisserait bosser tranquillement, ce soir, et qu’ils se verraient demain. On
sera seuls. Il m’a demandé si on pouvait bouffer ensemble, en se faisant livrer une pizza comme au bon
vieux temps.
— D’accord.
C’était le seul mot que je semblais être capable de pondre. Il y eut un petit silence. Je ne savais que dire,
bouleversée et anxieuse à la fois.
— Tout se passera bien, prononça-t-il d’un ton doux.
Je hochai la tête alors qu’il ne pouvait pas me voir. Finalement, je réussis à me racler la gorge pour
pouvoir répondre avec la même douceur :
— Oui, j’en suis sûre, Cruz.
Est-ce que je le pensais vraiment ? Est-ce que je cherchais à m’en convaincre ?
Je me sermonnai et coupai court à mes angoisses. Cruz saurait trouver les bons mots et Knox
comprendrait pourquoi on avait préféré attendre avant de lui dire ! Il ne pourrait qu’être heureux pour
nous deux : son meilleur ami et sa petite sœur. N’est-ce pas ? Pourquoi ne le serait-il pas, bon sang ?! Mes
craintes précédentes et mes arguments, je les refoulai le plus loin possible dans mon cerveau.
Mais subitement, à quelques heures de leur confrontation, je réalisais qu’en suppliant Cruz de se taire,
je n’avais peut-être pas eu une très bonne idée. Dans ma tête, je n’entendais plus aussi clairement
qu’auparavant les « bonnes raisons ». Au contraire ! Je ne voyais plus que les mensonges et les secrets qui
s’étaient accumulés. Un virage à 360 degrés qui me fit tout à coup manquer d’air. Je fermai les yeux, les
mains tremblantes. Mon cerveau partait en vrille, secoué d’un côté puis de l’autre à quelques secondes
d’intervalle.
Avec une volonté que je puisai de je ne sais où, je chassai mes peurs de toutes mes forces. Je me
martelai une nouvelle fois qu’on avait bien fait, tout en ignorant le violent twist à mon estomac. Knox était
un frère génial, aimant, un gars intelligent, capable de comprendre… Et puis, soudain, mon cerveau partit
de nouveau en vrille : Cruz ne m’avait jamais dit qu’il m’aimait ! Moi non plus d’ailleurs, je ne le lui avais
jamais avoué. Mais ce détail provoqua une autre vague de panique… parce que si Cruz ne disait pas à
mon frère qu’il m’aimait, alors qu’il couchait avec moi…
Stop, stop, tu délires, Bethany. Arrête !!! Bon sang ! Qu’est-ce qui te prend !
— Bethany ? Tu m’entends ?
Cruz avait légèrement haussé la voix, un signe qui ne trompait pas : il avait déjà dû m’interpeller
plusieurs fois. Le sang bourdonnant encore sous mes tempes, je lâchai dans un souffle :
— Oui, je suis là…
— Tu me manques, ma puce.
Ces mots agirent comme un baume réconfortant.
— Toi aussi, Cruz.
Ma poitrine enfla, mais un bruit sur la ligne me parvint au loin, comme s’il changeait de place.
— Je vois Ryder qui me fait signe, il se dirige vers moi. Je vais te laisser…
— OK… à plus tard.
Je n’avais pas envie qu’il raccroche. J’avais encore besoin de l’entendre dans ce moment compliqué.
— Yes, ma belle. Je t’appelle…
Un poids semblait s’être soulevé de ses épaules. Qu’est-ce que j’avais fait, mon Dieu !? Qu’est-ce que je
lui avais infligé !?
— D’accord.
Décidément !
On coupa en même temps. Je laissai tomber mon portable sur le lit et enfouis mon visage dans mes
mains, le cœur cognant contre mes côtes douloureuses. Non, je n’allais tout de même pas faire une crise
de panique ? Ce serait une première ! Je m’imposai un petit exercice enseigné à mon cours de danse pour
réguler ma respiration, avant d’être capable de lever la tête, les épaules toutefois voûtées. J’inspirai
plusieurs fois pour injecter de l’oxygène dans mon cerveau en vrac.
Les bienfaits de cette manœuvre commencèrent à se faire sentir. J’y voyais de nouveau avec plus de
clarté et mes bons arguments remontèrent à la surface. Loin des regards, notre relation avait pu
s’épanouir. On se trouvait à présent à un autre stade, parce qu’on avait eu le temps de la construire, de
poser ses fondations sans interférences de l’extérieur. Ces bases solides représentaient notre force pour
l’échéance de ce soir. Un élément important.
Je retrouvai peu à peu foi en ma logique.
Tout ira bien, me répétai-je ensuite. Mais je pressentis que j’allais souvent me ressasser cette phrase
dans les heures suivantes. Les minutes allaient s’écouler trop lentement et trop vite à la fois. On y était !
Ces trois mots résonnèrent en moi à la perfection. Dans quelques heures, notre bulle, qui nous protégeait
de la pression de notre entourage, allait éclater. Était-ce de la paranoïa de ma part ?
Non… Parce que je ne voulais pas perdre Cruz. Il était tellement important pour moi… l’amour de ma
vie, sans vouloir être grandiloquente. Ma gorge se noua un peu plus, alors que j’avais un mal de chien à
calmer mon angoisse. !
Tout ira bien, me saoulai-je pour la énième fois.
Knox et Cruz avaient passé un super bon moment ensemble ; leur amitié était plus forte que tout. Mon
frère l’avait déjà trouvé changé… Des éléments encourageants qui ne m’empêchèrent pourtant pas de
commencer à faire les cent pas dans ma chambre, comme un lion en cage. J’essayai de me poser. Mais
dans la demi-heure suivante, je n’eus envie de rien. Trop agitée, je n’arrivais pas à me concentrer sur
quoi que soit, même pas sur un simple livre qui ne demandait pas beaucoup de réflexion.
Après avoir lu quinze mille fois la même ligne, j’abandonnai, écœurée. J’avais besoin d’aller m’aérer un
peu, marcher, ou courir, décidai-je soudain. Un jogging… Oui, c’était le bon moyen de se vider la tête ! À
peine avais-je pris cette décision que mon portable sonna une nouvelle fois. Étonnée, je vis que c’était
Tiphaine.
Je décrochai.
— Hé, la belle blonde, qu’est-ce que tu deviens ?
Sa voix pétillante me fit sourire. Le dynamisme de Tiphaine était un bon remède pour me changer les
idées.
— Rien, je m’ennuie et toi ?
— Moi aussi ! Et dire que ma frangine s’éclate sur les pistes avec son mec trop canon !
Compliment qu’elle ponctua d’un gloussement. Je rigolai. Oui, Tiphaine était le bon remède. Je sentais
déjà l’étau se desserrer dans ma poitrine.
— Ma coloc est toujours au lit avec son mec. Je ne sais pas ce qu’ils ont fait tous les deux cette nuit pour
pioncer encore à cette heure. Et tout le monde semble avoir déserté Manhattan, soupira-t-elle.
Je ris.
— Hé, tu veux qu’on se voie ? proposai-je soudain. J’avais l’intention d’aller courir à Prospect Park.
Un parc sympa pas trop loin de chez moi en métro.
— Oh oui, ce serait chouette ! s’exclama-t-elle avec enthousiasme. J’adore le footing, cela me relaxe.
— On se retrouve là-bas ? Ce sera plus facile pour toi que de venir jusqu’ici.
— Oui, ça marche.
Je lui indiquai la station la plus proche où elle devait descendre, puis on raccrocha. Sans attendre, je
plongeai dans mon dressing pour choisir mes affaires : un jogging gris perle Adidas avec ses larges
rayures blanches, un cache-nez et des gants beiges. En dernier, j’attachai mes cheveux en queue de
cheval avant d’enfoncer mon bonnet en laine sur la tête. L’hiver était loin d’être terminé. J’enfilai mes
baskets, puis je glissai ma carte de métro et un peu d’argent dans une poche. Dix minutes plus tard, je
descendais dans la bouche de métro près de chez moi.
J’arrivai la première à notre point de rendez-vous. Il ne fallut pas longtemps pour que j’aperçoive
Tiphaine et son grand sourire. Elle portait également un pantalon de jogging – bleu ciel pour sa part –,
ainsi qu’une polaire et un bonnet en laine. De loin, elle me fit un signe en accélérant le pas. Quand elle fut
à ma hauteur, on s’étreignit.
— Je suis trop contente de te voir, Bethany.
— Moi aussi.
Le feeling était toujours bien passé entre nous depuis notre première rencontre, à son arrivée à New
York. On se mit à marcher côte à côte en échangeant quelques nouvelles avant de commencer à courir au
même rythme. À cette période de l’année, il n’y avait pas grand monde. Néanmoins, on croisa quelques
joggeurs aussi courageux que nous (ou aussi désespérés que moi).
Prospect Park était un spot que j’aimais beaucoup. Il avait énormément de charme. Bien sûr, en hiver,
avec ses arbres déplumés, il était loin de montrer tous ses atouts. Mais ses immenses pelouses, son lac,
ses allées, sa superficie et ses nombreuses attractions, dont plusieurs terrains de jeu, le classaient dans la
liste des plus beaux parcs de Brooklyn.
Aujourd’hui, le footing me prouva tous ses bienfaits. Alors que je foulais le bitume, mon stress diminua
peu à peu, mon cerveau se mettant en mode off. J’accueillis avec plaisir le vent vif sur mes joues et la
petite brûlure dans mes poumons.
On courut trois bons quarts d’heure sans s’arrêter, avant de faire quelques exercices d’étirements qui,
en compagnie de Tiphaine, tournèrent vite aux fous rires. J’oubliai tous mes tracas. Ensuite, on se mit à
déambuler tout en discutant de choses et d’autres. Quand on arriva à l’un de mes endroits préférés, en
bordure du lac, un banc vide nous invita à nous y asseoir. On resta quelques minutes silencieuses. La
beauté de ce point de vue et son calme nous plongèrent dans un cocon apaisant. De temps en temps, un
rayon de soleil perçait les nuages gris disséminés à travers un ciel encore hivernal, formant des paillettes
sur l’eau.
C’est un moment que je savourai.
— C’est un très joli parc, je ne connaissais pas.
— Il faut venir plus souvent à Brooklyn, plaisantai-je.
Tiphaine rigola.
— Oui, je n’ai pas eu trop le temps de faire ma touriste.
— Alors, Paris ?
— C’est en bonne voie, mais je dois bosser mon audition finale. Un genre d’examen qui comptera dans
ma note.
Je hochai la tête. Le don de Tiphaine m’avait impressionnée depuis le début. Le violon semblait
tellement facile lorsqu’elle jouait ! Je n’étais pas une fan de classique, mais les prestations que j’avais
vues sur sa page Instagram m’avaient bouleversée. J’avais eu l’impression que son instrument pleurait
sous ses doigts, déversant des larmes mélodieuses. Un moment magnifique à chaque fois. Une sensation
difficile à expliquer.
— Tu vas assurer, j’en suis sûre !
Elle me gratifia d’un sourire reconnaissant avant que son portable ne vibre soudain dans sa poche. Elle
le sortit pour lire un texto.
— Jailyn vient de m’avertir qu’ils sont partis, il y a plus d’une heure.
Ses yeux se levèrent au ciel.
— Mieux vaut tard que jamais, ajouta-t-elle.
Ce SMS me rappela dans une belle déferlante tout ce que j’avais mis de côté. Un poids oppressa ma
poitrine. Mon visage dut changer de couleur, car je la vis froncer les sourcils, inquiète.
— Bethany, ça va ?
— Cruz et moi, on sort ensemble.
Ces mots venaient de jaillir de ma bouche. Comme ça ! Direct. Et quel soulagement !
Il y eut un grand blanc. Sa bouche, à elle, resta ouverte, se referma pour se rouvrir, sans qu’aucun son
n’en sorte.
J’avais réussi l’exploit de laisser Tiphaine sans voix.
— Personne n’est au courant.
— OK… articula-t-elle très lentement.
— Mon frère ne sait rien.
Redondante, moi ? Non, à peine !
Plus rien ne pouvait m’arrêter ; je ressentis un terrible besoin de parler et je déballai mon histoire dans
les moindres détails. Quand j’eus fini, je plongeai mes yeux dans les siens.
— Il veut l’annoncer à Knox, ce soir.
Angoisse, me revoilà !
Tiphaine resta immobile une poignée de secondes, digérant toutes mes paroles. Puis, soudain, elle
m’attrapa la main dans une étreinte douce et ferme.
— Écoute, Bethany, j’ai appris à connaître ton frangin durant ces derniers mois. C’est vrai qu’il est très
protecteur avec les personnes qu’il aime. Un peu trop, parfois. Mais il n’y a aucune raison pour que cela
se passe mal entre eux. OK, il aura un peu les boules parce que vous lui avez caché votre relation pendant
des semaines, mais ça lui passera vite, lâcha-t-elle avec une assurance que je lui enviai. J’ai bien cerné
aussi tout ce qui te fait flipper, le passé de ton mec entre autres ! Mais ton frangin est un gars bien, qui
plus est intelligent. Il l’écoutera…
Elle pencha sa tête de côté, son regard se fit plus pénétrant.
— Surtout s’il voit que Cruz est amoureux de toi.
Mes yeux dérivèrent vers un point vague, sur le lac. C’était bien ça le problème qui me rongeait.
— Il ne me l’a jamais dit. Il ne m’a jamais dit qu’il m’aimait, avouai-je à voix basse.
Il y eut un silence.
— Et toi ? demanda-t-elle tout à coup. Tu lui as dit que tu l’aimais ? Parce que cela se voit comme le nez
au milieu de la figure.
Surprise, je mis quelques instants pour répondre.
— Je n’ai jamais trouvé le courage de lui dire.
Ma voix me parut très fragile à mes propres oreilles. Ma main toujours dans la sienne, Tiphaine
m’observa plusieurs secondes avant de continuer, avec sa logique très personnelle :
— Quand tu m’as confié toute ton histoire, tu as insisté sur ton gros béguin. Mais plus je t’entendais et
plus je comprenais que tu étais carrément amoureuse de Cruz, avant même que tu m’avoues tes
sentiments pour lui, à l’instant. Alors, vous êtes deux, hein ? enchaîna-t-elle. Tu ne lui as rien dit et il ne
t’a rien dit. Vous êtes sur un pied d’égalité, on va dire (elle marqua une légère pause). Parce que tu crois
vraiment qu’il mettrait en péril son amitié envers ton frangin s’il n’éprouvait pas des sentiments très
forts pour toi ?
Ses mots firent leur chemin dans mon esprit.
— Tu le crois vraiment ? répéta-t-elle, un sourcil levé.
Je secouai la tête.
— Non, murmurai-je.
— Et je peux t’affirmer que si Cruz lui parle de la même façon que tu viens de le faire, Knox saura lire
en lui comme dans un livre ouvert.
Je voulais tellement croire à tout ce qu’elle me disait avec tant d’assurance ! Cela dit, Tiphaine avait
réussi à planter une belle graine dans mon cerveau. Elle eut un large sourire ; celui que les personnes
arborent quand elles ont solutionné un problème.
— Crois-moi, un mec qui est prêt à tout risquer pour toi, il ne peut être qu’amoureux, Bethany, insista-t-
elle.
Cette déclaration fit grandir cette graine de plus belle. Mon cœur bondit d’ailleurs.
— Et qui sait ? Il avouera peut-être à ton frère les sentiments qu’il éprouve pour toi... rajouta-t-elle.
Ces dernières phrases parvinrent à faire naître un énorme espoir en moi, voire à me convaincre, à cette
seconde, que les sentiments de Cruz allaient bien au-delà d’un désir sexuel, d’une forte attirance et d’une
profonde affection née il y a des années. Et la confrontation entre Knox et lui me parut soudain beaucoup
moins menaçante. Je ne savais pas cependant si ma confiance allait durer longtemps. J’en doutais un peu,
mais libérée de mon angoisse, je voulais profiter de ce sentiment de bonheur.
— Je suis vraiment contente pour toi ! s’exclama-t-elle avec son énergie coutumière. Hé, j’avoue que je
n’aurais pas parié sur vous deux, gloussa-t-elle, me faisant sourire. Tu me diras, cela aurait été un pari
très osé. Mais maintenant, je trouve que vous deux, c’est tellement évident…
Elle secoua la tête comme le font les gens qui n’arrivent pas à croire qu’ils aient pu louper ce qui leur
sautait aux yeux depuis des siècles.
— Vous êtes faits l’un pour l’autre. Et Cruz, il va assurer, ma belle !
La sœur de Jailyn avait le don de tout aplanir. À chaque problème, une solution. Jolie, talentueuse, elle
mordait la vie à pleines dents avec une bonne humeur communicative. Une grosse bouffée d’affection
m’envahit alors qu’elle me souriait avec chaleur, le visage encourageant. Toutes les deux, on n’était qu’au
début d’une belle amitié, mais j’avais le pressentiment qu’elle ferait partie de celles qu’on entretient
précieusement toute une vie. Alors tout cela, mêlé à mon état émotionnel, expliqua sans doute que je lui
lançai la question suivante :
— Et toi, tu n’as personne ?
J’avais déjà fait ma curieuse, ce matin, avec Chase.
Tiphaine paraissait sur le point de me répondre quand son portable se mit une nouvelle fois à s’exciter.
Elle le prit et lut son texto. Tout à coup, je vis ses joues se colorer. Le vent les avait bien rosies, mais ce
SMS mystérieux en rajouta une petite couche adorable. Elle tapa sur son clavier avec un sourire en coin,
avant que nos yeux ne se croisent. Semblant se rappeler soudain ma présence, elle bafouilla quelque
chose :
— C’est qu’un…
Elle se tut, paraissant ramer pour trouver le mot juste.
— Ce n’est qu’une connaissance, dit-elle finalement. Il est musicien comme moi.
Une simple connaissance qui empourprait ses joues et la faisait bredouiller ? Elle ?
OK…
— Je t’ai raconté toute ma vie amoureuse, tu peux me raconter la tienne, plaisantai-je à moitié.
— On peut dire que c’est un copain, concéda-t-elle. Il sort avec une fille, un canon.
Et ce mec lui envoyait des textos ? Elle commença à s’agiter sous mon regard devenu curieux. À la base,
Tiphaine était une pile, mais cette fois son agitation semblait différente…
— On s’est rencontrés à l’anniversaire de ton frère et on a sympathisé, rien de plus, se sentit-elle
obligée de rajouter. Je lui ai parlé d’un compositeur inconnu et je lui ai promis de lui envoyer une petite
vidéo de l’un de mes morceaux préférés. Tu sais, le genre que je poste sur Insta. C’était plus une blague
qu’autre chose. Depuis, on s’envoie de temps en temps des SMS.
Elle stoppa.
Moi, mes rouages s’étaient mis en route.
Musicien, anniversaire de Knox.
Il y avait bien eu les membres de ce groupe avec qui Knox avait travaillé. J’essayai de remettre un
visage sur de vagues souvenirs. Il me semblait me rappeler que le guitariste n’était pas mal du tout.
D’autres musiciens étaient également présents. Miles, par exemple, je le balayai direct. Cela ne pouvait
être lui… Je me figeai soudain en pensant à…
— C’est un copain de ton frère, Dillon, l’entendis-je soupirer, confirmant le prénom qui m’était venu à
l’esprit.
J’écarquillai les yeux.
— Dillon ?
Elle eut un petit haussement d’épaules.
— Oui, on a sympathisé pendant une partie de billard. Ensuite, on a parlé un peu musique et, comme je
te l’ai dit tout à l’heure, je l’ai bassiné avec ce compositeur… Tu connais la suite.
Oui… oui… Envoi de son morceau préféré et, maintenant, ils échangeaient de temps en temps des SMS.
Le sujet la rendait toutefois un chouia mal à l’aise.
— S’il te plaît, n’en parle pas à Jailyn. Elle va s’imaginer je ne sais quoi. Ton frère est peut-être chiant
parfois, mais ma frangine peut aussi avoir ses moments. Tu vois ce que je veux dire ?
Oui, je voyais très bien.
Cela faisait même du bien d’être comprise.
— Bien sûr, c’est promis… Dillon est vraiment un chic type, enchaînai-je. Je l’apprécie beaucoup. Knox et
lui se connaissent depuis pas mal d’années. Je suis contente que ça marche de mieux en mieux pour son
groupe.
Elle commença à ouvrir la bouche puis se ravisa, avant de l’ouvrir à nouveau pour lâcher simplement :
— En effet, il est très doué.
J’aurais parié toute ma garde-robe que ce n’était pas ce qu’elle avait voulu me dire initialement. Je
restai silencieuse. Comme moi, elle l’avait vu jouer à l’anniversaire de Knox et pu se rendre compte de
son talent. Elle avait peut-être même regardé les vidéos de certains de leurs titres que le groupe avait
postées sur leur chaîne Youtube. Mais soudain, je pensai à Kendra, la petite amie de Dillon, la fille canon
comme l’avait surnommée Tiphaine. C’est vrai que c’était une très belle jeune femme avec une silhouette
parfaite, une belle plastique, des traits fins, une peau diaphane mise en valeur par son côté dark. Je ne
pouvais pas le nier. Mais elle faisait partie de ces beautés froides comme un tableau sans chaleur.
Dommage.
Tiphaine me sortit de mes pensées.
— Il commence à se faire tard...
— Oui, répondis-je.
On se leva en même temps.
— Eh bien, ce footing m’a fait du bien ! s’exclama-t-elle en s’étirant.
— Moi aussi.
Le footing, notre conversation. Je me sentais beaucoup mieux. On se dirigea vers la sortie du parc
désormais presque désert.
— Ma station de métro n’est pas loin de la tienne.
— Super ! répondit Tiphaine. On fait le chemin ensemble, alors.
On se trouvait à une dizaine de mètres de la sortie lorsque des éclats de voix attirèrent notre attention
sur la droite. Derrière un arbre, trois mecs dans les dix-sept/dix-huit ans s’en prenaient à un jeune de
quinze ans, à tout casser. L’un d’entre eux le poussa et il tomba à terre. Un autre lui donna un coup de
pied.
— Hey ! s’écria Tiphaine en courant immédiatement vers eux.
Oh, merde !
Je la rattrapai. Celui qui avait assené le coup de pied se retourna vers nous avec un rictus mauvais. Il
était jeune aussi, mais il portait déjà le vice sur son visage. Mon sang se glaça dans mes veines.
— Occupe-toi de tes fesses, Barbie. Dégage, et ta petite copine aussi, si vous ne voulez pas avoir des
ennuis !
— Hé, mec, ce sont peut-être des lesbiennes, ricana le troisième.
Ils n’étaient pas nets. Je jetai un coup d’œil fébrile autour de nous dans l’espoir de trouver de l’aide.
Rien que pour nous narguer, le type redonna un autre coup de pied dans les côtes de sa victime, le regard
fixé sur nous, un sourire narquois plaqué sur ses lèvres. L’ado poussa un cri en se recroquevillant sur lui-
même. Et, à compter de cette seconde, tout se passa comme dans un film au ralenti. Tiphaine bondit vers
le jeune à terre ; le vicieux leva un bras ; une lame de couteau étincela ; j’entendis un hurlement de
douleur.
— Tiphaineeeee !
Et mon propre hurlement résonna dans le parc.
Chapitre 26

Cruz

On arrivait enfin.
Je freinai devant l’appartement de Ryder dans le Queens. Je me sentais plutôt calme à quelques heures
de me soulager d’un gros poids. On descendit du pick-up. D’une oreille distraite, j’entendis mon pote
balancer une vanne à un passant de sa connaissance, alors que j’allais ouvrir le coffre. Mon geste fut
stoppé par mon portable qui se mit à sonner dans la poche de mon jean.
C’était Zack.
Je décrochai avec un sourire.
— On te manque déjà ?
— Cruz…
Rien que le ton de sa voix m’alerta immédiatement. Je me raidis, le cœur battant.
— Knox a eu un coup de fil de Chase… Bethany et Tiphaine sont aux urgences.
Je suis certain que mon visage se vida de tout son sang, car Ryder fit un pas vers moi, les sourcils
froncés.
— Elles ont voulu aider un ado qui se faisait agresser, d’après ce que j’ai compris. Je ne sais pas trop.
Chase n’en savait pas plus, il fonçait aux urgences quand il nous a appelés. On vient d’arriver à l’hôpital.
Mon sang rugissait sous mes tempes. Un voile rouge s’abattit devant mes yeux et je crus que j’allais
dégueuler. Mes mains et ma voix se mirent à trembler.
— Où ça ?
— Au Brooklyn Hospital center.
— J’arrive.
Je sentis la panique m’envahir tandis que je bondissais vers la portière que j’ouvris brutalement. Ryder
se précipita de l’autre côté pour grimper sur le siège passager.
— Qu’est-ce qui se passe ? Tu es sûr que tu ne veux pas je conduise, tu n’as pas l’air bien, mec.
Je démarrai dans un crissement de pneus.
— Bethany et Tiphaine sont aux urgences.
— Quoi ? s’exclama-t-il.
Je lui rapportai le peu que je savais, les mots s’entrechoquant entre mes lèvres. J’accélérai, le pied au
plancher, les doigts agrippés au volant ; je me foutais de la limitation de vitesse. Mon cœur s’emballait et
je n’arrêtais pas de me répéter qu’elle allait bien !
Oui, elle allait bien ! Bethany ne pouvait qu’aller bien !
Ma poitrine parut subitement prise dans un étau ; je sentis mes yeux brûler. Merde ! Il fallait que je me
calme ou j’allais nous envoyer dans le décor. Mais je vivais un véritable supplice. Une peur panique
m’étouffait, j’avais de plus en plus de mal à respirer. Je grillai même un feu rouge. Ryder ne pipa mot, se
cramponnant toutefois sur son siège. À une intersection, nos téléphones bipèrent en même temps : il lut
le texto.
— C’est Tiphaine qui est blessée. Bethany n’a rien, mais elle est encore sous le choc.
Je crus que j’allais chialer de soulagement. Mais tant que je ne la tiendrais pas dans mes bras, je serais
au plus mal. La terre entière pouvait me dire n’importe quoi, il fallait que je l’aie contre moi pour me
rendre compte par moi-même. Après un véritable calvaire, on arriva enfin à l’hôpital. Je stoppai
brutalement sur une place de parking, complètement de travers. Je bondis du pick-up et me mis à courir
comme un dératé, Ryder sur mes talons.
À la réception, mon pote dut me tirer en arrière, car j’étais à deux doigts d’étriper la nana qui prenait
son temps pour nous répondre. Qu’il trouve mon comportement hallucinant, je m’en foutais royalement. Il
s’adressa à elle avec calme. Elle nous indiqua enfin où se trouvait ce putain de service d’urgences : au
rez-de-chaussée, aile droite. Je fonçai dans un couloir, puis dans un autre, toujours suivi de Ryder.
Je passai devant une salle.
— Cruz…
Cette voix familière stoppa brusquement ma course et l’émotion me submergea direct. Je revins sur mes
pas pour m’élancer dans une salle d’attente où se tenait Bethany qui se précipita dans mes bras. Je
l’enlaçai à l’étouffer, le corps tremblant, le visage enfoui dans ses cheveux
Dieu soit loué, elle n’avait vraiment rien !
— Quand j’ai appris que tu étais aux urgences…
Mes paroles s’étouffèrent dans ses cheveux. La gorge trop serrée, je ne pus prononcer un mot de plus.
— Je vais bien, Cruz, je vais bien. C’est Tiphaine qui a été blessée, répondit-elle d’une voix tremblotante.
Je l’étreignis encore, éprouvant le besoin viscéral de sentir son corps tout contre le mien, de sentir
qu’elle n’avait rien, puis sans desserrer mon étreinte, je levai la tête pour plonger mon regard dans ses
yeux rougis.
— On est allées faire un footing, m’expliqua-t-elle en reniflant. On était sur le point de sortir du parc
quand on a vu trois mecs s’en prendre à un jeune. L’un d’entre eux lui donnait des coups de pied dans les
côtes. Il était là, à terre, sans défense.
Des envies de meurtre m’envahirent.
— Tiphaine a couru vers eux avant que j’aie eu le temps de réagir. Je l’ai rattrapée. Je ne pourrais pas te
dire ce qu’il s’est passé ensuite, mais quand le mec a redonné un coup de pied à cet ado, Tiphaine s’est
précipitée vers ce dernier les mains en avant, son agresseur a tendu le bras…
Sa voix se mit de nouveau à trembler et je la serrai plus fort.
— Il avait un couteau. J’ai entendu le hurlement de douleur de Tiphaine, puis j’ai vu du sang couler (elle
marqua une pause, le temps d’avaler sa salive). C’est sa main qui a été touchée.
Je ressentis un immense soulagement d’apprendre qu’aucun organe vital n’avait été atteint, mais je
compris tout de suite que ce type de blessure pouvait être grave pour une musicienne.
— Des gens sont venus à notre secours : un groupe de joggeurs qui se dirigeait vers la sortie. Deux gars,
deux balèzes, ont réussi à intercepter celui qui tenait le couteau et à le maîtriser, les deux autres ont
réussi à fuir. Les flics sont arrivés… puis une ambulance.
Je l’écoutais, respirant à peine.
— La police a pris ma déposition. Elle prendra celle de Tiphaine plus tard. J’ai eu des nouvelles du jeune
qui a été blessé. Il a deux côtes cassées, mais pas d’hémorragie interne, m’ex​pliqua-t-elle visiblement
rassurée. Ses parents sont arrivés à l’hôpital. J’ai appris qu’ils allaient porter plainte.
Elle s’interrompit, les yeux brillants. Je glissai ma paume sur sa nuque et elle enfouit son visage contre
ma poitrine, ses bras autour de ma taille. Je posai un baiser dans ses cheveux.
— Bon sang, j’ai eu tellement peur ! murmurai-je d’une voix enrouée.
Elle resserra son étreinte, puis leva vers moi son beau regard. Nos lèvres se joignirent naturellement. Je
l’embrassai avec douceur avant de me redresser de nouveau pour la contempler ; ma main se souleva et je
pris en coupe sa mâchoire. Il fallait que je la touche : encore très secoué, j’étais incapable de me détacher
d’elle. Mais, soudain, l’atmosphère changea.
Ce fut d’abord subtil, jusqu’à ce qu’une lourde tension électrique ne crépite dans l’air et qu’une voix
glaciale ne claque comme dix mille coups de fouet :
— Qu’est-ce que ça veut dire ?
Une voix à congeler la pièce entière.
Je me figeai ; Bethany se pétrifia dans mes bras. Je tournai lentement la tête et croisai en premier le
visage étonné, voire encore un peu choqué de Ryder qui avait assisté à toute la scène. Je l’avais
complètement oublié ; dans le cas contraire, ça n’aurait pas changé grand-chose.
Puis, mon regard s’arrêta sur Knox.
Cette lueur dans ses prunelles ? Je n’allais certainement pas l’oublier de sitôt.
Rage, douleur, déception s’y mêlaient.
— Qu’est-ce que ça veut dire ? répéta-t-il d’un ton très dangereux, les poings serrés le long de ses
cuisses.
Bethany me lâcha, l’air paniqué.
— Knox… on allait te…
— Depuis combien de temps ça dure ? coupa-t-il durement, ignorant l’intervention de sa sœur, ses yeux
toujours braqués sur moi.
Dans mon champ de vision, je vis Ryder se raidir dans une posture prudente, prêt à s’interposer si
nécessaire.
— J’allais t’en parler ce soir, répondis-je très posément.
— Tu couches avec ma sœur, Cruz ?
Un ton encore plus dangereux.
Et là, il bondit vers moi à une vitesse hallucinante, son visage se retrouvant à quelques centimètres du
mien, le corps pulsant d’une fureur meurtrière. Sa voix explosa dans la salle d’attente comme une
grenade.
— Comment tu as pu me faire ça ? Putain, Cruz, c’est ma sœur !!!
J’inspirai un grand coup pour garder mon calme, sans reculer d’un pas, les bras baissés le long de mes
jambes dans un signal qui disait clairement que je ne voulais pas en venir aux mains.
— Knox, écoute… supplia Bethany.
Elle tenta de se placer devant moi, mais je lui barrai le chemin avec mon bras.
— Bethany, sors d’ici ! lança Knox sans la regarder.
Ses yeux me lançaient des éclairs. Il recula.
— Non… s’écria-t-elle d’un air désespéré, toujours bloquée par mon avant-bras devant elle.
— Bethany, bordel, je t’ai dit de sortir ! s’énerva son frère.
Cette fois-ci, ce fut moi qui avançai brusquement.
— Putain, tu ne lui parles pas comme ça ! jetai-je d’un ton agressif, le visage très mauvais.
Ryder fit aussitôt plusieurs pas vers nous, les paumes levées.
— Hé, les mecs, on se calme… on se calme.
— Ryder, emmène Bethany dehors, lui dis-je d’une voix la plus posée possible.
C’était un problème entre Knox et moi.
— Non, protesta-t-elle avec véhémence.
Mais Ryder nous contourna pour s’approcher d’elle, conscient (tout comme moi) que sa présence ne
faisait qu’envenimer une situation qui était déjà à deux doigts de déraper.
— Viens, Bethany.
Il se pencha pour lui souffler quelque chose à l’oreille. Les yeux de ma blondinette passèrent de moi à
son frangin, puis revinrent sur mon visage. J’eus la force de plaquer un sourire encourageant sur mes
lèvres. Elle résista quelques secondes avant de se laisser entraîner par Ryder, non sans avoir jeté un
regard d’avertissement à Knox qui me fixait toujours.
Je me retrouvai seul avec lui.
— Je te faisais confiance ! hurla-t-il soudain.
— Calme-toi, sinon on va nous éjecter de l’hôpital. Et ta copine a besoin de toi.
Ce fut certainement ça, le rappel de Jailyn, qui l’empêcha de m’attraper à la gorge ou de m’arranger la
tronche comme il mourait d’envie de le faire. Il recula de plusieurs pas, la respiration erratique. Tout son
corps n’était qu’une boule de rage difficile à contenir.
— Depuis combien de temps ça dure ?
— Quelques semaines après ton anniversaire, répondis-je avec franchise.
Ses yeux s’embrasèrent, alors que la fureur faisait saillir les tendons de son cou.
— J’allais t’en parler ce soir, je te le jure, Knox.
— Pour me dire quoi ? Que tu te tapais ma sœur derrière mon dos ?! Que tu m’as menti toutes ces
semaines ?! Quoi ? Il te fallait une blonde à ton tableau de chasse ? rajouta-t-il, écœuré.
La colère lui obscurcissait l’esprit. La suite allait être difficile, vu son état. Je crus entendre la porte
s’ouvrir et se refermer, mais je ne quittai pas Knox des yeux
— Ce n’est pas ça, ripostai-je les mâchoires serrées.
Je n’allais pas me retrancher derrière Bethany et la promesse que je lui avais faite.
— Tu n’avais même pas les couilles de me le dire ?
Sa voix méprisante me tordit l’estomac.
Je grinçai des dents
— Je voulais…
— Elle a à peine dix-neuf ans, Cruz, tonna-t-il avant de baisser d’une octave, Jailyn apparaissant sans
doute dans un coin de son esprit en vrac. Une fille comme Bethany n’avait aucune chance avec un mec
comme toi, surtout quand il veut se payer de la chair fraîche.
Putain, non, je n’allais pas le cogner ! C’était la douleur qui parlait là, la déception, la colère. Pourtant,
je ripostai.
— Et Jailyn, elle avait une chance avec un mec comme toi ?
C’était un coup bas, je le savais. Il me fusilla du regard.
— C’est pas ta petite sœur, enfoiré !
C’est un mot qu’on se balançait souvent avec une affection toute fraternelle. À cette seconde, il suintait
d’un dégoût qui me fit très mal.
— C’est facile pour un mec comme toi de tourner la tête d’une fille comme Bethany.
Un mec comme moi ? Une nouvelle fois, mais ce coup-ci, l’expression me percuta en plein plexus.
— C’est l’opinion que tu as de ta frangine ? réussis-je à répliquer. Elle est mature, intelligente…
— C’était une proie facile à mettre dans ton lit, coupa-t-il, sourd à toute tentative de le raisonner.
En secouant la tête, il recula encore d’un pas comme si j’étais un pestiféré.
— Comment tu as pu me faire ça ? répéta-t-il dans un autre élan de colère.
Mais je perçus toute sa douleur qui me lacéra la poitrine.
J’avais réfléchi à mon laïus ! Il y a quelques heures, j’avais été certain que je trouverais les mots pour lui
dire à quel point j’étais accro à sa frangine. Je m’étais préparé à notre discussion dans des conditions
normales.
Mais pas à ça ! Devant moi se dressait qu’une forteresse impénétrable.
— Pendant tout ce temps, tu couchais avec elle ? Tu peux avoir toutes les filles que tu veux et il a fallu
que tu t’attaques à elle, ma petite sœur ?
M’attaquer à elle ?
Entre les événements des dernières heures, l’agression et la blessure de Tiphaine, ses conséquences, la
douleur de sa nana, je sus dans toutes mes tripes que, quoi que je dise, il ne m’écouterait pas. Il n’était
pas en état.
— Je te considérais comme un frère, Cruz, comme un frère…
Le passé ne m’échappa pas et un uppercut me coupa la respiration. Son comportement changea tout à
coup. Une colère froide remplaça la rage qui le faisait encore trembler, quelques secondes auparavant.
Ses yeux métalliques plongèrent dans les miens.
— Arrête tout avec Bethany ! ordonna-t-il. Arrête tout avant que tu brises ses illusions. Parce que tu les
briseras tôt ou tard ! Ce n’est qu’une question de temps.
Je fis un pas brusque.
— Merde, Knox, je suis amoureux de ta sœur.
Je me pétrifiai, cloué sur place, réalisant ce qui venait de sortir de ma bouche d’une voix désespérée,
mais ce fut comme un déclic. Ces paroles qui avaient été là, tapies en moi, depuis un bout de temps,
m’enveloppèrent soudain de leur chaleur dans un instant, en plus, très difficile.
Et je compris…
J’aimais Bethany. Putain, oui… je l’aimais ! Ce sentiment de manque, qui avait grandi l’année passée au
fil des mois et m’avait poussé à la contacter afin d’organiser l’anniversaire de ce connard en face de moi,
prit tout son sens. La moindre cellule s’éclaira dans mon cerveau, comme de petites ampoules dans une
nuit d’encre. Cette soirée – même si cela m’avait fait plaisir d’en faire la surprise à Knox –, j’aurais pu
l’organiser avec Columbia. Mais je sus que j’aurais trouvé n’importe quel prétexte pour revoir Bethany
même si je n’avais pas eu cette excuse. Je l’avais contactée parce que son absence prolongée, sans
nouvelles, devenait difficile, trop difficile à supporter. Tout à coup, ma réaction disproportionnée à
l’inauguration du studio me revint en mémoire : la terrible déception de ne pas pouvoir partager ce
moment important avec elle. J’aurais voulu voir se refléter dans ses yeux la fierté et le même bonheur que
dans les miens.
Tout prit son sens dans les moindres détails.
Oui, j’étais amoureux de Bethany. Je l’aimais. Je l’avais dans la peau. Ma poitrine enfla sous le sentiment
puissant qui se libérait enfin de sa cage. Aujourd’hui, je n’avais qu’un seul regret : celui de ne pas le lui
avoir dit avant cette confrontation.
— Je l’aime… répétai-je, la voix très enrouée. Putain, Knox, écoute-moi, s’il te plaît.
Depuis Rafe, je n’avais plus jamais supplié quelqu’un. Alors, Knox devait m’écouter ! Mais il me
dévisagea comme un étranger avant d’éclater d’un rire amer.
Horrible à entendre.
— Si les sentiments que tu éprouves pour ma frangine sont à l’image de notre amitié, ils ne valent pas
grand-chose.
Ce coup me terrassa. Net et sans bavures. Mais c’était loin d’être fini.
— Ma sœur mérite mieux qu’un mec qui ira renifler la première Latino sexy venue, dans peu de temps,
quand la nouveauté sera passée !
Un autre coup énorme qui m’assomma. Il marqua une pause en me lançant un regard glacial.
— Si tu ne dégages pas de l’appart, c’est moi qui partirai !
Cette dernière flèche s’enfonça à côté de tous les poignards qu’il venait de me lancer.
Des paroles qui me mirent K.O.
Le coup fatal. Alors, comment réussis-je à rester encore debout ? Aucune idée. Je le fixai, incapable de
répondre devant ce bloc de béton. Il n’avait rien écouté, il n’avait pas voulu entendre les sentiments que
j’éprouvais pour sa frangine ! Il se fermait complètement en m’éjectant carrément de sa vie.
Dans notre société, il existe des mots qui ont le pouvoir de mettre un mec à terre, malgré sa volonté
farouche de se battre pour la fille de ses rêves, pour la fille qu’il aime. Il y a des mots qui le détruisent en
quelques secondes.
Knox les possédait et les avait utilisés contre moi sans ciller.
En un corps à corps, il n’aurait eu aucune chance, même si bien sûr je ne l’aurais jamais cogné – y
compris s’il avait cédé à ses pulsions meurtrières quand il nous avait surpris, Bethany et moi. Mais avec
ses propres armes, il avait réussi à me terrasser.
Je continuai à le dévisager dans un silence de plomb, la moindre inspiration se transformant en une
douleur abominable. Ce mec, j’aurais pris une balle pour lui ! Je me serais jeté dans les flammes pour le
sauver. Et il venait de me bousiller en quelques phrases bien choisies. Soudain, je redevenais le petit
Latino de Brooklyn dont le frère avait mal tourné, et qui suivrait sans doute le même chemin.
Après tout, c’était dans nos gènes.
Knox me catapultait de nouveau à cette époque ancienne avec ses paroles tranchantes, le mépris dans
ses yeux, sa cruauté et son rejet. J’étais redevenu ce Latino dont les mains étaient trop sales pour se
poser sur les petites nanas « blanches » d’une autre classe sociale. Certaines d’entre elles avaient aimé
s’encanailler avec un mec comme moi (une expression qui prenait à présent tout son sens, une
réminiscence de mon passé), mais jamais elles ne m’auraient présenté à leurs parents. Je n’étais qu’un
petit immigré, trop typé, à la couleur de peau différente, et qu’importe si j’étais né ici.
Je restai paralysé devant Knox ; j’étais à nouveau cet adolescent qui avait déjà été mis à terre très jeune,
avant de se relever et lutter contre un destin qui n’avait pas été favorable à sa naissance. Mon oncle
m’avait certes aidé au cours de ma vie, comme il avait tenté de le faire pour Rafe, mais cette force de
m’en sortir, je l’avais puisée en moi. Cependant, dans cette pièce, je n’arrivais plus à me relever. Knox
m’avait massacré. Tout cela tournait en boucle dans mon crâne douloureux.
Je n’étais pas assez bien pour sa sœur !
Mes sentiments, quels qu’ils soient, n’étaient que de la merde !
Il avait défoncé une barrière solidement construite. Mon cerveau semblait vriller entre cette scène et les
souvenirs d’antan.
Putain, mais moi… ce mec, je l’aimais ! Et il venait de me laminer en me donnant de nouveau la
sensation d’être un moins que rien, alors que je m’étais fait la promesse que plus personne n’aurait un tel
pouvoir sur moi.
Lui.
Un pote que je considérais comme mon propre frère. Ma souffrance atteignit son point culminant et de
petits papillons blancs apparurent devant mes yeux, alors qu’on se dévisageait toujours dans un silence
de mort. Une lueur sembla vaciller dans ses prunelles avant qu’il n’y reste plus qu’un ton gris sans
chaleur. Je fis un pas, puis un autre.
Il se raidit lentement.
Je passai devant lui sans un regard et me dirigeai vers la porte.
— Cruz.
Une voix enrouée.
Ryder.
Ma main qui paraissait peser une tonne réussit à ouvrir le battant blanc. Le plus important à cette
seconde était de parvenir à mettre un pied devant l’autre.
Bethany n’était pas dans les parages. Heureusement. Parce que je n’étais plus qu’un automate qui
arrivait à rester debout par je ne sais quel miracle. Elle dans le paysage ? Non, je préférais ne pas y
penser. Knox m’avait fait énormément de mal, mais dans une partie de mon cerveau, je savais aussi que je
l’avais déjà perdue. Une douleur au centuple. Alors, si je devais tomber sur elle ?
J’accélérai le pas.
— Cruz…
De nouveau Ryder.
J’entendis sa voix dans un brouillard, mais je continuai à avancer dans un couloir immaculé. Il fallait que
je sorte d’ici. Comme un zombie, j’émergeai enfin de l’hôpital pour me diriger vers mon pick-up, et j’y
grimpai avec des gestes robotiques. Lorsque je mis le moteur en route, les mains tremblantes, une voix
persifla dans ma tête, celle venue d’un passé lointain, que je n’avais plus entendue depuis longtemps.
Quoi ? Tu pensais valoir quelque chose, Cruz ? Tu pensais pouvoir avoir la petite blanche, la petite
blonde aux yeux bleus ? Même ton meilleur pote, ex-pote, pense que tu ne vaux rien et qu’elle est trop
bien pour toi.
Une goutte salée se faufila entre mes lèvres lorsque le pont de Brooklyn apparut dans mon champ de
vision brouillé. Du revers de la manche, j’essuyai brusquement cette larme. Ce fut là que je réalisai que
d’autres avaient coulé bien avant celle-ci, baignant mes joues. Je frottai mon visage d’une main, en
plusieurs gestes brusques, et les fis disparaître.
Les doigts agrippés au volant, je retournai à Manhattan. Il me fallut à peine un quart d’heure pour
rassembler quelques affaires. Le reste, je le récupérerais plus tard. Puis, je repris le chemin de Brooklyn
jusque chez mon oncle. Mon portable commença à vibrer toutes les minutes. Je le coupai sans un regard
sur les SMS ou les numéros qui essayaient de me joindre.
Quand j’entrai dans le salon, d’un seul coup d’œil, Tio comprit toute la situation. Il se leva de son vieux
fauteuil, franchit la distance entre nous sans un mot et m’attira dans ses bras en chuchotant :
— Todo está bien, mi hijo. Todo está bien.
Ça va aller, mon garçon. Ça va aller.

Une heure plus tard, Ryder débarqua. Tio disparut à l’étage pour nous laisser en tête à tête.
— Je ne suis pas d’humeur, Ryder, lançai-je d’emblée d’une voix lugubre.
Il avança dans le hall, passa devant les affaires que j’avais déchargées du pick-up, pour entrer dans le
salon sans y être invité.
— Je sais, répondit-il simplement.
Il se dirigea vers le canapé et s’assit devant la télé.
J’avais finalement lu le texto qu’il m’avait envoyé après mon départ de l’hôpital. Grâce à lui, je savais
que Chase avait réussi à convaincre Bethany de rentrer chez eux, après que Ryder l’avait conduite en
dehors de la salle d’attente. Visiblement, le frère de Knox rôdait dans les parages. Je n’avais lu que ses
SMS ; ceux de Bethany, c’était beaucoup trop dur. Zack, qui était resté avec Jailyn le temps de ma « 
conversation » avec Knox, avait essayé de me joindre, mais j’avais laissé l’appel atterrir sur ma boîte
vocale.
Je rejoignis Ryder qui avait attrapé la télécommande sur la table basse. Il changea de chaîne jusqu’à ce
qu’il trouve la retransmission d’un match de foot quelconque. Je m’assis dans un fauteuil. Pour la
première fois de ma vie, je vis un Ryder silencieux pendant toute la soirée… étonnant. Il commenta
quelquefois des actions, mais sans attendre aucune réponse de ma part. Il parla avec Tio quand ce
dernier nous rejoignit plus tard. Une grosse boule se logea dans ma gorge lorsque je compris qu’il me
montrait ainsi son soutien.
Aucun jugement.
Aucune question.
Rien.
Juste un mec qui voulait être là pour son pote et qui le lui faisait savoir.
Une présence très réconfortante.
Chapitre 27

Bethany

Je montai les marches du perron, le cœur serré.
Il y a quelques heures, Chase avait réussi à me convaincre de rentrer à la maison en insistant sur le fait
que ma présence ne ferait qu’envenimer les choses. Lorsque j’avais intercepté Cruz dans le couloir de
l’hôpital, mon frère s’était absenté pour aller me chercher un café. À son retour, il avait vite compris la
situation quand Ryder m’avait emmenée à l’extérieur de la salle d’attente. Mais depuis, Chase ne m’avait
fait aucune réflexion.
Bien sûr, il avait vu mon état...
Plus tard, il m’avait même tenue informée.
Il avait appris par Ryder que Cruz était parti chez son oncle. Mauvais signe. Bien que je n’aie eu aucun
écho de la suite des événements après mon départ, je savais au fond de moi que la discussion entre Knox
et Cruz s’était mal passée. J’avais vu le visage de mon frère lorsqu’il nous avait surpris…
Une véritable trahison pour lui.
Et j’avais également entendu les premiers mots qu’il avait balancés d’une voix tellement dure. Je
pressentais dans toutes mes fibres que si Cruz avait décidé de partir chez son oncle, c’est qu’entre eux,
cela avait dû empirer, bien empirer. Quand Chase m’avait gentiment proposé de m’emmener chez Tio en
m’arrachant la promesse de l’appeler si j’avais besoin d’un chauffeur au retour, j’avais compris, étonnée,
qu’il m’envoyait une sorte de message. Je lui avais franchement posé la question : pourquoi faisait-il ça ?
Il m’avait encore stupéfaite en me répondant :
« Tu semblais beaucoup plus heureuse et tu étais différente ces derniers temps. Si la raison c’est Cruz,
je n’ai rien à dire… c’est un type bien que j’apprécie. J’ai encore appris à mieux le connaître ».
J’avais répondu par un hochement de tête, les yeux remplis de larmes, très émue. Pourquoi Knox ne
pouvait-il pas réagir ainsi ? Lui, son meilleur pote ? Bien sûr, il connaissait certaines facettes peu
reluisantes de Cruz, mais il avait bien changé, lui, depuis qu’il sortait avec Jailyn ; bien sûr, on lui avait
menti pendant des semaines… Je pouvais comprendre la blessure infligée, la déception, mais quand
même !
Je n’arrivais plus à lui trouver d’excuses.
Devant la porte de la maison de Tio, mon cœur se mit à battre encore plus vite. Je sonnai, la peur au
ventre. Ce fut Cruz lui-même qui me répondit. Une joie explosa en moi avant qu’un seau d’eau glacée ne
la tempère lorsque je remarquai ses yeux distants et la pâleur de son teint sous le hâle naturel de sa
peau. Son visage fermé me tordit l’estomac. Quand il fit un pas sur le perron éclairé en refermant la porte
derrière lui, sans m’inviter à entrer, j’eus un très mauvais pressentiment, et mon angoisse grandit.
— Cruz…
— Comment tu es venue jusqu’ici ? me demanda-t-il avec un froncement de sourcils en jetant un rapide
coup d’œil dans la rue.
Il ne voyait pas la voiture de ma mère que j’aurais pu emprunter.
— C’est Chase qui m’a emmenée.
— Et il n’avait pas envie de me casser la figure ?
Il grimaça, regrettant visiblement cette attaque. Mais sa phrase confirma mes pires craintes. Ça s’était
très mal passé avec Knox.
— Désolé, c’était stupide.
— Non, au contraire, il est content pour nous.
Je vis une lueur de surprise éclairer ses traits avant qu’elle ne s’éteigne. Il y eut un long silence pesant.
— Cruz…
Il s’écarta un peu plus vers la balustrade en bois qui flanquait le porche. J’essayai d’ignorer le fait qu’il
semblait chercher à mettre une distance physique entre nous. Je devais me tromper !
— Qu’est-ce qu’il t’a dit ? Pourquoi tu es chez ton oncle ?
Pourquoi tu n’es pas venu me voir ? Mais cette question-là, j’avais trop peur de la poser.
— J’ai décidé que ce serait mieux… répondit-il d’un ton monocorde.
Ma gorge se serra d’émotion, et sous le coup d’une horrible intuition, la colère flamba dans mes veines.
— Ne me dis pas qu’il t’a demandé de partir ? C’est ça, hein ? Il l’a très mal pris pour nous deux ? Vous
n’en êtes pas venus aux mains ? rajoutai-je soudain, au bord de la nausée.
— Non ! rétorqua-t-il rapidement… Bethany…
Je n’aimai pas sa voix et la distance entre nous devint insupportable. Knox avait détruit la petite lueur
particulière qui brillait dans les belles prunelles de Cruz lorsqu’il les posait sur moi. Je sentis cette colère
immense grossir dans ma poitrine, me bloquer momentanément le souffle. Qu’est-ce que mon frère lui
avait fait ? Qu’est-ce qu’il lui avait dit ?
— C’est ça, il t’a demandé de partir de l’appart ? Il a été infect ? insistai-je.
— Bethany ! coupa Cruz d’un ton très sec, voire blessant.
Il ferma brièvement les yeux avant de les braquer dans les miens et de prononcer des paroles horribles :
— Ce serait mieux qu’on arrête tout !
Sonnée, je reçus ça en pleine poire. On aurait pu croire qu’il arrachait d’un coup brusque un énorme
pansement collé sur ma peau depuis des semaines. Autant le faire en une seule fois, malgré la
douleur engendrée, plutôt que de prendre des gants. À quoi bon ? Le résultat serait le même.
Très douloureux.
— Quoi ? bredouillai-je, sous le choc.
Avant de m’écrier dans la foulée :
— Mais pourquoi ? C’est ce qu’il t’a demandé de faire, ce qu’il a exigé ? C’est lui, hein ?
Cruz enfonça un peu plus ses mains dans les poches de son jean, le visage encore plus sombre et fermé.
— Écoute, tu n’as que dix-neuf ans, tu as encore plein de choses à…
— Je t’aime, Cruz… Je t’aime, je t’ai toujours aimé, m’exclamai-je brutalement dans un sanglot.
Je lâchai cette bombe, désespérée. Il réagit avec un mouvement de recul imperceptible, comme s’il
venait de recevoir un gros coup de poing dans le sternum. Pendant plusieurs secondes il parut avoir du
mal à reprendre sa respiration avant de m’annoncer d’une voix méconnaissable :
— Je n’ai pas envie d’une relation sérieuse. Je n’en ai pas envie maintenant.
Il avait ignoré ma déclaration. Je venais de me mettre à nu et il me jetait… Ma souffrance devint
intolérable.
Mais il ment, me dis-je dans un éclair de lucidité. Je percevais un truc sous son attitude rigide et fermée.
Et je revoyais encore son regard paniqué lorsqu’il m’avait prise dans ses bras dans la salle d’attente.
— J’ai vu comment tu m’as regardée à l’hôpital ! J’ai vu la peur dans tes yeux ! J’ai senti comment tu
m’as serrée contre toi ! J’ai entendu ta voix lorsque tu m’as dit…
— J’ai de l’affection pour toi, Bethany, rétorqua-t-il avec un calme glacial. Normal que j’aie été inquiet.
Ma poitrine parut se déchirer.
Oh, bon sang ! Mes yeux se mirent à picoter. On aboutissait donc à ça ? De l’affection ? Mais je ne
voulais pas le croire ! Toujours pas ! Même s’il émettait des signaux distants et terrifiants, je conservais
en moi ses regards, ses sourires, sa façon de me faire l’amour… et tant d’autres choses que j’avais pu
observer durant toutes ces semaines.
Non, la rupture ne venait pas de lui. Il n’éprouvait pas qu’une simple affection ! Impossible.
— Qu’est-ce qu’il t’a dit ? C’est lui, hein ? Il t’a demandé de tout arrêter ?
Il ne répondit pas.
— Qu’est-ce qu’il t’a dit ?
Ma voix était montée d’une octave.
— Ce n’est pas important !
— Pas important ! m’exclamai-je. Pas important ! Si, ça l’est ! criai-je d’un ton exaspéré. On était bien
tous les deux… heureux et subitement, tu veux tout arrêter ? Je sais que c’est lui !
Soudain sa voix explosa dans la nuit, me faisant sursauter.
— Moi, je n’ai plus de frère, m’assena-t-il dans un accès de rage (une première réaction vive). C’est ce
que tu veux ? Perdre ce que tu as avec ton frère ?
— Pour toi, oui ! Mais bon sang, Cruz, il s’en remettra ! Il est en colère, blessé… Il acceptera tôt ou tard
notre couple.
Je le fixai, consciente des larmes qui commençaient à déborder de mes cils.
— Il n’a pas le droit de se mêler de ma vie privée.
— Il m’a fait réfléchir, Bethany.
Une flèche qui me coupa le sifflet.
— J’ai compris que je n’étais pas prêt pour une relation sérieuse, et que je ne pourrais que te faire du
mal à terme.
Je luttai une nouvelle fois de toutes mes forces pour nous et ripostai :
— S’il t’a fait réfléchir, pourquoi tu as éprouvé le besoin de venir te réfugier chez ton oncle ? Pourquoi
tu prends encore sa défense ? Pourquoi tu ne me dis pas tout simplement ce qu’il t’a jeté à la figure ?
Sa mâchoire se crispa. Il parut batailler avec lui-même.
— Ça a été difficile, oui, c’est vrai, concéda-t-il tout à coup à contrecœur, comme s’il fallait me lancer un
os pour faire passer tout ce qu’il était en train de me dire. Mais ton frère cherche à te protéger et ça, je
ne peux pas lui en vouloir.
— Je sais qu’il a dû te dire des choses blessantes, voire terribles, lançai-je avec obstination, la poitrine
oppressée.
Une réaction de son corps, une légère secousse qu’il ne put maîtriser, confirma mes soupçons.
— Bethany…
Puis il inspira profondément, comme si les paroles suivantes devaient sortir coûte que coûte.
— Bethany, répéta-t-il. On arrête tout. C’est ce que je veux ! C’est vraiment ce que je veux !
Cela tomba comme un couperet.
— C’est mieux pour toi et pour moi… Tu me remercieras plus tard…
Des centaines de poignards vinrent se planter dans ma poitrine et je ne le laissai pas aller plus loin.
— Arrête… Arrête… ! criai-je.
Je ne voulais pas entendre ces putains de clichés débiles : « Tu me remercieras plus tard ». Des larmes
brûlantes dévalèrent mes joues, tandis qu’il se tenait toujours en retrait, le visage néanmoins crispé. Knox
avait réussi ! Oui, il avait réussi ! J’étais anéantie.
Mais le plus terrible dans tout ça, c’est que Cruz pensait certainement agir au mieux pour réparer le
mal qu’il avait fait à mon frère, sa trahison accompagnée de ses mensonges. Il devait réparer, quitte à
sacrifier son propre bonheur… et le mien avec. Mais j’étais jeune, je m’en remettrais, je mélangeais sexe
et sentiments… c’était le genre de phrases qui devait tourner dans sa tête pour le persuader qu’il prenait
la bonne décision. À mon âge, je passerais vite à autre chose.
Ou je me retranchais peut-être derrière un tas d’illusions et il ne voulait effectivement plus de moi, tout
simplement. J’avais peut-être tout faux, sur toute la ligne. Je braquai mes yeux dans les siens, mais la
pénombre m’empêchait de lire en lui. Toutefois, je remarquai qu’il avait reculé dans l’angle du porche,
comme s’il avait besoin de mettre encore plus de distance entre nous parce qu’il n’était pas certain de ses
réactions.
Je secouai la tête.
Non, ce n’était pas un effet d’optique ! Et NON, je n’arrivais pas à croire qu’il ne voulait plus de moi.
Mais la rancœur prit le pas sur le reste et j’attaquai dans la foulée, d’une voix remplie de larmes :
— Moi, je me serais battue pour toi, contre la terre entière s’il avait fallu !
J’étais certaine que Knox l’avait profondément meurtri. Alors, j’aurais dû retenir les mots terribles qui
se bousculaient sur mes lèvres, éviter de rajouter du sel sur une blessure déjà très vive. Mais ma propre
douleur était bien trop forte.
J’avais atteint mon rêve et on me l’arrachait brutalement. Ce n’était pas juste, surtout dans ces
circonstances.
— Visiblement, je n’en vaux pas la peine pour toi !
C’était dit ! Je me détestai, mais je souffrais trop.
Une secousse traversa son corps musclé, comme si un éclair venait de le frapper. J’aurais voulu lui
tendre la main et le prendre dans mes bras pour lui demander immédiatement pardon, mais je tournai les
talons et dévalai les marches à toute vitesse. La peur qu’il me rejette définitivement et que toutes mes
illusions se retrouvent piétinées au sol à côté de mon cœur brisé, me poussait à fuir.
— Bethany, qu’est-ce que tu fais !?
J’entendis l’inquiétude dans sa voix et mon cœur se mit à saigner. Quel gâchis ! J’étouffai un sanglot
dans ma gorge. J’avais mal, terriblement mal.
— Bethany, putain… attends !
Des pas résonnèrent derrière moi alors que j’accélérais l’allure. Puis, soudain, un timbre familier s’éleva
dans mon dos :
— Je m’en occupe.
Ryder. Il me rattrapa.
— Laisse-moi…
— C’est lui ou moi, coupa Ryder à voix basse. Il ne te laissera pas rentrer seule.
Je jetai un coup d’œil au-dessus de mon épaule. Cruz se tenait près de l’allée du garage, la mâchoire
crispée, les poings serrés le long du corps, pulsant d’une vibration dangereuse qui me fit frissonner.
— Je te ramène.
Je crois que je répondis d’un signe de la tête – aucune idée – avant de suivre Ryder jusqu’à sa voiture
sans me retourner une seule fois. Quand il démarra, mes larmes coulèrent comme les chutes du Niagara.
Un mouchoir apparut devant mon nez et je le pris de la main de mon chauffeur. La respiration difficile, je
demandai :
— Qu’est-ce qu’ils se sont dit ? Avant de partir, j’ai vu que tu retournais dans la salle, alors je sais que tu
as tout entendu.
Il resta silencieux, les yeux braqués sur la route.
— Il n’a rien voulu me dire. Dis-moi seulement si Knox a été très dur avec lui comme je le pense ?
— Bethany…
— S’il te plaît, Ryder. J’ai besoin de savoir au moins ça. Je ne te demande rien d’autre.
Sa mâchoire se serra.
— Oui…
Il ne rajouta rien d’autre. Mon cœur se brisa une nouvelle fois, mais pour Cruz, cette fois-ci. Tout ça,
c’était ma faute. J’avais insisté pour qu’on cache notre relation… J’entendis la voix de Ryder au loin.
— Bethany, Cruz, il n’est pas bien, là… quoi qu’il t’ait dit… il n’est vraiment pas bien.
— Je sais, Ryder. Je sais.
Mon regard se perdit à travers la vitre. Un lourd silence tomba entre nous et quelques minutes plus
tard, Ryder se garait le long du trottoir, devant ma maison.
— Merci de m’avoir ramenée.
Il eut un léger hochement de tête. Malgré mon état, je me fis la remarque que je n’avais jamais vu Ryder
sans cette lueur pétillante dans les yeux et ce petit sourire, préludes à ses grosses vannes. Je sortis
rapidement de sa voiture.
Chez moi, je montai directement dans ma chambre et m’écroulai sur mon lit pour pleurer toutes les
larmes de mon corps. J’entendis ma porte s’ouvrir avec douceur avant qu’une silhouette ne s’asseye au
bord de mon lit. Je reconnus la main de ma mère dans mes cheveux. Elle ne dit rien, continuant à me
réconforter en silence avec de douces caresses. Je me glissai peu à peu vers elle ; ma tête se posa sur ses
cuisses comme lorsque j’étais petite et que j’avais besoin d’être consolée.
— Je suis amoureuse de lui, maman. Je l’aime…
— Je sais, ma puce.
Même si Chase avait dû lui toucher un mot de tout ça lorsqu’elle était rentrée de son travail, elle ne
chercha pas à me faire parler. Je m’endormis ainsi. Plus tard, je me réveillai la tête sur mon oreiller. Je me
levai, me déshabillai, puis je retournai au lit, les paupières enflées, le nez rouge, la gorge irritée.
Je versai encore des larmes avant qu’un sommeil agité ne m’emporte.

Le lundi fut tout simplement horrible. Plus que ça même.
Mes cils se remplissaient constamment de larmes dès que je pensais à Cruz, soit à peu près toutes les
minutes. Et c’était un vrai calvaire pour les refouler, mettre un pied devant l’autre, écouter les profs, mes
copines, afficher un visage normal. Mais je ne me faisais pas trop d’illusions. Un simple coup d’œil sur
mon teint cireux, mes yeux cernés et mes paupières encore enflées en disait suffisamment long. Lors
d’une pause, j’allai craquer dans les toilettes, pleurer un bon coup. Mes copines n’osaient rien me
demander, vu les ondes « foutez-moi la paix » que je transmettais clairement depuis mon arrivée à la fac.
Oui… Je vivais l’une des plus terribles journées de mon existence. Et le texto que Chase m’envoya dans
la matinée, me disant que Cruz avait l’air d’un véritable zombie, ne me consola pas le moins du monde. Il
fit monter un autre flot de larmes. Par un deuxième message, j’appris également que Zack s’était enfermé
avec Cruz et qu’il était resté longtemps. Mais rien n’avait filtré de leur conversation.
Et moi, je me traînais d’un cours à l’autre.
Au fil des heures, j’abandonnai cependant l’idée d’être capable de comprendre une seule matière. J’étais
là sans être là et le temps s’écoulait avec une lenteur pénible. En fait, une seule chose me faisait tenir
aujourd’hui. Une seule chose m’empêchait de me barrer pour rentrer à la maison et me réfugier dans ma
chambre afin de panser mes plaies.
Knox !
J’attendais le moment de le voir et la rage commença peu à peu à remplacer mon sentiment de
désespoir. Afin d’être certaine de ne pas le louper, je lui avais envoyé un bref message, le prévenant que
je passerais chez lui en fin d’après-midi. Il m’avait répondu qu’il m’attendrait avant d’aller à l’hôpital. De
mon côté, je prévoyais de prendre des nouvelles de Tiphaine dans la soirée.
L’heure de notre face à face arriva enfin.
Quand je sortis de l’ascenseur à son étage, la porte de son appartement s’ouvrit avant que ma main ne
touche le battant. Mon frère se poussa sur le côté pour me laisser passer. Je m’arrêtai dans le hall dans
un silence assourdissant, puis je me tournai vers lui, les poings serrés. Les cernes sous ses yeux ne me
consolèrent pas, pas plus qu’ils n’étouffèrent la rage qui pulsait littéralement dans toutes mes cellules.
— Qu’est-ce que tu lui as dit ? attaquai-je sans un bonjour ni le moindre mot de politesse.
— Salut…
J’ignorai cette entrée en matière.
— Tu ne veux pas t’asseoir ? proposa-t-il. Je voulais moi aussi te contacter pour qu’on puisse se parler.
Il exsudait d’un calme étonnant, comme s’il sentait qu’une simple allumette provoquerait une explosion
dévastratrice.
— Qu’est-ce que tu lui as dit ? répétai-je, la poitrine grondante, les yeux étincelants. Qu’est-ce que tu lui
as dit pour qu’il soit dans cet état et qu’il ait rompu ? C’est toi, hein ? C’est toi qui l’as poussé à tout
arrêter.
— Bethany, viens t’asseoir qu’on puisse discuter.
Le ton de ma voix monta, vibrant d’une rage difficilement maîtrisable.
— Est-ce que tu lui as seulement laissé une chance de s’expliquer ?
Je crus déceler une petite lueur de remords dans ses prunelles.
— Bethany, Cruz est…
— Je suis amoureuse de lui ! hurlai-je tout à coup.
Tout en moi n’était que douleur.
— Tu comprends ? Je l’aime, je l’ai toujours aimé ! J’ai toujours été amoureuse de lui, et regarde ce que
tu as fait !
Les larmes coulèrent sur mes joues. Je vis le choc dans ses yeux, mais rien à foutre, je brûlais à présent
d’une fureur inouïe.
— Cruz… est un mec…
Je levai la main pour le stopper direct.
— Arrête ! Arrête immédiatement ! crachai-je.
J’allais rendre coup pour coup. Pour Cruz. Pour mon Latino qui n’avait pas pu se défendre, car la
culpabilité, son amitié envers mon frère, en plus des mots durs qu’il avait dû encaisser et qu’il pensait
mérités, l’avaient privé de toutes ses armes.
— De quel droit tu le juges ? De quel droit tu te permets de juger si Cruz est le mec qu’il me faut ou
pas ? (Je ne marquai qu’une légère pause, le temps de recharger ma mitraillette.) Ta copine, Jailyn…
lâchai-je d’un rire amer, tu l’as traitée comme de la merde au début, et tu te permets de donner des
leçons à Cruz, de le juger ?!!!
Il eut un mouvement de recul comme si je l’avais violemment frappé au visage.
Je m’en foutais. Je lui en voulais à mort.
— Cruz, lui ? Depuis le début il a toujours été doux, gentil avec moi, même avant qu’on sorte ensemble !
Il m’a toujours respectée. Alors, tes leçons, garde-les pour toi ! Toi, le mec qui se payait en plus toutes les
filles qui passaient dans le coin. Cruz pourrait te donner des leçons sur pas mal de choses !!
De gros sanglots commencèrent à racler ma poitrine et vider toute ma colère devint difficile.
— Jamais je ne te pardonnerai, Knox ! Tu m’entends ? Jamais ! Ne te mêle plus jamais, plus jamais de
ma vie !
J’avais encore un truc à lui dire et j’espérais qu’avec ça, il se sentirait encore plus mal qu’il n’en avait
déjà l’air. Il ne m’avait jamais vue ainsi.
— Il m’a menti ! s’exclama Knox d’une voix méconnaissable. Il n’a même pas eu les couilles de…
— Parce que c’est moi qui l’ai supplié de ne rien te dire ! explosai-je, car c’était le détail important que
je voulais lui jeter à la figure avant de me casser d’ici. C’est moi, tu comprends ?
Mon sang rugissait sous mes tempes.
— Cruz voulait te le dire depuis le début, mais je l’ai supplié de ne pas le faire et je lui ai soutiré cette
promesse. Et tu sais quoi ? Ton pote, ou ton ex-pote – parce que tu l’as jeté de son propre appartement,
hein ? –, c’est un type bien ! Il tient ses promesses. Pendant tout ce temps, il se sentait mal vis-à-vis de
toi, mais il a enduré cette situation pour moi, rien que pour moi. Parce que moi, comme une conne,
éclatai-je soudain d’un rire flippant, je croyais qu’en attendant un peu, tu serais plus enclin à nous
écouter ! En voyant à quel point on était bien ensemble. Alors, si tu dois en vouloir à quelqu’un, c’est à
moi. Hier, il t’a dit la vérité ! rajoutai-je. Il voulait tout te raconter, il voulait discuter avec toi en tête à
tête. Il était même content de bouffer une pizza avec son meilleur pote, même s’il était conscient que ce
serait difficile de lui avouer qu’il sortait avec sa sœur. Hier…
Je dus m’arrêter pour tenter de reprendre un peu d’air, l’oxygène bloqué dans mes poumons par une
douleur intense, ma gorge serrée, mes yeux brûlants, mes joues inondées de larmes.
— Hier, la situation ne plaidait pas en sa faveur, mais tu ne lui as laissé aucune chance ! Et le pire dans
tout ça, c’est que dans d’autres circonstances, s’il avait pu discuter avec toi comme il prévoyait de le
faire, je suis pratiquement certaine que tu ne lui aurais quand même pas laissé la moindre chance.
Le corps secoué par des vagues de souffrance et de colère, je continuai :
— Et toi, tu te prétendais son meilleur ami ? Je ne sais pas ce que tu lui as dit hier, car il a refusé de
m’en parler, mais je sais que non seulement tu n’as pas voulu l’écouter, mais en plus, que tu as été cruel
avec lui ! Et je ne te pardonnerai jamais cette cruauté dont tu as fait preuve envers Cruz. Il ne le méritait
pas ! Mais j’espère que tu es content, tu as gagné !
Knox semblait sonné.
— Je ne veux que…
Tremblante de fureur, je levai la main pour le stopper de nouveau. Il se tut. Je ne voulais pas l’entendre,
comme lui n’avait rien voulu entendre la veille. Qu’il bouffe sa propre merde !
— C’est ma vie, je n’en ai rien à foutre de tes motivations !
Puis, je plantai une dernière lance bien profond :
— J’espère que ta copine te jettera un jour ! Pour que tu saches comme ça fait mal, que tu souffres
comme je souffre aujourd’hui ! Tu n’es qu’un connard, Knox !
Sur ce, je sortis sans un mot de plus et dévalai les escaliers, pour éviter l’attente devant l’ascenseur.
D’un pas rapide, je rejoignis une station de métro, épuisée mentalement, le regard dans le vide.
Le pire ?
Je n’aurais pu dire à cette seconde si je me sentais un peu mieux après avoir déversé toute ma rage sur
mon frère. Les prunelles chocolat de Cruz apparurent devant moi et des larmes brûlantes me montèrent
aux yeux.
Non, je n’étais pas bien, pas bien du tout.

J’arrivai à la maison. Chase m’accueillit dans le hall avec un sourire réconfortant.
— Je t’ai préparé un jus de fruit.
Ma poitrine enfla devant une telle gentillesse.
— Merci.
Je le suivis dans la cuisine, même si je n’avais qu’une seule envie : me réfugier dans ma chambre.
— Tu as été voir Knox…
Ce n’était pas une question, mais je répondis cependant.
— Oui.
Chase s’appuya contre l’îlot, son regard planté sur moi, alors que je saisissais entre mes mains le verre
qui m’attendait. Il ne posa aucune question supplémentaire sur mon entrevue avec notre frangin. J’avalai
une première gorgée rafraîchissante pour ma gorge encore irritée.
— Je me suis dit que tu aimerais peut-être savoir que Ryder et Knox ont failli en venir aux mains, hier
soir, me lança-t-il soudain. Si ça peut être une petite consolation…
Choquée, j’écarquillai les yeux.
— Quoi ?
Je faillis recracher mon jus de fruit.
— Quand Cruz est sorti de la salle d’attente à l’hôpital, Ryder a sauté à la gorge de Knox. Il était fou de
rage. Zack, qui arrivait juste à ce moment, a pu intervenir pour les séparer.
Cette nouvelle m’apporta un léger baume au cœur. J’étais heureuse que Cruz ait le soutien de l’un de
ses potes.
— Zack a parlé à Cruz.
J’écoutai, la nuque raide.
— J’en ai su un peu plus dans la journée. D’un côté, il comprend que Knox ait été extrêmement blessé
quand il vous a surpris, mais il ne cautionne pas ce qu’il a balancé à Cruz. Ryder a dû lui raconter en
détail ce qui s’était passé dans la salle d’attente.
Je hochai la tête comme un automate.
— Grâce à Madison, je sais aussi que Zack a dit à Cruz qu’il était content pour vous, mot pour mot, et
qu’il ne devait pas laisser Knox gâcher… ce qu’il y avait entre vous.
Ma gorge se serra. À cet instant, j’aurais voulu embrasser Zack. Je me promis de lui envoyer un SMS de
remerciement.
— Cruz a rompu hier soir.
Mais ce scoop, mon frère le savait déjà. Il avait entendu mes sanglots dès mon retour. Chase parut alors
choisir ses paroles avec soin.
— Il a besoin de temps, Bethany. Il tient à toi, il reviendra.
— Comment tu peux dire ça ?
— Parce que je ne suis pas aveugle, il a toujours été différent avec toi ; et toi aussi, dès qu’il était dans
les parages, tu étais différente. Et n’oublie pas qu’il a mis en jeu son amitié pour Knox. Un mec ne
risquerait pas ça pour n’importe quelle nana.
Oh… j’en restai coite. Je ne pus que hocher la tête, encore surprise. Je connaissais le don d’observation
de Chase, néanmoins ses propos m’étonnaient. J’appréciais qu’il tente de me réconforter, mais tout
paraissait tellement insurmontable : la rupture voulue par Cruz, une amitié brisée, une grosse fracture
dans leur bande de toujours. Quel merdier ! Je restai silencieuse et vidai mon verre. Après l’avoir rincé, je
m’approchai de mon frangin qui m’accueillit dans ses bras.
— Merci, Chase. Je t’aime, grand frère, chuchotai-je à son oreille.
Je posai un baiser sur sa joue et je le sentis ému. Je m’écartai pour le regarder droit dans les yeux avec
toute l’affection que je ressentais pour lui. Je le retrouvais enfin. Je retrouvais enfin mon frère d’avant, et
je le remerciais de m’offrir au moins ce bonheur dans des heures si noires.
— Merci pour tout ce que tu fais pour moi, Chase.
Je le vis danser légèrement d’un pied sur l’autre, un peu gêné.
— Je sais que je n’ai pas été cool avec toi, ces derniers mois, Bethany. J’ai fait des conneries qui t’ont fait
du mal, je suis désolé, lança-t-il d’une voix enrouée.
Je posai mon index sur ses lèvres.
— C’est oublié, Chase. Tout ce que je souhaite, c’est que tu sois heureux, répondis-je avant d’ôter mon
doigt.
Il eut un petit sourire. Nos yeux se soudèrent et les mots devinrent inutiles. Ce moment intense dura
quelques secondes, puis je lui demandai soudain :
— Pour Tiphaine, tu sais quelque chose ?
Son visage s’assombrit, ce qui était de mauvais augure.
— Zack m’a expliqué que le tendon du majeur de la main droite a été sectionné.
Une boule d’angoisse se forma dans ma poitrine. La blessure de Tiphaine devait rappeler à mon frère la
sienne, qui l’avait obligé à quitter l’équipe de son université, avec pour conséquence la perte de sa
bourse. Mais son visage ne reflétait qu’une sincère anxiété pour une personne qu’il appréciait. Il n’y avait
plus en lui cette rancœur.
— Elle doit être opérée dans la semaine. Ils vont lui recoudre le tendon. Ensuite, tout sera une question
de rééducation d’après ce que j’ai compris.
— C’est une bonne nouvelle ?
— En fait, la rééducation est une étape très délicate et il y a un risque que Tiphaine soit obligée de
repasser sur le billard. Certains médecins préconisent une rééducation le plus rapidement possible, mais
les sutures risquent dans ce cas de ne pas tenir. Mais trop attendre pourrait aussi poser d’autres soucis,
comme le raidissement de son doigt. En dehors de ces problèmes, il se peut aussi qu’elle ne récupère plus
la mobilité de son majeur. C’est à envisager, malheureusement.
Une catastrophe pour une violoniste.
Mon cœur se serra de tristesse.
— Je lui téléphonerai ce soir.
Il hocha la tête.

Dans la soirée, je dînai avec Chase avant de me retirer dans ma chambre. J’envoyai un message à
Tiphaine, lui demandant si je pouvais l’appeler. Mon téléphone sonna dans la foulée.
— Bien sûr que tu peux m’appeler.
— Là, c’est toi qui m’appelles, essayai-je de plaisanter.
Le cœur n’y était pas.
— C’est plus rapide qu’un texto.
Ma gorge se serra.
— Je suis tellement désolée, Tiphaine.
— On ne m’a pas encore amputée du doigt, Bethany.
Les yeux picotant, je souris, mais son ton forcé ne m’avait pas échappé.
Je l’entendis lâcher un soupir.
— Je dois me faire opérer dans quelques jours. Ensuite, il faut prévoir six à huit semaines de
cicatrisation, sans compter que le chirurgien me conseille de démarrer une rééducation assez
rapidement.
Elle m’expliqua ce que Chase m’avait déjà dit dans la cuisine.
— Paris et Juilliard, ça me paraît bien compromis.
Sa voix se brisa légèrement. Je serrai mes doigts autour de mon téléphone.
— Tu vas surmonter ça, Tiphaine, lançai-je avec détermination.
Je voulais être forte pour elle.
Je l’entendis inspirer profondément.
— Je sais qu’il y a des choses beaucoup plus graves que ça, mais j’ai peur, Bethany. Si je ne peux plus
jouer…
Elle stoppa comme si elle manquait d’air.
— Tu rejoueras, rétorquai-je, mettant dans ces mots toute ma conviction. Je suis sûre que tu rejoueras !
— Jailyn n’est pas bien… je… je… ne peux pas lui en parler.
— Alors, moi, je suis là, Tiphaine. Si tu as besoin de moi, à n’importe quelle heure, si tu as besoin de
parler, je serai là à tes côtés.
— Merci.
Les larmes contenues, que je perçus dans sa voix, m’émurent. Je n’avais jamais vu Tiphaine aussi
vulnérable. Devant ses parents et sa sœur, elle tenait à rester forte, mais elle avait besoin d’une soupape
pour vider le trop-plein.
— Je me sens coupable, avouai-je, si je ne t’avais pas demandé de venir…
— Bethany, ce n’est pas ta faute, me coupa-t-elle, retrouvant sa verve habituelle. Cela aurait pu se
produire n’importe où. Me jeter devant un mec qui tenait un couteau dans la main n’était peut-être pas
très malin de ma part. À ma décharge, je ne l’avais pas vu, sinon j’aurais essayé direct une prise de
karaté.
Elle réussit à m’arracher un rire. Ah, elle m’épatait toujours !
— Quand est-ce que tu sors ?
— Demain ! Je dois passer au poste de police pour déposer plainte. Mes parents sont arrivés hier soir à
New York, ils m’accompagneront.
Il y eut un petit silence et je la sentis de nouveau plus vulnérable.
— D’accord ! Tu sais quoi ? On va y aller par étapes. D’abord, on se concentre sur l’opération et, après,
on affrontera la suite.
Le « on » ne lui avait pas échappé et elle me répondit d’un ton ému :
— OK… OK ! répéta-t-elle avec plus de fermeté.
— Paris, tu auras l’occasion d’y aller pour jouer, et, en ce qui concerne Juilliard, je suis sûre que tu
pourras reprendre l’année prochaine. Je suis persuadée que l’école trouvera une solution. Tu as un talent
fou ! Ils ne voudront pas se priver de quelqu’un comme toi. Et puis, s’ils sont assez bêtes pour te laisser
filer, s’ils n’ont pas la patience d’attendre ta complète guérison, il y a d’autres excellentes écoles de
musique dans ce pays qui se bousculeront à ta porte. D’accord ?
— D’accord, répondit-elle d’une voix étranglée.
Elle marqua une petite pause.
— Tu seras une infirmière formidable, Bethany.
Je rougis derrière mon téléphone.
— Merci….
— Non… Merci à toi. Ça me fait tellement de bien de te parler.
Cela me fit plaisir.
Elle se racla soudain la gorge.
— J’ai appris que ça ne s’était pas bien passé entre Cruz et Knox. Tout à l’heure, j’ai tiré les vers du nez
de ma frangine, c’est comme ça que je le sais, au cas où tu te poserais la question.
— Oui… Knox nous a surpris dans la salle d’attente.
— Aïe ! lâcha-t-elle.
Je lui racontai tous les événements jusqu’à notre entrevue musclée d’il y a quelques heures.
— Eh bien, il a dégusté ! Mais ça lui fera les pieds à cette tête de mule, ajouta-t-elle.
Elle fit une pause.
— Hé, tu sais quoi, Bethany ? On va y aller par étapes.
Je souris en l’entendant reprendre ma phrase.
— Laisse un peu de temps à ton Latino, il reviendra, j’en suis certaine.
Chase, Ryder et Tiphaine semblaient d’accord sur ce point. Moi ? Je ne savais plus. Je ne voulais pas me
donner trop d’espoir. Ça faisait trop mal quand la réalité vous rattrapait.
— Un petit canon comme toi ? continua-t-elle. Si j’étais lesbienne, je lui donnerais du fil à retordre et il
rappliquerait illico.
Encore une fois, elle réussit à me faire exploser de rire. Et cela me fit un bien fou.
Quand je raccrochai, Tiphaine paraissait aller mieux. Mais je ne me faisais pas d’illusions, il y aurait des
hauts et des bas et elle aurait besoin de tout le soutien de ses proches dans les prochains mois pour
traverser cette épreuve. Je me promis d’être là pour elle.

Évidemment, ce léger répit ne dura guère. Les jours suivants, une douleur latente se mit à
m’accompagner dès le réveil ; je la portais en moi comme une seconde peau. Quand mon stage démarra
début mars, il me plongea au cœur de l’action (enfin, c’était peut-être un bien grand mot pour une
première année). Mais le changement de cadre me sauva de la déprime complète. De plus, je travaillais
avec une équipe qui ne me réduisait pas au simple rôle de bonne à tout faire, mais me faisait participer
aux soins et à d’autres tâches.
J’effectuai même ma première piqûre dans la cuisse d’une femme. Un moment mémorable, et stressant
malgré tout. Alors, chaque jour, j’étais en immersion totale sans avoir le temps de m’apitoyer sur mon
sort, admirant le travail remarquable que ces infirmières dévouées abattaient dans des conditions parfois
difficiles. J’en avais déjà eu un aperçu avec ma mère, mais de loin. Elle m’avait toujours dit que ce métier
était une vocation. Je m’en rendais vraiment compte à présent. Question avenir, j’envisageais une
spécialisation pour devenir puéricultrice, mais j’y réfléchissais encore.
Bien sûr, lorsque je regagnais le vestiaire en fin de journée et constatais que mon téléphone n’affichait
aucun appel manqué ou SMS d’une certaine personne en particulier, mon moral en prenait un coup.
Rien ! Silence complet.
Depuis ma dispute avec Knox, je n’avais eu aucune nouvelle de lui non plus. Cela dit, ça me convenait
très bien, car je n’avais vraiment pas envie de le voir ! J’étais cependant un peu triste pour Jailyn, pour ce
qu’elle traversait avec Tiphaine ; toutefois, c’était trop compliqué dans ma tête pour essayer de la
contacter.
En revanche, elle, elle l’avait fait.
Un soir, j’avais reçu un SMS me remerciant d’être là pour sa sœur. Mes coups de fil, mes textos, mon
soutien lui faisaient du bien. J’avais répondu par un message de remerciement moi aussi suite à ses mots
gentils à mon intention. Notre échange s’était arrêté là. Aucune de nous deux n’avait fait la moindre
allusion à ce qui s’était passé. Je ne sais pas si mon frangin lui avait raconté notre « conversation » et pour
tout dire, je n’avais pas envie d’y penser.
En ce qui concernait Tiphaine, à sa sortie d’hôpital, elle avait porté plainte et identifié l’agresseur. La
suite appartenait maintenant à la justice. Pour ce qui était de Juilliard, un comité avait accepté qu’elle
termine l’année, et suive les cours auxquels elle pouvait assister. Son cas serait reconsidéré à la rentrée
prochaine après un examen médical. Selon le résultat, elle serait admise à intégrer de nouveau l’école ou
elle devrait définitivement la quitter. C’était un compromis qui l’avait déjà soulagée.
Mais, comme je le lui avais répété à plusieurs reprises, elle devait à présent se concentrer sur sa
convalescence, son opération ayant eu lieu peu de temps auparavant sous anesthésie locale. Depuis, elle
était partie se reposer chez ses parents. À son retour à New York et à Juilliard, elle démarrerait sa
rééducation. J’avais aussi pu remarquer d’après nos conversations que son amie française lui était
également d’une grande aide. Tiphaine m’avait promis de me la présenter en affirmant que j’allais adorer
son accent frenchie. Je n’en doutais pas.
Sinon, j’avais envoyé un message à Zack, le remerciant d’être là pour Cruz. Il m’avait répondu avec un
smiley et une petite phrase que « tout s’arrangerait ».
Oui…
À part que les jours passaient et que Cruz m’ignorait.
Il semblait bien m’avoir rayée de sa vie.
Cette pensée provoquait toujours une montée de larmes. Je pleurais moins, certes, mais je pleurais
encore. Pourtant, j’en avais déjà versé des litres. J’avais également raconté à Ashley mon histoire, et tout
comme Chase, elle n’avait pas vraiment été étonnée. Cela m’avait là aussi surprise. Les gens vous
connaissent bien plus que vous ne le pensez.
Le samedi qui suivit le début de mon stage, le rush retomba brutalement. En soirée, je me retrouvai
dans ma chambre avec un gros cafard, mon statut de stagiaire m’interdisant de travailler les week-ends.
Et bien sûr, qu’est-ce qu’une nana fait quand elle est malheureuse comme les pierres ? Elle se gave de
chansons tristes en visionnant des vidéos sur Youtube, affalée dans son lit.
Le titre Por amarte d’Enrique Iglesias me fit pleurer, de grosses larmes chaudes. Il me rappela cette
soirée au Barrio avec Cruz : notre danse, notre slow, la première fois qu’il m’avait serrée dans ses bras,
notre premier baiser et tout le reste. J’écoutai d’autres chansons de ce beau gosse, en espagnol, parce
que j’avais la sensation que cela me rapprochait davantage de Cruz. En vérité, ces derniers jours, j’avais
hésité plusieurs fois à lui envoyer un SMS, avant de me raviser.
Il me manquait tant !
J’avais l’impression qu’on m’avait arraché une partie de moi-même. J’avais parfois envie de courir chez
son oncle, là où il vivait, pour le supplier de me reprendre. Puis je me sermonnais avec sévérité, parce
que je ne voulais pas devenir ce genre de fille collante et pathétique qui n’accepte pas la rupture avec son
mec. Mais bon sang, que c’était dur !
Au cours de ce même soir, je me demandai s’il avait recommencé à sortir au Nine avec Ryder, s’il avait
repris ses anciennes habitudes. L’imaginer avec une autre fille me coupa la respiration et une vague de
larmes picota mes paupières. Au fond de moi, je n’arrivais pas à croire qu’il puisse me faire ça ! Mais…
mon téléphone restait toujours aussi silencieux au fil des heures.
Plus tard, la porte s’ouvrit tout à coup sur Chase.
Il entra, s’approcha de mon lit pour y grimper, et se cala à côté de moi, le dos appuyé contre la tête de
lit, ses longues jambes allongées au-dessus de la couette. Je chassai rapidement une larme au bord de
mes cils. Depuis notre première conversation, je ne lui avais posé aucune question sur Cruz, et mon
frangin ne m’avait rien confié de plus, à part qu’il créchait de temps en temps chez Zack.
Éviter le sujet n’était pas plus mal, vu mes états d’âme.
— Si je dois encore entendre une seule chanson de ce mec, je me fous une balle !
J’eus un petit rire étouffé et coupai le son.
— Alors ton stage, ça va ?
Il m’obligea ainsi à sortir de ma coquille dans les minutes suivantes, ignorant mes yeux rougis avec
beaucoup de tact. Je lui racontai mon expérience à l’hôpital, puis je faillis tomber de mon lit lorsqu’il me
demanda ensuite :
— Hé, tu veux bien me montrer une photo de la petite ?
Je me figeai avec un sourire tremblant.
— Tu es sûr ?
— Oui…
Une grosse bouffée d’affection me submergea, car cet effort, Chase le faisait pour moi. La moindre
étincelle de joie était trop rare, alors il n’hésitait pas à prendre sur lui pour pouvoir me la procurer.
J’attrapai mon téléphone, trouvai rapidement une des dernières photos que j’avais prises, avant de le lui
tendre. Il le saisit lentement, puis contempla la bouille craquante de notre petite sœur, assise sur un
fauteuil, coincée entre deux oreillers qui l’empêchaient de piquer du nez. Il ne dit rien pendant de
longues secondes. Sa tête baissée me cachait ses yeux, mais je l’entendis déglutir.
— Elle te ressemble.
Il me rendit mon portable, le visage impénétrable.
Je souris avec chaleur et reposai le téléphone sur la table de chevet. Il y eut un petit silence entre nous
alors que son regard se dirigeait vers le croquis qu’il m’avait offert à mon anniversaire, accroché au-
dessus de mon bureau.
— Hé, plutôt que d’écouter ce bellâtre, tu veux que je te montre ma BD ? demanda-t-il tout à coup. Elle
est pratiquement terminée.
Mon cœur bondit de joie.
— Oui, répondis-je avec enthousiasme.
Je me levai pieds nus et le suivis dans sa chambre. Il alluma son Mac, puis chercha dans un dossier.
Durant le quart d’heure suivant, il me montra des scènes qui me firent rire. Ses magnifiques personnages
me rappelaient le design de certains mangas. Plus tard, il me proposa qu’on aille faire des crêpes avant
d’entamer un marathon Netflix.
— Tu ne sors pas ?
— Non ! Ce soir, je passe la soirée avec ma frangine. Tu n’as pas eu le mémo ?
Je pouffai de rire.
Il enroula son bras autour de mes épaules et je glissai le mien autour de sa taille.
— Merci, Chase, murmurai-je.
— Je suis toujours là pour toi, sœurette, ne l’oublie pas.
Chapitre 28

Cruz

J’avais déjà été mal à en crever, à vomir tripes et boyaux, mais ce n’était en rien comparable à la
douleur qui avait élu domicile dans ma cage thoracique. Depuis ma conversation avec Bethany, trois
semaines auparavant, j’avais l’impression que chaque battement de cœur était plus douloureux que le
précédent.
Et pour Knox ? Ce qui s’était passé entre nous ? Ses paroles ?
La souffrance d’avoir perdu sa sœur surpassait tout.
J’essayais de survivre à ça. Une torture.
Ryder, qui venait souvent me voir, était un roc solide sur lequel je pouvais compter. Mon pote m’étonnait
par bien des côtés depuis ma confrontation avec le frère de Bethany. Je savais par Zack qu’il ne parlait
plus à Knox et qu’il lui avait carrément sauté à la gorge après mon départ de l’hôpital. J’étais partagé
entre la reconnaissance et la culpabilité. J’avais l’impression que notre bande si soudée avait explosé par
ma faute.
Dernièrement, il m’avait traîné au Nine pour boire une bière et faire un billard. Sans que je lui dise quoi
que ce soit, il avait ignoré toutes les filles qui nous mataient de loin. Il pressentait aussi que je ne voulais
pas parler de Bethany et il ne franchissait jamais cette ligne, malgré les questions qu’il devait se poser.
Ouais, ce mec était un vrai pote, précieux.
Pour ce qui était de Chase, son attitude m’avait pour le moins étonné. Il me traitait de la même façon
qu’auparavant. Pas une fois, il n’avait tenté d’aborder le sujet de sa sœur. J’avais même la curieuse
impression qu’il me laissait du temps... Comme si j’avais besoin de panser mes plaies et ensuite, on
pourrait discuter d’homme à homme. Une sensation difficile à expliquer.
Depuis ma rupture avec Bethany, les jours passaient et se ressemblaient.
Vides, longs, ternes !
Sans ses prunelles bleues, sans son sourire lumineux, sans son rire craquant, sans son parfum, sans son
petit corps serré dans mes bras, sans ses baisers, sans sa joie de vivre…
Un calvaire douloureux !
En semaine, je dormais chez Zack lorsque je finissais tard au boulot (et ça m’arrivait très souvent). Les
week-ends, je les passais avec mon oncle, mais le fait de me trouver à quelques blocks de la maison de
Bethany était vraiment difficile. En fait, j’avais juste la sensation de survivre : me lever les matins et tenir
jusqu’au coucher.
Putain, elle me manquait !
Et ce samedi, c’était particulièrement dur. Là, devant un match de foot en compagnie de Tio, son
absence plantait ses griffes dans ma poitrine, me rongeait le cerveau, me faisait souffrir le martyre. Je
savais qu’elle avait commencé son stage. J’imaginais à quel point elle devait être excitée de vivre cette
première expérience. Ses yeux pétillèrent devant moi et un couteau se planta dans mon cœur. Une
douleur atroce ! J’en suffoquai ! Je me levai d’un bond et me dirigeai en toute hâte vers la cuisine pour
m’y réfugier. Une fois à l’abri, je m’approchai de la fenêtre au-dessus de l’évier, la respiration difficile.
J’en bavais. J’en bavais terriblement.
Mon regard vide se perdit sur les lampadaires qui coloraient le bitume de leur lumière blanchâtre. Dans
la poche de mon jean, une vibration fit faire un bond d’espoir à mon cœur pourtant malmené. Quand je
pris mon portable, je vis que c’était une photo de Ryder avec Enzo : les deux louchaient comme des idiots.
Cela réussit à m’arracher un faible sourire, mais une profonde déception m’envahit toutefois.
Mes yeux replongèrent à travers la vitre…
Pas loin… elle n’était pas loin d’ici.
— Pourquoi tu ne vas pas la chercher ?
La voix de mon oncle me fit tressaillir, mais je ne me retournai pas. J’étais trop mal et mon visage devait
porter la trace de toute ma souffrance. Mes mains s’agrippèrent au rebord de l’évier, comme si j’avais
besoin d’un soutien. Ce qui n’était pas faux, car l’organe qui battait douloureusement dans ma poitrine
semblait peser une tonne.
— Ça fait des semaines que tu es malheureux. Te punir à cause de Knox n’arrangera rien, Cruz.
Je voulus émettre un son, mais mes lèvres restèrent serrées.
— Dans la vie, je t’ai toujours vu te battre pour ce que tu voulais, et là, tu abandonnes ?
Mes phalanges blanchirent sur le bord du comptoir.
— Ne laisse jamais une personne avoir un pouvoir sur toi, Cruz. Tu l’aimes, cette petite ?
— Oui…
Ce mot sortit comme une plainte désespérée, trois simples lettres qui contenaient tout ce que je
ressentais pour elle. J’en étais dingue. Une perte vous faisait toujours réaliser à quel point vos sentiments
pouvaient être profonds.
— Alors, qu’est-ce que tu attends ? Ne la laisse pas filer ! Tu veux la laisser à un autre ?
À cette pensée, un voile rouge s’abattit devant mes yeux tandis que mes épaules tremblaient de rage.
— Je comprends que Knox puisse être blessé, mais cela ne lui donne pas le droit de s’opposer à ton
bonheur. Cette petite, je suis persuadé qu’elle s’est battue pour toi. Elle a ce feu en elle. Je suis certain
qu’elle a été dire à Knox toute la vérité, la promesse que tu lui avais faite. Elle t’aime. J’ai pu le voir dans
ses yeux. Tu es tout pour elle, Cruz, et c’est une chance inouïe pour un homme de tomber sur une telle
jeune femme. Tu as déçu ton ami ? Je comprends, mais ce qui importe, c’est comment elle, elle te
regarde. Bats-toi pour cette fille !
Ces paroles firent remonter une blessure des plus vives et je ne pus m’empêcher de demander :
— Est-ce que je suis assez bien pour elle, Tio ?
Je le sentis fulminer de colère dans mon dos.
— Comment peux-tu dire ça ? C’est ce que Knox t’a fait ressentir ? Si c’est le cas, c’est moi qui vais aller
lui montrer de quel bois je me chauffe. Tu es quelqu’un de bien. N’en doute jamais, hijo.
Mon cœur se serra.
Des jours avaient passé depuis la scène de l’hôpital. D’un point de vue rationnel, je savais que Knox
avait lancé des paroles sous le coup de la douleur, qu’il avait été trop emporté par sa propre déception
pour réaliser leur portée (ouais, je lui trouvais encore des excuses comme aurait dit Bethany). Mais d’un
point de vue émotionnel, ce qui avait été dit était le plus compliqué à gérer.
— Elle risque de perdre son frère, lâchai-je d’une voix enrouée.
— Comme toi, tu as perdu Rafe ? C’est ça qui te retient aussi ?
Je ne dis rien.
— Des amitiés se brisent, des familles éclatent, et c’est la vie malheureusement. Elle est faite de joies et
de souffrances. Si ton meilleur ami n’a pas encore frappé à ta porte, alors que je suis certain – comme je
te l’ai dit précédemment – que cette petite a été se battre bec et ongles pour toi, sans compter que depuis
votre dispute, il a eu le temps de réfléchir plus calmement… ce n’est plus un ami, Cruz.
Cela me fit mal.
— Parfois, il faut prendre un autre chemin, regarder devant soi, vers son futur, et faire une croix sur ce
qui a été, sur ce qui n’est plus, sur ce qui ne sera plus. Cette fille peut représenter le bonheur d’une vie
entière. Certains hommes ne le trouveront jamais. Alors, ne laisse personne te voler ça. C’est trop
précieux. Le Cruz que je connais se battrait contre la terre entière pour elle.
La terre entière ! Bethany avait prononcé les mêmes paroles. Je restai immobile, les yeux fixés devant
moi. Une voix s’éleva en moi des confins de mon cerveau.
Est-ce que je voulais Bethany ?
Oui… je la voulais avec une telle force que j’en tremblai.
Est-ce que je voulais revenir en arrière ?
Non, jamais de la vie !
Est-ce que je pouvais vivre sans elle ?
Non, à moins de crever et d’être enterré six pieds sous terre ! Et encore, ce qui resterait de moi, mon
âme ou toute autre connerie de ce genre, la voudrait de toutes ses tripes.
Ce fut à ce moment précis que je la sentis en moi, plus puissante, plus vibrante que tout. Elle pulsait
comme jamais elle n’avait pulsé dans toute mon existence. Cette force qui, à une époque de ma vie,
m’avait permis de me battre dans les moments difficiles ! Elle refaisait surface, se répandant dans mes
veines, tout mon être submergé par une volonté implacable.
Que Knox aille se faire foutre !
Enfin ! Ce fut comme un dernier déclic en moi. La délivrance. Ma culpabilité, mes remords, notre amitié
m’avaient tétanisé. Je me relevais enfin. Après un K.O. dans cette foutue salle d’attente transformée en
ring le temps de notre confrontation verbale où il avait eu le dessus, je me relevais plus fort, prêt à
lutter !
J’avais fait une erreur en lui cachant ma relation avec sa sœur ! OK ! Mais qui n’en faisait pas ? Je
n’étais pas un délinquant ; je travaillais dur ; j’avais eu mon compte de filles, tout comme lui. Et… ce qui
comptait au final : c’est que j’étais fou de sa sœur.
Alors, j’allais récupérer ma blondinette avec ou sans sa bénédiction. Plus rien ne se mettrait en travers
de mon chemin. Je me tournai lentement vers mon oncle qui se mit à sourire en voyant mon visage.
— Va la chercher, Cruz…
Oui, c’est ce que j’allais faire, mais tout d’abord, j’avais une affaire à régler.

Je roulai vers Manhattan.
Si nécessaire, je le traquerais dans toute la ville et je l’obligerais à m’entendre. Trois quarts d’heure
plus tard, je sonnai à sa porte. J’avais encore les clefs de l’appartement, mais hors de question de les
utiliser. Ce fut Knox en personne qui m’ouvrit. Une lueur choquée traversa ses yeux gris avant qu’il ne me
laisse le passage sans un mot. Au moins, il ne me fermait pas la porte au nez. Là, on aurait eu un sérieux
problème, car j’aurais été obligé de la défoncer.
Mais putain, qu’il avait mauvaise mine ! Pire que moi.
— C’est chez toi, tu n’as pas besoin de sonner.
Celle-là, je ne m’y attendais pas. Il réussit presque à me couper le sifflet.
— C’est pas ce que tu m’as craché à la figure récemment ! ripostai-je d’un ton glacial.
Il parut gêné. Je le regardai droit dans les yeux, prêt à me battre pour ma nana. Cela bouillait
littéralement en moi.
— J’aime ta sœur, lâchai-je sans préambule, d’une voix percutante. Je suis amoureux d’elle et je ne vais
pas m’excuser pour ça ! Tu entends ?! Ouais, j’ai foiré, je sais ! Je t’ai menti et je t’ai blessé. Et pour ça, je
m’en veux.
Il m’écoutait, figé sur place.
— Quand je l’ai contactée pour m’aider à organiser ton anniversaire, j’ai renoué avec une fille géniale.
Je le savais déjà, mais elle était encore plus géniale que dans mes souvenirs… et il s’est passé ce qui s’est
passé. On s’est revus et chaque minute avec elle était… (Je fis une pause, traversé par une émotion
brutale.) Je n’avais jamais connu ça avec une fille...
Ma poitrine enfla comme un ballon.
— Jamais je ne ferai de mal à ta sœur. Comment tu peux croire ça ?! Je brûlerais plutôt en enfer que de
la faire souffrir. Alors, je vais te le dire clairement et je ne me répéterai pas : quand je vais passer cette
porte, que ça te plaise ou non, je vais aller la récupérer… Je la veux, Knox ! dis-je en appuyant sur chaque
mot avec une force farouche. Elle est tout pour moi ! Au ski, tu m’as trouvé plus heureux et tout ce que
j’avais envie de te crier, c’est que la personne responsable de mon bonheur était Bethany… ta sœur.
Nos regards vrillés l’un à l’autre, je me tus, les poings serrés, essoufflé comme si j’avais couru un
marathon.
— Je sais, lâcha-t-il soudain d’un ton enroué, me laissant un peu sur le cul, je sais que tu ne lui feras
jamais de mal. À l’hôpital, j’étais en colère, blessé et déçu. (Il leva une main.) Cela n’excuse en rien mon
comportement. Mais Bethany a vécu des choses difficiles pendant le divorce de mes parents, enchaîna-t-il
tout à coup, et j’ai toujours culpabilisé de ne pas avoir été là pour la protéger durant son adolescence.
Alors, je me suis juré qu’elle ne souffrirait plus, pas si je pouvais l’empêcher.
Sa profonde culpabilité et sa tristesse remuèrent quelque chose en moi. Mes dernières réminiscences de
colère retombèrent. Il inspira difficilement.
— J’ai pété un câble ce jour-là et je t’ai dit des choses inadmissibles, sans te laisser la moindre chance
de… t’expliquer. Et pour couronner le tout, je t’ai même foutu à la porte de ton propre appartement. Je ne
sais pas… Je ne me contrôlais plus...
Sa voix devint si rauque que je vis même des larmes briller dans ses yeux.
— Je m’en veux, Cruz, pour tout ce que je t’ai dit. C’est à moi de m’excuser. Je ne sais pas ce qui m’a
pris.
Putain, je retrouvais enfin mon pote et je sentis mes paupières picoter. On s’observa dans un lourd
silence.
— J’aurais dû te le dire, Knox.
— Bethany m’a dit qu’elle t’avait fait promettre…
Je levai une main en signe de protestation.
— Si j’avais insisté, on aurait pu faire autrement.
Il mit ses mains dans les poches de son jean, le corps raide, écrasé par la culpabilité.
— En fait, je comprends que tu n’aies pas voulu me le dire. Au début de ma relation avec Jailyn, j’étais
tellement surpris par ce que je ressentais pour elle que j’aurais été bien incapable de l’expliquer à
quelqu’un, avant que tout devienne beaucoup plus clair pour moi.
J’acquiesçai d’un mouvement de tête. Bon sang, il comprenait ce que j’avais vécu ! Je réalisai que durant
toutes ces semaines de silence, il s’était remis en question.
— Je voulais venir te voir, Cruz, mais j’avais tellement honte de ce que je t’avais balancé à la figure que
je repoussais tous les jours ma décision. J’avais peur que tu refuses de me pardonner. J’ai été cruel, j’en
suis conscient, et j’espère que tu me pardonneras. On se connaît bien et je sais quel gars formidable tu
es. Je te demande pardon…
Sa voix s’étrangla légèrement.
— Ici, c’est chez toi, j’aimerais que tu reviennes. Mais si tu veux que je parte, je le ferai…
Une tonne de protestations montait déjà en moi, alors que l’étau dans ma poitrine se desserrait. Je le
dévisageai soudain avec un petit sourire en coin. Le premier depuis longtemps.
— Et qui je charrierais ?
Une lueur de surprise brilla dans ses prunelles, puis le même sourire se dessina lentement sur ses
lèvres.
— Hé, mec, on va pas tomber dans le truc guimauve complet ? me moquai-je.
— Ça serait con, hein ? rétorqua-t-il du tac au tac.
— Pas qu’un peu !
Il frotta sa mâchoire.
— Et puis, Ryder a une sacrée droite, cet enfoiré ! Je n’ai pas envie qu’il me ressaute à la gorge.
Le rire qui sortit de ma bouche me parut étrange, après toutes ces semaines de galère.
— Qu’est-ce que tu veux, il a eu le meilleur prof de Brooklyn !
Knox rigola et son visage pâle sembla retrouver quelques couleurs.
— Avec Zack j’y ai eu droit aussi, pour tout t’avouer, d’une manière plus posée, mais il n’a pas mâché
ses mots. À ça, il faut rajouter que ma copine m’a menacé de me priver de sexe si je ne te présentais pas
mes excuses. Après, elle a vu que je n’étais pas bien du tout, et elle a été plus conciliante. Quant à
Bethany…
Il grimaça.
— J’ai cru qu’elle allait m’étriper.
Il massa sa poitrine comme s’il en gardait des hématomes.
— Ouais, ma petite blondinette peut être une vraie tigresse.
Une étincelle amusée passa dans ses yeux gris.
— Sales semaines ? demandai-je, un sourcil levé.
— Putain, tu sais pas à quel point !
Si, j’en avais une petite idée, j’avais eu ma part.
Je repris avec un reniflement ironique :
— Donc, si je comprends bien, tu me pardonnes pour pouvoir baiser Columbia et récupérer ton pote
Ryder qui est furax contre toi ?
Il éclata de rire et mon cœur enfla de joie.
— Il y a de ça ! plaisanta-t-il.
— Enfoiré !
Il rigola de nouveau avant de prendre un air faussement sérieux.
— Hé, j’espère que tu as conscience où tu mets les pieds ? Tu sais… Katy Perry, Taylor Swift… et
compagnie.
Une grimace paniquée passa sur mon visage.
— Ne me dis pas que je vais devoir me taper le prochain concert de la blonde ?
— Je le veux, mon neveu ! Je ne vais pas y aller seul ! On est dans la même galère, vieux !
On éclata de rire, puis nos regards se rivèrent l’un à l’autre dans un silence chargé. Knox avança
de quelques pas vers moi et j’en fis autant. Nos bras se levèrent en même temps. On s’étreignit, un solide
hug qui dura quelques secondes de plus que la normale. Une étreinte virile qui transpirait de tout ce que
les mecs ne se disent pas entre eux.
— On est OK ? demandai-je à voix basse.
— On est OK, mon frère.
Ma gorge se serra et j’eus un léger hochement de tête avant de m’écarter.
— C’est pas que ta compagnie m’ennuie, mais j’ai une petite nénette à aller voir ! annonçai-je soudain
en me dirigeant vers la porte.
— Tu vas devoir ramper ?
— S’il le faut, oui. Mais ça, c’est un truc que tu connais aussi, hein ? lançai-je avec un coup d’œil en
arrière.
Il me fit un beau fuck. Ah, on recommuniquait, ça faisait du bien !
— Hé, Cruz ?
Je m’arrêtai, un sourcil levé, le visage à moitié tourné vers lui.
— Vois avec Bethany si elle est d’accord pour que vous veniez demain soir, si elle n’a pas mis un contrat
sur ma tête, bien entendu, rajouta-t-il. (Je ris aux éclats.) Ça fera aussi plaisir à Jailyn de vous voir tous les
deux.
— OK, je te dis ça !
— Hé, dernière chose ! Règle numéro un, Cruz : pas de parties de jambes en l’air avec ma frangine
quand je suis là !
En réponse, je levai mon majeur bien haut, un sourire plaqué aux lèvres. Et je l’entendis rigoler lorsque
je fermai la porte d’entrée.
J’empruntai l’ascenseur, me sentant fichtrement bien, bien plus léger. Je repris la route en direction de
Brooklyn et dus freiner des quatre fers pour ne pas conduire pied au plancher. Je me garai enfin devant la
maison des Fowler. Il était presque minuit, mais il y avait encore de la lumière dans le salon. Je courus
jusqu’à la porte et mon doigt se colla sur la sonnette. Je brûlais d’impatience.
Chase ouvrit la porte, plongea son regard dans le mien, avec un soupir théâtral.
— Putain, il était temps ! J’ai bien cru que je serais obligé de mettre les pieds dans le plat. Vis-à-vis de
mon propre patron, ça l’aurait foutu mal.
Comme si !
J’eus un reniflement sarcastique en passant devant lui.
Mon regard s’arrêta net sur Bethany qui s’était levée du canapé pour me faire face, le visage choqué,
comme si elle pensait avoir une hallucination. Sans la quitter des yeux, je marchai vers elle, tel un
prédateur traquant sa proie.
— Cruz ?
Elle était magnifique avec ses joues roses et ses cheveux blonds éclairés de reflets dorés. Des cernes, de
petites traces bleuâtres sur son visage, témoignaient cependant du même calvaire que le mien. À cet
instant, je ressentis avec une acuité violente le manque qui m’avait terrassé durant des semaines. Quand
je fus à sa hauteur, ma main se posa sur sa nuque et d’une poigne ferme, je l’attirai brusquement contre
moi, plongeant dans ses prunelles. Un grondement hyper possessif, carrément flippant, sortit de ma
gorge :
— Tu es à moi, Bethany ! Plus personne ne me séparera de toi ! Plus personne !
Et mes lèvres s’écrasèrent sur les siennes.
Ses bras s’envolèrent direct autour de ma nuque.
Sa bouche s’ouvrit…
Pas une feuille de cigarette n’aurait pu passer entre nous.
Et la suite ne fut qu’une explosion de bonheur.
Épilogue

Un mois plus tard



Cruz

— Oh, putain, Bethany !!!
Sa petite bouche descendit le long de ma queue et remonta en une caresse sensuelle qui me fit voir
triple alors que sa main pressait légèrement mes couilles. Elle recommença le va-et-vient en faisant une
sorte de rotation avec sa langue.
Oh, bon sang ! Elle était douée. Elle avait un talent naturel qui s’épanouissait toujours plus, chaque fois
qu’elle me suçait. La première fois qu’elle m’avait taillé une pipe, c’était dans mon pick-up sur ce petit
chemin désert que je connaissais à Rockaway – mon fantasme. Ça avait été un beau bordel, du sperme
partout sur moi, mais on s’était bien éclatés et on avait ri quand on avait vu dans quel état on était. Et
depuis… ma blondinette adorait avoir ma queue dans sa bouche.
Là, on se trouvait dans le salon de mon oncle qui passait le week-end chez un couple d’amis dans le
Connecticut. Il nous avait laissé la maison… Et, très souvent (la plupart du temps), quand on était seuls,
on finissait à poil… comme aujourd’hui sur le canapé. De baiser torride en baiser torride, Bethany avait
atterri entre mes cuisses, agenouillée sur le sol, ne portant plus qu’un string. À présent, je voyais double,
triple, quadruple, sous les caresses de ma blondinette affamée.
À cette seconde, je sentis le bout de sa langue effleurer mon gland après plusieurs succions et je
relâchai mes doigts qui s’étaient agrippés à une poignée de cheveux. Le corps traversé par un plaisir
fulgurant, je soufflai comme un mec au bord de la noyade. Toutefois, j’eus la force de baisser mes yeux
vers elle et ils se scotchèrent à ses prunelles azur, avant que je ne la voie fermer les paupières avec une
expression d’extase sur le visage, en avalant de nouveau mon pénis. Je dus serrer les dents.
Oh, putain, que c’était bon ! Sa bouche, sa langue et ses gémissements m’excitaient toujours plus. Mon
regard s’attarda sur Bethany, ses cheveux formant des rubans de soie sur ses seins lourds de désir. Elle
me libéra le temps de me dire, les yeux dans les yeux :
— C’est bon, cariño ?
Oh, putain !
Quand elle utilisait un peu d’espagnol dans nos ébats, avec son petit accent, j’en avais de violents
frissons. J’étais COMPLÈTEMENT dingue de cette fille. C’était peu de le dire ! De nouveau, je crus que
mon cœur allait soit exploser dans ma poitrine, soit la traverser. Ce qui m’arrivait sans cesse lorsque
j’étais avec ma blondinette. J’avais toujours imaginé qu’un mec accro à une nana devenait vulnérable.
Quel con d’avoir pensé un truc pareil ! Bethany me rendait plus fort ; pour elle, j’aurais été prêt à
déplacer des montagnes.
— Putain… oui… c’est… c’est…
Le reste se perdit dans un grognement de primate alors que sa langue léchait toute la longueur de ma
bite dure comme du métal.
— J’adore le contraste entre la douceur de ta peau et la dureté de ta queue, chuchota-t-elle.
Elle la tenait dans une main, l’autre posée sur l’une de mes cuisses. La respiration pantelante, je dus
faire un effort héroïque pour ne pas me transformer en éjaculateur précoce. Bethany ne me procurait pas
seulement un plaisir physique incroyable, il y avait toutes ces autres petites choses, comme sa
spontanéité naturelle qui me faisait toujours craquer. Elle n’hésitait jamais à dire tout ce qu’elle adorait
en moi et ce qui l’excitait : mes tatouages, mes muscles, mon odeur, ma queue, mes cheveux… Enfin, il
n’y avait rien à jeter selon elle (sans fausse modestie).
— Je t’aime, Bethany, lâchai-je soudain, la gorge nouée.
Ma voix parut encore plus âpre que la minute précédente. Je fus récompensé par son merveilleux
sourire.
— Je t’aime aussi, Cruz…
Je ne m’en lassais pas.
Encore un truc que j’adorais en elle : ses chuchotements, au lit ou ailleurs, faits de mots tendres ou de
mots d’amour, j’en étais accro à un point inimaginable. Peut-être inquiétant, même. Mais j’étais vraiment
un putain de mec chanceux.
Je vis de nouveau double alors que sa paume s’emparait de ma queue en un mouvement doux et ferme à
la fois. Son regard était brûlant : elle aimait se délecter de mes réactions. Ses belles lèvres enflées
portaient encore les traces de mes baisers précédents, affamés.
— Je ne pourrais pas vivre sans toi... chica.
C’était le truc guimauve à donf, à rouler les yeux au ciel, mais j’avais envie de lui en dire des tonnes
comme ça, toute ma vie. Elle me dévisagea avec sur ses traits une expression poignante qui comprima
mon cœur dans un torse devenu trop étroit.
— Je suis enfin heureuse, Cruz… enfin… répéta-t-elle avec une émotion brute.
Ce mot résumait tout pour elle. Et faisait aussi de moi le plus heureux des hommes. Je caressai sa joue,
puis un plaisir intense m’arracha un long râle lorsqu’elle reprit ma bite dans sa bouche. Elle continua sa
délicieuse torture, de plus en plus profondément. À un moment, elle avala sa salive, ce qui eut pour effet
de resserrer sa gorge autour de mon gland.
J’en suffoquai.
Oui, elle avait appris bien des choses depuis Rockaway…
— Oh, bordel… Bethany, gémis-je.
J’avais l’impression que ma queue allait exploser.
Dans un effort méritant une médaille, je réussis à garder mes yeux ouverts et la tête relevée pour
regarder ma bite disparaître dans sa bouche, chaque centimètre enveloppé d’une chaleur douce et
veloutée. Quand le plaisir fut insupportable, ma nuque tomba en arrière contre le dossier du canapé du
salon. Mes râles s’amplifièrent et s’entendirent certainement au-delà de la porte d’entrée. Rien à foutre.
Dans quelques heures, on avait rendez-vous avec Knox, Jailyn, Zack et Ryder pour se faire une petite
bouffe. Pas sûr qu’on soit à l’heure.
Pas sûr du tout.
Le bruit de ses succions emplit la pièce, mais je mourais d’envie d’être en elle.
Je devais m’enfoncer en elle !
Quelques secondes plus tard, je la portais dans mes bras. Comment on arriva sans encombre jusqu’à la
chambre du sous-sol, tout en se bouffant les lèvres ? Un sacré exploit vu qu’il y avait tout de même une
cage d’escalier. Je la lâchai sur le lit encore défait où elle rebondit avec un petit rire. Mes mains se
posèrent sur ses hanches et la retournèrent illico sur elle-même pour la plaquer sur le ventre.
— Comme ça ! grondai-je près de son oreille, deux doigts plongés dans son vagin.
La réaction fut immédiate : son désir coula sur mes phalanges. Je sentis son corps trembler quand elle
se mit ensuite à quatre pattes, une position qui l’excitait beaucoup. Je pris ma queue dans une main et la
tête de mon pénis s’insinua dans sa fente, avant que je ne la pénètre d’un coup de reins.
Son cri de plaisir se joignit au mien.
Les yeux rivés sur sa chute de reins trop sexy, je me penchai pour explorer du bout de la langue sa fleur
de lotus. Ce tatouage me faisait parfois oublier jusqu’à mon propre nom. En été ? Quand je la verrais se
dandiner avec ses petits tops très courts ? J’allais en baver lorsqu’on serait entourés de monde. Mais là,
elle était tout à moi. Je me redressai pour admirer la cambrure de son dos, tout en faisant de longs va-et-
vient en elle. Du feu coulait dans mes veines et quelque chose me picota dans le bas de ma moelle
épinière. Je n’allais plus tenir longtemps.
— Oui… Cruz, c’est trop bon ! cria-t-elle.
J’y allai… mes cuisses claquant contre ses fesses, le lit faisant un barouf de tous les diables. Je me
penchai et faufilai mes mains sur ses seins pour les pétrir. J’eus droit à un autre cri de plaisir. Elle se
cambra comme si elle cherchait à amplifier le contact de mes paumes en coupe sur sa poitrine ; le
mouvement l’empala plus durement sur ma bite.
Un grognement (le mien) se répercuta dans la chambre.
Puis, subitement, je changeai de position. Je me retirai complètement pour la plaquer sur le dos. Le
regard brûlant, je la vis écarter immédiatement ses cuisses avant que je ne m’enfonce de nouveau en elle.
Ses mains attapèrent mes épaules, ses yeux brillaient d’excitation. Une nouvelle fois, je pus me régaler
devant le spectacle de ma queue disparaissant en elle pour ressortir lubrifiée de ses sécrétions. Puis
d’elle-même, elle plia les genoux pour les remonter vers sa poitrine.
Faire l’amour à une danseuse ? Le pied…
C’était l’un de ces moments de « pure baise » qu’on aimait.
Elle adorait ça !
Comme elle adorait les moments plus doux.
De coup de reins en coup de reins, on prit notre pied.
D’habitude, elle finissait pilonnée sur mon lit ou contre un mur. Mais soudain, je freinai la cadence, mes
bras durement bandés de chaque côté de son visage, mon regard scotché au sien alors que ses jambes
s’enroulaient autour de ma taille. Je la pénétrai doucement, me retirant avec lenteur de tout mon long
pour replonger en elle. Elle se cambra dans un gémissement.
— Bon sang, Cruz !
Je lui roulai une pelle avant de m’écarter et continuai à cette cadence. Ses doigts s’enfoncèrent dans
mes épaules.
— Je t’en prie, Cruz.
J’aimais quand elle me suppliait.
Mais le supplice devint trop dur pour moi aussi. Alors, j’accélérai de nouveau mes va-et-vient, son bassin
se soulevant en une parfaite synchronisation.
— Tu sais comment me rendre folle… gémit-elle, haletante.
Ma voix déformée crissa à mes propres oreilles.
— Plus fort, bébé ?
— Oui, m’implora-t-elle.
Et je lui obéis avec plaisir.
Quand nos corps se mirent à trembler quelques minutes plus tard, ses ongles se plantèrent dans mes
omoplates.
Et bon sang, ce fut un beau feu d’artifice ! Un orgasme violent où chaque spasme, chaque secousse
semblaient toujours plus intenses. À un moment donné, j’aurais été incapable de dire où commençait son
corps et où finissait le mien, tout mon poids pressé sur chaque millimètre de sa peau. Il me fallut du
temps pour redescendre sur terre. Je flottais encore lorsque je tournai légèrement la tête vers elle.
— Je t’aime, soufflai-je. Tu es tout pour moi, Bethany... Tout, ma puce.
Au plus profond de mon être, je sentis l’émotion énorme qui la priva de parole.
Son visage s’enfouit dans mon cou.
Elle serra très fort ses bras autour de ma nuque pour ne plus me lâcher…

Bien sûr, on était à la bourre lorsque je garai mon pick-up à proximité du restaurant où on avait rendez-
vous avec la bande. On avait remis ça dans la douche.…
— Eh bien, c’est pas trop tôt ! s’exclama Ryder en nous voyant débarquer main dans la main.
Ils étaient tous assis à nous attendre, dans un genre de lounge. Knox se leva le premier, s’approcha et
me tapa l’épaule.
— Je ne veux rien savoir…
J’eus un petit rire.
Et je ne me gênai pas pour en remettre une couche.
— Vaut mieux pas, mec.
— Enfoiré.
Puis, il étreignit sa sœur. La première fois que Knox l’avait vue sortir de ma chambre, vêtue simplement
de l’un de mes tee-shirts, il avait eu une grimace mêlée à un grognement. Cela nous avait bien fait rire,
Bethany et moi, mais aussi Jailyn. Bah… il allait s’y faire ! Il faudrait bien, parce que sa frangine, je la
voulais constamment dans mon lit.
On pénétra tous dans la salle où une serveuse nous accueillit avec un grand sourire. Je rigolais encore
intérieurement des réactions de mon pote quand elle nous dirigea vers une table ronde. Bethany prit
place à côté de moi. Lorsque mon bras glissa le long du dossier de sa chaise, elle se rapprocha du bord
pour pouvoir coller ses hanches aux miennes, sa main se posant sur ma cuisse. Je vis Jailyn nous regarder
avec une lueur attendrie, ce qui lui valut un petit clin d’œil de ma part. Columbia avait depuis longtemps
compris qu’entre Bethany et moi, il y avait autre chose qu’une simple amitié.
On but d’abord un apéro avant de passer notre commande. Je pris une bière et Bethany choisit un
cocktail maison. Plus complices que jamais, on se mit tous à discuter, rigoler. Un serveur venait
d’apporter nos assiettes lorsque Knox lança soudain à la ronde :
— Hé, vous savez quoi ? J’ai eu un coup de fil de Dillon ! Vous ne devinerez jamais sur qui il est tombé
dans un bar près de L.A. où Stan, leur ancien batteur, joue de temps en temps.
— Beyoncé ? lâcha Ryder avec espoir.
Knox rit en secouant la tête.
— Kade Snyder.
On en resta tous comme deux ronds de flan.
— Kade Snyder, le chanteur du groupe Onyx ? répéta Zack aussi stupéfait que le reste de la bande.
— Yep, lui-même !
— Il a perdu son frère l’année dernière… dit Ryder.
Knox acquiesça.
— Oui… c’est moche.
Zack regarda ce dernier.
— J’aimais bien ce qu’ils faisaient. L’album « Ten seconds » qu’ils viennent de sortir à titre posthume est
vraiment génial. Tu l’as écouté ?
— Oui, j’en ai eu l’occasion. Ils sont super doués. Rick était un compositeur et un guitariste plein de
talent.
Bethany avait toujours les yeux écarquillés.
— Je n’en reviens pas ! s’exclama-t-elle.
Puis, son visage devint triste.
— Oui, c’est vraiment terrible la mort de son frère, si jeune. J’ai lu sur les réseaux sociaux que Kade
avait eu une passe très difficile et qu’il était finalement parti se reposer en France.
— Oui, il a vécu des heures pas faciles, renchérit son frangin. Dillon m’a dit qu’il était très sympa. On
sent toutefois que le mec a traversé des moments très durs. Il a bu une bière avec eux et ils ont discuté
toute la soirée.
Jailyn intervint à son tour.
— Il sort ou sortait avec une actrice, non ? Je ne sais plus son nom…
— Kelly Walsh, répondit Bethany, la reine de la presse people.
Cela me fit sourire. On discuta encore quelques minutes de ce groupe brisé en pleine gloire, puis la
conversation dévia sur divers sujets. Ma blondinette parlait avec Jailyn de Tiphaine, qui avait démarré sa
rééducation dès son retour à New York, lorsque Ryder me mit un petit coup de coude.
— Hé, c’est pas Calotte polaire, là-bas ?
— Hein ?
Je suivis son regard et aperçus Kendra sortir de l’autre salle du restaurant, accompagnée d’un mec et
d’une nana.
Calotte polaire ? Ah, Ryder ! Je me retins de rire. Visiblement, elle avait dû arriver avant nous, car on ne
l’avait pas vue entrer. À vrai dire, je la connaissais très peu, juste par l’intermédiaire de Dillon, quand on
avait tous l’occasion de se retrouver à New York. Une lueur de surprise éclaira ses yeux lorsqu’ils se
posèrent sur notre table. Elle glissa quelques mots aux deux personnes qui l’escortaient avant de se
diriger seule vers nous. Lorsqu’elle s’arrêta à notre hauteur, elle leva la main en guise de salut.
Knox la connaissait un peu mieux que nous.
— Hey, Kendra, ça gaze ?
— Ça va. Et toi ?
Elle papota avec lui. De ma place, je n’entendis que des bribes de leur conversation, comme quoi elle
avait trouvé un job à Williamburg pour financer ses cours. Elle s’éloigna quelques minutes plus tard en
souhaitant à la ronde une bonne soirée.
— Elle n’avait pas les cheveux roses la dernière fois qu’on l’a vue ? demanda Ryder en la suivant des
yeux un moment.
Aujourd’hui, ils étaient violets sur les pointes.
— Oui, c’est un peu difficile à suivre… rigola Knox. Et j’ai entendu comment tu l’as appelée, rajouta-t-il
avec une mine faussement sévère.
— Si c’est la came de Dillon ! Elle est bien foutue, y a pas à tortiller, mais j’espère pour lui qu’elle est
bien plus chaude au pieu qu’elle n’en a l’air. Quand je la regarde, j’ai l’impression qu’elle pourrait geler la
queue d’un mec.
Bethany faillit recracher la gorgée qu’elle venait d’avaler, toussa en pouffant, ou pouffa en toussant
(difficile de savoir), avant de plaquer une main devant sa bouche, un peu gênée de se moquer d’une autre
nana, mais ayant toutefois du mal à réprimer son hilarité. Jailyn gloussa aussi de son côté.
— Personne ne la connaît vraiment ! Il est difficile de juger d’après les apparences, essaya-t-elle de se
rattraper, l’esprit de solidarité féminine refaisant surface.
Mais Kendra fut bien vite oubliée et la conversation s’en​gagea dans une autre direction dès les secondes
suivantes. Alors que mes potes et Columbia débattaient d’un truc quelconque, Bethany tourna son visage
vers moi et je lui souris.
— Tu sais, il faudrait qu’on retourne un soir au Barrio ?
— Pour un cours de salsa ? demandai-je, amusé.
Mes yeux pétillèrent de malice.
— C’est une bonne idée, mais je peux aussi t’en donner chez mon oncle, on ne sera pas dérangés.
— On sait tous les deux comment ça va finir, chuchota-t-elle.
Pas assez bas, visiblement, car une voix s’éleva sur notre droite :
— Ouais ! Et je veux pas savoir !
Son frangin.
Toute la table éclata de rire. Soudain, Ryder me tapa dans le dos et son sourire ironique ne me dit rien
qui vaille.
— Alors, vieux, prêt pour le concert de Taylor Swift ?
Il était à présent hilare, alors que j’étouffais un grognement. Il se pencha avec une main en cornet sur
l’oreille.
— C’est quand ? Rappelle-moi le jour… la semaine prochaine, il me semble ? C’est ça ?
Ah, il se bidonnait à mes dépends, ce con !
Zack s’esclaffa.
Bethany pouffa aussi.
Knox se marrait dans son coin. Je ne sais pas comment il avait fait, mais il avait réussi à se procurer un
billet supplémentaire à quelques semaines du concert !
— Mercredi prochain.
— Putain, si ça, c’est pas de l’amour ! s’exclama Ryder d’une voix ironique.
Bethany gloussa de nouveau. Je vis le visage espiègle de Knox avant qu’il ne redevienne un peu plus
sérieux.
— Allez, avoue que tu n’échangerais ta place pour rien au monde ?
Je tournai la tête vers sa sœur qui me dévisageait tendrement. J’attrapai sa main dans la mienne et, sans
la quitter des yeux, je répondis à son frère :
— Non… je ne l’échangerais pour rien au monde.

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