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1. Je suis ici la remarquable analyse de Michael Sandel, Liberalism and the limits of Justice,
Cambridge University Press, 1982.
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Utilitarisme et sacrifice
Il est nécessaire, avant d'aller plus avant sur Rawls, de parler de
l'utilitarisme. Il s'agit d'un libéralisme téléologique, qui subordonne
le juste au bien. Le bien est préalablement et indépendamment défini,
et le juste est alors ce qui contribue à la maximisation du bien. D'où
le risque que la perte de liberté de certains puisse être justifiée au
nom d'un plus grand bien qui échoirait aux autres. Or, Rawls
(comme d'ailleurs Nozick) entend prendre au sérieux le caractère
pluriel et distinct des individus. La pluralité des personnes est pour
lui le trait le plus essentiel qui caractérise le sujet moral, c'est le
premier postulat de l'anthropologie philosophique qui sous-tend la
Théorie de la justice. Rawls reprend pleinement à son compte l'obli
gation kantienne de ne jamais violer le respect dû à la personne
humaine. Ce qu'il traduit ainsi : « Chaque personne possède une
inviolabilité fondée sur la justice qui, même au nom du bien-être de
l'ensemble de la société, ne peut être transgressée. Pour cette raison,
la justice interdit que la perte de liberté de certains puisse être justi
fiée par l'obtention, par d'autres, d'un plus grand bien. Elle n'admet
pas que les sacrifices imposés à un petit nombre puissent être com
pensés par l'augmentation des ^vantages dont jouit le plus grand
nombre » (p. 29-30). Or, le péché originel de l'utilitarisme, selon
Rawls, est précisément de faire l'impasse sur la pluralité humaine, en
étendant au problème de la bonne société les principes du choix
rationnel valables pour un individu seul et isolé.
Il nous faut cependant être plus précis sur le rapport entre l'utili
tarisme et ce que j'appellerai le principe sacrificiel (le sacrifice de
certains au plus grand bien de la communauté). L'auteur utilitariste
auquel s'intéresse Rawls avant tout n'est pas l'un des pères fondateurs
de la doctrine, Rentham ou John Stuart Mill, lesquels s'efforçaient,
non sans mal, de fonder le principe éthique selon lequel chacun doit
s'efforcer de contribuer « au plus grand bonheur du plus grand nom
bre », sur une théorie psychologique d'après laquelle les comporte
ments individuels procèdent d'un hédonisme égoïste. Cet auteur est
Henry Sidgwick, philosophe anglais de la fin du XIXe siècle, dont le
grand livre, The Methods of Ethics, date de 1874. Sidgwick, comme
Rawls, cherchait à fonder en raison nos jugements moraux. Le pro
blème, c'est que la raison de Sidgwick n'est pas la raison de Rawls,
puisque la première conclut à la rationalité du principe sacrificiel, et
la seconde à son irrationalité. C'est l'affrontement entre ces deux rai
sons que Théorie de la justice met en scène.
La raison de Sidgwick était une raison déductive, alors que, nous
l'avons vu, celle de Rawls est une raison procédurale. Sidgwick était
en quête de principes moraux dont l'évidence soit manifeste et qui ne
se réduisent pas à des propositions vides d'être trop abstraites. Voici
comment il raisonnait. Soit une totalité de type logique, mathémati
que ou éthique, dont tous les éléments sont parfaitement identiques
les uns aux autres. Vu de la totalité, la seule règle qui se justifie
d'elle-même est l'impartialité dans le traitement des différents élé
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2. J.J.C. Smart, An Outline of a System of Utilitarian Ethics, cité par J. Rawls, op. cit.,
p. 228.
3. Basic Books. New York, 1974.
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Contresens
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