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(1) : Laboratoire de Cartographie Géomorphologique des Milieux, des Environnements et des Dynamiques
(CGMED), Institut des Études Appliquées en Humanités de Sbeïtla (ISEAH).
Courriel : bkairi_amor@yahoo.fr
RÉSUMÉ : L'érosion hydrique est très active dans la région des Hautes Steppes tunisiennes,
particulièrement dans les plaines alluviales où elle est très largement commandée par la suffosion.
Cette dynamique érosive représente une menace sérieuse pour les terres agricoles. Les phénomènes
érosifs liés à la suffosion provoquent des ravinements, des sapements de berge et l'élargissement de la
section des oueds. Une cartographie morphodynamique détaillée, appuyée sur une prospection fine du
terrain, l'exploitation de données spatiales multi-dates et l'étude de quelques cas, montre du reste la
forte sensibilité de la région à l'érosion hydrique liée à la suffosion. Les formes de ravinement et le
rythme des incisions linéaires mis en lumière par une étude diachronique de photographies aériennes
orthorectifiées, pose le problème des facteurs de cette évolution accélérée : agressivité des pluies,
érodibilité des sols et des formations à l'affleurement, inclinaison des pentes, modestie du couvert
végétal et action anthropique inadaptée.
MOTS-CLÉS : cartographie morphodynamique, ravinement, suffosion, étude diachronique,
écoulement hypodermique, Hautes Steppes, Tunisie centrale.
ABSTRACT: Hydric erosion is very active in the Upper Steppes area of Tunisia chiefly on the
alluvial floodplains where it is largely controlled by suffusion. This erosive dynamic represents a
threat for the agricultural lands. The erosive phenomena related to suffusion, causes gullying, banks
undermining and enlargement of the section of wadis. A morphodynamic mapping based on field-
observations, the exploitation of aerial photos multi-date data, and the study of some examples put
moreover in evidence the sensibility of the area to erosion phenomena in relation with suffusion. The
forms of gullying and a comparative study of orthorectified air photographs pose the problem of the
factors of this accelerated evolution: rainfall aggressivity, soil erodibility, inclination of the slopes,
weakness of the vegetal cover and inappropriate human activities.
KEY-WORDS: morphodynamic mapping, gullying, suffusion, comparative study, hypodermic flow,
Upper Steppes, central Tunisia.
I - INTRODUCTION
En Tunisie centrale, les terres agricoles et sylvo-pastorales ont connu des mutations
profondes, au moins depuis le début du XXème siècle, à travers une surexploitation des
2
ressources naturelles qui a abouti à une crise érosive très sévère qui s'est traduite par une
multiplication des formes d'érosion hydrique et éolienne (H. ATTIA, 1977 ; H. BANNOUR
et al., 1980 ; A. BOUJARRA, 1986 ; A. HAMZA, 1988 ; N. FEHRI, 2003).
Dans cette région de la Tunisie, le ravinement a pris une place particulière dans les études
géomorphologiques, avec pour perspective des travaux antiérosifs.
Dans les matériaux tendres, le ravinement commandé par la suffosion a été signalé, non
seulement en Afrique du Nord, mais dans tous les pays de la Méditerranée (M.P. LAFFAN et
E.J.B. CULTER, 1977).
La suffosion a été bien étudiée aux alentours des dépressions fermées du Sahel tunisien,
dans les formations éoliennes argilo-gypseuses (A. BOUJELBEN, 2003 ; H. BEN JEMAA,
2008).
Dans les plaines alluviales des Hautes Steppes tunisiennes, où se sont déposées des
alluvions fines, le ravinement est également fréquent dans les bassins versants des oueds
Hatab, Hathob, Sbiba et Sbeïtla (J. DE PLOEY, 1973 ; H. BANNOUR et H. BOUALLAGUI,
1979 ; H. BANNOUR et al. 1980 ; A. BOUJARRA, 1986 ; A. HAMZA, 1988 ; A. BKHAIRI, 2005,
2008 ; K. ZERAI, 2006 ; L. AMAMI, 2011). Les auteurs ont souligné le rôle de la suffosion
dans le développement du ravinement. Dans un travail consacré au bassin de Kasserine,
J. DE PLOEY (1973) a été le premier à mentionner l'importance du "piping" dans la
multiplication de formes variées dues au ravinement sur les berges de l'Oued Hatab.
Cependant aucune étude détaillée n'a encore été conduite. Dans cette perspective, nous
utiliserons une approche diachronique et multicritère. Appliquée à huit secteurs qui nous ont
paru intéressants, cette approche s'appuie sur des analyses sédimentologiques, une
cartographie morphodynamique et l'exploitation de données spatiales et statistiques. Elle vise
l'analyse de la complexité des formes et des processus de la suffosion sur les berges des oueds
et dans les plaines, le suivi de l'évolution du ravinement dans des terrains aux caractères
contrastés, l'évaluation de l'ampleur du phénomène dans le système morphogénique actuel et
la mise en évidence des facteurs déterminants.
II - CADRE GÉOGRAPHIQUE
Couvrant toute la partie occidentale de l'Atlas central tunisien à grabens, le secteur choisi
pour cette étude couvre presque toutes les Hautes Steppes tunisiennes. Cette zone de la
Tunisie du Centre-Ouest s'étend sur une superficie de près de 4000 km2 où s'individualisent
trois sous-bassins appartenant au bassin versant de l'Oued Zeroud, ceux des oueds Hatab,
Sbeïtla et Hathob (Fig. 1). Ces trois unités hydrographiques recoupent obliquement les
alignements montagneux de l'Atlas central tunisien de direction générale SO-NE (Fig. 1). Le
cadre orographique est marqué par une topographie fortement contrastée dominée par les plus
hauts sommets de la Tunisie, les altitudes dépassant 1300 m aux djebels Semmama, Mghila et
Selloum, et 1400 m aux djebels Chaâmbi et Biréno. Ces reliefs montagneux sont séparés par
des plateaux et des plaines d'effondrement dont les altitudes décroissent progressivement du
nord-ouest au sud-est (Fig. 1).
L'ossature des principaux reliefs est essentiellement constituée par des terrains crétacés, à
dominante calcaire, dolomitique, ou marneuse, et localement par des affleurements triasiques
3
d'argiles et de gypses bariolés. Sur les plateaux affleurent essentiellement des sables, argiles et
grès mio-pliocènes, ainsi que des roches carbonatées du Quaternaire ancien et moyen
(A. HENTATI, 1977 ; H. BANNOUR et H. BOUALLAGUI, 1979 ; A. HAMZA, 1988 ;
A. BKHAIRI, 2005, 2009). Les plaines de Foussana, Sahraoui, Kasserine et Rohia- Sbiba
correspondent à des fossés d'effondrement liés à une évolution structurale complexe et une
activité tectonique active jusqu'à nos jours (A. EL GHALI, 1993 ; L. CHIHI, 1995). Seules les
plaines de Sbeïtla et de Mz'ara se trouvent en dehors de ces fossés d'effondrement.
Pour cartographier les formes et les processus de l'érosion hydrique liés directement à la
suffosion et afin d'évaluer la vitesse d'évolution du ravinement et de comprendre sa
dynamique, nous avons effectué des observations systématiques sur le terrain d'étude entre
2005 et 2010. Par la suite, nous avons sélectionné huit zones parmi les plus touchées par la
suffosion (Fig. 1). Parmi les zones sélectionnées, les bassins de Kasserine, de Foussana et de
Sahraoui ont fait l'objet d'opérations spécifiques : cartographie morphodynamique détaillée
des formes en relation avec l'érosion hydrique dans la plaine de Sahraoui, échantillonnage des
sédiments à l'affleurement pour des analyses sédimentologiques et minéralogiques dans les
plaines de Bled Haria et de Bhiret Foussana-Boulaaba, et mesures répétitives des formes de
suffosion (2005-2008) à Bled Haria (bassin de Kasserine). Ces mesures ont permis d'évaluer
l'ampleur de l'érosion hydrique et d'avoir des données quantitatives sur la vitesse de
progression du ravinement.
2 ) Analyses sédimentologiques
Les analyses granulométriques ont été menées au laboratoire des sols du Commissariat
Régional au Développement Agricole (CRDA) de Kasserine. Après destruction à l'eau
oxygénée de la matière organique sur une prise de 20 g d'échantillon brut, un tamisage par
voie humide (pendant 4 heures, avec 4 tamis de 2 à 0,063 mm) permet de séparer les
gravillons (> 2 mm – en fait, pratiquement toujours absents), les sables (2-0,063 mm) et les
fractions les plus fines (limons et argile). Les teneurs en gravillons et en sables sont
déterminées après séchage et pesée du refus des différents tamis. Celles en limons (63-2 µm)
et en argile (< 2 µm) sont obtenues en traitant des prises de 5 g de la fraction inférieure à
63 µm à l'aide d'un analyseur de sédimentation par rayons X SEDIGRAPH, les prises étant
préalablement dispersées à froid dans 80 ml d'une solution de pyrophosphate tétrasodique.
Chaque échantillon a subi deux à quatre analyses au SEDIGRAH, afin de s'assurer de la
bonne représentativité des résultats.
Les mêmes échantillons ont fait l'objet d'une analyse minéralogique par diffraction aux
rayons X dans le laboratoire de Géochimie Analytique de l'Office National des Mines de
Tunis, pour la détermination des minéraux non argileux, en particulier le gypse, très
déterminant dans les phénomènes de soutirage et de dissolution.
La troisième méthode propose une analyse diachronique des dynamiques érosives liées à
la suffosion sur une période de plus de 50 ans. Elle fait également appel à l'analyse de
5
Par ailleurs, une carte morphodynamique détaillée de l'érosion hydrique a été réalisée
pour les environs de Khanguet Selougui, localité située dans la partie orientale de la plaine de
Sahraoui. Dans ce secteur, le barrage Selougui est sérieusement menacé par l'envasement
suite à la l'aggravation de l'érosion hydrique (voir Fig. 9). La cartographie morphodynamique
s'est appuyée sur la prospection systématique des formes d'érosion sur le terrain et sur la
photo-interprétation des vues aériennes de la mission 2000.
Le long des oueds drainant les Hautes Steppes tunisiennes, la dynamique érosive a été
largement interprétée comme étant le fait des crues exceptionnelles et brèves en rapport avec
des pluies torrentielles qui surviennent généralement après la saison sèche. Ces crues ont pour
conséquences le sapement des berges, qui peuvent s'effondrer par pans, et la modification de
la largeur et du profil en long des lits (A. BOUJARRA, 1986 ; A. HAMZA, 1988 ; A. BKHAIRI,
2005 ; K. ZERAI, 2006). Nos observations, conduites entre 2005 et 2010, révèlent que la
dynamique des berges des oueds drainant les Hautes Steppes tunisiennes est en interaction
complexe avec la suffosion (Photos 1).
Sur les berges estompées des oueds Hatab et Hathob, la suffosion a créé des trous d'un
diamètre généralement compris entre 30 et 50 cm, alignés du haut vers le bas de la berge
(Photo 1-A). Ces trous de surface sont reliés en profondeur par un tunnel. La genèse des
tunnels est liée à l'exportation de matière par les écoulements hypodermiques qui rejoignent
les talwegs actuels. Cette suffosion s'exerce à l'interface entre des formations argilo-limono-
gypseuses et des argiles imperméables sous-jacentes. Au contraire, sur les berges abruptes, les
formes liées à la suffosion sont variées et et il est possible de distinguer deux dynamiques
majeures. La première correspond à la multiplication des conduits verticaux ou sub-verticaux.
D'un diamètre dépassant le plus souvent 50 cm, ils assurent un drainage per descensum,
parfois sur plusieurs mètres de hauteur. Cette dynamique est assez répandue sur les berges des
oueds Hatab et Hathob, dans les plaines d'Oum Lahowad, Bhiret Foussana-Boulaaba, Bled
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Haria, Bled Gredok et Jeddliène-Sbiba. Elle constitue aujourd'hui une menace sérieuse pour la
population riveraine et ses activités agricoles à Bled Haria et à Bled Gredok où les berges sont
souvent hautes et escarpées et s'érodent d'autant plus facilement qu'elles sont dégagées dans
des matériaux fins non consolidés. Les exutoires sont souvent associés à des tunnels
souterrains et prennent des formes ovales et cylindriques, avec un diamètre plus faible que
celui des trous de surface (Photo 1-C).
Dans des situations particulières où les dynamiques érosives affectent des berges abruptes
(comme c'est le cas en rive droite de l'Oued Hatab, dans la plaine de Haria), les tunnels
verticaux et sub-verticaux sont reliés à des exutoires dont certains sont ouverts dans les
couches sommitales et moyennes. Ces exutoires présentent des dimensions inférieures à celles
des exutoires situés plus bas (Fig. 2). Cette dynamique s'explique par la hauteur de la berge,
7
Un troisième type de dynamique s'exprime dans des secteurs localisés, sur certaines rives
concaves de l'Oued Hatab, dans les plaines de Sahraoui, d'Oum Lahowad et de Bled Gredok.
Il résulte de l'interaction entre suffosion, mouvements de masse et écoulement concentré.
Cette dynamique caractérise les berges hautes et abruptes avec une forte épaisseur de
matériaux au-dessus de la couche imperméable. De ce fait, se produisent des mouvements de
masse qui ouvrent des fentes parallèles au cours d'eau, fentes par lesquelles s'infiltrent les
eaux précipitées sur la rive. Ces cicatrices dégagées en surface évoluent en trous atteignant
parfois un mètre de diamètre (Photo 1-B). Cette dynamique érosive complexe témoigne de
l'interaction de plusieurs agents morphogéniques et exprime la notion de relais signalée dans
plusieurs travaux de part et d'autre de la Méditerranée (A. MARRE, 1998 ; H. EL ABBASSI,
1999).
D'autres formes d'érosion marquent les berges raides et abruptes. Elles constituent des
modelés denticulés où les tunnels verticaux créés par l'écoulement hypodermique se
transforment en ravines parallèles qui séparent des pans d'alluvions (Photo 2-A). Les modelés
denticulés relèvent d'un stade ultime de l'érosion des berges par suffosion. De telles formes
sont omniprésentes sur les berges de l'Oued Hatab à Bled Haria en amont du bassin de
Kasserine. Dans les situations où les trous de suffosion sont éloignés les uns des autres, leur
évolution aboutit à de grandes excavations d'un diamètre de un à deux mètres et d'une hauteur
pouvant atteindre plusieurs mètres, comme sur la berge gauche de l'Oued Hatab à Oum
Lahowad et sur la berge droite de l'Oued Hatab à Bled Mz'ara (Photos 2-A et 2-B).
8
Dans les plaines alluviales de Sahraoui, Foussana, Kasserine, Gredok, Mz'ara, Sbeïtla,
Aitha et Jeddliène-Sbiba, la spécificité de la dynamique érosive dominée par le ravinement
provient de l'influence remarquable de la suffosion. Deux dynamiques érosives différentes
affectent les formations alluviales d'argiles sablo-limono-gypseuses riches en sels, d'âges
pléistocène supérieur et holocène (H. BANNOUR et H. BOUALLAGUI, 1979 ; J. MEDUS et
H. LAVAL, 1997 ; A. BKHAIRI, 2005, 2008).
La première dynamique se traduit par l'apparition d'une série de trous de suffosion qui ont
presque tous les mêmes dimensions et qui sont alignés selon une direction imposée par une
légère dénivellation (Photo 3-A). Ce dispositif met en jeu un seul conduit souterrain assurant
la circulation des eaux infiltrées au niveau des trous. Le tunnel est développé au-dessus d'une
couche de matériaux imperméables.
Photos 3 - Les formes majeures d'érosion de surface liées à la suffosion dans les plaines.
A : Trous de suffosion alignés à Bled Haria (bassin de Kasserine). B : Multiplication des ravines par
suffosion dans la plaine de Aitha (piémont oriental du Djebel Mghila). C : Champ de trous de
suffosion à Bhiret Foussana- Boulaaba (plaine de Foussana).
Photos 4 - Autres exemples d'érosion de surface liée à la suffosion dans les plaines.
A : Trou de suffosion métrique favorisant le recul d'une tête d'une ravine à Bhiret Foussana-Boulaaba.
B : Ravine active par suffosion à Bled Aitha. C : Ravinement généralisé ou "Chebkas" dans la plaine
de Jeddiliène-Sbiba.
10
- Dans un premier temps, des fentes de dessiccation s'ouvrent dans les formations
superficielles argilo-limono-sableuses riches en sels sous l'effet de la sécheresse d'été.
- Puis ces fentes s'élargissent et s'approfondissent sous l'effet d'un écoulement permettant le
soutirage des dépôts fins et donc la formation de tunnels au-dessus du premier plan de
stratification marquant la présence d'une couche relativement imperméable. Ce tunnel
rejoint, vers l'aval, une ravine, elle-même connectée au réseau hydrographique.
- Dans une troisième phase, après les pluies torrentielles tombées au cours des orages de
septembre 2007, les couches superficielles s'effondrent, ce qui détermine la formation d'une
ravine d'une dizaine de mètres de longueur et de 30 à 40 cm de profondeur.
- Enfin, de nouveaux trous apparaissent de part et d'autre du ravin principal et évoluent en
rigoles et en ravines. Ces dernières s'organisent selon des directions perpendiculaires et
obliques par rapport au ravin principal et aboutissent à un système de ravinement généralisé.
méridionale à climat aride. Elles se caractérisent par un climat semi-aride avec une pluviosité
qui augmente du sud-est au nord-ouest (A. BOUJARRA, 1986 ; A. HAMZA, 1988 ;
A. BKHAIRI, 2005 ; K. ZERAI, 2006) : les précipitations annuelles moyennes vont de 250 mm
au sud (Khanguet Zazia et Mz'ara) à 350 mm au nord (à Jeddliène et Sbiba). Cette région est
soumise à des conditions climatiques contraignantes marquées par de forts contrastes
saisonniers et des fluctuations interannuelles très nettes des précipitations (Fig. 5). La
moyenne pluviométrique annuelle moyenne dans la station de Kasserine est de 285 mm (sur
une période de 32 ans) et de 230 mm à Garaat Atech (sur une période de 73 ans). Les
enregistrements pluviométriques montrent des irrégularités interannuelles (Fig. 5). Les
quantités mesurées en 1969-70 ont atteint 698 mm à Garaat Atech. En revanche, les pluies
annuelles n'ont pas dépassé 126 mm en 1995-96 à la même station (A. BKHAIRI, 2005).
L'irrégularité interannuelle est encore plus remarquable aux échelles saisonnière et mensuelle
(Tab. I). Le régime saisonnier est bimodal ; il se caractérise par la prédominance des pluies
d'automne et de printemps (L. HENIA, 1993).
800
700
600
500
P. (mm)
400
300
200
100
0
1969-1970
1970-1971
1971-1972
1972-1973
1973-1974
1974-1975
1975-1976
1976-1977
1977-1978
1978-1979
1979-1980
1980-1981
1981-1982
1982-1983
1983-1984
1984-1985
1985-1986
1986-1987
1987-1988
1988-1989
1989-1990
1990-1991
1991-1992
1992-1993
1993-1994
1994-1995
1995-1996
1996-1997
1997-1998
1998-1999
1999-2000
2000-2001
c. L'action anthropique
Dans un travail antérieur sur toute la région des Hautes Steppes tunisiennes, H. ATTIA
(1977) a noté le changement radical des modes d'occupation du sol dans cette région depuis la
période coloniale, du fait de la mutation d'une société pastorale en une société d'agriculteurs.
Cela signifie la sédentarisation de la population locale, le passage d'une agriculture extensive
basée sur le pâturage et la céréaliculture sporadique à une agriculture intensive basée sur la
mécanisation où se combinent la céréaliculture, l'arboriculture, l'élevage et les cultures
15
maraichères (H. ATTIA, 1977 ; A. HAMZA, 1988). Il résulte de ces changements spatio-
économiques une pression anthropique renforcée sur les ressources naturelles (sol, végétation
et eau) et une plus grande vulnérabilité des terres agricoles vis-à-vis de l'érosion hydrique et
éolienne.
Les prospections géomorphologiques que nous avons effectuées dans les plaines
alluviales, et tout particulièrement dans les secteurs les plus ravinés, ainsi que l'examen de la
carte d'occupation du sol réalisée pour le bassin de Kasserine permettent d'affirmer que les
terres les plus dégradées et ravinées en bad-lands correspondent à des parcours d'élevage qui
souffrent d'une surcharge pastorale dégradant les formations végétales steppiques et limitant
leur rôle protecteur à l'égard des formations superficielles (Fig. 7). Outre de la surcharge
pastorale, ces terrains souffrent de l'absence ou de l'inefficacité des travaux antiérosifs. Ainsi
les banquettes et gabions en pierres sèches réalisés dans les parcours d'élevage de la plaine de
Foussana, entre Bhiret Foussana et Ain Saboun, loin de bloquer l'érosion, ont contribué au
contraire à l'accentuation des processus de suffosion (Photos 6).
d'autre des oueds Hatab et Hathob et de certains de leurs affluents dans les plaines de
Sahraoui, Bhiret Foussana, Bled Haria, Bled Gredok, Bled Aitha et Jeddliène-Sbiba. Ces sols,
de texture argilo-limono-sableuse, riches en gypse et en chlorures, sont pauvres en matière
organique (1 à 2 %). Ils sont donc sensibles à la suffosion.
D'une superficie de 1,71 km2, le sous-bassin versant de l'Oued Charket Sidi Mbarek
Kouchrid, situé dans les environs de Boulaaba, draine le versant et le piémont nord du Djebel
Zeubbès, en rive droite de l'Oued Hatab. Ce sous-bassin versant présente à l'affleurement
quatre unités litho-stratigraphiques d'âges différents (Fig. 9-A). Sur le versant septentrional,
les formations triasiques associent des argiles bariolées, des dolomites, des grès et des gypses.
En contrebas de ce versant, s'étendent des sables et des grès miocènes, ainsi que des
conglomérats encroûtés du Pliocène (A. ROUMIGUIÈRES et D. UGUET, 1946). Enfin, dans la
vallée drainée par l'Oued Charket Sidi Mbarek Kouchrid, se sont déposées des formations
argilo-sablo-limoneuses riches en gypse du Pléistocène supérieur. Dans ces terrains meubles,
le ravinement marque largement le paysage, la suffosion ayant abouti à la formation de bad-
lands.
La présence d'un système de ravines qui laisse aujourd'hui les terres dénudées et stériles,
nous a poussé à une étude diachronique, afin de mettre en évidence l'évolution de la densité
de drainage sur une période de plusieurs décennies (Fig. 9-B). La dynamique ravinante liée à
l'érosion hydrique a été déterminée par le taux d'évolution des ravins dans le sous-bassin
étudié entre 1948 et 2000 (Fig. 9). À ce propos, la densité de drainage a évolué de
6,42 km/km2 en 1948 à 12,37 km/km2 en 2000, soit une augmentation de 92 % (Fig. 9-B).
Toutefois, les situations diffèrent sensiblement selon les unités lithostratigraphiques. De fait,
l'unité argilo-limono-sableuse riche en gypse de la vallée de l'Oued Charket Sidi Mbarek
Kouchrid concentre 94 % des ravinements. Les bad-lands y forment actuellement un réseau
dendritique, aux formes fraîches, où les fonds de ravines sont très étroits (10 à 50 cm)
(Fig. 9-C).
VII - CONCLUSION
L'érosion hydrique dans les plaines alluviales des Hautes Steppes tunisiennes se
manifeste aujourd'hui par un ravinement généralisé commandé, sur les berges des oueds et
dans les plaines, par la suffosion. Une étude diachronique fondée sur l'exploitation de vues
aériennes montre fait ressortir combien l'érosion hydrique s'est aggravée depuis les années
1950. Mais elle montre aussi, ce qui est confirmé par les suivis de terrain, que l'ampleur du
phénomène est étroitement liée à la nature du terrain. Les formations argilo-limono-sableuses
riches en gypse du Pléistocène et de l'Holocène, les plus érodibles et les plus sensibles à la
suffosion, sont les plus touchées par le ravinement.
L'analyse des conditions environnementales et des facteurs intrinsèques révèle que cette
dynamique érosive résulte de la conjonction de différents facteurs : irrégularité des pluies,
faiblesse de la pente et richesse en gypse et en sels. À ces facteurs, s'ajoute la pression
anthropique qui, à travers les mutations de l'utilisation du sol et la mise en place des
techniques antiérosives inappropriées (banquettes et gabions en pierres sèches), est
responsable de l'exacerbation récente de l'érosion hydrique et donc de la dégradation
environnementale des Hautes Steppes tunisiennes.
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