Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2019) 20, 158—167

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DOULEUR ET RÉÉDUCATION

L’intérêt de la méthode Mézières dans la

prise en charge de la douleur chronique
The interest of the Mézières method in chronic pain management

Jacques Patté

129, rue de l’Abbé Groult, 75015 Paris, France

Reçu le 2 décembre 2018 ; accepté le 8 janvier 2019

Disponible sur Internet le 12 mai 2019

Jacques Patté

MOTS CLÉS Résumé La méthode Mézières est un concept de rééducation qui tient compte de l’unité
Unité du corps ; corporelle réalisée par un système de chaînes myofasciales. Elle permet la prise en charge du
Chaînes corps dans sa totalité, quelles que soient les déformations et pathologies présentées. Au-delà
myofasciales ; des lois de l’équilibration, des facteurs physiques et psychiques favorisent la rétraction et le
Approche globale ; raccourcissement de ces chaînes. Il en résulte des troubles neuro-musculo-squelettiques et des
Douleurs chroniques ; douleurs. Après un diagnostic kinésithérapique, la méthode Mézières propose de les traiter
Mal de dos par une approche globale, individualisée et active. Elle repose sur des techniques d’étirement
des chaînes myofasciales, tout en y associant une éducation proprioceptive qui favorise la
reprogrammation sensorimotrice et un travail respiratoire. En déjouant les mécanismes de
compensation du corps et en se basant sur une approche globale de la personne, la méthode
Mézières permet de retrouver un équilibre postural et représente un outil thérapeutique d’une
grande utilité dans la prise en charge de la douleur chronique, avec une indication majeure
pour le mal de dos.
© 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Adresse e-mail : jacquespatte@gmail.com

https://doi.org/10.1016/j.douler.2019.01.005
1624-5687/© 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
L’intérêt de la méthode Mézières dans la prise en charge de la douleur chronique 159

KEYWORDS Summary The Mézières method is a concept of rehabilitation that takes into account body
Body unity; unity achieved by a system of myofascial chains. It allows the management of the body in
Myofascial chains; its entirety, whatever the deformations and pathologies presented. Beyond the laws of equili-
Global approach; bration, physical and psychic factors favor the retraction and the shortening of these chains.
Chronic pain; This results in neuro-musculoskeletal disorders and pain. After a physiotherapy diagnosis, the
Back pain Mézières method proposes to treat disorders with a global, individualized and active approach.
It is based on stretching techniques of myofascial chains, while associating a proprioceptive
education that promotes sensorimotor reprogramming and respiratory work. By foiling body’s
compensation mechanisms and based on a global approach to the person, the Mézières method
allows to find a postural balance and represents a great therapeutic tool in chronic pain mana-
gement, with a major indication in back pain.
© 2019 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Placées sous influences constantes, ces chaînes et suites

Introduction
Les connaissances acquises dans le domaine des neuros-
ciences permettent une meilleure compréhension de la
douleur.
Le physiologique et le psychologique ne sont plus séparés
et constituent un tout.
Associés aux facteurs sociaux ils favorisent une approche
biopsychosociale dans la prise en charge de la douleur
[1].
Des statistiques concernant la douleur dans la population
française montrent que 68 % des personnes ressentent des
douleurs depuis plus d’un an et 67 % ont mal au dos [2].
L’OMS a déclaré la lombalgie première cause de handi-
cap.
Pour soulager le mal de dos, les raideurs et douleurs
articulaires, la rééducation est préconisée dans un but thé-
rapeutique et éducatif, en complément des traitements
médicaux.
Reposant sur une connaissance approfondie de la mor-
phologie, de l’anatomie et de la biomécanique, la méthode
Mézières se distingue par son approche originale et globale
de l’individu, et ce quels que soient les problèmes rencon-
trés, et par sa façon de soigner.
L’objectif de cet article est de présenter de façon syn-
thétique la méthode Mézières et d’expliquer comment ce
concept de rééducation bien spécifique peut représenter un
outil précieux dans la prise en charge de la douleur chro-
nique.
Généralités
L’unité corporelle
Françoise Mézières1 a permis de découvrir le principe de
l’unité corporelle réalisée par un système de chaînes mus-
culaires et de suites articulaires, l’ensemble constituant un
lien mécanique entre le tronc et les membres.
1 Françoise Mézières, kinésithérapeute française (1909—1991), a
élaboré et développé un concept de chaînes musculaires appelé
méthode Mézières, à partir de 1947.
peuvent engendrer des troubles posturaux et des patholo-
gies douloureuses, que ce soit par voie descendante à partir
de la tête et du cou, ou par voie montante, à partir des pieds.
L’unité musculaire
Des muscles indissociables
Par essence, la disposition des muscles favorise la consti-
tution de grandes familles très unies qui fonctionnent de
concert pour assurer la facilitation des mouvements et leur
fluidité. La coordination d’un ensemble de muscles est indis-
pensable à la réalisation d’un mouvement harmonieux, ce
qui nécessite adaptation et complémentarité de tout le sys-
tème musculaire.
Continuité tissulaire et fascias
Des travaux récents ont montré qu’il n’y a aucun plan de
clivage entre le muscle et la peau. La continuité tissulaire
est totale, ce qui facilite le glissement des différents élé-
ments. Il y a unité de tous les tissus du corps, de la surface
à la profondeur [3].
Quant aux fascias, constitués de tissu conjonctif, ils
sont ancrés au système squelettique et intimement liés aux
muscles. C’est la raison pour laquelle les chaînes muscu-
laires sont aussi appelées « chaînes myofasciales ».
Les suites articulaires
Les articulations sont unies par le système musculaire. Elles
sont totalement dépendantes les unes des autres dans les
mouvements qui les mobilisent et constituent des suites
articulaires.
Le concept des chaînes musculaires
Biomécaniquement et par les aponévroses qui les enve-
loppent, les muscles ont la possibilité de s’agencer en
chaînes.
Toutes les parties du corps sont toujours en relation,
quand l’une est sollicitée ou affectée, les autres peuvent
prendre le relais.
160
Figure 1. La chaîne postérieure : vue de dos.
L’excès des tensions musculaires à l’origine
des chaînes
Les effets de la pesanteur obligent nos muscles à un
réajustement permanent pour équilibrer notre posture.
Pour Françoise Mézières, nous accumulons des tensions
dans nos muscles toute notre vie durant pour, principale-
ment, pouvoir nous maintenir debout. Contrairement à la
J. Patté
gymnastique traditionnelle qui prétend que c’est par la fai-
blesse musculaire que nous nous déformons, notamment au
niveau du dos, Françoise Mézières affirme que c’est l’excès
de tension musculaire qui prédomine et qu’il est à l’origine
de la constitution des chaînes [4].
Mais au-delà des lois de l’équilibration, les tensions
qui se logent dans nos muscles peuvent provenir d’autres
L’intérêt de la méthode Mézières dans la prise en charge de la douleur chronique 161

facteurs physiques, notamment traumatiques, de facteurs

psycho-comportementaux, psycho émotionnels sans oublier
les composantes génétiques.

Les rétractions musculaires et déformations

du corps
C’est en augmentant leur tonus de base de façon perma-
nente que les muscles qui s’associent pour maintenir une
position ou exécuter un même mouvement parviennent à un
stade de rétractions et de raccourcissements musculaires.
Ils constituent une chaîne musculaire, impliquant plu-
sieurs articulations et peuvent faire apparaître certaines
déformations telles que les hyperlordoses, cyphoses, sco-
lioses, genu valgum et genu varum.
Françoise Mézières expliquait que les altérations de
la forme normale du corps qu’elle appelait « dysmor-
phismes », sont essentiellement liées aux raccourcissements

Figure 3. Caractéristique de la chaîne postérieure lors du « pen-

ché » en avant.

musculaires et que, si l’ensemble de notre musculature était

plus souple, il en résulterait des formes plus harmonieuses.

Les fondements de la méthode Mézières

Quatre chaînes essentielles ont été dégagées des obser-
vations faites par Françoise Mézières et représentent les
bases sur lesquelles repose le concept des chaînes mus-
culaires de la méthode : la chaîne postérieure, la chaîne
antéro-intérieure, la chaîne antérieure du cou et la chaîne
brachiale.

La chaîne postérieure
F. Mézières a été la première à décrire cette chaîne dont la
découverte lui a permis d’élaborer sa méthode (Fig. 1).
Le principe : les muscles du corps situés à la partie posté-
rieure et qui s’étendent du crâne aux orteils s’entrecroisent
comme les maillons d’une chaîne. Ces muscles se suc-
cèdent en se chevauchant comme les tuiles d’un toit et se
comportent comme un seul et même muscle.
La chaîne postérieure se compose de trois plans au niveau
du rachis :
• un plan profond occupant les gouttières vertébrales ;
• un plan intermédiaire plus latéral constitué par les
muscles paravertébraux ;
• un plan superficiel comprenant les muscles grand dorsal
et trapèze.

Figure 2. Caractéristiques de la chaîne postérieure : vue de pro- Aux muscles postérieurs du tronc viennent s’ajouter les
fil. muscles postérieurs du pelvis et des membres inférieurs.
162
Figure 4. La chaîne musculaire antéro-intérieure.
La méthode Mézières a été trop longtemps liée à la chaîne
postérieure et à sa libération par l’application de postures
d’étirement.
Aujourd’hui, ne présenter la méthode Mézières qu’au tra-
vers de la chaîne postérieure paraît très réducteur. Il est
impératif de savoir différencier la musculature postérieure
nécessaire à l’équilibre de l’homme debout de la véritable
chaîne postérieure qui signe un système de tensions et de
rétractions myofasciales mis en évidence dans l’observation
du profil et par des tests, notamment le « penché » en avant
(Fig. 2 et 3).
Si l’une représente davantage une famille de muscles
solidaires, l’autre correspond à un excès de fonctionnement
J. Patté
occasionnant troubles posturaux et pathologies qu’il faudra
traiter.
Le diaphragme et la chaîne antéro-intérieure
Autre point essentiel de la méthode Mézières : l’importance
accordée au diaphragme (Fig. 4).
Le diaphragme ne doit pas être uniquement considéré
comme un muscle de la respiration, mais aussi comme un
muscle de la statique vertébrale et de la dynamique du
corps, par son ancrage sur le rachis lombaire et ses multiples
liens musculo-aponévrotiques [5].
L’intérêt de la méthode Mézières dans la prise en charge de la douleur chronique 163

Associé aux muscles psoas et aux muscles iliaques,

le diaphragme contribue à former une chaîne musculaire
antéro-intérieure, reliant la cage thoracique et le rachis
lombaire au pelvis et aux fémurs et donc aux membres infé-
rieurs.
Il est au centre d’une mécanique complexe et unitaire
dont il est le point d’équilibre.
Tout travail corporel, toute rééducation doivent en tenir
compte.

Faciliter l’étirement musculaire par la

respiration
Une originalité remarquable de F. Mézières a été de se ser-
vir de la respiration pour faciliter l’étirement musculaire. Il
convient d’utiliser le diaphragme comme élément moteur
à l’étirement des chaînes musculaires pour effectuer
l’ajustement postural recherché et obtenir une correction
profonde, en sollicitant notamment le lâcher-prise expira-
toire.

Faire souffler
C’est ce que connaissent les Orientaux depuis longtemps et
tous ceux qui recherchent la concentration et la précision
du geste dans certains sports.
Demander d’expirer lors des étirements musculaires per-
mettent d’éviter le renvoi des tensions des autres muscles
dans le diaphragme, qui est une véritable gare de stockage
des tensions et des émotions.

La chaîne musculaire antérieure du cou

C’est un système musculaire profond situé en avant du rachis
cervical qui comprend trois muscles : le droit antérieur de
la tête, le long de la tête et le long du cou, auxquels il
convient d’associer le droit latéral de la tête qui possède la
même aponévrose.
Couplée au diaphragme et à la chaîne antéro-intérieure,
la chaîne antérieure du cou contribue à former une chaîne
myofasciale profonde cervico-thoraco-abdomino-pelvienne
qui signe aussi un lien biomécanique entre la masse cépha-
lique, la masse thoracique et la masse pelvienne (Fig. 5).

La chaîne brachiale
C’est une chaîne musculaire qui s’étend de l’épaule à l’avant
du bras et de l’avant-bras jusqu’à la paume de la main et
les doigts.
Elle est composée essentiellement de muscles fléchis-
seurs et pronateurs. Le muscle grand pectoral peut être
associé à cette chaîne et contribuer à former un ensemble Figure 5. La chaîne myofasciale profonde cervico-thoraco-
musculaire thoraco-brachial plus complet. abdomino-pelvienne.

Les autres grands principes

La lordose est adaptative et mobile
Si la lordose est le plus souvent adaptative, elle est aussi
mobile. Elle peut se déplacer sur le rachis à mesure qu’elle
se trouve effacée.
Par exemple, en position couchée sur le dos, si l’on
demande à un sujet de plaquer ses lombaires, une
augmentation de la lordose cervicale peut apparaître, par
compensation.
Si nous essayons de corriger la lordose cervicale en fai-
sant tirer la nuque, tout en demandant de poser le dos pour
effacer la courbure lombaire, c’est une autre lordose qui
apparaît derrière les genoux, formant une lordose poplitée.
164
Une lordose peut donc se compenser par une autre
lordose, ce qui explique l’insuffisance d’une correction loca-
lisée.
Mais si les lordoses sont des « réservoirs à compensa-
tion », elles sont à corriger quand elles apparaissent en excès
de courbure ou dans des régions inadaptées du corps. Il faut
donc savoir respecter la physiologie des lordoses, car elles
sont aussi source d’équilibre.
La bonne position de la tête est primordiale
F. Mézières accordait une importance essentielle à la posi-
tion de la tête qu’elle nommait « l’attitude capitale ». La
position de la tête une influence sur la statique globale
du corps et sa position peut provoquer et expliquer des
déviations et déformations corporelles en cas de tensions
et rétractions musculaires.
Par exemple, l’attitude des membres inférieurs peut
dépendre de la rétraction des chaînes musculaires depuis
la tête et le cou. Par conséquent, une jambe courte peut-
être une jambe remontée depuis la hanche, l’épaule ou. . .
la tête et n’être en fait qu’une « fausse jambe courte ».
Le réflexe antalgique a priori
Concept méziériste majeur, le réflexe antalgique a priori
fait partie des processus que l’on qualifie d’« antalgiques ».
Ce sont des mouvements ou des attitudes réflexes permet-
tant d’échapper à une douleur ressentie. Parmi eux, deux
mécanismes réflexes de défense sont à distinguer, le réflexe
antalgique a posteriori et le réflexe antalgique a priori.
Le réflexe antalgique a posteriori intervient de façon
automatique dès l’apparition d’une agression pour fuir une
sensation douloureuse telle qu’un retrait brutal de la main à
la suite d’une piqûre ou d’une brûlure. Il s’agit d’un réflexe
de retrait.
Le réflexe antalgique a priori est un processus préventif
inconscient apparaissant avant que la douleur ne survienne.
Il s’agit d’un automatisme de défense contre une douleur
occultée qui entraîne une attitude défectueuse du corps
dans une région éloignée de celle reconnue comme alté-
rée ou douloureuse. Pour fuir une sensation douloureuse ou
trouver un certain confort, c’est la loi du moindre déran-
gement ou du moindre effort qui s’applique, les différentes
parties du corps étant capables de s’organiser en modifiant
tout notre équilibre.
Par exemple, à la suite d’une entorse de la cheville négli-
gée ou mal soignée et pour ne plus avoir à en souffrir ou
être gêné, le corps va désaxer ses articulations, tricher avec
le genou, la hanche, compromettant l’équilibre du pelvis.
C’est alors que des douleurs lombaires ou cervicales pour-
ront apparaître et s’installer, à distance du mal premier situé
à la cheville. Ainsi toute une chaîne musculaire réactive de
défense et de compensation peut s’installer jusqu’au jour
où le corps n’arrivant plus à tricher, le patient consulte pour
des douleurs qui sont les effets d’une cause plus lointaine
dans le temps et l’espace.
C’est ce qui a fait dire à F. Mézières : « le mal n’est jamais
là où il se manifeste ».
J. Patté
Remonter la chaîne des compensations
Les praticiens sont donc appelés à remonter dans l’histoire
des compensations et des rétractions musculaires de leurs
patients et par conséquent dans leur histoire individuelle.
Le corps peut être « bavard » pour qui sait prendre le
temps de l’observer et de l’écouter. Face à un symptôme,
il convient d’aller rechercher les causes, même lointaines,
qui peuvent remonter à des années, voire à des décennies.
Le système des adaptations et des compensations étant
prodigieusement complexe, une intervention thérapeutique
locale ou régionale peut s’avérer insuffisante.
Les techniques mises en œuvre et les buts
de traitement
Après un examen clinique minutieux et une écoute atten-
tive, le traitement par la méthode Mézières consiste pour
l’essentiel en : la construction de postures globales ; des
techniques d’étirement musculaire spécifiques ; des tech-
niques d’étirement complémentaires ; des techniques de
massages de facilitation ; des mobilisations et la réha-
bilitation du mouvement juste ; l’utilisation du travail
segmentaire à visée globale [6].
L’art du kinésithérapeute méziériste2 va consister à libé-
rer et équilibrer les chaînes myofasciales et à permettre aux
muscles de retrouver un tonus satisfaisant tout en cherchant
à débusquer la ou les causes primaires.
L’objectif : soigner la cause et non les effets.
Le traitement vise à obtenir un ajustement postural,
une décompression articulaire et une normalisation de
l’amplitude respiratoire, tout en proposant des soins indi-
viduels et personnalisés.
Mais il ne s’agit pas seulement de chercher à normaliser
tout ce qui est dysharmonieux ou dysfonctionnel, mais aussi
de faire prendre conscience au patient de son unité et de son
fonctionnement global. Il faut qu’il puisse intégrer chaque
mouvement aux mouvements de l’ensemble du corps, dans
tous les gestes de la vie quotidienne.
Le mot rééducation prend ainsi toute sa valeur.
En introduisant la notion de globalité dans leurs traite-
ments, les praticiens méziéristes ont aussi été amenés à
tenir compte des liens du corps avec la psyché.
Les sensations du corps
La méthode Mézières se distingue d’autres traitements en ce
qu’elle requiert la participation du patient. Ce n’est pas une
thérapie que l’on impose, que l’on subit, mais qui suppose,
d’une part, que s’établisse une relation de confiance entre
le patient et le thérapeute et, d’autre part, que le patient
ait l’intention de faire quelque chose pour lui-même.
Le patient doit demeurer acteur de son traitement. Il lui
faut pour cela reconnaître qu’il a les moyens, si on l’aide, de
laisser venir ses sensations, ses perceptions, de traduire ce
2 Masseur-kinésithérapeute titulaire du diplôme d’État français
ou d’un diplôme étranger équivalent, et ayant suivi la formation
complète à la méthode Mézières.
L’intérêt de la méthode Mézières dans la prise en charge de la douleur chronique
Figure 6. Étirements actifs et dirigés des muscles postérieurs des membres inférieurs et des pelvi-trochantériens par les muscles anté-
rieurs, psoas et quadriceps, sur ajustement rachidien.
que son corps peut exprimer et de s’en servir pour construire
une meilleure image de son corps.
C’est pourquoi, pour que l’action de rééducation soit
véritablement intégrée physiquement et intellectuellement
par les patients, il convient d’utiliser et d’apprendre à
utiliser le système proprioceptif qui permet une reprogram-
mation sensorimotrice.
L’éducation proprioceptive est une clé indispensable. Son
rôle est majeur dans la construction du schéma corporel.
Comme l’on écrit Jean-Pierre et Régine Roll, professeurs de
neurosciences à l’université d’Aix-Marseille :
« Le schéma corporel pourrait correspondre au senti-
ment, on ne peut plus familier, d’habiter un corps, de le
connaître, de le situer dans l’espace ou tout simplement
d’exister avec et par lui, la certitude de soi en quelque
sorte. . . » [7].
Ces considérations permettent de mieux comprendre les
fonctions essentielles de la prise de conscience corporelle,
de même que les techniques et postures utilisées dans
lesquelles tous les récepteurs sensoriels contribuant à la
proprioception sont sollicités (Fig. 6).
L’utilité de la méthode Mézières dans la
prise en charge de la douleur chronique
La douleur chronique est distinguée de la douleur aiguë de
par l’ancienneté de la douleur, la notion d’incapacité et sur
le rôle des facteurs psychosociaux. C’est la base du modèle
biopsychosocial de Waddell.
Au-delà de trois mois d’évolution, on considère que
la douleur devient chronique, l’incapacité devenant un
élément dominant qui peut être lié à un trouble du compor-
tement [8].
Les douleurs chroniques affectent la qualité du sommeil,
perturbent l’activité professionnelle et la vie familiale,
limitent les activités sportives ou de loisir.
Les facteurs psychologiques et sociaux jouent un rôle
important et ils se doivent d’être pris en considération dans
tout traitement.
165
La dimension relationnelle et les aspects
psychosomatiques
Une relation privilégiée
L’interaction psyché-soma est au cœur des travaux sur la
douleur et les émotions. Tout traitement se doit d’intégrer
les aspects émotionnels et les somatisations.
Le travail en « tête à tête » et en « corps à corps » et le
temps consacré permettent à la dimension relationnelle de
se développer, mais aussi de privilégier une prise en charge
globale des patients. La durée d’une séance Mézières varie
de 45 minutes à 1 heure, en fonction du cas, de la personne
et de l’expérience du praticien.
Ce temps est nécessaire pour traiter le corps dans sa
globalité.
De plus, favoriser la prise de conscience corporelle au
cours d’un traitement permet aux patients de donner du
sens à leurs symptômes, c’est-à-dire, de savoir d’où peut
venir leur somatisation.
L’interaction psycho-soma
Dans les douleurs chroniques et parfois même aiguës,
l’origine du mal peut-être une blessure psychique occultée,
mais bien ancrée.
En partant du corps, des liens peuvent être faits par les
patients eux-mêmes, ce qui leur permet de mieux compren-
dre comment ils ont pu somatiser. Ce travail donne la
possibilité aux patients de découvrir le lien psychosoma-
tique des troubles dont ils souffrent et de sortir de la
vision purement mécanique qu’ils ont de leurs gênes et dou-
leurs.
Un certain nombre de somatisations sont liés à des
aspects émotionnels, parfois même lointains. C’est ainsi que
tensions et contractures peuvent apparaître à l’occasion de
situations émotionnelles qui sont l’expression de difficultés
antérieures mal vécues et mal « digérées ». Les exemples
observés en cabinet, notamment pour des lombalgies à répé-
tition ne manquent pas.
Le corps peut parler avec des maux qui trahissent nos
vérités intérieures.
166
La dimension somato-émotionnelle
Le mot émotion provient du latin emovere, ce qui signifie
« ébranler », « mettre en mouvement ».
En déterminant une excitation du système sympa-
thique, les émotions augmentent le tonus musculaire dans
l’ensemble du corps et peuvent s’inscrire dans un schéma de
tensions musculaires. Ainsi, les muscles et la respiration ont
la possibilité de réagir à certaines situations émotionnelles
par des tensions, voire une sidération, avec notamment le
« souffle coupé ».
Et c’est en se répétant que les tensions vont entraîner
des contractures, des rétractions, de l’enraidissement et
conduire à des déséquilibres, des blocages et des douleurs,
que le mal de dos apparaît.
Les effets bénéfiques des traitements par la
méthode Mézières
L’association de postures d’étirement musculaire adap-
tées au cas et à la personne, d’exercices respiratoires
et d’une prise de conscience corporelle concourt à un
effet de détente et libère progressivement les tensions,
les « nœuds » plus profondément enfouis. En libérant les
tensions musculaires, on libère l’emprise du système sym-
pathique sur les muscles, et en libérant la respiration on
favorise l’expression du système parasympathique qui est
source de relâchement et de détente.
Grâce à ce travail, on reprend confiance en soi tout en
réduisant le pouvoir des émotions négatives qui peuvent
s’exercer sur soi. Une diminution du stress peut être consta-
tée, ce qui permet une amélioration tant sur les douleurs
que sur certains troubles fonctionnels, notamment au niveau
digestif et respiratoire.
Il n’en demeure pas moins que le corps présent est fait de
corps passé, c’est-à-dire, de tout ce que l’on a pu accumuler
tant sur le plan physique que psychologique.
Selon W. Reich : « Toute rigidité musculaire contient
l’histoire et la signification de son origine » [9].
Si les interactions psyché-soma sont évidentes, il n’en
demeure pas moins que la demande première de nos
patients concerne la sphère somatique.
Nous n’avons pas la prétention de répondre à toutes
les demandes, d’où l’intérêt que le patient ait recours à
d’autres spécialistes. Un travail en parallèle, corporel et
psychothérapique, peut se révéler souhaitable et profitable
pour son bien-être.
Le mal de dos
Quand les douleurs chroniques du dos ont une origine méca-
nique ou posturale, la kinésithérapie est le complément
indispensable aux traitements médicaux. Elle concerne
les pathologies fonctionnelles qui altèrent la physiologie
mécanique, associant raideurs, douleurs et contraintes arti-
culaires. Elle a pour objectif de renforcer et d’assouplir les
muscles du rachis, de restaurer sa fonctionnalité tout en cor-
rigeant ses mauvaises attitudes dans un but thérapeutique
et éducatif.
J. Patté
Que proposent les Méziéristes ?
Une rééducation du rachis soit, et surtout une rééquilibra-
tion globale du corps, quelle que soit la localisation des
pathologies. Ce travail nécessite une approche individua-
lisée et personnalisée. Il paraît essentiel de tenir compte
du terrain de chacun et par conséquent des typologies, des
attitudes corporelles et leurs différentes combinaisons pour
soigner le mal de dos. Ces aspects sont fondamentaux.
En déjouant les mécanismes de compensation par des
postures globales d’étirement musculaire permettant de
lutter contre les rétractions et raideurs, tout en rééqui-
librant le tonus musculaire, il est possible de libérer les
compressions articulaires et d’agir sur la réparation des tis-
sus par une meilleure vascularisation.
En favorisant détente et relaxation par une présence de
qualité, un travail respiratoire adapté et en modifiant dura-
blement le schéma corporel des patients, il est indéniable
que les traitements agissent sur les phénomènes douloureux
comme peuvent en témoigner les résultats obtenus dans les
cabinets depuis des décennies.
Le mal de dos est une indication majeure de la méthode
Mézières, qui apporte une réponse efficace à une problé-
matique complexe dépassant bien souvent les souffrances
locorégionales. Elle doit trouver sa place dans l’arsenal thé-
rapeutique, d’autant plus si l’on considère que l’être humain
est un tout et que la nature subjective et donc personnelle
de la douleur nécessite une adaptation constante des trai-
tements.
Évaluation et validation des traitements
La méthode Mézières s’inscrit dans une démarche de soins
kinésithérapiques respectueuse des données techniques et
scientifiques actuelles, tout en gardant sa richesse et sa
spécificité.
Depuis soixante-dix ans, les résultats obtenus et la
renommée qu’elle a acquise, tant auprès du corps médical
que des patients, permettent de la considérer comme une
technique innovante à efficience avérée et de lui conférer
une qualité technique et scientifique indéniable.
Cependant, comme tous les autres professionnels uti-
lisant des techniques kinésithérapiques et de soins, les
praticiens sont amenés à évaluer leurs pratiques.
Des études ayant pour objectif de réaliser un protocole
expérimental par l’utilisation de la photométrie numérique
sont en cours.
En s’associant à des chercheurs universitaires, des
confrères méziéristes ont mis au point un système diagnos-
tique en trois dimensions. En utilisant un système de prise
de vue couplé à un logiciel approprié, il devient possible
d’établir un bilan postural précis et individualisé [10].
Cette approche technologique permet de matérialiser et
de faire figurer dans le dossier du patient, les désordres pos-
turaux constatés tels les angles de courbure du rachis et les
déviations d’axes des membres.
Elle permet également de préciser l’examen clinique,
de le faire visualiser aux patients et de pouvoir vérifier les
résultats de traitement à terme.
Il devient possible d’analyser, avec plus de précision,
l’extensibilité des chaînes myofasciales et les modifications
L’intérêt de la méthode Mézières dans la prise en charge de la douleur chronique
posturales en rapport avec des lésions de l’appareil locomo-
teur, des pathologies rhumatologiques ou des déformations
orthopédiques.
Cette analyse des postures des sujets par biométrie
numérique facilite l’évaluation clinique et devrait per-
mettre la validation de notre démarche thérapeutique.
Désormais, ce système est préconisé dans le cadre de la
formation à la méthode Mézières, ce qui permet aux nou-
veaux praticiens formés de se familiariser avec cet outil
informatique et de participer à la recherche scientifique
fondées sur les preuves.
Conclusion
Au travers de cette présentation de la méthode Mézières,
nous avons souhaité aborder la complexité de la mécanique
corporelle en insistant sur l’importance des interactions et
du phénomène des compensations.
La compréhension de l’unité du corps est capitale pour
soigner, se faire soigner et s’entretenir. En dehors de
certaines pathologies définies, bon nombre de troubles
posturaux et de douleurs, spécialement du dos, sont la résul-
tante d’un déséquilibre général et d’un dysfonctionnement
global du corps.
Par l’application de la méthode Mézières, il devient pos-
sible de faciliter la guérison de lombalgies, en libérant
la respiration, en rééquilibrant le pelvis et en améliorant
la mobilité cervicale, de cervicalgies, en redonnant une
extensibilité satisfaisante à toute la chaîne myofasciale
postérieure, d’améliorer des troubles posturaux en nor-
malisant les tensions des chaînes myofasciales dans leur
ensemble, de favoriser la prise de conscience corporelle par
l’intermédiaire d’une véritable éducation proprioceptive et
d’aider à se libérer de somatisations.
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La méthode Mézières est d’autant plus efficace qu’elle
propose une rééducation sur mesure et des soins personnali-
sés. Au-delà de son action curative, elle a aussi une vocation
éducative et préventive.
Elle s’inscrit dans le cadre d’une approche biopsychoso-
ciale en santé et représente un outil thérapeutique d’une
grande utilité dans la prise en charge de la douleur chro-
nique, avec une indication majeure pour le mal de dos.
Déclaration de liens d’intérêts
L’auteur, Jacques Patté, déclare ne pas avoir de liens
d’intérêts.
Mobilisations
Références
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biomedicine. Science 1997;196(4286):129—36.
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