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Charles M.

Kieffer

La fin proche des langues iraniennes résiduelles du Sud-Est,


Ōrmuŗi et Parāči, en Afghanistan - Première partie
In: Langage et société, n°10, 1979. Décembre 1979. pp. 37-71.

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Kieffer Charles M. La fin proche des langues iraniennes résiduelles du Sud-Est, Ōrmuŗi et Parāči, en Afghanistan - Première
partie. In: Langage et société, n°10, 1979. Décembre 1979. pp. 37-71.

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lsoc_0181-4095_1979_num_10_1_1179
LA FIN PROCHE DES LANGUES IRANIENNES RESIDUELLES
DU SUD-EST, ORMURI ET PARACI , EN AFGHANISTAN *

Première partie

Charles M. KIEFFER

ERA 355 - CNRS

II y a sur le rebord oriental du plateau iranien une aire linguis-


2 .
tique particulière à bien des égards. Elle est non seulement marquée par des
contacts anciens et ininterrompus des langues iraniennes et indo-ayrennes et
par la multiplicité des parlers reflétant celle des ethnies, mais aussi par
la coexistence de trois groupes linguistiques hétérogènes:
a) celui des parlers nuristânis 3 et dardes 4 relevant de 1 ' indo-aryen,
b) celui des deux parlers iraniens résiduels du sud-est, l'Ormuçi et le

c) et celui constitué par les derniers arrivés, le pa|tC 7 et le dari 8 .

Une hypothèse, peut-être aventureuse, mais plausible dans l'état


actuel de nos connaissances, ferait remonter le paraëi et l'ôrmuri à une
situation linguistique qui aurait existé dans la deuxième moitié du second
millénaire avant notre ère: un "proto-o"rmuri" et un "proto-parâëi" auraient
alors voisiné avec un "proto- nuristâni", un "proto-darde" et peut-être aussi
d'autres formes anciennes de langues aujourd'hui disparues.

Le parâ£i et l'ôrmuri ne représentent donc pas, ou du moins pas


nécessairement, une couche postérieure au nuristâni et au darde. Cette
étape, consécutive à l'arrivée de 1 ' indo-iranien sur le plateau iranien, a.
- 38 -

peut-être, été précédée par un état qui pourrait être celui du "proto-brahui",
vers 2500-2000 ans av. n. ère. Elle est suivie par un état qui annonce la
situation linguistique moderne , caractérisée par l'arrivée, vers le Ve ou le
Vie siècle de n. ère, du pa^fo et du persan, (v. 1.3).

Tableau stratigraphique de la situation linguistique dans l'est afhan (au sud de


l'Hindukus" , au nord et au sud de la Käbol 9 ) :

vers 2500-2000 "proto-brahui•„10


av. n. ère

vers 1800-1500 submersion par 1 ' indo-iranien 1 1


av. n. ère
proto- proto- proto- proto- proto- proto-
9 nuristäni darde parâc'i ormuri ?

vers 600 - 700 moyen- moyen- moyen- moyen- moyen- moyen- 12


de n. ère ? nuristâni darde parâ£i örmuri ?

Arrivée du pa^tô et du persan

14 14

nuristäni darde parâc'i ormuri en recul 15


aujourd'hui
pa$to et persan en extension

Dans les limites du sujet que je veux traiter ici, il ne peut


être question d'entrer dans les détails de la stratigraphie linguistique
de cette région. Il convient cependant de signaler l'hypothèse essentiel
le sur laquelle repose l'agencement de ce tableau: dans l'état actuel de
nos connaissances on peut considérer que le parâc'i et 1' ormuri remontent
à un état de langue où le proto-para"£i et le proto-ôrmuri étaient parlés,
dans la région en question, concurremment avec le proto-nuristSni et le
proto-darde. En effet, rien n'indique que le parai*! et 1' örmuri représen
tent une couche postérieure et rien ne nous interdit d'imaginer que la
scission entre iranien et indo-aryen se soit faite sur place.
- 39 -

Cette région, limitée au nord par la ligne de crête de l'HindukuJ,


à l'ouest par la vallée du Sàlagg, au sud par la Kâbol et la Logar," à l'est
par la Konar, est un vrai paradis pour le dialectologue. Riche en eth
nies concurrentes parlant des langues très différentes, elle promet, au
jourd'hui encore, aux chercheurs -linguistes et ethnologues- le dépaysement,
la bigarrure et les images inédites d'un authentique safari anthropologique.
La diversité des hommes, le contraste des cultures et l'instabilité des
équilibres linguistiques en sont les traits majeurs.

Comme dans de nombreux autres points du plateau iranien, on y


assiste à une réduction progressive de la diversité linguistique . La crois
sance économique et l'unification politique entravées de temps en temps par
des soubresauts réactionnaires 1 8 , vont de pair avec l'élimination de parlers
qui ont cessé d'être ou qui n'ont pas réussi à devenir des langues communes,
nationales ou officielles. Ici comme ailleurs on invoque, pour en rendre
compte, un ensemble de phénomènes évolutifs, programmés ou non. L'affermis
sement du pouvoir central, le développement des voies de communication,
l'essor des mass media, l'alphabétisation des populations, leur brassage,
en particulier par le service militaire obligatoire et par les déplacements
de la main d'oeuvre ouvrière indispensable pour les travaux d'utilité pu
blique, l'assimilation spontanée ou forcée des minorités, etc., sont autant
de facteurs constitutifs du cadre économique, politique et social dans
lequel s'inscrivent la promotion autoritaire de certains parlers privilé-
giés 19 et l'élimination des autres.

Les dimensions de ce travail et la nature de mes enquêtes, con


sacrées essentiellement au rebord oriental du plateau iranien, ne me per
mettent pas d'étudier ce processus dans son ensemble, ni dans tous les
points où il est apparu dans le passé et où il se manifeste aujourd'hui.
Le monde iranien comprend les Kurdes de l'Iraq et de la Syrie, et une
bonne partie des populations de l'Iran, de l'Afghanistan, du PaMtunistan 20
pakistanais et du Tajikistan
y. soviétique 21 . Il couvre, en effet, une aire
immense où furent et sont parlées des dizaines de langues et des centai
nes de dialectes. Les problèmes soulevés par une situation linguistique
de ce genre sont tels qu1 il ne semble pas qu'un seul homme puisse les maî-
triser. Ces langues, dites iraniennes 22 , sont attestées par des documents
rédigés en une trentaine d'écritures différentes. Quelques-unes d'entre
elles ont déjà une histoire qui remonte à 2500 ans. Quant aux autres, en
- 40 -

NENGR AHAR
PERSAN

10 ?0 30 40 Km \gr8m
- 41 -

usage de nos jours, elles n'ont même pas encore été complètement invento-
^23
riées et leur description est loin d'être achevée

Dans le cadre d'une recherche portant sur le thème "Langage et


Société", je voudrais simplement apporter un témoignage concret et illustrant
les conditions socioculturelles dans lesquelles deux langues résiduelles
du rebord oriental du plateau iranien s'acheminent vers leur disparition,
mettant ainsi un terme à l'existence du groupe des langues iraniennes
dites du sud-est 24

L'örmuri et le parac'i sont, actuellement, tous deux à demeure


au sud de la ligne de partage des eaux de l 'Hindukus*. Au contact des grandes
langues communes et nationales, le pa$to et le persan d'Afghanistan ou
dari, ils sont appelés à disparaître dans un proche avenir. Telle est du
moins la conclusion à laquelle j'ai été conduit à la suite des enquêtes
effectuées sur place durant ces dernières années. Cette fin proche, déjà
annoncée ailleurs 25 en ce qui concerne l'ö*rmuri,
pour d'autres raisons et dans d'autres conditions
- 42 -

mais parce que cette recherche-ci se situe strictement sur un plan sinon
synchronique, du moins descriptif et que mon ambition se borne à apporter
aux anthropologues intéressés par ce sujet un faisceau de faits concrets
recueillis à un moment de l'histoire, qu'ils ordonneront et interpréteront
à leur convenance dans le cadre de leur discipline.

Après avoir défini rapidement leur statut commun de langues


iraniennes résiduelles du sud-est et relevé tous les indices concernant
leur extension ancienne, je décrirai la situation actuelle et les condi
tions de la disparition de l'örmuri, puis du parâc"i, successivement, car
les faits sont fort différents pour l'une et l'autre langue.

2 . Les_langues__iraniennes_du_sud-est

Comme l'ôrmuri et le parlai sont des langues manifestement


apparentées, déjà pour diverses raisons phonétiques, la question de leur
appartenance au groupe oriental ou occidental des langues iraniennes doit
être considérée comme un problème essentiel. Or, dans l'ouvrage de réfé
rence "Les langues du monde", suivant la recommandation faite par
A. Meillet "de ne pas juxtaposer des descriptions de langues particuliè
res, mais de donner autant que possible les caractéristiques communes
des groupes reconnus", J. Vendryes puis E. Benveniste soucieux de définir
un groupement probable, rangent l'Srmuri et le parâc'i parmi les par 1ers
de la région du Pamir, avec le groupe suyni , 1 'es'kä&ni , le sanglëEi, le
yidya-munji et le wâxi . Cependant, dès 1926, G. Morgenstierne avait
nettement précisé la position de l'Srmuri et du parâc'i par rapport, aux
parlers du Pamir proprement dits et par rapport au pa^tô.

Sur le plan phonétique les traits essentiels de ce groupe lin


guistique sont les suivants:
- conservation des occlusives sonores à l'initiale: comme dans les langues
iraniennes de l'ouest nous y avons b-, d- et g_-, alors que le groupe du
nord-est a, à la place, des fricatives w-, ç> - (en pa$to "y 1-) et y-.
Ainsi: av. gav-, prs . gâv, orm. gçy , par. g_ü, mais yidya yavo , ps*, ywà
vache; av. dasa, prs. dah, orm. das, par. dos . mais ^uyni aïs , pS, las dix;
jfcbastra-, orm. be s', par. bâ£, mais s'uyrji vâ$ , p£. wâ| corde.
- 43 -

- développement v )> -v(w)-. Ainsi av. vafra-, prs.barf, orm. VosV^, par.
~^arp neige; av. vaxs'-, orm. Baraki-Barak yo£-, orm. Kânigram "ywas- dire;
* waf-, orm. et par. yaf- tisser, broder.

- développement -g- ^> ~^~- Ainsi orm. drây long, cf. skr. dTrgha-; par.
mayas mouche, cf. prs. magas .
- amuissement de -t- et -d-;. Ainsi av. mâtar-, prs. mâdar, mais orm. mava,
par. ma mère.

- développement -p-, -_b^ )> -w-. Ainsi orm. towa soleil, cf. av. tap-; par.
xowân berger, cf. p£ %pün.

Sur le plan du lexique les points de concordance ne sont pas


moins frappants:
orm. giri- montagne: par. gir , ger pierre, cf. av. gairi-, p£. yar montagne;
orm. gap pierre: par. gapâr foyer, v. Turner 4023 *g_abjba-; orm. undraw-
coudre: par. andarf- id.; orm. KSnigrâm rô fer: par. ru id.

Mais sur le plan de la structure morpho-syntaxique les divergences


sont importantes, probablement parce que ces deux langues s'étaient séparées
avant l'écroulement de l'ancien système flexionnel de l'iranien. Il y a
cependant des points de convergence, comme par exemple la formation du cau
sât if: orm. en ~aw_- et par. en -ew- .

Quels que soient les problèmes d'ordre linguistique soulevés,


d'une part, par la parenté de l'ormuri et du parâc'i et, d'autre part, par
les relations anciennes entre le groupe des langues iraniennes du nord-est
et celui des langues du sud-est, quelles que soient aussi la nature et
l'ancienneté des contacts entretenus par les ormuriphones et les parâciphones
entre eux et avec les ethnies voisines, nous retenons l'essentiel: à savoir
l'existence d'un groupe ancien de langues iraniennes -dites du sud-est-, à
demeure au sud de la ligne de partage des eaux de l'HindukuS, dont les
seuls représentants résiduels sont aujourd'hui l'örmuri et le parâc'i.

3. Les aires_anciennes

Pour l'orm. les indices corroborant l'hypothèse d'une extension


ancienne plus importante sont les suivants:
- 44 -

a) l'orm. est parlé aujourd'hui en deux points distants d'environ 200 km,
situés tous deux sur le rebord oriental du plateau iranien, de part et
d'autre des monts Solaymân, à Baraki-Barak dans le Lôgar (Afghanistan) et
à Kanigrâm dans le Waziristan (Pakistan); mais les deux groupes s'appellent
eux-mêmes du même nom de Baraki, Barki, Braki , etc. et sont désignés par
leurs voisins Pa^tun par l'ethnique C-r-mur, , litt, "feu-éteint" qui semble
bien constituer une allusion à une secte d '"extincteurs du feu" 27

b) chacun de ces groupes linguistiques prétend venir d'ailleurs: les


Kânigràmi seraient originaires de Baraki-Barak et les Baraki de Känigräm.
La contradiction n'est qu'apparente: ils sont tout simplement conscients
que ni l'un ni l'autre de ces points ne représente 1' epicentre de l'ethnie
— 28
Ormur,. Or, dans ses mémoires Bâbur signale au sud-est de Ghazni un
Barakist an, qui perpétue peut-être le souvenir d'un ethnocentre plus ancien
et étaie ainsi la thèse d'une aire cfrmur plus vaste;

c) les toponymes en -gram litt, village, cf. Turner 4368 gräma-, mot typi
quement darde, comme Grâm nom local de Baraki-Barak, Penjgrâm litt, "les
cinq villages" (correspondant exact de prs. Panjj-deh) , situé près de
Carx-e Lôgar sur une route ancienne menant à Ghazni, et, au Pakistan,
Känigr~am litt, "le village bâti sur des pierres (?)", témoignent d'une aire
culturelle anciennement indienne où sont installées aujourd'hui les deux
communautés ôrmuriphones d'Afhanistan et du Pakistan, mais suggèrent aussi
une certaine connexité entre l'aire ôrmur et l'aire des toponymes en -gram
des environs de Caboul : au nord Bagram près de Câriklr et à l'est Bagrâmi
sur l'ancienne route du Lataband reliant Caboul à Sôrubi;

d) il y a enfin un indice archéologique et épigraphique qu'il est possible


aujourd'hui d'interpréter à la lumière des recherches effectuées par
G. Fussman dans le domaine de l'épigraphie Kuçàna. Dans le Daè't-e Nâwor ,
à une cinquantaine de km à vol d'oiseau à l'ouest de Ghazni, A. Boutière
avait découvert en 1967 un rocher portant plusieurs inscriptions qui
viennent d'être publiées par G. Fussman . Il s'agit d'une trilingue ru-
pestre: à côté du bactrien, ou d'une langue iranienne proche du bactrien,
en caractères grecs, et du gandhàri (moyen-indien) en Kharo_sJ^hî , apparaît
une troisième langue qui n'est probablement pas indo-aryenne, en
encore. ^ » A la suite.
une écriture non /déchiffrée mais apparentée à la kharosçhi.
d'une brillante argumentation, G. Fussman conclut qu'on doit songer à une
- 45 -

langue iranienne, mais pas le saka, bien qu'il soit la langue clanique des
souverains kus/ana, car ils ne l'ont jamais utilisée ni sur leur monnayage,
ni à Surkh Kotal . Dès lors on peut seulement penser à une langue iranienne
locale, assez différente du bactrien (moyen-iranien du nord-est), sinon
cette version n'aurait pas eu de raison d'être. C'est donc peut-être la
langue des Kamboja, cités dans un même composé avec les Yona et les Gandhâra
dans le cinquième édit rupestre d'Asoka. Ce serait alors un parler moyen-
iranien du sud-est, dont le seul représentant contemporain est justement
l'orm. Qu'il puisse s'agir d'un proto-örmuri n'est donc pas exclu.

Finalement se dessine une aire ancienne où l'on parlait orm.


ou des dialectes apparentés, qui s'étend au-delà du Logar , à l'est de
Ghazni jusqu'au lieu-dit Barakistân, et à l'ouest jusqu'à la pointe nord-
est du Das't-e Nawor, tandis que les Kânigrami seraient plutôt des expratriés
à une date relativement récente.

Pour le par. les indices plaidant en faveur d'une extension


ancienne plus vaste sont essentiellement toponymiques . Comme G. Morgenstierne
l'a déjà montré^31.
, il existe une relation évidente entre les toponymes
Estufâlg et Estâlif . Le hameau d'E_stüfälö (estufâl'6) est la dernière agglo
mération de la vallée de £otol , située à une altitude de 2360 m. Estalif
(estâlef) est le nom d'un ancien village situé dans le KShdâman , à une
cinquantaine de km au nord de Caboul. Pour G. Morgenstierne Estalif vien
drait, par métathèse, d'une ancienne forme jfcstâf il dérivée du grec cr-D<*-cpüX^
(stafulè) et la forme Estüfalö1 confirmerait cette étymologie. Cette hypo
thèse ne manque cependant pas de soulever quelque difficulté: il faudrait
expliquer -a-, prononcé a, <C -a- bref; ensuite la finale par. -o; notons
aussi que la place de l'accent surladernière dans estâlef,ir~ alors qu'il se
trouve sur la pénultième dans estufal'ô ne dénote aucune disparate entre
les deux formes, mais rend difficile l'hypothèse d'une forme Astaf il
vis-à-vis de grec stafule.
r

La présence de la vigne à Estüfälö", comme à Estalif, constitue


rait néanmoins un indice en faveur de cette étymologie, mais en me rendant
sur place en 1973 32 , j'ai constaté non seulement qu'il n'y avait aucune
vigne, mais qu'il n'y en avait jamais eu et qu'il ne pourrait pas y en
avoir à cause de l'altitude et du climat, du moins si l'on en croit le mâlek
- 46 -

(propriétaire foncier) Mohammad et ses ouvriers agricoles originaires de


la vallée du Sâla^g. De fait, je n'ai vu qu'un seul plant de vigne à une
altitude comparable: à Molaxël, à 2350 m d'altitude, dans la vallée de
Pac'ayän, district de Nejrâb; cette vigne se trouvait abritée dans la partie
ensoleillée pëTtao d'un jardin clos de murs.

Mais le fait qu'il n'y ait pas de vigne à EstufâlTJ, comme me


le fait remarquer G. Redard, n'est pas déterminant puisqu'il pourrait
s'agir d'un nom propre. En effet, si stafulë n'est attesté nulle part
comme toponyme dans le monde grec, il y a en grec des noms comme Stafule
i
"Staphyle" et Stafulos "Staphylos" . . .
i

Qu'en est-il du toponyme Estüfalö? Ce hameau, qui ne comprend


qu'une maison d'habitation avec ses dépendances, est de fondation très
récente: c'est une famille persanophone Bâbâ£âxel de Seyawar 33 qui a
commencé, il y a une trentaine d'années, à y construire des yanir
alô'
ses cultivables". Or, comme dans cette petite vallée latérale pousse
beaucoup d' estûf une variété de berce (Heracleum sp. Umbellif erae) , qui
est un fourrage très estimé dans toute la région, on lui a donné le nom
descriptif d'Estùf-âlÔ" "la vallée à la berce", comme on dit ailleurs, en
i
pays persanophone ,Anâr-dara "la vallée aux grenadiers".

Le mot âlô", avec l'accent sur la pénultième, est d'étymologie


1 2
incertaine (cf. cependant Turner 1353 alla- ), mais il a un sens bien
précis et bien vivant dans le système rigoureux des désignations des
vallées et des rivières en par.: 1. rcît ( <. prs . rod) "vallée principale",
2. qôl ( <C kb . qôl <^ turc), "vallée secondaire", 3. âlo "vallée tertiaire,
adjacente à une vallée secondaire, vallée latérale", 4. nawc'a (= kb. näwa)
"vallée quaternaire, adjacente à la vallée tertiaire, petite vallée, vallon
verdoyant" .

Je propose donc de partir de la forme estufâTd *> * estufal , par


métathèse u/J S jfcestaful , par métathèse f/1. )> *estaluf : on aboutit ainsi
aux formes modernes par. Estâlof et prs. Estâlef . Ces deux formes peuvent
être considérées comme identiques et confirment l'hypothèse d'une extension
du par. sur le Kôhdâman et atteignant probablement Caboul.
- 47 -

Le toponyme Dos*i. interprété comme la dissimilation d'une forme


par. *di-sî litt, "deux cornes, deux pointes" (allusion à un confluent),
étendrait l'aire parâ£iphone, par-delà la ligne de partage des eaux de
l'Hindukus', dans la région où se réunissent la Daryâ-ye Pol-e Xomri et la
Darya-ye Andarab 34 . Cette hypothèse est malaisée à défendre mais séduisante,
car les relations anciennes et étroites des parâciphones de la vallée de
Sotol avec les persanophones de ^a vallée d'Andarâb sont bien connues.

De fait, les Paräc"i de la vallée de Sotol prétendent être origi


naires de la région de Nejrâb où une longue cohabitation d'ethnies, non
encore islamisées, parac^i et passai ressort de témoignages datant du XVIe
siècle, le Sef at-Nâma-ye
— Darwë~£ Mohammad Xàn Gâzi de Oâgi Mohammad Sàlem
et le Mirât ul-Memalik de l'amiral Sidi <Ali . Nous situerons donc l'ethno-
centre de cette communauté linguistique dans les deux vallées de Paca/an et
de Goculan.

Les deux langues résiduelles du sud-est, dans l'état actuel de


nos connaissances, occupent donc deux zones triangulaires qui s'opposent
par le sommet aux environs de Caboul, le Par. au nord et 1' Orm.au sud.
C'est probablement là que les deux langues conquérantes, le pa^to et le
persan, qui sont devenues de grandes langues communes et nationales, les
ont attaquées et peu à peu refoulées. H y en a peut-être eu d'autres, mais
nous n'en avons conservé aucun souvenir.

4. Localisât ion_de_l^ormuri. 37
L'ïïrmuri est parlé en deux points du rebord oriental du plateau
iranien:
a) à Kânigrâm 38 , village du Waziristan méridional au Pakistan, orm. £ö~r litt.
"la ville", où vivent aussi des Wazir et des Mahsud tous pa^tôphones . Les
ôrmuriphones, au nombre d'un millier, se désignent comme Barki ou Braki
(Baraki) . Certains d'entre eux se considèrent comme sâdât descendants du
Prophète. Tous les hommes sont bilingues ou trilingues (ôrmuri, pa^tô"
mashsudi et hindkô qui est une variété de hindi. Seulement quelques jeunes
filles ne parlent qu' ôrmuri, mais plus tard elles apprennent toutes le pa^tô".
L'ö"rmuri y est la langue maternelle et domestique d'un groupe ethnique relati
vement homogène, plus important et plus riche que celui des Massud, traitant
- 48 -

à égalité avec ses voisins, les Wazir. Ce dialecte "ôrmuri de Kanigram, plus
archaïque, solidement établi dans une agglomération prospère ou il domine
les autres parlers, n'est pas compris à Baraki-Barak, en Afghanistan.
D'ailleurs les relations des deux groupes linguistiques, établis de part et
d'autre d'une frontière politique souvent contestée, sont quasi inexistan
tes. Nous ne prendrons en considération, pour le propos qui nous intéresse,
que le parler en usage en Afghanistan, en voie d'extinction;
b) près de Baraki-Barak, chef-lieu de la province du Lftgar, à 160 km à vol
V
d'oiseau de Kanigram, dans quelques qala fermes fortifiées comme Çendal ,
SaQgtuy et Nurolllh. Dans le village même de Baraki-Barak l'ormuri a pres
que déjà disparu: seuls quelques vieillards le comprennent encore, quel
ques enfants en connaissent certains mots (noms de nombre de 1 à 10, père,
mère, formules de salutation), mais la langue domestique est en général une
variété de persan campagnard, plus ou moins proche du kaboli, ou parfois
le pa|to quand le père a pris femme dans un clan pa^tun.

5. Situation linguistique
On ne trouve donc de véritables ormuriphones que dans les fermes
environnantes, mais des 300 ou 400 Örmur qui les habitent, moins d'une cin
quantaine parlent encore "ôrmuri, pour la plupart hommes d'âge mûr ou vieil
lards, qui, contrairement à la majorité, ont pratiqué une stricte endogamie.
Beaucoup de gens d'âge moyen l'ont parlé dans leur jeunesse, mais n'en usent
plus guère, sinon, occasionnellement, comme langue secrète, quand ils veulent
ne pas être compris des persano- ou pa|tôphones. Les jeunes, pour une partie
d'entre eux du moins, le comprennent encore, mais ne le pratiquent plus.
Cependant un de mes meilleurs informateurs qui avait une vingtaine d'années
en 1968, était orphelin de père et avait continué de parler sa langue
clanique avec sa vieille mère.

A Baraki-Barak l'ormuri est donc parvenu au dernier stade de sa


résistance. Tous les ormuriphones sont bilingues au moins et pour la plu-
— 39 ) et leur
part trilingues (ormuri, pa^to, persan campagnard ou kaboli
langue clanique n'a plus qu'un faible rendement: elle n'a pas ou n'a plus
de littérature ni écrite ni orale et elle ne sert plus de véhicule à aucune
tradition. Cela suffit à la condamner. Dès que 1' Örmur sort de sa ferme,
sa langue ne lui sert plus à rien et dans sa ferme même, par le jeu des
- 49 -

mariages exogamiques, elle subit la concurrence du pa^to et du persan.

Selon les besoins objectifs (par exemple l'obligation d'employer


la langue de l'interlocuteur pa&tun ou tâjek) ou subjectifs (choix de mots
ou d'expressions d'emprunt, plus adaptés au signifié que ceux que lui offre
sa langue maternelle), l'Ôrmur passe d'une langue à l'autre, comme d'un re
gistre à un autre. Il est dès lors inévitable que se présentent des phéno
mènes de contact. Nous en signalerons quelques-uns pour illustrer les con
ditions linguistiques de la mort d'une langue; mais notre propos étant
strictement synchronique , nous rapprocherons et comparerons des faits sans
nous préoccuper de leur histoire.

Il y a plusieurs types de plurilinguismes . Si un Français se


sert du français en France, et de l'anglais ou de l'allemand durant ses
séjours en Angleterre ou en Allemagne, son aptitude intéresse la linguisti
que appliquée ou la psychologie. Si un Alsacien parle son dialecte alémani
que à la maison, le français "en ville", à l'école ou à la poste, et l'alle
mandavec le touriste d'outre-Rhin, la situation est déjà différente: l'une
ou l'autre, et très souvent les trois langues sont exposées à des "inter
réactions" qui perturbent la norme telle que la définit le professeur de
français, le touriste allemand ou le grand-père qui ne parle que le dia
lecte alémanique. Cependant l'Alsacien est en général un bilingue ou un
trilingue plus ou moins latent.

Pour l'Ormur trilingue n'intervient en général ni la considéra


tion de l'aptitude, ni celle de la norme. Il est à proprement parler un
plurilingue pleinement actif en toutes circonstances: il passe d'une langue
à l'autre pour rendre efficace la communication. Dans la ferme il parle
l'ormuri avec la grand-mère, quand il s'agit de soins à donner aux enfants,
le pasto avec sa femme wardag , à propos de travaux des champs, et le
persan avec ses enfants qui fréquentent l'école primaire de Baraki-Barak.
Mais deux minutes après, parce qu'il aura changé de sujet, il s'adressera
en persan à la grand-mère, en ormuri à sa femme et en pa^tô à ses enfants.
Si la grand-mère n'a du persan, et la femme de l'ormuri qu'une connaissance
passive, elles répondront dans leur langue maternelle. Quant aux enfants,
ils sont forcés de ne parler que le persan et le pa^tô, à cause de l'école
persanophone et des voisins Pa^tun, et n'ont de l'ormuri qu'une connaissance
- 50 -

passive. A l'extérieur de la ferme l'Ormur parlera de nouveau le persan ou


le pa^tô suivant l'origine ethnique de son interlocuteur, mais très rare
ment l'ôrmuri, même avec un "Srmuriphone, parce qu'au bazar, où l'on n'est
jamais seul, c'est un manque grave à la déontologie que de parler une langue
que personne ne comprend, car cela ne peut cacher que de mauvaises intentions,

L'intrusion des langues communes environnantes jusque dans le


foyer, le prestige que leur confèrent la radio et l'enseignement, l'évolu
tion rapide du milieu culturel et des conditions économiques dont les lan
gues communes sont les véhicules et les témoins, tous ces faits convergent
vers un même résultat: l'emploi de plus en plus restreint de la langue
clanique et, corollaire obligé, la contamination de celle-ci par les langues
communes. Ainsi nous n'avons pas relevé un seul exemple d'emprunt lexical
ou syntaxique du persan ou du pastcT à l'ôrmuri, alors que le vocabulaire de
ce dernier est constitué à près de 90 % par des emprunts au persan et au
pasto et que sa structure morphosyntaxique dénote de frappantes intrusions
des langues communes environnantes.

Le profil linguistique de l'ôrmuri en voie de régression est ca


ractérisé par un ensemble de traits dont nous avons donné le détail ailleurs.
Contentons-nous de rappeler les principaux d'entre eux, introduits par le
multilinguisme

6.1. Les_ef fets_du_multilinguisme_sur_le_£lan_£honeti2ue


On constate d'abord un certain "flottement" dans la réalisation
de quelques phonèmes .Ainsi nous avons relevé, chez le même informateur,
pour "la vache": gôy, goy et guy; pour "L 'oreille": goy et guy; pour les
"excréments": guy. Or les oppositions /goy/ la vache: /goy/ l'oreille: /guy/
les excréments n'ont été obtenues que dans le contexte artificiel d'une
"explication". De fait, si nos informateurs distinguent nettement trois
qualités de /o/: l.ô, 2. o et 3. o (erwolok apporter), dès qu'ils cessent
de se surveiller, ils réalisent orm. /o/ comme persan o et orm. /o/ comme
persan campagnard u_ = kaboli £. En revanche ils distinguent toujours tçs
"vous" de tus "l'as du jeu de carte": cette opposition s'explique par le
fait que tos est originellement "ôrmuri et d'un emploi très général, alors
que tus est un emprunt au kaboli et n'apparaît que dans un contexte très
particulier, celui d'un divertissement assez réprouvé, et, avant tout, a
ppartient à une terminologie technique.
- 51 -

L'örmuriphone a donc sa disposition 3 ou même 4 registres phono


logiques qui interfèrent quand il ne surveille plus son elocution. Les qua
tre systèmes vocaliques en présence sont les suivants:

ormuri pasto kâboli persan campagnard

/u/ m /u/ ni lui ni lui


m
loi lel /o7 léi loi
lel lel 1*1 loi lui
M <J i
tel /si lel loi m
l6al lai /a/ lai III la/ III
lai

Le parfait plurilinguisme de la plupart des ormuriphones leur


permet, quand ils surveillent leur elocution, de respecter, pour les mots
originellement örmuri ou considérés comme tels, le système phonologique
ormuri et de suivre le système kâboli ou persan campagnard quand il s'agit
d'emprunts. Mais quand le sujet parlant se laisse aller, il passe d'un re
gistre à l'autre: ainsi géy "la vache" prononcé avec /o/ kâboli y goy; mais
avec l'accent pa&tô il dirait *goy (ps, /o/ = o / o) , ce qu'il corrige immé
diatement en guy, qui en persan campagnard peut être interprété comme *gtïy
ou *giïy. Quant à la trilogie guy "la vache", guy "l'oreille" et guy "les
excréments", il faut y voir la marque de la palatalisation campagnarde nor
malement réservée aux mots d'origine persane.

Cette multiplicité des registres explique donc les disparités que


l'on peut observer dans la transcription de tous ceux qui ont relevé de
1' ormuri. En principe l'örmuriphone passe d'un registre à l'autre pour pré
server le vêtement phonétique originel de chaque mot. De fait, à l'intérieur
de la chaîne parlée, cette "gymnastique" exige un gros effort, si bien
qu'il y a de nombreux "ratés" (intonation du pa£tcf, du kâboli citadin ou du
persan campagnard appliquée à des mots örmuri). On peut donc dire que,
lorsqu'ils ne se surveillent pas, les "ôrmuriphones parlent l'ôrmuri tantôt
avec l'accent kâboli, tantôt avec l'accent persan campagnard, tantôt avec
l'accent pa^to. La position en retrait de l'ormuçi par rapport aux autres
parlers paraît très nette, quand on remarque qu'il arrive aussi aux Ormur,
de parler pa^tö" avec l'accent kâboli ou kâboli avec l'accent pasto, mais
- 52 -

jamais, ni l'une ni l'autre de ces langues avec l'accent

Les disparités relevées dans l'accentuation dénotent exactement


la même situation. Mais la coexistence de trois systèmes accentuels ne crée
qu'un désordre apparent. Dès qu'on se dit que le sujet parlant l'^rmuri a
soudain passé au registre pafto ou käboli, tout rentre dans l'ordre, dans
un ordre qui n'est peut-être pas celui de l'ôrmuçi originel, mais celui du
parler d'aujourd'hui. Ainsi le pluriel guyi (accent sur la dernière sylla
be)"les oreilles", pour guyi (accent sur la pénultième), s'explique par
l'attraction du kaboli gus^(h)a (accent sur la dernière syllabe) où la
marque ~(h)a est accentogène, alors qu'en ormuri la marque -i est encliti
que: le sujet parlant était passé au registre käboli.

Somme toute il s'agit là de phénomènes assez banals d'interfé-


rence linguistique au niveau de la deuxième articulation 42 . Des changements
dans la réalisation des phonèmes entraînent occasionnellement une certaine
perturbation dans le système phonologique ou accentuel de la langue à moin
drerendement: des caractéristiques propres au système d'emprunt kaboli ou
pa^to se retrouvent dans le système d'accueil örmuri et déterminent, quand
le sujet ôrmuriphone "se laisse aller", ce qu'on appelle généralement et
familièrement un accent étranger; mais comme il apparaît dans la langue
maternelle, il assigne à celle-ci un statut de dépendance.

6.2, Les_ef fets_du_multilinguisme_sur_le

Dès le premier coup d'oeil on reconnaît dans le lexique örmuri


un nombre considérable d'emprunts au kaboli et un nombre plus restreint au
païto.

^- n'apparaît que dans quelques zones de plus


grande résistance, ce sont les zones les plus conservatrices du vocabulaire
- les adjectifs numéraux ordinaux jusqu'à 900, jusqu'à 70, jusqu'à 17 ou
jusqu'à 10, selon les informateurs;
- les verbes: environ 85 verbes simples avec les causatifs correspondants
en -aw-, par exemple cir- : cirok 'paître' et ceraw- : cerawok 'faire
paître', lip- : lipok 'sucer, têter' et lapaw- : lapawok 'faire têter,
allaiter' , etc .
- 53 -

- les morphèmes grammaticaux: conjonction ka_'que"; prépositions tel 'de1,


pa 'par, avec'; postpositions di. 'de (origine)', ki 'à', (e-)né 'dans',
etc.; particule interrogative ké 'pourquoi?".
- les pronoms personnels: 1. jiz , obi. mun, 2. tu_, 4. max, 5. tos .
- les pronoms directionnels : 1. er- , 2. dar-, 3. al-.
- les démonstratifs: de l'objet rapproché a-, k(i)ré, etc.; de l'objet
éloigné afp, k(u)f6, etc.
- le pronom réfléchi xoy, xuy.
- les particules de détermination: article défini a-, article indéfini *ée_.
- les indéfinis: éj2 aucun, bjî autre, ç_a quelque, cun une certaine quantité
de, peut-être jar chaque.
- les interrogatif s: cén quel?, cun combien?, ké pourquoi? caki pour quoi?,
kok qui?, goda où?.
- les morphèmes vervaux: désinences, marque du causatif, etc.

Sont conservés, d'autre part, des Ilots de lexemes se rapportant


à:
- la famille: pé père, mâwa mère, marza frère, mali mari, nâk épouse, zarka
femme, kl an fils, klanak garçon, du(w)a fille (angl. daughter) , duka jeune
fille (angl girl) .
- la maison: nér maison, bar porte, pon toit.
- le corps humain: Json sang, dri cheveu (x) , cimi yeux, goy oreille, nini
nez (?), poz bouche (?) , gi£i dent(s), uroxt barbe, zle coeur, Xal .
sonok / Haf. senak / IFL cîk sein (?), kanak cheville (?) , lavnça pénis,
aQguxt doigt, nexc ongle, capâx gifle (?, cf. kb capât) , wira gencive,
kapei tresse, suji hanche.
- la nature: borna terre, sol, g(4n bois, gap, pi. gipi pierre, gri montagne,
yos'
neigne, ywagi herbe, jer terre glaise, ron feu, qalylt braise (v. ci-
dessous), qil 1. haut dans l'air, 2. gelé, sala le froid, liké, pi. li£i
ornière, rây chemin, srop immergé, xur mouillé, humide, frais, yewor nuage,
zomok hiver, wok eau, rçn feu, rada ornière, syâka ombre, %edri givre.
- les astres: may mois, maryok lune, ste^ak, pi. ste^ek Haf. étoile, towa
soleil .
- la vie rurale: ipgas hennissement, bukan bosse de chameau, %or£ok réci
pient à cuire/à traire, grâm village, gawinda ustensile pour transporter
r
le foin, kâli outil, instrument (kali vêtement ^ p^) , mâr farine, maysa
germe, jeune pousse, noxta licol, qefak récipient à traire, skan bouse de
vache,
- 54 -

- le règne animal: Yoskak veau, jeyatalab en chaleur, kaja vache de plus de


sept ans, gçy vache, karwaS variété de lézard, ker2i poule, lérey agneau,
modyal queue grasse du mouton, morga. moineau, mesya urine, mey brebis,
spçk chien, spuy pou, ^Ç£da,tu génisse, wçlk oeuf, wat mamelle, xar , pi.
xri âne, yâsp, cheval.
- la nourriture: gaka viande, ganom blé, mar farine, nemek,ni sel, pikak
lait caillé, run beurre fondu, huile végétale, Haf. rowon id., rizan
riz, Sili pain feuilleté, sucré, cuit dans la graisse, tfoi petit-lait,
mliS"
xipi lait, Haf. pomme.
roz"
- les divisions du temps: jour, -sol année (en composition, prasol
l'année passée, etc.), xo nuit, mây mois, ^an année .
- ustensiles divers: beg corde, dice chaussures , daska fil, galok mailles
d'un filet de pêche, gorc'ok récipient à cuire/à traire, gawinda ustensile
pour transporter le foin, kâli outil, instrument (kali vêtement <C p^) ,
qefak récipient à traire, £ini aiguille, xeyi écuelle.
- les couleurs: yrâs noir, spéw blanc, sus / IFL su S rouge, xin vert.
- la religion et la morale: drixi mensonge ( s )? mazdek mosquée, nemâz' prière,
a-raxa la vérité, s^er bon, bien.
- les sentiments: yen j i insulte, ïostok les pleurs ( <C verbe ^aw- : Wostok),
xani le rire (xani k- : xandqk rire), xox heureux.

Notons enfin: a(y)era tout, tout à fait, dra^ long, dux un peu,
duxak un petit peu, yçn disparu (yç^n son! disparais!, = kb gom s^o id.),
ki£i appel (ki^i k- : dak appeler, cf. kb ^icj/ciy kadan crier), kern un
peu, moins (cf. kb kam), k (^)wSÎ action de parler (pi., <. ar. qesa, par
le pjS; k(9)si k- : dak parler, cf. kb. gap zadan) , Kâs" les Pa^tun (a
ujourd'hui disparu), now neuf, péc derrière, pa-béga en haut, pa-nexta dehors,
pa-joma en bas, wâk action de trouver (wâk k- : dâk trouver, (w)uk sec, waya
oui, na non, nak- négation + verbe, xur mouillé, humide, frais, zâl vieux,
zari petit, zot beaucoup, très.
Si tous ces mots ne sont pas originellement ormuri, ils sont en
tout cas caractéristiques du lexique Ormuri par rapport à celui des langues
environnantes. Il en est ainsi du mot qalyët : considéré comme typiquement
"ormuri par un informateur, il présente cependant des particularités qui
font penser à un emprunt (q- indiquerait un emprunt kâboli ou turc, et -t
soit un emprunt à l'indien par le pa^tô, soit un emprunt au persan hazâragi,
ce qui paraît d'ailleurs incompatible). Quoi qu'il en soit il appartient à
la langue.
- 55 -

sont faits soit au persan kâboli, soit au pa|to. Le choix entre


l'emprunt persan ou pa^to chez un même individu dépend essentiellement de
la mère. En effet, les emprunts les plus nombreux sont persans ou pa^tô
selon que la mère est persanophone ou pas>t optaone. Si la mère est 'ôrmur i-
phone, de clan ôrmur ou d'un clan client (h)amsaya vivant en symbiose avec
les Ormurs, les emprunts persans sont prépondérants. Il ne nous a pas été
possible de faire de recherches statistiques à cause des difficultés à en
trer en contact avec les femmes (nous n'avons, en huit ans, été reçu que
dans une seule famille ôrmur celle de notre informateur Sufi Ser Momad , où
nous avons rencontré sa mère morte en 1967, sa femme et ses filles), mais
notre explication est confirmée par notre informateur Xalilollah.

Une langue écrite trie, choisit et rejette, c'est-à-dire crée


une norme à termes uniques dont aujourd'hui la langue parlée ne peut prati
quement plus faire abstraction (cf. le phénomène de nivellement dialectal
du langage à la suite de l'alphabétisation des masses rurales). Au contraire,
un parler comme l'ormuri révèle la symbiose de termes disparates, de séries
parallèles de mots d'emprunt, de prononciations, de formes et de structures
différentes, dont l'emploi concurrent n'est soumis qu'à une condition -qui
suffit à harmoniser le système- celle de 1 ' intercompréhension.

Cette surabondance même a tendance à faire boule de neige, car


on a besoin aussi de substituts pour préserver en toutes circonstances, en
tous contextes, cette intercompréhension qui est la seule finalité du lan
gage. Ainsi nous constatons la coexistence en orm. de deux termes pour dé
signer la femme ou l'épouse: orm. nâk ( <(*nava-kä", cf. pf. nâwë" la jeune
mariée) et kb.zan; d'autre part celle des homonymes nâk la femme, et nâk
la poire 43 . Cette homonymie n'est pas gênante pour le sujet parlant -les
situations et les contextes étant, en général fort différents- nâk la
femme n'est pas près de laisser sa place à zan, car il fait partie du
couple mâli - nak époux - épouse et zan loin d'être en voie de le supplanter
n'est qu'un substitut occasionnel, n'apparaissant que:
chez les sujets parlant rarement l'orm. chez lesquels le stock
lexical original s'estompe de plus en plus;
dans le composé emprunté au kb pir-zan.
ll reste enfin à la disposition de l'Srmuriphone pour lui permet
tre d'échapper à l'ambiguïté femme-poire; or ces cas sont extrêmement rares,
d'autant plus qu'il n'y a guère de poiriers dans le Lôgar. Finalement, en
dépit des entrées zan la femme et nak la poire figurant dans notre lexique
par la force des choses -puisque nous les avons relevés!- ces mots n'ont
aucune existence réelle dans le parler örmur,i, mais seulement dans le voca
bulaire latent des Ôrmur multilingues. Contrairement à ce que nous pensions
d'abord, les Ôrmuriphones sont en général parfaitement conscients des divers
statuts qu'ils accordent aux divers éléments de leur vocabulaire: ainsi zan
la femme, et nâk la poire sont déclarés persans.

Mise à part la liste que nous avons donnée plus haut, tout le
reste du vocabulaire est constitué par des mots appartenant au lexique du
pafftô et bien plus encore du persan. Si l'on admet de distinguer l'emprunt
de la substitution lexicale, il faut noter que l'emprunt naturalisé est
relativement rare. En effet, il s'agit le plus souvent d'un procédé de sub
stitution lexicale: la substitution qui est typiquement le fait des multi
lingues, présente une adaptation moindre, parfois inexistante, et le sub
stitut, comme nous l'avons constaté, conserve le système phonologique et
l'accentuation de la langue d'origine. Ceci est confirmé par le fait que
1 'ôrmuriphone est conscient d'employer un mot d'une autre langue et d'intro
duiredans la chaîne parlée un élément hétérogène dont il connaît en général
l'origine. Le cas de qalyët cité plus haut est révélateur à cet égard: est
Ôrmuri tout ce qui n'est ni persan, ni pa^tô; la règle est valable dans
la plupart des cas.

C. Mécanisme de l'emprunt et_du calque

Sy_ntagme nominal
En ce qui concerne les faits de contact dus au multilinguisme ,
une autre distinction est plus intéressante, celle de l'emprunt et du cal
que, surtout quand il s'agit d'un syntagme.

Prenons le cas du "poivre noir" d'usage très courant. Nous avons


trois expressions:

a) morc-e siyâ, emprunt pur et simple au syntagme kâboli;


- 57 -

b) morc-e yrâs , calque hybride, préservant la structure syntaxique du


le (subst. déterminé + ezäfe + adj. déterminant), emprun
tant le terme more' poivre pour lequel il n'y a pas d'équival
ent örmuri, et traduisant l'adjectif noir;
c) yrâs more", calque parfait, présentant la structure syntaxique propre
à l'ôrmuri (adj. déterminant + subst. déterminé), emprun
tant le terme more.
Nous assistons là à l'intrusion de lèzâfe en ôrmuri où il reste cependant
"hors système".

Le cas de l'expression "jour de fête" va le confirmer, par l'inco


hérence même de la forme b) :

a) ruz-e id, emprunt pur et simple du syntagme kaboli;


b) ta id-e ruz , calque incohérent, où coexistent la marque de 1' annexation
proprement ürmuri (prép. ta^ de) et celle qui est propre au
persan (ezâfe-e) ;
c) ta id a-ruz , syntagme proprement Ôrmuri qu'il n'y a aucune raison de
sidérer comme calque, où a- représente 1 ' actualisateur (sor
ted'article défini) = le jour de fête; il donne la clef du
syntagme b) .

En effet, dans le syntagme b) le sujet parlant influencé par le


syntagme a) kâboli qu'il a présent à l'esprit en même temps que le syntagme
c) proprement ôrmuri, fait une sorte de pataquès syntaxique, qui n'est pas
loin du lapsus; un lapsus révélateur, cependant, de la pression qu'exerce
la langue commune sur la langue domestique, et du caractère étranger de
1'ez.äfe persan, auquel la structure même de l'ôrmuri est réfractaire.

Les cinq variantes suivantes sont attestées par exemple pour


la "canne":

a) £ub-e dest, emprunt pur et simple du kb., lit. bâton de main; ordre
prs, : déterminé-déterminant;
b) gon-e dest, calque hybride: traduction du premier élément, maintien
de l'ez_âfe et du deuxième élément; ordre prs.: déterminé-
déterminant;
c) ta dest-e £ub, calque aberrant, véritable pataquès syntaxique, du a
l'introduction de l'ordre orm«: prép. du génitif ta^
- 58 -

-déterminant- maintien aberrant et redondant de l'ezafe-


déterminé (rare) ;
d) ta dest-e gon, calque aberrant, traduction du premier élément; ordre orm,
dans c) (fréquent) ;
e) ta dest a-gon, calque parfait; ordre orm.: déterminé-déterminant:
prëp. (gén.) + subst. 1 + art. + subs t. 2

Dans c) et d) c'est la confusion de l'ezâfe ^e et de l'article


orm. aj:, l'un enclitique et l'autre proclitique, placés tous deux à la jonc
tion des deux éléments (déterminant-déterminé) du syntagme, qui a favorisé
le pataquès: le sujet parlant, comme il arrive souvent chez des plurilingues,
n'a pas complètement adopté le registre ni de l'une ni de l'autre langue.
C'est un problème psychologique (attention insuffisamment fixée) ou parfois
même pathologique (viscosité mentale chez les artério-sclérosés) : il suffit
en général de stimuler l'attention du témoin pour qu'il se corrige. Cependant
lorsqu'on lui demande des explications sur son "erreur", en général il se
trouble: en effet, il n'a pas de conscience claire des structures diverses
du syntagme nominal en prs. et en orm. et se fie, tout naturellement, à ses
habitudes linguistiques qu'il ne saurait analyser.

D. Processus_de_substitution lexicale
La substitution lexicale est très différente de l'emprunt qui
est plus ou moins adapté phonétiquement et intégré dans la langue au point
que le sujet parlant le considère comme un mot originel. Elle présente les
caractéristiques suivantes:

a) l'adaptation phonétique et accentuelle est bien moindre que dans un em


prunt; très souvent elle est même inexistante: la forme conserve les traits
des systèmes phonologiques et accentuels de la langue d'origine et, dans le
cas d'un syntagme, sa structure syntaxique:

substitution emgru nt
kb. l6la tube lola lola (9 0
vK monj palmier nain mon5 munjj (u !)
kb. mobâ choléra mobâ mubâ (u. !)
- 59 -

kb. roz-e id/t roz-e Id/t ruz-e It


jour de fête r<4z-e It
religieuse roz-e it
rçz ta ît
rpz"
ta It, etc.
kb, mor£-e siya* morc^-e siya* murc-e siyâ
poivre noir murc'-e siyâ, etc.

b) le sujet parlant est immédiatement conscient d'employer un mot d'une


autre langue, il est conscient d'opérer une substitution et, en général,
disposé à donner une forme ou un syntagme équivalent en orm:

44

ro'z-e id/t ta Id a-ruz/roz/r^


mor£-e siyâ ^râs more /mur S

Plusieurs étapes intermédiaires sont possibles, selon le registre


adopté par le sujet parlant:

kb> rc^z-e
—| td/t
| ">S dari campagnard = orm. emprunt pur et simple
ruz-e "d/t y orm, calque hybride ta id-e ruz/roz/roz7 (co-existence de la
\ ' r i i r ^
marque de 1' annexation proprement orm: ta, et de celle du prs.: ezaf e -e) ">
orm. structure régulière ta id a-ruz/r^z/r^z" (le déterminé étant actualisé
par la particule a-, parfois confondue avec l'ezâfe -e! ) .

c) la substitution lexicale est le fait de sujets multilingues, du moins à


l'origine. Par la suite elle peut se propager parmi des groupes non multi
lingues. C'est alors que s'instaure le processus d'emprunt: le mot ou le
syntagme est prononcé avec l'accent, l'intonation orm. et il subit ainsi
l'adaptation phonétique et accentuelle qui en fait un emprunt.

d) cette adaptation n'est pas nécessairement la même au niveau du mot et du


syntagme, elle n'est pas strictement parallèle: parfois le mot est déjà
parfaitement adapté, alors que la structure syntaxique du syntagme reste
hybride:
ex. ta ïd-e rpz' (où ro£ est orm.)
parfois la structure syntaxique du syntagme est parfaitement régulière, alors
- 60 -

que, sur le plan phonétique, le déterminé reste un emprunt pur et simple:


ex. ta Id a-ruz (où ruz est un emprunt non adapté du dari
campagnard)

e) la détermination du registre adopté par le sujet parlant n'appartient pas


au linguiste proprement dit. Comme dans tous les cas où intervient cette
notion de "registre" (interférences phonétiques ormrkb.-dari camp.-ps., ac-
centuelles, maintien strict des valeurs personnelles des pronoms direction
nels ou tendance à employer surtout al-, emploi des temps-modes, etc.)
les facteurs essentiels à considérer sont psychologiques (vivacité d'esprit
-viscosité mentale, attention-distraction), sociaux (origine sociale, niveau
intellectuel), etc. et ressortissent à l'ethno-, à la psycho- et à la socio-
linguistique.

6.3. Les effets_du multilinguisme_sur_le Ela.!


II n'en est pas de même de toutes les structures syntaxiques pro
pres au persan. Deux exemples d'interférence sont particulièrement frap
pants .

A. Actualisationde
Elle est rendue au persan par la particule enclitique -ra
(ketâb-râ mixaram j'achète le livre en question) alors qu'en pastö le con
texte seul permet d'établir la distinction entre un objet actualisé ou non
(ketäb për&m j'achète un libre/le livre en question). En ôrmuri la situa
tion est plus complexe. A Kanigrâm nous avons relevé par exemple : a-buz-em
dyëk "je vis la chèvre (en question)" mais 1 ' actualisateur a- apparaît dans
n'importe quel syntagme sujet, objet ou prépositionnel. Or 1 'ormuriphone de
Baraki-Barak, depuis longtemps bilingue (ôrmuçi-persan) , ressentant le be
soin de marquer l'objet actualisé par un morphème approprié, à la façon du
-ri persan, a opéré une véritable transposition fonctionnelle de la prépo-
sition ku 45 (en relation avec une postposition : ku mun ki à" moi) en actua
lisateur proclitique de l'objet, et il dit aujourd'hui ku boz-am dék je vis
la chèvre (en question). Ainsi nous avons l'opposition ku...ki préposition +
postposition = à : ku seul = prs -râ. Chaque fois que dans un contexte donné
le persanophone de Caboul ou du Lôgar emploierait -râ (pop, -a après conson
ne ou -ra après voyelle), 1 'ormuriphone emploie ku- proclitique : yâsp bu
- 61 -

nal kam je ferre un cheval, mais ku yâsp bu nal kam je ferre le cheval;
spok ku ad bu ^at ke le chien lèche l'os (et non pas un os) ; ta kirz'i ku
w6lk-at prâke ? as-tu vendu les oeufs ? ; zambur ku mun gezawok la guêpe me
piqua (ku mun = persan ma-râ) , etc.

B. Çonstruction_gossessive
En örmuri de Baraki-Barak la concurrence de trois structures de
la construction possessive (passive) constitue un fait surprenant. Si nous
les comparons avec les constructions parallèles en usage dans les parlers
kaboli ou paàVo nous obtenons le tableau suivant, par exemple pour la phrase
"je pris un couteau" :

a) orm. c'âku-m algostok = p£ ffaku mê wêwor


b) " az ïaku alalgostok = p£ ma £aku wëwor
cf.kb man caqu bord-am
c) " caku algostok-am = kb câqu bord-am

Le pasts donne la clef de la différence sémantique entre


a) "je pris un couteau" et b) "moi, je pris un couteau", et aussi de la
différence de structure entre la construction possessive en pastô et en
örmuri :
a) orm. = ps. : objet + enclitique personnel + verbe au passé
b) orm. : pronom pers . cas sujet + objet + verbe au passé
p£ : " cas objet + " + "

La structure est la même en ôrmuri et en pa&tö", sauf sur un


point : le pastô conserve l'agentif (cas oblique du pronom personnel tandis
que l'ôrmuri l'a remplacé par le cas direct (cas sujet du pronom personnel).
Nous restons donc dans la norme de la construction possessive, sauf en ce
qui concerne l'abandon par l'ôrmuri de l'agentif.
La construction c) , en revanche est "monstrueuse" tant qu'on se
réfère à la construction possessive telle que la tradition des langues
iraniennes du groupe oriental nous la livrent. Mais l'identité des structu
res de la phrase ormuri et de la même phrase käboli : objet + radical passé
du verbe + desinence personnelle, dénote clairement le procès de calque
syntaxique dans lequel s'est engagé l'ôrmuri.
Il faut cependant préciser que cette construction aberrante est
relativement rare, qu'elle est plutôt un lapsus de bilingue, qu'une
- 62 -

structure vivante, installée dans la langue, et que nos informateurs l'ont


souvent reconnue comme une "erreur".
Ces quelques exemples de contamination de l'ormuri par les koinè
environnantes, montrent d'abord que la véritable langue de communication des
Ormurs multilingues - et ils le sont tous - est avant tout le persan kâboli,
et accessoirement le pai-ftô". Ils dénotent ensuite un contact, du moins au
cours des derniers siècles, plus important avec le persan qu'avec le pa^fo,
car les contaminations les plus profondes, celles qui touchent à la syntaxe
même, révèlent des modèles de structure persane; mais ils confirment aussi
que le mécanisme grammatical d'une langue en voie de disparition, s'il est
touché par la contamination, n'est, à proprement parler, pas perturbé, puis
que la communication est pleinement préservée. Les faits de contact de lan
gues ne sont donc pas en cause si l'on veut analyser les raisons pour les
quelles l'ormuri est sur le point de ne plus être parlé : ni le vocabulaire
emprunté, ni les perturbations phonologiques ou accentuelles , ni même les
contaminations syntaxiques n'obscurcissent la compréhension; d'autre part
l'örmuri ne s'évanouit pas non plus à la suite d'un phénomène de mélange
de langues, tel que les Ormurs multilingues ne sauraient au fond qu'une
seule langue à deux ou trois modes d'expression. Ils ne parlent pas une
langue mixte à trois termes, dont ils emploieraient tantôt l'un, tantôt
l'autre, tantôt le troisième.

7, Survivance de l'örmuri et identité ethnique des Ormur

Si la disparition prochaine de l'ormuri ne laisse aucun doute,


sa survie jusqu'à nos jours pose un problème sur lequel on n'a peut-être
pas suffisamment insisté. Elle est, en effet, extraordinaire, car il n'y
a, au premier abord, aucune raison pour que cette langue ait survécu,
La situation géographique de Baraki-Barak 46 , bien loin de cons
tituer une aire retranchée, coupée des grands axes de communication et des
agglomérations pa^tôphones et persanophones par des obstacles naturels,
favoriserait au contraire les contacts avec les grandes langues communes et
par là la disparition de l'ormuri. Baraki-Barak est une agglomération ins
tallée dans une vallée ouverte, située sur une importante bretelle unissant
les grands axes Caboul-Ghazni et Caboul-Gardëz , au départ aussi d'une route
carrossable qui, par Patxao-e Rôyani et Baraki-Rajan, permet de gagner direc
tement soit Gardez, soit Carx-e Lögar et même Ghazani. Il ne peut donc s'agir
d'un réduit linguistique comme c'est le cas, par exemple à So toi
où la langue paràc'i ( voir infra) n'est en danger que
- 63 -

depuis 1969, c'est-à-dire depuis que la construction d'une route a forcé


son isolement.
La situation du clan Ormur dans la hiérarchie tribale de la région
de Baraki-Barak ne permet pas non plus de conclure à une langue de prestige.
Les Ormur n'occupent qu'un modeste troisième rang après les PaStun et les
Tâjfek, juste avant les Hazâra et, bien entendu, les Hendu et les Jat . Très
souvent, selon leurs apparentements matrimoniaux ou selon l'origine ethni
quede l'interlocuteur, ils se déclarent, d'abord soit Pastun, soit Tâ/fek,
assimilation rendue plausible par leur trilinguisme . D'autre part, numéri
quement, cas quelques centaines d'Crmur ne font pas le poids à coté des
milliers de Pastun et de Tajek qui les entourent.
Donc, ni l'importance numérique des sujets parlants, ni le pres
tige tribal, ni sa localisation géographique ne peuvent expliquer la sur
vivance d'une langue qui n'est, est-il besoin de le redire, ni nationale,
ni officielle, ni commune. D'ailleurs, avec son vocabulaire envahi à près
de 90 % par des emprunts, avec une syntaxe portant les marques de contacts
étrangers, elle est manifestement engagée dans un processus irréversible
de contamination.
Resterait une motivation religieuse. A première vue cette hypo
thèse paraît bien difficile à maintenir : les Ormur se considèrent et sont
considérés par les autres clans comme d'irréprochables sunnites; bien mieux,
nous pouvons garantir qu'ils observent plus rigoureusement que beaucoup de
leurs voisins Pastun ou Tâjek les prescriptioons religieuses concernant la
prière, le jeûne et l'interdiction des boissons alcoolisés. De fait rien
ne les distingue des musulmans de stricte observance vivant dans les en
virons. Au premier abord il semblerait donc que les Ormur, ne constituant
pas une secte à part, n'ont aucune raison d'ordre religieux pour préserver
leur parler clanique.
Cependant dès 1926 G. Morgenstierne avait émis l'hypothèse qu'ils
seraient restés zoroastriens jusqu'à une époque relativement récente : en
effet, l'ôrmuri est le seul dialecte iranien qui ait conservé dans son
lexique un terme technique du zoroastrisme pour "étudier, lire", à Baraki-
Barak (h)aw- : (h)awçk, Kanigram aw- : i^tak (cf, av, aiwi-ah-) .
D'autre part, il est fort possible que les tendances hérétiques de Bâyazid
Angâri (1525-1572) 47 un Ormur, aient pu trouver une assise dans les tradi
tions religieuses et les pratiques religieuses de son clan, à moins que
Bâyazid ne les ait inspirées.
- 64 -

Longtemps notre quête est restée vaine. Cependant au bout de nom


breuses années un de nos informateurs nous a fait part de son impression
qu'"autrefois les Ormur avaient été les adeptes d'une secte différente".
Laquelle? "Peut-être avaient-ils été chiites ... ou sayyed-e xâs fverita-
bles descendants du Prophète)". Interrogé à propos de Bâyazid Ansâri, ce
même informateur, surmontant une gêne évidente, nous avoua : "Tous les
Ormur connaissent et révèrent le Pir-e R5san ("le Saint de la Lumière")
et Pir-e Rosfän az ro'asâ-ye mazhabi-ye mâ-st. Pir-e Rôè^an est l'un des
chefs de notre religion".
D'autre part un certain nombre de croyances populaires font des
Ormur un clan différent des autres, sans qu'elles puissent positivement
étayer l'hypothèse d'une ancienne appartenance à l'hérésie rôsaniyya :
- il est sum de mauvais augure de laisser couver des oeufs par leurs poules;
- il est £um de porter des vêtements de couleur s^aftali vert trèfle;
- de donner de l'amouille zok à quelqu'un qui ne soit pas Ormur : le donneur
risque de mourir ou du moins de devenir aveugle et le voleur, originaire
d'un autre clan, deviendrait aveugle;
- les femmes ürmur ne se font jamais tatouer sur le front de xâl "grain de
beauté, tatouage frontal", car elles risqueraient de mourir dans la fleur
de 1 ' âge .
Somme toute les Ormur ont conscience de n'être pas un clan comme
les autres, d'avoir des croyances populaires particulières, d'avoir un
passé religieux différent de celui des ethnies environnantes, sans pouvoir
(ou sans oser?) en préciser la nature exacte. La critique de ces faits
considérés individuellement serait facile : chaque clan, surtout quand il
a un parler sui generis, a l'impression de ne pas être comme les autres;
chaque groupe ethnique possède des coutumes et des croyances particulières;
partout en terre d'islam on suppose, sans aimer en parler, qu'"autref ois"
on avait une autre religion. Qu'en faut-il retenir? Avant tout il convient
de noter une convergence troublante : les Ürmur, d'une part, semblent
bien avoir conscience d'avoir appartenu, à l'époque islamique, à une secte
non sunnite, et avancent l'hypothèse du chiisme; d'autre part, la vénération
dont ils entourent Bâyazid An§Iri nous oriente vers la rôsâniyya. Il n'y
a là aucune contradiction : en effet, nous savons que le chiisme a servi
de paravent aux adeptes du Pir-e Rôsân; c'est, par exemple, le cas des
Turi qui constituent aujourd'hui le seul cas d'une tribu pa^tun complète
ment chiite. Mais nous n'avons aucun argument, ni positif ni négatif, en
- 65 -

ce qui concerne l'hypothèse d'un substrat zoroastrien.


S'il est exact que les Ormur aient autrefois appartenu à la
rös'äniyya et que leur parler clanique ait pu jouer le rôle d'une langue re
ligieuse ou d'une langue secrète, le retour du clan "ormur dans le giron de
l'orthodoxie sunnite a aboli cette fonction particulière de l'ormuri et
constitue la cause profonde de sa prochaine disparition.

Résumé de la seconde partie

La Ile partie de cet article étudie le cas du paraci . Après


l'avoir localisé, l'auteur apporte des renseignements relevés sur le
terrain, concernant la situation linguistique de cet autre parler résiduel
du sud-est du plateau iranien. Il décrit le milieu naturel dans lequel
vivent les paraciphones et analyse les divers facteurs qui perturbent
leur environnement culturel.

Il constate finalement que les mutations intervenues dans la


situation socio-culturelle des Ormur et des Paràci bouleversent aussi le
statut de leurs langues claniques et menacent leur identité.

La seconde partie de ce texte paraîtra dans le n°11 de L&S


- 66 -

Notes

*) Je sais grë à G. Fussman (Strasbourg) et à G. Redard (Berne) d'avoir


bien voulu relire mon manuscrit et me faire profiter d'utiles remarques.
Les recherches faites sur le terrain entre 1962 et 1971 pour l'ôrmuri,
en 1973 et 1975 pour le parâci, ont été rendues possibles grâce à des
missions accordées par le C.N.R.S., les deux dernières dans le cadre
de l'E.R.A. 355 dirigée par G. Lazard (Paris).
L'essentiel des faits invoqués a été publié d'abord dans STUDIA IRANICA 1,
1972, 115-126 : "Le multilinguisme des Ôrmurs ...", et 6, 1977, 97-125 :
"Etudes parac'i. I. Les Parafai et leur environnement".
Une première mouture de cet article, abrégée et traduite en anglais, a
paru dans LINGUISTICS 191, 1977, 71-100 et dans INTERNATIONAL JOURNAL
OF THE SOCIOLOGY OF LANGUAGE 12, 1977, 71-100, sans que j'aie pu en
revoir le texte. Je remercie donc vivement' Langage et Société d'avoir
accepté de le publier en français dans son intégralité.
1) Abréviations : av. = avestique; camp. = campagnard (d'un dialecte);
kb. : kaboli; orm. = ôrmuri; par. = parac'i; prs. = persan: p§. = pasfô.

2) V. p. 39 ainsi que le croquis p. 40


3) Au terme Kâ"fir litt, "infidèle" je préfère celui de nuristâni "du Nuris-
tàn, i.e. du Pays de la Lumière" pour désigner les parlers indo-aryens
autres que dardes à demeure dans le versant sud de l'Hindukus, v.
R.F. Strand : Notes on the Nüristäni and Dardic Languages, in JOURNAL
OF THE AMERICAN ORIENTAL SOCIETY 93, 1973, 297-305. A cô-té des langues
indiennes et dardes, les parlers nuristanis représentent peut-être une
3e branche de 1 ' indo-aryen, ou même, à coté de l'indien et de l'iranien,
une 3e branche de 1' indo-iranien, v. G. Fussman : Atlas linguistique
des parlers dardes et kafirs, vol. II., Paris 1972, 12-13, et
G. Morgenstierne : Die Stellung der Kaf irsprachen, in IRANO-DARDICA,
Wiesbaden 1973, 327-343. V. aussi G. Morgenstierne : Report on a lin
guistic mission to Afghanistan, Oslo 1926, 39-69; Report on a linguis
tic mission to North-Western India, Oslo 1932, 63-67. -Pour la culture
v. G. S. Robertson : The Kafirs of the Hindu-Kush, Londres 1896;
G. Grassmuck-L.W. Adamec, et al. (éd.) : Afghanistan. Some new approa
ches, Ann Arbor 1969, 54-67 (par A.G. Aslanov et al.); K. Jettmar (éd.):
Cultures of the Hindukush, Wiesbaden 1974.
4) Pour les parlers dardes, v. G. Morgenstierne : Report ..., 1926, 69-93;
Report ..., 1932, 19-25 ; Indo-Iranian Frontier Languages III The Pashai
Language, 1. Grammar, Oslo 1967, 2. Texts and Translations, Oslo 1944,
3. Vocabulary, Oslo 1956 (2e éd. 1973) ; IRANO-DARDICA 1973, 231-272;
G. Buddruss : Beiträge zur Kenntnis der Pasai-Dialekte, Wiesbaden 1959
(ABH. F.D. KUNDE D. MORGENLANDES 33, 2); G. Fussman : Atlas ..., 1972,
11-14; P. Snoy : Eine dardische Talschaft in Karakorom, Graz 1975.

5) Pour l'Ôrmuri, v. G. Morgenstierne : Indo-Iranian Frontier Languages I,


£slo 1929, 305-415 et 1973 (2e éd.), 428; Supplementary notes on
Ormuri, in NTS 5, Oslo 1932, 5-36; Ch. M. Kieffer : L'ormuri, 1. Gram
maire, 2. Textes, 3. Lexique phraséologique (à paraître).
- 67 -

(6) Pour le paräc'i, v. G. Morgenstierne : IIFL, I, 1929, 1-304 et 1973


(2e éd.), 417-428; Ch. M. Kieffer : Etudes Paraci, in STUDIA IRANICA
6, 1977, 97-125 (Les Paraci et leur environnement), 249-281 (Textes,
phraséologie et lexicographie); 7, 1978, 81-107 et 269-277 (Notes sur
la phonologie et la morphosyntaxe du parâ£i) ; 8, 1979, 67-106 (Le lexi
que parâc'i : glossaire 1ère partie, à suivre ).

(7) Pour le pa£tÔ, v. H. Penzl : A grammar of Pashto. A descriptive study


of the dialect of Kandahar, Afghanistan, Washington 1955; Ch.M. Kieffer:
L'établisssement des cartes phonétiques : premiers résultats, in L'ATLAS
LINGUISTIQUE DES PARLERS IRANIENS : ATLAS DE L'AFGHANISTAN, Arbeitspapier
13, Universität Bern, Berne 1974, 24-33 (G. Redard, éd.).
(8) Le dari, litt; "(langue) de la cour", est le nom que les autorités
universitaires afghanes recommandent d'employer pour désigner le persan
en usage en Afghanistan et le distinguer ainsi du persan d'Iran. Cette
appellation me paraît convenir tout particulièrement au persan écrit
d'Afghanistan (publications et lettres officielles), au persan en
usage à l'Université de Caboul (cours ex cathedra) et à la radio
(émissions académiques ou conventionnelles) . Mais le problème est
tout différent pour le dialectologue : il doit distinguer de nombreux
parlers locaux très divers et tous populaires : kaboli, herati, maz'ari,
badax^i, lôgari, kôhestani, urguni , laghmâni, kandibaghi, hazâragi,
ghôri, etc., qui sont tous fort différents de ce dari. Un des plus
importants d'entre eux est le kâboli, la langue de la ville de Caboul
et aussi de la région environnante; propagé par l'administration,
l'école et les mass media, il tend à devenir de plus en plus la langue
commune de l'Afghanistan, quelle que soit la langue maternelle des
locuteurs. - V. A.Gh.R. Farhadi : Le persan parlé en Afghanistan.
Grammaire du kaboli, accompagnée d'un recueil de quatrains populaires
de la région de Kâbol, Paris 1955, ë:The spoken Dari of Afghanistan.
A grammar of Kâboli Dari (Persian) compared to the literary language,
Caboul 1975; Ch, M. Kieffer : The Afghan Persian of Dari, in ENCYCLO
PAEDIAPERSICA (à paraître) .

(9) J'appelle Caboul la ville, capitale de. l'Afghanistan, et Kâbol la


rivière qui passe par Caboul et se jette dans 1 ' Indus , V. croquis.

(10) Le brahui est une langue dravidienne parlée aujourdéhuî dans le


Baluc'istän et dans le Sind. Apparenté aux parlers dravidiens du nord
du Dekhan, il a vraisemblablement occupé jadis un territoire beau
coup plus vaste. Le proto-brahui , langue toute hypothétique, repré
senterait l'étage ancien du dravidien parlé sur le rebord oriental
du plateau iranien avant l'invasion des Aryens, c'est-à-dire avant
l'arrivée de 1' indo-iranien non encore diversifié en iranien et
indo-aryen, v. note 11.
(11) L' indo-iranien parlé par les envahisseurs aryens a submergé, peut-
être au cours du 2e millénaire av. n. ère, le dravidien des autoch
tones. Rien, dans l'état actuel de nos connaissances, ne nous em
pêche d'imaginer que la scission de 1' indo-iranien, donnant nais
sance à l'iranien et à 1' indo-aryen, s'est faite en Afghanistan
même .
- 68 -

(12) L'iranien et 1 ' indo-aryen se sont scindés au cours des siècles suivants
en diverses langues. En ce qui concerne les langues citées dans ce ta
bleau (nuristâni, darde, parâ£i et ôrmuri) , nous n'en connaissons ni
le stade ancien, ni le stade moyen) .

(13) C'est à l'étage moyen que ces langues ont été marquées par l'arrivée
du pa^to originaire du nord-est et du persan venant de l'ouest.
(14) II est hautement probable que des dialectes issus de 1' indo-aryen ou
de l'iranien anciens sont morts sans laisser de descendance connue.
Ainsi le pa?ftô et l'ormuri ont été marqués par une langue darde aujour
d'hui disparue comme l'atteste une part non négligeable de leurs voca
bulaires .

(15) Pour la diversité linguistique du plateau iranien, v. G. Redard :


Panorama linguistique de l'Iran, in ASIATISCHE STUDIEN/ETUDES ASIATI
QUES1-4, 1954, 137-148. - Pour la régression de la diversité dia
lectale, v. Ch.M. Kieffer : Le multilinguisme des Ormurs de Baraki-
Barak ..., in STUDIA IRANICA 1, 1972, 115-126; Etudes Parâ^i, I.
Les Parâc'i et leur environnement, ibid. 6, 1977, 97-125; The approa
ching end of the residual South-Eastern Iranian languages Ormuri
and Paracl in Afghanistan, in LINGUISTICS 191, 1977, 71-100, et
INTERNATIONAL JOURNAL OF THE SOCIOLOGY OF LANGUAGE 12, 1977, 71-100.
(16) L'avance du pasto" et du persan en Afghanistan n'a pas encore donné
lieu à une étude d'ensemble. Pour la répartition approximative des
locuteurs de pa£to et de persan, v. Ch.M. Kieffer, in STUDIA IRANICA
7, 1978, 315.
(17) V. supra, note 15.
(18) V. V. Gregorian / The emergence of modem Afghanistan. Politics of
reform and modernization, 1880-1946, Stanford 1969; L. Dupree :
Afghanistan, Princeton 1973. Les événements actuels (1973-79) illus
trent le même processus.
(19) Les parlers privilégiés sont ceux des groupes ethniques, nomades ou
sédentaires, numériquement importants, politiquement et économique
ment forts, qui servent d'assis? populaire au gouvernement en
place.
(20) Le Pa^tunistan est un concept politique créé par les autorités
afghanes après la partition de l'Inde pour réclamer une révision
de la "ligne Durand", c'est-à-dire la frontière afghano-palistanaise
telle qu'elle a été tracée au XIXe siècle par les Britanniques pour
des raisons strictement stratégiques. Il désigne les territoires
pakistanais où vivent ou nomadisent des Pa^fôphones ; il constitue,
par conséquent, un terme tout particulièrement commode pour le dia-
lectologue.- V. Kh.A. Abawi : Der kämpf des pachtunischen Volkes um
die Unabhängigheit seiner Heimat Pachtunistan ..., Thèse, Fribourg
en Brisgau 1962; M. Klimburg : Afghanistan. Das Land im historischen
Spannungsfeld Mittelasiens, Vienne 1966 (passim); D. Fröhlich :
Nationalismus und Nationalstaat in Entwicklungs ländern, Meisenheim
am Glan 1970, 206-212; W. Kraus (éd.) : Afghanistan ..., Tubingue-Bâle
1972 (passim); pour l'aspect diplomatique de la question, v. Y. Rodrigues
La question du Pouchtounistan, Ambassade de France, Caboul 1962 (29 p.
dactylographiées) .
- 69 -

(21) D'un point de vue historique il conviendrait d'ajouter le Turan ou


"Iran extérieur", v. La civilisation iranienne (Perse, Afghanistan,
Iran extérieur), Paris 1952, 326-330.
(22) V. I.M. Oranskij : Les langues iraniennes (Trad. J. Blau), Paris 1977.
Pour les langues iraniennes parlées en Afghanistan, v. Ch.M. Kieffer :
Languages of Afghanistan, in ENCYCLOPAEDIA PERSICA (à paraître).

(23) L'Atlas linguistique des parlers iraniens (entreprise dirigée par


G. Redard, Berne, v. Arbeitspapier 13, Univ. Bern, Inst, für Sprach
wiss., 1974) et en particulier l'Atlas de l'Afghanistan en instance de
publication vont permettre d'améliorer cet inventaire. Mais de nombreus
es enquêtes sur le terrain sont encore nécessaires pour préparer la
description de parlers encore peu ou presque pas connus.
(24) L'hypothèse d'un groupe de langues iraniennes dites du sud-est a été
posée par G. Morgenstierne, v. Report ..., 1926, 26-37; IIFL 1,9.

(25) V. CH.M. Kieffer, o.e., STUDIA IRANICA 1, 1972, 115-126/


(26) V. Les langues du monde, Paris 1952, I, 33-34.
(27) V. G. Morgenstierne, IIFL I, 312; Ch.M. Kieffer : Grammaire de 1'
ormuri. Introduction (à paraître).

(28) V. The Bâbur-nâma in English (Memoirs of Babur) , translated ... by


A.S. Beveridge, Londres 1969 (1ère éd. 1922), 220.
(29) L'élément toponymique -gräm grama--, v. R.L. Turner : A comparative
dictionary of the Indo-Aryan Languages, Londres 1962-66, 234 (4368),
est largement répandu dans un territoire très vaste et ne peut pas
servir de trait pertinent, v. G. Fussman : Atlas linguistique des
parlers dardes et kafirs, Paris 1972, II, 374-380,

(30) V. G. Fussman : Documents epigraphiques kouchans, in BULL. ECOLE


FRANÇAISE D'EXTREME-ORIENT 61, 1974, I. Inscriptions et antiquités
du Das't-e Nâwur, 2-53.

(31) V. G. Morgenstierne : Istâlif and other place-names of Afghanistan,


in BULL. SCHOOL OF ORIENTAL AND AFRICAN STUDIES 333, 1970, 350-52.
(32) Estufâlo, où n'habite qu'une seule famille de clan Babasâxél origi
naire de Seyawar, se trouve à une altitude de 2360 m et n est qu'un
établissement récent, v. Etudes Parâc'i , I. Les Parâci et leur envi
ronnement, in STUDIA IRANICA 6, 1977, 107, 122. V. Liste de toponymes .

(33) V. ibid., 107, 121. V. Liste de toponymes.


(34) V. G. Morgenstierne : IIFL I (nouv. éd. 1973), Addenda 417 6.
(35) S, ifat-nâma-yi Darvîs Muhammad Han-i Gâzî . Cronaca di una crociata
musulmana contro i Kafiri di Lagmân nell'anno 1582. Manoscritto
persiano-kàbulï edito e tradotto, con introduzione e indici dei nomi ,
da Gainroberto Scarcia. Serie Orientale Roma 32, Rome 1965.
- 70 -

(36) The travels and adventures of the Turkish admiral Sidi Ali Reis in
India, Afghanistan, Central Asia, and Persia during the years 1553-1556,
translated ... by A. Vambéry, Londres 1899.
(37) V. aussi Ch.M. Kief fer : Grammaire de l'ôrmuri. Introduction.
(38) Les faits ethnolinguistiques concernant Kânigram ont été relevés prin
cipalement à Tank au cours d'enquêtes dialectologiques faites du 4 au
16 septembre 1963.

(39) V. supra, note 8. Le persan campagnard en usage dans les environs de


Caboul, bien qu'il soit proche du kâboli, le parler de la ville, en
diffère par des traits phonologiques (u pour o) , morpho-syntaxiques
(système verbal plus simple) et surtout lexicaux (idiotismes ruraux) ,
qui lui sont propres. Cependant on peut, sans risque d'erreur, l'in
clure dans le kâboli, dont il reste proche par les grands traits
structuraux. Il reste d'ailleurs toujours la possibilité de le quali
fier de "kâboli campagnard".

(40) Ou wardak, v. Ch.M. Kieffer : Wardak, toponyme et ethnique d'Afghanis-


tan, in ACTA IRANICA, Monumentum Nyberg, Téhéran-Liège 1975, I, 475-483.
(41) V. Ch.M. Kieffer : o.e., STUDIA IRANICA 1, 1972, 118-125; Grammaire de
l'ôrmuri (à paraître).

(42) Expression employée dans le sens que lui donne A. Martinet : Eléments
de linguistique générale, Paris 1960, 1967, 1-8, 1-11, 2-10.
(43) Pour nak "femme", ^ *nava-kâ- , cf. ps\ nâwè "jeune mariée" (<^ iranien);
pour nâk "poire", < kb . id., cf. Turner, Comp.Dict. I.-A. Langu. 404
s.v. 7037 inakka- "like a nose" (< indien) . Beaucoup de plantes, fruits,
légumes, champignons tirent leurs noms d'une resemblance avec une partie
du corps en indien comme en iranien.
(44) Le concept d'ormuri "standard" est tout pragmatique : il désigne ici
la langue telle qu'elle se présente quand les sujets parlants (mais non
pas l'enquêteur) l'ont débarassée des processus de contamination ré
cente dont ils sont conscients et pour lesquels ils disposent d'une
forme ou d'une expression considérée par eux comme "originelle-1 ("le
bon ôrmuri" comme on dit "le bon français", ce qui est toujours, bien
sur, d'une appréciation toute personnelle). En l'occurrence il s'agit
d'un syntagme caractérisé par l'augmentation vers la gauche /ta Id
a-roz/ "jour de fête", ce qui est un trait structurel caractéristique
de cette langue, remplaçant le syntagme né d'une substitution lexicale
/roz-e îd/ qui représente un modèle persan. Il serait inexact d'employer
l'expression "Ôrmuri originel", qui repose sur une hypothèse historique
inacceptable pour une langue dont nous ne savons rien ni du stade
moyen, ni du stade ancien.
(45) V. Ch.M. Kieffer : Grammaire de l'ôrmuri (à paraître).
- 71 -

(46) Remplacé aujourd'hui par Pol-e ' Alam situé' sur la grand-route Caboul-
Gardez, Baraki-Barak a été longtemps le chef-lieu administratif de la
province du Lögar; au XIXe siècle ce rôle était dévolu à Baraki-Rä5än,
à 3 km au sud-ouest. Itinéraire : Caboul, km 5 Binisâr, km 11 Pol-e
SaQg-e Nawes'ta, km 16 Cârasya, km 39 Madagha (*Mohammad-âgha) , km 39
Kolaggar (bäzär) , km 69 Pol-e 'Alam (tourner à droite, vers l'ouest),
km 70 Uni-Saydân, km 79 Baraki-Barak (bazar) . Baraki-Barak est situé
sur la bretelle qui réunit la grand-route Caboul-Gardëz à la grand-
route Caboul-Ghazni .
(47) V. Encyclopédie de l'Islam (nouv. éd. franc.), 1960, I, 1155-58
s.v. Bâyazîd .

(47 bis) Mais non pas sayyed-e s'aw-e juma litt. "Sayyed, i.e. descendants
du prophète de la veille du vendredi", ce qui est un surnom depré-
ciatif que les sunnites donnent aux chiites. En effet, chez ces
derniers, a cours une croyance populaire selon laquelle les enfants
d'une famille non sayyed, qui naissent la veille d'un vendredi sont
également sayyed. C'est donc une façon de se moquer de tous ceux,
et ils ne sont pas rares, qui se prétendent sayyed sans que leur
généalogie fonde cette prétention.

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