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LA VIE ET LA PHILOSOPHIE D'ABŪ-L-ʿALĀʾ AL-MAʿARRĪ

Author(s): Henri LAOUST


Source: Bulletin d'études orientales , 1943-1944, T. 10 (1943-1944), pp. 119-157
Published by: Institut Francais du Proche-Orient

Stable URL: https://www.jstor.org/stable/41603369

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LA VIE ET LA PHILOSOPHIE

D'ABÜ-L-'ALÄ' AL-MA'ARRÏ

Cette année 1363 de l'hégire, les différents pays de langue arabe ont célébré, avec
un éclat particulier, le millénaire de la naissance de l'un de leurs plus célèbres poètes«
Abü-l-cAlä3 de Macarra, qui, depuis de longues générations, s'est imposé à leur admi-
ration à la fois par la virtuosité de son art, la profondeur de sa pensée et la grandeur de
son caractère. C'est à ce poète, dont on a pu dire parfois qu'il était le poète des philosophes
et le philosophe des poètes, que nous voudrions consacrer les quelques pages qui suivent.
Nous avons jugé, en effet, qu'il était de notre devoir de nous associer à l'hommage que les
Orientaux eux-mêmes lui rendaient, en permettant à ceux qui n'ont, ou ne peuvent
avoir, un accès direct à ses œuvres, de faire plus ample connaissance avec une personna-
lité si énigmatique, qui n'appartient pas seulement à la littérature arabe, mais nous paraît
digne d'être versée au patrimoine de la littérature universelle.
Il ne saurait être question d'analyser les secrets de son art et de sa technique, dont
les beautés, intraduisibles, doivent être goûtées dans leur langue d'origine, ni de
reprendre une question jadis si longuement débattue, mais non résolue, celle de l'influ"
enee d'Abu-l-cAlã3 sur Dante et des origines musulmanes de la Divine comédie (1). Il nous
a paru par contre opportun de présenter, aussi brièvement et clairement que possible,
avec la biographie de ce poète, si tourmentée dans sa simplicité, un exposé des caractères
généraux de sa philosophie, en essayant de les situer sommairement l'une et l'autre dans
le développement historique et doctrinal qui concourt à les expliquer.
. Pour atteindre ce but, celui d'une compréhension synthétique d'un personnage par
certains côtés si complexe, nous avons trouvé une voie particulièrement dégagée. De
nombreux travaux ont déjà été consacrés à l'étude d'Abû-l-cAlâ5 aussi bien en Orient
qu'en Occident (2). Citons la monographie du professeur Tãhã Husain, présentée avec une

1927,
(1) Blochet, Les sources orientales de la VII, p. 266-274; 359-365 ; 404-408;
Divine comédie, Paris 1901. 490-496; 1928, VIII, 91-96; 172-179; 226-230;
Miguei. Asin Palacios, La escatologia 287-291
mu- ; 350-359.
sulmana en « la Divina Comedia », Madrid 1919. (2) On trouvera une bonne bibliographie
- (CR. in Revue du Monde Musulman, XXXVI, générale dans C. Brockelmann, Geschichte der
arabischen Litteratur, Weimar, 1898, I, p. 254-
p. 23 et suiv.; et RMM, XLVII, 1924, p. 214-215.)
QustãkI Al-Homsï, Al-Mawãzana bain 255; Supplement, 1937, I. p. 449-454. On ajou-
tera à cette bibliographie les ouvrages suivants :
al-Ulcûba al-ilâhïya wa Risãlat al-Gufrãn , RAAD,

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120 HENRI LAOUST [2

si grande distinction littér


française, la robuste étude hi
ar-Râgkùtî, l'esquisse conscie
précieuse par les notices qu'el
récemment, l'analyse claire et
cUmar Farrüh. Non moins co
Aux premiers défrichements,
de Margoliouth, puis les fines
enfin les quelques notations,
à ces travaux, auxquels nous a
voyons le lecteur désireux d
d'ensemble différente de cell

I) LA VIE D'ABÜ-L-C
Io) LES ANNÉES DE JEU

Origine et naissance . - Né
florissante qui faisait partie d
qui dépendait alors de la pri
tenait à une vieille famille a
sa famille avait vécu un certa
de venir s'installer en Syrie. S
et plusieurs de ses oncles mat
de quatre ans environ, en 367
Cette cruelle infirmité, que se

Rãgib Tabbãh, dansIclãm Dimašq aii-nubala? , 1941,


235-242 ; al-Macarrï
aš-šahbiř , Alep, 1925, wa-l-ljtašr,
IV, p. 77-
RAAD ,de
longs extraits 1942, XVII,
la p.biographie
15-28; Dïwân Abí-l-cAlď
al-Macarrï , Kitãb
par Ibn al-cAdïm, RAAD , 1943, al-in§ãf
XVIII, p. 116-122; w
Massignon, Mutanabbî
Risãlat al-maWika , RAADdevant le
, 1944, XIX, p. 48-58
et 122-131, - cUmar Farrüh,
de l'Islam , Mémoires de Hakïmal-M amarra,
l'Institu
Damas, tome Beyrouth,
III, 1936,1944. - Revuep.al-Adîè, n° spécial -c
2-3.-
Al-Magribï, Mahtütät cAbat
consacré à Abü-l-'Alä* al-Macarrï, al-w
Beyrouth,
1936, XIV, juin 1944.
p. 3-11.- Yusuf Al-B
- adï% Aug at-taharrl
Revue ak
cial consacré à
can Abû-l-€Alâ5
haitïyat Abí-l-cAlď al-Ma'arrï, al-Ma
édité par
avril 1938. - Ibrahim
Açmad Taimür
Keilani, Damas, Institut Français,BãçA
1944.
(1) Ar-RäökütI, Abä-l-'Ala*
al-Macarrï : nasabahu , šicruhu iva mã ilaih , iv
Le Caire, 1328, p. 28.
Le Caire 1359/1940. - -Anwar
La plupart des Tanüh
Hät
carrl, dans laadopteront
revue les doctrines
Dimašqdes Hâkimïya, 1940
comme
Sàlïm al-Čundí,
le fait Abú-l-xAl(řal-Mac
remarquer ^mar Farrüh, op. cit., p. 85.
a$-§afc?9 (2) Sur cette,
RAAD famille
1941,maternelle d'Abü-l-
XVI,
Abü-1-Ala cAlä' celle des Šubaika, cf. les notes d'ar-Räg-
? wa-1'Mazäaklya , RAA
p. 489-497 kûtl, op. cit.,
; Min p. 35-36.
dirãsa fï tãríh al

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3] LA VIE ET LA PHILOSOPHIE D'ABOU-L-'ALA AL-MAACRRI 121

aspects de sa personnalité, en particulier l'amertume souvent dramatique de sa philosoph


A défaut de renseignements biographiques plus précis, sans doute est-on autorisé
rechercher aussi les origines de cette philosophie dans la situation, souvent douloureus
et confuse, que la Syrie traverse alors, ainsi que dans la coloration particulière qu
prend la vie intellectuelle et religieuse.

La situation politique. - Tandis que le califat abbasside, en pleine décadence, es


tombé sous la tutelle de la dynastie des Bouyides, deux grandes puissances, l'une chrétien
l'autre musulmane, les Byzantins et lesFatimides,se disputent la Méditerranée oriental
Le danger que l'impérialisme byzantin avait fait courir à la Syrie, au lendemain de
prise d'Antioche (359) et de la croisade avant la lettre qui avait conduit Jean Tzimiscèe
aux portes de la Palestine, s'était sans doute atténué sous l'empereur Basile, dont le lon
règne (976-1025) correspond aux années de formation et de maturité d'Abn-l-Alâ3 al-Ma
carrï. Mais le nouvel empereur, bien que détourné quelque peu de l'Orient par ses diff
cultés intérieures et la guerre bulgare, reste encore assez puissant pour conserver ses
principales conquêtes, rétablir, par de soudaines interventions personnelles, une situatio
compromise et maintenir intacte la légitimité de ses prétentions (1).
Les Fatimides, installés au Caire dès 362, s'efforcent eux aussi, autant dans un
esprit de sécurité stratégique que de conquête, d'étendre leur domination sur Alep et
Syrie du Nord. Le calife al-cAzïz (365-386) (2), après de multiples et confuses péri
péties, réussit à asseoir l'autorité des Fatimides à Damas, en 372, mais les divers
campagnes que, dès cette date, il entreprend contre Alep, avec la complicité d'u
général transfuge des Hamdanides, l'émir BakgQr, ou avec l'aide d'un chef de gra
talent, Anostakïn, échouent devant la résistance des Hamdanides ou une interventi
byzantine. La mort d'al-cAzlz survient en 386, au moment même où il s'apprêtait
marcher, avec des forces accrues, contre la Syrie du Nord, sur laquelle son successeur
al-Hãkim (3) va avoir le privilège d'étendre son obédience.
Menacés par cette double poussée des Byzantins et des Fatimides, affaiblis par leur
divisions intérieures et les intrigues de quelques-uns de leurs généraux, les Hamdanide
dont la dynastie avait brillé d'un si vif éclat sous Saif ad-Daula, sont sur un déclin précoc
Sacd ad-Daula (356-381) réussit à reconquérir et à maintenir une indépendance précaire
mais son fils Sacid ad-Daula tombe bientôt sous la tutelle de l'émir Lulu3, qui le fa
assassiner, et dont le fils Mansur, dès son avènement en 399» s'empresse de reconnaîtr
la suzeraineté du calife al-Hãkim. C'est à cette époque également que l'on assiste a
débuts d'une nouvelle dynastie, que nous retrouverons plus tard, d'origine bédouin

al-cAzîz, in EI. - Wiet, Histoire de la nation


(1) Vasiliev, Histoire de l'Empire byzantin
(traduit du russe par Brodin et Bourguina),
égyptienne , Paris, 1937, p. 188-194.
Paris, 1932, I, p. 408-414. (3) Ibn Katïr, op. cit., XI, p. 320 et sur-
(2) Ibn Katïr, Al-Bidäya wa-n-nihãya, XII,
tout Le p. 9-10. - Graefe, notice sur al-Hãkim
in ELsur
Caire, s. d., XI, p. 320. - Koenig, notice - Wiet, op. cit., p. 195-214.
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122 HENRI LAOUST [4

elle aussi, celle des Mirdasides


célébrer la hutba au nom des

La situation culturelle. - Tou


Fatimides - sont des dynastie
siècle de l'hégire, durant lequ
siècle ismaélien de l'Islam. L'is
par les œuvres du grand juris
leurs nombreux missionnaire
d'une doctrine d'Etat. 11 rep
sunnisme ; hostile à un ésotér
quelques-unes des idées les p
construit une manière de reli
demeurant fort bien de la
Chrétiens.
La tradition du chiisme ext
franc-maçonnerie qarmate (4)
pris naissance dans la région
avait un moment même mena
Bahrain, un rudiment d'organ
en juge par l'acharnement qu'
Par son rationalisme intégr
relativisme religieux, l'idéalis
d'une société secrète initiat
messianisme insurrectionnel.
Cette extension du chiisme s
parler, mais d'une diffusion t
héritées de l'Antiquité grecq
de cette science, amalgame
néo-pythagorisme et à Ptolém
juge par le vocabulaire des Lü

(1) Pour p. 105-109 ; A creed of d'Alep


l'histoire the Fatiniids, Bom- à ce
voir les deuxbay,notices
1936. de Sobernh
sub Hamdanides et Mirdãsides. Deux bonnes (4) Massignon, Esquisse d'une bibliogra-
phie
histoires modernes, en langue arabe, ont étéqarmate, Cambridge, 1922 ; et la notice
consacrées à Alep : Rãóib Tabbãh, 1'lãm
Kar mates in EI.
an-nubala1 bi târîh Halab aš-šahbď, Alep, 1925,(5) Sur les luttes entre Fatimides et
Qarmates à Damas et l'incursion qarmate en
I. p. 299-318 et Kãmil Al-Gazzï, Nahr ad-dahab
fl târîh Halab, Alep, 1926, III, p. 66-67. territoire égyptien, voir lyi Bidãya, XI, p. 269
(2) Fyzee, Qadi an-Nu'mân, the fatimid(sous l'année 360) ; XI, p. 277 et 280.
jurist and author, JRAS, 1934, p. 1-32. (6) Voir le récent travail de P. Krads,
(3) Ivanow, Ismâ'lllya in El, Supplément,
Jãbir ibn Hayyân , Le Caire, 1942.

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5J LA VIE ET LA PHILOSOPHIE D'ABOU-L-'ALA AL-MA'ARRI 123

Les premières années (363-378). - C'est à Macarrat an-Nucmãn, où l'élément chiite


devait ne pas être absent, puisque nous savons par ailleurs qu'il était prédominant dans
les grandes villes de la Syrie du Nord, telles qu'Alep, Antioche* Lattaquieh et Tripoli (
qu'Abo-l-cAlã3 reçut, sous la direction de son père, sa première éducation philologique e
littéraire. Très tôt, en 377/987, alors qu'il n'avait encore qu'une quinzaine d'années,
perdit son père, sur lequel nous n'avons malheureusement aucun renseignement tr
précis et dont il fit l'éloge dans un poème qui nous a été conservé (2). Dans c
vers, tout spontanés, et où son père apparaît comme un homme fort pieux, réserv
d'une haute dignité de vie, on voit poindre, chez Abü-l-'Alä5, les sentiments de doute,
d'inquiétude religieuse, d'amertume métaphysique dont les poèmes de la maturité sero
souvent nourris :

« Nous sommes dans l'ignorance. Nous n'arrivons pas à connaître, malgré tout notre
désir, ce que la destinée veut de nous. La science n'appartient qu'à Dieu, dispensateur de
tout bien.
- Une fois descendu au tombeau, l'homme garde son secret et ne nous livre pas ce que
nous aimerions savoir. »

Les voyages en Syrie du Nord ( 37 8-3 8 h ). - A une date qu'il est difficile de pré-
ciser, sans doute entre 378 et 384, Abü-l-cAlä3 al-Maarrï alla continuer ses études à Alep
auprès d'un de ses oncles maternels. La vie intellectuelle, bien que sur son déclin, était
toujours brillante dans la grande capitale hamdanide. A Alep, Abû-l- Alâ5 étudia sous la
direction de disciples du philologue Ibn Hälawaih, et put aussi fréquenter quelques-unes
des riches bibliothèques qui s'y trouvaient, en particulier celle de la grande mosquée,
dont un poème du poète chiite al-Hafâgl nous apprend l'existence, et qui devait être
incendiée, durant le séjour d'Abû-l-cAlâ:>, au cours de bagarres entre Sunnites et Chiites,
un jour de cašůrď (3).
Certains biographes - al-Qiftï et ad-Dahabi - affirment qu'Abü-l^Alä5 se rendit
ensuite à Tripoli et, qu'avant d'arriver dans cette dernière ville, il fit halte, près de
Lattaquieh, dans un monastère, où l'un des moines lui enseigna la philosophie et l'amena
au doute. D'une anecdote rapportée par l'émir Ibn Munqid, l'ancêtre des princes de
Chaizar, on a pu conclure qu'Abü-l-cAläD serait aussi allé étudier dans les bibliothèques
de la ville d'Antioche.
L'historicité de ces voyages a été parfois mise en doute. Le biographe alépin Ibn
al-cAdîm, qui les nie, fait remarquer que Tripoli ne devint une capitale intellectuelle
florissante, digne d'attirer un lettré comme Abü-l-cAlä' que beaucoup plus tard, quand
le cadi chiite Ibn cAmmãr,qui s'y était rendu indépendant, y eut fondé, en 472/1079, une
célèbre université (dãr al-Hlni) et une bibliothèque, dans laquelle plusieurs des œuvres

(1) Massignon, in Motanabbi , op. cit, p. 6. (3) Rägib Tabbäh, op. cit9 IV, p. 137-138,
(2) Sur ces premières années, cf. TãhIbiographie ďal-Hafagl (+ 466), IV, p. 201 ; cf.
Husain, Tagdïd, p. 121-131 et Râgkûtï, op. cit., aussi Brockelmann, GAL , I, p. 256 et Supplé-
p. 65-66. ment, I, p. 454.

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124 HENRI LAOUST |6

d'Aba-l cAlã3 devaient


remarquer qu'à l'époque d'
que les Byzantins, au lend
musulmane - affirmation
(-)- 455/1063), qui visita A
colonie musulmane y susbs
Parmi les auteurs contem
la Revue de l'Académie Ar
l'opinion d'Ibn al-cAdlm
admettent les voyages d
trouver quelques allusions
La jeunesse ďAbú-l-^Al
qu'en 398/1008, date de s
ville natale, où il enseigne
fervent du grand poète M
duquel il songera à deven
bien vite. L'influence de M
cAlã5, et ce n'est pas sans
sophie morale (4). L'évolu
de son père en 377, se d
Abd-l^Alâ5 devient végéta
qu'à l'occasion des deux gr
des sacrifices.

Cette période de jeunesse


tuelle. Parmi les œuvres le
épîtres ( rasa1 il ) qu'Abd-l
de sujets philologiques
abondent en allusions et
de la rhétorique savante
virtuosité inégalée (5). Ce m
œuvre de la même époque
qui ne peuvent manquer

(1) Sur cette discussion,


(5) La correspondance d'Abü-l-'AIä' a été cf
d'Ibn al-c Adira dans
éditée avec une traduction, des notes fort pré- l'histoi
Tabbãh, IV,
cieuses etp.
une longue 135-138
biographie par Margo- ; et
p. 66-71. liouth, Letters of Abã-l-cAlã>, Oxford, 1898.
(2) Râgib TabRâh op. cit, IV, p. 192-193. (6) Sur ce caractère artificiel d'une partie
(3) Sur cette période, voir Ra&kûtï, op.cit. de l'œuvre d'Abü-l-'Alä', voir aussi les remar-
p. 84-86. ques de Gibb, Arabie Literature, Londres, 1926,
(4) R. Blachère, Motanabbi, Paris, 1935, p. 63-64.
p. 278.

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7] LA VIE ET LA PHILOSOPHIE d'ABOU-L-'ALA AL-MAcARRI 125

Mais l'œuvre maîtresse de ces années de jeunesse, c'est incontestablement le premier


grand recueil poétique, le Saqt az-zand, YÉiincelle du silex, où l'on trouve des
panégyriques, des élégies, des pièces de circonstances d'une rare élégance, et, à côté
d'exemples de profond lyrisme, une poésie intellectuelle parfois fort délicate. On n'y
trouve, par contre, aucun des thèmes favoris de la philosophie qui s'affirmera dans les
poèmes de la maturité (1).

A bü-1-A là' et Abü-1-Qäsim al-Magribï. - Erudit et poète déjà connu, Abü-l-cAläJ


entretient, dès cette époque, de nombreuses relations avec des lettrés, des grammairiens,
des poètes ou des juristes. Citons, parmi quelques-uns des personnages qui se lièrent plus
particulièrement avec lui, le cadi hanafite Aba Hamza at-Tanûhl, qui devait mourir en
l'année 400/1009 et à qui Abu-l- Alã5 allait consacrer l'une de ses plus belles élégies. Le
vizir Abü Nasr al-Munâzl, qui est alors de passage à Macarra et que nous retrouverons
plus tard à Bagdad, soumet déjà à Aba-l-cAlã3 quelques-uns de ses poèmes.
Certains critiques ont pensé qu'Abû-l-'Alà3 avait été, à cette époque, en relations
avec un homme politique fort intrigant, Abû-l-Hasan al-Magribï, ennemi irréductible des
Hamdanides, contre lesquels il avait comploté à Rakka auprès de l'émir Bakgar, puis au
Caire auprès du calife fatimide al-cAzïz. On a même été parfois jusqu'à supposer qu'Abü-
l-cAlã3, chargé par ses compatriotes de répondre à une communication de cet Abü-1-Hasan
al-Magribï, se serait nettement déclaré en faveur des Fatimides. Mais, ainsi que Tahâ
Husain l'a fait remarquer, Abû-l-cAlâ' encore bien jeune à l'époque des intrigues d'Abü-1-
Hasan, n'entretint en réalité de relations, elles-mêmes toutes littéraires, qu'avec le fils de
ce dernier, Abü-1-Qäsim al-Magribï, connu sous le nom ďal-Wazír al-Magribï. Littéra-
teur distingué, Aba-1-Qãsim, en 394, à l'âge de vingt quatre ans environ, avait dû s'enfuir
d'Egypte, où sa famille était tombée en disgrâce, et était allé intriguer contre al-Hãkim
en Palestine, à la Mekke, à Bagdad, avant de mourir, brouillé avec Fatimides et Abbas-
sides, en 418, à Mãiyãfãriqln (2).

Les raisons du départ pour Bagdad. - De fort bonne heure, Abû-l-'Alâ3


avait conçu le dessein de se rendre à Bagdad, ou résidait son oncle maternel Abu
Tãhir (3). Il ne devait réaliser ce projet, que dans l'âge mûr. La raison essentielle
de son départ, en 398, fut son désir de parfaire sa formation littéraire et
philologique dans la ville qui était encore la capitale intellectuelle du monde
müsulman et où il était assuré de trouver de riches bibliothèques comme de
*

(1) C. Rieu, De Abul Alae vita et carmini - Husain, op. cit., p. 135-137. - Sur la biographie
bus , Bonn, 1843. - Ed. de Büläq, et de Bey- d'Abü-1-Qäsim al-Magribï, cf. la Bidãya, XII,
routh, 1884. - Plusieurs commentaires arabes p. 23.
ont été publiés ; cf. GAL , I, p. 255 et Supplément, (3) Il lui demande une copie du commen-
I, p. 452. - Voir aussi Tãhã Husain, Tagdïd, taire du Kitãb de Sïbawaih, qu'avait composé
p. 194. Abu Sacld as-Sïrâfï (+ 368). Râgkûtï, op. cit.
(2) Râgkûtï, op. cit. p. 87-90. - Tãhã p. 86.

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126 HENRI LAOÜST [8

rencontrer les savants et les


ment poussé à entreprendre
d'une Syrie profondément t
vivait dans la crainte continu
saurait' douter. Plusieurs pa
datent de cette époque, nous

2°) LE SÉJOUR D'ABÛ-L

La décadence politique de B
devait y rester que relative
abbasside est alors al-Qâdir, lu
La réalité du pouvoir politiqu
dont la dynastie cependant,
signes de défaillance (3). C'est
des conquêtes de Mahmad le
rapporte (4). On ne saurait m
constater combien était alors
nom est acclamé en 398 au
crise de dévotion, en l'an 400,

La vie intellectuelle à Bagdad


que la situation politique y e
déjà, est le siège d'une école d
celles de Basra et de Kafa. Que
arabe y vivent quand Abü-l^
Aba Hamid al-Isfarä inl (-J
et du peuple, et dont les tr
disciples (6) ; Abfi-l-cAlã3 lu
encore un autre chafiite, l
rendu célèbre par son traité d
desBätinlya (7). En dépit de
hanbalisme n'a pas encore à
Bien que Bagdad soit une gra

(1) Râôkûtï, p. 29-30.op, cit. p. 102-10


Husain, op. cit. p.
(5) Bidãya, XI, p.138.
338 - 339; p. 342 ;
(2) Bidãya, p. XII, 345-346 ; XI, p. 348.p. 31. - Notic
tersteen, in El, (6) Bidãya , II,
XII, p. 2 et p.
3. 647.
(3) Bidãya, XI, (7) Bidãya, XI,p. 349-350.
p. 350-351. - Brockel- - N
Zettebsteen, mann,in EI, I, p. 585.
EI, I, p. 616.
(4) Biographie dans la Bidãya, XII, (8) Bidãya, XI, p. 349.

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9] LA VIE ET LA PHILOSOPHIE d'ABOU-L-cALA AL-MA'ARRI 127

nombreux et fort unis doctrinalement (1). Ahmad al-Masawi, qui occupe le poste de naqïb
des Alides,est le chef d'une famille aussi puissante que celle du calife ; quand il meurt en
400, Abû-l-cAlâ5 lui consacre une élégie (2). Ses deux fils sont des littérateurs également
fort célèbres : le poète aš-Šarif ar-Rãdl (3) (-f-406), et aš-Šarlf al-Murtadä (4), l'auteur
présumé du Nahý al-baläga et dont Abü-l-(Alá5 devint l'ami. L'époque des Bouyides, si
favorable au développement du Chiisme, ne l'est pas moins à celui du muctazilisme et de
la philosophie : Avicenne, rappelons-le, meurt en 428.
Abo-l-cAlâ5 devait, d'autre part, trouver à Bagdad deux grandes bibliothèques pu-
bliques dont les conservateurs allaient devenir ses amis : la bibliothèque des califes, qui re-
montait à Härün ar-Rašld, et la bibliothèque chiite que Sâbûr, le ministre du sultan bouyide
cAdud ad-Daula, avait fondée en 381 en même temps qu'une université (5). Abû-l^Alâ5
donc allait vivre à Bagdad - où il habite le quartier de Karh - dans une forte
ambiance muctazilite et chiite, et il est permis de supposer qu'il n'a pas été sans en res-
sentir l'influence, dans une mesure qu'il resterait toutefois à déterminer.

La vie ď Abn-l^Alď à Bagdad. - Bien que les historiens soient avares de rensei-
gnements sur le séjour d'Abü-l-cAlä3 à Bagdad, nous pouvons toutefois, à la lecture de ses
propres œuvres, arriver à nous faire quelque idée de la vie qu'il y mena (6). A en juger
par une lettre qu'une fois de retour à Macarra, il adressa à son oncle Aba Tãhir et
dans laquelle il se flatte de ne plus avoir eu de maitre, aussi bien en Syrie qu'en Iraq,
depuis l'âge de vingt ans, Abû-l-(Ala3 ne s'attacha, à Bagdad, à aucun enseignement
particulier. Si nous en croyons cependant la tradition , il aurait eu l'intention d'assister
avec quelque assiduité aux conférences du grammairien Abü-1-Hasan ar-Rabaci, mais
l'insolence avec laquelle il aurait été accueilli, l'aurait détourné de ce projet (7). Dès
son arrivée à Bagdad, où l'avait précédé une réputation que son séjour devait encore
accroitre, Abû-l-cAlâ3 participe aux principales réunions intellectuelles de la capitale«
chez al-Murta(lâ, à la mosquée d'al-Mansûr, chez le cheikh al-Wãgikã, et fréquente plus
particulièrement la bibliothèque de Sabor. 11 continue aussi d'écrire, et plusieurs
des poèmes qu'il compose alors - panégyriques ou élégies - figurent dans le Saqt
az-zand. Son autorité de critique littéraire est déjà suffisamment reconnue pour que plus
d'un poète - et non des moindres - viennent lui soumettre leurs vers.
Mais, si important que soit ce séjour, il ne semble pas que l'on puisse soutenir qu'il

(1) Cf. la remarque de la Bidãya,Krenkow


XII, dans EI.
(4) Bidãya, XII, p. 53. - Notice de
p. 15. « Une grande partie du monde avait de
Brockelmann in EI.
vives sympathies pour le chiisme ». Biographie
d'Ibn an-Nucmän p. 413 : « C'était le porte-
(5) Sur ces deux bibliothèques voir les
remarques
parole et le maître des Imâmlya. . » Ar-Râdï et de RâôkûtI, op. cit. p. 115-121.
al-Murtadfi étaient ses élèves. (6) RâgkûtI, op. cit. p. 113-172.
(2) Bidãya, XI, p. 342-343. - Râôkûti, (7) Sur l'incident avec ar-Raba'ï (+ 420),
op. cit. p. 151. Cf. Râgkûtï, op. cit. p. 134-138. - Biographie
(3) Bidãya, XII, p. 3-4, - Notice de dans la Bidãya, XII, p. 27.

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128 HENRI LAOÜST [10

amena une révolution dans


Bagdad la philosophie amèr
les Luzûmîyât. On peut difficile
serait converti à l'ascétisme h
Subuktakln, dont le retentiss
grand que l'illustre sultan se pr
connaissent encore fort mal l'I
Nous avons pu déceler les pre
d'Abü-l-cAläJ dans l'une de
depuis 393, lui-même s'adonn
induire enfin, d'une tradition
certains disciples du théologie
preuve, à Bagdad, de quelque sc
l'Islam. Il aurait posé aux fuqah
tradictions du droit pénal et su
pas sans présenter quelque inté
celles que la catéchèse des Ismaé
religion d'origine, pour l'amene
de la secte, en particulier à celu
notre hypothèse, à savoir qu'Ab
formées, et que ce n'est pas d'Ir
et de la Risälat al-Gufrãn.

Les amis et les disciples ďAbú


l'ont prétendu, qu'Abû-l-cAlâ3 a
8ide al-Qädir et qu'il ait été, en
qasîda de ce genre. Bien au cont
semble avoir été plutôt frappé p
tombé si bas, nous dit-il, que
mains des chasseurs» (4). Son
prédisposait assez mal à réuss
où la complaisance empressée
adeptes richement récompensés
Parmi les amis et les admirate
il fut particulièrement lié mér

(1) des Falimides


Massignon, d'Egypte, BIFAO, 1921, XVIII,
Lexique techniq
mystique p. 121.
musulmane, Paris, 1922.
(2) Voir la discussion dans Râôkûtï, (4) RâckûtI, op. cit. p. 139-140. - Ni-
op. cit., p. 135-137. cholson, Studies in islamic poetry, Cambridge,
(3) On trouvera un bon exemple de cette
1921, p. 96. note I et p. 108.
catéchèse dans Casanova, La doctrine secrète

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11] LA VIE ET LA PHILOSOPHIE D'ABOU-L-'ALA AL-MAcARRI 129

des philologues. Le grammairien Abo cAli ibn Furraga, originaire d'Isfahan, était
aussi un admirateur de Mutanabbî, dont il critiquait la recension faite par Ibn Ginni
sans doute put-il compléter, auprès d'Abû-l^Alâ5, sa connaissance du grand poète de S
ad-Daula (1). - Le cadi at-Tanühl le jeune, fils de l'auteur du Niàwãr al-muhtãdara
lui-même littérateur distingué, était en outre connu pour ses sympathies muctazilite
et chiites (2).
Un troisième personnage, grammairien et philologue lui aussi, Abo Ahmad cAbd as-
Saläm, connu sous le nom d'al-Wãgikã, pose un petit problème d'histoire littéraire (3)
Râgkûtï pense qu'al-Wâgikâ était alors conservateur de la bibliothèque des calife
tandis que le cheikh Abû Mansar avait la charge de la bibliothèque de Sâbûr. Or, si no
en croyons, entre autres historiens, al-Hatïb al-Bagdâdï et Ibn al-Gauzî, al-Wãgikã fu
bibliothécaire du dãr al-Hlm ou du dãr al-kutub, terme par lequel on devra comprend
la bibliothèque de Sabor, comme nous le dit expressément as-Safadi. Peut-être pourrait-
supposer que, fort âgé lors de l'arrivée d'Abü-l-'Alä3 à Bagdad, al-Wãgikã avait abandon
ses anciennes fonctions et que celles-ci étaient alors exercées précisément par le cheik
Abû Mansur (4). Quoiqu'il en soit, il est certain qu'Abü-l-'Alä3 se lia d'une vive ami
avec al-Wãgikã, à qui il dédia un poème et auquel il devait faire plusieurs allusio
dans ses œuvres. Nous savons d'autre part qu'Abü-l-cAlä:i assistait fréquemment a
séances littéraires qui se tenaient chez al-Wãgikã; lui-même évoque ces réunions d'« am
fidèles» ( ihwäix tís-safď)t où l'on a parfois voulu voir, bien gratuitement, des réunio
secrètes sur le modèle de celles qu'évoque le simple titre de la grande encyclopé
qarmate(5).

La brouille avec al-Murtadã et le départ de Bagdad. - Bien qu'il exprimât souvent


la vive nostalgie qu'il ressentait pour Macarra et la Syrie, Abü-l-cAlä5 semblait décider à
séjourner fort longtemps à Bagdad. Si l'on en croit la tradition, un incident lui aurait
donné l'idée du départ. Au cours d'une discussion sur les mérites de Mutanabbî, il se
serait brouillé avec as-Sarïf al-Murtadâ, qui détestait violemment le grand poète
hamdanide (6). A vrai dire, Abo-l^Alã' semble avoir eu un sentiment assez hautain
de sa propre valeur, et l'amour de la gloire littéraire fut toujours l'une de ses grandes

(1) R. Blachère, Molanabbî, op. cit., (6) Au cours d'une discussion littéraire,
p. 277-278. - Remarques intéressantes dansal-Murtadã attaque vivement al-Mutanabbï.
Râgkûtï, op. cit., p. 162 et aussi p. 143. Abü-l-cAlä5 lui réplique en disant que tel
(2) Courte biographie dans la Bidãya,XUtfameux poème de Mutanabbî, dont il se borne
p. 67. - Cf. Râgkûtï, op. cit., p. 130-131. -à citer le premier vers, suffit à consacrer la
Notice de Paret, in El. gloire inégalable de Mutanabbî. Al-Murtadã,
(3) Râôkûtï, op. cil., p. 121-126. furieux, fait remarquer qu'Abü-l-cAlä' a cité ce
(4) Ragkùtï, op. cit., p. 126-130. poème uniquement parce qu'on y trouve levers
(5) Voir, sur ce sujet, les remarques desuivant : « Si quelque sot vient à me critiquer
Tãhã Husain, Tagdïd, p. 151, et les critiquessache que c'est là la preuve de ma perfection.»
de Râgkûtï, op. cit., p. 125. - Salïm Al-Ôundï,Cf. Tãhã Hüsain, Tagdïd, p. 152-154. -
RAAD, 1941, XVI, p. 346-351. Râgkûtï, op. cit., p. 155.

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130 HENRI LAOUST [12

faiblesses. Bagdad ne lui avait p


était en droit d'en attendre. D'
de la maladie de sa mère et l
natal. Dans le dernier des poè
àïbn al-Furraga, qui le pressait
quelques nobles pensées sur l'a
dans la retraite la plus complèt
déceptions personnelles, était
ascétique vers lequel nous l'avon

3°) LE RETOUR D'ABÜ-L-C

L'évolution politique de WO à
de l'année 400, c'est toujours l'é
en plus menacée par l'ambitio
en 402 et 405, est sur le point
rivalité, et de l'imbroglio d'int
Alep, de 406 à 414, des gouvern
sant de ces gouverneurs fut cA
une principauté indépendante
fatimide, déjà affaibli par les i
faire face en Syrie, en 414, à
au cours de laquelle Sãlih b.
(427-487) réagit avec vigueur et
idéologique (4). 11 lui faut, en e
des Salguqides qui, dès 430, s'
intervenir à Bagdad même, o
décadence des Bouyides (5).
La dynastie des Mirdasides qu
et réussira à s'y maintenir, ave
d'elle-même pour ressusciter
vassaux des Fatimides, les Mird
égyptiens. Le règne de Sãlih b.

(1) Ragkûtï, Wiet,


o Histoire
p. cit., de
p. 161-164.
(2)
Râ&kûtI, op. cit. p. 227-235
p. 214-218.
(4) Bidãya, XII, 148. - Wiet,
Tabbãh, Tãrlh Halab, I, op.p.cit. 315-334
d'Anuàtakln p.ad-Dizbirl
219-254. - Importante notice de Gibb età la p. 3
Al-GazzI, NährKraus dansad-dahab,
EI. III, p.
Al-Qalânisï, History
(5) Bidãya, XII, of p. 45. Damascus,
Leyde, 1908, p. (6) 69-85.
Pour l'histoire des Mirdasides, indé-
(3) Bidãya, XII, p.
pendamment des 39. - plus
ouvrages cités Ad-Dahab
haut, voir
dawal al-lslãm, Haidarãbãd,
Sobernheim, Halab, in El, II, p. 240-252. 1337

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13] LA VIE ET LA PHILOSOPHIE D*ABOU-L-cALA AL-MA'ABRI 131

partie de la Syrie, est aussi court que brillant, et celui de son fils Šibl ad-Daula
Nasr (420*429) offre l'affligeant spectacle de luttes fratricides où s'entremêlent intrigues
byzantines et fatimides. Leur commun vainqueur, le gouverneur fatimide de Damas
Anuštakln, réussit à grouper, sous une ferme autorité bientôt déçue par le Caire,
de 429 à 433, les deux principautés de Damas et d'Alep. Ce n'est qu'avec Timâl, un
autre fils de Sãlih, que la dynastie mirdaside réussira à se rétablir à Alep, où elle
demeurera jusqu'à la mort d'Abü-l- Alä) en 449.

La vie de retraite à Macarra. - Une fois rentré de Bagdad, au début de l'année 401,
et jusqu'à sa mort en 449, Abü-l-cAlä3 ne devait plus quitter Macarrat an-Nu mãn (1). Il
y vécut dans cet ermitage de solitude et d'ascétisme qui devait contribuer à façonner,
devant la postérité, sa physionomie légendaire. Lui-même s'est donné le nom de double
prisonnier : prisonnier de sa cécité et prisonnier de la demeure qu'il avait fait le vœu de
ne plus quitter. La mort de sa mère, qui survint au cours de son voyage de retour, lui
causa une immense douleur, qu'il exprima en de fort beaux vers, et ne fit que le raffermir
dans sa volonté de renoncement et d'austérité (2).
Son activité restait ce qu'elle avait toujours été. Il enseignait la grammaire, la
philologie et les belles lettres, et nombreux étaient les étudiants que réunissait autour de
lui sa renommée de professeur. Il continuait de composer ; de cette période datent
ses grandes œuvres poétiques, dont nous aurons à reparler, et qui portèrent très loin,
jusqu'en Andalousie, sa réputation littéraire. On s'est souvent demandé quels étaient
ses moyens d'existence. Il est certain qu'il ne connut jamais la pauvreté, bien qu'il en ait
fait l'éloge dans quelques-uns de ses vers, mais qu'il vécut dans une aisance relative, à en
juger par les dons en argent qu'il lui arrivait de faire à des voyageurs de passage. Sans
doute disposait-il des revenus d'un modeste bien de famille, et peut-être aussi consentait-il
à accepter quelques menus dons de ses élèves ou de ses compatriotes ; il refusera en tout
cas toujours les pensions officielles qui lui seront parfois offertes (3).
Indépendant, Abü-1-Alä3 le restera toujours, mais pas au point de vivre hors
de son temps et impassible devant les événements souvent douloureux dont il
est le témoin. Sans entrer dans le détail de ces événements, dont nous avons rappelé
plus haut la chronologie sommaire, il peut être intéressant de se demander ce que furent
les relations d'Abü-l-cAlä3 avec les Mirdasides, les Fatimides, leurs gouverneurs ou
leurs missionnaires. Les rapports qu'il entretient, ou refuse d'avoir, avec certains person-
nages politiques expliquent certaines de ses œuvres, et peuvent aussi contribuer à donner
la raison dernière de quelques-uns des aspects de sa philosophie morale.

Âbû-l-rA l(f et les Mirdasides . - Ennemi de tout excès et discipliné par raison,

(1) Sur cette dernière partie de RâgkûtI,


la vie op. cit. p. 176-177.
d'Abü-l-'Alä5 cf. Tãhã Husain, Tagdïd,
(3) Tahã Husain, op. cit. p. 176-179. -
p. 167-186. - Râêkûtî, op. cit. p. 183-256.
RâôkûtI, op. cit. p.. 71-83.
(2) Tahã Husain, op. cit., p. 160-163. -

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132 HENRI LAOUST [14

Aba-1-Alã3 témoigna aux dive


respectueuse. Avec les Mirdas
entretint des relations distan
remportent, en Palestine, sur
à Sãlih b. Mirdä8, de s'empar
conquêtes; Aba-1- Alã3 consac
nettement parti, un poème d
inutiles et le carnage sacrilèg
selon toute vraisemblance, il
patriotes, auprès de Sãlih b. Mi
obscures de son ministre chréti
les principaux notables. L'inter
apaisa le violent courroux du
que le mirdaside Timãl qui rég
instances d'al-Mustansir, une p
Abvt-l^Alď et les Fatimides.
tous les milieux modérés^ qu'ils
bien des cas, à se détourner de
leur action. Dans plusieurs ve
doctrine fatimide, celui de l'inf
« Une dynastie orgueilleuse et
nouvelle, qui est elle-même prison
- Cette dynastie prétend que ce
moi je jure qu'il n'en est rien.»
Quand al-Hâkim propose de
Abü-l^Alä5 décline cet honne
reproche, à certains souverains
qu'Abü-l-cAlä' si réservé déjà
vive hostilité à l'égard de sec
Il tourne en dérision la croyanc
la nouvelle secte des Hãkimiy
après sa disparition mystérieus
l'avènement d'une ère de souve

(1) Rãúib Tabbãh, 'I' tiri h Halab, IV, (3) Rãgib Tabbãh, op. cit. IV, p. 153.
p. 145. - Tãhã Husain, op cit p. 173-175. - (4) Tãha Husain, op. cit., p. 287-288. -
Râgkûtï, op. cit., p. 238-241. - 'Umar Farrûh, Nicholson, op. cit., p. 183.
Hakïm al-Macarra, p. 27-28 et p. 32. - Nichol- (5) Nicholson, op. cit., p. 102. - Remar-
son, Studies in Islamic poetry, p. 97, 98, et 101.ques importantes sur les relations entre Abu-1-
(2) Nicholson, op. cit., p: 101 note 7 ; 'Ala' et les Druzes in 'Umar Farrûh, op. cit.,
p. 101-103, 105, 166. p. 85-89.

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15] LA VIE ET LA PHILOSOPHIE D'ABOU-I -{ALA AL-MACARRI 133

pas ménagé la secte dont les Hâkimiya sont issus, celle des Qarmates, au
adresse des critiques rappelant celles que leur font habituellement les hér
sunnites. Il dénonce* dans l'action des Qarmates, une offensive dirigée contr
les Arabes; il leur reproche leur apostolat belliqueux et accuse leurs c
nourrir que des ambitions personnelles (1).

Abu-l-cAlď et les gouverneurs fatimid.es d'Alep. - Abü-1- Alä3, par contre


de fort bonnes relations personnelles avec les deux principaux gouverneur
d'Alep. cAzïz ad-Daula Fãtik (407-413), auquel nous avons fait plus haut allusio
porter à Aba-l-cAlã' quelque amitié, puisque nous le voyons se rendre parfois
an-Nucmãn auprès du poète (2). Abû l-cAlâ5 composa pour lui un ouvrage, qu
en partie conservé, al-Lãmi c al-cAzlzï: c'est un important commentaire d
Mutanabbl, dans lequel de fines critiques d'artiste se joignent à une incompar
dition philologique (3). - Anustakln lui aussi, gouverneur de Damas et d'A
à 433, recherchera l'amitié d'Abü-l-cAlac, qui composa pour lui un ouvrage, a
perdu, le Kitãb šaraf as-saif (4). Sans doute ces deux grands gouverneurs,
l'un et l'autre, d'amenuiser les liens qui les rattachaient au Caire, ont-ils voulu
Alep le rayonnement littéraire que la ville avait connu à l'époque de Saif ad-D

Abii-l^Ala" et al-Mďaiyad. - Il serait d'un intérêt historique indéniable


à préciser la nature exacte des rapports d'Abü-l-Alä5 avec al-Mu1 aiyad, le gran
naire ismaélien (5). Chargé tout d'abord de la propagande f atimide à Chiraz,
yad avait dû quitter cette ville en 439 et, par Bagdad et Mossoul, sans passer
par Macarrat an-Nucmãn, il s'était rendu au Caire, où le calife al-Mustansir e
le chef suprême de la propagande ismaélienne. Il faudra, pour se faire une op
vée sur une telle question, attendre que les principales œuvres d'al-Mu'aiyad s
publiées : son autobiographie, son dïwan qui contient quelques spécimens de p
losophique, ses Maijãlis enfin, où il semble que l'on doive retrouver quelqu
problèmes religieux ou philosophiques qui ont préoccupé Abü-l-cAlä' C'e
gãlis déjà qu'avait été extraite la correspondance qu'al-Muaiyad échangea a
Alã3 au sujet du végétarisme. La discussion fut conduite, entre les deux hom
beaucoup de courtoisie et une grande recherche littéraire. Elle trahit cependa
inquiétude de la part d'al-Mu'aiyad, qui voulait obtenir d'Abü-1- Alä3 une con
règle sur la nature de ses croyances théologiques. La mort d'Abu-l-cAlã5 vint i
cette savante correspondance.

(1) Nicholson, op. cit., p. 103-116. p. 223-226.


(2) Ragib Tabbãh, op. cit., IV, p. (5) Margoliouth, JRAS, 1902, p. 289. -
144.
(3) Blachère, Motanabbî, p. 278. Rãgib Tabbãh, op. cit. IV, p. 144. - Râgkûtî,
(4) Raóib Tabbah, op. cit., IV,op.p. cit.,144. -
p. 245-246. - Cf. la notice deHAMDANi,
Wiet, Histoire de la nation égyptienne, El, III, p. 656-657.

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134 HENRI LAOUST [16

Aba-l-(Alď • w et ' Näsir-i-Husra


• w

raw, (
la vill
attitr
cours
ce der
pense
s'enfe
« Un
raw, g
dome
avait
maiso
il ne m
ouver
n'avai
ses bi
de ce
de per
nimen
la sienne.
Il a composé un ouvrage auquel il a donné le titre de Fousoul oui Ghaïat et dans
lequel il a introduit des phrases énigmatiques et des allégories exprimées en un style
si éloquent et si merveilleux que l'on ne peut en comprendre qu'une faible partie et qu'il
faut lire ce livre devant lui pour entendre ses explications. On lui a reproché d'avoir
voulu, dans cet ouvrage, faire la critique du Coran. Il est toujours entouré de deux cents
disciples venus de différents pays, et qui se livrent, sous sa direction, à l'étude de la litté-
rature et de la poésie (2). »

Les disciples et les visiteurs. - Parmi les nombreux disciples qui se pressaient à
dette époque autour d'Abü-1- Alä3, l'un d'eux mérite d'être rappelé ici. C'est le jeune
Aba-Zakãriyã at-Tibrizi, qui arriva à Macarra, à peine âgé d'une vingtaine d'années, en
440, et y séjourna jusqu'en 447. Après avoir étudié la philologie à Ma arra, at-Tibrizi alla
l'enseigner au Caire et finit sa carrrière à la Ni?ãmiya, la grande université sunnite que le
ministre salguqide Nizâm al-Mulk devait fonder à Bagdad en 459. At-Tïbrlzl, qui fut
un des maîtres de la lexicographie et de la grammaire arabes, nous a laissé un
important commentaire du Saqt az-zand, bien que, durant son séjour à Macarra, il ne se

(1) Râgkûtï, op . cit. p. 244. - Berthels, losophie et sa poésie , Le Caire, 1940.


EI, III, p. 929. - Yahyà el-Khachàb, Nã§ir e (2) t.. Scheper, tielation du voyage de
Hosraw , son voyage , sa pensée religieuse , sa phi - Nassiri Khrosrau , Paris, 1881, p. 35.

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17] LA VIE ET LA PHILOSOPHIE D'ABOU-L-'ALA AL-MAcARRI 135

soit pas contenté d'étudier ce dernier ouvrage, mais qu'il ait aussi appris, sur les consei
d'Aba-l-cAlã3, une partie des Luzùmïyât (1).
On ne saurait certes songer à énumérer ici les nombreux voyageurs qui,
de tous les points du monde musulman, même du Magrib, passent à Macarra
an-Nucmãn et tiennent à rencontrer le poète (2). Il peut être intéressant de remarquer
que les idées d'Abü-l-cAlä3 ne parurent pas, à quelques-uns de ces visiteurs, de la plu
rigoureuse orthodoxie. Ainsi, le cheikh Aba Yasuf fAbd as-Salâm al-Qazwini (393-448),
chef des muctazilites de son temps et lui-même zaidite dans le domaine du droit, rapporte
sur le compte d'Abil-l-cAlâ3, deux anecdotes qui mettent en doute la rectitude de se
croyances sur la nature de la prophétie et la personnalité de Husain (3).

Les principales œuvres d'Aba-l-cAlď. - C'est durant son long séjour à Macarra, de
401 à 449, avons-nous dit précédemment, qu'Abû-l-'Alâ3 composa ses grandes œuvre
littéraires. Beaucoup sont aujourd'hui perdues, ou demeurent inédites* et celles qui ont
été publiées ne le sont pas toujours correctement. L'œuvre maîtresse d'Abü-l-cAlä3 est
incontestablement son grand recueil de poésies, les Luzûmïyùt, où l'on est assuré de
trouver la somme de sa philosophie et, d'une manière générale, de toutes les idée
traditionnellement associées à son nom (4).

La Risãíat al-Gufrãn, ou Message du Pardon, est un ouvrage en prose rimée qu'Abû-


l-cAlã3 composa en 424, à l'époque du mirdaside Sibl ad-Daula, et qu'il adressa à un
certain cAll b. Mansar Ibn Qârih Dauhala, philologue et lettré originaire d'Alep, qui fut
le précepteur du vizir Abu-l-Qãsim al-Magribi, puis des deux petits fils du célèbre généra
f atimide õauhar (5). L'action Be passe au paradis, où All b. Mansar est transporté et où
il rencontre poètes païens ou libres penseurs qui ont tous mérité, pour un bon mot, un
belle pensée ou quelque action louable, le pardon de Dieu. Dans cette risàia, riche en
aperçus de critique littéraire ou philosophique, on a voulu voir une parodie des idée
traditionnelles concernant la vie d'outre-tombe. Elle suggère plutôt que nul n'a le droit
de se hâter de damner autrui et que les moyens de salut sont plus divers et plus nom-
breux que les traités de théologie veulent bien nous le dire (6).

(1) Bidãya, XII, p. 171. - GAL, I, p. 279,


New-York, 1920.
- Râèkûtï, op. cit., p. 211-212. (5) Ragkûtï, op. cit. p. 243.
(2) Râôkûtï, (op. cit., p. 222-225) les
(6)a Elle a été décrite et en partie traduite
étudiés plus spécialement. par Nicholson, JRAS, 1900 et 1902. Traduction
(3) Bidãya, XII, p. 150. - Ràgkûtî, op- en français de Meïssa, Le message du
partielle
cit.. p. 224. De même, réserve de la part du Paris, 1932. - Traduction anglaise
pardon,
vizir Abu Nasr al-Munâzï, cf. RãgkutI, p. 224.sur l'édition de Kämil Kailänl, par G.
faite
Rrackenburg, Le Caire, 1943. - Cf. aussi les
(4) Editions du Caire, 1891 et de Rombay,
1303 ; Le Caire 1332 par Amïn cAbd Al-'Azîz.
articles de Kračkovsky, Zur Entstehung and
Indépendamment de la traduction déjà citée de
Komposition von Abu-l^Alď al-Macarrï's Risãlat
Nicholson, rappelons la traduction partielle
al-Gufrãn, Islamica, I, p. 344. - Gabrieli, La
de Ameen F. Rihani, The Luzumigat ofal-gufrãn e la moderna critica orientale,
Risãlat
Abã-l-cAlã selected and rendered into english,
Atti R. Ac. della Scienze di Torino, LXIV, 1929.

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136 HENRI LAOUST [18

En dehors de la correspondan
les Fusül wa-l-gãyãt, dont une
d'être étudié avec soin. Ahû-l-'
le Coran, bien que, dans la Ri
pour avoir conçu une entrepris

La mort ď Abň-I-cAlď . - Peu


cAlã3 mourut, en 449/1058, à
qui venait d'arriver à Macarra e
description (2). Sa mort précéd
arabes de l'empire des califes. E
sur la demande du calife cabba
Fatimides réagissent, mais san
établir leur domination à Bag
suivent marquent la main mi
Damas tombera en 468/1076,
taine d'années après la mort d'
sade qui arriveront en Syrie y
du sage de Macarra, jointe à sa
festation.

II) LA PHILOSOPHIE

Suspecte déjà, nous l'avons


sophie d'Abü-l-'Alä3 a été div
trouvé ses adversaires les plu
doctrine ou d'affinités hanbalit
et en Syrie, à partir du VIe siè
(-{-748) qui, tout en étant ch
l'hétérodoxie de son credo et, d
d'un historien aussi érudit et a
Que faut-il comprendre par
mission des prophètes et la rév
quement d'être un des leurs. Pl
face de la doctrine de l'unité
vérité de tout ce qui ne tombe

(1) Le - Râgkûtï,
Caire, op. cit., p. 284-285. - Açmad
1356/1938.
(2) Tãhã Husain, Tagdid, p. 186. - Taimur, Abu-l^Alď al-Macarrî9 p. 127-132.
Râgkutî, op. cit., p. 250 et 252. (5) Cité par Nicholson, in JRAS , 1900,
(3) Bidãya, XII, p. 72, et 79-84. p. 637. - Dans son muhtaçar , Dahabl se borne
(4) Rãgib Tabbãh, Târïh Halab, IV, à dire que « sa caqlda était mauvaise». Târïh
p. 163-165. - Tãhã Husain, op. cit., p. 170-172. duwal al-Isläm , Haidarãbãd, 1337, I, p. 204.

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19] LA VIE ET LA PHILOSOPHIE D'ABOU-L-CALA AL-MAcARRI 137

indifférence à l'égard des principales obligations religieuses, ou pousse la prétentio


jusqu'à vouloir rivaliser avec la beauté littéraire du Coran (1). De même, un autre célèbre
historien damascata, Ibn Katîr (-f-774/1373), disciple d'Ibn Taimiya et théologien d'une
grande pondération d'esprit, parle d'Abü-l-cAlä3 comme d'un zindîq notoire, et explique
certaines desea idées, dont le caractère ésotérique l'effraie, par une influence hindoue et
chrétienne (2).
Abü-l-cAlä3 cependant, parmi ses coreligionnaires, n'a pas manqué de défenseurs.
Les deux biographies les plus importantes qui lui ont été consacrées, celle d'Ibn al-cAdlm
et, à un degré moindre, celle de Yosuf al-Badťl, entendent le réhabiliter aux yeux d
l'orthodoxie. On a pu assister, d'autre part, durant ces dernières années, parmi plusieur
érudits de langue arabe - tels Rãgkutl, Ahmad Taimür et Salim al-čundi - à un effor
méthodique, fondé sur une bonne information historique, pour repousser toutes les idées
plus ou moins ésotériques attribuées à Abû-l-cAlâ'
La philosophie d'Abü-l-cAläJ n'a pas moins préoccupé l'orientalisme occidental.
L'orientaliste allemand Von Kremer qui, le premier, l'a étudiée sérieusement, a voul
l'expliquer par l'ascétisme hindou. Nicholson, dans l'un de ses articles, croit discerne
chez Abü-l-'Alä3 un libre penseur, affranchi de toute croyance, qui, dans son for intérieur
aurait poussé le scepticisme jusqu'à douter de son propre doute (3). Massignon, étudiant
l'influence ismaélienne sur Mutanabbl, la décèle également chez Abu-l-cAlã' « Déjà, nous
dit-il, pour Abü-l-cAlä0 de Macarra la critique littéraire se trouve placée devant le fait
accompli ; ceux qui ont pu lire les Majâlis récemment retrouvés de son maître et am
Mu5ayyad Salmânl de Shîrâz, lequel n'était autre que le grand dďí de la propagande isma
élienne, savent que l'amertume sceptique des Luzûmiyât et du Ghufrân ne peut plus êtr
considérée comme une singularité individuelle, mais atteste l'éclosion en terrain psychiqu
favorable des germes de doute méthodique et de sarcasme insurrectionnel, contenus dan
l'enseignement initiatique des sociétés de pensée ismaéliennes(4).»
Avant de chercher à interpréter dans son ensemble la philosophie d'Abü-l-cAlä5 et,
d'essayer de la situer sommairement dans l'histoire de la pensée musulmane, il nous paraî
utile de faire quelques remarques. On ne saurait tout d'abord s'empêcher de constate
combien critiques et historiens, surtout frappés par le côté négatif et presqu
destructeur des Luzûmiyât ont, en général, assez peu cherché à dégager méthodiquemen
la partie positive de la philosophie d'Abü-l-cAlä' en tenant compte des affirmations que
ses négations impliquent. La tâche, il est vrai, n'est pas toujours commode. La chronologi
des pièces constituant les Luzûmiyât, en dépit d'essais de reconstitution des plus méri-
toires, n'est pas entièrement connue, et il ne semble pas qu'elle puisse l'être un jour (5)

(1) Cf. les remarques de G. Vajda, dansLesEl, I, p. 77.


(4) Massignon, in Motanabbi, op. cit, p. 3.
zindiqs en pays d'Islam au débat de la période
abbaside, RSO, 1937, p. 173-229. (5) Un essai intéressant pour établir une
(2) Bidãga, XII, p. 72-76. chronologie sommaire des LuzãmXyãt dans
(3) Nicholson, Abñ-l-^AW al-Mďarrí
cUmar Farrûh, Haklm al -Macarra, p. 24-34.
10

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Í38 HENRI LAOUST [20

toute explication proposée des


Ala3 reste très subjective
pas, Abn-l-cAlã3 n'a jamais exp
pratiqué, à la manière de cer
use enfin d'un vocabulaire éto
souvent sa pensée derrière
plus qu'ils n'exposent ou ne dé
contre-sens et de lui attribu
entourant donc de la prudenc
envisager les deux aspects n
souvent : son pessimisme et so

1°) LES PRINCIPES DE SA PHILOSOPHIE.

Le pessimisme. - Le point de départ de la philosophie d'Abn-l^Alâ5 est en effet un


sentiment d'amertume profonde, un pessimisme douloureux qui semble naître tout d'abord
de cette conviction que la nature humaine est foncièrement et irrémédiablement mau-
vaise. Asservie par un destin implacable, corrompue par la déchéance de l'âme dans le
corps, avilie par les passions et la société, la vie porte en soi une contradiction dramatique :
elle aspire à durer et à s'épanouir, mais elle ne trouve, au terme d'années encore trop
brèves à son gré, et toutes remplies de souffrances, de déceptions et d'épreuves, que la
mort et son néant (1). Ce sentiment de sombre désespoir se retrouve, pourrait-on dire,
dans chaque poème des Luzûmiyàt. En voici un exemple, où Abn-1- Alã1 évoque la mort
d'un tout jeune enfant qui reproche à sa mère de le pleurer :

« O fils d'une mère compatissante, Dieu tout puissant fait ce qui bon lui semble.
- Tu tiens, après ta mort, un discours plein de sagesse, alors que le destin haï vient
de t'enlever.

- En ce monde, dis-tu, j'ai été mis contre ma volonté. J'ai vécu. Combien de fois ai-je
dû prendre remèdes et potions I
- Une année durant, mois après mois, j'ai grandi. Plût au ciel queje n'en eusse
rien fait !
- J'avais à peine reçu an nom et j'allais être sevré quand la mort me réclama, et
personne ne put me défendre.
- J'abandonnais à d'autres cette demeure déserte. S'il m'avait fallu y séjourner plus
longtemps, combien g eussè-je souffert !
- Je partirai pur, sans souillure. Si la vie avait duré, je serais parti souillé, et non
point pur.
- Qu as-tu donc, ô ma mère, à me pleurer ? Peut-être ai-je été choisi, pour habiter eu
l'autre monde, la demeure des élus.

(1) Nicholson, Studies in islamic poetrg, bain al-Ma(arrï wa Schoepenhauer, dans la revue
p. 47,52,95, et 206. - cUmar Farrûh, p. 37-39. al-Hilãl, XLVI, p. 951-958.
- Voir aussi fAu Adham, Falsafat at- tasa* um :

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ri2 LA VIE ET LA PHILOSOPHIE D'ABOU-L-cALA AL-MAcARRI 139

- Les femmes m'ont souvent fait exorciser : mais mon heure est arrivée , et la vie m* a
quitté , comme si je ne lavais jamais été .
- Suppose donc , ô ma mèret que j'aie vécu ce que vivent les aigles. Ce n'est que la mort
qu'en fin de compte, j'aurais encore trouvée.
- Je n'aurais pas connu ici-bas le sort du pauvre que l'oppresseur sans crainte oppri-
me , ni celui de l'émir que chacun redoute.
- Cest un bienfait du Seigneur tout puissant à mon égard que mon départ ait été hâté
et que je ne sois pas resté longtemps ici-bas . (1)»

L'amertume d'Abu-l-'Alâ5 n'est pas seulement métaphysique ; elle est aus


souvent politique et sociale. 11 fait des hommes de son époque, dans les Liizûmïyât9 un
satire si dure et si directe que l'on ne peut s'empêcher de se demander, avec quelq
étonnement, comment elle ait pu demeurer impunie. Sur tous, il promène un regard d'u
ironie impitoyable, qui trahit sans doute maintes désillusions personnelles, mais attest
aussi une pénétration psychologique et une sûreté de jugement riches au demeuran
d'enseignements historiques. Aucune classe sociale n'échappe à l'âpreté de sa critique. Il
flagelle l'indignité et la corruption des princes et des émirs, qu'il compare à des pillar
bédouins. Il ne craint pas de s'attaquer à la classe cependant si considérable des culamď
et il la tient, avec plus de sévérité encore, pour responsable de la corruption social
jurisconsultes, dévots ou missionnaires (c/ucâ/), tous lui paraissent, dans leur grande ma
rité, intéressés, hypocrites et ignorants. Il n'oublie pas non plus les gens du peuple do
il dénonce l'ignorance, la docilité, la superstition aveugle, l'automatisme sans âme avec
lequel ils s'acquittent de leurs obligations religieuses. Il s'empoïte, d'une façon général
contre tous ceux qui tirent profit de la superstition des hommes, ou s'y laissent eux-mêm
asservir, et qui, au nom de l'autorité, de la religion ou de la science, vivent de la créd
lité populaire (2). Voici quelques vers qui nous paraissent bien exprimer le dégoût dou-
loureux que lui inspire le manque de sincérité vis à vis de soi-même et d'autrui, qui es
bien, à la réflexion, la raison profonde de la corruption environnante :

- « Il eût mieux valu , pour Adam et sa postérité , de ne pas avoir été créés.
- A-t-il eu conscience , lorsque ses os n'étaient encore que poussière , des malheurs que
ses fils devaient avoir en partage ?
- ■ Qu'attends-tu d'une demeure dont tu n'es pas le propriétaire ? Tu g séjournes peu
de temps, puis tu dois t'en éloigner.
- Tu dois la quitter d'un air maussade , et, certes, sans louanges . Et au fond de toi-
même, tu restes passionnément attaché à elle.
- Tu es pour l'âme un vêtement . Tout vêtement s'use, même la côte de mailles et
l'armure .

- Les nuits, qui perpétuellement se renouvellent , l'ont usée ; et la perfidie avec laquelle
elles l'usent, est dans leur nature.

idées d'Abü-l-'Alä5
(1) Luzümtyät , Le Caire, 1343/1924, I, sur ce sujet dans Nicholson,
p. 159. - Nicholson, op. cit, N°II, p. 63 op.
et211.cit. p. 95-125 ; cf. aussi cUmar Farrûh, op.
(2) On trouvera une bonne analyse cit., des
p 60-64.

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140 HENRI LAOUST [22

- Différents sont les hommes. L'hom


touche le prix de ses impostures .
- Vers le mensonge va celui dont
forgés de toutes pièces , sont , pour
- Que de fois l'homme se reproche

C'est ce même sentiment, associ


d'Abû-l-cAlâ' que Fon retrouve d

« - De nos jours , il n'y a plus de sa


- L'erreur a enveloppé la foule d
- Tous les êtres mâles sont les es
les êtres femelles sont ses servantes
- Le croissant naissant et le disq
l'eau,
- Les pléiades, le soleil, le feu , les deux étoiles que l'on appelle le Nez du Lion, la
terre , la lumière du matin, le ciel ,
- Tout cela appartient à ton Seigneur , et les sages ne sauraient te reprocher ce credo.
- Laisse-moi , ô mon frère, demander à Dieu de me pardonner. Il ne me reste plus que
les derniers spasmes de l'agonie.
- On parle encore d'hommes nobles , mais ce n'est plus qu'une expression . Il n'y a plus
aujourd'hui, que des individus et des noms qui leur sont accolés.
- Il n'y a plus que des récits que se racontent des gens égarés , et que les Anciens ont
forgés dans un esprit de lucre .
- Toutes ces étoiles brillantes , je me les représente comme le filet du destin prêt à
s'abattre sur sa proie.
- Quelle chose étonnante que de voir comment le Destin s'abat sur les créatures et
comment les sùges savent s'y plier l
- Ne voient-ils point l'œuvre de la mort, couiment la mort anéantit les hommes
et leurs épouses ?
- Le mensonge gouverne le monde, depuis que le monde existe ; les gens sages meurent
de colère.
- Attends ton jour ô 'Afmď, même si tu te trouvais, tel un chamois, au sommet
d'un pic élevé.
- Je vois, dans notre corps , quatre humeurs ; ce sont quatre ennemis que nous semblons
porter en nous.
- Lorsque ces humeurs s accordent, c'est la santé ; dans le cas contraire, l'homme ne
connaît que la maladie et l'évanouissement .
- Je vois que le Destin est une brute aveugle qui échappe à toute loi. Ses blessures,
comme celles des bêtes sauvages, restent impunies.
- Ce bas monde, dans lequel tu vis, n'est qu'une succession de jours et de nuits ; il res-
semble à un gros serpent à la peau tachée de blanc et de noir (2). »

(1) Luzômlyãt II, p. 124 - Nicholson, (2) Luzûmïyât, I, p. 46-47. - Nicholson,


op. cit., N° 42, p. 220-221. op. cit., N° 24, p. 67-68 et 214-215.

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23] LA VIE ET LA PHILOSOPHIE D'ABOU-L-'ALA AL-MACARRI 141

A la lecture de ces poèmes et de beaucoup d'autres semblables, on ne peut s'empêcher


de remarquer qu'Abû-l-cAlâ3 s'insurge, lui aussi, contre la servitude qu'imposent à
l'homme les cinq tyrans des Ihwân as-safď : le ciel, la nature, laloi, l'état, lanécessité.C'est
à juste raison aussi que l'on a pu comparer le pessimisme d'Abo-l-cAlä:> à celui du premier
grand poète philosophe de la littérature arabe, Abû-l-cAtâhiya (+213) qui, accusé d'être
un zindïq, fut à deux reprises inquiété par l'inquisition cabbasside. Vouloir donc
sous-estimer l'importance du pessimisme d'Abü-1- Alä3, ce serait nier l'évidence et
rechercher le paraxode. Mais ce pessimisme, remarquons-le, est plus insurrectionnel que
découragé. Considéré dans l'ensemble de la pensée d'Abü-l-cAlä3, il n'aboutit pas à une
tristesse désenchantée qui se complairait en elle-même, ni à une abdication qui n'aurait
d'autre ressource que le néant ou la dissipation. Par son ironie, par ses sarcasmes, le
spectacle de sa propre douleur, si souvent exprimée en des raccourcis d'un sublime lyrisme,
Abü-l-'Alä"' entend bien plutôt, à notre sens, amener les hommes à prendre conscience de
leur misère et à se convaincre que, de cette misère* ils ne sont pas seulement les victimes,
mais, plus encore, les premiers artisans. Ce qu'il veut avant tout, c'est mettre l'homme
devant l'obligation impérieuse de chercher son salut loin des joies et des peines terrestres
où il se débat, hors des voies traditionnelles où il se traîne. Telle est bien, en effet, la con-
clusion que l'on peut dégager des poèmes où, montrant à l'homme les vanités de ce monde
et lui faisant redouter la sanction de son^insouciance (1)* il l'exhorte à la contrition et au
retour à Dieu, et que l'on retrouve en particulier dans le poème suivant où il se propose
de guider vers son salut la caravane humaine :

«• - Si je servais de guide à une caravane s'engageant dans ce bas monde, je ne serais


pas un guide trompeur.
- Je m'écrierais : Voici un monde dont les plantes sont les maladies et dont l'eau limpide
n'est, pour l'homme, qu'un poison subtil.
- Ce bas monde n'est que tourment. Efforcez-vous d'émigrer vers quelque autre
monde. Laissez cette demeure et délivrez-vous en.
- Aucun jour, aucune parcelle du jour, n'est exempt de ses impuretés. Hâtez donc votre
marche vers votre salut.
- Je vous donne un avertissement sûr, qu'aucun doute n'effleure, et je ne cherche pas
à vous attirer dans les filets de l'erreur ( 1 ) ».

Le scepticisme. - Ce salut, cependant, il ne semble pas que ce soit dans les religions
positives qu'Abû-l-'Alâ'' aille le chercher ; le doute philosophique et le scepticisme
désabusé qu'on lui attribue communément tendraient plutôt à nous le représenter
comme un athée irréconciliable. Il est en effet incontestable qu'Abü-l-cAlä3 use
souvent, dans les Luzûmïyiit , en traitant de points de dogme fondamentaux,

(1) Luzûmïyât, I, p. 320. - Nicholson, (2) Luzûmïyât, I, p. 99. - Nicholson,


op. cit., N° 16, p. 64 et 212. - Luzûmïyât,
op. I,cit., N° 25, p. 68 et 215.
p. 98. - Nicholson, op. cit., N°15, p. 64 et 212.

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142 HENRI LAOUST [24

d'une liberté d'expression fort


penser, en le lisant, que les rel
gères, nées d'un besoin naturel
serait-ce que par les facteurs
engendrent, plus nuisibles qu'u
retrouver, dans sa pensée, un é
sophe Abü Zakarïyâ ar-Râzï (+
avaient eu une large diffusion
Qarmates (2). Voici quelques ve
cet état d'esprit :
« - Des commandements , dont
quels sont ceux que la ruine menac
- Le Livre de Muframmad, le L
de David ,
- Ont édicté des interdictions à des nations qui ne les ont pas acceptées . Leurs préceptes
se sont évanouis. Tous ces peuples ont été voués à V anéantissement.
- L'homme a pour vivre deux demeures . La vie de l'humanité ressemble à un pont où
l'on passe sans fin .
- Une maison est désertée. Un tombeau devient un lieu de pèlerinage . Mais ni maison
ni tombeau ne subsistent . » (3).

« - Si les hommes ne se battaient pas pour les biens de ce monde , tous nos ouvrages de
dialectique n'auraient pas vu le jour . Nous n'aurions ni Mugnî ni cUmda.
- Les hommes se sont lancés dans des dissertations d'un faux brilianty qui fatiguent les
yeux, et ne reposent sur aucune base sûre .
- Ils ne cessent , de la Sgrie au Yémen , de construire des sgllogismes sans fin.
- Laisse donc leurs préoccupations terrestres, et contente-toi d'un Dieu tout puissant et
unique . » (4)

« - Réveillez-vous , ô qens égarés, réveillez-vous. Les religions que vous tenez pour
sacrées ne sont qu'un subterfuge des anciens .
- Qui n'avaient qu'une ambition, celle de s'enrichir, et qui la réalisèrent. Puis ils ont
disparu, et avec eux est morte la loi de gens vils et cupides . » (S)
« - Le Christianisme et, avant lui, le Judaïsme ont apporté des récits éloignés de toute
vérité.
- Les Persans allument leurs feux et prétendent qu'aucune puissance au monde ne peut
éteindre le feu.
- Mais tous les jours sont semblables les uns aux autres, et il n'y a pas de différence entre
les dimanches et les samedis . » (6)

(1) Tähä Husain, Taýdíd, p. 288, 289, 293. (4) Luzâmïyât, 1, p. 235. - Nicholson,
- Nicholson, op. cit., p. 145-146. - cUmar op. cit., n° 238, p. 164 et 268.
Farruh, op. cit., p. 48-50 et 50-54.
(5) Luzâmïyât, I, p. 54. - Nicholson,
(2) Kraus, Orientalia, V, p. 35. - Kraus
op. cit., n° 249, p. 173 et 271.
et Pines, al-Râzï, in EI, III, p. 1213. (6) Luzâmïyât, I, p. 151. - Nicholson,
(3) Luzâmïyât, I, p. 319. - Nicholson, op. cit., n° 250, 174 et 271.
N° 26, p. 68 et 215.

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25] LA VIE ET LA PHILOSOPHIE d'ABOÜ-L-CALA AL-MA'ARRI 143

« - Religion , paganisme , traditions que Von transmet , un Livre (furqân) sur lequel on
s'appuie , une Taurât, un Evangile !
- Chaque génération a les mythes auxquels elle croit . Une génération , un jour, eiz/-
eZZe le privilège de la vérité. » ( 1 )

Par contre Abü-l-cAlä' dans ces mêmes Lazùmîyât , parle souvent avec les accents
d'une foi sincère. Il recommande, dans de fort beaux vers, la prière, le jeûne, l'amour
de Dieu. Abordant la question qui constitue la clef de voûte de toute religion ré-
vélée, la nature de la prophétie, il rejette avec indignation la thèse de l'ismaélien Abu
Hâtïm Razí ( + 322) - sans le nommer toutefois - thèse célèbre selon laquelle
la mission des prophètes n'aurait d'autre but que d'instaurer, en ce monde, un état et une
loi (2). Le poème qu'il a consacré à la gloire du prophète Muhammad est d'une haute
élévation de pensée, et c'est avec non moins de sincérité qu'il voit dans la religion musul-
mane, à laquelle il appartienila religion la plus belle et la plus rationnelle (3). Lui-même
proteste bien souvent de la rectitude de ses croyances :

« - Je n'ai rien de commun avec l'homme égaré et sot , en rébellion secrète ou publique.
- Qui supprime avec mépris la prière de V après-midi et dédaigne aussi celle de midi.
- Donne au pauvre que tu rencontres une aumône , si minime soit-ellef et ne le repousse
pas avec brutalité. » (4)
« - Je disparaîtrai , n'ayant jamais douté du Créateur. Ne me pleurez pas et ne me
laissez pas pleurer .
- Prenez ma conduite comme exemple. Elle vous mènera au bien. Priez durant votre
vie et faites Vaumône.
- Ne prêtez pas Voreille aux propos que tiennent certaines personnes et qu'un esprit
faible peut croire vrais . » (5)

Nous ne saurions, pour notre part, admettre qu'Abü-l-cAlä' mettant en pratique le


conseil, ou le devoir, de dissimulation légale (taqïya) préconisé par certaines écoles théolo-
giques, ait composé ces passages ostensiblement orthodoxes dans le but de se protéger des
attaques de théologiens soupçonneux (6). Cette hypocrisie prudente semble assez peu
conciliable avec ce que nous savons de son caractère, et le stratagème paraît bien grossier.
On ne voit pas pourquoi Abü-l-cAläD eût éprouvé le besoin d'y recourir, quand il
use ailleurs de si grandes audaces de langage. Doit-on admettre, avec certains critiques,
que les poèmes où il nie et où il doute, sont d'une époque plus ancienne, où il se serait

(1) Luzumïyât, II, p. 183. - Nicholson, p. 15, 16 et 79.


op. cit., n° 262, 174 et 272. (4) Luzumïyât , I, p. 425. - Nicholson,
op. cit., n° 225, p. 154 et 265.
(2) Luzumïyât , II, p. 30-31 . - Nicholson,
op. cit., p. 172. - Cf. Kraus, Orientalia , 1036, (5) Luzumïyât, II, p. 151. - Nicholson,
V, p. 35-36. op. cit., n° 245, p. 170 et 270.
(3) On trouvera ces principaux passages (6) Sur la taqïya d'Abü-l- Alâ voir Tãhã
dans Tãhã Husain, Tagdïd, p. 291-292. - Husain, Ta§dïd , p. 261-264. - Nicholson, op.
Râôkûtï, op. cit., p. 187-188. - Açmad Taimur,cit., p. 151. - (Umar Farrûh, op. cit., p. 34-35.
op. cit.t p. 156-160. - cUmar Farrûh, op. cit.,

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144 HENRI LAOUST [26

abandonné au scepticisme et à l'a


ance et à la foi, il aurait aloryco
dans lesquels s'exprime une si p
en l'ignorance où nous sommes
exclusive.

Cette opposition brutale de pensée peut s'interpréter différemment. 11 convient


tout d'abord de remarquer qu'Abü-l-cAlä3 n'a jamais nié la nature divine de la
révélation, donc du fait religieux en soi. 11 n'a jamais non plus nié que l'homme ne soit
assuré de trouver, dans les doctrines religieuses où il a été élevé, la certitude d'une règle
de vie vertueuse et heureuse. Bien au contraire, sa piété réelle, la foi avec laquelle il a
exhorté ses contemporains à la pratique des grandes obligations religieuses nous montrent,
sans le moindre doute possible, qu'Abü-l-cAläc a eu la conviction profonde de la haute
valeur morale de l'idéal de vie ainsi offert. Mais ce qu'il entend par dessus tout, nous
semble-t-il, c'est ébranler des certitudes trop étroites ou trop aveugles, c'est briser tout
sectarisme et tout exclusivisme, en un mot opposer, au dogmatisme de beaucoup de ses
contemporains, la grande idée de la relativité des religions, idée qui avait été déjà
enseignée par de nombreux mystiques et qui est bien, comme on l'a dit si justement, le
dernier mot du qarmatisme (1). Cette relativité, Abo-l- Alã3 ne la conçoit pas seulement
en ce sens que les diverses religions seraient différentes voies pour servir le même Dieu,
mais en ce sens aussi qu'elles supposent l'existence d'une norme supérieure au contenu de
leurs théologies respectives, la raison, norme qui, loin de s'opposer à elles, en constitue au
contraire l'essence.

- « Tous sont dans l'erreur : Musulmans, Chrétiens, Juifs et Manichéens.


- L'humanité se partage en deux sectes : les hommes qui ont une religion mais pas de
raison, ceux qui ont une raison et pas de religion (2). »

Le rationalisme. - La raison est, en effet, pour Abü-l-cAlä5, le principe souverain de


toute connaissance juste et de toute action droite. On pourrait aisément multiplier les vers
où il fait l'apologie de la raison, où il engage les hommes à lui obéir et à lui faire confiance
avec la certitude qu'ils ne pourront trouver nulle part un guide plus sûr, où il la défend
contre les exigences de l'autorité, de la tradition, de la coutume et de la supers-
tition (3). Son rationalisme semble parfois aboutir à une manière de prophétisme diffus
quand il voit dans la raison un imam ou un prophète* sans qu'il faille du reste com-
prendre par là qu'à l'exemple de Mutanabbl, il ait revendiqué pour lui cet esprit de pro-
phétie qui confère, à qui lé possède, une conscience quasi impersonnelle des secrets de
l'univers :

(1) Massignon, Motanabbi, p. 6. T&hâ Hus ain, Tagdïd, p. 257. - Nicholson,


(2) Luzumîgât, II, p. 208. - Nicholson, op. cit., p. 167. - cUmar Farbûh, op. cit.,
op. cit., n° 239, p. 167 et 268. p. 39 et 55.
(3) Sur le rationalisme d'Abü-l-'Alä5, cf.

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27] LA VIE ET LA PHILOSOPHIE d'ABOU-L-CALA AL-MACARRI 145

- « Suis la raison et fais ce quelle te montre comme beau . C'est la meilleure des con-
seillères . »{ 1 )

- « Suivez la voie de la raison . Et que chaque homme ne place son espoir qu'en Dieu .

- N'éteignez pas la lumière que Dieu souverain vous a donnée , car cest pour que nous
en fassions usage , que Dieu a doté chacun de nous d'une flamme de raison . » ( 2 )
- « On nous rapporte des traditions qui , si elles étaient authentiques , seraient de la plus
haute importance. Mais on remarque un défaut dans leur isnâd.
- Consulte donc la raison , ef laisse tout en dehors d'elle . La raison est le meilleur guide
que l'on puisse trouver en ce monde . » (S)

Mais la raison, toutefois, n'est pas un principe de connaissance illimité et absolu :


elle doit laisser en suspens bien des problèmes et s'en interdire beaucoup d'autres (4). Et
son usage, déjà limité en droit par ses propres servitudes, est encore, en fait, restreint ou
faussé par l'aveuglément des honímes et leur incapacité de penser par eux-mêmes.
- « Les hommes , dans la force de l'âge , sont comparables à des enfants de quelques mois
qui balbutient . Les selles de leurs chamelles ne sont que des berceaux .
- Leur adresse-t-on la parole, ils ne comprennent pas . Et quand ils répondent , cest
dans une demi-inconscience qu'ils le font .
- Extérieurement , ils ont rang ďhommes. Mais ce ne sont que des lynx somnolents sur
des chameaux au poil gris. » (5)
- « Si tu vois passer un aveugle , aie pitié de lui. Et sois certain que tous, même quand
la vue nous est donnée , nous sommes des aveugles . » (6)

Le rationalisme d'Abû-l-cAlâD n'a rien de commun avec le positivisme d'Aba Zakarïyâ


ar-Râzï qui, aux écritures saintes considérées comme sans valeur, opposait les livres des
Anciens, seuls serviteurs de l'humanité, et qui, au dogmatique religieux, substituait un
dogmatique philosophique et scientifique. Il se rapprocherait plutôt de celui des Muctazi.
lites, à qui il a cependant maintes fois fait grief de leurs vaines controverses et dont il n'a
pas conservé non plus le dogmatisme parfois étroit et l'apologétique souvent passionnée (7).
Le rationalisme d'Aba-l^Alâ5 est avant tout un rationalisme critique, en ce sens qu'il fait
un libre usage de son jugement en des domaines du dogme, du culte ou du droit, dont le
fondement était communément considéré comme ne devant plus être sujet à revision.
C'est aussi, si l'on peut dire, un rationalisme mystique. Sans exclure les religions positives,
il se présente essentiellement comme une doctrine du salut conçue comme un déisme
allégé de ses superstructures théologiques et comme une morale du sentiment tendant

(1) Luzämiyät , I, p. 402. - Nicholson,


op. ci n° 210, p. 145 et 262.
öp. cit.9 n° 242, p. 168 et 269. (6) Luzûmïyât, II, p. 291. - Nicholson,
(2) Luzûmïyât, I, p. 200. - Nicholson,
n° 212, p. 145 et 262.
op. cit., n° 208, p. 144 et 261. (7) Pour ses idées sur les Muctazila, cf.
(3) Luzämiyät , I, p. 275. - Nicholson,
Tãhã Husain, Tatjdïd, p. 255-261.- Nicholson,
op. cit., n° 209, p. 144 et 261. op. cit., p. 164. - cUmar Farrûh, op. cit.,
(4) cUmar Farrûh, op. cit., p. 36-37. p. 55-56.
(5) Luzûmïyât , I, p. 231. - Nicholson,

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146 HENRI LAOÜST [28

vers un humanitarisme diffus :


pas de ce que Abü-l-Hudail et Ib

2°) SA PHILOSOPHIE RELIGIEUSE.

De ce rationalisme à la fois critique et mystique d'Abü-l-cAlä' nous allons essayer


de donner une idée en examinant successivement trois des thèmes fondamentaux de la
poésie philosophique des Luzümlyät : la notion de Dieu, celle du destin et de la liberté
humaine, enfin celle de la résurrection - toutes notions, empressons-nous d'ajouter, sur
lesquelles il peut paraître pour le moins malaisé, sinon présomptueux, dé vouloir saisir le
fond même de la pensée de notre poète.
Dieu. - Répudiant l'athéisme avec indignation, Abü-l-cAIä5 affirme et célèbre, dans
de fort nombreux vers, l'existence d'un Dieu créateur; Cette certitude, ce n'est pas l'auto,
rité de la tradition scripturaire qui la lui donne, mais bien plutôt une intuition innée
de la conscience (2) et la raison contemplant ce perpétuel miracle qu'est le monde, en
particulier le monde planétaire.

- Si, par quelque excès de folie, ta es un de ceux qui nient Dieu, je témoigne , ô athée,
que je ne suis point des vôtres.
- Je redoute, pour demain, le châtiment de Dieu et je prétends que la toute puissance
est entre les mains d'un seul. » (3)

- « Je m'étonne qu'un médecin puisse nier l'existence du créateur, après avoir étudié
l'anatomie,
- Alors que l'astronome a appris ce qui établit la vérité de la religion.
- Des étoiles faites de feu, des étoiles faites de terre , d'eau ou d'air.
- L'homme intelligent, dans une compagnie, est celui à qui une allusion suggère un
long développement.» (4) S

- « Ton Seigneur , ion Seigneur , qui n'as pas d'égal , et qui confonds les infidèles ,
« Crois en lui, et ton âme s'élèvera , même s'il ne te reste plus qu'un souffle de vie.
« C'est grâce à cette croyance que tu pourras espérer le pardon de Dieu, lorsque tu seras
mis dans la tombe et que le fossoyeur's éloignera. » (5)

Mais, s'il est nécessaire d'avoir une croyance intelligente dans un être suprême, toute
spéculation concernant son essence et ses attributs est inutile, car l'esprit est impuissant
à les saisir. Dieu est un, éternel, tout puissant, souverainement sage. La sagesse est

(') Luzumlytâ, I, p. 122. - Nicholson, cit., p. 138-155. - cUmar Farrûh, p. 45-47.


op. cit. y p. 164. Ailleurs il tourne aussi en déri- (3) Luzümlyät, I, p. 266 - Nicholson,
sion deux grands théologiens mu'tazilites, Abü op. cit., n° 233, p. 159 et 267.
Bakr al-Bâqillânï et lbn Mucallim. - cUmar (4) Luzümlyät, I, p. 217. - Nicholson,
Farrûh, op. cit., p. 40. op. cit., n° 234, p. 160 et 267.
(2) Longue analyse de sa théodicée in (5) Luzümlyät, I p. 254 - Nicholson,
Taha Husain, Taýdld , p. 272-280. - Nicholson, op. cit., n° 232, p. 159 et 267.
op. cit., p. 158 et suiv. - Açmad Taimûr, op.

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29] LA VIE ET LA PHILOSOPHIE d'ABOU-L-'ALA AL-MA'ABBI 147

démontrée par ses œuvres, bien que la fin dernière de la création nous échappe et que la
prédominence du mal dans le monde tende parfois à nous faire nier cette sagesse.

- « Dieu m'a façonné. Mais j'ignore pourquoi. Gloire à l'Etre tout puissant et
unique I » (Í)
- « Sans les merveilles de la nature, qui nous montrent que notre créateur a plus de
science et de sagesse que nous, nous dirions que le monde où nous sommes est une folie.» (2)

La raison, d'autre part, incapable de comprendre Dieu en dehors de ses propres exi-
gences, ne saurait saisir Dieu comme étant hors de l'espace et du temps ; sans aucune qua-
lité perceptible et sans limites, l'espace et le temps constituent le cadre dans lequel se
situent tous les événements et tous les objets sensibles :
- <r Vous dites : nous avons un créateur souverainement sage. Vous avez raison. C'est
aussi ce que nous affirmons.
- Vous prétendez qu'il est hors de l'espace et du temps. Pourquoi ne dites-vous pas tout
de suite :
C'est là un discours au sens caché, impénétrable à notre raison ?» (3)
Or, comme Abû-l^Alâ' reprend la vieille idée aristotélicienne de l'éternité de la
matière, idée que la théologie dogmatique avait énergiquement repoussée, que l'un de ses
vers nie, mais que beaucoup d'autres suggèrent (4), on en arrive ainsi à se poser un
nouveau problème : son Dieu reste-t-il celui de la théologie traditionnelle? Ne serait-il
pas celui des philosophes et ne retrouverait-on pas le Dieu d'Aristote, premier moteur
immobile, dans le vers que voici : « Ne vois-tu pas que les planètes se meuvent dans
leurs sphères sous l'action toute puissante d'un seigneur immobile ? » (5) N'annoncerait-il
pas déjà le Dieu du panthéisme, dont Ibn cArabi sera le plus illustre représentant, et dans
lequel un théologien aussi perspicace qu'Ibn Taimiya retrouvera de lointaines affinités
qarmates ? La question, fort délicate, mériterait d'être reprise à la lumière d'une plus
longue méditation des Luzûmlyàt.

Le Destin et la liberté humaine. - Dans la plupart des poèmes des Luzûmïyàt , le


monde apparaît comme mené par un implacable destin. C'est par la volonté de Dieu, ou
l'effet du destin, car le destin est subordonné à Dieu, que les hommes ont été mis au monde
indépendamment de leur propre volonté, et c'est contre leur volonté qu'ils devront
le quitter. Sa vie durant, l'homme est l'esclave du destin, et, bien que " l'on ne puisse douter
de la justice de Celui qui a créé l'injustice ", il semble que l'on doive considérer Dieu
comme responsable des péchés humains. (6)

(4) Tãhã Husain, op. cit., p. 254-265. -


(1) Luzumïyât, I, p. 284. - Nicholson,
op. cit., n° 231, p. 159 et 267. Nicholson, op. cit., p. 149-150.
(5) Luzumïyât, II, p. 227. - Tãhã Husain,
(2) Luzumïyât, II, p. 275. - Nicholson,
op. cit., p. 161 op. cit., p. 275. - Nicholson, op. cit., p. 169.
(3) Luzumïyât, II, p. 185. - Tãhã Husain, (6) Sur le déterminisme, Cf. Tahã Husain,
Tajdïd, p. 278. - Nicholson, op. cit., n° 235, p. 280-285.- Nicholson, op. cit., p. 163.
op. cit.,
p. 160 et 268.

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148 HENRI LAOUST [30

- <( Il ne m'a pas été donné de ch


encore quelque possibilité de cho
- Il n'y a pas de séjour, si ce n
aussi ne décide . » ( 1 )

Dans d'autres poèmes, beaucou


minisme absolu et voit, dans
Paction morale.
- « Des gens disent : l'homme est un être impuissant et chétif, incapable de retarder ou
de hâter l'heure du destin .

- Il est mené . On ne saurait adresser un blâme à celui qui commet une faute, ni un éloge
à celui qui agit bien.
- J'ai trouvé , de nos jours , bien des preuves de cette doctrine, mais la piété m'en a
détourné. » (2)
- « Si celui qui commet des fautes graves n'est pas libre dans ses actes , le châtiment
qui le frappe constitue une injustice.
- « Dieu , en créant les minéraux, savait que l'on en ferait des sabres clairs et tranchants,
- Dont se saisiraient des hommes montés sur des chevaux eux aussi carapaçonnés de fer
et avec lesquels ils feraient couler le sang. » (3)

Quand, dans d'autres passages, Abü-l-Alä3 rejette tout à la fois les idées des ôabrïya,
partisans d'un déterminisme absolu, et celles des Qadariya qui admettent l'existence dela
liberté humaine» et quand il nous dit que la vérité se situe entre ces deux extrêmes, il est
bien difficile de dégager la solution de conciliation qu'il semble ainsi suggérer. Peut-être
pourrait-on penser qu'une certaine liberté existe théoriquement, mais que cette liberté
est une conquête si héroïque de la volonté qu'elle*n'est qu'exceptionnellement réalisée, à
supposer même qu'elle l'ait jamais été ou qu'elle le soit un jour. Telle est la conclusion
que l'on peut se croire autorisé à tirer du poème suivant :

- « Les étoiles de la nuit semblent faire effort pour percer un secret, et tous les yeux
les observent .

- « J'ai été mis en ce monde contre ma volonté , et je le quitterai malgré moi, pour aller
en quelque autre monde. Dieu en est témoin !
- Durant l'espace de temps compris entre ma naissance et ma mort, mes actions sont-
elles soumises au destin, ou suis-je libre d'agirà ma guise?
- O monde , puissê-je être délivré de toi ! Tous ceux qui vivent ici bas sont dans la même
ignorance, les Musulmans comme ceux à qui ils commandent...
- O prodige, nous nous ruons derrière des récits mensongers, et, ignorants, nous ne
voulons pas voir ce qu'il y a en nous.
- Tous les hommes sont dans l'erreur. Il n'y a jamais eu et il n'y aura jamais, jusqu'au
jour de la résurrection9 de véritable ascète ! » (4)

(1) Luzumïyât , I, p. 315. - Nicholson, (3) Luzumïyât, II, p. 187. - Nicholson,


op. cit., n° 13, p. 63 et 211. op. cit., n° 237, p. 162 et 268.
(2) Luzumïyât, II, p. 83-84. - Nicholson, (4) Luzâmïyôt, I, p. 228. - Nicholson^
op. cit., n° 217, p. 147 et 263. op. cit., n° 30, p. 70 et 229.

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31] LA VIE ET LA PHILOSOPHIE D'ABOU-L-'ALA AL-MA'ARRI 149

La résurrection. - Les idées d'Abü-l^Alä3 sur la résurrection ne sont pas moins


délicates à définir (1). Dans de nombreux poèmes, il parle de la résurrection des âmes et
des corps comme d'une certitude dont nul 'ne saurait douter, et, dans un passage même,
il la justifie par une argumentation qui fait songer au pari de Pascal (2) :

- « L'astronome et le médecin nient tous deux la résurrection des corps. Je leur ai dit :
- Si votre croyance est vraie, je ne perdrai rien. Mais si la mienne est vraie,
c'est voas qui serez perdants. » (3)

Mais, le plus souvent, Abû-l-cAlâ5 se borne à affirmer la possibilité logique de cette


résurrection. Grâce à la sagesse de son Créateur, il a connu la vie et la mort, et le Créateur
n'est pas incapable de le faire renaître. Voici deux poèmes où s'exprime cette idée, colorée
d'une nuance de doute :

- « Quant à la résurrection, la controverse dont elle fait F objet est bien connue. Mais
son mystère n'a pas encore été percé .
- Certains disent que la perle ramenée par le plongeur ne retournera pas vers les ténè-
bres de sa coquille .
- Mais les merveilles de notre Seigneur sont innombrables , et devant elles notre faible
raison hésite . » (4)

- « Nos âmes sont avec nous . Et nous ne les connaissons pas . Que dire alors quelles
sont dans la tombe ?

- La quarantaine une fois passée , l'homme se fait plus petit et les événements plus lourds.
- Une âme qui a conscience d'une autre existence • Cette vie est le pont qui g mène : un
pont de douleur et d'horreur.
- Qui peut garantir à l'homme, une fois mis en terre, que sa tombe s'ouvrira et qu'il
ressuscitera tout blanc de poussière ?
- Le temps passe, les hommes disparaissent , et le désespoir porte l'homme à donner foi
à des légendes mensongères .
- Des philosophes, après longues réflexions, prétendent que ce que la mort a détruit ne
peut être réparé .
- Ils disent qu'Adam vient d'où venait Aubar , mais ce qu'était Aubar , les hommes
l'ignorent.
- Tout ce que vous racontez au sujet de votre Seigneur et maître n'est qu'un ramassis
de vieilles fables façonnées par les Juifs .
- Leurs rabbins voulaient, grâce à ces mythes, satisfaire leurs ambitions terrestres , mais
toute action vile est vouée à l'échec . » (5)

(1) Cf. les analyses de Tãhã Husain, p. 427.


Tagdïd, p. 293-296. - Nicholson, op. cit., (3) Luzãmlyãt, II, p. 300. - Nicholson,
p. 184-187, - cUmar Farrûh, op. cit., p. 74-83.n° 282, p. 185 et 279.
- Muçammad cAbd Allãh cInãn, Wafãt Abî-l- (4) Luzûmïyât , II, p. 332. - Nicholson,
cAlď wa rcřguhu fï-l-maut wa mã ba^dah, in op. cit., n° 283, p. 185 et 279.
Hilãl, 1938, XLVI, p. 920-924. (5) Luzûmïyât , I, p. 322. - Nicholson,
(2) Massignon, RMM, 1921 , (XLIII-XLV), op. cit., n° 253, p. 175 et 272.
p. 306. - Bouyges, MFOB, 1914-1921, VII,

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150 HENRI LAOUST [32

On en arrive ainsi à se demand


surrection, comprise dans son
d'Abü-l-cAlä' En étudiant plus
ici, en reprenant notamment s
rable destin réunit et dissocie,
intéressant de rechercher si
des mondes, les êtres ne seraie
ferait que les résoudre dans le

- «Si l'on vient dire : le Temps


car le Temps lui-même nest qu'u
- La naissance de ce soleil , tu
pas eu de commencement .
- L'univers tout entier est sous
perçus par des troupes de cheva
- Les heures passent , et ne rev
bles . Le Temps est uniquement pa
- Rien de tout ce qui a existé
n'existe hors du temps qui lui se r

- « Il est possible qu'un jour s'é


Dieu a accru l'éclat .
- Si sa lueur doit un jour disparaître, il ne fait aucun doute que le ciel lui aussi dis -
paraîtra .
- Les hommes sont passés , et, n'eût été la science de leur juge suprême , je dirais , avec
Zuhair : Quelle vie ont-ils choisie !
- Du royaume ils ne sont pas sortis et ne se sont pas transportés ailleurs. Comment
pourrais-je penser qu'ils ont péri ? » (3)

3°) SA PHILOSOPHIE MORALE.

Tandis que, dans le domaine de la spéculation métaphysique, la raison, en dehors


de l'affirmation de l'existence de Dieu, n'arrive jamais qu'à de simples possibilités
logiques, dans celui de l'action, par contre, la certitude existe. Le Bien est un idéal dont
la réalité s'impose à la conscience morale, et qui doit être fait pour lui-même sans consi-
dération de sa rémunération immédiate ou de sa sanction future. Il n'exclut certes
pas l'exécution ponctuelle des obligations extérieures et sociales de la religion, il
les suppose même, mais consiste avant tout dans un ensemble de dispositions
intérieures auxquelles doit se subordonner le littéralisme des gestes. On ne saurait
trouver, dans ce subjectivisme et ce formalisme, une manière d'impératif catégorique

(1) Luzûmïyât, II, p. 68. - Nicholson, op. cit., n° 230, p. 157 et 266.
op. cit., n° 22, p. 150 et 264. (3) Luzûmïyât , II, p. 149- î 59. - Nicholson,
(2) Luzûmïyât , II, p. 272. - Nicholson,op. cit., n° 220, p. 149-264.

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33] LA VIE ET LA PHILOSOPHIE D'ABOD-L-CALA AL-MA'ARRI 151

avant la lettre, ni penser que l'on puisse tirer des Luzümlyät une morale indépendante de
la religion : la religion, dans son essence, consiste avant tout dans le bien et la piété (1).
- «J'ai beaucoup voyagé. Mais je n'ai acquis aucun bien matériel ou spirituel. Je
n'ai trouvé, à mon retour, que la sottise et la faiblesse.
- Dieu ne marchandera pas ses dons à l'homme qui lui témoigne une piété sincère,
quand bien même cet homme se tournerait-il, pour prier, vers le soleil levant. » (2)

C'est du système traditionnel dans lequel Abü-l-cAlä3 a été formé qu'il convient de
partir pour comprendre le contenu de son idéal moral. Il recommande toujours, nous l'a-
vons vu, la prière, le jeûne, l'aumône, et offre sa propre conduite en exemple. Mais on
ne saurait être surpris de le voir juger avec une liberté critique fort grande
quelques-unes des prescriptions fondamentales qui lui étaient proposées. Il a parlé
du pèlerinage à la Mecque avec une audace qui étonne : il y dénonce une survi-
vance païenne, une manifestation d'ignorance et d'immoralité (3). S'il maintient
l'interdiction du vin, ce n'est pas parce que ce dernier a été prohibé par le livre saint,
ni parce qu'il procure des plaisirs suivis de peines, mais uniquement parce qu'il altère
la raison (4). Passe-t-on au domaine des prescriptions juridiques, on trouve, dans les
Luzümlyät, plusieurs vers montrant le caractère irrationnel de certaines dispositions
légales touchaat les sanctions pénales, le prix du sang ou les lois successorales (5). Les
mêmes tendances rationalistes et mystiques qui le portent à limiter, sinon à exclure, cer-
tains éléments de la vie morale traditionnelle, vont le conduire à grossir, ou à exagérer,
certains autres et à construire une morale personnelle et sociale qui ne manque pas
d'originalité et se présente toujours avec une très rare élévation de pensée.

La résignation, - Le trait le plus marquant de la morale personnelle d'Abü-l-cAlä'


c'est sa coloration stoïcienne particulièrement accusée. L'homme doit accepter, avec un
courage inflexible, les coups de l'inévitable destin, car c'est le seul moyen de s'en affran-
chir. La mort est, pour le commun des hommes, le plus redoutable des maux : il ne
faut pas le craindre, et lui-même ne la craint pas. A l'impassibilité du destin, l'homme
répondra par une acceptation silencieuse et dédaigneuse de sa propre servitude. Les pas-
sages qui suivent nous paraissent bien caractéristiques de cette soumission hautaine et
libératrice, si souvent exprimée par les Luzümlyät :
- « Que la mort s'approche de moi : je ne la crains pas.
- Celui-là est beaucoup plus fort qui a franchi le seuil de la mort.
- Celui que la mort a trouvé n'a plus de peines à redouter, ni de malheurs à craindre. »(6)
- « Nos corps ne sont que poussière. Ces corps cependant, quand arrive le moment où
ils doivent cesser leur agitation,

(1) Nicholson, op. cit., p. 142. - cUmar (4) Ibid, p. 167-168.


Farrûh, op. cit., p. 54-55 et 84. (5) Taha Husain, Tagdïd, p. 292.
(2) Luzümlyät, II, p. 119. - Nicholson, (6) Luzûmîyat, I, p. 107-109. - Nicholson,
op. cit., n° 88, p. 91 et 234. op. cit., n° 40, p. 73 et 219.
(3) Nicholson, op. cit., p. 191-193.

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152 HENRI LAOUST [34

- Sont saisis de frayeur à l'idée q


- Et cependant ce retour est
auraient-ils la santé d'un corbeau
- «Mon Dieu, quand donc quitte
- J'ignore quelle est mon étoile
du mal.

- Je n'ai pas d'ami qui attende mon aide, ni d'ennemi qui redoute ma vengeance.
- La vie est une maladie qui frappe l'homme. La mort est le remède qui apporte la
quérison du mal. » (2)
L'ascétisme. - Ce sentiment de résignation courageuse se prolonge ri«™ un ascé-
tisme d'une étonnante rigueur.
- «Le plus noble des dons du destin, c'est de renoncer à tous ses dons. Le Destin,
quand il donne, le fait d'une main prête à reprendre.
- Bien préférable à une vie d'opulence est une vie de besoin, et, à la parure éclatante
d'an roi, le vêtement d'un moine. » (3)

Cet esprit de mortification a trouvé son expression la plus surprenante dans le végé-
tarisme intégral qu'Abû-l-cAlâ: s'était imposé et qu'il avait poussé jusqu'à l'interdiction
des œufs, du lait et même du miel. De ce végétarisme toutefois, il ne nous a jamais donné
une véritable justification théologique, et il s'est borné à l'expliquer par des raisons de santé,
d'économie, ou de respect de la vie animale (4). Sans doute une telle attitude heurtait-
elle trop ouvertement l'optimisme providentiel de la théologie dominante et conduisait-elle
à mettre en doute la souveraine justice de la sagesse divine. L'idée cependant^ où l'on a
voulu parfois rechercher une trace d'influence hindoue (5), n'était pas entièrement nou-
velle dans le monde de l'Islam, où il n'était pas rare de voir de pieux ascètes s'imposer un
régime dont l'alimentation carnée était plus ou moins strictement bannie. L'un des plus
célèbres et des plus anciennement connus avait été un solitaire bagdadien, contemporain
des premières manifestations du mysticisme musulman, (Abdak, mort en 210, fondateur
d'une secte chiite à laquelle il donna son nom et qui encourut la condamnation
de la théologie traditionnelle (6).
Le deuxième trait non moins marquant de l'ascétisme d'Abû-l-cAlâ5, c'est l'exhorta-
tion à la non-procréation que l'on rencontre si fréquemment dans les Luziïmîyât. Procréer,
c'est augmenter la somme du mal dans le monde en offrant de nouvelle victimes
à de nouvelles souffrances. Les hommes* s'ils étaient intelligents, ne donneraient jamais

(1) Luzûmïyât, I, p. 81. - Nicholson, cit., p. 73. - Voir aussi Dr. Muhammad Bey
op. cit., n° 78, p. 88 et 231. cAbd Al-Hamïd, Al-Méarrï an-nabâtï, in Hilâl,
(2) Luzûmïyât , II, p. 333. - Nicholson,1938, XL VI, p. 878-883.
op. cit., n° 85, p. 91 et 233. (5) Discussion de cette thèse, d'abord
(3) Luzûmïyât , I, p. 115, - Nicholson,soutenue par von Kremer, dans Nicholson,
n° 8, p. 61 et 210. op. cit., p. 137-138.
(4) Question particulièrement étudiée par (6) Massignon, Textes inédits relatifs à la
Margoliouth, JRAS , 1902, p. 289. - Nichol-
mystique musulmane , Paris, 1929, p. 11.
son, op. cit., p. 134-138. - cUmar Farrûh, op.

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35] LA VIE ET LA PHILOSOPHIE D'ABOU-L-CALA AL-MACARRI 153

le jour à un enfant, et, plutôt que de chercher à se multiplier, il vaudrait beaucoup


mieux, pour les peuples, de chercher à disparaître (1). Lui-même, si l'on en croit la
tradition littéraire, eût voulu que l'on gravât sur sa tombe le vers que voici :
- « Voici le crime que mon père a commis à mon égard. Quant à moi , je ne l'ai com-
mis envers personne . » (2)

Mais cette exhortation cependant ne conduit nullement à la négation du vouloir


vivre et à une philosophie du suicide. Située dans l'ensemble de la pensée d'Abü-l^Alä3,
elle est l'expression de cette amertume souvent dramatique par laquelle les Luzùmïyât
amènent l'homme à réfléchir sur sa propre misère, à se convaincre qu'il vaut mieux
disparaître que d'y perséverer, et à chercher enfin, en lui, les moyens de son salut (3).

La solitude. - Evoquant la décision qu'il avait prise de vivre hors du monde et


proposant cet idéal de vie comme la seule attitude digne du sage, Aba-l«cAlã'
dans les Luzûmïyât, y voit parfois une abdication sans grandeur à laquelle l'au-
rait acculé une longue suite de déceptions et de malheurs (4). Mais, le plus souvent, il
trouve, à ce besoin de solitude, une justification dans le sentiment qu'a l'homme de génie
de vivre incompris et étranger dans sa propre patrie, dans la promiscuité dangereuse du
mal environnant, dans la conviction enfin que c'est hors d'une société qui avilit et cor-
rompt, que le sage peut vivre librement selon les lois de la raison (5).
- « Si différentes manières d'être distinguent les hommes , tous sont les mêmes par la
perversion de leur nature .
- Que tous les fils d'Eve ne me ressemblent-ils ! Mais combien sont mauvais les fils
auxquels Eve a donné le jour !
- Dans mon éloignement des hommes , j'ai trouvé un remède à leurs erreurs. Leur com-
pagnie est an mal dangereux pour la raison et la religion.
- Ainsi, tin vers isolé n'est pas astreint à la rime, et ne renferme aucune faute de mé-
trique. » (6)
- « L'âme est une chose subtile , que la raison ne peut percevoir , et qui vit à l'étroit
dans le corps.

avoir conscience de ce qui l'attend , lorsqu'elle sortira du corps ?

lent dans la nuit.

- Aucun des hommes qui] l'observent ne peut , lorsqu'une âme est enlevée , e
parfum.

(1) Tãhã Husain, Tagdïd , p. 300. - (4) Nicholson, op. cit., p. 125. - Râgkûtï,
Nicholson, op.cz/., p. 139-140- cUmarFarrûh, op. cit.
op. cit.. p. 71-72. (5) Nicholson, op. cit., p. 122-126. -
(2) Bidãua , XII. ^ cUmar Farrûh, op. cit., p. 72-73.
(3) Cf. les remarques de Tãhã (6) Luzûmïyât, I, p. 40. - Nicholson,
Husain,
Tagdïd , p. 299-300. op. cit., n° 175, p. 126 et 253.
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154 HENRI LAOUST [36

- L'homme le plus heureux est


dont on dit , quand il est mort : i

L'on retrouve ici, chez Abo-


de la solitude du sage qui, détac
dans la patrie spirituelle où il e
serait cependant injuste de ran
philosophe de l'entourage de Sai
de leurs aspirations en dehors de
curseur lointain de l'école anda
idée que c'est en dehors de tout
à Dieu et devenir membre de l'
tel qu'Abü-l^Alä3 le comprend,
nomie morale, mais encore de
perfections d'une société corro
charité que les Luzûmïyât , si so

La morale de la pitié et de la
son pessimisme lui a montrés c
timent dominant de la morale d
derrière les expressions les plus
héroïque pour lui-même, il souh
l'indulgence, la compassion et l
penche souvent et il voudrait l
gent (3). Il s'apitoye sur tous les
par leurs fils, ou des esclaves à
Apôtre de la tolérance, il est ho
Apôtre de l'égalité des religion
Berbères, Juifs, Chrétiens et M
ture, peu importe le dogme au
tiennent (5). Apôtre du pacifism
qu'il décèle à l'origine de tou
sans eau séparassent les peup
l'inhumanité de l'homme pour l'
compréhension réciproque, de si
cience de l'effroyable condition
raison et d'amour (6).

(1) Luzumïyât, I,
- Nicholson, op. p.
cit., p. 198-199197.
et 201-202. - Nic
op. cit., n° 270, p. 180 et
(4) Nicholson, op. cit., p. 195-196.276.
(2) Nicholson, op.
(5) Nicholson, cit.,
[ op. cit., p. 195-196. p. 201.
(3) Pour les idées d'Abû-l-cAlâ' sur les (6) Nicholson, op. cit., p. 202-203.
animaux, cf. Tãhã Husain, Ťagdtd, p. 306-307.

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87] LA VIE ET LA PHILOSOPHIE d'ABOCJ-L-'ALA AL-MACARRI 155

- « Lorsqu'une âme sen va, considère-la comme un fil usé que Von relire d'un vieux
manteau .

- Si le destin te frappe durement , plie-toi avec résignation à ses coups, et vis avec
sérénité comme si tu n'avais pas été touché.
- Que de fois une braise , sur le point de s'éteindre , lance , de temps à autre , une lueur
nouvelle .

- O chef d'armée , modère-toi. Ce n'est pas pour une cause qui est tienne
que la poussière ťenveloppe.
- Le destinlqui t'accorde parcimonieusement ses dons , ne cesse de faire une abondante
moisson de vies humaines .
- Epargne-nou*. Il nous suffit d'un destin follement désireux de nous persécuter.
- Viens plutôt à l'aide de l'homme baigné de larmes que la peine accable . Et demande
à l'homme qui rit quelle est la raison de sa joie. » (1)

Le réformisme social. - Messianique certes, par quelques-uns des traits que nous
venons de dégager, mais nullement révolutionnaire, idéaliste mais non utopiste, Abü-1-
cAlà) nous apparaît souvent, par contre, comme un réformateur modéré et presque conser-
vateur qui trouve, dans l'application des principes de la morale traditionnelle, un remède
à quelques-uns des maux dont la société dont il est le témoin lui paraît si profondément
souffrir.

D'une exceptionnelle sévérité pour la femme, qu'il considère comme la source de tout
mal, dont la corruption lui paraît plus néfaste encore en ses conséquences que celle de
l'homme, et dont la séduction s'exerce sur l'homme dès l'instant même où ce der-
nier lui rend son salut, partisan d'une rigoureuse séparation des sexes, il exhorte
souvent ses contemporains à la pratique d'une vie de famille d'une austérité particulière-
ment rigide. Sans doute critique-t-il la polygamie, dans laquelle il voit une menace pour
la stabilité de la famille et la pureté de la race ainsi qu'une injustice à l'égard de la fem-
me, mais son idéal de la vie de famille reste celui d'une épouse modeste, laborieuse
uniquement consacrée aux soins de sa maison et témoignant à son maître une obéissance
respectueuse. (2)
Quand il exhorte le sage, dans certains vers, à n'accepter aucune fonction publique,
Abù-l-cAlâD reprend un vieux thème de la théologie musulmane, que l'on retrouve chez
quelques-uns des canonistes qui ont donné de leur religion l'interprétation la plus politi-
que qui soit, et il met en garde contre les compromissions du pouvoir beaucoup plus qu'il
ne formule une interdiction absolue. Il a si peu pensé que l'homme dût vivre enfermé
dans un égoïsme solitaire et orgueilleux, que son abstentionnisme apparent ne l'empêche
pas d'énoncer souvent l'idéal politique le plus orthodoxe qui soit. Il se fait du prince une

(1) Luzumïgât , I, p. 208-209. - Nichol- p. 301. - Nicholson, op. cit., p. 204-205. -


son, op. cit., n° 57, p. 80 et 225. cAbd Ar- Raiman SidqI, Al-Mar'a fî rďy
(2) Bon exposé des idées d'Abü-l-'Alä* AbU-1 AW, in Hilql, 1938, XLVI, p. 928-936.-
sur les femmes dans Tãhã Husain, Tagdïd, cUmar Farrûh, op. cit., p. 65-72.
*

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156 HENRI LAOUST [38

idée fort noble, conforme aux


lam : celui d'un chef temporel
dérerait comme le premier serv
chacun et le premier artisan d
divorce entre l'idéal et la réa
autres idées, non moins orthod
compris dicte de témoigner au
On est en effet assuré de trouv
que et sociale, qui mériterait
qui, par certains côtés, évoque
mocraties, comme on l'a dit pa
despotisme éclairé.

(1) Sur sa philosophie politiqu


mataluhu al-t/lã al-
notations dans
p. Tãhã
1037-1040.
Husain, - cAb
op.
304. - Nicholson, op. cit.,
Abã-l-cAla> p. 10
as-siyãsí
mad Açmad Õãd Al-Maulã Bey, A

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CONCLUSION

L'analyse de quelques-unes des idées générales de la philosophie d'Abü-


va nous permettre d'entrevoir une réponse à la question que nous nous étion
comment situer Abü-I-cAlä3 dans l'histoire de la pensée musulmane ? Les critiq
vives que nous l'avons vu adresser au qarmatisme, comme à l'ismaélisme tempéré
ciel des Fatimides, ainsi qu'à des sectes dérivées, comme celle des Hâkimïya, ne
torisent certes pas à le ranger dans l'une d'entre elles. Mais, par son amertume m
sique, son relativisme religieux, son rationalisme à tendances gnostiques, le
particulièrement accusé de son ascétisme, l'inspiration humanitaire, égalitaire et
tionaliste de sa morale, le symbolisme de toute sa pensée, son désir de chercher
des manifestations ritualistes de la religion, leur signification morale profonde, i
tain qu'Abû-l^Alâ3 a été influencé par quelques-unes des idées maîtresses
retrouve à l'origine du mouvement philosophico-religieux des Bãtiniya, terme
vantage de réunir, sous une appellation commune, les deux sectes politiquemen
des Qarmates et des Ismaéliens. L'indépendance d'Aba-l-cAlã3 et, en même temp
éclectisme se comprendront au surplus aisément si l'on songe que l'époque à laq
vécua été le témoin d'une crise dans l'histoire des Qarmates et des Ismaéliens. Dan
tunisme politique qui maintenait encore les Qarmates au pouvoir, on ne retrouv
rien de l'élan révolutionnaire qui les y avait portés et avait menacé, un moment, l
du califat abbasside. L'ismaélisme des Fatimides s'est affaibli, sous al-Hãkim, pa
mation d»la secte des Druzes. L'immense effort de propagande de Mustansir tra
trouble intérieur ; la mort du calife sera le signe d'une nouvelle scission. On pe
enfin amené, en lisant Abû-l-cAlâ' à constater combien le mécontentement, ou
sion, nés du régime des Fatimides était profond en Syrie, même dans des milieux
certaines de leur idées,- et à concevoir combien la conquête salguqide et la resta
de dynasties sunnites allaient s'en trouver facilitées.

Damas le 30 juin 19ÍÍ.


Henri LAOUST

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