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jacques gerstlé

LA PUBLICITÉ POLITIQUE
Quelques enseignements de l'expérience américaine

L'évolution récente de la communication politique semble marquée par un fort tropisme


publicitaire. La campagne française en vue de l'élection présidentielle de 1988 montre certains
indices de cette tendance.
Le volume de l'affichage y a pris des proportions inégalées. L'apparition des clips a été
rendue possible par la décision de la CNCL du 10 mars 1988 fixant les règles de production, de
programmation et de diffusion des émissions officielles relatives à la campagne qui stipule
notamment que : « Les candidats peuvent insérer dans leurs interventions des documents
vidéographiques ou sonores qu'ils réalisent à leurs frais. » D'autre part, le Président sortant,
pour diffuser sa « Lettre à Tous les Français » a également eu recours à l'achat d'espace dans la
presse quotidienne nationale et régionale.
Ces quelques indices confirment l'attraction qu'exercent par ailleurs certains mécanismes
du discours publicitaire sur le discours politiques en général, tels que la simplification des
contenus et la « sloganisation » du message comme le montre le recours aux « petites phrases »
et aux formules calibrées pour être reprises rapidement et diffusées par les médias.
Pourtant, l'utilisation des techniques publicitaires dans la communication politique paraît
mal acceptée par le public français. De nombreuses études empiriques le montrent, qu'il s'agisse
du refus de la publicité politique à la télévision (Bonnet, 1987) ou de la faible influence attribuée
à l'affichage sur la décision électorale (Télérama, n° 1995, avril 1988). Aux États-Unis la
publicité, au contraire, contribue massivement à diffuser notamment les messages électoraux.

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Nous allons en examiner les conditions d'émergence, puis les contenus en termes formels et
stratégiques avant de cerner la place qu'y occupent les enjeux, les images et les mythes
politiques.

1. L'émergence de la publicité politique américaine


Aujourd'hui la publicité a largement conquis le droit de cité dans la vie politique
américaine. Quels enseignements peuvent nous apporter cette expérience et les recherches qui
lui ont été consacrées? Certes, le système américain présente une forte spécificité institu-
tionnelle et culturelle qui limite la portée de la comparaison. Il n'en demeure pas moins que la
démocratie américaine expérimente depuis plus de 35 ans la publicité politique et l'a même
installée aujourd'hui comme une des armes les plus utilisées du combat électoral.
Certains facteurs ont facilité cette installation. Ainsi, la publicité politique apparaît sur les
écrans au moment même où la télévision couvre l'ensemble du territoire. Télévision et publicité
politiques sont jumelles. De plus, la frontière entre le public et le privé est beaucoup moins
marquée aux États-Unis et donc la crainte française d'assimilation du politique au commercial y
est certainement plus faible. De même, encore, les critères de sélection du personnel politique
américain font moins appel aux longues trajectoires politiques ou administratives et permettent
l'éclosion soudaine de carrières parfois éphémères ou fulgurantes.
Mais comment définir la publicité politique ? Pour les observateurs d'outre-atlantique le
critère distinctif de la publicité politique réside dans l'achat d'espace. C'est donc une
communication où l'acteur achète une opportunité d'accès à un public pour lui adresser des
messages composés pour l'influencer. Tous les médias sont donc concernés, mais à côté de la
presse écrite et de la radio, c'est la publicité télévisée qui constitue aujourd'hui le mode
dominant.
Cette domination résulte de la domination du média télévision lui-même et se traduit par
une pratique généralisée à tous les niveaux de la vie politique, quel que soit l'enjeu en question,
quelle que soit la nature du poste électif, du city council man au président. Pour être généralisée
la pratique n'en demeure pas moins coûteuse. Depuis 1952, le coût des campagnes électorales a
triplé et les dépenses consacrées à l'achat d'espace TV ont été multipliées par cinq. Pour la
dernière campagne présidentielle de 1984, Reagan et Móndale ont dépensé chacun approxima-
tivement 25 millions de dollars en publicité sur les 40 millions alloués par le financement
fédéral. Les 2/3 des dépenses publicitaires ont été occasionnées par la production et surtout par
l'achat d'espace pour la diffusion des spots télévisés. Il n'est pas rare que dans les élections
locales ou au niveau des États la publicité télévisée « consomme » 90 % des budgets de
campagne.
Le genre a beaucoup évolué comme en témoignent les études historiques de la publicité

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politique (Jamieson, 1984 ; Devlin, 1986). Le coup d'envoi est donné par la campagne de 1952
avec le premier spot d'un candidat à la présidence « Eisenhower answers America ». A ces
messages télévisés de soixante et vingt secondes, Stevenson opposait ses discours télévisés d'une
demi-heure. Mais en 1956, il s'aligne sur le modèle du Président sortant qui avait produit un
spot intitulé « The man from Abilene ». Il lui répond quatre ans plus tard avec « The man from
Libertyville ». Une deuxième génération de spots électoraux apparaît en 1960 lorsque Kennedy
et Nixon apparaissent en gros plan pour évoquer la protection sociale ou les droits civiques.
1964 voit l'avènement de la publicité négative avec le désormais fameux « Daisy girl spot »
de Johnson dirigé contre la menace nucléaire, alias Goldwater. En 1968 la couleur fait son
apparition et étend les possibilités d'expression visuelle. 1972 est marqué par le recours à des
formats plus longs, jusqu'à cinq minutes où les idées sont davantage mises en scène en utilisant,
par exemple, la technique dite du cinéma-vérité. La publicité électorale se diversifie considé-
rablement en 1976 par le mélange des formats, des techniques et des contenus. On remarque
particulièrement l'apparition des «feel good spots », le témoignage de l'homme de la rue et la
tranche de vie. La campagne de 1980 se distingue par l'exhibition des personnalités qui
soutiennent Reagan et par la production de documentaires sur ses réalisations en tant que
gouverneur de Californie. On assiste également au développement des messages publicitaires
conçus par des organisations dépendantes de l'équipe du candidat tels les « Political Action
Committees ». Sur les 255 spots télévisés diffusés en faveur de Reagan entre le Labour Day et le
jour de l'élection 29 % durent cinq minutes, 16 % durent une minute et 55 % durent trente
secondes. La demi minute est devenue le format dominant du spot en 1980 et 1984.
Cette diversification des formes, des durées, techniques et contenus permet à la publicité
politique d'espérer remplir de multiples fonctions : faire reconnaître un candidat peu connu,
modifier les connaissances politiques des électeurs indécis ou peu intéressés par la politique,
c'est-à-dire composant des segments critiques de l'électorat, renforcer les électeurs acquis,
combattre les candidats concurrents.
Ils permettent de promouvoir des enjeux et de redéfinir des images, de collecter des fonds
par des appels de contribution. Ils rendent possible des ajustements stratégiques en visant des
groupes sociaux particuliers ou en permettant de jouer de nouveaux coups pour réorienter la
partie en cours.
L'émergence irrésistible de la publicité politique télévisée aux Etats-Unis a suscité une
grande quantité de recherches empiriques dont nous allons extraire les enseignements relatifs à
son contenu.

2. Types et stratégies de publicité électorale


D'un point de vue strictement quantitatif, il est certain que la question des effets de la
publicité politique a suscité le plus grand nombre de recherches. Faut-il vraiment s'en étonner ?
Il y a là, purement et simplement, la traduction sur un problème particulier d'une des tendances

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lourdes bien connues de la première sociologie des médias d'inspiration behavioriste : l'obses-
sion des effets. Il faut y ajouter la conception totalement instrumentale de la communication
politique dans laquelle les effets recherchés par les acteurs politiques sont directement
persuasifs. L'évolution de la recherche, sensible aux inflexions de la sociologie des médias et de
la théorie de la communication politique, conduit à renforcer aujourd'hui l'étude des contenus
de la publicité politique.
L'analyse du contenu, au sens large, des messages publicitaires peut servir de multiples
objectifs de recherche, historique ou stratégique par exemple. Sans connaissance du contenu, il
paraît difficile d'évaluer l'efficacité de la publicité politique en comparant les effets attendus et
les effets obtenus. Les études de contenu se situent, donc, à un carrefour et cette localisation
explique la grande diversité des thèmes d'investigation. L'examen de différentes typologies
dressées par les chercheurs montre que les classes de contenu y sont opératoires.
La typologie de Diamond et Bates ( 1984) vise à mettre en évidence des séquences où se
repère une correspondance entre la chronologie d'une campagne et l'utilisation de certaines
stratégies dans la publicité télévisée. Ils présentent quatre formes dont la succession semble
récurrente. La première phase de la campagne est caractérisée par le recours à des spots
d'identification. Leur objectif est de faire connaître la personne même du candidat car sa
notoriété peut être faible notamment au cours des élections primaires. Dans ce cas, son effort
consiste à faire surface et le « surfacing » commande toutes les actions de communication. La
deuxième phase consiste à énoncer des proportions spécifiques ou générales sur les enjeux de
l'élection. Les contenus spécifiques se reconnaissent à la prise de position en faveur d'une
politique particulière ou bien à l'attention portée à un groupe social donné ou bien encore à
l'appel à une loyauté partisane, une solidarité de classe ou ethnique. Ces contenus peuvent être
traités sur un mode à dominante factuelle ou émotionnelle.
Le format du spot le destinerait davantage au deuxième mode qu'au premier, pourtant
certains spécialistes comme D. Garth considèrent que sa teneur en informations peut trans-
gresser le principe publicitaire classique de la proposition unique. C'est dans un troisième temps
que les candidats en viendraient généralement à donner un tour plus agressif à leur communica-
tion en employant les ressources de la publicité négative. La disqualification des concurrents
peut passer par l'utilisation de différents stratagèmes : accentuation des défauts de la personnali-
té, dénigrement des propositions, soupçon sur les compétences, discrédit d'une conduite
politique... Enfin, la campagne s'achève sur un retour à l'apaisement grâce à la rencontre
symbolique de deux destinées, celle d'une communauté et celle d'un homme dans un climat de
confiance voire d'euphorie. C'est le principe actif du « feel good spot ». L'analyse de Diamond et
Bates insiste sur le temps comme variable explicative de la stratégie de contenu. Bien d'autres
variables ont été prises en considération comme la nature de l'élection, le sexe et l'origine
partisane du candidat ou la durée du spot lui-même. Mais c'est la position de pouvoir occupée
par le candidat qui est aujourd'hui la variable la mieux décrite. On doit, notamment à
Wadsworth et Kaid (1987) l'étude la plus récente et la plus approfondie. Elle porte sur un

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corpus de 805 spots diffusés au cours des campagnes présidentielles américaines entre 1952 et
1984. Les auteurs font tout d'abord apparaître que les sortants victorieux mettent en général en
œuvre des stratégies qui soulignent les compétences exigées par la fonction présidentielle, les
réalisations accomplies pendant leur mandat, l'importance de la fonction présidentielle et
invoquent la légitimité qui lui est attachée.
Les challengers se distinguent en apparaissant physiquement à l'image, en appelant au
changement, en mettant l'accent sur les enjeux et en dénonçant les insuffisances de l'ad-
ministration sortante. Quant au style rhétorique, les sortants préfèrent dans les trois quarts des
cas le registre émotionnel, le pathos d'Aristote, au registre informatif choisi dans 19 % des cas
seulement. On retrouve la même hiérarchie chez les challengers mais avec un écart rétréci de
54 % à 30 %. Enfin, quant au contenu des appels, les sortants insistent davantage sur leurs
caractéristiques personnelles (74 %) que sur les enjeux (64 %) alort' que les prétendants
inversent la tendance en sollicitant davantage les enjeux (79 %) que les traits de personnalité
(55 %). La hiérarchie des enjeux pris en charge par les sortants fait apparaître trois masses
comparables : la politique étrangère (24 %), l'économie (23 %) et le leadership (22 %). Chez les
challengers la structure des enjeux révèlent une suprématie des questions économiques (40 %)
sur la politique étrangère et le leadership (18 %).
La publicité négative constitue une troisième dimension stratégique particulièrement
observée. L'apparition des spots négatifs n'est pas nouvelle mais il semble que leur utilisation
tende à se développer. On a ainsi estimé que, sur les 450 millions de dollars dépensés en 1986
pour les élections des sénateurs et représentants, la moitié a été consacré à la publicité négative.
Elle se réalise sous trois formes principales : l'allusion qui met en cause par le sous-entendu, la
comparaison qui est supposée révéler le contraste entre les positions ou mérites des compéti-
teurs et l'attaque frontale qui est portée directement et personnellement sur le candidat
lui-même ou ses soutiens.
Chacune de ces formes se rattache à un critère de décision électorale différent. L'efficacité
du spot allusif implique que l'électeur a besoin d'information pour déterminer quel candidat est
le plus proche de ses préférences en termes politiques ou psychologiques. Le spot comparatif
suppose que l'électeur met en œuvre une rationalité au moins limitée pour faire son choix. Le
sport offensif procède, enfin, d'une conception où la décision électorale se trouve davantage
dictée par l'élimination que par le choix. Wadsworth et Kaid ont comparé systématiquement les
stratégies des candidats sortants et des challengers sur cette dimension de la publicité télévisée.
Dans les deux groupes la dominante est largement en faveur de la publicité positive puisque les
spots négatifs représentent moins d'un tiers du corpus des messages. La mise en cause porte
dans un ordre décroissant sur les prises de position relatives à des enjeux, sur des caractéris-
tiques personnelles et plus rarement sur des appartenances de groupe, cela sans doute pour ne
pas heurter des segments de l'électorat.
Le volume de la publicité négative semble pouvoir varier avec le niveau de la consultation.
A cet égard, l'exemple le plus spectaculaire est certainement la campagne sénatoriale de 1984 en

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Caroline du Nord où s'affrontaient Jesse Helms, le sortant et le Gouverneur Jim Hunt (Louden,
1987). Leur affrontement s'est largement déroulé sur le terrain de la publicité télévisée puisque
pas moins de 95 spots y ont été utilisés. Sur les 41 spots produits par Hunt, 24 étaient négatifs et
la proportion montait chez Helms à 31 sur un total de 54. Les deux candidats se sont livrés à un
véritable combat médiatisé où le spot était l'arme choisie.
Le contenu comparé des deux ensembles de messages se présente ainsi

HUNT HELMS
Nbre spots % Nbre spots %
Soutien 3 7,3 15 27,8
Déclaration de politique
publique 13 31,7 3 5,6
Attaque :
— concentrée 12 29,3 25 46,3
— diffuse 5 12,2 1 1,8
Réfutation 6 14,6 3 5,6
Mixte 2 4,9 7 12,9

Helms concentre ses attaques sur des enjeux spécifiques et recourt à l'expression des
soutiens alors que Hunt disperse sa stratégie. Dans un premier temps, ce dernier insiste sur les
messages positifs qui mettent en image sa vision de l'avenir de l'État élaborée autour des quatre
Ε (education, environment, economy, elderly). Dans un deuxième temps, il s'oriente vers une
publicité négative centrée sur des enjeux particuliers (sécurité sociale, politique étrangère, liens
de Helms avec des mouvements racistes). L'issue favorable à Helms plaide en faveur de
l'efficacité persuasive de la publicité négative. Mais au-delà, cette campagne illustre comment
les acteurs politiques grâce aux techniques de communication sont conduits à engager une sorte
de dialogue électronique marquée par la rapidité des échanges. Le spot est une technique qui
permet de répondre très vite aux coups joués par l'adversaire.
Pour les candidats, il réduit considérablement la contrainte de temps imposée par les
moyens traditionnels de la communication politique. Cette accélération des échanges implique
également le public puisqu'avec les « tracking polls » les consultants peuvent évaluer en une nuit
l'impact du message publicitaire et décider des ajustements nécessaires. Le second avantage
majeur pour les candidats réside dans la réduction du rôle de la presse dans le déroulement de la
campagne qui perd en partie le contrôle de l'agenda et compte les points en commentant
l'évolution du duel téléphonique dans ce qu'il est convenu d'appeler la métacampagne. La
publicité politique étant entièrement contrôlée par le candidat, il pilote plus aisément la
campagne en focalisant l'attention sur des enjeux ou des profils symboliques et en les
combinant.

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3. Enjeux, images et mythes
L'une des critiques les plus souvents adressées à la publicité politique est dirigée contre sa
vocation apparente à mettre davantage en valeur des images qu'à débattre des problèmes de la
communauté des citoyens. Elle serait plus susceptible de manipuler les audiences que d'éclairer
les électeurs sur les choix à opérer. Cette question a donc fait l'objet, elle aussi, de recherches
empiriques.
Ainsi, Me Clure et Patterson (1976) estiment que 42 % des spots diffusés au cours de la
campagne présidentielle de 1972 étaient centrés sur des enjeux et qu'un autre groupe,
représentant 28 % du corpus, contenait une information substantielle sur des enjeux. Pour
Hofstetter et Zukin (1979), la proportion de spots à contenu informatif sur les enjeux monterait
même à 85 %, même s'ils remarquent que la comparaison entre les positions respectives des
candidats y est peu pratiquée. Les deux études précitées comparent le traitement des enjeux
dans les messages publicitaires et dans les journaux télévisés et s'accordent, de façon surpre-
nante, à reconnaître la supériorité des premiers comme moyen d'information sur ce point. La
pesée des contenus a également conduit R. Joslyn (1980) à construire un échantillon de
156 spots télévisés en tenant compte de différentes variables tels que le niveau de consultation,
l'origine géographique, l'origine partisane des candidats et leur position de pouvoir. Son analyse
fait apparaître quatre types de contenu dont les manifestations décroissantes se rangent ainsi :
référence à un enjeu ou plusieurs (57,7 % ) , référence à des qualités personnelles (47,4 % ) ,
référence à des groupes sociaux particuliers (39,7 %). Il remarque, cependant, que dans le
premier groupe, 19 % des messages ne révèlent en rien la position du candidat sur un enjeu et
que 38 % ne fournissent qu'une vague indication dans ce sens. Six ans plus tard, Joslyn (1986)
propose une typologie plus fine. Il travaille sur un corpus élargi de 506 spots de toutes origines
partisanes, diffusés entre 1960 et 1984 au cours de campagnes à différents niveaux où les
candidats peuvent être sortants ou challengers. Sa typologie s'articule à différentes approches
des phénomènes électoraux, qui distinguent leur signification.
Premièrement, l'élection est l'occasion de choisir parmi les propositions des candidats
celles qui doivent orienter le cours des futures politiques publiques. Deuxièmement, l'élection
permet aux citoyens d'évaluer les performances des autorités publiques et de les sanctionner
négativement ou positivement selon l'orientation et l'intensité de la satisfaction rétrospective.
Troisièmement, l'élection est moins le moment où l'on se prononce sur le cours passé ou futur
de la politique publique que le moment où se révèlent les leaders dont les attributs corres-
pondent le mieux aux attentes des citoyens sur les rôles politiques. Enfin, l'élection est le rite
politique dans lequel l'essentiel tient à la campagne et à la participation davantage qu'au
résultat.
Appliquant ce cadre d'analyse, Joslyn constate que dans 37 % des spots du corpus on
trouve une référence au moins à des alternatives futures pour orienter les politiques publiques.

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Néanmoins, il faut distinguer les engagements politiques précis qui ne concernent que 5 % des
spots et les positions moins fermes (10 %) dans lesquelles le candidat se dispense de détailler ses
intentions. Enfin, 22 % des messages font usage de références extrêmement vagues à des enjeux
plus ou moins bien définis. S'agissant de l'élection comme opportunité d'évaluer rétro-
spectivement la politique des autorités publiques, la contribution des candidats peut revêtir
trois apparences. Soit ils critiquent et condamnent la politique menée, soit ils demandent son
approbation, soit encore ils attirent l'attention sur une situation insatisfaisante qu'il est
nécessaire de corriger. En cela ils contribuent à construire les enjeux politiques sur le fondement
d'une analyse rétrospective.
L'utilisation de ces trois formes est distribuée de façon homogène dans les spots
rétrospectifs du corpus étudié car chacune d'entre elles est mobilisée dans un peu plus de 20 %
des messages.
Lorsque l'on considère l'élection comme processus de sélection des leaders et non plus en
termes d'enjeux, on est amené à examiner le contenu des messages publicitaires en termes
d'images. Cette catégorie est la plus fournie car les qualités personnelles des candidats sont
verbalisées dans le discours mais aussi sont exprimées visuellement et mises en scène plus
facilement que les enjeux. Si l'on ne tient compte que du discours, 57 % des spots font
expressément mention de traits d'image politique.
Enfin, la perspective ritualiste appliquée au contenu du message publicitaire permet de
lire environ 40 % du corpus. La moitié est constituée par ces spots d'évocation très vague
d'enjeux très généraux et quasi obligés. L'autre moitié, la conception de minidrames, de
schématisations caricaturales de la scène politique et des rappels hautement symboliques de
l'appartenance à des groupes et à la communauté nationale.
Certains chercheurs se préoccupent de détailler davantage la nature des enjeux et des
traits d'image récurrents. C'est le cas de Shyles ( 1986) qui fait porter son investigation sur un
corpus de 140 messages publicitaires de 30 à 40 secondes diffusés entre janvier et juin 1980. 24
d'entre eux sont produits par le candidat indépendant J.B. Anderson, 51 par les candidats
démocrates (Brown, Carter, Kennedy) et 65 par les candidats républicains (Reagan, Baker,
Connally, Crane).

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Le tableau suivant fait état de la fréquence et du poids de neuf thèmes principaux :

Nbre occurrences %
Bien-être national 129 19,8
Économie 84 12,9
Politique étrangère 77 11,9
Énergie 77 11,9
Conduite du gouvernement 74 11,4
Politique intérieure 66 10,2
Défense et sécurité 65 10
Fédéralisme 61 9,4
Bilan de Carter 16 2,5
total 649 100

On constate que ces enjeux font l'objet de 649 mentions au cours des 83 minutes qui est
la durée totale du corpus. De plus, la ventilation des enjeux traduit bien, selon Shyles, les
problèmes majeurs du moment (inflation, chômage, crise énergétique, crise des otages en Iran,
invasion soviétique en Afghanistan). Il ne signale pas si les thèmes sont seulement évoqués
allusivement ou s'ils font l'objet de propositions précises pour le règlement des différents
problèmes. La même analyse sur les traits d'image attribués aux candidats donne les résultats
suivants :

Nbre occurrences %
Expérience 117 30,5
Compétence 58 15,1
Honnêteté 43 11,2
Leadership 40 10,4
Fermeté 39 10,2
Altruisme 27 7
Qualité personnelle 8 2,1
Autres qualités 51 13,3
total 383 100

Ces qualités verbalisées correspondent, selon Shyles, à une prise de conscience des
insuffisances de la présidence Carter. La publicité électorale est donc bien, là encore, en
correspondance avec le climat politique. Toutes tendances confondues, expérience, compé-

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tence et leadership sont les qualités attribuées aux différents candidats de façon majoritaire.
L'auteur remarque que, contrairement à la critique dominante, la publicité politique ne favorise
pas les images (383 références) au détriment des enjeux (649 références). Il reconnaît,
cependant, lui-même que la balance serait différente si l'on intégrait dans le calcul les
significations portées par le visuel. Il avoue, de plus, que les aspects de l'image se laissent moins
aisément coder. Ces deux points de méthode limitent singulièrement la portée des résultats.
Ces différentes recherches montrent que les messages publicitaires véhiculent davantage
d'informations sur les enjeux que ne le suppose la critique la plus répandue. Mais il est certain
que la mesure de cette information dépend largement du degré d'exigence concernant la
précision du message. De la promesse ferme jusqu'à l'allusion symbolique toute une gamme de
possibilité existe et selon le critère retenu les résultats peuvent varier dans des proportions
importantes. Les 85 % de Hofstetter et Zukin sont, par exemple, produits par une catégorisa-
tion très lâche et globalisante alors que les distinctions opérées par Joslyn sont déjà plus fines et
paraissent mieux rendre compte de la diversité des contenus. Sa quatrième perspective
concernant la dimension rituelle des appels électoraux est particulièrement intéressante pour la
connaissance de la publicité politique.
Elle attire, en effet, l'attention sur le substrat culturel de valeurs, de normes, de croyances
et de mythes qui étayent la communication électorale. J. Combs (1979), entre autres, a étudié la
mobilisation des mythes politiques dans la publicité électorale. Elle permet de créer ou réveiller
des univers fantasmatiques que le public s'approprie en les interprétant. Les candidats se
resituent ainsi dans la continuité d'une mythologie politique telle que la fondation de la nation,
ses origines, sa lutte pour l'indépendance, ses valeurs constitutionnelles fondamentales, etc. Les
«feeling good spots » de Reagan en 1984 étaient une mise en image du rêve américain dont la
réalisation fictive contrastait totalement avec le rappel à la réalité des lourdes menaces désignées
par Mondale. La vision que Reagan présente de l'Amérique est pleine de drapeaux et de
parades, elle est peuplée de gens au travail, d'enfants qui jouent, de jeunes mariés qui achètent
leur maison et de personnes âgées qui se promènent la main dans la main. Les titres mêmes des
spots la résume : « America is back », « Prouder, stronger, better », « Peace ». Móndale exhibe,
au contraire, des chômeurs, des agriculteurs dont on saisit les biens, des personnes âgées
indigentes, des sites pollués par des déchets industriels et des visages d'enfants sur fond de
missiles.
Toute la dramatisation de la situation est associée ou converge vers l'entrée en scène
salutaire d'un homme qui se doit de présenter quelques dispositions particulières. Les mythes
du héros convoquent les figures légendaires de la vie politique américaine, décrivent les qualités
attachées à ces personnalités et leur correspondance avec des fonctions politiques.
Le mythe de la « log cabin » (cabane de bois) est très sollicité depuis l'élection de 1840.
Dans une campagne mobilisant ce mythe, le candidat joue de ses origines sociales modestes qui
ne l'ont pas empêché de s'élever dans la société. De Lincoln à Carter en passant par Johnson ou
Nixon la partition a souvent été interprétée (Gerster, Cords, 1977). Des mythes plus restreints,

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attachés à certains groupes tels les partis ou l'institution présidentielle sont constamment mis à
contribution. Tous ces mythes sont articulés à des besoins profonds utilisés par les publicitaires
comme principaux opérateurs de la persuasion clandestine (Packard, 1958) : sécurité émo-
tionnelle, réassurance sur sa valeur, contentement de soi, exutoire pour l'instinct créateur,
objets d'affection, sentiment de puissance, besoin de racines ou désir d'immortalité.
Il est significatif de voir se développer vers une direction interprétative l'analyse de la
publicité politique. Cette évolution atteste la prise de conscience que la communication est une
forme essentielle de production et de renforcement des identités collectives. Qu'il s'agisse de
communauté nationale, culturelle, partisane, ou d'intérêts stricto sensu, la logique de l'identifi-
cation est à l'œuvre aussi bien dans le spot télévisé que dans le discours traditionnel. Si la
rationalité stratégique du candidat veut avoir une chance de s'exprimer avec succès elle doit
sacrifier aux exigences du rite social de la campagne électorale.
En ce sens, la publicité télévisée est devenue récemment la manifestation la plus
spectaculaire de ce drame culturel à grande échelle que constitue une élection par la remise en
place de tout le dispositif symbolique de la vie politique. Sa visibilité et sa prégnance en font
aujourd'hui aux Etats-Unis l'un des instruments principaux de construction de la réalité
politique par la transmission de certaines connaissances sur les enjeux, par la cristallisation
d'images, par la reconstitution d'identités politiques qu'elle contribue à assurer.

RÉFÉRENCES

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