Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
MxM Bookmark
Le piratage prive l'auteur ainsi que les personnes ayant travaillé sur ce livre
de leur droit.
— Cameron ?
Cameron Gilroy releva les yeux du dossier qu’il consultait et fixa son
collègue, Mark Donan, d’un air interrogateur en le voyant s’approcher.
Tout comme lui, âgé d’à peine trente ans, Mark possédait la silhouette bien
développée des nageurs confirmés, des cheveux bruns coupés court comme
s’il était toujours dans l’armée et des yeux bleus dont il savait parfaitement
tirer profit pour faire craquer les filles.
Son coéquipier avait une belle réputation de coureur de jupons, dans leur
unité. Cela ne l’empêchait pas d’être un type bien, avec lequel il appréciait
boire un verre, après le travail. Son ami plaisantait d’ailleurs souvent sur le
fait que Cameron fût un appât de choix, en soirée : doté d’une silhouette de
marathonien, les cheveux châtains et les yeux gris, Cameron était un
honorable représentant de la gent masculine. Mark n’avait qu’à se pencher
pour ramasser une jolie plante, quand ces dames comprenaient que Cameron
ne les avait pas dans son radar.
Outre leur amitié, ils formaient un duo sur le terrain depuis trois ans, à
présent. À eux deux, ils avaient déjà un joli nombre d’enquêtes résolues.
— Le boss veut nous voir, lui apprit son ami.
— Un dossier pour nous ? demanda-t-il en se levant pour prendre avec lui
la direction du bureau de leur supérieur.
— Mmm, apparemment.
Arrivés devant le bureau de leur chef, Mark frappa calmement à la porte.
La voix grave et ferme de ce dernier les invita à entrer. Debout derrière son
bureau, un homme de haute taille, la silhouette athlétique malgré ses
cinquante-deux ans, les cheveux grisonnants, les accueillit d’un hochement
de tête.
— Patron, le saluèrent-ils.
— Asseyez-vous.
Pendant qu’ils obéissaient, Frank Harmon, leur supérieur, s’empara d’un
dossier sur son bureau et le leur tendit sans un mot. Mark s’en saisit et
l’ouvrit d’un geste impatient. Une photo de scène de crime lui tomba
immédiatement sous les yeux.
— Il est de retour, souffla-t-il.
Cameron, qui tentait jusque-là de sonder l’expression de leur supérieur,
tourna vivement la tête vers son ami.
Il savait parfaitement que seule une personne pouvait faire réagir son
coéquipier de cette manière : un tueur en série signant ses meurtres d’un as de
pique au design gothique, une tête de mort décorant l’as noir.
À l’heure actuelle, quatre États avaient déjà subi son passage meurtrier. Ce
tueur avait à son actif douze victimes. Un autre point commun entre elles,
outre l’as retrouvé sur leurs corps nus abandonnés dans un lieu public, étaient
les marques de Taser sur leur nuque et les multiples coups de couteau.
Chaque fois qu’il avait sévi, le tueur avait montré une préférence pour les
garçons d’une vingtaine d’années.
Jusqu’à présent, les forces de l’ordre n’avaient pas réussi à mettre la main
sur lui, faute de témoins et d’indices probants. Ce salaud était prudent.
— Un étudiant ? demanda-t-il.
— Oui, confirma leur supérieur d’une voix grave. De Northswestern.
Cameron serra brièvement les dents.
— Quel âge ?
— Vingt ans, lut Mark.
— Coups de couteau ?
— Le légiste nous a uniquement fait parvenir pour l'instant le rapport
préliminaire, précisa Frank Harmon. J’ai prévenu le Capitaine Thomson, de
la Criminelle, que je vous dépêchais sur place pour les assister dans cette
enquête. Coincez-moi ce salaud, cette fois.
« Flash info. Tard cette nuit, une découverte macabre a eu lieu dans
Lincoln Park. Le corps sans vie d’un étudiant de Northswestern University a
été retrouvé au bord du lac Michigan.
Les autorités de la ville n’ont pas voulu faire de commentaires, se bornant
à affirmer qu’une enquête allait être ouverte pour déterminer la cause exacte
de la mort de ce jeune homme d’une vingtaine d’années. »
Faisant la moue face à cette nouvelle, Kyren se gara sur la place de parking
qui lui était réservée et coupa le moteur de sa voiture, une Chevrolet Camaro
rouge qui avait fait son temps, mais à laquelle il tenait.
Descendant de son véhicule en prenant sa mallette en cuir brun, il en
verrouillait la portière quand il perçut des pas précipités dans sa direction.
Reconnaissant la démarche du professeur de biologie humaine, le collant Ted
Haynes, il leva brièvement les yeux au ciel et se dirigea de son pas félin vers
la faculté de médecine où il donnait un cours de sciences du comportement.
Tendant l’oreille, il se convainquit rapidement d’avoir réussi à semer celui
qui représentait une erreur monumentale, réalisée deux mois plus tôt. La
sonnerie retentit alors qu’il pénétrait dans l’amphithéâtre où il allait donner
son premier cours de la journée, il respira. Il ne s’estimait pas sauvé, mais, au
moins pour quelques heures, son coup d’un soir allait être retenu loin de lui
par ses obligations.
Le brouhaha qui régnait parmi ses étudiants ne cessa pas à son entrée.
Fronçant légèrement les sourcils, il gagna le bureau pour y déposer sa
mallette. Quelques étudiants s’installèrent en remarquant sa présence, lui
permettant de découvrir une jeune fille en pleurs, entourée d’autres étudiants
à la mine abattue. Quittant l’estrade où les professeurs étaient relégués, il se
dirigea vers le petit attroupement d’une démarche indolente.
— Mesdemoiselles, Messieurs…
Sa voix fit réagir ses étudiants qui rejoignirent vivement leur place, sans se
dérider. Kyren laissa son regard passer sur chacun d’eux puis se pencha
légèrement vers la jeune fille qui essuyait ses larmes.
— Mademoiselle Britt ? l’interpella-t-il posément. Si vous ne vous sentez
pas bien…
— Ce n’est pas ça, le coupa une étudiante d’une voix un peu tremblante.
C’est son petit ami, Keith Hill… Il est mort, cette nuit. Vous n’avez pas
entendu les infos ?
Kyren cilla, surpris et attristé. Il connaissait Keith Hill. C’était un garçon
travailleur et motivé, qui s’intéressait beaucoup aux sciences
comportementales. Assez, en tout cas, pour avoir pris son cours en option
supplémentaire dans son cursus de deuxième année.
— J’ignorais qu’il s’agissait de Keith, dit-il en posant sur son élève un
regard compatissant. Je suis désolé. Si vous désirez quitter le cours, vous
serez excusée, Mademoiselle, au vu des circonstances.
— Non, répondit péniblement la jeune fille. Ça ira.
Kyren hésita puis opina en regagnant l’estrade. Il allait inscrire le sujet du
jour sur le tableau, quand on frappa à la porte de l’amphithéâtre. Avant même
qu’il ait répondu, la porte s’ouvrit sur le doyen de la faculté de médecine, un
homme d’une soixantaine d’années légèrement bedonnant, avec un crâne à
peine recouvert de quelques fins cheveux gris.
— Docteur Lang ? s’étonna Kyren en avisant ses joues rougies et ses
tempes moites. Tout va bien ?
— Désolé de vous déranger, professeur Lakelan, s’excusa l’homme d’un
ton essoufflé. Nous réunissons le corps enseignant dans le bureau du
directeur.
— Maintenant ?
Le doyen opina avant de tourner les talons pour aller avertir le reste des
enseignants. Kyren se tourna vers ses étudiants qui le considéraient avec
perplexité.
— Allez, jeunes gens, soupira-t-il en leur montrant la porte dans un geste
las. Le cours est annulé, aujourd'hui.
Ignorant leur agitation, il prit sa mallette et sortit de l’amphithéâtre pour
rejoindre le bureau du directeur. À l’idée de se retrouver enfermé dans la
même pièce que Ted Haynes, il grimaça. Ce n’était visiblement pas une
joyeuse journée qui s’annonçait…
Cameron s’approcha du bureau sur lequel était posée une feuille avec la
liste des professeurs de Keith Hill. Kyren, pénétrant dans la pièce à sa suite,
ferma silencieusement la porte derrière lui avant de regarder l’agent avec
patience.
L’odeur du jeune homme lui plaisait, aussi il ne se priva pas de l’apprécier
de loin, humant par-dessus l’odeur du déodorant du jeune homme le parfum
de sa peau. Une brusque envie de plonger son visage dans le cou de l’agent
pour y enfouir son nez le saisit. Surpris par cette pulsion, il jugea préférable
de s’adosser au mur le plus éloigné de Cameron et croisa les bras sur son
torse sans se soucier de paraître sur la défensive.
— Alors selon le dossier de Keith, vous êtes… son professeur de sciences
du comportement ? C’est bizarre, comme option, non ? Pour un futur
médecin, on pourrait croire qu’il suivrait un cours moins… « inutile », si
vous me passez l’expression ?
Perturbé par la sensation que son cœur entrait en résonance, Kyren le
regarda sans répondre. Cameron fronça légèrement les sourcils.
— professeur Lakelan ?
— Pardon ? fit Kyren en penchant légèrement la tête. Désolé, je n’ai pas eu
l’impression d’entendre une question…
Cameron eut un mince sourire.
— Keith était votre étudiant depuis longtemps ?
— Il a suivi mon cours d’éthologie, lors de sa première année. Il a décidé
d’ajouter l’option « Éthologie humaine », dans son cursus.
— Quel genre d’élève était-il ?
Kyren haussa les épaules.
— Studieux.
— Studieux ? répéta Cameron. C’est tout ?
— C’était un garçon travailleur et motivé, agent spécial… Gilroy, se
rappela-t-il. C’est la définition de « studieux », il me semble ?
— Vous le connaissiez bien ?
— Pas plus que le reste de mes élèves, non.
— Vous ne savez donc rien de particulier, à son sujet ?
— Comme quoi ?
— S’il avait des ennemis, précisa Cameron. S’il avait des ennuis. S’il se
sentait épié, suivi…
Kyren fit la moue et secoua négativement la tête.
— Je n’étais que son professeur. Sa petite amie en saurait sans doute plus
que moi, à ce sujet…
— Mademoiselle Britt ?
— Oui, confirma-t-il.
— Nous l’avons déjà interrogée. Elle n’a rien pu nous apprendre de
particulier.
— Je vois… Eh bien, si vous n’avez plus d’autres questions…
— Vous êtes pressé de partir, professeur ? demanda Cameron dans un
sourire un rien moqueur quand le jeune homme se détacha du mur.
— Mes cours ne se donneront pas seuls et j’ai peur de ne pas vous être
d’une grande aide, dans cette affaire…
— Mmm… Si quoi que ce soit vous revenait, concernant le jeune Hill,
voici ma carte, lui dit Cameron en sortant une carte de visite de sa poche pour
la lui tendre.
Kyren s’en empara à contrecœur et la fourra dans la poche de son jean
sombre. Cameron sourcilla légèrement devant tant de désinvolture, mais ne
protesta pas alors que Kyren tournait les talons pour s’éloigner.
— Au fait, agent Gilroy ? fit ce dernier, s’arrêtant alors qu’il allait sortir du
bureau.
— Oui ?
— Je suis un spécialiste des sciences comportementales, tant sur le plan
humain que sur le plan animal, bien que mes domaines de prédilection soient
plutôt animaliers. Mon travail n’est pas moins valorisant que le vôtre, même
si je ne me balade pas partout avec un flingue. Je vous saurai donc gré de
garder vos impressions quant à l’inutilité de mon cours pour vous.
Cameron tressaillit légèrement, surpris de se faire remonter les bretelles de
cette façon. Kyren quitta le bureau sans attendre de réponse et il ne put que le
regarder s’éloigner, songeur et, il devait bien l’avouer, vaguement amusé.
2
« Vous avez trois nouveaux messages. Premier nouveau message… »
Kyren fronça les sourcils puis grimaça en reconnaissant la voix du Docteur
Haynes. Rejoignant le téléphone fixe tout en déboutonnant sa chemise, il
supprima le message sans l’écouter puis fit de même pour les deux autres en
reconnaissant le numéro de son amant d’un soir, regrettant qu’il sache, grâce
à l’université, l’adresse et le numéro de téléphone de son appartement.
Il admettait que la persévérance du biologiste était louable, mais il avait été
clair dès le départ : il ne cherchait aucunement une relation. Il supposait que
son collègue finirait par se lasser. En insistant de la sorte, Haynes ne ferait
rien d’autre que se ridiculiser. D’autant plus que les quelques heures passées
avec lui n’avaient rien eu de mémorable…
Chassant l’importun de son esprit, il se dirigea vers la salle de bain.
Bouchant la bonde de la baignoire, il ouvrit les robinets et entreprit de se
dévêtir en attendant que l’eau ait atteint un niveau satisfaisant.
Se défaisant de sa montre, il la posa sur le bord du lavabo et alla se glisser
dans l’eau. La tiédeur de celle-ci le fit soupirer de bien-être et il appuya sa
nuque contre le rebord, fermant les yeux pour savourer sa tranquillité.
Rien ne lui plaisait autant que la quiétude de son appartement, situé au
quarante-troisième étage de la Trump Tower, après avoir passé une longue
journée entouré de bruyants étudiants.
Il entreprit de se laver dans des gestes lents, presque paresseusement, avant
de prendre le pommeau de douche pour se rincer, appréciant la sensation de
l’eau fraîche qui glissait sur sa peau.
Il terminait de se rincer les cheveux quand une odeur agréable, mais peu
familière lui parvint. Tendant immédiatement l’oreille, il entrouvrit les yeux.
Ne percevant aucune présence étrangère dans son appartement, il inspira
profondément, intrigué. Puis, prenant conscience que l’odeur provenait de la
poche de son pantalon et reconnaissant le parfum de l’agent Gilroy, il plissa
le front en sentant un frémissement le parcourir et un tiraillement dans sa
poitrine.
Machinalement, il se frotta le torse et coupa l’eau avant de sortir de la
baignoire avec souplesse. S’approchant de son pantalon sans prendre la peine
de s’essuyer, il sortit la carte de l’agent fédéral et la porta à son nez. Le
parfum du jeune homme y était resté imprégné. Sentant une sorte
d’impatience lui pincer brusquement le cœur, Kyren, méfiant, s’empressa de
déposer la carte à côté de sa montre et s’éloigna de quelques pas.
Par nécessité, pour survivre, il avait pris soin de comprendre le monde qui
l’entourait, les hommes tout autant que les animaux. Il n’aimait pas ce qu’il
ne comprenait pas. Or, visiblement, quelque chose n’allait pas avec cette
carte de visite. Elle le faisait réagir bizarrement. Il devait découvrir pourquoi.
Grommelant un juron, il s’empara d’une serviette qu’il noua à sa taille et
quitta la salle de bain sans se soucier de mettre de l’eau partout. Décrochant
le combiné du téléphone, il composa de mémoire le numéro de l’un de ses
rares amis.
— Vous êtes sur le répondeur de Jérémy Turner. Si c’est pour une
réclamation, passez votre chemin. Si c’est pour aller faire la fête, laissez un
message. Merci !
Kyren pesta et allait raccrocher quand il prit conscience qu’aucun « bip »
n’avait suivi le message guilleret de son ami.
— Jérémy ? tenta-t-il avec circonspection.
— Ah ! fit son ami d’une voix amusée. Kyren ! C’est toi ! Désolé !
— On peut savoir pourquoi tu… ?
— Petit problème territorial, le coupa Jérémy d’un ton jovial. Rien de bien
grave ! Que me vaut l’honneur de ton appel ?
Kyren ne mit pas longtemps à saisir la teneur du « problème territorial » de
son ami. Jérémy était connu pour être un séducteur patenté. Encore une fois,
il avait dû mettre la main sur une proie déjà prise…
— As-tu déjà mangé ? se borna-t-il à lui demander. Je t’invite.
Jérémy éclata de rire.
— Tu dois avoir un gros, gros, gros problème sur les bras, Kyren !
Kyren sourit malgré lui et se tourna vers la fenêtre pour contempler le
crépuscule qui tombait sur la ville.
— J’ai besoin de toi, dit-il posément.
Son ami reprit immédiatement son sérieux.
— Tu as l’air inquiet, Kyren. Tu es sûr que tu ne veux pas parler à
Loukian ?
— Non, répondit-il. Inutile de l’embêter. J’ai juste besoin de parler à
quelqu’un…
— Et tu me choisis, moi ? s’étonna Jérémy. Je n’en crois pas mes oreilles !
Kyren ne put s’empêcher de rire. L’un comme l’autre, ils étaient conscients
que le caractère jovial et insouciant de Jérémy faisait de lui le meilleur
compagnon de soirée, mais qu’il était rarement sollicité pour des conseils
avisés. Cependant, il le savait plus enclin à côtoyer par plaisir les humains
ordinaires que Loukian. C’était donc bel et bien de lui qu’il avait besoin.
Peut-être saurait-il l’orienter vers un début de réponse, en tout cas.
— Quand peux-tu être là ? demanda-t-il.
— D’ici une heure, ça te va ? répondit Jérémy.
— Parfait.
— J’apporterai de la bière !
Kyren n’eut pas le temps de protester que son ami avait déjà raccroché.
Secouant la tête avec amusement, il contempla pendant quelques instants la
vue qu’il avait sur l’extérieur : à cette hauteur, il pouvait voir la rivière
Chicago et, plus loin, le lac Michigan. Les lumières de la ville embellissaient
le panorama en train de s’obscurcir.
Il vivait là depuis un peu plus de deux ans, époque à laquelle il avait été
engagé par Northwestern University comme professeur d’éthologie, mais il
ne se lassait pas de la vue.
Se détournant du panorama, il regagna la salle de bain pour s’habiller,
passant ses vêtements sur son corps à présent sec.
Il passa sa montre et résista quelques secondes à la tentation de la carte de
visite avant de céder à l’attrait qu’elle exerçait sur lui et de la glisser dans sa
poche.
Étouffant un nouveau juron en se sentant immédiatement un peu mieux, il
quitta la salle de bain et se rendit dans la cuisine. Préférant de loin se mettre
aux fourneaux pour préparer un repas gargantuesque à Jérémy plutôt que
réfléchir à la raison pour laquelle il avait la désagréable sensation d’être
soudain incomplet.
*
— Paré pour faire la fête ? J’ai apporté des bières et des chips !
Souriant d’un air indulgent à son ami, Kyren s’effaça pour le laisser entrer
dans son appartement. Jérémy pénétra tranquillement dans la pièce et attendit
que le jeune homme ait fermé la porte derrière lui pour pencher légèrement la
tête de côté. Kyren s’approcha de lui et glissa brièvement son visage dans son
cou, inspirant son parfum masculin.
Habituellement, il aurait ressenti une pointe de regret à l’idée de ne pas
avoir la moindre chance d’attirer son invité dans son lit : Jérémy avait une
silhouette agréable et savait jouer de son physique de jeune premier, mais
réservait ses faveurs aux dames. Pourtant, aujourd’hui, il n’éprouvait même
pas une étincelle de désir à son égard. En prendre conscience le troubla un
peu plus encore qu’il ne l’était déjà.
— Je t’ai préparé un vrai repas, lui dit-il en s’écartant, s’efforçant de ne
rien laisser paraître. Ne te goinfre pas de chips.
La mine perplexe de son ami lui fit hausser un sourcil interrogateur.
— Qu’y a-t-il ?
— Tu ne réagis pas comme d’habitude.
— À quoi ? demanda Kyren.
— À ma présence, répondit Jérémy.
Kyren l’observa avec prudence. Jérémy s’en aperçut et s’esclaffa.
— Allons, Kyren ! Ne me regarde pas comme ça ! Je ne vais pas te mordre
juste parce que tu n’as plus aucun désir pour moi !
— Qui peut savoir comment réagissent les gens, si l'on froisse leur amour-
propre ?
— Hey, tu m’as trouvé désirable pendant des années, observa Jérémy d’un
ton amusé. Mon ego se porte très bien !
Kyren opina pensivement et tourna les talons.
— Je ne te demande pas si tu aimes le rôti ? dit-il en se dirigeant vers la
cuisine.
Jérémy le suivit en riant avant d’apercevoir sur la table un plat de salade.
— J’espère que tu n’as pas l’intention de me faire manger ça aussi !
Kyren sourit en secouant négativement la tête et lui fit signe de s’asseoir.
— Pourquoi tu as préparé cette horreur ? demanda Jérémy en posant les
bières et les chips sur la table avant de prendre une chaise, s’asseyant en
étirant ses longues jambes sous la table, l’air parfaitement à l’aise.
— Tu sais bien que moi, j’aime ça, lui dit Kyren posément en s’emparant
d’un décapsuleur qu’il lui tendit.
Jérémy ouvrit immédiatement deux bières et en fit glisser une vers son ami
avant de cogner légèrement le goulot de sa bouteille contre la sienne.
— À ton étrangeté, camarade !
Kyren grimaça légèrement, mais s’installa en face de lui pour boire une
gorgée de bière. Le goût de la boisson fraîche, auquel il n’était pas habitué,
lui éveilla brutalement les papilles par ses arômes caramélisés qui lui
laissèrent un arrière-goût durable et doux.
— Jérémy ?
— Yep ? fit ce dernier en ouvrant le paquet de chips pour les lui présenter.
— Quel goût a-t-elle, la bière, pour toi ? demanda-t-il, intrigué, après avoir
décliné l’offre.
Jérémy lui servit un sourire matois en prenant une poignée de chips.
— Un goût un peu amer, comme pour la plupart des autres, avoua-t-il.
Mais elle laisse une impression grisante. Et pour toi ?
— Cela me fait penser au caramel.
Jérémy leva sa bouteille dans sa direction en un toast moqueur.
— Une autre bizarrerie de ta part.
— Pourquoi bois-tu de la bière si tu ne peux pas en apprécier le goût ?
s’enquit Kyren, perplexe.
Son ami s’esclaffa.
— Ça, mon vieux, c’est comme pour les femmes : pourquoi je séduis
toujours les épouses, alors que je pourrais avoir des célibataires dans mon
lit ?
— Parce que tu ne veux pas renoncer à ta liberté pour une partie de jambes
en l’air.
Jérémy porta une main à son cœur.
— Touché ! admit-il.
— Dommage que tu n’as jamais été intéressé par les hommes, soupira
Kyren. Nous aurions pu nous accorder, sur ce plan.
Son ami sourit, mais secoua la tête négativement.
— J’ai trop d’amitié pour toi, Kyren.
— C’est généralement ça, les sex-friends.
— Désolé. Même bi, je n’aurais jamais pris le risque de changer notre
relation pour une nuit ou deux de plaisir. Ça ne vaut pas le coup.
Kyren fit la moue et posa sa bière sur la table avant de se lever pour
s’approcher du four et surveiller la cuisson du rôti. Réprimant une grimace,
Jérémy but une longue gorgée de bière sans chercher à rompre le brusque
silence entre eux.
— Toi qui as eu tellement d’aventures, tu n’en as jamais eu assez ?
l’interpella finalement Kyren, d’un ton neutre.
— Assez de quoi ?
— De devoir te maîtriser à chaque instant, précisa-t-il.
Jérémy plissa légèrement les yeux et observa son ami, qui lui tournait le
dos.
— C’est le deal, quand on sort de notre terrain de chasse, Kyren, rappela-t-
il. Si on ne le faisait pas, on se retrouverait avec un sacré problème sur les
bras.
— Je sais, soupira Kyren.
— Écoute, je ne suis pas le mec qu’on vient voir pour un conseil. Je suis le
joker des soirées, des bons plans, mais si tu as déconné à ce sujet, il faut
vraiment que tu en parles à Loukian et…
— Non, ça n’a rien à voir, le coupa-t-il. Et je ne veux pas mêler Loukian à
ça.
— Pourquoi ?
Kyren éteignit le four et en sortit son plat, puis entreprit de découper en
tranches l’énorme morceau de viande à l’aide d’un couteau tout en se
demandant comment parler de ce qui l’ennuyait à son ami.
— Cela concerne un Humain, finit-il par dire.
— Je ne l’aurais jamais deviné, ironisa Jérémy. Mais quel est le problème ?
Tu avais l’air assez inquiet, au téléphone.
Kyren déposa le rôti sur la table et fit signe à son ami de se servir le
premier, assaisonnant pendant ce temps sa salade.
— Est-ce que ça a un rapport avec ton soudain désintérêt pour moi ? le
taquina Jérémy. Ta libido est en berne ?
— Non, répondit-il en levant brièvement les yeux au ciel. Je suis sérieux,
Jé.
— Mais moi aussi, feignit de s’offusquer son ami. Ce n’est pas tous les
jours que le mec qui avait toujours une pensée salace à mon égard en me
voyant se détourne de moi de but en blanc.
Kyren ne put réprimer un sourire et s’assit face à son ami avant de se servir
un morceau de rôti.
— Il y a un type…
— Mignon ? demanda Jérémy.
Revoyant immédiatement avec netteté la silhouette de marathonien, les
cheveux châtains et les magnifiques yeux gris de l’agent Gilroy, Kyren opina
un peu rêveusement avant de sentir comme un tremblement dans sa poitrine.
— Depuis que j’ai croisé ce mec, j’ai des réactions bizarres, Jé.
— Bizarres comment ? s’enquit son ami entre deux bouchées.
— Son odeur… Son parfum est comme imprégné dans mon esprit,
répondit-il. Et quand il était près de moi, j’avais envie de me presser contre
lui et de ronronner…
— Il te draguait ?
— Pas le moins du monde ! Il m’interrogeait à propos d’un de mes
étudiants.
— C’est un flic ? grimaça Jérémy.
— C’est un agent du FBI, soupira Kyren.
— De mieux en mieux.
— Je sais.
« Ne pas impliquer les instances juridiques humaines dans les affaires du
clan, sauf en cas d’absolue nécessité » : telle était l’une des nombreuses
règles à respecter, dans leur monde.
— Qu’est-ce qu’il a fait, ton étudiant, pour avoir le FBI au cul ?
— Il est mort.
Jérémy écarquilla les yeux.
— Ah, merde ! fit-il, faute de mieux.
Kyren se passa de répondre.
— Et ton agent ? Pourquoi t’interrogeait-il ?
— Ils doivent sans doute chercher un mobile ou un indice, pour trouver le
tueur…
— Le tueur ? répéta Jérémy.
— C’est le FBI, Jé. Ils n’enquêtent pas sur un suicide, en général…
Jérémy lui tira brièvement la langue.
— Tu n’es pas un suspect, quand même ? s’inquiéta-t-il brusquement.
— Bien sûr que non, répondit Kyren. Ils ont interrogé tous ses enseignants,
aujourd’hui.
— OK… Mais si ça change, tu en parles à Loukian directement !
— Oui, soupira-t-il.
— Promets-le.
— Je te le promets.
Jérémy hocha la tête d’un air satisfait.
— Bon… Et donc, toi, tu es tombé sous le charme de l’agent du FBI qui te
posait des questions…
— Je ne suis pas sous le charme ! protesta Kyren. Il… Il m’a juste fait
réagir bizarrement ! Depuis que je l’ai vu… Je ne sais pas ce qui m’arrive,
Jé ! J’ai l’impression qu’il me manque une partie de moi-même !
L’expression de Jérémy se figea, son visage pâlit quelque peu. Kyren le
fixa avec inquiétude.
— Jé ? Sais-tu quelque chose ? Qu’est-ce qu’il m’a fait ?
— Je ne suis pas un érudit, Kyren. Je ne sais pas tout ce qu’on raconte à ce
sujet…
— À quel sujet ? souffla-t-il d’une voix blanche.
— Au sujet des flammes jumelles.
— Des quoi ? chuchota Kyren.
— Des flammes jumelles, répéta Jérémy. C’est ce que la plupart des nôtres
recherchent : la personne qui leur est destinée.
— C’est du délire, répondit-il, rejetant farouchement cette idée. Tu es en
train de me parler d’une sorte d’âme sœur ?
— Tu devrais questionner Jacek, à ce sujet, conseilla Jérémy. C’est lui le
plus instruit d’entre nous tous sur les lois et les histoires des nôtres.
— Je le ferai, marmonna Kyren. Il aura certainement une explication plus
rationnelle que ça à me donner. Ce n’est pas possible que ce type soit mon
âme sœur !
— Pourquoi ?
— C’est un Humain !
— Et tu l’es pour moitié.
— Justement ! répondit Kyren, se raccrochant à cette idée comme à une
bouée de secours. Je suis un Demi-Sang ! Ça ne devrait pas exister pour moi !
— Tu sais que certaines personnes seraient prêtes à vendre leur mère, pour
avoir la chance de trouver leur flamme jumelle ?
— Je ne veux pas de ça !
— Si tu le dis.
Kyren hocha sèchement la tête. Jérémy, bien que sceptique, haussa
légèrement les épaules avant de sourire d’un air charmeur à son ami.
— Je peux reprendre du rôti ?
Kyren cligna des yeux à ce brusque changement de sujet puis sourit à son
tour et opina.
— Mange à ta faim, dit-il en désignant le plat d’un geste de la main. J’ai
prévu tout ça pour toi, après tout…
Jérémy lui fit un clin d’œil.
— C’est parfois vraiment dommage que tu ne sois pas une fille.
— J’en serais une, tu m’aurais déjà sautée et larguée comme une vieille
chaussette, répliqua Kyren.
Jérémy ne put que ricaner.
Conscient que son ami ne faisait qu’énoncer la vérité.
3
Depuis son arrivée aux États-Unis et sa rencontre avec Loukian
Vassilevski, Kyren pouvait facilement dire que sa vie avait changé du tout au
tout. Avant de mettre les pieds à Chicago, il pensait être le seul être vivant
capable de se transformer en un animal sauvage. Non pas en loup, comme
dans la majorité des films et des romans sur les Loups-Garous, mais en félin.
En léopard, pour être précis. Tomber nez à nez avec Loukian, qui était
capable de se changer en jaguar, avait fait vaciller son monde.
Grâce à Loukian, alors étudiant en dernière année de droit, il avait
découvert un autre univers. Un milieu où son état de métamorphe ne faisait
pas de lui un monstre, mais un être supposé appartenir à une famille, à un
clan. La raison pour laquelle il n’en avait pas ? Il la connaissait depuis
l’enfance : enfant né d’une agression, il avait été abandonné par sa mère à la
naissance et avait passé toute sa jeunesse dans un orphelinat, puis dans un
centre pour adolescents dits « difficiles ».
Il avait brièvement espéré découvrir d’autres léopards-garous à Chicago,
mais sur ce point, Loukian n’avait rien pu pour lui : il était bel et bien le seul
léopard recensé à des milliers de kilomètres à la ronde. Il avait renoncé à se
mettre à la recherche d’autres léopards, quand Loukian lui avait rappelé qu’il
devrait se soumettre à un chef de clan ou créer sa propre meute, découragé à
l’avance par l'ampleur du travail, car il ignorait tout des lois des
Thérianthropes et de leurs façons de se comporter, comment aurait-il pu
espérer être accueilli dans un clan ? Il y aurait laissé la vie, sa première
rencontre avec Loukian lui avait suffi pour le comprendre.
Après leur rendez-vous, à la sortie de sa première journée de cours, il avait
dû vivre plusieurs jours sous le toit du jeune homme, qui avait soumis son cas
à l’Alpha des Jaguars.
Perdu, partagé entre la curiosité et la frayeur, il avait attendu pendant un
long moment le verdict de celui qui était le chef suprême des jaguars-garous.
Quand il s’était vu accorder le droit de rester sur leur territoire de Chicago, il
avait compris qu’on lui laissait plus que la possibilité de faire ses études : on
lui laissait aussi le droit de vivre.
Loukian, en sa qualité de jeune chef de la meute de Chicago, titre hérité à
la mort de son père, survenue un an plus tôt, l’avait alors pris sous son aile et
lui avait appris à s’en sortir dans ce monde qui était le sien et dont, pourtant,
il ignorait tout.
Cela faisait dix ans, déjà. Depuis, il était devenu un membre à part entière
du clan des jaguars-garous de Chicago, son adoption ayant été votée par ses
membres.
Pourtant, rien n’avait vraiment changé : Loukian le considérait toujours
comme un jeune félin qu’il fallait protéger et conseiller. Cela ne l’ennuyait
pas. Pour tout autre sujet que celui qui le perturbait, il aurait été le trouver
pour avoir son avis, recevoir ses conseils, quémander son soutien et son
apaisement. Mais quand il s’agissait des Humains, Loukian avait tendance à
se montrer obtus, voire irritable, et il préférait éviter de susciter son
courroux : chez les Thérianthropes, la colère d’un dominant se payait
généralement en sang versé. Il préférait ne pas avoir à la subir. Alors, à défaut
de son confident habituel, il allait se tourner vers Jacek Krena, comme le lui
avait conseillé Jérémy. Malgré l’amitié qui liait Jacek et Loukian, il savait
qu’il pouvait compter sur sa discrétion.
Réfléchi, instruit – il avait un diplôme de médecine, même s’il n’exerçait
pas –, Jacek avait, par ailleurs, la qualité d’être né humain. Il était, en effet, ce
que les Thérianthropes appelaient un Impur, un simple humain devenu
métamorphe à la suite d’une agression par un autre Garou. De ce fait, sa
vision des Humains n’était pas aussi déplorable que celle de Loukian et il
savait qu’il pourrait recevoir un avis plus objectif, à travers lui.
Il avait donc choisi de demander au jeune homme de le rejoindre au
Muséum Field, un musée d’Histoire naturelle, s’étant souvenu du malaise que
Jacek avait paru éprouver lorsqu’il l’avait une fois convié à le retrouver au
parc.
Contemplant le plus grand et le plus complet des squelettes de
Tyrannosaurus Rex connu, il ne tourna la tête qu’en percevant l’odeur douce
qui caractérisait le parfum de la peau de Jacek. Celui-ci le salua d’un signe de
tête courtois auquel il répondit avant de s’avancer d’un pas vers lui en
tournant légèrement le menton, lui offrant sa gorge. Jacek frôla sa joue d’un
baiser et s’écarta.
— Tu voulais me voir ?
— As-tu un peu de temps à me consacrer ?
Jacek sourit légèrement et tourna brièvement son regard vers
l’impressionnant squelette.
— Moins que cette pauvre Sue[2], dit-il d’un ton léger. Mais je n’ai pas
d’obligations, cet après-midi.
— Tant mieux, répondit Kyren. J’aurais besoin de tes lumières.
— À quel sujet ? s’enquit son interlocuteur en lui coulant une œillade
intriguée.
— Celui des « flammes jumelles ».
Jacek arqua un sourcil et le considéra des pieds à la tête d’un air songeur en
découvrant une lueur anxieuse dans son regard, mais ne l’interrogea pas.
Jugeant l’endroit peu commode pour discuter d’un sujet aussi grave, il tourna
les talons.
— Suis-moi, recommanda-t-il.
— On va où ? demanda Kyren en lui emboîtant le pas vers la sortie.
— Je t’offre un verre. J’ai l’impression que tu vas en avoir besoin.
Kyren grimaça.
« J’espère bien que non. »
*
— Veux-tu danser ?
Kyren cligna des yeux puis fixa Cameron d’un air interloqué, se
demandant s’il avait bel et bien entendu l’agent l’inviter à aller se trémousser
avec lui sur la piste du night-club.
Depuis les excuses du jeune homme, il avait perdu son désir de l’éviter
aussi rapidement qu’une couche de gel fond au soleil. Il pouvait très
certainement imputer cela au charme indéniable de l’agent du FBI qui l’avait
invité à s’installer à ses côtés et avait entamé la conversation sur des sujets
anodins. L’agent fédéral avait réussi à lui montrer qu’il était doté d’un esprit
brillant, pouvait être très amusant et était agréablement cultivé. Sa répartie et
son humour pince-sans-rire lui avaient fait oublier sa méfiance à son égard. Il
en avait même oublié de refuser une deuxième bière. Il se sentait légèrement
euphorique et désinhibé.
Mais il avait certainement des hallucinations auditives. Pour quelle autre
raison Cameron l’aurait-il invité à danser ?
Un sourire en coin naquit sur le visage de son vis-à-vis.
— Tu remues sur le rythme de la musique depuis tout à l’heure, lui dit
Cameron, visiblement amusé. Autant le faire sur la piste, pas vrai ?
— Avec vous agent Gilroy ?
Cameron lui offrit cette fois un franc sourire.
Cette vision fit faire une pirouette au cœur de Kyren. Ou peut-être pouvait-
il accuser les bières ? Les Thérianthropes étaient connus pour ne pas
supporter les effets de l’alcool : leur organisme le traitant plus vite que celui
des Humains, la plupart d’entre eux étaient saouls avec une seule bière.
— Cameron, rappela ce dernier. Je ne suis pas en service, là. Je ne suis
qu’un célibataire qui est venu s’amuser un vendredi soir. Comme toi, non ?
Kyren opina lentement.
— Alors, amusons-nous, décréta Cameron.
Sans lui laisser le temps de protester, il lui prit son verre vide et le déposa
sur le comptoir à côté du sien avant de placer une main ferme au creux de ses
reins pour le guider vers la piste.
La chaleur de ses doigts contre lui fit réagir Kyren, son cœur s’emballant
brutalement. Il préféra mettre sur le compte de la boisson l’intense chaleur
qui se propagea soudainement de ses orteils à ses oreilles.
La main de Cameron quitta lentement ses reins, comme à contrecœur, puis
l’agent entreprit de danser, démontrant rapidement un indéniable sens du
rythme. Kyren n’hésita qu’une seconde avant de l’imiter. Bientôt, désinhibé
par les effets de la bière, ses gestes se firent plus sensuels, la musique lui
emplissant la tête, son corps bougeant au rythme de la musique. Les yeux mi-
clos, il la laissait le soumettre à sa loi, inconscient des regards qu’il attirait,
comme en transe. Hommes et femmes, il les subjuguait, les attirait. Et les
repoussait dès qu’il percevait leur approche, se défaisant gracieusement de
leurs doigts, échappant à leurs tentatives d’étreinte sans qu’ils l’aient
seulement frôlé.
Cameron, qui avait observé leur manège, tenta sa chance après une courte
hésitation. Se glissant derrière Kyren, il dansa avec lui sans le toucher
quelques secondes, laissant sa chaleur se mêler à celle toute proche du jeune
homme. Puis, ne se faisant pas repousser, il osa lui frôler la hanche en se
penchant vers son oreille.
— Tu allumes toute la salle, professeur Lakelan, lui susurra-t-il.
Kyren rouvrit les yeux et s’écarta, le cœur battant à tout rompre.
Non pas parce que le souffle du jeune homme sur sa nuque lui avait soutiré
un agréable frisson, mais bien parce que cela ne l’avait pas dérangé.
Parce que cela lui avait paru normal.
Bien.
Alors qu’avec tout autre, Humain ou Thérianthrope, il aurait vu là une
menace ou un défi.
— Que me fais-tu, Cameron Gilroy ? demanda-t-il, troublé.
Cameron lui flasha un sourire renversant.
— Je te veux, professeur.
— Pardon ? souffla Kyren, médusé.
Le sourire de Cameron se fit entendu.
Kyren s’empourpra.
— Tu es gay ?
— Cela me paraît évident, s’amusa Cameron. Je ne te draguerais pas,
sinon.
Kyren se passa une main sur le visage.
— Je n’aurais jamais pensé…
Cameron se rapprocha de lui jusqu’à pouvoir, s’il penchait la tête, toucher
son front du sien.
— Tu parais troublé, dit-il d’une voix suave. C’est étonnant de la part d’un
homme d’apparence si sûr de lui.
— C’est tout bonnement l’alcool, affirma-t-il en lui jetant une œillade
assassine. Tu ne m’intéresses pas !
Cameron, piqué, l’attira fermement contre lui et souda ses lèvres aux
siennes.
Kyren songea brièvement à le repousser. Il y serait arrivé en usant de sa
force de Thérianthrope, mais il était interdit par les lois des clans de montrer
aux Humains ce dont ils étaient capables.
Ce fut l’excuse qu’il se donna quand il sentit toute envie de résistance
l’abandonner sous la bouche ferme du jeune homme qui emprisonnait la
sienne.
Les yeux clos, ses bras allèrent d’eux-mêmes se nouer sur la nuque de
Cameron qui l’étreignit un peu plus fort, sa langue caressant ses lèvres avant
de s’insinuer presque de force entre elles pour aller à la conquête de sa
bouche.
Avec la sensation qu’un torrent de lave se déversait dans tout son être,
Kyren savoura et lui rendit le baiser, goûtant un maigre arrière-goût de
cigarette et celui, caramélisé, de la bière.
— Ose me dire, Professeur, que je ne t’intéresse pas, souffla Cameron en
s’arrachant brièvement à ses lèvres pour le mettre au défi de répéter ses
propos.
Kyren reprit sa bouche sous la sienne sans répondre. Une chaleur intense se
propagea dans sa poitrine. Percevant une connexion entre eux, une alchimie
particulière entre le jeune homme et lui, il frissonna, éperdu. Sentant un
ronronnement désireux de sortir de sa gorge, le retenant prudemment, il
s’écarta de lui-même des lèvres de Cameron qu’il considéra d’un œil luisant
de désir, le souffle court.
— On va chez toi ou chez moi ? demanda Cameron d’une voix rauque.
— Mon appartement est assez loin…
— Alors, allons chez moi, répondit le jeune homme en lui prenant le
poignet.
Kyren ne résista pas.
« Juste une nuit ne peut pas faire de mal », songea-t-il.
Une nuit de plaisir ne les engageait à rien, ni l’un ni l’autre.
*
*
Déposant les clés de son appartement sur la console en bois sombre, Kyren
ferma la porte d’entrée derrière lui puis s’y adossa et laissa échapper un
profond soupir.
Toute la journée, il avait donné son cours dans un état second, toutes ses
pensées parasitées par la venue matinale de Cameron et son baiser.
Pouvait-il encore se leurrer ? Non. Visiblement pas. Il avait mémorisé
l’odeur de son parfum et le goût de sa bouche, la chaleur de son corps et la
fermeté de ses muscles…
Ce dont Jacek lui avait parlé était bel et bien en train de se produire.
C’était déjà produit.
Il était foutu.
Il voulait cet homme.
Il le désirait de toutes les fibres de son corps.
Cameron était véritablement sa « flamme jumelle », son compagnon
parfait.
S’il ne réagissait pas très vite, « l’unification » serait inévitable.
Laissant échapper un juron, il s’écarta de la porte d’entrée et alla décrocher
le combiné de son téléphone fixe pour composer le numéro de son ami
Jérémy, espérant un conseil ou une invitation à le rejoindre à une soirée
quelconque, qui lui donnerait une excuse valable pour éviter Cameron. Mais
le jaguar-garou ne répondit pas. Il hésita avant de raccrocher lorsque le
répondeur s’enclencha.
Peut-être était-ce le destin ?
Peut-être ne devait-il pas éviter ce rendez-vous ?
À lui d’être assez adulte pour mettre les points sur les i avec Cameron et lui
faire comprendre que rien ne pourrait fonctionner entre eux.
Même s’il était sa flamme jumelle.
Même s’il ne trouvait plus jamais un autre compagnon parfait.
Mark s’adossa à sa chaise de bureau et croisa les bras sur son torse en
fixant Cameron d’un regard perçant. Son coéquipier fronça les sourcils,
ennuyé, et tenta en vain de se concentrer sur les éléments concernant leur
enquête.
— Quoi ? finit-il par lâcher en jetant un regard noir à son ami.
— Tu n’aurais pas dû le voir ? demanda Mark.
— Qu’il aille au diable ! râla Cameron. Lui et moi, c’est de l’histoire
ancienne.
— De trois jours.
La mine fermée, Cameron secoua la tête.
— On n’a plus rien à se dire.
— Il était peut-être venu s’excuser…
Cameron ricana.
— Kyren Lakelan, s’excuser ? Je crois que tu n’as pas bien cerné le
personnage ! Pourquoi s’excuserait-il ? Il n’en a jamais rien eu à foutre, de
moi !
Mark soupira silencieusement en percevant la rancœur dans la voix de son
ami. Il le savait fort affecté par leur rupture et aurait préféré qu’il prenne le
temps de recevoir Kyren, au lieu de s’entêter.
— Tu as raison, dit-il d’un ton faussement indifférent. Je ne vois même pas
pourquoi je m’intéresse à l’idée que, peut-être, il a réalisé que tu lui
manquais. Il regrette peut-être.
Cameron le foudroya du regard.
— Qu’est-ce qu’un mec comme toi sait des regrets ? attaqua-t-il.
— Plus que tu le crois, répondit Mark avec un brin de sécheresse en se
levant, n’appréciant pas de se voir piquer de la sorte. Mais ce ne sont pas mes
problèmes ! Débrouille-toi !
Cameron se mordit la joue quand son ami prit sa veste et quitta son bureau
après avoir lâché un bref et sec : « Bonsoir ! ».
Un soupir lui échappa et il passa une main sur son front avant de fermer les
yeux, las. Se levant lentement, il passa sa propre veste et rassembla des
documents dans l’espoir de finir de les étudier chez lui, au calme.
Il savait qu’il finirait par payer ses heures d’insomnie, mais le manque en
lui était tel qu’il passait de longs moments à se retourner à la recherche de la
chaleur de la peau de son amant. Autant mettre à profit ses longues heures
solitaires pour tenter de trouver l’erreur de leur tueur…
11
Après s'être fait éconduire par Cameron, Kyren avait pris la direction de la
taverne de Seamus. Contrairement à son habitude, il commanda un whisky.
Pour ne pas susciter de questions de la part de Seamus, il prit soin de passer
sa commande à un serveur humain et alla s’installer avec son verre dans un
recoin sombre.
Il se fichait bien de savoir qu’il ne serait certainement plus capable de
raisonner au bout de deux gorgées. L’alcool engourdirait son esprit, effacerait
ses tourments, au moins le temps d’une nuit. Il n’en demandait pas plus.
Se faire rejeter aussi froidement, par l’intermédiaire d’un inconnu au
regard railleur, avait blessé son amour-propre, mais il supposait n’avoir reçu
que ce qu’il méritait. Après tout, il avait bien entendu la douleur dans la voix
de Cameron et n’avait rien fait pour s’excuser plus tôt. Comme un crétin, il
avait cru pouvoir ignorer le bien-être qu’il avait ressenti durant ces quelques
jours avec lui. Il avait pensé pouvoir se passer de sa peau, de son corps, de sa
présence, aussi facilement qu’il avait traversé les années en solitaire. Mais le
manque était tel qu’il avait l’impression d’avoir un trou béant à la place du
cœur.
Vidant son verre d’une longue gorgée, il ferma les yeux en laissant l’alcool
lui brûler la gorge, grimaçant légèrement sous le goût sec et puissant du
whisky.
Sous ses paupières closes, il revit l’expression de son amant lors de leur
dernière nuit ensemble et ravala à grand-peine un grondement de frustration
en rouvrant les paupières, hanté par la tendresse peinte alors sur les traits de
Cameron.
Toutes les cartes avaient été faussées dès le départ. Que cela lui plaise ou
non, qu’il se sente l’envie ou non d’avoir un compagnon, Cameron était son
âme sœur.
Le regard gris du jeune homme lui manquait. Tout autant que sa façon de
l’embrasser, à la fois ardente, passionnée, et pourtant si tendre. Et puis aussi,
son petit sourire moqueur et celui qu’il avait, extrêmement satisfait, lorsqu’il
le voyait chavirer sous ses caresses…
Tout en lui lui manquait.
Cameron lui manquait.
Cruellement.
Grommelant un juron, il se leva de sa chaise. Sa vision se troubla
brièvement. Il se laissa quelques secondes pour se stabiliser avant de prendre
la direction de la porte et sortir de l’établissement de Seamus. Le pas un peu
chancelant, il se dirigea vers sa voiture. Une main se posa fermement sur sa
portière quand il voulut l’ouvrir après avoir bataillé quelques secondes pour
sortir ses clés de la poche de sa veste.
— Donne-moi les clés.
Tournant la tête vers l’homme qui venait de lui parler, il soupira
lourdement en reconnaissant Ted Haynes.
— Qu’est-ce que tu fais là, Ted ? demanda-t-il d’une voix un peu pâteuse.
— Je t’évite de prendre la voiture bourré, répondit son ancien amant.
Donne-moi tes clés.
Kyren secoua la tête et le regretta immédiatement en sentant le sol tanguer
sous ses pieds.
— J’ai pas besoin de ton aide, dit-il en tentant de repousser le biologiste.
L’alcool lui ôtait toute efficacité, ce qui permit à son ancien amant de le
plaquer contre sa voiture. Kyren se cogna le menton contre la tôle du toit de
son véhicule et se mordit la lèvre sous le choc. Un goût de sang lui envahit la
bouche. La douleur le réveilla assez pour qu’il repousse plus violemment
Ted, l’envoyant bouler sur le sol. Légèrement sonné, Ted s’assit en
grimaçant, s’étant écorché les mains sur le bitume.
— Fous-moi la paix ! rugit Kyren.
Ted recula prudemment en le voyant avancer vers lui, surpris par cet éclat
inhabituel. Un bras ferme crocheta Kyren par la taille et l’obligea à reculer
vers sa voiture. Rageur, Kyren tourna la tête vers l’intrus, un grondement
inaudible faisant vibrer sa poitrine. Reconnaissant l’odeur de Jérémy puis son
visage, il se figea.
— Ça suffit, Kyren ! ordonna l’autre Thérianthrope. Tu te donnes en
spectacle !
Kyren s’agrippa à son ami et enfouit son visage contre sa poitrine. Jérémy
glissa une main sur sa nuque et le tint contre lui, massant fermement du
pouce la peau de son compagnon.
— Ça va ? demanda-t-il à Ted en le voyant se relever.
— Ne le laissez pas prendre le volant, répondit Ted en tirant sèchement sur
les pans de sa veste pour la défroisser. Il est complètement bourré !
Jérémy hocha la tête et le regarda s’éloigner.
— T’as du bol que ce soit moi qui sois tombé sur toi, grogna-t-il
finalement en obligeant Kyren à se redresser.
Kyren le regarda d’un air déconfit.
— T’as bu quoi ? demanda Jérémy.
— Un whisky…
— Alors que tu ne tiens déjà pas une bière ? T’es vraiment qu’un petit
con ! pesta-t-il.
Kyren rit sans joie et se laissa aller dos contre la portière de sa voiture.
— Je sais…
— Tu as mangé ? s’enquit son ami.
Sans répondre, Kyren rejeta la tête en arrière pour contempler la nuit qui
tombait sur la ville. La lune, presque pleine, brillait froidement dans le ciel
étoilé. Il en ressentait les effets pour la première fois, se sentant agité au plus
profond de lui par des envies jamais perçues auparavant.
— J’ai besoin de lui, avoua-t-il faiblement.
— Il est vraiment ton âme sœur, alors ?
— Il n’y a pas que ça…
— Comment ça ?
— Il me manque.
— Alors, va le voir.
Kyren ne put s’empêcher de rire.
— J’ai déjà essayé. Mais il n’est plus intéressé…
Jérémy resta un instant silencieux.
— C’est la pleine lune, demain, finit-il par rappeler.
— Je sais…
— Que vas-tu faire ?
— Je suppose que si ce qu’a dit Jacek est vrai, je vais devenir fou.
Son ami le regarda gravement, surpris par l’absence de peur dans sa voix.
Kyren sourit faiblement.
— Le sérieux ne te va vraiment pas, Jérémy !
— Qu’est-ce que je peux faire pour t’aider ?
— Tu ne peux rien faire, Jé. Tu n’es pas mon âme sœur.
Jérémy acquiesça tristement puis s’approcha de Kyren et le prit fermement
dans ses bras. D’abord surpris, Kyren finit par lui rendre son étreinte avec
affection.
— Allez, donne-moi tes clés, murmura Jérémy. Je te ramène.
Kyren le remercia à voix basse et quitta la chaleur de ses bras en lui
remettant ses clés de voiture. Jérémy le laissa lui tourner le dos avant de
glisser d’un geste vif son bras sous sa gorge. Le cri de stupeur de Kyren fut
étouffé par sa main libre. Ralenti et diminué par l’alcool, Kyren ne se
défendit que mollement face à la force de son ami qui ne desserra son étreinte
qu’une fois certain qu’il avait sombré dans l’inconscience.
— Je suis désolé, mon pote, dit-il à voix basse en le soulevant dans ses
bras. Mais là, je n’avais pas le choix…
Glissant son fardeau sur le siège passager, il prit place au volant et fit
démarrer le véhicule de son ami pour prendre rapidement la route en direction
de l’appartement de Cameron.
Kyren ne resterait sans doute pas bien longtemps inconscient et il ne tenait
pas à être à ses côtés à son réveil. Il n’avait pas envie de lui avouer qu’il avait
fait des recherches sur son amant et surveillé Cameron après avoir commencé
à sortir avec lui.
Quand Kyren rouvrit les yeux, les rayons du soleil illuminaient la chambre.
S’écartant précautionneusement de son compagnon toujours endormi, il se
redressa sur un coude et jeta un bref coup d’œil au réveil avant de se perdre
dans la contemplation du visage de son amant.
Quand il l’avait à ses côtés, il doutait beaucoup moins de leur couple et de
l’avenir.
Lorsque Cameron reposait en toute confiance près de lui, il ne craignait
plus la solitude à laquelle leur relation semblait l’avoir condamné.
Il ne pensait qu’à cette sensation d’être complet et qu’à la douce chaleur
qui envahissait sa poitrine quand il se rendait compte qu’en Cameron, il avait
trouvé quelqu’un qui le chérissait.
Il était conscient que son amant aspirait à se réveiller à ses côtés chaque
matin, à passer à l’étape supérieure de leur relation. Lui offrir un tiroir et un
double des clés de l’appartement avait été un pas timide et prudent en ce sens,
et il avait vu dans le regard de Cameron que son compagnon comprenait toute
la symbolique de ce geste : pour un solitaire comme lui, accorder l’entrée et
le droit de séjour dans son antre était un acte lourd de sens.
Voyant les paupières de Cameron papillonner puis s’ouvrir lentement, il
sourit.
— Hmm, fit Cameron en passant une main sur son visage ensommeillé.
Bonjour…
— Bonjour, répondit-il après avoir posé un chaste baiser sur ses lèvres.
Cameron sourit et glissa ses bras autour de sa taille pour l’attirer à
califourchon sur lui. Il étouffa le rire de Kyren de sa bouche sur la sienne et
caressa tendrement son dos nu. Kyren se cambra contre sa main de manière
féline, un frisson de plaisir le parcourant tout entier. Il avait appris à accepter
la sensation de ses doigts et de ses baisers sur son dos, et Cameron y avait, à
juste titre, vu un signe de confiance. Lui qui n’avait jamais aimé montrer son
dos à quiconque auparavant s’était découvert, peu à peu, très réceptif au
toucher de son compagnon.
— Mmm, ça, c’est un « bonjour » comme je les aime, soupira Cameron
quand le besoin d’oxygène les sépara.
Kyren sourit et enfouit son visage dans le cou de son compagnon, inspirant
son odeur avec délice.
— Il faut que je te demande quelque chose.
Kyren se raidit immédiatement, toute une série de suppositions horrifiantes
lui passant en tête. Se redressant, chevauchant toujours son compagnon, il le
regarda en silence, une expression méfiante sur le visage.
Cameron ne put retenir un rire nerveux, surpris par la brusquerie de sa
réaction.
— OK, je pense que j’ai très mal amené le sujet…
Kyren le fixa en silence.
Cameron soupira.
— Ma famille organise un dîner, ce dimanche. J’aimerais que tu m’y
accompagnes.
Le sang se retira du visage de Kyren à cette annonce et il parut cesser de
respirer un court instant. Cameron s’assit vivement sur le lit pour glisser ses
bras autour de la taille de son compagnon.
— Eh bien, tenta-t-il de plaisanter. L’idée de rencontrer ma famille semble
te rendre fou de joie…
— Je ne peux pas, souffla faiblement Kyren.
Cameron plongea son regard dans le sien.
— Pourquoi ?
Kyren voulut se dégager, mais Cameron le retint fermement à ses côtés,
bien que sans dureté.
— Parle-moi, Kyren, demanda-t-il calmement.
— Tu ne comprendrais pas !
— Je te promets d’au moins essayer, répondit-il d’un ton apaisant, surpris
par la lueur paniquée dans les yeux de son amant. Alors, explique-moi,
Kyren.
— Il n’y a rien à expliquer !
— Même pas la raison pour laquelle l’idée de rencontrer ma famille te met
dans un tel état ?
— Bon sang, Cameron ! protesta Kyren, se sentant au bord de la nausée.
Personne ne m’a jamais accepté ! Pourquoi ta famille le ferait-elle ?
— Parce que tu es l’homme que j’aime ?
Cameron le sentit trembler à cet aveu. Lentement, il desserra son étreinte
sur le corps de son compagnon pour pouvoir glisser ses mains sur sa peau en
de longs gestes apaisants, tendrement.
— Tu m’aimes ? répéta Kyren d’une voix tremblante.
Cameron hocha la tête, un petit sourire frôlant ses lèvres.
— Tu ne sais pas tout de moi, dit son compagnon, le cœur serré en
songeant aux secrets qu’il devait lui taire.
— Toi non plus, tu ne sais pas tout de moi, répondit tranquillement
Cameron. Pas encore. D’ailleurs, attends que ma mère te bassine avec mes
frasques d’adolescent et tu me verras peut-être d’un tout autre œil !
Kyren ne put réprimer un pâle sourire. Cameron lui caressa tendrement le
dos.
— Alors, c’est oui ?
Kyren sonda son regard gris empli de tendresse.
— Pourquoi ? demanda-t-il faiblement.
— Pourquoi « quoi » ?
— Pourquoi m’aimes-tu ?
Cameron sourit.
— Hey, c’est vache comme question, ça ! C’est difficile de savoir pourquoi
on aime quelqu’un…
— Alors, dis-moi juste… pourquoi moi ?
La vulnérabilité dans les yeux de Kyren convainquit Cameron de lui
répondre sérieusement, au lieu de tenter de s’en sortir par une taquinerie.
— Tu es différent des autres, répondit-il.
Kyren grimaça légèrement, songeant que son compagnon ne pouvait savoir
à quel point il aurait justement voulu être comme les autres.
Cameron secoua doucement la tête.
— C’est en partie ce qui m’a attiré chez toi, ta différence… Tu es le genre
de mec qui n’a pas froid aux yeux et qui se défend, même face à quelqu’un
devant lequel on pourrait s’attendre à ce qu’il la boucle prudemment…
— Tu veux parler de notre première rencontre, bougonna légèrement
Kyren.
Cameron rit légèrement.
— Oui, mais pas seulement, dit-il tendrement. Tu crois en des valeurs et tu
défends passionnément ton point de vue. Tu as un esprit brillant, tu es
intéressant à écouter et c’est génial de débattre avec toi parce que tu n’es pas
du genre à camper sur tes positions en refusant d’écouter l’avis des gens…
Tu as un magnétisme dont tu ne te rends pas compte, je comprends que tes
étudiants soient si assidus à tes cours… Et puis, tu es vraiment très mignon,
pour un professeur d’université.
Kyren lui donna un léger coup dans l’épaule.
— Et parce que tu as beau ne pas me l’avoir encore dit, je pense que tu
m’aimes et que tu me le montres à ta manière, ajouta Cameron avec une
grande douceur.
Kyren sentit une boule lui nouer la gorge.
Pendant une fraction de seconde, il soutint le regard de son amant avant de
l’étreindre, enfouissant son visage dans son cou pour lui dissimuler son
expression. Cameron sourit légèrement et glissa une main sur sa nuque avant
de presser ses lèvres dans ses cheveux.
— Alors, murmura-t-il, c’est oui pour ce dimanche ?
Il sentit plus qu’il n’entendit le faible rire de Kyren.
— Tu ne perds pas le nord, hein ? souffla son amant.
— Jamais, affirma-t-il dans un sourire.
— Dimanche comme ce dimanche ?
— Demain, oui, confirma Cameron.
Kyren redressa la tête pour frotter son nez contre l’oreille de son
compagnon.
— D’accord, chuchota-t-il.
Cameron le fit basculer avec lui sur le lit et se hissa sur lui avant de
l’embrasser tendrement.
— Merci, souffla-t-il contre ses lèvres.
Kyren attrapa sa lèvre inférieure entre ses dents et la mordilla délicatement
avant de la lécher sensuellement. Cameron allait reprendre sa bouche quand
la sonnerie de son portable retentit en provenance du salon. Étouffant un
soupir, il jeta un regard désolé à Kyren.
— Ignore-le ? suggéra ce dernier. C’est le week-end…
— C’est sans doute Mark. Si je fais ça, il va me chambrer pendant des
jours…
Kyren le libéra de l’étreinte de ses bras et le regarda sortir du lit puis
quitter la chambre pour aller décrocher. L’entendant discuter travail avec son
équipier, il soupira silencieusement, désabusé. Il haussa un sourcil
interrogateur en voyant Cameron revenir dans la chambre, mais son amant ne
fit que mettre le haut-parleur pour pouvoir s’habiller sans cesser de discuter
avec son collègue, piochant des vêtements propres dans son tiroir.
Comprenant que l’idée de paresser au lit avait bel et bien disparu de leurs
options, Kyren se leva et quitta la pièce sans prendre la peine de passer un
vêtement en plus de son boxer, se dirigeant vers la cuisine.
Cameron apparut sur le seuil de la pièce, son téléphone de nouveau collé à
son oreille, l’air assombri. Il acquiesça à quelque chose dit par son équipier
puis baissa son portable contre son torse.
— Mark n’est pas loin d’ici, dit-il à son amant. Je vais aller le rejoindre,
pour continuer à bosser sur l’enquête.
Kyren fronça légèrement les sourcils.
— Vous êtes un peu loin de vos bureaux, non ?
— Oh, on va se trouver un petit café tranquille et…
— Pourquoi ne vient-il pas plutôt jusqu’ici ? le coupa Kyren.
Cameron parut surpris par sa proposition. Kyren détourna le visage,
feignant de se concentrer sur sa préparation du café.
— C’est ton meilleur ami et ton équipier, rappela-t-il après avoir haussé les
épaules. Et vous seriez plus tranquilles ici que dans un quelconque café.
Cameron réfléchit brièvement puis opina, songeur.
— Tu es sûr que ça ne te dérangera pas ?
Kyren lui jeta un regard torve.
— Si ça me dérangeait, je ne l’aurais pas proposé.
— C’est sans doute vrai, sourit Cameron.
Kyren lui rendit son sourire malgré lui avant de le voir reprendre sa
conversation avec Mark et l’entendre l’inviter à les rejoindre. Pendant que
son compagnon donnait son adresse à son interlocuteur, il inspira
profondément puis soupira et se secoua. Il n’avait jamais été très à l’aise à
l’idée de recevoir des intrus chez lui. Mais pour Cameron, il ferait un effort.
17
Plongé depuis un bon moment dans l’organisation d’un cours futur, Kyren
relut pensivement sa présentation puis s’étira et jeta un bref regard vers
Cameron et Mark, installés dans le salon. La mine sérieuse, les deux hommes
discutaient gravement et il résista difficilement à la tentation de tendre
l’oreille afin de capter leur conversation.
Regardant l’horloge, il se leva de sa chaise et entreprit de débarrasser la
table de la cuisine sur laquelle il avait installé ses cours pour travailler
tranquillement. Il croisa le regard de Cameron et lui sourit. Son amant lui
rendit son sourire avec tendresse. Voyant Mark tourner la tête vers lui, Kyren
se détourna vivement pour préparer le déjeuner. De ce fait, il entendit plus
qu’il ne vit le coup de coude que Cameron donna à son équipier quand celui-
ci rit discrètement, et fut heureux d’entendre Mark grogner de douleur. Les
ignorant, il se lança dans la préparation du repas.
— On fait une pause, décréta Cameron, une petite heure plus tard, en
quittant sa place pour rejoindre Kyren dans la cuisine. J’en ai marre, là.
Mark hocha mollement la tête et s’étira avant de se lever pour se dégourdir
un peu les jambes. Un vague sourire moqueur étira le coin de ses lèvres en
voyant Kyren sursauter et lui jeter un rapide regard quand Cameron l’enlaça,
collant son dos contre son torse.
— On reprend après le déjeuner, Cam ? demanda-t-il d’un ton indifférent.
Cameron soupira de regret, mais acquiesça. S’ils voulaient finir par coincer
le « Tueur à l’as de pique », il fallait qu’ils mettent de côté leurs envies
égoïstes. Même s’il rêvait de s’enfermer à double tour avec Kyren et
d’oublier le reste du monde en se prélassant auprès de son amant, il ne le
pouvait pas.
— OK, alors…
— Escalopes de veau à la bolognaise, ça vous convient ?
Mark haussa les sourcils, surpris. Cameron, lui, regarda son compagnon
avec reconnaissance avant de jeter un regard vers les casseroles.
— Bien sûr que ça lui convient. C’est ça qui sent si bon ?
— Hmm, fit Kyren. Tu peux te rendre utile et dresser la table ? Ce sera
bientôt prêt.
— Tout de suite, répondit Cameron, après lui avoir tendrement baisé le
cou.
Mark regarda son ami agir comme s’il était chez lui et sourit lorsque
Cameron lui tendit trois assiettes. Les lui prenant des mains, il les posa sur la
table pendant que son équipier s’emparait de couverts et de verres.
— Merci, dit Kyren comme Mark glissait un sous-plat devant lui en le
voyant s’approcher avec un plat brûlant.
Mark hocha légèrement la tête et tenta un sourire. Kyren lui en renvoya un
légèrement crispé, mal à l’aise. Il n’avait plus revu le jeune homme depuis sa
visite impromptue sur le campus, le lundi ayant suivi sa première nuit avec
Cameron. Entre eux, ce n’était donc pas la franche amitié.
— Viens-tu chez mes parents, demain ? demanda Cameron, l’air de rien,
en servant les assiettes.
Mark acquiesça.
— Pattie m’a invité, comme toujours.
Il jeta un regard à Kyren en voyant le soulagement de Cameron.
— Tu viens, c’est ça ? s’enquit-il gaiement. Je vais avoir droit à la
présentation à toute la famille ?
— Toute la famille ? répéta Kyren en se félicitant de s’être assis.
— C’est un prélude au dîner de Noël, chez les Gilroy, expliqua Mark. On
rencontre les frères et sœurs, les parents, les oncles, les cousins, les grands-
parents…
— Mais tu vas t’arrêter, oui ? l’interrompit Cameron. Ne l’écoute pas,
Kyren. Il divague complètement ! On ne sera pas aussi nombreux, c’est juste
mes parents, mes frères, ma sœur et cet imbécile d’ami que ma mère adore.
Kyren les regarda tour à tour avec méfiance. Mark grimaça face au regard
noir de son équipier.
— OK, dit-il. C’était une blague, vraiment. Comme il le dit, c’est juste un
déjeuner familial et sa mère m’adore. Désolé.
— Je peux le frapper ?
Cameron cligna des yeux à la question de son amant puis se mit à rire.
— Je t’aurais bien dit « oui », mais j’ai besoin de lui entier pour le
moment, dit-il avec amusement.
— Merci pour ta défense, railla Mark. Tu sais qu’il a de la force ?
— J’ai déjà eu droit à un aperçu de ce qu’il sait faire, répondit Cameron,
goguenard.
Kyren rougit légèrement. Mark gloussa.
— Je ne veux rien savoir de votre vie sexuelle, dit-il cependant en pointant
un doigt vers son équipier.
— Tu ne sauras rien, se moqua Cameron. J’aurais trop peur que tu
éprouves l’envie de me voler Kyren.
Mark feignit de frissonner de tout son corps à cette pensée. Kyren fronça
les sourcils en regardant Cameron qui sourit et glissa sa main sur la sienne,
caressant sa peau de son pouce avec douceur.
— Je compte bien le garder, maintenant que je l’ai trouvé…
Mark renifla d’un air sarcastique, mais l’amusement dans son regard
n’échappa pas à Kyren qui se racla la gorge, un peu troublé.
— Bon appétit, dit-il d’un ton un peu hésitant.
Mark acquiesça et entama son repas. Cameron caressa une dernière fois la
main de Kyren de son pouce avant de se mettre à manger à son tour, un
sourire aux lèvres. Kyren ravala un soupir et l’imita, soulagé.
*
Le dos raide comme la justice, assis sur le fauteuil le plus proche de la
porte du salon, Kyren jeta un discret regard à sa montre et retint un
grognement de dépit : le temps semblait ne pas vouloir passer. Pourtant, il
mourait d’envie de quitter cette demeure et de retourner à son appartement. Il
voulait ignorer le monde pour pouvoir se rouler en boule sur son lit et dormir
les cent prochaines années à venir.
C’était la seule chose qui pourrait lui permettre d’oublier que le père de
Cameron l’avait à peine salué, que sa mère semblait préférer la présence de
Mark à la sienne, que son frère aîné – James – l’avait étudié de la tête aux
pieds et que sa belle-sœur l’avait par trois fois appelé par le prénom de l’ex
de son amant !
Bref, tout cela commençait plutôt mal, pour un dîner qui devait « bien se
passer » selon les dires de son compagnon. Il aurait vraiment dû s’enfuir en
courant quand il en avait eu l’occasion au lieu de se laisser convaincre de
l’accompagner !
Voyant du coin de l’œil s’approcher la sœur de Cameron, il se crispa. Il
avait déjà subi un interrogatoire en règle par l’aîné des enfants Gilroy, il
n’était pas pressé de recommencer. Après tout, il avait fallu que Cameron
rappelle – un peu sèchement, d’ailleurs – à son aîné qu’il était son amant et
pas un suspect interrogé par un détective dilettante dans un mauvais film
policier pour que James le laisse tranquille, et il n’avait pas la moindre envie
de subir à nouveau un flot intarissable de questions sur sa famille, son travail
ou sa situation financière.
Glissant un regard vers la porte du salon, il envisagea une fraction de
seconde de faire une retraite stratégique, de se replier silencieusement vers la
sortie et de quitter les lieux. Prenant conscience de la lâcheté de cette idée, il
passa nerveusement ses doigts dans ses cheveux, éprouvant une certaine
rancœur envers Cameron qui l’avait laissé seul pour répondre à un appel de
sa mère plusieurs minutes plus tôt et n’avait toujours pas repointé le bout de
son nez à ses côtés.
— Pattie l’accapare.
Distrait de ses pensées, Kyren leva les yeux vers Mark, venu s’arrêter à ses
côtés. Lui offrant un sourire compatissant, l’équipier de son amant s’assit
près de lui sur le fauteuil.
— C’est le moment de la grande « discussion mère-enfant », lui apprit-il.
— La « discussion mère-enfant » ? répéta Kyren en fronçant les sourcils.
— Celle où elle nous demande si nous sommes heureux, intervint une voix
féminine. Elle nous demande si on est sûr de nous, si notre histoire est
sérieuse…
Kyren ravala une grimace en croisant le regard moqueur de Mark,
comprenant qu’il avait détourné son attention pour permettre à la sœur de
Cameron de venir lui parler.
— Je vais voir si Cameron s’en sort.
— Lâcheur ! souffla-t-il comme Mark se levait pour s’éloigner.
— Tu es entre de bonnes mains, le rassura l’ami de Cameron. Angela est
charmante.
Kyren ravala un grognement rébarbatif. Venant de sa part, cela ne le
rassurait absolument pas !
La sœur de Cameron fit un clin d’œil à Mark en le voyant étouffer un rire
et prit sa place aux côtés de Kyren.
— Alors comme ça, tu es éthologue ?
Kyren hocha la tête sans grande motivation, priant pour ne pas avoir à
répondre à une tonne de questions encore une fois.
— Cameron adore les animaux.
Le jeune homme cilla et jeta un regard étonné à la sœur aînée de son amant
avant de sourire légèrement.
— Je ne le savais pas, avoua-t-il.
— On a toujours grandi entourés d’animaux, ici, lui expliqua-t-elle en lui
rendant son sourire. Viens avec moi, que je te montre certaines photos.
Kyren n’hésita qu’une fraction de seconde à la suivre quand elle se leva
pour quitter le salon. Angela l’entraîna à l’étage, lui désignant distraitement
quelques cadres décorant le mur alors qu’ils gravissaient les marches. Sur
presque toutes les photographies, il pouvait apercevoir Cameron avec sa
fratrie, à différents âges, accompagnés de chiens et de chats. Arrivée sur le
palier, Angela lui fit un clin d’œil amical en abaissant la poignée d’une porte
close.
— Nous entrons dans l’ancien antre de mon frère, le prévint-elle. À nos
risques et périls !
Kyren prit une petite inspiration, troublé à l’idée d’entrer dans la chambre
d’adolescent de son amant. Angela pénétra dans la pièce et se dirigea droit
vers le petit bureau situé dans un coin de la chambre.
— Ma mère a un album photo de chacun de nous dans chaque chambre, lui
apprit-elle en s’emparant dudit album. Va savoir pourquoi !
Kyren la regarda s’asseoir sur le lit et la rejoignit d’un pas hésitant quand
elle tapota doucement la place à côté d’elle avant d’ouvrir l’album.
S’asseyant près d’elle, il sentit son cœur se serrer en découvrant la première
photo : elle représentait la mère de Cameron à la maternité, son nouveau-né
dans les bras, tous les deux entourés de son époux, de James et d’Angela.
C’était un souvenir que lui n’avait jamais eu. Celui d’une famille.
— Là, dit Angela en tournant la page. Regarde ! Ils sont trop mignons…
Kyren observa l’image qu’elle lui désignait et sourit avec attendrissement.
La photo représentait Cameron, âgé de quelques mois seulement, endormi sur
son matelas, sur le ventre. Non loin de lui, le museau posé contre son épaule,
un grand chien noir aux yeux doux semblait veiller sur son sommeil.
— Nana nous suivait partout où l’on allait, lui apprit Angela d’une voix
emplie de nostalgie. C’était une chienne fantastique. Cameron avait cinq ans,
quand elle est morte. Il a pleuré comme une madeleine, ce jour-là.
Kyren se doutait qu’il n’avait pas été le seul, à l’émotion qui brillait encore
dans le regard de la jeune femme.
— Et toi, as-tu eu des animaux de compagnie ? lui demanda-t-elle après
avoir passé quelques minutes à lui montrer les photos en lui racontant des
anecdotes sur l’enfance de Cameron.
Une mélancolie amère lui tombant sur la poitrine, Kyren secoua
négativement la tête et détourna les yeux. Pas forcément à cause de l’absence
d’animal de compagnie durant son enfance, mais bien parce qu’il n’avait pas
envie d’avouer à Angela combien son enfance avait été froide et terne, après
avoir vu l’amour qui inondait leur famille.
Une planche du parquet grinça et il reporta son attention sur le hall, flairant
l’odeur de l’intrus dissimulé dehors pour sourire quand il reconnut le parfum
de la peau de Cameron.
— C’est impoli, d’écouter aux portes, dit-il doucement.
Une seconde plus tard, Cameron franchit le seuil de la chambre, un sourire
penaud aux lèvres.
— Désolé, s’excusa-t-il en venant s’asseoir près d’eux pour glisser ses bras
autour de la taille de Kyren et l’attirer contre lui. Maman n’en finissait pas.
Bien qu’un peu mal à l’aise sous le regard d’Angela, Kyren finit par se
détendre contre lui. Angela regarda son cadet, les yeux brillant d’amusement.
— Ce n’est pas grave. Kyren et moi avons fait connaissance, comme ça.
Cameron lui jeta un regard suspicieux.
— Tu ne l’as pas convaincu qu’il gâcherait sa vie avec moi, hein, Angie ?
Angela pouffa.
— Il le comprendra bien tout seul, il est intelligent ! se moqua-t-elle en se
levant. Je vais voir si je dois aider maman à faire quelque chose. Ne restez
pas trop longtemps cachés ici, sinon j’envoie Steven vous chercher !
— Même pas peur ! répliqua Cameron.
Ils entendirent Angela ricaner, puis le son de ses pas décroître dans
l’escalier. Cameron appuya son menton sur l’épaule de Kyren.
— Tu tiens le coup ? demanda-t-il d’un ton contrit. Ils n’ont pas été trop
pénibles pendant mon absence ?
Kyren soupira légèrement.
— J’ai eu l’impression d’être en cage et observé par tout un tas de
chercheurs, avoua-t-il. Ce n’est pas très agréable, d’autant plus que je ne sais
pas du tout ce que tes parents pensent de moi, mais je survivrai… Enfin, je
suppose. Ton père n’a pas une arme prête à servir et l’envie de me tuer pour
dépraver son fils, pas vrai ?
Cameron sourit et posa un tendre baiser dans le creux de son cou, lui
soutirant un frémissement.
— Il n’est pas très sympa, hein ?
Kyren grimaça.
— Disons que j’ai cru qu’il ne me saluerait pas…
Cameron fit la moue.
— Ouais… Il a accepté que je sois gay, mais… Il est mal à l’aise quand il a
« ça » sous les yeux, comme il dit.
— « Ça » ? répéta Kyren.
— Un couple gay amoureux.
Kyren remua quelque peu, se sentant légèrement rougir malgré lui et
envahi par une chaude émotion.
Remarquant le regard tendre de Cameron, où brillait une lueur d’espoir, il
entrouvrit les lèvres pour parler, mais les mots s’étranglèrent dans sa gorge.
Tournant vivement la tête vers la porte de la chambre en percevant une
présence, il posa un regard écarquillé sur Steven, le benjamin, qui se tenait
sur le seuil.
— M’man m’envoie vous chercher, dit-il d’un ton penaud.
— On arrive, grogna Cameron, déçu par cette interruption.
Steven opina et tourna les talons, les laissant seuls. Cameron se leva en
soupirant et tendit une main à Kyren qui força un sourire sur ses lèvres en
l’acceptant avant de se mettre debout à son tour.
— Kyren…
— Mmm ?
Cameron l’attira contre lui et l’embrassa. Doucement. Tendrement.
S’écartant lentement de ses lèvres, il appuya son front contre le sien.
— Je t’aime, Kyren.
— Moi aussi, souffla-t-il faiblement.
Le sourire qui illumina le visage de Cameron et l’émotion dans son regard
auraient suffi à éclairer tout Chicago.
Le cœur battant à tout rompre Kyren sourit sous les lèvres de Cameron
quand son amant reprit sa bouche avec passion.
Terrifié, mais heureux.
19
La grisaille régnait sur la ville quand Kyren ouvrit les yeux. Réprimant un
grognement, peu motivé à se lever pour affronter le mauvais temps, il se
blottit un peu plus contre le corps chaud de son compagnon endormi.
Il avait finalement survécu à la rencontre avec sa belle-famille. Le père de
Cameron, Jack, s’était montré courtois et Patricia – « Pattie » –, la mère de
Cameron, s’était révélée charmante, réussissant à le mettre à l’aise au cours
du repas. Il s’était fait, par ailleurs, une alliée d’Angela et avait réussi à
trouver le courage de répondre aux petites piques moqueuses lancées par
James, à la plus grande hilarité de Steven qui l’avait dès ce moment-là
considéré comme son « nouveau pote ». La surprise avait dû se peindre sur
son visage parce qu’il avait senti Cameron lui caresser le genou et avait pu
découvrir son sourire tendre en tournant la tête pour le regarder, captant du
coin de l’œil le regard approbateur de Pattie posé sur eux. Il avait
apparemment réussi l’examen d’entrée de la famille Gilroy…
Par moments, il avait senti que la froideur de Jack à leur égard attristait
Cameron, mais il n’avait pas la moindre idée pour arranger les choses. Il
doutait même que quiconque puisse y parvenir, hormis Jack lui-même. Si le
patriarche des Gilroy avait des difficultés à accepter l’homosexualité de son
fils, c’était à lui d’essayer de changer, pas à Cameron.
— Hey… À quoi tu penses ? demanda Cameron d’une voix enrouée de
sommeil.
Kyren leva les yeux vers son visage et se hissa sur un coude pour pouvoir
se pencher et baiser chastement ses lèvres.
— Bonjour, souffla-t-il.
— Bonjour, répondit Cameron dans un sourire.
D’une main distraite, il caressa doucement le dos nu de son amant,
savourant la sensation de sa peau qui frémissait sous ses doigts.
— Alors, à quoi réfléchissais-tu ? demanda-t-il à nouveau.
De délicieux frissons parcourant son dos, Kyren ferma à moitié les yeux,
réprimant de son mieux un ronronnement de plaisir.
— Je repensais à hier.
Cameron hocha la tête.
— Ça s’est plutôt bien passé.
— Eh bien, a priori, oui, vu que je suis toujours en vie, sourit Kyren.
Cameron gloussa.
— Ils ne sont pas si terribles…
Kyren baissa la tête pour lui mordiller gentiment le menton puis lécha
doucement sa peau avant de glisser le long de sa gorge, baisant tendrement
son cou. Cameron laissa échapper un soupir appréciateur et ferma les yeux.
Kyren revint vers sa bouche qu’il caressa doucement de ses lèvres avant
d’en quémander l’accès. Cameron l’étreignit en le lui accordant, accueillant
sa langue contre la sienne dans un soupir languide.
— Je t’aime, souffla-t-il quand le besoin d’oxygène les sépara.
Kyren sentit son cœur faire un looping à ses paroles et enfouit son visage
dans le cou de son amant, un nœud lui serrant la gorge.
— Cam…
— Mmm ?
— Emménage avec moi, chuchota-t-il presque.
Cameron tressaillit, le souffle coupé. Devant son silence, un tremblement
parcourut le corps de Kyren et il fit mine de s’écarter, le cœur serré, mais
Cameron le retint contre lui.
— Pas ici, souffla-t-il d’une voix enrouée.
Sentant son inquiétude disparaître, Kyren releva la tête pour le regarder et
plissa les yeux.
— Pas chez toi, le prévint-il. C’est trop petit !
Cameron gloussa et passa une main tendre dans la chevelure de son
compagnon.
— On va se trouver un endroit à nous.
Kyren sourit timidement et opina. Cameron l’embrassa.
— Je t’aime, Kyren, souffla-t-il en s’arrachant à ses lèvres.
Kyren appuya son front contre le sien, une grande douceur dans ses yeux
dorés.
— Je t’aime aussi, murmura-t-il.
Il ne put que sourire devant le bonheur qui illuminait les yeux gris de
Cameron.
Convaincu, pour la première fois de sa vie, d’être à sa place.
— Kyren ?
Reconnaissant l’odeur et la voix de Ted Haynes, Kyren ravala une grimace
en rangeant ses affaires et tourna la tête vers son ancien amant.
— Ted…
— Tu as le temps de boire un café ?
Kyren ferma sa mallette et la passa en bandoulière.
— Écoute, Ted…
— Je te propose juste de boire un café, l’interrompit-il, un petit sourire
triste aux lèvres.
Kyren secoua doucement la tête.
— Mais…
— Je dois rentrer chez moi, le coupa-t-il gentiment, mais fermement. On
m’attend.
Le biologiste, dépité, hocha mollement la tête puis tourna les talons sans le
saluer. Kyren soupira en se maudissant une nouvelle fois d’avoir couché avec
un collègue et regrettant l’entêtement dudit collègue.
Il quitta l’auditoire et sortit de la faculté de médecine, aspirant à rentrer
chez lui, souriant légèrement d’anticipation à l’idée de retrouver bientôt
Cameron. Il approchait de sa voiture quand il aperçut un homme appuyé
contre la portière côté conducteur de sa Chevrolet. Son cœur bondit en le
reconnaissant. Un sourire frôla les lèvres de l’autre Thérianthrope qui se
détacha du véhicule pour s’approcher de lui. Kyren allait l’étreindre dans sa
joie de revoir son ami quand il se rappela qu’il était toujours interdit pour lui
de venir le voir.
— Qu’est-ce que tu fais là, Jérémy ? demanda-t-il sombrement en laissant
retomber ses bras le long de son corps. Tu sais bien que tu…
— Tout est rentré dans l’ordre ! le coupa Jérémy avec un sourire joyeux.
Ton exil est fini !
Kyren cilla. Jérémy passa ses bras autour de son corps et glissa brièvement
son nez dans sa nuque.
— C’est Loukian qui t’a envoyé ici ? demanda Kyren en s’écartant de lui,
un nœud alourdissant son estomac.
Paraissant se rendre compte de son trouble, Jérémy fronça légèrement les
sourcils.
— Il m’a juste dit que je pouvais à nouveau te voir, dit-il en le considérant
d’un air curieux. Il t’expliquera les tenants et les aboutissants de la décision
du conseil, mais tu n’es officiellement plus en exil.
Kyren sentit son malaise s’accentuer. Jérémy pinça légèrement les lèvres.
— Tu n’es pas heureux ?
— Si, répondit-il. Si, bien sûr que si…
Une lueur de colère glissa dans le regard de son ami.
— Menteur ! l’accusa-t-il dans un grondement.
— Je ne mens pas ! nia-t-il en soutenant le regard du jaguar. Mais…
— Mais quoi ? siffla Jérémy.
Kyren passa une main dans ses cheveux avec nervosité. Il ne savait pas
comment faire comprendre à son ami que cette décision, qui lui aurait paru
être une bonne nouvelle quelques semaines plus tôt, lui paraissait aujourd’hui
une menace sournoise pour son couple et son bonheur.
— Kyren ? insista Jérémy d’une voix sourde.
— Je l’aime, Jé, souffla-t-il finalement en désespoir de cause.
Jérémy parut s’apaiser à ces mots.
— Loukian ne m’a pas dit que tu devrais renoncer à ta flamme jumelle.
— Si on me forçait à choisir, je choisirais Cameron, Jé.
Jérémy opina, pas vraiment surpris.
— C’est ton âme sœur. Tous les Thérianthropes feraient ce choix.
— Jérémy…
— Cela n’a pas d’importance ! le coupa son ami avec ferveur. Je suis sûr
que Loukian ne te demandera pas de faire un choix entre ta flamme jumelle et
le clan.
Kyren sourit faiblement.
— J’espère…
Il hésita puis tendit une main pour frôler le bras de Jérémy.
— Tu m’as manqué, avoua-t-il.
Jérémy sourit et l’étreignit fermement, un doux ronronnement s’échappant
de sa gorge.
— Toi aussi, tête de mule, tu m’as manqué !
Kyren sourit et s’appuya légèrement contre son ami, fermant brièvement
les yeux en inspirant son odeur, retrouvant avec une certaine émotion la
savoureuse sensation d’avoir, en quelque sorte, une famille.
Une puissante odeur féline lui parvenant, il s’écarta de Jérémy et tourna la
tête pour voir apparaître Duncan McKleff. Il se douta qu’il avait assisté à ses
retrouvailles avec Jérémy en le voyant venir vers eux en marchant contre le
vent.
— Duncan, dit-il simplement.
Duncan lui sourit légèrement et feignit de l’étreindre. Kyren lui présenta sa
gorge avec docilité. Sans un mot, Duncan glissa son nez dans son cou puis se
redressa.
— Tu sembles aller bien, dit-il gravement.
Kyren acquiesça.
— Loukian viendra te voir, le prévint Duncan.
— Quand ? demanda-t-il.
— Bientôt.
Le manque de précision de cette réponse faillit le faire grogner. Il se retint,
mais une moue plissa ses lèvres. Duncan sourit légèrement.
— On doit y aller, Jérémy, dit-il en regardant ce dernier. Notre avion
décolle bientôt.
— Votre avion ? s’étonna Kyren.
En dehors des réunions du Grand Conseil, à chaque solstice et équinoxe,
où les différents clans se réunissaient, il était très rare que des Thérianthropes
quittent le territoire de leur clan.
Pour que Duncan, l’un des Bêtas de la meute de Chicago, s’en aille, cela
signifiait que quelque chose de grave s’était produit ou qu’un événement
important avait lieu sur un autre territoire.
— Loukian nous envoie en délégation à Atlanta, lui apprit Jérémy.
Kyren tressaillit à cette nouvelle, songeant immédiatement avec inquiétude
au jeune jaguar avec qui il s’était lié d’amitié quelques années plus tôt. Fils
du chef de la meute des jaguars d’Atlanta, l’une des plus importantes, Aniki
Oberth lui avait fait part de son mal-être plusieurs fois, par le passé. Il
espérait que le jeune Thérianthrope n’avait pas commis un acte irréparable.
— La femelle de l’Alpha s’est donné la mort, précisa Duncan.
Kyren en resta coi un instant, choqué.
Craindre qu’Aniki, brimé par son père toute sa vie et adolescent rebelle en
manque d’attention, se soit suicidé, oui. Mais penser que la femelle Alpha, la
seule à avoir défendu Aniki face à son géniteur quand l’homosexualité du
jeune jaguar avait été découverte, puisse se tuer et abandonner son fils, cela
ne lui serait jamais venu à l’esprit.
— Transmettez à Aniki… toutes mes condoléances, murmura-t-il, attristé.
— Si on peut lui parler, ce sera fait, promit Jérémy avant que Duncan ait
pu répondre.
Kyren acquiesça. Il savait qu’il ne pouvait pas espérer plus : Aniki n’était
pas connu pour rechercher la présence d’autres jaguars.
— Merci, Jé, dit-il sincèrement.
Jérémy haussa les épaules.
— On se revoit bientôt. OK ?
Kyren hocha la tête et ils le saluèrent avant de s’éloigner, le laissant seul
sur le parking de l’université.
20
Loukian se tenait devant sa porte, quand Kyren arriva à son appartement.
Une brutale émotion lui noua la gorge. Duncan l’avait prévenu que le chef de
la meute des jaguars de Chicago viendrait le voir, mais il n’imaginait pas que
cela serait aussi rapide.
— Kyren, le salua gravement Loukian sans bouger de sa place.
Silencieux, Kyren s’avança vers son ami. Loukian l’étreignit avec force
quand il fut face à lui et enfouit son visage dans son cou sans lui laisser
l’occasion de protester ou de se défendre. C’était une façon de faire un peu
cavalière, mais il n’en prit pas ombrage. Loukian était un dominant, un chef
de meute : agir autrement que de manière directe et agressive n’était pas dans
ses habitudes. Par ailleurs, son odeur musquée et sa chaleur agissaient comme
un calmant et l’attiraient tout à la fois. C’était le propre des dominants sur les
membres de meute moins puissants, il le savait depuis qu’il avait pris
connaissance de ce qu’impliquait le fait d’être Thérianthrope. Il n’aurait
jamais cru que cela lui aurait manqué autant, avant son isolement.
— Tu as l’air d’aller bien, dit Loukian en s’écartant au bout d’un instant.
— Toi aussi, répondit-il faute de mieux.
Loukian hocha la tête puis lui désigna du menton la porte de l’appartement.
— On peut se parler ?
Kyren acquiesça et déverrouilla sa porte avant d’inviter Loukian à entrer.
Son ami plissa le nez alors qu’il refermait la porte derrière eux et négligea le
canapé que lui désignait Kyren, lui faisant comprendre qu’il ne s’attarderait
pas dans son antre.
— Ton ami vit ici.
Kyren ravala une grimace.
— Presque, admit-il en le regardant évoluer dans la pièce en humant l’air.
Nous allons emménager ensemble, ailleurs, bientôt.
Loukian le regarda d’un air songeur avant de hocher la tête.
— Tu as pris cette décision vite.
Kyren glissa nerveusement une main dans ses cheveux.
— C’est ma flamme jumelle, Loukian…
Loukian grogna légèrement, mais acquiesça. Kyren le regarda avec une
certaine anxiété.
— Je l’ai dit à Jérémy, Loukian, dit-il, le cœur battant. Si je dois choisir
entre Cameron et la meute…
— J’ai longtemps discuté avec l’Alpha, le coupa son ami. Personne ne te
demandera de choisir entre ta meute et le compagnon que le destin t’a donné.
Kyren resta prudemment silencieux.
— Tu n’es pas content ? s’étonna légèrement Loukian.
— Je m’interroge juste sur le prix à payer pour réintégrer la meute en
conservant mon compagnon…
Loukian leva les yeux au ciel, un air agacé passant brièvement sur son
visage.
— J’ai l’impression d’entendre Jacek ! La paranoïa est contagieuse, ma
parole !
— On offre rarement quelque chose sans rien espérer en échange…
Loukian secoua la tête.
— Comme je l’ai dit à Jacek, l’Alpha est un grand homme, dit-il avec
conviction. Vous devriez avoir plus de foi en lui !
Kyren retint tant bien que mal une manifestation de son dégoût. L’Alpha, à
ses yeux, n’était qu’un vieil homme avide de pouvoir et xénophobe. Mais son
ami mettait toute sa confiance et son admiration en celui qui avait été un
proche de son père, avant le meurtre de ce dernier.
— Il est conscient que ton âme sœur étant humaine, tu ne pouvais pas lutter
contre le destin. Après discussion avec les membres de Chicago, et à la suite
de ma demande, il te permet de réintégrer la meute. À une condition,
toutefois…
— Laquelle ?
— Ton compagnon ne devra jamais savoir ce que nous sommes.
Kyren soupira et haussa les épaules avec lassitude.
— Ce n’est pas vraiment le genre de choses que je suis pressé d’apprendre
à quelqu’un, tu vois ?
— C’est très sérieux, Kyren, répondit gravement son ami. Si un Humain,
quel qu’il soit, apprenait ce que nous sommes par ta faute, même par
malchance, c’est la mort qui t’attendrait. L’Alpha ne laisserait jamais ça
passer. Le secret doit être protégé.
Kyren acquiesça sombrement, le cœur lourd.
— Cameron n’en saura jamais rien, promit-il. Et je te suis reconnaissant,
Loukian.
— C’est la décision de l’Alpha.
— Mais je me doute bien que si l’Alpha a accepté mon retour dans la
meute, c’est grâce à toi…
Loukian haussa les épaules.
— Je lui ai rappelé que le fait que tu sois un Demi-Sang d’une autre espèce
ne changeait en rien ta valeur pour notre meute. Quant à ton implication dans
une relation avec un humain, elle est due à la flamme. Si le destin l’a voulu
ainsi, personne, pas même l’Alpha, ne peut aller contre lui.
Kyren opina. Loukian s’approcha de lui avant de poser une main sur sa
joue avec affection.
— Tu m’as manqué, petit.
Kyren lui sourit et pressa sa joue dans sa paume, un doux ronronnement lui
échappant.
— Quelle pitié pour toi que ton amant ne soit pas un Thérianthrope,
regretta Loukian à voix basse. Je m’imagine sans peine combien il doit être
frustrant de devoir retenir tes réactions félines…
— J’ai l’habitude, objecta tranquillement Kyren. Je n’ai jamais été avec un
Thérianthrope. Ce que nous ne connaissons pas ne peut pas nous manquer.
— Sans doute, admit pensivement Loukian.
— Et Cameron me satisfait pleinement, précisa-t-il. Je ne pensais pas que
faire l’amour avec une personne qu’on aime était à ce point meilleur…
Loukian laissa lentement retomber sa main, songeur.
— Tant que tu es heureux, je le suis, affirma-t-il gentiment.
Kyren gloussa doucement.
— Dois-je remercier Jacek pour cette approbation ?
Loukian éclata de rire, mais hocha la tête.
— Nous avons beaucoup discuté de toi, admit-il. Il m’a permis d’envisager
les choses d’une manière plus positive. Il a presque réussi à me convaincre
que la seule chose importante dans ta relation avec Cameron, c’était que tu
l’aimais.
Kyren lui sourit affectueusement.
— Jacek est quelqu’un de vraiment bien, Loukian.
Ce dernier acquiesça en se rengorgeant légèrement, visiblement heureux et
fier qu’on reconnaisse les qualités de son ami.
— C’est mon meilleur ami, mais il a des propos tellement romantiques,
parfois, que je me demande ce qu’on a en commun, avoua-t-il dans un
sourire.
— Juste ton meilleur ami ? s’enquit Kyren d’une voix douce.
— Que veux-tu dire ? s’enquit Loukian en haussant un sourcil.
— Ce n’est un secret pour personne dans la meute, que Jacek est ton
amant, Loukian…
Loukian haussa les épaules avec indifférence.
— Nous assouvissons ensemble un besoin physiologique, rien de plus,
affirma-t-il. Pour lui comme pour moi, c’est plus pratique de coucher
ensemble que de chercher un amant ou une maîtresse ailleurs. En plus, cela
m’évite de devoir me soucier d’éventuelles conséquences politiques.
Kyren le regarda sans répondre, le cœur un peu serré, désolé de la vision
que Loukian avait de sa relation avec Jacek. Son ami posa une main sur ses
cheveux et les ébouriffa gentiment.
— Si tu as besoin d’aide pour trouver une propriété qui vous convient, à toi
et ton amant, n’hésite pas à venir me voir. J’ai quelques contacts.
— Merci, Loukian.
Loukian hocha la tête en souriant avant de tourner les talons pour quitter
l’appartement du jeune homme. Kyren attendit d’entendre l’ascenseur
descendre, emportant son visiteur loin de lui, pour soupirer, soulagé.
Il pressentait que le secret qu’il devrait garder pèserait dans sa vie de
couple, bien qu’il comprenne le point de vue des Thérianthropes : s’ils
avaient survécu jusqu’ici, c’était grâce au secret qui entourait leur existence.
Ils étaient un mythe.
Et ils devaient le rester.
21
Le break de Noël était tout proche quand Cameron et lui trouvèrent enfin
l’appartement qui paraissait leur convenir à tous les deux. Déménager à cette
période de l’année n’était sans doute pas la chose la plus simple, surtout avec
l’enquête de Cameron qui piétinait, mais cela leur permit de se changer les
idées : le moral de Cameron s’en ressentait, en l’absence d’avancée dans leur
affaire, et Kyren, quant à lui, éprouvait certaines craintes à savoir qu’un tueur
en série se trouvait potentiellement sur le campus.
Des craintes, mais aussi de la culpabilité à l’idée qu’il devait taire cette
information, pour ne pas créer un vent de panique auprès de ses étudiants,
même s’il leur avait rappelé après la mort de Keith qu’ils devaient se montrer
prudents envers les inconnus qui les abordaient.
Cependant, comment leur demander de montrer de la méfiance à l’égard du
corps professoral lui-même ? Ils étaient supposés être en sécurité pour étudier
et préparer leur avenir, pas risquer leur vie à cause d’un psychopathe.
Il regrettait vraiment que son profil n’ait pas permis d’avancer dans
l’enquête. Si cela avait conduit à l’arrestation du tueur, il n’aurait plus
ressenti le besoin de scruter chaque geste de ses collègues ni de humer leur
odeur, quand ils s’approchaient de lui.
— À quel endroit je pose cette boîte ?
Tournant la tête vers le frère cadet de Cameron, qui venait de le sortir de
ses pensées, Kyren lui sourit et lui désigna la pièce qui devrait servir plus tard
de bureau.
— Là, ce sera très bien. Merci, Steven.
Le jeune homme opina et s’éloigna avec sa lourde boîte. Kyren embrassa
l’appartement du regard, un petit sourire aux lèvres, puis le quitta une
nouvelle fois pour retourner chercher quelques caisses.
Il croisa Angela qui lui sourit joyeusement en arrivant avec d’autres
cartons. Après s’être assuré que ce n’était pas trop lourd pour elle, il la laissa
continuer sa route.
Voir Angela et Steven leur offrir spontanément leur aide pour le
déménagement l’avait agréablement surpris. Seul le frère aîné de Cameron
n’avait pas pu se libérer, envoyé par son travail dans un autre État.
De son côté, après avoir informé Loukian de sa nouvelle adresse, il s’était
vu proposer l’aide de son ami et de Jacek. Leur offre l’avait stupéfié,
connaissant la répugnance de Loukian vis-à-vis des Humains, mais il avait
accepté joyeusement, ravi de les voir consentir à rencontrer son compagnon
et conscient de l’honneur que lui faisait son chef de meute en venant l’aider
en personne à déménager.
Si Cameron avait été étonné de rencontrer ses amis pour la première fois à
cette occasion, il s’était montré souriant et agréable avec eux quand il les lui
avait présentés, allant jusqu’à subir sans sourciller la poignée de main un peu
trop ferme de Loukian. Il avait fallu que Jacek intervienne diplomatiquement,
en demandant si quelqu’un de costaud pouvait l’aider à sortir un lourd
meuble de l’appartement, pour que cesse ce petit duel stérile. Loukian s’était
immédiatement rendu utile.
Alors que ses deux amis se chargeaient du meuble, sans grande difficulté
grâce à leur force de Thérianthropes, quoi qu’ils aient pu faire croire aux
autres Humains présents, il n’avait pu réprimer un sourire amusé quand
Cameron lui avait jeté un regard ahuri en secouant discrètement sa main
endolorie. Mark, présent également, avait quant à lui ricané en lui souhaitant
avec une pointe d’ironie de toujours s’entendre avec le colosse qu’était
Loukian.
Kyren n’avait pas osé s’en mêler, jugeant peu pertinent de leur conseiller
d’être discrets. Il était conscient que Loukian avait jaugé son amant et il
trouvait ça touchant, d’un certain côté.
Arrivant près de la camionnette qu’ils avaient louée, il vit Jacek se charger
de faire la conversation à son compagnon en déchargeant des caisses. La
bonne volonté du Thérianthrope lui fit chaud au cœur.
— Ça avance bien, non ? dit-il en posant une main sur le dos chaud de
Cameron.
— On aura tous mérité une bonne douche, mais oui, ça avance bien,
répondit son amant en glissant un bras autour de sa taille pour l’attirer contre
lui et lui voler un chaste baiser.
Kyren lui sourit et caressa sa joue de son nez avec tendresse. Cameron
appuya son front contre le sien brièvement, un sourire tendre aux lèvres.
Croisant le regard de Loukian, il se demanda ce qui lui valait la froideur de
l’ami de Kyren puis décida de passer outre : s’il fallait du temps pour briser la
glace avec le colosse, il s’en laisserait. Il suspectait que leur relation était
importante pour Kyren. Son amant n’aurait pas eu l’air aussi heureux en le lui
présentant, sinon.
— Hey, les gars, un peu de courage ! les interpella Jacek en descendant
souplement de la camionnette malgré la lourde caisse qu’il avait dans les
bras. Il ne reste plus grand-chose à décharger : vous pourrez vous reposer
plus tard !
— Tu ne t’arrêtes jamais, s’amusa Kyren en se détachant de son
compagnon pour aller prendre un autre carton. Un vrai bourreau de travail !
— Je lui dis souvent, confirma Loukian. Mais sans lui, je serais perdu.
Jacek se contenta de sourire avant de s’éloigner. Cameron considéra un
petit moment Loukian d’un air songeur, s’interrogeant sur le lien qu’il avait
avec Jacek. Posant sur lui un regard distant, Loukian finit par l’ignorer et alla
s’emparer des lourds cartons qu’il se mit en devoir d’emporter vers
l’appartement.
— Tu portes ça ? demanda Kyren en lui tendant une boîte. C’est pour la
chambre.
Cameron prit le carton et grimaça légèrement sous son poids avant de rire
doucement.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Kyren en descendant de l’arrière de la
camionnette avec une caisse lui aussi.
— Je me disais que je sous-estimais ta force, dit-il gaiement. Tu avais l’air
de porter ça si facilement…
Sentant son cœur manquer un battement à l’idée d’avoir trahi sa puissance
de Thérianthrope, Kyren cilla puis lui sourit d’un air goguenard, prenant le
parti de tourner cela à la plaisanterie pour éviter d’éventuelles questions de la
part de son compagnon.
— C’est bon ! Je ne suis pas aussi costaud que Loukian ! Ta virilité est
sauve, mon cœur.
Cameron secoua doucement la tête, un sourire aux lèvres.
— J’aime bien avoir un compagnon solide.
« Tu n’as pas la moindre idée de ma solidité, Cam », songea Kyren avec
un petit serrement au cœur.
— Il faut l’être, pour faire de l’escalade, répondit-il d’un ton faussement
indifférent en avançant vers l’immeuble. Je t’ai dit que j’en avais fait pendant
plusieurs années…
— Oui, admit-il en lui emboîtant le pas. Qu’est-ce qu’il y a, entre tes
potes ? Ils sont ensemble, en fait ?
Kyren hésita.
— C’est compliqué, finit-il par dire.
— Ah, fit simplement Cameron.
Kyren lui coula un regard, se demandant si la curiosité de son compagnon
allait se satisfaire de cette réponse. Comme Cameron lui offrait un sourire
moqueur, mais ne l’interrogeait pas, il ne put réprimer un rire et le poussa
gentiment d’un petit coup d’épaule, le cœur léger.
Le soir venu, Cameron, épuisé, s’effondra sur leur lit après sa douche. Il
n’avait pas réussi à convaincre Kyren de l’accompagner dans la salle de bain
après le départ de leurs amis, son compagnon tenant dur comme fer à vérifier
qu’il avait bel et bien tous les originaux des dossiers qu’il donnerait à ses
étudiants pour leurs examens. Sa crainte de perdre ces copies, pourtant
sauvegardées sur le disque dur de son ordinateur, l’avait fait sourire, mais il
n’avait pas cherché à argumenter, trop fatigué pour ça.
Il somnolait quand son compagnon le rejoignit enfin. Sans un mot, Kyren
se glissa dans le lit à ses côtés et l’enlaça, appuyant son torse contre son dos,
une main venant se perdre sur son cœur. Cameron la caressa de la sienne et
entrelaça leurs doigts, un sourire ensommeillé venant frôler ses lèvres alors
que son compagnon baisait tendrement son épaule. Appréciant la chaleur et la
douce étreinte de son amant, il ne fut pas long à sombrer dans les bras de
Morphée pour de bon.
22
Ayant senti l’odeur de Ted Haynes avant qu’il n’ose se décider à frapper à
la porte de son bureau, Kyren entreprit de ranger ses derniers documents,
espérant qu’en le voyant occupé malgré l’heure assez tardive, son ex-amant
ne s’attarderait pas.
— Entrez, lâcha-t-il d’une voix égale.
La porte s’ouvrit doucement puis Ted pénétra lentement dans la pièce, l’air
mal à l’aise. Il le salua d’un vague signe de la tête avant de replonger dans ses
dossiers.
— Bonjour, Kyren, souffla Ted. Je peux te déranger deux minutes ?
— Un problème ? demanda-t-il en lui désignant une chaise face à lui.
Le biologiste soupira, mais négligea le siège.
— J’ai… J’ai décidé de quitter l’université, après les examens, lui
annonça-t-il.
— Tu as reçu une offre plus intéressante que celle de Northwestern ?
s’enquit poliment Kyren.
— Non… Enfin, je… On m’offre un poste de chercheur qui sera plus en
rapport avec mes envies, mais… J’ai surtout pris cette décision pour
m’éloigner de toi.
Kyren déposa ses documents sur son bureau et releva les yeux pour
regarder gravement son interlocuteur.
— Ted, ce n’était qu’une histoire d’une nuit, entre nous, rappela-t-il
posément.
— Pour toi, répondit son collègue avec un petit sourire triste. Parce que tu
ne m’avais jamais remarqué avant cette soirée-là.
Kyren secoua doucement la tête.
— Ted…
— Je sais, le coupa-t-il. Les sentiments, ça ne se commande pas…
Kyren ne put qu’acquiescer.
— Je voulais juste t’apprendre mon départ moi-même, soupira l’autre
homme.
— D’accord, dit-il. J’espère vraiment que tout ira bien, pour toi, dans le
futur. Et que tu trouveras le bonheur.
Son collègue ne put réprimer un rire empreint d’une certaine amertume.
— Tu l’aimes, lui, pas vrai ? J’ai entendu dire que tu avais emménagé avec
quelqu’un…
Kyren le regarda sans répondre. Ted hocha la tête, une moue dépitée
plissant ses lèvres.
— Excuse-moi de ne pas pouvoir te féliciter, dit-il en tournant les talons.
Kyren ne trouva rien à lui répondre. Il le regarda prendre la porte pour
s’éloigner dans le couloir, entendant son pas décroître progressivement.
Le moral au plus bas, Ted prit la décision de s’arrêter dans un pub avant de
rentrer chez lui alors qu’il se dirigeait vers le parking pour y récupérer son
véhicule. Il avait besoin d’un verre et de chaleur humaine, pour noyer sa
peine de cœur. Il ne se sentait pas l’envie de retrouver un lit froid, dans un
appartement vide.
Il approchait de sa voiture, une vieille Ford bleu foncé, quand il prit
conscience de la présence d’un autre homme sur le parking, ainsi que celle
d’un étudiant. Reconnaissant un collègue, qui lui tournait le dos et saluait le
jeune homme, il allait faire savoir sa présence quand il vit un éclat bleuté
illuminer la nuque du garçon qui ne put pousser qu’un faible cri avant de
s’effondrer sur le sol.
— Hey ! Qu’est-ce que vous faites ? s’exclama-t-il en se précipitant vers
eux sans réfléchir.
Son collègue sursauta et se tourna vers lui. Ted se figea en le voyant tenir
un couteau dans sa main et voulut faire un bond en arrière, mais l’autre
homme ne lui laissa pas le temps d’essayer de s’enfuir. La douleur vive et
brûlante explosa dans son flanc gauche, lui coupant le souffle.
Inconsciemment, il s’agrippa à la veste de son agresseur en se sentant
chanceler. La lame se retira de sa chair, puis transperça à nouveau son torse,
encore et encore. Bouche ouverte sur un cri d’agonie, il chuta à genoux puis
face contre terre. S’accroupissant à ses côtés, son assassin continua à le
lacérer de coups de couteau quelques instants, avant de s’écarter, le souffle
court, quand la vie eut quitté son regard.
Se relevant, il déverrouilla son van, glissa son couteau sous le siège
conducteur, puis ouvrit la portière arrière et attrapa l’étudiant inconscient
pour l’y jeter. Fermant la portière en vitesse, il se glissa derrière le volant et
démarra en trombe, les mains tremblantes, le cœur battant.
Le parking des enseignants avait été bouclé par des agents du FBI
dépêchés sur place par Cameron en catastrophe après son appel. Son amant
lui avait conseillé de rester loin du corps et de l’attendre sans rien toucher
avant son arrivée. C’était ce qu’il avait fait. Non pas qu’il aurait agi
autrement, même sans son conseil : le sang, l’odeur de la mort et l’arôme de
la peur qui émanaient du corps sans vie de Ted Haynes étaient une véritable
torture pour son léopard et il préférait s’en tenir éloigné pour ne pas craquer.
Quand il était arrivé, suivi de près par Mark, Cameron avait dû se résigner
à laisser son équipier l’interroger lui-même, ne se permettant que brièvement
de s’assurer qu’il n’avait rien avant de céder la place à son ami pour prendre
sa déposition. Cela n’avait pas été très long, mais il avait pris conscience, en
répondant aux questions du jeune homme, qu’il était dans un état un peu
second.
Mark n’avait pas été sans le remarquer, parce qu’il lui avait conseillé
d’attendre Cameron pour rentrer au lieu de prendre sa voiture, avant de
retourner aux côtés de son équipier pour superviser le travail de l’équipe
scientifique.
Kyren frissonna légèrement en regardant les voitures banalisées des agents
du FBI qui s’activaient sur les lieux. Le corps venait d’être emporté par
l’équipe du légiste, mais toute une série de personnes travaillait à
photographier la scène de crime et récolter des indices. Il se demandait s’il ne
ferait pas mieux de s’en aller, malgré le conseil de Mark, quand Cameron
finit par revenir vers lui. Un pâle sourire étira ses lèvres, se voulant rassurant
devant la mine soucieuse de son compagnon. Les bras de son amant se
refermèrent sur lui. L’enlaçant lui aussi, Kyren enfouit son visage dans le cou
du jeune homme et ferma les yeux en se blottissant dans sa chaleur.
— Allez viens, murmura Cameron après avoir posé un baiser dans ses
cheveux. On rentre.
Kyren opina d’un faible hochement de tête et le laissa l’entraîner vers sa
voiture. Une fois dans le véhicule, Cameron monta le chauffage en le voyant
frissonner et lui caressa brièvement la main avant de faire marche arrière pour
quitter les lieux.
À son réveil, Kyren découvrit le regard de Cameron posé sur lui et sourit
faiblement quand son compagnon, assis sur le bord du lit, se pencha pour
baiser tendrement son front.
— Bonjour, souffla-t-il.
— Bonjour, répondit Cameron en lui caressant doucement l’épaule.
— Tu es réveillé depuis longtemps ? demanda Kyren en notant qu’il était
prêt à partir travailler.
— Mark m’a appelé, il y a une heure.
— Je n’ai rien entendu, soupira-t-il.
Cameron secoua la tête et lui sourit, mais son regard brillait d’inquiétude.
— Tu as ouvert les yeux, lui apprit-il, mais tu avais déjà fait tellement de
cauchemars que je ne crois pas que tu aies fait la différence…
Kyren grimaça.
— Ouais, ça n’a pas été ma meilleure nuit… Que te voulait Mark ?
demanda-t-il en tendant la main pour la poser sur la joue de son amant.
Cameron glissa sa main sur la sienne et tourna la tête pour poser un baiser
dans sa paume.
— Ils ont reçu le mandat pour visionner les bandes de la vidéosurveillance
du parking et contrôler les abonnements. Je dois le rejoindre au bureau pour
l’aider à vérifier tout ça.
— C’est lui, n’est-ce pas ? C’est votre tueur ?
Cameron hésita.
— Mon instinct me dit que oui, dit-il prudemment. Mais rien ne colle avec
son mode opératoire habituel… Le légiste devrait remettre ses premières
constatations ce matin : on y verra plus clair, avec son rapport en main.
Kyren acquiesça faiblement.
— Tu le connaissais ? demanda Cameron. La victime, je veux dire.
— Oui, soupira-t-il. Ted Haynes…
— Un ami à toi ?
Kyren secoua négativement la tête.
— Tu te souviens, quand on s’est rencontrés ? Je t’ai parlé d’un coup d’un
soir collant…
Cameron grimaça légèrement.
— D’accord…
— Désolé…
Cameron secoua négativement la tête et se pencha une nouvelle fois pour
l’embrasser chastement.
— Il va falloir que j’y aille, dit-il d’une voix lourde de regrets.
— Je sais, répondit Kyren.
— Je n’ai pas vraiment envie de te laisser seul…
Kyren noua ses bras autour de sa nuque en souriant et appuya son front
contre le sien.
— Je vais bien, affirma-t-il. Ça m’a secoué, mais ça va.
Cameron soupira.
— Fais-toi porter pâle…
— Mes étudiants ont besoin de pouvoir me joindre, Cam.
— Ne serait-ce qu’aujourd’hui, demanda-t-il. Je me sentirais mieux si tu ne
risquais pas de tomber nez à nez avec un tueur…
Kyren caressa gentiment son dos.
— Je sais me défendre.
Cameron grogna.
— Tu vas vraiment aller bosser ?
Kyren opina.
— Alors, lève-toi et habille-toi, je t’y conduis, décréta Cameron.
— Je pourrais prendre un taxi, objecta doucement le jeune homme.
— Je t’y conduis. Un point c’est tout.
— On reparlera de cette manie de donner des ordres, agent Gilroy.
— Ce n’est pas un ordre, protesta-t-il. Je veux veiller sur toi.
Kyren l’embrassa en voyant une moue butée plisser les lèvres de son
compagnon.
— Alors c’est bon pour cette fois, dit-il dans un tendre sourire.
23
— OK, là ! dit Mark en pointant du doigt l’avant d’un véhicule sur la
bande passante de la vidéosurveillance du parking. Lance une recherche sur
sa plaque d’immatriculation et essaie de m’avoir une image plus nette de son
visage !
Le technicien assis devant l’écran qu’ils visionnaient, opina, et travailla
immédiatement à régler la netteté du portrait visible.
— On n’aura pas mieux, affirma-t-il au bout de quelques instants. La
pixelisation est trop forte. Ils pourraient avoir du matériel de meilleure
qualité, n’empêche !
— On s’en satisfera, le coupa Cameron. Est-ce que tu peux vérifier s’il
ressemble à la photo du permis de conduire du propriétaire du véhicule ?
— C’est ce que je suis déjà en train de faire, répondit-il en laissant ses
doigts courir rapidement sur le clavier.
À l’écran s’afficha le permis de conduire du possesseur du véhicule sorti
en trombe du parking des enseignants, ainsi que la facture à son nom pour
son autorisation de stationner sur le parking des professeurs de Northwestern.
— Bingo ! souffla Mark en se précipitant vers son bureau pour prendre son
arme de service dans son tiroir et la glisser dans son holster à l’instar de
Cameron.
— Trouve-nous tout ce que tu peux sur lui, ordonna son équipier au
technicien.
— C’est comme si c’était fait !
Cameron lui donna une claque amicale sur l’épaule puis fonça au pas de
course avec son équipier vers les ascenseurs.
— Il y a un truc qui me chiffonne, avoua-t-il alors que les portes de
l’ascenseur se refermaient sur eux.
— Qu’il ait fait soudainement tant d’erreurs ? s’enquit Mark.
— Et qu’il n’ait pas embarqué sa victime après l’avoir tasée, comme les
autres. Il a tout à fait changé son mode opératoire, là.
Mark opina sombrement.
— Et ce n’est même pas signé, ajouta-t-il.
— Oui.
— Ce n’est peut-être pas notre homme…
— Mais ça reste un assassin, répondit Cameron.
Son équipier acquiesça.
— Allons déjà le coincer pour le meurtre de Haynes. S’il est notre tueur,
on finira bien par en avoir des preuves.
Cameron ne put qu’adhérer.
Même si ce n’était peut-être pas le « Tueur à l’as de pique », il était pressé
de mettre la main sur l’assassin qui avait failli croiser le chemin de son
compagnon.
L’émoi qui régnait parmi les étudiants présents à son cours indiqua à
Kyren que la nouvelle de la mort de Ted Haynes avait fini par faire le tour de
l’université.
Il lui aurait semblé judicieux que le directeur réunisse l’ensemble des
étudiants pour leur expliquer la situation, mais les autorités avaient demandé
de ne pas créer un vent de panique sur le campus et, après une courte réunion
avec les différents professeurs de la faculté de médecine, la décision
d’attendre des avancées dans l’enquête avait été prise.
Peu à peu, les conversations de ses étudiants se calmèrent et ses élèves le
regardèrent tous avec la plus grande attention. Leur tension, leur anxiété et
leur curiosité étaient perceptibles.
— Bien, dit-il gravement. Comme vous semblez tous le savoir, à présent,
le professeur Haynes est décédé, hier soir.
— C’est vrai qu’il s’agit d’un meurtre ? demanda une étudiante d’une voix
tremblante.
Kyren acquiesça. Un silence de plomb tomba sur les étudiants.
— Les autorités compétentes enquêtent, leur apprit-il. Pour le moment,
nous ne sommes pas en mesure de vous en dire plus.
— Pourtant, vous sortez avec un agent du FBI !
Tournant vivement la tête vers l’étudiant qui avait jeté cette information
comme un pavé dans la mare, il le considéra en silence assez longtemps pour
que le jeune homme se tortille sur sa chaise, mal à l’aise sous l’intensité de
son regard.
— C’est exact, répondit-il finalement. Bien que cela ne vous regarde en
rien, Monsieur Fernel. Il serait, il me semble, par ailleurs bien plus adéquat,
dans votre cas, de vous intéresser à votre façon de rattraper votre retard pour
les examens, plutôt que de vous renseigner sur ma vie privée.
L’étudiant grimaça.
— Je vous ai vu arriver ensemble, ce matin, et je l’ai reconnu parce qu’on
l’a croisé ici après avoir appris la mort de Keith, grommela-t-il. Ce n’est pas
comme si j’avais enquêté pour le club de journalisme…
Une jeune fille sursauta, non loin de lui.
— Est-ce que la mort du professeur Haynes a quelque chose à voir avec la
mort de Keith ? demanda-t-elle, l’air alarmé.
— Pourquoi demandez-vous cela, Mademoiselle Wade ? s’enquit Kyren en
fronçant les sourcils.
— Bobby, mon copain, devait me retrouver devant le cinéma après avoir
parlé à un de ses profs, hier soir. Il n’est jamais venu. J’ai essayé de l’appeler,
mais je suis toujours tombée sur son répondeur et…
— Il a peut-être eu envie de t’éviter, Miranda, lança sournoisement une
autre fille de l’auditoire.
— Je me suis dit qu’il avait croisé un ami et qu’il avait oublié notre rendez-
vous, reprit la jeune fille sans se laisser troubler. C’est déjà arrivé. Mais alors,
il m’aurait appelée pour s’excuser. Et personne ne l’a vu, hier…
— Vous avez essayé de joindre ses parents ? demanda Kyren en se
crispant.
— Ils vivent à Albuquerque. Bobby termine sa médecine ici, il est
interne…
Kyren pinça les lèvres et lui fit signe de le rejoindre.
— Le cours est annulé, dit-il en englobant ses autres étudiants d’un regard
grave. Ne traînez pas seuls sur le parking du campus, le soir, et évitez de
parler à qui que ce soit seul à seul. C’est clair ?
Les étudiants acquiescèrent et commencèrent à quitter l’auditoire en
chuchotant entre eux.
Après avoir ramassé son sac, Miranda Wade se dirigea vers lui. Une de ses
amies les rejoignit rapidement. Au regard surpris de Kyren, elle opposa un
haussement de sourcils.
— Vous avez dit de ne pas parler à qui que ce soit seul à seul, rappela-t-
elle. Je vous prends aux mots.
Kyren sourit malgré lui et opina en rangeant ses affaires. Glissant son sac
en bandoulière, il prit son portable et composa le numéro de Cameron. Son
compagnon décrocha rapidement.
— Kyren ? Je ne peux pas te parler, lui dit ce dernier d’une voix tendue.
On approche du domicile d’un suspect et…
— Cam, le coupa-t-il gravement. Un étudiant a disparu.
— On… Attends… Quoi ?
— Un interne en médecine ne donne plus de nouvelles depuis hier,
expliqua-t-il. Bobby…
— Pillar, précisa la copine du garçon.
— Bobby Pillar, reprit Kyren. Il devait parler à un de ses professeurs et
rejoindre sa petite amie, mais il n’est jamais allé à leur rendez-vous.
Il y eut un silence à l’autre bout de la ligne puis il entendit Cameron et
Mark échanger quelques mots à voix basse.
— Est-ce que tu as le nom du prof ?
Kyren regarda la petite amie de Bobby d’un air interrogateur.
— Qui devait-il rencontrer, hier ?
— Day, répondit-elle. Le professeur Day.
— Tu as entendu, Cam ?
— Je te tiens au courant.
Sur cette réponse énigmatique, la tonalité retentit à son oreille. Kyren
sourcilla puis éteignit son portable et regarda les deux jeunes filles.
— Rentrez chez vous, conseilla-t-il.
— Mais, Monsieur Lakelan…
— Miranda, la coupa-t-il, le FBI est prévenu de vos inquiétudes. Je ne
peux rien faire de plus, pour l’instant. J’ai votre mail : je vous contacterai si
j’ai du nouveau.
La jeune fille opina à regret et le remercia à voix basse, déçue, avant de
s’éloigner avec son amie.
Kyren hésita un instant puis prit la direction du parking où sa voiture était
restée garée la veille. Déterminé à en apprendre plus sur la disparition du
jeune Bobby Pillar.
Après avoir déposé son ami devant la maison de Duncan McKleff, Kyren
prit le chemin de son appartement. Il ne lui fallut que quelques minutes avant
de se garer devant chez lui, la circulation étant plus fluide en cette fin de
matinée.
Plongé dans ses pensées, inquiet pour Bobby Pillar et s’interrogeant sur
l’homme que Cameron était supposé arrêter un peu plus tôt, il ne prit pas
garde au glissement d’une porte coulissante ni aux pas pressés sur le trottoir
quand il descendit de son véhicule.
Passant son sac en bandoulière, il verrouillait sa portière quand une
violente douleur explosa dans sa nuque. Ses membres arrêtèrent de répondre
aux informations que leur transmettait son cerveau et il s’affala sur le sol, ses
muscles se contractant violemment.
À la brûlure des électrodes et à la douleur musculaire causée par
l’électrisation s’ajouta sa brutale rencontre avec le sol : un cri de souffrance
lui échappa et il sombra dans l’inconscience.
Sur la photo de son permis de conduire, Larry Day n’avait rien d’effrayant.
Ce constat n’avait pas surpris Cameron et Mark : ils savaient, l’un comme
l’autre, que le mal pouvait se dissimuler sous des traits variés, allant du plus
doux des visages aux figures les plus cruelles.
Suivant avec anxiété le visionnage des caméras de surveillance du quartier
auprès de leur informaticien, à la recherche du van qu’utilisait le tueur,
Cameron ne pouvait empêcher son esprit de créer mille et un scénarios
horribles concernant Kyren.
Son équipier, à ses côtés, pointa du doigt un van remontant leur rue.
— Là ! C’est sa plaque.
Cameron, l’estomac noué, contempla le code temporel de
l’enregistrement. L’informaticien continua l’avancée de la vidéo, montrant
clairement qu’après s’être garé, Larry Day avait patiemment attendu Kyren.
Celui-ci ne tarda pas plus de quelques minutes : ils virent la Chevrolet
rouge de Kyren remonter la rue à son tour et se garer.
— Il l’a surveillé, lâcha sombrement Mark. Il savait qu’il rentrait et il
connaissait votre adresse.
Cameron en était venu à la même conclusion.
— Tu crois que ce salopard m’avait dans sa ligne de mire ? demanda-t-il
d’une voix un peu étranglée.
Avait-il apporté le malheur dans la vie de son amant ?
— Toi ou Kyren, répondit Mark d’une voix grave. Comme tu l’avais dit,
Kyren est à peine plus âgé que ses victimes…
— Et on avait dit qu’il ne s’attaquait qu’aux étudiants, rappela Cameron
entre ses dents serrées.
— On s’est plantés.
« Fortement », songea Cameron, un goût de bile dans la gorge.
Sur la vidéo, il vit son amant descendre, nota son expression soucieuse. Sa
distraction fit s’accélérer son pouls. Une part de lui voulait hurler, prévenir
son amant, lui dire de se méfier, lui crier de partir vite, mais sa raison lui
rappelait qu’il était trop tard, que tout s’était passé bien plus tôt, et qu’être le
témoin en décalage du rapt de son compagnon ne lui permettait pas de faire
changer le cours des événements.
Larry Day avait-il approché Kyren en prétextant une quelconque question,
sans que ce dernier se méfie ? Son amant avait-il été pris au dépourvu par
l’air inoffensif du tueur ? Kyren avait de la force, il en avait déjà eu la
preuve : s’il s’était senti en danger, il se serait battu pour se défendre. Il
pensait donc que l’attaque avait été si vive que son compagnon n’avait pas vu
venir le coup. Car il n’y avait aucun signe de lutte, près de la voiture, et
aucun voisin n’avait, semble-t-il, vu quelque chose.
La suite de l’enregistrement lui donna raison. Un grondement de rage lui
échappa quand il vit Larry Day se glisser subrepticement derrière Kyren et le
taser. Les poings serrés, il balaya du bureau une boîte de crayons en voyant
Kyren tomber sur le sol, devinant son cri inaudible sur la vidéo.
— Cameron ! gronda Mark en l’attrapant par l’avant-bras. Calme-toi !
Sa poitrine se soulevant rapidement sous l’effet de la rage, Cameron
plongea son regard dans celui de son équipier.
— C’est un homme mort ! cracha-t-il furieusement. Tu entends, Mark ?
S’il pose un doigt sur lui, c’est un homme mort ! Je le tuerai ! Tu ne pourras
rien faire pour m’en empêcher !
Son regard soutenant le sien, Mark le considéra avec gravité puis hocha la
tête.
— Je n’aurai aucune envie d’essayer.
Cameron opina sèchement avant de reporter son attention sur la vidéo.
L’informaticien lui coula un bref coup d’œil inquiet, mais la dureté de son
regard suffit à le renvoyer à sa mission immédiatement. Vidéo de surveillance
après vidéo, il parvint à remonter la piste suivie par le van jusqu’au vieux
quartier central des manufactures, souvent décrit comme la première zone
industrielle créée.
— On le perd ici, déclara sombrement l’informaticien.
— Les lieux ont été abandonnés par les propriétaires petit à petit, tout au
long des années, grommela Mark.
— On y va, décréta Cameron d’une voix dure. On prend une équipe du
S.W.A.T. et on y va ! On finira bien par trouver le van et mettre la main sur
ce salopard !
— On va demander l’appui d’un maître-chien, ajouta son équipier. Il
pourra nous aider à trouver Kyren, s’il est là-bas.
Cameron acquiesça.
— Bonne idée.
26
Kyren perçut l’approche de Larry Day bien avant que le bruit de ses pas ne
soit audible pour l’étudiant terrifié. Son propre pouls fit un bond quand la
porte jusque-là verrouillée s’ouvrit, laissant le passage à un trait de lumière
qui blessa ses yeux habitués à l’obscurité. Malgré cet éblouissement
douloureux, il s’interdit de détourner la tête comme il en avait envie, refusant
de quitter du regard le sadique qui venait les honorer de sa présence.
En tant qu’homme, il voyait mieux qu’un humain ordinaire dans la nuit et
sous sa forme de léopard, il était entièrement nyctalope : quand la porte se
referma, redonnant brièvement à la pièce une obscurité paraissant par
contraste plus profonde, il caressa l’idée d’avoir une alliée naturelle. Puis, la
lumière d’une vieille ampoule suspendue au plafond envahit l’espace.
Derrière son bâillon, l’étudiant se mit à hurler, se débattant comme un beau
diable en remarquant le couteau dans la main de Larry Day. D’une apparence
insignifiante, ce dernier était vêtu d’un jean et d’un pull à capuche bleu
sombre. Ignorant sa victime terrifiée, il regarda Kyren avec un petit sourire en
coin qui ne monta pas jusqu’à ses yeux bruns. Jusqu’à ce jour, Kyren avait
trouvé cette couleur de prunelle avenante : il allait revoir ses a priori sur la
question, une fois qu’il aurait trouvé une façon de lui régler son compte sans
trahir sa nature.
— Nous n’avons jamais pu être correctement présentés, je crois, professeur
Lakelan, dit-il d’un ton courtois de sa voix grave.
Kyren le fixa d’un regard brûlant de colère.
— Ne me regardez pas comme ça, s’amusa Larry Day. Ce n’est pas de ma
faute si vous êtes ici, aujourd’hui.
« Sans déconner ! », songea rageusement Kyren.
— Si vous n’aviez pas été le compagnon d’un des agents du FBI qui
essaient de me coincer, je ne me serais pas intéressé à vous. Seulement voilà,
contrairement à d’autres avant eux, votre ami et son équipier ne semblent pas
avoir envie de laisser tomber. Et l’expérience m’a appris qu’il fallait toujours
viser les êtres chers, pour briser un ennemi. Cet ennemi-là doit être brisé,
Professeur. Il est trop tenace pour que je lui tourne le dos.
Kyren ne put réprimer un grondement menaçant quand il s’avança vers lui.
Cela ne parut guère impressionner Larry Day qui passa à côté de lui pour
aller s’agenouiller près de l’étudiant. Kyren tira sur ses liens, pas assez fort
pour se dégager, mais assez pour attirer l’attention de Day sur lui.
— Je m’occupe de vous tout de suite, Professeur, dit-il en posant son
couteau sur le sol. Ne vous impatientez pas.
Kyren plissa les yeux en le voyant sortir de sa poche un sachet de
comprimés. Comme s’il percevait l’interrogation muette dans le regard
terrifié de Bobby Pillar ou s’il ressentait le besoin de lui expliquer ce qu’il
comptait lui faire, peut-être pour accentuer encore plus sa peur, Larry Day
montra à l’étudiant tremblant de tout son corps les pilules contenues dans le
sachet.
— C’est du diéthylamide de l’acide lysergique[11], dit-il d’une voix
enjouée. Tu es étudiant en médecine. Je suppose que tu dois savoir ce que
c’est ?
Bobby Pillar se contenta de le fixer du regard, ses yeux écarquillés de
terreur envahis de larmes.
— Tu sais ? demanda Larry Day en se penchant légèrement vers lui.
Réponds !
Toujours bâillonné, l’étudiant fut contraint de hocher faiblement la tête
pour lui répondre.
— Tu en as déjà pris ? demanda leur kidnappeur.
Bobby secoua négativement la tête. Un sourire étira légèrement le coin des
lèvres de Larry Day.
— Le LSD est une substance synthétisée à partir d’un champignon parasite
atteignant le seigle, le froment et l’avoine, dit-il d’un ton professoral. C’est
un alcaloïde semi-synthétique, qu’on a découvert en 1938. À ce jour, c’est le
plus puissant des hallucinogènes connus. Une quantité infime est suffisante
pour déclencher des hallucinations…
Le jeune homme gémit puis sanglota quand Larry Day lui ôta son bâillon.
— Pitié… S’il vous plaît… Laissez-moi partir… Pitié…
Kyren sentit tous ses poils se hérisser, ramené par les supplications de
l’étudiant à ses propres souvenirs. À ces moments où, enfant, il avait lui aussi
supplié alors qu’il était impuissant face à la force brute de son agresseur. À la
puberté, en découvrant sa nature de Thérianthrope et sa force nouvelle, il
s’était juré de ne plus jamais supplier qui que ce soit. Il avait toujours tenu sa
promesse, depuis.
Si Larry Day espérait le voir implorer sa pitié comme Bobby Pillar le
faisait, il se mettait le doigt dans l’œil.
— Ouvre la bouche, ordonna ce dernier à l’étudiant en lui attrapant
durement le menton.
Bobby obéit, les joues barbouillées de larmes de désespoir. Larry Day lui
glissa un comprimé sur la langue puis l’obligea à refermer les mâchoires.
— Avale.
Kyren vit l’étudiant obéir puis Larry Day se redresser en reprenant dans sa
main le couteau qu’il avait délaissé quelques minutes.
— Voilà, Professeur, dit-il en revenant se poster devant lui. Je suis tout à
vous, maintenant.
Kyren, les sourcils froncés, jeta un regard à l’étudiant qui s’était remis à
sangloter. Si ses souvenirs étaient exacts, le LSD mettrait environ une demi-
heure à faire effet. Larry Day avait-il drogué toutes ses victimes avant de les
massacrer ? Il ne se souvenait pas avoir lu ce détail dans les rapports
d’autopsie. Mais les traces de cet hallucinogène n’avaient peut-être pas été
détectables lors de l’examen médico-légal : après tout, le LSD avait la
particularité d’être vite évacué du sang. Des analyses toxicologiques
supplémentaires n’avaient peut-être jamais été demandées, vu la cause
évidente du décès des victimes de Larry Day.
La sensation d’un frôlement sur la peau de son bras, suivie d’une cuisante
douleur, lui fit tourner la tête vers Day en poussant un grognement furieux.
Dans sa main, l’autre homme tenait son couteau à la pointe ensanglantée.
Kyren regarda brièvement la lacération superficielle sur son bras avant de
toiser son kidnappeur, conscient du parfait affûtage de sa lame.
Un sourire moqueur étira les lèvres de l’autre homme.
— C’est impoli, de m’ignorer, Professeur.
Kyren se força à ne pas réagir quand il approcha sa main libre de son
visage pour lui ôter son bâillon.
— Je suis persuadé que vous vous posez beaucoup de questions sur moi, en
bon éthologue. Pas vrai, Professeur ?
Kyren ne répondit pas, se contentant de remuer lentement sa mâchoire
endolorie.
— Je suis d’humeur sociable, reprit Day. Je veux bien vous éclairer, sur
certains points, si vous avez des questions.
— Vous êtes impuissant, Larry ? ironisa-t-il. C’est pour cela que vous
jouez du couteau sur vos victimes ?
Le coup de poing qui le cueillit à la mâchoire fut si bien donné qu’il aurait
pu l’assommer s’il avait été un humain ordinaire. Par chance, il n’en fut
même pas brièvement étourdi, bien qu’il sentit sa lèvre inférieure se fendre
sur sa gauche et du sang couler sur son menton. Larry Day n’était pas
costaud, mais il savait visiblement se battre…
— Ma vie sexuelle ne vous regarde pas ! siffla Larry Day.
Kyren sourit avec dédain.
— C’est pour ça que toutes vos victimes sont des hommes, n’est-ce pas ?
Vous êtes gay. Et impuissant.
— Je ne suis pas gay ! rugit-il en l’attrapant rudement par le cou.
— Expliquez-moi comment vous avez commencé à tuer des étudiants,
Larry, demanda Kyren d’une voix un peu étranglée.
— Ils le méritaient ! cracha-t-il en le lâchant brutalement. Ils le méritaient
tous !
— Pourquoi a-t-on retrouvé vos deux premières victimes nues dans la
chambre de George Nelson, et pas les autres ? s’enquit Kyren. Ils vous ont
invité à participer à une partie de jambes en l’air et vous n’avez pas réussi à la
lever ? C’est ça qui vous a rendu fou de rage ? C’est pour ça que vous les
avez tués ?
— Ils se sont moqués de moi ! rugit Larry Day en pointant vers lui son
couteau.
— Alors vous les avez tués pour réparer votre petit ego froissé ?
Le regard que lui lança l’autre homme le fit frissonner.
— Pourquoi l’as de pique, Larry ? demanda-t-il pour changer de sujet.
Day éclata d’un rire aux accents hystériques.
— C’était un paquet de cartes gagné sur une foire et abandonné dans ma
veste, la veille. J’ai voulu leur laisser un souvenir.
— À qui ? À la police ?
— À George et Roger ! répondit-il d’une voix exaltée. À mes yeux, le
pique n’est jamais qu’un cœur inversé transpercé d’une épée ! Je trouvais ça
ironique à souhait ! Les amoureux diaboliques transpercés par une lame !
Kyren préféra ne pas répondre. Larry Day leva son couteau et regarda la
lame d’un air étrangement concentré avant de sourire.
— Vous savez que je vais vous tuer, n’est-ce pas ? dit-il d’un ton jovial.
— Vous allez essayer, en tout cas, répondit Kyren d’une voix calme
malgré les battements fous de son cœur qu’il sentait jusque dans ses oreilles.
Un sourire aux lèvres, Larry Day s’approcha de lui avec une certaine
nonchalance.
— Vous d’abord, dit-il en levant son couteau. L’étudiant, ensuite.
Kyren banda les muscles, prêt à se dégager des cordes en utilisant sa force
de Thérianthrope pour se libérer. Le bras armé de Larry Day allait s’abaisser
quand la porte derrière lui s’ouvrit brutalement. La stupeur figea Kyren sur
place, sidéré de ne pas avoir entendu arriver qui que ce soit malgré son ouïe
de Thérianthrope.
— FBI ! hurla une voix masculine alors que Day abaissait son bras.
Kyren n’eut qu’une fraction de seconde pour se faire vivement basculer
avec sa chaise sur la droite. Des coups de feu retentirent dans la pièce,
déchaînant un bruit assourdissant pour ses oreilles, alors qu’il grognait de
douleur en amortissant sa chute avec son épaule, fermant malgré lui les yeux
sous la souffrance.
Un sifflement aigu maltraitant ses tympans, il perçut néanmoins l’impact
du corps de Larry Day sur le sol, sentit l’odeur ferreuse du sang et celle de la
mort se répandre dans la pièce. Rouvrant les yeux, il vit Cameron se
précipiter vers lui en rangeant son arme dans son holster alors que les autres
agents se ruaient vers le corps sans vie de Larry Day et sa deuxième victime
affolée.
— Kyren ? s’angoissa Cameron en se laissant tomber à genoux à ses côtés
pour prendre son visage entre ses paumes.
— Ça va, souffla-t-il d’une voix enrouée. Détache-moi…
Cameron lutta un instant avec les liens pour le libérer, ses mains
tremblantes rendant l’opération plus difficile.
Kyren ne put réprimer un faible geignement quand son amant repoussa la
chaise et porta instinctivement sa main à son bras meurtri. Cameron l’aida à
s’asseoir sur le sol froid, les yeux brillant d’inquiétude, puis il explora de ses
mains mal assurées son visage, s’attardant sur l’hématome de sa mâchoire,
puis sur son cou où des traces de brûlure témoignaient encore de la violence
de la décharge électrique du Taser.
Un pâle sourire aux lèvres, Kyren glissa son bras valide autour de la nuque
de son compagnon et enfouit son visage contre sa gorge.
— Ça va, répéta-t-il dans un chuchotement. Tu es arrivé à temps…
Cameron l’étreignit en fermant les yeux, crispant fortement les paupières
pour refouler ses larmes de soulagement, puis il enfouit ses doigts tremblants
dans les cheveux de son compagnon, l’obligeant à relever la tête pour
s’emparer de ses lèvres, glissant d’autorité sa langue dans sa bouche pour lui
offrir un baiser fougueux, vorace. Kyren lui rendit son baiser avec
empressement, tout aussi avide de contact que lui.
— J’ai eu si peur de te perdre, souffla Cameron d’une voix qui se fêla
quand il s’arracha à sa bouche.
Kyren appuya son front contre le sien avant de caresser de son nez celui de
son amant, réprimant d’une volonté de fer le ronronnement apaisant qui
voulait sortir de sa poitrine.
— Je t’aime, chuchota-t-il.
Une main posée à l’arrière de son crâne, Cameron le poussa doucement à
se blottir contre lui et déposa un tendre baiser dans sa chevelure.
— Je t’aime aussi, souffla-t-il.
Kyren sourit et ferma les yeux. Des bruits de pas s’approchant d’eux le
firent se raidir, mais Cameron caressa doucement son dos, tuant dans l’œuf
son anxiété.
— Comment va le gosse, Mark ? demanda son compagnon.
— Ça semble aller, mais on a demandé une équipe médicale, répondit-il.
— Il lui a donné du LSD, intervint Kyren.
Mark grogna, mais se tourna vers un des agents qui s’occupaient de
réconforter l’étudiant en larmes et lui répéta l’information.
— Comment ça va, Kyr ? demanda-t-il ensuite en reportant son attention
sur lui. Sacrée chute, hein ?
Kyren n’eut pas la force de s’indigner de l’entendre raccourcir son nom
une nouvelle fois. Que Mark en parle le faisait s’interroger sur sa chute. Les
agents avaient-ils eu le temps de la prendre en considération ? Il ne le pensait
pas. Ils avaient tiré pour le sauver, en espérant ne pas les toucher, lui et
Bobby Pillar. Ils avaient pris le risque, face à l’arme blanche levée. Cameron
avait-il tiré ? Son arme ne lui semblait pas sentir la poudre fraîche…
— Mon bras a morflé, admit-il d’une voix lasse.
— Je vais l’emmener à l’hôpital, précisa Cameron gravement. Je veux
qu’on l’examine.
Mark opina. Kyren, lui, sentit son cœur s’emballer. Non seulement il
détestait les hôpitaux, mais en plus, avec sa capacité de guérison de
Thérianthrope, il risquait d’attirer l’attention des médecins sur lui. C’était une
très mauvaise idée.
— Je n’ai rien de cassé, affirma-t-il en se détachant de Cameron.
— On va vérifier.
Il ouvrait la bouche pour protester quand Bobby Pillar, que des agents
escortaient à l’extérieur, poussa un hurlement de terreur pure en se retrouvant
face au chien de l’équipe cynophile. Mark soupira lourdement en voyant le
maître-chien et l’animal prendre la direction de la sortie.
— Les effets du LSD commencent, observa Kyren.
— On dirait, répondit-il sombrement. Je vais aider les gars à gérer le gamin
en attendant l’arrivée de l’équipe médicale. Cam, tu m’appelles pour me tenir
au courant de ce qu’on vous dit, à l’hôpital ?
Cameron acquiesça et lui offrit un léger sourire avant d’aider son
compagnon à se redresser. Kyren s’appuya contre lui avec reconnaissance
avant de se laisser entraîner dehors.
Ils avaient atteint la sortie et se dirigeaient vers la voiture banalisée
qu’utilisaient Cameron et Mark habituellement quand le chien policier aboya
d’un air méchant et se précipita vers eux. Kyren se tendit et se retourna
vivement pour faire face à l’animal. Le chien s’arrêta net et gronda avant de
couiner et de repartir vers son maître la queue entre les pattes.
— Qu’est-ce que tu lui as fait ? demanda Cameron, perplexe, en
déverrouillant les portières.
Kyren, à ses côtés, arqua un sourcil, l’air parfaitement innocent.
— Moi ? Je pensais que c’était toi qui lui avais fait peur !
Cameron cilla légèrement et regarda brièvement vers l’animal avant de
hausser les épaules sans insister. Ouvrant la portière du côté passager, il
sourit à son amant.
— Allez grimpe ! dit-il en le regardant tendrement. On passe te faire
examiner et on rentre à la maison.
— On ne pourrait pas rentrer directement ? demanda Kyren en s’installant
sur le siège. J’aurai juste un bleu, j’en suis sûr.
— Dis-moi, Professeur, tu es docteur en médecine ?
— Non, répondit Kyren. Mais…
— Moi non plus, le coupa Cameron. Alors on va à l’hôpital. Même si c’est
pour rien. Je préfère l’idée d’y aller inutilement à celle de te voir faire un
malaise à la maison et de réagir trop tard.
Kyren n’eut pas besoin de jauger son regard longtemps pour savoir qu’il
était sérieux. Il fit la moue, mais rendit les armes.
— Entendu, soupira-t-il. Allons donc te rassurer.
Cameron sourit et lui prit la main qu’il porta brièvement à ses lèvres avant
de fermer la portière du jeune homme pour contourner le véhicule et se
mettre au volant.
27
Étendu de côté, sa joue appuyée sur l’oreiller de Kyren qui dormait
toujours, Cameron contemplait son amant. Allongé sur le ventre, détendu
dans son sommeil, rien ne pouvait laisser penser qu’il avait failli être tué la
veille, hormis le large bleu qui ornait son bras droit de l’omoplate au coude.
Étonnament et à son grand soulagement, Kyren avait vu juste en affirmant
qu’il n’avait rien de cassé, la veille. La radiographie que les urgentistes lui
avaient fait passer n’avait rien montré. Qu’il ne se soit pas blessé dans sa
chute était un vrai miracle.
Doucement, il repoussa le drap, posa une main sur le dos de son
compagnon et suivit de ses doigts la colonne vertébrale du jeune homme,
descendant jusqu’à ses reins dans une lente caresse. Kyren entrouvrit les yeux
et se cambra de manière féline sous sa main, un soupir de bien-être
s’échappant de ses lèvres. Souriant, Cameron se pressa contre lui et posa un
baiser sur son épaule gauche.
— Bonjour, mon amour, murmura-t-il contre sa peau.
— Mmm, fit simplement Kyren avant d’attraper son poignet en sentant ses
doigts s’égarer sous l’élastique de son caleçon.
Cameron lui sourit quand il roula sur le flanc pour lui faire face.
Doucement, il tendit les doigts vers sa joue et la caressa. Ce faisant, son
regard gris se fit plus grave.
— J’ai eu si peur de te perdre…
Kyren se hissa légèrement sur un coude, ravalant une grimace à la douleur
sourde qu’il ressentit dans son bras à ce mouvement – signe que malgré sa
nature de Thérianthrope, il avait encore un bel hématome –, et alla presser ses
lèvres sur celles de son compagnon.
— Tu ne me perdras jamais Cam, promit-il à voix basse. Je t’aime.
Cameron l’attira contre son corps pour l’étreindre de toutes ses forces,
enfouissant son visage dans son cou afin de s’enivrer de l’odeur de sa peau
tiède, appréciant de sentir le battement vigoureux de son pouls sous ses
lèvres. Kyren se hissa sur lui, écartant les cuisses pour le chevaucher, et
ronronna presque de bonheur en percevant contre son bassin la réaction
positive de son compagnon au simple fait d’être tout contre lui.
Courbant la nuque, il déposa une pluie de baisers sur le visage de son
amant avant de laper ses lèvres d’un coup de langue mutin. Les yeux clos,
Cameron ne résista pas une seconde quand il passa le barrage de ses lèvres
pour envahir sa bouche, sa langue y prenant ses aises comme une souveraine
en territoire conquis.
Sa douce capitulation poussa Kyren à réclamer plus encore. S’arrachant à
ses lèvres, il baisa sa gorge, lécha sa pomme d’Adam, puis explora ses
épaules de ses lèvres et ses flancs de ses doigts.
— Hun Hun, fit-il quand Cameron entreprit de lui rendre ses caresses.
— Quoi ? s’étonna son compagnon.
— Tu ne touches pas.
— Kyren, protesta Cameron. Je…
— C’est moi qui te touche, le coupa-t-il. C’est moi qui te fais l’amour.
Cameron sentit son cœur manquer un battement puis s’emballer.
— Sauf si ça ne te plaît pas, ajouta Kyren, soudain un peu moins sûr de lui.
— L’idée me plaît beaucoup, au contraire, le rassura Cameron d’une voix
un peu enrouée en prenant son visage entre ses paumes. Mais tu n’avais
encore jamais fait mine de le vouloir, alors…
Kyren sourit et souda ses lèvres aux siennes pour le faire taire.
— Cette fois, je le veux, dit-il contre sa bouche. Je veux te faire mien.
— Je suis déjà à toi, chuchota Cameron.
— Parfait, alors, répondit-il avant de reprendre sa bouche pour un
langoureux baiser.
Quand il s’arracha à ses lèvres, ils avaient tous les deux le souffle court.
Allongé sous lui, Cameron le contempla, le regard empli d’amour et de
confiance, offert à ses désirs. Kyren baisa sa mâchoire puis repartit à la
conquête de sa peau.
À la douceur de ses baisers, il ajouta de tendres morsures et de délicats
coups d’ongles. La respiration de Cameron se fit plus profonde alors qu’il
refermait ses lèvres sur un téton, jouant de sa langue sur le petit morceau de
chair qui durcit. Il le mordilla doucement, arrachant à son compagnon un râle
rauque.
— Kyren…
Titillant l’autre téton de son compagnon de ses doigts, Kyren quitta les
hanches de son amant pour se poster entre ses jambes et descendit lentement
le long de son corps, embrassant son ventre, souriant en sentant des
frémissements parcourir les muscles de Cameron.
Son compagnon ne résista pas quand il tira sur son caleçon, soulevant de
lui-même les hanches pour l’aider à le faire glisser le long de ses cuisses.
Kyren s’écarta brièvement, le temps de débarrasser son amant de
l’encombrant vêtement, de se dévêtir lui-même, puis de s’emparer du
préservatif et du lubrifiant dans l’armoire. Les yeux mi-clos, Cameron le
regarda faire sans protester, le regard luisant de convoitise, son sexe tendu se
dressant fièrement.
Plutôt que de s’intéresser tout de suite à l’objet de ses désirs, Kyren prit le
temps de caresser les jambes de son amant, s’attardant sur le creux tendre de
ses genoux, puis sur la peau sensible entre ses cuisses, jusqu’à sentir son
compagnon frissonner. Cameron planta ses talons dans le matelas quand il
enfouit son nez contre ses testicules et gémit lorsqu’il entreprit de lécher puis
de sucer ses bourses pleines, le cœur battant.
— Kyren, souffla-t-il finalement d’une voix enrouée, tu me tues, là…
— Comment ça ? demanda Kyren, d’un ton faussement innocent en
glissant un doigt sur la hampe raide de son amant, taquinant le lourd bâton de
chair.
Cameron frémit de tout son être et allait protester quand Kyren lui décocha
un sourire coquin avant de l’avaler. La vision de sa verge disparaissant entre
les lèvres de son amant, la sensation de sa bouche humide et chaude autour de
lui et la lueur de désir brillant dans le regard de son amant lui soutirèrent un
cri de plaisir. Kyren émit un petit son d’approbation tout en montant et
descendant sur son sexe dur, envoyant un frémissement de plaisir le long de
sa colonne vertébrale.
Ahanant sous le plaisir, Cameron glissa ses doigts dans les cheveux de son
amant, sentant son regard s’embuer de plaisir sous les succions et les coups
de langue de Kyren, massant inconsciemment le cuir chevelu et la nuque de
son compagnon, l’encourageant dans sa tâche sensuelle sur la musique de ses
gémissements.
Kyren finit par s’écarter de sa verge, refermant ses doigts sur sa colonne de
chair pour soulager ses mâchoires, le branlant et baisant son sexe avant d’en
lécher le gland avec délectation, savourant son goût salé sur sa langue.
Cameron en hoqueta presque de plaisir et rejeta la tête en arrière quand Kyren
le reprit entre ses lèvres, l’accueillant profondément dans sa gorge.
L’instant d’après, il sentit son amant caresser son intimité de ses doigts
lubrifiés et frissonna de tout son être. Tout en jouant de sa langue sur sa verge
raide, Kyren passa lentement l’anneau de chair d’un doigt, l’enfonçant
prudemment dans sa chaleur. Cameron ne put réprimer un soupir rauque.
Kyren releva lentement la tête et suçota doucement son gland tout en
bougeant son doigt en lui, soutirant au jeune homme un long gémissement.
Cameron poussa un cri quand, après avoir remis du lubrifiant sur ses
doigts, il ajouta un deuxième doigt dans son intimité, trouvant dans sa lente
exploration l’épicentre de son plaisir qu’il titilla savamment.
— Kyren…
Le gémissement éperdu de Cameron le fit sourire. Reprenant sa colonne de
chair entre ses lèvres, il le suça plus fort. Cameron comprit dans un éclair de
conscience qu’il allait jouir. Sa voix le trahit quand il voulut prévenir son
amant. Un cri de reddition déchira sa gorge alors qu’il s’abandonnait dans la
bouche de Kyren.
Les yeux flous, les oreilles bourdonnantes, le souffle rauque, son esprit
flottant dans une bienheureuse dimension post-orgasmique, il prit à peine
conscience que Kyren remontait le long de son corps pour frôler ses lèvres
d’un baiser. Sentant son amant caresser sa lèvre inférieure de sa langue, il
ouvrit la bouche pour l’accueillir contre la sienne et put se goûter sur ses
lèvres. Un grognement lui échappa et il referma ses bras sur le corps de
Kyren pour le retenir contre lui. S’écartant de sa bouche, Kyren caressa son
nez du sien avant de lui sourire amoureusement, son regard se perdant dans
ses yeux gris encore noyés de plaisir.
— Tourne-toi, chuchota-t-il d’une voix rauque.
Cameron obéit immédiatement, sans poser de questions ni protester. Kyren
s’allongea contre son dos et l’enveloppa de ses bras, passant tendrement ses
mains sur le corps de son amant, caressant sa peau moite de sueur, appréciant
ses frémissements sous ses caresses.
Déposant un baiser au creux de sa nuque, il reprit le lubrifiant et en couvrit
ses doigts qu’il glissa entre les fesses de son compagnon. Cameron se
contracta autour de ses doigts en le sentant pénétrer son intimité. Kyren
appuya son front contre sa colonne vertébrale, le cœur battant, et bougea
doucement ses doigts en lui, préparant ses chairs.
— Kyren… Viens, souffla son amant, encourageant.
Kyren embrassa son épaule et retira ses doigts pour enfiler rapidement le
préservatif. Cameron inclina la tête et il se cambra vers lui, le cœur battant la
chamade. Refermant sa main gauche sur la hanche de son amant, Kyren se
positionna contre son intimité et donna une lente poussée. Cameron haleta
sous lui et il s’immobilisa, lui laissant le temps d’encaisser la douloureuse
brûlure parcourant ses chairs sous son intrusion.
Le souffle difficile, tremblant de désir, il déposa de tendres baisers sur le
dos de son compagnon et caressa doucement sa peau de sa main libre.
Cameron finit par pousser son corps vers le sien. Un grognement de plaisir
s’échappant de ses lèvres, Kyren répondit immédiatement à ce geste par un
léger déhanchement. Le corps de Cameron l’accueillant progressivement plus
facilement, il approfondit ses coups de reins jusqu’à pouvoir enfin claquer
son bassin contre les fesses de son compagnon qui gémissait à présent sous
lui. Glissant une main sur le ventre de Cameron, il attrapa son sexe et entama
un va-et-vient sur sa verge.
— Plus fort, souffla Cameron d’une voix suppliante.
Kyren gronda avant de lâcher son sexe. Glissant son bras en travers du
torse de son amant, il le redressa de façon à l’installer à genoux sur le lit, son
torse moite de sueur servant d’appui à son dos, son sexe dur toujours
profondément enfoui en lui. Renversant la tête en arrière sur l’épaule de son
compagnon, Cameron poussa un cri de plaisir en sentant la verge de Kyren
appuyer sur sa prostate à chaque poussée.
Kyren l’enlaça plus fort en sentant ses hanches perdre le rythme, ses
vigoureux va-et-vient se faisant erratiques alors que les cris de plaisir de
Cameron, sa chaleur et son étroitesse l’entraînaient vers l’orgasme. Un
feulement lui échappa et il étreignit fermement Cameron en jouissant,
plantant légèrement ses dents dans l’épaule de son compagnon en sentant les
muscles internes de Cameron se contracter tout autour de lui en réponse à son
plaisir.
Un bonheur primitif enfla dans sa poitrine en sentant Cameron s’affaler
contre lui, le corps encore parcouru de petits spasmes de plaisir. Un
ronronnement silencieux prit naissance dans sa poitrine. Il l’étouffa avant
qu’il ne devienne sonore et embrassa Cameron dans le cou.
— Je t’aime, chuchota-t-il d’une voix rauque.
Cameron tourna la tête pour pouvoir l’embrasser avec langueur. Mettant un
terme à leur baiser, un sourire aux lèvres, Kyren le poussa à s’étendre sur le
lit et s’écarta un instant pour jeter son préservatif avant de revenir s’allonger
contre son flanc.
— J’ai le droit d’espérer une journée tranquille avec toi ? demanda-t-il
alors que Cameron l’enlaçait.
— Il faudra qu’on aille faire ta déposition au bureau, répondit son amant.
Et j’aurai droit à un débriefing avec Mark, sans doute dans la foulée. Mais
rien ne presse. Ce matin, c’est juste toi et moi.
Kyren enfouit son visage dans le cou de son compagnon et ferma les yeux.
— Ça me va, murmura-t-il.
Cameron appuya ses lèvres et son nez contre la chevelure brune de son
compagnon. Se faisant la promesse, en le sentant serein entre ses bras, de ne
jamais laisser personne menacer impunément celui qu’il aimait.
*
À force de répondre aux questions de Mark pour remplir sa déposition,
Kyren eut presque l’impression de revivre son rapt. Légèrement nerveux, il
frôla distraitement sa nuque, sentant encore des élancements douloureux là où
le Taser l’avait électrisé. Regardant l’agent poser ses dires sur papier, il garda
pour lui le souvenir des sentiments contradictoires qui l’avaient tourmenté. Se
montrant aussi neutre et objectif que possible, il rapporta les faits de manière
quasi scientifique.
— Tu crois que tu as besoin de voir un psy ? demanda Mark au moment où
il se levait de sa chaise pour faire mine de quitter la pièce, une fois sa
déposition finie.
— Je te demande pardon ? souffla-t-il en s’immobilisant face au jeune
homme, surpris par la question de l’équipier de son amant.
Mark, embarrassé, se passa une main sur la nuque.
— Tu es très détaché, par rapport à ce qui t’est arrivé, dit-il d’un ton mal à
l’aise. Un peu trop, si tu veux mon avis. En général, ça arrive quand on est
sous le choc…
Kyren secoua négativement la tête.
— Je comprendrais tout à fait que ce soit le cas, Kyren, ajouta vivement
Mark. Cela ne ferait pas moins de toi un homme courageux.
— Je vais très bien, affirma-t-il.
— Tu aurais pu être tué, hier. Personne ne sort indemne de ce genre
d’événement. Alors si tu as besoin de voir quelqu’un…
— Si j’en ressentais le besoin, je saurais qui aller voir, le rassura-t-il. C’est
gentil, Mark, mais ça va. Je t’assure.
Mark le regarda d’un air hésitant, paraissant vouloir insister. Se penchant
légèrement, Kyren tendit le bras vers lui pour poser une main sur son poignet.
— Inutile de t’inquiéter pour moi, affirma-t-il.
— Très bien, soupira Mark.
Kyren se redressa et lui sourit légèrement.
— Je t’avais mal jugé. Tu es un chic type, au fond, Mark.
Mark renifla, arquant un sourcil moqueur.
— Ouais, je sais que je t’ai pris à rebrousse-poil, la première fois… Mais
quand on a appris à me connaître, on ne peut que succomber à mon charme.
Kyren étouffa un petit rire.
— Aussi vite qu’à ton humour douteux…
Captant le regard qu’il jetait vers la porte, Mark sourit.
— Tu peux y aller, affirma-t-il en rassemblant ses documents. Je suppose
que Cameron en a fini, lui aussi.
Kyren acquiesça et quitta le bureau où ils s’étaient enfermés pour être au
calme. Retournant vers Cameron, il le vit se pencher légèrement pour
récupérer un feuillet imprimé et se rasseoir pour signer le document, gigotant
un peu inconfortablement sur sa chaise. S’arrêtant derrière lui, un sourire
irrépressible relevant le coin de ses lèvres, il posa ses mains sur les épaules de
son compagnon, s’amusant de son petit sursaut et se pencha sur son oreille.
— Est-ce que je dois m’excuser, Cam ? l’interrogea-t-il à voix basse d’un
ton taquin.
— Comment ça ? demanda son amant en tournant la tête pour le regarder,
les sourcils légèrement froncés.
Kyren lui jeta un regard entendu. Rougissant légèrement, Cameron fit
rouler son épaule droite sous sa main.
— Ne te fous pas de moi, bougonna-t-il.
— Je n’oserai jamais, répondit-il d’un ton trahissant son amusement.
Cameron sourit et lui donna une tape sur les doigts. Kyren se redressa avec
un sourire aux lèvres.
Cameron se leva et éteignit son ordinateur avant de faire face à son amant.
Apercevant Mark qui revenait près d’eux, il attrapa son rapport et le lui
tendit.
— Sérieusement ? feignit de s’indigner son équipier. Tu me prends pour ta
secrétaire, ou quoi ?
— Tu allais de toute façon déposer tes papiers chez le boss, répondit-il
dans un sourire angélique.
Mark leva les yeux au ciel.
— File !
Cameron ne se le fit pas dire deux fois. Attrapant la main de Kyren, il salua
Mark d’un clin d’œil et entraîna son amant vers la sortie. Une fois enfermé
avec son compagnon dans l’ascenseur, Kyren le regarda d’un air songeur.
— Donc, tu es en congé…
— Ouais, répondit Cameron avec un sourire satisfait.
— Ça veut dire que je peux profiter de toi, aujourd’hui ?
— Je pensais que tu l’avais déjà fait, observa son amant.
— C’est vrai, admit-il dans un sourire égrillard. Mais je n’en ai peut-être
pas eu assez.
— Peut-être ? répéta Cameron.
— Peut-être que toi, si ?
Cameron lui jeta un regard brûlant.
— Devine.
Kyren s’esclaffa joyeusement avant d’enlacer son compagnon pour
l’embrasser brièvement à pleine bouche. Pressé contre lui, les bras de
Cameron tendrement refermés autour de son corps, il sourit.
— Je n’en aurai jamais assez, chuchota-t-il, une émotion profonde brillant
dans ses yeux ambrés. Parce que tu es mon âme sœur et que je t’aime…
Cameron sourit et caressa lentement son nez du sien, le regard tendre.
— Moi aussi, je t’aime.
Les portes de l’ascenseur se rouvrant les firent se séparer. Déclipsant le
badge de son compagnon, Cameron le tendit au vigile et ils quittèrent les
lieux.
28
Malgré le soleil matinal, la neige contre le bord des fenêtres et les étoiles
de givre cristallisées sur les vitres ôtèrent toute envie de se lever à Kyren
lorsqu’il ouvrit les yeux. Soupirant faiblement, il se retourna et se blottit
contre le corps chaud de Cameron, toujours profondément endormi. Ce
n’était sans doute guère étonnant vu la quantité d’alcool que lui avait fait
ingurgiter ses frères après avoir compris qu’il préférait lui-même éviter les
boissons alcoolisées. Savoir que Cameron avait un chauffeur sobre les avait
déculpabilisés et Cameron n’avait pas fait attention à leur petit manège, les
deux autres s’amusant à tour de rôle à remplir son verre quand il regardait
ailleurs.
Ils étaient restés tard chez les parents de son amant, à la plus grande joie de
Pattie, la mère de celui-ci. Bien qu’il fût resté assez distant avec eux, Jack
avait paru très fier en vantant la résolution de l’affaire du « Tueur à l’as de
pique » à la fratrie de Cameron.
Ce clair orgueil paternel, malgré les perceptibles tensions existant entre lui
et son fils, lui avait serré le cœur, conscient de la tristesse de Cameron par
rapport à leur relation. Il lui suffisait de voir la façon dont le regard de son
compagnon s’éclairait quand Jack lui adressait la parole pour dire autre chose
que des banalités pour comprendre à quel point son père lui manquait.
Cela l’avait déterminé à tout faire pour les rapprocher. Il ne savait pas
encore comment, cela dit. Mais il allait faire ce qui était en son pouvoir pour
arranger les choses.
— Est-ce que ces crétins ont fait ce à quoi je pense ? marmonna Cameron
d’une voix lourde de sommeil.
Kyren sourit en enfouissant son visage dans le cou de son compagnon.
— Absolument.
— Merde, soupira Cameron. Désolé, bébé. Je pensais avoir été plus
vigilant que ça…
— Tu vas être malade ? demanda-t-il à voix basse.
— Non, grommela son compagnon en caressant doucement sa hanche.
Mais je pensais me réveiller le premier, t’offrir un petit-déjeuner au lit et puis
t’amener ton cadeau…
— Tu m’as déjà donné mon cadeau, rappela Kyren en pensant à la douce
écharpe reçue la veille.
Cameron déposa un tendre baiser au creux de son cou.
— C’est une autre sorte de cadeau. Reste là, je vais le chercher.
Kyren hésita à le retenir un instant, mais le laissa finalement quitter le lit et
sortir de la chambre après s’être habillé. Resté seul, il s’étendit sur le dos et
fixa le plafond, sentant son cœur battre un peu trop vite dans sa poitrine, un
sentiment d’angoisse le prenant à la gorge.
Il espérait qu’il ne s’agissait pas de ce à quoi il pensait. La veille, en
prenant la veste de Cameron au portemanteau de ses beaux-parents pour
l’amener à son compagnon qui ne marchait plus très droit, il avait senti un
petit paquet cubique dans une de ses poches. Son cœur avait eu un raté en
comprenant qu’il s’agissait d’un écrin.
Partagé entre l’envie et la crainte, il avait soigneusement dissimulé son
trouble. Mais il espérait que son compagnon n’allait pas le demander en
mariage, ce vingt-cinq décembre, parce qu’il ne pourrait pas lui donner une
réponse positive avant d’en avoir parlé à son chef de meute.
Et rien ne lui permettait d’affirmer qu’il aurait son aval : Loukian avait
déjà eu assez de mal à accepter que son âme sœur soit un humain. Une union
le ferait bondir et rugir de colère, à n’en pas douter, bien que le lien unissant
des flammes jumelles soit, pour les Thérianthropes, plus solide que celui d’un
mariage humain.
Un son aigu, faible glapissement, lui parvint. Une odeur canine lui envahit
les narines. S’asseyant vivement sur le lit, il regarda, médusé, Cameron se
diriger vers lui, un chiot dans les bras. C’était un jeune labrador au pelage
crème. L’animal tentait de lécher le menton de son compagnon qui souriait en
lui caressant l’arrière des oreilles. Kyren ravala un soupir, attendri par la mine
ravie de son compagnon, mais sceptique quant à la possibilité de s’entendre
avec le jeune chien. Ce dernier releva brusquement le nez en se raidissant
puis se débattit en aboyant et grondant de plus en plus fort au fur et à mesure
que Cameron s’approchait de la chambre, les yeux fixés sur Kyren, dévoilant
ses petits crocs.
Profondément surpris par l’agressivité soudaine du chiot, Cameron fut
obligé de le poser sur le sol pour ne pas le laisser tomber. Kyren redressa le
dos et carra les épaules, se demandant quelle serait l’attitude finale de
l’animal.
Après un bref moment de flottement, le chiot semblant comprendre qu’il se
retrouvait devant un adversaire trop fort pour lui, il s'enfuit vers la porte
d’entrée la queue entre les pattes, pour se mettre à la gratter avec
acharnement.
Haussant les sourcils, Cameron regarda son amant d’un air interloqué.
Désabusé, Kyren planta ses coudes sur ses genoux en se penchant un peu en
avant et appuya son menton sur son poing droit.
— Tes talents de dresseur sont impressionnants, mon chéri, dit-il avec une
pointe d’ironie.
— Il a été adorable, jusqu’ici, objecta Cameron en retournant près du chiot.
Je suppose qu’il a été surpris de te voir.
Kyren leva les yeux au ciel et se rallongea pour s’étirer, un grognement de
satisfaction lui échappant. Il entendit Cameron parler au chiot d’une voix
apaisante et réprima tant bien que mal une grimace, se demandant combien
de temps il faudrait à son amant avant de se résigner. Les grondements
menaçants reprirent soudain et il roula sur le lit d’une manière
inconsciemment féline jusqu’à pouvoir regarder Cameron qui tentait de faire
accepter à l’animal de s’approcher de la chambre. Il entendit sans surprise
dans le grognement du chiot vibrer une note dangereuse.
— Il va finir par te…
L’exclamation de surprise douloureuse de Cameron le dispensa d’achever
sa phrase. Déposant l’animal qui s’enfuit se cacher le plus loin possible de
Kyren, Cameron regarda sa main meurtrie d’un air chagrin.
— Est-ce que ça va ? demanda-t-il, consterné, en se levant pour le
rejoindre.
Cameron lui jeta un regard dépité.
— Ouais… Il n’a pas mordu vraiment fort…
Kyren lui prit la main et caressa la légère marque laissée par le chiot dans
la chair de son compagnon.
— Les chiens ne t’aiment pas, hein ? murmura Cameron.
Kyren pinça brièvement les lèvres et baissa les yeux.
— C’est toujours comme ça, avec les chiens, admit-il.
Cameron fit la moue avant de pencher la tête pour poser son front contre le
sien.
— Je suis désolé, minauda presque Kyren sans relever les yeux. Je sais que
tu les adores…
Cameron haussa les épaules avant de l’enlacer tendrement.
— On va voir s’il s’habitue… Si d’ici demain, ça ne va pas mieux, je sais
qu’il fera le bonheur du fils d’un collègue…
Kyren hocha la tête et enfouit son visage dans la nuque de son compagnon.
Conscient que l’animal ne changerait pas de comportement à son égard,
légèrement attristé par la déception qu’il ne pouvait éviter à son amant, il était
néanmoins soulagé de savoir que sa nature de Thérianthrope ne condamnerait
pas le chiot à se retrouver dans un refuge.
Après avoir éteint la plaque à induction sur laquelle il avait fait cuire une
blanquette de poulet en suivant à la lettre la recette trouvée sur Internet,
Cameron tendit les bras au-dessus de sa tête, s’étirant sans pouvoir réprimer
un bâillement, et jeta un regard vers l’horloge.
Une moue plissa ses lèvres : cela faisait deux bonnes heures que Kyren
s’était enfermé dans leur chambre. Visiblement, cette histoire avec le chat
l’avait affecté plus qu’il ne l’avait imaginé, puisqu’il n’avait pas daigné sortir
du lit quand il avait été le prévenir qu’il allait entreprendre la préparation du
dîner…
Supposant que son estomac criant famine pousserait son compagnon à se
lever cette fois-ci, il retourna dans la pièce, ignorant la chatte venue se frotter
contre sa jambe puis repartie se cacher en le voyant prendre la direction de la
chambre.
Ouvrant la porte, il découvrit son compagnon couché en chien de fusil,
profondément endormi. S’approchant du lit, il s’assit sur le matelas et tendit
la main vers le visage de son amant, écartant quelques mèches pour dégager
ses traits paisibles dans le sommeil. L’écriture de l’article que Kyren devait
publier pour la fin du trimestre suivant devait le fatiguer plus qu’il ne l’avait
pensé jusqu’à présent, pour qu’il s’assoupisse si tôt.
Tandis qu’il le contemplait, hésitant à le réveiller, le jeune homme soupira
dans son sommeil et se retourna, roulant sur le dos. Le léger pull qu’il portait
remonta dans son mouvement, dévoilant légèrement son ventre et la fine
ligne de poils descendant vers son pubis. Presque sans y penser, il caressa la
mince bande de peau visible. Kyren frémit puis ouvrit les yeux. Son regard
encore lourd de sommeil fit sourire Cameron.
— Espèce de loir, chantonna-t-il presque en se penchant vers lui. Bien
dormi ?
Kyren se frotta les yeux d’une main et grommela en hochant mollement la
tête. Cameron effleura ses lèvres des siennes.
— Tu m’en veux ? demanda-t-il à voix basse.
— Pour quelle raison ? s’enquit Kyren d’une voix enrouée.
— Pour le chat, répondit-il avec une petite grimace. Il n’a pas l’air de
t’apprécier énormément…
Kyren ne put s’empêcher d’éclater de rire. Cependant, ce n’était pas un rire
joyeux, et Cameron eut un pincement au cœur en s’en rendant compte.
— Je suis désolé, soupira finalement son compagnon en détournant les
yeux. J’aurais dû te dire que toutes les bestioles me détestaient. Les chiens
n’ont pas l’exclusivité de l’antipathie, à mon égard.
Cameron s’étendit contre lui et glissa son visage dans son cou en
l’étreignant, baisant très tendrement le creux claviculaire du jeune homme.
— Il s’habituera, peut-être, dit-il avec optimisme.
— Comme le chien ? railla Kyren, désabusé.
Cameron sourit et se redressa sur un coude, appuyant son menton sur son
poing, pour contempler son amant avec une pointe de moquerie.
— Comment toi, professeur d’éthologie, peux-tu être si détesté par les
animaux ?
Kyren le regarda en silence un instant.
— Ça a toujours été comme ça, avoua-t-il d’une voix pleine de regrets.
D’aussi loin que je me souvienne, ils ne m’ont jamais supporté…
Cameron fit la moue. Pensivement, il caressa la peau du ventre de son
compagnon de sa main libre, mêlant doucement ses doigts dans les poils
bruns de son amant, puis les tirant légèrement.
— Un poisson rouge, hein ? finit-il par dire d’un air désabusé.
Kyren sourit malgré lui.
— Ouais…
— Un poisson, répéta Cameron en plissant le nez.
— Il y a moins de risque qu’il me déteste, ironisa Kyren. Quoique… Il se
suicidera sans doute en sautant de son bocal si je m’en approche !
Cameron s’esclaffa.
— Kyren ou le suicide du poisson rouge !
Kyren tendit les mains et le prit par le col pour l’attirer vers lui, tendant le
cou pour souder ses lèvres aux siennes. Cameron sourit contre sa bouche.
— Tu peux toujours te contenter de ton « gros matou », souffla Kyren, le
regard moqueur, quand il s’écarta.
Cameron mordilla sa lèvre inférieure, un sourire aux lèvres.
— C’est que j’aime beaucoup les chats…
« Tu en as un très grand sous la main », songea Kyren.
Un instant, il fut tenté de lui parler, de lui avouer sa nature, mais il chassa
vite cette idée : non seulement Cameron ne le croirait pas sans preuve et
pourrait le prendre pour un monstre, ce qu’il ne supporterait pas, mais en plus
Loukian lui avait interdit de parler des Thérianthropes à son compagnon.
Transgresser l’interdit d’un chef de meute était lourdement punissable : s’il
parlait à son amant, ce n’était pas seulement l’exil qu’il risquerait, mais bien
la mort. Et pas uniquement la sienne, mais aussi celle de Cameron. Rien ne
justifierait jamais le prix de la vie de son compagnon. Rien. Pas même le
soulagement de sa conscience. Pour la vie de Cameron, il pouvait se taire.
Pour la sécurité de l’homme qu’il aimait, il pouvait trahir sa confiance.
Quand bien même cela resterait à jamais comme une invisible épine sur son
cœur.
— Qu’est-ce que tu ne me dis pas ? murmura Cameron.
Kyren cilla.
— Quelque chose te perturbe, affirma son compagnon. Pourquoi tu ne
m’en parles pas ?
— Tu te fais des idées…
Cameron fronça les sourcils. Kyren sourit, une grande douceur passant
dans son regard doré. Posant une main sur la joue de son amant, il caressa sa
pommette d’un pouce tendre.
— Je me demande juste combien de temps tu supporteras de ne pas avoir
d’animal domestique, à cause de moi…
Une vive surprise écarquilla les yeux de Cameron, chassant son expression
irritée.
— Kyren, je m’en fiche !
— Ce n’est pas vrai, dit-il d’une voix douce.
Cameron secoua brièvement la tête avant de se pencher pour poser son
front contre le sien, fermant les yeux en laissant son nez frôler celui de son
compagnon, lui donnant un doux baiser d’Esquimaux.
— Je t’aime, Kyren, dit-il très tendrement. Peu importe qu’on n’ait jamais
d’animaux à la maison. C’est avec toi que je veux faire ma vie. Avec toi que
je veux bâtir un foyer. Construire une maison. Vieillir.
Ému, Kyren eut un sourire un peu tremblant avant de glisser ses bras
autour du corps de Cameron, glissant son visage dans son cou.
— Moi aussi, Cam, c’est ce que je veux…
Cameron l’embrassa sur la tempe, un sourire aux lèvres.
— Hey, fit-il à voix basse. Kyren ?
— Mmm ?
— Veux-tu m’épouser ? chuchota-t-il.
Kyren, la gorge nouée, prit une inspiration un peu sifflante avant de hocher
la tête.
— Oui, souffla-t-il. Oui, je le veux. Bien sûr que je le veux !
Cameron l’étreignit avec force, le cœur battant à tout rompre, ivre de joie.
Relevant la tête, il regarda le visage rayonnant de Kyren, ses yeux luisants de
larmes contenues, et sourit avant de s’emparer de ses lèvres pour un long
baiser fougueux.
— Je vous aime, professeur Lakelan, souffla-t-il contre sa bouche.
— Je vous aime aussi, agent Gilroy, répondit-il sincèrement. Plus que tout
au monde.
Cameron sourit et caressa doucement sa joue de son nez, tendrement. Un
grand fracas les fit sursauter brutalement, rompant la douceur de ce moment.
Kyren et lui échangèrent un coup d’œil puis quittèrent le lit.
Kyren le vit prendre son arme de service, soigneusement rangée dans le
tiroir d’une commode. Il ne protesta pas, bien qu’il juge cette précaution
inutile : il ne percevait aucun autre intrus que la chatte.
Ils sortirent de la chambre, Cameron le devançant. Son compagnon étouffa
un juron en découvrant l’état des murs. Partagé entre la consternation et
l’amusement en découvrant le vieux canapé en cuir tout griffé, Kyren, lui,
passa une main dans ses cheveux et grimaça.
— C’est pour flinguer le chat, pas vrai, chéri ? dit-il en désignant l’arme de
son amant.
— Il a déchiré tout le papier peint… Et mon canapé !
Kyren opina et lui coula un regard lourd d’ironie.
— Elle a visiblement mauvais caractère.
S’avançant dans la pièce, il évalua les dégâts d’un coup d’œil. Cameron
alla ranger son arme tandis qu’il pestait en découvrant des cadres photo et des
serre-livres sur le sol. Kyren alla ramasser les dégâts causés par l’animal,
foudroyant du regard la chatte qui filait prudemment se cacher sous un
meuble du salon.
— Tu comptes faire quoi ? demanda-t-il quand il sentit Cameron revenu
dans son dos. La ramener au refuge ?
— Mark était avec moi, quand je l’ai choisie. Je vais lui demander de
passer la chercher.
Kyren éclata de rire.
— Mark ?
Cameron s’agenouilla derrière lui et glissa son bras gauche autour de sa
taille, l’attirant contre son torse. Abandonnant le petit tas d’éclats de verre et
de céramique blanche qu’il avait fait, Kyren se laissa aller contre lui, un
sourire amusé aux lèvres.
— Il adore les chats, lui chuchota Cameron à l’oreille. Et il faut bien qu’il
y ait une femme fidèle dans sa vie, pour le stabiliser. Pas vrai ?
Kyren gloussa.
— Entre mauvais caractères, ils devraient s’entendre !
Cameron rit à son oreille avant de poser un baiser au creux de son cou.
Puis, souriant tendrement, il cala son menton sur l’épaule de son amant et
tendit son bras droit devant eux.
Kyren sentit son cœur s’emballer en découvrant un petit écrin dans sa
main. Cameron ouvrit doucement la boîte, dévoilant une bague en or blanc
toute simple, élégante dans sa discrétion.
— Elle te plaît ? murmura-t-il, un peu intimidé.
— Beaucoup, souffla Kyren, frissonnant d’émotion.
— J’aimerais que tu la portes, murmura Cameron. Mon fiancé.
Kyren opina en silence, incertain que sa voix lui reste fidèle. Cameron prit
la bague et la passa doucement à l’annulaire gauche de son compagnon avant
de caresser tendrement du pouce son doigt bagué.
— Je t’aimerai jusqu’à la mort, Kyren, chuchota-t-il.
Kyren se retourna dans ses bras et glissa ses bras autour de sa nuque,
éperdu d’amour.
— Je t’aimerai toujours, moi aussi, mon amour. Toujours.
Épilogue
Vêtu d’un costume gris perle taillé sur mesure et d’une chemise blanche,
Kyren tentait tant bien que mal de finir de nouer sa cravate quand Jacek et
Loukian pénétrèrent dans le boudoir qui lui était réservé pour se préparer,
dans l’immense bâtiment qui abritait la salle de réception de son mariage. Il
leur offrit un sourire de bienvenue et, délaissant sa cravate récalcitrante,
laissa les deux hommes le saluer brièvement à la manière des Thérianthropes.
— Tu n’es pas nerveux ? demanda Loukian en s’écartant.
— Pas vraiment, dit-il en lui coulant un regard à travers le miroir tout en
reprenant sa tâche. Pourquoi ?
Son ami et chef de meute haussa ses imposantes épaules.
— Je me serais attendu à trouver un jeune marié au bord de la panique. Pas
souriant et impatient.
Un petit sourire moqueur étira ses lèvres en voyant Kyren tirer d’un air
agacé sur sa cravate, comprenant sans peine à sa mine qu’il envisageait de
s’en passer.
— Laisse-moi faire, intervint Jacek.
Acceptant l’aide de l’autre homme, Kyren baissa les bras et laissa un Jacek
à la mine paisible nouer correctement sa cravate. Il le sentit s’écarter
rapidement et le remercia d’un sourire avant de se contempler dans le miroir.
— Si tu as le moindre doute, c’est le moment ou jamais de t’enfuir,
observa Loukian.
— Je vais épouser l’homme que j’aime, Loukian, répondit-il sereinement,
plutôt satisfait de l’image que lui renvoyait son reflet. Je m’apprête à dire
« oui » à mon âme sœur. Pourquoi aurais-je des doutes ?
— Tu n’as aucune raison d’en avoir, affirma Jacek comme Loukian
haussait derechef les épaules. Cameron et toi formez un très joli couple.
Touché, Kyren lui sourit avant de voir du coin de l’œil Loukian lever les
yeux au ciel. Kyren soupira légèrement devant son manque de motivation
évident et épousseta un grain de poussière imaginaire de la manche de son
costume.
— Je te remercie d’être là, Loukian…
— Tu m’as demandé d’être ton témoin, rappela son ami.
— Et je te le redis : je suis très touché que tu aies accepté. C’est gentil de
t’être occupé d’obtenir notre licence de mariage, d’ailleurs, ajouta-t-il.
Loukian allait hausser les épaules une nouvelle fois quand il vit Jacek lui
faire de grands yeux. Comprenant qu’il était en train de ternir la joie de
Kyren par sa bougonnerie, il ravala une grimace.
— Je me suis dit que tu apprécierais que je glisse un mot pour vous, au
County Clerck, dit-il en lui offrant un sourire. Certains employés tatillonnent,
avec les possesseurs d’une carte verte. Et puis je suis ton avocat : il faut bien
que je serve à quelque chose, de temps en temps !
Kyren rit silencieusement, mais hocha la tête.
— Tu es prêt ? demanda Jacek après avoir jeté un regard par la fenêtre. Je
pense qu’il est l’heure que Loukian rejoigne l’autre témoin.
Kyren acquiesça. Loukian lui sourit et les précéda pour rejoindre Mark,
déjà posté près de l’officier qui allait célébrer le mariage, en tant que témoin
de Cameron. Jacek posa une main encourageante sur l’épaule du futur marié.
— On se voit plus tard, dit-il avant de s’éclipser pour aller s’installer sur la
chaise qui lui était réservée.
Kyren le regarda s’éloigner avant de reporter son attention sur les
personnes présentes. Les amis et la famille de Cameron étaient là, formant
deux rangées d’invités qu’il fallait remonter pour faire face à l’officier chargé
de les unir. Lui-même n’avait pu inviter que Loukian et Jacek : Duncan
remplaçait Loukian dans son rôle de chef de meute, pour la journée, en tant
que cousin de la branche maternelle du jeune homme, et Jérémy se serait
ennuyé, sans son meilleur ami, dans une réception pleine d’Humains.
— Tu n’hésites pas à partir en courant, n’est-ce pas ?
Kyren inspira profondément, pris d’une brutale émotion, et se tourna vers
Cameron, qui venait d’arriver à ses côtés.
— Absolument pas, dit-il en le dévorant du regard. Tu es superbe.
Son amant avait réussi, par il ne savait quel miracle, à ne pas avoir l’air
d’être un agent fédéral en mission, dans son costume noir. Sa chemise
blanche était impeccable, son nœud de cravate parfaitement noué, et il portait
même une pochette blanche, tranchant soigneusement avec sa cravate
sombre.
— Et toi, tu es très sexy, comme toujours, répondit Cameron en lui offrant
un sourire espiègle.
Kyren lui rendit son sourire avant de lui tendre la main. Cameron entrelaça
ses doigts aux siens sans hésiter et porta sa main à ses lèvres pour embrasser
leurs doigts joints, le regard plongé dans le sien.
Sans avoir à se parler, et sans lâcher la main de l’autre, ils avancèrent
ensuite vers l’officier sous le regard de leurs proches. Prêts à se promettre
amour et soutien à travers les années et les tempêtes de la vie.
Lexique
[1]Wildcat : chat sauvage, en français.
[2]Sue est le surnom donné au squelette de Tyrannosaurus Rex découvert
dans le Dakota du Sud par la paléontologue Sue Hendrickson et exposé de
façon permanente au Muséum Field de Chicago.
[3]I.U.B. : Acronyme pour l’Université de l’Indiana, située à Bloomington.
[4]Le « Bureau » : Fédéral Bureau of Investigation (FBI)
[5]U.K. : Acronyme pour l’Université du Kentucky
[6]B.A.U. : Behavioral Analysis Unit – Unité d’Analyse Comportementale
du FBI qui utilise les sciences du comportement dans les enquêtes
criminelles.
[7]« Roger » est un terme qui signifie « compris » dans les conversations
radio.
[8]« Pallida mors aequo pulsat pede » : locution latine se traduisant par « La
mort frappe d’un pied indifférent »
[9]S.W.A.T. : unité spécialisée des forces de police des États-Unis existant
24h/24 dans certaines grandes polices, dont le département de Chicago, et
chargée de fournir une assistance en cas de perquisition ou d’arrestation,
notamment.
[10]R.A.S. : abréviation pour « rien à signaler »
[11]Diéthylamide de l’acide lysergique est le nom scientifique du LSD.
Remerciement
À mes parents, pour m’avoir donné le goût de la lecture et pour me
soutenir, même quand ils ne comprennent pas vraiment ;
À Matth, qui a été le premier à me lire et à me dire de persévérer dans cette
voie ;
À toute l’équipe de MxM Bookmark, pour croire en moi ;
Et à toutes les personnes qui auront voulu lire ce livre.