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D'ABÜ-L-'ALÄ' AL-MA'ARRÏ
Cette année 1363 de l'hégire, les différents pays de langue arabe ont célébré, avec
un éclat particulier, le millénaire de la naissance de l'un de leurs plus célèbres poètes«
Abü-l-cAlä3 de Macarra, qui, depuis de longues générations, s'est imposé à leur admi-
ration à la fois par la virtuosité de son art, la profondeur de sa pensée et la grandeur de
son caractère. C'est à ce poète, dont on a pu dire parfois qu'il était le poète des philosophes
et le philosophe des poètes, que nous voudrions consacrer les quelques pages qui suivent.
Nous avons jugé, en effet, qu'il était de notre devoir de nous associer à l'hommage que les
Orientaux eux-mêmes lui rendaient, en permettant à ceux qui n'ont, ou ne peuvent
avoir, un accès direct à ses œuvres, de faire plus ample connaissance avec une personna-
lité si énigmatique, qui n'appartient pas seulement à la littérature arabe, mais nous paraît
digne d'être versée au patrimoine de la littérature universelle.
Il ne saurait être question d'analyser les secrets de son art et de sa technique, dont
les beautés, intraduisibles, doivent être goûtées dans leur langue d'origine, ni de
reprendre une question jadis si longuement débattue, mais non résolue, celle de l'influ"
enee d'Abu-l-cAlã3 sur Dante et des origines musulmanes de la Divine comédie (1). Il nous
a paru par contre opportun de présenter, aussi brièvement et clairement que possible,
avec la biographie de ce poète, si tourmentée dans sa simplicité, un exposé des caractères
généraux de sa philosophie, en essayant de les situer sommairement l'une et l'autre dans
le développement historique et doctrinal qui concourt à les expliquer.
. Pour atteindre ce but, celui d'une compréhension synthétique d'un personnage par
certains côtés si complexe, nous avons trouvé une voie particulièrement dégagée. De
nombreux travaux ont déjà été consacrés à l'étude d'Abû-l-cAlâ5 aussi bien en Orient
qu'en Occident (2). Citons la monographie du professeur Tãhã Husain, présentée avec une
1927,
(1) Blochet, Les sources orientales de la VII, p. 266-274; 359-365 ; 404-408;
Divine comédie, Paris 1901. 490-496; 1928, VIII, 91-96; 172-179; 226-230;
Miguei. Asin Palacios, La escatologia 287-291
mu- ; 350-359.
sulmana en « la Divina Comedia », Madrid 1919. (2) On trouvera une bonne bibliographie
- (CR. in Revue du Monde Musulman, XXXVI, générale dans C. Brockelmann, Geschichte der
arabischen Litteratur, Weimar, 1898, I, p. 254-
p. 23 et suiv.; et RMM, XLVII, 1924, p. 214-215.)
QustãkI Al-Homsï, Al-Mawãzana bain 255; Supplement, 1937, I. p. 449-454. On ajou-
tera à cette bibliographie les ouvrages suivants :
al-Ulcûba al-ilâhïya wa Risãlat al-Gufrãn , RAAD,
I) LA VIE D'ABÜ-L-C
Io) LES ANNÉES DE JEU
Origine et naissance . - Né
florissante qui faisait partie d
qui dépendait alors de la pri
tenait à une vieille famille a
sa famille avait vécu un certa
de venir s'installer en Syrie. S
et plusieurs de ses oncles mat
de quatre ans environ, en 367
Cette cruelle infirmité, que se
« Nous sommes dans l'ignorance. Nous n'arrivons pas à connaître, malgré tout notre
désir, ce que la destinée veut de nous. La science n'appartient qu'à Dieu, dispensateur de
tout bien.
- Une fois descendu au tombeau, l'homme garde son secret et ne nous livre pas ce que
nous aimerions savoir. »
Les voyages en Syrie du Nord ( 37 8-3 8 h ). - A une date qu'il est difficile de pré-
ciser, sans doute entre 378 et 384, Abü-l-cAlä3 al-Maarrï alla continuer ses études à Alep
auprès d'un de ses oncles maternels. La vie intellectuelle, bien que sur son déclin, était
toujours brillante dans la grande capitale hamdanide. A Alep, Abû-l- Alâ5 étudia sous la
direction de disciples du philologue Ibn Hälawaih, et put aussi fréquenter quelques-unes
des riches bibliothèques qui s'y trouvaient, en particulier celle de la grande mosquée,
dont un poème du poète chiite al-Hafâgl nous apprend l'existence, et qui devait être
incendiée, durant le séjour d'Abû-l-cAlâ:>, au cours de bagarres entre Sunnites et Chiites,
un jour de cašůrď (3).
Certains biographes - al-Qiftï et ad-Dahabi - affirment qu'Abü-l^Alä5 se rendit
ensuite à Tripoli et, qu'avant d'arriver dans cette dernière ville, il fit halte, près de
Lattaquieh, dans un monastère, où l'un des moines lui enseigna la philosophie et l'amena
au doute. D'une anecdote rapportée par l'émir Ibn Munqid, l'ancêtre des princes de
Chaizar, on a pu conclure qu'Abü-l-cAläD serait aussi allé étudier dans les bibliothèques
de la ville d'Antioche.
L'historicité de ces voyages a été parfois mise en doute. Le biographe alépin Ibn
al-cAdîm, qui les nie, fait remarquer que Tripoli ne devint une capitale intellectuelle
florissante, digne d'attirer un lettré comme Abü-l-cAlä' que beaucoup plus tard, quand
le cadi chiite Ibn cAmmãr,qui s'y était rendu indépendant, y eut fondé, en 472/1079, une
célèbre université (dãr al-Hlni) et une bibliothèque, dans laquelle plusieurs des œuvres
(1) Massignon, in Motanabbi , op. cit, p. 6. (3) Rägib Tabbäh, op. cit9 IV, p. 137-138,
(2) Sur ces premières années, cf. TãhIbiographie ďal-Hafagl (+ 466), IV, p. 201 ; cf.
Husain, Tagdïd, p. 121-131 et Râgkûtï, op. cit., aussi Brockelmann, GAL , I, p. 256 et Supplé-
p. 65-66. ment, I, p. 454.
(1) C. Rieu, De Abul Alae vita et carmini - Husain, op. cit., p. 135-137. - Sur la biographie
bus , Bonn, 1843. - Ed. de Büläq, et de Bey- d'Abü-1-Qäsim al-Magribï, cf. la Bidãya, XII,
routh, 1884. - Plusieurs commentaires arabes p. 23.
ont été publiés ; cf. GAL , I, p. 255 et Supplément, (3) Il lui demande une copie du commen-
I, p. 452. - Voir aussi Tãhã Husain, Tagdïd, taire du Kitãb de Sïbawaih, qu'avait composé
p. 194. Abu Sacld as-Sïrâfï (+ 368). Râgkûtï, op. cit.
(2) Râgkûtï, op. cit. p. 87-90. - Tãhã p. 86.
La décadence politique de B
devait y rester que relative
abbasside est alors al-Qâdir, lu
La réalité du pouvoir politiqu
dont la dynastie cependant,
signes de défaillance (3). C'est
des conquêtes de Mahmad le
rapporte (4). On ne saurait m
constater combien était alors
nom est acclamé en 398 au
crise de dévotion, en l'an 400,
nombreux et fort unis doctrinalement (1). Ahmad al-Masawi, qui occupe le poste de naqïb
des Alides,est le chef d'une famille aussi puissante que celle du calife ; quand il meurt en
400, Abû-l-cAlâ5 lui consacre une élégie (2). Ses deux fils sont des littérateurs également
fort célèbres : le poète aš-Šarif ar-Rãdl (3) (-f-406), et aš-Šarlf al-Murtadä (4), l'auteur
présumé du Nahý al-baläga et dont Abü-l-(Alá5 devint l'ami. L'époque des Bouyides, si
favorable au développement du Chiisme, ne l'est pas moins à celui du muctazilisme et de
la philosophie : Avicenne, rappelons-le, meurt en 428.
Abo-l-cAlâ5 devait, d'autre part, trouver à Bagdad deux grandes bibliothèques pu-
bliques dont les conservateurs allaient devenir ses amis : la bibliothèque des califes, qui re-
montait à Härün ar-Rašld, et la bibliothèque chiite que Sâbûr, le ministre du sultan bouyide
cAdud ad-Daula, avait fondée en 381 en même temps qu'une université (5). Abû-l^Alâ5
donc allait vivre à Bagdad - où il habite le quartier de Karh - dans une forte
ambiance muctazilite et chiite, et il est permis de supposer qu'il n'a pas été sans en res-
sentir l'influence, dans une mesure qu'il resterait toutefois à déterminer.
La vie ď Abn-l^Alď à Bagdad. - Bien que les historiens soient avares de rensei-
gnements sur le séjour d'Abü-l-cAlä3 à Bagdad, nous pouvons toutefois, à la lecture de ses
propres œuvres, arriver à nous faire quelque idée de la vie qu'il y mena (6). A en juger
par une lettre qu'une fois de retour à Macarra, il adressa à son oncle Aba Tãhir et
dans laquelle il se flatte de ne plus avoir eu de maitre, aussi bien en Syrie qu'en Iraq,
depuis l'âge de vingt ans, Abû-l-(Ala3 ne s'attacha, à Bagdad, à aucun enseignement
particulier. Si nous en croyons cependant la tradition , il aurait eu l'intention d'assister
avec quelque assiduité aux conférences du grammairien Abü-1-Hasan ar-Rabaci, mais
l'insolence avec laquelle il aurait été accueilli, l'aurait détourné de ce projet (7). Dès
son arrivée à Bagdad, où l'avait précédé une réputation que son séjour devait encore
accroitre, Abû-l-cAlâ3 participe aux principales réunions intellectuelles de la capitale«
chez al-Murta(lâ, à la mosquée d'al-Mansûr, chez le cheikh al-Wãgikã, et fréquente plus
particulièrement la bibliothèque de Sabor. 11 continue aussi d'écrire, et plusieurs
des poèmes qu'il compose alors - panégyriques ou élégies - figurent dans le Saqt
az-zand. Son autorité de critique littéraire est déjà suffisamment reconnue pour que plus
d'un poète - et non des moindres - viennent lui soumettre leurs vers.
Mais, si important que soit ce séjour, il ne semble pas que l'on puisse soutenir qu'il
des philologues. Le grammairien Abo cAli ibn Furraga, originaire d'Isfahan, était
aussi un admirateur de Mutanabbî, dont il critiquait la recension faite par Ibn Ginni
sans doute put-il compléter, auprès d'Abû-l^Alâ5, sa connaissance du grand poète de S
ad-Daula (1). - Le cadi at-Tanühl le jeune, fils de l'auteur du Niàwãr al-muhtãdara
lui-même littérateur distingué, était en outre connu pour ses sympathies muctazilite
et chiites (2).
Un troisième personnage, grammairien et philologue lui aussi, Abo Ahmad cAbd as-
Saläm, connu sous le nom d'al-Wãgikã, pose un petit problème d'histoire littéraire (3)
Râgkûtï pense qu'al-Wâgikâ était alors conservateur de la bibliothèque des calife
tandis que le cheikh Abû Mansar avait la charge de la bibliothèque de Sâbûr. Or, si no
en croyons, entre autres historiens, al-Hatïb al-Bagdâdï et Ibn al-Gauzî, al-Wãgikã fu
bibliothécaire du dãr al-Hlm ou du dãr al-kutub, terme par lequel on devra comprend
la bibliothèque de Sabor, comme nous le dit expressément as-Safadi. Peut-être pourrait-
supposer que, fort âgé lors de l'arrivée d'Abü-l-'Alä3 à Bagdad, al-Wãgikã avait abandon
ses anciennes fonctions et que celles-ci étaient alors exercées précisément par le cheik
Abû Mansur (4). Quoiqu'il en soit, il est certain qu'Abü-l-'Alä3 se lia d'une vive ami
avec al-Wãgikã, à qui il dédia un poème et auquel il devait faire plusieurs allusio
dans ses œuvres. Nous savons d'autre part qu'Abü-l-cAlä:i assistait fréquemment a
séances littéraires qui se tenaient chez al-Wãgikã; lui-même évoque ces réunions d'« am
fidèles» ( ihwäix tís-safď)t où l'on a parfois voulu voir, bien gratuitement, des réunio
secrètes sur le modèle de celles qu'évoque le simple titre de la grande encyclopé
qarmate(5).
(1) R. Blachère, Molanabbî, op. cit., (6) Au cours d'une discussion littéraire,
p. 277-278. - Remarques intéressantes dansal-Murtadã attaque vivement al-Mutanabbï.
Râgkûtï, op. cit., p. 162 et aussi p. 143. Abü-l-cAlä5 lui réplique en disant que tel
(2) Courte biographie dans la Bidãya,XUtfameux poème de Mutanabbî, dont il se borne
p. 67. - Cf. Râgkûtï, op. cit., p. 130-131. -à citer le premier vers, suffit à consacrer la
Notice de Paret, in El. gloire inégalable de Mutanabbî. Al-Murtadã,
(3) Râôkûtï, op. cil., p. 121-126. furieux, fait remarquer qu'Abü-l-cAlä' a cité ce
(4) Ragkùtï, op. cit., p. 126-130. poème uniquement parce qu'on y trouve levers
(5) Voir, sur ce sujet, les remarques desuivant : « Si quelque sot vient à me critiquer
Tãhã Husain, Tagdïd, p. 151, et les critiquessache que c'est là la preuve de ma perfection.»
de Râgkûtï, op. cit., p. 125. - Salïm Al-Ôundï,Cf. Tãhã Hüsain, Tagdïd, p. 152-154. -
RAAD, 1941, XVI, p. 346-351. Râgkûtï, op. cit., p. 155.
L'évolution politique de WO à
de l'année 400, c'est toujours l'é
en plus menacée par l'ambitio
en 402 et 405, est sur le point
rivalité, et de l'imbroglio d'int
Alep, de 406 à 414, des gouvern
sant de ces gouverneurs fut cA
une principauté indépendante
fatimide, déjà affaibli par les i
faire face en Syrie, en 414, à
au cours de laquelle Sãlih b.
(427-487) réagit avec vigueur et
idéologique (4). 11 lui faut, en e
des Salguqides qui, dès 430, s'
intervenir à Bagdad même, o
décadence des Bouyides (5).
La dynastie des Mirdasides qu
et réussira à s'y maintenir, ave
d'elle-même pour ressusciter
vassaux des Fatimides, les Mird
égyptiens. Le règne de Sãlih b.
partie de la Syrie, est aussi court que brillant, et celui de son fils Šibl ad-Daula
Nasr (420*429) offre l'affligeant spectacle de luttes fratricides où s'entremêlent intrigues
byzantines et fatimides. Leur commun vainqueur, le gouverneur fatimide de Damas
Anuštakln, réussit à grouper, sous une ferme autorité bientôt déçue par le Caire,
de 429 à 433, les deux principautés de Damas et d'Alep. Ce n'est qu'avec Timâl, un
autre fils de Sãlih, que la dynastie mirdaside réussira à se rétablir à Alep, où elle
demeurera jusqu'à la mort d'Abü-l- Alä) en 449.
La vie de retraite à Macarra. - Une fois rentré de Bagdad, au début de l'année 401,
et jusqu'à sa mort en 449, Abü-l-cAlä3 ne devait plus quitter Macarrat an-Nu mãn (1). Il
y vécut dans cet ermitage de solitude et d'ascétisme qui devait contribuer à façonner,
devant la postérité, sa physionomie légendaire. Lui-même s'est donné le nom de double
prisonnier : prisonnier de sa cécité et prisonnier de la demeure qu'il avait fait le vœu de
ne plus quitter. La mort de sa mère, qui survint au cours de son voyage de retour, lui
causa une immense douleur, qu'il exprima en de fort beaux vers, et ne fit que le raffermir
dans sa volonté de renoncement et d'austérité (2).
Son activité restait ce qu'elle avait toujours été. Il enseignait la grammaire, la
philologie et les belles lettres, et nombreux étaient les étudiants que réunissait autour de
lui sa renommée de professeur. Il continuait de composer ; de cette période datent
ses grandes œuvres poétiques, dont nous aurons à reparler, et qui portèrent très loin,
jusqu'en Andalousie, sa réputation littéraire. On s'est souvent demandé quels étaient
ses moyens d'existence. Il est certain qu'il ne connut jamais la pauvreté, bien qu'il en ait
fait l'éloge dans quelques-uns de ses vers, mais qu'il vécut dans une aisance relative, à en
juger par les dons en argent qu'il lui arrivait de faire à des voyageurs de passage. Sans
doute disposait-il des revenus d'un modeste bien de famille, et peut-être aussi consentait-il
à accepter quelques menus dons de ses élèves ou de ses compatriotes ; il refusera en tout
cas toujours les pensions officielles qui lui seront parfois offertes (3).
Indépendant, Abü-1-Alä3 le restera toujours, mais pas au point de vivre hors
de son temps et impassible devant les événements souvent douloureux dont il
est le témoin. Sans entrer dans le détail de ces événements, dont nous avons rappelé
plus haut la chronologie sommaire, il peut être intéressant de se demander ce que furent
les relations d'Abü-l-cAlä3 avec les Mirdasides, les Fatimides, leurs gouverneurs ou
leurs missionnaires. Les rapports qu'il entretient, ou refuse d'avoir, avec certains person-
nages politiques expliquent certaines de ses œuvres, et peuvent aussi contribuer à donner
la raison dernière de quelques-uns des aspects de sa philosophie morale.
Âbû-l-rA l(f et les Mirdasides . - Ennemi de tout excès et discipliné par raison,
(1) Rãúib Tabbãh, 'I' tiri h Halab, IV, (3) Rãgib Tabbãh, op. cit. IV, p. 153.
p. 145. - Tãhã Husain, op cit p. 173-175. - (4) Tãha Husain, op. cit., p. 287-288. -
Râgkûtï, op. cit., p. 238-241. - 'Umar Farrûh, Nicholson, op. cit., p. 183.
Hakïm al-Macarra, p. 27-28 et p. 32. - Nichol- (5) Nicholson, op. cit., p. 102. - Remar-
son, Studies in Islamic poetry, p. 97, 98, et 101.ques importantes sur les relations entre Abu-1-
(2) Nicholson, op. cit., p: 101 note 7 ; 'Ala' et les Druzes in 'Umar Farrûh, op. cit.,
p. 101-103, 105, 166. p. 85-89.
pas ménagé la secte dont les Hâkimiya sont issus, celle des Qarmates, au
adresse des critiques rappelant celles que leur font habituellement les hér
sunnites. Il dénonce* dans l'action des Qarmates, une offensive dirigée contr
les Arabes; il leur reproche leur apostolat belliqueux et accuse leurs c
nourrir que des ambitions personnelles (1).
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il ne m
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nimen
la sienne.
Il a composé un ouvrage auquel il a donné le titre de Fousoul oui Ghaïat et dans
lequel il a introduit des phrases énigmatiques et des allégories exprimées en un style
si éloquent et si merveilleux que l'on ne peut en comprendre qu'une faible partie et qu'il
faut lire ce livre devant lui pour entendre ses explications. On lui a reproché d'avoir
voulu, dans cet ouvrage, faire la critique du Coran. Il est toujours entouré de deux cents
disciples venus de différents pays, et qui se livrent, sous sa direction, à l'étude de la litté-
rature et de la poésie (2). »
Les disciples et les visiteurs. - Parmi les nombreux disciples qui se pressaient à
dette époque autour d'Abü-1- Alä3, l'un d'eux mérite d'être rappelé ici. C'est le jeune
Aba-Zakãriyã at-Tibrizi, qui arriva à Macarra, à peine âgé d'une vingtaine d'années, en
440, et y séjourna jusqu'en 447. Après avoir étudié la philologie à Ma arra, at-Tibrizi alla
l'enseigner au Caire et finit sa carrrière à la Ni?ãmiya, la grande université sunnite que le
ministre salguqide Nizâm al-Mulk devait fonder à Bagdad en 459. At-Tïbrlzl, qui fut
un des maîtres de la lexicographie et de la grammaire arabes, nous a laissé un
important commentaire du Saqt az-zand, bien que, durant son séjour à Macarra, il ne se
soit pas contenté d'étudier ce dernier ouvrage, mais qu'il ait aussi appris, sur les consei
d'Aba-l-cAlã3, une partie des Luzùmïyât (1).
On ne saurait certes songer à énumérer ici les nombreux voyageurs qui,
de tous les points du monde musulman, même du Magrib, passent à Macarra
an-Nucmãn et tiennent à rencontrer le poète (2). Il peut être intéressant de remarquer
que les idées d'Abü-l-cAlä3 ne parurent pas, à quelques-uns de ces visiteurs, de la plu
rigoureuse orthodoxie. Ainsi, le cheikh Aba Yasuf fAbd as-Salâm al-Qazwini (393-448),
chef des muctazilites de son temps et lui-même zaidite dans le domaine du droit, rapporte
sur le compte d'Abil-l-cAlâ3, deux anecdotes qui mettent en doute la rectitude de se
croyances sur la nature de la prophétie et la personnalité de Husain (3).
Les principales œuvres d'Aba-l-cAlď. - C'est durant son long séjour à Macarra, de
401 à 449, avons-nous dit précédemment, qu'Abû-l-'Alâ3 composa ses grandes œuvre
littéraires. Beaucoup sont aujourd'hui perdues, ou demeurent inédites* et celles qui ont
été publiées ne le sont pas toujours correctement. L'œuvre maîtresse d'Abü-l-cAlä3 est
incontestablement son grand recueil de poésies, les Luzûmïyùt, où l'on est assuré de
trouver la somme de sa philosophie et, d'une manière générale, de toutes les idée
traditionnellement associées à son nom (4).
En dehors de la correspondan
les Fusül wa-l-gãyãt, dont une
d'être étudié avec soin. Ahû-l-'
le Coran, bien que, dans la Ri
pour avoir conçu une entrepris
II) LA PHILOSOPHIE
(1) Le - Râgkûtï,
Caire, op. cit., p. 284-285. - Açmad
1356/1938.
(2) Tãhã Husain, Tagdid, p. 186. - Taimur, Abu-l^Alď al-Macarrî9 p. 127-132.
Râgkutî, op. cit., p. 250 et 252. (5) Cité par Nicholson, in JRAS , 1900,
(3) Bidãya, XII, p. 72, et 79-84. p. 637. - Dans son muhtaçar , Dahabl se borne
(4) Rãgib Tabbãh, Târïh Halab, IV, à dire que « sa caqlda était mauvaise». Târïh
p. 163-165. - Tãhã Husain, op. cit., p. 170-172. duwal al-Isläm , Haidarãbãd, 1337, I, p. 204.
« O fils d'une mère compatissante, Dieu tout puissant fait ce qui bon lui semble.
- Tu tiens, après ta mort, un discours plein de sagesse, alors que le destin haï vient
de t'enlever.
- En ce monde, dis-tu, j'ai été mis contre ma volonté. J'ai vécu. Combien de fois ai-je
dû prendre remèdes et potions I
- Une année durant, mois après mois, j'ai grandi. Plût au ciel queje n'en eusse
rien fait !
- J'avais à peine reçu an nom et j'allais être sevré quand la mort me réclama, et
personne ne put me défendre.
- J'abandonnais à d'autres cette demeure déserte. S'il m'avait fallu y séjourner plus
longtemps, combien g eussè-je souffert !
- Je partirai pur, sans souillure. Si la vie avait duré, je serais parti souillé, et non
point pur.
- Qu as-tu donc, ô ma mère, à me pleurer ? Peut-être ai-je été choisi, pour habiter eu
l'autre monde, la demeure des élus.
(1) Nicholson, Studies in islamic poetrg, bain al-Ma(arrï wa Schoepenhauer, dans la revue
p. 47,52,95, et 206. - cUmar Farrûh, p. 37-39. al-Hilãl, XLVI, p. 951-958.
- Voir aussi fAu Adham, Falsafat at- tasa* um :
- Les femmes m'ont souvent fait exorciser : mais mon heure est arrivée , et la vie m* a
quitté , comme si je ne lavais jamais été .
- Suppose donc , ô ma mèret que j'aie vécu ce que vivent les aigles. Ce n'est que la mort
qu'en fin de compte, j'aurais encore trouvée.
- Je n'aurais pas connu ici-bas le sort du pauvre que l'oppresseur sans crainte oppri-
me , ni celui de l'émir que chacun redoute.
- Cest un bienfait du Seigneur tout puissant à mon égard que mon départ ait été hâté
et que je ne sois pas resté longtemps ici-bas . (1)»
- « Il eût mieux valu , pour Adam et sa postérité , de ne pas avoir été créés.
- A-t-il eu conscience , lorsque ses os n'étaient encore que poussière , des malheurs que
ses fils devaient avoir en partage ?
- ■ Qu'attends-tu d'une demeure dont tu n'es pas le propriétaire ? Tu g séjournes peu
de temps, puis tu dois t'en éloigner.
- Tu dois la quitter d'un air maussade , et, certes, sans louanges . Et au fond de toi-
même, tu restes passionnément attaché à elle.
- Tu es pour l'âme un vêtement . Tout vêtement s'use, même la côte de mailles et
l'armure .
- Les nuits, qui perpétuellement se renouvellent , l'ont usée ; et la perfidie avec laquelle
elles l'usent, est dans leur nature.
idées d'Abü-l-'Alä5
(1) Luzümtyät , Le Caire, 1343/1924, I, sur ce sujet dans Nicholson,
p. 159. - Nicholson, op. cit, N°II, p. 63 op.
et211.cit. p. 95-125 ; cf. aussi cUmar Farrûh, op.
(2) On trouvera une bonne analyse cit., des
p 60-64.
Le scepticisme. - Ce salut, cependant, il ne semble pas que ce soit dans les religions
positives qu'Abû-l-'Alâ'' aille le chercher ; le doute philosophique et le scepticisme
désabusé qu'on lui attribue communément tendraient plutôt à nous le représenter
comme un athée irréconciliable. Il est en effet incontestable qu'Abü-l-cAlä3 use
souvent, dans les Luzûmïyiit , en traitant de points de dogme fondamentaux,
« - Si les hommes ne se battaient pas pour les biens de ce monde , tous nos ouvrages de
dialectique n'auraient pas vu le jour . Nous n'aurions ni Mugnî ni cUmda.
- Les hommes se sont lancés dans des dissertations d'un faux brilianty qui fatiguent les
yeux, et ne reposent sur aucune base sûre .
- Ils ne cessent , de la Sgrie au Yémen , de construire des sgllogismes sans fin.
- Laisse donc leurs préoccupations terrestres, et contente-toi d'un Dieu tout puissant et
unique . » (4)
« - Réveillez-vous , ô qens égarés, réveillez-vous. Les religions que vous tenez pour
sacrées ne sont qu'un subterfuge des anciens .
- Qui n'avaient qu'une ambition, celle de s'enrichir, et qui la réalisèrent. Puis ils ont
disparu, et avec eux est morte la loi de gens vils et cupides . » (S)
« - Le Christianisme et, avant lui, le Judaïsme ont apporté des récits éloignés de toute
vérité.
- Les Persans allument leurs feux et prétendent qu'aucune puissance au monde ne peut
éteindre le feu.
- Mais tous les jours sont semblables les uns aux autres, et il n'y a pas de différence entre
les dimanches et les samedis . » (6)
(1) Tähä Husain, Taýdíd, p. 288, 289, 293. (4) Luzâmïyât, 1, p. 235. - Nicholson,
- Nicholson, op. cit., p. 145-146. - cUmar op. cit., n° 238, p. 164 et 268.
Farruh, op. cit., p. 48-50 et 50-54.
(5) Luzâmïyât, I, p. 54. - Nicholson,
(2) Kraus, Orientalia, V, p. 35. - Kraus
op. cit., n° 249, p. 173 et 271.
et Pines, al-Râzï, in EI, III, p. 1213. (6) Luzâmïyât, I, p. 151. - Nicholson,
(3) Luzâmïyât, I, p. 319. - Nicholson, op. cit., n° 250, 174 et 271.
N° 26, p. 68 et 215.
« - Religion , paganisme , traditions que Von transmet , un Livre (furqân) sur lequel on
s'appuie , une Taurât, un Evangile !
- Chaque génération a les mythes auxquels elle croit . Une génération , un jour, eiz/-
eZZe le privilège de la vérité. » ( 1 )
Par contre Abü-l-cAlä' dans ces mêmes Lazùmîyât , parle souvent avec les accents
d'une foi sincère. Il recommande, dans de fort beaux vers, la prière, le jeûne, l'amour
de Dieu. Abordant la question qui constitue la clef de voûte de toute religion ré-
vélée, la nature de la prophétie, il rejette avec indignation la thèse de l'ismaélien Abu
Hâtïm Razí ( + 322) - sans le nommer toutefois - thèse célèbre selon laquelle
la mission des prophètes n'aurait d'autre but que d'instaurer, en ce monde, un état et une
loi (2). Le poème qu'il a consacré à la gloire du prophète Muhammad est d'une haute
élévation de pensée, et c'est avec non moins de sincérité qu'il voit dans la religion musul-
mane, à laquelle il appartienila religion la plus belle et la plus rationnelle (3). Lui-même
proteste bien souvent de la rectitude de ses croyances :
« - Je n'ai rien de commun avec l'homme égaré et sot , en rébellion secrète ou publique.
- Qui supprime avec mépris la prière de V après-midi et dédaigne aussi celle de midi.
- Donne au pauvre que tu rencontres une aumône , si minime soit-ellef et ne le repousse
pas avec brutalité. » (4)
« - Je disparaîtrai , n'ayant jamais douté du Créateur. Ne me pleurez pas et ne me
laissez pas pleurer .
- Prenez ma conduite comme exemple. Elle vous mènera au bien. Priez durant votre
vie et faites Vaumône.
- Ne prêtez pas Voreille aux propos que tiennent certaines personnes et qu'un esprit
faible peut croire vrais . » (5)
- « Suis la raison et fais ce quelle te montre comme beau . C'est la meilleure des con-
seillères . »{ 1 )
- « Suivez la voie de la raison . Et que chaque homme ne place son espoir qu'en Dieu .
- N'éteignez pas la lumière que Dieu souverain vous a donnée , car cest pour que nous
en fassions usage , que Dieu a doté chacun de nous d'une flamme de raison . » ( 2 )
- « On nous rapporte des traditions qui , si elles étaient authentiques , seraient de la plus
haute importance. Mais on remarque un défaut dans leur isnâd.
- Consulte donc la raison , ef laisse tout en dehors d'elle . La raison est le meilleur guide
que l'on puisse trouver en ce monde . » (S)
- Si, par quelque excès de folie, ta es un de ceux qui nient Dieu, je témoigne , ô athée,
que je ne suis point des vôtres.
- Je redoute, pour demain, le châtiment de Dieu et je prétends que la toute puissance
est entre les mains d'un seul. » (3)
- « Je m'étonne qu'un médecin puisse nier l'existence du créateur, après avoir étudié
l'anatomie,
- Alors que l'astronome a appris ce qui établit la vérité de la religion.
- Des étoiles faites de feu, des étoiles faites de terre , d'eau ou d'air.
- L'homme intelligent, dans une compagnie, est celui à qui une allusion suggère un
long développement.» (4) S
- « Ton Seigneur , ion Seigneur , qui n'as pas d'égal , et qui confonds les infidèles ,
« Crois en lui, et ton âme s'élèvera , même s'il ne te reste plus qu'un souffle de vie.
« C'est grâce à cette croyance que tu pourras espérer le pardon de Dieu, lorsque tu seras
mis dans la tombe et que le fossoyeur's éloignera. » (5)
Mais, s'il est nécessaire d'avoir une croyance intelligente dans un être suprême, toute
spéculation concernant son essence et ses attributs est inutile, car l'esprit est impuissant
à les saisir. Dieu est un, éternel, tout puissant, souverainement sage. La sagesse est
démontrée par ses œuvres, bien que la fin dernière de la création nous échappe et que la
prédominence du mal dans le monde tende parfois à nous faire nier cette sagesse.
- « Dieu m'a façonné. Mais j'ignore pourquoi. Gloire à l'Etre tout puissant et
unique I » (Í)
- « Sans les merveilles de la nature, qui nous montrent que notre créateur a plus de
science et de sagesse que nous, nous dirions que le monde où nous sommes est une folie.» (2)
La raison, d'autre part, incapable de comprendre Dieu en dehors de ses propres exi-
gences, ne saurait saisir Dieu comme étant hors de l'espace et du temps ; sans aucune qua-
lité perceptible et sans limites, l'espace et le temps constituent le cadre dans lequel se
situent tous les événements et tous les objets sensibles :
- <r Vous dites : nous avons un créateur souverainement sage. Vous avez raison. C'est
aussi ce que nous affirmons.
- Vous prétendez qu'il est hors de l'espace et du temps. Pourquoi ne dites-vous pas tout
de suite :
C'est là un discours au sens caché, impénétrable à notre raison ?» (3)
Or, comme Abû-l^Alâ' reprend la vieille idée aristotélicienne de l'éternité de la
matière, idée que la théologie dogmatique avait énergiquement repoussée, que l'un de ses
vers nie, mais que beaucoup d'autres suggèrent (4), on en arrive ainsi à se poser un
nouveau problème : son Dieu reste-t-il celui de la théologie traditionnelle? Ne serait-il
pas celui des philosophes et ne retrouverait-on pas le Dieu d'Aristote, premier moteur
immobile, dans le vers que voici : « Ne vois-tu pas que les planètes se meuvent dans
leurs sphères sous l'action toute puissante d'un seigneur immobile ? » (5) N'annoncerait-il
pas déjà le Dieu du panthéisme, dont Ibn cArabi sera le plus illustre représentant, et dans
lequel un théologien aussi perspicace qu'Ibn Taimiya retrouvera de lointaines affinités
qarmates ? La question, fort délicate, mériterait d'être reprise à la lumière d'une plus
longue méditation des Luzûmlyàt.
- Il est mené . On ne saurait adresser un blâme à celui qui commet une faute, ni un éloge
à celui qui agit bien.
- J'ai trouvé , de nos jours , bien des preuves de cette doctrine, mais la piété m'en a
détourné. » (2)
- « Si celui qui commet des fautes graves n'est pas libre dans ses actes , le châtiment
qui le frappe constitue une injustice.
- « Dieu , en créant les minéraux, savait que l'on en ferait des sabres clairs et tranchants,
- Dont se saisiraient des hommes montés sur des chevaux eux aussi carapaçonnés de fer
et avec lesquels ils feraient couler le sang. » (3)
Quand, dans d'autres passages, Abü-l-Alä3 rejette tout à la fois les idées des ôabrïya,
partisans d'un déterminisme absolu, et celles des Qadariya qui admettent l'existence dela
liberté humaine» et quand il nous dit que la vérité se situe entre ces deux extrêmes, il est
bien difficile de dégager la solution de conciliation qu'il semble ainsi suggérer. Peut-être
pourrait-on penser qu'une certaine liberté existe théoriquement, mais que cette liberté
est une conquête si héroïque de la volonté qu'elle*n'est qu'exceptionnellement réalisée, à
supposer même qu'elle l'ait jamais été ou qu'elle le soit un jour. Telle est la conclusion
que l'on peut se croire autorisé à tirer du poème suivant :
- « Les étoiles de la nuit semblent faire effort pour percer un secret, et tous les yeux
les observent .
- « J'ai été mis en ce monde contre ma volonté , et je le quitterai malgré moi, pour aller
en quelque autre monde. Dieu en est témoin !
- Durant l'espace de temps compris entre ma naissance et ma mort, mes actions sont-
elles soumises au destin, ou suis-je libre d'agirà ma guise?
- O monde , puissê-je être délivré de toi ! Tous ceux qui vivent ici bas sont dans la même
ignorance, les Musulmans comme ceux à qui ils commandent...
- O prodige, nous nous ruons derrière des récits mensongers, et, ignorants, nous ne
voulons pas voir ce qu'il y a en nous.
- Tous les hommes sont dans l'erreur. Il n'y a jamais eu et il n'y aura jamais, jusqu'au
jour de la résurrection9 de véritable ascète ! » (4)
- « L'astronome et le médecin nient tous deux la résurrection des corps. Je leur ai dit :
- Si votre croyance est vraie, je ne perdrai rien. Mais si la mienne est vraie,
c'est voas qui serez perdants. » (3)
- « Quant à la résurrection, la controverse dont elle fait F objet est bien connue. Mais
son mystère n'a pas encore été percé .
- Certains disent que la perle ramenée par le plongeur ne retournera pas vers les ténè-
bres de sa coquille .
- Mais les merveilles de notre Seigneur sont innombrables , et devant elles notre faible
raison hésite . » (4)
- « Nos âmes sont avec nous . Et nous ne les connaissons pas . Que dire alors quelles
sont dans la tombe ?
- La quarantaine une fois passée , l'homme se fait plus petit et les événements plus lourds.
- Une âme qui a conscience d'une autre existence • Cette vie est le pont qui g mène : un
pont de douleur et d'horreur.
- Qui peut garantir à l'homme, une fois mis en terre, que sa tombe s'ouvrira et qu'il
ressuscitera tout blanc de poussière ?
- Le temps passe, les hommes disparaissent , et le désespoir porte l'homme à donner foi
à des légendes mensongères .
- Des philosophes, après longues réflexions, prétendent que ce que la mort a détruit ne
peut être réparé .
- Ils disent qu'Adam vient d'où venait Aubar , mais ce qu'était Aubar , les hommes
l'ignorent.
- Tout ce que vous racontez au sujet de votre Seigneur et maître n'est qu'un ramassis
de vieilles fables façonnées par les Juifs .
- Leurs rabbins voulaient, grâce à ces mythes, satisfaire leurs ambitions terrestres , mais
toute action vile est vouée à l'échec . » (5)
(1) Luzûmïyât, II, p. 68. - Nicholson, op. cit., n° 230, p. 157 et 266.
op. cit., n° 22, p. 150 et 264. (3) Luzûmïyât , II, p. 149- î 59. - Nicholson,
(2) Luzûmïyât , II, p. 272. - Nicholson,op. cit., n° 220, p. 149-264.
avant la lettre, ni penser que l'on puisse tirer des Luzümlyät une morale indépendante de
la religion : la religion, dans son essence, consiste avant tout dans le bien et la piété (1).
- «J'ai beaucoup voyagé. Mais je n'ai acquis aucun bien matériel ou spirituel. Je
n'ai trouvé, à mon retour, que la sottise et la faiblesse.
- Dieu ne marchandera pas ses dons à l'homme qui lui témoigne une piété sincère,
quand bien même cet homme se tournerait-il, pour prier, vers le soleil levant. » (2)
C'est du système traditionnel dans lequel Abü-l-cAlä3 a été formé qu'il convient de
partir pour comprendre le contenu de son idéal moral. Il recommande toujours, nous l'a-
vons vu, la prière, le jeûne, l'aumône, et offre sa propre conduite en exemple. Mais on
ne saurait être surpris de le voir juger avec une liberté critique fort grande
quelques-unes des prescriptions fondamentales qui lui étaient proposées. Il a parlé
du pèlerinage à la Mecque avec une audace qui étonne : il y dénonce une survi-
vance païenne, une manifestation d'ignorance et d'immoralité (3). S'il maintient
l'interdiction du vin, ce n'est pas parce que ce dernier a été prohibé par le livre saint,
ni parce qu'il procure des plaisirs suivis de peines, mais uniquement parce qu'il altère
la raison (4). Passe-t-on au domaine des prescriptions juridiques, on trouve, dans les
Luzümlyät, plusieurs vers montrant le caractère irrationnel de certaines dispositions
légales touchaat les sanctions pénales, le prix du sang ou les lois successorales (5). Les
mêmes tendances rationalistes et mystiques qui le portent à limiter, sinon à exclure, cer-
tains éléments de la vie morale traditionnelle, vont le conduire à grossir, ou à exagérer,
certains autres et à construire une morale personnelle et sociale qui ne manque pas
d'originalité et se présente toujours avec une très rare élévation de pensée.
- Je n'ai pas d'ami qui attende mon aide, ni d'ennemi qui redoute ma vengeance.
- La vie est une maladie qui frappe l'homme. La mort est le remède qui apporte la
quérison du mal. » (2)
L'ascétisme. - Ce sentiment de résignation courageuse se prolonge ri«™ un ascé-
tisme d'une étonnante rigueur.
- «Le plus noble des dons du destin, c'est de renoncer à tous ses dons. Le Destin,
quand il donne, le fait d'une main prête à reprendre.
- Bien préférable à une vie d'opulence est une vie de besoin, et, à la parure éclatante
d'an roi, le vêtement d'un moine. » (3)
Cet esprit de mortification a trouvé son expression la plus surprenante dans le végé-
tarisme intégral qu'Abû-l-cAlâ: s'était imposé et qu'il avait poussé jusqu'à l'interdiction
des œufs, du lait et même du miel. De ce végétarisme toutefois, il ne nous a jamais donné
une véritable justification théologique, et il s'est borné à l'expliquer par des raisons de santé,
d'économie, ou de respect de la vie animale (4). Sans doute une telle attitude heurtait-
elle trop ouvertement l'optimisme providentiel de la théologie dominante et conduisait-elle
à mettre en doute la souveraine justice de la sagesse divine. L'idée cependant^ où l'on a
voulu parfois rechercher une trace d'influence hindoue (5), n'était pas entièrement nou-
velle dans le monde de l'Islam, où il n'était pas rare de voir de pieux ascètes s'imposer un
régime dont l'alimentation carnée était plus ou moins strictement bannie. L'un des plus
célèbres et des plus anciennement connus avait été un solitaire bagdadien, contemporain
des premières manifestations du mysticisme musulman, (Abdak, mort en 210, fondateur
d'une secte chiite à laquelle il donna son nom et qui encourut la condamnation
de la théologie traditionnelle (6).
Le deuxième trait non moins marquant de l'ascétisme d'Abû-l-cAlâ5, c'est l'exhorta-
tion à la non-procréation que l'on rencontre si fréquemment dans les Luziïmîyât. Procréer,
c'est augmenter la somme du mal dans le monde en offrant de nouvelle victimes
à de nouvelles souffrances. Les hommes* s'ils étaient intelligents, ne donneraient jamais
(1) Luzûmïyât, I, p. 81. - Nicholson, cit., p. 73. - Voir aussi Dr. Muhammad Bey
op. cit., n° 78, p. 88 et 231. cAbd Al-Hamïd, Al-Méarrï an-nabâtï, in Hilâl,
(2) Luzûmïyât , II, p. 333. - Nicholson,1938, XL VI, p. 878-883.
op. cit., n° 85, p. 91 et 233. (5) Discussion de cette thèse, d'abord
(3) Luzûmïyât , I, p. 115, - Nicholson,soutenue par von Kremer, dans Nicholson,
n° 8, p. 61 et 210. op. cit., p. 137-138.
(4) Question particulièrement étudiée par (6) Massignon, Textes inédits relatifs à la
Margoliouth, JRAS , 1902, p. 289. - Nichol-
mystique musulmane , Paris, 1929, p. 11.
son, op. cit., p. 134-138. - cUmar Farrûh, op.
- Aucun des hommes qui] l'observent ne peut , lorsqu'une âme est enlevée , e
parfum.
(1) Tãhã Husain, Tagdïd , p. 300. - (4) Nicholson, op. cit., p. 125. - Râgkûtï,
Nicholson, op.cz/., p. 139-140- cUmarFarrûh, op. cit.
op. cit.. p. 71-72. (5) Nicholson, op. cit., p. 122-126. -
(2) Bidãua , XII. ^ cUmar Farrûh, op. cit., p. 72-73.
(3) Cf. les remarques de Tãhã (6) Luzûmïyât, I, p. 40. - Nicholson,
Husain,
Tagdïd , p. 299-300. op. cit., n° 175, p. 126 et 253.
11
La morale de la pitié et de la
son pessimisme lui a montrés c
timent dominant de la morale d
derrière les expressions les plus
héroïque pour lui-même, il souh
l'indulgence, la compassion et l
penche souvent et il voudrait l
gent (3). Il s'apitoye sur tous les
par leurs fils, ou des esclaves à
Apôtre de la tolérance, il est ho
Apôtre de l'égalité des religion
Berbères, Juifs, Chrétiens et M
ture, peu importe le dogme au
tiennent (5). Apôtre du pacifism
qu'il décèle à l'origine de tou
sans eau séparassent les peup
l'inhumanité de l'homme pour l'
compréhension réciproque, de si
cience de l'effroyable condition
raison et d'amour (6).
(1) Luzumïyât, I,
- Nicholson, op. p.
cit., p. 198-199197.
et 201-202. - Nic
op. cit., n° 270, p. 180 et
(4) Nicholson, op. cit., p. 195-196.276.
(2) Nicholson, op.
(5) Nicholson, cit.,
[ op. cit., p. 195-196. p. 201.
(3) Pour les idées d'Abû-l-cAlâ' sur les (6) Nicholson, op. cit., p. 202-203.
animaux, cf. Tãhã Husain, Ťagdtd, p. 306-307.
- « Lorsqu'une âme sen va, considère-la comme un fil usé que Von relire d'un vieux
manteau .
- Si le destin te frappe durement , plie-toi avec résignation à ses coups, et vis avec
sérénité comme si tu n'avais pas été touché.
- Que de fois une braise , sur le point de s'éteindre , lance , de temps à autre , une lueur
nouvelle .
- O chef d'armée , modère-toi. Ce n'est pas pour une cause qui est tienne
que la poussière ťenveloppe.
- Le destinlqui t'accorde parcimonieusement ses dons , ne cesse de faire une abondante
moisson de vies humaines .
- Epargne-nou*. Il nous suffit d'un destin follement désireux de nous persécuter.
- Viens plutôt à l'aide de l'homme baigné de larmes que la peine accable . Et demande
à l'homme qui rit quelle est la raison de sa joie. » (1)
Le réformisme social. - Messianique certes, par quelques-uns des traits que nous
venons de dégager, mais nullement révolutionnaire, idéaliste mais non utopiste, Abü-1-
cAlà) nous apparaît souvent, par contre, comme un réformateur modéré et presque conser-
vateur qui trouve, dans l'application des principes de la morale traditionnelle, un remède
à quelques-uns des maux dont la société dont il est le témoin lui paraît si profondément
souffrir.
D'une exceptionnelle sévérité pour la femme, qu'il considère comme la source de tout
mal, dont la corruption lui paraît plus néfaste encore en ses conséquences que celle de
l'homme, et dont la séduction s'exerce sur l'homme dès l'instant même où ce der-
nier lui rend son salut, partisan d'une rigoureuse séparation des sexes, il exhorte
souvent ses contemporains à la pratique d'une vie de famille d'une austérité particulière-
ment rigide. Sans doute critique-t-il la polygamie, dans laquelle il voit une menace pour
la stabilité de la famille et la pureté de la race ainsi qu'une injustice à l'égard de la fem-
me, mais son idéal de la vie de famille reste celui d'une épouse modeste, laborieuse
uniquement consacrée aux soins de sa maison et témoignant à son maître une obéissance
respectueuse. (2)
Quand il exhorte le sage, dans certains vers, à n'accepter aucune fonction publique,
Abù-l-cAlâD reprend un vieux thème de la théologie musulmane, que l'on retrouve chez
quelques-uns des canonistes qui ont donné de leur religion l'interprétation la plus politi-
que qui soit, et il met en garde contre les compromissions du pouvoir beaucoup plus qu'il
ne formule une interdiction absolue. Il a si peu pensé que l'homme dût vivre enfermé
dans un égoïsme solitaire et orgueilleux, que son abstentionnisme apparent ne l'empêche
pas d'énoncer souvent l'idéal politique le plus orthodoxe qui soit. Il se fait du prince une