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1. Cf- P. HADOT, L'image de la Trinité dans U âme chez Victorinus et chez saint Augustin, dans Studio
Patristica, vol. VI, TU, t. 31, p. 409 : « Le de trinitatc de saint Augustin est un livre qui a orienté d’une
manière nouvelle et décisive la pensée théologique et philosophique de l’Occident. En cherchant, dans la
structure de la puissance intellectuelle de l’âme, l’image de la Trinité, Augustin n’a pas seulement fondé la
doctrine des relations et la théologie du Verbe, il n’a pas seulement donné à toute la mystique occidentale
la psychologie qui lui permettrait d’exprimer ses expériences, il a aussi révélé en quelque sorte à toute la
pensée occidentale une intériorité spirituelle qu’un Descartes ou un Husserl chercheront à retrouver en
pensant à saint Augustin. Le de ivinitate est donc un moment décisif de l’histoire de la pensée. »
" INTRODUCTION
1. Voir par exemple les objections que H.-J. Marron a rencontrées de la part (les tho- mnstra, lorsqu
il a remis en évidence la distinction entre scientia et sapientia chez Augustin
':i la fin de la CUltwre antique’ I98S> L h et surtout Retraetatio, 1949 P‘ T!, a™it Peut-etre
seulement le tort, comme il l’a reconnu lui-même (op. cit
p. 639-040) de designer ees deux démarches par nos catégories modernes de théologie et de philosophie.
Mais il a bien vu que ce siudium sapientiae <, restera toujours, à des nuances près, ce qu Augustin l’avait
défini à Cassiciacum * (op. cit., p . 838), nous dirions plus exactement qu a travers toutes les évolutions de
son intellectus fidei, c’est la même aspiration d intelligence * gnostique » de la foi qui meut sa recherche.
Nous souscrivons donc entièrement a la repense que H.-I. AIARROU, op. cit., p. 040-841, fait à l’article,
par
re
ailleurs
S^1î1ifIqUabIe’ de Tn' •Deman’ Composantes de la théologie, dans RS PT, 28, 1939 p. dbb-434.
2. Cf. H -1. MAR ROU, Saint Augustin et la légende de l’ange, dans Bulletin de la société
nationale des Antiquaires de France, Paris, Klineksiock, 1954-1935, p. 131-135 . Saint Augustin et
l’augustinisme, Paris, Seuil, 1955, p. 145-146 ; Saint Augustin et ’Vanne
L ne legende médiévale, dans L'homme devant Dieu. Mélanges de Lubac, Paris, Aubier, 1901 t. il, p. 137-
140. La première attribution à saint Augustin de cette légende, qui préexisté comme exemplum anonyme
du début de ce même XIII» siècle, est faite vers 1363 par 4HOMA8 DE CATmeœK, Bonum uniuersale de
proprietaiibus apum, II, 47 (Strasbourg, incunable, BN Res. 11 1330) ou II, 48, éd. de Douai, 1027, p.
437-139.
■J. D'après H.-I. MARROU,.Saint Augustin et l'ange, p. 137.
INTRODUCTION 15
1. Vexpérience, de l’amour et l'intelligence de la foi trinitaire selon saint Augustin, dans Rech.
Aug. II, p. 115-410.
2. Voit O. BOTTMANNER, Saint Augustin sur l’auteur de Vépître aux Heureux, dans Rev. Bén., 18,
1901, p. 257 : « Lors du 8e congrès international des savants catholiques à Munich (23 sept. 1900), j’ai
dit quelques mots sur la 1 nécessité absolue de traiter et d’utiliser les écrits de saint Augustin dans l’ordre
historique et chronologique . » Ce principe a été rappelé récemment par A.-M. LA BONNARDIÈRE,
L’Epître aux Hébreux dans l’œuvre de saint Augustin, dans RE A, 3, 1957, p. 137. Voir aussi P. ALFARIC,
L évolution intellectuelle de saint Augustin, Paris, 1018, p. II1-V : « ..-il importe avant tout de lire ses
écrits dans l’ordre où il les a rédigés, en tenant compte de leurs moindres nuances ».
16 INTRODUC T ION
1. La plus remarquable, malgré sa thèse extrémiste, est celle de P. ALFARIC, op. cit. Voir ses
déclarations méthodologiques dans la Préface, p. JII : « Augustin qui ne pouvait se passer d’un système
était incapable de s’enfermer jamais dans aucun. Son esprit inquiet le portait à aller sans cesse de Pavant, à
élargir sans cesse son horizon. Sa vie intellectuelle se présente à nous comme une lente ascension vers des
sommets qui toujours se dérobent. Et sur la pente escarpée qu’il a gravie, le spectacle qui s’offrait à lui s’est
modifié jusqu’à la fin. C’est à se représenter d’une façon exacte sa marche ininterrompue et ses visions
fuyantes que doivent tendre ses historiens. Plusieurs s’y sont essayés. Mais ils n’ont étudié que quelques
moments de ce long pèlerinage et les limites qu’ils se sont imposées ont souvent faussé leur perspective.
(11 cite en note les plus importants : A. N A VILLE, Saint A ugustin, Étude sur le développement de sa
pensée jusqu’à Vépoque de son ordination, Genève, 1872 ; P. WoRTER, Die Geistesentwicklung des
heilïgeu Augustinus bis zu seiner Taufêy Paderborn, 1892 ; ... M, BECKER, Augustin, Studien zu seiner
geistigen Entwieklung, Leipzig, 1908 ; et surtout W. THIMME, Augustine geisiige Entwieklung in den ersten
Jahrcn nach seiner Bekehrung (386-891), Berlin, 1908, et Grundlinien der geisiigen Enl- wickhmg
Augustin s-, dans Zeitschrift fur Kirchengeschichte, 1910, p. 172-213). Si les panoramas que découvre
Augustin changent souvent, aucun n’apparaît tout d’un coup, aucun ne disparaît brusquement. Ils vont
plutôt en se mêlant et en se transformant d’une manière à peu près continue. Chacun en appelle et en
prépare d’autres. On ne peut donc les isoler sans les dénaturer. Malgré leur diversité, ils forment un
spectacle suivi, et on n’en saurait étudier à fond un seul détail sans se famé une idée de l’ensemble .»
2, La troisième partie du livre de P. Alfaric, qui expose le néo-platonisme d’Augustin, n’est qu’une
intelligente paraphrase des premiers écrits. Elle est uniquement descriptive, avec de-ci de-]à des notes très
suggestives sur les sources de ces idées. Mais l’auteur se laisse emporter au fil de l’eau, il ne pénètre pas en
profondeur.
INTRODUCTION 17
1
plication des rapprochements . Mais cela ne résolvait pas encore le problème
méthodologique posé par l’analyse du néo-platonisme augusti- nien. Si W.
Theiler a pu donner une étude vraiment éclairante de ce néo-platonisme, dans
un ouvrage par ailleurs très critiquable du point de vue de la « recherche des
sources », c’est parce qu’il osait en reconstituer le « système 2 ». Il avait le tort
d’attribuer ce système à une source por- phyrienne et de le considérer comme
constitué tout d'une pièce, mais il introduisait dans les études augustiniennes
l’idée de système et il centrait son analyse sur certains schèmes triadiques. La
force de son étude consistait à faire apparaître grâce à ces schèmes
l’originalité, augustinienne à notre avis et non porphyrienne, de ce néo-
platonisme.
Nous croyons en effet que seule une méthode structurale permet d’ana-
lyser la pensée d'Augustin. H.-I. Marrou a très justement observé «le
caractère flottant de sa terminologie 3 », suggérant que « sa pensée très
mouvante s’organise quelques fois moins autour des idées que de leurs
rapports mutuels4 ». Et il met en garde contre les interprétations qui
s’appuieraient sur des rapprochements de mots empruntés à des œuvres d
époques différentes5. Mais cette constatation, qui met en question toute étude
d’Augustin qui se baserait uniquement sur la « méthode des fiches » ou des
concordances verbales, ne doit pas nous mener au relativisme. Elle permet
seulement de conclure qu’on n’avait pas encore trouvé 1 instrument
d’analyse adéquat ni isolé l'unité de sens du langage augus- tinien. En effet,
cette unité de sens n’est pas, selon nous, le mot mais la structure ou le
schème dans lequel est pris le mot. L’expression peut varier, les structures
demeurent relativement stables. Elles peuvent se trouver à trois niveaux :
celui de. la phrase, celui du paragraphe, celui d’une œuvre ou d’une section
d’œuvre. Nous tâcherons donc toujours de situer les schèmes étudiés dans un
texte suivi, analysé lui-même selon la méthode structurale et situé à son tour
dans la structure d’ensemble de l’ouvrage. Au lieu de procéder par
multiplication de rapprochements, noire étude s’attardera donc de préférence
à des textes longs, traduits intégralement et commentés ligne après ligne.
Lorsqu’on interroge l’œuvre d’Augustin avec cet instrument nouveau qu’est
la méthode structurale, elle apparaît admirablement cohérente. V.
Goldschmidt, dont les recherches structurales ont si profondément renouvelé
l’étude du platonisme
1, Voir surtout Les Dialogues de Platon, structure et méthode dialectique, Paris» PUF* 1947 (seconde
édition, 1963, précédée d’une importante préface sur la méthode structurale) et Le système stoïcien et Vidée
de temps, Paris, Vrin, 1953.
2, Exégèse et axiomatique chez saint Augustin, dans Hommage à Martial Guérouli : Lf histoire de la
philosophie, ses problèmes, ses méthodes, Paris, Fisclibâcher, 1965, p. 4-32.
3. Nous nous séparons sur ce point de la méthode structurale décrite par V. GOLD- sCHAIIDT, dans la
Préface de la seconde édition des Dialogues de Platon, p. XXII-XXIII. L’auteur ne prétend d’ailleurs pas
proposer une méthode universellement valable. Ce sont plutôt differents « points d’application du concept
de structure » qu’il récapitule au terme de ses recherches sur les dialogues de Platon. Il fait d’ailleurs
remarquer dans Le système stoïcien, p. S3 n. 4 : « L’idée de structure n’est pas le titre pour une méthode
universelle, d’application mécanique ; les recherches qui la prennent pour idée directrice peuvent se
spécifier en plus d’une méthode et la réussite de celle-ci dépend, à chaque fois, de son exacte adaptation à
l’auteur étudié... » L’augustinisme ne se laisse jamais réduire à un « système » et c’est sans doute pourquoi
nous avons trouvé la plus grande convergence méthodologique avec nos recherches dans une étude récente
sur l’augustinien que fut Malebranche. Cf. A. ROBINET, Système et existence dans V œuvre de
Malebranche, Paris, Vrin, 1965, qui cherche « les stratifications successives » de ses œuvres, opérant une
sorte de « radiographie historique qui confirme par le menu ce que la comparaison des œuvres contraint
d’admettre. On soumet les tableaux des peintres à la critique en épaisseur : les compositions de
Malebranche relèvent de ce genre d’approche. Chaque retouche aide à comprendre comment se profile à
nouveau la pensée » (p. 7). Genèse et structures sont articulées dialectiquement : « Les structures définies
de l’œuvre constituée ne peuvent être invoquées contre les pensées en genèse de l’œuvre constituante... Il
faut restituer l’œuvre à son temps propre. »> Et l’auteur se demande « quel est le sens de cette genèse et de
cet incessant travail de force sur les structures ?» (p. 9). Il y répond en montrant qu’« il y a du 1 bougé ’
dans la biographie comme dans l’œuvre » (p. 8) et qu’on ne peut les comprendre que l’une par rapport à
l’autre. « Malebranche n’eût pas trop de toute sa vie pour tirer à l’évidence les certitudes qui l’habitaient.
Système et existence ont partie liée » {p. 13).
dance qui la donnerait pour achevée. On 11e peut donc parler en ce sens de 4
système1 », L’œuvre est plutôt une recherche perpétuelle, comme en
témoignent non seulement les affirmations explicites d’Augustin, mais
encore les incessantes reprises des mêmes thèmes et jusqu’à ces révisions
finales de tous ses livres. Aucune œuvre littéraire n’est aussi manifestement
travaillée par l’insatisfaction, par le désir de dire plus et mieux. Aussi
croyons-nous devoir tenir compte également dans notre analyse du temps
psychologique ou historique. Nous y reviendrons plus loin. Retenons pour le
moment qu’il est impossible de comprendre la pensée d’Augustin sans saisir
à la fois sa cohérence (ses structures), son mouvement (sa genèse) et son
sens (à la fois son enracinement dans une expérience et sa visée2).
Etudier conjointement structures et genèse nous paraît donc indis-
pensable. La méthode philologique, faite de rapprochements verbaux et
basée sur un fichier lexicographique, peut se perfectionner en un répertoire
de schèmes, voire même en une analyse des structures d’ensemble des
différentes œuvres. Sans cette perspective génétique et phénoménologique,
elle devra se contenter-de juxtaposer statiquement les différentes œuvres ou
sections d’œuvres. Nous comparerions volontiers son apport à celui d’un
album de photographies. Mais l’unité de l’œuvre augusti- nienne et le sens
de son élaboration ne peuvent apparaître que par une méthode que nous
appellerions « cinématographique », qui anime les images et les finalise eu
les enchaînant. Une telle méthode peut seule résoudre à la fois les problèmes
de sources et les questions d'interprétation. P. Hadot a très justement
exprimé cette nécessité en souhaitant qu’on entreprenne « une élude
génétique des schèmes augustiniens, de ces complexes de pensée, dans
lesquels souvenirs plotiniens et porphyriens, citations scripturaires et
réflexion théologique forment un bloc presqu’im- possible à décomposer.
Autrement dit, il faudrait une étude des méthodes de Lravail d’Augustin. »
Et il motive ses critiques à l’égard de récents travaux de Quellenforschung
par « le sentiment de la puissance de travail de saint Augustin, capable de
reconnaître les grandes idées d’un ouvrage, d’en entrevoir les conséquences,
de comparer, d’opposer, de systématiser. Cette puissance de travail que l’on
peut appeler aussi une extraordinaire puissance d’assimilation, nous cache
trop souvent la diversité du matériel
1. Cf. V. GOLDSCHMIDT, Temps historique et temps logique, p, 11 : <t replacer les systèmes dans un
temps logique, c’est comprendre leur indépendance, relative peut-être, mais essentielle, à l’égard des autres
temps où les recherches génétiques les enchaînent ».
2. Cette analyse phénoménologique ne tend donc pas à réduire le premier moteur du système à une
intuition originelle informulée. Nous prétendons donc ainsi ne pas prendre le système à rebours, comme dit
très bien Y. GOL.DSCH.MIDT, art. cit., p. 8, Nous voulons au contraire étudier l’œuvre « conformément à
l’intention de son auteur », ibid., p. 12. Mais parce que cette intention ne se réduit pas à ses manifestations
extérieures, quoiqu’elle s’y déploie et s’y révèle eu les dotant d’un sens, c’est elie que nous cherchons à
rejoindre. Et l’intention d’une œuvre nous paraît être à lu fois une visée où elle sc dépasse et une
expérience fondamentale où elle s’enracine.
20 INTRODUCTION