Vous êtes sur la page 1sur 40

ROYAUME DU MAROC

UNIVERSITE MOHAMED PREMIER


Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Sociales - Oujda

PROJET DE FIN D’ETUDE

POUR OBTENIR LA LICENCE EN


DROIT PUBLIC
Filière : Droit en langue français

Racisme anti-Noirs
au Maroc

Encadré par : Pr. Rabeh AYNAOU

Idriss AMRANI (Apogée n°1606651)


Réalisé par :
Amine MOQRAN (Apogée n°09005380)

2019-2020
“No one is born hating another person because
of the color of his skin, or his background, or his
religion.”
Nelson Mandela
Dédicaces

A Dieu Tout Puissant ;

A nos parents ;

A toute la famille ;

A nos professeurs ;

A nos amis et collègues

A tous ceux qui nous sont chers


Projet de fin d’étude 2020

REMERCIEMENTS

Nos sincères remerciements au Pr. Rabeh Aynaou.


Nous avons le grand plaisir de pouvoir exprimer notre
gratitude pour vos conseils, et vos efforts fournis ainsi
votre disponibilité.
Un spécial merci pour tout ce qui nous ont entourés de
leur gentillesse et assistés positivement à enrichir nos
connaissances et recherches.
Ainsi, à tous ceux qui ont contribués à l'élaboration de
ce travail, trouvent ici l'expression de nos vives
reconnaissances.

2
Projet de fin d’étude 2020

SOMMAIRE
INTRODUCTION .................................................................................................................5
CHAPITRE I : CONTEXTE GENERAL ET HISTORIQUE DU RACISME .........................................8
Section 1. Définition du mot race-racisme ............................................................................. 8
Section 2. L’Histoire ................................................................................................................ 17
CHAPITRE II : SOCIÉTÉ MAROCAINE ET LA LUTTE CONTRE LE RACISME .............................. 25
Section 1. Situation des noirs au Maroc ............................................................................... 25
Section 2. Politique publique du Maroc contre le racisme ................................................. 27
CONCLUSION ................................................................................................................... 37

SOMMAIRE
BIBLIOGRAPHIES 38
TABLES DES MATIERES 40

3
Projet de fin d’étude 2020

ABRÉVIATIONS

AECID : Agence espagnole de coopération internationale pour le développement


Art : article
BO : bulletin officiel
CNDH : Conseil national des Droits de l’Homme
DIDH : Délégation interministérielle au Droits de l’Homme
Et s. Et suivant
Ibid. : dans le même endroit
ICERD (CERD) : Comité pour l’élimination de la discrimination raciale
MCMREAM : Ministère chargé des marocains résidents à l’étranger et des affaires de
migration
n° : numéro
OIM : organisation internationale de migration
ONG : Organisation non gouvernementale
p. : Page
SNIA : stratégie nationale d’immigration et d’Asile
U.E : union européenne

4
Projet de fin d’étude 2020

INTRODUCTION
Le racisme est une idéologie qui, partant du postulat de l'existence de races au sein de l'espèce
humaine, considère que certaines catégories de personnes sont intrinsèquement supérieures à
d'autres. Il se différencie ainsi du racialisme qui, partant du même postulat, ne considère pas les
races comme inégales1. Cette idéologie peut amener à privilégier une catégorie donnée de
personnes par rapport à d'autres2. Il y’a deux définitions du racisme, au sens strict du terme,
comme « idéologie fondée sur la croyance qu'il existe une hiérarchie entre les groupes humains,
les « races » ; comportement inspiré par cette idéologie », et au sens large du terme, comme
« une attitude d’hostilité répétée voire systématique à l’égard d’une catégorie déterminée de
personnes ».3
Cette hostilité envers une autre appartenance sociale (que la différence soit culturelle, ethnique
– ou tout simplement due à une couleur de peau) – se traduit aussi par des formes
de xénophobie ou d’ethnocentrisme. Certaines formes d’expression du racisme, comme
les injures racistes, la diffamation raciale, la discrimination, sont considérées comme des délits
dans plusieurs pays.

Selon certains sociologues, le racisme s’inscrit dans une dynamique de domination sociale à
prétexte racial 4. Les idéologies racistes ont servi de fondement à des doctrines politiques
conduisant à pratiquer des discriminations raciales, des ségrégations ethniques et à commettre
des injustices et des violences pouvant aller, dans les cas extrêmes,
jusqu'au génocide selon Abraham Maslow et la pyramide de la haine. Ces idées s’appuyaient
initialement non sur des faits scientifiques, mais sur la malédiction de Canaan dans le Livre de
la Genèse6 et sur la « Table des peuples » qui en dérive. Le « racisme inversé » est pour sa part
une expression qui use du terme « racisme », mais décrit un acte ou un propos venant non des
membres d'un groupe social dominant, mais d'un groupe anciennement ou actuellement dominé
et sans adhérer aux idées racistes sous-tendant le suprémacisme blanc.

Le mécanisme perceptif du racisme peut être décomposé en plusieurs opérations logiques. Le


racisme se fonde sur la focalisation du regard du raciste sur une différence, souvent anatomique.
Elle peut être « visible » – la pigmentation de la peau – mais ne l’est pas nécessairement : le
regard raciste peut exister sans s’appuyer sur des différences visuelles évidentes. La
littérature antisémite a ainsi abondamment cherché, sans succès, à définir les critères qui
pourraient permettre de reconnaître visuellement les Juifs et a finalement dû mettre en avant
des différences invisibles, imperceptibles pour l'œil humain.

Le racisme associe des caractères physiques à des caractères moraux et culturels. Il constitue
un système de perception, une « vision syncrétique où tous ces traits sont organiquement liés et

1
Gilles Ferréol (dir.), Dictionnaire de sociologie, Armand Colin, Paris 2010, (ISBN 9782200244293)
2
Pierre-André Taguieff, La Force du préjugé, Gallimard, Paris 1990
3
Définition du petit Larousse.
4
M. Desmond et M. Emirbayer, article What is racial domination ? in : Du Bois Review : Social Science Research
on Race 6(2), pp. 335-355, 2009.

5
Projet de fin d’étude 2020
en tout cas indistinguables les uns des autres »5. L'identification des traits physiques ou la
reconnaissance du signe distinctif (l'étoile juive par exemple) génère immédiatement chez le
racisant une association avec un système d'idées préconçues. Dans le regard du racisant,
« l'homme précède ses actes »6. Si la focalisation du regard raciste rend le corps visé plus visible
que les autres, il a donc aussi pour effet de faire disparaître l’individualité derrière la catégorie
générale de la race. Le raciste considère les propriétés attachées à un groupe comme
permanentes et transmissibles, le plus souvent biologiquement. Le regard raciste est une activité
de catégorisation et de clôture du groupe sur lui-même.

Le racisme s’accompagne souvent d’une péjoration des caractéristiques du groupe visé. Le


discours raciste n’est toutefois pas nécessairement péjoratif. Pour Colette Guillaumin, les
« bonnes caractéristiques font, au même titre que les mauvaises caractéristiques, partie de
l’organisation perceptive raciste »7. La phrase « Les Noirs courent vite » constitue ainsi un
énoncé raciste malgré son apparence méliorative.

Le discours raciste peut évoquer la supériorité physique des groupes visés (ainsi la vigueur ou
la sensualité des Noirs) pour souligner par contraste leur infériorité intellectuelle. Les qualités
qui leur sont attribuées (l’habileté financière des Juifs par exemple) sont la contrepartie de leur
immoralité ou alimentent la crainte de leur pouvoir souterrain.
Mais plus encore, au-delà du contenu — positif ou négatif — des stéréotypes racistes, l’activité
de catégorisation, de totalisation et de limitation de l’individu à des propriétés préconçues n’est
en soi pas une activité neutre du point de vue des valeurs. Dans cette perspective, voir et penser
le monde social dans les catégories de la race relève déjà d'une attitude raciste.
Au Maroc, les Amazighs, migrants et minorités religieuses sont les principales victimes du
racisme. Cependant, le racisme anti-noir reste la forme de racisme la plus connue.

C’est ainsi que des expressions comme «Aâzzi», «draoui», etc., sont régulièrement utilisées
pour désigner les Marocains ou les étrangers dont la peau est noire. Bien que la conscience de
ce problème ne soit pas encore généralisée ni pratiquée, la reconnaissance du phénomène
commence à voir le jour 8. Les Noirs subissent des discriminations au Maroc, y compris quand
ils ont la nationalité marocaine.

Les Marocains sont-ils racistes ? Les voix qui s’élèvent parfois au sein de la société civile pour
dénoncer certaines pratiques liées au racisme, à la xénophobie et autres formes de
discriminations sont loin d’être une pratique banalisée au Maroc 9. Le Maroc ne dispose

5
Colette Guillaumin, « Race », Pluriel-recherches : Vocabulaire historique et critique des relations inter
ethniques, Cahier no 2, p. 67
6
Zygmunt Bauman, Modernité et Holocauste, La Fabrique, Paris, 2002, p. 110
7
Colette Guillaumin, L’Idéologie raciste. Genèse et langage actuel, Gallimard, 2002, p. 275.
8
B. Khansaa, «L'histoire du racisme anti-Noirs au Maroc », revue le brief.ma, publié le 01/08/2019,
https://www.lebrief.ma/1884-lhistoire-du-racisme-anti-noirs-au-maroc
9
Mohamed Ali Mrabi, « Lutte contre le racisme et les discriminations : Des défaillances persistent encore »,
E-L ’Economiste, Edition N°:5421 Le 27/12/2018. https://www.leconomiste.com/article/1038575-lutte-contre-
le-racisme-et-les-discriminations-des-defaillances-persistent-encore

6
Projet de fin d’étude 2020
d’aucune législation complète en la matière. En dépit des efforts, des migrants subsahariens
font toujours l’objet de stéréotypes racistes.
Pour Albert Memmi, le racisme désigne : « la valorisation généralisée et définitive, de
différences, réelles ou imaginaires, au profit de l'accusateur et au détriment de sa victime, afin
de légitimer une agression... Le racisme est l'utilisation profitable d'une différence »10.

En d'autres termes, la question du racisme ne se réduit pas simplement à la couleur de la peau.


Elle s'applique, de façon plus vaste à la différence ; laquelle différence peut être aussi bien
sexuelle, économique, religieuse que raciale et la liste est loin d'être exhaustive 11.

Donc la question problématique qui se pose ; Y’a-t-il un racisme anti-noir au Maroc qui est une
partie de l’Afrique ?

Pour cela, notre étude se devise en deux chapitres, le premier qui définit et présente la cadre
général et historique du racisme, et en deuxième chapitre qui expose et analyse la situation des
noirs au Maroc ainsi que les mesures politiques et réglementaire adoptées par l’Etat marocain.

10
Albert Memmi, Le racisme, description, définitions, traitement, Paris, Gallimard, 1994, p. 14
11
Ives SANGOUING LOUKSON, Ecriture romanesque post-apartheid chez J.M. Coetzee et Nadine Gordimer,
master 2, Université de Yaoundé, 2000, p128

7
Projet de fin d’étude 2020

CHAPITRE I. CONTEXTE GENERAL ET HISTORIQUE DU RACISME


Dans ce chapitre, il est opportun de définir la race-racisme (section 1), en présentant l’histoire
du racisme anti-noir.

Section 1. Définition du mot race-racisme


A. Notion du racisme

Le terme « racisme anti-noir » est notamment utilisé par des groupes qui luttent spécifiquement
contre le racisme à l'égard des Noirs.

Le racisme est une idéologie postulant une hiérarchie des races. Le racisme est un système de
théories et de croyances individuelles ou collectives selon lesquelles il existe des "races" dans
l'espèce humaine et une hiérarchie entre elles. Les individus sont réduits à un ensemble de
critères identitaires considérés comme spécifiques et sur lesquels il est porté des jugements de
valeur : inférieurs, nuisibles...

Ces théories servent alors à légitimer des doctrines politiques racistes qui recherchent la
domination d'une "race", considérée comme pure et supérieure, sur les autres. Des droits,
reconnus à certains, sont contestés à d'autres. Au-delà du sentiment d'hostilité envers un groupe
racial, le racisme sert à justifier des entreprises de marginalisation, de ségrégation, d'exclusion,
d'anéantissement, de génocide. 12

Si la notion de « race humaine » et le concept du racisme sont partie liée, l’étude de leurs
relations nécessite d’opérer une première distinction entre la race en tant que concept biologique
et la race en tant que Constructivisme social que l’on peut définir comme « un signe ou un
ensemble de signes par lesquels un groupe, une collectivité, un ensemble humain est identifié,
dans certains contextes historiques précis, cette apparence socialement construite variant
suivant les sociétés et les époques »13.

Au cours de l'histoire, les définitions sociales de la « race » se sont souvent appuyées sur de
présupposés caractères de nature biologique. La race (en tant que construction sociale) est
cependant devenue largement indépendante des travaux menés sur la classification biologique
des êtres humains qui ont montré que la notion de race humaine n'est pas pertinente pour
caractériser les différents sous-groupes géographiques de l'espèce humaine, car la variabilité
génétique entre individus d'un même sous-groupe est plus importante que la variabilité
génétique moyenne entre sous-groupes géographiques14.

Définir le racisme, pas plus que celui de « race », le « concept » de « racisme » ne semble aisé
à définir. D'ailleurs, ne faudrait-il pas parler de racismes au pluriel et acter qu'il n'y a pas un,
mais des racismes ? Selon Claude-Olivier Doron, les définitions du racisme auraient ainsi été

12
Dictionnaire la Toupie, http://www.toupie.org/Dictionnaire/Racisme.htm
13
Pierre-Jean Simon, Pour une sociologie des relations interethniques et des minorités, PU Rennes, 21 août
2006, p347 (ISBN 275350248X)
14
Alberto Piazza, « Un concept sans fondement biologique [archive] », Aux origines de la diversité humaine - la
science et la notion de race, 30/09/1997, La Recherche no 302, p. 64.

8
Projet de fin d’étude 2020
trop longtemps marquées, par une dichotomie « artificielle » et « mystifiante » entre «
universalisme » et « différencialisme », « monogénisme » et « polygénisme », ou encore «
égalitarisme » et « essentialisme des différences » — la pensée « raciste » étant
systématiquement associée au deuxième terme de ces alternatives15. Ce faisant, ces définitions
auraient eu une fonction d’occultation en ce que, « systématiquement surdéterminées par le
problème de l’altérité », elles auraient permis d’exempter de « racisme » « ceux qui ne
[correspondaient] pas aux critères qu’on [avait] définis a priori »16.

Magali Bessone, quant à elle, pointe le biais américano-centré des recherches critiques
mondiales sur le racisme, correspondant pourtant à un terrain et un contexte socio-historique
particulier, marqué par le « problème noir ». Or il faut prendre en compte les spécificités qui
donnent aux racismes des déclinaisons différentes. Notamment, il importe pour elle d'assumer
enfin de travailler sur ce qu'elle nomme « dilemme français » en écho à l'ouvrage célèbre aux
Etats-Unis de Gunnar Myrdal, The American Dilemma : the negro problem and Modern
Democracy (1944). La France est marquée par une histoire coloniale particulière, complexe,
violente (guerre d'Algérie), et non encore terminée ; par la mémoire de Vichy et de
l'antisémitisme. Ne faut-il donc pas se doter d'outils d'analyses spécifiques pour analyser la
question du racisme français envers les « immigrés », les Rom, etc. ?

D'un autre côté, cette pluralité de « racismes » nationaux ne doit pas empêcher de prendre en
compte des problématiques transversales. Il s'agira ainsi encore de s'interroger sur ce que
Hourya Benthouhami-Molino appelle la « spécificité du racisme post-colonial »17, mais aussi
sur l’opposition convenue entre racisme biologique et racisme différencialiste ou culturel.
Enfin, quelle est la place de l'analyse du racisme dans le questionnement intersectionnel ? Des
recherches récentes comme celles d'Elsa Dorlin ont mis l’accent sur le lien généalogique entre
« sexisme » et « racisme »18. Comment l'approche intersectionnelle permet-elle à la fois
d'enrichir la compréhension du phénomène, dans quelle mesure nous invite-t-elle à le redéfinir
? Une telle approche nous amène-t-elle à dissoudre la question du racisme ? Enfin, dans la
mesure où l'absence de « race »19 (blancheur) peut avoir elle-même une signification raciste,
les travaux de Shannon Sullivan nous invitent à déplacer la question du racisme vers l'analyse
critique des privilèges raciaux, et à ne pas se contenter de l'étude des discriminations envers les
personnes « racisées ».

Il s’agira donc de se demander comment élaborer une définition du « racisme », suffisamment


large pour embrasser la pluralité de ses formes et permettre de le déceler là où on n’a pas pris

15
Doron Claude-Olivier et Lallemand-Stempak Jean-Paul, « A New Race Paradigm ? », in La Vie des idées, p10,
http://www.booksandideas.net/A-New-Race-Paradigm.html.
16
doron Claude-Olivier, ibid., p. 11. Voir aussi l’essai fondamental d’Etienne Balibar, « Y a-t-il un “néo-
racisme” ? », in Etienne Balibar et Immanuel Wallterstein, Race, nation, classe. Les identités ambiguës, Paris, La
Découverte, 1988.
17
Bentouhami-Molino Hourya, Race, cultures, identités. Une approche féministe et postcoloniale, Paris, PUF,
2015, p 7
18
Sur ce point, voir en particulier l’ouvrage d’Elsa Dorlin, La Matrice de la race, Paris, La Découverte, 2009.
19
Cf. Didier Fassin et Éric Fassin (dir.), De la question sociale à la question raciale ? Représenter la société
française, Paris, La Découverte, 2006.

9
Projet de fin d’étude 2020
l’habitude de le voir, mais en même temps assez précise, de sorte qu’il ne devienne pas un
concept « fourre-tout », recouvrant des formes hétérogènes de domination et de discrimination.
Pour terminer, c’est sur la causalité circulaire « race » / « racisme » qu’il sera opportun de se
pencher. C’est la tendance à reconduire le racisme à une forme de xénophobie spontanée,
d’intolérance populaire, liée à l’absence d’éducation, et/ou aux dépressions économiques qu’il
s’agit d’interroger radicalement. Ainsi, pour Éric Fassin, la « race » est un produit des politiques
publiques, et c'est cette race qui serait, selon lui, cause du racisme : « Le racisme est l’effet de
la race et non sa matrice », écrit-il20. Il parle alors de « politique de la race » – au sens où la race
devient l’effet ou le produit d’une politique pouvant dans cette perspective être qualifiée de
« raciste »21. L’approche épistémologique rencontre ainsi la question, souvent réduite à sa figure
rhétorique, du rapport entre l’individu et la communauté (réelle et/ou imaginaire : société,
peuple, nation, État) dans la production de la race et du racisme.
La définition de la race :

Dans sa définition du mot « race », Dobzhansky (1946) note que :


« On définit par le mot race les populations qui se différencient au niveau de l’incidence
génétique, mais qui en réalité échangent ou pourraient échanger des gènes au-delà des frontières
(habituellement géographiques) qui délimitent les populations ».

Dans ce cas, on entend par race les caractéristiques héréditaires d’un fonds génétique commun
ou d’une population d’accouplement. Le terme fait référence à un concept biologique et
génétiquement déterminé. En revanche, cette acception scientifique a beaucoup été critiquée.
Tout d’abord, on estime que l’emploi du terme exacerbe le problème du racisme. Certains afro-
américains préfèrent le mot couleur ou l’expression « colorisme » parce que la couleur de la
peau est le principal signe de différence. D’autres, par contre, remettent en cause la notion à
cause de l’hybridation (Bhabha, 1994) ou du mélange des races, dont l’évolution est due à la
mondialisation et la migration des peuples. L’identité devient ici très subjective, surtout parce
que le racisme ne reconnaît pas la filiation blanche et l’héritage des personnes métissées. Le
concept de race perd ici une grande part de sa valeur parce que ces personnes sont identifiées
par leur couleur de peau plus foncée et non par leur origine ethnique. Enfin, l’emploi du concept
de race est d’autant plus délicat parce que malgré le fait qu’il favorise le racisme avant de définir
une différence biologique, c’est d’abord et avant tout une construction sociale.

En dehors de toutes ces problématiques, le concept sert principalement à perpétuer le racisme,


que cherchent à enrayer les organisations antiracistes à travers le monde, de même que la
Commission ontarienne des droits de la personne. La « race » est une réalité biologique qui
donne lieu à la perception de la différence, qui elle crée le racisme. Si l’étayage théorique de la

20
La « question rom », in É. Fassin, C. Fouteau, S. Guichard, A. Windels, Roms et riverains. Une politique
municipale de la race, Paris, La Fabrique, 2014, p. 41
21
Idem. Cf. également Cette France-là (collectif), Xénophobie d’en haut. Le choix d’une droite éhontée, Paris,
La Découverte, 2012.

10
Projet de fin d’étude 2020
relation entre la race et la construction du racisme est complexe, il constitue aussi un enjeu par
rapport à l’établissement des politiques. 22
Le terme race dérive probablement du mot arabe « ras » signifiant tête ; le terme fut utilisé dès
la fin du XIVe siècle dans le sud de l'Espagne et à partir du XVI e siècle en France et en
Allemagne. Dès le XVe siècle les explorateurs européens, lors des grandes découvertes, donnent
à cette notion une illustration spectaculaire : ils font connaître les nouveaux animaux et les êtres
humains rencontrés. Ils ramènent notamment des Africains ou des Américains et les exhibent
devant les Européens incrédules qui les regardent comme des copies imparfaites d'eux-mêmes.
Même si le pape Paul III proclame par la bulle Sublimis Deus de 1537 que les Indiens sont
véritablement des hommes (veros homines) aptes à recevoir la foi, le chanoine de Cordoba,
Sepulveda, légitime les guerres menées par Cortés par le fait que les Indiens étaient barbares,
esclaves de nature, et qu'ils faisaient des sacrifices humains. 23

B. L'Anthropologie et le concept de races

Peut‑on dire que l'anthropologie a suivi jusqu'aux années 1950 l'approche classificatoire de
Linné et ensuite l'approche interprétative de Buffon ? Ce serait oublier le contexte historique
des travaux de Linné et de Buffon et ce serait par trop schématiser l'histoire de l'anthropologie.
Il n'empêche que l'anthropologie par sa quête de classification en races (combien sont‑elles ?
quelles sont leurs caractères distinctifs ?) s'était embarquée dans une voie sans issue et dans un
cadre de pensées périmé au vu des acquis de la biologie. En cherchant à décrire des
sous‑espèces, elle légitimait en fait la possibilité que l'espèce humaine soit subdivisée en un
petit nombre de races. Les progrès de la biométrie, de la craniométrie, de l'étude statistique de
la variabilité, et de la génétique confirmeront que la question était mal posée.

Les concepts idéologiques de race et de racisme ne se sont pas développés avec l'hitlérisme
mais sont clairement exprimés dès le XVIIIe siècle dans des écrits nationalistes. C'est
notamment le cas en France avec, dès 1732, son essai sur la noblesse française où le comte de
Bougainvilliers défend la thèse de l'origine franque et, à ce titre, de l'excellence des grandes
familles, dont le pouvoir se voyait peu à peu rongé par la monarchie absolue.
Les études scientifiques raciales débutent dès les années 1775 par les travaux de Johan Friedrich
Blumenbach (1752‑1840) De generis humani varietata nativa, qui, dans le même esprit que
Linné, décrit quatre variétés humaines, puis cinq dans la seconde édition (1781). Il s'agit des
Caucasiens (Europe, Asie de l'Ouest, Afrique du Nord, Esquimaux), des Mongoliens (Asie de
l'Est), des Ethiopiens (Afrique sub‑saharienne), des Américains (Nouveau Monde sauf les
Esquimaux) et des Malais (Océanie). Il faut souligner que Blumenbach a pris deux précautions,
celle de n'utiliser que des caractères physiques dans ses descriptions et celle de reconnaître que
sa classification en variétés (et non en races) est arbitraire dans la mesure où elle fait appel à
des caractères dont la variation est continue et où les limites entre groupes humains ne peuvent

22
Frances Henry, Les concepts de race et de racisme et leurs implications pour la Commission ontarienne des
droits de la personne, décembre 2004, http://www.ohrc.on.ca/fr/les-articles-du-dialogue-sur-la-politique-
raciale/les-concepts-de-race-et-de-racisme-et-leurs-implications-pour-la-commission-ontarienne-des-droits-de
23
Jean Deligne, Esther Rebato et Charles Susanne, race et racisme, (journal des anthropologues), 2001,
https://journals.openedition.org/jda/2619

11
Projet de fin d’étude 2020
donc pas être clairement établies. Les termes de race et variété furent utilisés par la suite de
manière interchangeable par Jean‑Baptiste Lamarck et Georges Cuvier. Les variétés de
Blumenbach furent popularisées sous le nom de races blanches, jaunes, noires et rouges. Mais,
puisque ces divisions étaient arbitraires, rien n'empêchait d'en proposer des subdivisions (tout
aussi arbitraires) et le pas fut vite franchi : ainsi les Européens furent‑ils qualifiés de Nordiques,
de Méditerranéens ou d'Alpins. Ces études apportent comme seule conclusion que les
populations sont différentes, mais le seuil au‑delà duquel une différence permettrait de séparer
deux races n'est pas défini. On reste donc dans un système purement arbitraire.

C'est d'ailleurs ce que soutiendra Charles Darwin dans le chapitre VII de The Descent of Man
and Selection in Relation to Sex (1871), où il écrit que les races de l'homme ne sont pas
suffisamment différentes pour qu'on puisse réellement les distinguer et que les populations
humaines fusionnent couramment.
En 1855, le comte Arthur de Gobineau (1816‑1882) publie son Essai sur l'inégalité des races
humaines où il développe la théorie selon laquelle la civilisation se développe et s'anéantit en
proportion de la pureté du « sang aryen ». Cet ouvrage est le produit d'une aristocratie française
en perte de pouvoir. C'est un pamphlet contre la démocratie et l'égalitarisme, une défense
perfide de l'aristocratie et du féodalisme. Ces idées n'eurent peut‑être pas de grand
retentissement dans l'immédiat mais reprirent vigueur au tournant du siècle au moment où
d'autres livres s'inspirèrent nettement des idées de Gobineau. Citons La Genèse du XIXe siècle
publié dès 1899 en Allemagne par Houston Steward Chamberlain et The Passing of the Great
Race publié en 1916 aux USA par Madison Grant. Moins connus peut‑être, Jules Soury et
Maurice Barbes, figures de proue des anti-Dreyfus, populariseront le nationalisme fondé sur la
race dans les Déracinés, livre culte pour des générations de nationalistes.

Dans les années 1920, Earnest Hooton adopte une position qui se démarque de l'eugénisme
raciste : il attire en effet l'attention sur la variation biologique existant au sein des populations
(le polymorphisme) et souligne que dans toutes les races des individus peuvent présenter des
caractères favorables ou défavorables. La mode restant à l'étude des races, cette variation entre
individus d'un même groupe fut cependant considérée comme de moindre intérêt que celle entre
groupes d'individus. Pour classer les races il propose par ailleurs d'utiliser des caractères non-
adaptatifs, tels que la forme et la couleur des cheveux et des yeux, la forme des lèvres, des
oreilles, du menton, etc. Malgré ces idées et ces techniques nouvelles, l'existence même des
catégories raciales n'était nullement remise en cause.

Les anthropologues se passionnent pour le crâne et le cerveau. Le badois Franz Josef Gall
(1758‑1828) crée en 1795 la phrénologie qui prétend établir des corrélations précises entre la
forme du crâne, le développement de différentes parties du cerveau et des caractéristiques
comportementales supposées programmées de façon héréditaire dans le cerveau. Le XIXe siècle
sacrifiera à la mode de cette phrénologie, dont Darwin se moquait en rappelant qu'elle lui avait
reconnu, enfant, les aptitudes à devenir un excellent membre du clergé !

Paul Broca (1824‑1880) développe la craniométrie. Cet anthropologue et neurochirurgien


français, qui fonde en 1859 la première organisation d'anthropologie européenne (la Société
d'anthropologie de Paris) publie de nombreuses analyses statistiques et cherche à mettre ces

12
Projet de fin d’étude 2020
données en relation avec des différences raciales. Les travaux de Broca s'inscrivent dans un
courant de pensée dominant du XVIIIe siècle au début du XXe qui s'appuie largement sur le
raisonnement suivant : le cerveau contient les idées, différents individus ont différentes idées,
la qualité du cerveau est donc à l'origine de la qualité des idées. Les anthropologues allemands
des années 1930, Baur, Fischer et Lenz, dans leur livre sur l'hérédité humaine, développeront
cette idée que le cerveau diffère largement en fonction du degré de civilisation de leurs
possesseurs et qu'il est donc d'intérêt anthropologique. Pour la petite histoire, Baur décédera en
1933, Fritz Lenz rejoindra le parti nazi en 1937 et dirigera un département de l'institut
d'anthropologie Kaiser Wilhelm, tandis qu'Eugen Fisher, rallié aux nazis en 1940, deviendra le
directeur de cet institut. Ces fausses interprétations se basent sur le fait réel que l'esprit est
matérialisé dans le cerveau et non, par exemple, dans le pancréas mais il est non moins clair
que le cerveau ne sécrète pas les idées comme le pancréas sécrète l'insuline : la culture ambiante
influence profondément les valeurs et les pensées des individus. Cependant, ce n'est que bien
plus tard que l'anthropologie s'en rendra compte.

Le XIXe siècle s'intéresse aussi à la capacité crânienne, pour laquelle invariablement les
données publiées attribuent aux Européens des valeurs plus élevées qu'aux autres peuples. A la
moitié du siècle l'indice céphalique est proposé par l'anatomiste suédois Anders Retzius. Cet
indice devient un élément clé des études raciales et des théories sur l'évolution des populations
à la suite de migrations et du métissage de peuples à tête allongée ou ronde. Par une étude sur
des migrants juifs et siciliens, Boas montre cependant dès 1890 la plasticité importante de cet
indice. Bien que cette plasticité soit confirmée par Shapiro et Hulse en 1939 par une étude sur
des Japonais, elle est minimisée par des auteurs réputés tels qu'Hooton, Baur, Fisher et Lenz :
l'indice resta longtemps considéré comme essentiellement héréditaire.

Il résulte de ces recherches qu'une grande variabilité existe au sein de chaque « race », ce qui
amènera Broca et son étudiant, Paul Topinard, à développer le concept de « type » :
morphologie idéale pouvant caractériser un groupe et que certains individus de ce groupe
atteignent mieux que d'autres. Les populations modernes sont supposées consister en un
mélange de types (dolichocéphales, brachycéphales, alpins, nordiques...) héréditaires ou races
: en décrivant ces types, on supposait reconstruire la contribution de différentes races au sein
d'une population24.

Section 2. Histoire
A. Le cadre global
Le racisme se fonde sur la focalisation du regard du raciste sur une différence, souvent
anatomique. Elle peut être « visible » – la pigmentation de la peau – mais ne l’est pas
nécessairement : le regard raciste peut exister sans s’appuyer sur des différences visuelles
évidentes.

24
Jean Deligne, Esther Rebato et Charles Susanne, race et racisme, (journal des anthropologues), 2001,
https://journals.openedition.org/jda/2619 (consulté le 01/09/2020)

13
Projet de fin d’étude 2020
Les historiens et les ethnologues ne sont pas d'accord sur la question de l’origine du racisme ;
deux conceptions principales s'opposent à ce propos. La première considère que le racisme est
un sous-produit du capitalisme européen, en lien avec le colonialisme. La seconde que
différentes formes de racisme se sont succédé au cours de l’histoire en Europe, et ce depuis
l'Antiquité25.

Dans les pays du nord de l’Afrique ayant connu la traite transsaharienne, comme le Maroc
jusqu’à la fin du dix-neuvième siècle, la question du passé de l’« esclavage » se trouve associée
à la situation des « noirs » dans la société. Pour ces pays, faut-il le rappeler, le rapport au passé
de l’« esclavage » et aux « noirs » ne s’inscrit pas dans le modèle historique qui passe de la
violence esclavagiste à la victoire de l’abolitionnisme, de la ségrégation raciale à
l’émancipation, de la culpabilité au dédommagement moral, voire financier, forgé sur
l’expérience de l’« esclavage » aux Etats-Unis d’Amérique. L’histoire de la lente disparition de
l’« esclavage » au Maroc au cours de la première moitié du vingtième siècle, où cette institution
n’a jamais été officiellement abolie, est, à cet égard, exemplaire.
Il s’agit ici d’apporter quelques éclairages sur le rapport complexe qu’entretient la société
marocaine avec le passé de l’« esclavage » et les « noirs » en s’intéressant au fond historique
sur lequel s’est construite la mémoire marocaine de ces questions. Ce passé, c’est celui, proche,
de la période de la colonisation française, qui couvre au Maroc la première moitié du vingtième
siècle (1912-1956). Dans ce propos, j’essaierai de mettre en regard la disparition de
l’« esclavage » et l’évolution du rapport entre statut social et couleur de la peau.
A l’aube du vingtième siècle, les « esclaves » sont bien présents dans le paysage social marocain
mais leur nombre reste difficile à évaluer. 26
Les travaux menés par l’historien Bernard Lewis sur les représentations développées par la
civilisation musulmane à l’égard des autres êtres humains concluent sur l’existence d’un
système perceptif qu’il qualifie de raciste, notamment à l’égard des populations noires 27.

Au Moyen Âge, le racisme des Arabes à l'égard des Noirs, en particulier des Noirs non
musulmans, fondé sur le mythe 28 de la malédiction de Cham, le père de Canaan, prononcée
par Noé, servit de prétexte à la traite négrière et à l'esclavage, qui, selon eux, s'appliquait aux
Noirs. Les Noirs étaient donc considérés comme « inférieurs » et « voués » à l'esclavage.
Plusieurs auteurs arabes les comparaient à des animaux 29. Le poète al-Mutanabbi méprisait le
gouverneur égyptien Abu al-Misk Kafur au xe siècle à cause de la couleur de sa peau 30. Le mot

25
Christian Del campagne, L'invention du racisme, Antiquité et Moyen-Age, Fayard, 1983 (ISBN 2-213-01117-6).

26
Rita Aouad BADOUAL, Esclavage » et situation des « noirs » au Maroc dans la première moitié du XX e siècle,
2003, p337.
27
Bernard Lewis, Race et couleur en terre d’Islam, Paris : Payot, 1982. On se reportera aussi à David Brian
Davis, Slavery and human progress, chap. 4.
28
Simone Bakchine Dumont, « Le thème chamatique dans les sources rabbiniques du Proche-Orient, du début
de l'ère chrétienne au XIIIème siècle », Éthiopiques – Revue trimestrielle de culture négro- africaine,
Dakar, vol. III, nos 40-41 « 1-2 », 1er trimestre 1985.
29
Catherine Coquery Vidrovitch, « Le postulat de la supériorité blanche » dans Marc Ferro, Le Livre noir du
colonialisme, p. 867
30
Serge Bilé, Quand les noirs avaient des esclaves blancs, Pascal Galodé éditeurs, Saint-Malo, 2008 (ISBN 978-2-
35593-005-8), p. 43

14
Projet de fin d’étude 2020
arabe aabd (pl. aabid) qui signifiait esclave est devenu à partir du VIIIe siècle plus ou moins
synonyme de « Noir »31, prenant une signification similaire au terme "nègre" dans la langue
française du XXe siècle. Quant au mot arabe zanj, il désignait de façon péjorative les Noirs 32,
avec une connotation raciale officielle que l'on retrouve dans les textes et discours racialistes.
Ces jugements racistes étaient récurrents dans les œuvres des historiens et des géographes
arabes : ainsi, Ibn Khaldoun a pu écrire au XIVe siècle : « Les seuls peuples à accepter vraiment
l'esclavage sans espoir de retour sont les nègres, en raison d'un degré inférieur d'humanité, leur
place étant plus proche du stade de l'animal ». À la même période, le lettré égyptien Al-Abshibi
écrivait : « Quand il [le Noir] a faim, il vole et lorsqu'il est rassasié, il fornique »33. Les Arabes
présents sur la côte orientale de l'Afrique utilisaient le mot « cafre » pour désigner les Noirs de
l'intérieur et du Sud. Ce mot vient de kāfir qui signifie « infidèle » ou « mécréant »34.

L'esclavage est la condition d'un individu privé de sa liberté, qui devient la propriété,
exploitable et négociable comme un bien matériel, d'une autre personne. L'existence
d'un esclavage en Égypte antique fait l'objet d'un débat parmi les égyptologues, aussi bien
dans sa définition que dans son application. Si les spécialistes s'accordent pour dire que
l'esclavage, tel qu'il se pratiqua dans la Grèce antique, n'a pas existé en Égypte avant la période
ptolémaïque, plusieurs formes de servitudes existaient néanmoins dans la civilisation
égyptienne comme :

 La corvée, imposée à tous pour les grands travaux tels que l'entretien des canaux
d'irrigation ou la construction de grands monuments ; pendant la période où, chaque
année, la crue du Nil empêchait tous travaux agricoles, c'était aussi sans doute une façon
d'occuper la population et d'éviter les dérives auxquelles peut conduire le
désœuvrement ;

 Les condamnations de droit commun qui se traduisaient dans certains cas par
des travaux forcés ; cet état pouvait, dans certains cas, se transmettre à la génération
suivante.

Les traites négrières orientales, dont la transsaharienne (dite « traite arabe »), et la traite négrière
transatlantique vers le continent américain sont les plus importantes des pratiques esclavagistes
du fait de leur durée (respectivement onze et quatre siècles), de leur ampleur (plusieurs dizaines
de millions d'individus réduits à l'état d'esclaves en tout), et de leur impact sociologique, culturel
et économique tant dans les régions esclavagistes qu'en Afrique, où se trouvaient les trois grands
lieux du trafic d'esclaves : Tombouctou, Zanzibar et Gao.

Ponctuellement condamné depuis l'Antiquité (par des autorités morales et parfois politiques),
formellement interdit concernant tout peuple chrétien, ou non, connu ou à découvrir, par le pape

31
Serge Bilé, Quand les noirs avaient des esclaves blancs, Pascal Galodé éditeurs, Saint-Malo, 2008 (ISBN 978-2-
35593-005-8), p. 30
32
Jacques Heers, Les Négriers en terre d'islam, Perrin, coll. « Pour l'histoire », Paris, 2003 (ISBN 978-2-262-01850-
4), p. 117
33
Bernard Lewis, Race et couleur en pays d'islam, Payot, p. 40.
34
François-Xavier Fauvelle-Aymar, Histoire de l'Afrique du Sud, Paris, Seuil, 2006 (ISBN 978-2-02-048003-
1), p. 59

15
Projet de fin d’étude 2020
Paul III en 1537 et 252 ans plus tard par les différentes déclarations des droits de l'homme,
l'esclavage n'a été aboli que tardivement. Il est aujourd'hui officiellement interdit (via par
exemple le pacte international relatif aux droits civils et politiques) mais le travail forcé, la traite
des êtres humains, la servitude pour dettes, le mariage forcé et l'exploitation sexuelle
commerciale sont des pratiques souvent assimilées à de l'esclavage.

Rome pratiquant l'esclavage, comme d'autres peuples antiques, le latin disposait de plusieurs
termes pour désigner l'esclave selon son statut6 mais celui que l'on retient généralement est le
mot servus qui a conduit aux termes « servile » et « servitude », relatifs à l'esclave et à sa
condition. Ce mot a aussi donné naissance aux termes « serf » du Moyen Âge et aux modernes
« service » et « serviteur ».

B. L’historique du racisme anti-noir au Maghreb


Au Maghreb comme le Maroc, les Amazighs, migrants et minorités religieuses sont les
principales victimes du racisme. Cependant, le racisme anti-noir reste la forme de racisme la
plus connue.
C’est ainsi que des expressions comme «Aâzzi», «draoui», etc., sont régulièrement utilisées
pour désigner les Marocains ou les étrangers dont la peau est noire. Bien que la conscience de
ce problème ne soit pas encore généralisée ni pratiquée, la reconnaissance du phénomène
commence à voir le jour.

Des études visant à restaurer le rôle oublié des Noirs en Afrique du Nord viennent seulement
de commencer. Elles visent à remettre en question les interprétations conventionnelles de
l’esclavage en terre d’islam, de raconter l’histoire des sous-représentés et de révéler le système
d’inégalité, les sentiments de supériorité et la narration nationaliste en tant que système de
contrôle social des minorités marocaines marginalisées. Malgré la diversité et l’africanité du
Maroc, l’esclavage a été profondément façonné par les identités raciales et il était alors associé
à des origines africaines, comme si le Maroc n’était pas africain. 35

La société marocaine était malheureusement divisée par la couleur et la « race ». C’est que les
concepts de « race » et de racisme ne sont pas une invention euro-américaine. J’ai tracé des
généalogies distinctes de ces concepts en Afrique du Nord pendant la période islamique. Dès le
XVIe siècle, des dynasties marocaines ont lié la « blancheur » à la légitimité politique et à la
liberté, comme le sultan Ahmad Al-Mansour (1578-1603).

L’Histoire est aussi témoin de musulmans asservissant d’autres musulmans. Par exemple, les
Haratine [terme qui désigne les Maures noirs], des « Noirs libres », anciens esclaves, ont été
asservis pendant le règne du sultan Moulay Ismaïl au XVII e siècle. Cet asservissement illégal a
marqué un tournant crucial dans l’histoire marocaine et a façonné l’avenir des relations raciales
futures et de « l’identité noire ».

35
Chouki EL HAMEL, Le Maroc noir, une histoire de l’esclavage, de la race et de l’islam, aux éditions La Croisée
de Chemins (2019).Le monde, https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/07/28/racisme-anti-noirs-au-
maroc-le-coran-ne-soutient-pas-la-pratique-de-l-esclavage-mais-son-abolition_5494395_3212.html?xtor=SEC-
33281054 (consulté le 15/09/2020)

16
Projet de fin d’étude 2020
En 1672, le sultan alaouite Moulay Ismaïl a voulu former une armée permanente et loyale pour
faire face à l’instabilité politique. Dans un projet discriminatoire, il donna l’ordre d’asservir
tous les Noirs, dont les Haratine, qui étaient pourtant libres par leur statut. Pourtant, selon la loi
islamique, aucun musulman libre ou devenu libre ne peut être soumis à l’esclavage. Afin de
justifier la construction de cette armée de Marocains noirs grâce à l’esclavage, Moula y Ismaïl
estima que les Haratine étaient des gens différents des Arabes ou Amazighs, plus patients et
plus obéissants.

D’autres musulmans noirs ont été asservis en Afrique, mais l’exception marocaine réside dans
l’ampleur et les méthodes de cette opération. Au total, sous le règne du sultan Moulay Ismaïl
(1672 à 1727), plus de 221 320 personnes noires ont été humiliées et violées, leurs droits légaux,
dont leur liberté, bafoués. Ce projet a perpétué le statut d’esclave de tous les Noirs, même de
ceux qui étaient libres.

Il n’existe dans le Coran aucun verset qui indique l’acception de l’esclavage en tant que pratique
sociale normale. Malheureusement, la plupart des interprètes masculins dans le monde
islamique ont prévalu contre cette voix éthique et ont fait exactement le contraire des
recommandations du Coran. Dès le début, l’interprétation et la codification du droit islamique
ont été intimement liées à la création de l’Empire islamique. Le message initial du Coran a été
progressivement érodé par les aspirations politiques et de pouvoir du régime élitiste. Les
oulémas [théologien du Coran et des traditions musulmanes] se sont appuyés sur
certain hadith [traditions relatives aux actes et aux paroles de Mahomet] obscures et dans leurs
propres interprétations sélectives du Coran. 36

Le rejet moral de l’esclavage a toujours existé dans l’histoire islamique. Des personnages
importants ont tiré des conclusions fondées sur le Coran qui justifieraient l’abolition de
l’esclavage. Mais leurs interprétations ont été inefficaces jusqu’au XIXe siècle, quand les idées
modernes occidentales en faveur du mouvement abolitionniste ont prévalu. Les interprétations
du texte sacré sont si contradictoires que la Tunisie a rendu l’esclavage illégal en 1846, avant
même la France [l’abolition définitive date de 1848]. En revanche, l’esclavage au Maroc n’a
jamais été aboli par aucun décret de l’autorité royale. L’esclavage a plutôt disparu du fait du
système capitaliste introduit par l’occupation coloniale française du Maroc.

Le trafic d’esclaves était officiellement aboli. Mais il était interdit aux fonctionnaires du
protectorat de s’immiscer dans les foyers des musulmans. L’autorité coloniale a donc consenti
tacitement à l’esclavage, utilisé principalement à des fins domestiques. Elle se limitait à prendre
des mesures administratives contre les aspects de l’esclavage qui choquaient, dans les cas
d’excès et d’abus évidents. A partir de 1935, l’establishment royal marocain coopéra pour lutter
contre la vente clandestine d’esclaves. A noter que les commerçants français ont profité de la
traite négrière pour embarquer en tant que passagères à bord de navires français des
Sénégalaises qui étaient ensuite vendues à des riches Marocains à titre privé.
En résumé, l’héritage de cette histoire noire sur la société marocaine actuelle comme suit :

36
Ibid.

17
Projet de fin d’étude 2020
A l’heure actuelle, tous les termes désignant les Noirs tels que « Haratine » et « Kuhal » – pluriel
de « couleur noire » – sont utilisés de manière interchangeable dans la plupart des régions du
pays. Le mépris racial persiste donc à l’égard des Haratine et des Noirs en général.

Si certains Noirs ont intégré les couches sociales élevées et exercé toutes sortes de professions,
la majorité se bat encore en marge d’une société injuste. Il existe toujours des villages entiers
considérés comme des groupes marginalisés privés de services sociaux et administratifs de
base. Les mariages mixtes entre Arabes ou Amazighs et Noirs à la peau claire sont encore perçus
comme un tabou social et honteux dans le sud du Maroc.

Les bouleversements politiques qui ont secoué le Maghreb ces dernières années ont fait
ressurgir d’innombrables problèmes tenus jusque-là sous le poids du silence et du déni. L’une
de ces questions refoulées concerne la situation des Noirs au cœur de cette partie spécifique de
l’espace africain. Durant des décennies, le sujet a été biffé de l’histoire commune. Qu’ils en
soient natifs ou non, les Noirs au Maghreb font l’objet d’une déconsidération doublée de
discrimination. Contrairement au reste de la population, ils sont les seuls à être perçus comme
l’incarnation d’un groupe exogène, repérable à des caractéristiques ethniques et socioculturelles
présumées distinctes. Le plus surprenant, c’est que cette assertion prend le contre-pied d’une
autre opinion commune, selon laquelle l’Afrique du Nord serait le réceptacle d’un peuplement
disparate et bigarré, une terre de migrations et de métissage. 37

Ce schéma dualiste a été à l’origine d’un système de hiérarchisation et de catégorisation


paradoxale. Il en est résulté une vision qui tend à faire du Maghrébin à peau noire l’archétype
de l’altérité : un Noir qui vit et se conduit donc par essence comme un Noir ! Ce cliché s’est
incrusté dans les mentalités, provoquant une dissociation névrotique des identités, scindées en
deux types d’affiliation politique et ethnosociologique : l’une africaine, l’autre arabe et
musulmane. Aujourd’hui, les quatre pays du Maghreb proclament solennellement l’arabe
comme langue nationale et officielle et l’islam comme religion d’Etat.

Il y a confusion entre ces deux catégories, qui relèvent pourtant de deux sphères différentes,
l’une religieuse, l’autre ethnolinguistique. Rappelons que la majeure partie des musulmans n’est
pas arabophone. D’ailleurs, malgré le mythe de la sacralité de la langue arabe, ni l’Iran ni la
Turquie, pourtant très proches du berceau de l’arabité, n’ont à aucun moment de leur histoire
revendiqué une commune filiation avec les Arabes. Il en est de même du Sénégal, ou de
l’Indonésie, qui compte le plus grand nombre de musulmans au monde.
L’islam s’est imposé cinq ou six siècles après la conquête de l’Afrique du Nord, non sans mépris
envers les Berbères. Aux yeux des premiers conquérants arabes, les Berbères étaient un peuple
vil, fruste et sauvage : « Des bêtes en liberté », selon l’historien du XIVe siècle Ibn Idhari. L’on
établit même à leur encontre des hadith – paroles attribuées à Mahomet, le prophète de l’islam
forgés de toutes pièces pour les rabaisser et justifier leur humiliation.

37
Salah TRABELSI «Racisme anti-noir : « Comment le Maghreb en est-il venu à rejeter son africanité ? ». Le
Monde, février 2019, https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/02/24/racisme-anti-noir-comment-le-
maghreb-en-est-il-venu-a-rejeter-son-africanite_5427702_3212.html

18
Projet de fin d’étude 2020
D’après l’auteur du Mu’djam al-Buldan, Yakut, le Prophète aurait dit : « Il n’existe, nulle part
au monde, des êtres aussi répugnants que les Berbères. Quand même je n’aurais rien à
distribuer comme aumône, si ce n’est la poignée de mon fouet, je serais plus enclin à la donner
plutôt que d’affranchir un esclave berbère. » A leur tour, certains oulémas [théologiens de
l’islam] d’origine berbère vont réagir en inventant des hadith pour se réhabiliter aux yeux des
Arabes. Abu Al-Arab et Al-Maliki rapportent des traditions attribuées au Prophète lui-même,
louant les mérites et la piété exemplaire des Berbères.

La littérature arabe classique offre un réservoir inépuisable d’informations éclairantes sur la


rhétorique de l’altérité à travers l’Histoire. Ces corpus permettent de reconstituer la manière
dont a été pensé, imaginé et perçu le rapport à l’Afrique et aux minorités noires. Ces stocks
idéologiques, réactualisés selon les problématiques politiques et sociétales du moment, ont
traversé le temps et continuent de façonner les esprits.

Un des exemples les plus éclatants du prisme de l’arabité et de la négation de soi est celui
raconté par l’historien kairouanais du XIe siècle, Abu Bakr Al-Maliki. Dans Jardins des âmes
(Riyad Al-Nufus), il dresse une série de biographies consacrées aux saints et aux grands lettrés
de Tunisie. L’un des personnages, Al-Buhlul b Rashid Al-Ra’ini, un juriste et saint homme,
vénéré pour sa piété et sa dévotion, était épouvanté d’appartenir à la multitude chamitique,
déchue et flétrie. En effet, selon une vieille tradition musulmane, Cham, l’un des trois fils de
Noé, était à l’origine un homme blanc, doté d’un beau visage et d’une allure fort agréable. Mais
Dieu changea sa couleur à la suite de la malédiction prononcée par son père. Une partie de sa
descendance s’établit en Inde, en Afrique et au Maghreb. C’est cette dernière lignée qui serait
à l’origine des coptes d’Egypte et des Berbères. Inquiet pour le salut de son âme, Al-Buhlul
vivait dans la hantise constante et effrayante de la disgrâce du Seigneur, jusqu’au jour où il
apprit qu’il n’était pas de souche berbère : « Alors, pour remercier Dieu, il organisa un
somptueux festin auquel il convia tous ses amis et proches. ».38

D’autres récits confirment ce complexe obsessionnel qui témoigne d’une dépersonnalisation


morale et culturelle aiguë chez beaucoup de savants et mystiques maghrébins. Ces exemples
montrent le caractère prégnant dans la culture arabe d’une négrophobie doctrinale, agrémentée
d’une haine de soi. Encore, faut-il le rappeler, en dehors de la mouvance kharidjite, branche
issue du premier schisme de l’islam, la noirceur de peau a toujours constitué, selon la plupart
des exégètes musulmans, un défaut inacceptable et ce au même titre que tous les autres vices
rédhibitoires pour accéder au pouvoir suprême.

Ibn Khaldun, l’auteur de la Mukkadima souligne dans ses écrits l’extravagance des inventions
sans fondement de certains généalogistes qui font descendre de la péninsule Arabique les
ancêtres des Berbères, manière de « blanchir » leur origine.

Rappelons aussi le sort réservé à Ibrahim Ibn Al-Mahdi. Ce calife éphémère fut destitué en 819,
car sa mère était une concubine royale d’origine afro-iranienne et qu’il était lui-même de teint

38
Salah TRABELSI «Racisme anti-noir : « Comment le Maghreb en est-il venu à rejeter son africanité ? ». Le
Monde, février 2019, https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/02/24/racisme-anti-noir-comment-le-
maghreb-en-est-il-venu-a-rejeter-son-africanite_5427702_3212.html

19
Projet de fin d’étude 2020
très foncé. Quant à l’esclave nubien Kafur, prince d’Egypte, grand bâtisseur et protecteur des
savants et des écrivains, il fut violemment vilipendé, haï et calomnié durant les vingt-deux ans
de son règne. L’un des textes les plus ignobles, composé par l’un de ses détracteurs, Al-
Mutanabbi, figure toujours en bonne place dans les manuels scolaires arabes. La quasi-totalité
des collégiens sont tenus encore aujourd’hui de réciter par chœur les vers affreusement
satiriques de ce poète, considérés comme le plus beau chef-d’œuvre de la prosodie arabe.

Ce sont d’ailleurs ces réservoirs sempiternels de représentations stéréotypées qui continuent à


nourrir les choix des modèles et des dispositifs éducatifs actuels. Il suffit de jeter un coup d’œil
sur le contenu des ouvrages du collège ou du lycée pour se rendre compte des dommages
irréparables causés par la référence quasi constante à ces vieux topos, hérités d’une
anthropologie médiévale, imaginaire et désuète.

Ces éléments ici réunis n’expliquent en rien l’exacerbation symptomatique actuelle des
discriminations dans les pays du Maghreb. Mais ce détour permet d’expliquer la source des
préjugés et la mise en place des marqueurs d’une hiérarchie imaginaire des identités biologiques
et socioculturelles.

Pendant plusieurs décennies, les regards ont été uniquement braqués sur la situation désastreuse
des descendants d’esclaves noirs en Mauritanie. L’on se rend bien compte aujourd’hui que le
problème dépasse largement les marges sahariennes du Maghreb. Les récits scandaleux de
vente aux enchères de jeunes Subsahariens en Libye et les témoignages incessants d’agressions
violentes et parfois meurtrières contre des Noirs montrent l’étendue des ravages qui affectent
toutes les sphères de la vie sociale, que ce soit en Libye, au Maroc, en Algérie ou en Tunisie.
Terre de paradoxes, ce dernier pays tente pourtant de faire figure d’exception. Berceau des
« printemps arabes », il avait été en outre le premier Etat de la région à abolir, en principe,
l’esclavage en 1846.39

Evidemment, l’un des traits marquants de l’histoire des pays arabes, est celui d’une extrême
durabilité des formes de servitude et d’esclavage. Etrangement, les esclaves noirs ont été les
derniers à obtenir leur émancipation, et ce bien après celle des esclaves mamelouks, européens
et circassiens. Ce processus lent et toujours inachevé explique, en partie, l’émergence tardive
de la question des inégalités sociales et raciales. Par ailleurs, l’extension des violences racistes
montre à quel point les préjugés, que l’on croyait appartenir à un temps révolu, continuent de
proliférer. Manifestement, le problème est encore d’actualité. Aujourd’hui comme hier, la
persistance des inégalités sociales et raciales fait obstacle à l’accès aux libertés publiques et
citoyennes.

Le nègre représente l’homme naturel dans toute sa barbarie et son absence de discipline. Pour
le comprendre, nous devons abandonner toutes nos façons de voir européennes. Nous ne devons
penser ni à un Dieu personnel ni à une loi morale ; nous devons faire abstraction de tout esprit

39
Salah TRABELSI «Racisme anti-noir : « Comment le Maghreb en est-il venu à rejeter son africanité ? ». Le
Monde, février 2019, https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/02/24/racisme-anti-noir-comment-le-
maghreb-en-est-il-venu-a-rejeter-son-africanite_5427702_3212.html

20
Projet de fin d’étude 2020
de respect et de moralité, de tout ce qui s’appelle sentiment, si nous voulons saisir sa nature…
on ne peut rien trouver dans son caractère qui s’accorde à l’humain.40

CHAPITRE II. SOCIÉTÉ MAROCAINE ET LA LUTTE CONTRE LE RACISME


On traite dans Ce chapitre la situation des noirs au Maroc (section 1), puis les mesures et les
dispositions adoptés dans la politique publique pour lutter contre le racisme.

Section 1. Situation des noirs au Maroc


A. L’état au sein de la société

Maroc, terre d’accueil, d’hospitalité et de tolérance. Un cliché souvent rabâché. Pourtant,


aujourd’hui, au Maroc, il existe une tendance xénophobe voire raciste. Il est des milieux où il
est admis que le racisme anti-Noir fait partie de nos mœurs, où il est banalisé. Les étrangers
originaires des pays subsahariens résidant dans notre pays, noirs donc, sont évidemment les
premiers à en souffrir. Et les Marocains, du moins un certain nombre parmi eux, éprouvent un
malin plaisir à les ridiculiser, à les railler dans la rue en raison de la couleur de leur peau.
Certains chauffeurs de taxis refusent même de les prendre en course. Sans vouloir généraliser,
les témoignages recueillis ne laissent planer aucun doute sur l’existence d’un racisme, latent ou
manifeste, au sein de la population marocaine. 41

Antoine, d’origine camerounaise, est âgé de 41 ans, dont 16 ans passés au Maroc. Il a d’abord
suivi les cours d’une école de management, avant de faire l’Ecole d’Etat des infirmiers de
Marrakech. Quand on lui demande s’il est ou a été l’objet de racisme de la part des Marocains,
Antoine a beaucoup de choses à dire. Il n’a pas ressenti ce racisme pendant son parcours
estudiantin, ce n’est qu’après avoir épousé une Marocaine, acheté un appartement en
copropriété à Casablanca (boulevard de la Gironde), raconte-t-il, qu’il a été la cible d’un
racisme qu’il qualifie d’«épouvantable». Certains voisins, dans son immeuble, n’hésitent pas à
utiliser, en parlant de lui, des mots comme moussakh (sale), aâzzi (nègre), hartani (homme de
second rang) et aâbd (esclave). Les choses se sont encore dégradées le jour où Antoine a ouvert,
dans le même immeuble, une petite infirmerie pour exercer son métier. L’hostilité à l’égard
d’Antoine et de sa femme, Meriem, Marocaine, est alors montée d’un cran. Les insultes à
caractère raciste pleuvent dru. Pour lui mener la vie dure, ses voisins n’hésitent pas à colporter
sur lui des ragots fabriqués de toutes pièces : «Ils m’accusent d’avoir un cybercafé à la maison,
de ne pas payer mes impôts (comme s’ils étaient des agents du fisc), d’héberger des Africains
clandestins, d’exercer le métier d’infirmier sans autorisation. Ils ont cassé les vitres et crevé les
pneus de ma voiture... Combien de fois ne les ai-je pas entendus, derrière mon dos, jurer qu’ils
“finiraient par renvoyer ce nègre chez lui”».
Le même traitement raciste a été réservé à trois autres Subsahariens qui ont loué un appartement
dans le même immeuble, sous prétexte qu’ils étaient célibataires. Or, d’autres célibataires
marocains habitent le même immeuble, qui ne sont pas le moins du monde inquiétés. Les

40
Georg W. F. Hegel : La raison dans l’histoire. Introduction à la philosophie de l’histoire, Paris, Éd.10/18, 1965,
p. 234 et 251
41
https://www.yabiladi.com/article-societe-1640.html

21
Projet de fin d’étude 2020
voisins d’Antoine sont-ils donc tous racistes ? Non, loin de là, répond Antoine. «Plusieurs
habitants ne sont pas d’accord avec ces agissements discriminatoires, mais ne le montrent pas,
préférant plutôt se solidariser avec leurs compatriotes. D’autres frappent à ma porte en catimini
pour une piqûre ou un médicament, ou m’appellent en pleine nuit, mais en cachette, pour me
demander d’examiner un malade souffrant de fièvre ou de diarrhée...». Meriem, la femme
d’Antoine, n’est pas non plus à l’abri. Ce comportement «xénophobe» est honteux, tempête-t-
elle. «Je suis allé plusieurs fois au Cameroun, l’accueil qu’on me réserve là-bas est d’une
chaleur humaine indescriptible. Si ce n’était mon mari qui s’y oppose, nous aurions déjà quitté
le Maroc pour aller vivre là-bas».
Sur le boulevard Oulad Ziane, des dizaines de familles africaines élisent domicile dont un grand
nombre d’étudiants. Esi, une Congolaise de 25 ans, en fait partie. Elle se plaint du concierge de
l’immeuble où elle réside, qui lui a refusé, par exemple, l’utilisation de l’ascenseur le jour du
déménagement. Raison : le concierge a eu peur des représailles des autres copropriétaires
marocains. Heureusement que l’un d’entre eux, Abdallah, est intervenu in extremis pour barrer
la route au concierge. Bacar, Sénégalais, lui, est journaliste de son état. Il vit au Maroc depuis
17 ans. Il n’a observé aucun comportement raciste à son égard dans son milieu professionnel.
Il subodore toutefois que ses collègues n’en sont pas exempts mais ne le manifestent pas au
travail. Toujours est-il que ce racisme, il l’a vécu plus d’une fois à l’extérieur, dans la rue. Un
jour, il prend rendez-vous avec un responsable marocain pour les besoins d’une enquête dans
le cadre de son travail. Ce dernier ne sait pas que son interlocuteur est noir. Quand il l’a en face
de lui, il se rebiffe. Bacar s’entend souvent traiter de draoui dans la rue, et il a été exposé maintes
fois à des jets de pierre quand il habitait dans un quartier populaire. Il se souvient encore de ce
jour où un enfant le traite d’aâzoua (nègre) devant ses parents sans que ces derniers ne
réagissent. Bacar lui caresse les cheveux et lui dit sur un ton affectueux : «Ce n’est pas ta faute
mon fils, mais celle de tes parents qui ne t’ont pas bien éduqué».

Les parents, eux, ont fait la sourde oreille. A Dakar, ajoute Bacar, il connaissait beaucoup de
Marocains, mais ceux qu’il rencontre à Casablanca sont différents. En classe, il n’a jamais vu
un Marocain blanc s’asseoir à côté d’un noir.

B. Le racisme au sein de la société d’une vision étrangère


Pour les Noirs français, les choses sont plus supportables : Le racisme anti-Noir est-il si
ancré dans la société et la culture marocaines ? Richard et Olivier, respectivement manager et
directeur commercial d’une société spécialisée en nouvelles technologies de l’information et de
la communication à Casablanca, sont français de nationalité, Guadeloupéens d’origine, noirs de
peau. Au terme de deux années passées au Maroc, ils ont déchanté. Le pays de la tolérance dont
ils ont entendu parler quand ils étaient en France n’est pas celui qu’ils découvrent sur le terrain.
Le pire est que ces Marocains qui les traitent de haut changent d’attitude quand ils apprennent
que ces Noirs sont français. «Dans la rue, on a affaire à un racisme primaire épouvantable :
mais quand des gens me traitent de aâzzi, je les traite, moi, de pauvres crétins», enchaîne
Richard.
Ce qui aggrave les choses, ajoute Richard, c’est qu’en plus d’être racistes, certains Marocains
profitent de la moindre occasion pour arnaquer les étrangers, quelle que soient la couleur de
leur peau et leur nationalité. Arnaque, hypocrisie aussi : «Ils nous prennent pour des imbéciles

22
Projet de fin d’étude 2020
: les mêmes personnes qui peuvent vous faire un scandale parce que vous buvez de l’alcool,
vous les surprendrez en train de boire en cachette. Quant à l’Administration, les portes s’ouvrent
comme par magie dès qu’on montre nos passeports». Sa nationalité française, Richard ne la
révèle jamais au premier venu. « Je ne veux pas que les gens soient respectueux envers moi
parce que je suis français, mais parce que je suis un être humain comme eux, au -delà de la
couleur et de la nationalité».
Un bémol : selon Richard, les femmes sont beaucoup moins racistes que les hommes, plus
tolérantes. Certaines ont noué une relation avec un Noir. Sauf que, dans ce cas, la famille peut
s’opposer à un éventuel mariage car on n’accepte pas de Noirs dans la famille, surtout s’il est
non musulman. Mais Richard, lui, malgré son sévère réquisitoire contre les Marocains, a fini
par épouser une Marocaine, une métisse dont le père est noir, mais qui n’a jamais accepté que
sa fille en épouse un. Cette dernière a, depuis, coupé toute relation avec sa famille. «Les
Marocains ont une fâcheuse manière de juger les gens avant de les connaître», estime- t-il.
Pourquoi ce racisme ? Profond sentiment de supériorité qui puise ses racines dans l’histoire
esclavagiste du Maroc de l’Antiquité comme le prétendent certains ? La pratique de l’esclavage
a été interdite depuis mais jamais abolie de façon officielle dans les pays du Maghreb. Toujours
est-il, qu’il perdure toujours, en ce début du XXIe siècle, dans certaines familles marocaines,
un sentiment de supériorité vis-à-vis des hommes de couleur, fussent-ils marocains. Et cette
relation raciste maître-esclave, on la retrouve encore chez certaines familles aisées qui traitent
leurs bonnes ou leurs jardiniers, noirs ou blancs, comme des personnes de second rang. Les
témoignages des Noirs victimes d’actes racistes au Maroc attribuent ce comportement surtout
à un manque d’éducation qu’ils qualifient tous de «terrible». «Qu’il y ait eu des esclaves noirs
au Maroc, et que les Marocains continuent dans leur subconscient de se considérer comme des
maîtres supérieurs aux noirs, c’est leur affaire, mais nous n’avons pas, nous, à en payer le prix»,
s’indigne Olivier.

Pour d’autres, ce racisme n’est perceptible que dans les classes populaires. Pour Walter,
originaire du Congo Brazzaville, étudiant au Maroc depuis deux ans, les personnes cultivées
sont ouvertes d’esprit. Dans les quartiers populaires, par contre, il y a les autres, ceux qui ne
veulent avoir aucun rapport avec les étrangers d’Afrique, et qui les regardent de haut. Tout
dépend aussi du comportement des Africains eux-mêmes, nuance Walter. «Moi, peut-être à
cause de mon caractère extraverti, je suis très bien accueilli et j’ai même été à plusieurs reprises
président du bureau des étudiants. Si on s’ouvre, on fera un grand pas vers l’intégration.
Personnellement, j’ai pas mal d’amis marocains. J’étais en Algérie, je dirai que les Marocains
sont plus ouverts que les Algériens et moins égocentriques.» Au Maroc, il s’agit plutôt d’un
racisme primaire, confirme Mehdi Lahlou, enseignant chercheur et auteur de plusieurs études
sur les migrations irrégulières. Les Marocains, selon lui, ont la fâcheuse manie de se sentir
meilleurs que les autres. «S’ils prononcent des mots et font des gestes déplacés qui font du mal
aux autres, c’est plus par ignorance et naïveté que par préméditation ou méchanceté.» Les
médias publics audiovisuels, pour leur part, n’arrangent guère les choses en déformant l’image
de ces Noirs d’Afrique subsaharienne, ajoute-t-il.42

42
Jaouad MDIDECH « Les Marocains sont-ils racistes ? », La vie économique, https://www.yabiladi.com/article-
societe-1640.html

23
Projet de fin d’étude 2020

Section 2. Politique publique du Maroc contre le racisme


A. Actions nationales et internationales
Le Royaume du Maroc a réalisé d’importantes avancées en matière de développement de sa
politique migratoire avec l’objectif d’adapter ses normes à la réalité des flux migratoires
internationaux et avec le nouveau rôle de l’État en tant qu’État d’émigration, de transit et de
destination. Les principaux faits marquants du Royaume du Maroc ont été les suivants :

En juin 2013, le Maroc, l'Union européenne et neuf États européens ont signé un Partenariat
pour la Mobilité, Migration et Sécurité réaffirmant la coopération et le dialogue entre ces parties
afin d’adopter une approche globale, commune et équilibrée dans les matières relatives à la
migration. Il constitue le cadre politique du dialogue et de coopération en matière de migration
entre l’Union européenne et le Maroc. En septembre 2013, le Conseil National des Droits de
l’Homme (CNDH) a publié un rapport officiel intitulé « Étrangers et Droits de l’Homme au
Maroc : pour une politique d’asile et d’immigration radicalement nouvelle » qui porte sur la
situation de l’asile et de l’immigration au Maroc. Ce rapport, qui remet en question la politique
migratoire du Maroc, trop orientée sur l’insécurité et l’inapplication des droits des immigrants,
s’accompagnait d’un certain nombre de recommandations politiques, dont le droit d’asile et la
régularisation des immigrants d’origine africaine et européenne en situation irrégulière. Le Roi
Mohammed VI a donné au Gouvernement ses Très Hautes Orientations pour développer une
politique migratoire humaniste, globale et responsable, pionnière au niveau régional.

En octobre 2013, le Ministère chargé des Marocains Résidant à l’Étranger a vu son portefeuille
s’élargir aux « Affaires de la Migration ». Avec ces nouvelles compétences, le Ministère a
élaboré une Stratégie Nationale d’immigration et d'asile en étroite concertation avec quinze
Ministères clés. La Stratégie fut adoptée le 18 décembre 2014 par le Conseil de Gouvernement.
Après que le Roi Mohammed IV ait officiellement apporté son appui en la matière, les choses
ont rapidement évolué. Par exemple, le Maroc a ré-ouvert son Bureau de Protection des
Réfugiés et Apatrides, permis aux enfants des immigrants d’accéder à l’éducation publique.

Le 2 janvier 2014, le Ministère de l’Intérieur lança une opération exceptionnelle de


régularisation qui a recueilli 27 648 demandes dont la quasi-totalité reçut une réponse favorable.
La nouvelle politique migratoire du Maroc accorde aux immigrants régularisés les mêmes droits
qu’aux Marocains. Ces personnes, bénéficiant d’une carte de séjour d’un an renouvelable et
ayant vocation à s’intégrer provisoirement ou plus durablement au Maroc, constituent donc un
nouveau public – cible pour un grand nombre d’administrations marocaines. Par ailleurs les
immigrants non régularisés ont aussi accès à un certain nombre de services de base, en dépit de
leur situation administrative. Pour ces derniers, une modification de la Loi sur la Migration
datant de 2003 est nécessaire afin de l’adapter aux nouvelles orientations de la politique
migratoire marocaine. Le projet de loi sera vraisemblablement présenté au Parlement lors de la
prochaine législature. En plus de cette nouvelle politique migratoire, le Royaume du Maroc a
opéré une modification législative marquante qui inclut non seulement un projet de loi sur
l’immigration, mais également des projets de lois relatifs à l’asile et à la lutte contre la traite de
personnes (ce dernier ayant été adopté en 2016). De plus, il est nécessaire de noter la réforme

24
Projet de fin d’étude 2020
du Code pénal qui inclut trois articles relatifs à la non-discrimination et deux importantes
modifications législatives sur le point d’être actualisées en relation avec le Code pénal (B.O du
15 août 2016).43

 La Loi 73.15 abroge et complète certaines dispositions du Code pénal. Ce texte a intégré
une nouveauté liée à la répression de l’incitation à la discrimination et à la haine, en
renvoyant à l’article 431-5 du Code pénal.
 La Loi 88.13 relative à la presse et l’édition a intégré des dispositions préventives contre
toutes formes de discrimination via la presse, qu’elle soit en version papier ou
électronique. En ce sens, l’article 37 de la loi donne compétence au tribunal de première
instance, en sa qualité de juge des référés, d’ordonner, sous réquisitoire du Ministère
public, la suspension provisoire de tout support de presse électronique et en interdire
l’accès au public lorsque la 5 revue électronique émet des propos comportant une
incitation directe à la haine ou à la discrimination raciale. Il est à signaler que le
législateur pénal du Maroc utilise le terme « discrimination » pour définir toute forme
de racisme ou de xénophobie conformément à la définition donnée par l’article 431- 1
du Code pénal.
 Contexte sectoriel : Politiques et enjeux Malgré les indéniables avancées normatives,
les migrants et réfugiés provenant d’Afrique subsaharienne sont susceptibles d’être les
victimes d’incidents racistes et de discrimination raciale. Les organisations de la société
civile, de fait, dénoncent des situations de discrimination dans l’accès au logement, à
l’emploi ou pour la scolarisation des mineurs. Les médias ont publié des premières
pages et des éditoriaux suggérant que l’augmentation des immigrants est liée à
l’augmentation des trafics de stupéfiants ou de la prostitution et que les immigrants
peuvent être un problème quant à la sécurité publique. Par conséquent, en plus des
avancées et compromis de la nouvelle politique migratoire, d’autres étapes sont
nécessaires en matière de racisme et de xénophobie afin d’assurer une cohabitation
pacifique dans le respect des droits de l’Homme. Les incidents racistes et xénophobes
ont des conséquences non seulement pour la victime et le groupe social auquel elle
appartient, mais constituent également des obstacles quant à la cohésion et à la
cohabitation sociale, créant une menace pour toute la société. Pour ce motif, les
organisations internationales invitent les États à agir en matière de prévention du
racisme et de la xénophobie, notamment d’un point de vue législatif par l’adoption de
stratégies d’action :
Des enjeux humanitaires dont l’un des objectifs spécifiques est la lutte contre la
discrimination.
Des enjeux de Gouvernance et de communication dont l’un des objectifs spécifiques
porte sur l’information et la sensibilisation aux questions de l’immigration et de l’asile.
Le programme se fondera sur les expériences à succès de l’Espagne, des autres États
membres de l’Union Européenne et des différentes organisations internationales en
matière de développement de politiques contre le racisme et la xénophobie. D'autre part,

43
https://ec.europa.eu/trustfundforafrica/sites/euetfa/files/ma_action-document-maroc-action-fiche-
20161216_fr_7.pdf

25
Projet de fin d’étude 2020
ce Programme tient compte de tous les principes du Fonds Fiduciaire, ainsi que des
Lignes Directrices spécifiques à l’égard du Maroc. Par rapport au Fonds fiduciaire, le
Programme s’inscrit dans l'objectif global (améliorer la gouvernance de la migration
dans les pays d'origine, de transit et de destination) en liaison avec les objectifs 2 et 4
(renforcer la résilience des communautés et en particulier des plus vulnérables, ainsi
que des réfugiés et des personnes déplacées ; et renforcer la gouvernance publique, la
prévention des conflits, la réduction des déplacements forcés et de la migration
irrégulière). En ce qui concerne le Cadre opérationnel proposé pour le Maroc, ce
Programme s’inscrit dans le domaine d'intervention :
Contribuer à améliorer l’information et promouvoir la protection des migrants au Maroc
et tout au long des routes migratoires et notamment mettre en réseau tous les acteurs
intervenant dans la protection des migrants le long des routes migratoires et stimuler
une culture des droits, du dialogue et de la cohésion sociale, ainsi que la protection des
groupes vulnérables, tant au niveau national que communautaire. 44
Enseignements tirés L’Agence Espagnole de Coopération Internationale pour le
Développement (AECID) et le Secrétariat Général d’Immigration et d’Émigration du
Ministère de l’Emploi et de la Sécurité Sociale, en tant que partenaires à l’origine du
projet, ont effectué quatre visites d’étude au Maroc. Suite à ces visites et aux entretiens
réalisés, plusieurs enseignements ont pu être tirés :
 Il existe un grand intérêt de la part des institutions marocaines pour le projet du fait qu’il
s’agit d’un champ d’action (prévention du racisme et de la xénophobie) qui n’est pas
suffisamment développé au Maroc. Il y a un nombre important de projets dans les
domaines de la gestion des migrations (renforcement des capacités du MCMREAM ou
des organisations de la société civile), mais le projet proposé est axé sur la non-
discrimination pour motifs raciaux et/ou ethniques, ce qui le rend complémentaire aux
autres actions en cours. Par ailleurs, ces missions ont permis d'identifier que l’existence
de discriminations pour motif racial et/ou ethnique est peu perçue au Maroc (invisibilité
du problème et, dans certains cas, persistance pour son explicitation).
 Le Programme s’aligne, renforce et complète les actions en cours des institutions
marocaines. Cette complémentarité a été bien évaluée de la part des institutions
marocaines. En particulier, il convient de souligner l'intérêt qu’apporte le projet aux
actions menées par :
 Le Conseil National des Droits de l'Homme (CNDH) : La loi du statut du CNDH, en
cours d’adoption, prévoit non seulement de renforcer son rôle en tant qu’Institution
Nationale des Droits de l’Homme, mais également ses compétences pour assurer la
protection des groupes vulnérables, dont les migrants, et offrir différents mécanismes
de recours à ces groupes. De ce fait, le Programme intervient à un moment approprié
pour le CNDH, afin de contribuer au développement des mécanismes d’identification
et de recueil d’incidents racistes, mais aussi pour la formation de ses cadres techniques.
La Délégation Interministérielle aux Droits de l'homme (DIDH) : Parmi les

44
https://ec.europa.eu/trustfundforafrica/sites/euetfa/files/ma_action-document-maroc-action-fiche-
20161216_fr_7.pdf

26
Projet de fin d’étude 2020
compétences de la DIDH à l’égard de la coordination et transversalité des Droits de
l’Homme dans les administrations publiques marocaines, les questions liées à la
migration s’organisent à travers différentes commissions de travail. Pour deux d’entre
elles, le Programme pourra être d’un fort intérêt : celle relative au développement
juridique et institutionnel, responsable de la réforme de la loi d’immigration et de la loi
d’asile ; et la commission qui réalise les orientations du Gouvernement du Maroc sur
les normes internationales en matière migratoire. Ce projet vise à renforcer les capacités
de cette commission de travail en matière de discrimination raciale et/ou ethnique.
 Le Ministère Chargé des Marocains Résidant à l'Etranger et des Affaires de Migration
(MCMREAM) : L’action la plus marquante du Programme est, évidemment, la
Stratégie Nationale d’Immigration et d’Asile. Le 9 septembre 2016, l’évaluation des
trois premières années de mise en œuvre de la Stratégie a été présentée, ce qui sera pris
en compte dans le développement des actions du Programme. c) Actuellement, le Maroc
réalise un changement normatif en matière migratoire. Les nouvelles orientations, mises
en œuvre dans le cadre de la politique migratoire depuis 2013, ont entraîné une nécessité
d’adaptation des normes. Par exemple, dans le Code pénal (dans lequel ont été introduits
différents articles relatifs à la discrimination) ou la modification nécessaire de la Loi
d’Immigration de 2003 pour l’adapter aux nouvelles orientations humanitaires et
globales de la politique nationale. Ces changements, bien que de manière générale
positifs, peuvent également impliquer, à court terme, quelques incertitudes dans
l’application des normes. Pour autant, la composante de formation incluse dans le
Programme complète adéquatement les actions de formation déjà existantes
(principalement celles présentes dans les projets de l’Union européenne) dans la mesure
où il s’agit de sensibiliser les forces de l’ordre, les juges et procureurs et le personnel
des administrations publiques, que ce soit pour l’identification des incidents racistes,
comme pour la mise à jour des normes marocaines pour prévenir et, le cas échéant, faire
face à ces défis. d) Il a également été constaté qu’il existe un déficit dans la formation
sur l’identification des incidents racistes et xénophobes vers la population migrante de
quelques organisations de la société civile. Sauf quelques exceptions, la majorité des
associations (aussi bien marocaines que de migrants) ont une faible perception de
l’existence d’épisodes de discrimination raciale et/ou ethnique vers la population
immigrante au Maroc, ce qui peut être le résultat du manque de formation dans ce sens.
Les visites d'étude et les réunions avec les différents acteurs institutionnels et sociaux
ont permis d’identifier des initiatives de sensibilisation, toolkits et modules de formation
( GADEM et Kirikou), des actions avec les médias et différentes activités réalisées par
le MCMREAM. Toutefois, lors de sa phase de démarrage, le projet devra cependant
réaliser un mapping approfondi de l'existant (campagnes de sensibilisation, films,
modules de formation, toolkits), afin de construire sur le travail déjà réalisé, et de
développer un réseau d'échanges entre les principaux acteurs. Le projet prévoit le
maintien d’une interaction permanente avec d’autres projets et actions développés par
le Fonds fiduciaire et les autres projets financés par l'Union européenne et ses Etats-
Membres au Maroc, notamment avec : La Convention de financement de l’Union
européenne de Promotion de l’Intégration des Immigrants au Maroc, qui développe

27
Projet de fin d’étude 2020
plusieurs instruments pour l’accès des immigrants aux services de santé, d’éducation et
de formation professionnelle. La coordination avec ce projet sera d’un intérêt particulier
pour la prévention de discriminations raciales et/ou ethniques dans l’accès à ces services
publics. Les projets de l'UE mis en œuvre par l'OIM et des organisations non
gouvernementales qui comportent des appuis pour la lutte contre le racisme et la
xénophobie, ainsi que le futur jumelage, financé par l'union européenne, au profit de
l'Institut Supérieur de la Magistrature.
 Les projets d’appui à la Stratégie Nationale d’Immigration et d’Asile. Différents projets
ont été mis en place pour appuyer les différents axes de mise en œuvre de la Stratégie
avec : la Belgique à travers la formation des autorités nationales et locales, ainsi que des
ONG ; l’Allemagne au travers des projets RECOMIG et RECOSA ; la Suisse à travers
du développement de mécanismes de coordination pour l’appui de la Stratégie et le
financement des centres d’attention d’organisations sociales ; etc. Le projet maintiendra
une collaboration avec ces actions afin d’introduire la prévention du racisme et de la
xénophobie dans la ligne d’action de ceux-ci.
 Dans le programme de coopération bilatérale que la Belgique a signé avec le Maroc, se
trouve notamment un programme sectoriel visant à soutenir le Maroc dans la mise en
œuvre de ses politiques migratoires. Deux composantes prioritaires de la Stratégie
Nationale d’Immigration et d’Asile (SNIA) seront soutenues, d’une part l’intégration
des migrants aux dispositifs de formation professionnelle et d’autonomisation
économique et d’autre part, le renforcement des capacités des acteurs étatiques et non
étatiques chargés des questions d’immigration, d’asile et de lutte contre la traite des
êtres humains. Les résultats de ce programme sont également étroitement liés à la
stratégie de communication, d’information et de sensibilisation aux questions de
migration à destination des migrants, des administrations, de la société civile, des
médias et des partenaires internationaux. Il conviendra donc de tenir compte de
l’intervention belge, en particulier dans la mise en œuvre des objectifs 3 et 4 de la
présente action. Le Projet prévoit aussi de maintenir un dialogue constructif avec
d’autres initiatives qui se développent en matière de migration et de droits de l’Homme
au Maroc, en particulier :
Le Conseil de l’Europe au Maroc. Le « Partenariat de voisinage avec le Maroc 2015 –
2017», approuvé par le Conseil des Ministres du Conseil de l’Europe le 4 février 2015,
définit les lignes de dialogue et de coopération avec le Maroc, ainsi que les activités
spécifiques à développer en matière de droits de l’Homme. Dans ce sens, parmi les
priorités de la coopération figurent les droits et l’intégration des immigrants avec une
participation active du CNDH afin de renforcer la coopération et assurer que la nouvelle
politique migratoire marocaine intègre les aspects relatifs aux droits de l’Homme.
Le Programme d’appui de l'Union Européenne à la politique migratoire qui prévoit de
renforcer les capacités du Gouvernement marocain dans ce domaine à travers une aide
budgétaire et de l'aide complémentaire dans différents domaines (appui institutionnel,
emploi, protection sociale, retour volontaire, connaissances). Il convient de noter que le
Programme d’appui budgétaire n´abordera pas les questions de lutte contre la
discrimination, le racisme et la xénophobie. c) Le Programme 2017-2020 ONU et Maroc

28
Projet de fin d’étude 2020
: Programme conjoint de différentes Agences des Nations Unies pour l'appui à la
Stratégie Nationale d'Immigration et d'Asile.
L'Agence Espagnole de Coopération Internationale pour le Développement à travers le
SGIE a initié un travail d'appui technique dans les domaines de gestion technique et
administrative de la migration au Ministère Chargé des Marocains Résidant à l'Étranger
et des Affaires de la Migration (2017-2018). Ce projet, financé avec des fonds propres
de l'AECID, vise à travailler sur différents axes de la gestion migratoire et le projet «
Vivre ensemble » sera un complément pour renforcer l´approche de non-discrimination.
De ce fait, il est à noter qu´il n´y aura pas de chevauchement entre les deux initiatives.
D’autre part, le Projet maintiendra un dialogue permanent avec les institutions
marocaines dont le rôle est important pour le développement concret de quelques
activités prévues dans le Projet. En particulier, cela aura un intérêt pour la coordination
avec le Haut – Commissariat au Plan. En tant qu’organe chargé de la production
statistique, de l’analyse et de la collecte de données au Maroc, le projet établira une
ligne de collaboration pour le développement de l’Enquête sur les perceptions de
l’immigration au Maroc45.

Les objectifs :

Renforcer les instruments et les politiques publiques visant à prévenir le racisme et la


xénophobie envers la population migrante sur la base de la protection des droits fondamentaux
des personnes migrantes, afin de promouvoir le « vivre ensemble ». Les objectifs spécifiques
sont les suivants :

 Accompagner le Royaume du Maroc dans l'étude comparée des normes et règlements


relatifs à la discrimination raciale et/ou ethnique envers la 10 population immigrante,
ainsi que pour l'élaboration de propositions d'amélioration pour le renforcement
institutionnel des organismes publics impliqués, aussi bien au niveau national que
régional, dans une perspective de droits de l’Homme et conformément à la Convention
internationale pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et autres
conventions internationales auxquelles le Maroc a adhéré. Une considération
particulière sera portée à la perspective de genre.
 Soutenir l'amélioration des mécanismes indépendants d'identification et de recueil des
plaintes en matière de protection des droits de l'Homme, incorporant et développant les
critères et indicateurs pertinents pour la dénonciation et la caractérisation d'incidents
racistes et xénophobes envers la population migrante, en accord avec la Convention
Internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Sera
garantie à tout moment la protection des victimes, proposant des mesures spéciales
concernant les femmes et les mineurs.
 Promouvoir et renforcer les compétences des administrations publiques : assistance
sociale, communauté éducative (les élèves, les enseignants, le personnel non enseignant,
les parents d’élèves), justice (juges, procureurs et opérateurs juridiques), forces de

45
https://ec.europa.eu/trustfundforafrica/sites/euetfa/files/ma_action-document-maroc-action-fiche-
20161216_fr_7.pdf

29
Projet de fin d’étude 2020
l’ordre (agents de police et de la gendarmerie royale) et santé, en matière de prévention
du racisme et de la xénophobie.
 Promouvoir et renforcer les compétences des associations de la société civile qui
travaillent pour la protection des droits des personnes migrantes en matière de
prévention d’incidents racistes et/ou xénophobes.
 Soutenir les mesures et actions de sensibilisation visant la prévention du racisme et la
xénophobie, travaillant avec les médias marocains et la société en général pour la
promotion et la protection des droits de l’Homme
B. Législation et dispositions
 Droit international des droits de l’homme en vigueur

En ratifiant la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination


raciale (ICERD), le Royaume du Maroc s’est engagé à respecter et à garantir l’égalité raciale
et le droit de toutes les personnes à ne pas subir de discrimination raciale. Il convient de
souligner que le Maroc a également ratifié plusieurs autres traités internationaux relatifs aux
droits de l’homme interdisant les discriminations raciales et autres discriminations. Ces
instruments créent des obligations juridiquement contraignantes pour le Maroc en ce qui
concerne les principes d’égalité et de non-discrimination. Ils promeuvent également une
importante vision de l’égalité : une vision qui exige que le Maroc élimine la discrimination
raciale intentionnelle ou délibérée et lutte contre la discrimination raciale de fait ou non
intentionnelle. Des actes de discrimination raciale prohibés peuvent se produire même en
l’absence d’animosité raciale ou de préjugés.

En effet, l’ICERD dispose que « toute distinction, exclusion, restriction ou préférence » fondée
sur « la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique » doit être interdite en
tant que discrimination raciale illicite lorsqu'elle a « pour but ou pour effet » de porter atteinte
à la jouissance dans des conditions d'égalité des droits de l’homme 46. En droit international,
l’interdiction de la discrimination raciale est absolue et ne peut être interprétée de manière
restrictive. Cela signifie notamment que : 1) la discrimination raciale est interdite dans la
jouissance de tous les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels 47; 2) la
discrimination raciale est interdite en toutes circonstances, y compris dans le contexte de la
migration; et (3) l’égalité raciale doit être garantie pour tous, indépendamment de l’ascendance
ou de la descendance, y compris les personnes appartenant à des groupes raciaux et ethniques
et les non-ressortissants (quel que soit leur statut juridique). La réalisation de l'égalité raciale
réelle nécessite également une analyse inter-sectionnelle du problème de la discrimination
raciale et de l'intolérance. Une approche inter-sectionnelle prend au sérieux les différentes
expériences de discrimination raciale endurées par des personnes en raison de leur race, leur
appartenance ethnique, leur origine nationale ou leur culture, associées à leur genre, leur sexe,

46
Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale art. 1 (1), le 4
janvier 1969, 660 U.N.T.S. 195
47
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art. 2, 16 décembre 1966, 999 U.N.T.S. 171 ; Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels art. 2 (2), 16 décembre 1966, 993 U.N.T.S. 3 ;
Id. art. 5 ; voir aussi Commentaire sur l’élimination de la discrimination raciale, Recommandation générale n°
20, article 5 de la Convention, 48ème session, 1996, document des NU A / 51/18, ¶ 1 (14 mars 1996).

30
Projet de fin d’étude 2020
leur orientation sexuelle, leur handicap, leur âge et toute autre catégorie sociale. Enfin, en vertu
de l’article 1 (4) de l’ICERD :
« Les mesures spéciales prises à seule fin d'assurer comme il convient le progrès de certains
groupes raciaux ou ethniques ou d'individus ayant besoin de la protection qui peut être
nécessaire pour leur garantir la jouissance et l'exercice des droits de l'homme et des libertés
fondamentales dans des conditions d'égalité ne sont pas considérées comme des mesures de
discrimination raciale, à condition toutefois qu'elles n'aient pas pour effet le maintien de droits
distincts pour des groupes raciaux différents et qu'elles ne soient pas maintenues en vigueur une
fois atteints les objectifs auxquels elles répondaient ».

Le Maroc devait rendre compte de la mise en œuvre de l’ICERD en 2014, mais ne l’a pas encore
fait jusqu’à présent. Je me félicite de la déclaration du Ministre d’Etat chargé des Droits de
l’Homme selon laquelle le Maroc est en train de finaliser actuellement ses rapports combinés
auprès du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale. Je demande instamment au
Maroc de soumettre ces rapports dans les plus brefs délais.

 Cadre constitutionnel, juridique et politique marocain relatif à l’égalité et la


discrimination raciale
La Constitution du Maroc, adoptée en 2011, constitue un progrès important dans le domaine
des droits de l’homme, notamment en renforçant l’engagement du Royaume en faveur des droits
de l’homme internationaux, de l’égalité et de la non-discrimination. Le préambule, qui a force
contraignante, comprend notamment un engagement envers l’interdiction et la lutte contre
toutes les formes de discrimination. L’article 23 interdit explicitement toute incitation au
racisme, à la haine et à la violence. De cette manière, la Constitution garantit les principes
d’égalité et de non-discrimination et crée une base solide pour les développements législatifs et
politiques nécessaires pour veiller à ce que ces principes des droits de l’homme puissent être
pleinement appliqués à toutes les personnes au Maroc. Il est particulièrement important de noter
que le préambule de la Constitution marocaine affirme que l’identité nationale marocaine est
diverse, intégrant le riche héritage culturel et ethnique qui caractérise ce Royaume depuis des
siècles. Cette vision d’une société plurielle mais unifiée, dans laquelle tous les individus
peuvent jouir de tous les droits de l’homme et de toutes les appartenances politiques et sociales,
est une vision que le gouvernement marocain - à l’instar de tous les autres gouvernements - doit
continuer à travailler sans relâche pour la mettre en œuvre. L’égalité consacrée dans la loi, prise
seule, ne garantit pas l’égalité dans les faits.

Un examen de la législation en vigueur montre que le Maroc interdit explicitement certaines


manifestations de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et d’intolérance qui y est
associée, notamment dans le code pénal, le code de procédure pénale, le code du travail, et le
code de la presse et de l’édition. J’ai appris que le projet de loi relative au droit d’asile et aux
conditions de son octroi comprend une disposition de non-discrimination qui interdit la
discrimination fondée sur différents motifs, notamment la discrimination fondée sur la couleur
et la race. Le Maroc a également adopté le Plan d’Action National en matière de Démocratie et
les Droits de l’Homme (2018-2021), qui traite de l’égalité des sexes et la discrimination fondée

31
Projet de fin d’étude 2020
sur le handicap48. Ces lois et politiques sont louables. Cependant, d’importantes lacunes
subsistent. A ce jour, le Maroc ne dispose d’aucune législation complète en matière de lutte
contre la discrimination qui consacre pleinement le cadre de l’ICERD en matière d’égalité
raciale ; par ailleurs, la législation et les politiques existantes ne définissent pas la discrimination
raciale d’une manière qui soit conforme à la Convention. En outre, alors que le Maroc s’est
engagé dans la Déclaration et le Programme d’action de Durban, qui préconise un plan d’action
national visant spécifiquement à lutter contre le racisme, la discrimination raciale, la
xénophobie et l’intolérance qui y est associée, aucun plan de ce genre n’existe actuellement. 49

48
Plan d’action national en matière de démocratie et des droits de l’homme (2018-2021),
http://didh.gov.ma/fr/publications/plan-daction-national-en-matiere-de-democratie-et-des-droits-de-lhomme-
2018-2021.
49
Haute commissariat des Droits de l’Homme, Nations unis :
https://www.ohchr.org/FR/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=24043&LangID=F

32
Projet de fin d’étude 2020

CONCLUSION
En guise de conclusion, le racisme désigne les attitudes, les pratiques et autres facteurs qui
nuisent à des personnes en raison de leur race, de la couleur de leur peau ou de leur origine
ethnique. Le racisme peut se manifester contre n'importe quelle race, couleur de la peau ou
origine ethnique. Certains exemples de racisme sont évidents comme des graffitis,
l'intimidation ou la violence physique. Les insultes et les farces de nature raciale et ethnique en
sont d'autres exemples. Malheureusement, il arrive souvent qu'on n'en tienne pas compte, car
on ne sait pas trop comment y réagir. D'autres formes de racisme sont plus subtiles, comme la
discrimination dans l'embauche et dans la location d'appartements, ou comme des politiques
qui sont défavorables à certaines races, que cet effet soit intentionnel ou non.
Le Maroc a démontré un rôle de premier plan dans des domaines clés en matière d’égalité
raciale. Tout en reconnaissance ces réalisations, de sérieux problèmes persistent et d'importants
efforts restent à faire pour garantir l'égalité raciale et le droit de toutes les personnes de ne pas
subir de discrimination raciale.

Il est recommandé aux autorités marocaines et la société civile d’adopter les mesures concrètes
suivantes qui visent à combattre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et
l'intolérance qui y est associée : d’adopter un cadre juridique et politique global de lutte contre
la discrimination qui mette pleinement en œuvre les dispositions du CERD relatives à l’égalité
raciale conformément aux recommandations du Comité CERD, y compris une définition
conforme de la discrimination raciale prohibée, conformément aux obligations du Maroc en
vertu du droit international des droits de l’homme; Garantir un accès adéquat et effectif à la
justice pour toutes les victimes de discrimination raciale et xénophobe, d'intolérance raciale,
xénophobe et connexe; Recueillir des données fiables et désagrégées basées sur des indicateurs
reflétant avec précision la diversité raciale, culturelle et ethnique de la population marocaine, y
compris en reflétant mieux la diversité linguistique par le biais de mesures métriques qui suivent
l’utilisation de la langue orale, en plus de l'alphabétisation ; Renforcer les mesures préventives
en matière d’éducation, de formation et de sensibilisation pour s’assurer que les agents des
services publics s'abstiennent de tout acte de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie
et d’intolérance qui y est associée et, plus généralement, pour éliminer les stéréotypes racistes
qui peuvent encore prévaloir dans la société; Veiller à ce que la politique nationale en matière
de migration fondée sur les droits de l'homme soit appliquée uniformément à tous les niveaux
locaux; Éliminer toutes les pratiques de profilage racial et toutes autres pratiques
discriminatoires en matière d'immigration, y compris les déplacements forcés, les arrestations
et les détentions arbitraires, le confinement régional et le recours excessif à la force contre des
Africains noirs subsahariens; Fournir une assistance humanitaire d’urgence à toutes les
personnes victimes de violations extrêmes des droits de l’homme dans le contexte de la
migration, sans distinction de race, d’origine ethnique, d’origine nationale, d’ascendance ou
d’immigration, en particulier pour les personnes exposées au risque de discrimination inter-
sectionnelle fondée sur le sexe, le genre ou l’orientation sexuelle, le handicap ou tout autre
statut. Mais ce débat continu toujours dans le temps et lieu actuellement et futur.

33
Projet de fin d’étude 2020

BIBLIOGRAPHIES
OUVRAGES

 Albert Memmi, Le racisme, description, définitions, traitement, Paris, Gallimard,


1994, p. 14
 Bentouhami-Molino Hourya, Race, cultures, identités. Une approche féministe et
postcoloniale, Paris, PUF, 2015
 Christian Del campagne, L'invention du racisme, Antiquité et Moyen-Age,
Fayard, 1983 (ISBN 2-213-01117-6).
 Colette Guillaumin, « Race », Pluriel-recherches : Vocabulaire historique et critique
des relations inter ethniques, Cahier no 2, p. 67
 Colette Guillaumin, L’Idéologie raciste. Genèse et langage actuel, Gallimard, 2002
 François-Xavier Fauvelle-Aymar, Histoire de l'Afrique du Sud, Paris, Seuil, 2006
(ISBN 978-2-02-048003-1)
 Gilles Ferréol (dir.), Dictionnaire de sociologie, Armand Colin, Paris 2010, (ISBN
9782200244293)
 Pierre-André Taguieff, La Force du préjugé, Gallimard, Paris 1990
 Pierre-Jean Simon, Pour une sociologie des relations interethniques et des minorités,
PU Rennes, 21 août 2006, (ISBN 275350248X)
 Serge Bilé, Quand les noirs avaient des esclaves blancs, Pascal Galodé éditeurs, Saint-
Malo, 2008 (ISBN 978-2-35593-005-8).
 Serge Bilé, Quand les noirs avaient des esclaves blancs, Pascal Galodé éditeurs, Saint-
Malo, 2008 (ISBN 978-2-35593-005-8).
 Zygmunt Bauman, Modernité et Holocauste, La Fabrique, Paris, 2002

THESES, MEMOIRES,

 Ives SANGOUING LOUKSON, Ecriture romanesque post-apartheid chez J.M.


Coetzee et Nadine Gordimer, master 2, Université de Yaoundé, 2000.

REVUES

 Alberto Piazza, « Un concept sans fondement biologique [archive] », Aux origines de


la diversité humaine - la science et la notion de race, 30/09/1997, La Recherche n° 302
 B. Khansaa, «L'histoire du racisme anti-Noirs au Maroc », revue le brief.ma, publié le
01/08/2019, https://www.lebrief.ma/1884-lhistoire-du-racisme-anti-noirs-au-maroc
 Catherine Coquery Vidrovitch, « Le postulat de la supériorité blanche » dans Marc
Ferro, Le Livre noir du colonialisme.
 Chouki EL HAMEL, Le Maroc noir, une histoire de l’esclavage, de la race et de
l’islam, aux éditions La Croisée de Chemins (2019).Le monde,
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/07/28/racisme-anti-noirs-au-maroc-le-

34
Projet de fin d’étude 2020
coran-ne-soutient-pas-la-pratique-de-l-esclavage-mais-son
abolition_5494395_3212.html?xtor=SEC-33281054 (consulté le 15/09/2020)
 Frances Henry, Les concepts de race et de racisme et leurs implications pour la
Commission ontarienne des droits de la personne, décembre 2004,
http://www.ohrc.on.ca/fr/les-articles-du-dialogue-sur-la-politique-raciale/les-concepts-
de-race-et-de-racisme-et-leurs-implications-pour-la-commission-ontarienne-des-
droits-de
 Jaouad MDIDECH « Les Marocains sont-ils racistes ? », La vie économique,
https://www.yabiladi.com/article-societe-1640.html
 Jean Deligne, Esther Rebato et Charles Susanne, race et racisme, (journal des
anthropologues), 2001, https://journals.openedition.org/jda/2619
 M. Desmond et M. Emirbayer, article What is racial domination ? in : Du Bois Review
: Social Science Research on Race 6(2), pp. 335-355, 2009.
 Mohamed Ali Mrabi, « Lutte contre le racisme et les discriminations : Des
défaillances persistent encore », L ’Economiste, édition N° :5421 Le 27/12/2018.
https://www.leconomiste.com/article/1038575-lutte-contre-le-racisme-et-les-
discriminations-des-defaillances-persistent-encore
 Rita Aouad BADOUAL, Esclavage » et situation des « noirs » au Maroc dans la
première moitié du XXe siècle, 2003.
 Salah TRABELSI «Racisme anti-noir : « Comment le Maghreb en est-il venu à rejeter
son africanité ? ». Le Monde, février 2019,
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/02/24/racisme-anti-noir-comment-le-
maghreb-en-est-il-venu-a-rejeter-son-africanite_5427702_3212.html
 Simone Bakchine Dumont, « Le thème chamatique dans les sources rabbiniques du
Proche-Orient, du début de l'ère chrétienne au XIIIème siècle », Éthiopiques – Revue
trimestrielle de culture négro- africaine, Dakar, vol. III, nos 40-41 « 1-2 », 1er
trimestre 1985.

TEXTES DE LOIS ET CONVENTION

 Code pénal
 Commentaire sur l’élimination de la discrimination raciale, Recommandation générale
n° 20, article 5 de la Convention, 48ème session, 1996, document des NU A / 51/18, ¶
1 (14 mars 1996).
 Constitution marocaine 2011
 Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
raciale, le 4 janvier 1969, 660 U.N.T.S. 195
 Loi 88-13 relative à la presse et l’édition
 Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 16 décembre 1966, 999
U.N.T.S. 171 ;
 Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 16 décembre
1966, 993 U.N.T.S. 3

35
Projet de fin d’étude 2020
DICTIONNAIRES

 Le petit Larousse
 La toupie http://www.toupie.org/Dictionnaire/Racisme.htm

WEBOGRAPHIE

 Portail des thèses : www.theses.fr


 Portail des ouvrages https://www.scholarvox.com/
 Portail des mémoires : www.mémoireenligne.com
 https://www.yabiladi.com/article-societe-1640.html
 https://ec.europa.eu/trustfundforafrica/sites/euetfa/files/ma_action-document-maroc-
action-fiche-20161216_fr_7.pdf
 www.islamhouse.com
 Haute commissariat des Droits de l’Homme, Nations unis :
https://www.ohchr.org/FR/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=24043&L
angID=F
 Plan d’action national en matière de démocratie et des droits de l’homme (2018-2021),
http://didh.gov.ma/fr/publications/plan-daction- national-en-matiere-de-democratie-et-
des-droits-de-lhomme-2018-2021.
 Jean Deligne, Esther Rebato et Charles Susanne, race et racisme, (journal des
anthropologues), 2001, https://journals.openedition.org/jda/2619

36
Projet de fin d’étude 2020

TABLE DES MATIÈRES


Remerciements..................................................................................................................2
Abréviations ......................................................................................................................4
Introduction ......................................................................................................................5
CHAPITRE I. CONTEXTE GENERAL ET HISTORIQUE DU RACISME ..........................................8
Section 1. Définition de la race-racisme ......................................................................................... 8
A. La notion du racisme............................................................................................................... 8
B. L’anthropologie et le concept de race ................................................................................... 11

Section 2. L’Histoire ...................................................................................................... 17


A. Le cadre global................................................................................................................... 17
B. L’histoire du racisme anti-noir au Maghreb ........................................................................ 19
CHAPITRE II. SOCIETE MAROCAINE ET LA LUTTE CONTRE LE RACISME ............................... 21
Section 1. Situation des noirs au Maroc ........................................................................ 21
A. L’état au sein de la société ................................................................................................. 21
B. Le racisme au sein de la société marocaine d’une vision étrangère ................................... 22
Section 2. Politique publique du Maroc contre le racisme ............................................. 24
A. Action nationales et internationales................................................................................... 24
B. Législations et dispositions ................................................................................................ 30

Conclusion ....................................................................................................................... 33
Bibliographies .................................................................................................................. 34
Table des matières ........................................................................................................... 37

37

Vous aimerez peut-être aussi