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Monsieur Zamariallai Tarzi

Hadda à la lumière des trois dernières campagnes de fouilles de


Tapa-è-Shotor (1974-1976), communication du 25 juin 1976
In: Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 120e année, N. 3, 1976. pp. 381-
410.

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Tarzi Zamariallai. Hadda à la lumière des trois dernières campagnes de fouilles de Tapa-è-Shotor (1974-1976), communication
du 25 juin 1976. In: Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 120e année, N. 3, 1976. pp.
381-410.

doi : 10.3406/crai.1976.13266

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/crai_0065-0536_1976_num_120_3_13266
FOUILLES DE HADDA (AFGHANISTAN) 381

COMMUNICATION

HADDA À LA LUMIÈRE
DES TROIS DERNIÈRES CAMPAGNES DE FOUILLES
DE TAPA-É-SHOTOR (1974-1976),
PAR M. ZÉMARYALAÏ TARZI*.

Hadda est le nom d'un village qui se trouve à une dizaine de


kilomètres au sud de la ville moderne de Djellalabad. Le village
actuel est en partie construit sur l'emplacement des ruines préisl
amiques d'une ville dont dépendait un ensemble monastique consi
dérable bâti sur des collines de conglomérat tertiaire qui ont subi
l'érosion de l'Agam Rud1. Les monastères les plus imposants se
trouvaient à l'ouest de l'ancienne ville tandis que d'autres construc
tions monastiques se dispersaient tout autour, partout où elles
trouvaient un terrain propice à la construction, à savoir, un tertre
à l'abri des torrents. Les fondations du monastère de Tapa-é-Shotor
furent également bâties sur un conglomérat semblable dans sa
structure géologique aux collines avoisinantes, dont il est séparé
par une bande de champs cultivés. Ce monastère marque ainsi la
limite nord de l'ensemble de Hadda.
En 1825, A. Court identifia le site de Hadda. A la fin du xixe siècle,
Ch. Masson entreprit des travaux en vue de récolter les reliques
précieuses que contenaient les stupas de Hadda. Il parvint à découv
rirparmi d'autres objets d'art, des pièces de monnaies gréco-
bactriennes, indo-scythes, kouchanes et des monnaies romaines
de l'époque de Domitien, byzantines de Théodose Léon, et également
des pièces de monnaies hephtalites2. Mais les véritables explorations
scientifiques furent entreprises par la DAFA après 1922.
A. Foucher et A. Godard ouvrirent les premiers sondages.
Conscient des richesses archéologiques que cachaient les décombres
du site, A. Foucher confia à J. Barthoux la direction d'une fouille
plus importante qui eut lieu dans les années 1926-19283. Il convient
• Nous insérons ici le texte de la communication du 25 juin 1976. M. Z. Farzy
est directeur général de l'Institut afghan d'archéologie.
1. J. Barthoux, Les fouilles de Hadda, stupas et sites, dans Mémoires DAFA,
IV, Paris, 1933, flg. 2.
2. H. H. Wilson, Ariana Antiqua, a descriptive Account of the Antiquities and
Coins of Afghanistan, with a Memoir ofthe Buildings called Topes, by Ch. Masson,
London, 1841, p. 108-109 ; cf. également G. Fussman, Monuments bouddhiques
de la région de Caboul, le monastère de Gui Dara, dans Mémoires DAFA, XXII,
Paris, 1976, p. 52-54.
3. Pour les renseignements généraux d'avant 1949 concernant Hadda et son
art, cf. H. Deydier, Contribution à l'étude de l'art du Gandhara, Paris, 1950,
p. 155-170.
382 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

également de citer les fouilles japonnaises de l'Université de Kyoto


à Lalma au sud-ouest de Hadda. Aussitôt après, une fouille plus
systématique fut ouverte en 1965 par mon prédécesseur, M. Ch. Mous-
tamindi, à Tapa-é-Shotor4. Il en dirigea les sept premières campagnes
jusqu'en 1974, date à laquelle j'ai pris le relais. Ce sont les résultats
des trois dernières campagnes 1974-1976 que j'ai le plaisir de vous
présenter ici5.

I. — Phases de l'architecture

Les données de la stratigraphie et l'étude des vestiges de construc


tions nous ont permis d'établir que le développement architectural
de ce lieu saint s'est fait en six grandes phases (fig. 1) :
Phase I : Le stupa central M et le grand vihara (sanctuaire)
à cour centrale avec sa salle de réunion n° 10 dans son état premier
comportant quatre colonnes en carré supportant le toit.
Phase II : Réaménagement de la salle de réunion en une sorte
de déambulatoire autour d'une construction centrale carrée ren
fermant un foyer.
Construction d'un vihara secondaire relié au vihara principal
par un couloir bordé de pièces annexes nos 16-18 ; certains stupas
en schiste dans la cour du grand stupa M.
Phase III : Les deux chapelles contenant les stupas 34 et 35 au
nord-est et sud-ouest de la cour du grand stupa M ainsi que la
chapelle contenant les stupas 37 et 38 à l'angle sud-est de la même
cour.
Phase IV : La phase IV est caractérisée par la construction de la
plupart des niches décorées de statues entourant la cour du grand
stupa M (parmi celles-ci la fameuse niche aux poissons) et la cour
du grand vihara (pour ces dernières cf. ci après, p. 387), les construc
tions sud-ouest de l'ensemble, composées des pièces nos 25 à 31,

4. Je citerai en outre les nombreux articles de M. Chaïbaï Mostamindi publiés


dans les revues afghanes (Afghanistan et Aryana), les deux publiés en France,
La fouille de Hadda, dans CRAI, 1969 (janvier-mars), p. 119-128 et Nouvelles
fouilles à Hadda (1966-1967), dans Arts Asiatiques, XIX, 1969, p. 15-36 avec
la collaboration de Mme M. Mostamindi.
5. Dans les campagnes que j'ai dirigées, le but essentiel était avant tout la
vérification des fouilles précédentes au point de vue stratigraphique, la récolte
de la totalité de la céramique en vue d'une étude typologique, la restauration
de l'ensemble et enfin la restitution. Certaines des 64 niches de Tapa-é-Shotor
ne seraient guère présentables comme documents du présent travail si le collage
minutieux des fragments n'avait pas eu lieu.
FOUILLES DE HADDA (AFGHANISTAN) 383

***4-

Fig. 1. — Hadda, Tapa-é-Shotor : plan d'ensemble du site


(dessin de Zémaryalaï Tarzi d'après Baba Mourad Faraghi).

et le creusement d'une grotte souterraine A à l'extérieur de l'angle


sud-ouest de la cour du grand stupa M.

Phase V : A la cinquième période se rattachent les deux groupes


de pièces barlongues 19-22 et 23 d'une part, 52-56 d'autre part,
à l'est du vihara secondaire, l'ensemble des pièces 32 à 39 situées
à l'ouest et séparées du reste des constructions, le réaménagement
de la grotte A et son décor de peintures (cf. ci-après, p. 406).
384 COMPTES RENDUS DE L*ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

Phase VI : La sixième période est marquée par des travaux de


restauration faisant suite, semble-t-il, à un incendie. Cette phase
se termine par un incendie généralisé qui marque la fin de la vie
monastique à Tapa-é-Shotor.
Ces six périodes s'étendent du 11e à la fin du vie siècle de notre
ère, comme nous l'ont appris diverses trouvailles monétaires et
épigraphiques. En effet, la période II correspond à un dépôt de
24 pièces de monnaie de bronze kouchanes de Vaseshka, aux types
du roi debout sacrifiant et de la déesse Ardoxso trônante, qui provient
du stupa 19. La période III est datée par une inscription sur peinture
murale en brahmi du ine siècle de notre ère.
Les périodes IV et V sont situées dans le temps par de nombreux
bronzes kouchano-sassanides.
A la période VI se rattachent des inscriptions en brahmi des Ve-
vne siècles de notre ère.
L'abandon du sanctuaire à la fin de la période VI consécutivement
à un incendie généralisé est de peu antérieur à une monnaie hephta-
lite du type Nspk que l'on place aux environs de 610-620.

IL — Les stupas

L'étude des stupas nous a conduit aux observations suivantes :


les uns sont construits en lamelles de schiste, les autres en blocs de
calcaire et ces derniers appartiennent à la période IV. D'autre part,
nous avons pu observer que les stupas les plus anciens sont ornés
d'arcs en accolade, les arcs en fronton coupé n'apparaissant que
sur les stupas les plus tardifs6. Le matériau utilisé pour la décoration
(moulures et scènes figurées) permet également de différencier
chronologiquement les stupas. Sur les plus anciens, ceux des
périodes I et II, on a utilisé un stuc à base de chaux de couleur
blanche : c'est le cas du grand stupa M, du stupa 18. La période III
est caractérisée par un enduit de chaux très dur de couleur grise
qui couvre les stupas 25, 27, 33, etc. A la période IV, l'enduit,
toujours à base de chaux, est jaunâtre et de dureté moyenne : il a
été utilisé pour les stupas 8, 13, 17, 20, 21, 26, 29, 31. Le dernier
stupa construit dans le sanctuaire appartient à la période V. Il
s'agit du stupa 39, à l'extrémité nord-est du sanctuaire, qui se
distingue des autres à la fois par la forme circulaire de son socle

6. Il s'agit de la dernière période pour les stupas, ceux ornés de modelages en


stuc. Dans l'un des stupas de cette période où les arcs en fronton coupé prédo
minent (stupa 24 de l'actuelle numérotation) ont été découvertes des pièces de
monnaies du ive siècle de notre ère ; cf. M. et Ch. Mostamindi, Nouvelles fouilles
à Hadda (1966-1967), dans Arts Asiatiques, XIX, 1969, p. 23.
FOUILLES DE HADDA (AFGHANISTAN) 385

et par une technique nouvelle de décoration : la maçonnerie a été


d'abord enduite d'une couche d'argile sur laquelle sont venus se
plaquer des modelages en plâtre. Nous retrouverons cette technique
très originale dans l'étude des sculptures des niches. Il est impor
tantde noter que la décoration des stupas n'est pas nécessairement
contemporaine de leur maçonnerie, car l'ornementation a pu être
refaite. C'est le cas notamment des stupas 30, 32 dont le décor a été
renouvelé à la période IV sur une ossature architecturale plus
ancienne.

IIL — La sculpture

La sculpture de Tapa-é-Shotor utilise quatre matériaux diffé


rents :
1) La pierre ;
2) Le stuc ou pseudo-stuc à base de chaux ;
3) L'argile ;
4) Le plâtre sur couche sous-jacente d'argile.
La pierre et le stuc sont réservés aux décors de plein air, c'est-à-
dire à l'ornementation des stupas dans les cours.

1. La sculpture en pierre.

L'exemple le plus frappant de cette technique est fourni par le


stupa 27, l'un des plus anciens de la IIe période, dont le socle
comporte des chapiteaux de pilastres corinthiens et des arcades en
accolade portées par des atlantes agenouillés.

2. La sculpture en stuc.

Les modelages en stuc réservés à la décoration des stupas en


plein air étaient déjà bien connus par les fouilles de la DAFA, de
la mission japonaise et par les premières campagnes de la mission
afghane. Je ne m'attarderai donc pas sur les trouvailles faites durant
les trois campagnes que j'ai dirigées et me limite à quelques brèves
remarques. La plupart de ces images sont faites au moule puis
reprises à la main dans le stuc encore humide. Des reprises dans les
vêtements, dans les chevelures et surtout dans les visages permettent
d'introduire quelque variété dans les statues sorties d'une même
matrice. De simples retouches aux commissures des lèvres et dans
les plis du front peuvent modifier l'aspect d'une tête. Mais les repré
sentations des Buddhas et des Bodhisattvas restent d'une monot
onie stéréotypée qui a tous les caractères d'une production de série.
386 COMPTES RENDUS DE l'aC<\DÉMIE DES INSCRIPTIONS

Fig. 2. — Hadda, Tapa-é-Shotor : boucle de ceinture de l'un des


donateurs kouchans de la niche XI attenante à la chapelle XII de
la cour du grand stupa M.

3. La sculpture en argile.

La grande école de sculpture de Hadda est représentée par les


modelages en argile crue restés ignorés de nos devanciers et que la
fouille de Tapa-é-Shotor nous a révélés.
A Tapa-é-Shotor soixante-quatre niches furent décorées de statues
en ronde bosse ou en très haut relief, exécutées dans ce matériau.
Les plus anciennes sont faites d'une argile verdâtre ; leur succèdent
des statues confectionnées dans une argile bleuâtre, la dernière
FOUILLES DE HADDA (AFGHANISTAN) 387

phase étant caractérisée, comme nous le verrons plus loin, par


l'application d'une couche de plâtre sur un modelage d'argile.
On rencontre parfois dans une même niche les trois techniques
utilisées concurremment, ce qui prouve que le décor a, dans ce
cas, été restauré ou complété.
Dans la niche XI de la cour du grand stupa M deux donateurs
sont vêtus de pantalons bouffants et d'une tunique ceinturée à la
taille (fig. 2). Ce costume est celui des conquérants kouchans7. La
boucle de ceinture de l'un de ces donateurs a son parallèle exact
dans un objet de même type en or trouvé dans la fouille de Surkh
Kotal. Dans la niche VI de la même cour un grand Buddha assis
est flanqué de quinze Bodhisattvas, moines et assistants. Le per
sonnage le plus frappant est une femme dont le visage d'une laideur
expressive semble grimacer de douleur.
Dans la chapelle du stupa 36 au nord-est de la cour du grand
stupa M on remarque des chapiteaux de pilastres corinthiens
surchargés de pastillages.
Dans la niche E XXIVb, le Buddha est représenté assis au-dessus
d'un trône de lotus que supportent trois avant-corps d'éléphants
et deux avant-corps de lions, ces derniers symboles de royauté
(fig. 3). Cette façon de surhausser le Buddha assis au-dessus d'un
lotus, lui-même porté par des éléphants, caractérise la scène comme
celle du grand miracle de Sravasti. On en rapprochera un beau
relief de la collection De Marteau de Bruxelles daté de l'an V de
Kanishka8.
Je voudrais maintenant vous présenter trois niches situées au
côté nord de la cour du grand vihara et qui, toutes trois, sont
l'œuvre d'un même artiste ou, tout au moins, d'un même atelier.
Les observations stratigraphiques et le contexte architectural
permettent de les dater de la période IV, c'est-à-dire du ive siècle
de notre ère. Le milieu de la niche VI, large de 1 m environ, pro
fonde de 0,80 m, est occupé par un Buddha assis, faisant le geste
de l'enseignement (fig. 4). Son costume est remarquable par la
liberté et l'aisance du drapé, sans rien de conventionnel. La chute
du tissu sur les jambes pliées à l'horizontale donne lieu à un jeu
de plis plein de fantaisie et de naturel. A l'avant de la niche, de
part et d'autre du Buddha, se tenaient deux Bodhisattvas dont

7. Pour le costume des conquérants kouchans, sans le manteau, cf. J. M. Ro-


senfield, The dynastie Art of the Kushans, Los Angeles, 1967, flg. 13, 22, 67, 69,
86 ; J. Meunié, Shotorak, dans Mémoires DAFA, X, Paris, 1942, pi. XXXIII,
109 ; J. Auboyer, L' Afghanistan et son art, Paris, 1968, p. 50.
8. G. Fussman, Documents épigraphiques kouchanes, dans BEFEO, LXI,
Paris, 1974, p. 54-58, pi. XXXI. — Pour les autres scènes du miracle de Sravasti,
cf. Sir J. Marshall, The Buddhist Art of Gandhâra, Cambridge, 1960, flg. 122,
123, 124, 125.
388 COMPTES RENDUS DE l' ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

Fig. 3. — Hadda, Tapa-é-Shotor : niche E XXIVb non loin du stupa


circulaire 39, après une restauration préliminaire.

celui de gauche est bien conservé (fig. 5 et 6). Celui-ci est paré de
lourds colliers surchargés de bijoux et coifïé d'un turban orné de
médaillons lotiformes, savamment noué, dont les extrémités se
déploient comme des ailes. Dans l'angle nord-ouest surgit à mi-
corps un jeune dieu dont le visage d'une grâce toute féminine porte
un riche édifice de boucles luxuriantes formant chignon (fig. 4
et 7). Sa main gauche tient par le goulot un petit vase à eau tandis
que la main droite, aux doigts à demi plies, est ramenée vers la
poitrine. Il s'agit là de Brahma9. A la droite du Buddha, une jeune

9. A comparer le Brahma de la niche VI de Tapa-é-Shotor avec celui du relief


De Marteau, cf. G. Fussman, op. cit., pi. XXXI.
FOUILLES DE HADDA (AFGHANISTAN) 389

Fig. 4. — Hadda, Tapa-é-Shotor : niche VI du grand vihara après restauration.


390 COMPTES RENDUS DE L'ACADEMIE DES INSCRIPTIONS

Fig. 5. — Hadda, Tapa-é-Shotor : niche VI du grand vihara au cours de


la restauration, après la remise en place des têtes et autres fragments.
FOUILLES DE HADDA (AFGHANISTAN) 391

Fig. 6. — Hadda, Tapa-é-Shotor : tête de l'un des Bodhisattvas


de la niche VI du grand vihara.

donatrice est représentée debout, tenant dans ses mains un reliquaire


surchargé de cabochons indiqués par des pastillages (fig. 5). Sa
chevelure couronnée d'un riche diadème est ramenée à l'avant sur
le front, qu'elle borde d'une double rangée de mèches enroulées.
Devant chaque oreille tombe jusqu'aux épaules une longue tresse
tire-bouchonnée. La robe moule le corps de plis discrets. D'un
donateur masculin qui devait faire pendant à la gauche du Buddha
1976 26
392 COMPTES RENDUS DE L ACADEMIE DES INSCRIPTIONS

Fig. 7. — Hadda, Tapa-é-Shotor : Brahma occupant le nord-ouest


de la niche VI du grand vihara.

ne subsiste que le visage dont la lèvre supérieure s'orne d'une courte


moustache (fig. 8).
La niche V2, située à l'est de la précédente, est de dimensions
un peu plus grandes : largeur : 1,25 m ; profondeur : 1,40 m (fig. 9).
Au milieu de la niche trône, assis sur un socle recouvert de feuillage,
un Buddha faisant le geste de l'enseignement. Devant lui, contre
les parois latérales, se dressaient deux Bodhisattvas et deux dona-
FOUILLES DE HADDA (AFGHANISTAN) 393

Fig. 8. — Hadda, Tapa-é-Shotor : tête de donateur provenant


de la niche VI du grand vihara.

teurs en costume kouchan. De ces quatre personnages ne subsistent


que les pieds encore en place et divers fragments tombés, parmi
lesquels une main tenant un vase à eau qui permet d'identifier
l'un de ces Bodhisattvas comme Maitreya ainsi qu'un superbe
visage aux yeux incrustés de rubis qui appartient également à l'un
des deux Bodhisattvas. Dans les deux angles du fond sont figurés
394 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

Fig. 9. — Hadda, Tapa-é-Shotor :


niche V2 du grand vihara après restauration.

deux personnages d'un intérêt exceptionnel : à droite du Buddha


prend place un Vajrapani représenté sous les traits d'Héraclès
(fig. 10, 11). Ce Vajra pani-Héraclès est assis sur un rocher, la jambe
gauche allongée, la jambe droite pliée, genou levé. Le torse pivote
sur les hanches pour se présenter de trois quarts. La tête au visage
moustachu et barbu, à la courte chevelure bouclée, accompagne
le mouvement du buste et se tourne vers le Buddha. De la main
gauche le personnage prend appui sur le rocher qui lui sert de siège,
tandis que sa main droite est posée sur le foudre (Vajra) qui repose
debout sur la pointe du genou droit. L'Héraclès qui a prêté son type
à Vajrapani est aisément reconnaissable aux traits caractéristiques
du visage et à la peau de lion drapée avec la souplesse d'une étoffe :
la tête du fauve est accrochée à l'épaule gauche, et la dépouille
animale descend dans le dos pour réapparaître sur le haut des cuisses,
nouée sur le bas-ventre, l'une des griffes tombant à l'extérieur de la
cuisse gauche. L'aisance de la pose, la parfaite réussite de l'anatomie,
le pathétique expressif du visage font de cette sculpture une œuvre
majeure de l'école hellénisante tardive de l'Afghanistan.
Fig. 10. — Hadda, Tapa-é-Shotor : Vajrapani-Héraclès de la niche V2 du grand vihara.
396 COMPTES RENDUS DE L ACADEMIE DES INSCRIPTIONS

Fig. 11. — Hadda, Tapa-é-Shotor : buste de Vajrapani-Héraclès


de la niche V2 du grand vihara.

L'Héraclès-Vajrapani de Tapa-é-Shotor marque au ive siècle


de notre ère la réapparition d'un type qui remonte à l'Héraclès
» Épitrapézios » de Lysippe10 et plus particulièrement à sa variante
gréco-bactrienne que l'on trouve sur les monnaies d'Euthydème
(dernier tiers du 111e siècle avant notre ère), où le héros est repré
senté dans la même attitude, mais avec sa massue à la place du
Vajra. Après Euthydème ce type n'est plus utilisé que par Aga-
thocle, sur ses frappes commémoratives en l'honneur d'Euthydème,
sur des bronzes d'Agathocleia, la veuve de Ménandre (vers 130 avant
notre ère), puis aux environs de notre ère par les rois Spalahorès

10. M. Bieber, The Sculpture of the hellenistic Period, New York, 1967, p. 36,
fig. 80, 81 ; F. de Visscher, Herakles Epitrapézios, Paris, 1062.
FOUILLES DE HADDA (AFGHANISTAN) 397

et Azilisès de la dynastie indo-scythe qui régna à Taxila11. La


présence du motif est donc bien attestée par la numismatique au
sud de l'Hindou-Kouch, dans une région voisine de Hadda. Il est
tout à fait vraisemblable que ce type d'Héraclès n'était pas confiné
aux seules monnaies, mais qu'il avait été utilisé également dans la
statuaire. Un argument favorable à cette affirmation est fourni
par une statuette de bronze trouvée à Aï Khanoum12 et représentant
un Héraclès imberbe debout et se couronnant, dont le type se
retrouve également sur des monnaies gréco-bactriennes (Démé-
trios Ier)13. Certes, entre les monnaies des rois indo-scythes et la
statue de Hadda s'interpose un hiatus de quatre siècles, mais c'est
sans doute un hasard si la période en question ne nous a livré aucun
jalon intermédiaire. L'œuvre du monastère de Tapa-é-Shotor, par
sa fidélité au modèle grec et par la qualité de son exécution, suppose
une continuité sans faille à la fois dans la transmission du thème
iconographique et dans la tradition artistique. C'est ce qui incite
à penser que la plaine de Hadda fut un centre culturel important
durant l'époque grecque. Ptolémée nous a transmis le nom de la
ville grecque qui était alors la métropole régionale : Dionysopolis.
Bien que l'emplacement de cette cité reste encore à trouver, on
peut admettre, sans gros risques d'erreur, que les colons grecs
avaient développé là un foyer vivace de civilisation hellénique
dont l'art gréco-bouddhique fut l'héritier direct.
Nous constatons le même héritage grec dans la représentation
du personnage féminin qui se trouve à l'angle opposé et fait pendant
à l' Héraclès- Vajrapani (fig. 12 et 13). Cette femme est assise dans
une pose analogue, la jambe droite allongée, la gauche repliée. La

11. Sur les monnaies gréco-bactriennes, indo-grecques et sakas :


— Euthydème : cf. R. Curiel et G. Fussman, Le trésor de Qunduz, dans Mémoires
DAFA, XX, Paris, 1965, pi. II, 16-19 ; R. B. Whitehead, Penjab Muséum
Catalogue, Oxford, 1914, p. 10, pi. 6 et 8 ; A. N. Lahiri, Corpus of indo-greek
Coins, Calcutta, 1965, pi. XVII, 1, 2, 3, 4, 5, 6 (massue sur un empilement de
pierres), 7, 8 (massue sur le genou droit), 9, 10 (imitations) ; V. A. Smith, Indian
Muséum Calcutta, Oxford, 1906, nos 1, 2, 3, 4, 5, 6 (imitations) ; P. Gardner, British
Muséum Catalogue, Chicago, 1966, pi. I, 10 et 11 (massue sur l'empilement, pas
de peau de lion) ; ibid., pi. II, 1, 4, 5, 6 (massue sur le genou, peau de lion) ;
A. Bivar, Num-Chron., 1951, p. 28-29.
— Agathocle : cf. A. N. Lahiri, op. cit., p. 75, pi. II, 1 : monnaies commémo-
ratives au type des monnaies d'Euthydème ; P. Gardner, op. cit., pi. IV, 3 :
monnaie commémorative.
— Antimanque : cf. A. N. Lahiri, op. cit., p. 87, pi. VI, 2 : monnaie commém
orative.
— Azilisès : cf. E. Gardner, op. cit., pi. XXI, 1 : type d'Héraclès portant le
diadème.
— Spalahorès : cf. R. B. Whitehead, op. cit., pi. XIV, 386.
12. P. Bernard, Fouilles de Aï Khanoum (Afghanis'an), campagnes de 1972 et
1973, dans CRAI, 1974 (avril-juin), flg. 13.
13. R. Curiel et G. Fussman, op. cit., pi. II, 26-27, pi. III, 28-33.
398 COMPTES RENDUS DE l' ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

Fig. 12. — Hadda, Tapa-é-Shotor : Tyché de la niche V2


du grand vihara au cours de la restauration.
FOUILLES DE HADDA (AFGHANISTAN) 399

Fig. 13. — Hadda, Tapa-é-Shotor : Tyché de la niche V2


du grand vihara après restauration.

tête, légèrement rejetée en arrière, regarde le Buddha. De la main


droite levée, elle jette vers lui des fleurs, tandis que sa main gauche
tient une grande corne d'abondance tapissée de feuillages et remplie
de fruits qui en débordent. Elle est vêtue d'un long chiton talaire
serré sous les seins par une ceinture. Le bouffant de l'étoffe qui
couvre la poitrine se termine au bas par un feston de plis agités
qui dissimulent le lien. En outre, un manteau recouvre les jambes
et passant dans le dos, réapparaît sur l'épaule gauche, redescendant
entre les cuisses. Le bord supérieur de cette pièce de tissu forme
un volumineux enroulement dont les sinuosités enlacent diagonale-
ment le corps. Le drapé de ce manteau comme celui du chiton avec
son bouffant qui dissimule la ceinture nouée sous les seins corre
spondent à des schémas typiquement hellénistiques. Grec également,
est le thème de cette femme assise, qui n'est autre que celui de la
Tyché hellénique. L'antécédent direct de ce type de Tyché se ren-
400 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

Fig. 14. — Hadda, Tapa-é-Shotor :


niche V3 du grand vihara après restauration.

contre sur des monnaies gréco-bactriennes, les doubles décadrachmes


d'Amyntas du trésor de Qunduz, où la déesse tenant la corne
d'abondance est représentée siégeant sur un trône14. Ce type icono
graphique repris sur des frappes indo-grecques d'Eucratide se
continue sur des monnaies indo-scythes de Mauès et d'Azilisès.
Dans les époques suivantes les caractères de la Tyché grecque sont
assumés par deux divinités locales de l'abondance et de la fécondité,
l'une d'origine iranienne, Ardoxso, que l'on trouve debout ou
trônante sur des monnaies kouchanes15 ou des pierres taillées16,

14. lbid., pi. LU, 621, pi. LUI, 622, 623 ; A. N. Lahiri, op. cit., pi. III, 2.
15. J. M. Rosenfleld, The dynastie Art of the Kushans, Los Angeles, 1967,
pi. XII, 234-241, 243-248.
16. G. Fussman, Intailles et empreintes indiennes du cabinet des Médailles
de Paris, dans Revue numismatique, 6e série, XIV, 1972, p. 21-48, pour les
intailles d'époque kouchane, représentant Ardoxso : voir les intailles nos 8-12,
p. 32-36 ; pi. I, 8, 9, 10, 11, 12.
FOUILLES DE HADDA (AFGHANISTAN) 401

Fig. 15. — Hadda, Tapa-é-Shotor :


détail de deux moines de la niche V3 du grand vihara.

l'autre d'origine indienne, Hariti, fréquemment associée à un parèdre


masculin, Pancika. L'absence des bambins qui normalement
s'accrochent au corps d'Hariti serait, à première vue, plutôt favo
rable à l'hypothèse d'une Ardoxso, mais Hariti est mieux à sa place
dans une imagerie bouddhique à laquelle elle est naturellement
associée puisque c'est le Buddha qui avait converti cette ancienne
ogresse à de meilleurs sentiments et fait d'elle la protectrice des
jeunes enfants dont elle faisait jusque-là sa pâture17. D'autres
divinités comme Brahma complètent la scène.
17. Représentations d'Hariti debout accompagnée de Pancika, souvent
avec des bambins, cf. A. Foucher, AGBG, II, fig. 330-381, 379. Pour les repré
sentations d'Hariti debout sans Pancika mais avec la corne d'abondance, sou
vent avec des bambins, cf. Sir J. Marshall, The Buddhist Art of Gandhâra,
Cambridge, 1960, fig. 112 ; H. Ingholt, Gandhâran Art in Pakistan, New York,
1957, fig. 304, 341, 357. Pour la représentation d'Hariti assise accompagnée
402 COMPTES RENDUS DE L ACADEMIE DES INSCRIPTIONS

Fig. 16. — Hadda, Tapa-é-Shotor :


tête du Vajrapani de la niche V3 du grand vihara.

La niche V3 située à l'est de V2 est large de 1,20 m environ,


profonde de 1,30 m environ (fig. 14). Comme dans les deux niches

de M.
fig.
J. Pancika
382-385
Rosenfield,
et
; Sir
desJ.The
bambins,
Marshall,
dynastie
sans
op.
Artcit.,
corne
of the
fig.d'abondance,
Kushans,
144 ; H. Los
Ingholt,
cf.Angeles,
A. op.
Foucher,
cit.,
1967,fig.AGBG,
fig.
342-344
61. En
II,;
ce qui concerne Hariti assise, accompagnée de Pancika, avec la corne d'abon
dance, cf. A. Foucher, AGBG, II, 388, 389 ; H. Ingholt, op. cit., fig. 345. Pour
Hariti, assise seule avec la corne d'abondance dans la main gauche sans Pancika
et sans les bambins, ibid., fig. 347-348. — Sur la conversion de Hariti au boud
dhisme, cf. E. Lamotte, Histoire du bouddhisme indien des origines à l'ère Saka,
Bibliothèque du Muséon, 43, Louvain, 1958, p 763-764.
FOUILLES DE HADDA (AFGHANISTAN) 403

Fig. 17. — Hadda, Tapa-é-Shotor :


Vajrapani de la niche V3 du grand vihara.

précédentes, la composition est centrée autour d'un grand Buddha


en ronde bosse assis et faisant le geste de l'enseignement. Ce Buddha
était, lui aussi, entouré de divinités et d'adorants. A sa droite, sont
encore conservés deux moines aux visages émaciés, à l'expression
tendue (fig. 15). D'une façon générale, les têtes des moines dans
ces niches ne sont jamais uniformes mais constituent des portraits
réalistes, nettement individualisés. Derrière les moines, près du mur
du fond, un Vajrapani retient l'attention par son type différent de
celui du Vajrapani de la niche V2. Ce Vajrapani a un visage d'homme
mûr imberbe (fig. 16, 17). Sa longue chevelure d'une luxuriance
toute féminine, dont les mèches souples tombent jusqu'aux épaules,
contraste avec l'expression virile du visage dont le modelé est d'une
404 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

qualité superbe. L'art gréco-bouddhique a traité avec une grande


liberté l'iconographie de Vajrapani18. Les seuls traits constants sont
le Vajra ou foudre, qui constitue son attribut caractéristique,
l'absence d'ornement ou de parure, et le caractère non princier de
son vêtement. Les différentes variantes auxquelles peut donner lieu
ce personnage se ramènent à deux types essentiels : un Vajrapani
vieilli et barbu auquel se rattache le personnage de la niche V2 et
un Vajrapani d'âge mûr, imberbe, l'un et l'autre pouvant avoir des
cheveux longs ou courts. Ce double type de Vajrapani dans l'art
gréco-bouddhique correspond au double aspect de l'Héraclès grec
représenté tantôt vieillissant et barbu comme sur les monnaies
d'Euthydème, tantôt juvénile et glabre comme sur les monnaies de
Démétrios et la statuette en bronze d'Aï Khanoum.

4. Les modelages en argile recouverts de plâtre.


La période V de Tapa-é-Shotor se distingue par l'apparition d'une
technique nouvelle de modelage en argile recouverte de plâtre.
Cette technique hybride remonte à une tradition gréco-bactrienne
bien attestée à Aï Khanoum. La forme générale des corps est
façonnée dans l'argile. Cette âme, sur laquelle le modelage pouvait
être poussé jusqu'aux détails essentiels, est alors recouverte d'un
fin tissu sur lequel on appliquait une mince couche de plâtre, dans
laquelle étaient rendus les détails les plus fins. Le tissu était sans
doute destiné à faciliter l'accrochage de la carapace de plâtre sur
l'âme d'argile. C'est dans cette technique qu'ont été réalisés l'essen
tiel du décor de la chapelle E XXIV et le socle en forme de lotus,
voisin de la niche E XXIVk, qui porte un rinceau de feuilles de
vignes et de grappes de raisins (fig. 18). L'utilisation de la même
technique est également attestée en d'autres endroits du sanctuaire.

IV. — La peinture

La peinture murale de Hadda n'était connue que par quelques


rares exemples découverts par J. Barthoux et, à Tapa-é-Shotor
même, par l'ébauche d'un visage masculin mise au jour par mon pré-

18. A. Foucher, AGBG, II, p. 48-63. Pour les Vajrapanis barbus, ibid., fig. 193,
195, 213, 220, 226, 227, 238 a, 243, 266, 267, 271, 276, 277, 281, 328, 331, 332 ;
Sir J. Marshall, The Buddhist Art of Gandhâran, Cambridge, 1960, fig. 61, 63,
68, 72, 84, 96, 113, 118 ; H. Ingholt, Gandhâra Art in Pakistan, New York, 1957,
fig. 92, 99, 100, 104, 188, 189, 224 (sur ce relief de Lahore, différents Vajrapanis
correspondent aux différents Buddhas) 333, 334. En ce qui concerne les Vajra
panis imberbes, cf. A. Foucher, AGBG, II, fig. 182, 189, 191, 194, 197, 199,
245, 251 b, 256, 270, 272, 274, 278, 327, 329, 330, 333, 334 ; Sir J. Marshall
op. cit., fig. 66, 71, 75, 76, 87, 119, 129 ; H. Ingholt, op. cit., fig. 113, 187, 335, 336.
FOUILLES DE HADDA (AFGHANISTAN) 405

Fig. 18. — Hadda, Tapa-é-Shotor : lotus près du stupa circulaire 39 avec


son socle orné de rinceaux de feuilles de vigne et de grappes de raisin.

décesseur sur le stupa 3419. Certains stupas comme les numéros 6, 20


et 36 possèdent également un décor de fleurs de lotus peintes où
prédomine un ton ocre-rouge. Mais l'œuvre la plus significative est
le décor de la grotte A découverte lors de la dernière campagne.
Le creusement de cette grotte dans la région sud-ouest remonte

19. M. et Ch. Mostamandi, Nouvelles fouilles à Hadda 1966-1967, fig. 25


(ancienne numérotation = stupa n° 9).
406 COMPTES RENDUS DE L ACADEMIE DES INSCRIPTIONS

Fig. 19. — Hadda, Tapa-é-Shotor : grotte A, vue d'ensemble avec la paroi du


fond nord-est, face à l'entrée.

à la période IV (ive-ve siècles). C'est lors d'une réfection nécessitée


par un effondrement que fut exécutée la décoration picturale qui
nous est parvenue. Cette réfection date de la période V du site et se
place au vie siècle de notre ère. La grotte excavée dans le conglomér
at naturel se présente comme une galerie voûtée longue de 9,60 m,
large de 2,85 m et haute de 2,20 m. Trois petites niches avaient été
aménagées dans la paroi nord-ouest. Le bas des quatre parois est
occupé par une succession de rideaux de couleurs, alternativement
rouges et blancs ou noirs et gris clair (fig. 19). A l'exception du petit
côté nord-est qui constitue le fond de la grotte face à l'entrée, les
FOUILLES DE HADDA (AFGHANISTAN) 407

Fig. 20. — Hadda, Tapa-é-Shotor : grotte A, détail du rinceau


de feuillages agrémenté de fruits et de sexes masculins.

rideaux sont surmontés d'une frise de feuilles et de fruits dans


laquelle sont suspendues, associées au décor végétal, des paires de
phallus tranchés (fig. 20). Au-dessus de cette décoration, prenaient
place dix personnages masculins dont huit sont en partie conservés.
Sur la paroi du fond, en face de l'entrée, entre deux de ces person
nages, se détachait sur un cadre noir un squelette debout (fig. 19,
21). Les personnages, revêtus de costumes monastiques, sont repré
sentés assis en méditation, chacun sous un arbre au milieu d'un
petit parterre d'herbe émaillé de fleurs (fig. 21). Sauf pour les deux
qui encadrent le squelette, des flammes jaillissent de leurs épaules.
Leurs noms sont donnés par des inscriptions en caractères brahmi
caractéristiques de la période des ve-vne siècles de notre ère. Nous
apprenons ainsi le nom du premier : Upali ; celui du second :
Ananda ; celui du troisième : Maitrayaniputra ; celui du cinquième :
Maudgalyayana (fig. 21) ; celui du sixième : Sariputra ; celui du
septième : Anirudda ; et celui du huitième : Subhuti. Ce sont là les
1976 27
408 COMPTES RENDUS DE L ACADEMIE DES INSCRIPTIONS

Fig. 21. — Hadda, Tapa-é-Shotor : grotte A, détail de la paroi nord-est face


à l'entrée avec représentation peinte du personnage n° 5 (Maudgalyayana)
et de la mort sous forme de squelette.

dix saints majeurs du bouddhisme, disciples directs de Buddha20.


Cette grotte était vraisemblablement un lieu de méditation où les
moines venaient se recueillir sur le cycle de la vie humaine depuis
la procréation jusqu'à la décomposition du cadavre pourrissant.

20. E. Lamotte, Jfiistoire du bouddhisme indien des origines à l'ère Saka,


Bibliothèque du Muséon, vol. 43, Louvain, 1958, p. 767-768 (dans la grotte A
de Tapa-é-Shotor l'ordre n'est pas respecté).
FOUILLES DE HADDA (AFGHANISTAN) 409

Fig. 22. — Hadda, Tapa-é-Shotor : décor en argile


sur le sol de la cour du grand vihara.

Il faut signaler à ce propos qu'une inscription Karoshti du me siècle


de notre ère sur un vase trouvé dans la fouille nous révèle que le
monastère appartenait à la secte Sarvastivadin et qu'il suivait
donc la doctrine hinayaniste21.
Je voudrais, pour terminer, vous présenter une découverte
curieuse. Il s'agit d'un motif décoratif exécuté en argile sur le
sol d'un des portiques du grand vihara (fig. 22) : dans un cadre
carré s'inscrit un carré central déterminant dans les angles quatre
triangles. Chaque triangle est orné d'une triple palmette. Les angles
du carré central sont, eux aussi, remplis par une palmette et le
centre est occupé par un lotus à treize pétales. Ce décor unique,
de caractère tantrique22, marque les derniers jours d'occupation
du monastère.
Telles furent les vicissitudes de ce monastère, tel fut l'enrichisse-

21. Une inscription Kharosthi à l'encre tracée sur un vase de Hadda démontre
également une donation aux maîtres Sarvastivadin aux ne et me siècles de notre
ère : cf. G. Fussman, Une inscription Kharosthi à Hadda, Extrait de BEFEO,
LXI, Paris, 1969, p. 5-9, pi. Mil.
22. Il s'agit vraisemblablement d'un Yantra linéaire, cf. L. Renou et J. Fil-
liozat, L'Inde classique, manuel des études indiennes, Paris, 1947, p. 568-569
(1165-1167).
410 COMPTES RENDUS DE L* ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

ment progressif de son somptueux décor. Si Tapa-é-Shotor ne donne


pas de précisions sur les périodes qui ont précédé le règne de Vasu-
deva23, ni sur celles qui sont postérieures à 620 de notre ère24, son
étude permettra, nous l'espérons, de résoudre la plupart des ques
tions concernant Hadda entre la fin du 11e siècle et la fin du vie siècle
de notre ère.
Tapa-é-Shotor témoigne éloquemment, en tout cas, du phéno
mène capital que fut l'enracinement de l'hellénisme en Asie centrale,
et tout particulièrement dans les régions au sud de l'Hindou-Kouch
où les royaumes grecs se maintinrent jusqu'à vers 50 avant notre
ère, soit pendant un siècle après la chute des colonies grecques de
la Bactriane. Enracinement profond, durable, vivace, plus impor
tantpour l'histoire des arts de ces régions que les influences qui ont
pu leur parvenir plus tardivement par le commerce maritime depuis
la Méditerranée romanisée. Le fait que le Vajrapani assis de Tapa-é-
Shotor reprenne fidèlement le type même de l'Héraclès des tétra-
drachmes d'Euthydème avec la massue appuyée sur l'un de ses
genoux vaut une longue démonstration.

MM. Louis Robert et Jean Filliozat interviennent après cette


communication.

23. En l'absence des légendes visibles sur ce genre de monnaie, il est impru
dentde les attribuer au règne d'un monarque kouchan.
24. R. Gobi, Dokumente zut Geschichte der iranischen Hunnen in Baktrien
und Indien, Wiesbaden, 4 vol., 1967, Émissions 225, 226 : vol. 1, p. 155-156 ;
vol. 2, tableau p. 50 et vol. 3, pi. 57-59.

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