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03/10/2021 13:00 Le grand témoin 

: François Laruelle avec la présentation critique du livre d’Alain Badiou, Le concept de modèle par Franck V…

Le grand témoin : François Laruelle avec la présentation


critique du livre d’Alain Badiou, Le concept de modèle par
Franck Varenne
18 juin 2007, École normale supérieure, rue d’Ulm, Paris
Anne-Françoise Schmid
Dans
Modélisation et interdisciplinarité
(2014), pages 269 à 296

Chapitre

PRÉSENTATION

D eux philosophes en France se sont occupés des modèles, de la modélisation et


de
l’interdisciplinarité. Nous les avons invités : François Laruelle est venu
exposer son
usage des modèles et sa conception de l’interdisciplinarité ; Alain
1

Badiou n’est pas


venu, mais comme l’une des raisons de ce travail avait été la
réédition par celui-ci de
son ouvrage Le concept de modèle [1], Franck Varenne en a fait
dans la journée un
compte-rendu critique qui a été par la suite publié dans NSS et
repris dans ce
chapitre.

Le grand témoin de cette journée a été François Laruelle. Il avait déjà publié un 2
papier dans NSS sur les modèles et la modélisation dans le dossier Academos (2006)
et mis en relation modélisation et philosophie. Dans la même journée, Franck
Varenne a fait une analyse critique de la réédition de l’ouvrage de Badiou sur le
concept de modèle.

Le chapitre qui suit rendra compte de ces deux évènements et les complétera par
une 3
discussion critique à partir de l’ouvrage de François Laruelle, Anti-Badiou. Sur
l’introduction du maoïsme dans la philosophie, publié en 2012 en français et en 2013
en
anglais. Ce débat montrera les conséquences du refus ou de l’usage de modèle
dans

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la philosophie et leurs conséquences sur le traitement de l’interdisciplinarité.


Enfin,
nous indiquerons des perspectives d’usage de la modélisation non
philosophique
dans le travail scientifique [2].

ACTE I. FRANÇOIS LARUELLE

Un parcours : introduction à la journée par François Laruelle


Il y a eu beaucoup de résultats, un recommencement à l’intérieur d’une continuité, 4
recommencement de la non-philosophie sur la base d’une meilleure compréhension
de ce que peut celle-ci et d’une saisie plus précise de la nécessité d’une science. À
l’occasion de la journée du 18 juin 2007, commence à s’esquisser, avec des moyens
nouveaux d’ordre quantique, le renouvellement du concept de non-philosophie.
Cela
a été une conférence décisive, un seuil, sur les moyens de réaliser la non-philosophie.

J’avais un concept jusque-là indéterminé ou vague de la science, je trouvais la 5


philosophie insuffisante… pour cause de suffisance, tandis que, là, j’ai enfin
commencé à utiliser une pensée quantique.

Stade et seuil dans ma recherche, cette idée a pris plusieurs années d’élaboration.
J’ai 6
accentué de plus en plus l’aspect quantique ; ce type de science a paru adéquat
aussi
parce que ses objets ne sont pas des objets, mais des états ou des opérateurs. Il
s’agit
d’un passage à un autre ordre de catégories : le formalisme matérial, la
matérialité
d’une certaine forme algébrique. La philosophie non standard est sortie
en quelque
sorte de cette conférence [3].

Comme philosophe, j’entends ne pas séparer l’aspect biographique et l’aspect 7


théorique, c’est-à-dire que, d’une certaine manière, les raisons ou les motifs de
l’invention font partie de l’invention elle-même, sont intégrés en elle. C’est
pourquoi
l’introduction est déjà une problématique [4].

La non-philosophie a-t-elle besoin d’un « manifeste » comme la philosophie en


a 8
besoin ? Au moment d’opérer un tournant technique et scientifique plus
rigoureux,
de s’essayer à une seconde existence en se faisant « science générique », y
impliquant
la pensée quantique, il est utile de rappeler quelques motifs qui ont guidé
sa
recherche. Ils ont une généralité, celle du mécontement ou de l’« étonnement
négatif », nullement ontologique ou aristotélicien, du philosophe devant la
philosophie de son temps. Non pas « il y a de l’étant » mais « il y a de la
philosophie
qui prétend suffire à tout ». C’est la partie négative ou « pertes » du
bilan, de ce point
de vue un gage assuré de banalité dont ne se prive en réalité aucun
philosophe qui
fait œuvre. Ce genre d’aveu, par lequel il assume à son corps
défendant la déficience
d’une tradition qu’il n’a pas faite, ne peut être sauvé du triste
sort du topos que par la
promesse qu’il contient et la suite qu’il lui donne, réforme
ou rectification,
révolution ou empire, nouveau principe ou fondation, système ou
vision, position ou
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terrain. Les manifestes philosophiques sont en général des bilans


et les bilans des
œuvres digraphiques plus ou moins rationnellement distribuées,
c’est un genre
moderne, le Discours de la méthode faisant office de paradigme.
« Moderne », cela
implique donc que le manifeste est par définition une auto-justification ou se fonde
lui-même comme style et contenu thématique, qu’il
exprime vigoureusement sa
propre « suffisance » philosophique. Il suffirait d’une
décision de pensée affectée par
une altérité absolue, de celles qui commandent
plutôt que de celles qui font
exception de la vérité, pour lui retirer sa pertinence.
Difficile d’imaginer un
manifeste en bonne et due forme de la déconstruction, en
revanche il est naturel
dans une position matérialiste-et-moderne (Badiou). Quant
à la non-philosophie,
l’exposé de sa déception n’a de fonction déterminante que
simplement occasionnelle
ou matérielle et, dans ces limites, de nécessité que
négative. Comme tout un chacun,
nous pratiquons la litanie de nos déceptions,
mais elle ne fait qu’accompagner un
acte rageur de formulation d’une tout autre
origine et portée et ne le détermine pas,
comme risque de le faire celle d’un
manifeste. La modernité ne peut rompre avec
une histoire déficiente (abâtardie,
universitaire, artificielle, intellectuelle,
médiatisée, doxique, sophistique-mondaine),
si ce n’est par un acte qui risque de l’y
ressouder de manière spéculaire au lieu de
l’en dé-suturer radicalement. La critique
fait partie intégrante de la chose même,
mais si elle doit y être incluse sans délai,
c’est dans les seuls moyens de la lutte proposés
aux sujets et seulement dans les moyens, non
dans le concept de ces sujets. La non-philosophie comme science qui a pour objet la
philosophie est de part en part une
lutte des sujets contre sa suffisance de forme-
monde, en même temps qu’une
nouvelle validation de cette pensée par sa
transformation, c’est-à-dire son
« émancipation ». Et son émancipation n’est pas sa
souveraineté impériale et vide.
L’émancipation des humains contient à titre d’effet et
non de condition, si ce n’est
occasionnelle, celle de la philosophie qui n’est jamais la
condition de-dernière-instance de la leur. Distinguer « la » philosophie comme Idée
à ré-affirmer du divers
des « philosophies » oublieuses de la Vérité (Badiou),
reprendre le combat de Platon
et dans cette mesure de Nietzsche et de Deleuze, de
Heidegger aussi, ce serait de
notre point de vue vouloir sauver une origine et une
pureté, une Idée. Vouloir
préserver la philosophie ou une Idée est somme toute une
entreprise curieuse. Si elle
est vraiment si pure, elle n’aura pas besoin d’être sauvée
ou elle se sauvera toute
seule et son sujet avec elle ? Pourquoi une Idée aurait-elle
besoin d’avocats et de
rédempteurs ? N’est-ce pas parce qu’elle n’est qu’un
instrument entre des mains aux
gestes et aux intentions opposés, un instrument
mal utilisé pour des fins peu
humaines et d’oppression, des fins « mal-humaines », et
qu’il est urgent de s’en
occuper en fonction des sujets humains ?

Nous distinguons et opposons dans la conjoncture au moins deux manières de


la 9
« traiter » : l’une consiste à la mettre « sous condition », à en restreindre et émacier
le
concept jusqu’à l’Idée par des soustractions ascétiques d’objets (mathématique et
logique) que l’on en sépare et traite à part non sans en appeler à certains de ses
services, mais en l’affirmant plus que jamais en sa suffisance et sa solitude stellaire ;
l’autre, à la mettre également « sous condition » mais déterminante, donc à la forcer
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à participer à un dispositif plus complexe, une posture scientifique qui, comme


déterminante en-dernière-instance mais impliquant le sujet, la prive d’un coup de
sa
suffisance et d’elle seule, lui conservant sa matérialité pour d’autres fonctions plus
utiles que de garantir l’ordre établi dans la pensée. Il est alors possible, plutôt que
de
lui faire subir une cure d’anorexie, de lui demander d’assumer son histoire, de
l’engrosser de ses plus mauvais devenirs, de son histoire la plus désolante, sans l’en
dédouaner par on ne sait quelle grâce d’exception. La priver de sa suffisance, lui
conserver sa matérialité et ses pouvoirs de relais du monde, cela suppose qu’en elle
on distingue très soigneusement sa partie opératoire ou sa force ouvrière, c’est-à-
dire
son cœur transcendantal sous diverses organisations anatomiques et
physiologiques,
et par ailleurs les corps et langages qui ne sont pas le spécifique de la
philosophie,
mais des projections ou des parties du monde qu’elle assume, sciences
et divinités
diverses. Plutôt que de la laisser à sa réaffirmation harassante et
harcelante de soi à
laquelle elle soumet ses sujets de manière tyrannique, c’est la
faire servir à une
science mais générique, vécue, et de défense des humains. Qui fait
exception ? À
cette question, nous n’oserions jamais répondre que c’est la Vérité. Ce
sont les
humains qui font exception à l’exception elle-même et qui d’ailleurs sont
plus de
l’ordre de l’Ultimatum ou de l’Ultimation que de l’Exception, de la Dernière
Instance que de la Sainteté.

Ce projet d’une pratique scientifique et générique de la philosophie et des savoirs


du 10
monde qui l’impliquent comme leur forme est au point de rencontre de trois ou
quatre objectifs pris entre obsessions et refus, enveloppés comme il se doit de
fantasmes. Cette rage qui s’appelle la défense du genre humain contre l’entreprise
du monde ne pouvait être contrôlée que par l’élaboration continue de cette autre
entreprise qui avance sous la « raison » de « non-philosophie ». C’est pour partie un
tableau de doléances que nous dressons quant à la philosophie, peut-être une
inconvenance scientifique puisqu’il s’agit de la « pathologie » d’un vécu personnel,
qu’il rassemble des affects, en réalité aussi dignes d’intérêt que le fameux
étonnement ontologique. Subvertir l’étonnement passablement ahuri devant le
« miracle » de l’étant engage le tout du style philosophique et nullement, comme
l’habitude le veut, une position déterminée, doctrine ou système particulier. C’est
dire que ce combat est « transcendantal » et plus encore, « contre » le transcendantal.
Voici un bref tableau de ses motivations négatives et positives :

l’étonnement classique du philosophe y a pris les formes-symptômes suivantes 11


d’une sorte de contre-étonnement :
–  
le dégoût du ressassement philosophique, d’une certaine stérilité de
cercle
vicieux, un herméneutisme fondamental dans lequel s’est vite
inscrite la surdose
déconstructrice et en général critique ;
–  
le besoin d’une invention, intensification ou multiplication des décisions
philosophiques au-delà des systèmes existants ;
–  
le refus de la pratique universitaire dominante, l’histoire nivelante de la
philosophie et l’activité scolastique d’étiquetage des positions, de la
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normalisation
des études par la lecture et le commentaire sans pensée des
textes (héritage scolaire
de Hegel et de Heidegger) ;
–  
le refus de l’envers de sa pratique universitaire, sa décadence
intellectuelle-médiatique et conversationnelle, sa chute dans une doxa sans
droiture, sa fameuse
oblicité s’épanouissant au mieux en transversalité, sa
« torsion » et ses contorsions,
sa marchandisation libérale, sa starisation de
reine déchue offerte à la concupiscence
prostitutionnelle de tous. Tous les
philosophes seraient-ils motivés à divers degrés
par cette nausée, au moins
autant que par l’étonnement ? Sans doute, mais ici on
persiste, maintenant
on insiste, on élabore les moyens d’analyse de ces symptômes.
Plutôt la
stellarisation de la philosophie que sa starisation, plutôt la philosophie
populaire que peopolaire, plutôt une discipline démocratique rigoureuse de
la
pensée que la soupe du « métissage » qui sert de fast-philosophy ; d’une
façon
générale, ni critique par soi de la philosophie ou sa déconstruction, ni
autoritarisme
et ascétisme par privation et soustraction, autocontrôle et
surveillance de soi. La
coupe de la critique ou du style critique a été remplie
à satiété par Derrida ; la
critique a une fonction trop policière en s’aidant de
la logique ou de l’axiomatique
classique, trop normative. Une science de la
philosophie est plus franche, directe et
maîtrise la philosophie non comme
une police interne, garde civile ou tribunal
critique, mais en vue d’en faire
un meilleur usage pour les humains et non pour elle-même. Il faut inventer
maintenant avec Deleuze et, au-delà, pratiquer une
ouverture dans la
philosophie pour la fiction comme pensée. La non-philosophie
utilise
beaucoup d’éléments critiques fournis par la déconstruction, Heidegger et
Deleuze, mais sa destination n’est pas là ; elle est dans l’invention d’une
science
humaine en-dernière-instance de la philosophie, le seul moyen
pour réactiver la
création philosophique, pas pour la tuer, au contraire, il
est nécessaire de détruire
l’autolimitation de la philosophie et de
l’émanciper elle-même. La philosophie a été
l’une des formes de pensée les
plus autosurveillées : cela se paie maintenant d’un
déballage et d’un laisser-
faire médiatique qui augmentent comme jamais son chiffre
d’affaires.
Nombreux sont les philosophes qui ont essayé de dépasser le siècle de la
critique, de « fermer sa parenthèse » comme certains le disent un peu vite,
mais sans
se donner les moyens de sortir des objectifs classiques de ce type
de pensée, comme
si, du coup, la seule issue inévitable était finalement
l’abaissement médiatique et la
seule solution le raidissement de soi ;
à l’opposé, la libre création dans les pensées les plus proches de la philosophie
offre des modèles artistiques (musique sérielle et peinture abstraite pour
prendre les
plus anciennes) et scientifiques (la physique quantique) qui font
d’autant plus
regretter un certain conformisme philosophique. De là le
fantasme d’une libre
création de décisions philosophiques, l’« invention
philosophique », opposée à
l’interprétation et au ressassement des
« positions », à l’art des étiquettes et de la
présentation en rayons ;

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un argument apparemment contraire aux précédents, mais dont nous avons


démontré qu’il faisait corps avec eux, est l’arbitraire de la décision
philosophique,
son autofondation circulaire et vicieuse, sa guerre civile et
intestine permanente. De
là la nécessité de la civiliser sans la normer, un refus
nécessaire du rappel à l’ordre
incessant de la sagesse, des vertus et de la vérité,
de la rationalité, tel qu’il se fait par
le désordre du volontarisme fondationnel
(le coup de dés philosophique, symbole
de la loi d’airain du hasard), tout cela
comme substitut athée et mondain de la
divinité, à quoi s’oppose – fantasme
ou non, peu importe – une certaine liberté
rigoureuse de la recherche
scientifique : surtout pas l’anarchie couronnée de la
philosophie, l’arbitraire
impérial, plutôt la rigueur découronnée de la science ;
pour comprendre ces insuffisances ou ces symptômes, il fallait admettre que
les philosophies de la science et les épistémologies ne touchent pas au « réel »
par
elles-mêmes, mais seulement par une plus stricte combinaison avec la
science, et
sont des illusions d’un nouveau type lorsqu’elles sont livrées à leur
seule opération.
Il fallait les saisir comme un abus transcendantal de la
philosophie sur les sciences
(mais pas seulement sur elles). De là, l’intention
constante non pas de ruiner leur
projet, mais d’en montrer les limites et
d’analyser leurs symptômes dans une
science de la philosophie qui éliminerait
son cercle vicieux et refuserait de se
confondre avec des réductions logicistes
ou mathématiques, avec des combinaisons
épistémologiques ou des
philosophies comme Idéalisme et Matérialisme. C’était la
recherche d’une
science de « Laphilosophie » comme Tout imaginaire mais
consistant, d’une
discipline valant univoquement de tous les systèmes, une sorte de
théorie
unifiée de la réalité philosophique ou des savoirs, comme il y a une science
de la
réalité du psychisme qui est la psychanalyse ; science non positive, d’une
universalité qui allait devenir générique et non pas transcendantale. Ce primat
de
la science, évidemment modifié comme primat et comme science, sur la
philosophie, nous assurerait, espérait-on, de pouvoir inventer des décisions
nouvelles ;
une autre forme de ce projet était la théorie unifiée de la philosophie avec, à
égalité de-dernière-instance, les autres disciplines. C’était une volonté
démocratique
supposée au projet scientifique, la science comme seul modèle
probable d’une
activité démocratique sinon dans les faits, du moins dans la
théorie. Il fallait donc
instituer la démocratie dans la sphère de la théorie et
pour cela abattre de toute
façon le sentiment de supériorité et de suffisance de
la philosophie, ramener tous les
savoirs à leur cause univoque, à leur cause de-
dernière-instance. Il s’agissait
évidemment de la « démocratie dans la
pensée », du sujet comme Étranger, et non
de cette démocratie imaginaire
dont parlent les philosophies politiques ; d’une
démocratie générique ou d’une
égalité en-dernière-instance seulement ;
un fantasme « pilote », une utopie directrice de ce travail, un pathos dominant,
rassemblaient dès le départ ces objectifs qui risquaient d’être contraires : faire

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de la
science, de l’art et de la politique avec de la philosophie comme matériau.
L’identité
spécifique des projets théorique, politique, artistique, mystique
pourrait être assurée
par une dévalorisation globale mais contrôlée, une
blessure « chirurgicale »
administrée à la philosophie. C’était davantage que les
fameux « traumatismes » qui
avaient affecté l’homme comme centre du
monde, car cette fois-ci, c’était le monde
et la philosophie qui étaient mis en
cause. De là, les ressources possibles de la gnose,
mais abominées de l’Église.
On avait dès le début identifié la cause de-dernière-instance capable de cette
identité contre les divisions philosophiques sans pouvoir
clairement expliciter
sa nature, c’était l’Homme-en-personne (ou générique),
accompagné du sujet-
Étranger qui lui convient, mais avec lequel il ne se confond
pas. Il ne s’agissait
ni de nier la philosophie par positivisme scientiste ou même par
positivité
scientifique, ni d’admettre sa fin telle que pensée philosophiquement et
qui
par définition est stérile et « suffisante ». Par ailleurs, la confusion était
toujours
possible avec l’un de ces métissages bricolés auxquels la philosophie
se prête par
vocation, quand ce n’est pas avec une pop-philosophy de style
américano-libéral. Peu
nous importaient, d’ailleurs, la vie et la mort de la
philosophie, ces thèmes ne
faisaient pas partie de nos motivations ; une
science ni ne fait vivre ni ne fait mourir
ses objets, et de toute façon, la
philosophie toujours survit en consommant l’un
après l’autre ses servants, elle
est le modèle de la survie de la pensée en milieu hostile.
Mais ce sont justement
tous ces concepts que nous voulions changer, la pensée, le
milieu et l’hostilité.

Tel est, mi-anamnèse, mi-reconstruction intellectuelle, l’exposé de nos motifs


dans 12
leur improbable cohérence philosophique. Car aucune de ces motivations n’est
« purement » philosophique, si cela existe, mais toutes témoignent d’une
insatisfaction à l’endroit classique comme d’ailleurs à l’envers contemporain de la
pensée. Malgré le mélange de fait des affects, il est inévitable qu’une science relève
plutôt d’un affect d’insatisfaction et de déception puisque son sujet est en manque
de cette science qui lui est relativement extérieure (rien d’ailleurs ne distingue sur ce
point celui qui la crée et celui qui la reçoit et l’assume), et que la philosophie, elle,
est
pressée d’être heureuse et l’est souvent, quitte à rassasier son sujet d’apparences.
Aussi la rage non philosophique est-elle le fruit générique d’une déception certaine
et d’une espérance inouïe.

L’ensemble de ces objectifs s’est réalisé partiellement par l’invention d’une


forme 13
théorique nouvelle, dite tantôt de l’unilatéralité ou de la dualité unilatérale,
tantôt de la
détermination en-dernière-instance, et par un nouveau concept des
instances
capables de l’effectuer, l’Homme comme générique et le sujet-existant-Étranger.
Mais il restait à trouver le moyen scientifique principal capable de
convertir à la
rigueur ces fantasmes, c’est la pensée quantique, extraite de la
mécanique quantique
et introduite dans une matrice dite « générique » qui la
conjugue avec la philosophie.
L’essence de la non-philosophie doit être dite
générique, justement pas
« philosophique » ou suffisante. Mais elle établit un type
de corrélation ou de
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complémentarité spéciale entre la philosophie et la pensée


quantique, ceci sous la
forme la plus générale suivante : la science générique est la
fusion de la science et de la
philosophie sous la science ; sous la forme plus restreinte
et spécifiée de la manière
suivante par la quantique : la science générique est la fusion
de la quantique et du sujet
philosophique sous la quantique. On dira que cette science
générique est science de la
philosophie qu’elle traite comme son objet, comme
matériel de symptômes, mais
aussi comme apport herméneutique. Pire peut-être
pour nos coutumières
confessions de foi humanistes ou bien matérialistes,
cosmiques ou bien judaïques,
tous ces objectifs se nouent finalement, ou se
simplifient, dans l’Homme générique
comme messianité, une messianité humaine
que les philosophes se refusent
résolument à confesser. Que cette quasi-physique
de la philosophie s’achève dans
l’Homme générique, mais non dans le « sujet »
philosophique (ego individuel ou
conscience), est surprenant, mais s’explique par
ce trait de la matrice que le
quantique y est dans une double et « même » position,
à la fois un objet ou un moyen
positif en face de la philosophie, et ce qui sous-détermine leur conjugaison, une
pensée comme quantique(de) soi, formule qui
exigera quelques explications.

Nous sommes tous à la recherche d’une « méthode » pour produire du nouveau,


nous 14
sommes condamnés à l’invention dans la philosophie comme ailleurs, avec
elle,
contre elle, par destin épochal ou autre. Il n’est pas étonnant que le tournant
quantique de la non-philosophie se produise, il y était attendu et programmé mais
sans être réalisé. C’est fait ; faut-il alors un manifeste pour ce qui ne fait pas
« retour », qui n’en a pas besoin parce qu’il est déjà en-venue ? C’est dire que la mort
de la philosophie ne pouvait nous intéresser qu’au titre de la mort du « vieil
homme »
et de ses maux. Que sa survie ne pouvait nous étonner qu’au titre de
l’insistance du
monde.

Le schéma du 18 juin 2007 et son explicitation comme « science


virtuelle » ou première esquisse de « philosophie non
standard »
L’exposé commence par un schéma mettant en jeu les ingrédients principaux de la 15
théorie de la philosophie élaborée dans la non-philosophie. À la fois un découpage
des strates philosophiques et leur réinsertion ou leur recombinaison non
philosophique.

La non-philosophie est une extension de la philosophie sans principe d’autorité


sur 16
les autres disciplines ou les autres philosophies. Le « non- » n’est pas exclusif ou
limitatif, comme dans de nombreuses recherches contemporaines, mais il est la
condition d’extension et d’invention (par exemple en composition musicale). Cet
usage du « non- » n’est pas nouveau : le terme de « non-philosophie » date de
l’idéalisme allemand, il a été repris par Deleuze, mais il prend avec Laruelle une tout

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autre signification. L’enjeu est de pouvoir disposer d’une théorie de la philosophie,


et
pas seulement de créer une « nouvelle » philosophie. Cette théorie de la
philosophie a
été exposée lors de l’intervention par le schéma suivant [5] :

17

Les strates de la philosophie se situent entre science et religion. La science est


comme une base, ayant sa propre contingence, mais fonctionnant comme stable
pour la philosophie. Quant à la religion, c’est une attraction exercée sur elle et
créant
entre la science et la religion l’espace propre de la philosophie comme une
zone
intermédiaire. Elle se déplace dans cette zone, comme les anges et autres entités
transcendantes, elle survole et s’approprie la science. La philosophie est une affaire
de démon, de demi-dieux. Elle ne connaît pas tant les ordres de la déduction que
les
retours en arrière.

J’ai le droit de traiter des problèmes religieux dans cette problématique. Badiou 18
planifie les ordres de réalité, donc il exclut le religieux, en conservant une
hiérarchie
purement philosophique. Mais comme ici la philosophie est une zone
intermédiaire, elle effleure la science et la religion. Même en restant dans la
philosophie, on est obligé d’y inclure au moins par allusion, de manière modérée,
ses extrêmes. Mais il y a aussi deux niveaux : la philosophie se pense à peine
comme
intermédiaire, sauf quelques tentatives de suturer science et religion. La
philosophie est tournée soit vers la science, soit vers la religion, mais toujours dans
le cadre de la philosophie. C’est la non-philosophie qui la fait voir comme zone
intermédiaire et qui s’étend abusivement sur ses deux bords. L’art et la technologie
sont plus proches de l’activité philosophique elle-même. La science et la religion
sont des extrêmes. (Laruelle, 18 juin 2007.)

Il devient possible de déterminer des paramètres pour la philosophie : soit des 19


paramètres qu’elle pose elle-même (l’intériorité du triangle transcendantal), soit des
paramètres posés dans un espace scientifique pour la philosophie : c’est l’espace
générique mi-scientifique mi-philosophique selon un « rapport » inégal ou
unilatéral, de la non-philosophie. La philosophie en sa suffisance ou en l’invariance

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qu’elle s’attribue est présentée comme une triangulation transcendantale aux


multiples interprétations. Mais ce schéma est enveloppé de la notion de virtuel ou
fait l’objet d’une compréhension générique. Les deux réels, Divisé et Indivisé, sont
maintenant associés selon un rapport ou plutôt un « non-rapport » de la
transcendance philosophique saisie en l’immanence radicale ou virtuelle. Le schéma
non-philosophique a pour fonction de ne pas faire partie de la philosophie ; il est
irreprésentable, il n’est pas philosophable, il refuse toute représentation, il
n’apparaît
pas dans l’actualité du monde. La science virtuelle n’existe pas en tant que
science
positive, mais le virtuel est une unification immanente de l’Indivisé et du
Divisé. Ce
n’est pas non plus un troisième terme transcendantal. C’est maintenant le
discours
philosophique qui fonctionne, lui comme troisième terme. Le virtuel est
une
dynamique et une amplitude et se refuse à un décalque statique des réels
puisqu’il
les associe unilatéralement et donc suppose leur transformation. Cette
dynamique
est une première approche des notions développées dans Philosophie non-
standard
(Laruelle, 2010) et en particulier sous le nom de virtuel de celles de futuralité
et de
messianité générique.

Que dit l’ensemble de ce schéma ? Il s’agit de science et de religion, mais non pas 20
positives ou positivistes ; elles permettent une analyse de la philosophie dans ses
fonctions et dimensions principales. Ce n’est pas tout à fait une analyse, mais une
« dualyse », qui rapporte chacun des termes de la triangulation à une « dernière
instance » plus réelle et ne les combine plus à la façon d’une dialectique ou d’une
topologie, mais les conjugue dans une matrice. La non-philosophie générique n’est
pas une science positive ni une philosophie des sciences.

D’une certaine façon, il s’agit de mettre la « science » sous condition du


générique et 21
de caractériser les procédures habituelles de la science positive, la
méthode
hypothético-déductive, les axiomes, les champs d’objets, la modélisation,
de façon à
ce que ces concepts soient forclos à la représentation philosophique, ne
soient plus
l’objet d’intuition, mais soient transformés, par des règles de dualyse et
« virtualisés ». Le virtuel agit, mais il sous-existe et il est sans consistance. La
déduction virtuelle est une sous-déduction, elle agit dans une sous-détermination.

Le résultat est que l’épistémologie apparaît comme un matériau neutralisé, il ne


dit 22
rien directement de la science, il n’en est pas une généralisation, mais on peut en
faire usage de façon non métaphorique, pour décrire indirectement la science, ses
procédures, ses data, ses disciplines.

De même la philosophie peut être utilisée comme matériau en fonction de sa 23


structure et de ses paramètres. La non-philosophie est ainsi une généralisation de la
philosophie, mais sans son principe d’autorité ou de suffisance qui lui fait croire
qu’elle coconstruit le réel, l’hypothèse étant plutôt que le réel « précède » ou sous-
détermine la philosophie.

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L’introduction du vécu est possible et nécessaire à partir du moment où l’on met


en 24
face à face science et philosophie, le vécu amené ou apporté par la philosophie
passe
par le crible de la quantique, il constitue alors ce que François Laruelle appelle
la
« matérialité » propre à la science générique comme science de la philosophie. La
connexion à Husserl se fait à travers le concept d’Erlebnis, celui-ci ayant donné le
premier concept neutralisé ou neutre du vécu. Le vécu est un moyen pour rendre
générique la quantique. Le générique est une matrice, mais le vécu transforme la
matrice de mathématiquement réelle en virtuelle algébrique. Ce vécu permet de
faire « remonter » l’humain de la philosophie dans la science.

Ni science positive de la philosophie, ni philosophie de la science, la non-philosophie 25


est générique, genre par excellence. Genre de l’écriture de la pensée qui
mérite d’être
appelée par excellence générique. Il ne s’agit plus de décrire
directement les
sciences, mais de développer des extensions liées aux sous-déterminations opérées
par et dans la sphère du virtuel, de faire une philo-fiction.

Il s’agit de construire une fiction entre philosophie et quantique, et non plus de 26


fonder la quantique sur la philosophie. Pourquoi ce choix de la physique ? La
philosophie et les mathématiques fonctionnent en miroir comme des sœurs
jumelles
qui se jalousent et s’exaltent l’une l’autre. Avec la physique, un lien devient
possible
avec le marxisme : l’homme appartient à la Nature physique. Mais il faut
rendre la
nature physique humaine (Marx). C’est l’unité ou la fusion de la
quantique et de la
philosophie, unité sous-déterminée par la quantique qui le
permet, et non pas
surdéterminée par la philosophie, qui en est la version idéaliste.

La modélisation
La philosophie n’est plus modélisée par elle-même et pour elle-même, mais dans
des 27
relations construites avec une autre discipline, elle est « paramétrée », mais aussi
modélisée. Il s’agit d’introduire dans la philosophie un modèle scientifique, rendu
générique, ici, la quantique, qui permet de faire usage des notions de matrice (pour
traiter sciences et philosophie comme variables), de superposition (pour tenir
compte de l’ondulatoire comme hétérogénéité virtuelle de type algébrique), de non-
commutativité (pour rendre compte de l’ordre).

Dans un premier temps, on admet la dualité des variables, science et


philosophie. 28
C’est un problème d’unité ou de fusion : je multiplie les variables l’une
par l’autre,
mais c’est une multiplication de symboles plutôt que de déterminations
concrètes.
La matrice de Heisenberg pour les mesures des propriétés physiques est
ici traduite
au niveau des genres ou des disciplines, donc ce ne sont plus des
déterminations
concrètes qui sont en jeu. Sciences et philosophie vont se trouver
traitées comme
genre, comme activité génériques, et non pas positives et
spontanées. C’est un acte
de formalisation générique et d’écriture fictionnelle, ce
que Laruelle (2010, p. 57-58)
appellera plus tard des « oraxiomes ».

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Il faut une science de la philosophie, pas une simple théorie, ce qui implique 29
l’introduction d’un modèle scientifique pour cette science (mathématiques,
physique). La science comme modèle pour la philosophie n’est ni scientifique ni
philosophique : une science peut servir de modèle, mot assez incertain, le sens du
mot modèle est ambigu. La science peut fonctionner comme modèle de la
philosophie et non pas modèle corrélatif d’une science, c’est une zone intermédiaire,
modèle de science qui fonctionnerait comme modèle de type philosophique de la
philosophie. Le modèle est une forme des liens entre science et philosophie, il faut
qu’il y ait un milieu qui permette ce type de rapport, sinon, c’est rater l’essentiel de
la
philosophie. Mais il faut aussi dépasser ce stade intermédiaire, trouver une
matrice
qui permette de mettre en rapport réciproque la science et la philosophie
afin de
justifier qu’il y ait une prise scientifique sur la philosophie, sous peine de
réduction
positiviste de la philosophie. On est obligé de dépasser ce sens
intermédiaire de
modèle, mi-scientifique mi-philosophique, vers un milieu, un
élément, un plan,
fondé sur la coopération égale d’une science et de la philosophie.

Dans une matrice, les problèmes théoriques se traitent comme des propriétés de 30
phénomènes et des propriétés susceptibles d’entrer dans une matrice. Le principe de
ce traitement matriciel est qu’on suspend les rapports classiques de domination
entre les deux variables. Il ne s’agit ni de philosophie des sciences, ni de science
positive de la philosophie. Sciences et philosophies ne sont plus livrées à elles-
mêmes, à leur propre finalité respective, mais sont considérées comme de purs
moyens, ce sont des forces productives de la pensée. On « désuture » science et
philosophie, en tout cas leurs rapports classiques. La formule de la matrice
générique est élaborée à partir du modèle marxiste de la fusion des forces
productives et des rapports de production sous les rapports de production, mais elle
ne s’y réduit pas.

Cette fusion doit être sous-déterminée de nouveau par la quantique, à la fois


variable 31
et fonction. Du coup, on établit un vecteur d’état, une fonction d’onde, qui
vaut pour
l’ensemble « quantique + philosophie ». C’est la construction d’une
matrice
générique. Sa nature de matrice consiste à affirmer la fusion de l’homme et
de la
physique, mais ensuite il s’agit de rendre humaine la physique sans revenir à
une
réciprocité. Avec la quantique, il y a une sous-détermination de la philosophie :
si la
détermination de la matrice était philosophique, ce serait une réaffirmation de
la
domination de la philosophie sur la quantique et l’ensemble des sciences. Ici, c’est
une diminution, un affaiblissement de la puissance philosophique, elle est
sous-
déterminée. Il s’agit en quelque sorte d’abaisser la puissance de la philosophie
(pensée de la décroissance de la philosophie, ce n’est pas la philosophie faible à
l’italienne, à la Heidegger et aux différences), c’est une dépotentialisation de la
philosophie. Cela équivaut à une extension du domaine philosophique, achevé mais
non fermé, l’ordre de la pensée ne s’enferme pas en lui-même.

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La matrice générique, c’est une quantique qui a acquis une sorte de valeur 32
philosophique sans être une philosophie, et acquis une fonction quasi réflexive sans
sujet réflexif. Tout tient à la fusion, comme dit Marx. La philosophie y est un
contenu
représentationnel qui fait l’unité de tous les énoncés non positifs, mais ces
représentations sont neutralisées, elles ne sont plus codéterminantes du réel virtuel.
Le mascroscopique joue un rôle secondaire, juste celui d’une occasion. L’occasion
est
la forme de causalité qui met en relation les contenus du monde et le réel de la
Dernière Instance. Tout ce qui est extérieur à la philosophie agit comme une relance
ou activation de la dernière instance. Ce n’est pas la modélisation mais la
chiquenaude extérieure. Pour l’immanence radicale(onde), il faut ménager une
impulsion extérieure, conformément à la dualité onde/particule. La détermination-
en-dernière-instance est à peine une causalité, elle est plutôt une condition sous-
détermination, ce qui la distingue de Marx. Le « sous » de la sous-détermination,
chez Laruelle sans doute, vient de Marx : « sous les rapports de production » ; mais
le
« sous » est une surdétermination des forces productives et des rapports de
production par les rapports de production (sous l’idéologie, les rapports sociaux).
Tandis que chez Laruelle, le « sous » est un agir ou une détermination par la pensée
quantique, détermination qui enlève quelque chose à la surdétermination
philosophique. C’est l’unité de la science et de la philosophie sous les forces
productives, mais ce n’est pas un économisme, les forces productives (la quantique)
abaissent ou dépotentialisent les rapports de production (la philosophie). Le « sous »
est l’agir même de la détermination générique.

L’interdisciplinarité
L’interdisciplinarité est de droit, mais assurée de manière complexe par la matrice 33
générique qui conjugue deux savoirs : elle n’est plus externe et positive comme dans
un laboratoire ou dans la « cité scientifique », ni interne comme dans l’auto-
philosophie. Elle suppose une combinaison du philosophique avec une science
particulière « sous » cette science. Cela suppose que chaque discipline se défasse de
ses prérogatives. Il ne s’agit plus de passer d’une discipline considérée comme
principale pour un problème à d’autres disciplines, comme on le fait habituellement
dans les schémas de pluri-, inter- ou transdisciplinarité, mais plutôt d’une
démocratie des disciplines, philosophie comprise, que l’on traite de façon
matricielle. La formule en serait la multiplication des concepts philosophiques et
des
concepts scientifiques comme propriétés d’un objet particulier = X, mais
affectée par
un nombre complexe ou imaginaire fondamental pour la quantique ; ou
encore si
l’on appréhende le « transcendantal » (T) comme concept spécifique ou
central de la
philosophie, et les connaissances scientifiques formalisées
quantiquement (K
comme Knowledge), comme T × K sous K. C’est une immersion
de la philosophie
dans les connaissances scientifiques, immersion qui intéresse
fondamentalement
les sujets comme humains.

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On peut concrétiser ou décliner ce modèle comme le fait Laruelle dans son


œuvre, 34
comprendre les expressions de combinaisons matricielles de la philosophie
avec les
autres disciplines, selon ce schéma du 18 juin, religion mais aussi art,
technologie,
éthique, à peu près sous les mêmes formes, même si c’est « philosophie
non
standard » comme quantique générique qui en donne le concept le plus précis
et
évidemment le plus rigoureux.

« Non-religion » : fusion de la théologie gnostique et de la philosophie sous la


gnose : 35
Le Christ futur. Une leçon d’hérésie (2002) ; Future Christ. A Lesson in Heresy
(2010).

« Non-science » : la fusion de la science et de la philosophie sous la science, ici


la 36
quantique devenue générique. Double modification, sur la philosophie et sur la
quantique. On fait de la non-science avec une science particulière et de la pensée
philosophique : Philosophie non-standard. Générique, quantique, philo-fiction,
(2010) ou
auparavant : Introduction aux sciences génériques (2008) ; Théorie des
identités. Fractalité
généralisée et philosophie artificielle (1992).

« Non-esthétique », comme une activité de type artistique sur la philosophie.


Faire 37
de l’art avec un art associé ou conjugué avec de la pure pensée : The Concept
of Non
Photography (2011) ; « Du noir univers dans les fondations humaines de la
couleur »
(1988) (sur un poème de François Laruelle).

« Non-technologie » : fusion de la philosophie et de la technologie « sous » la 38


technologie afin d’assurer une prise sur la philosophie tout en respectant son ordre
transcendantal. C’est la problématique de Une biographie de l’homme ordinaire
(1985).

« Non-éthique » : fusion de l’éthique et de la philosophie « sous » l’éthique :


Éthique de 39
l’étranger. Du crime contre l’humanité (2000) ; Théorie des étrangers (1995)
et enfin, Théorie
générale des victimes (2012b).

L’interdisciplinarité n’est plus pensée sous la forme générale de la surdétermination, 40


à la façon classique, mais de la sous-détermination ou
dépotentialisation, ce qui
contribue à la conception démocratique des disciplines.
La non-philosophie comme
une pensée de la décroissance philosophique renouvelle
leurs relations. Il s’agit pour
chaque discipline d’abandonner ses prérogatives
spontanées, c’est le principe même
de l’interdisciplinarité. Les disciplines sont ainsi
neutralisées, comme autant de
fragments de science fonctionnant au naturel avec
des logiques et des autorités
particulières. Pour penser leurs relations, il faut un
milieu, celui de l’immanence, en
général de la fonction d’onde ou du vecteur d’état.
Un mi-lieu, celui de T × K sous K,
le « mi- » insistant sur l’immanence, le « lieu »
sur la transcendance des disciplines
par rapport à lui. C’est dans ce milieu que
peuvent être composés les concepts
minimaux extraits des logiques disciplinaires.

La non-philosophie ou philosophie non standard a donc un traitement interne et 41


externe de la modélisation et de l’interdisciplinarité. Elle n’a pas, comme la plupart
des
autres philosophies, soit expulsé le modèle hors de la théorie philosophique, soit

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intériorisé l’interdisciplinarité dans la seule pratique de la comparaison des


philosophies. Ces deux particularités lui ont valu d’être testée dans un lieu
d’interdiscipline, dans le fonctionnement d’un centre de recherches de biologie.

ACTE II. FRANCK VARENNE, LE COMPTE-RENDU DE LA


RÉÉDITION DU CONCEPT DE MODÈLE D’ALAIN BADIOU
(2007)

Introduction
« C’est parce qu’il est vraiment de son temps, les années 1960, que ce petit livre peut 42
être du nôtre. » L’avant-dernière phrase de la préface qu’Alain Badiou vient d’écrire
à
l’occasion de la réédition (2007) du Concept de modèle soutient une thèse forte et
provocante, celle de l’actualité persistante de cet ouvrage critique d’abord paru en
1969.

Par là, son auteur interpelle la communauté actuelle des modélisateurs et des 43
épistémologues des modèles et leur lance le défi de montrer que les accusations
d’idéologie qu’il déployait il y a presque quarante ans ne sont plus valables pour les
formes actuelles de modélisation. On y trouvait déjà notamment une forte critique
des approches interdisciplinaires fondées sur la modélisation. Or, à l’heure actuelle,
il est plus que jamais question d’approches mixtes, systémiques, interdisciplinaires,
cela du fait même de l’évolution des objets (systèmes complexes,
anthroposystèmes…), de l’évolution de la demande sociale et des problèmes qu’elle
soulève en priorité (coordination des expertises pour la résolution de problèmes
concrets, renouvellement corrélatif de la recherche-action…), mais aussi de la mise
à
disposition d’outils à fonction d’intégration (ordinateurs, langages de
multimodélisation ou métamodélisation, plates-formes informatiques…).
Cependant,
donc, dès 1969, Badiou semblait condamner de tels développements
futurs : que
doit-on en penser aujourd’hui ?

Mon objectif ici est limité et, en quelque sorte, préparatoire. Il est de revenir 44
essentiellement sur les arguments principaux de ce livre en permettant une
interrogation sur sa pertinence à l’heure où la pratique de modélisation se diversifie
encore et où certains de nos collègues manifestent un nouveau scepticisme, sans
doute en partie légitime, à l’égard de ce qui peut apparaître comme une tendance
au
« tout-modélisation » et à l’interdisciplinarité forcée. Pour ce faire, je reviendrai
d’abord succinctement sur le contexte dans lequel ce livre a vu le jour, puis je me
pencherai sur les thèses clés qu’il déploie.

Le contexte : la critique de l’idéologie dans les sciences

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Le philosophe et épistémologue Louis Althusser avait déjà fermement critiqué dans 45


son cours (1967) l’interdisciplinarité dans les sciences. Dans ce qu’il appelait la
« mode de l’interdisciplinarité » (p. 20), il voyait la présence d’idéologies cherchant
à
s’asservir une partie de la science au nom de catégories philosophiques
implicitement enracinées dans des conceptions du monde inavouées : étaient visées
les
conceptions « positivistes, néopositivistes, structuralistes, formalistes,
phénoménologiques, etc. » (p. 38), qui toutes étaient accusées de tendre à l’idéalisme.
Cependant, les disciplines scientifiques mixtes comme la physique mathématique,
la
chimie physique, la biophysique et la biochimie n’étaient pas condamnées, car,
selon
Althusser, elles manifestaient en elles la présence de rapports organiques de
constitution réciproque et non de simple application. Il ne s’agissait pas de cas
d’échanges « interdisciplinaires » à proprement parler.

C’est en 1968 que la compétence plus proprement mathématique d’Alain Badiou


est 46
mobilisée pour cette lutte contre l’idéalisme qu’Althusser conçoit comme une
intervention nécessaire dans la science. Il ne s’agit pas simplement de redire après
Lénine que les épistémologies des modèles sont des formations idéologiques
réitérées.
Mais il s’agit pour Badiou de montrer très précisément le processus même de
cette idéologisation de ce qui par ailleurs est devenu un véritable concept des
mathématiques,
véritablement opérant et à ce titre déjà indiscutable : le concept de
modèle.

En 1969, le but de Badiou est donc de détailler le parcours d’une idéologisation, en


l’espèce 47
l’idéologisation d’un concept scientifique. Badiou fait fond sur l’idée
althussérienne selon
laquelle toute idéologie est idéologie pour une science et donc
que la lutte contre toute
idéologie concerne bien au premier chef l’épistémologie et
son devoir d’intervention
dans les sciences (les sciences étant des « pratiques » dont
les « moyens de
production » sont les concepts). Pour Althusser :

La fonction de l’idéologie est alors d’intriquer l’imaginaire et le réel dans une 48


apparence de nécessité pour masquer l’arbitraire [du point de vue de l’individu]
des
tâches prescrites par le tout social. (Le Bris, 1968, p. 15.)

La théorie marxiste elle-même reste une pratique du tout social en tant qu’elle 49
travaille sur des concepts donnés par d’autres pratiques. À ce titre, elle s’affronte à
l’idéologie et tend en dernière instance à se substituer à elle comme véritable
idéologie. Concernant les modèles, Althusser affirmait ainsi que :

La conception empiriste du modèle comme idéologie de la connaissance reçoit de 50


la confusion entre l’instrument technique qu’est effectivement un modèle, et le
concept de la connaissance, toutes les apparences nécessaires à son imposture.
(Althusser, 1968, p. 44.)

L’imposture de la diffusion de la notion de modèle doit donc être dénoncée. 51

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La critique de l’empirisme logique


Au début de son livre, Badiou nous révèle d’où vient historiquement cette diffusion 52
indue. Dans le premier chapitre, il rend compte des prétendues « théories de la
connaissance » anglo-saxonnes. Il montre qu’on doit d’entrée de jeu rejeter dos à dos
leur empirisme et leur formalisme. Pour lui, Carnap (1938) et Quine (1953) sont
victimes d’une « formation idéologique particulière » qui se représente la science
sous la forme d’une « image » (alors même qu’elle est au contraire un procès et un
ensemble de pratiques) ou sous la forme d’une production dont l’objectif est soit la
figuration d’objets(empirisme) soit la figuration de formalismes(formalisme). Or,
c’est la marque de « l’épistémologie bourgeoise » de se figurer la science à la fois
comme figurable et comme productrice de figurations, de représentations en ce
sens, puis de se jouer la comédie du balayage apparemment intégral des positions et
variantes possibles.

Badiou entreprend de montrer que Quine, et avec lui toute forme d’alternative
à 53
Carnap, n’est que l’envers infiniment différencié de Carnap. En réalité, même si
je ne
peux le montrer ici, Badiou ne peut faire cette démonstration qu’en occultant
les
travaux antérieurs de Ernst Nagel, Max Black, Mary Hesse ou Peter Achinstein
qui,
loin de se réduire à l’approche globale et théorique de Quine, avaient tous
souligné –
 et montré par d’innombrables exemples – le rôle éventuellement abusif
des modèles
en même temps que la grande variété de leurs fonctions épistémiques.
Je ne peux
que renvoyer ici à la recension critique qu’en fit Pierre Thuillier (1969)
dans la revue
Atomes et qui n’a aujourd’hui rien perdu de son actualité.

De cette généralisation, Badiou (1969, p. 48) tire en tout cas une thèse forte :
« Les 54
sciences forment un système discret de différences articulées », tandis que « les
idéologies [forment] une combinaison continue de variations ». La condamnation
de
l’interdisciplinarité en est une conséquence inévitable : elle ne peut être qu’une
invention d’épistémologue qui insère de l’idéologique néfaste dans du scientifique.

Le vrai problème des idéologies infiniment recommencées est donc leur


tendance à 55
« imager », à faire devenir « artifice », idole ou image figée, à prétention
totalisante,
mais en réalité sidérante et leurrante, le modèle de ce dont on devrait au
contraire
respecter la nature dynamique, processuelle et au fond effectivement invisible, in-
figurable et inassignable.

Les trois thèses centrales


De cette critique préliminaire, Badiou entend tirer trois thèses : 56

–  
thèse 1. Le terme de « modèle » a deux instances épistémologiques : (1) c’est 57
une notion descriptive de l’activité scientifique ; (2) c’est un concept de la logique
mathématique. Or une notion est une unité du discours idéologique alors qu’un

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concept est une unité du discours scientifique. Quant à la catégorie, c’est une
unité
du discours philosophique ;
–  
thèse 2. Quand l’instance (2) sert de support à (1), on a un recouvrement
idéologique de la science, c’est-à-dire une catégorie philosophique : celle de
modèle.
Reste à savoir si ce recouvrement idéologique favorise un rapport
bénéfique avec le
concept scientifique de modèle, ou bien, au contraire, si
l’épistémologie bourgeoise
de la science comme représentation et production de
représentations se fige
irrémédiablement dans cette pratique idéologique
qu’autorise la catégorie
philosophique ;
–  
thèse 3. « La tâche de la philosophie » est de distinguer un usage asservi
(aliéné) et un usage « positif » qui se reconnaît à ce qu’il est investi dans LA
théorie
de l’histoire des sciences (la vraie : le matérialisme historique). Un usage
de la
catégorie est positif si le modèle y est comme un « adjuvant transitoire
destiné à son
propre démantèlement ». On a un « usage purement idéologique du
mot modèle »
(Badiou, 1969, chap. 4), en revanche, quand on affirme, comme
Lévi-Strauss
(1958), que la science est une « connaissance par modèles ». Ainsi,
« pour
l’épistémologie des modèles, la science n’est pas un procès de
transformation
pratique du réel, mais la fabrication d’une image plausible ».
Place est faite à
l’idéologie car, « image portative, le modèle unifie extérieurement
une politique
économique, la légitime et occulte sa cause comme sa règle »
(Badiou, 1969, p. 57).

D’où le lien avec le stade du miroir de Lacan (1949) où le réel se fait image et se
croit 58
déjà pris en vue – surpris – dans l’imaginaire et semble miraculeusement
incarné
dans le miroir :

Comme l’enfant en vient à surmonter, dans la duperie du miroir, l’horreur de son 59


corps morcelé, les modèles réfléchissent selon l’idéal prématuré du texte unifiant le
désordre instantané de la production des savoirs. (Badiou, 1969, p. 55.)

C’est ce pouvoir d’unification à la fois factice et prématurée qui est condamné.


Plus 60
exactement, c’est la prétention que le modèle peut acquérir par là de se suffire
à lui-
même sans indiquer sa propre impermanence et son insuffisance.

Conséquences pour les modèles dans les sciences empiriques


Armé de ces analyses, Badiou montre (chap. 5) qu’il faut refuser de voir les modèles 61
dans les sciences empiriques comme s’inscrivant dans un rapport au réel qui serait
parallèle au rapport syntaxe/sémantique tel qu’il existe en théorie mathématique des
modèles. En mathématiques, un domaine d’interprétation pour un système formel
défini syntaxiquement est un modèle si, à tout énoncé dérivable de ce système
formel, correspond un énoncé vrai dans ce domaine d’interprétation. Sans s’en
apercevoir, l’empirisme logique part d’un rapport intérieur, conceptuel, entre des
pratiques qui sont propres à une science (les mathématiques), pour en faire la
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figuration d’un rapport extérieur entre les sciences et le réel. Mais la distinction
syntaxe/sémantique fonctionne conceptuellement en théorie logique ou
mathématique
des modèles, alors qu’elle fonctionne seulement notionnellement en
épistémologie des
modèles. Là est précisément le lieu d’insertion de l’idéologique
dans
l’épistémologique : à savoir dans cet usage fallacieux d’une pratique
expérimentale et
conceptuelle monodisciplinaire ferme et établie pour se figurer la
pratique des
modèles dans les sciences non purement formelles.

Tout le travail du texte de Badiou va, à partir de là, consister à tâcher de bien
nous 62
rendre claire la nature interne et conceptuelle de ce rapport entre syntaxe et
sémantique dans le domaine de la théorie mathématique des modèles. Ce que ne
perçoivent pas les idéologues tenant des épistémologies des modèles, c’est « que les
critères de la syntaxe pertinente relativement à un modèle donné ne sont pas laissés
à l’arbitraire des ressemblances », et que « ce sont des propriétés théoriques »
(Badiou, 1969, p. 78) décidées en interne.

C’est là que le sous-titre de l’ouvrage peut se comprendre, et bien sûr en grande 63


partie aussi la préférence originelle de Badiou pour les mathématiques dont il ne se
départira pas : Introduction à une épistémologie matérialiste des mathématiques. Cette
volonté de monstration ou d’imitation des gestes mathématiques en acte est
cohérente : puisqu’on n’a plus désormais le droit d’imiter que dans et par l’agir et
non dans la figuration – c’est d’ailleurs bien ce qui se révèle finalement comme l’idée
fondamentale et commune des anti-idéologismes, anti-idéalismes ou de toutes
formes associées d’iconoclasmes (ainsi même des pragmatismes) –, la conséquence
qu’en tire Badiou et qu’en tirera aussi Desanti, mais aussi donc Althusser et ceux qui
les suivront à l’époque, est évidemment qu’on ne peut se convaincre de cette
internalité et de cette conceptualité à l’œuvre qu’en pratiquant soi-même en interne
les mathématiques, c’est-à-dire au fond en faisant d’un livre d’épistémologie
quelque
chose de très proche d’un livre de mathématiques. Relisant lui-même ce
passage,
Badiou précise à son propos dans la préface de 2007 (p. 34) :

La didactique est orientée vers une sorte de propagande pour l’écriture formelle, 64
tenue pour la scène où se joue la vérité des concepts.

Modèle et matérialisme en mathématiques : extériorité


construite et extériorité plaquée
Le dernier moment important de l’argumentation de Badiou consiste ainsi à 65
montrer en quoi on a affaire avec l’élaboration d’un système formel pour un modèle
à une authentique pratique expérimentale, une pratique expérimentale de
vérification ; ce qui, au passage, lui permet de confirmer de ce point de vue
l’historicité tout à la fois dialectique et matérialiste des mathématiques.

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Badiou utilise dans ce cadre la célèbre formule de Bachelard selon laquelle les 66
instruments scientifiques sont des « théories matérialisées » (Badiou, 1969, p. 125).
Mais par un subtil glissement, il l’acclimate aux mathématiques. Ce qui revient à
dire que les systèmes formels axiomatiques sont, comme les instruments de la
physique, des théories mathématiques matérialisées. Ce faisant, il semble
s’accommoder fort bien d’un renversement du rapport formel/matériel en un
rapport matériel/formel assez semblable à celui dont il avait préalablement accusé
les empiristes logiques de s’y livrer subrepticement.

Comme ce fut le cas pour le signifiant tel que conçu par Lacan (même si Badiou se 67
départira de cette référence directe par la suite : cf. Badiou, p. 26-27), c’est dans
l’écriture mathématique, à savoir dans la matérialité de ces inscriptions
symboliques,
que Badiou affirme dans un deuxième temps reconnaître la matérialité
des marques de
l’instrument expérimental propre aux mathématiques. Pour Badiou,
en dernière
analyse, c’est cette matérialité de l’écriture réglée du système formel qui
la constitue de
fait en instruments, c’est-à-dire la fait entrer dans la catégorie
d’instrument : les
machines déductives matérielles que sont les ordinateurs en sont
l’illustration patente.
Une question demeure pour le lecteur : cette catégorie
transdisciplinaire
d’« instrument matériel » ne devient-elle pas à son tour le
symptôme d’un plaquage et
d’une extension indue, donc une simple notion
développant la mauvaise idéologie ?

À juste titre cependant, Badiou invoque ici la condition de calculabilité effective


qui 68
fait selon lui écho au seul principe d’identité qui vaille (en physique) selon
Bachelard,
« le principe d’identité des instruments ». C’est donc précisément là qu’il
y a un
rapport interne, monodisciplinaire, qui semble pouvoir passer illusoirement
pour un
rapport à un dehors des mathématiques, un rapport interdisciplinaire, qui
vaudrait
comme un rapport de représentation ou de figuration du tout autre (à savoir
du réel)
dans ou à partir des mathématiques, c’est-à-dire en en partant, en en sortant.

Il faut comprendre au contraire que le rapport syntaxe/sémantique en 69


mathématique institue la sémantique comme :

un rapport intramathématique entre certains dispositifs expérimentaux raffinés 70


(les
systèmes formels) et certains produits mathématiques plus « grossiers », c’est-
à-dire
acceptés, tenus pour démontrés, sans avoir été soumis à toutes les exigences
d’inscription dont le dispositif règle la contrainte vérifiante. (Badiou, 1969, p. 124.)

Le procédé d’idéologisation qui est le cœur du propos de Badiou prend exactement 71


son origine ici : dans la confusion entre une extériorité construite de l’intérieur
d’une discipline scientifique pour les besoins du jeu praxique qui doit lui être propre,
c’est-à-dire de ce jeu d’une histoire dialectique propre (Badiou, chap. 10), à ce qui se
présente d’abord comme une pratique sociale et matérielle (notamment d’écriture)
et
un rapport d’extériorité plat, extérieurement imposé. C’est une confusion entre
un
rapport d’extériorité construit de l’intérieur d’une théorie effectivement
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pratiquée et
un rapport d’extériorité extérieurement imposé, car en partie
déterminé par des intérêts de classe. Ce rapport extérieurement imposé est
idéologiquement déterminé car
déterminé artificieusement à partir de figurations
naïves de la science puis du réel,
figurations non théoriquement déterminées ni
communément mises en pratiques ou
soumises à pratiques dans le cœur d’une
activité théorique contrôlée par des instruments à la matérialité avérée et vérifiante :

C’est parce qu’il est lui-même théorie matérialisée, résultat mathématique, que le 72
dispositif formel peut entrer dans le procès de production des connaissances
mathématiques ; et dans ce procès, le concept de modèle ne désigne pas un dehors
à formaliser, mais un matériau mathématique à éprouver. (Badiou, 1969, p. 133.)

Pour le Badiou de 1969, aucune autre articulation (qui serait donc


interdisciplinaire) 73
n’est possible. Car noblesse native oblige : le matériau à quoi
s’applique l’instrument
formel doit être de noble extraction. Il doit être de la nature
de ce préalable
mathématique [6], de ce qui possède toujours la vocation de devenir
modèle, de ce qui
est toujours déjà appelé par l’aventure dialectique du savoir à
devenir modèle. C’est
sur ce chemin de croix, sur le chemin de l’épreuve, entendue
comme mise en
pratique et matérialisation, que les modèles gagnent leur droit à être
nommés ainsi.

Bilan sur les modèles : adjuvants transitoires ou productions


symboliques consacrées
Au final donc, les modèles sont soit des adjuvants transitoires qui doivent être niés 74
dialectiquement pour que le matérialisme historique se confirme dans l’histoire
même des sciences, soit des matériaux mathématiques encore informes ou
démontrés mais non prouvés et qui prennent corps – s’incarnent – par l’effet d’une
instrumentation(axiomatique) inséparable d’une pratique réalisante et consacrante.
Cette consécration qui est en même temps rétrospection et rétroaction est possible,
car elle bénéficie des forces symboliques de production par quoi le signifiant du
dispositif formel peut forcer le matériau mathématique informe à se produire dans
une expérimentation décisive et donc obtient le droit réel de le consacrer. Il n’y
aurait plus ici d’idéologique car il n’y aurait nulle intervention du réel ou de
l’imaginaire, tout au moins comme figuration.

Comme dans tous les iconoclasmes épistémologiques, c’est ici la pratique qui
finit 75
par être consacrante, puis consacrée (par l’épistémologue). Mais on peut dire
que
c’est une pratique fermée et exclusive. Ce n’est pas celle des pragmatismes
anglo-
saxons : pour Badiou, la pratique sécrète sa propre production et consacre
ensuite
rétroactivement ses propres produits pour créer des frontières, en toute
liberté, mais
à l’intérieur d’elle-même. Ce modèle de la liberté mathématique auquel
la préface
de 2007 (p. 20 et 22) rend encore hommage est celui d’une liberté très
surveillée,
résolument cartésienne en ce sens.

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Comme la conception sémantique qu’elle entreprend de critiquer, cette


approche 76
unitaire des modèles pose de considérables problèmes que je n’ai pu
qu’évoquer, à
commencer par cette consécration exclusive des mathématiques (voire
d’une
certaine interprétation des mathématiques) et la dénonciation radicale de
l’interdisciplinarité. De fait, de 1969 à nos jours, ce livre sera invoqué surtout pour
fustiger les dérives des usages représentationnalistes des modèles, mais rarement
pour critiquer le développement même des modèles formels dans les sciences. À côté
de sa place incontestable dans l’histoire de l’épistémologie française des modèles, cet
ouvrage garde toute sa force et tout son pouvoir d’attraction, mais surtout du point
de vue d’une épistémologie des mathématiques.

Conclusion : à quoi Badiou a-t-il dit non ?


Sans formuler de critiques plus avancées sur cet ouvrage ici (ce n’est pas mon 77
objectif), je formulerai pour finir une suggestion qui prend la forme d’une simple
prolongation de l’argumentaire de l’auteur : ce « principe d’identité des
instruments » appliqué à nos usages contemporains des ordinateurs (et non
uniquement
à celui, purement déductif, auquel pense encore Badiou, et, en 1969,
c’est légitime)
ne peut-il servir aujourd’hui à élargir la notion de théories matérialisées
dans l’instrument et ainsi, finalement, à atténuer la condamnation de
l’interdisciplinarité ? En
effet, les allers-retours modélisation-simulation en régime
interdisciplinaire ne sont-ils pas devenus – à l’image de la pratique d’axiomatisation
formelle en mathématiques – une forme de pratique inséparablement matérielle et
formelle de vérification
pour ce qui ne serait effectivement sinon qu’une
concaténation d’énoncés formant
un « corps d’énoncés » prématuré (Badiou, p. 55),
faussement « incarné » (donc une
idole) et, de ce fait, idéologique ?

À mon avis, la fortune actuelle des divers pragmatismes anglo-saxons pour la


pensée 78
des modèles au détriment du « praxisme » continental d’origine marxiste des
années 1960 trouverait là une de ses explications. Ces pragmatismes anglo-saxons
aujourd’hui dominants (et contre lesquels Badiou veut nouvellement combattre)
sont d’origine certes empiriste, mais surtout pluraliste, comme de jeunes chercheurs
nous l’ont récemment découvert ou redécouvert (cf. la récente présentation par
Stéphane Madelrieux, dans une nouvelle traduction, du pragmatisme de James
(1907/2007). Comme naguère les praxismes marxistes le firent, ces pragmatismes
rendent aujourd’hui l’épistémologie des modèles toujours plus sensible à l’action, à
la
pratique, mais, cette fois-ci, sans l’enfermer dans une théorie monolithique de la
pratique, théorie monolithique ici car surtout spéculative et, on l’a vu, issue d’une
seule science décrétée reine (les mathématiques).

Comme on peut s’en apercevoir, l’histoire de l’épistémologie des modèles est


aussi 79
l’histoire de leurs critiques. Or, pas plus qu’elle n’est séparable de l’histoire des
sciences et des techniques, elle n’est séparable de l’histoire de la philosophie elle-
même, de ses récurrences, et, éventuellement, de la récurrence des discours
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politiques et anthropologiques associés. En ce sens, dire non au pluralisme tout en


enjoignant les uns et les autres, toutes disciplines confondues, à sacrifier au culte de
l’action, y compris dans sa dimension sociale, est bien la teneur d’un discours qui a
défini un certain moment de la pensée française.

ACTE III. DISCUSSION

L’Anti-Badiou de François Laruelle (2012)


Il ne s’agit pas ici de présenter un nouveau compte-rendu, mais de comprendre ce 80
qui différencie Badiou et Laruelle sur la question de la modélisation et de
l’interdisciplinarité.

Le débat entre ces deux philosophes concerne l’usage orienté politique des 81
mathématiques ou de la physique. Dans l’Anti-Badiou. Sur l’introduction du
maoïsme
dans la philosophie (2012 pour la version française et 2013 pour la version
anglaise),
Laruelle montre que Badiou fait des mathématiques un usage pour la
« rééducation »
de la philosophie. Cela tient au fait que le transfert de la théorie des
ensembles
comme ontologie dans la philosophie se fait tel quel, sans
transformation, dans un
usage autonyme.

Badiou choisit, comme les classiques, une théorie scientifique, la théorie des 82
ensembles dite ZF (l’axiomatique de Zermelo-Fraenkel), complétée par la méthode
de forcing de Paul Cohen, et la met en lieu et place de l’ontologie. La théorie des
ensembles est traitée comme un absolu. C’est une partie des mathématiques qui est
transférée dans la philosophie. Ce geste fait système avec l’idée que les modèles sont
extérieurs à la philosophie et que, s’ils ne sont pas des interprétations vraies des
systèmes formels, ils sont des représentations et de l’idéologie. C’est une pièce des
mathématiques qui va permettre d’éviter l’idéologie dans la philosophie.

Selon Badiou, ce n’est pas la philosophie qui produit des vérités, mais quatre 83
procédures génériques, la science, les arts, la politique et l’amour. Ces procédures
sont génériques parce qu’elles partent des multiplicités, qui sont elles-mêmes
multiplicités de multiplicités, dépendantes de l’ensemble vide, et ne peuvent être
rassemblées dans une unité qu’arbitraire et contingente. Or la véritable histoire est
celle des vérités éternelles, qui se donnent comme évènements (et non comme faits).

Laruelle au contraire réduit les disciplines, les traite sous forme de variables, et
pour 84
cela les modélise, philosophie comprise. Chacune de ces variables a subi un
traitement. La philosophie ne se connaît pas elle-même, mais les théories
scientifiques ne seront pas utilisées comme fondement, transformées à leur manière
par les instruments de la philosophie. L’épistémologie change alors de régime, elle
doit se transformer en non-épistémologie ou épistémologie générique. Plutôt que de
faire un discours philosophique sur une science particulière, on en extrait des
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concepts fondamentaux que l’on réduit et réintroduit dans une autre logique
disciplinaire. C’est une procédure qui se trouve sous une première forme déjà chez
Kant, dans un court texte fondamental qui préfigure les Critiques, Essai pour
introduire en philosophie le concept de grandeur négative (1763), qui modifie très
profondément les parallélismes classiques entre science et philosophie. Cette
extraction de concept fait changer d’échelle l’épistémologie, car elle ne porte plus
directement sur les sciences. Extraire les concepts de superposition ou
d’idempotence ne consiste pas à avoir un discours sur la mécanique quantique ou
sur l’algèbre. Inversement, la connaissance d’un bout d’algèbre ou de quantique ne
vous garantit pas un concept de « science », comme on le suppose presque toujours
en épistémologie, en mettant une continuité entre épistémologie et histoire des
sciences, en raisonnant sur des exemples historiques. Le raisonnement que l’on peut
tirer de Laruelle est différent : il y a de l’épistémologie, il y a de l’histoire des
sciences,
et il est possible de construire des interactions riches entre elles qui ne font
pas de la
mécanique ou de la physique le fondement historique des sciences. Les
continuités
entre histoire et épistémologie ont été très importantes à un moment de
la
philosophie des sciences, il importe de construire de nouvelles relations entre
l’une
et l’autre en supposant que la seconde n’est pas dans la continuité de la
première. Ce
ne sont plus les exemples historiques qui sont itérés, mais les
disciplines comme
variables dans des dispositifs matriciels, itérations qui précisent
la connaissance des
disciplines par les autres.

Le générique n’est alors plus exactement une procédure, mais la constitution


d’un 85
espace, relativement indépendant, qui ne se confond ni avec les sciences
positives ni
avec la philosophie suffisante ni avec l’empirique. Il résulte justement à
la fois de la
transformation des propositions de telle façon qu’elles ne soient plus
« suffisantes »
et de la logique de détermination en dernière instance, qui arrête la
convertibilité
entre théorie, qu’elle soit science ou philosophie, et réel. Dans cet
espace générique,
la superposition n’est plus déterminée comme un concept ou
comme une structure
de connaissance ; elle pourra être reconstruite après comme
un commun pour
comprendre les relations entre disciplines sans suffisance. Le
concept d’« étranger »
introduit dans le titre de deux ouvrages de Laruelle (Théorie
des étrangers, 1995, et
Éthique de l’étranger. Du crime contre l’humanité, 2000, ou
encore Théorie générale des
victimes, 2012b) peut être actuellement compris dans les
diverses vagues de la pensée
Laruelle comme support des concepts rendus
génériques. L’étranger est une façon
d’introduire la démocratie dans les sciences et
dans la philosophie, et non pas de les
rééduquer (voir le sous-titre : « Sur
l’introduction du maoïsme dans la
philosophie »…).

Si la non-philosophie est orientée quantique, ce n’est pas pour faire de la


physique 86
un fondement ou pour en faire un usage autonyme dans la philosophie.
Le recours à
la physique teint à plusieurs raisons. Il y a le fait que Laruelle construit
un dispositif
matriciel, extrait lui aussi de la quantique, pour traiter de l’hétérogène.
Les sciences
actuelles ont affaire à des hétérogénéités non standard, au sens où elles
ne sont plus
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réductibles à aucune discipline en isolation. Le dispositif matriciel


permet de traiter
de l’hétérogène et la physique se donne à la philosophie
traditionnellement comme
plus hétérogène que les mathématiques. Une autre
raison est que la philosophie,
comme d’une certaine manière toutes les disciplines,
se donne comme un « corps »,
que la philosophie non standard, par le concept
d’étranger, n’est plus prise dans la
tension entre corps objectif et corps subjectif.

Mais que la quantique soit modélisée et non pas transférée fait qu’elle garde
quelque 87
chose de contingent dans le dispositif. L’importance de la quantique est
qu’elle ne
porte plus sur des objets « naturels », mais sur des états et des opérateurs.
Le concept
de superposition permet de réarticuler les savoirs autrement que dans
des
continuités supposées données, l’idempotence de comprendre l’immanence sous
une forme autre que suffisante, et l’oscillation permise par le nombre imaginaire
font tenir ensemble les superpositions. Ce sont autant de transformations de la
philosophie des sciences et de l’épistémologie. Ces réarticulations donnent un tout
autre concept de l’interdisciplinarité. Plutôt que de prendre les conjonctions de
disciplines suffisantes, on peut superposer des matériaux de l’une des disciplines
réduite en modèles empiriques et les superposer à une autre. C’est ainsi que Laruelle
reconstruit par exemple l’« esthétique » dans Photo-fiction, une esthétique non-standard
(2013) ou par exemple comme « expériences de pensée » dans From
Decision to Heresy.
Experiments in Non-Standard Thought (Laruelle, 2012c).

Actualité de la question dans les rapports entre philosophies


et sciences. Lieu vécu d’interdiscipline dans un centre de
recherches biologiques
Pour les philosophes, parler de modélisation, c’est parler de science ou du moins de 88
ce qui veut se donner pour telle, non pas de philosophie. Pourtant, lorsqu’ils
s’intéressent aux sciences, ils se penchent le plus souvent sur celles qui sont
théoriques et mathématisées. Faire de la philosophie des sciences, c’est chercher des
systèmes scientifiques qui se prêtent à la construction de l’unité d’une discipline ou
à
une unification de théories et où cette unification est pensée dans les termes à la
fois
de la science prise en compte et de ceux des mathématiques. La physique se
prête
très bien à cette approche, un peu la chimie, sous les espèces de sa
mathématisation,
assez mal la biologie dont toutes les disciplines, nombreuses, ne
sont pas également
mathématisées, pas du tout en sciences humaines, où la
multiplicité de théories
partielles ou « intermédiaires » [7] fait le fond même de la
constitution scientifique.
C’est pourquoi l’épistémologie est souvent désarmée
devant des « disciplines » qui
supposent un grand nombre de théories reposant sur
des concepts différents.

L’approche théorique et unificatrice est importante, c’est indiscutable, elle a


permis 89
la création de nombreux concepts et elle est toujours vivante chez des
philosophes
comme Gabriel Catren et Quentin Meillassoux [8]. Mais il importe
qu’elle ne soit pas
la seule, sans quoi des pans entiers de sciences sont laissés pour
compte et c’est l’un

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des problèmes que peut traiter la non-philosophie. La question


de la modélisation et
de l’interdisciplinarité déplace l’objet de la philosophie des
sciences, parce que celles-
ci peuvent prendre en compte les disciplines oubliées par
la première méthode. Mais
cette extension a donné lieu à des débats très vifs et la
réédition du petit livre d’Alain
Badiou sur le concept de modèle avait rendu plus
vive la lutte, parce qu’il s’en prenait
directement à la modélisation proposée par
Claude Lévi-Strauss en anthropologie.
Mais la question s’adressait aussi aux
biologistes qui, au travers de Jean-Marie
Legay, ont répondu à Alain Badiou. Mais
celui-ci, lors de la réédition de son ouvrage
en 2007, affirme qu’il reste valable tel
quel. Or en philosophie, la prise en compte de
la modélisation mettait en jeu la
question de la scientificité des sciences non
physiques et non mathématiques. Peut-on proposer une démarche en philosophie et
en épistémologie qui permette de
modifier les termes de ce problème ? Le grand
témoin de la journée philosophie,
François Laruelle, propose une vision différente,
tout en prenant pourtant comme
support la physique. Ce qui change, c’est que la
modélisation n’est plus un objet
extérieur à la philosophie, rejeté dans des sciences
dont l’unification théorique ne
serait pas suffisante et mis en œuvre par des
injonctions à l’interdisciplinarité. C’est
un élément décisif pour pluraliser les
approches en philosophie des sciences et en
épistémologie, et ne plus se contenter
d’une approche trop spontanée qui saurait
trop vite ce qu’est une théorie.

Par la modélisation, il y a donc des transferts possibles des méthodes de la 90


philosophie non standard. Il en a été question dans la discussion générale. L’une des
participantes, Muriel Mambrini-Doudet, biologiste et présidente du centre Inra de
Jouy-en-Josas, a mis en relation ces conceptions de la modélisation et de
l’interdisciplinarité avec ses propres propositions de « lieu d’interdiscipline » et de
mise en rapport modélisante de la philosophie et des disciplines biologiques
(Schmid, Mambrini-Doudet et Hatchuel, 2011).

L’une des particularités de la biologie est de ne pas avoir de théorie unificatrice :


elle 91
est composée de séries de disciplines qui n’ont pas les mêmes concepts ni les
mêmes
méthodes ni les mêmes rapports aux modèles. D’autre part, la biologie
actuelle est
capable de produire des données génériques en telle quantité par les
machines haut
débit, qu’aucune discipline n’est capable de les interpréter à elle seule.
La
construction d’un « lieu d’interdiscipline », qui n’est ni positif ni de l’ordre
disciplinaire, permet de modifier les rapports des disciplines de la biologie entre
elles.

Une autre caractéristique de la biologie est l’émergence de nouvelles biologies, 92


biologie synthétique, biologies prédictives. Il ne faut pas à leur propos recommencer
ce que l’on a fait pour les OGM végétaux, les penser comme une seule technologie,
les définir du seul point de vue de la biologie et convoquer l’éthique au niveau des
risques et de l’acceptabilité sociale. On opère encore de cette manière depuis
longtemps pour les nanotechnologies et l’on commence à le faire pour la biologie

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synthétique. Le modèle d’une interdisciplinarité matricielle, posée au niveau des


sciences elles-mêmes, permettra de traiter ces disciplines dans un cadre beaucoup
plus large et compréhensible où l’éthique sera un savoir des frontières génériques.

Il y a trois points à développer particulièrement : 93

–  
la matrice de mise en jeu des disciplines au sein desquelles la philosophie tient 94
la
même place que les autres disciplines tout en étant indispensable à l’extraction
des
savoirs générés par la matrice ; la rencontre générique – et le bon moment de
la
rencontre. Les données génériques demandent une nouvelle biologie ;
–  
la biologie générique ne pouvant exister, la série de disciplines de la biologie
ne
peut être liée par une autre discipline ou une nouvelle, la liaison se fait par le
milieu de la science générique. La philosophie à la fois alimente et contraint ce
milieu,
en posant une frontière et une exigence, et elle devient alors
indispensable et peut
soutenir le déroulé des implicites (la part de l’homme) qui
fondent en partie les
algorithmes et les modèles utilisés pour appréhender le
déluge de données ;
–  
la modélisation, qui n’en peut plus de son statut d’outil pour les biologistes,
pourrait trouver sa véritable nature dans ce mi-lieu ou ce lieu.

Pour traiter ces particularités de la biologie, le centre de recherches de l’Inra de


Jouy- 95
en-Josas a placé une philosophe, la responsable de ce chapitre, au cœur du
travail
scientifique. Elle y a ouvert son « atelier », c’est-à-dire un lieu où les concepts
génériques qu’elle extrait des philosophies fonctionnent comme la palette du
peintre, palette qui est une occasion de la peinture, mais ne permet pas de prédire
le
résultat de l’œuvre. Il s’agit à nouveau de combiner T × K sous K, mais en un lieu

sont données les conditions des biologies contemporaines. Les concepts
philosophiques et éthiques qu’elle propose sont percolés sous leur forme générique
(et non pas de doctrine ou de théorie), liés à la détermination de l’identité du centre
comme lieu d’interdiscipline.

Quant à la modélisation, Muriel Mambrini-Doudet et l’auteur de ce chapitre 96


conçoivent une fiction non plus entre quantique et philosophie, tout en faisant
usage de ses résultats, mais entre philosophie et biologies en tant que multiplicité
hétérogène de disciplines. C’est une autre hétérogénéité que dans le premier cas qui
est requise. Cette modélisation permet de penser les sciences selon un ordre
différent du classique qui voit en premier les mathématiques et la physique,
organisées par théories, ordre qui a valu longtemps aux biologies et aux sciences
humaines d’être traitées de sciences encore immatures. Admettons cette multiplicité
disciplinaire comme un trait scientifique spécifique, nous pourrons alors élaborer
un autre savoir de la biologie et sans doute un autre regard sur la physique,
montrant en elle aussi les inégalités disciplinaires. Dans cet esprit, Muriel
Mambrini-Doudet et Anne-Françoise Schmid travaillent à la rédaction d’un
Thesaurus des notions fondamentales pour concevoir des sciences futures. C’est là une

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continuation du concept de « virtuel » et de sa fiction au travers d’émergences


scientifiques nouvelles. Ce n’est pas si mal pour une philosophie, fût-elle la non-
philosophie, d’être ainsi immergée dans un centre de recherches scientifiques.

Il ne s’agit donc plus d’appliquer la philosophie à d’autres disciplines. Une telle 97


application, comme nous le faisions remarquer au début de ce chapitre, conduit à
ne
considérer dans la philosophie des sciences que les théories permettant une
unification. Avec cette nouvelle idée de modélisation et d’interdisciplinarité, nous
pouvons travailler avec des disciplines qui travaillent autrement que par cette
unification et pourtant sont scientifiques. La question d’une théorie unifiée se
déplace, entre philosophie et sciences, en fonction des variables de disciplines
réduites et non pas toujours entre disciplines scientifiques.

CONCLUSION

La vision d’une philosophie survolant les sciences ou parallèle à elles n’est plus 98
suffisante. Pour la prise en compte des sciences contemporaines, il y a maintenant
de nombreux essais philosophiques et épistémologiques qui changent la nature des
relations entre philosophies et sciences. Citons en français le livre de Léo Coutellec,
De la démocratie dans les sciences. Épistémologies, éthiques, pluralismes (2013). Mais la
revue Natures Sciences Sociétés a fait également le compte-rendu de trois colloques
(Atlanta, Hambourg, Denton et, à venir, Tübingen) du mouvement international
PIN (Philosophy of/as Interdisciplinarity Network, GeorgiaTech), engagé par
Robert
Frodeman, Michaël Hofmann et Jan C. Schmidt. Quel pourrait en effet être
le sens
d’une interdisciplinarité et d’une modélisation en philosophie ? Quel
changement de
régime philosophique pourraient-elles engager ? Une semblable
question a été posée
concernant l’interdisciplinarité en 2010, 2011 et 2012 par le
Philosophy of
Interdisciplinarity Network à Hambourg (Udo Keller Stiftung Forum
Humanun), à
Denton (North-Texas University) et à Tübingen (Udo Keller Stiftung
Forum
Humanum) : la philosophie de l’interdisciplinarité est-elle un commentaire
philosophique sur l’interdisciplinarité ou l’interdisciplinarité est-elle un régime de
nouvelles pratiques de la philosophie [9] ? De même, on peut imaginer un
commentaire philosophique sur la modélisation, cela existe sous plusieurs formes,
mais la modélisation a-t-elle un rôle dans la philosophie même ? Ces questions
témoignent du fait que la philosophie ne fonctionne plus toujours comme un
horizon pour les autres disciplines et qu’une sorte de redistribution est en train de
se
faire entre les sciences et les philosophies. Cette redistribution n’est pas encore
très
visible, elle se voit d’abord par une résistance aux pratiques classiques de la
philosophie en survol des sciences, mais si nous ne la postulons pas, bien des aspects
des philosophies et des sciences contemporaines ne sont plus compréhensibles, si ce
n’est dans des formes de relativisme dont on commence à voir les limites.

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C’est dans l’ensemble de ces questions des rapports des philosophies et de 99


l’interdiscipline que se place le débat entre François Laruelle et Alain Badiou, les
deux philosophes français qui ont parlé en même temps d’interdisciplinarité et de
modélisation.

Notes

[1] Cf. Badiou (1969/2007).

[2] Il ne reste aucun enregistrement de cette journée, c’est pourquoi nous nous
appuyons sur les textes qui ont été
prononcés et des témoignages de participants.

[3] Deux ouvrages ont suivi le travail de cette journée : Introduction aux sciences
génériques (2008) et Philosophie non-standard. Générique, quantique, philo-fiction (2010).

[4] En cohérence avec cette déclaration, François Laruelle ne fait pas de citations dans
ses ouvrages. Lorsqu’il se réfère
à un auteur, c’est autour de formules synthétiques.
C’est pourquoi on ne verra pas dans ce chapitre des références
aux auteurs cités
par lui.

[5] Merci à Yves Guermond d’avoir fait la traduction informatique de ce schéma.

[6] C’est le sens du « mathématisme » ou « platonisme » qu’il revendique encore


en 2007 (Badiou, 1969, p. 21 et
24). En 1969, il écrivait : « Parler de modèles, c’est
présupposer la ‘vérité’ (l’existence) de ces pratiques
mathématiques [sc. théorie des
ensembles, axiome d’induction…]. On s’établit dès le début dans la science. On ne
la reconstitue pas à partir de rien. On ne la fonde pas. » (Badiou, 1969, p. 104.)

[7] C’est un terme de Robert King Merton, repris par Jean Gayon.

[8] Communication personnelle lors d’une conversation le 27 février 2013.

[9] « New Practices of Philosophy », North Texas University, Denton, 6-9 mars 2011, R.


Frodeman(organisateur).

Plan
PRÉSENTATION

ACTE I. FRANÇOIS LARUELLE

Un parcours : introduction à la journée par François Laruelle


Le schéma du 18 juin 2007 et son explicitation comme « science virtuelle » ou première
esquisse de « philosophie non standard »
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La modélisation
L’interdisciplinarité

ACTE II. FRANCK VARENNE, LE COMPTE-RENDU DE LA RÉÉDITION DU


CONCEPT DE MODÈLE D’ALAIN BADIOU (2007)

Introduction
Le contexte : la critique de l’idéologie dans les sciences
La critique de l’empirisme logique
Les trois thèses centrales
Conséquences pour les modèles dans les sciences empiriques
Modèle et matérialisme en mathématiques : extériorité construite et extériorité plaquée
Bilan sur les modèles : adjuvants transitoires ou productions symboliques consacrées
Conclusion : à quoi Badiou a-t-il dit non ?

ACTE III. DISCUSSION


L’Anti-Badiou de François Laruelle (2012)
Actualité de la question dans les rapports entre philosophies et sciences. Lieu vécu
d’interdiscipline dans un centre de recherches biologiques

CONCLUSION

Bibliographie

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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Dossier,
A.-F. Schmid, Introduction et Conclusion, autres auteurs : J.-Y. Béziau
(Neuchâtel), S. Carvallo
(EC Lyon), J.-C. Dumoncel (Caen), M. Filippi (Lyon), J.
Leclere (Lyon), M. Lequan (Lyon),
F. Varenne (Rouen), F. Laruelle (Paris X Nanterre),
Natures Sciences Sociétés, vol. 14, n° 1, p. 54-
68. La suite de ce dossier a été publiée dans
l’ouvrage : Academos, 2012, Épistémologie des
frontières, Paris, Petra, 2012.

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ALTHUSSER L., 1974, Philosophie et philosophie spontanée des savants, série de cours
donnés à l’ENS en
1967, Paris, Maspero.

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Auteur
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Anne-Françoise Schmid

Mis en ligne sur Cairn.info le 01/12/2015


https://doi-org.ezpaarse.univ-paris1.fr/10.3917/quae.nicol.2014.01.0269


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