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Modélisation de la déformation

plastique des polycristaux

par Marcel BERVEILLER


Ingénieur INSA (Institut national des sciences appliquées) de Lyon
Docteur ès sciences
Professeur à l’École nationale d’ingénieurs de Metz, Laboratoire de physique
et mécanique des matériaux
et André ZAOUI
Docteur ès sciences,
Ingénieur civil de l’École des mines de Paris
Directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique
Professeur à l’École polytechnique

1. Comportement plastique du monocristal ......................................... M 48 - 2


1.1 Gradient de vitesse, taux de glissement et mouvement de dislocations — 3
1.2 Analyse thermodynamique – Forces motrices et forces critiques .......... — 4
1.3 Relation de comportement pour le monocristal ....................................... — 4
2. Comportement du polycristal .............................................................. — 5
2.1 Principe des méthodes d’homogénéisation (indications)........................ — 5
2.2 Modèles à base d’inclusions....................................................................... — 6
2.3 Modèle autocohérent .................................................................................. — 6
2.4 Extensions .................................................................................................... — 8
3. Applications .............................................................................................. — 8
4. Conclusions ............................................................................................... — 10
Pour en savoir plus ............................................................................ Doc. M 48

i l’essentiel des bases physiques de la plasticité des métaux et alliages est


S maintenant bien identifié et compris, la prédiction quantitative du
comportement plastique d’un métal polycristallin demeure, malgré les progrès
importants réalisés dans ce domaine ces dernières décennies, un champ de
recherche encore très ouvert. La difficulté d’une telle modélisation a plusieurs
origines, notamment :
— la nature fortement non linéaire des phénomènes attachés à la plasticité et
donc des équations les décrivant, ceci quels que soient l’échelle adoptée ou le
mécanisme décrit (par opposition à l’élasticité linéaire où l’on peut écrire
simplement : σ = C : ε ) ;
— le caractère complexe et varié des mécanismes physiques à prendre en
3 - 1997

compte : création, mouvement, annihilation et stockage de dislocations,


empilement sur les joints de grains, rotations des réseaux cristallins, formation
de sous-structures cellulaires, création de défauts ponctuels, frottement du
réseau... ;
— l’intervention simultanée de plusieurs échelles caractéristiques (quelques
dislocations, les cellules, les grains...), contribuant chacune, de manière spéci-
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fique, à la réponse macroscopique ;


— l’amplitude considérable que peuvent avoir les déformations plastiques et
les modifications importantes de l’état métallurgique du matériau qui y sont

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associées : textures cristallographiques et morphologiques, « hétérogénéisation


plastique » par formation de cellules... De sucroît, ces modifications dépendent
fortement du trajet de chargement suivi (rétreint, expansion, traction uniaxiale...).
On pourrait tenter un passage continu de la dislocation au polycristal... Mais
si le comportement statique d’une dislocation ou même d’une distribution
continue de dislocations est bien connu, il n’en va pas de même de celui du
système complexe et évolutif de dislocations en interaction qu’il faudrait
prendre en compte pour parvenir jusqu’à l’échelle du polycristal. C’est la raison
pour laquelle les promoteurs du passage du monocristal au polycristal (Sachs,
Taylor et d’autres) ont conçu une approche plus globale, se situant d’emblée à
l’échelle des grains et ne décrivant qu’indirectement, de façon moyenne, le
comportement collectif des dislocations intragranulaires par l’intermédiaire du
glissement plastique cristallographique.
Les concepts de cission réduite et de cission critique introduits par Schmid
ont alors permis le développement de ce qu’on appelle depuis la plasticité cris-
talline, approche selon laquelle le comportement des grains est décrit par des
relations entre les cissions sur différents systèmes de glissement et leurs glis-
sements plastiques. Il reste ensuite à effectuer, dans le cadre de la mécanique
des milieux continus, la transition d’échelle entre le niveau qu’on peut dire
« mésoscopique » (le grain) et le niveau macroscopique de l’élément de volume
polycristallin, en prenant en compte les interactions intergranulaires, l’architec-
ture du polycristal (forme, orientation et disposition relative des grains, texture
cristallographique...) et leur évolution.
Cet article s’éfforce de donner une vision succincte et synthétique de l’état
actuel du savoir-faire en matière de modélisation de la déformation plastique
des métaux polycristallins dans le cadre de l’approche de la plasticité cristalline.
Le paragraphe 1 est consacré à la modélisation du comportement du monocris-
tal et on présente, dans le paragraphe 2, la transition d’échelle du monocristal
au polycristal, en mettant l’accent sur la méthode autocohérente, bien adaptée
à la morphologie des polycristaux. Enfin, on rapporte quelques résultats repré-
sentatifs obtenus à partir d’une telle démarche et on les compare à des données
expérimentales (§ 3), avant de conclure sur les perspectives ouvertes dans ce
domaine.

1. Comportement plastique introduites (§ 1.2) ; une synthèse permet alors de décrire, en termes
mécaniques, la réponse d’un élément de volume cristallin à un char-
du monocristal gement donné (§ 2.2).
Au vu de la complexité de l’état disloqué d’un cristal (empile-
ments, cellules, enchevêtrements de dislocations...), l’analyse
De nombreux mécanismes physiques peuvent être responsables cinématique adoptée dans le cadre de la plasticité cristalline se
d’une déformation inélastique des métaux : diffusion de défauts contente d’une description grossière, fondée sur la notion de glisse-
ponctuels, création, mouvement et annihilation de dislocations, ment plastique cristallographique, qui recouvre de manière très
maclage, glissement aux joints de grains, transformations de globale la réalité microstructurale des distributions de disclocations
phase... La déformation inélastique correspondant à la plasticité et de leur évolution.
classique résulte, avant tout, des mécanismes athermiques asso- Nota : pour les études générales sur la plasticité des métaux et le comportement
ciés au mouvement irréversible des dislocations (par opposition au statique des dislocations et des distributions continues de dislocations, le lecteur se repor-
tera aux références [19] [1] [2].
mouvement réversible à l’origine de l’anélasticité ). À l’échelle du
monocristal ou d’un grain d’un polycristal, échelle très grande par
rapport aux longueurs caractéristiques que l’on peut attacher aux
dislocations, l’écoulement plastique résulte de mouvements collec- 1.1 Gradient de vitesse,
tifs de dislocations sur des plans de glissement cristallographique.
La multiplication des dislocations au cours de la déformation plas- taux de glissement
tique et les interactions qui s’établissent entre elles, régissent et mouvement de dislocations
l’écrouissage (tant « isotrope » que « cinématique »), lié aux
contraintes internes associées aux dislocations.
Considérons un cristal (monocristal ou grain d’un polycristal)
La démarche développée ici part d’une analyse cinématique intro-
possédant N systèmes de glissement facile définis chacun par la
duisant les variables décrivant le processus de plastification (§ 1.1)
normale unitaire n g au plan de glissement et la direction unitaire de
et se complète d’une approche thermodynamique définissant les
glissement m g. Les vecteurs m g sont colinéaires aux vecteurs de
forces motrices et critiques associées aux variables cinématiques

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Burgers b g = bmg , où b est le module du vecteur de Burgers des Cette décomposition fait apparaître les tenseurs symétriques et
dislocations susceptibles de glisser sur ces systèmes. Une ligne de antisymétriques :
dislocation plane glissant dans son plan peut être considérée 1 g g g g
R ij = --2- ( m i n j + m j n i ) 
g
comme la frontière L g d’un élément de surface S g, de normale uni-

taire n g, au travers de laquelle la discontinuité de déplacement des  (11)
particules est uniforme et caractérisée par le vecteur de Burgers b g 1 g g g g

g --
S ij = 2 - ( m n – m n )
tel que b g · n g = 0.
i j j i

Cette transformation peut être décrite par le tenseur βp défini en qui ne dépendent que de l’orientation du réseau cristallin ; les
tout point par : variables γ g décrivent l’état d’activité plastique des systèmes de
p g g g glissement g.
β ij ( r ) = b i m j δ ( S ) (1)
De même que la présence d’une dislocation s’accompagne d’une
où la distribution δ (S ) est reliée à la distribution ponctuelle de Dirac réponse élastique du milieu, définie par les champs de défor-
par la relation : mations et de rotations élastiques associées à la dislocation, auquel

δ (S) =  δ ( r – r′ )dS′ (2)


s’ajoute éventuellement l’effet des contraintes appliquées, de même
le champ βp (r ) ne peut, en général, pas subsister seul : il détruirait
S en tout point la continuité de la matière qui y réagit par une transfor-
mation élastique, suivie par le réseau. Le champ correspondant, de
Si de nombreuses dislocations de même vecteur de Burgers b g et
de surface de coupure de même vecteur normal n g sont présentes
e e 1 e e
taux β̇ ( r ) , se compose d’une partie symétrique ε̇ ij = --- ( β̇ ij + β̇ ji ) ,
dans un volume V, la valeur moyenne de βp s’y écrira : 2
qui représente le taux de déformation (élastique) du réseau, et d’une
p g g1
β ij = b m i n j ----
V
V
δ (S ) d V
g
(3)
e 1 e
2
e
partie antisymétrique ω̇ ij = --- ( β̇ ij – β˙ ji ) , taux de rotation élastique.

Le champ total, soit β (r ) = βp (r ) + βe (r ), assure la compatibilité


En introduisant le glissement plastique moyen sur V pour le géométrique et préserve la continuité du milieu ; lui seul dérive
système g : d’un champ de déplacement : c’est le gradient de la transformation

γ
g 1
= b ----
V
 δ ( S ) dV
g
(4)
totale dont βp (r ) et βe (r ) sont respectivement les parties plastique
et élastique.
V Cette décomposition vaut également pour les vitesses et pour
on aboutit à : les parties symétrique et antisymétrique. On a donc les relations :
p g g g
β ij = γ m i n j (5)
e  p
β̇ = β̇ + β̇ 
En comptabilisant dans le volume V toutes les dislocations sur les 
e p
différents systèmes g, on aura par superposition : ε̇ = ε̇ + ε̇  (12)

ω̇ = ω̇ + ω̇ 
N e p


p g g g
β ij ( r ) = γ mi nj (6)
g=1 À noter que l’on a souvent, notamment pour l’analyse des tex-
g tures cristallographiques, à comptabiliser une rotation du réseau
g δγ
Le taux de glissement plastique γ˙ = --------- sur le système g se cristallin qui n’est pas précisément reliée à une transformation
δt
déduit de (4) et (5) par : élastique et qu’il est nécessaire d’exprimer même quand on a
supposé un comportement de type rigide-plastique (c’est-à-dire


R
g ∂ 1 g négligeant les déformations élastiques). On désignera alors par ω̇
γ˙ = b ------ ----- δ ( S ) dV (7)
∂t V le taux de rotation du réseau cristallin R, avec, comme dans (12),
V R p
ω̇ = ω̇ + ω̇ . La loi de comportement du grain reliera le taux de
Cette relation, qui intègre les mécanismes de création et de mou- déformation ε̇ au taux de contraintes de Cauchy σ̇ . Il restera à
vement de dislocations, correspond à la relation d’Orowan. e R p
trouver les relations permettant de déduire ω̇ ou ω̇ de ω̇ , rela-
Le taux de variation de β p, soit : tions qui ne pourront être établies que dans le cadre d’un pro-
blème aux limites, celui du polycristal, au paragraphe 2.
∑γ˙
p g g g
β̇ ij = mi nj (8)
g

p
se décompose en un taux de déformation plastique ε̇ ij , donné 1.2 Analyse thermodynamique.
par : Forces motrices et forces critiques
N
1 p
∑ γ˙
p p g g
ε̇ ij = --2- ( β̇ ij + β̇ ji ) = R ij (9) L’analyse thermodynamique classique définit la dissipation volu-
g=1
mique D comme la différence entre la puissance volumique des
avec R ij tenseur d’orientation efforts extérieurs P = σeij ε̇ ij et le taux de densité volumique
et un taux de rotation plastique ω̇ ij , défini par :
p d’énergie libre ẇ = σ ij ε̇ ij où σij désigne la contrainte de Cauchy.
En tenant compte de (9) et (12), on aboutit à :
N
1 p
∑ γ˙
p p g g
∑γ˙ ∑τ
p g g g
ω̇ ij = --2- ( β̇ ij – β̇ ji ) = S ij (10) D = σ ij ε̇ ij =
g
σ ij R ij = γ˙ (13)
g=1

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p
où la cission résolue (ou réduite) [5] sur le système de glissement g, L’expression de ε̇ en fonction de ε̇ à partir de (9), (12) et (14)
g g
soit τ = σ ij R ij , correspond à la force motrice thermodynamique conduit à :
associée à la variable γ g. g –1
∑ R ij ( H
p g hg h h
ε̇ ij = + R :C:R ) R mn C mnklε̇ kl (18)
gh
Dans le cadre de la plasticité classique (indépendante du temps
physique : absence de viscosité), l’accroissement de γ g n’est d’où la relation de comportement :
g
possible que si la force motrice τ g atteint une valeur critique τ c
g –1
σ̇ ij = C ijkl – C ijmn ∑ R mn ( H
g hg h h
(appelée cission critique) ne dépendant que de l’état d’écrouissage + R :C: R ) R pq C pqkl ε˙ kl (19)
des systèmes de glissement (loi de Schmid), au travers de l’ampli- gh
g
tude du glissement plastique sur tous ces systèmes : τ c
qui définit les modules tangents par l’expression :
(γ 1, γ 2, ... γ N). L’expression du taux d’écrouissage d’un système de
g
glissement τ̇ c est donnée par : g –1
 ijkl = C ijkl – C ijmn ∑ R mn ( H
g hg h h
+ R :C: R ) R pq C pqkl (20)
g g
δτ c ∂τ r
∑H
gh g

h
g
τ̇ c ≡ ---------- = ---------ch- γ˙ = γ˙ (14)
δt h ∂γ h Le tenseur des modules tangents élastoplastiques dépend de
l’orientation des systèmes de glissement actifs et de l’état de
Elle fait apparaître une matrice d’écrouissage H gh dont les contraintes local. Dans un polycristal,  dépend de la position
termes diagonaux correspondent à l’écrouissage propre d’un sys- spatiale du fait de la désorientation des réseaux cristallins et des
tème (ou auto-écrouissage) et les autres termes à l’écrouissage fluctuations des contraintes locales (internes et appliquées).
latent (écrouissage d’un système par le glissement intervenant sur Si l’élasticité est isotrope, C ne dépend que des modules de Lamé
un autre système). Les termes de cette matrice peuvent être éva- λ et µ :
lués à partir d’expériences sur des monocristaux ou déduits d’une
C ijkl = λδ ij δ kl + µ ( δ ik δ jl + δ il δ jk ) (21)
généralisation anisotrope de la relation classique :
Dans ce cas, le tenseur des modules tangents élastoplastiques
τ c = τ ° + α µb ρ s’écrit :
∑ R ij M
2 g gh h
avec α coefficient d’interaction entre dislocations sécantes,  ijkl = λ δij δ kl + µ ( δ ik δ jl + δ il δ jk ) – 4 µ R kl (22)
g, h
µ module de cisaillement,
ρ densité de dislocations, où M gh = (H hg + 2 µ R h :R g ) –1 , relation qui utilise la propriété
b module du vecteur de Burgers. p p
d’incompressibilité plastique (ε̇ kk = 0, R kk = 0 ) .
L’activité des systèmes de glissement est alors décrite par les
relations suivantes : Même si l’élasticité peut être supposée isotrope dans de
nombreux cas, la relation (22) montre que la loi locale définie par
les modules tangents est toujours de nature anisotrope, par l’inter-
h h h h
γ˙ = 0 si τ = R ij σ ij < τ c ( systèmes inactifs )  médiaire de la partie plastique qui dépend non seulement de la

h h h h h  cristallographie mais aussi de la nature et du nombre de systèmes
γ˙ = 0 si τ = τ c , τ̇ < τ̇ c ( systèmes potentiellement actifs )  (15) de glissement actifs, comme de leurs interactions.

h h h h h ˙ actifs ) .
γ˙ > 0 si τ = τ c , τ̇ = τ̇ c ( systèmes  Dans certains matériaux, comme les métaux multiphasés, le
 contraste mécanique intergranulaire peut être négligé par rapport
à celui existant entre les phases. Il peut donc être suffisant d’adop-
h h
La relation de cohérence τ̇ = τ̇ c permet de calculer les taux de ter une description classique, non cristallographique, du compor-
tement de chaque phase. Une approche phénoménologique
glissement à partir de (14) et (15), soit, en négligeant l’influence
conduit alors, pour un matériau isotrope incompressible en char-
des changements d’orientation du réseau cristallin (R h considéré gement proportionnel et monotone, à une relation isotrope simpli-
comme constant) : fiée de la forme :
∑H
h hg g S
σ̇ ij R ij = γ˙ (16) σ ij = 3 µ ( ε ) ε ij (23)
g
où µ S (ε ) désigne un module sécant élastoplastique.

1.3 Relation de comportement


pour le monocristal 2. Comportement
du polycristal
À partir des analyses précédentes, il est possible de décrire le
comportement élastoplastique du monocristal par une formulation
en vitesses, sous la forme σ̇ = :ε̇ , qui relie le taux des contraintes Le paragraphe 1 a montré que, sur la base de mécanismes de
σ̇ au taux de déformation ε̇ par l’intermédiaire des modules tan- déformation plastique bien identifiés et d’informations issues de la
gents élastoplastiques  . métallurgie physique, l’établissement d’une loi de comportement
e élastoplastique du monocristal était relativement simple et direct.
À ε̇ imposé, la relation de comportement élastique σ̇ = C:ε̇
permet d’écrire : Pour un élément de volume polycristallin qui constitue un système
p fortement hétérogène, une telle démarche directe est en revanche
σ̇ ij = C ijkl (ε̇ kl – ε̇ kl ) (17) impossible.
Dans les théories dites phénoménologiques [3] [4], on utilise
seulement quelques informations microscopiques associées au
mode de déformation par glissement plastique (incompressibilité
plastique, principe du travail plastique maximal) pour préciser la

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forme du critère de plasticité ou de la loi d’écoulement et on et de la microstructure du polycristal. Si le champ A (r ) était connu,
construit, dans le cadre de la thermodynamique des processus irré- la réponse Σ̇ du polycristal s’obtiendrait facilement par combi-
versibles, une loi de comportement globale dont certains para- naison de :
mètres sont identifiés par des essais classiques. Cependant, rien ne
— la relation de comportement local : σ̇ ( r ) =  ( r ) : ε˙ ( r ) ;
permet d’affirmer que ces paramètres soient représentatifs de tous
les trajets de déformation, surtout lorsque l’anisotropie induite par — la relation de localisation ε̇ ( r ) = A ( r ):E˙ ;


la déformation plastique est importante et que l’on considère des
chargements complexes. 1
— la relation de moyenne Σ̇ = ---- σ̇ ( r ) dV = 〈 σ̇ 〉 .
Au contraire, la démarche micromécanique par changement V v
d’échelle du monocristal au polycristal, qui vise à remplacer la
réalité micro-hétérogène complexe d’un matériau par un milieu On aurait en effet :


fictif homogène, équivalent du point de vue mécanique, s’efforce
d’intégrer directement et simultanément la finesse de la descrip- 1
tion du comportement local des constituants, la réalité, même sim- Σ̇ = ----  ( r ) : A ( r ): E˙d V = 〈  : A :E˙ 〉 (27)
V
plifiée, de la microstructure (joints de grains, orientation des v
réseaux cristallins...) et les phénomènes propres associés
(contraintes internes, rotation des réseaux) dont une approche soit, puisque, par hypothèse, E˙ est uniforme :
phénoménologique ne peut tenir compte.
On pourra trouver ailleurs (par exemple dans [6]) l’exposé de
1 
Σ̇ = L:E˙ avec L = ----  ( r ): A ( r ) d V = 〈  : A 〉
Vv
(28)
notions générales sur la méthodologie de l’homogénéisation, les
conditions de séparation des échelles, la distinction entre estima-
tions et encadrements, la prise en compte de diverses morpholo- Le tenseur des modules tangents élastoplastiques macrosco-
gies... Dans ce qui suit, nous nous limitons au développement et à piques L définit le comportement homogénéisé du volume élémen-
l’application de ces méthodes au cas de l’élastoplasticité des taire représentatif.
métaux et alliages polycristallins. Il reste donc à résoudre le problème de localisation, pour obtenir
au moins une approximation du champ A (r ). On pourrait penser
recourir à une résolution numérique (par exemple par la méthode
2.1 Principe des méthodes des éléments finis) des équations de champ pour un élément donné
de volume polycristallin : on obtiendrait ainsi non seulement la
d’homogénéisation (indications) réponse globale mais même le détail des champs mécaniques
locaux. Mais, en dehors même des difficultés numériques attachées
On considère un volume élémentaire représentatif V du polycris- à la nécessité d’une description complète d’une microstructure tridi-
tal, petit à l’échelle de la structure (pièce, tôle, éprouvette...), mais mensionnelle complexe, la question se pose de la représentativité
assez grand pour pouvoir être considéré comme macroscopique- du volume polycristallin ainsi défini. En réalité, les informations dis-
ment homogène et statistiquement représentatif du polycristal ponibles ne concernent, outre le comportement du monocristal
considéré. Il est soumis sur sa frontière ∂V à des conditions aux (nature des systèmes de glissement, cissions critiques, matrice
limites homogènes. Par exemple, pour des conditions de vitesses d’écrouissage...), que quelques données sur la microstructure ini-
imposées, on aura, en tout point x de ∂V : tiale du polycristal : forme et orientation des grains, distribution des
orientations cristallines...
u˙ 1 = (E˙ ij + Ω̇ ij )x j (24)
Ce n’est évidemment pas suffisant pour définir sans ambiguïté un
où E˙ et Ω̇ désignent respectivement la vitesse de déformation volume représentatif ni pour résoudre exactement le problème posé
(totale) et la vitesse de rotation (totale) imposées. Dans V, le champ puisque l’on ne connaît pas la géométrie exacte des grains, leur
des vitesses u˙ (r) et les vecteurs contraintes T i = σ ij n j sont sup- disposition relative etc., et ceci ni de façon déterministe, ni même de
posés continus aux joints de grains ou aux interfaces. façon statistique : on ne dispose au mieux que des premiers
moments (fonction de texture, premières fonctions de corrélation
Le chargement (24) imposé sur ∂V engendre dans V des champs éventuellement) de leur distribution spatialeee. Cette difficulté est
de taux de déformation et de rotation ε̇ et ω̇ qui fluctuent du fait générale en homogénéisation, en dehors du cas extrême des
de l’hétérogénéité du polycristal. Il en est de même du taux des milieux périodiques, dont la représentativité reste limitée (certains
contraintes σ̇ ij . La réponse globale du solide V au chargement composites à fibres longues, tissés...). Elle est en général
contournée par l’adoption de modèles qui traduisent au mieux, bien
s’analyse en termes de taux de contrainte macroscopique Σ̇ ij ,
que de manière schématique, les particularités morphologiques du
défini à partir des conditions d’équilibre quasi statique (σ̇ ij, j = 0 ) matériau étudié. Il en est ainsi d’un grand nombre de modèles
comme la valeur moyenne volumique (désignée dans ce qui suit fondés sur l’utilisation de configurations du type inclusion/matrice
par le symbole < . >) des taux de contraintes σ̇ ij locaux : que nous présentons maintenant.

1
Σ̇ ij = ----
V
 σ̇ ij ( r )dV = 〈 σ̇ ij 〉 (25) 2.2 Modèles à base d’inclusions
V

Il reste à introduire la difficile opération de localisation qui On peut regrouper la majorité des modèles couramment utilisés
consiste à déduire la réponse locale ε̇ (r ) en tout point r des para- dans une seule et même famille définie de la manière suivante :
mètres E˙ décrivant le chargement imposé. l’état mécanique moyen d’une phase est assimilé à celui d’une
inclusion ellipsoïdale de même comportement, de forme définie par
Dans le cas présent, la relation de localisation s’écrit formelle-
l’ellipsoïde approchant la forme moyenne des domaines de phase
ment :
considérés, immergée dans un milieu infini homogène fictif, repré-
ε̇ ij ( r ) = A ijkl ( r )E˙ kl (26) sentant au mieux le milieu environnant, soumis à des conditions
homogènes à l’infini.
où le tenseur d’ordre 4, A (r ), appelé tenseur de localisation des L’avantage de la forme ellipsoïdale est à la fois physique (du fait
déformations (ou plus précisément de leur taux), dépend de de sa variabilité, qui permet d’envisager aussi bien des formes
manière complexe du comportement des constituants (les grains)

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équiaxes que très allongées ou très aplaties) et mathématique : 2.3 Modèle autocohérent
depuis Eshelby [7], on sait que, tout au moins pour des
comportements linéaires et des conditions d’accolement parfait à
l’interface, la solution en contraintes et en déformations du pro- La solution du problème d’inclusion qui a été posé ci-dessus
blème qui vient d’être énoncé est uniforme dans l’inclusion, ce qui, s’obtient classiquement par la méthode des fonctions de Green, qui
outre l’avantage de la simplicité, s’accorde bien avec l’objectif s’appuie sur la linéarité (au moins tangente) du comportement et
d’évaluer l’état mécanique moyen des différentes phases. sur la solution du problème élémentaire de la réponse d’un milieu
Les modèles diffèrent alors par le choix du milieu environnant (la infini homogène (celui qui constitue la « matrice ») à l’application
« matrice »). Le cas extrême d’un milieu rigide (respectivement d’une force concentrée unitaire. Renvoyant à des ouvrages spéciali-
infiniment mou), pour lequel les déformations (respectivement les sés pour plus de détails, nous ne retiendrons ici que le résultat
contraintes) se transmettent sans modifications de l’infini à l’inclu- essentiel suivant : dans un milieu infini hétérogène de modules
sion, correspond à une hypothèse de déformations (respective- locaux  ( r ) soumis à des conditions homogènes à l’infini, le champ
ment de contraintes) uniformes. En plasticité cristalline, il s’agit du de vitesses u˙ ( r ) est donné en tout point par les équations (12)
modèle de Taylor-Lin [8] (respectivement de Batdorf-Budiansky [9]) et (13) :
qui, par construction, surestime (respectivement sous-estime) les
interactions intergranulaires et conduit à une évaluation par excès
(resp. par défaut), souvent peu réaliste pour un polycristal, des
 0 0
u˙i ( r ) – G ij, k ( r – r ′) δ  jklm ( r ′ ) ε˙lm ( r ′) d V ′ = u˙ i ( r ) (33)
v
modules tangents macroscopiques.
Dans le cas d’un composite à matrice renforcée par fibres ou où l’exposant 0 se rapporte à un milieu infini homogène arbitraire,
particules, on préfère choisir comme milieu environnant, du fait de dit milieu de référence, de modules L0 et qui, soumis aux mêmes
sa continuité géométrique, la matrice elle-même : c’est le modèle 0
de Mori-Tanaka [10]. La morphologie d’un polycristal est tout conditions aux limites, subirait le champ de vitesses u˙ i ( r ) .
0
autre : chaque grain est entouré de beaucoup d’autres et l’ensem- On a posé ici : δ ( r ) =  ( r ) – L et G0 (r – r’ ) désigne le tenseur de
ble des environnements de tous les grains ayant même forme et Green du milieu de référence, reliant la vitesse en r à la force uni-
orientation de réseau – ce qui peut être considéré comme une taire appliquée en r’ qui le provoquerait dans ce milieu. Même si ce
« phase » – n’est pas loin d’être aussi divers et varié que le poly- tenseur de Green est connu (ce qui ne peut se faire de manière
cristal lui-même. D’où l’idée de choisir pour milieu environnant le analytique que dans des cas d’isotropie), l’équation (33) est
milieu homogène équivalent (ou effectif) lui-même : c’est le prin- complexe : elle a le statut d’une équation intégrale puisque le
cipe du modèle autocohérent, particulièrement bien adapté à la champ solution u˙ ( r ) figure également dans l’intégranle par l’inter-
morphologie relativement « désordonnée » du polycristal, comme médiaire du champ des taux de déformations ε̇ ( r′ ) qui en dérive.
cela a pu être établi en élasticité [11].
De (33) on peut obtenir, par dérivation, une équation intégrale en
Dans tous les cas, la procédure est la suivante : ε̇ r′ faisant intervenir l’« opérateur de Green modifié » Γ 0 qui se
déduit de G0 par :
0
ε̇ r = a r : E˙ ∞ (29) 0 1 0 0
Γ ijkl ( r – r′ ) = – --- ( G ik, jl + G jk, il ) (34)
2
étant la solution du problème d’Eshelby pour une inclusion ellip-
soïdale attachée à la phase r, de modules instantanés  r , immergée C’est un opérateur singulier (en r = r’ ) qui demande à être utilisé
dans un milieu infini de modules instantanés L0, soumis à l’infini avec précaution. De même, on peut obtenir le champ des taux de
0
au taux de déformation homogène E˙∞ ; l’expression du tenseur a r , rotation totale ω̇ ( r ) en utilisant un opérateur de Green antisy-
qui dépend de la forme et de l’orientation de l’inclusion ainsi que métrique.
des modules  r et L0, sera discutée (voir (35) et (36)). Le problème élémentaire d’inclusion/matrice évoqué plus haut
On exprime le fait que la moyenne, sur toutes les phases r, du est un cas particulier de celui qui précède, l’équation (33) se sim-
taux de déformation moyen par phase ε̇r , égale le taux de défor- plifiant alors sous la forme :
mation macroscopique imposé E˙ :
0 0
〈 ε̇ r〉 = 〈 a r :E˙ ∞〉 = 〈 a r 〉 :E˙ ∞ = E˙ (30) u˙i ( r ) – 
vl
0 0
G ij, k ( r – r ′)δ jklm ( r ′)ε̇ lm ( r ′)dV ′= u˙i ( r ) (35)
soit :
0 –1
E˙∞ = 〈 a r 〉 :E˙ où VI désigne le volume de l’inclusion, puisque δ (r ’ ) est nul en
dehors de VI . Lorsque l’inclusion est ellipsoïdale, soit VI = Ir rep-
ce qui fournit, par combinaison avec (29), la relation de localisation :
résentant la phase r, et que r ∈ I r , on montre que l’intégrale
0 0 –1
ε̇ r = a r : 〈 a r 〉 :E˙ = A r :E˙ (31)
 0
G ij, k ( r – r ′)dV ′ est linéaire par rapport à r : il en découle alors
Selon (28), l’estimation L(0) des modules globaux (où l’indice (0) Ir
rappelle la dépendance de l’estimation vis-à-vis du choix de la que δ ( r ′): ε̇ ( r ′) est uniforme dans VI, ce qui implique que ε̇ ( r ′)
« matrice » de modules L0 ) s’obtient donc, puisque les modules  r
sont uniformes par phase r, par : l’est également si  ( r ′) l’était dans l’état initial. On obtient donc,
avec les notations de (29) :
1  0 0 –1
L ( 0 ) = ----  ( r ):A ( r )dV = 〈  r :A r〉 = 〈  r :a r 〉 : 〈 a r 〉
Vv
(32) 0
a r = ( I + P r :δ r )
0 –1
(36)
0
où I est le tenseur unité du quatrième ordre et où Pr est donné par :
Nous précisons dans la suite ce résultat en adoptant le modèle
autocohérent (AC), c’est-à-dire en choisissant pour L0, dont dépend
0
a r , les modules effectifs L (0) eux-mêmes, soit LAC, ce qui fait de (32)
0
Pr =  0
Γ ( r – r ′) d V ′ (37)
Ir
une équation implicite en LAC.

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S S
ce qui conduira finalement à L(0) par (32). Le tenseur P r est
0 — si µ I >> µ 0 (inclusion beaucoup plus raide que la matrice),
on a : ε I ≈ 0 ;
constant, grâce aux propriétés de l’intégrale de Γ 0 sur un ellipsoïde S S
et ne dépend que de la forme et de l’orientation de l’inclusion Ir et — si µ I << µ 0 (inclusion beaucoup plus ductile que la matrice),
des modules tangents L0 de la matrice. Le modèle autocohérent cor- 5
on a ε I ≈ --- E .
respond, rappelons-le, au choix L0 = L(0) = LAC, ce qui fournit l’équa- 3
tion cohérente cherchée en LAC : La relation (43) peut être également utilisée comme relation de
localisation pour modéliser le comportement global d’un matériau
AC AC –1 AC
L = 〈 r : ( I + Pr : δ r ) 〉 : 〈 ( I + Pr : δ r ) –1〉 –1 (38) biphasé isotrope dont les deux phases, de fraction volumique f1 et
f2 (avec f1 + f2 = 1), auraient un comportement isotrope, linéaire et
ou, de manière plus compacte, mais équivalente :
incompressible caractérisé par les modules de cisaillement sécants
AC
〈 δ r : ( I + P r :δ r ) –1 〉 = 0 (39) S S
µ 1 et µ 2 .
où  r a, pour un polycristal, vocation à s’exprimer selon (20).
Les modèles envisagés précédemment n’auront besoin que de
Dans le cas de la plasticité des polycristaux (multiphasés) métal- 0 0
scalaires a 1 et a 2 déduits de (43). Selon (32), il vient :
liques, la loi de comportement intragranulaire fait intervenir l’orien-
tation des réseaux cristallins au travers des tenseurs d’orientation S S S S S
g S 2 µ1 µ2 + 3 µ0 ( f1 µ1 + f2 µ2 )
des systèmes de glissement R ij et éventuellement du tenseur des µ 0 = ---------------------------------------------------------------------
S S S
- (44)
modules d’élasticité C dans le cas d’une élasticité anisotrope. Pour 3 µ0 + 2 ( f1 µ2 + f2 µ1 )
un milieu hétérogène, le taux de rotation totale dans l’inclusion, S S
donné par (10) et (12), se déduit du taux de rotation totale Ω̇ imposé Lorsque µ 0 → ∞ (ou µ 0 = 0) , on retrouve l’estimation classique
S S
sur la frontière ∂ V par une relation que l’on dérive également de déformation (ou de contrainte) uniforme et pour µ 0 = µ 1 (ou
S S
de (33) en exprimant la partie antisymétrique du gradient de u˙ ( r ) . µ 0 = µ 2 ), on obtient celle de Mori-Tanaka. Le modèle autocohé-
S S S
Elle fait intervenir une combinaison antisymétrique AΓ 0 de dérivées rent conduit à µ 0 = µ ( 0 ) = µ AC , c’est-à-dire à une équation du
S
secondes du tenseur de Green G0 ainsi que toute la distribution des second degré en µ dont µ AC est la racine positive, soit :
taux de déformations ε̇ ( r′ ) , ce qui exprime un couplage entre rota-
tions et déformations lié à l’anisotropie mécanique et à la morpho- 5f 1 µ 5f 2 µ
- + ------------------------
------------------------
S S
-= 1 (45)
logie des phases. 3 µ + 2 µ1 3 µ + 2 µ2
Si on utilise un modèle à base d’inclusions, les relations sont de
la forme : (ce qui, dans ce cas, s’identifie à la relation f1 ε1 + f2 ε2 = E ).
0
ω̇ – Q : δ  : ε˙ = Ω
r
˙∞
r r r

avec Qr =
0  A 0
Γ ( r – r ′ )dV ′ (40)
2.4 Extensions
Ir
0 Divers développements ont pu être réalisés à partir de la présen-
Ω̇ – 〈 Q r : δ  r : ε˙r〉 = Ω
˙∞ tation allégée qui précède : transformations finies, anisotropie,
viscoplasticité, actualisation de la forme des grains avec l’écoule-
où ε̇ r est donné par (31), (36) et (37), ce qui conduit finalement à : ment plastique, prise en compte d’une structure cellulaire intragra-
0 0 nulaire par double changement d’échelle, intégration dans des
ω̇ = Ω̇ + Q r :δ r :ε̇ r – 〈 Q r :δ r :ε̇ r〉 (41) calculs de structures... Par ailleurs, on peut trouver insuffisante la
modélisation d’un grain (ou d’une famille de grains de même
Le cas du modèle autocohérent correspond toujours au choix : orientation de réseau) à partir du seul motif d’une inclusion entou-
R
L0 = L (0) = LAC. Le taux de rotation ω̇ r des réseaux cristallins se rée du milieu homogène équivalent et, pour mieux tenir compte
déduit du taux de rotation totale ω̇ r et du taux de rotation plastique d’effet de voisinage, envisager de considérer différents ensembles
ω̇ r = ∑ S ij γ˙ par la relation :
p g g de grains voisins.
g R p Il est alors possible d’utiliser la relation de base (33) non plus
ω̇ r = ω̇ r – ω̇ r (42) seulement pour une inclusion mais pour tout un multicristal que
l’on discrétisera. On perd alors l’avantage d’une solution uniforme
Il permet de calculer les rotations des réseaux et les textures
dans l’inclusion, mais l’on peut se contenter de l’approximation
cristallographiques induites par la déformation.
consistant à calculer les valeurs moyennes des taux de défor-
À titre d’illustration de la méthode, considérons le cas d’une 0 0
mation dans chaque élément. Au lieu des tenseurs P r et Q r des
inclusion sphérique et d’un comportement sécant isotrope et
incompressible, tel que défini par (23), tant pour l’inclusion que équations (37) et (40), on aura alors à considérer des tenseurs,
S obtenus par double intégration, attachés à des couples d’inclusions
pour la matrice, avec les modules (scalaires) sécants µ I ( ε I ) et 0 0
S r et s, soit P rs et Q rs . On débouche ainsi sur l’extension dite
µ 0 ( E ) . L’équation (29) devient simplement :
S « multisite » du modèle autocohérent classique. Il reste cependant
5 µ0 difficile d’acquérir des informations sûres sur la distribution
ε I = -----------------------------
S S
E (43)
3 µ0 + 2 µI spatiale de paires de grains, de sorte que cette extension,
conceptuellement au point, reste d’une applicabilité limitée.
Cette relation permet d’évaluer l’effet de l’hétérogénéité du Dans le paragraphe 3, on présente des résultats obtenus par
comportement sur la localisation de la déformation : l’intermédiaire de la modélisation autocohérente « classique »
S S
— si µ I = µ 0 (milieu homogène), on retrouve εI = E comme appliquée à des problèmes de mise en forme de tôles d’acier. Le
cas des métaux de structure CFC a été développé dans [14] avec un
attendu ; formalisme de transformations finies.

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3. Applications
On présente, à titre d’illustration, quelques résultats obtenus
pour la simulation du comportement de tôles d’acier à faible
teneur en carbone, destinées à la mise en forme. Ces tôles sont
élaborées par des procédés classiques (laminage à chaud, à froid,
recuit) et possèdent donc une texture cristallographique initiale
mesurée par les techniques usuelles de rayons X. La forme
moyenne des grains est déterminée par métallographie.
Le réseau cristallin étant du type cubique centré, le glissement
plastique est décrit par deux familles de systèmes de glissement
{110} <111> et {112} <111>, ce qui conduit à 48 systèmes de
glissement si on distingue les deux sens de glissement. Le
comportement élastique est considéré comme isotrope (modules
de Lamé λ =120 GPa, µ = 80 GPa).
Du fait du traitement de recuit final imposé au polycristal, on
peut admettre que les contraintes internes sont nulles dans l’état
o
de référence et que la cission critique initiale τ c est identique sur
tous les systèmes de glissement. Cette valeur ainsi que les para-
mètres (p, L, a gh) entrant dans la matrice d’écrouissage, prise, à
partir de considérations de métallurgie physique, sous la forme :

2 Figure 2 – Évolution du coefficient de Lankford calculé


gh µ b gh pour des essais de traction dans le sens du laminage DL,
H = -----------------p- a (46)
L(τ c )
g dans la direction transverse DT et à 45o

sont obtenus à partir de la simulation d’un essai de traction (dans


la direction de laminage DL) et d’une comparaison avec les Les paramètres (p, L, a gh) étant identifiés, on utilise le modèle
mesures expérimentales (figure 1). L représente le libre parcours pour décrire la réponse du matériau à différents chargements. Du
moyen des dislocations et a gh désigne une matrice de définition fait de la texture initiale, la tôle possède une anisotropie plastique
cristallographique, caractérisant les interactions entre dislocations que l’on peut caractériser partiellement à partir de la mesure du
de différents systèmes de glissement. coefficient de Lankford (rapport entre les déformations en largeur
et en épaisseur sur une éprouvette de traction) lors d’essais
On constate que, jusqu’à des déformations plastiques de l’ordre
uniaxiaux effectués à 45o de la direction de laminage et dans la
de 20 %, le modèle est capable de bien représenter les résultats
direction transverse. La figure 2 présente l’évolution du coefficient
expérimentaux. La forte non-linéarité de la courbe de traction
de Lankford r avec la déformation axiale pour les trois essais
jusqu’à des déformations de l’ordre de 5 % provient de la plastifi-
définis précédemment (DL, DT, 45o). Les mesures de r à 10 % de
cation progressive des systèmes de glissement dans les différents
déformation, également reportées sur la figure 2, montrent que
grains du polycristal.
l’anisotropie plastique due à la texture cristallographique est rela-
tivement bien prise en compte par le modèle.
La figure 3 présente une coupe de la surface de plasticité initiale
dans le plan DL – DT pour différents niveaux de déformation plas-
tique équivalente au sens de von Mises (0,2 à 2 %). La valeur du
seuil de plasticité à 0,2 % de déformation équivalente obtenue lors
des essais de traction selon DL et DT est également reprodutie. Ces
surfaces peuvent être approchées par un critère de plasticité ani-
sotrope (celui de Hill par exemple).
Après un écrouissage correspondant à un chargement complexe
(rétreint + repassage), la forme des surfaces de plasticité est
profondément modifiée, traduisant simultanément un écrouissage
isotrope et cinématique, mais également une distorsion de la
surface (figure 4). Les mesures de seuil en traction selon DL et DT
reportées sur la figure 4 montrent que le phénomène d’écrouis-
sage complexe est pris en compte dans le modèle.
L’origine de l’écrouissage est multiple et correspond :
— à une distribution complexe des dislocations dans les grains
et à une évolution anisotrope des cissions critiques ;
— à la présence de contraintes internes intra- et intergranulaires
associées aux incompatibilités du champ plastique ;
— à la rotation des réseaux cristallins conduisant à la formation
ou la transformation des textures.
Figure 1 – Réponse en traction uniaxiale (selon la direction La figure 5 indique, sous forme d’une figure de pôle (200), l’évo-
de laminage de la tôle) lution de cette texture lors du trajet en rétreint décrit dans la
figure 4. La figure 6 décrit l’état initial et final des pôles (110) et
(200) après un rétreint de 25 %.

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Figure 3 – Surface de plasticité initiale dans le plan DL — DT Figure 4 – Évolution de la surface de plasticité
pour différents niveaux de déformation plastique équivalente lors d’un chargement complexe dans le plan DL — DT
p
au sens de von Mises ( E )

Figure 5 – Évolution de la texture [figure de pôle (200)] lors d’une opération de rétreint

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On constate que la texture évolue rapidement (les nouvelles


orientations sont présentes dès 10 % de rétreint) et continue à se
renforcer lors de l’écoulement plastique. L’évolution complexe de
la distribution des orientations cristallines, fortement dépendante
du trajet de déformation, explique la difficulté d’une représentation
phénoménologique unifiée du phénomène d’écrouissage.
Le caractère hétérogène du polycristal apparaît dans l’analyse
des fluctuations des champs de contraintes et de déformations
plastiques après un chargement donné. Dans la figure 7, on rep-
p
résente la réponse globale du polycristal [ Σ 11 ( E 11 ) , voir figure 7a ]
à un chargement de traction simple selon la direction 1 ainsi que
p
les états mécaniques ( σ ij , ε ij ) (figure 7) de 100 grains, pour une
p
déformation macroscopique E 11 = 20% et une contrainte
Σ11 ≈ 550 MPa données. On constate [15] que :
— les fluctuations des tenseurs de contrainte et de déformation
autour de la valeur moyenne sont de l’ordre de 20 % pour les
composantes dans la direction de traction ;
— les fluctuations des autres composantes sont très importantes
et de nature diverse selon les composantes analysées.
Les contraintes internes ainsi évaluées engendrent une énergie
élastique stockée dans le matériau après décharge et illustrent par-
faitement l’aspect hétérogène d’un polycristal métallique.

Figure 6 – Figure de pôle (200) et (110) après rétreint

Figure 7 – Contraintes et déformations macroscopiques et microscopiques lors d’un chargement en traction simple

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4. Conclusions bandes de cisaillement et les phénomènes d’adoucissement asso-


ciés. Pour d’autres classes de matériaux et/ou de comportements,
la démarche précédente doit être étendue et/ou améliorée,
notamment :
L’analyse et les illustrations qui précèdent ont montré que toute
— dans le cas de forts contrastes mécaniques (composites à
démarche visant à évaluer et à prévoir le comportement d’un maté-
matrice métallique, métaux biphasés), l’approche autocohérente
riau polycristallin doit nécessairement s’appuyer sur une modéli-
classique peut être améliorée par un modèle à trois phases prenant
sation simultanée des mécanismes physiques de la déformation
en compte certains aspects morphologiques et topologiques [16] ;
inélastique et sur une prise en compte de la microstructure de l’élé-
— la démarche précédente a été développée pour déduire le
ment de volume représentatif par une approche statistique appro-
comportement thermomécanique d’alliages à mémoire de forme
priée. Dans certains cas, l’hypothèse de séparabilité des échelles
dans lesquels le mécanisme élémentaire correspond à un change-
utilisée implicitement dans la démarche présentée n’est pas valide
ment de phase à l’état solide (transformation martensitique) [17] ;
et il faut recourir à des approches plus complexes et nécessairement
— enfin, la prise en compte de phénomènes dépendant du
plus lourdes.
temps (vieillissement, viscosité) nécessite le développement d’une
Malgré leur intérêt technologique et scientifique, certains phéno- démarche spécifique du fait de la présence simultanée, dans la loi
mènes de plasticité classique ont été ignorés dans le modèle de comportement locale, de termes en σ , σ̇ , ε ,ε̇ ... [18].
précédent ; ils concernent notamment la déformation localisée en

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P
O
U
Modélisation de la déformation R
plastique des polycristaux
E
N
par Marcel BERVEILLER
Ingénieur INSA (Institut national des sciences appliquées) de Lyon
Docteur ès sciences
S
Professeur à l’École nationale d’ingénieurs de Metz Laboratoire de physique et mécanique
des matériaux A
et André ZAOUI
Docteur ès sciences,
Ingénieur civil de l’École des mines de Paris
V
Directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique
Professeur à l’École polytechnique O
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3 - 1997
Doc. M 48

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