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Partie II

Larina :
des acquis archéologiques
aux perspectives historiques

Fig. 596 – Reconstitution graphique du castrum de Larina.


94 • Larina
V ingt ans de recherche ont donc permis de mieux
connaître le site de Larina et d’appréhender
son importance, tant pour l’histoire du peuplement
développement des recherches de terrain, de plus en
plus liées aux programmes de sauvetage préalables
aux grands aménagements2, concerne peu les sites
à partir de l’Isle-Crémieu, que plus généralement ruraux de hauteur, et que la recherche programmée
pour l’histoire des sites ruraux fortifiés de hauteur ne s’est pas beaucoup intéressée à ce type d’établis-
(Fig. 747). Si, pendant toutes ces années, les recher- sement, malgré des renouveaux très récents dans le
Midi puis le Jura plus récemment3…
ches sur le peuplement ont beaucoup avancé, les
Alors, quelles conclusions et perspectives tirer des
études plus précises sur les fortifications de hauteur
recherches sur Larina au niveau d’abord des acquis,
pendant l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge ont, puis des problèmes restant en suspens, dans le cadre
elles, peu progressé : bien peu de données nouvelles de problématiques historiques ?
ont en effet été publiées depuis les premières syn-
thèses1 sur ce type de site. Il apparaît ainsi que le
2. Chapelot J. (2010)
1. Fournier G. (1962) et (1978), Fevrier P. A. (1976) et (1994) 3. Bourgeois L. (2006), Schneider L. (2010)

Fig. 747 – Larina : vue générale aérienne des vestiges restaurés (ill. P. Porte).

Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques • 95


Chapitre 1
L’annexe d’une villa tardoantique

L e bout de plateau bien visible de la plaine, aux


falaises spectaculaires, qui abrite Larina constitue
Pendant l’Antiquité tardive, un établissement plus
structuré et permanent est installé sur ce plateau par
la villa, en liaison sans doute avec un changement de
un lieu symbolique, à la fois espace de refuge pro-
tégé et sanctuaire depuis les temps allobroges. Il peut type d’exploitation. Deux types d’habitat se succèdent
appartenir au haut Empire à un important aristocrate alors rapidement sur le site, chacun d’eux étant en
complément associé sur la colline voisine de La Motte
gallo-romain, notable de la cité de Vienne habitant
à une nécropole, d’abord en cercueils de bois et en
peut-être la villa du Vernai à Saint-Romain-de-Jalionas,
pleine terre, puis en coffres de lauze (Fig.  748). La
qui a pu installer sur le site ses mausolées et sa nécro- nature de ce nouvel établissement amène à rechercher
pole familiale. Le reste du site accueille alors vraisem- son centre ailleurs dans la plaine, et à s’interroger sur
blablement une exploitation de carrières et un élevage le fonctionnement des différentes parties d’une villa
dans le cadre d’une occupation légère ou temporaire tardoantique jusqu’au début du vie  siècle. Le fanum
en faire-valoir direct depuis le centre de la villa. enfin, avec peut-être une première phase légère diffi-

Fig. 748 – Vue aérienne de l’établissement tardoantique au pied de La Motte (ill. P. Porte).

L’annexe d’une villa tardoantique • 97


Fig. 749 – Les vestiges constituant l’établissement de « cabanes » (ill. P. Porte).

cile à caractériser, atteste par son archaïsme le main- campagnes régionales gallo-romaines, ils montrent
tien, si ce n’est le renouveau, des traditions cultuelles leur maîtrise des autres techniques antiques en édi-
païennes dans les campagnes, au moment même où fiant aussi des bâtiments en petits moellons liés au
le christianisme s’affirme dans les villes. mortier de chaux, et aux sols de mortier de tuileaux,
quand ils en ont besoin.
Les édifices construits ensuite sur des fondations
de galets regroupent d’abord de petites habitations
Un établissement agricole familiales de taille variable (de 15 à 50 m²). Elles
de hauteur bien caractérisé sont toutes constituées d’une salle principale avec
foyer domestique, complétée au Nord d’une plus
Deux phases permettent donc de séparer les petite pièce d’atelier/remise qui permet sans doute
cabanes en torchis sur poteaux de bois de la fin du l’organisation et le stockage des activités de subsis-
ive siècle, et les édifices à ossature bois et torchis sur tance propre à chaque cellule familiale (Fig. 752).
fondations de galets centrés sur le ve siècle. Un incen- Le plan identique de ces habitations et leur regrou-
die au moins partiel de ces cabanes, suivi d’une très
courte période d’abandon, mais au délai suffisant
pour permettre une inhumation dans leurs décom-
bres, sépare ces deux périodes.

Une occupation du sol mêlant habitations


et édifices d’exploitation
Dans un premier temps (Fig. 749), les cabanes
constituent donc un hameau regroupant à l’abri du
vent quelques édifices dont des habitations et ateliers,
mais leur ampleur et leur organisation resteront incon-
nues faute de découvertes suffisantes (Fig. 750).
Cette phase, datée de la fin du ive  siècle par
de nombreuses monnaies, le verre, la céramique
notamment, est de loin la plus florissante du site
avec ses nombreuses productions exportées et ses
importations parfois luxueuses au sein d’une écono-
mie encore très ouverte. La confrontation de cette
richesse avec la sobriété de l’architecture des caba-
nes interroge et il faut envisager de relier peut-être
ce premier établissement à un sanctuaire antérieur au
fanum, disposant de bâtiments associés comme les
cabanes et/ou le bâtiment XII, pour comprendre cette
phase d’occupation du site. Mais pour des raisons
inconnues un incendie est venu détruire ces caba-
nes, nécessitant une reconstruction rapide au même
endroit du hameau avec de nouvelles spécificités
architecturales, si ce n’est une définition différente. Si
les habitants privilégient la construction d’édifices à Fig. 750 – Restitution d’une des premières «cabanes» de Larina
ossature de bois et torchis, comme souvent dans les (ill. P. Allart).

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Fig. 751 – Les vestiges constituant l’établissement « sur fondation de galets ».

pement dans un parcellaire contraint supposent une


organisation sociale ordonnée, avec une autorité qui
l’a imposée. La « grande maison X », installée tardive-
ment dans le fanum désaffecté, dont elle reprend
notamment une partie de la galerie périphérique, ne
paraît néanmoins pas devoir correspondre dans ce
cadre à une petite villa romaine, même s’il faut lui
faire une place à part dans l’établissement. Sa galerie-
façade remaniée lui donne, certes, une monumenta-
lité empruntée à l’architecture d’une villa, mais sans
doute par hasard compte tenu de la réutilisation des
fondations au moins de la construction préexistante.
Elle dispose par contre également du même plan de
base à deux pièces que les autres édifices. Mais l’ab-
sence de foyers dans la grande pièce principale, là
à deux nefs, en fait aussi une salle permettant des
réceptions. La localisation de ses foyers seulement
dans la salle arrière la différencie aussi des autres
habitations, où la remise/atelier liée à chaque habi-
tation du hameau semble plus liée à des activités Fig. 752 – Restitution d’une maison familiale de « colons »
et entrepôt collectif.
vivrières que domestiques. Ces caractéristiques sont
néanmoins insuffisantes pour faire de cet édifice aty-
pique le siège d’une petite villa répondant aux nor-
mes d’habitation de l’otium aristocratique. Elles ont
pu par contre faire évoquer un moment l’existence
de l’habitation d’un « chef de village », d’un villicus,
représentant sur le site l’autorité du dominus de la
villa de plaine. Mais la datation plus probable de la
destruction/désaffectation du sanctuaire, puis de sa
restauration/transformation en habitation seulement,
au début du vie siècle, entre la fin de l’établissement Fig. 753 – Fers d’esclaves ou de prisonniers provenant
tardoantique et le début de l’époque mérovingienne, du bâtiment X.
ne permet plus de lui conserver cette fonction de
direction de l’établissement du ve siècle. duction. Cette organisation collective de l’exploita-
En complément des cabanes d’habitation et de tion d’une grande propriété peut faire envisager une
leur annexe de subsistance propre, de vastes bâti-
production en faire-valoir direct par un groupe d’es-
ments d’exploitation spécialisés (entrepôts, pressoirs,
claves1 (Fig. 753). Mais la présence des habitations
granges, ateliers…) sont alors aménagés également.
familiales en autosubsistance, et celle de leur nécro-
(Fig. 752). Vu leur taille et leurs spécificités techni-
pole voisine, renvoient plutôt à un habitat de coloni,
ques, ils correspondent tous à une production col-
lective et non individuelle, ne se légitimant que s’ils
1. Les entraves métalliques pour animaux sont plus rares. Celles conser-
sont utilisés conjointement par les habitants du site. vées au MAN sont par ailleurs plus larges et sans fermetures « sécuri-
Leur architecture renvoie donc à une organisation, sées », contrairement à la paire trouvée enfouie dans le bâtiment X de
et à une propriété, domaniale des moyens de pro- Larina, elle assez proche des entraves de la traite à l’époque moderne.

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de « colons casés », ou de « servi casati », d’esclaves qu’un grand nombre de vignerons. Ces changements
locataires d’une petite ferme, vivant (et travaillant !) amènent le recul du mode d’exploitation en faire-
là en permanence. Cette différenciation, mode de vie valoir direct au profit des terres louées à des coloni,
familial/mode d’exploitation collectif, est néanmoins répartis dans les différents terroirs des domaines. Les
curieuse : on s’attend plus en effet à une cohérence agronomes antiques ont d’ailleurs fixé dès le ier siè-
« esclaves vivant groupés et exploitant collectivement cle les règles nécessaires à la bonne gestion d’un
de grandes terres », ou « colons vivant en famille sur domaine agricole annexe du type de Larina : « Pour
une petite terre délimitée qu’ils exploitent seuls contre les terres éloignées où le propriétaire ne peut se rendre
une redevance » qu’au mélange des genres qui paraît facilement, il vaut mieux quel que soit le genre de sol,
être la situation de Larina, avec ses petites habitations le donner à des colons libres plutôt qu’à un villicus et
familiales et ses grands bâtiments d’exploitation spé- à des esclaves. C’est surtout vrai pour les terres à blé,
cialisés. Le site témoigne ainsi, là aussi, des mutations qu’un colon ne peut guère abîmer, ce qui n’est pas le
juridiques et socio-économiques en cours pendant cas des vignobles et des vergers, où les esclaves peu-
cette période de transition, avec le regroupement des vent causer beaucoup de mal. »5. Les villae devien-
diverses catégories de « non libres » et « libres paupé- nent ainsi, au-delà de la résidence du propriétaire,
risés » en un seul groupe préfigurant les futurs serfs un lieu de perception des taxes et de stockage des
face aux grands propriétaires terriens. marchandises ramenées des antennes spécialisées
À la fin de l’Antiquité, l’établissement de Larina dans les différentes productions, confiées aux coloni.
est ainsi l’annexe d’une grande villa régionale, dont Ce schéma économique devenu traditionnel évoque
il constitue une partie du domaine. Il se trouve ainsi bien la situation archéologique retrouvée, mais aussi
assez proche des fermes de l’Antiquité tardive, bien la répartition des rapports proposés entre l’annexe
connues autour de la Méditerranée par l’iconographie de Larina et la villa-centre dont le site devait dépen-
des mosaïques de l’Afrique du Nord et de Jordanie, dre. Avec les différences entre les édifices fouillés,
ou par des fouilles comme celles de Nador en Mau- on a là un élément de réflexion de plus sur la nature
rétanie2, plus que par des exemples métropolitains. juridique des occupants des habitations.
Ces fermes se caractérisent en effet aussi par des
installations agricoles (parfois fortifiées), dépourvues
d’espaces résidentiels luxueux et confortables pour
le dominus, loin des villae d’Avitacus et de Pontius
Léontius décrites par Sidoine Apollinaire au ve siècle
et des luxueuses demeures fouillées dans le Midi et
en Aquitaine notamment3.

Une exploitation polyvalente mais maîtrisée


Les fouilles et les études de mobiliers ont prouvé
qu’alors la partie du domaine casée à Larina vit sur-
tout de l’extraction de pierres, l’élevage, la viticulture,
la céréaliculture… qui constituent le lot quotidien
des habitants du site avant qu’une bonne partie des
produits stockés dans les entrepôts rejoigne le centre
du domaine dans la plaine.
Fig. 754 – Scène d’agriculture polyvalente dans une villa
Or les chercheurs ont montré4 que la crise politi- antique (mosaïque des Laberii à Oudna au Musée du Bardo)
que et économique dans l’Empire, et notamment la (ill. P. Porte).
Gaule romaine, à la fin du iiie et au début du ive siècle,
a amené une diversification des productions, faute Au-delà de l’exploitation des carrières qui ne
de moyens d’investissements et d’ouvriers, libres ou paraissent donner lieu à une « exportation » notable
esclaves (Fig. 754). Les grands propriétaires fonciers qu’à la fin de l’Antiquité, la céréaliculture semble,
auraient alors délaissé les cultures intensives, comme elle, moins importante sur le plateau que dans la
la viticulture, au profit d’autres activités et modes de plaine compte tenu des espaces disponibles. Ceux-ci
productions moins exigeants en capital et moyens de sont en effet plus de nature à répondre aux besoins
fonctionnement. Dans le Midi, la prairie remplace la de subsistance des habitants du site qu’à une pro-
vigne dans les plaines pour accueillir ainsi l’élevage duction commerciale, à laquelle correspondraient
bovin. Mais si les plaines restent principalement en également mieux les terroirs de plaine. La fonction
céréaliculture, l’élevage se déplace alors vers les hau- d’entrepôt du bâtiment V reste néanmoins peu défi-
teurs, où des exploitations annexes doivent se déve- nie dans l’Antiquité  : son emplacement dans l’axe
lopper grâce à quelques bouviers moins coûteux d’une combe ventée en fait néanmoins plus un
édifice de stockage sec et bien ventilé qu’une très
2. Carandini etc. (1989), Duval N. (1990)
3. Par exemple pour une vision synthétique en Aquitaine : Balmelle C.
grande étable.
(2001).
4. Ferdiere A. etc. (2006) ; Van Ossel P., Brun J. P. etc. (2001) 5. Columelle, De Re Rustica, I, 7

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Fig. 755 – Scène de chasse aux ours, sangliers et porcs sauvages au ive siècle (mosaïque du Musée du Bardo) (ill. P. Porte).

Par contre, l’élevage est au cœur de l’économie labeurs agricoles. Ainsi en est-il également du déve-
des deux sites, la villa et son annexe, avec des com- loppement de la consommation des jeunes poulets
paraisons et une évolution notable. À Saint-Romain qui confirment l’absence de tension alimentaire pour
d’abord, l’élevage s’appuie sur des bovidés paissant les habitants de Larina. En complément, on doit
dans les grasses prairies marécageuses voisines. Il est noter l’absence de près de la moitié des postérieurs
même en hausse constante jusqu’à occuper 70 % du de porcs, ce qui montre l’importance grandissante de
troupeau en NMI6, à des fins de vente sur pieds et la production de jambonages et salaisons sur le site.
boucherie. Un troupeau de cerfs complète d’ailleurs Leur vente à l’extérieur témoigne d’une économie
peut-être cet élevage. Les porcins ne sont eux qu’un commerciale sortie de l’autoproduction pour la survie.
héritage protohistorique en baisse régulière, et la Dans ce cadre, on doit noter le même phénomène,
faible part des ovins caprins les limite aux besoins bien que limité, pour une partie des bœufs, ce qui
locaux en laitages et lainages. s’explique moins car la viande de bœuf ne se prête
À cette époque, Larina dont on suggère la dépen- pas en général à la salaison, mais l’étude démontre
dance et donc la complémentarité économique à la la réalité de cette particularité culinaire sur le site.
villa du Vernai, dispose d’un élevage important (plus Tout confirme donc alors la présence à Larina d’un
de 2 800 animaux différents identifiés sur un peu plus important élevage où le nombre de têtes de bœufs,
d’un siècle) mais d’un profil différent. Les niveaux de porcs, moutons et chèvres, est équilibré (environ 1/3
« cabanes » de la fin du ive siècle et du début du ve siè- chacun), mais où la consommation importante de
cle d’abord constituent, dans ce domaine comme viande de bœufs élevés pour la boucherie et la vente
dans d’autres, l’apogée économique de Larina à l’extérieur revêt une très grande importance. Cette
(fig.  629). Ovins et caprins, porcs et bœufs sont situation est la preuve de l’aisance des habitants et de
présents de manière égalitaire dans les troupeaux7, l’organisation productive à long terme existant sur le
mais la viande de bœufs prédomine dans l’alimen- site8, mais aussi de l’importance de ces prélèvements
tation carnée, avec plus de 80 % du poids de viande sur la production de l’établissement, et donc de sa
consommée compte tenu du poids de cet animal, dépendance par rapport au centre de la villa.
les deux autres espèces plafonnant chacune à 10 %. Si la plupart des niveaux des bâtiments du ve siè-
Les chèvres, minoritaires dans les ovins caprins, se cle proposent des conclusions globalement similaires
développent pour représenter néanmoins un tiers de aux précédentes (fig. 630), les couches du ve-début
cette espèce. La faible consommation de leur viande vie  siècle montrent déjà une évolution significative
prouve à la fois leur fonction de fournisseur essentiel de l’élevage (fig. 631). En Nombre Minimum d’Indi-
en produits laitiers et de poils et peaux pour les tex- vidus, les ovins caprins deviennent alors plus nette-
tiles, mais aussi de l’absence de besoins importants ment majoritaires, même si les troupeaux paraissent
du site en viande attestée par l’utilisation plus adap- encore équilibrés dans le cheptel9. La quantité de
tée des autres espèces dans l’alimentation carnée. La bœuf en poids de viande consommée baisse en
chasse est presque uniquement un « loisir « (ou une parallèle, au profit des porcs surtout, tout en restant
activité interdite aux habitants), car très anecdotique majoritaire dans l’alimentation carnée. Ce change-
pour l’alimentation avec moins de 1 % de la viande ment dans l’élevage n’entraîne pas une hausse de
consommée (Fig. 755). La proportion de bœufs l’alimentation chassée, toujours à 1 %, et traduit donc
adultes consommés, alors la plus faible de l’histoire surtout des changements culturels dans le type d’éle-
du site, montre la grande aisance des habitants du vage à Larina. Dans le même esprit, l’augmentation
site amenés à consommer des veaux et bœufs jeu- du nombre de bœufs adultes dans la viande consom-
nes, de bonne qualité alimentaire, élevés pour cela, mée, au détriment des jeunes, montre la baisse de
et non des bœufs réformés après une longue vie de l’aisance des habitants du site, obligés alors de se

6. NMI : Nombre Minimum d’Individus décomptés à partir de tous les 8. Ces constatations dépassent en effet l’analyse de la richesse géné-
fragments d’ossements retrouvés en fouille, pour caractériser la nature rale du domaine antique puisqu’il s’agit des restes de viandes consom-
du troupeau. La réflexion en PV, ou Poids de Viande consommée resti- mées sur le site par les exploitants, et non pas de ceux des aristocrates
tuée, concerne elle plus l’alimentation des habitants du site. de la villa.
7. En NMI : ovinés caprinés 35 %, bovidés 31 %, porcins 31 %. 9. En NMI : ovins caprins 37 %, porcins 30 %, bovidés 26 %.

L’annexe d’une villa tardoantique • 101


nourrir d’animaux de rapport « en fin de carrière » et
non de la viande de boucherie produite pour cela.
En complément, un meilleur équilibre entre les res-
tes des membres postérieurs et antérieurs signale la
baisse des salaisons (toujours bien existantes malgré
tout), et donc de la baisse du commerce effectué par
les habitants de Larina au tournant du vie siècle. Ces
aménagements qualitatifs attestent d’un tournant et
du début d’une période plus difficile pour l’écono-
mie du site ; mais Larina reste alors un site d’élevage
important toujours très autonome et bien pourvu
dans sa production économique.
Des recherches10 ont reposé la question de la place
de l’élevage et de la céréaliculture dans les domaines
antiques. On doit ainsi noter que d’après les textes
antiques11, l’élevage devient dès le haut Empire une
des principales formes d’investissement pour les riches
romains, après la viticulture plus spéculative mais
bien avant la céréaliculture, plus difficile à rentabili-
ser. Au ive siècle, Palladius a conforté ces réflexions,
bien que pour lui l’agriculture d’un domaine doive
être plus diversifiée : le triptyque gagnant doit certes
d’abord associer élevage, céréaliculture et viticulture,
mais sans oublier également les jardins maraîchers,
vergers et oliveraies. L’élevage, que les auteurs sépa-
rent bien du pastoralisme qui relève d’autres prati-
ques culturelles, doit être pratiqué sur le saltus mais
aussi sur les compascua, définies comme des terres Fig. 756 – Bœuf et chèvre rustique de l’Antiquité tardive sur
arables ouvertes au pâturage collectif avec la mise des mosaïques du musée archéologique d’Amman (Jordanie).
en défense des « terres de cultures » (Columelle) ou (Ill. P. Porte).
des « prés » (Varron) contre les troupeaux. Ainsi faut-il
aussi séparer les champs cultivés des « ager pascuus », complémentarité de terroirs fourragers paraît aussi
pâturés. Columelle conseille plutôt malgré tout d’éle- avoir été nécessaire au développement de l’élevage
ver les bovins dans les bois dont des parties pourront à Larina. Si cette liaison entre ager et saltus n’est pas
être closes par des murets. Lorsque les fouilles de étonnante, elle oblige à s’interroger sur les liens entre
Larina ont commencé en 1977, les terres non culti- les exploitants des deux types de terroirs : sont-ce les
vées et non couvertes de buis du site ne nourrissaient bergers de Larina qui parcouraient les champs de la
qu’avec difficulté une dizaine de vaches compte plaine et dans quelles conditions ? Ou des bergers de
tenu du type de terres, peu épaisses (Fig. 756). Si la plaine qui migraient avec leurs troupeaux sur les
une déforestation totale du plateau dans l’Antiquité, hauteurs, en utilisant les infrastructures spécialisées
envisageable, permet d’augmenter sensiblement ce mises à disposition sur le plateau ? Les deux situa-
nombre, la nourriture en herbe et eau de bovins sur tions ont récemment encore existé sur le territoire…
le site ne devait néanmoins pas être facile. De nos L’économie agricole de Larina à la fin de l’Anti-
jours, la gestion du monument historique a envisagé quité s’appuie également sur la viticulture, comme
de s’appuyer de nouveau sur la mise en œuvre d’un celle de Saint-Romain-de-Jalionas si l’on en croit les
élevage extensif contribuant notamment à réduire études palynologiques13. La construction pendant
l’enforestation excessive du plateau. Une recherche l’Antiquité tardive, puis le maintien en activité du
a été réalisée avec l’aide de l’INRA12 afin d’étudier le grand pressoir à vis verticale (bâtiment II) jusqu’à la
potentiel du site pour nourrir un troupeau d’animaux fin de l’époque mérovingienne, atteste de la conti-
selon des méthodes traditionnelles. L’étude a dû vite nuité de cette importante production pendant toute
éliminer les bovidés pour ne retenir que les chèvres l’occupation du site. La disparition par contre dès le
rustiques, avec un potentiel d’une cinquantaine de vie  siècle du pressoir du bâtiment XI prouve néan-
têtes possibles. Il a été aussi signalé qu’une produc- moins un moindre intérêt ensuite pour cette activité.
tion laitière régulière nécessiterait pour subsister une Sur le plan de l’évolution des techniques, la particula-
alternance entre les pacages secs du plateau et des rité du grand pressoir à vis verticale a été bien notée,
pacages plus gras et humides de la plaine. Ainsi la avec l’intérêt de disposer par ce biais d’une structure
isolée dans un coin d’un édifice non spécifique, et
10. Leveau PH., (1995) la possibilité d’une manipulation temporaire par des
11. Varron, Columelle (De re rustica), et Palladius (Opus agriculturae).
Traductions et éditions «Les Belles Lettres», Paris.
personnels peu nombreux et non spécialisés. Bien
12. Unité d’Ecodéveloppement d’Avignon. cf. Schulz (1997) et S. N.
(1999) 13. Royet R. (2006)

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qu’attestée par les agronomes antiques, sa diffusion Les analyses palynologiques16, dans la tourbière au
n’est guère illustrée par l’archéologie avant le déve- pied du site et dans des marais liés à l’occupation de
loppement des grandes abbayes médiévales. Mais les la villa de Saint-Romain-de-Jalionas, attestent locale-
vestiges matériels de ce type d’installation peuvent ment de l’existence de la viticulture au haut Empire.
être ténus et quelques découvertes existent on l’a Des inscriptions voisines de l’Isle-Crémieu, à Briord
vu néanmoins. Le développement de cette technique et Geligneux (Ain), signalent également la présence
de pressage a dû ainsi connaître un sort analogue dans l’Antiquité de vignobles17, certes funéraires pour
aux moulins à eau : cette invention antique fut aussi les parentalia. Au ve siècle encore, le poète Sidoine
diffusée surtout au Moyen Âge, dont datent les pre- Apollinaire18 s’excuse de ne pouvoir offrir à ses visi-
mières « images » conséquentes, mais son apparition teurs lyonnais que des crus locaux et non des vins à
dans les campagnes est constamment reportée plus la mode, ce qui montre toujours l’existence de vignes
en amont par les fouilles. régionales (de qualité discutée certes !) pendant l’An-
L’importance des pressoirs a fait également s’inter- tiquité tardive. La viticulture n’a d’ailleurs alors plus
roger sur la localisation des vignes nécessaires à la ren- la place qu’elle occupait dans l’économie doma-
tabilisation de ces importantes installations (Fig. 757). niale du haut Empire. Les fouilles archéologiques du
Si des vignes pouvaient occuper une partie du site, Midi montrent néanmoins qu’elle perdure aux ve-viie
comme c’était encore le cas il y a quelques années, siècles19. L’habitat rural de Dassargues à Lunel-Viel
d’autres vignobles devaient occuper des espaces exté- (Hérault), occupé de la fin du ve au viie siècle, a livré
rieurs, sur les coteaux de la falaise ou dans la plaine. des charbons de bois de sarments de vigne. Dans la
Cette situation amène par suite à s’interroger aussi sur villa des Farguettes à Nissan-les-Ensérune (Hérault),
les liens unissant les habitants de Larina aux exploitants un chai restauré au ve est utilisé jusqu’à la fin du
de la plaine : s’agissaient-ils de paysans indépendants vie siècle au moins. La villa de la Gramière à Castillon

ou de coloni casés par le même dominus que celui (Gard) produit du vin jusqu’au viie siècle, avec peut-
possédant Larina ? Dans quelles conditions ces viticul- être même les traces d’un pressoir à vis centrale dans
teurs pouvaient-ils utiliser ce vaste pressoir, à la taille sa pièce 1/19. Le cas le plus évocateur est néanmoins
« communautaire » ? A-t-on là les prémices d’un pressoir celui des Prés-Bas à Loupian (Hérault), où le vin du
banal, ou plutôt une répartition bien étudiée d’outils domaine est désormais pressé dans de petites unités
de production sur le domaine14 ? d’exploitation, qui pourraient être des habitats de
coloni, avant que le vin soit entreposé dans les chais
de la villa voisine, de leur propriétaire. Ce schéma
évoque bien la situation archéologique retrouvée à
Larina en répondant également aux questions posées
auparavant. Un pressoir à vis directe et quelques ton-
neaux suffisent alors dans ce cadre pour produire le
vin destiné au domaine et aux villes voisines.
Les différents éléments ci-dessus permettent donc
de qualifier le type d’agriculture représenté à Larina
au ve siècle. Quelques ouvriers casés, techniquement
polyvalents, pouvaient y suffire pour conduire l’éle-
vage toute l’année ; extraire les pierres demandées au
printemps ; moissonner l’été ; vendanger et presser
la vigne à l’automne… Le site ne paraît ainsi pas se
Fig. 757 – Pressoir traditionnel de l’Isle-Crémieu
différencier de l’exploitation de nombreux domaines
(ferme de Moras) proche du type du grand pressoir agricoles tardoantiques situés notamment sur des
à vis verticale de Larina (ill. P. Porte). hauteurs. Un visiteur lettré20 aurait alors pu souhaiter
au propriétaire de Larina que : « tu verras écumer tes
La vente et la consommation de ces vins ­devaient vins avec le produit de vignobles agrandis ; tes gre-
rester assez locales, au plus régionales. Dans cette niers, croulant sous le poids des moissons amonce-
partie nord de la Narbonnaise, la viticulture est lées, te donneront aussi des tas de blés innombrables ;
connue en effet anciennement. La villa coloniale de c’est un troupeau (de moutons et brebis) serré aux
Saint-Laurent-d’Agny (Rhône) montre la présence en lourdes mamelles qu’un pâtre bien nourri fera entrer,
territoire lyonnais de vastes installations viticoles, avec pour les traire, par les portes malodorantes de tes
deux pressoirs à levier, dès le début de notre ère15. bergeries », où il ne manque que les carrières pour
décrire les activités du site.
14. Des questions similaires sont aussi posées ailleurs quant à l’utilisa-
tion de ce type d’équipement structurant dans des domaines tardoanti- 16. Clerc J. (1980) ; Royet R. (2006)
ques. Cf. par exemple la découverte d’un grand pressoir à huile d’olives 17. C.I.L., XIII, 2464 et 2466, pour Briord où il y a un vignoble d’un
du vie siècle mis au jour dans la villa de Villauba en Catalogne (Jones arpent (4 221 m²); et C.I.L., XIII, 2 494 pour Géligneux.
R.  F.J.  etc., 1982), ou la mention d’un important moulin à eau du 18. Sidoine Apollinaire, Carmen XVII (vers16-17)
viie siècle décrit par Fortunat dans le castrum de Nicetius sur la Moselle 19. Brun J. P. (2005).
(Poèmes, III, 12) au viie siècle. 20. Sidoine Apollinaire, lettre à Eutropius, Epistulae, I-6, 3 et 4 ;
15. Poux M. etc. (2010) V-21

L’annexe d’une villa tardoantique • 103


Une culture matérielle aux tendances
partagées
Le mobilier mis au jour dans l’établissement de la
fin de l’Antiquité, abondant et varié, montre d’abord
une certaine aisance de ces habitants. Les vestiges
de forges ainsi que les nombreux outils diversifiés
mis au jour évoquent le travail du métal et du bois,
le tissage… qui témoignent des multiples savoir-faire
nécessaires à la vie rurale. Le matériel métallique,
pour la faible part typologiquement caractérisa-
ble des outillages et ornements, reste celui connu
sur tous les sites tardoantiques. L’ouverture du site
vers l’extérieur et sa participation à une économie Fig. 758 – Coupe en verre gravé du site.
monétaire marchande sont aussi bien attestées. Une
grande quantité des ustensiles utilisés est importée, et décors particuliers comme les fiches à bélières et
principalement de régions méditerranéennes, comme les coupes de verres provenant d’ateliers de Cologne,
les amphores africaines et hispaniques, les coupes de montrent alors que la partie maintenue du commerce
céramiques communes claires, et la plupart des ver- à grande distance intègre peut-être plus qu’aupara-
reries. Le grand nombre de monnaies retrouvées, en vant des flux provenant du Nord, aux côtés des tra-
provenance d’ateliers variés (Lyon, Trèves, Arles… ditionnels flux méditerranéens par le Rhône. À la fin
mais aussi de la région des Détroits) montre l’impor- de la phase tardoantique, au milieu du vie siècle, un
tance encore de la circulation monétaire à cette épo- certain appauvrissement du site apparaît donc. Mais
que. La richesse de certains objets, bijoux en bronze, au-delà de cette évolution, l’établissement baigne
verreries gravées, contribue à cette aisance matérielle alors toujours dans la culture matérielle antiquisante,
(Fig. 758). Les ressources du site semblent ainsi assez devenue par contre plus régionalisée.
abondantes pour avoir dépassé l’autosubsistance et Cet ancrage dans la culture matérielle antique se
pouvoir participer à l’économie commerciale. Ces retrouve naturellement dans la villa voisine de Saint-
différents types d’objets, en provenance directe des Romain-de-Jalionas pour les phases du ve siècle. On
niveaux d’habitation et d’occupation des exploitants, note néanmoins que là le mobilier antique de qualité
signifient d’ailleurs qu’au-delà des redevances doma- fine reste plus longtemps diversifié, ancré dans les
niales, une partie des richesses produites rejaillissait circuits commerciaux comme la céramique luisante,
sur les exploitants eux-mêmes, quel que soit leur qu’à Larina. Mais cette différence est peut-être surtout
statut juridique. Lors de la seconde phase tardoanti- sociologique, le dominus du Vernai disposant de plus
que, les preuves de cette richesse sont curieusement de moyens et facilités que les colons de son annexe
moins importantes, comme si le site, qui se développe pour acheter du matériel de provenance lointaine…
pourtant localement avec une architecture renouve-
lée et développée, commençait à subir un environ-
nement économique plus difficile, visible aussi par la
baisse des exportations de pierres, des salaisons… et Un fanum de tradition archaïque
la chute des importations de matériels lointains. Les
productions régionales paraissent en remplacement La place des activités religieuses dans l’établis-
de plus en plus importantes pour le site : l’usage du sement de la fin de l’Antiquité de Larina soulève,
Service bistre du Val de Saône se développe dans encore, de multiples interrogations liées souvent à
les céramiques communes, et les poteries luisantes leur originalité. Pour les périodes antérieures, de très
savoyardes de Portout sont les seules à représenter la importants dépôts cultuels ont été mis au jour dans
céramique fine. De même la verrerie peut aussi pro- l’oppidum allobroge (au sein du Trou de la Chuire)
venir des proches ateliers de Vienne, si l’on en croit et il n’est pas exclu qu’ils aient contribué à caracté-
la présence de fragments de tesselles de mosaïques riser la place de foires et marchés réguliers qu’était
dans la pâte d’après les analyses physico-chimiques alors le site, à la frontière entre Gaules Narbonnaise
réalisées pour le site. Ainsi, si une certaine aisance et Chevelue, autour d’un sanctuaire celtique impor-
existe toujours, elle limite sa consommation à des tant « en aire ouverte ». La présence de plusieurs
produits régionaux disponibles, preuve d’une réduc- importants blocs de calcaire de choin importés, de
tion du commerce à longue distance, et/ou d’un plus fragments d’inscriptions, d’autels, de dédicaces, sur
grand isolement du site. Le développement parallèle le site peut interroger aussi sur la poursuite de ces
des forges et de l’outillage témoigne aussi d’une plus cultes au début de l’époque romaine, et surtout sur
grande autosuffisance de l’établissement face à la l’existence à Larina d’un sanctuaire gallo-romain au
dégradation du commerce. La plupart des produits haut Empire. Mais l’absence d’une occupation per-
achetés restent néanmoins d’influence culturelle anti- manente importante et d’habitats structurés sur le site
que, la céramique commune bistre étant d’ailleurs à cette époque fait néanmoins plutôt proposer l’exis-
très présente sur de nombreux sites tardoantiques tence alors sur le plateau d’un ensemble cultuel et
régionaux. Seuls de rares objets métalliques, de types funéraire privé, familial, élevé par le grand proprié-

104 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


Fig. 759 – Plan et restitution de l’élévation du fanum de Larina au ve siècle.

taire d’une villa de la plaine fluviale voisine sur ce Or les sanctuaires de traditions indigènes connus
promontoire dominant sa propriété. La statue en toge en Gaule ont été réalisés en général, après des pré-
et l’autel dédié à Mercure, restituit par Caius Capitoius mices au ier siècle av. J.-C., pendant les deux premiers
Macrinus, vont également dans ce sens qui n’exclut siècles de notre ère. Ils sont souvent situés dans, ou
pas une certaine continuité dans la propriété foncière à proximité, des agglomérations mais il arrive que
du site depuis le début de notre ère. Ces éléments ceux mis au jour en milieu rural prennent la suite
architecturaux, monumentaux, sont néanmoins déjà d’oppida protohistoriques, ou fassent partie de com-
détruits totalement à la fin de l’Antiquité si l’on en plexes spécialisés avec théâtre, thermes… parfois à la
croit le remploi alors, notamment par exemple dans frontière entre des cités. D’autres paraissent être des
les soubassements du pressoir, de blocs de fonda- fondations privées réalisées par un notable au sein
tion de cet édifice cultuel. Ce déplacement de blocs d’un grand domaine, pour les besoins de sa com-
de fondations du monument exclut de surcroît que munauté. Le sanctuaire semble alors souvent isolé
l’on puisse localiser précisément son emplacement dans la campagne, ou sur une hauteur surplombant
originel. Le fanum de tradition celtique, construit en les terres du domaine. Leur architecture spécifique
matériaux périssables et utilisé seulement au ve siè- caractérise ces sanctuaires avant qu’ils ne disparais-
cle, peut entrer dans cette continuité foncière, même sent progressivement à la suite du développement de
si sa liaison architecturale avec les édifices précé- nouveaux cultes, et aussi semble-t-il de conditions
dents est peu probable. Ses origines en liaison avec économiques moins propices au financement de
l’implantation de quelques cabanes restent confuses. leur édification et de leur maintenance, si ce n’est de
Son développement ensuite sur un plan caractéris- leur fonctionnement cultuel22. Si de rares fana sont
tique est indéniable mais sa liaison avec un établis- encore créés après les troubles de la fin du iiie siècle,
sement tardoantique, considéré comme un hameau surtout en Gaule du Nord comme à Liberchies, la
permanent de colons avec ses habitations, édifices tendance est alors au déclin général pour ces sites.
d’exploitation, et sa nécropole, est originale. Au ive  siècle, quelques fana construits auparavant
persistent encore comme à Gilly-sur-Isère (Savoie),
ou Saint-Beauzely (Aveyron), Bennecourt (Yvelines),
Des caractéristiques originales
Matagne-la-Petite (Belgique)… Certains présentent
Le sanctuaire de tradition celtique de Larina présente aussi de rares réaménagements  : l’escalier d’entrée
donc un certain nombre de particularités par rapport à est refait avec des salles annexes à Menestreau (Niè-
nos connaissances sur ce type de site. Une étude syn- vre), des cellae voient le jour à Serrig et Wallendorf,
thétique21 des fana existant ailleurs, largement mise à une cella supplémentaire complète à l’extérieur
contribution pour les comparaisons suivantes, montre du péribole le sanctuaire de Lioux (Vaucluse)… La
que la datation inhabituelle de sa fondation est d’abord durée d’utilisation d’un fanum étant généralement
une situation locale, archaïque (Fig. 759). Le fanum longue, on connaît donc quelques sanctuaires aban-
est en effet postérieur aux cabanes (de l’extrême fin donnés (souvent après des travaux de réfection au
du ive siècle) et au bâtiment XII (du début du ve siècle) iiie siècle) à la fin du ive siècle (65 cas). Le sanctuaire
qu’il détruit et recouvre. Il paraît ainsi difficile de pro- de hauteur du camp Fenus à Loubers (Tarn), parmi
poser une date antérieure au second quart du ve siè-
cle au plus tôt pour la construction du temple, avec 22. Le mécénat des notables locaux a ainsi souvent été considéré comme
une utilisation comme sanctuaire pendant seulement étant à l’origine des fondations et réfections d’un fanum. Par suite la dis-
une cinquantaine d’années avant sa transformation en parition des fana est généralement associée aux crises économiques de la
fin de l’Antiquité, avec l’appauvrissement des notables allant de pair et l’im-
habitation au début du vie siècle. pact de politiques fiscales défavorables à l’évergétisme. Plusieurs décisions
impériales des ive et ve siècles prises par ailleurs à partir de Constantin sont
21. Fauduet I. (1993 et 2010) très défavorables à ces sanctuaires dont la destruction est demandée.

L’annexe d’une villa tardoantique • 105


Fig. 760 – Plan du sanctuaire tardoantique
de Matagne-la-Grande (ill. P. Cattelain et N. Paridaens, 2009)

de nombreux autres exemples, est ainsi fréquenté du


ier au ive siècle, traduisant ainsi la vitalité de la religion
dans les campagnes jusqu’à la fin de l’Antiquité. C’est
aussi le cas du sanctuaire du Châtelard à Lardiers
(Haute-Provence) qui succède à un ancien oppidum
abandonné dont les murailles détruites prennent la
fonction de l’enceinte sacrée, ce qui est une situation
(et une interprétation) intéressante pour la compré-
hension éventuelle du premier sanctuaire au moins
de Larina. Un fanum orienté de type indigène, avec
des portiques et autres édicules, associé à d’impor-
tants dépôts votifs, caractérise ce site23. Mais dix-sept
sanctuaires seulement sur les plus de six cents fana
répertoriés en Gaule24 livrent des témoignages de
fréquentation jusqu’au début du ve siècle d’après la
présence de monnaies théodosiennes et d’Arcadius.
Ils se situent d’ailleurs surtout à l’Est de la Gaule,
notamment en Rhénanie (comme Pesch et Steinsel)
et en Bourgogne (à Lux, Santenay…).
De surcroît, la fondation même d’un fanum après
le iiie  siècle, ou la recomposition complète d’un
sanctuaire de ce type, comme à Chateaubléau au ive
(où un quatrième temple est ajouté et deux temples
préexistants agrandis), est par contre rarissime. C’est
par exemple le cas (unique ?) du sanctuaire du « Bois
des Noël » à Matagne-la-Grande (Ardennes)25, créé
au début du ive  siècle et utilisé jusqu’au milieu du
ve siècle (Fig. 760). La fondation et l’utilisation de ce
sanctuaire sont mises en relation avec une occupa-
tion dense du territoire à la fin de l’Antiquité. Dans la
plaine au pied du sanctuaire de Matagne, la grande
et riche villa du haut Empire de Plaine-de-Bieure
dispose d’ailleurs aussi d’un sanctuaire, occupé des Fig. 761 – Evolution du secteur du fanum du ive au vie siècle
ier au ve siècle, alors que la résidence elle-même fut
(ill. P. Porte).
abandonnée au ive siècle. Le fanum de Larina rejoint
Gaule d’autre comparaison, et être actuellement un
ainsi bien cette réflexion, tant au niveau du type
cas unique. Mais cette réalisation entre dans le cadre
d’occupation des sols que du maintien d’une struc-
ture domaniale traditionnelle. Cette fondation d’un d’un environnement local et historique cohérent et
fanum de type traditionnel à Larina au milieu du bien connu, ce qui est rare. La datation tardive du
ve siècle ne semble donc pas rencontrer ailleurs en
fanum de Larina n’a ainsi rien d’exceptionnel dans
le cadre du contexte religieux de l’époque, ce que
23. Barruol G. (1994)
prouvent de nombreux textes. Seule l’absence de
24. Fauduet I. (2010) fouilles extensives sur des sites comparables expli-
25. Cattelain et Paridaens (2009) que ainsi l’originalité de cette découverte.

106 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


La construction d’un fanum en matériaux périssa- le fanum  X construit sur ses fondations de galets
bles dans la seconde moitié du ve siècle est néanmoins avec une ossature de bois et torchis. Les deux pha-
un phénomène rare qui doit amener à rechercher ses de ce sanctuaire conserveraient ainsi le péribole
une éventuelle antériorité à l’édifice (Fig. 761). On situé à l’Est du temple, dans l’espace resté vierge de
a vu que des vestiges ténus, trous de poteaux et constructions entre les deux importantes zones de
dépôts monétaires cultuels découverts sous le tem- dépôts monétaires et les autres édifices, et cela mal-
ple construit, et le respect de l’espace vide entre les gré la non caractérisation des vestiges de ses limites
cabanes ouest et est pourraient suggérer la restitu- précises à la fouille.
tion d’un premier péribole à l’Est de l’édifice. Celui-ci
pourrait témoigner alors de l’existence d’un sanc-
tuaire antérieur ayant perduré avec la construction
sur fondations de galets. Le bâtiment rectangulaire XII
voisin, avec son ossature de poteaux en bois chemi-
sés par un muret, peut aussi avoir joué une fonction
importante dans ce premier sanctuaire, qu’il ait été
une galerie/portique annexe ou peut-être le sanc-
tuaire lui-même. Mais la cabane incendiée retrouvée
sous le fanum constitue néanmoins une entité bien
identifiée (et bien datée), comme les autres parties
de cabanes et niveaux associés, elles non cultuelles.
Tous les éléments mis au jour en stratigraphie sous
le fanum datent donc pour les plus anciens de la fin
du ive siècle : les niveaux inférieurs du fanum anti-
que n’ont en effet livré aucune structure laténienne,
ou du haut Empire, en place. Une autre hypothèse
peut néanmoins être envisagée pour la définition
du sanctuaire primitif. La fouille de l’oppidum du
Châtelard de Lardiers (Alpes-de-Haute-Provence) a
permis la découverte de plusieurs fana occupés du
ier à la fin du ive  siècle, à la suite de l’occupation
protohistorique puis d’un habitat gallo-romain alors
abandonné26. Bien que ces temples soient entourés Fig. 762 – Autel antique de Larina dédié à Mercure.
pour certains de galeries couvertes, et qu’ils dispo-
sent aussi d’un portique de 32 x 4,7 m à proximité, La liaison éventuelle du fanum de Larina (et de
la présence notamment d’une voie sacrée traversant ses structures antérieures), avec le sanctuaire celtique
le site pour conduire aux fana a fait proposer au du Trou de la Chuire, et/ou les vestiges monumen-
fouilleur que ce soit en fait la fortification de l’op- taux du haut Empire découverts sur le plateau, est
pidum qui soit la limite du péribole consacrée. Au- ainsi difficile à retenir comme interprétation d’une
delà des différences d’ampleur du sanctuaire bâti, les pseudo-continuité. Par contre, l’autel mis au jour au
similitudes sont nombreuses avec Larina où on pour- xixe siècle sur le site27 est peut-être plus utilisable pour
rait aussi imaginer que l’enceinte de l’oppidum aban- la caractérisation des vestiges (Fig. 762). Taillé dans
donné soit la limite du péribole du fanum. Le site et un bloc de calcaire local (et non importé comme les
l’ensemble de ses constructions pourraient être ainsi blocs de choin du haut Empire), avec une dédicace
un « oppidum sanctuaire », comme il existe des « villes au graphisme tardif, il précise à la fois le dédicant (un
sanctuaires » (Sanxay, Viel-Evreux…). Les habitations évergète local, C. Capitoius Macrinus) et le dédicataire
et bâtiments divers entourant le temple seraient alors (Mercure) pour un temple qui nous manque mais qui
tous des dépendances du sanctuaire, contribuant est « restituit », ce qui n’est pas si fréquent. Or si les
par leurs activités à son exploitation. L’existence divinités célébrées dans les sanctuaires de traditions
d’un sanctuaire laténien en aire ouverte sur le site, indigènes sont rarement connues, faute d’inscriptions
et l’absence d’habitats importants et permanents, dédicatoires ou écrites sur des offrandes, le dieu le plus
peuvent conforter cette hypothèse, au moins pour cité est de loin Mercure quand des mentions existent
une première phase du sanctuaire. Mais ensuite, la pour des fana. Considéré de surcroît dans la région
coexistence d’un fanum construit avec des habita- comme le « chef » du panthéon allobroge puis de la
tions et bâtiments d’exploitation importants (pres- Cité de Vienne, ce dieu était particulièrement honoré
soirs…) à l’intérieur d’un péribole consacré semble dans de nombreux sanctuaires régionaux, aussi bien
par contre peu probable. On privilégiera donc plutôt en ville que dans des lieux isolés28. Les informations se
ici l’hypothèse précédente consacrant ex nihilo au recoupent donc pour maintenir associés, d’une façon
ve siècle un sanctuaire associant d’abord un aména- ou d’une autre, les vestiges religieux de la fin de l’An-
gement cultuel primitif autour du bâtiment XII, puis
27. Cf. C. I. L. XII, 2373
26. Barruol (1994) ; Guyon et Heijmans (2001) 28. Remy (1994)

L’annexe d’une villa tardoantique • 107


tiquité avec des découvertes antérieures. Le respect un exemple unique. Dans un fanum de plan allongé
de l’intégrité d’un possible (mais non assuré) espace comme celui de Larina, l’existence d’une galerie plus
consacré entre les deux sous-périodes de l’Antiquité large à l’Est, ou l’existence d’un escalier monumen-
tardive suppose d’ailleurs aussi la succession de plu- tal, d’un podium, d’un emmarchement lié à l’autel,
sieurs sanctuaires de tradition indigène à cet endroit. et d’aménagements complémentaires ouvrant sur le
L’autel « restituit » dédié à Mercure prendrait alors tout péribole, peuvent aussi légitimer ce plan particulier.
son sens si c’était bien celui du fanum fouillé, autre- Mais rien de ce genre n’a été mis au jour à Larina
fois placé comme le veut la tradition devant la façade malgré le décapage de l’ensemble de la superficie,
frontale est de la cella du temple, donnant sur l’aire bouleversée certes pour partie auparavant par la
sacrée… Aucun autre édifice conservé sur le site ne construction de la route des carrières.
permet autrement une telle assimilation. La construction d’un fanum prend également
place le plus souvent sur un terrain vierge alors
consacré, ou succède parfois à un édifice cultuel anté-
rieur, mais elle ne remplace que rarement un habitat
précédent comme cela serait le cas avec les cabanes
tardoantiques de Larina. Des exemples néanmoins
connus sous les fana d’Amboise, Saint-Bonnet-de-
Chirac ou Otzenhausen notamment relativisent cette
particularité du site mais n’empêcheront pas de s’in-
terroger sur le statut de ces cabanes antérieures au
sanctuaire. Le fanum est également en général isolé
de l’habitat contemporain, d’abord par son péribole,
mais aussi par son environnement, et ne se trouve
jamais aussi proche, mêlé, aux habitations qu’à Larina.
Fig. 763 – Fanum de type traditionnel restitué à l’Archéodrome On notera néanmoins le cas de la villa de Lösnich en
de Beaune Allemagne29, à la définition et à la configuration des
La succession d’un temple en dur à une occupa- bâtiments proches de celle de Larina, où on trouve
tion en matériaux légers est, elle, classique, comme un petit sanctuaire local au cœur des édifices d’ex-
la multiplication des réaménagements sur une courte ploitation du domaine. La présence d’un temple est
durée (sept phases à Nitry, dont trois pendant le aussi attestée en Aquitaine dans les villae même de
ier  siècle par exemple) mais l’histoire du fanum de Valentine et de Montmaurin (dans la cour d’honneur)
Larina est séparée par près de quatre siècles de celle pour les phases de la fin de l’Antiquité30. En revan-
des autres temples de ce type. La plupart des cellae che, les temples rattachés aux villae de Chiragan et
sont construites en pierres dès l’époque augustéenne, Montréal-Séviac pour le haut Empire ne semblent
très rarement en matériaux légers comme le bâtiment plus en activité ensuite. La situation de Poitiers et de
X. L’utilisation de matériaux périssables dans la conti- Vendeuvre-du-Poitou (où le temple est au cœur d’un
nuité des sanctuaires laténiens est alors considérée quartier commercial), et l’association d’un sanctuaire
comme une marque de précocité qui a disparu aussi à des quartiers d’artisans, comme à Millau, sont par
en milieu rural au iie siècle (Fig. 763). De même les contre des cas non comparables à Larina (car séparés
toitures en tuiles sont générales dès la reconstruction du sanctuaire au moins par une voie ou une nette
des premiers sanctuaires en matériaux légers. Mais limite construite comme à Genainville). L’imbrication
au contraire, l’exemple fouillé montre que les tech- étonnante du fanum avec les habitations voisines,
niques utilisées pour la construction du sanctuaire sans limite apparente (et même impossible côté est
peuvent être identiques à celles des autres édifices, ainsi que l’a montré la gêne amenée par la galerie du
sans matériaux plus ostentatoires, et que des sanc- temple à l’agrandissement du bâtiment VII B), consti-
tuaires en matériaux périssables peuvent avoir été en tue une localisation particulière pour un sanctuaire.
fait construits très tardivement. L’utilisation fréquente Mais on commence à connaître des sanctuaires liés
de matériaux locaux pour la construction de fana à de petites communautés de travailleurs et d’arti-
ruraux notamment (la craie en Picardie, le granite sans qui peuvent recouvrir la situation du fanum de
en Limousin…) doit néanmoins faire nuancer ces Larina. Les activités métallurgistes annexes autour
réflexions, les matériaux utilisés à Larina étant ceux des temples sont bien connues, à Saint-Père, Nuits-
fréquemment employés dans les constructions anti- Saint-Georges, Mâlain, Blicquy, Faverges sans pour
ques régionales : seule l’absence de volonté ostenta- autant participer à la définition sociologique du site.
toire particulière pour le sanctuaire est ainsi notable, C’est par contre sans doute plus le cas à Vioménil, où
mais cela correspond aux moyens sans doute limités un ensemble cultuel associé aux activités de carriers
des habitants du site qui ont utilisé pour construire a été mis au jour, et le fanum de Lapalisse est asso-
leur sanctuaire les techniques et matériaux alors habi- cié à une petite agglomération de potiers arvernes.
tuels. Si le plan nettement rectangulaire est également Cette situation recoupe aussi les liens étudiés dans
rare, on a vu dans l’étude que plusieurs autres exem-
ples de ce type existent néanmoins, notamment à 29. Van Ossel P. (1992) p. 254
l’Est de la Gaule. Larina n’est ainsi pas dans ce cadre 30. Balmelle C. (2001)

108 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


Fig. 764 – Plan et restitution de la transformation de l’ex-fanum en habitation au début du vie siècle.

les Pyrénées entre des lieux de culte et des activités sont également implantées à l’emplacement d’un tem-
économiques, exploitation du fer à Esparros ou du ple détruit, ou même intégré dans leur construction à
marbre à Saint-Béat. Plus globalement, les petits édi- Saint-Aubin-sur-Mer.La réoccupation telle quelle des
fices cultuels enclos, mais sans galerie, reconnus sur vestiges d’un fanum par un habitat comme à Larina
les sommets vosgiens, sur le plateau de Wasserwald est par contre moins fréquente, même si des exem-
à Haegen, sont des lieux de culte implantés dans des ples sont également connus comme pour les fana
villages agricoles qu’il est difficile comme à Larina de Pradines (Corrèze) et Saint-Forget (Yvelines), ou
de distinguer de sanctuaires attachés à un domaine de Loubers (Tarn), là avec des foyers attestant d’une
privé. Mais là encore, ce sont surtout les lacunes de fréquentation temporaire des ruines. Ces réutilisations
la recherche qui expliquent le petit nombre d’exem- de ruines succèdent, néanmoins, à un sanctuaire
ples connus.La liaison du fanum avec une popula- détruit, souvent après un laps de temps important
tion de colons envoyée loin du centre de la villa de qui fait nuancer la filiation de l’occupation. C’est en
plaine dont ils dépendent, sur ce plateau excentré de général aussi le cas quand c’est une église chrétienne
l’Isle-Crémieu, pour y développer une exploitation qui réutilise l’édifice, comme au Mont-Beuvray (Niè-
permanente de grande ampleur inexistante aupara- vre), à Saint-Martin-de-Boscherville (Normandie), ou
vant, étonne moins dans le cadre de l’existence de pour la chapelle Ste Reine d’Alésia (Côte-d’Or), parmi
sanctuaires liés à des activités économiques. de nombreux exemples proches de ceux rencontrés
Le devenir de ce fanum est enfin intéressant puis- également en ville dans des temples antiques monu-
que, dans une deuxième époque d’occupation au mentaux. De même le temple du Chatelet à Andance
début du vie  siècle, le sanctuaire est transformé en (Ardèche) est lui réoccupé au vie siècle sur sa colline
habitation pendant quelques décennies au plus. Une par une église, avec sa nécropole et des épitaphes
phase de destruction, au moins partielle à l’arrière, sui- chrétiennes. La conservation du caractère sacré du site
vie de la rapide construction de murets intérieurs avec n’est alors pas évidente même si dans les vies de saints
la reprise de la toiture suffisent pour disposer dans on note souvent le souci de récupérer d’anciens sanc-
un volume inchangé du plan habituel (mais agrandi) tuaires pour les christianiser en enlevant toute trace de
des habitations du site (Fig. 764). La réoccupation de paganisme31 : la récupération d’un espace disponible
fana désaffectés, et pour partie au moins détruits, est et facilement aménageable (en rajoutant seulement
un phénomène connu dès le haut Empire : à Sanxay une abside au temple à Jau-Dignac-et-Loirac ou au
(Vienne) les deux cellae du temple sont transformées Mont-Beuvray) semble aussi avoir joué.
en salles de bains chaudes au iie siècle lors de l’aména- La transformation en habitation d’un fanum encore
gement d’un établissement thermal, sans que le carac- en activité, comme à Larina, immédiatement après sa
tère sacré de l’édifice précédent ait posé problème. destruction (et vraisemblablement par ses destruc-
Le phénomène se développe néanmoins principale- teurs) est ainsi plus rare. Pour la fin de l’Antiquité,
ment à la fin de l’Antiquité avec la désaffection des on explique souvent cette réutilisation des temples
cultes traditionnels, et/ou le changement de types de par l’insécurité chronique de cette époque où de
pratiques religieuses. La plupart du temps les temples nombreux sites plus ou moins abandonnés, des grot-
servent de carrière avec le remploi de leurs matériaux, tes et oppida aux bâtiments publics, villae et autres
comme pour les édifices du haut Empire de Larina ou constructions, sont réoccupés provisoirement par
à Vandeuvre du Poitou qui dispose même au ive siècle des habitats ou lieux d’artisanats32. Le cas de Larina
d’un chantier de débitage de la pierre du sanctuaire. ne semble pas résulter de ce climat d’insécurité mais
D’autres types de réutilisation des anciens fana sont plutôt du besoin d’augmentation rapide du nombre
aussi connus, que ce soit par un entrepôt à Cham-
pigny-les-Langres (Haute-Marne), ou même par une 31. Young. B. (1997)
fortification à Orrouy, Champlieu (Oise). Des villae 32. L’Huillier (2005)

L’annexe d’une villa tardoantique • 109


d’habitations du site pour une population nouvelle au sociale se doublant d’une crise spirituelle qui voit la
début du vie  siècle. Le changement d’affectation du population se tourner alors en masse vers les cultes
sanctuaire s’insère ainsi au début du demi-siècle qui orientaux, le christianisme naissant, mais aussi comme
verra à sa fin la construction de l’église du Mollard. à Larina vers les divinités traditionnelles. La religion
On peut donc penser que la suppression du fanum est alors bien peu présente dans les vestiges antiques
au tournant du vie siècle témoigne de la déshérence d’un territoire pourtant densément occupé. Des blocs
alors des cultes traditionnels33, mais elle semble sur- architecturés conservés sous le porche des grottes
tout avoir été réalisée dans ce cadre à l’initiative des de La Balme signalent l’existence au haut Empire de
nouveaux maîtres mérovingiens, eux chrétiens, lors mausolées et/ou d’un sanctuaire dans ce secteur ; et
de leur brutale arrivée sur le site34. La transformation l’existence d’un autel taurobolique, conservé dans le
des vestiges du temple, immédiatement, en logements presbytère d’Optevoz, suggère l’existence d’un sanc-
pour eux-mêmes ou leur entourage, et le non-res- tuaire à Mithra dans un établissement du plateau.
pect de son caractère sacré étonnent alors beaucoup Cette absence d’autres sanctuaires antiques « classi-
moins. Le choc des cultures s’associe certainement au ques » interroge également sur le degré de privatisation
changement de religion pour en faire pour eux un du sanctuaire de Larina. Pouvait-il être fréquenté par
« non-événement », les troubles de la société alors se d’autres pratiquants, issus d’établissements contempo-
lisant aussi dans ces incertitudes cultuelles. rains voisins de la plaine et du plateau, ou même par
des pèlerins de passage ? Et alors dans quels cadres,
notamment juridiques ? Cette possibilité résoudrait la
Une rare manifestation locale question de la quantité de monnaies mise au jour, et
de la « Réaction Païenne » ? surtout celle de la qualité et la diversité, des offrandes
La religiosité des habitants de Larina est donc peu proposées. Celles-ci étonnent en effet de la part de
connue avant le ive siècle : le sanctuaire celtique paraît simples colons habitant le site, et même des seuls aris-
alors bien loin. Au haut Empire, religion et cultes funé- tocrates propriétaires du domaine. Mais dans ce cas
raires semblent reliés à des mausolées et sépultures, devrait-on aussi unir par-delà les siècles cette fonction
entièrement disparus dans les carrières en dehors de territoriale du fanum, aux temples/mausolées précé-
rares témoignages surtout épigraphiques. Les prémi- dents, et surtout au sanctuaire laténien en aire ouverte
ces du fanum tardoantique de la fin du ive siècle sont avec sa fonction de regroupement régional, si ce n’est
restées mal connues également mais elles sont à relier frontalier, aux confins de la Narbonnaise ?
aux débuts de l’installation de colons casés sur le site. La fin de l’Antiquité voit également se développer
Ce groupe constitue ainsi une communauté qui s’ins- une période instable où, sur le plan économique,
talle, construit un fanum de tradition celtique pour l’entretien des sanctuaires par les notables locaux
son culte, y dépose d’importantes offrandes, amé- devient une tache difficile, faute de moyens et face
nage sa nécropole sur La Motte voisine… Beaucoup aux tracas de l’administration fiscale36. De son côté,
d’éléments archéologiques et anthropologiques, dont l’administration impériale christianisée37 multiplie
l’utilisation indifféremment des deux types de tom- depuis Constantin et ses fils les prescriptions de des-
bes par des individus de statures différentes, plaident truction des temples avec la confiscation de leurs
pour une communauté tardoantique unique ayant vu biens, sans que l’on sache vraiment l’efficacité de ces
l’évolution de ses modes funéraires, des cercueils en mesures sur le terrain38. Les diatribes dans le second
quart du vie siècle de l’évêque Césaire d’Arles exhor-
pleine terre aux coffres de lauzes, progressivement en
tant les fidèles à abandonner les coutumes païen-
interne. L’étude anthropologique de la population de
nes encore en usage et à détruire les sanctuaires
La Motte35 présente une communauté devenue homo-
encore fréquentés39, comme les mentions répétées
gène, plutôt endogame et refermée sur elle-même, avec
des actions de St Martin contre ces sanctuaires, en
une situation sociale de la population féminine plus
précaire que par la suite, en fait une société traditiona- 36. Sauer (1996)
liste comme la religion qu’elle pratique. Le renouveau 37. Rappel : Théodose I et Gratien ont élevé par édit en 380 le christia-
des cultes anciens est en effet un phénomène bien nisme au rang de seule religion officielle. Un autre édit de 392 interdit
le paganisme dans l’Empire.
identifié à la fin de l’Antiquité, la crise économique et 38. Cf. encore en 435 pour notre période le célèbre Edit de Valenti-
nien  III : « Nous voulons que les sanctuaires et les temples, s’ils en
33. Dans la première moitié du vie siècle, l’évêque Saint Césaire d’Arles, restent encore, soient détruits par ordre des magistrats ». En réponse
par exemple, exhorte parmi d’autres ses fidèles à abandonner les cou- locale, c’est vers 450 que le sanctuaire originel de Larina est remplacé
tumes et pratiques païennes encore en usage (sermon 13) et à détruire par la construction d’un fanum en dur… L’art de gouverner a toujours
les anciens temples encore fréquentés (sermons 53 et 54). Plus au été difficile !
Nord, l’évêque Grégoire de Tours signale dans son Histoire des Francs 39. Notons notamment que dans son Ammonitio ut fana destruantur
des faits comparables. (sermon 53) daté de 445, Césaire d’Arles ne s’offusque pas seulement
34. Deux squelettes de La Motte datant de cette époque présente des de la non destruction des sanctuaires païens, mais aussi de leur re-
blessures par arme blanche à la tête, dont une fut mortelle. construction alors par « des malheureux et misérables ». Or ce milieu
35. Cf. l’étude complète précédente de Luc Buchet, et l’analyse synthéti- du ve siècle est aussi la date de la (re)construction en dur du fanum de
que de l’évolution des populations du site dans les chapitres suivants. Larina ! Cf. aussi : Codou et Colin (2007).

110 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


font douter40. On sait d’ailleurs que l’influence des nées seulement avant la construction de la première
chrétiens était en fait encore faible à la fin du ive siè- chapelle funéraire chrétienne sur une colline voisine.
cle, surtout dans les campagnes. D’autres pratiques Malgré des prescriptions formelles, on voit donc des
cultuelles d’origine orientale rivalisaient aussi locale- notables successifs mettre en place localement les
ment avec eux comme l’indique l’autel taurobolique supports architecturaux des différents cadres de pen-
d’Optevoz. L’importance du paganisme tardo-romain sée, de la Réaction Païenne à la christianisation des
en Occident où, au lieu d’une régression continue campagnes, d’abord dans leurs domaines aristocra-
face à l’essor du christianisme, on observe dans les
tiques ruraux. Les rites funéraires mis en relief dans
faits souvent la persistance de la religion et des pra-
les nécropoles de la Motte (orientation, obole à Cha-
tiques païennes semble ainsi à réévaluer41. Celles-ci
peuvent garder des formes traditionnelles autour ron…) évoquent néanmoins encore des traditions
des fana comme à Matagne-la-Grande ou Larina, ou païennes, où la christianisation n’apparaît pas encore
générer de nouvelles manifestations socioculturel- pour les habitants, les colons, de l’établissement de
les alors : dans un monde changeant, les valeurs et la fin de l’Antiquité.
rituels traditionnels sont un refuge, notamment pour
les aristocrates qui bénéficiaient de leur respect. La
situation évoluera doucement comme en témoigne
encore lors du Concile d’Auxerre en 585 l’interdic- D’une villa aux implantations
tion renouvelée des offrandes et processions dans diversifiées…
les sanctuaires païens donc toujours existants. Dans
ce cadre, la fondation tardive du fanum de Larina à une occupation des sols partagée ?
peut être considérée d’abord comme un rare témoi- L’étude a proposé de faire de Larina pendant
gnage de la « Réaction Païenne » dans la région à la
l’Antiquité tardive une annexe d’une grande villa
fin de l’Antiquité42. Ce mouvement est bien connu
gallo-romaine du secteur. Celle-ci semble trouver ses
historiquement par les textes antiques et nous savons
qu’il concerna l’aristocratie et le peuple de la cité origines dans la Protohistoire avec un fort conserva-
de Vienne grâce à l’action du rhéteur Eugène. Il se tisme de la propriété foncière jusqu’à l’arrivée des
manifesta notamment par l’organisation de cérémo- Mérovingiens et l’autonomisation du plateau.
nies païennes et le redéveloppement des sanctuaires
traditionnels, ce dont témoignent aussi les vindic-
tes des évêques alors. Tout porte ainsi à considé-
rer que le fanum de Larina n’est qu’une illustration
archéologique locale de ce renouveau ponctuel
du paganisme. Là encore, seules les lacunes de la
recherche en ce domaine en font un cas rare dans
la littérature archéologique ! L’initiative de la réali-
sation de ce sanctuaire traditionnel semble due aux
aristocrates conservateurs propriétaires du site et
promoteurs de l’installation du village de colons sur
le plateau, sans que le rôle, les croyances, de ces
derniers soient assurés. Mais la destruction du fanum
et l’abandon du culte traditionnel par les nouveaux
maîtres du site, eux de culture plus septentrionale,
prennent également place une cinquantaine d’an-

40. À côté de mentions célébrant « la destruction des idoles dans la


joie» avec celle des temples païens, il faut mentionner aussi a contrario
Fig. 765 – Le peuplement du sud-ouest de l’Isle-Crémieu de
que « dans un village nommé Leprosum, comme (Saint) Martin avait
voulu renverser un temple que la superstition avait fait très riche, la l’Antiquité tardive au haut Moyen Âge.
multitude des païens fit une telle résistance qu’il fut repoussé… » même
si au final: « Retourné au village, devant les foules de païens qui le re-
gardaient tandis qu’on démolissait jusqu’aux fondations l’édifice impie, Un établissement de hauteur lié à un
il réduisit en poussière tous les autels et toutes les statues… » Sulpice domaine rural de plaine
Sévère (Vita Martini, 13).
41. À l’opposé de Valentinien III, d’autres empereurs encouragent en La carte archéologique et les fouilles récentes ont
effet eux la restauration de temples païens et la reprise des sacrifices, montré que plusieurs sites étaient possibles pour
cela jusqu’à Gratien : cf. Caseau (2004). fixer le centre juridique et foncier de cette villa,
42. La « Réaction Païenne », où s’illustre notamment Symmaque à Rome,
témoigne de ce maintien des valeurs et cultes traditionnels, avec le
assez riche pour disposer de terroirs complémen-
renouveau de cérémonies païennes… Elle reçoit l’aide importante d’un taires plus ou moins éloignés, dont Larina au bout
professeur de rhétorique viennois, Eugène, ensuite élevé empereur à de son plateau (Fig. 765). Sur le plateau même,
Vienne ou Lyon en 392 : la réalisation du fanum, d’aspect archaïque,
à 10  km au Sud, une villa a été repérée au Mont-
de Larina n’est-elle ainsi pas un écho local du conservatisme religieux
de l’aristocratie viennoise du Nord de la Narbonnaise, à l’aube du ve d’Annoisin, au-dessus de Crémieu, mais rien dans la
siècle ? Plus généralement, cf. aussi Sauer (2003). structuration agraire, la voierie ou l’histoire ne laisse

L’annexe d’une villa tardoantique • 111


supposer une liaison entre les deux sites. De même nas et Leyrieu peut avoir été une petite villa au haut
toujours sur le plateau et à une distance similaire à Empire, pas très luxueuse, dont l’avenir à la fin de
l’Est, le coteau ouest du bassin d’Optevoz accueille l’Antiquité est incertain. Le site, toujours alors par-
la très grande et luxueuse villa du Paradis mais le tiellement occupé, paraît être devenu une ferme de
territoire de celle-ci semble tourné principalement Saint-Romain dans le cadre des restructurations et
vers le centre du plateau. À l’opposé, deux villae ont concentrations de domaines et terres postérieures
été bien repérées au Nord dans la plaine (fragments au iiie  siècle. De même la villa de Sainte-Marie-de-
d’amphores, de mosaïques, d’hypocaustes…) à Mari- Tortas, entre Saint-Romain et Larina, mais située un
gnieu43 et Sainte Colombe/La Brosse, au pied du site peu plus au Sud, n’est connue que par quelques
mais au Nord de l’Amby. Les découvertes du xixe siè- prospections, et une chapelle mérovingienne avec sa
cle et les prospections récentes ne permettent pas nécropole, qui ne permettent pas d’assurer vraiment
d’y assurer le type d’occupation, attesté dès le haut de son existence ni de ses phases d’occupation pen-
Empire, notamment pendant l’Antiquité tardive qui dant l’Antiquité tardive. Le site, certainement assez
nous intéresse plus directement. Ces villae ont pour- important au haut Empire devient ensuite une simple
tant chaque fois été réoccupées au haut Moyen Âge ferme de la villa de Saint-Romain si l’on en juge par
par une nécropole sous lauzes et par des chapelles l’organisation de ses proches réseaux hydrauliques
Saint-Martin et Sainte-Colombe, paroissiales jusqu’au alors intégrés dans l’organisation des marécages de
xviiie siècle et rasées depuis. Mais l’étude détaillée a la villa du Vernai44.
établi clairement que les limites territoriales en cours Il apparaît donc que depuis la Protohistoire tout
d’élaboration alors, avec la naissance des diocèses ce territoire est organisé en fonction de la villa du
au ve siècle, vont séparer Larina du reste du plateau Vernai à Saint-Romain-de-Jalionas, occupée sans
et de la plaine fluviale au Nord de l’Amby. Ces éta- interruption pendant près d’un millénaire, et dont les
blissements sont donc depuis l’origine rattachés au recherches révèlent l’importance considérable45. Les
diocèse de Lyon, à l’inverse de Larina rattaché à celui vestiges mis au jour pour la fin de l’Antiquité prou-
de Vienne. Or, nous avons montré précédemment vent de surcroît le renouveau de ce vaste domaine
l’importante pérennité de l’occupation du sol dans alors, dont l’apogée date des ive-ve siècles, avec une
le secteur avec des limites anciennes encore bien richesse provenant de l’exploitation de terres diver-
attestées dans les archives médiévales et souvent sifiées (marécages, élevage, céréaliculture…). Cette
sur le terrain jusqu’à nos jours. Il paraît ainsi dans grande villa, la plus proche aussi de Larina dans le
ce cadre difficile d’associer dans le même domaine diocèse de Vienne, doit ainsi être considérée comme
des établissements dépendant dès l’Antiquité tardive le centre domanial, la pars urbana, dont dépend au
de diocèses différents, et situés dans des territoires sein de la pars rustica l’établissement annexe de
institutionnellement bien séparés jusqu’au xixe siècle Larina, et peut-être aussi dans la plaine celui de
malgré leur proximité géographique. Le site antique Saint-Étienne, parmi d’autres. Larina, spécialisé dans
le plus proche de Larina dans le diocèse de Vienne l’exploitation de pierres, la viticulture, et surtout
reste alors l’établissement de Saint-Étienne, au pied dans l’élevage extensif avec ses produits dérivés en
ouest du site le long du fleuve. Mais si des prospec- salaisons, devait être complémentaire des produc-
tions répétées montrent une occupation importante tions, notamment céréalières, développées dans la
sur la basse terrasse du Rhône, en rapport avec un plaine pour le domaine. Celui-ci disposait ainsi de
petit port et un gué vers Marcilleux et Saint-Vulbas, le différents terroirs spécialisés pour son économie. La
mobilier mis au jour (meules, amphores, scories…) nature de l’occupation de Larina, avec ses petites
au côté de poteries surtout communes, autorise habitations et ses grands bâtiments d’exploitation
seulement l’identification d’un établissement écono- spécialisés, renvoie néanmoins à une exploitation
mique et artisanal au débouché de Larina et du val techniquement centralisée, proche de celle d’une
d’Amby. L’absence totale de fragments de marbre, « réserve domaniale », par des colons casés, et non
peintures, mosaïques, hypocaustes… caractérisant gérés par des esclaves depuis le centre de la villa.
en prospection une villa confirme en effet aussi que Cela exclurait donc le schéma parallèle d’une exploi-
Saint-Étienne ne peut être considéré comme un cen- tation par le biais de colons affectés chacun à un
tre d’exploitation domanial, mais plutôt comme une lot particulier, une « tenure ». Ainsi décrit, le secteur
autre annexe spécialisée d’une villa, liée au fleuve. de Larina dépendrait de la « réserve » de la villa qui,
À l’opposé, la plaine au Sud-Ouest de Larina peut loin d’être regroupée seulement autour du centre du
dépendre entièrement dans l’Antiquité du grand domaine, disposerait donc de terroirs complémen-
domaine gallo-romain du Vernai à Saint-Romain-de- taires avec leur hameau d’exploitants, dispersés sur
Jalionas, placé dans la boucle du haut Rhône. Si en tout le finage de la propriété, selon les prescriptions
effet des vestiges ponctuels ont été trouvés dans la déjà évoquées des agronomes antiques. L’évolution
plaine sur Bourcieu, Vernas et Leyrieu, deux autres de la carte archéologique à la fin de l’Antiquité, avec
villae seulement semblent avoir existé dans ce sec- la disparition dans la plaine autour de Saint-Romain
teur. En contrebas de la falaise, la villa du Pré-Moly d’une grande partie des petits établissements d’ex-
connue seulement par des prospections entre Ver-
44. Royet R. (2006)
43. Gabut F. (1894) 45. Royet R. (2006)

112 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


ploitation annexes repérés pour le haut Empire, et
de certaines villae plus petites (Pré-Moly de Leyrieu,
Sainte-Marie-de-Tortas…), peut d’ailleurs faire pen-
ser que cette évolution des modes de gestion du sol
concerne alors en fait une grande partie du domaine
et pas seulement l’annexe de Larina.
Au-delà des fouilles de terrain, les archéologues
aiment aussi les belles histoires, moins ingrates que
les tas de tessons de céramiques à étudier ! Les décou-
vertes épigraphiques et monumentales sont ainsi trop
rares dans l’Isle-Crémieu pour que l’on ne tente pas
des associations, surtout quand elles se regroupent
autour de sites exceptionnels. Aussi, si l’on considère
comme plausibles, si ce n’est probables, les hypothè-
ses précédentes avancées sur le fanum fouillé et le
temple à Mercure d’une part, les liaisons institution-
nelles entre la villa de Saint-Romain-de-Jalionas et
son annexe de Larina d’autre part, on peut proposer
en conséquence les assimilations, l’histoire, suivan-
tes : le fanum dédié à Mercure (ou un autre temple
entièrement disparu, cela ne change rien) de Larina
a été restauré, on le sait, par un évergète, C.  Capi-
toius Macrinus46, dont on peut penser que la famille
a naturellement auparavant construit et entretenu le
sanctuaire sur sa propriété. Ce sanctuaire est donc
ainsi sur l’annexe d’un grand domaine privé, dont on
propose que le centre soit la villa de Saint Romain, Fig. 766 – Statue de magistrat en toge provenant de Larina
et Larina une partie de sa propriété. Par suite, l’éver- (clcihé Musée Dauphinois).
gète du sanctuaire ne peut être que le dominus de
Saint-Romain, et la famille de C. Capitoius Macrinus paraissent ainsi très liés à l’administration de leur
serait donc ainsi le nom du propriétaire de la villa de Cité : la toge de la statue de Châtelans renvoie donc
Saint-Romain. Il n’est pas étonnant dans ce cadre que peut-être aussi à un magistrat viennois, si ce n’est un
le sanctuaire domanial, et familial, ait été construit sénateur, dont Saint-Romain/Larina serait le domaine
selon la tradition sur une hauteur dominant les plai- rural, selon un schéma historique bien connu.
nes propriétés du domaine. Les fragments monu-
mentaux et d’inscriptions venant du site, découverts
Une propriété foncière multiséculaire
depuis un siècle, font même penser qu’il y eut aussi
à Larina des mausolées funéraires de cette famille, Bien que lointaine, la liaison avec la situation du
entièrement détruits par la suite. S’y ajoute la statue territoire à la fin de la Protohistoire doit nous inter-
récupérée par nos soins en 1998 à Châtelans47, de peller, quand à la continuité de la propriété du sol
même calcaire et facture que l’autel dédié à Mercure, dans le secteur notamment. La redécouverte récente
provenant probablement aussi d’un mausolée de des vestiges de la « Tombe à char de Verna » a amené
Larina (Fig. 766). Elle représente un notable gallo- la ré-étude du peuplement du territoire à la fin de
romain en toge (de magistrat ?), qui peut ainsi être la l’époque gauloise50. Les chercheurs ont ainsi iden-
représentation d’un de ces aristocrates viennois de tifié, dans la plaine au pied de Larina, la sépulture
la famille de C. Capitoius Macrinus, propriétaire du sous tumulus d’un important aristocrate du peuple
domaine de St Romain, avec ses plaines fluviales et la allobroge. S’ils ne pensent pas que ce riche notable
hauteur de Larina… Cette famille serait alors voisine ait pu faire partie de la noblesse viennoise, ils n’ex-
de celle de Marcus Aucilius Lucanus, dont des inscrip- cluent pas qu’il ait pu participer au Sénat allobroge
tions 48 de Saint-Vulbas et La-Balme montrent qu’elle se réunissant dans cette capitale gauloise. La rési-
était propriétaire de terres au Nord du domaine étu- dence de cet aristocrate, à rechercher à proximité de
dié. Ce Marcus Aucilius Lucanus était décurion de la sa tombe, doit selon eux être soit le camp de Larina,
Cité de Vienne selon l’inscription de Saint-Vulbas. Or soit l’établissement indigène du Vernai qui préfigure
une plaque en bronze trouvée à Optevoz49 présente à Saint-Romain-de-Jalionas l’importante villa gallo-
comme duumvir un autre notable local du plateau. romaine qui va lui succéder au même endroit. Mais
Les grands propriétaires du Nord de la Cité de Vienne les recherches ont prouvé qu’à la fin de La Tène,
Larina est sans doute un important site de regrou-
46. C.I.L. XII, 2373, et partie I, chapitre 3.2-2 de ce volume. pement, lieu de foires et de marchés, ainsi qu’un
47. Cf. la partie I, chapitre 3.2-2 de ce volume.
48. Pour St Vulbas : C.I.L. XIII 2453, et pour La Balme : C.I.L. XII
sanctuaire aux nombreux dépôts cultuels. Le Camp
2376
49. I.L.N. Vienne 566 50. Perrin F. et Schonfelder M. (2003)

L’annexe d’une villa tardoantique • 113


n’abrite alors par contre pas d’habitats permanents
significatifs. La résidence de cet aristocrate gaulois,
propriétaire d’un domaine recouvrant une bonne
partie de la boucle du Rhône et de la plaine au pied
du plateau, est donc plus naturellement l’établisse-
ment de Saint-Romain où l’établissement laténien va
devenir la première villa du site vers 30 avant J.-C.51.
Cela n’exclut d’ailleurs pas la « tutelle » que ce site
puisse aussi avoir en complément sur l’oppidum de
Larina.
Cette situation du territoire autour de Larina à la
fin du ier  siècle avant Jésus-Christ est en fait assez
proche de celle restituée au ve  siècle après Jésus-
Christ : le riche aristocrate propriétaire de la villa de
Saint-Romain peut toujours faire partie alors du Sénat
de Vienne52. Son domaine couvre toujours la plaine
du fleuve, jusqu’au cours de l’Amby semble-t-il au
Nord, et il s’étend (toujours) au sommet du plateau de
Larina, qui constitue à la fin de l’Antiquité une partie
de sa réserve domaniale. Il n’est d’ailleurs peut-être
pas neutre que le fanum du ve siècle mis au jour sur
le site soit de tradition celtique, et non romaine, fai-
sant ainsi le lien à travers les siècles entre les descen-
dants d’une seule grande famille propriétaire de cette
fraction du sol à la limite de la Narbonnaise, depuis
la fin de l’époque gauloise. Le maintien sur le site
de cultes d’origine celtique, attestés par la réalisation
tardive du fanum, conforte également cette ambiance
culturelle très traditionaliste des aristocrates du sec-
teur. On comprend alors mieux que lors de la défi-
nition des limites des diocèses, cette grande famille
influente de la cité de Vienne ait réussi à faire inclure
toutes ses propriétés délimitées au Nord par l’Amby
dans le diocèse de Vienne, y compris à cent mètres
près la pointe rocheuse si stratégique de Larina. On Fig. 767 – Recherche des traces de parcellaires antiques
a vu aussi que la liaison entre ces hypothèses, et des et de cadastration autour de Larina (ill. P. Porte et J. Soyer).
données monumentales et épigraphiques trouvées
au siècle dernier, permettrait même d’attribuer à la maintien des propriétés foncières allobroges à l’épo-
famille de C.  Capitoius Macrinus la propriété de la que romaine, à cet endroit. L’inscription de Saint-
villa de Saint-Romain et de son annexe de Larina, Vulbas (dans l’Ain donc) concerne Marcus Aucilius
et cela du ier siècle avant Jésus-Christ (au moins) au Lucanus, signalé comme étant un décurion de la cité
vie siècle après Jésus-Christ. de Vienne, pourtant située sur l’autre rive du fleuve
D’autres éléments plaident aussi pour un certain (dans l’Isère). L’autre inscription, trouvée elle à La-
conservatisme de la propriété foncière dans le sec- Balme-les-Grottes (Isère), mentionne un autre mem-
teur. Les études de parcellaires, menées à partir de bre de la même famille, accréditant ainsi la présence
Larina dans toute la vallée, montrent une sorte de du domaine d’une villa sur les deux rives du fleuve.
continuité de l’orientation des voies et champs, ainsi Signalons néanmoins qu’il existe aussi à La-Balme
que des modules de base, qui évoquent les vestiges une épitaphe d’un décurion Lyonnais54 qui montre la
d’une même cadastration antique dans la plaine flu- porosité des limites entre les cités. Enfin, lors de la
viale le long des deux côtés du fleuve (Fig. 767). Or mise en place des diocèses à la fin de l’Antiquité, la
les chercheurs s’interrogent depuis longtemps, à par- partie de l’Isle-Crémieu au Nord de l’Amby, autrefois
tir de commentaires de Jules César, sur la présence en territoire allobroge puis dans la cité de Vienne,
de terres propriétés des aristocrates allobroges sur et qui aurait donc naturellement dû faire partie de
la rive droite du Rhône, à la fin de la Protohistoire, ce diocèse, est rattachée durablement au diocèse
en complément de leurs domaines de la rive gau- de Lyon avec les territoires dans l’Ain. On perçoit
che dans la Provincia. Deux épitaphes53, de la fin du donc là encore la volonté de maintenir une situation
iie ou du début du iiie  siècle, plaident ainsi pour le
foncière à travers les siècles, malgré les vicissitudes
politiques. On ne peut donc que proposer l’existence
51. Royet R. (2006)
52. Royet R. in : Perrin F. et Schonfelder M. (2003)
d’une autre grande famille viennoise, propriétaire de
53. Pour St Vulbas : C.I.L. XIII 2453, et pour La Balme : C.I.L. XII
2376 54. I.L.N. Vienne 555

114 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


Fig. 768 – Plan des vestiges de « l’établissement intermédiaire » de Larina (début du vie siècle) (noir= nouveau bâtiment, gris
foncé=édifice tardoantique réaménagé ou reconstruit, gris clair=édifice tardoantique alors détruit. (Ill. P. Porte)

terres sur les deux rives du Rhône de la Protohis- des murs, les nettes traces d’incendie dans les édifi-
toire à la fin de l’Antiquité. Cet autre domaine serait ces en pierre VI et IIA abritant le pressoir, quelques
exploité à partir des villae situées sur l’actuelle com- squelettes de La Motte montrant des traumatismes
mune de La-Balme-les-Grottes55, au Nord du domaine parfois mortels sur le crâne… prouvent un change-
de Saint-Romain-de-Jalionas/Larina. ment de dirigeants difficile, dans la douleur.
Mais en même temps que les nouveaux maîtres
Un domaine partagé… avec une période de s’installent, ils récupèrent en fait naturellement au
moins une partie de la population d’exploitation du
transition importante : site, maintenue comme telle, aux côtés de leurs pro-
Mais, dans ces temps instables, le propriétaire pres compagnons qu’il faut aussi loger. Les premiers
de la villa de plaine est amené à partager, dans la conservent sans doute une partie de leurs habita-
première moitié du vie  siècle, son vaste et diversifié tions, mais il faut alors loger plus de personnes sur
domaine rural avec d’autres aristocrates. De nou- le site, et cela assez rapidement puisqu’on ne prend
veaux dirigeants arrivent à Larina, avec leur culture pas le temps de construire de nouvelles structures. La
propre, amenant d’abord de grands changements restauration/transformation du fanum en habitation
notamment dans le type d’occupation du site et ses s’accompagne ailleurs de la réfection de certains sols
constructions. et de quelques nouveaux aménagements qui font
Que devient alors la population de l’établisse- penser que des habitations sur fondation de galets
ment tardoantique ? L’arrivée des nouveaux dirigeants (III, VII, VIII) sont toujours occupées et agrandies
semble d’abord brutale : la destruction du fanum et sommairement, alors que la plupart des édifices
l’arasement de nombreux édifices sur galets (dont d’exploitation sont eux rasés, ou transformés en
principalement les bâtiments d’exploitation au Sud habitations (IV ?) (Fig. 768). Les nouveaux serviteurs
des habitations tardoantiques, et particulièrement et compagnons peuvent ainsi occuper les habitations
le 0), les morceaux de torchis calcinés des élévations créées ou agrandies dans les édifices préexistants, au
milieu des autres habitants maintenus.
55. Et non dans l’Ain puisque cette famille est de la Cité de Vienne, au Parallèlement, les nouveaux dirigeants méro-
Sud donc du fleuve. vingiens construisent leur demeure aristocratique I

L’annexe d’une villa tardoantique • 115


(phase 1), sur une plate-forme rocheuse débarras- brutal que l’étude des techniques de construction le
sée de l’édifice tardoantique 0 arasé. En attendant, suggère, entre les deux communautés successives du
les éléments mobiliers les plus riches présents dans site. L’intégration des anciens colons du site tardoan-
l’ex-fanum X (verreries gravées, fiches à bélières…) tique dans le nouveau personnel des dirigeants méro-
peuvent peut-être faire proposer que cette grande vingiens serait ainsi avérée, expliquant aussi la part
habitation au plan particulier, avec sa salle principale sous-jacente, restée importante, de la culture maté-
(de réception ?) sans foyer et le renvoi de ceux-ci rielle antiquisante (notamment pour les outils quoti-
dans la salle arrière de service, a pu être la première diens comme la céramique), pendant tout le vie siècle
demeure du nouveau maître mérovingien pendant la encore. Il en est sans doute de même des quelques
durée de construction de sa villa. tombes sous lauzes inhumées sur le côté d’une petite
La destruction des édifices de stockage et d’acti- moraine au pied de la Motte et des sépultures iso-
vités suggère que les modes de production (et peut- lées dans les ruines des édifices. Elles ne sont en effet
être les éléments produits), ont déjà changé, qu’il n’y guère différentes en dehors de leur orientation de cel-
a plus le besoin de transférer les ressources du site les des nécropoles. Il est donc difficile de comprendre
dans la villa de plaine… Les nouveaux maîtres réa- leur localisation : si traditionnellement on considérait
ménagent les bâtiments d’exploitation sud en pierres, qu’il s’agissait des sépultures de personnes étrangères
comme le VI et le pressoir IIA qu’ils reconstruisent à la communauté ou de statuts particuliers (condam-
en pierres liées à l’argile sur les fondations anciennes nés56, femmes mortes en couches…), les recherches
liées au mortier, avant de les agrandir au Sud et à récentes57 rappellent plutôt la liberté de lieu d’inhu-
l’Est. La nature de l’élevage montre dans des fosses mation individuel prônée traditionnellement dans
plus particulièrement de cette époque une hésitation l’Antiquité, et la période de transition existant alors
qui mêle les tendances précédentes maintenues, et avant la contrainte de regroupement dans le cimetière
de nouvelles orientations encore peu affirmées  : le communautaire, puis paroissial.
développement des porcins commence à rééqui- Parallèlement, les nouveaux dirigeants se font
librer nettement la part des bovidés, au moins en construire sur la colline voisine du Mollard une église
nombre d’individus élevés si ce n’est encore en poids funéraire pour les accueillir. Dans ce cadre de l’ar-
de viande consommée. De même les salaisons pour rivée de nouveaux maîtres chrétiens qui engagent
l’exploitation disparaissent du site. rapidement la construction d’une église, il est aussi
Cette situation est également transitoire dans le probable que ce soient eux les responsables de la
domaine funéraire. Au niveau de la population elle- destruction du fanum païen précédent, les deux
même, l’utilisation des coffres en lauzes a pu être une événements étant concomitants dans les premières
mode initiée par les nouveaux arrivants. Les anciens décennies du vie  siècle. Cela expliquerait aussi le
occupants du site continuent d’être inhumés dans le non-respect de la mémoire du lieu et la transforma-
cimetière de La Motte où leurs sépultures passent donc tion rapide du sanctuaire, inhabituelle, en habitation
progressivement des cercueils en pleine terre aux cof- comme on l’a vu ci-dessus. Petit à petit, leurs pro-
fres de lauzes. Mais de nouveaux « compagnons », de ches les rejoignent dans la nouvelle nécropole et La
plus haute stature, se joignent à eux : les grands indi- Motte est abandonnée, sauf par quelques individus
vidus sont en effet peu nombreux à La Motte, et jamais qui persistent à se faire enterrer tardivement près de
aussi grands qu’au Mollard. À une exception près, ils leur famille si l’on en croit des C14. Le passage d’une
sont tous dans des coffres de lauzes. L’étude des habi- nécropole à l’autre est peut-être aussi à rattacher à la
tudes alimentaires par la dentition témoigne en com- christianisation progressive des aristocrates, avec leur
plément de l’existence de deux modes d’alimentation souhait d’être de plus en plus inhumés ad sanctos.
très différents, se répartissant globalement dans toute
Ce que l’on a appelé « l’établissement intermédiaire »,
la nécropole. Le groupe d’alimentation riche et com-
difficile à percevoir dans toutes ses nuances, évoque
pact, minoritaire, se retrouve surtout dans les coffres
donc une arrivée assez brutale de nouveaux dirigeants
de lauzes, avec une définition proche des habitudes
de culture et stature plus septentrionale qu’auparavant,
alimentaires des premiers occupants du Mollard, la
suivie d’une association pendant la première moitié
consommation des bols les plus pauvres et liquides
du vie siècle des anciens colons (survivants ?) à la défi-
étant concentrée dans les anciens cercueils en pleine
nition, à la construction, et à l’exploitation du nouvel
terre. L’étude C14 a montré enfin qu’au moins deux
établissement. Cette période transitoire ne dure néan-
sépultures de La Motte, dont au moins un coffre de
moins pas. Alors que le bâtiment I s’étend, les édifi-
lauzes (de stature indéterminée), mais ayant disposé
ces II agrandi et VI sont arasés soigneusement pour
d’un bol alimentaire riche et compact, dataient des
donner lieu à la construction des nouveaux édifices
viie-viiie siècle. Au niveau des rites funéraires, cela peut
d’exploitation à l’organisation pour partie différente.
indiquer seulement que certains habitants ont voulu
Le développement des greniers et fenils en combles,
continuer à être proches de leurs ancêtres ; mais aussi
et la réorganisation de l’exploitation du domaine vers
signaler un mouvement plus vaste, amenant à plus
lier les derniers inhumés de La Motte aux premiers du
56. Notons néanmoins le cas de la sépulture dans le bâtiment VII qui
Mollard, les colons du site tardoantique aux premiè- montre une volonté affirmée de décollement artificiel du crâne, qui fut
res générations mérovingiennes. Le glissement entre même posé sur le bassin du squelette lors de l’inhumation.
les deux sites aurait donc été progressif, et non aussi 57. Treffort C. in : Galinie H. et Zadora-Rio E. (1996)

116 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


l’autosuffisance plus que vers la livraison/vente de devient alors mieux connue que ceux de leurs person-
produits à l’extérieur, ne rendent plus nécessaires non nels. La villa mérovingienne peut alors se développer
plus les ateliers et entrepôts spécialisés, pour ceux qui sur ses propres critères…
ont survécu jusque-là. Les habitations tardoantiques et Il est alors difficile de connaître le devenir de l’an-
le bâtiment X, qui n’ont pas livré des matériels et céra- cienne famille propriétaire du site : se concentre-t-elle
miques caractérisant l’établissement mérovingien, sont sur la partie conservée de sa propriété autour de la
aussi détruits avant le milieu du vie siècle. Il devient villa du Vernai à Saint-Romain ? Disparaît-elle aussi de
alors difficile de savoir ce que devient l’habitat des ce site au profit de nouveaux aristocrates ? Les niveaux
serviteurs : le hameau de bories est-il construit alors ? les plus récents de cet établissement ne sont mal-
Certains habitent-ils hors du site, dans les habitats de heureusement pas assez dégagés pour caractériser la
Vernas par exemple qui se développent alors dans la période séparant la fin de la grande villa du ve siècle
plaine ? L’évolution des édifices aristocratiques nous de la nouvelle villa mérovingienne du viie siècle.

L’annexe d’une villa tardoantique • 117


Chapitre 2
L’évolution d’un domaine rural mérovingien

C ette phase intermédiaire s’achève vers le


milieu du vie siècle, période où le remplace-
ment de l’annexe de la villa de plaine par un éta-
d’une annexe d’une villa de la plaine, à un domaine
autonome, de plein exercice. Cet établissement méro-
vingien va néanmoins, lui aussi, subir une évolution,
blissement mérovingien autonome, avec ses types avec même une rupture assez brutale dans son type
d’architectures, d’élevage et d’économie agricole, de d’occupation au viie siècle.
populations, de cultures antiquisante ou plus sep-
tentrionale… est devenu effectif. Tous les édifices Une villa rurale de hauteur spécialisée dans
tardoantiques de Larina ont été finalement arasés,
l’élevage extensif
incendiés pour les rares en pierres, et recouverts par
les sols de cours mérovingiens. Leurs décombres ser- Dans un premier temps, à partir des premières
vent de décharge, de lieux d’inhumations particuliè- décennies du vie siècle, le nouveau domaine se défi-
res, de fosses à remblais… La nécropole de La Motte nit comme une villa mérovingienne, certes d’un nou-
est également « officiellement » abandonnée, malgré veau genre, mais où l’exploitation domaniale est la
de rares inhumations familiales persistantes, au profit vocation principale d’une famille aristocratique.Cette
du Mollard. caractéristique légitime une transition douce avec la
période précédente de manière à privilégier la sau-
vegarde des moyens et personnels de production
(Fig. 769).
De la villa au castrum, Une fois stabilisée dans son organisation, une
une occupation bien différenciée grande ferme en pierres liées à l’argile, de plus de
1 200  m², couverte de lauzes, réunit sous le même
Le nouvel établissement s’est donc installé sur le toit l’habitation, et plusieurs ateliers, granges, remi-
même site que précédemment, mais selon des critè- ses. Deux autres édifices d’exploitation ouverts sur le
res d’aménagement et d’exploitation différents, tant champ cultivé voisin complètent le nouvel établisse-
pour l’habitat que pour la nécropole et sa chapelle. ment de Larina (Fig. 769 gauche et 770). On a vu que
Surtout, la définition même du site change, passant le bâtiment principal réalisé paraît d’abord devoir être

Fig. 769 – Les vestiges constituant la villa mérovingienne I. (Ill. P. Porte)

L’évolution d’un domaine rural mérovingien • 119


de l’habitation principale, avec ses différentes salles
annexes donnant sur une vaste pièce principale dis-
posant d’un foyer central, évoque la présence non
plus d’une vie familiale régie par les valeurs indivi-
dualistes de l’otium, mais plutôt celle d’un clan vivant
en communauté autour d’un chef, d’un patriarche
selon des traditions plus septentrionales qu’antiques.
La galerie-façade, dite de tradition antiquisante, relève
de son côté plus de contraintes de circulations techni-
ques dans l’édifice, que de la volonté décorative d’une
villa tardoantique. La qualité de la construction et de
ses aménagements manifeste encore certes une cer-
taine sensibilisation culturelle au monde gallo-romain
Fig. 770 – Vue aérienne des édifices mérovingiens restaurés (et aux contraintes d’un plateau calcaire !) mais les
pris vers l’Est (ill. P. Porte).. maçons ne devaient pas être très différents de ceux
travaillant alors au Vernai dans la plaine.
Sur la plus haute colline du site, au Mollard, la
nécropole se développe d’abord seule, puis en
liaison avec l’église richement aménagée à une extré-
mité du cimetière pour recevoir la sépulture de nota-
bles christianisés. Les nouveaux dirigeants se font en
effet très vite construire une église funéraire pour
les accueillir avec leurs proches dans la tradition des
mausolées antiques. Les techniques de construction
y sont aussi élaborées que dans le bâtiment I mais
la décoration y est plus soignée, plus romanisante :
le chancel dispose de sculptures simples (qui seront
remployées plus tard dans des murs après sa destruc-
tion) ; des enduits peints recouvrent les murs et des
vitraux colorés éclairent la nef… Les membres de la
famille occupent l’abside et surtout la nef, laissant les
sépultures de proches dans un portique s’appuyant
au Sud contre l’église (Fig; 769 droite).
Au niveau de l’exploitation domaniale, la céréa-
liculture et la viticulture subsistent sur le site pour
subvenir aux besoins des habitants, alors que l’ex-
traction des pierres se limite aux besoins locaux en
matériaux (Fig. 772). Conduit comme une activité
productive de ressources, et pas seulement comme
une activité vivrière, le développement de l’élevage
est par contre une des principales raisons de l’im-
plantation de ce domaine aristocratique sur le pla-
teau. La situation de l’élevage de Larina devient en
effet alors brutalement très différente1, à la fois de
celle de la plaine, mais surtout de celle sur le site à la
fin de l’Antiquité. Architecturalement, outre la coha-
bitation possible des animaux et des hommes dans
Fig. 771 – Evolution du plan restitué en élévation certaines parties du bâtiment I, la fouille a montré
de la villa mérovingienne I (ill. P. Porte). que l’on devait considérer comme étant une étable
ou une écurie la grande salle nord de l’édifice. Les
petites pièces du bâtiment II semblent, elles, lors
comparé à la traduction en pierres locales du plan de cette première phase plus des ateliers que des
d’une maison-longue septentrionale en bois, organisé espaces pour animaux. Cette faiblesse des locaux
autour d’une aula. Celle-ci est complétée au Nord de aménagés pour le bétail fait envisager plutôt un éle-
pièces plus intimes, et surtout de salles économiques, vage extensif en semi-liberté pendant cette période,
ateliers et remises, qui partagent avec l’habitation les contrairement à ce qui existera ensuite. Pour com-
locaux construits. Les séparations intérieures habituel- prendre l’évolution, et les enjeux, de l’élevage sur le
les de poteaux et peaux de bêtes sont remplacées site du vie au viiie  siècle, il faut différencier comme
par des murets médians. Les ajouts longitudinaux et
latéraux successifs rappellent aussi ceux qui prennent 1. Cf. supra l’étude de la faune du site par Philippe Columeau, Centre
place sous les retombées latérales des toitures de la Camille Jullian du CNRS, Aix-en-Provence. Et à titre comparatif : Cla-
maison-longue (Fig. 771). L’aménagement intérieur vel B. et Yvinec J. H. (2010) ; et Rodet-Belarbi et Forest V. (2010).

120 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


chaque fois les réflexions liées au nombre d’animaux ou comme les porcs engraissés toute l’année en
élevés et à la nature du cheptel, de celles concernant vaine pâture avant d’être abattus juste avant l’hiver
en poids de viande la part de chaque espèce dans et transformés en viande de conserves et salaisons,
l’alimentation carnée2. sans travail coûteux, pourrait montrer une certaine
paupérisation du domaine et une aisance plus faible
qu’auparavant. Mais cette vision négative est néan-
moins à nuancer si on rappelle que l’étude porte sur
un nombre minimum, mais conséquent, de près de
700 animaux retrouvés sur le site pour cette période.
Le développement de l’élevage des porcs au détri-
ment des bovidés témoigne également d’un moindre
besoin de traction sur le site, que ce soit pour les
besoins agricoles ou pour des transports de marchan-
dises par carrioles, celui-ci nécessitant de nombreux
bovidés en l’absence fréquente de chevaux pour
ces fonctions. La consommation du porc, surtout
jeune, est par ailleurs considérée au haut Moyen Âge
comme une preuve de diversification de la nourriture
carnée que l’on retrouve surtout en milieu aristocra-
tique ou ecclésiastique3. Par suite l’économie du site
doit subvenir surtout à des besoins locaux en plus
grande autarcie. Les bœufs sont tués (et consommés)
adultes pour la plupart, mais les jeunes et les très
jeunes bovins abattus représentent quand même plus
du quart du cheptel, ce qui est loin d’être négligeable
pour une espèce dont les produits dérivés, en travail,
en lait et en fumure, ou procréation de veaux, sont
considérables. L’âge d’abattage des porcs est lui sur-
tout centré sur les jeunes et les très jeunes, lorsque la
qualité de consommation est donc la meilleure, pour
près des deux tiers des animaux. De même l’abattage
et la consommation des moutons concernent aussi
des jeunes et des très jeunes de qualité pour plus de
Fig. 772 – Agriculture et chasse à Larina, aquarelles pour le la moitié du troupeau (55 %), alors que les ovins sont
Musée Maison du Patrimoine de Hières-sur-Amby (ill. P. Porte). en général réservés à la fourniture des laitages puis
consommés adultes en milieux paysans « populaires ».
Au vie siècle, et en NMI, les moutons et chèvres C’est d’ailleurs le cas des quelques chèvres qui ont pu
représentent alors la moitié du troupeau, avec une être identifiées, consommées principalement adultes
bonne adaptation au plateau calcaire (Fig. 632). Mais après avoir fourni le maximum de laitages. La répar-
surtout la part des bovins sur le site s’effondre, devient tition de ces âges d’abattage témoigne donc toujours
minimale (moins de 10 % du troupeau), au profit des de l’existence d’un élevage prospère, bien organisé
porcs qui atteignent leur maximum (plus du tiers et maîtrisé, où de nombreux animaux restent abattus
du troupeau élevé), peut-être en semi-liberté dans jeunes et très jeunes malgré les baisses constatées,
l’enceinte. L’équilibre entre les parties postérieures et ce qui est important dans la définition qualitative de
antérieures, principalement des porcins, montre que l’élevage du domaine. La rareté de la consommation
l’élevage ne se fait plus pour des raisons commercia- de cheval renvoie également à la présence d’une
les avec la vente de salaisons, mais pour la consom- société aristocratique (toujours attentive au sort de
mation propre des habitants du site qui profitent de ce compagnon du guerrier), les chevaux étant de
l’intégralité de leur production. Ce remplacement fait surtout consommés alors adultes en milieu pay-
san, lorsqu’ils ne peuvent plus servir de tracteur. La
progressif de l’élevage de gros animaux, difficiles et
villa mérovingienne est ainsi assez aisée pour faire
coûteux à élever sur le long terme, par des animaux
l’impasse sur des impératifs de productions liés à la
plus petits, lié à un abattage de bêtes surtout adultes
subsistance quotidienne, au profit d’une qualité cer-
après qu’elles aient fourni le maximum de travail,
taine.
de laitage et de vêtements (découverte de forces…) ;
Au niveau des membres conservés chez les espè-
ces les plus représentées, l’équilibre entre les restes
2. En Nombre Minimal d’Individus élevés (NMI) : ovins caprins 49 %,
porcins 34 %, bovidés 9 %, pour la période Mérovingienne I ; (ovins
des membres antérieurs et postérieurs indique un
caprins 43 %, porcins 23 %, bovidés 11 % pour la période Mérovin-
gienne II). 3. Par exemple les fouilles de l’abbaye mérovingienne de Wandignies-
En poids de Viande consommée (PV) : porcins 38 %, bovidés 25 %, Hamage (Nord) montrent (en nombre de restes osseux) une consomma-
ovins caprins 23 % pour la période Mérovingienne I ; (bovidés 47 %, tion carnée d’environ 60 % de porcins, 25 % d’ovins, 15 % de bovidés.
porcins 30 %, ovins caprins 17 % pour la période mérovingienne II). Cf. : Clavel B. et Yvinec J. H. (2010)

L’évolution d’un domaine rural mérovingien • 121


abattage des animaux en vue d’une consommation la comparaison avec la faune du village de Brébières
locale, et non plus une préparation (salage, bouca- dans le Pas-de-Calais (Fig. 635). La comparaison de
nage) des gigots et jambons pour la vente de salai- Larina avec le site régional, également aristocratique,
sons, contrairement aux périodes précédentes. En de Poncin/La-Chatelarde (Ain) différencie bien cet
complément de l’élevage, les différentes forces en fer, habitat de « consommateurs », du domaine de « produc-
comme les pesons de tisserand et fusaïoles en os et teurs/éleveurs » qu’est Larina, avec une évolution par
en céramique mis au jour, rappellent enfin les activi- contre comparable des modes alimentaires. La faune
tés de tissage et d’exploitation des animaux en dehors de Saint-Romain-de-Jalionas, bien que mal connue
de la fourniture de viande et laitage (Fig. 773). pour le haut Moyen Âge, montre alors en comparai-
son un élevage réduit, avec un meilleur équilibre assez
classique en nombre d’animaux  : celui-ci offre dans
l’alimentation une place plus importante au bœuf et
une plus faible part au porc (20 %) qu’à Larina, les
ovins caprins étant réduits à la portion congrue. En
complément, la comparaison de la faune de Larina
avec celle de gisements contemporains du Sud de
la France atteste encore d’une certaine homogénéité
des modes de ravitaillement en viande au vie  siècle,
puis une nette différenciation ensuite. À Saint-Blaise
par exemple, la faune laisse une place moindre à la
consommation du porc, au profit de celle du mou-
ton et de la chèvre, le bœuf fournissant néanmoins
plus d’un repas sur deux. Au-delà du rôle variable des
bovidés, le porc est à travers les siècles l’animal de
référence de Larina alors que c’est le mouton dans le
Midi. De même, les chasseurs de Larina préfèrent éga-
lement de loin le sanglier au cerf contrairement à leurs
voisins du Sud, mais aussi de ceux de Saint-Romain.

Fig. 773 –Au-delà de l’alimentation, les fusaïoles notamment


rappellent les activités de tissage liées aux troupeaux.

La consommation en Poids de Viandes voit se


développer aussi de manière importante la part des
porcins (38 %) au détriment des bovidés qui passent de
la moitié de l’alimentation carnée fin ve-début vie siècle
au quart à la fin du vie siècle, au même niveau que Fig. 774 – Aquarelle synthétisant, pour les enfants,
les activités de la villa mérovingienne,
les ovins caprins, et cela encore uniquement grâce
pour le Musée Maison du Patrimoine de Hières-sur-Amby
à la taille supérieure de ces animaux. Larina montre (Ill. Ph. Allart).
ainsi une aisance certaine, bien que répondant à des
demandes alimentaires devenues très différentes de Larina définit donc aux vie-mi-viie siècles un
celles de l’Antiquité tardive. Si l’absence d’appauvris- domaine agricole autonome de hauteur, de nature
sement du domaine, difficile aussi à envisager avec la aristocratique. L’ampleur du programme architectu-
construction des grands bâtiments de pierre et de la ral mis en œuvre sur tout le site, et son intégration
chapelle, n’explique pas ces changements dans l’éle- dans une structure d’exploitation domaniale, légiti-
vage, on doit considérer que des raisons culturelles, ment que l’on parle encore de villa pour définir cet
illustrées notamment par des changements dans le type ensemble exceptionnel, certes adapté aux contraintes
d’alimentation sur le site, sont eux plus probables. La et modes des temps nouveaux. Une partie au moins
brutalité de ces changements alimentaires, basés sur des moyens de production est polyvalente, avec ses
l’évolution de la place du porc dans la stratégie d’éle- édifices et équipements d’exploitation complémen-
vage, sont loin des évolutions lentes constatées aupa- taires, mais l’élevage constitue l’activité agricole prin-
ravant. Ces transformations vont dans le sens d’une cipale du domaine (Fig. 774). Les études restituent
adaptation des habitants du plateau à un mode de vie en effet l’existence d’une exploitation dirigée, pen-
de type plutôt septentrional, tout au moins à partir de sée, qui apparaît dans la répartition des différentes

122 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


Fig. 775 – Les vestiges d’habitat religieux du castrum mérovingien II.

espèces en nombre d’individus, poids de viande,


âge d’abattage des animaux par espèce… Tous les
éléments concordent donc pour prouver l’existence
d’un domaine où l’élevage dépend d’une politique
de développement qualitative et quantitative à long
terme qui suppose une population délivrée des pro-
blèmes de la subsistance quotidienne, et une autorité
pour organiser la gestion du troupeau. Le nouveau
dominus oriente néanmoins le nouveau domaine
plus vers un type d’élevage septentrional que vers
celui traditionnel en Narbonnaise, comme aupara-
vant. Héritier du burgus de Pontius Léontius chanté
au ve siècle par Sidoine Apollinaire, Larina est ainsi
un mixte, la synthèse, entre les descriptions complé-
mentaires de Chastel-Marlhac par Grégoire de Tours,
et du domaine de Nicétius loué par Fortunat4.

Un castrum de hauteur auto-subsistant


pour d’autres fonctions ?
Dans un second temps, vers le milieu du viie siè-
cle, d’importants changements effectués d’abord sur
le plan architectural, mais aussi sur les plans socio-
économiques, font du site un castrum de hauteur,
avec sa fortification (Fig. 775). Des modifications
architecturales fondamentales sont réalisées dans
la demeure principale. La galerie-façade de la villa
mérovingienne est pour partie arasée. Elle est ensuite
subdivisée en trois habitations complémentaires à la
superficie et à l’organisation comparable grâce à de
nouvelles parois intérieures, l’obstruction d’ouvertu- Fig. 776 – Evolution du plan restitué en élévation
de la demeure mérovingienne II.
res centrales, et à des ajouts en façade est. D’autres
étables, granges, cours et enclos agrandissent laté-
ralement l’édifice dont le plan devient complexe de Tilléda nous a ainsi prouvé sur un même édifice
(Fig. 776). Mais cette évolution reste similaire à celle de bois puis de pierre les transformations possibles
de la maison-longue, avec ses annexes et services de ce type. Parallèlement, le bâtiment II subit aussi
d’abord répartis dans des cabanes excavées environ- des transformations intérieures qui le transforment
nantes, puis souvent ramenés aussi latéralement sous en une seule grande étable longitudinale par la des-
des appentis et annexes plaquées contre/sous les toi- truction des salles intérieures, et le bâtiment VI est
tures du bâtiment de bois. L’étude du palais royal aussi réaménagé et agrandi pour recevoir de nouvel-
les activités.
4. Sidoine Apollinaire, Poèmes, XXII ; Grégoire de Tours, Histoire des De même la chapelle mérovingienne à abside
Francs, III-13 ; Fortunat, Poèmes, III-12 semi-circulaire et son portique sud sont détruits avec

L’évolution d’un domaine rural mérovingien • 123


des traces d’incendie qui interrogent sur l’esprit des l’entrée d’un troupeau dans l’enclos. De la même
nouveaux dirigeants. Les vestiges restent néanmoins façon, les derniers remaniements du bâtiment II, en
assez considérables pour permettre sur les anciennes créant une seule salle de 18 m de long par près de
fondations une reconstruction d’esprit très différent. 4  m de large, avec une large entrée centrale, évo-
Le chœur devient à chevet plat et est agrandi dans quent l’existence d’une grande étable. Enfin, sur le
la nef. Un épais dallage blanc jointoyé au mortier site même, l’existence de petites reculées glaciaires
de tuileau le long des murs couvre le sol de la nef, dont l’entrée est barrée par un muret témoigne aussi
alors déjà remplie de sépultures, qui devient un de la présence de vastes enclos pour bestiaux. Ces
espace public. Plusieurs chapelles autonomes, pri- aménagements n’excluent d’ailleurs pas en complé-
vées, ouvrant directement sur l’extérieur sont réa- ment l’utilisation du reste du plateau, notamment les
lisées autour de cette nef. À l’entrée de l’église, le collines incultivables, pour pâturer à l’intérieur (et
narthex ouvre aussi sur un espace funéraire particu- peut-être à l’extérieur) des remparts.
lier, remplaçant au Sud-Ouest l’ancien portique sud.
Des enclos funéraires, dont un surtout au centre de
la nécropole, sont construits également autour de
tombes privilégiées. La christianisation se développe
donc, d’abord au niveau des élites claniques qui se
partagent l’église pour créer plusieurs chapelles funé-
raires indépendantes, puis des autres habitants du
site qui s’éloignent du centre de la nécropole pour
se regrouper ad sanctos, à l’extérieur mais contre
l’église. Les enclos funéraires extérieurs témoignent
néanmoins aussi d’un maintien d’élites païennes,
avec leur entourage.
Les nouvelles constructions de cette période mon-
trent une architecture beaucoup plus fruste que les
précédentes (murs étroits et sinueux, pas de fonda-
tion ni d’appareillage de parements…), sans maîtrise
technique assurée, entraînant ainsi plusieurs difficul-
tés aussi bien dans l’habitat que dans l’église : l’angle
nord-est du bâtiment I va s’écrouler, provoquant une
reconstruction d’ampleur plus limitée de la grande éta-
ble nord. Le chevet plat de la chapelle, mal construit
en équilibre sur la pente, devra aussi être remonté
sur ses fondations après un effondrement du chœur.
Ces aléas constructifs sont aussi à lier à une évolution
de la gestion du site : l’unique famille propriétaire du
domaine pendant la première période mérovingienne
paraît alors remplacée par une population clani-
que, par trois à quatre familles aristocratiques, dont
les chefs se partagent l’établissement, que ce soit le
bâtiment I ou l’église. Celui-ci reste néanmoins sous Fig. 777 – Les occupations des mois. Recueil d’astronomie
la coordination ou l’autorité générale de l’un d’entre (manuscrit carolingien de Salzbourg, vers 818).
eux, peut-être plus important car il semble s’accapa-
rer la partie principale sud du bâtiment I et le chœur Le domaine vit alors en autarcie autour de son
agrandi de la nouvelle église. élevage, assez fructueux néanmoins pour permettre
L’économie du site est devenue à cette époque, une organisation rationnelle de la consommation
courant viie siècle, plus aléatoire (Fig. 777). Céréali- de la viande, si ce n’est la production de richesses
culture et viticulture assurent toujours la subsistance (Fig.  633)5. La nature du troupeau change en effet
du domaine mais les dernières carrières tardoantiques de nouveau profondément de tendance entre les
connues sont alors remblayées avant de recevoir par deux phases mérovingiennes, au viie siècle6. En NMI,
dessus des enclos pour les troupeaux. Les nouveaux
aménagements architecturaux privilégient en effet 5. A titre comparatif et de synthèse sur l’alimentation carnée au haut
la « gestion encadrée » du bétail, dans des ensembles Moyen Âge, cf. Clavel B. et Yvinec J. H. (2010) ; et Rodet-Belarbi et
Forest V. (2010).
clos (et privatisés ?) au détriment de la semi-liberté 6. En Nombre Minimal d’Individus élevés (NMI)  : on atteint ovins
extensive qui caractérisait la période précédente. La caprins 43 %, porcins 23 %, bovidés 11 % pour la période Mérovin-
grande étable ou écurie nord de l’édifice est restaurée, gienne II ; au lieu de ovins caprins 49 %, porcins 34 %, bovidés 9 %,
et la construction d’un enclos réalisée en contrebas pour la période Mérovingienne I.
En Poids de Viande consommée (PV) : on atteint bovidés 47 %, porcins
ouest du bâtiment. La nouvelle grande cour à l’Est 30 %, ovins caprins 17 % pour la période mérovingienne II ; au lieu
servait aussi à recevoir le bétail puisque la présence de porcins 38 %, bovidés 25 %, ovins caprins 23 % pour la période
du muret extérieur ne se légitime que pour guider Mérovingienne I.

124 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


les moutons constituent certes toujours « un bruit pour conséquence une baisse de la consommation
de fond » toujours majoritaires en nombre, devant de viande de moutons et de chèvres, et surtout des
les porcins qui baissent nettement à cette période, bovidés, alors que la consommation de ces animaux
alors que les bovidés redeviennent progressivement mettait en évidence un des liens qui unissaient les
attractifs à élever. Avec ce renouveau, lent mais sûr, habitants de ce domaine au mode de vie des popula-
du nombre de bovins, l’élevage affiche un profil plus tions de la Narbonnaise. En complément, si la chasse
classiquement médiéval, comme si le site reprenait (surtout du gros gibier adulte  : cerf et surtout san-
son expansion après avoir « digéré » des changements glier, parmi des espèces variées), avec près de 5 % du
culturels basés sur un élevage de type plus proto- poids de viande consommée, atteint alors aussi un
historique, ou septentrional, à partir des porcins. Les maximum sur le site, son rôle n’en reste pas moins
ovins caprins ne paraissent toujours en complément négligeable dans l’alimentation qui reste ainsi bien
qu’une « variable d’ajustement » complémentaire dans maîtrisée, éloignée des contingences ponctuelles et
la stratégie du site. Ce renouveau de l’intérêt pour de la famine. La chasse constitue alors principale-
les bovins, qui se développera en Gaule à l’époque ment un loisir aristocratique, un entraînement à la
carolingienne, témoigne à la fois de l’essor d’une guerre, qui intervient très peu dans la nourriture car-
société ayant les possibilités (financières, matériel- née des habitants.
les, techniques…) pour investir dans la gestion de L’étude des autres vestiges entourant les édifices
gros animaux sur le long terme, avec un besoin de fouillés a mis parallèlement en exergue la reconstruc-
tractions et donc de déplacements pouvant montrer tion mérovingienne, au moins partielle, de l’enceinte
une société plus ouverte. Il atteste néanmoins aussi protohistorique. L’utilisation du mortier de chaux
de l’existence d’une économie moins diversifiée, dans la construction d’une nouvelle courtine par-
plus « basique », qu’auparavant, où un seul animal dessus les vestiges de la précédente, et le remploi
doit pouvoir répondre à un maximum de besoins des mêmes blocs gallo-romains que les édifices de
(en viande, laitage, traction, cuir…). Le Poids de cette seconde phase mérovingienne, peuvent dater
Viande consommé (P.V.) corrige les données précé- ce réaménagement de cette période. Un fortin plus
dentes en redonnant au bœuf une place globalement massif mais limité, entre les courtines sud et est, peut
primordiale dans l’alimentation carnée, mais avec au constituer alors de surcroît un refuge plus facile à
plus et seulement la moitié de la viande consomma- défendre que toute la superficie du site, presque un
ble, contre les deux tiers au ve siècle. Le porc est la donjon, dans un cadre architectural également noté
deuxième espèce pour le ravitaillement en viande, dans plusieurs autres forteresses mérovingiennes, de
suivi des ovins caprins qui déclinent avec une fré- La Malène à Ecrille, en passant par Saint-Saturnin,
quence deux fois moindre. Lors de l’abandon du Aniane ou Piégu. Cette similitude amène à proposer
site, la consommation de bœufs est donc redevenue de réunir ces vestiges en une seule phase probable
la plus importante, sans atteindre pour autant celle d’occupation, à laquelle on pense pouvoir aussi rat-
des périodes tardoantiques. Il est difficile d’affirmer tacher les vestiges d’un hameau de cabanes en pier-
si ce nouveau changement est accompagné ou non res, également dans l’enceinte, disposant aussi de
d’un enrichissement, bien que la distribution de la remplois antiques. L’ensemble permet alors de carac-
faune au cours de la fin de la période reste plutôt tériser une forteresse rurale de hauteur, un castrum
significative d’une certaine aisance. La répartition des mérovingien, d’un type bien connu dans les textes
âges d’abattage et du nombre d’animaux dans les antiques (Fig. 778).
troupeaux prouve en fait qu’il s’agit surtout d’une
nouvelle modification de la conception du ravitaille-
ment en viande, liée plus à un changement du genre
de vie des habitants et à des cultures alimentaires
différentes qu’auparavant, qu’à des fluctuations du
niveau des ressources du domaine. Celles-ci permet-
tent en effet toujours de financer des programmes
architecturaux ambitieux.
Cette évolution de l’élevage, déjà importante
depuis l’Antiquité tardive, semble donc s’amplifier
rapidement entre les deux phases alto-médiévales,
accentuant ainsi la différenciation culturelle consta-
tée : là encore les différences entre les deux phases
mérovingiennes paraissent presque aussi importantes Fig. 778 – Plan général du castrum mérovingien (ill. P. Porte)
que celles avec la période tardoantique (Fig. 634).
Il semblerait donc qu’à un moment, entre la fin du Ce castrum peut disposer également de fonctions
vie siècle et le début du viiie siècle, des changements publiques importantes en liaison au moins avec la
soient intervenus sur le plateau de Larina, entraînant plaine environnante. Le partage de propriété des édi-
une adéquation plus étroite avec des modes alimen- fices casse en effet la dynamique de développement
taires observés au Nord de la France. Cette préfé- du domaine agricole unifié, et laisse penser que les
rence pour l’élevage et la consommation du porc a habitants du site s’intéressent alors plus au territoire

L’évolution d’un domaine rural mérovingien • 125


qu’au site lui-même, devenu un simple refuge pro-
ducteur des ressources vivrières. Les différences avec
la première phase mérovingienne interrogent même
sur la nature de son peuplement et la fonction prin-
cipale de la nouvelle forteresse. Il n’est par suite pas
anormal que ce site exceptionnel ait rencontré l’inté-
rêt de ses contemporains, et que des textes antiques
le signalent, comme pourraient l’évoquer les men-
tions de A Larinum et Alarona pour une forteresse
mérovingienne du Nord-Isère jusqu’à présent non
identifiée…
L’obstruction similaire des ouvertures des bâti-
ments de l’habitat et de l’église les unifie dans la
fin de l’occupation, et l’abandon volontaire du site
au viiie  siècle. La multiplication des clans sur le site Fig. 779 – Outils mérovingiens (ill. P. Porte).
avec les partages que cela induit, notamment pour
les richesses produites qui ne sont pas très extensi- La céramique présente d’abord toujours des for-
bles sur ce petit plateau calcaire, amène sans doute mes prenant leurs sources dans l’Antiquité gallo-
une surpopulation (aristocratique) du site  : d’où la romaine mais les poteries et amphores importées
décision pour tous de l’abandonner, ensemble, afin ont alors totalement disparu du site. Les Communes
de se répartir dans le finage du domaine. De là se Sombres Rouges régionales, constituant notamment
développent peut-être alors les communautés de Ver- le « service bistre du val de Saône », atteignent leur
nas-Nord/Bourcieu et Saint-Étienne dans la plaine, et maximum de diffusion sur le site à la fin du vie siècle,
se créent en complément celles de Châtelans sur le avant de décliner rapidement et de se stabiliser au
plateau et de Hières au pied du site. Sur son plateau, quart de la vaisselle utilisée. Les Communes Sombres
Larina ne correspond donc plus à la fin de l’époque Noires de même, à cuisson et/ou post-cuisson réduc-
mérovingienne aux besoins de développement de ses trice, apparues certes auparavant, deviennent majo-
habitants. Ce type de vaste site fortifié ne répond éga- ritaires au viie siècle, puis tendent vers le monopole
lement plus aux attentes de l’aristocratie, bientôt à la de la vaisselle utilisée. Un changement dans le type
recherche de mottes et enceintes à la superficie plus d’alimentation transparaît dans l’évolution des formes
limitée, ni à celles de l’Église qui cherche à regrouper du vaisselier  : les ollae de forme fermée sont alors
auprès des églises paroissiales les habitants dispersés très majoritaires, témoignant d’une nourriture moins
sur le territoire. diversifiée que dans l’Antiquité tardive, où la diversité
des formes était plus ouverte. Si cette évolution est
Une culture matérielle aux tendances pour partie chronologique, elle témoigne également
­partagées d’habitudes culturelles alimentaires différentes (des
Dans le domaine de la culture matérielle aussi, des soupes et bouillies prédominent sur les grillades par
divergences de caractéristiques et d’influences cultu- exemple). Les décors sur céramique évoluent vers
relles se retrouvent également dans l’occupation du des molettes variées et complexes, ainsi que vers des
domaine mérovingien, par rapport à l’établissement traits parfois ondulés, les bords passant des lèvres à
tardoantique précédent. L’étude rencontre toutefois section triangulaire aux lèvres en bandeau. Dans le
une difficulté à cause du nettoyage régulier des sols détail, des formes ayant existé dans la culture antiqui-
rocheux au centre du bâtiment I, puis du déménage- sante subissent ainsi des évolutions plus marquées
ment des habitants, volontaire et tranquille, avec tous d’habitudes septentrionales. Il existe de surcroît dans
leurs équipements à la fin de l’occupation. Il est ainsi le vaisselier des gobelets et formes carénées, proches
très difficile de séparer la culture matérielle des deux des types septentrionaux de céramiques, n’existant
phases mérovingiennes, seule une évolution statistique pas auparavant sur le site, et peu dans la région. En
par grandes masses de la céramique, et la présence parallèle, les fragments de verrerie restent nombreux,
de rares bijoux datables, évoquant les changements mais très fractionnés. Ils appartiennent surtout à des
sur le site pendant le viie siècle. Tout montre alors un coupelles et à des verres à pied de qualité, de dimen-
développement beaucoup plus en autarcie, avec la sions variées, bien attestés de l’Antiquité tardive au
récupération des objets métalliques, réparés et refon- haut Moyen Âge, mais qui là aussi intègrent des for-
dus en fonction des besoins. Les traces de travail du mes et aspects plus mérovingiens. Cette tendance est
métal sont en effet abondantes avec des scories de fer, encore plus nette avec les nombreux anneaux et les
et encore quelques traces de découpage du bronze. perles de colliers en verres colorés qui caractérisent
Elles témoignent d’activités artisanales, localisées sur- les bijoux barbares. (Fig. 780)
tout dans les pièces nord-est du bâtiment principal et Le mobilier métallique mis au jour montre la diver-
dans les bâtiments d’exploitation, qui contribuent à sité des activités des habitants des bâtiments. Ces aris-
l’autarcie nécessaire à la vie d’un grand domaine rural, tocrates savent lire et écrire et le niveau de décor de
mais les outils entiers sont par suite devenus plus rares leurs équipements et bijoux prouve, malgré leur faible
qu’auparavant (Fig. 779). quantité (mais on ne perd ni n’abandonne pas ce qui

126 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


site, régionaux pour la plupart des céramiques, plus
lointains pour les outils et bijoux métalliques eux
caractéristiques de la Gaule mérovingienne. Ces
objets témoignent de l’existence encore de contacts
commerciaux, mais les rapports du site avec l’exté-
rieur se réduisent néanmoins beaucoup. L’absence
de monnaies mérovingiennes (alors qu’un atelier de
frappe monétaire existe à Bourgoin, à proximité du
site, sans parler des découvertes urbaines de Lyon et
Vienne), et la découverte de rares reliquats monétai-
res antiques, le comblement des dernières carrières
ouvertes près des édifices après leur construction,
l’abandon des ventes de salaisons, l’importante
réduction des importations de vaisselle et verrerie
notamment, montrent une économie plus fermée
sur elle-même et moins exportatrice qu’auparavant.
Si le site peut disposer alors d’une influence sur le
territoire environnant, son fonctionnement interne
est plus basé sur l’autosuffisance qu’atteste aussi le
travail local sur les objets.
Par comparaison enfin, dans la plaine à l’épo-
que mérovingienne, le mobilier de Saint-Romain est
moins connu mais les céramiques communes bistres
régionales, puis avec des bords en bandeaux, y exis-
tent comme à Larina. Par contre le mobilier métalli-
que caractéristique de la civilisation mérovingienne y
est plus rare, au même niveau que sur les autres sites
régionaux de cette époque, mais loin de l’accumula-
tion de ce type de matériels existant à Larina.
La culture matérielle antique, encore bien per-
ceptible dans les matériels surtout en céramique
du premier établissement, évolue donc, avec une
accentuation des tendances entre les deux pha-
ses mérovingiennes, jusqu’à disparaître à l’orée du
viiie siècle. L’omniprésence des ollae noires à bords
Fig. 780 – Décors à molettes sur des poteries de Larina en bandeau dans les niveaux du viie  siècle, corres-
et bijoux de la phase mérovingienne II (ill. P. Porte). pondant à la phase mérovingienne II, et la dispari-
tion de toute diversité matérielle alors, prouvent une
est le plus utile et précieux !) leur richesse. Typologi- rupture culturelle avec les modes de vie précédents,
quement, on est frappé par l’importance du nombre eux encore assez ouverts. De même, près des deux
d’objets non pas seulement d’influence septentrionale, tiers des objets métalliques septentrionaux provien-
mais directement importés de la Gaule du Nord et d’Al- nent des niveaux supérieurs du bâtiment I, au-dessus
lemagne du Sud, que ce soient les couteaux, les fiches des dallages de lauzes qui dans les parties est de
à bélières, les agrafes à double crochets… et cela en l’édifice séparent les deux grandes phases mérovin-
quantité bien plus importante que sur les autres sites giennes. Les objets d’utilisation courante manifestent
régionaux, ruraux et urbains, habitats et nécropoles, également alors l’existence d’une culture matérielle
d’époque mérovingienne. Ces objets métalliques sont régionale de plus en plus marquée. Celle-ci paraît
par ailleurs surtout des « marqueurs sociaux » (bijoux, alors se diffuser, comme le montrent des types de
anneau sigillaire, stylets, éperons…) et non pas des céramiques bien caractéristiques de cette Bourgogne
outillages quotidiens. Un certain nombre de matériels, du Sud, à laquelle Larina devrait prioritairement être
d’origine régionale comme la plus grande partie de la rattaché. Mais le matériel métallique est lui massive-
céramique, subissent en effet une influence « barbare » ment caractéristique du mobilier franc de la Gaule
qui s’ajoute ou remplace les traditions gallo-romaines du Nord. Plus que d’achats sporadiques, il doit être
précédentes, comme pour de nombreux sites régio- rattaché, vu sa localisation surtout dans le bâtiment
naux. Mais surtout la plupart des objets métalliques principal, à une population spécifique qui l’a amené
caractérisant les aristocrates du site sont eux porteurs (au moins à l’origine) avec elle. Le matériel décou-
d’une culture septentrionale importée que l’on n’a pas vert confirme certes l’existence d’un domaine encore
rencontrée ailleurs à un tel niveau, tant qualitatif que riche, dirigé par des habitants dont certains savent
quantitatif. toujours lire et écrire. Mais leurs bijoux parfois très
L’ouverture sur le monde persiste donc puisque luxueux sont conservés dans les mêmes pièces que
des matériels continuent de venir de l’extérieur du leurs outils de travail, signifiant peut-être par ce biais

L’évolution d’un domaine rural mérovingien • 127


un moindre éloignement des contingences matériel-
les de ces nobles mérovingiens, que le seigneur de
la première villa mérovingienne, et que les aristo-
crates antiquisant et mérovingien de Saint-Romain.
Leur comportement relève aussi d’un fonctionne-
ment culturel différent, loin de l’otium, avec une plus
grande imprégnation des cultures barbares dans la
dernière phase d’occupation du site.

Paganisme,
christianisation et réseau paroissial
Fig. 781 – Eglise sur une mosaïque de Jordanie au vie siècle
Au-delà enfin des changements matériels liés à (ill. P. Porte).
une certaine évolution de la nature du peuplement
humain, la spiritualité a changé en parallèle sur le
site de l’Antiquité tardive au haut Moyen Âge.

Une christianisation d’abord des élites


L’archéologie funéraire a naturellement du mal à
dépasser l’étude des pratiques et rites pour retrou-
ver la nature des âmes, pour témoigner de croyances
chrétiennes ou païennes des individus inhumés. À
Larina, lors de la période mérovingienne I du vie siè-
cle, les nouveaux dirigeants du site, néanmoins, se
mettent clairement sous la protection du christianisme
puisqu’ils commencent par détruire à leur arrivée le
fanum préexistant, certes au milieu d’autres édifices
et non pas spécifiquement. La transformation rapide
des vestiges du sanctuaire en habitation témoigne
également qu’ils n’attachent pas d’importance par-
ticulière à son ancienne fonction sacrée, et que cet
irrespect ne leur pose pas de problèmes spirituels. Fig. 782 – Agrafe à double crochets en forme de croix (bronze).
Ils engagent d’ailleurs rapidement la construction de
leur somptueuse église du Mollard (Fig. 781). Cette un facteur clair de christianisation mais il est déjà
christianisation concerne néanmoins surtout les nou- rare à cette époque en Gaule7…
velles élites car dans les sépultures de la nécropole, Le choix du nouveau site d’inhumation rompt
mais aussi encore parfois dans l’église, les oboles à pourtant avec la situation précédente, et d’impor-
Charon ne sont pas rares… Les amulettes et phylac- tants moyens financiers et techniques sont consacrés
tères ne sont pas pour autant preuve de « paganisme à la construction de l’église. Celle-ci est d’abord un
pensé » (car celui-ci recouvre en fait alors toutes les mausolée chrétien pour la famille aristocratique pos-
pratiques traditionnelles non organisées par l’Église). sédant le site, avec un enclos ou portique au Sud
On a longtemps attribué au seul christianisme certai- permettant de recevoir les proches et serviteurs aussi
nes modifications des coutumes funéraires : l’aban- baptisés. La christianisation des élites apparaît aussi
don du mobilier funéraire, l’orientation des tombes dans leurs bijoux, comme l’atteste la rare croix en
(au sens technique du terme !), la substitution géné- bronze montée sur une agrafe à double crochets
rale de l’inhumation à l’incinération… S’il ne fait pas (Fig. 782). La présence, dès l’origine, de quelques
de doute que le christianisme a contribué de façon sépultures ad sanctos à l’extérieur de l’abside mon-
décisive à la normalisation de ces coutumes, l’usage tre également que des populations moins favorisées
de ces rites n’implique pas à lui seul que le défunt que les notables se rattachent également à la religion
chrétienne, mais ils semblent encore bien minoritai-
soit chrétien : on a vu au Mollard que païens et chré-
res par rapport aux nombreuses sépultures en ran-
tiens se faisaient inhumer dans de proches rangées
gées un peu plus au Nord, elles organisées sans lien
souvent mêlées, aux coffres non différenciés. Les
avec l’église.
facteurs de mode et d’évolution des habitudes sont
là plus importants que la religion. Seul en fait l’aban-
7. De rares preuves d’incinérations mérovingiennes existent néanmoins
don de l’incinération, qui va nettement à l’encontre dans les nécropoles de Genlis (Côte-d’Or), Prény (Meurthe-et-Moselle)
du dogme de la Résurrection des corps, pourrait être et dans le Nord de la Gaule.

128 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


Fig. 783 – Vues générales vers l’Est de l’église du Mollard.

La reconstruction ensuite de l’église, lors de la par l’étude anthropologique, avec des changements
seconde phase mérovingienne du viie siècle, apporte culturels dans les modes de vie et les habitudes ali-
de nombreux changements (Fig. 783). L’aménage­ mentaires ; mais les cas individualisables sont trop
ment de la nouvelle barrière de chœur et de sa tenus et peu nombreux pour donner des résultats
solea, ainsi que du banc dans la nef, indiquent que la probants. L’évolution des rites ne sous-entend pas
propagation de la Foi s’organise alors avec des prê- alors non plus la conversion obligatoire des âmes et
ches ouverts à la population en plus de la fonction il faut rester prudent sur l’interprétation des pratiques
funéraire aristocratique. La présence d’un baptistère religieuses…
posé sur le sol rocheux dans l’annexe carrée sud de
l’église est même peut-être possible. L’augmentation
du nombre de familles d’aristocrates chrétiens oblige
alors aussi à la construction de nouvelles chapelles
latérales pour inhumer des sous-groupes de nota-
bles, et leurs proches serviteurs et guerriers, dans des
espaces claniques bien séparés les uns des autres.
La partie conservée mais réduite de la nef devient
ainsi le seul secteur commun et public de l’édifice.
D’autres notables chrétiens, n’ayant pas accès à l’in-
térieur de l’église, se font aménager un enclos funé-
raire extérieur ad sanctos au Nord contre le chevet. Fig. 784 – Enclos funéraire du Mollard.
Parallèlement, de plus nombreuses sépultures com-
mencent à se presser sur le flanc nord de l’église,
et plusieurs rangées de coffres semblent clairement
s’aligner sur l’axe de ses murs avant de s’étendre vers
Une église au cœur du christianisme
le Nord du cimetière. Lors de cette seconde phase mérovingien
mérovingienne, le christianisme se développe ainsi Pour mieux comprendre l’occupation du site dans
certes dans les élites mais aussi plus massivement le cadre de la christianisation des campagnes régio-
dans le reste de la population. nales, il convient de préciser aussi quelques points
Cet essor du christianisme ne fait néanmoins pas liés au culte mérovingien. D’abord, l’inhumation
l’unanimité dans la population du site. Un clan de dans des édifices consacrés ne va pas de soi : dans
notables préfère construire un enclos funéraire, lié à la tradition antique, et à l’instar du monde urbain, les
d’autres constructions restées incomprises, au sommet tombes reliées à l’église sont rares, voire inexistantes.
de la butte centrale de la nécropole (Fig. 784). Les Pour la période nous concernant, le concile de Braga
techniques architecturales utilisées sont les mêmes en 563, après et parmi d’autres, demande (canon 18)
que celles des dernières chapelles latérales de l’église « qu’à l’avenir les corps ne soient plus ensevelis dans
et on doit considérer comme contemporaines ces les églises », même si sur le terrain l’archéologie
deux manifestations opposées de la religiosité sur le constate qu’en dépit de ces interdictions on continue
site. Cet enclos semble en effet afficher par son éloi- bien d’inhumer dans les édifices religieux8. On note
gnement son refus du christianisme, refus de surcroît néanmoins que cette inhumation, très décriée dans
partagé par les nombreuses sépultures (de son clan ?) les basiliques publiques, est naturellement admise
qui s’alignent et se pressent contre lui suivant des dans les basiliques martyriales ou de grande vénéra-
axes différents de ceux de l’église. Cette séparation, tion, et que cette interdiction concerne donc surtout
à la fin du viie siècle, de la population du site selon les ecclesiae où se fait le prêche, la cura animorum
des croyances différentes peut renvoyer aussi peut-
être à des différences de population mises en relief 8. Sapin Ch. (1996)

L’évolution d’un domaine rural mérovingien • 129


aux fidèles, au moins jusqu’à l’époque carolingienne. revenus aux églises ainsi créées pour leur entretien
Dans ce cadre, les chapelles funéraires privées, ou et les munir de clercs dans le cadre d’un relationnel
oratoria, fondées sur leur domaine par un grand délicat avec l’Église. En principe en effet, cette cha-
propriétaire terrien comme celle de Larina, sont des pelle « doit demeurer sous l’autorité de l’évêque diocé-
cas particuliers. La question devient néanmoins plus sain », mais des textes14 s’émeuvent souvent de la trop
intéressante si les fonctions religieuses se recoupent, grande indépendance des aristocrates dans la gestion
si l’on peut restituer que l’église a servi aussi à des de l’église qu’ils ont fondée. Le vie siècle montre donc
prêches et offices religieux non funéraires, et a per- le développement de la création d’églises sur leur
mis le baptême dans un schéma pré-paroissial, ce domaine par de puissants laïcs, d’abord à des fins
que les aménagements intérieurs et le plan de la cha- purement privées, puis en complément des initiatives
pelle permettent peut-être d’envisager. épiscopales pour christianiser les campagnes. Ces
L’église de Larina est ainsi ce que les textes créations sont assez nombreuses pour que l’Église
anciens qualifient d’oratoria in agro proprio9, une manque de clercs bien formés, amenant surtout dans
fondation d’un grand propriétaire sur ses terres, se les chapelles privées la nomination de clercs peu
rapprochant à l’origine plus des mausolées antiques compétents (et dissolus !), soumis aux fondateurs, ce
de même fonction, en version christianisée, que des dont plusieurs conciles s’émeuvent…15 Ainsi les fon-
problématiques précédentes, liées à des édifices du dations d’oratoires privés dans les grands domaines
culte. Elle fut donc d’abord, et surtout, construite ruraux comme Larina, interprétées parfois comme
pour être le mausolée funéraire de cette grande une forme d’un nouveau type d’évergétisme, amène
famille, puis des autres groupes nobles associés qui en fait la constitution d’un véritable « patronage laïc »
lui succédèrent, pendant toute la période d’occupa- liant durablement des biens religieux au patrimoine
tion du site. Cette situation est alors courante même des puissants. Ces constructions ne sont par ailleurs
si archéologiquement on observe que ces oratoires pas neutres dans l’encadrement des campagnes par
sont plus souvent construits, ou aménagés, dans une les élites. En effet « les églises doivent être des lieux
partie encore occupée d’une villa tardoantique (de où s’enseigne la discipline, où on apprend à obéir,
Saint-Romain-de-Jalionas à Séviac), ou dans ses rui- et où sont montrés les exemples de châtiments16 » : la
nes (Saint-Julien-en-Genevois…), que dans un éta- réalisation de l’église domaniale de Larina n’est pas
blissement nouvellement créé. Dans de nombreux seulement œuvre de christianisation !
cas, ces chapelles ne sont de surcroît pas d’abord
associées à une nécropole. Celle-ci se raccrochera à
l’édifice dans une seconde phase, alors qu’à Larina
l’oratoire s’insère dès l’origine avec ses tombes dans
une nécropole mérovingienne préexistante. Par
ailleurs, le semis des églises rurales consacrées reste
encore très lâche au vie siècle en Gaule10, et la pos-
sibilité d’accéder pour la communauté environnante
à des chapelles privées était importante, au moins
pour les quatre fêtes liturgiques majeures11. Le canon
26 du concile de Valence stipule en 529 que l’autel
de l’oratoire doit être en pierre pour pouvoir être
consacré par l’évêque : cela devait être le cas de celui Fig. 785 – Sculpture représentant une église rurale
de Larina, vues les traces de scellements au mortier du haut Moyen Âge où le chœur est précédé d’un chancel
de l’autel sur le sol de terre battue12. La consécration (Musée Germanique de Mayence) (ill. P. Porte).
de l’oratoire privé par l’évêque permet sa desserte
régulière par un clerc (itinérant ?) pour y célébrer la Les aménagements intérieurs de la chapelle de
messe pour la commodité de la familia, au sens privé Larina pouvaient donc aussi permettre le prêche, la
et communautaire du terme13. Le canon 35 du concile cura animorum indiquée ci-dessus, grâce à sa solea17
de Valence exclue en effet de garder des reliques dans (Fig. 785). La communauté chrétienne de Larina
les oratoires des villae car ils ne disposent pas de devait pour cela pouvoir accéder sans problème à
clercs permanents pour psalmodier devant ces osse- la partie ouest de la nef et dans la galerie sud, à
ments. Les fondateurs doivent par suite assurer des partir du « narthex » ouest. On sait néanmoins que la
découverte de barrières de chœur et d’une fondation
9. Pietri L. (2005) ; une trentaine d’exemples de chapelles domaniales d’autel dans une église, comme à Larina, ne suffi-
élevées et qualifiées ainsi a été recensée en Gaule par cet auteur dans sent pas à la désigner comme siège d’une paroisse.
les sources écrites de l’Antiquité tardive.
10. Codou Y. et Colin M. G. (2007).
Cependant, les aménagements architecturaux mis au
11. Cela est souhaité au Concile d’Agde, Canon 21, dans Concilia Gal-
liae, I, 202-203, daté de 506. 14. En 511 au Concile d’Orléans, canon17 ; et au viie siècle au Concile
12. Sans oublier aussi l’éventuelle dédicace à St Pierre de la chapelle de Chalon.
de Larina par l’évêque de Vienne, Theudère. 15. Par exemple les Conciles d’Arles en 524, de Carpentras en 526, ou
13. La mission de ces prêtres pour célébrer « le divin mystère » dans les de Vaison en 529 (Les Canons des Conciles mérovingiens).
villae et oratorio est évoquée en 535 par le Canon 15 du Concile de 16. Loi du roi Léovigild, (Lex Wisig. V-4-17).
Clermont (Les canons des conciles mérovingiens, 218). 17. Reynaud J. F. (2005)

130 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


der un oratoire dédié à St Pierre sur la forteresse
d’Alarona20. L’assimilation de cette forteresse méro-
vingienne du Nord-Isère avec Larina étant plausible,
cette consécration à St Pierre de la chapelle du site
par l’évêque de Vienne répondrait ainsi au schéma
de fonctionnement que l’on vient d’évoquer. Mais on
notera surtout ici que l’église de Hières-sur-Amby,
fondée au pied de Larina sur un site vierge, apparaît
dès 1172 dans une transaction entre l’abbé de Saint-
Chef et le Châpitre de St Maurice de Vienne, sous le
vocable ancien de St Pierre, rare dans le Nord-Isère.
Si cette transaction mentionne d’ailleurs plusieurs
autres églises anciennement fondées du secteur, Hiè-
res est la seule paroisse où deux églises sont citées.
L’établissement tardoantique de Saint-Étienne dispose
en effet aussi d’une église mérovingienne fondée
anciennement, seule paroisse jusqu’au xviiie siècle.
La création médiévale de Saint-Pierre de Hières se
rajoute donc sans nécessité absolue sur un territoire
déjà paroissial. Peut-être a-t-on là le résultat final de
la translation de l’église de Larina après l’abandon
du plateau…

Un territoire encore « pré-paroissial »


La christianisation du territoire environnant se
développe surtout dans la seconde moitié du vie siè-
cle, si l’on en croit les visites de St Avit, évêque de
Fig. 786 – Cuve baptismale amovible pour baptême
Vienne, dans le Nord-Isère (Homélia XX) et les pre-
par immersion. Manuscrit du début du ixe siècle
(Bayerische Staatsbibliothek, Munich). mières inscriptions funéraires chrétiennes21 (Fig. 787).
Sur le terrain, il existe aussi d’autres oratoires privés
que Larina liés à des domaines aristocratiques, comme
jour dans la nef, dont cette probable solea et son à Saint-Romain-de-Jalionas, mais d’autres églises du
banc latéral, avec son dallage de pierres, ses pein- secteur sont plutôt attachées à des habitats groupés
tures murales, ses baies vitrées de verres colorés, et comme Saint-Étienne, ou un peu plus loin Briord/
ses lampes à huile en verre, prouvent que l’église en Les Plantées. La situation reste indéterminée pour
tant que telle avait une importance reconnue, et non d’autres églises mérovingiennes, surtout lorsqu’elles
pas seulement à cause de la richesse de son puis- sont implantées sur d’anciennes villae antiques dont
sant fondateur. Dans ce cadre, l’hypothèse de la pré- on ne connaît pas alors le type d’occupation, toujours
sence d’un baptistère dans la petite salle sud-est de aristocratique ou par des communautés humaines
l’édifice, la seule à disposer d’un plan carré que rien de statut indéterminé (Sainte-Marie-de-Tortas, Mari-
ne légitime architecturalement, au contraire même, gnieu, La-Brosse, Vernas) dans la plaine. Leur densité
peut se défendre (Fig. 786). La liaison directe de est néanmoins à noter (au moins autant que de com-
cette pièce avec le presbyterium et sa solea selon un munes actuelles bien que localisées autrement) par
plan fonctionnel attesté pour d’autres églises rurales
rapport à d’autres régions. Par contre, sur le plateau,
paroissiales du haut Moyen Âge18 va également dans
on ne connaît aucune église pour le haut Moyen
ce sens. Cette caractéristique paroissiale possible de
Âge, y compris pour Optevoz, et il semble donc que
l’église de Larina peut aussi expliquer le déménage-
le réseau paroissial s’y développera plus tardivement.
ment de l’autel (et de la cuve baptismale ?) lors de
On a vu que cela n’exclut pas la présence d’établis-
l’abandon du site, et avoir contribué à l’importance
sements intercalaires, sur le plateau comme dans la
politique du site dans son territoire. Le lieu de culte
plaine, prouvée par quelques nécropoles sous lauzes
et l’habitat peuvent disparaître après une longue évo-
témoignant d’une occupation dispersée de quelques
lution, à Larina comme à Saint-Julien-en-Genevois
familles au plus seulement chaque fois. Il est alors
(Haute-Savoie) et à Varces (Isère)19 dans la région. La
difficile de proposer la localisation des premiers siè-
localisation du nouveau siège paroissial sera alors à
ges paroissiaux  du territoire dont dépendent tous
rechercher auprès du nouveau lieu de peuplement,
ces sites  : si Saint-Étienne et Sainte-Marie-de-Tortas
ou de son regroupement avec un autre préexistant.
Or on a vu que, selon son biographe Adon, St Theu-
20. Gallois M. (1873) ; Auvergne M. (1875)
dère est allé dans la seconde moitié du vie siècle fon- 21. En général pour le Nord-Isère : Saint-Laurent-de-Mure 511, Merlas
514 et 516, Bourgoin 517, Aoste 523 ; pour les environs de l’Isle-Cré-
18. Bonnet Ch. (2005) mieu : Vézeronce 491, Arandon 552 ; et autour de Larina : Trept 565,
19. Reynaud J. F. (2005) Chavanoz 608, Briord 615.

L’évolution d’un domaine rural mérovingien • 131


Fig. 788 – Eglise tardoantique sur une mosaïque tombale de
Tabarka au ve siècle (Musée du Bardo à Tunis) (ill. P. Porte).

L’importance de cette architecture catholique


ne sous-entend pas non plus une christianisation
importante des âmes. On a vu que la plupart de
ces constructions sont dues à des élites cultivées
construisant ces églises comme autrefois des mauso-
lées familiaux (Fig. 788). Les transformations archi-
tecturales de l’église du Mollard avec sa solea pour la
prédication aux fidèles datent du viie siècle, soit près
d’un siècle après la construction de la première cha-
pelle funéraire. Les espaces réservés au public sont
d’ailleurs d’une trentaine de mètres carrés seulement
pour un territoire restant vaste. Les enclos funérai-
res montrent aussi que certaines élites socio-éco-
nomiques ne recherchent pas encore l’inhumation
ad sanctos dans un édifice consacré. Les sépultures
de la nécropole, et parfois de l’église !, témoignent
d’ailleurs toujours de pratiques « non chrétiennes »
Fig. 787 – Chantier de construction d’une église au ve siècle comme le dépôt d’oboles à Charon dans la tombe.
(mosaïque d’Oued Rmel, Musée du Bardo) (ill. P. Porte). Comme les autres éléments matériels du site, l’évo-
lution de la spiritualité des populations de Larina
semblent naturellement s’imposer dans le diocèse de s’inscrit ainsi dans un changement d’époque mais
Vienne, compte tenu de leur rôle ensuite dans l’or- surtout de société. On sait en fait que la christianisa-
ganisation ecclésiastique de la plaine, on reste plus tion des campagnes prendra de nombreux siècles : il
prudent dans le diocèse de Lyon pour les églises au ne faut donc pas lier l’effort d’évangélisation, marqué
pied de Larina de Marignieu et La Brosse, éloignées par le développement d’un début de « blanc manteau
de La-Balme, et pourtant aussi paroisses rapidement d’églises » dans les plaines du territoire, à une réelle
semble-t-il. christianisation des âmes de l’Isle-Crémieu.

132 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


Chapitre 3
Domanialité et territoires : une dialectique ager/saltus ?

L ’aménagement sur le plateau au milieu du


vie siècle de la villa de Larina, avec son habi-
tat aristocratique, son église privée et sa nécropole,
le terrain la superficie et les limites de la villa de
Saint-Romain avec son annexe de Larina, puis les
limites de la partie démembrée au profit du nouveau
constitue un domaine agricole permanent, naturelle- site. Peut-on essayer de délimiter ces territoires avec
ment autonome si ce n’est même indépendant d’autres l’aide des archives, des études de parcellaires et de la
pouvoirs locaux. Compte tenu de sa définition, il ne topographie, ici très contraignante, pour caractériser
s’agit pas de l’évolution du type d’occupation d’une leurs rapports et déterminer finalement les limites et
structure préexistante  : la constitution du nouveau les superficies du domaine mérovingien de Larina ?
domaine se fait donc au détriment de la propriété Les parties précédentes ont permis d’analyser les
foncière d’un vaste domaine préexistant. La liaison mentions anciennes et les limites, tant institution-
nécessaire et garantie, maîtrisée, du plateau avec un nelles qu’ecclésiastiques, des seigneuries, diocèses,
accès au fleuve et aux vallées voisines, comme l’inter- paroisses, communautés du territoire concerné. Mais
dépendance ager/saltus aussi indispensable à la sub- ces recherches amènent des hypothèses différentes
sistance du site compte tenu des possibilités réduites selon le type de document privilégié.
du plateau et de la nature des équipements structu-
rants de la villa, laissent même imaginer l’existence Limites et superficies possibles du domaine
d’un domaine agricole contrôlé hors enceinte. Celui-ci tardoantique de Saint-Romain/Larina
a dû ainsi se développer sur le plateau et dans une
partie de la plaine fluviale à l’Ouest et au Sud du site : Sur le plan religieux d’abord, il est apparu rapi-
l’existence de la « frontière » du diocèse de Vienne à dement au niveau de la limite1 entre les diocèses de
quelques centaines de mètres au Nord et à l’Est de Vienne et Lyon, que l’Isle-Crémieu et sa « pointe nord »
Larina exclut en effet que l’expansion foncière du site furent affectées au diocèse de Lyon à l’exception du
se soit faite de ces côtés-là. La création du domaine secteur entourant de très près Larina (Fig. 789). Le
de Larina, et son emprise foncière, se sont donc faites diocèse de Vienne constitue là une pointe insérée
nettement au détriment de la villa de Saint-Romain dans le diocèse de Lyon, dont la limite est désignable
aux vie-viiie siècles. Mais celle-ci va également voir ses précisément compte tenu de la topographie. On a
caractéristiques propres évoluer au haut Moyen Âge : vu que le Val d’Amby sépare ainsi les paroisses des
au-delà des partages fonciers, les deux sites méro- deux diocèses, laissant Larina et Saint-Étienne seuls
vingiens vont montrer une culture domaniale et des au Sud de l’Amby à appartenir à Vienne. Cette situa-
fonctions territoriales bien différentes. tion se retrouve sur le plateau dans le prolongement
de l’Amby puis du bassin d’Optevoz vers le Sud, où
seuls Annoisin-Châtelans et Saint-Julien dépendent
de Vienne. Mais les registres d’Etat-Civil attestent
Un grand domaine antique devient qu’à partir du bas Moyen Âge, si ce n’est auparavant,
Châtelans et Annoisin sont rattachés jusqu’à la Révo-
deux petits territoires mérovingiens lution à la communauté d’Optevoz, et donc au dio-
L’apparition, au milieu du vie  siècle, sur le terri- cèse de Lyon. Larina est ainsi l’unique site du plateau
toire maîtrisé par la villa du Vernai à Saint-Romain- assurément viennois au haut Moyen Âge.
de-Jalionas, d’un nouvel établissement, autonome
dans ses équipements, en lieu et place de l’ancienne 1. Cf. notamment la carte de Sanson, « Insubres in Segusianis », de 1679,
et surtout la carte du « Diocèse de Lyon divisé par ses 20 archiprêtres »,
annexe agricole, interroge sur les rapports possibles dressée par M. Joubert fils en 1769, complétées par l’étude des Pouillés
entre le site de plaine traditionnel et le nouveau des Provinces de Lyon et Vienne, et l’évolution montrée par le dépouille-
domaine. Se pose donc la question d’approcher sur ment systématique de tous les États-Civils du territoire concerné.

Domanialité et territoires : une dialectique ager/saltus ? • 133


Fig. 789 – Au Nord du diocèse de Vienne,
la plaine du Rhône entre les domaines
de Saint-Romain et Larina
(sur fond de carte ancienne)
(ill. P. Porte).

Reportée à l’occupation du sol à la fin de l’An-


tiquité, cette constatation a montré que la première
grande villa au Sud de cette future limite des diocè-
ses était, comme on l’a vu, celle de Saint-Romain-de-
Jalionas, alors que les villae, pourtant plus proches
du site, de Marignieu et La Brosse sont au Nord de
cette « frontière religieuse » qu’est le cours de l’Amby
(Fig. 790). On a ainsi tendance à proposer que cette
limite nord et est, entre les diocèses de Vienne et
Lyon, soit aussi, dès leur création au ve siècle, la limite
nord des propriétés de la villa de Saint-Romain ainsi
utilisée lors des découpages ecclésiastiques. Cela
conforte aussi l’hypothèse qui rattache « l’annexe » de
Larina et son plateau à Saint-Romain pendant l’Anti-
quité tardive, et non pas à une autre villa plus pro-
che, mais au Nord de l’Amby, comme Marignieu. En
complément, on notera que la limite ouest entre les
deux diocèses dans la plaine se situe au niveau d’une
petite rivière coulant Sud-Nord jusqu’au Rhône, la
Bourbre, qui permet également de maintenir de ce
côté le territoire de Saint-Romain dans le diocèse de
Vienne : on a peut-être là suivant le même raisonne-
ment la limite ouest des terres de la villa de Saint-
Romain pendant l’Antiquité tardive. Dans ce cadre, le
Rhône est naturellement la limite nord-ouest princi-
pale des deux domaines, des propriétés têtes de pont
dans l’Ain n’étant néanmoins pas à exclure2.

2. Plusieurs inscriptions antiques attestent la porosité des limites des Fig. 790 – Les principaux sites de la cotière ouest
Cités antiques de chaque côté du fleuve, avec des possessions de du vie siècle (ill. P. Porte).
notables Viennois dans ce qui est devenu l’Ain (A Saint-Vulbas : C.I.L.
XIII 2453, et à La-Balme : C.I.L. XII 2376), et de Lyonnais dans l’Isère
(I.L.N. Vienne 566).

134 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


Fig. 791 – Propositions de délimitation du territoire du domaine de Larina.
1 Larina, 2 Saint-Étienne, 3 Grands-Peupliers, 4 Marignieu, 5 Hières, 6 Bourcieu, 7 Perrières/Charrières,
8 Les Figuiers, 9 Saint Martin, 10 Vernas, 11 Pré-Moly, 12 Sainte-Marie-de-Tortas, 13 Saint-Romain/Le Vernai, 14 Passieu,
15 Gué de Saint Oyand, 16 Les Taches, 17 Les Grandes Briches, 18 Annoisin.
(Ill. P. Porte)

Domanialité et territoires : une dialectique ager/altus • 135


Si on recherche ensuite la limite possible dans la Papauté en 13397, les enquêteurs listent les parois-
plaine entre les domaines de Saint-Romain et Larina ses, tant du diocèse de Vienne que de celui de Lyon,
à partir du vie siècle (Fig. 791), on note qu’au Sud, dépendant du Mandement de Crémieu appartenant
la paroisse de Sainte-Marie-de-Tortas est, dans ce au Dauphin. Au sein des « Terres issues de l’ancienne
secteur, la seule à exister, des premières mentions Baronnie de La Tour » (du Pin), toutes les parois-
dans les archives en 1172 jusqu’à la Révolution. Or ses du mandement sont ainsi citées comme « terres
on a vu que cette communauté a toujours recou- allodiales », comme d’ailleurs la plus grande partie
vert les villages et terres de Saint-Romain et Leyrieu des possessions dauphinoises ailleurs. Toutes, sauf
en plus de son propre territoire3, formant ainsi une les terres constituant le « château et mandement de
Saint-Romain » réunissant exceptionnellement cinq
seule entité. Celle-ci était déjà repérée dans l’Anti-
paroisses au Sud et avec Saint-Romain dans un « fief
quité lorsque les établissements gallo-romains du
particulier de la Terre de la Tour », privilège particu-
Pré-Moly à Leyrieu et de Sainte-Marie appartenaient lier partagé aussi avec le mandement d’Anthon qui le
au système de gestion hydraulique des marais de la jouxte sur la rive ouest de la Bourbre qui coule Sud-
villa du Vernai4. On a donc envie par suite de pro- Nord vers le Rhône. Saint-Romain a donc alors depuis
poser à la limite nord de cette entité, la nouvelle déjà longtemps séparé son destin des autres paroisses
« frontière » entre les deux domaines. Mais si au Nord de l’Isle-Crémieu, ce qui appuie aussi l’idée que le
la paroisse unique de Saint-Étienne et Bourcieu est castrum mérovingien est né d’un démembrement de
de même reliée naturellement à Larina, la situation la villa de Saint-Romain au cours du haut Moyen Âge
est plus incertaine entre ces deux zones à propos (Fig. 792).
de Vernas. Ce territoire est intensément peuplé dans
l’Antiquité et au haut Moyen Âge, avec alors deux
proches établissements de plaine au pied même de
la combe menant à Larina sur le plateau, mais aucun
site d’envergure de type villa n’y existe alors. Seule
la chapelle et la nécropole mérovingienne dédiée
à St Martin peuvent signaler à leur proximité l’exis-
tence d’un établissement un peu structurant encore
inconnu. La villa de Vernatis citée au xe siècle seule-
ment n’a laissé aucun vestige5, et les maisons-fortes
fondées par la suite sont également tardives. Mais les
liaisons anciennes entre les familles nobles des Dau-
phins de Saint-Étienne puis Dauphins de Verna dans
la constitution du domaine de Verna qui recouvre
une grande partie de la plaine, comme l’ensemble
des relations attestées entre Vernas et Hières par les
archives du Moyen Âge à nos jours6 (et à l’opposé
l’absence de relations particulières entre Vernas et
Leyrieu au Sud) font privilégier une dépendance du
territoire de Vernas au castrum de Larina. Cette rela-
tion n’exclut d’ailleurs pas la possibilité de l’existence
d’un établissement significatif vers St Martin de Verna
mais celui-ci n’aurait pas eu dans ce cas une grande
importance dans l’organisation territoriale. C’est donc
plutôt entre Vernas et Saint-Romain/Leyrieu que l’on Fig. 792 – Limites des diocèses et mandements
a envie par suite de chercher la limite à partir du entre Saint-Romain et Larina (ill. P. Porte).
vie siècle entre les deux domaines mérovingiens.
En complément de ces données ecclésiastiques, Ces données sont précisées sur le terrain par un
la recherche des limites des seigneuries médiévales procès de 1474 lié à l’usurpation de terres limites du
peut-elle préciser également la « frontière » entre les mandement de Crémieu par le seigneur d’Anthon (et
domaines de Saint-Romain et Larina à partir du vie alors aussi de Saint-Romain)8. Celui-ci nous a permis
siècle ? Lors du projet de vente du Dauphiné à la dans une partie précédente de fixer « les véritables
limites de la châtellenie de Crémieu » par rapport à
3. Bautier R. H.-Sornay J. (1968)
4. Royet R. (2006) 7. Enquête delphinale de 1339, Archives Vaticanes, (copie microfilm
5. La mention d’une villa Vernatis en 970 est la seule mention (Re- A.D.I.), Coll. 274 Fol. 26 et Fol. 31 à 42 : « De castro Crimiaci et eius
geste Dauphinois n° 1316) d’un «domaine» ancien sur Vernas, que rien mandamento », et Faure C. (1907)
d’autre n’atteste. 8. Chambre des Comptes de Dauphiné/A.D.I. : « 4 Liber copiarum vien-
6. Le petit hameau qui constitue le seul habitat groupé de Vernas ne nenensi et terrae turris », 55 f° 471, n° 33-35 (traduction O. Meynet,
dispose traditionnellement d’aucun service, commerce, industrie, pour 1980) ; texte retrouvé grâce à Nicolas Bernigaud (CEPAM du CNRS) que
lesquels il se repose sur Hières avec qui une fusion fut même envisagée. je remercie de son geste amical.

136 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


Fig. 793 – Les limites maximales (1) et minimales (2) envisageables pour le domaine mérovingien de Larina (ill. P. Porte).

celle de Saint-Romain, le long d’un chemin rejoignant toire en une seule paroisse St Martin de l’Isle-Crémieu,
Sainte-Marie-de-Tortas au Rhône par la maison-forte subdivisée en « Relais communautaires ». Il n’est peut-
de Jalionas, au niveau du gué/port de Saint-Oyand, être néanmoins pas neutre de noter que le « Relais de
soit donc également entre les communes actuelles de la Plaine » regroupe les communes actuelles de Hières,
Saint-Romain au Sud et Vernas au Nord. Ce procès Vernas, Leyrieu/Sainte-Marie-de-Tortas, Saint-Romain-
pourrait ainsi officialiser peut-être rétrospectivement de-Jalionas selon une configuration sans doute proche
la frontière Sud-Ouest du domaine de Larina d’avec de l’organisation des premiers temps chrétiens… et du
celui de Saint-Romain. Mais cette limite englobe aussi domaine antique de Saint-Romain. La séparation entre
côté falaise la paroisse de Leyrieu/Sainte-Marie-de- Hières et La-Balme est aussi maintenue entre deux
Tortas, amenant une superficie (environ 3 000  ha) Relais différents comme dans l’Antiquité, alors que la
très (trop ?) importante octroyée au domaine de coopération entre ces deux communes est pourtant
Larina. Cette répartition des terres paraît ainsi impro- actuellement très importante.
bable dans sa totalité, d’autant que l’on a vu la liaison
suivie de cette partie au sud du territoire avec Saint- Limites et superficies possibles du domaine
Romain de l’Antiquité à la Révolution. mérovingien de Larina
Tous ces territoires le long du Rhône peuvent par Une recherche plus précise de la « frontière » entre
contre avoir appartenu ensemble jusqu’au vie siècle à les deux domaines du haut Moyen Âge, et surtout
la grande villa antique de Saint-Romain-de-Jalionas, des limites du territoire plus directement contrôlé par
dont ils constituaient la partie est, la Bourbre consti- la forteresse de Larina, peut alors être approchée.
tuant la limite ouest, l’Amby la frontière nord et est, le Mais deux tracés sont possibles selon que l’on envi-
Girondan depuis sa source sur le plateau la limite sud sage une extension maximale (1 500 ha environ) ou
de ce côté du domaine. Les bornes du procès de 1474 minimale (400 ha environ) du domaine de la forte-
peuvent en complément perpétuer le reste des limi- resse. L’ensemble Bourcieu/Vernas est là encore au
tes sud jusqu’au cours de la Bourbre. Enfin, signalons cœur des enjeux (Fig. 793).
pour l’anecdote que la déchristianisation actuelle a Dans la plaine, l’extension « maximale » peut arrêter
amené le regroupement de toutes les églises du terri- le domaine du castrum, dans l’esprit des conclusions

Domanialité et territoires : une dialectique ager/altus • 137


précédentes liant Leyrieu et Sainte-Marie-de-Tortas à
Saint-Romain, le long de la limite (ancienne) entre
les communes de Vernas et Leyrieu. C’est en effet
un chemin traditionnel (ligne 1 du plan 793) qui,
prolongé vers la falaise par un ruisseau, coupe per-
pendiculairement au Rhône la plaine en deux par-
ties. Cette limite passe aussi, au centre de la plaine,
au niveau du seul grand carrefour entre les voies
anciennes de Hières vers Crémieu et de Hières vers
Saint-Romain, marqué par le « Tombeau du général »,
ou « Le Charnier », un tumulus d’origine chalcolithi-
que bien visible ayant toujours servi de repère aux
habitants (A du plan 793). Cette limite passe enfin
juste au Nord de l’établissement du Pré-Moly (qu’elle Fig. 794 – Au dessus de Vernas, « La Combe du Cros-Couronné »
évite) à Leyrieu qui a pu être l’une des dernières fer- relie dans la falaise la plaine au plateau (ill. P. Porte).
mes en liaison avec la villa du Vernai dans l’Antiquité9
(B du plan 793). La limite communale jusque-là rec- Dans l’esprit que nous venons de définir, une
tiligne fait un écart afin de se lier à une résurgence et superficie minimale du domaine est envisageable. Il
laisser à Leyrieu les parcelles de l’ancien site antique, existe en effet sur le plateau, au Nord de la Combe
disparu au ve siècle, ce qui prouve aussi l’ancienneté du Cros-Couronné, une autre combe dite du Montots
de la limite proposée. Cette coupure transversale tra- ou Monteaux (E du plan 793), plus étroite et moins
ditionnelle de la plaine (2 du plan 793) peut ainsi fréquentée traditionnellement, car n’intéressant que
être envisagée comme une « frontière » potentielle fia- le village médiéval de Châtelans (mais donc aussi le
secteur de Larina), permettant la communication du
ble entre les deux domaines puisqu’elle recouvre des
plateau à la plaine. Elle est néanmoins parcourue par
éléments anciens reconnus.
un chemin direct autrefois carrossable, anciennement
Sur le plateau, les territoires proches de l’habitat
aménagé par une calade de galets irréguliers, qui
groupé d’Optevoz et de l’importante villa du Paradis, montre son importance pour la circulation (Fig. 795).
comme ceux de l’établissement du Mont d’Annoisin Or le bas de cette combe accueille on l’a vu, au Nord
au Sud, devaient amener une limitation du territoire de son débouché dans la plaine à Bourcieu/Molard
contrôlé par la forteresse de Larina au Sud-Est, non Reinard, et à son Sud sur Vernas Perrière/Charrière
loin de Châtelans. Les forêts autour du village médié- puis les Figuiers, la principale concentration de sites
val d’Annoisin au Sud ne furent en effet défrichées du haut Moyen Âge de plaine de toute la côtière,
que tardivement autour du toponyme des « Essarts ». avec habitats, nécropoles, et à leur proximité sud
Une limite probable du territoire du castrum entre la chapelle Saint-Martin. La seule nécropole sous
Châtelans et Annoisin peut même être proposée  : lauzes au Nord du plateau (Les Grande Briches) se
elle s’appuie au sommet du plateau sur les deux trouvant par ailleurs à l’Est sur le chemin liant cette
seuls accès traditionnels à la plaine et au Val d’Amby combe à Larina, et Bourcieu étant le carrefour liant
à travers les falaises, passages par suite stratégiques cet ensemble directement à Saint-Étienne à l’Ouest
qui constituent « depuis toujours » pour les agricul- par une voie antique très peuplée, on ne peut consi-
teurs les limites des communes concernées. Au Sud- dérer ces liaisons et implantations comme relevant
Ouest, c’est la combe (du Cros-Couronné, C du plan du hasard. Il convient donc d’intégrer cet ensemble
793) qui lie le plateau à la plaine à travers la falaise dans le domaine de Larina.
à proximité immédiate des limites communales entre Cette combe est aussi à prendre en compte car
Leyrieu et Vernas, et donc de la limite déjà proposée elle débouche dans la plaine au niveau d’une résur-
pour le domaine dans la plaine (Fig. 794). Au Sud- gence emblématique du secteur, la Fontaine Saint-
Joseph (Fig. 796). La limite communale entre Hières
Est, c’est au débouché du val d’Amby sur le bassin
et Vernas se greffe au niveau de la falaise sur cette
d’Optevoz, la limite entre les communes d’Annoisin-
résurgence et son oratoire médiéval : le ruisseau qui
Châtelans, Optevoz, Saint-Baudille-de-la-Tour (D du
en jaillit traverse ensuite en biais la plaine pour se
plan 793). Ce point constitue également, au niveau jeter dans le Rhône un peu au Sud du village de
de l’Étang de la Tuille, le carrefour entre la Via pro- Saint-Étienne. La limite minimale proposée pour le
tohistorique et antique, et le seul accès traditionnel domaine de Larina peut ainsi dans la plaine suivre
permettant de joindre au Nord du plateau (et à Larina soit le tracé du chemin ancien ou de la limite com-
par Châtelans) le val d’Amby et le bassin d’Optevoz. munale actuelle voisine, soit le cours de ce petit
Des chemins anciens entre combes et dolines joi- ruisseau (ligne 2 du plan 793). Le chemin antique
gnent naturellement le centre du plateau à ces deux bordé de plusieurs établissements, liant Bourcieu à
angles ouest et est de façon à permettre une limite Saint-Étienne, suit d’ailleurs aussi la rive nord de ce
possible pour le territoire de Larina. ruisseau. Cette dernière proposition a l’intérêt d’uti-
liser les mêmes principes de limites fluviales que
9. Royet R. (2006) précédemment avec le Rhône, l’Amby, La Bourbre.

138 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


ci-dessus. Ce dernier ne devant néanmoins pas fonc-
tionner avec Saint-Romain, Vernas constituerait alors
un établissement indépendant que rien ne laisse
prévoir actuellement en dehors de la villa Vernatis
mentionnée seulement au xe siècle et du site poten-
tiel de St Martin. Il est ainsi plus probable de rete-
nir d’abord la proposition maximale plus cohérente
dans l’organisation du peuplement pour la définition
du territoire contrôlé par le domaine de Larina. La
notion, vague, de « contrôle » proposée n’intègre de
surcroît pas obligatoirement la propriété foncière des
terres en question. Mais il convient également d’envi-
sager que la limite minimale ait pu se mettre en place
lors de l’abandon du castrum, et du partage alors du
finage entre plusieurs familles aristocratiques issues
de Larina. Les sites de plaine signalés sont d’ailleurs
les seuls à livrer en prospection du mobilier cérami-
que caractéristique des viiie-xe siècles permettant de
faire le lien entre l’époque mérovingienne et le début
de la féodalité10.
Ainsi, si on devait chercher à définir le territoire
le plus probable, contrôlé par la forteresse de hau-
teur de Larina au haut Moyen Âge, on pourrait dire
que le domaine était limité au Sud par une ligne Est-
Ouest liant le Rhône à l’entrée du Bassin d’Optevoz
en suivant des limites administratives et topogra-
phiques anciennes à travers la plaine et le plateau.
Cette ligne s’appuie sur les seuls points de passage
« partagés » à travers la falaise de chaque côté. Les
deux limites définies englobent une superficie maxi-
Fig. 795 – Le chemin empierré de la combe du Monteaux, entre male pour l’une de l’ordre de 1 500 hectares, dont
Larina/Châtelans sur le plateau, et Bourcieu dans la plaine. deux petits tiers d’ager et un gros tiers de saltus,
minimale pour l’autre de 400 hectares avec ager et
saltus comparables, qui pouvaient donc constituer le
territoire du castrum. Celui-ci maîtrise par ce biais
des accès à toutes les directions, dans la plaine et
sur le plateau, malgré une topographie naturellement
handicapante, et dispose à Saint-Étienne d’un port/
gué sur le fleuve.

Fig. 796 – La résurgence Saint Joseph et son oratoire.


Deux demeures aristocratiques
de cultures opposées
Elle délimite par contre un territoire très petit pour
Larina dans la plaine, limité au Nord et au Sud aux Après la disparition de la villa tardoantique de
environs immédiats de Saint-Étienne et de son port Saint-Romain-de-Jalionas, les deux demeures méro-
sur le fleuve. Surtout, elle a l’inconvénient de séparer vingiennes construites aux vie-viie siècles à Larina et
au bas de la combe les établissements mérovingiens au Vernai de Saint-Romain (Fig. 797) présentent des
en deux parties alors que tout montre au contraire caractéristiques architecturales et fonctionnelles si
leur liaison autour de cet axe, le développement de différentes qu’il convient d’en rechercher les origines
Vernas se faisant lui ensuite à partir du Sud de la dans leur programme culturel.
commune. Sur le plateau, cette limite minimale par À Saint-Romain-de-Jalionas, une nouvelle période
la combe du Montots se prolonge également par des d’aménagement voit à la fin de l’Antiquité une
chemins ruraux de dolines en dolines jusqu’à l’entrée ancienne salle chauffée de la villa du Vernai recons-
du val d’Amby qui, à l’Est, reste ainsi par contre le truite avec une abside outrepassée qui abrite peut-
seul point d’accès, et la seule limite possible pour le
domaine du castrum. Cette variante minimale réduit 10. L’étude des textes médiévaux, et notamment de l’enquête de
1339 sur le projet de vente du Dauphiné à la Papauté concernant le
donc beaucoup la superficie envisagée du domaine secteur, nous ont permis de montrer aussi dans le chapitre III-5 (la
de Larina, et amène à exclure le territoire de Vernas fin de l’occupation du site) ci-dessus un certain conservatisme dans
du domaine de son emprise, avec les interrogations l’évolution de la propriété de Larina du Moyen Âge à nos jours.

Domanialité et territoires : une dialectique ager/altus • 139


Fig. 797 – Plans restitués des deux villae mérovingiennes de Saint-Romain et Larina (ill. P. Porte).

être alors un premier espace christianisé, bien que le


ve siècle paraisse tôt pour cela localement. Le devenir
de la villa au vie siècle est inconnu mais un oratoire
chrétien y est aménagé, et une nécropole sous lauzes
s’y ajoute avec une sépulture privilégiée. Surtout, une
villa mérovingienne est construite à côté. Il devient
difficile de dire s’il s’agit des descendants de la
famille aristocratique précédente, alors en voie d’une
certaine paupérisation, ou d’une nouvelle famille ins-
tallée là autour de sa propre élite chrétienne, suite à Fig. 798 – Villa antique sur une mosaïque :
des transformations de la structure de la propriété deux tours encadrent une galerie-façade avec en arrière l’élé-
foncière dans le secteur. Mais un siècle environ sem- vation de la salle de réception. Les similitudes avec la villa
ble séparer les derniers niveaux tardoantiques de la mérovingienne de Saint-Romain sont importantes!
(Trifolium de Tabarka, Musée du Bardo à Tunis). (Ill. P. Porte)
villa romaine de l’occupation mérovingienne du site,
ce qui interroge sur le type de poursuite éventuel de
l’occupation du domaine antique11. pièces. Un étage (résidentiel ?) est probable dans cet
Sur le plan architectural, la villa mérovingienne édifice qui paraît exclusivement consacré à l’habita-
est construite à côté des vestiges antiques pour partie tion et à ses services, dans la pure tradition antique.
transformés en église. Elle ancre sur 350 m² son plan Les édifices d’exploitation, non repérés à proximité
dans le système palatial antique, axé sur la symé- immédiate, se trouvent en effet ailleurs. Seule la pré-
trie : une grande salle de réception est accessible par sence de tours d’angles, aux fondations renforcées,
un couloir central, partant du milieu d’une galerie- de chaque côté de la galerie, et l’absence de ther-
façade, puis par des vestibules en enfilade autour mes, montrent que l’on s’est alors éloigné de l’Anti-
desquels s’organise le reste de la maisonnée. Si la quité classique. Mais la comparaison du plan de cet
salle de réception recouvre des fonctions importan- édifice avec plusieurs palais barbares imprégnés de
tes du dominus, elle n’est néanmoins pas le centre culture romaine12, et sa représentation sur des mosaï-
de vie de la familia qui se répartit dans toutes les ques tunisiennes tardoantiques, ont prouvé l’impor-
tance encore fondamentale de la romanitas pour ce
11. La datation précise et le plan des aménagements tardoantiques et site (Fig. 798). Ce bâtiment en pierre mérovingien
mérovingiens du site restent néanmoins à mieux caractériser (Royet  R. présente donc un caractère aristocratique affirmé,
2006). La présence ensuite sur le site d’une résidence médiévale de type
curtis en matériaux légers, puis à proximité d’une maison-forte, au sein
encore sous l’influence architecturale antique par sa
d’un mandement constituant un fief particulier des dauphins à cet endroit,
montrent enfin que ce secteur continue de bénéficier au Moyen Âge d’une 12. Cf. dans les parties précédentes la comparaison avec les plans des
structure aristocratique particulière liée à la propriété du sol environnant. palais barbares antiquisants de Galeata et de Naranco notamment.

140 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


symétrie et son organisation « palatiale », et ce malgré
l’absence des thermes et autres aménagements rési-
dentiels. Dans l’église mérovingienne voisine de la
villa, la présence de sarcophages de pierre et d’un
chapiteau à la sculpture caractéristique, indiquent
en complément que la christianisation aussi se fait à
Saint-Romain dans la tradition culturelle antique.
Face à cette construction antique mise au goût
du jour, la villa de Larina, pour rester dans une ter-
minologie aristocratique et domaniale, est réalisée à
la même époque sur des bases culturelles, si ce n’est
techniques, très différentes. Une grande ferme, en
pierres liées à l’argile sur plus de 1 200 m², couverte
de lauzes, réunit d’abord sous le même toit l’habi-
tation, et plusieurs ateliers, granges, remises. Deux
autres édifices d’exploitation ouverts sur le champ
cultivé voisin complètent le nouvel établissement. Le
bâtiment principal doit pouvoir ainsi être comparé à
la traduction en pierres locales du plan d’une mai-
son-longue « germanique » en bois, organisé autour Fig. 799 – Plans comparés d’une maison-longue sur poteaux
d’une aula, complétée au Nord de pièces plus inti- de bois du Recourbe et du bâtiment I de Larina (phase 1).
mes puis surtout de salles économiques, ateliers et (Ill. P. Porte)
remises, qui partagent avec l’habitation les locaux
construits (Fig. 799)13. Seules les séparations intérieu- les constructeurs de Larina privilégient des assises de
res habituelles à base de poteaux et peaux de bêtes pierres liées uniquement à l’argile locale du plateau,
sont remplacées par des murets médians. L’aména- l’emploi de la pierre sèche étant inexistant. Autour
gement intérieur de l’habitation principale, avec ses de l’église de Saint-Romain comme au Mollard de
différentes salles annexes donnant sur une vaste Larina, le développement des coffres de lauzes atteste
pièce principale disposant d’un foyer central, évoque néanmoins de la mise en place d’une nouvelle mode
la présence non plus d’une vie familiale régie par les funéraire uniforme qui se développe dans toute la
valeurs individualistes de l’otium, mais plutôt celle région à l’époque mérovingienne.
d’un clan vivant en communauté autour d’un chef, Les différences architecturales et culturelles entre
d’un patriarche, selon des traditions plus septentrio- les deux demeures aristocratiques deviennent encore
nales qu’antiques. La galerie-façade relève de son plus nettes lors de la seconde phase mérovingienne
côté plus de contraintes de circulation techniques de Larina, époque où la villa alto-médiévale du Vernai
dans l’édifice, que de la volonté décorative d’une semble toujours exister. L’agrandissement nécessité
villa tardoantique. L’édifice de Larina est en fait cen- sur le plateau se fait par le biais de destructions inté-
tralisé et refermé sur lui-même, loin de la construc- rieures puis d’ajouts de piètre qualité architecturale et
tion ouverte et symétrique de Saint-Romain. technique. La tradition de la maison-longue est pour-
Les deux villae témoignent ainsi dès le vie siècle, tant maintenue avec ses constructions longitudinales
et bien que voisines, de traditions culturelles très puis surtout latérales, comme celles existant sous les
différentes. La qualité de la construction et de ses auvents des grands bâtiments de bois « germaniques ».
aménagements manifeste encore certes sur le plateau Les subdivisions intérieures n’hésitent d’ailleurs pas,
une certaine sensibilisation culturelle au monde gallo- à côté de murets de pierres instables, à utiliser dans
romain (et aux contraintes d’un plateau calcaire !) la grande salle une construction sur sablière basse
mais les maçons ne devaient pas être très différents uniquement en bois et torchis. Le bâtiment est alors
de ceux travaillant alors dans la plaine. Seule la tech- divisé en trois logements différents disposant chacun
nique de construction plus hasardeuse de l’édifice de pièces d’habitation, d’ateliers et remises. La coha-
de Saint-Romain, mêlant des moellons de taille irré- bitation hommes/animaux s’y développe avec des
gulière et des restes de briques, avec des assises par- remblais plus réguliers qu’auparavant. Parallèlement
fois en arêtes de poissons, est en effet comparable à le bâtiment II, aux activités d’exploitation encore
l’édifice construit alors à Larina, montrant ainsi que diversifiées en première phase, est aussi remanié
la culture antique du maître n’est plus à cette époque pour devenir une seule grande étable, comme certai-
relayée par des maçons très habiles… La construc- nes maisons-longues spécialisées. La culture antique,
tion reste néanmoins maçonnée au mortier de chaux avec ses techniques et modes de vie, est également
(sur une assise de fondation liée à la terre), là où devenue très loin des attentes des habitants du site.
Ainsi, plus que des techniques de construction
13. Cf. dans les parties précédentes la comparaison avec les plans parfois encore comparables dans la première phase
des maisons-longues à ossature bois, notamment avec les bâtiments
voisins du site du Recourbe à Château-Gaillard (Ain), et l’évolution
mérovingienne, c’est le programme architectural, la
du bâtiment aristocratique de Tilléda de la maison-longue à l’édifice nature de la demande du maître, suivant sa culture
de pierre. personnelle et celle de son entourage, qui séparent

Domanialité et territoires : une dialectique ager/altus • 141


Fig. 800 – Comparaison des influences culturelles des deux villae mérovingiennes de Saint-Romain (en haut) et Larina (en bas).
(Ill. P. Porte)

profondément l’esprit, et le résultat, de ces deux régressive des limites médiévales a même montré
demeures mérovingiennes. On peut même parler que si les paroisses des deux propriétés restent dans
plutôt de ces trois demeures, tant les changements le diocèse de Vienne, de constitution antérieure au
culturels et de mode de vie sont grands entre les vie siècle, la définition postérieure des mandements
deux phases mérovingiennes de Larina. La concep- actera cette séparation en officialisant la limite juri-
tion et l’utilisation de techniques architecturales, plus dique des seigneuries médiévales d’après les limites
antiquisantes d’abord, plus « instinctives » et som- tant du domaine antique sur les marges, que de son
maires ensuite, se retrouvent en effet dans les deux évolution interne mérovingienne ensuite. Au-delà des
phases d’occupation successives de l’église du Mol- faits, reste maintenant à expliquer la nature juridique
lard, montrant ainsi que ces différences, loin d’être du fractionnement du domaine de Saint-Romain en
un hasard constructif, répondent bien à une diffé- deux entités au vie  siècle. Tout est possible, de la
renciation culturelle fondamentale. Celle-ci est aussi division successorale entre deux frères à la dotation
l’expression d’un mode de vie sociologique, d’une d’une sœur, de la donation à une vente partielle de
exploitation différente du domaine, qui contribue à terres… Mais la nature culturellement, si ce n’est
bien différencier la nature des nouveaux habitants socialement, très différente des types d’occupation
de Larina des Gallo-Romains précédents, et peut-être des deux sites, comme la rapidité (pour ne pas dire
entre les différentes générations mérovingiennes. la brutalité) de leurs changements, tant architectural
La grande propriété rurale multiséculaire, d’ori- que du mode de vie au vie siècle, permet d’envisager
gine protohistorique, est donc clairement fraction- une hypothèse plus radicale. Les données issues de
née au vie siècle en deux ensembles séparés. L’étude Saint-Romain prouvent d’abord une occupation dans

142 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


la ligne socioculturelle du peuplement et de l’occu- influences (Fig. 800). Par contre, l’occupation de
pation des sols à la fin de l’Antiquité, où évolution Larina à l’époque mérovingienne révèle des influen-
architecturale et christianisation du site évoquent un ces multiples, d’origine nettement septentrionale, qui
type d’évolution souvent rencontré à l’époque dans autorisent d’envisager une colonie de peuplement
d’autres villae. L’architecture d’influence palatiale exogène, s’ajoutant au fond de peuplement préexis-
du bâtiment mérovingien de Saint-Romain confirme tant. Il devient alors nécessaire, pour avancer, d’étu-
ensuite la poursuite sur ce site de cette culture anti- dier l’évolution même de la population du territoire
quisante, même si elle se mêle aussi alors à d’autres en plus des éléments matériels.

Domanialité et territoires : une dialectique ager/altus • 143


Chapitre 4
Des populations métissées révélatrices
d’une évolution socio-politique

L a durée d’occupation du site, près de quatre


siècles, amène à intégrer la dimension chrono-
logique dans l’évolution des types d’occupation du
menée est différente3. De surcroît les données de La
Motte ne sont elles-mêmes comparables à aucune autre,
faute de nécropole tardoantique du secteur pouvant
sol à Larina et dans ses environs. Mais ce ne peut servir de référence assurée. Notre échantillon de base
être néanmoins suffisant, l’environnement historique est donc lui-même le résultat de changements préala-
bles qu’on ne peut appréhender précisément, ce qui
amenant aussi des répercussions à mettre en relief.
ne nuit pas aux comparaisons entre les deux sites, au
Cela concerne d’abord l’évolution même du peuple-
contraire même puisqu’il minimise les évolutions ainsi
ment du territoire. L’étude paléo anthropologique et rendues moins nettes et plus prudentes, mais limite les
démographique des populations de Larina1, réalisée généralisations possibles dans la région.
en liaison avec celles d’autres nécropoles voisines et
contemporaines, amène en effet des éléments com-
plémentaires pour comprendre l’origine des diffé-
rents types de changements, matériels et culturels,
que l’on vient de mettre en relief sur le site2.

L’évolution
d’un peuplement métissé sous influences

Les populations, elles-mêmes, semblent en effet à


l’origine principale des évolutions et différences consta-
tées (Fig. 801). Les apports les plus significatifs vien- Fig. 801 – Sépultures de bébé et de jeune enfant à La Motte
nent d’abord des comparaisons entre les nécropoles de (ill. P. Porte).
La Motte et du Mollard sur le site, même s’il convient
De La Motte au Mollard, une population de
de rappeler que l’état de conservation des ossements
fonds régional antiquisant
oblige à des choix de critères fiables réduisant le nom-
bre des individus mesurables, et que chaque approche La population inhumée dans la nécropole de la
Motte s’élève au total à 136  individus. Toutefois, il
1. Cf. supra l’étude complète de Luc Buchet, CEPAM du CNRS et INED,
faut estimer que l’effectif devait être au moins le dou-
Sophia-Antipolis qui présente les populations du site et leur mode de
vie : on n’évoquera en effet ici que les éléments liés à la problématique 3. Compte tenu de la conservation différenciée des ossements, chacune
discutée. des études (les mesures crâniennes pour la morphologie, les formats de
2. Datation principale des nécropoles des quatre sites référents prin- fémurs pour la stature, les caries dentaires pour l’alimentation…) est ré-
cipaux : Saint-Romain-de-Jalionas (vie-viiie); La Motte (fin ive-mi vie); alisée à partir d’un échantillon chaque fois différent, en nombre et choix
Le Mollard (vie-viiie) ; Les Grands-Peupliers (viie-ixe). Les autres sites d’individus, du précédent. Par suite si les résultats sont globalement com-
comparés (Briord/Les Plantées, Courtenay sur le plateau, Anthon/Les parables à l’échelle du site, ils ne le sont point par point qu’en réduisant
Franchises dans la plaine vers Lyon) sont des vie-viie siècles. À noter chaque fois la taille des échantillons, quand cela est possible et quand le
particulièrement que les squelettes du site de Saint-Romain pris en type de question le permet. Le cumul de données pour comparaison ou
compte sont seulement ceux de la phase I mérovingienne de cette individualisation est ainsi souvent aléatoire et pas toujours possible. Le
nécropole et non ceux liés à la villa tardoantique, dont les tombes ne recours à des méthodes mathématiques permet néanmoins parfois, com-
sont pas connues, ni ceux plus tardifs (Royet R. 2006). me pour la paléo démographie, de restituer des données manquantes.

Des populations métissées révélatrices d’une évolution socio-politique • 145


Briord-Les-Plantées ne s’éloigne pas non plus des don-
nées de La Motte, ce qui tendrait à attribuer une origine
régionale à la majorité des habitants de Larina, et plus
particulièrement aux femmes. Au niveau du squelette
post-crânien, la stature est en effet de 169,3 cm pour les
hommes et de 155,7 cm pour les femmes, soit des esti-
mations proches des moyennes couramment observées
dans les populations du haut Moyen Âge en Gaule (qui
se situent aux alentours de 165 et 155 cm).
Les comparaisons entre les statures ci-dessus
comme l’étude détaillée démontrent néanmoins
que les hommes de La Motte présentent une moins
grande homogénéité que les femmes. Cette diffé-
renciation est due à l’arrivée parmi eux d’individus
Fig. 802 – Sépultures en pleine terre et en coffre de lauzes de plus grande stature, extérieurs au groupe local
de La Motte (ill. P. Porte). originel, constituant au moins un, et peut-être plu-
sieurs, sous-groupes successifs. Ils ne sont pas très
nombreux, n’amènent pas une importante sur-
masculinité, et s’insèrent donc rapidement dans la
communauté. Ils présentent en général les mêmes
caractéristiques anthropologiques principales que les
autres, mais leur plus grande stature a permis de bien
les identifier (Fig. 803). Ils témoignent ainsi de l’insta-
bilité du peuplement et des mouvements migratoires
constants4 à l’époque. S’ils se fondent en général à
La Motte dans la population avec des tombes mêlées
à celles des autres habitants, au Grands-Peupliers ils
sont inhumés à côté les uns des autres.
Les grandes statures sont souvent associées aux
populations septentrionales dont certaines sont
venues s’installer dans la région de Larina – peut-
être à Larina même – lors des grandes migrations
du début de notre ère. Au-delà de la réflexion cen-
trée sur la moyenne, on peut donc s’interroger sur la
répartition des hommes et femmes les plus grands et
les plus petits afin d’identifier une éventuelle zone
privilégiée pour les uns ou les autres. Aucune dis-
Fig. 803 – Comparaison des statures hommes puis femmes tinction particulière n’est alors apparue, notamment
entre les nécropoles de La Motte et du Mollard. (Ill. L. Buchet) pour les grands qui se retrouvent éloignés les uns
des autres. Ce constat peut vouloir dire que la fusion
ble de celui qui a été mis au jour si l’on tient compte sociale entre les individus issus des anciens flux
des destructions dues à la carrière sud. Le pourcen- migratoires et les populations indigènes était déjà
tage d’adultes est de 93 %, dont 38 % d’hommes (soit
52 individus), 46 % de femmes (soit 58 individus), et 4. Notons dans ce cadre deux cas plus anecdotiques mais révélateurs
de ces migrations  : le squelette de la tombe 123 de la Motte avait
13 % d’individus de sexe indéterminé (soit 16 sujets). un rare crâne déformé intentionnellement dans sa jeunesse, montrant
Les 12 enfants ne constituent que 7 % de la popula- l’appartenance de cet individu à un peuple issu autrefois d’Europe
tion totale exhumée. orientale et d’Asie centrale, de la grande confédération des Huns. Si
dans l’ancienne Burgundie plusieurs exemples de déformations volon-
L’étude morphologique et de l’évolution biologi-
taires, dites circulaires, de crânes ont déjà été signalés, la découverte
que a permis de décrire à grands traits les habitants de d’un cas au Sud du Rhône est exceptionnelle, la coutume n’étant plus
Larina pendant l’Antiquité tardive, du moins ceux dont alors conservée qu’occasionnellement, comme à Larina, par les derni-
les corps ont été retrouvés dans ce cimetière (Fig. 802). ers représentants de ces peuples éparpillés. Son inhumation dans un
coffre de lauzes orienté nord-sud, cas aussi unique à La Motte, montre
Les données fournies par la morphologie crânienne néanmoins que la singularité culturelle de ce petit homme gracile dé-
restent dans les marges d’une population homogène, passait la seule déformation crânienne.
et même très homogène chez les femmes, ainsi pro- De même, dans la nécropole du Mollard, un coffre de lauzes contenait
le squelette 714 assez petit d’un individu indiscutablement négroïde,
ches de celles inhumées à Saint-Romain-de-Jalionas à
avec des habitudes hygiéniques africaines puisqu’il se brossait régu-
la même époque. La description des individus inhu- lièrement les dents avec une brosse végétale ayant laissé des stries
més à la fin de l’Antiquité dans la nécropole voisine de caractéristiques sur ses dents.

146 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


Fig. 804 – Relevé de sépultures de La Motte (ill. P. Porte).

totale à la fin de l’Antiquité5, ou que ces grandes sta- superficie du site, montrant aussi quelques facteurs
tures ne sont qu’un reflet de la variation interne d’un d’hétérogénéité. Ils sont l’expression d’une variation
groupe constitué de longue date. En complément, au sein de la population du site qui peut faire évo-
l’indice de robustesse a une valeur moyenne, équili- quer l’arrivée, en faible nombre, de quelques immi-
brée par rapport à la stature, pour les hommes et les grants masculins. Mais si la population de La Motte
femmes de La Motte. Les méthodes d’analyse multi- est ainsi déjà le résultat d’une histoire migratoire, les
variées facilitent de leur côté l’identification au sein analyses attestent d’abord de l’existence d’une com-
d’une population donnée, des différentes composan- munauté devenue homogène (Fig. 804).
tes morphologiques qui peuvent, éventuellement, la Les premiers occupants du site de Larina sem-
constituer. Cela permet ainsi de comparer, si ce n’est blent donc avoir très majoritairement une origine
régionale, avec même une forte homogénéité de la
définir, parmi elle plusieurs populations. Les analy-
population féminine. Chez les hommes, il semble
ses factorielles réalisées pour La Motte ont montré
que quelques éléments extérieurs soient venus rom-
dans ce cadre l’existence de deux groupes morpho-
pre l’endogamie, peut-être compléter la main-d’œu-
logiques distincts mais qui ne sont associés à aucun vre de l’exploitation, et/ou rejoindre le site pendant
critère archéologique repéré. Ces deux groupes, qui la phase de transition avec la villa mérovingienne,
se distinguent essentiellement par la forme de leur mais sans pour autant modifier notablement les gran-
crâne, plus étroit et allongé dans un groupe que dans des caractéristiques morphologiques du groupe. Les
l’autre, se retrouvent indifféremment dans les deux nuances observées ne relèveraient donc que de la
niveaux de sépultures et se répartissent sur toute la variation intra-populationnelle, en dehors du cas de
« l’homme au crâne déformé », et rien n’indique que le
5. N’oublions jamais que le concept des Grandes Invasions obère une peuplement d’origine ait été notablement modifié par
grande perméabilité entre les mondes romains et barbares depuis le l’installation, entre le ive siècle et le début du vie siè-
début de notre ère. A la fin de l’Antiquité, des fractions de ces peuples
sont en fait déjà depuis longtemps intégrées dans l’armée, les commer-
cle, de groupes humains importants extérieurs à la
çants, et la paysannerie (Lètes…) gallo-romaine, parmi lesquels elles région. Cette population, aux traumatismes surtout
cherchent plus à s’intégrer rapidement qu’à se différencier. liés à ses activités quotidiennes d’artisans et paysans,

Des populations métissées révélatrices d’une évolution socio-politique • 147


constituait un groupe plutôt refermé sur lui-même,
avec une qualité de vie, notamment alimentaire, non
négligeable si l’on en croit l’étude de sa dentition
notamment.
En comparaison, la situation du peuplement
du Mollard s’est révélée autrement complexe, à la
fois par ses différences avec les autres sites locaux,
dont La Motte, mais aussi parce que cette nécropole
montre des différenciations internes importantes.
Le nombre total de squelettes étudié s’élève à 373
(Fig. 805). Tout comme à La Motte, l’effectif exhumé
ne correspond pas à l’effectif réel car de nombreu-
ses « fouilles » anciennes ont vidé certains secteurs
sans pour autant nous en transmettre l’inventaire. Fig. 805 – Vue aérienne de la nécropole du Mollard restaurée
L’échantillon comprend 344 adultes (92 %), dont 39 % (ill. P. Porte).
sont des hommes (134 dont 78 d’âge connu), 28 %
de femmes (96 dont 60 d’âge connu), et 33 % des
individus de sexe indéterminé (114). L’âge des 29
enfants (8 %) a pu être estimé  : à part la première
tranche (de 0 à 5 ans) toutes les classes d’âges sont
représentées. La conservation très variable des sque-
lettes, et une topo-chronologie des sépultures pas
assez nette compte tenu du nombre important de
réinhumations et du mélange de sous-groupes diffé-
rents aux mêmes endroits, ne permettent malheureu-
sement pas de regrouper les différences de genre, de
morphologie, d’alimentation, de traumatisme… Cel-
les-ci sont bien attestées en tant que telles mais sont
le plus souvent à traiter en parallèle, sans mises en
relation possible de toutes ces données par individus
ou ensembles localisés sur le plan du site. L’étude
est donc globale, avec des aspects particuliers bien
individualisés et localisés qui sont généralisables par
rapport aux autres sites, mais aussi des évolutions
internes perçues surtout par des échantillons et des
généralisations mathématiques (Fig. 806).
L’étude d’homogénéité de la population6 montre
d’abord au Mollard une population bien plus hétéro-
gène qu’à La Motte, avec donc un apport important
de nouveaux individus très différents du groupe ori-
ginel, et ce particulièrement pour les hommes, mais
aussi notablement pour les femmes, ce qui est plus
rare. Environ 20 % chaque fois des femmes du Mol- Fig. 806 – Exemple de relevés successifs systématiques
lard ont en effet une stature plus petite (ainsi pro- de sépultures, ici du Mollard :
ches des statures des femmes de La Motte pour les couvercle, à l’ouverture du coffre, squelette,
moins de 1,55 m), ou plus grande d’un écart-type de fond, d’une même tombe (ill. P. Porte).
la stature moyenne de leur cimetière. La population
féminine regroupait donc à la fois une majorité de La comparaison des données morphologiques
femmes graciles d’origine régionale au format très entre les différents sites référents, et d’abord entre La
antiquisant, et d’autres de format élevé plus septen- Motte et Le Mollard, atteste d’abord d’une continuité
trional, attestant ainsi d’une certaine hétérogénéité certaine du peuplement avec de nombreuses simi-
de la population du site. litudes entre les deux nécropoles de Larina, et avec
les autres cimetières comparés : les dendrogrammes,
6. Le test dit de Howells permet de calculer l’homogénéité d’une issus des fichiers de mesures prises sur les squelettes,
population qui doit être proche ou inférieur à 100. Pour La Motte,
les femmes à 97,5 sont très homogènes entre elles (et donc les plus trient les individus inhumés en sous-groupes d’as-
représentatives de la composition originelle du groupe local puisque pects souvent un peu différents mais ne présentant
inférieur à 100), et plus que les hommes à 108 (à cause déjà d’arrivées globalement qu’une très faible variation des indices.
extérieures). Pour Le Mollard, le test de Howells définit une population
moins homogène pour les deux genres, avec 109 % pour les femmes et Ces sous-groupes, variables selon les critères de tri
116 % pour les hommes. choisis, sont héritiers de métissages anciens multi-

148 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


ples qui appartiennent maintenant, malgré quelques
différences d’aspect physique, à une population
présentant une homogénéité certaine, ancrée dans
le substrat antique régional. Celui-ci se caractérise
localement par des hommes et femmes à la morpho-
logie comparable aux individus de Saint-Romain-
de-Jalionas. Les caractères morphologiques de ces
individus, et leurs habitudes alimentaires décelées
par l’étude des stries dentaires, sont en effet très pro- Fig. 807 – Comparaison des moyennes de statures hommes
ches de ceux, pourtant antérieurs pour la plupart, et femmes des nécropoles du territoire (ill. L.Buchet).
des sépultures de l’établissement tardoantique de La
Motte. De même au Mollard, la nécropole, et dans
une moindre mesure les chapelles de l’église, dis-
posent de nombreux individus (hommes et femmes)
plus petits d’un écart-type que la moyenne du cime-
tière (moins de 1,63 m pour les hommes, de 1,54 m
pour les femmes), ainsi proches des individus de ce
type retrouvés en plus grand nombre à La Motte et
à Saint-Romain-de-Jalionas. Les femmes, d’un format
assez petit et gracile, présentent naturellement dans
ce cadre les taux d’homogénéité les plus importants,
et les plus comparables entre les sites locaux. Ces
deux sites, aux individus en fait assez proches les
uns des autres, semblent donc pouvoir définir ce
qu’est alors le substrat anthropologique local, cer-
tes déjà métissé compte tenu de l’accroissement des
phénomènes migratoires à la fin de l’Antiquité, mais
représentatif du fond antiquisant majoritaire.

Avec aussi une population partiellement


immigrée au Mollard Fig. 808 – Comparaison des statures de tous les squelettes
hommes des nécropoles du secteur : le trait horizontal noir
L’étude statistique assure que la stature, associée montre l’ampleur des statures de chaque site, le large trait gris
à la robustesse, est l’un des principaux caractères la répartition principale de 65 % de la population du site
discriminants singularisant le peuplement sur le site. à 1 écart-type, le petit trait vertical, la moyenne
Une recherche plus précise sur le format de l’ensem- de la stature du site (ill. P. Porte).
ble des squelettes mesurables sur ce point fut donc
réalisée dans les quatre sites référents régionaux7. tant dans tous les autres sites, cette limite prouve
L’étude comparative prouve d’abord que la moyenne que plus de 10 % des hommes du Mollard sont plus
des statures des hommes dans chacun des quatre grands que les plus grands régionaux, définissant
sites est différente8 mais comparable. Le site le plus ainsi un sous-groupe particulier homogène existant
ancien, La Motte, présente les moyennes les plus bas- nulle part ailleurs localement (Fig. 808). L’étude de
ses, soit les plus proches des populations régionales l’indice de robustesse9, menée en parallèle sur tous
de fonds antiquisant (Fig. 807). Le Mollard se trouve les individus mesurables, est arrivée aux mêmes résul-
ainsi à la moyenne générale des sites régionaux tats : il évolue peu au Mollard depuis La Motte ce qui,
(1,71 m) mais il présente également les hommes les compte tenu de l’agrandissement exceptionnel des
plus grands (avec un maximum à 1,95 m !) de tous statures, n’est possible que si le format évolue avec
les sites. Surtout, Le Mollard dispose d’un nombre la stature, les grands étant aussi très robustes, et les
important d’hommes de haute stature homogène, à petits plus graciles. L’étude atteste donc de l’existence
plus de 1,78 m (un écart-type de la moyenne de la
d’individus bien proportionnés (et donc robustes)
nécropole, soit au-delà de 65 % de sa population).
au Mollard, malgré leur haute stature. De surcroît,
Portée même à 1,79 m, soit la stature maximale exis-
la faible variation de cet indice de robustesse entre
les deux nécropoles indique également une popu-
7. Une étude statistique permet de réunir 65 % de la population mesu-
rée dans un groupe homogène à plus ou moins un écart-type de sa lation précédemment déjà équilibrée à La Motte. Or
moyenne, 95 % autour de deux écarts-types. La répartition des cas un bon équilibre stature/robustesse n’est atteignable
extrêmes permet de repérer les individus hors de ce groupe central et que dans une évolution de longue durée, impossible
de les étudier par sexe, type de tombes, localisation…
8. Moyenne des statures des hommes : 1,69 m à La Motte (où il y a déjà
chronologiquement entre les deux sites séparés par
des grands) ; 1,71 m au Mollard ; 1,71 m aux Grands-Peupliers; 1,73 m
à Saint-Romain-de-Jalionas. Moyenne de tous les hommes (et non des 9. Indice de robustesse mesuré à partir du fémur, pour les hommes à
moyennes !) des quatre sites référents : 1,71 m (la moyenne constatée La Motte : 19,8 ; et au Mollard : 20,0 ; pour les femmes de La Motte :
pour l’ensemble de la Gaule alors est de 1,65 m). 19,7, du Mollard : 19,2.

Des populations métissées révélatrices d’une évolution socio-politique • 149


moins d’un demi-siècle, ou par l’arrivée d’un groupe entre hommes et femmes15. L’évolution morphologi-
humain extérieur, déjà équilibré auparavant  : cette que ci-dessus concerne donc bien des familles et non
dernière situation est par suite la seule possible à des individus. L’inhumation des femmes, mêlées aux
Larina10. Le sous-groupe de grandes statures, ainsi hommes aussi bien dans les chapelles de l’église que
défini avec un format d’un type plus septentrional dans la nécropole, prouve aussi que cette migration
que régional, correspond donc morphologiquement familiale concerne tous les niveaux socio-économi-
à l’arrivée de populations extérieures sur le plateau ques du groupe immigré.
au vie  siècle, parmi les populations autochtones
préexistantes sur le site.
La même étude appliquée aux femmes des quatre
nécropoles régionales est aussi instructive11. D’abord,
on a vu que les femmes de La Motte présentent une
stature équilibrée12, ancrée dans le substrat régional
antique qu’elles définissent bien, avec une homo-
généité bien supérieure à celle des hommes. Par
contre, Le Mollard et Saint-Romain (pour la phase
mérovingienne) montrent une moyenne des statu-
res féminines plus élevée, significative de l’arrivée
aussi de femmes plus grandes, de morphologie plus
septentrionale. Mais, là encore, près de 45 % des
femmes du Mollard sont plus grandes13 que les plus
grandes femmes (1,60  m) de La Motte et de Saint-
Romain, dont la « princesse »14 (fig. 809). Ce nombre
important dépasse la possibilité de quelques ser-
vantes accompagnatrices et témoigne de l’arrivée de
familles entières, de couples homogènes, au Mollard.
La comparaison du nombre d’hommes et de femmes
entre les deux nécropoles du site dévoile aussi que Fig. 809 – Comparaison des statures de tous les squelettes
s’il y a une certaine sur-masculinité au Mollard, elle femmes des nécropoles du secteur
ne remet pas en cause l’équilibre démographique
Les différences morphologiques et statistiques
10. L’indice de robustesse indique aussi par son plus ou moins équilibre observées indiquent que l’importance de l’agrandis­
avec une population de référence, ici celle de La Motte, les proportions sement de la stature de ces hommes et femmes par
de la morphologie des individus : une évolution rapide de la stature rapport à ceux de la Motte (plus anciens) et des
dans une population donne des « grands maigres » et « petits gros »
(prouvable par une évolution rapide des indices de robustesse) pour
Grands-Peupliers (plus récents), sur un laps de temps
caricaturer, seul le temps permettant d’équilibrer les proportions du court et avec une telle ampleur, ne peut pas s’expli-
squelette et d’obtenir des « grands costaux » et des « petits graciles » quer par une amélioration (contredise d’ailleurs par
naturellement bien proportionnés. La différence importante entre les l’âge moyen au décès qui baisse de La Motte au Mol-
statures des deux nécropoles du site ne permet ainsi pas d’obtenir un lard) du mode de vie de cette population spécifique
indice de robustesse équilibré en quelques générations par la seule
évolution naturelle. Or la faible évolution des indices entre les deux
(possible que sur une longue durée inexistante ici).
nécropoles montre la présence au Mollard d’une population aux pro- Ce phénomène bien caractérisé n’est ainsi explicable
portions morphologiques bien équilibrées  : cela n’est ainsi possible que par l’arrivée rapide à Larina de familles homogè-
que grâce à l’arrivée telle quelle de cette population, de l’extérieur nes, différentes de la population locale. À l’opposé,
du site. les femmes des sous-groupes les plus homogènes
11. Moyenne des statures des femmes : 1,56 m à La Motte ; 1,59 m
à Saint-Romain-de-Jalionas ; 1,59 m au Mollard ; 1,61 m aux Grands des quatre sites sont ainsi par exemple plutôt peti-
Peupliers (1,55 m est la moyenne constatée pour l’ensemble de la tes et graciles. Mais en complément, il convient de
Gaule alors). Mais là aussi 20 % des femmes du Mollard dépassent 1,65 remarquer que la nécropole du Mollard, et dans une
m soit la plus haute stature des femmes des autres sites, et la barre moindre mesure les chapelles de l’église, disposent
supérieure d’un écart-type de la moyenne de la nécropole regroupant
aussi de nombreux individus (hommes et femmes)
65 % de sa population.
12. A La Motte 2 femmes seulement sont au dessus de deux écarts- plus petits d’un écart-type que la moyenne du cime-
types de la moyenne des statures, et 3 au dessous. tière16. Ils sont même parfois assez graciles, proches
13. Dont 8 femmes de plus de 1,64 m (un écart-type de la moyenne), la des individus de ce type retrouvés en plus grand
plus grande femme du site (et de la région) atteignant 1,74 m. nombre à La Motte et à Saint-Romain-de-Jalionas,
14. Il s’agit d’une femme mesurant 1,62 m, soit une taille légèrement
supérieure à la moyenne, dont le squelette postcrânien est gracile.
que l’on considère représentatifs des populations
De son crâne, seule la mandibule était encore présente dans la tombe
suite à un pillage récent. La très bonne conservation du squelette 15. Pour La Motte : 48,09 % d’hommes, 36,64 % de femmes, 15,27
postcrânien, dont le bassin et les dents inférieures, indique la jeunesse % d’indéterminés (hors indéterminés 11,45 % de différence hommes/
de cette « princesse », de 25 à 30 ans. L’intérêt de ce squelette 776 femmes). Pour Le Mollard : 37,29 % d’hommes, 26,80 % de femmes,
réside en fait surtout dans le statut social très élevé de la personne 35,91 % d’indéterminés (hors indéterminés 10,49 % de différence
inhumée dans cette tombe, prouvé par sa place dans la nef de l’église hommes/femmes).
et son mobilier funéraire (bague en or et fils d’or…). 16. Moins de 1,63 m pour les hommes, 1,55 m pour les femmes.

150 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


gallo-romaines du secteur. Cette présence exclut une
nouvelle fois que les statures élevées soient dues à
une amélioration, même ciblée sur une classe aisée,
de l’alimentation et du mode de vie. Mais cela veut
aussi dire que l’on dispose au Mollard d’abord d’une
population majoritaire représentative du substrat indi-
gène local, mais qu’un certain nombre de familles et
pas seulement quelques individus, caractérisées par
une haute stature inhabituelle, ont immigré à Larina
à l’époque mérovingienne.
Les recherches multicritères ont du mal à définir
des différences morphologiques importantes dans ces
populations déjà très métissées depuis parfois plu-
sieurs siècles. La stature, associée à la robustesse du
format, a néanmoins défini l’aspect dans ces domai-
nes de la très grande majorité de la population17 et
a montré l’existence au Mollard d’un groupe de 10
à 15 % de très grands individus (jusqu’à 1,95  m !)
n’existant que là, et se trouvant hors de 95 % de la
population de référence statistique du site (Fig. 810).
Ce sous-groupe ne constitue malgré tout que la par- Fig. 810 – Répartition statistique des hommes et femmes
tie émergée minimale de cette « vague » d’immigrants, de La Motte et du Mollard (ill. L.Buchet).
ceux qui se distinguent le plus. En effet d’autres indi-
vidus immigrés, eux « seulement » dans la moyenne pagnons. L’absence de traumatismes particuliers sur
haute de la population, ne peuvent être séparés ces grands individus renvoie plus à l’existence de
des grands locaux. Or, afin de pouvoir faire varier serviteurs et agriculteurs qu’à des soldats18. La topo-
en quelques générations les indices d’homogénéité chronologie de ces inhumations amène à relier cette
d’une population qui a doublé depuis La Motte, les phase d’immigration à la première période d’occu-
immigrés ont dû en fait représenter au total entre le pation de l’église, à la dater du vie siècle, et donc à
quart et le tiers de la communauté, ce qui n’est pas l’associer à la nouvelle villa mérovingienne.
négligeable comme choc culturel pour les autoch-
tones. Il s’agit principalement d’hommes mais on a Des traumatismes caractéristiques
vu que les hautes statures féminines assurent aussi
d’un autre type de peuplement
l’existence de familles dans ce groupe immigré.
Ce critère de format grand et robuste renvoie Les études menées ensuite pour mieux caractéri-
à une immigration de populations différentes des ser cette population ont en fait mis en relief d’autres
régionaux et méditerranéens, en provenance plutôt données complémentaires. Celles-ci ont amené à
de régions septentrionales. Ils se répartissent surtout proposer l’arrivée sur le site au viie siècle d’une autre
dans l’église, parmi les chrétiens privilégiés inhumés « vague » d’immigration, définie par des critères très
dans la nef qu’ils saturent. C’est par exemple le cas différents de la précédente…
de la sépulture privilégiée n° 922, placée juste devant En effet, la traumatologie de certains squelettes
l’abside, au centre, qui contenait un homme à la fois est également bien plus importante et différente au
grand (1,76  m) et très robuste, mais qui fut pillée Mollard que celle rencontrée dans des sites similai-
au xixe  siècle. D’autres « très grands » immigrés sont res. La Motte est ainsi dans la norme, avec quelques
aussi inhumés dans la nécropole, dans les rangées traces d’accidents concernant très majoritairement
de coffres antérieures à la construction de l’enclos les hommes, avec une répartition diversifiée des
funéraire, montrant également une certaine dispa- atteintes liées au maniement d’outils (fractures de
rité socio-économique dans le nouveau groupe. Les poignets…), à la vie domestique (entorses dues à la
familles immigrées comportaient donc aussi bien des marche sur des sols irréguliers), ou à des accidents
aristocrates que des compagnons, de même origine pendant l’enfance. Ces séquelles confirment l’exis-
qu’eux… ou d’ailleurs. En dehors des bijoux de la tence sur le site d’une population tournée surtout
princesse, les autres sépultures privilégiées (pour les vers une vie artisanale et paysanne. Deux seuls cas
non pillées certes !) ne disposent néanmoins pas de portant les traces d’agressions par armes tranchantes
mobiliers particuliers, hors quelques agrafes et épin- au crâne, dont l’une fut mortelle, rappellent l’envi-
gles peu différentes de celles de leurs autres com- ronnement difficile et les événements parfois violents
vécus, peut-être lors de l’arrivée des Mérovingiens
17. À deux écarts-types de la stature moyenne de chacune des quatre
nécropoles étudiées, puis de la moyenne de l’ensemble de tous les 18. Mais on ne peut considérer comme un hasard que les deux seuls
individus de tous les sites réunis, afin d’identifier les individus se ré- « géants » (1,91 et 1,95 m) du site soient inhumés côte à côte (sep.
partissant au-delà de 65 puis 95 % de la population statistiquement 729 et 730), devant la porte (qu’ils occupent entièrement) de la nef
de référence du site, ou de l’ensemble de sites, étudié(s), et ce sépa- centrale de l’église, comme des gardiens sur lesquels il faut marcher
rément tant pour les hommes que les femmes. obligatoirement pour rejoindre, à l’intérieur, les tombes privilégiées...

Des populations métissées révélatrices d’une évolution socio-politique • 151


sur le site au début du vie siècle. Le Mollard de son du corps, dont le crâne, sont nombreuses au Mollard.
côté montre d’abord également une traumatologie Quand la pratique cavalière est associée à une activité
similaire, entorses et fractures variées des membres guerrière, les traumatismes militaires se cumulent par-
supérieurs, relevant d’accidents de la vie domestique fois sur des individus. C’est ainsi le cas pour les parties
ou des activités agricoles et artisanales quotidiennes du corps les plus vulnérables comme le genou et la
(Fig. 811), et cela surtout si on limite l’étude aux jambe. Quatorze cas ont été notés à Larina, dont dix à
populations de hautes statures précédemment mises gauche, représentatifs des coupures par arme blanche
en relief. faits par un fantassin sur le bas des jambes d’un cava-
lier.20. Même si elles sont moins caractéristiques, les
atteintes des bras ne sont pas à exclure et l’humérus
porteur d’une entaille découvert dans la tombe 755 en
est la preuve. C’est également le cas des fréquentes
fractures, dites « de parades », de l’avant-bras (ulna),
caractéristiques d’un bras atteint alors qu’il est levé
pour protéger la tête d’un coup violent. Il convient
de noter que si certaines fractures furent mortelles,
la plupart sont en fait consolidées et cicatrisées. Plu-
sieurs fractures de cavaliers guerriers concernent enfin
également des individus immatures, rappelant que les
enfants participaient tôt aux combats.
Sur le plan sociologique, ces cavaliers et guerriers
traumatisés se répartissent par moitié dans la nécro-
pole et dans l’église (qui ne dispose pourtant que de
moins du quart des sépultures du site, attestant donc
d’une bien plus forte représentation de cette catégorie
dans les chapelles), avec aussi là le nombre de trauma-
tismes par individu les plus nombreux, et les atteintes
les plus sévères (Fig. 812). Cette répartition prouve
néanmoins que les aristocrates (chrétiens) n’étaient
pas les seuls combattants, qu’ils disposaient aussi
d’une troupe. Les combattants sont ainsi fortement
présents dans le chœur de l’église (où les aristocra-
tes sont certes attendus), mais aussi dans la chapelle
latérale nord-est, alors qu’ils sont absents de la nef de
Fig. 811 – Squelette du Mollard en place handicapé de la l’église. Leur forte présence également dans la cha-
colonne vertébrale (ill. P. Porte). pelle sud-ouest (où sur les quinze individus inhumés,
onze au moins sont des guerriers), plus assimilée par
Mais la prise en compte en complément des autres son plan ouvert à une chapelle publique que familiale
squelettes présente par contre, en plus de ces « trauma- et privée, fait de cet espace un véritable « cimetière
tismes domestiques », une traumatologie particulière, militaire » de la « garnison » du site.
absente de La Motte et des sites de plaine19. Ce phé- La liaison des traumatismes de combattants avec
nomène, également exceptionnel par son ampleur par la morphologie des individus, puis avec la chrono-
rapport aux nécropoles régionales, caractérise ainsi logie de l’église, ouvrent également d’autres pers-
une spécificité particulière d’une partie de la popula- pectives importantes. Sur le plan morphologique
tion de Larina. Soixante squelettes au moins présentent d’abord, la liaison des individus ainsi traumatisés
une, et souvent des séquelles d’autres types de trau- avec les statures est intéressante car, hors enfants,
matismes, dont la moitié des individus de la chapelle. des sous-groupes apparaissent. S’il y a une nette
Or ce sont pour la plupart des séquelles de pratiques liaison entre des combattants et les plus grandes
physiques intenses, caractéristiques des cavaliers et statures du site dans la chapelle nord-est, cela n’ap-
des combattants (Fig. 617 à 619). C’est le cas par paraît pas dans la chapelle sud-ouest où la majorité
exemple des atteintes (tassements importants des ver- des combattants ont une stature et une robustesse
tèbres et fractures…) de la colonne, du rachis, et du moyenne. Le fait est encore plus net dans le chœur
bassin ou de la hanche notamment ; ou des fractures où les aristocrates combattants présentent une sta-
intérieures des membres inférieurs liés à des chutes ture petite et moyenne. Il est ainsi notable que la plu-
de, et parfois avec le cheval… pour les cavaliers. De part des combattants du Mollard, à commencer par
même les traces d’armes blanches tranchantes du type leurs chefs aristocrates, ne font donc pas partie du
épée longue ou hache conservées sur diverses parties « groupe des plus grandes statures » précédemment
caractérisé. Cette situation nous rappelle que l’on a
19. Si l’aristocrate inhumé dans la tombe privilégiée de l’abside de
Saint-Romain présente des traumatismes liés à la pratique équestre, il 20. Soit 71 % or, A. K. Knowles a noté (1979) de manière comparable
est le seul de son groupe dans ce cas, et il ne montre pas de traces de que 75 % des coups portés aux membres inférieurs l’étaient à gauche
blessures militaires, absentes aussi des autres nécropoles du territoire. dans des charniers militaires du xive siècle.

152 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


Fig. 812 – Plan de répartition des principaux types de traumatisme au Mollard (ill. P. Porte).

identifié parmi les immigrés des hautes statures, mais


que ceux-ci devaient avoir une définition morpholo-
gique plus large, associant sans doute des individus
métissés de provenances très diverses. Les analyses
factorielles automatiques réalisées pour rechercher
d’éventuelles différences morphologiques au Mollard
ont en effet montré l’existence de deux sous-grou-
pes principaux, différents des autres critères mis en
relief, et restés sans explications particulières. Leur
répartition séparée dans les deux chapelles latérales
de l’église par exemple prouve néanmoins la réalité
de ces différenciations infimes, marque peut-être de
familles ou de sous-groupes particuliers.
Mais au niveau topo-chronologique surtout, les cas
de traumatismes multiples et sévères sont donc par-
ticulièrement présents dans l’église, principalement
dans le chœur et les chapelles latérales qui paraissent
avoir concentré plus de la moitié des cavaliers com-
battants du site. L’analyse de la répartition des com-
battants démontre là une évolution chronologique
du peuplement entre les deux phases mérovingien-
nes du site (Fig. 813). Les combattants traumatisés
sont ainsi absents de la nef (où les deux « gardiens
géants » sont pourtant enterrés), alors que les grandes
statures y sont par contre principalement inhumées.
Or ces sépultures datent toutes de la première phase
d’occupation de l’église au vie  siècle, antérieure au
dallage qui les a scellées définitivement21 (Fig. 814). Fig. 813 – Topochronologie des sépultures dans l’église :
À l’inverse, les inhumations de cavaliers-combattants, grandes statures et associés de la première phase (gris foncé)
eux de formats plus diversifiés, peuplent surtout et combattants guerriers et associés de la seconde phase
les deux principales chapelles latérales construites (gris clair). (Ill. P. Porte)
les plus tardivement. Dans le chœur, leurs coffres
sont aussi implantés sur les vestiges de l’abside alors
21. Rappelons que le dallage de grandes et épaisses dalles jointées détruite et dans les angles encore libres  : plusieurs
dans la nef fut posé sur un remblai d’une dizaine de centimètres au- membres de ce groupe dirigeant ont ainsi un format
dessus des couvercles des sépultures, et qu’il ne leur servit ainsi pas moindre, et sans doute des origines plus diversifiées,
de couverture : c’est un aménagement spécifique postérieur aux inhu- que ceux liés à l’abside précédente. De la même
mations qui ne fut ensuite pas retouché lors des autres aménagements
(solea, banc latéral…) qui sont posés sur ce dallage.
façon, leur implantation dans la nécropole s’insère

Des populations métissées révélatrices d’une évolution socio-politique • 153


tiquant des feuilles de noyer ou des extrémités de
bâtonnets tirés d’une liane, se décapent les dents par
un mouvement circulaire et horizontal du doigt ou
de la tige végétale. Les corpuscules siliceux conte-
nus dans les fibres laissent alors sur l’émail les stries
observées22. Cet individu négroïde était également
un cavalier plusieurs fois tombé de cheval, avec des
fractures et entorses successives des jambes (fracture
du genou droit, fracture de la jambe droite et entorse
grave de la cheville gauche…), complétées de nom-
breux autres traumatismes (entailles d’armes, fracture
de l’avant-bras gauche…). Enfin, le crâne de ce sque-
lette 714 est l’un des rares à présenter des séquelles
d’un traumatisme crânien (Fig. 616). Il est le résultat
d’un coup d’épée (ou de hache) porté au front, de la
gauche vers la droite, quasiment dans l’axe du crâne.
La blessure, de six centimètres, a parfaitement cica-
trisé, comme l’ensemble de ses autres blessures aux-
Fig. 814 – Vue générale du dallage dans la nef (ill. P. Porte). quelles il a survécu. Quand et comment ce « héros » (il
détient le record de traumatismes du site !) négroïde
également moins bien dans les rangées de sépultures est-il arrivé à Larina après (et pourquoi : trafic d’es-
primitives. En résumé, la répartition des combattants claves ?) avoir franchi la Méditerranée ? Quelle était
les associe donc uniquement aux constructions de sa place dans la société puisqu’il fait partie des pri-
la seconde phase d’occupation de l’église, courant vilégiés dont les corps ont été déposés dans l’église
viie  siècle. Le groupe de cavaliers-combattants ne
(certes dans la chapelle sud-ouest avec les guerriers
s’identifie ainsi pas sur le plan morphologique avec non aristocrates), mais à proximité des tombes de
les grandes statures mais se caractérise en fait par sa notables, après avoir été un valeureux combattant
diversité de format, associant à quelques rares très des troupes mérovingiennes ?
grands de très nombreux formats moyens et petits.
C’est donc principalement ses activités militaires,
sa localisation dans les parties les plus récemment
construites de l’église et des enclos funéraires, et
sa culture matérielle nourrie d’objets de type sep-
tentrional qui permet d’identifier ces immigrés. En
complément, on rappellera enfin que les traumatis-
mes « domestiques », ou liés aux activités agricoles et
artisanales, sont plus présents dans le groupe des
« grandes statures » mais bien moins nombreuses dans
ce dernier groupe de combattants.
Une sépulture particulière à la destinée origi-
nale illustre de manière caricaturale la diversité, et
les différentes caractéristiques, de ce second groupe
Fig. 815 – La chapelle publique sud-ouest de l’église :
immigré : l’individu 714 fut inhumé dans le bas-côté un cimetière de la garnison du castrum (ill. P. Porte) ?
de la chapelle sud-ouest, « le cimetière militaire » du
site. Il s’agit d’un homme, dont la stature (1,68  m)
est légèrement inférieure à la moyenne du groupe. Il apparaît ainsi au final que le groupe immigré
Il se distingue surtout des autres sujets masculins inhumé au Mollard se divise en fait en deux ensem-
par une morphologie crânienne clairement négroïde, bles  successifs  : l’un comprend des aristocrates et
notamment faciale (Fig. 606 et 607). Malgré cette accompagnants caractérisés surtout par les « plus gran-
singularité, le mystère de son origine reste entier car des statures peu combattantes23 » et par leur inhuma-
rien d’autre ne permet de le rattacher à telle ou telle tion dans l’abside et la nef de l’église ; l’autre ensemble
population, les négroïdes peuplant de nombreuses
zones du globe. Une autre particularité de ce sque- 22. A titre comparatif, un échantillon de huit autres individus compa-
rables (situation, datation, traumatismes…) du site fut examiné : deux
lette a été remarquée : son habitude, rare à l’époque,
présentaient des striures pouvant évoquer une action de nettoyage
de se brosser les dents. En effet, sur les surfaces ves- de la surface des dents mais leur faible nombre et leur écartement
tibulaires de ses molaires et prémolaires, on observe important (50 à 80 microns) ne pouvaient pas être significatif d’un
des stries arrondies en arc de cercle matérialisant frottement régulier. Cette recherche originale est donc à poursuivre
un mouvement circulaire (Fig. 608). L’utilisation de pour savoir si d’autres habitants de Larina se brossaient les dents !
23. C’est notamment le cas des nombreuses grandes statures de la nef
brosses végétales traditionnelles caractérise encore centrale, dont les deux géants du site, inhumés côte à côte à l’intérieur
de nos jours certaines populations africaines ou de la nef, devant l’ouverture centrale qu’ils occupent entièrement, comme
proche-orientales qui, après avoir réduit en les mas- pour la garder, mais qui ne présentent aucun traumatisme militaire !

154 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


arrivé (en remplacement ou en renfort ?) postérieure- des aliments (plus ou moins riches en matières soli-
ment au premier, est lui caractérisé surtout par les des) et dans leur préparation. L’évolution peut prove-
« activités combattantes et une morphologie de format nir d’un changement qualitatif dans la nourriture ou
moyen, diversifié ». Ce groupe recouvre les aristocrates être le reflet de pratiques culinaires différentes, d’une
inhumés dans le chevet plat, ainsi que leurs accom- culture différente : la consommation de bouillies ou
pagnants situés surtout dans les chapelles latérales d’aliments mous n’a pas les mêmes incidences sur
(Fig. 815). Dans l’église le remplacement de l’abside l’organe dentaire que le broyage d’aliments plus
par le chevet, et la présence du dallage monumen- fermes comme les légumes. Dans ce cadre, l’étude
tal dans la nef et le narthex, séparent bien les deux révèle des différences importantes entre les sque-
groupes immigrés qui répondent ainsi aux deux pha- lettes inhumés à Saint-Romain-de-Jalionas, dans le
ses architecturales et chronologiques de l’édifice. Les cimetière de La Motte, et dans les deux groupes du
deux ensembles que l’on vient de mettre en relief sont Mollard (Fig. 816).
aussi bien représentés dans la nécropole, de manière Globalement d’abord, les populations de La Motte
indifférenciée au sein des autres sépultures : les deux et de Saint-Romain se regroupent ensemble (avec une
groupes immigrés se subdivisent donc sociologique- plus grande osmose encore pour les femmes) dans
ment de la même façon. Cette répartition de l’immigra- la définition d’un bol compact de qualité moyenne
tion septentrionale en deux « petites vagues », séparées mais correcte, à base de bouillies. L’importance des
par moins d’un siècle, recouvre par suite une bonne stries similaires et épaisses peut même montrer un
partie des subdivisions internes constatées au Mollard, manque de variété dans la nourriture et/ou sa façon
et peut expliquer de nombreux autres changements de préparer le bol. Par rapport à ce bol, celui du
culturels et économiques du site précédemment évo- Mollard présente globalement une richesse et une
qués (évolution de l’architecture et de l’élevage, sub- variété d’aliments (car de type de stries), et une com-
divisions du bâtiment I et de l’église…) différenciant pacité de la nourriture nettement plus importante.
au viie siècle les deux périodes mérovingiennes I et II. Cela prouve des habitudes alimentaires différentes,
Si cette séparation en deux ensembles, à l’intérieur du témoignages d’une vie plus aisée au Mollard, et/ou
groupe, est néanmoins bien attestée globalement au de pratiques culinaires devenues très différentes de
Mollard, la faiblesse des échantillons analysés ne per- celles de La Motte (Fig. 612 et 613).
met pas d’aller plus loin dans la caractérisation et l’in- Mais une analyse plus poussée d’un échantillon
dividualisation des sous-groupes. Il semble seulement de stries dentaires de chaque nécropole amène
que l’immigration des hautes statures se soit plus faite des réflexions plus complètes. Deux sous-groupes
en familles comprenant également de nombreuses bien séparés apparaissent en effet dans chacune
grandes femmes pendant la première période (« colo- des nécropoles alors (Fig. 614 et 615). À La Motte
nie de peuplement » ?), et que les taux de sur-masculi- d’abord, un ensemble d’individus, minoritaires, dis-
nité s’appliquent plutôt aux combattants diversifiés de pose d’un bol peu varié mais assez compact, en fait
la seconde période (« garnison » ?). assez proche des bols « aisés » du Mollard, eux seu-
lement plus variés. Ces individus se retrouvent dans
les deux types de tombes de La Motte, mais avec
une prédominance dans les coffres de lauzes. Les
Une démographie autres individus de La Motte, eux majoritaires, issus
et des modes de vie très culturels donc surtout des tombes en pleine terre, disposent
par suite du bol le plus mou et liquide de tous les
De nouvelles caractéristiques de la popula-
sous-groupes : ils ont ainsi une alimentation surtout
tion du site apparaissent grâce à d’autres données
molle, à base de bouillies et brouets assez clairs, plus
paléoanthropologiques. Elles confirment les hypo-
précaire que celle des autres. Au total par exemple,
thèses précédentes et permettent d’approcher la
dans le premier groupe (le plus favorisé ?), les sujets
démographie du site et des aspects plus socio-éco-
de l’échantillon de La Motte inhumés en coffrage de
nomiques des habitants successifs de Larina.
lauzes sont au nombre de six sur neuf (soit 67 %) alors
que, dans le deuxième groupe (le moins favorisé ?),
Une alimentation également différenciée ils ne sont que quatre sur onze (soit 36 %), les autres
De manière générale, la stature des individus étant en pleine terre. Les effectifs sont trop faibles
permet aussi de préciser certains aspects de leurs pour chercher à valider statistiquement cette distribu-
conditions de vie, et elle constitue alors un « indice tion ; tout juste est-il possible de constater que « tout
de malnutrition chronique » (malnutrition longue, se passe comme si » les individus inhumés en pleine
durable). Aussi peut-être faudrait-il voir alors dans les terre avaient eu des conditions de vie plus difficiles
sujets les plus grands de Larina ceux dont la condition que ceux inhumés en coffres de lauzes. Cette hypo-
sociale était la meilleure. De même, le changement thèse peut révéler une différence socio-économique
de régime alimentaire, restitué par l’étude des stries entre deux groupes d’individus contemporains ; mais
dentaires, est aussi un bon indicateur des évolutions elle peut aussi révéler une différenciation chrono-
notées (Fig. 611). Au-delà de la nourriture carnée logique liant une partie des coffres de lauzes de La
qui laisse peu de traces sur les dents, la compacité Motte à ceux du Mollard. La nécropole en pleine
du bol alimentaire révèle des habitudes dans le choix terre correspondrait alors seule à l’établissement tar-

Des populations métissées révélatrices d’une évolution socio-politique • 155


Fig. 816 – Une approche des types d’alimentation : analyse des stries dentaires sur des échantillons
de trois nécropoles du secteur (ill. L. Buchet)

156 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


doantique24, tous les coffres de lauzes se rattachant plus de bols alimentaires de qualité, et cela aussi
aux différentes phases de l’établissement mérovin- bien dans l’église que dans la nécropole, que la sui-
gien. Leur différence de localisation correspondrait vante où les bols de qualité, moins nombreux, sont
ainsi peut-être à une phase de transition entre les alors plutôt dans le chœur et les chapelles de l’église.
deux communautés, avec un glissement progressif L’église de la première phase ne dispose d’ailleurs
de La Motte vers Le Mollard. La construction rapide pas de bols de qualité moindre, celle de la seconde
de l’église sur ce dernier site peut aussi avoir amené phase n’en montrant que dans la chapelle sud-ouest,
le regroupement plus rapide des chrétiens dans et non aristocratique, considérée comme le « cimetière
autour d’elle, le reste de la population restant attaché des combattants »25. Le nombre limité et la qualité des
aux successions familiales sur La Motte. Si rien ne échantillons ne permettent malheureusement pas de
permet de trancher vraiment entre ces deux hypo- pousser plus loin l’analyse  : la liaison des habitu-
thèses, les études donnent une plus grande proba- des alimentaires avec les sous-groupes identifiés par
bilité démographique à l’existence d’une population sexe, stature, activité combattante… montre aussi un
unique sur La Motte, mais avec un chevauchement éclatement dans toutes les catégories. Cette analyse
chronologique et une mixité de populations (non évoque d’une part une aisance globalement supé-
aristocratiques) entre les établissements antiques et rieure des habitants du site à l’époque I de la villa
mérovingiens, à la rupture sans doute moins brutale mérovingienne, et d’autre part un mode de vie plus
que ne le montre la succession des bâtiments. précaire mais surtout socialement plus différencié,
avec à la fois une paupérisation de la majorité des
De la même façon, la nécropole du Mollard répartit individus et une aisance bien supérieure des aristo-
aussi les habitudes alimentaires de ses occupants en crates, à l’époque II du castrum mérovingien. L’ana-
deux sous-groupes, mais les différences y sont beau- lyse des caries et kystes dentaires (68 % des individus
coup plus nettes et importantes. Un premier ensem- au Mollard contre 45 % à La Motte ont des caries)
ble restitue un bol alimentaire majoritaire de bonne confirme en effet en parallèle la faible qualité de
qualité, très compact et ferme, riche en éléments l’alimentation de la majorité de la population alors.
abrasifs, et aussi très variés, à base de légumineuses La prédominance des aliments liquides, générateurs
et céréales striant les dents. Ce bol est proche du de caries, est en effet le plus souvent l’indice d’un
plus qualitatif de La Motte mais il le dépasse surtout niveau de vie précaire.
en variété. À l’opposé, le bol alimentaire de l’autre Là encore, la nette évolution entre les deux nécro-
groupe du Mollard présente le nombre le plus faible poles exclut une amélioration lente de la nourriture
de stries obliques et verticales. Sans doute peut-on sur plusieurs générations au profit d’un changement
mettre en cause une alimentation plus molle, voire radical et rapide, culturel, du type d’alimentation entre
plus liquide, beaucoup moins riche et diversifiée les deux populations étudiées. Les populations de
que le premier, avec des habitudes culinaires dif- La Motte et de Saint-Romain se regroupent ensem-
férentes. Ce bol de moindre qualité est néanmoins ble (avec une plus grande osmose encore pour les
« plus riche/moins pauvre » que celui correspondant femmes) avec une alimentation plus molle, voire plus
de La Motte, d’où globalement la qualité alimentaire liquide, de qualité bien moindre, que le bol alimentaire
supérieure du Mollard sur La Motte. Il est néanmoins plus compact, riche et varié du Mollard. Le Mollard se
difficile de préciser l’origine de la différenciation ali- sépare une nouvelle fois des autres sites locaux, de
mentaire au sein du Mollard. Cette séparation n’est culture antiquisante, par ses habitudes culinaires diffé-
pas sexuée, hommes et femmes participant aux deux rentes. L’importance de ces changements, concernant
groupes alimentaires repérés, mais peut être socio- globalement la population, prouve qu’ils furent initiés,
économique, et/ou chronologique, et/ou liée à des et imposés à tous, par des groupes dirigeant le site
pratiques culinaires (et donc culturelles) différentes. (et non pas seulement mêlés à la population du site)
La première période du Mollard semble disposer de appartenant sans doute aux groupes immigrés suc-
cessifs. L’étude de la dentition des individus de Larina
24. Une étude paléo démographique limitée à la population en pleine
montre ainsi d’abord une différenciation culturelle de
terre considérée comme seule représentative de l’établissement tar- l’alimentation entre La Motte et Le Mollard, puis de
doantique, restitue l’existence simultanée alors de 5 à 6 familles sur surcroît une augmentation des différenciations socio-
une occupation de 100 ans, ou 4 familles sur 125 ans, face aux 6 économiques au sein du Mollard.
habitations du site alors. L’homogénéité de la population est malgré
tout moins grande que pour l’ensemble de La Motte (avec les deux ty-
pes de tombes), avec une sur-masculinité importante (près du double  es modes de vie et une mortalité
D
d’hommes que de femmes). De même l’espérance de vie à la naissance, aussi différents
globalement de 33,9 ans à La Motte, se répartit en fait en 31,1 ans
pour les tombes en pleine terre, et 34,4 ans pour les coffres de lauzes, Les méthodes d’analyses multivariées appliquées
ce qui les différencie beaucoup. Cette hypothèse est donc possible, aux nombreuses mesures prises sur les squelettes, et
mais moins probable que celle considérant l’ensemble de La Motte associées à des méthodes de classification automati-
comme une population unique. La différence d’espérance de vie peut
en effet aussi correspondre à des critères socio-économiques au sein
ques, ont recherché les différenciations possibles au
d’une même communauté. Les faits sont là mais les interprétations
peuvent être très différentes les unes des autres… L’apport de la paléo 25. Le combattant négroïde inhumé dans cette chapelle continue
anthropologie aux études archéologiques est néanmoins considérable, néanmoins à se distinguer en disposant lui d’un bol alimentaire riche,
ces questions n’étant sans ces études même pas discutables ! compact et varié !

Des populations métissées révélatrices d’une évolution socio-politique • 157


Fig. 817 – Sépulture traumatisée tardive dans l’église
du Mollard (ill. P. Porte).

sein de la population inhumée. Si beaucoup n’ont Fig. 818 – Rare sépulture double au Mollard
permis que de préciser la caractérisation des indi- (chapelle sud ouest). (Ill. P. Porte)
vidus, d’autres ont ouvert de nouvelles perspectives
sur le peuplement du site. Les hommes et femmes néité de la population féminine. On a vu également
du Mollard se différencient ainsi globalement de que quelques éléments extérieurs masculins sont
ceux de la Motte et des autres sites de plaine. Tous venus nuancer l’endogamie mais sans pour autant
les changements déjà évoqués dans les activités, modifier notablement les grandes caractéristiques
l’alimentation, les différents types de traumatismes morphologiques du groupe. L’écart entre les valeurs
subis…, avec leurs conséquences morphologiques, masculines et féminines des statures est en effet élevé
contribuent en effet à modifier considérablement les (13,6 cm), amenant un indice de dimorphisme sexuel
modes de vies et l’état sanitaire de la population, de 108,7. Or, dans une population homogène, non
tels que l’on peut déjà les restituer pour La Motte. soumise à de forts mouvements migratoires, l’indice
Quelques exemples montrent cette évolution de la de dimorphisme « équilibré » devrait être de 100 et se
population vers une meilleure époque parfois, dans traduire par un écart de stature entre hommes et fem-
les difficultés et la précarité de siècles encore obscurs mes d’environ 10 cm. Cet équilibre peut néanmoins
pour d’autres situations (Fig. 817). être perturbé, même dans une population homogène
Le contour crânien horizontal a peu varié chez comme celle de La Motte. L’un des facteurs impor-
les hommes mais, chez les femmes, l’indice crânien tants de ce dimorphisme vient alors en général de
horizontal est nettement plus faible. Cette nette évo- la précocité des mariages, qui entraîne grossesses et
lution du contour crânien horizontal des femmes accouchements également précoces, et qui a pour
du Mollard et la baisse de l’indice de masculinité, conséquence de freiner la croissance des femmes.
associées à la diminution de l’écart entre les statures Cette situation caractéristique de La Motte est consi-
masculines et féminines des deux nécropoles, témoi- dérée également comme le reflet d’une société domi-
gnent ainsi anthropologiquement d’importants chan- née par les hommes, avec une forte endogamie du
gements dans les conditions de vie de la population groupe, assez peu ouvert sur l’extérieur.
féminine entre La Motte et Le Mollard. À La Motte, Au Mollard ensuite, cette même étude révèle une
ces analyses morphologiques et les résultats des tests société bien plus ouverte, où sont aussi arrivées avec
de Howells attestent d’abord de l’existence de petites les immigrés des femmes extérieures de plus grandes
femmes graciles originaires de la région vivant dans statures (Fig. 818). Le résultat du test de Howells
une communauté refermée sur elle-même, avec une révèle une hétérogénéité morphologique plus forte
forte endogamie originelle qui contribue à l’homogé- que dans la population de La Motte. Une différence

158 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


de variation plus élevée de l’indice crânien horizon-
tal26 entre hommes et femmes peut signifier un chan-
gement dans la structure biologique et les condi-
tions de vie de la population féminine, elles-mêmes
responsables de changements morphologiques. Or
l’indice de masculinité subit aussi une légère baisse
entre les nécropoles de La Motte et du Mollard27 avec
une diminution de l’écart entre les statures masculi-
nes et féminines. Tout semble se passer comme si la
situation des femmes avait changé d’un site à l’autre.
Une simple évolution interne du groupe pourrait-elle
expliquer les changements observés ? Si les seules
valeurs moyennes de la stature pourraient se satis-
faire de cette explication, les valeurs atteintes pour
les mesures les plus élevées dans les deux sites sem-
blent contredire cette hypothèse. En effet, un accrois-
sement de 16 et 14  cm semble difficile à atteindre
en un siècle au haut Moyen Âge28. Il semble donc
vraisemblable d’envisager une nouvelle fois que des
hommes et des femmes, provenant d’une région où
la taille était plus grande et dont les modes de vie
étaient différents, soient venus s’installer à Larina au
vie siècle. Les modifications significatives du régime
alimentaire général évoquées auparavant, avec donc
un changement brutal des habitudes culturelles, ont
amené aussi ces modifications morphologiques des
femmes au Mollard. L’évolution constatée peut aussi
être mise localement en relation avec le passage
d’une situation endogame à une situation exogame,
à une mixité certaine entre les populations anté-
Fig. 819 – Relevé de sépulture du Mollard (ill. P. Porte).
rieures autochtones du site et les nouveaux immi-
grés. Les mariages et grossesses semblent également
moins précoces au Mollard qu’à La Motte, amenant générale, à la naissance comme à vingt ans, baisse en
un changement important des conditions de vie des fait de La Motte au Mollard (Fig. 620)29. L’âge moyen
femmes sur le site. Chaque communauté de Larina, au décès change par suite un peu, de 55 ans à La
pourtant socio-économiquement et culturellement Motte à 54,4 ans au Mollard malgré l’amélioration des
bien différenciée, ne vit donc pas de manière sépa- conditions de vie. Cela montre qu’en réalité des évé-
rée mais se mélange à l’autre sur le site. Le maintien nements comme des maladies, accidents, combats…
dans la durée des caractères morphologiques prin- rendaient la vie plus difficile au Mollard qu’à La Motte,
cipaux de la population de La Motte, et la diminu- avec une mortalité adulte ainsi supérieure au final
tion des caractères particuliers entre les différentes à l’époque mérovingienne que pendant l’Antiquité
phases des deux nécropoles, montrent même que tardive. Mais une analyse par sexe de l’espérance de
ces unions amènent la « digestion » des caractères vie à la naissance sur les deux sites évoque une réa-
morphologiques encore septentrionaux par les for- lité en fait plus complexe30. La différence principale
mats antiquisants majoritaires. Si cette situation n’est provient des femmes qui passent d’une situation très
bien sûr pas exceptionnelle, il n’est pas si fréquent favorisée à La Motte à une situation plus difficile,
de pouvoir attester cette évolution sur un site. mais habituelle à ces époques, au Mollard (Fig. 622).
Les changements de mode de vie ont naturelle- Les hommes, à l’inverse mais de façon bien plus
ment des conséquences sur la mortalité des individus modeste, gagnent un peu en espérance de vie de La
(Fig. 819). Mais alors que l’évolution de plusieurs Motte au Mollard malgré l’impact des combats sur
indices (hausse générale des statures, amélioration du la mortalité (Fig. 621). Ainsi, alors que des critères
bol alimentaire, augmentation de l’âge au mariage…) morphologiques montrent que la condition féminine
semble bénéfique à la population, l’espérance de vie s’améliore entre les deux sites, ce sont surtout les
difficultés quotidiennes, les maladies… qui font vivre
26. Évolution du contour crânien horizontal de La Motte au Mollard : de
76,8 à 77,1 pour les hommes ; mais de 80,2 à 78,1 pour les femmes.
moins longtemps les jeunes (surtout) femmes du site
27. De La Motte au Mollard, évolution de l’indice de masculinité de
108,7 à 107 ; écart entre les statures masculines et féminines des 29. Espérance de vie générale de la population, pour La Motte : 33,9 ans
deux nécropoles de 14 à 11,2 cm. à la naissance, et 34,7 à vingt ans ; pour Le Mollard 33,1 et 34,1 ans.
28. Au Mollard, 1,95 m pour les hommes et 1,74 m pour les femmes 30. Espérance de vie par sexe à La Motte : 51,9 ans pour les hommes
alors qu’elles étaient de 1,79 m à La Motte pour les hommes et 1,60 m et 59,8 ans pour les femmes ; au Mollard : 52,7 ans pour les hommes
pour les femmes. et 55,9 ans pour les femmes.

Des populations métissées révélatrices d’une évolution socio-politique • 159


à l’époque mérovingienne. La répartition des trauma- des sociétés préindustrielles, les courbes de mortalité
tismes domestiques à La Motte nous avait pourtant des deux nécropoles de Larina sont pratiquement
déjà prouvé que la vie des hommes était alors dans confondues sur la durée, nuançant donc les différen-
les labeurs agricoles encore plus difficile que celle ces rencontrées (Fig. 625). On y trouve néanmoins
des femmes. La légère amélioration de l’espérance des niveaux de mortalité légèrement supérieurs à
de vie masculine au Mollard est donc peut-être à ceux de la courbe de référence liés, sans doute, aux
lier à cette société plus ouverte et dynamique qui se conditions de vie globalement plus difficiles sur le
met en place sur le site à l’époque mérovingienne. site au haut Moyen Âge.
Les hommes jeunes meurent un peu plus vite à la Les habitants du site étaient-ils nombreux ? De
Motte qu’au Mollard, alors que, pourtant, les adultes nombreuses incertitudes demeurent dans ce domaine
combattants du Mollard meurent jeunes (et parfois compte tenu des parties manquantes des nécropoles,
très jeunes, plusieurs combattants traumatisés de la et de celles de certains habitats notamment populai-
chapelle sud-ouest sont encore des adolescents). res. Les superficies fouillées, considérables, facilitent
Mais dans ce cadre, les hommes ont ainsi, dans les néanmoins l’appréhension de la situation, que des
deux cas, une espérance de vie moins bonne que modèles statistiques, permettant de compléter des
celle des femmes qui vivent chaque fois malgré tout manques dans la population, confirment dans ses
plus âgées. C’est donc en fait uniquement à cause grandes lignes. Plus gênante en fait est l’obligation
de la bonne situation de la mortalité des femmes de de traiter chaque nécropole comme un tout unitaire,
La Motte que l’on a cette impression globale d’une alors que l’on sait qu’elles recouvrent des étapes
dégradation de vie entre La Motte et Le Mollard, successives bien différentes, avec même des recou-
entre l’Antiquité tardive et l’époque mérovingienne pements d’occupation.  La restitution paléo démo-
(Fig. 820). Les tables de mortalité et les histogram- graphique de la population atteste malgré tout un
mes montrent également une légère différence entre doublement du nombre de familles sur le site entre
les profils généraux des deux sites, notamment avant La Motte et Le Mollard autour du vie siècle. Aucune
et après 60 ans. Si la mortalité jusqu’à 30 ans reste évolution naturelle ne pouvant permettre le double-
chaque fois importante, les décès à La Motte sont ment d’une population sur un site en un demi-siè-
moins nombreux ensuite dans les premières classes cle au plus, cela contribue aussi à prouver l’arrivée
d’âges adulte et plus nombreux à partir de 60 ans, à d’immigrants entre les deux grandes périodes, puis
l’inverse du Mollard, ce qui peut traduire ces varia- pendant le haut Moyen Âge, aux côtés des colons
tions de conditions de vie entre La Motte et Le Mol- (tous indigènes ?) de la fin de l’Antiquité. Sept à dix
lard. La nature et le nombre limité des échantillons familles pour La Motte, seize à vingt au Mollard, sont
étudiés ne permettent néanmoins pas de connaître donc les types de peuplement proposés globalement
l’évolution entre les deux phases mérovingiennes, par grande période. Mais selon les configurations
de type d’occupation pourtant très différent, ce qui retenues31, ces chiffres sont plutôt des maximums et
nuancerait peut-être cette vision linéaire. si on intègre les recoupements et ruptures brutales,
le site devait être en fait assez peu peuplé : cinq à
six familles permanentes pendant l’Antiquité tardive,
une douzaine au plus au haut Moyen Âge, expliquant
aussi la faiblesse du nombre d’habitations.

Dans la plaine, des populations


complémentaires à celles de Larina
En complément de l’étude paléoanthropologique
des nécropoles de Larina, il convient de préciser en
parallèle la situation particulière des deux autres
nécropoles principales du territoire. Au Vernai de
Saint-Romain-de-Jalionas32, 28 adultes se répartissent
presque à égalité entre hommes et femmes. Ils sont
Fig. 820 – Sépultures d’enfant en bas-âge et de bébé inhumés dans des coffres de lauzes est-ouest dans
sur La Motte (ill. P. Porte). l’oratoire à abside outrepassée de l’ancienne villa anti-
Tous les changements de mode de vie évoqués
31. Par exemple, à partir du même nombre de sépultures inhumées
sont, une fois encore, trop profonds et rapides pour en pleine terre sur La Motte : répartis sur un demi-siècle, les calculs
provenir seulement de l’évolution d’une population donnent une dizaine de familles vivant simultanément sur le site, mais
soumise aux aléas d’un environnement régional pour un siècle 5 à 6 familles, et pour 125 ans, 4 familles seulement.
devenu difficile. Ils témoignent aussi de perturba- Les données archéologiques et la chronologie du site ne sont ainsi pas
assez précises et nombreuses pour donner autre chose que des répon-
tions profondes, physiques et culturelles, directe- ses indicatives à la question.
ment dans les modes de vie de la, des populations 32. Etude par Luc Buchet, CEPAM du CNRS. Seules sont concernées ici
occupant Larina. Comparées à la courbe de référence les sépultures mérovingiennes.

160 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


relles très antiquisantes, contrairement aux bâtiments
mérovingiens de Larina pour cette même époque.
Il est ainsi notable que Saint-Romain témoigne d’un
maintien dans la plaine de populations aristocratiques
de morphologie et de culture plutôt antiques dans
une villa renouvelée, alors que Larina est réorganisé
au même moment sur le plateau sous l’impulsion de
populations d’aspects et de cultures, architecturales et
matérielles, plus septentrionales.
La nécropole des Grands-Peupliers à Hières-sur-
Amby33 constitue, elle, le seul autre point de peuple-
ment intermédiaire du haut Moyen Âge fouillé sur le
territoire au pied de la forteresse (Fig. 822). Ce site
fut créé ex nihilo dans la plaine à la fin de l’époque
mérovingienne, sur une moraine surplombant la der-
nière terrasse du fleuve à proximité de la voie antique.
La prospection y a livré du matériel des viie-ixe siècles
associé à des morceaux de torchis qui prouvent la pré-
sence à proximité d’un habitat en matériaux périssa-
bles. Une cinquantaine de tombes en coffres de lauzes
Fig. 821 – Plan des sépultures liées à la salle à abside et en moellons constitue la nécropole fouillée sur le
de la villa de Saint-Romain-de-Jalionas sommet de la butte. L’étude anthropologique a mon-
(ill. N. Bernigaud d’après R. Royet) tré la présence d’un groupe restreint de quatre à cinq
familles au maximum ayant vécu sur le site pendant
que, autour d’une tombe privilégiée (dite du cavalier) trois ou quatre générations, soit un siècle environ,
par ses traumatismes caractéristiques, mais aussi dans avec des pratiques d’endogamies importantes. Globa-
le reste de la nécropole (Fig. 821). L’étude anthropo- lement, la population est le reflet d’un métissage très
logique restitue une population homogène de stature compréhensible dans la vallée du Rhône. La popu-
assez élevée (moyenne des hommes à 1,73 m) mais lation féminine présente néanmoins des caractères
de morphologie plus gracile, encore antiquisante. Or plus homogènes que la population masculine parmi
cette première phase de la nécropole est datée (notam- laquelle la présence de quelques individus de type
ment par des analyses C14) des vie-viiie siècles, soit plus septentrional, inhumés les uns à côté des autres,
plus d’un siècle après l’abandon probable de la villa doit être notée. La stature moyenne des hommes est en
tardoantique, et donc de datation plus comparable au effet élevée (1,71 m comme au Mollard, et à la limite
Mollard qu’à La Motte pour Larina. On a vu aussi que haute de La Motte), mais il n’y a par contre aucun
la nécropole semble de surcroît à lier à une demeure
aristocratique voisine au plan et aux influences cultu- 33. Porte P. et Buchet L. (1985)

Fig. 822 – Typologie des sépultures de la nécropole des Grands-Peupliers.

Des populations métissées révélatrices d’une évolution socio-politique • 161


« très grands », contrairement au plateau. Si le site livre Motte et à celles des sites de plaine, antérieurs comme
un nombre d’enfants normal pour une communauté postérieurs, plus proches entre eux. Cette différencia-
homogène, la sur-masculinité serait par contre une des tion marquée ne peut provenir d’une simple évolu-
caractéristiques du groupe. Ces différents éléments font tion mais témoigne plutôt de ruptures dans les modes
supposer l’implantation au sein des populations loca- de vie et pratiques sociales des individus concernés,
les d’hommes venus d’horizons très divers à l’origine notamment féminins, compréhensibles seulement par
de la diversité morphologique observée. Les autres l’arrivée de groupes immigrés. Un certain nombre de
caractères paléo-démographiques décrivent enfin des familles (10 à 15 %), caractérisées par un format plus
caractères essentiellement villageois pour cette petite élevé et robuste d’abord, de types plus diversifiés
communauté, à l’hygiène déplorable mais au régime ensuite, ont immigré à Larina à l’époque mérovin-
alimentaire équilibré. Contrairement à Larina, la créa- gienne, sans doute en deux « vagues » complémentai-
tion de ce site intermédiaire ne s’explique donc pas res aux fonctions différentes. Leur format, inhabituel
par un apport massif de populations extérieures, mais localement, semble ainsi être hérité d’un fonds ancien
plutôt par une réorganisation du mode de peuplement plus septentrional que les individus retrouvés à La
préexistant dans la plaine, devenu plus éclaté qu’aupa- Motte et à Saint-Romain-de-Jalionas ou Briord/Les
ravant. Par contre, l’arrivée de quelques hommes de Plantées notamment pour la même époque. Ces nou-
format plus septentrional a été suffisante pour modi- veaux arrivants sont certes minoritaires (les principaux
fier rapidement les caractéristiques de la population de caractères morphologiques de la population globale
cette petite communauté. L’arrivée particulière d’aris- évoluent peu) mais déterminants, dirigeants, dans
tocrates guerriers sur le plateau semble donc surtout à l’organisation de la communauté comme l’a montré
relier à la fonction stratégique de Larina pour la région, l’évolution des pratiques alimentaires, ou celles de
contrairement au nouveau peuplement de la plaine, lui la condition féminine notamment. Les populations
anthropologiquement plus classique. d’origine autochtone sont restées malgré tout les plus
La population du Mollard montre donc des dif- nombreuses sur le site, et c’est à partir de leur subs-
férences morphologiques et socioculturelles impor- trat que s’est construite la population médiévale après
tantes et répétées par rapport à la population de La avoir assimilé les deux groupes immigrés.

162 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


Chapitre 5
D’une aristocratie foncière à une noblesse militaire
pour des stratégies territoriales différentes

L ’évolution des populations du site rencontre éga-


lement l’histoire politique et institutionnelle. L’ap-
port des archives et textes de référence est là d’autant
avec une certaine violence prouvée par la destruc-
tion radicale des édifices sur fondations de galets
et de moellons, et quelques inhumés traumatisés1
plus important qu’il s’agit de remettre en contexte un dans les niveaux correspondants de La Motte. Mais
établissement majeur de la région, à une période de la période de transition qui suit montre vite le retour
profonds changements pour la Gaule, romaine puis au calme et la mise en place sereine du nouveau
franque. Ces données historiques, bien qu’a priori domaine mérovingien. Dans une société organisée et
extérieures au site, ont plus de conséquences sur la policée, telle que celle qui existe encore alors dans
compréhension de Larina que les archéologues, pris la région sous le royaume burgonde, on peut penser
dans l’étude des cycles de culture matérielle, ne l’ad- que cette situation fut en fait encadrée juridiquement,
mettent encore trop souvent. si ce n’est organisée légalement.
Les textes antiques évoquent pour cela les règles
de l’hospitalitas qui organisaient le partage de
domaines d’origine gallo-romaine avec les nouvelles
Une réponse évolutive aux stratégies élites barbares. L’évolution de la propriété foncière
régionales des pouvoirs « barbares » ? du secteur sur la durée amène donc à rappeler l’exis-
tence de ce cadre juridique possible, soit la loi V du
L’arrivée de nouvelles populations sur le site au code théodosien puis la loi Gombette2 au ve siècle,
vie  siècle,et la création d’un nouveau domaine par dans l’explication de la situation mise en relief sur
démembrement d’une villa antique, se font dans un le terrain à Larina. Le partage originel, prévoyant
cadre organisé. Ces événements interviennent égale- que chaque guerrier pouvait occuper une partie de
ment alors que la région lyonnaise voit d’importants la demeure de l’hôte gallo-romain en toute posses-
changements se produire dans sa situation politique sion, fut en effet étendu au début du vie siècle aux
et institutionnelle. La comparaison avec les mesures domaines ruraux. Les rois burgondes en précisèrent
prises dans d’autres territoires mieux documentés les modalités dans des textes signés par Sigismond
permet ainsi de suggérer le développement de fonc- à Ambérieu, à 20 kilomètres au Nord de Larina : les
tions particulières pour les habitants de Larina. Cette deux tiers des terres arables furent octroyés à chaque
stratégie volontariste, initiée par un pouvoir extérieur, groupe de guerriers cantonné dans une villa, avec
s’appuie sur le développement d’un nouveau type de dans chaque villa plutôt le partage de la « réserve »
noblesse militaire et foncière. Celle-ci est amenée à que des « tenures colonnaires »3. Il est bien sûr difficile
remplacer sur le site l’ancienne villa mérovingienne d’appréhender ce que furent sur le terrain ce partage
de production agricole par un castrum fortifié aux et ses conséquences sur la cohabitation des commu-
fonctions plus liées au contrôle territorial. nautés4, que ce soit à la base sur les guerriers et le

Un démembrement et un partage 1. Deux sépultures de La Motte présentent des blessures par arme
blanche sur le crâne, mortelle dans l’un des cas.
du territoire juridiquement encadré ? 2. Lex Burgundionum, MGH, Leges, t. II 1, Hanovre 1892
Au début du vie siècle, le domaine mérovingien de 3. Perrenot Th. (1952)
Larina est ainsi créé par démembrement d’une villa 4. Notons néanmoins une remarque énervée de Sidoine Apollinaire qui
précise en 470 à un ami que, parmi les maux endurés par ses compa-
tardoantique de la plaine, dont dépendait l’annexe triotes de la région lyonnaise à cause du chef barbare Séronat, il y a le
étudiée sur le plateau, peut-être celle du Vernai à fait « qu’il remplit chaque jour les fermes d’occupants barbares ». Lettre
Saint-Romain-de-Jalionas. Cette action se fait d’abord à Ecdicius, II-1

D’une aristocratie foncière à une noblesse militaire pour des stratégies territoriales différentes • 163
petit peuple, ou au niveau des élites et aristocrates.
La conquête franque ne mit pas fin ensuite au régime
de l’hospitalitas, au contraire, puisque les francs pri-
vilégièrent, de manière semble-t-il moins nuancée
qu’auparavant d’après les textes, les actions de colo-
nisation sur les territoires conquis pour assurer leur
pouvoir. Des historiens5 ont pu certes estimer que ce
partage fut souvent théorique et remplacé par l’oc-
troi d’une somme d’argent correspondante. Mais la
remarque énervée de Sidoine Apollinaire, ou le cha-
pitre LIV de la loi Gombette, qui règle les problèmes
posés par les barbares ayant pris plus que leur dû ou
des terres auxquels ils n’avaient pas droit, comme le
chapitre LV qui gère lui les problèmes posés sur le
terrain par l’application des partages dans le cadre
de l’hospitalitas, renvoient à des situations pratiques
vécues, et non pas à des problèmes de paiements de
compensations financières. L’archéologie peut ainsi
se rapprocher de la réalité des textes antiques…
Les historiens6 s’accordent néanmoins pour consi-
dérer qu’après leur implantation dans la région, les
burgondes, en fait peu nombreux, ne se dispersèrent
pas dans la population existante mais préférèrent le
Fig. 823 – Le royaume burgonde au vie siècle.
regroupement de détachements dans des villes et
sites, sans que cela d’ailleurs n’empêche leur rapide
assimilation (Fig. 823). La correspondance d’évêques,
comme St Avit de Vienne, mentionne en effet une vie
de sénateurs gallo-romains pratiquement inchangée,
séjournant toujours à la fin du ve  siècle dans leurs
domaines ruraux du Nord-Isère, mais avec une vie
devenue plus calme, assurée, qu’auparavant grâce à
un gouvernement burgonde stable7.
Ces changements juridiques, de succession assez
rapide, prennent place à la fin du ve siècle et au début
du vie siècle. Or, on ne peut s’empêcher de noter que
cette période est aussi pour Larina celle des impor-
tants changements dans l’occupation du sol, avec la
destruction rapide de l’établissement de la fin de l’An-
tiquité et la construction de la première villa méro-
vingienne, au type déjà très septentrional même si
des caractères encore antiquisants sont encore nom-
breux. De là à penser qu’alors le hameau d’exploitants
d’une partie de la réserve d’une grande villa gallo-
romaine implantée dans la plaine fut rasé, après avoir
été affecté à un groupe barbare « de grandes statures »
(plutôt burgonde compte tenu de la chronologie ?) qui
y construisit son propre domaine autour de la famille
de son chef, il n’y a qu’un pas qu’on se devait d’évo-
quer, si ce n’est de certifier (Fig. 824)… Il convient
d’ailleurs de noter aussi que les importants chan-
gements sociopolitiques ci-dessus se font dans un Fig. 824 – Carte de répartition d’objets de culture burgonde
cadre de culture matérielle qui, lui, ne montre pas de caractéristiques, dont les crânes déformés.
changements majeurs, avec une lente évolution des
différents types de matériels, notamment les cérami- se font ainsi encore au début du vie siècle dans une
ques, utilisés pendant toute la période. Seul l’apport société où les échanges et la consommation ne sont
en quantité et qualité de quelques objets plus sep- pas perturbés significativement.
tentrionaux s’ajoute au mouvement de fond régional. La caractérisation du site change ensuite courant
Les mutations envisagées dans le monde des potentes viie siècle avec la transformation de la villa de produc-
tion agricole en castrum fortifié, peut-être à la suite
5. Goffart W. (2006), Pohl W. (1997)
6. Guichard R. (1965), Perrin O. (1968), Escher K. (2006) de l’arrivée sur le plateau d’une troupe de cavaliers
7. Werner K. F. (1984), Geary P. J. (1989) et guerriers bien plus frustes dans leurs techniques

164 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


données anthropologiques et les nouvelles traditions
culturelles et économiques septentrionales du site
avec ces éléments ?

Le contrôle armé d’un territoire lyonnais


à surveiller ?
Des études9 sur les forteresses de hauteur médi-
terranéennes, mieux dotées en textes anciens, évo-
quent la fonction administrative et juridique de ces
sites. On peut percevoir ces fonctions territoriales par
le biais de possibles églises paroissiales, mais aussi
par l’évocation de ressorts de justice et de comman-
dement, ou simplement par leur situation stratégique
comme on l’a vu pour Ecrille, La Malène, Piégu et
bien d’autres. Cela conduit finalement à considérer
une partie de ces forteresses comme des sites dotés
d’une certaine importance politique, territoriale. La
fonction paroissiale de Larina, suggérée par le plan
et la répartition des espaces de l’église du Mollard est
loin d’être acquise, l’abandon du site pouvant aussi
s’interpréter comme un regroupement de la com-
munauté auprès d’un siège paroissial, comme Saint-
Fig. 825 – Casque mérovingien dit de Clodomir trouvé
Etienne-de-Hières, dans la plaine. Mais ces éléments
à Vézeronce (ill. Musée Dauphinois, Grenoble). conduisent à une réflexion complémentaire sur la
fonction de Larina dans son territoire, et les moda-
lités de son peuplement. Outre les intérêts propres
constructives et leurs besoins architecturaux ; mais des occupants du site ayant motivé leur implantation
aussi avec une culture matérielle et une économie, sur ce plateau, l’importance stratégique du site et sa
un type d’élevage et des habitudes alimentaires, des puissance évocatrice dans le paysage n’ont pu échap-
objets en métal… très septentrionaux, pour ne pas per aux dirigeants régionaux (Fig. 826). La possible
dire de culture plutôt franque. Cette transformation ne fonction administrative de ces forteresses de hauteur
semble pas non plus se faire dans un cadre paisible : interroge sur les liens de Larina avec les villes voi-
les subdivisions et transformations dans le bâtiment sines, sur l’existence de réseaux avec elles, et sur la
I (dont la destruction de la partie nord de la galerie) notion de contrôle des frontières de ces territoires
et la destruction complète de la première église (avec comme on l’a vu pour plusieurs autres exemples
des traces d’incendie partiel) ne plaident pas pour comparables.
une continuité d’occupation avec la première famille Avec ses vingt-et-un hectares, ce vaste domaine
aristocratique mérovingienne, si ce n’est burgonde. fortifié (l’un des plus grands inventoriés en Gaule)
Dans la région, Grégoire de Tours8 raconte au vie siè- devait ainsi servir de refuge aux populations envi-
cle, qu’à la suite du partage du royaume burgonde ronnantes de la plaine suivant un modèle, et des
entre Théodoric et les fils de Clovis en 523, plusieurs besoins, bien connus par les textes, notamment de
guerres s’ensuivirent dont la bataille de Vézeronce Grégoire de Tours. Mais il devait aussi servir de point
en 524, à une vingtaine de kilomètres au Sud-Est d’appui militaire et de contrôle stratégique du terri-
de Larina (Fig. 825). Malgré la mort sur le champ toire pour ses occupants et leur souverain. Le nou-
de bataille de Clodomir, roi des Francs, les événe- veau castrum constitue en effet d’abord une défense
ments permirent la mainmise du royaume franc sur avancée et un point d’appui dans un territoire fronta-
toute la région à partir de 534, avec le remplacement lier pour le diocèse de Vienne10 : le découpage pré-
progressif des aristocrates burgondes de tradition cis des « frontières » à cet endroit suit les cours d’eau
gallo-romaine par des chefs francs de culture très dif- entourant la pointe nord du site à 500 m près pour
férente. Il est évident que cette mainmise ne put se le maintenir, volontairement et exceptionnellement,
faire sans une redistribution partielle des richesses, dans le Viennois.
donc des terres, des domaines, qui durent s’adap- Mais, plus globalement, les falaises du site consti-
ter au mode de vie de leurs nouveaux propriétaires, tuent le premier relief significatif à l’Est de Lyon à tra-
certes peu nombreux au demeurant vu l’importance vers la plaine du Velin, et les contours de la ville sont
que garda l’ancienne aristocratie auprès de ses nou-
veaux maîtres. Il est toujours difficile de relier des 9. Schneider L. (2004)
faits archéologiques ponctuels à des événements his- 10. Au niveau « géopolitique », on notera que l’importance de l’empla-
cement du castrum pour l’évêque de Vienne est du même type que celle
toriques mais comment ne pas mettre en rapport les de l’oppidum allobroge pour sa capitale, Vienne, à la fin de la Proto-
histoire… Les intérêts liés aux limites de Cités demeurent à travers les
8. Histoire des Francs, livre III chap. 6 siècles !

D’une aristocratie foncière à une noblesse militaire pour des stratégies territoriales différentes • 165
Fig. 826 – Vue aérienne des falaises et du site de Larina (ill. P. Porte).

bien visibles du site, comme celui-ci l’est d’ailleurs


de la colline de Fourvière : « de Larina on voit bien
quand Lyon brûle » disent encore les anciens du pla-
teau… C’est donc aussi de ce côté qu’il faut recher-
cher l’importance stratégique du castrum, le meilleur
emplacement pour contrôler tous les mouvements
nord/sud dans les vallées du Rhône et de l’Ain à ce
niveau (Fig. 827). Or ceux-ci sont nombreux et dan-
gereux aux vie-viie siècles11  : régulièrement, le pas-
sage des armées dans la plaine entre Lyon et Larina
saccage le pays. De même, si on ne connaît pas vrai-
ment l’attitude des Francs après leur victoire sur les
Burgondes en 534, on sait par les textes antiques
que leurs rapports avec les aristocraties régionales
ne furent pas très bons12, avec des problèmes pour
l’affirmation de leur emprise sur le territoire face aux Fig. 827 – Entre les collines de Lyon et le plateau de Larina,
évêques et à l’aristocratie d’origine sénatoriale. les plaines du Rhône et de l’Ain (ill. P. Porte).
Dans ce même type de situation et à la même
la cité d’Arles suite à des troubles : une partie des for-
époque, à titre de comparaison, Grégoire de Tours
teresses de hauteur mérovingiennes du secteur, dont
indique13 que Gontran installa plus de 4 000 hommes
celle de Ugernum/Beaucaire, ont dû ainsi répondre à
dirigés par un nouveau duc pour tenir les frontières de
cette situation et contribuer à la fois au contrôle et à la
11. Par exemple, parmi d’autres mentions similaires, pour le vie siècle : protection d’Arles (Fig. 828). Ce type de rapport des
« Les peuples qui habitaient au-delà de la Saône, du Rhône et de la Seine, forteresses de hauteur au territoire se retrouve notam-
ayant fait leur jonction avec les Burgondes, causèrent de grands ravages ment avec les castra pyrenaïca. De même, aux confins
tant aux récoltes qu’au bétail sur les rives de la Saône et du Rhône. Tandis
qu’ils perpétraient de nombreux homicides, incendies et pillages dans leur
de la Septimanie wisigothique, dans les cités de Tou-
propre pays, allant jusqu’à dépouiller les églises et à assassiner même des louse, Albi et Rodez, les lendemains de la conquête
clercs ainsi que des prêtres et le reste de la population, ils s’avancèrent franque de 507/508 sont problématiques14. La prise de
jusqu’à la ville de Nîmes. » Grégoire de Tours, Histoire des Francs, VIII-30
(début)
Toulouse par les Francs y amène la reprise en main de
12. Reynaud J. F. (1998)
13. Histoire des Francs, VIII-30 (fin) 14. Boudartchouk J. L. (2005)

166 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


Fig. 828 – Guerrier mérovingien défendant une ville Fig. 829 – Évolution territoriale du royaume franc :
sur une enluminure (ill. P. Porte). des conquêtes successives.

l’épiscopat puis celle des cités voisines. On voit alors D’autres objets de même provenance septentrionale
des vacances de sièges épiscopaux en parallèle à des caractéristique, datés de la première moitié du vie siè-
raids militaires suivis d’une occupation du territoire cle, sont disséminés autour des villes sur le territoire
par l’armée franque. Sur le plan archéologique, les des cités concernées mais leur interprétation reste
témoignages de la conquête et de l’occupation fran- plus délicate en l’absence de séries. Le forum de
que sont peu nombreux mais spectaculaires. On citera Rodez et le castellum de Séverac ont néanmoins livré
pour mémoire la nécropole franque de la Gravette à en stratigraphie un ensemble de céramiques septen-
Ictium (L’Isle-Jourdain, Gers)15, occupée le long d’une trionales de cette époque qui témoignent aussi d’un
voie stratégique par un groupe franc caractéristique. possible maillage du territoire par des groupes de
Ce groupe culturel exogène, unique à ce jour dans la guerriers francs après leur conquête de la Septimanie
région, s’est dévoilé à travers la fouille de sa nécropole, wisigothique. Dans d’autres régions aussi, comme en
bien distincte du complexe paléochrétien voisin. Cin- Auvergne, et par exemple à La Malène pour l’archéo-
quante-deux sépultures en coffre de bois sont orien- logie16 entre les mondes francs et wisigothiques, ou
tées en rangées nord-sud, quarante-cinq possédant un plus généralement dans les descriptions de Grégoire
mobilier caractéristique des groupes francs les plus de Tours notamment, les forteresses de hauteur peu-
septentrionaux du royaume mérovingien (Moselle et vent être des « points d’appui » francs, sur une frontière
Picardie notamment) et inhabituellement riche pour la ou un territoire nouvellement conquis, ou à l’aristo-
région. La majorité des sépultures masculines a livré cratie locale rebelle, qu’il convient de contrôler plus
ainsi des armes caractéristiques de la première moitié militairement (Fig. 829). Plus au Nord de la Gaule,
du vie siècle (lances, flèches, haches d’armes et francis- cette stratégie de contrôle territorial par l’aristocratie
ques) appartenant à deux générations environ, dont militaire franque apparaît plus particulièrement dans
également des femmes. Le mobilier, les usages funé- des tombes privilégiées. Au nord de Paris, les cinq
raires, ainsi que l’anthropologie biologique témoignent sépultures (dont une femme) de la nécropole de Lou-
bien du caractère exogène de ce groupe humain, ren- vres disposent d’armes, bijoux, vaisselle métalliqu et
voyant l’image d’un groupe social très nettement diffé- de verre, caractéristiques du monde franc. La richesse
rencié de la population locale. Le chercheur, Jean-Luc et le type même des ces objets attestent de l’impor-
Boudartchouk, conclut de son étude que « la présence tance du petit groupe d’arsitrocrates inhumé là autour
de ce groupe répond sans doute à un impératif politi- d’un chef franc. La nécropole mérovingienne d’Hé-
que et militaire de maîtrise des nouveaux territoires genheim (Haut-Rhin)17 a livré de même à sa marge les
conquis. Doté de sa propre nécropole, ces membres sépultures sous tumulus des dirigeants de la commu-
portent un costume particulier et mettent en exergue nauté : ces très riches tombes du vie à la fin du viie siè-
les marqueurs sociaux de leur appartenance au peu- cle disposent d’un abondant mobilier militaire et de
ple franc, jusqu’à utiliser des céramiques importées bijoux de culture franque caractéristique. Ces monu-
du nord du royaume mérovingien. Cependant leurs ments funéraires montrent sans doute l’ancrage d’un
descendants seront acculturés dès le milieu du vie siè- nouveau pouvoir territorial des francs dans un secteur
cle : ils seront alors inhumés dans la nécropole voisine, stratégique de la haute plaine rhénane, sur la rive gau-
près de l’église au sein de la population autochtone ».
16. Lontcho F. (2010) : fouilles L. Schneider
15. Bach et Boudartchouk J. L. (1998), et notice dans CatteddU I. (2009) 17. Catteddu I. (2009)

D’une aristocratie foncière à une noblesse militaire pour des stratégies territoriales différentes • 167
Fig. 830 – À gauche, tombes des chefs francs de Saint-Dizier (Haute-Marne) : restitution par L. Juhel d’une chambre funéraire
masculine avec son mobilier funéraire (Fouilles M. C. Truc, INRAP). À droite, nécropole d’Hegenheim (Haut-Rhin) :
inhumation d’une jeune femme de statut élevé avec son riche mobilier funéraire (Fouilles D. Billoin, INRAP).

che du fleuve près de Bâle (Fig.  830). De même à rogénéité du peuplement. L’évocation d’un mode de
Saint-Dizier (Haute-Marne)18, les tombes sous tumulus vie aristocratique, avec chasses et banquets, apparaît
de trois chefs francs, enterrés avec leurs chevaux, dis- également dans le reste du mobilier, notamment la
posent d’un très riche mobilier funéraire (armement vaisselle de bronze et de verre.
et bijoux). Cette architecture funéraire élaborée et Ces exemples, assez caractéristiques des fonctions
ces objets du vie  siècle provenant d’un même hori- tant de l’aristocratie que des forteresses de hauteur
zon chronologique et culturel standardisé traduisent par rapport au territoire environnant, doivent amener
la volonté de montrer l’appartenance des défunts à un ainsi naturellement à s’interroger également sur le
groupe sociopolitique bien défini, investi de fonctions rôle éventuel de Larina pour les campagnes lyon-
dirigeantes sur le territoire environnant. Si les tombes naises : n’a-t-on pas là une forteresse réorganisée, si
franques de ce type (dit de Morken), les plus préco- ce n’est fondée, par le nouveau pouvoir franc pour
ces, occupent plutôt le centre du royaume franc, on asseoir son contrôle sur l’Est-Lyonnais et la vallée du
doit noter que les suivantes sont situées sur ses mar- Rhône ? Les découvertes de « culture et de peuple-
ges, dans les territoires successivement conquis. Leur ment barbares » réalisées à Larina ouvrent dans ce
rôle militaire et stratégique ne fait aucun doute selon cadre des perspectives complémentaires.
Patrick Perin  : pour consolider sa conquête, Clovis Sur le plan culturel d’abord, la construction du
puis ses descendants durent fixer une élite guerrière bâtiment I (adaptée de la maison-longue germani-
pour s’assurer ainsi le contrôle des territoires nouvel- que), et le mode de vie septentrional dans les édi-
lement conquis. fices, présentent un faciès particulier éloigné des
Cette situation concerne souvent en Gaule le pou- traditions antiques, ou même « barbares romanisés »
voir franc sur les franges de son expansion, mais on comme l’est la villa mérovingienne voisine de Saint-
la retrouve aussi en Italie du Nord. Le castrum de San Romain-de-Jalionas à la même époque. Il convient
Antonio di Perti y est ainsi considéré comme un outil également de rappeler que le mobilier funéraire
de contrôle du secteur par le pouvoir byzantin. Plus recueilli par E. Chantre dans les sépultures au xixe siè-
précisément par exemple, le site lombard de Castel
Trosino19 sur la côte Adriatique présente une situation
intéressante comparable à Larina : c’est un établisse-
ment lombard de hauteur, de colonisation agricole éga-
lement, ayant aussi pour fonction un contrôle militaire
sur les territoires de Spolète et de Bénévent, avec une
fonction administrative importante liée à la présence
de deux familles aristocratiques sur le site. La fouille
des deux nécropoles qui lui sont associées (Castel
Trosino et Nocera Umbra), dont l’une avec un oratoire
du viie siècle, a livré des sépultures au mobilier riche
et abondant, parmi lequel la présence répétée d’armes
(spatha, lances, boucliers, francisques, arcs et flèches,
équipements équestres…) dans des tombes masculi-
nes prouve la présence d’une garnison lombarde au
côté du reste de la population, et une certaine hété-

18. Truc M. C. (2008) Fig. 831 – Armes mérovingiennes provenant de fouilles anciennes
19. Paroli L. et Ricci M. (2008) du choeur de la chapelle (fouilles/dessins J.P.Pelatan).

168 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


Fig. 833 – Bagues en or de la tombe 16 de la nécropole royale
de Saint-Denis (Conservation et cliché
Musée des Antiquités Nationales)
Fig. 832 – Bague en or de la tombe 776 de Larina/Le Mollard
(ill. P. Porte).

cle consistait selon lui « en fragments de vases en


terre noire, de débris de lances, de sabres en fer, de
garnitures de boucliers… Ces vestiges archéologiques
paraissaient pouvoir être rattachés à la civilisation
burgonde ». Or les fouilles récentes ont montré que
les tombes « vidées » alors étaient surtout celles insé-
rées, selon F. Gabut qui les a vues en 1894, dans des
« cases maçonnées carrées… qui sont des tombeaux et
caveaux », soient en fait les deux seules constructions
existant  dans la nécropole du Mollard  : le chevet/
chœur de la chapelle, et l’enclos funéraire (Fig. 831).
Seule la tombe féminine (776) voisine a échappé au
pillage car plus profondément enterrée dans le rocher
de l’autre côté du mur de chœur qui limita les fouilles
de E. Chantre puis successivement de Ch. Revelin et
J.-P. Pelatan à cet endroit. L’importance du mobilier de
cette sépulture est remarquable avec sa bague en or
à encorbellement ou monture saillante ajourée pour
recevoir une pierre précieuse, ses ­vêtements aux
nombreux fils d’or retrouvés de la tête aux pieds, et
ses deux épingles de bronze (Fig.  832). La proba-
ble fabrication byzantine de la bague en fait un très
rare bijou20 de datation tardive (la seconde moitié
du viie  siècle), propre à la Gaule franque, et d’un
type en fait connu que dans la nécropole royale de
Saint-Denis (tombe 16)21 (Fig. 833). Ces différentes
découvertes, correspondant ainsi à des tombes pri-
vilégiées de la nécropole, permettent de qualifier
autrement certains membres au moins des élites
de Larina  : l’existence sur le site d’une « aristocratie
d’origine militaire » devient une hypothèse envisagea-
ble si ce n’est probable. Les matériels mis au jour
à Larina présentent de surcroît des caractéristiques
qui ne se retrouvent également pas autant dans les

20. Hadjadj R. (2007)


21. Par ailleurs ce type de bijoux très rare, dans ce contexte archéologi-
que, ne peut être considéré comme un simple objet arrivé là après avoir
été volé. Il n’a pas non plus pu être acheté à un commerçant itinérant
de passage… Il s’agit d’une commande particulière très coûteuse faite
à un artiste par un personnage riche et puissant pour un membre de sa
famille. Le contexte archéologique et architectural rend aussi difficile
l’hypothèse de l’inhumation dans ce cadre à Larina d’une princesse de
passage, morte à proximité du site… Compte tenu de la comparaison
typologique avec des objets de la nécropole de Saint-Denis, la « prin-
cesse de Larina » et son entourage propre au site, « baignaient » donc
dans une ambiance royale franque qui dépasse la simple aristocratie Fig. 834 – Quelques matériels métalliques mérovingiens
guerrière locale… et laisse le chercheur perplexe ! de Larina (ill. P. Porte).

D’une aristocratie foncière à une noblesse militaire pour des stratégies territoriales différentes • 169
Fig. 835 – Distribution des statures Hommes et Femmes du Mollard par rapport aux autres sites régionaux (ill. L. Buchet).

autres sites régionaux mérovingiens, notamment plateau, de leurs prédécesseurs de La Motte, et de


on l’a vu en quantité (fiches à bélières, couteaux, leurs contemporains de Saint-Romain et des Grands
agrafes à double crochets…) mais aussi en qualité Peupliers, ne peut provenir d’une simple évolution
(anneaux sigillaires, stylets, bijoux, verreries, dés…) de la population. Elle témoigne plutôt d’une rupture,
(Fig. 834). Ces particularités du mobilier métallique morphologique et culturelle, dans les modes de vie
du site séparent donc Larina des autres sites « méro- et les pratiques sociales des individus concernés, que
vingiens » régionaux disposant de quelques objets de ce soient les femmes dans leur vie familiale, ou les
type septentrionaux, arrivés sur les sites au hasard hommes dans leurs activités physiques. Ces impor-
des échanges et pillages. Cette accumulation d’objets tants changements ne sont ainsi compréhensibles
d’usages différents trouvés dans des lieux complé- que par l’arrivée de populations successives, certes
mentaires, habitat et nécropole, sur plus d’un siècle, minoritaires (les principaux caractères morphologi-
ne peut non plus résulter du hasard d’un arrivage ques du groupe évoluent peu) mais déterminantes,
particulier (comme dans une épave par exemple). Il dirigeantes, dans l’organisation de la communauté.
faut donc envisager la présence à Larina d’une com- Le format impressionnant d’une partie de ces indivi-
munauté de culture franque, riche et puissante, avec dus, leur mode de vie dans des maisons de pierres
hommes et femmes associés, occupant les bâtiments au plan adapté de maisons-longues barbares, l’am-
aristocratiques et les tombes privilégiées de l’église. biance culturelle de leurs bijoux et objets métalliques
Cette culture et ses « intérêts de classe » communs ne de type franc… prouvent notamment que cette colo-
sous-entendent pas obligatoirement la participation nie a été mise en place par un pouvoir de culture
à une ethnie commune : les « populations franques » septentrionale pour asseoir son autorité à l’Est de
sont à cette époque, comme les autres peuples barba- Lyon sur le territoire qu’il vient de conquérir. Dans le
res, très métissées depuis longtemps, et cette notion
cadre de cette stratégie politico-militaire, la présence
raciale doit leur être étrangère dans leur recherche de
également de nobles femmes aux riches bijoux dans
l’osmose entre les élites notamment. L’utilisation de
les tombes privilégiées franques étudiées, et cela
matériels identitaires répond sans doute plus à une
aussi bien à l’Isle-Jourdain, Saint-Dizier, Hégenheim
affirmation culturelle de ce pouvoir franc après sa
qu’à Larina, atteste d’une stratégie de colonisation
conquête de la région lyonnaise. Elle peut ainsi être
par des familles, de peuplement des territoires dans
le fait aussi bien d’un groupe septentrional chargé de
la durée, et pas seulement de simples garnisons plus
participer à la gestion du nouvel État, que la preuve
d’allégeance et de mimétisme d’aristocrates d’origine ou moins temporaires au moment de la conquête.
gallo-romaine « faisant leur cour »…  Mais si ce sont donc d’abord les nécropoles qui met-
Mais sur le plan du peuplement ensuite, l’hy- tent en relief cette stratégie, Larina montre également
pothèse d’une fondation stratégique par un groupe en complément l’existence d’un des points d’appuis,
franc à Larina rencontre des échos importants dans d’une des forteresses, qui permirent de fixer cette
l’étude paléoanthropologique et démographique des aristocratie dans les territoires conquis.
nécropoles du site. On a vu que la population du En dehors d’une forteresse de hauteur comme
Mollard présente des différences morphologiques et Larina, l’existence dans la région d’autres types d’éta-
de pratiques alimentaires, sociales… répétées d’avec blissements complémentaires, également de types
les populations de La Motte et des sites de plaine septentrionaux, autorise l’évocation d’un possible
environnants, plus proches entre eux. La caractéri- maillage des territoires conquis par les francs autour
sation sur le site d’un groupe « d’individus de hau- de Lyon, comme les exemples précédents, et l’His-
tes statures » présents surtout dans l’abside et dans toire des Francs de Grégoire de Tours, l’ont prouvé.
la nef, puis d’un groupe de « cavaliers-combattants La fouille du Recourbe à Château-Gaillard (Ain)22 par
traumatisés » constitué pour partie d’aristocrates exemple a livré notamment de grands bâtiments en
inhumés dans le chevet et les chapelles de l’église, bois (25  x  10  m environ, à quatre files de poteaux
a défini autrement une partie de la population du et chevets polygonaux) érigés dans le cadre d’un
site, et expliqué les différences de fonctionnement programme architectural concerté (bâtiments 12, 17,
de la nouvelle forteresse au viie  siècle (Fig. 835). 67…) (Fig. 836). Ces constructions sont ainsi d’un
Cette différenciation marquée entre les populations
dirigeantes du site d’avec les autres habitants du 22. Vicherd G. etc. (2001)

170 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


liées à la mise en place du pouvoir mérovingien, franc,
dans la région. D’autres indices fournis par l’archéo-
logie funéraire pourraient conforter cette hypothèse
en montrant que l’avancée des francs s’est aussi tra-
duite, notamment pour le département de l’Ain et le
Nord de Rhône-Alpes24, par divers apports culturels
dont témoignent en partie les modes d’inhumation et
le mobilier associé. Or la stratégie d’implantation de
« colonies de peuplement » et de « points d’appuis » pour
tenir les territoires conquis ou révoltés s’est révélée
une constante de la politique franque dans la plupart
des territoires étudiés, avec même une prédilection
pour l’utilisation de forteresses de hauteur. L’applica-
tion de cette stratégie à la région lyonnaise est ainsi
d’autant plus possible que l’on sait par les textes25 que
la cohabitation des évêques (devenus détenteurs du
pouvoir public central) et de l’ancienne aristocratie
gallo-romaine, avec le nouveau pouvoir franc, fut plus
conflictuelle qu’avec les rois burgondes. C’est donc
bien dans ce cadre qu’il faut peut-être comprendre la
dernière phase d’occupation de la forteresse mérovin-
gienne de Larina.

D’une aristocratie foncière


à une noblesse militaire
L’évolution du mode d’occupation du sol à Larina
va ainsi de pair avec des changements importants
dans l’organisation et la hiérarchie sociales des habi-
tants : l’aristocratie possédant le domaine à l’époque
mérovingienne ne répond plus aux mêmes critères
socioculturels que les sénateurs de la fin de l’An-
tiquité. Elle conserve d’abord un mode de vie tra-
ditionnel orienté sur l’exploitation agricole de son
(nouveau ?) patrimoine, avant ensuite de laisser sa
place à une noblesse d’origine plus diversifiée et
tournée principalement vers les services militaires.
Parallèlement, le reste de la société devient également
plus complexe sur le site. Les différents changements
architecturaux et matériels mis en relief sont en fait
la matérialisation de cette évolution  : ils renvoient
principalement à un changement profond des types
d’aristocrates occupant le plateau. Mais là encore
cette situation n’est pas particulière  : une étude du
devenir des élites tardoantiques au haut Moyen Âge
montre que Larina est en fait une bonne illustration
d’une situation bien connue par ailleurs.
Fig. 836 – Plans partiels et détaillés de maisons-longues et
d’édifices annexes du site de Le Recourbe (Ain) (ill. G. Vicherd).
Le devenir des élites antiques
type très proche des maisons-longues germaniques et leur renouvellement au haut Moyen Âge
à ossature bois, ce qui constitue un cas unique dans La propriété foncière et le type d’exploitation des
la région. Le matériel associé permet également de terres étant liés aussi à la nature aristocratique des
poser la question d’apports de populations extérieures dirigeants du domaine, il convient de voir l’évolution
au territoire. Malgré le décalage chronologique (le site socioculturelle que recouvre ce groupe social pendant
est surtout carolingien), les chercheurs23 proposent la période qui nous occupe. L’ouverture des aristocra-
en effet d’y voir un habitat hérité d’une communauté
d’origine « étrangère » avec l’installation de populations 24. Catalogue d’exposition : « Pré proto gallo méro » (Bourg-en-Bresse,
1998)
23. Faure-Boucharlat E. (2001) 25. Reynaud J. F. (1998)

D’une aristocratie foncière à une noblesse militaire pour des stratégies territoriales différentes • 171
tes, traditionnellement grands propriétaires fonciers, grandes familles aristocratiques ont perduré pendant
vers de nouvelles couches dont la noblesse provient toute la période nous intéressant, grâce notamment à
de leurs services militaires, apparaît au cœur de l’évo- des stratégies éprouvées de mariages et d’héritages,
lution de Larina pendant l’époque mérovingienne. accompagnées d’achats significatifs dans le cadre
d’une concentration avérée de la propriété foncière.
Au-delà de mutations indéniables (apports de popu-
lations, situations nouvelles sur les plans tant politi-
ques que religieux…), les potentes veulent maintenir
un modèle de vie aristocratique basé à la fois sur le
mode d’enrichissement mais aussi sur l’otium gallo-
romain27 (Fig. 837). Archéologiquement, leur pré-
sence apparaît dans les demeures, mais aussi dans
les mausolées et sépultures qui nous sont parvenus,
avec des objets de prestige que l’on trouve aussi bien
chez les vivants qu’auprès des morts. Au ive  siècle,
les puissants tirent donc leur rang aussi bien de leurs
importantes propriétés foncières que de leurs acti-
vités municipales dans les villes  : les nombreuses
campagnes de travaux d’agrandissement et/ou de
réfection engagées dans les demeures (nouveaux
salons à exèdres, thermes, sols de mosaïques…),
comme le renouveau de l’évergétisme notamment
envers l’Église, montrent bien le développement de
la partie la plus supérieure de la société. Ces familles
héritières du pouvoir administratif de l’Empire
s’adaptent ensuite très bien à la mise en place des
royaumes barbares, et les deux partis se confortent
mutuellement par des alliances et stratégies matri-
moniales. La mainmise de ces élites sur les sièges
Fig. 837 – L’otium,mode de vie au ive siècle : épiscopaux, et le pouvoir tant temporel que spirituel
discussion avec des invités lors d’un banquet
associé, confortent encore leur position politique et
(mosaïque du Musée du Bardo à Tunis) et départ pour la chasse
précédé d’un valet (mosaïque du Musée de Sfax). (Ill. P. Porte)
socio-économique. La noblesse franque (St-Ouen à
Rouen, Landri et Chrodebert à Paris…) n’hésite pas à
Il n’y a en effet alors pas de domaine rural et occuper des sièges épiscopaux aux côtés, mais aussi
de villa sans aristocratie ou élites : leur place dans à la place, de l’aristocratie d’origine sénatoriale. La
l’avenir des résidences domaniales est donc fonda- correspondance d’évêques comme St Avit de Vienne
mentale. Mais la confrontation des sources écrites et atteste d’ailleurs pour le Nord-Isère, à la fin du ve siè-
épigraphiques avec les données archéologiques est cle, une vie de sénateurs gallo-romains pratiquement
difficile, avec une documentation très inégale d’une inchangée, vivant toujours dans leurs domaines
région à l’autre. Seuls des « sondages » permettent ruraux, mais avec un environnement devenu plus
ainsi d’appréhender une possible caractérisation des calme, assuré, qu’auparavant grâce à un gouverne-
différents types d’aristocrates. Par définition26, les éli- ment stable28. Celui-ci favorise alors le développe-
tes occupent le premier rang de leur société par leur ment économique et les liaisons entre les élites : les
formation et leur culture, ainsi que par leurs fonc- sénateurs donnent parfois un nom burgonde à leur
tions et leur puissance économique. Mais ce groupe fils afin de se concilier le roi et honorer leur famille,
va s’étendre aussi vers toutes les personnes influentes sans qu’il y ait de changements dans la situation des
dans les différentes strates de la société. Pendant l’An- propriétés. Ainsi en est-il par exemple du nom bur-
tiquité tardive, ces élites sont le plus souvent d’origine gonde de Gaudoin (Gundwin) entré dans la parenté
gallo-romaine, mais elles peuvent aussi, si ce n’est de sénatoriale de Grégoire de Tours. Cette situation
plus en plus, être d’origine « barbare ». Elles compren- pacifiée, que l’on retrouve à des degrés divers aussi
nent des individus et des familles pouvant relever bien dans les royaumes wisigothiques que burgondes
de statuts très différents, souvent d’ailleurs cumulés :
sénateurs, fonctionnaires impériaux et provinciaux, 27. Balmelle C. (2001). Cf. aussi l’état d’esprit de Paulin de Pella, le
petit-fils d’Ausone, au début du ve siècle, pour définir les moyens de
notables municipaux, évêques, grands propriétaires
ce mode de vie qu’était le cadre de l’otium pour l’aristocratie tardoan-
fonciers… ainsi que tous les « puissants » pour des tique : «  Il me fallait une demeure bien exposée, aux vastes apparte-
raisons variables, dont les militaires en activité ou ments, toujours agréable, quelle que fut l’époque de l’année, une table
démobilisés possédant souvent des propriétés dans abondante, garnie de mets choisis, de nombreux et jeunes serviteurs, de
les campagnes. Loin de disparaître dans les « inva- beaux meubles en grand nombre, propres à divers usages, une argenterie
plus remarquable par son prix que par son poids, des artisans de diffé-
sions barbares », les textes antiques montrent que les rents métiers… des écuries pleines de chevaux bien soignés et de belles
voitures pour voyager en toute sécurité  ». (Eucharisticos, 205-212)
26. Balmelle C. et Van Ossel P. (2001) 28. Werner K. F. (1984)

172 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


par exemple, peut aussi expliquer que la nature de bien avant les « Grandes Invasions », avec un pouvoir
l’occupation du sol à Larina ne paraisse pas subir de déjà installé avant l’arrivée des francs. De son côté,
changements significatifs jusqu’au début du vie siècle. l’étude des carrières de nombreux évêques nommés
La question de l’évolution de l’aristocratie se pose hors de leur région d’origine (Bertrand du Mans, Félix
donc, avec celle de l’osmose entre les élites romai- de Nantes, Didier d’Auxerre…) révèle que les aristo-
nes et les élites barbares, encouragée notamment crates religieux sont eux amenés à léguer des biens
par le régime de l’hospitalitas à partir du ve  siècle, importants à l’Église, contribuant ainsi à relancer à
puis voulue par le pouvoir franc au vie siècle. Cette la fin du vie  siècle un nouvel élan général d’éver-
acculturation réciproque entre romains et barbares gétisme chrétien (Fig. 839). L’intégration volontariste
se remarque bien dans les objets, ou dans les for- de certains domaines fonciers à l’intérieur des limites
mes d’habitat et d’inhumation, mis au jour dans les de diocèses, comme le mouvement de création de
fouilles. Là encore, Larina est au cœur de cette pro- chapelles privées dans les domaines ruraux, trouve
blématique avec ses vestiges démontrant la symbiose peut-être aussi là une partie de leur explication, que
entre les deux cultures dominantes. la situation particulière du domaine de Larina à l’épo-
que mérovingienne pourrait conforter.

Fig. 838 – La fusion des aristocraties et des architectures


au vie siècle dans la bd (ill. Dufossé, « Les Sanguinaires », Fig. 839 – Le patrimoine foncier de Bertrand, évéque du Mans,
Glénat 1997). et l’origine de ses propriétés familiales
(ill. et recherches M. Weidemann dans C. Balmelle 2001).
La nature même de l’aristocratie, et ses réfé-
rences culturelles, évoluent néanmoins en paral- Les débuts de l’époque mérovingienne témoi-
lèle (Fig. 838). L’étude de la diffusion du mobilier, gnent ensuite d’importants changements dans la
notamment importé, ou luxueux par les matériaux situation de l’aristocratie locale. Dans l’Histoire des
utilisés et le travail réalisé, montre bien qu’au vie siè- Francs, Grégoire de Tours expose longuement les
cle, il y a toujours une clientèle pour disposer de ces campagnes militaires nécessaires au vie siècle contre
objets, ce qui est un signe d’une continuité, au moins les révoltes des Grands auvergnats, puis globalement
relative, de la richesse de l’aristocratie et du maintien contre ceux du Sud-Est de la Gaule. De surcroît,
de son pouvoir d’achat. La transformation radicale dans un grand nombre de cités, les pouvoirs com-
des villae ne signifie donc pas l’effondrement d’une taux étaient tombés entre les mains d’évêques forts
élite mais son changement de mode de vie et de puissants, devenus patronus civitatis30, ce qui néces-
culture dominante. Il faut là contextualiser ce phé- sita souvent de procéder à de véritables campagnes
nomène et rappeler que le ve siècle a été celui de la militaires contre ces sortes de « principautés » semi-
crise de l’État classique, avec celle de ses institutions autonomes31 en attendant les divisiones inter episco-
publiques et de son armée. Ce cadre perturbe donc pacum et comitatum de 687. En parallèle, les sources
aussi une aristocratie, pour sa partie laïque, issue littéraires autant que les documents diplomatiques
des anciennes carrières publiques. Cela entraîne une prouvent que la société franque était dominée par un
véritable « déromanisation »29 de son fonctionnement, groupe de nobiles viri qui se distinguaient des autres
au profit d’une militarisation généralisée dans un
nouveau monde dans lequel l’armée publique ne 30. « … Chilpéric répétait en effet très souvent : voici que notre fisc
constitue plus une protection suffisante. Une telle s’est appauvri, voici que nos richesses ont été transférées aux églises.
Personne ne règne plus que les seuls évêques. Notre autorité est morte
société existe sans doute dans ce contexte incertain et elle a été transférée aux évêques des cités… » Grégoire de Tours,
Histoire des Francs.
29. Wickham C. dans Ouzoulias P. (2001), p. 560 31. Kaiser R. (1985) dans le catalogue d’exposition « La Neustrie ».

D’une aristocratie foncière à une noblesse militaire pour des stratégies territoriales différentes • 173
hommes libres par leur naissance, leur richesse et
leur pouvoir32. Issus de longues lignées d’ancêtres,
ces nobles fondaient leur prééminence sociale sur la
puissance qu’ils tiraient de vastes domaines fonciers,
et surtout sur l’exercice de fonctions publiques au
service du roi. L’aristocratie, d’abord souvent recrutée
dans sa région d’origine, faisait ainsi carrière selon
le cursus mérovingien classique  : le jeune guerrier
était envoyé à la cour royale pour y être « nourri »,
avant d’occuper diverses fonctions comme « domesti-
que », puis il était envoyé en province pour occuper
des fonctions de représentation, de chef militaire de
bandes armées à comte. Cette méthode, basée sur
le compagnonnage avec le roi et les autres nobles,
devait garantir une certaine osmose socioculturelle,
et la fidélité, dans le groupe dirigeant. Par la suite,
l’aristocratie de fonction perdit largement son carac-
tère régional au profit d’une uniformatisation prenant
ses sources culturelles surtout dans les régions sep-
tentrionales, en Austrasie (Fig. 840). Au sein des vas-
tes groupes familiaux qui s’étaient dilatés notamment
au rythme des alliances locales, la carrière dépendait
de la faveur royale et de son entourage. Les grands
aristocrates disposaient ainsi de domaines dispersés
dans tout le royaume : le comte de Ternois Hunroc,
qui se fit moine au monastère de Saint-Bertin et y fut
inhumé, possédait des domaines en Lotharingie, en
Alémanie, en Italie du Nord. Les Gui-Lambert firent
carrière en Neustrie mais aussi en Francie orientale
Fig. 841 – Cavaliers-guerriers du haut Moyen Âge
et en Italie… Pour eux aussi un évergétisme renou- (ill. Psautier de Stuttgard, fol.23, 32 v. et 90 v.).
velé amenait des donations fréquentes de terres à
l’Église. tion de l’art de la guerre au haut Moyen Âge33, avec
le remplacement par les Francs des armées de nom-
breux fantassins, par des forces d’élite, les scarae,
moins nombreuses et mieux armées que les troupes
de fantassins antiques. Ces forces mobiles étaient
organisées dans une large mesure à partir des cou-
ches supérieures de la population combattant à che-
val, agissant par raids rapides et violents depuis des
bases de repli stratégiquement bien localisées autour
de leurs objectifs (Fig. 841). Pour disposer en nom-
bre appréciable des nombreux scarae nécessaires à
l’affirmation du pouvoir franc, les souverains furent
(on le sait par plusieurs textes) amenés à distribuer
des terres, notamment celles d’Église dépendant des
évêques, à des hommes prêts à les servir fidèlement
à cheval. Ce « colonat militaire », rappelant les mili-
Fig. 840 – Reconstitution de la tenue d’un couple franc ces du limes byzantin contemporain qui inspirèrent
(Musée Maison du Patrimoine de Hières-sur-Amby).
la stratégie franque, fut rapidement étendu à tout le
(Ill. P. Allart)
royaume. Il fut régularisé ensuite par Pépin le Bref
On a vu précédemment que cette évolution de qui le limita par l’institution de la precaria verbo
l’aristocratie à l’époque mérovingienne est liée à l’ex- regis. L’impact de cette procédure fut néanmoins
pansion du royaume franc, marqué sur ses franges socialement important en créant en nombre, en
par la mise en place de « points d’appui » successifs dessous de l’ancienne aristocratie franque « de sou-
illustrés par des nécropoles au mobilier caractéris- che », mais au-dessus des simples guerriers et hom-
tique, plus que par des habitats architecturalement mes libres combattant surtout à pied (Fig. 842), une
moins typés. Elle va également de pair avec l’évolu- nouvelle couche aisée de guerriers-cavaliers appuyés
sur leur clan familial. Cette nouvelle noblesse, les
32. Hennebicque-Le Jan R. (1985) dans le catalogue d’exposition « La
Neustrie ». 33. Werner K. F. (1985) dans le catalogue d’exposition « La Neustrie ».

174 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


scariti, trouva les moyens de son développement nique privilégiant la fidélité hiérarchique et une cer-
dans les domaines et terres attribués par le pouvoir taine concurrence entre les nobles guerriers locaux
pour financer sa subsistance et les actions militaires recherchant la faveur du roi et de ses comtes.
confiées dans les glacis périphériques du royaume. L’évolution architecturale de la demeure aristocra-
Ne serait-ce pas ainsi qu’il faudrait interpréter l’arri- tique va correspondre naturellement à cette évolution
vée au viie  siècle à Larina d’un groupe de cavaliers culturelle des potentes  : pour des élites de culture
guerriers de culture septentrionale chargé de faire
militaire, il est alors plus nécessaire de regrouper ses
maintenir « l’ordre franc » dans la région lyonnaise ?
hommes autour du foyer central de la grande maison-
longue, ou de son équivalent local en pierres comme
à Larina, que de disposer de nombreux appartements
pour les hôtes de passage, afin d’asseoir son rang et
sa situation. Les nouvelles élites ont néanmoins les
mêmes besoins ostentatoires que l’ancienne aristo-
cratie gallo-romaine par rapport au reste de la popu-
lation, dont le souhait de montrer leur richesse et
leur puissance dans des résidences monumentales.
Mais là aussi les valeurs dominantes et les modes de
vie ont changé  : après une première période d’in-
tégration, d’assimilation fascinée des règles de l’ar-
chitecture palatiale antique34, dont témoigne encore
la villa mérovingienne de Saint-Romain-de-Jalionas35,
les élites vont considérer que l’impact visuel d’une
vaste fortification l’emporte, comme à Larina, sur la
présence de nombreuses cours à péristyles. De même
les aristocrates vont considérer que la possibilité de
réunir une nombreuse compagnie autour du foyer
dans la salle centrale de la demeure, la aula, est aussi
préférable aux réunions privées entre amis dans des
Fig. 842 – Fantassin franc thermes. La forteresse de La Malène (Lozère)36, avec
casqué, armé d’une épée, ses riches constructions, ses thermes et ses décors
d’une lance et d’un bouclier
architecturaux, mais aussi une implantation sur une
(ill. Psautier de Corbie,
fol.123 v.) hauteur entourée de remparts, constitue l’exemple
intermédiaire réunissant encore les deux cultures.
L’aristocratie laïque d’origine gallo-romaine, lar- C’est ainsi en fait la fin de l’otium, comme philoso-
gement « déromanisée » et militarisée, comme les phie de vie, qui va amener le changement de l’ar-
élites franques, avait donc un fonctionnement assez chitecture des demeures résidentielles aristocratiques
proche pour que l’osmose se fasse facilement. Les que l’on trouve dans les domaines agricoles.
riches sépultures trouvées dans le Nord de la France, C’est donc bien dans ce nouveau cadre sociocul-
comme celles de Louvres, peuvent dans ce cadre turel qu’il faut comprendre l’occupation mérovin-
souvent autant appartenir à l’aristocratie antiquisante gienne de Larina. L’évolution au vie  siècle du type
qu’aux élites barbares. Or le monde des villae, de d’occupation du sol sur le site, puis sa transformation
l’otium et des thermes, de l’évergétisme civique, est assez radicale au viie siècle, peuvent trouver leur ori-
un monde de civils : le confort des hypocaustes est
gine dans des conséquences locales de l’évolution
moins présent qu’auparavant dans les forts du limes
de l’aristocratie et des situations ci-dessus. Les textes
et la société militaire a d’autres modes de vie que
ceux des sénateurs. L’abandon des traditions romai- antiques prouvent bien le bon accueil général fait par
nes et la recherche de nouvelles valeurs vont donc l’aristocratie gallo-romaine aux nouveaux arrivants, à
constituer le creuset de la nouvelle aristocratie. Si le l’aide militaire précieuse, et les « synergies de classes »
christianisme réunit progressivement toutes les élites, puis la symbiose, qui en découlèrent naturellement.
l’otium illustré par la citation ci-dessus de Paulin de Une certaine romanisation du droit et de l’adminis-
Pella ne correspond plus au mode de vie préféré, tration, des esprits enfin des nouvelles élites, s’en sui-
tant des nobles romains militarisés que des chefs
barbares. Ces derniers tirent plutôt leur légitimité de 34. Au fond de l’Autriche, sur le Danube, la forteresse tardoantique de
leur proximité à leur roi, et de l’importance des servi- hauteur d’Oberleiserberg est un excellent exemple d’une demeure aris-
ces militaires qu’ils lui rendent. La sociabilité change tocratique barbare copiant les règles architecturales d’un palais impé-
rial romain, puis de son évolution vers une implantation assez proche
aussi : aux échanges, tant épistolaires que lors de de celle de Larina. Cf. : Stuppner A. dans Aillagon J. J. (2008)
voyages d’agréments, liant entre eux les aristocrates 35. Royet R. (2006)
de la fin de l’Antiquité, se substitue un relationnel cla- 36. Lontcho F. (2010) : Fouilles L. Schneider

D’une aristocratie foncière à une noblesse militaire pour des stratégies territoriales différentes • 175
vit également. Mais les écrits de Sidoine Apollinaire37, culturelle normale, liée à l’appropriation de nouvel-
sur les barbares qu’il fréquente alors dans la région les modes et pratiques par les populations présentes
lyonnaise, prouvent bien les limites intellectuelles, sur le site au ve siècle. On ne sait certes pas si, lors
les différences culturelles qui animent ces élites en du partage du domaine tardoantique, l’aristocrate
plus d’intérêts communs : les aspects de la demeure barbare récupérant Larina a choisi ce site au détri-
de Larina, différents d’une villa romaine classique, ment d’un secteur de plaine proche par exemple
sont le résultat à la fois de cette osmose entre élites, des marécages du Vernai, ou si cette partie excen-
mais aussi de cultures et modes de vie quotidiens trée de la villa de plaine lui fut octroyée d’autorité.
encore très séparés. L’existence d’un plateau calcaire permettant le déve-
La compréhension de ce que devient l’aristocratie loppement d’un élevage extensif semble néanmoins
gallo-romaine militarisée en liaison avec le dévelop- avoir été bien plus important que l’existence d’une
pement des nouvelles élites burgondes puis franques, fortification, dont rien n’atteste que ces vestiges
avec leurs modes de vie réciproques appuyés cha- soient alors restaurés, pour implanter au vie siècle le
que fois sur des emprises foncières, est donc déter- nouveau domaine. On sait également, par les textes
minante pour comprendre l’évolution économique et antiques notamment, l’importance prise par l’élevage
sociale de la Gaule rurale à la fin de l’Antiquité et pendant l’Antiquité tardive dans la production des
au haut Moyen Âge. De même, outre sa définition richesses agricoles au détriment par exemple de la
comme une nouvelle forme de domaine agricole viticulture, et même de la grande céréaliculture, qui
fortifié, c’est également dans la compréhension des paraissent plus limitées aux besoins de subsistances
évolutions culturelles des élites alors que l’on doit locaux qu’à la recherche de bénéfices. Ce change-
ainsi rechercher l’explication des nouvelles formes ment important dans l’économie agraire répond à de
architecturales présentées par les édifices de Larina. nombreuses attentes, les moindres n’étant d’ailleurs
pas le retour à des schémas plus protohistoriques,
dont sont d’ailleurs culturellement plus proches aussi
D’une colonie de peuplement agricole les nouvelles élites barbares. Le remplacement de
à une garnison active ? bovidés par un important troupeau de porcins élevé
La situation mise en relief à Larina illustre bien en semi-liberté, en complément des ovins-caprins,
un certain nombre d’évolutions sociologiques de caractérise d’ailleurs le nouveau domaine de Larina
l’aristocratie antiquisante et mérovingienne, dans son sur le plateau.
approche de la propriété foncière et dans ses rap-
ports avec les pouvoirs épiscopaux et royaux, que
l’on a étudiés auparavant. Les éléments septentrio-
naux complémentaires mis au jour à Larina autori-
sent à considérer la possibilité réelle d’une colonie
de peuplement immigrée sur le plateau au haut
Moyen Âge, au sein d’un territoire alors très roma-
nisé. Mais les nombreuses différences mises en relief
entre les deux phases mérovingiennes, avec des
ruptures presque aussi importantes au viie siècle que
celles entre l’Antiquité tardive et le premier domaine
au début du vie siècle, obligent à s’interroger sur la
nature et l’évolution du peuplement mérovingien. Il Fig. 843 – Restitution de la villa mérovingienne I à son apogée,
paraît en effet finalement difficile de considérer cet avec sa galerie façade.
établissement de hauteur comme un tout, un seul Le nouveau dominus est arrivé accompagné des
site homogène du vie au viiie  siècle, comme l’étude familles de ses compagnons avec leurs femmes, et
typologique des forteresses de ce type a pu le laisser de son entourage de gardes et serviteurs, pour beau-
penser précédemment. coup d’origine également septentrionale si l’on en
– Dans une première période mérovingienne croit leur haute et robuste stature. Déjà chrétiens lors
I, le nouveau domaine s’expliquerait par l’arrivée de leur arrivée, ces aristocrates savent lire et écrire,
de nouvelles populations dirigeantes sur le site, ce disposent d’une culture affirmée dans les techniques
que confirment les confrontations culturelles avec de construction de leurs édifices, le décor de l’église
la villa mérovingienne de Saint-Romain-de-Jalionas, (enduits peints, vitraux…), savent diriger et dévelop-
et l’étude comparative des deux nécropoles du site. per leur domaine au cours du vie siècle… (Fig. 843)
Ces changements sont en effet trop brutaux pour Par contre, l’importance de la culture matérielle
qu’on puisse considérer qu’il s’agit d’une évolution de type régional utilisée, notamment la céramique
commune bistre, et la répartition morphologique et
37. Le meilleur exemple de cette incompréhension méprisante reste paléo démographique des populations du site, qui
son poème XII : « Je vis au milieu de hordes chevelues ! J’ai à supporter montre un peuplement majoritairement d’origine
le langage barbare du Germain. Je dois applaudir en me faisant vio-
lence les chansons du burgonde ivre qui s’enduit la chevelure de beurre
régionale, prouve que les importants changements
rance… Heureux ton nez, toi qui n’a pas à subir l’odeur de l’ail ou de culturels constatés sont dus à une minorité aristocra-
l’oignon infect que renvoie dès le matin la cuisine de ces barbares ! » tique. Celle-ci s’ajoute à des autochtones, majoritaires

176 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


semble-t-il, habitants sans doute toujours le plateau, pouvoir public central) et de l’ancienne aristocratie
mais dont le mode de vie va devoir s’adapter à celui gallo-romaine, avec le nouveau pouvoir barbare, fut
des arrivants. Les habitudes culinaires changent en plus conflictuelle qu’avec les rois précédents. L’in-
parallèle pour s’adapter aux nouveaux dirigeants, et tervention des francs, tant sur le terrain que dans la
à leur culture, mais la richesse et la compacité du bol répartition des biens et des honneurs, apparaît par
alimentaire prouvent toujours une certaine aisance suite plus brutale que précédemment dans les textes,
pour la plus grande partie de la population, et pas et la présence de « colonies de peuplement » et de
seulement pour les privilégiés inhumés surtout dans « points d’appuis » pour tenir le territoire autour de
l’abside et la nef de l’église. Lyon d’autant plus nécessaires. Cette importance de
Cette villa d’un nouveau genre témoigne tou- la puissance épiscopale transparaît d’abord à Larina
jours de la maîtrise de l’organisation domaniale, à (sur ce site a priori perdu au bout du diocèse), dans
l’économie et aux équipements encore diversifiés, la dédicace de l’église du Mollard directement par
qui se distingue bien par de nombreux aspects dans l’évêque (Saint) Theudère de Vienne (si l’on en croit
l’aménagement et l’exploitation du site. Les produc- le texte déjà étudié). Elle est surtout inscrite dans
tions complémentaires sont alors recentrées sur les le découpage territorial qui amena la villa et son
besoins propres du site : les carrières sont abandon- domaine à rester, seuls au Nord, dans le diocèse de
nées après les constructions nécessaires, les produits Vienne, alors que tous les territoires environnants
de l’élevage (que l’ont fait évoluer pour répondre étaient intégrés dans celui de Lyon (Fig. 844).
aux habitudes alimentaires des nouveaux maîtres) ne
sont plus partagés avec d’autres, les fenils et com- – Le début du viie  siècle constitue une nouvelle
bles des édifices suffisent pour stocker les produits rupture après une période mérovingienne I encore
de l’année. Les ressources tirées (seulement ?) du ouverte sur l’extérieur et les techniques, si ce n’est la
domaine sont assez importantes pour financer le culture, antiquisantes. L’arrivée d’un nouveau groupe
programme architectural des édifices, tout en amé- d’immigrants semble à l’origine de ces changements.
nageant et décorant une belle église. Celle-ci doit Ce sont des individus d’origine très diversifiée (dont
être associée, dès son arrivée, à la famille possédant le négroïde !), grands et petits, organisés en clans
le site afin de lui servir de mausolée funéraire. bien séparés, chrétiens ou pas, caractérisés en fait
surtout par leur activité combattante, qui ont rejoint
le site en « bousculant » au passage son organisation
harmonieuse précédente par leur installation désor-
donnée…

Fig. 844 – Les habitants caractéristiques des deux établissements


mérovingiens successifs : un agriculteur (enluminure
du haut Moyen Âge ), et un noble guerrier (sculpture
du Musée germanique de Mayence).
Si le nouveau site est ainsi d’abord une colo-
nie de peuplement conduite par un aristocrate de
culture septentrionale, la nature domaniale de son
exploitation orientée vers la production de richesses
agricoles ne laisse aucun doute. On ne sait d’ailleurs
pas si la création de cette villa mérovingienne se fait Fig. 845 – Le bâtiment I lors de son abandon : des constructions
déjà dans le cadre d’un projet territorial politique, enchevêtrées bordées d’enclos pour le bétail. (Ill. Ph. Allart)
ou s’il s’agit plutôt seulement de « caser » un noble
barbare dans le cadre du régime de l’hospitalitas. La période mérovingienne II présente en effet des
Des textes régionaux38 attestent aussi que la cohabi- aspects bien plus chaotiques dans les constructions
tation des évêques de Lyon et Vienne (détenteurs du tant de l’habitat que de l’église, avec des populations
plus diversifiées, des modes alimentaires changeants,
38. Reynaud J. F. (1998) une religion chrétienne plus importante mais aussi

D’une aristocratie foncière à une noblesse militaire pour des stratégies territoriales différentes • 177
plus discutée y compris par des élites, des activités nécropole royale de Saint-Denis), car sa signification
militaires également bien plus importantes qu’aupa- n’était pas païenne mais uniquement sociale. De ce
ravant… Seuls les nouveaux changements dans la fait, l’armement de cette époque, révélé surtout par
conduite de l’élevage, et dans les bâtiments d’exploi- l’archéologie, reste moins connu, la récupération et la
tation qui lui sont liés, présentent encore une certaine réparation constante des équipements métalliques ne
cohérence prouvant que cette activité reste le cœur se prêtant de surcroît pas à sa découverte dans les
de l’exploitation, donnant même une certaine aisance habitats. Les matériels militaires connus pour ces épo-
matérielle au site (Fig. 845). Surtout, la direction aris-
ques, que ce soient dans les nécropoles lombardes de
tocratique et unique du domaine semble avoir évolué
Castel Tresino et Nocera Umbra, déjà évoquées plus
au profit d’un partage du pouvoir et des moyens entre
différentes familles ou clans. La partie sud du bâti- haut, ou dans celles des territoires situés à la périphé-
ment I, maintenue autour du foyer principal, comme rie nord et est du monde mérovingien, comme à Saint-
également le maintien unifié du chœur de l’église, Dizier et Hégenheim (Fig. 846), proviennent en effet
alors même agrandi sur la nef, peuvent montrer que de régions ou de groupes plus tardivement christiani-
l’un des nouveaux chefs l’emporte néanmoins sur les sés qui ont conservé ces pratiques funéraires aux viieet
autres par son autorité, et la meilleure part qu’il a viiie siècles. Les armes trouvées en Gaule proviennent
dans le partage. Il assure aussi la direction générale alors surtout de pertes d’objets, retrouvés notamment
du domaine qu’il transforme en castrum. Deux à trois dans le lit des rivières suite à des dragages par exem-
autres clans nobles se différencient des simples guer- ple. L’absence d’armements significatifs à Larina n’est
riers inhumés dans la nécropole par leur possession ainsi pas étonnante par rapport aux hypothèses pro-
d’une partie du bâtiment I et de chapelles familiales posées, surtout si l’on se rappelle la description des
privatisées dans l’église, et des enclos funéraires. Le découvertes anciennes d’armes sur le site.
domaine fortifié, bien caractérisé et occupé en per-
manence, permet d’envisager cette implantation de
familles aristocratiques proches du pouvoir franc,
avec des missions complémentaires au fil du temps
afin de contribuer au contrôle du territoire autour de
Lyon. Ces éléments n’excluent pas en complément la
présence, prouvée sur le site, aux côtés de cette com-
munauté, de populations relevant d’autres cultures,
notamment locales et d’origine gallo-romaine, y com-
pris dans le cercle dirigeant. Les objets quotidiens uti-
lisés, dont la céramique, évoquent en effet l’immersion
de tous dans la culture matérielle régionale. Dans la
nécropole, une nette paupérisation d’un autre groupe,
disposant d’un bol alimentaire plus mou et liquide,
témoigne en complément de différenciations socio-
économiques qui s’accentuent sur le site. On aurait
pu néanmoins s’attendre à disposer de plus d’équipe-
ments militaires dans les sépultures du Mollard pour
appuyer cette proposition d’un groupe de guerriers-
cavaliers en charge de si importantes missions39. Mais
au-delà des nombreux pillages du site au fil du temps,
cette coutume perdit de son ampleur en Gaule au
cours du viie siècle, sans doute naturellement à la suite
des progrès décisifs de la christianisation. L’Église n’a
néanmoins jamais condamné officiellement l’inhu-
mation habillée avec mobilier funéraire, même dans
les édifices religieux (comme par exemple dans la

39. L’historien et poète grec Agathias de Myrina, ou le Scholastique,


(vers 530-580) fait ainsi le portrait de guerriers francs qu’il rencontra
dans la seconde moitié du vie siècle : « … Ils ne portent ni cuirasse,
ni jambières, et peu d’entre eux combattent la tête recouverte d’un cas-
que ; leur poitrine, leur dos sont nus ; des braies de lin, retenues par une
Fig. 846 – Reconstitution de la tenue de deux guerriers
ceinture de cuir couvrent leurs jambes ; à leur côté droit pend une épée,
à gauche le bouclier ; ils ne se servent pas d’arcs ni de traits lancés au
d’après les fouilles de nécropoles septentrionales.
loin ; ils font surtout usage de haches à deux tranchants et de petites
lances nationales qu’ils appellent angons…» dans son Histoire du règne Le nombre réduit des guerriers de Larina, à
de Justinien (livre V). On notera que cette description, assez proche de l’échelle de plusieurs générations, ne permet pas
celles restituables à partir des données archéologiques des nécropoles
septentrionales, est par contre assez éloignée d’illustrations issues de d’envisager sur le site la présence d’une importante
psautiers médiévaux pourtant à peine plus tardifs… garnison (dont les mobiliers militaires caractéristiques

178 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


sont alors en général plus présents40). Ils sont chargés
d’activités militaires régulières, avec l’aide d’une cava-
lerie qui dépasse les seuls aristocrates du site inhumés
dans les chapelles (Fig. 847). Pas assez nombreux
pour mener seuls des batailles, ni même défendre le
site, ils assurent la surveillance et le contrôle du terri-
toire par des patrouilles et de violentes escarmouches.
Parallèlement, ils assurent toujours l’exploitation du
domaine agricole et de son élevage qui permet leur
subsistance, mais aussi d’obtenir les ressources néces-
saires aux réaménagements et agrandissements de
vastes bâtiments de pierre, à la reconstruction d’une
église agrandie avec des chapelles familiales privati- Fig. 848 – Bague de la princesse :
sées, et à l’achat des nombreux bijoux et accessoi- un bijou de type et qualité exceptionnels (ill. P. Porte).
res richement décorés qu’ils utilisent. Ce partage des d’anneaux sigillaires et de riches stylets notamment
biens immobiliers en parallèle à une exploitation du prouve aussi un niveau culturel qui, associé à l’ex-
site restant en commun étonne dans une l’évolution ceptionnelle « bague de la princesse », révèle l’exis-
« normale » d’une propriété domaniale. Mais elle trouve tence d’une aristocratie de rang supérieur (Fig. 848).
toute sa justification dans l’application des schémas En effet ce bijou en or à l’origine vraisemblablement
stratégiques envisagés, et le financement ainsi des byzantine renvoie, comme pour les bagues proches
actions militaires franques dans l’Est-lyonnais par le de la tombe 16 de la nécropole de Saint-Denis, « à
clan de scariti casé à Larina. des importations de commandes précieuses dans un
milieu à coup sûr étroitement lié à la cour mérovin-
gienne, où les échanges et mariages lointains sont
bien attestés ». De même la découverte de fils témoi-
gnant du port de vêtements brodés d’or est en fait
rare dans les sépultures. Il est notable que ces restes
précieux ont été ailleurs toujours retrouvés associés à
des mobiliers très riches, et dans quelques nécropoles
seulement, par ailleurs souvent connues pour avoir
été celles de familles royales ou très privilégiées41.
Françoise Vallet et Patrick Périn concluent ainsi d’une
étude sur les bijoux de la nécropole de Saint-Denis
concernant aussi ceux de Larina qu’ « il est évident
que le port de vêtements brodés d’or fut bien le fait
uniquement de la plus haute aristocratie mérovin-
gienne ». Mais, anthropologiquement, une partie des
notables notamment présente un format plus ouvert
que les « grands septentrionaux », évoquant ainsi une
aristocratie qui peut aussi pour partie prendre racine
dans le substrat régional du site, ou d’ailleurs comme
le négroïde. Si la princesse est ainsi nettement plus
grande que la moyenne des femmes gallo-romaines
du territoire, elle est par contre bien plus gracile que
ses congénères barbares. Il sera donc difficile de la

41. Dans une enquête réalisée en 1967, E. Crowfoot et S. Chadwick-


Hawkes ne recensèrent que 95 cas disposant de fils d’or dans l’en-
semble des sépultures européennes du haut Moyen Âge ; la nécropole
Fig. 847 – Restitution d’un cavalier franc, ou scariti, membre de royale de Saint-Denis n’en dispose de son côté que dans une tombe sur
groupes armés, ou scarae, du type des guerriers de Larina, avec deux environ. Par ailleurs « Les objets en métal précieux ne se rencon-
son équipement (ill. P. Allart). trent qu’exceptionnellement dans les tombes postérieures au milieu du
vie siècle. A partir de cette date, les élites sont généralement inhumées
La confiance mise dans ce groupe de colons dans de grandes églises moins souvent fouillées. Il semble donc qu’aux
pour fonder et gérer, exploiter, cette grande forte- critères de richesse habituels pour la Germanie (armes, éléments de har-
resse de hauteur et son territoire atteste aussi qu’il ne nachement et vaisselle métallique) rarement attestés en Gaule, ait été
substitué un luxe funéraire caractérisé par des vêtements faits de tissus
s’agit pas seulement de bons guerriers. La présence précieux et brodés de fils d’or, ainsi que par des bijoux en général peu
nombreux, mais d’une rare qualité ». Cf. : Vallet F. et Perin P. (2004).
40. Cf. l’exemple, assez comparable à Larina, du site et des nécropoles Cette situation qui explique le type de mobilier mis au jour à Saint-
lombardes de Castel Tresino et Nocera Umbra, déjà détaillés plus haut Denis recouvre aussi la situation des sépultures privilégiées de Larina,
: Paroli L. et Ricci M. (2008) ; ou ceux des nécropoles frontalières du sans armement important, et confirme la proximité culturelle évoquée
Nord (Lemant J. P. 1985) ou du Jura (Gandel Ph. 2007). du site avec la haute aristocratie et la cour royale mérovingienne.

D’une aristocratie foncière à une noblesse militaire pour des stratégies territoriales différentes • 179
rapprocher soit de la destinée d’une Clotilde régio-
nale, soit de celle d’une Frédégonde septentrionale
(Fig. 849) ! Elle témoigne de ce fait bien des différen-
ces culturelles, plus que morphologiques, principale-
ment représentées à Larina.
Dans ce cadre d’occupation en deux phases, de
quand daterait la restauration du rempart clôturant le
site, et définissant ainsi le castrum ? Le seul élément
d’appréciation peut provenir de la stratégie commune
(et que l’on proposera simultanée) de réemploi de
blocs antiques dans les constructions mérovingiennes
et l’enceinte. Dans l’habitat et la chapelle, ces réem-
plois importants, à des fins principalement de conso-
lidation des angles des constructions, ne se retrouvent
que dans les parties datant de la seconde phase méro-
vingienne. Il est donc tentant de lier la restauration du
rempart avec les mêmes blocs antiques à cette phase,
et d’associer l’arrivée des combattants à la transforma-
Fig. 849 – Sépulture de la « princesse » de Larina, tion de la villa mérovingienne de la phase I en cas-
liée à la haute aristocratie franque par sa bague ? (Ill. P. Porte)
trum fortifié à fonction plus militaire lors de la phase
II (Fig. 850). La dimension territoriale de contrôle d’un
espace régional dépassant le seul finage du domaine
apparaît alors nettement, précisant ainsi la fonction,
évolutive, de cette forteresse de hauteur.
Par suite, on aurait alors bien sûr envie de propo-
ser qu’à une villa « burgonde » de peuplement (phase
Mérovingienne I), implantée grâce au régime de l’hos-
pitalitas sur une partie excentrée d’un domaine gallo-
romain, succède un castrum « franc » et sa garnison de
guerriers-cavaliers casés sur le site par leur souverain
dans le cadre d’une sorte de « colonat militaire » (phase
Mérovingienne II), pour contrôler la région après leur
conquête de la Burgundie en 534 (Fig. 851). Ces clans
accèdent ainsi aux richesses foncières et développent
une nouvelle noblesse, dont la dissémination fami-
Fig. 850 – Restitution graphique du castrum de Larina liale au viiie  siècle dans tout le territoire du castrum
avec son enceinte (ill. P. Allart). pour se répartir autrement témoigne indirectement du
succès, et montre que cette phase d’affirmation de la
conquête franque est alors achevée… Mais les argu-
ments archéologiques sont trop ténus et imprécis pour
permettre de rejoindre aussi clairement l’apport des
textes historiques dans ces hypothèses. Les éléments
mis au jour à Larina amènent néanmoins à ne pas
considérer les forteresses de hauteur du haut Moyen
Âge comme un phénomène homogène dans la durée.
Elles recouvrent au contraire des caractéristiques par-
fois différentes, ou « villa », « forteresse », et « hauteur »
peuvent être associées, ou relever en fait de type de
sites séparés.

Une pyramide sociale en forte évolution


Pendant les quatre siècles d’occupation du site
enfin, et en parallèle à l’évolution de la nature du
peuplement comme de celle de l’aristocratie, la struc-
ture sociale des habitants de Larina a aussi changé.
La hiérarchie sociale s’est diversifiée et elle est deve-
nue plus complexe (Fig. 852).
À la fin de l’Antiquité, au ve siècle surtout à Larina,
Fig. 851 – Raid de cavaliers francs depuis une forteresse le site hérite d’une situation antérieure qui, pendant
de hauteur... vu par la bd
le haut Empire, avait vu les territoires de la villa
(ill. Dufossé, « Les Sanguinaires »,Glénat 1997).
du Vernai à Saint-Romain-de-Jalionas être exploités

180 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


Fig. 852 – Evolution synthétique de la hiérarchie sociale à Larina du ive au viiie siècle (ill. P. Porte).

principalement en faire-valoir direct par des esclaves. bâtiment V, avec les parties arrières des meilleurs ani-
On sait qu’à la suite des crises politiques et socio- maux pour salaisons, les jeunes bestiaux sur pieds, les
économiques de l’Empire ensuite, la main-d’œuvre a lauzes extraites, le vin… quittaient le site pour rejoin-
manqué, amenant le développement d’autres systè- dre la villa de plaine et y être consommés ou vendus.
mes d’exploitation des domaines ruraux basés sur le La hiérarchie sociale est alors simple et duale : une
colonat. C’est ce système qui est proposé pour com- série de familles d’exploitants agricoles habite seule
prendre la répartition des bâtiments tardoantiques de le site, l’aristocrate habitant dans sa luxueuse villa de
Larina : un certain nombre de familles a été casé sur plaine. Le plan des maisons, les tombes toutes iden-
le site par le dominus de Saint-Romain, propriétaire tiques sur La Motte42 montrent un certain égalitarisme
des terrains du site. Chacune d’entre elles a reçu (a de la population occupant le site.
eu en fait l’autorisation de se construire) une maison
Au début du vie siècle, la situation sociale change.
d’une grande pièce avec foyer, et une annexe (atelier,
Un nouveau maître arrive avec ses compagnons sur
remise…) pour organiser sa subsistance. (Fig. 853).
En échange, les colons devaient travailler le domaine
42. La différence entre tombes en pleine terre et en coffres de lauzes
aristocratique grâce aux équipements et édifices col- n’apparaît pas alors de nature socio-économique ; les différences de
lectifs de production mis à leur disposition. On a vu type d’alimentation semblent aussi différencier chronologiquement et
que la majeure partie des produits stockés dans le culturellement des coffres de lauzes de La Motte entre eux.

D’une aristocratie foncière à une noblesse militaire pour des stratégies territoriales différentes • 181
ture) pour beaucoup libres et avec leur famille, et
les anciens habitants du site pour partie maintenus
sur place. La demeure aristocratique I nous est bien
connue avec sa salle centrale au foyer, véritable aula
qui réunit la famille élargie autour du chef (Fig. 854).
D’anciennes habitations sur galets perdurent encore
avec leurs habitants ; d’autres édifices comme l’ex-
fanum devenu un grand logement, et peut-être déjà
des bories, logent les autres compagnons. Il n’est
d’ailleurs pas certain que ceux-ci contribuent beau-
Fig. 853 – Vestiges des fondations sur galets d’une « maison coup à l’exploitation du domaine, probablement
de colons » (bâtiment III) avec en bas la pièce d’habitation toujours assurée par les premiers exploitants. Ces der-
et son foyer, et en haut l’annexe d’exploitation. niers ne sont peut-être plus alors des colons casés, le
Un drain dallé traverse en diagonale l’édifice pour l’assainir. nouveau domaine semblant réorganiser son exploita-
(ill. P. Porte)
tion agricole en faire-valoir direct. (Re) deviennent-ils
des esclaves ? Sont-ils une sorte de serfs mi-libres,
mi-esclaves, mi-colons ? Tous les régimes juridiques,
d’ailleurs complexes et changeants, existent dans
la région si l’on en croit le Code Théodosien et les
recueils de lois barbares parvenus jusqu’à nous. La
mort organise bien cette nouvelle hiérarchie sociale
qui passe des deux niveaux de l’Antiquité tardive aux
trois niveaux de ce domaine  : les aristocrates sont
inhumés dans les tombes privilégiées de l’abside et
du début de la nef ; leurs compagnons sont subdivi-
sés en deux sous-groupes (peut-être seulement chro-
nologiques) inhumés à l’Ouest de la nef (les deux
géants gardiens…) et dans l’annexe/portique accolée
à l’église au Sud. Le reste de la population se par-
tage les coffres de lauzes, encore sur La Motte pour
les anciens habitants du site liés à leur famille, déjà
dans ceux du Mollard pour les chrétiens attachés à
la proximité de l’église, et pour d’autres, notamment
aussi de grande stature (Fig. 855).
Courant viie siècle, une véritable pyramide sociale
se met ensuite en place sur le site, avec cette fois
quatre niveaux complémentaires. Les deux premiers
constituent une noblesse comprenant les familles des
trois à quatre chefs de clans. Mais s’ils se partagent
les richesses du site, dont le bâtiment I et la nouvelle
église, de manière comparable43, une hiérarchie nette
sépare néanmoins le « grand chef » qui s’approprie
la partie sud du bâtiment I et le chœur allongé de
l’église, plus peut-être la chapelle nord-est qui com-
munique avec le chœur, et ensuite les autres chefs
de clans. Ces derniers n’ont en effet « que » les parties
centrale et nord moins bien pourvues du bâtiment I,
ne disposent pas des deux enclos à bestiaux clai-

43. Chacune des trois habitations créées dans le bâtiment I à la suite


des réaménagements dispose sur une superficie comparable, d’une par-
tie de l’édifice originel, central, sous combles, d’une partie des ajouts
contre la façade, et de parties annexes et enclos en avant, montrant
Fig. 854 – Vues restaurées et restituées de la salle au foyer ainsi un partage très étudié. De même, une fois neutralisée la nef
central du bâtiment I, avant et après les subdivisions intérieures devenue commune et publique, le chœur originel agrandi constitue
de la phase 2 (ill. P. Porte). un ensemble privatisé (que l’on a envie d’octroyer à la partie sud du
bâtiment I restée autour du foyer originel), les deux chapelles latérales
nord ouvrant directement sur l’extérieur (et /ou celle disparue au che-
le site, au milieu donc d’une population préexistante. vet de l’église) pouvant aller avec les deux autres nobles habitations.
Après quelques violences, une certaine cohabitation Dans ce cadre, la chapelle sud-ouest, concentrant le plus de combat-
tants traumatisés de statures diversifiées, ouvrant directement sans
se met en place entre les trois groupes d’habitants séparation sur le narthex public de l’église, peut être le «cimetière
du site  : la famille du nouveau maître au niveau militaire» de la garnison (dont le négroïde), et des compagnons des
socioculturel élevé, ses compagnons (de haute sta- notables chefs de clans ou familles.

182 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


Fig. 855 – Vue générale du bâtiment I en fin de fouilles (ill. P. Porte).

Fig. 856 – Monogramme d’un sceau sur plateau rapporté en bronze et bague provenant du bâtiment I :
la signature du seigneur de Larina ? (ill. P. Porte)

rement rattachés à la partie sud de l’édifice, et leur réunissent tous44. On doit peut-être alors relier ces
chapelle funéraire dans l’église est moins bien placée chefs de clans au développement d’une nouvelle
et plus petite. Notons que d’autres notables, inhumés couche aisée de guerriers-cavaliers (les scariti), qui
notamment dans les deux enclos funéraires du Mol- trouva les moyens de son développement dans les
lard, peuvent aussi appartenir à cette noblesse aussi domaines et terres attribués souvent collectivement à
bien chrétienne que païenne. « L’aristocrate principal » un de ces groupes armés (ou scarae), par le pouvoir
pour financer sa subsistance et les actions militai-
assure par ailleurs la direction générale du domaine
res confiées dans une forme de « colonat militaire  45»
puisque tout montre encore une direction unique
étudiée précédemment. Ces guerriers remplirent leur
et coordonnée de ce qui devient le castrum, avec mission sous l’autorité de l’aristocrate (de souche ?)
les différentes constructions et aménagements, la « chef de scarae », participèrent par ce biais au déve-
restauration de l’enceinte, l’exploitation agricole et loppement d’une nouvelle classe sociale aisée de
notamment les nouvelles orientations de l’élevage.
Si cet aristocrate principal peut avoir appartenu à 44. La «maison sud» a des caractéristiques différentes des deux autres :
une noblesse de naissance, dont il a hérité la culture elle dispose seule de deux enclos pour animaux, et toujours d’une
salle de réception au foyer central qui n’existe pas dans les autres
et les connaissances intellectuelles (lecture/écriture, habitations. Ces dernières ont elles par contre sur l’avant des pièces
« leadership » et capacités de conduire l’exploitation d’activités avec par exemple toutes les meules à grains du site et des
du domaine…) (Fig. 856), cela ne paraît pas le cas traces de forges, de découpe du métal… que l’on ne retrouve pas dans
la maison sud.
des autres chefs de clans dont les activités semblent 45. Werner K. F. (1985) dans le catalogue d’exposition « La Neus-
plus matérielles en dehors des arts militaires qui les trie ».

D’une aristocratie foncière à une noblesse militaire pour des stratégies territoriales différentes • 183
nobles-cavaliers, avant finalement d’abandonner le repérées dans l’enceinte peuvent (pour partie) avoir
site devenu insuffisant dans leur évolution, et de se eu cette fonction, mais il faut admettre en fait qu’il
disperser sur les terres du domaine pour y créer les manque des habitats au site47, ou que certains indivi-
premières familles nobles pré-féodales. dus habitaient ailleurs (dans la plaine ?), avant de venir
En dessous de ces deux niveaux nobles, deux se faire inhumer à Larina…
autres niveaux sont présents sur le site. Il y a d’abord En quatre siècles, la pyramide sociale est ainsi
les compagnons des précédents, souvent arrivés avec passée à Larina de deux groupes sociaux (dont un
eux dans la nouvelle « vague » d’immigration, au statut seulement, « populaire », habitant le site) aux ive-ve siè-
probable d’hommes-libres, qui sont caractérisés surtout cles, à trois au vie siècle, et quatre aux viie-viiie siècles.
par leurs activités de combattants. Ils sont inhumés de La société est devenue plus complexe, préféodale,
manière séparée des familles nobles surtout dans la avec un éclatement de l’aristocratie, et l’apparition
galerie/portique sud-ouest de l’église, mais aussi par- d’une caste de guerriers/cavaliers plus clairement
fois dans la nécropole du Mollard et autour des enclos, identifiée. Parallèlement, l’étude des stries dentaires
peut-être aussi dans des sous-groupes répartis sur le notamment a prouvé que la prospérité du site était
site (petite moraine nord…). Tous les autres individus, mieux partagée dans l’alimentation lors de la villa
le quatrième groupe social, peuvent enfin être les des- mérovingienne, le castrum montrant une plus nette
cendants des premiers colons, et des compagnons/ différenciation socio-économique qu’auparavant. La
serviteurs du premier groupe mérovingien46. De sta- paupérisation d’une majorité des individus, sexes
tuts juridiques plus indéterminés, ils sont surtout uti- mais aussi agriculteurs et guerriers confondus, au
lisés au service et à l’exploitation du domaine, même profit d’une aisance alimentaire et culturelle renfor-
si les traumatismes de certaines grandes statures de cée des aristocrates inhumés dans le chœur et les
la nécropole montrent une situation assez ouverte. Ils chapelles de l’église, apparaît en effet alors assez
sont eux principalement inhumés dans les coffres en nettement. Cette différenciation se lie aussi à des
rangées du Mollard, seuls quelques-uns gardant des fonctionnements sociaux variables entre la société
attaches (familiales ?) avec La Motte si l’on en croit des antiquisante régionale et des groupes immigrés
C14. Mais si l’habitat des morts est ainsi socialement septentrionaux. Des passerelles existent néanmoins
explicite, on rencontre des difficultés à loger tous les comme le montre la situation mixte du vie siècle qui
vivants non aristocrates correspondants… Les bories assure la liaison, et la fusion, entre les époques.

46. Pour les non-intégrés dans le « nouveau groupe » car certaines hau- 47. On doit aussi évoquer l’importante zone détruite par les carrières en-
tes statures tardives, mais inhumées dans la nécropole et non dans les tre La Motte et Le Mollard, qui a pu accueillir une nécropole antique, mais
chapelles de la nouvelle église, ont aussi des traumatismes de combat- où des descriptions du xixe siècle (Gabut 1894) décrivent aussi des «mar-
tants montrant leur intégration aux activités du « nouveau groupe »… delles» et autres cabanes en pierres, aujourd’hui entièrement disparues.

184 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


Chapitre 6
Interrogations, problématiques et recherches nécessaires

L arina présente surtout le grand intérêt d’avoir pu


bénéficier d’une fouille assez complète et d’étu-
des complémentaires sur une occupation longue et
localisation de carrefour, un site exceptionnel. Aussi,
plus que de conclusions, la discussion des probléma-
tiques et acquis précédents semble plutôt nécessaire.
dense, avec des équipements diversifiés en général Elle doit intégrer l’état des connaissances sur le site,
bien caractérisés, disposant de mobiliers spécifiques. la mise en relief de quelques interrogations restant
Et cela dans un territoire aussi peuplé densément en suspens, et des types de réponses à y apporter.
en parallèle pour chaque époque. Les conditions de
fouilles et d’études, la stratigraphie difficile du site
(car limitée en hauteur et très remaniée par de mul-
tiples remblais), et les importants dégâts des carriè- Caractérisation
res, ont sans doute obéré certains résultats attendus. de types d’occupation multiséculaires
Mais la diversité des découvertes complémentaires
pour chaque période avec chaque fois  : des types Au-delà de la définition des trois périodes phares
d’habitat différenciés, des équipements et vestiges d’occupation que sont la fin de la Protohistoire, l’An-
d’exploitation, un site religieux, une nécropole, des tiquité tardive et le haut Moyen Âge, il convient de
relais dans la plaine et le reste du territoire, consti- revenir sur plusieurs caractéristiques du site à travers
tuent une banque de données très importante pour les siècles. On pourra ainsi mieux insérer l’histoire
comprendre l’évolution du site. La richesse des res- de l’occupation humaine du plateau dans celle du
sources documentaires de certains vestiges  comme reste du territoire d’une part, dans une approche de
le Trou de la Chuire, le fanum X, les pressoirs, le la question de la continuité ou pas du peuplement
bâtiment I, la chapelle du Mollard… est chaque fois sur le site d’autre part, et de l’ampleur éventuelle du
en elle-même un cadeau pour le chercheur. L’apport déterminisme naturel sur les types de peuplement du
d’approches scientifiques et techniques multiples plateau calcaire enfin.
complémentaires, dans la durée, a permis également
de dépasser les constats archéologiques classiques et
De l’archéologie à l’Histoire : hypothèses
de proposer des hypothèses historiques : que serait
l’histoire du site sans les réflexions dues à l’anthro- ou déductions ?
pologie, la faune, les pollens, l’ethnologie de l’archi- L’ensemble des questions matérielles ci-dessus,
tecture  par exemple, et parfois l’aide des analyses de l’architecture aux différents types d’objets utilisés,
C14 ou physico-chimiques ? De trop rares archives en passant par la définition du site et l’économie du
locales, et surtout des textes anciens plus généraux domaine, et en intégrant une analyse paléo démo-
parfois revisités, ont même contribué à la compré- graphique puis sociale du peuplement, a montré
hension des vestiges en leur apportant un éclairage pendant les quatre siècles principalement obser-
historique plus ouvert et pertinent que les seules vés, du milieu du ive au milieu du viiie  siècle, une
données de la fouille. Si l’archéologue doit en effet importante évolution. L’importance des changements
naturellement se méfier des corrélations sans cause mis en relief par l’archéologie dans les modes de
à partir de données souvent ponctuelles, l’ensemble vie et les activités quotidiennes, l’alimentation, la
des études a permis néanmoins de réunir des fais- condition féminine, les techniques d’élevages… des
ceaux de présomptions qui, en l’absence de preuves habitants de Larina, comme les traumatismes occa-
indiscutables possibles, ont pu faire proposer des sionnés, prouvent qu’ils n’ont pas la maîtrise de leur
hypothèses historiques. C’est ainsi l’accumulation de destin, qu’une minorité aristocratique de culture sep-
toutes ces données qui ont fait de Larina, grâce à sa tentrionale dirige le domaine, et les conduit à vivre

Interrogations, problématiques et recherches nécessaires • 185


Fig. 857 – Synthèse chronologique des établissements de Larina du ive au viiie siècle (ill. P. Porte).

186 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


Fig. 858 – Une histoire de Larina : extrait d’une bd concernant le site (ill.G. Bouchard, « Histoire de l’Isère en bd », Glénat 2000)

Interrogations, problématiques et recherches nécessaires • 187


autrement qu’auparavant… avant que les métissages issues de textes du haut Moyen Âge concernant l’his-
successifs ne créent une nouvelle communauté qui toire régionale mais, en leur absence, on se devait
deviendra à son tour homogène. Un changement néanmoins de les proposer afin de tenter de joindre
d’époque s’est donc dessiné clairement pendant les archéologie et histoire… au-delà de la question de
quatre siècles d’occupation du site. (Fig. 857) l’identification tentante, mais d’intérêt ponctuel, de
Celui-ci est d’abord naturellement porté par la Larina avec la forteresse mérovingienne de A Lari-
chronologie, ces quatre cents ans étant une période num/Alarona.
riche en changements pour la Gaule romaine. Une
bonne partie des différences matérielles retrouvées à
Larina existe aussi sur de nombreux sites régionaux,
notamment celles liées à l’évolution de la culture
matérielle et aux conséquences sur le commerce à
longue distance. D’autres changements témoignent de
la richesse de l’occupation du site et de la dialecti-
que subtile selon les périodes entre ce plateau bien
identifié et le territoire de plaine environnant. L’intérêt
« général » de la position géographique du castrum,
dominant les plaines du Rhône et de l’Ain jusqu’aux
limites de Lyon, ne doit pas non plus être méconnu.
Le lien avec de trop rares textes antiques locaux, et
l’utilisation de données textuelles plus générales sur
les périodes considérées, a autorisé à donner un sens
historique plus global aux données de terrain. Les dif-
férents changements du site sont ainsi intégrés à l’His-
toire régionale en mettant en relief des événements
locaux devenus plus porteurs de sens historique pour
Fig. 859 – Extrait de la carte de Cassini (xviiie siècle) sur l’Isle-
compléter les données archéologiques. Il est en effet Crémieu (ill. P. Porte).
difficile de ne pas comparer les données archéologi-
ques mises au jour, et analysées dans le détail grâce L’époque mérovingienne a enfin été longtemps
aux apports complémentaires de nombreuses discipli- considérée comme une période de transition, où
nes scientifiques, aux données historiques des textes, l’Homme luttait difficilement avec son environnement
malgré les incertitudes et dangers de ce type d’exer- naturel et sociopolitique. On sait maintenant que le
cice (Fig. 858). Sur un plan purement archéologique, viie siècle notamment fut, en fait, plutôt une période
la définition de la forteresse de hauteur mérovingienne d’expansion où se mirent en place les cadres du déve-
de Larina, à la fois domaine aristocratique principale- loppement postérieur. Larina contribue là au débat
ment orienté sur l’élevage, et « point d’appui » de guer- de manière conséquente. La liaison avec l’occupa-
riers contribuant à contrôler le territoire régional au tion tardoantique montre dès le vie siècle, et avec une
profit de leur souverain, est néanmoins bien établie. continuité certaine avec la période précédente, une
Elle se situe dans la lignée des descriptions textuelles économie et une société en expansion : les ruptures
de Grégoire de Tours, et dans la continuité des sites sociopolitiques, brutales mais brèves, sont chaque
archéologiques de même type étudiés dans le Sud de fois la preuve de recadrages et d’une progression vers
la France et en Auvergne notamment, mais aussi de la plus de richesses sur le site et son territoire, même
diffusion de sépultures privilégiées franques en Gaule. si les besoins, les moyens utilisés, et les résultats,
Parallèlement, les prospections, suivies pendant vingt sont de natures de plus en plus différentes qu’aupa-
ans, et les études d’archives diversifiées, ont permis ravant. Démographiquement, la population fait aussi
d’évoquer l’évolution du peuplement du secteur en plus que doubler sur le site alors et, dans la plaine,
liaison avec Larina. La densité du peuplement depuis l’augmentation du nombre de lieux de peuplement
les allobroges et l’organisation des domaines gallo- renvoie également à une occupation des sols certes
romains à partir d’annexes spécialisées (dans la plaine, différente mais où les nécropoles témoignent d’une
le long du fleuve, et donc sur le plateau) autour de augmentation du nombre d’Hommes sur le territoire.
demeures aristocratiques, sont apparues dans le cadre L’abandon même du site illustre une inadéquation
d’une propriété foncière longtemps maintenue. Le de plus en plus forte entre les possibilités limitées
développement d’un peuplement intercalaire sur les d’exploitation de ce bout de plateau et les besoins
ruines antiques, mais aussi sur des sites nouveaux au de plusieurs clans en expansion, et non pas en crise.
haut Moyen Âge, a replacé Larina dans son contexte Enfin, si les modes de vie de cette, puis ces nouvel-
territorial. L’affirmation progressive de la christianisa- les aristocraties, s’imposent naturellement d’abord à
tion, avec un réseau paroissial encore alors confus, a tous les autochtones, leur situation démographique
montré la mise en place des bases de la structuration minoritaire montre deux siècles après leur arrivée, que
médiévale des mandements. l’assimilation culturelle des nouveaux venus est totale.
Bien sûr, on aimerait que des textes locaux Du ive au viiie siècle, Larina témoigne ainsi de formes
confirment ou infirment les hypothèses proposées, de développement différentes mais constantes au-delà

188 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


de soubresauts institutionnels rapidement digérés. La nologique, et intellectuel, mais aucun autre élément
mondialisation des échanges antiques est certes ce qui ne l’atteste vraiment. Au contraire même les analyses
a alors le plus disparu, mais l’ouverture sur le monde C14 et anthropologique balaient les différences typo-
persiste néanmoins, même si les influences devien- logiques des archéologues pour ne retenir qu’une
nent alors plus septentrionales que méditerranéen- seule population, complétée par quelques arrivées
nes, et le régionalisme du mobilier courant utilisé de masculines, dont le mode d’inhumation évolue sans
plus en plus affirmé. L’époque mérovingienne montre que le plus ancien type soit abandonné brutalement.
donc, dans l’Isle-Crémieu, un développement certain L’évolution interne de la chapelle et de la nécropole
qui prend ses racines dans l’essor démographique et du Mollard, et sa liaison avec l’évolution parallèle
une meilleure mise en valeur de terroirs locaux com- des édifices mérovingiens I et II, semblent par contre
plémentaires, en attendant le redéveloppement des mieux attestées tant par la chronologie que par les
échanges pour réaffirmer son positionnement interré- études de l’architecture des constructions. Enfin, la
gional. (Fig. 859) définition du castrum mérovingien est la plus pro-
blématique, alors que son intérêt historique est fon-
Définitions de l’occupation du site à travers damental. On a vu que la liaison entre les bâtiments
les siècles mérovingiens et la chapelle du Mollard semblait
attestée, mais leur association avec le rempart, en fait
L’étendue du site de Larina est définie en géné- assez peu connu malgré ses surélévations de moel-
ral par l’extension du rempart et le territoire qu’il lons liés au mortier et ses remplois gallo-romains, et
enferme. Mais c’est oublier que cette enceinte n’a surtout avec les bories, eux non fouillés, reste pour
pas existé à toutes les époques, et que son rôle ne partie hasardeuse malgré sa logique.
se confond pas obligatoirement avec le territoire De même, la question de l’unité foncière des ves-
exploité, ni avec la propriété foncière, pour chacune tiges retrouvés peut se poser. Les chercheurs aiment
des périodes considérées. Si le rempart paraît ainsi réunir les vestiges en « unités d’exploitation agricole »
avoir eu de l’importance pour la fin de la Protohis- cohérentes sur un territoire. Mais dans ce cadre, pris
toire et la seconde période mérovingienne, avec des par exemple dans un contexte de sauvetage dans la
campagnes de construction et/ou de restauration, plaine, les deux ensembles Est et Ouest des cabanes
cela ne semble pas avoir été le cas pour le haut tardoantiques, nettement séparés, seraient sans doute
Empire, ni pour l’Antiquité tardive, où l’enceinte considérés comme deux unités d’exploitation diffé-
semble abandonnée. Cette question de l’existence rentes, alors que l’on propose plutôt de les réunir
d’une fortification autour du domaine se pose aussi en une seule exploitation autour du téménos, resté
pour la première phase mérovingienne où elle est libre de construction, d’un sanctuaire. Si le domaine
néanmoins peu probable. Inversement, au Moyen mérovingien semble exister de son côté comme une
Âge classique, le fortalicium des archives papales ne seule unité cohérente, sans que cela exclue d’ailleurs
semble recouvrir qu’une petite partie conservée de
l’existence de terres hors du rempart, on a vu que la
la courtine, sans aucune autre occupation sur le site.
compréhension des édifices de l’Antiquité tardive ren-
À l’intérieur du rempart, l’association des diffé-
dait nécessaire l’ouverture vers une villa de la plaine
rents vestiges entre eux pour caractériser chaque éta-
pour définir le site. La définition même des limites de
blissement est aussi problématique. La technique de
chaque établissement, et du site, renvoie donc à des
construction a ainsi été utilisée pour réunir les édifices
questions de délimitations matérielles et temporelles
en ensembles cohérents, ce que la stratigraphie et la
pouvant être assez éloignées des découvertes de ter-
chronologie très resserrées ne pouvaient pas toujours
rain : la compréhension des dynamiques territoriales
faire. Mais les études comparatives régionales1 mon-
à travers les siècles est là d’abord à rechercher.
trent qu’alors l’architecture mixte et l’association sur
Il en est de même pour la caractérisation des habi-
un même site de techniques de constructions diffé-
tats, groupés ou isolés, qui dépend de l’échelle de
rentes ne sont pas rares. À Larina même, on a vu que
l’étude : l’habitat mérovingien bien structuré répond
la construction en moellons liés par du mortier de la
ainsi à la définition d’un habitat groupé mais il s’in-
salle du pressoir IIA va avec les cabanes en bois ou les
tègre dans une forteresse, elle, isolée… Là encore
édifices sur solins de galets par exemple. Le bâtiment
la découverte en prospection dans les labours de
VI peut aussi avoir eu une architecture inversée à sa
la plaine d’une partie superficielle des vestiges du
chronologie, avec une phase tardoantique en pierres,
site, ou la seule réalisation de sondages pour obtenir
et des phases mérovingiennes en terre sur fondations
une « tranchée de connaissance », aurait amené des
de pierres… Au début du vie  siècle, la période de
hypothèses d’occupation… déconcertantes, par rap-
transition entre les deux établissements se caractérise
port aux résultats réels des fouilles. La prudence doit
aussi par la coexistence d’édifices de techniques de
donc rester de rigueur dans la définition du (d’un)
constructions différentes, avec une durée d’utilisation
site et l’étude de son évolution. (Fig. 860)
mal connue pour certains avant leur abandon.
L’association des deux nécropoles superposées
de la Motte avec les deux phases de l’habitat de la fin Permanences et mutations de l’occupation
de l’Antiquité est aussi satisfaisante sur le plan chro- Le site livre des vestiges d’occupation sur près
de 2 000 ans sans discontinuités réelles, plus les tra-
1. Faure-Boucharlat E. (2001) ces d’occupation préhistoriques antérieures. L’intérêt

Interrogations, problématiques et recherches nécessaires • 189


Fig. 860 – Les falaises du site et la plaine du Rhône : une définition de l’occupation variable
dans un environnement contrasté (ill. P. Porte).

de l’emplacement géographique au sommet du pla- ensuite le site de nouveau occupé en permanence


teau fut certes pour tous les habitants un argument jusqu’au milieu du viiie  siècle environ. Par la suite,
déterminant pour ce choix d’installation. Mais faut-il d’autres occupations sporadiques ne sont pas exclues
pour autant parler d’une occupation continue du au Moyen Âge classique mais les informations, tex-
site ? Celle-ci se caractériserait en fait non pas par tuelles, sont là encore fragmentaires. Rien ne permet
une occupation générale suivie, qui ne prouverait vraiment en fait de lier les différentes périodes d’oc-
que l’intérêt géographique de la situation du lieu, cupation chronologique entre elles.
mais par une réelle continuité dans le type même de La forteresse peut avoir existé dès l’âge du Bronze
l’occupation, avec la filiation des activités et modes final, plus sûrement à La Tène III, mais le rempart
d’habitation par exemple. Les recherches ont donc est ensuite abandonné au haut-Empire et pendant
dû préciser cette question de la continuité éventuelle l’Antiquité tardive, jusqu’à sa reconstruction partielle
du peuplement sur le plateau2. à la fin du haut Moyen Âge seulement. Sa réutili-
Ainsi, après une période protohistorique d’occu- sation pendant une partie du Moyen Âge classique
pation régulière (site cultuel lié à des foires pério- paraît ensuite probable mais ponctuelle et partielle.
diques ?), le haut Empire n’a pas laissé sur le site La fonction défensive du site, pourtant la plus évi-
de vestiges autres que sporadiques. Reste néanmoins dente, semble ainsi discontinue et ne pas pouvoir
la question non résolue de la présence d’édifices caractériser non plus une continuité d’occupation du
monumentaux pour lesquels nous ne disposons que plateau.
Il en est de même pour la continuité des fonc-
de vestiges surtout funéraires, importants, mais non
tions religieuses du site. Le sanctuaire laténien en aire
localisés ni restituables. Le milieu du ive  siècle voit
ouverte est d’abord bien attesté par ses importants
dépôts cultuels dans la Chuire. Si la persistance du
2. Les continuités de propriétés foncières et/ou de type d’occupation
des sols semblent plus fréquentes qu’on le croit souvent. Cf. par exem- culte des divinités gauloises liées aux foires laténien-
ple dans la plaine au pied du site, la continuité du domaine de la nes peut se retrouver au début de l’Empire dans le
famille de Verna sur au moins 1 000 ans ; ou au Sud-Ouest de Lyon, culte à Mercure, dieu du commerce, la présence dif-
celle envisagée entre la villa coloniale puis gallo-romaine de Goiffieux ficile à percevoir du temple aux inscriptions lapidai-
à Saint-Laurent-d’Agny à partir du ier siècle av. J.-C., un habitat plus
restreint livrant des vestiges du ive au xie siècle, la villa gofiacus men- res fragmentaires, et aux pierres massives en choin,
tionnée par des cartulaires du xe siècle, et une grande bâtisse médié- semble correspondre à des traditions différentes,
vale voisine dite « de Goiffieux », héritière de l’occupation des sols attachées peut-être aux cultes familiaux d’un grand
précédente (Poux M. etc. 2010). Il conviendrait néanmoins au préala- propriétaire terrien. Le culte des divinités tradition-
ble de préciser comme à Larina ce que l’on appelle continuité, de quoi,
par qui, comment. La « mémoire d’occupation » d’un paysage géogra-
nelles se retrouve ensuite dans le fanum de tradition
phiquement intéressant, bien situé, l’emporte souvent en fait sur une celtique et ses aménagements antérieurs, aux dépôts
véritable continuité du peuplement sur l’espace considéré. cultuels conséquents, mais la présence de cabanes et

190 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


de fosses/dépotoirs sous le sanctuaire montre alors la là au cœur du débat. Une phase de transition existe
non-continuité avec des occupations antérieures. Le entre les établissements tardoantique et mérovingien,
renouveau spirituel bien connu de la fin de l’Antiquité attestant ainsi d’une continuité certaine d’occupation
suffit à expliquer l’édification alors du fanum. De du site  : une partie même des populations a sur-
même la christianisation du site, par le biais d’abord vécu aux changements, l’évolution lente des typolo-
de ses élites, correspond au mouvement général de gies du mobilier ne montre pas de rupture dans la
l’époque, sans lien avec l’occupation précédente du culture matérielle, contrairement aux techniques et
plateau, hors la destruction volontaire du sanctuaire programmes architecturaux même si des édifices de
païen par les premiers mérovingiens, chrétiens. C’est datations différentes coexistent un moment. Le type
aussi le cas de l’édification au xixe siècle d’une statue d’exploitation et la définition même du site parais-
à la Vierge Marie à la pointe du site, et du dévelop- sent eux par contre changer totalement, de l’annexe
pement d’un pèlerinage local devenu traditionnel. La d’une villa de plaine à une villa aristocratique auto-
légende associée confirme par contre l’importance nome. L’historien rencontre des difficultés pour sépa-
des liens symboliques liant anciennement le village rer chronologiquement des phases architecturales et
de Hières et ses communaux du plateau, le culte à socio-économiques bien différentes avant et après
la Vierge lui-même étant plutôt à relier au dévelop- le début du vie  siècle  : celui-ci constitue ainsi une
pement du culte marial en vigueur à cette époque. charnière culturelle importante dans l’évolution du
Si plusieurs types d’occupation du secteur ont ainsi site, et donc une certaine « rupture » entre la fin de
nécessité sur le plateau des structures religieuses l’Antiquité et le début du Moyen Âge pour Larina. Il
propres à chaque période, on ne peut donc pas non est malgré tout difficile de savoir si cette rupture mar-
plus parler de continuité d’un sanctuaire sur le site. que la continuité de l’occupation avec seulement des
Cette conclusion vaut aussi pour les sites funérai- changements socio-économiques assez radicaux, en
res, non attestés pendant la Protohistoire, peut-être lien éventuel avec une évolution ou une réorganisa-
présents par le biais de mausolées au haut Empire, tion de la propriété foncière. Elle peut aussi en effet
et vraiment prouvés en fait que pour l’Antiquité tar- être seulement la preuve du maintien d’une certaine
dive et le haut Moyen Âge. Les deux nécropoles de forme d’occupation de l’espace, basée notamment sur
la Motte montrent d’abord une continuité certaine le déterminisme topographique, témoin de certaines
pendant l’Antiquité tardive, avec même des regrou- formes d’occupation spatiale, lors d’un changement
pements familiaux possibles entre les deux types de brutal du mode d’occupation. De même l’habitat du
sépultures superposées. De son côté, la nécropole du haut Moyen Âge montre une continuité certaine dans
Mollard évolue du Nord au Sud dans le même plan son évolution des bâtiments d’habitation, d’exploita-
avec des reconstructions de la chapelle indiquant la tion et religieux entre les deux phases mérovingien-
continuité de l’occupation au haut Moyen Âge malgré nes. Pourtant quoi de commun entre les fonctions
les vicissitudes. Une phase de transition lente existe d’une villa domaniale implantée pour développer
aussi entre les deux nécropoles, et la religion des un élevage extensif, et un castrum fortifié servant
occupants peut-être alors, qui peut là montrer une de base pour des raids militaires dans la région ? La
certaine continuité entre les phases tardoantiques et notion de continuité peut ainsi varier selon les pro-
médiévales. Celle-ci ne concerne néanmoins pas les blématiques privilégiées par l’étude…
autres périodes du site. Quelle que soit l’approche envisagée, on ne peut
Au niveau enfin des types d’habitats et d’activi- néanmoins pas considérer qu’il y a eu une perma-
tés, la question d’une éventuelle continuité de l’oc- nence d’occupation sur le site pendant 2 000 ans, les
cupation est aussi vaine. L’oppidum laténien semble caractéristiques de chaque époque étant par trop dif-
recouvrir une occupation sporadique, liée peut-être férentes. Si les habitants successifs valorisent chaque
à des regroupements politiques et cultuels, et à des fois au mieux le potentiel géographique, le sommet
foires et marchés, aux vestiges d’habitats ténus dont de falaises spectaculaires, avec parfois des similitu-
la permanence n’est pas prouvée. Si des découver- des d’occupation, on ne peut pas dire qu’il y a eu
« mémoire et continuité » dans cette occupation. La
tes anciennes mentionnent des habitations sur le site
notion même de « réoccupation d’un oppidum proto-
au haut Empire, elles sont très allusives et aucune
historique de hauteur à la fin de l’Antiquité » ne sem-
trace ou relevé n’en est parvenu jusqu’à nous. C’est
ble ainsi pas pertinente comme élément d’analyse
donc en fait surtout à partir de la fin du ive  siècle
historique. C’est plutôt dans une dialectique, ou une
seulement qu’un habitat structuré existe à Larina.
complémentarité, plaine/plateau, ager/saltus souvent
Malgré leurs différences (techniques de construc-
compte tenu des besoins et des échanges de chaque
tions, incendie et remplacement superposé, sépul-
époque qu’il faut interpréter l’occupation de Larina,
tures entre les deux phases…) une continuité existe
et non dans la continuité d’un habitat (de hauteur) à
entre les deux établissements tardoantiques utilisant
travers les siècles.
un mobilier homogène et un type d’exploitation du
site similaire. Mais cette question de la continuité est
plus délicate entre les deux grands établissements Déterminisme, traditions et adaptations
antique et mérovingien, puis entre les deux phases La nature de l’occupation mérovingienne, avec
mérovingiennes  : la définition des caractéristiques ses bâtiments de pierre proches des fermes tradition-
définissant la notion de continuité d’occupation est nelles du plateau, a fait poser par ailleurs la question

Interrogations, problématiques et recherches nécessaires • 191


Fig. 861 – Plans des « fermes aristocratiques » de Saint-Ouen-les-Besaces et de Serris-les-Ruelles : des « Larina de plaine » ?
(ill. Peytremann 2003)

de l’importance du déterminisme de l’environnement site dévoile d’ailleurs une évolution des techniques
sur l’occupation du site. Les similitudes d’occupation architecturales sur quelques siècles peu assujettie à
rencontrées sur le plateau au cours des siècles ren- l’environnement. Les matériaux utilisés sont certes
voient aussi à l’importance du milieu pour les diffé- tous locaux, de l’argile extraite des terrains environ-
rents habitants. Il est ainsi évident que les occupants nants aux galets morainiques des solins, en passant
successifs choisirent tous le site pour sa position par les moellons calcaires et lauzes de toiture. Dans
sur une hauteur bien présente dans le paysage, sa ce cadre, on a aussi mesuré que la largeur des édi-
vue sur les plaines environnantes, des capacités de fices ou des salles, et de nombreux autres détails
défense facilitées par les falaises, mais aussi un ter- architecturaux, avaient été conditionnés par les limi-
roir calcaire propice au développement d’un élevage tes d’utilisation des chênes du plateau. Inversement,
extensif. Une partie importante des édifices et leur quand cela était nécessaire, des matériaux particu-
type d’occupation tiennent donc ces caractéristiques liers furent importés, parfois seulement des vallées et
du plateau calcaire, ce qui ne permet pas notam- massifs voisins. C’est ainsi le cas de quelques longs
ment de faire de Larina un type de « palais » mérovin- arbres dont l’absence ne permettrait pas de réaliser
gien caractéristique : on peut penser en effet que la des toitures particulières, ou des grands blocs de cal-
réponse aux mêmes besoins socio-économiques et caire en choin du Bugey utilisés à la fin de l’Antiquité
politiques dans des plaines septentrionales utiliserait (blocs du pressoir…). Mais il faut noter que l’étude
plus la maison-longue germanique, placée dans un des édifices démontre que plus on avance dans le
méandre fluvial et entourée de palissades (Fig. 861), temps, plus ces importations sont rares, et la dernière
que le type de construction fouillé ici. Mais on a vu occupation mérovingienne se limite à l’utilisation de
qu’une partie des principes fondamentaux, dont l’or- matériaux locaux facilement accessibles qui détermi-
ganisation communautaire autour du foyer de l’aula, nent ainsi les faibles possibilités constructives mises
et la cohabitation hommes/animaux dans l’habitation en œuvre.
principale I, pouvait relever d’une culture commune Mais au-delà de l’utilisation des matériaux locaux,
aux aristocrates de cette période. Il convient de rap- la diversité de l’architecture du site (cabanes en bois
peler que les modes de construction ne dépendent et torchis, constructions sur solins de galets, édifices
en effet pas seulement des savoir-faire techniques et en moellons liés au mortier de chaux et à l’argile, toi-
de l’environnement géographique, ou de préoccu- tures de chaumes et de lauzes) exprime la prédomi-
pations économiques fonctionnelles, mais aussi de nance des modes socioculturelles de chaque époque
l’organisation sociale, des relations culturelles, des sur le déterminisme local. Les cabanes de plain-pied,
mentalités et modes de vie de leurs occupants. Le et les bâtiments à ossature bois et hourdis de torchis

192 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


caractérisent en effet les campagnes régionales3 pen- Incertitudes
dant au moins toute la période considérée. Les tech-
niques de construction des bâtiments mérovingiens à lever et recherches à effectuer
eux-mêmes se retrouvent dans des milieux géologi- Malgré les recherches effectuées, ou parfois grâce
ques comparables comme on l’a vu dans l’Ain pour à elles, de nombreuses questions restent en suspens
le site de Poncin-La Châtelarde4. Ainsi doit-on consi- pour la compréhension du site et des caractéristiques
dérer que le principal motif du passage de l’ossature de son peuplement. Si certaines resteront insolubles,
de bois et torchis à la pierre massive, tient du change- d’autres peuvent bénéficier de nouvelles recherches.
ment de programme architectural des occupants avec
le remplacement d’unités d’exploitation annexes par Dans l’étude des données du site
une résidence aristocratique aux besoins ostentatoi- Depuis la fin des recherches et l’étude du mobi-
res et fonctionnels spécifiques, et peut-être l’arrivée lier mis au jour, des travaux de synthèse surtout
de nouveaux maîtres de culture plus septentrionale, régionaux ont permis de préciser les typologies des
même si les techniques de constructions antiques les céramiques communes et leurs datations de manière
intéressent. Le déterminisme local ne joue donc pas importante. Il n’en est pas attendu des bouleverse-
là fondamentalement. ments sur l’interprétation de Larina mais la longévité
Cette évolution culturelle, et non locale, se retrouve de l’occupation du site, pour une période qui manque
dans les techniques utilisées pour les sépultures du de sites de référence, mériterait que des chercheurs
site. Les corps posés dans des linceuls dans des fos- reprennent l’étude de la vaisselle de Larina pour l’in-
ses en pleine terre voisinent avec des cercueils en sérer dans ces synthèses thématiques. En retour, cela
bois, et avec les coffres en dalles calcaire au même permettrait peut-être de préciser la datation des dif-
endroit, parfois pour des périodes très rapprochées. férentes phases du site entre elles, et surtout la date
Cette évolution renvoie aussi à des changements d’abandon de la forteresse. Les typologies actuelles
de mobiliers métalliques et en verre ne sont en effet
culturels bien connus dans la région5 qui dépassent
plus utilisables après le début du viiie siècle, et seule
l’utilisation des matériaux locaux.
une bonne connaissance de l’évolution de la céra-
L’environnement local a par contre plus déter-
mique commune entre les vie et xie  siècles permet-
miné certaines activités du site et leur importance trait de répondre à ces questions. La comparaison de
pour son exploitation. Les édifices à ossature bois l’évolution des types de céramiques de Larina avec
et torchis n’utilisent ainsi pas les moellons de pierre celles issues des niveaux de l’Antiquité tardive et du
pour leur construction mais ils les exploitent dans haut Moyen Âge de la villa de Saint-Romain-de-Jalio-
des carrières, pour partie à l’origine de leur instal- nas, fouillée plus récemment, serait aussi intéressante
lation, qu’ils exportent donc pour les bâtiments de pour la datation relative des deux sites et l’étude de
la plaine. Il en est d’ailleurs de même pour les lau- leur mode de consommation des matériels quoti-
zes des sépultures que l’on retrouve dans toutes les diens. De même, l’étude socioculturelle comparative
nécropoles de la plaine, en provenance du plateau. des deux demeures et domaines grâce à l’évolution
La présence d’une importante viticulture répond respective de leur culture matérielle en parallèle
aussi au type de sols présents alors que la céréalicul- serait du plus grand intérêt historique.
ture profite de la grande doline centrale du site pour Les moyens apportés aux études anthropolo-
nourrir les habitants plus que pour contribuer aux giques des nécropoles du site n’ont permis égale-
ment que des pré-études dans l’important « stock » de
productions exportées. Par contre, le développement
squelettes disponibles pour des comparaisons, tant
d’un élevage extensif de porcins et ovicapridés en
à Larina que dans le secteur. On a vu l’intérêt des
semi-liberté répond bien aux possibilités naturelles premiers résultats apportés pour la définition du type
du plateau calcaire qui s’y prête mieux que les ter- de population de chaque phase d’occupation des dif-
roirs de la plaine. Il n’est d’ailleurs pas exclu que férents établissements. Il serait donc là très impor-
le développement des bovins soit au contraire l’une tant de pouvoir aller au terme de cette recherche et
des raisons de l’abandon du site, faute d’herbages de confronter les données des habitats et de leurs
suffisants, par un effet inversé du déterminisme de mobiliers à celles provenant de l’étude des popula-
l’environnement. tions elles-mêmes. La recherche de liens familiaux
Ainsi le site profite-t-il au mieux des ressources possibles, et l’achèvement des études (stries dentai-
locales, qui déterminent certes ses possibilités, mais il res…) réalisées que sur des échantillons est ainsi très
s’insère surtout dans un environnement socio-écono- souhaitable. Plus globalement, il serait fondamental
mique et culturel régional, propre à chaque période, de pouvoir comparer ces données anthropologiques
qui lui donne toutes ses particularités successives, et à celles provenant de nécropoles proches, comme
son intérêt. celle implantée dans la villa de Saint-Romain-de-
Jalionas issue du substrat gallo-romain, mais aussi
3. Faure-Boucharlat E. (2001)
avec les nombreux squelettes issus des nécropoles
4. Vicherd G. etc. (2001) régionales sous lauzes. Il est en effet rare que l’on
5. Colardelle M. (1983) puisse mettre en relation sur un petit territoire des

Interrogations, problématiques et recherches nécessaires • 193


données d’habitats et de nécropoles susceptibles de d’autre part, l’absence de séparation chronologique
mieux faire comprendre l’évolution du peuplement entre les habitats et nécropoles de l’Antiquité tardive,
pour cette période charnière. permettent en fait d’affecter chaque site funéraire à
Une politique de datation C14 de différents échan- son habitat, mais le raisonnement, bien que probable,
tillons bien choisis du site apporterait aussi beaucoup. reste malgré tout fragile compte tenu de rites funé-
C’est le cas par exemple du squelette décapité, placé raires et de matériels similaires. L’étude anthropolo-
à un moment phare entre les deux établissements gique sépare finalement bien les modes de vie des
tardoantiques, dont la datation serait ainsi confortée. deux nécropoles en confortant les analyses archéolo-
D’autres cas similaires sont possibles afin de mieux giques proposées. Mais elle a aussi contribué à prou-
caler chronologiquement les bâtiments, et les mobi- ver l’existence d’une période de transition entre les
liers, du site. Une série de C14 dans la nécropole du établissements, et donc la coexistence un moment
Mollard préciserait aussi avec intérêt la topo-chro- des deux nécropoles. Des séries d’analyse au C14
nologie des inhumations et donc celle des différents de squelettes du Mollard permettraient néanmoins là
groupes immigrés et autochtones repérés. des comparaisons et des étalonnements judicieux.
Une autre question importante et non résolue
Sur la caractérisation du site malgré son importance concerne la datation du rem-
Si chaque phase architecturale et culturelle fut part de la forteresse. Sa première édification remonte
bien repérée par la fouille, l’association des struc- à la Protohistoire, à l’âge du Bronze final sans doute
tures garde quelques incertitudes. Il a été facile de plus qu’au premier âge du Fer, avec un développe-
proposer la réunion des cabanes entre elles et des ment important au second âge du Fer. Cette fortifi-
édifices sur galets entre eux. Mais on a vu que la cation paraît ensuite totalement abandonnée au haut
datation exacte de la salle du pressoir (bâtiment IIA) Empire et pendant l’Antiquité tardive. Sa restauration
aux ive-ve siècles, et l’ampleur de sa conservation avec des parements liés au mortier et la réutilisation
à l’époque mérovingienne, reste un peu aléatoire. de blocs monumentaux gallo-romains est en effet
De même, les importantes transformations du bâti- datée de l’époque mérovingienne. Mais rien n’inter-
ment VI font que son occupation mérovingienne est dit actuellement vraiment de lier la restauration du
bien connue mais que des incertitudes demeurent rempart à la réoccupation du site au ive siècle. Seule
sur l’ampleur de son existence lors d’une période en fait la réutilisation de blocs antiques bien parti-
antérieure. Le bâtiment XII enfin, entre les cabanes culiers, que l’on ne retrouve en dehors du rempart
et l’habitation X, en liaison peut-être avec un sanc- que dans les bâtiments I et II et dans la chapelle
tuaire antérieur au fanum, représente à lui seul une mérovingienne, lie chronologiquement ces structures
structure difficile à interpréter, et à rattacher à l’un ou puisqu’aucune fouille récente n’a étudié les vestiges
l’autre établissement antique, mais on atteint là un historiques de la fortification. De même, si des tex-
niveau de précision difficile à assurer, et peu préjudi- tes du xive  siècle pourraient faire envisager la per-
ciable aux interprétations fondamentales. sistance alors d’une partie du fortalicium de Larina,
La question est devenue plus délicate lorsqu’on rien n’autorise à le certifier vraiment faute de fouilles
a cherché à relier les habitats et les nécropoles. du rempart, ni de savoir quelle partie du site, de l’en-
L’association entre les cabanes et la nécropole en ceinte, serait concernée par cette réoccupation. La
pleine terre ne pose guère de problème, mais celle fouille de la partie du rempart où une coupe montre
des bâtiments sur galets du ve-début vie  siècle avec deux courtines superposées, dont la plus récente aux
la nécropole sous lauzes du dessus n’est pas aussi pierres liées au mortier de chaux, répondrait sans
évidente même si la fouille, comme les datations doute à toutes les questions posées par l’édification
C14 et l’étude anthropologique, confirment la quasi de l’enceinte de Larina. En complément, celle de la
simultanéité des deux établissements et nécropoles. tour d’angle dite du « corps de garde » permettrait de
Surtout, les deux phases mérovingiennes de l’ha- lier l’occupation mérovingienne et l’éventuelle occu-
bitat ne renvoient pas avec certitude à une seule pation médiévale.
nécropole malgré les liaisons précédentes. Certes, Cette même question de datation, et d’affectation
l’existence du phénomène des portes bouchées à la de vestiges non fouillés à une phase d’occupation du
fois dans les dernières étapes du bâtiment I et de site, concerne aussi les cabanes de pierre ou « bories »
la chapelle autorise une liaison probable des der- (Fig. 862). Elles représentent des habitations asso-
nières phases d’occupation. Mais, auparavant, il est ciées à des enclos pour animaux, parfois groupées en
difficile de relier avec certitude la première étape de hameau contre le rempart, parfois dispersées sur le
l’habitat mérovingien avec les origines de la nécro- site en liaison avec des enclos naturels. Aucune data-
pole sous lauzes du Mollard. Rien n’interdit en effet tion précise n’est possible sans fouilles, hors la pré-
de les déconnecter en liant éventuellement le cime- sence pour l’une d’un bloc monumental gallo-romain
tière sous lauzes du Mollard avec l’habitat sur galets, en remploi. Les vestiges protohistoriques et antiques
ou, surtout, la première villa mérovingienne avec la du site ne paraissent pas utiliser cette technique de
nécropole sous lauzes de la Motte avant son transfert construction mais une mention des registres parois-
un peu plus tard au Mollard, comme on l’a finalement siaux de Châtelans signale le mariage d’habitants de
proposé. Seule d’une part la logique, changement de Larina au xviiie  siècle… La fouille de la nécropole
lieu d’habitat/changement de lieu de sépulture, et, mérovingienne atteste, elle, de la présence sur le site,

194 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


au-delà d’aristocrates enterrés dans la chapelle et les Sur l’abandon du site
enclos funéraires, de toute une population (soldats et Il est malaisé d’attester précisément la date de
paysans ?) dont il convient de rechercher l’habitat, s’il l’abandon du site. On a vu qu’il avait été volontaire :
était sur le site même. Cela reste néanmoins à prou- l’obstruction de toutes les portes pouvant indiquer
ver, bien que probable compte tenu de l’occupation le souhait de préserver un éventuel retour, à moins
du sol à cette époque. Il est donc tentant de lier qu’il ne s’agisse d’une croyance indéterminée…
les seuls vestiges villageois repérés à cette réflexion, L’imprécision des typologies de matériel et la fin
mais là encore seule la fouille pourra confirmer ou des dépôts funéraires au viiie  siècle ne contribuent
pas cette hypothèse et définir le statut socio-écono- pas aux certitudes. Mais il est délicat de penser que
mique de leurs occupants… l’occupation n’ait pas concerné aussi le début du
viiie siècle, compte tenu de l’évolution architecturale
des bâtiments et de celle de la culture matérielle,
sachant que rien ne permet d’envisager par contre
une occupation (pré) carolingienne. Aussi, c’est donc
vers le milieu de ce dernier siècle au plus tard qu’il
faut fixer l’abandon de Larina.
Le pourquoi de cet abandon est difficile à envisa-
ger. Son aspect volontaire suppose un acte réfléchi,
aux conséquences organisées, à une période où les
grandes migrations sont achevées. On peut donc pen-
ser que l’abandon du site s’est fait au profit soit d’un
terroir similaire, mais plus ouvert, comme Châtelans
sur le plateau, soit d’un terroir complémentaire plus
adapté aux conditions socio-économiques de l’épo-
que, dans la plaine, vers Hières-sur-Amby et Vernas
par exemple. Si les raisons de l’abandon sont indéter-
minées, il est probable que les capacités de produc-
tion du site n’aient plus répondu aux besoins de la
population, notamment des clans aristocratiques un
peu serrés sur le site. Ces derniers ont pu souhaiter
également organiser autrement leur peuplement, tout
en conservant des pâturages sur le site. En effet, des
études régionales ont montré une tendance autour du
xe  siècle à l’abandon des nécropoles et habitats ne

Fig. 862 – Cabanes en pierres, ou bories, sur le plateau disposant pas d’une église dans le cadre d’un regrou-
de Crémieu. pement du peuplement autour des édifices religieux.
Dans le cas de Larina, domaine disposant d’une église
Quelques autres fouilles enfin seraient néces- funéraire privée peut-être non paroissiale, il apparaî-
saires pour achever de caractériser la forteresse trait que le mouvement ait concerné aussi la reprise
mérovingienne. D’autres édifices de la fin de l’An- en main et la réorganisation du réseau aristocratique
tiquité peuvent en effet exister sous des déblais de privé, une église paroissiale et son cimetière étant
carrières non dégagés (le bâtiment XVI par exemple seuls aptes à devenir les centres de peuplement du
n’est pas achevé) mais ils ne devraient pas appor- territoire. Des sondages dans les établissements de la
ter de changements profonds à nos connaissances. plaine, Bourcieu/Vernas Nord d’abord, Saint-Étienne
Il serait néanmoins intéressant d’assurer l’inexistence ensuite, permettront seuls de comprendre le devenir
d’autres édifices d’exploitation le long de la doline, des populations de Larina et leur lien avec la mise en
ou la liaison de bâtiments avec les champs cultivés place du peuplement (pré) féodal.
à cet endroit. La possibilité de découvertes de vesti- La mention de la forteresse d’A Larinum, en fonc-
ges d’habitats du haut Empire dans ce secteur n’est tionnement au ixe  siècle, comme celles du fort de
pas totalement à exclure non plus si l’on en croit Hières au xiiie puis xive  siècle interroge aussi sur la
fin de l’occupation du site en tant que fortification
des mentions imprécises du xixe siècle de F. Gabut.
active du territoire. Pour répondre à ces importantes
La poliorcétique du haut Moyen Âge, également peu
questions, il conviendrait de fouiller une partie du
connue, et la description des aménagements défen- rempart du site, et d’abord la tour d’angle ou donjon
sifs du site apporteraient en complément beaucoup à dite « corps de garde » dans la littérature ancienne. En
nos connaissances. Enfin, la fouille de la Fontaine de complément, la fouille de la motte castrale voisine de
la Vie, le seul point d’eau aménagé du site, permet- Châtelans, avec sa petite tour carrée en pierres que
trait d’avoir une vision synthétique de l’occupation l’on devine sous la végétation rase, et celle des vesti-
de Larina à travers les siècles tout en étudiant une ges de la première maison-forte de Hières, derrière la
structure importante pour la vie matérielle des habi- maison-forte actuelle du xiie siècle, préciseraient les
tants successifs. hypothèses formulées.

Interrogations, problématiques et recherches nécessaires • 195


Fig. 863 – Vue aérienne du site avec l’habitat restauré.

Pour de nouvelles perspectives En complément de ces données, les réponses


aux différentes questions ci-dessus, encore non réso-
L’évolution architecturale et celle du mobilier du lues, sont pour parties possibles. Si les textes reste-
site sont donc bien connues, avec ses deux établisse- ront probablement muets, l’archéologie peut encore
ments successifs, regroupant quatre phases cohéren- contribuer aux problématiques par la réalisation des
tes d’occupation sur quatre siècles environ, du milieu fouilles et études proposées, et répondre ainsi à de
du ive siècle au milieu du viiie siècle. En complément, nombreuses questions-clés du site. Mais au-delà de
une définition du site pendant l’Antiquité tardive Larina, c’est peut-être la fouille de sites complémen-
puis au haut Moyen Âge, nourrie des textes antiques taires sur le terroir qui apporterait le plus à l’histoire
et mérovingiens, et de recherches sur le territoire du peuplement. Sur le plateau même, aux portes de
environnant, a pu être proposée. Loin d’être liée à Larina, l’étude de la motte féodale de Châtelans assu-
la réoccupation ponctuelle d’un oppidum pour des rerait la date de création d’un des deux sites ayant
pu recevoir les habitants de Larina lors de l’abandon.
raisons d’insécurité, Larina se définit d’abord comme
Dans la plaine par contre, on attend des fouilles du
l’antenne spécialisée d’une grande villa de plaine,
domaine de Saint-Romain-de-Jalionas de nombreu-
puis comme un type permanent de villa domaniale
ses précisions sur la définition comparative des sites
mérovingienne, avant de devenir un castrum aris-
pour chaque période similaire d’occupation, ainsi
tocratique mérovingien aux fonctions territoriales qu’une comparaison des cultures matérielles avec
élargies. La nature limitée de l’habitat à l’intérieur leurs influences antiquisantes et septentrionales. De
des remparts caractérise chaque fois une unité d’ex- même, au pied de Larina, la fouille -ou des sonda-
ploitation agricole spécialisée dans l’élevage extensif, ges – des trois ensembles voisins de Saint-Etienne-
mais où la céréaliculture et la viticulture sont main- de-Hières, Marignieu et La Brosse, disposant chacun
tenues. Placée aux marges du diocèse de Vienne, et d’une villa ou d’un établissement gallo-romain, puis
aux frontières de territoires et d’axes de communi- d’une chapelle Saint-Martin et d’une nécropole sous
cation importants (le val d’Amby, le haut Rhône et lauzes mérovingiennes, devrait apporter beaucoup
l’Ain, l’Est Lyonnais…) qu’elle domine, la forteresse aux problématiques tant de complémentarité dans
de Larina est ainsi également un centre politique et l’occupation du sol, que pour la compréhension des
stratégique qui marque un pouvoir politique ou reli- types de peuplement sur un territoire bien limité,
gieux dont l’importance apparaîtra encore longtemps aux caractéristiques géographiques complémentai-
dans le paysage après sa disparition. res. Les établissements mérovingiens de Bourcieu/

196 • Larina : des acquis archéologiques aux perspectives historiques


Vernas Nord détiennent aussi sans doute beaucoup Ainsi l’étude du site de Larina a-t-elle permis de
des clefs pour la compréhension du débouché de poser plusieurs questions importantes sur l’occupa-
Larina dans la plaine, et son devenir après l’abandon tion du sol au haut Moyen Âge, à travers la caracté-
du castrum. risation d’une importante « forteresse de hauteur », en
Plus globalement, la caractérisation des forteres- liaison avec les établissements qui l’ont précédée sur
ses de hauteur mérovingienne nécessiterait enfin, le site, mais aussi ceux qui l’ont complétée sur le ter-
au-delà des recherches historiques dans les textes à roir. Mais là comme souvent, pour atteindre le niveau
approfondir, plusieurs fouilles comparatives. La réoc- d’interprétation historique souhaité, et pour suppléer
cupation ponctuelle des oppida à la fin de l’Anti- à de trop rares textes, il conviendra de retourner sur
quité, et l’étude des habitats groupés de hauteur, de le terrain pour d’autres recherches. L’apport de Larina
Saint-Blaise au Roc-de-Pampelune, doivent d’abord est important par les questions posées, si ce n’est
être mises à part. Il convient ensuite d’étudier les les réponses envisagées, en montrant notamment
domaines ruraux fortifiés évoqués par les textes, la complexité de l’interprétation des fonctions, et la
Chastel-Marlhac en tête, que les fouilles en cours définition même variable selon les périodes, de ces
de sites comme La Malène et Ecrille éclairent déjà sites de hauteur trop rapidement (et sommairement !)
aussi de manières significatives, bien que différen- caractérisés. Cette recherche doit néanmoins s’insérer
tes. D’autres recherches sur des sites repérés depuis dans une chaîne scientifique nécessitant des fouilles
longtemps, comme le camp bourguignon de Cora, complémentaires suivies de longue durée, dont la
devraient pouvoir préciser nos connaissances sur ce programmation est nécessaire, là ou ailleurs, pour
type d’établissments, plus complexes dans la durée prétendre répondre aux interrogations sur la part du
du haut Moyen Âge que ce que des sondages trop haut Moyen Âge dans la constitution du peuplement
souvent limités font penser… et des paysages ruraux actuels. (Fig. 863)

Interrogations, problématiques et recherches nécessaires • 197

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