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Anne BEREST

La Carte Postale

Éditions Grasset, 2021 (512 pages)

Anonyme mais vivante

Anne Berest, écrivaine et scénariste française née le 15 septembre 1979, s’est lancée dans
l’écriture de son roman, La Carte Postale, après de nombreuses recherches menées et bien des
aventures vécues. Dans ce livre, A. Berest remet en question l’identité juive, fouille dans le passé
de ses ancêtres et relève une grande similitude entre sa vie et la leur, eux qui ont vécu en un autre
siècle et dans des circonstances différentes.

Le lundi 6 janvier 2003 est une date marquante dans la vie de l’auteure Anne Berest et de sa
famille. Ce roman rapportant une biographie familiale et des vies comparées entre passé et
présent nous cache plusieurs secrets que nous découvrirons peu à peu avec l’écrivaine, en même
temps narratrice, et sa mère linguiste, Lélia Picabia.

En janvier 2003, la famille Berest reçoit une carte postale anonyme qui va faire naître une crainte
dans les esprits. Sur cette carte, il y a quatre prénoms écrits avec une écriture maladroite et
étrange. C’était une carte pour touristes, avec une photographie de l’Opéra Garnier, le cachet
étant celui de la poste du Louvre, sans nom et avec un timbre à l’envers. La famille se sent
menacée, car Ephraïm, Emma, Noémie et Jacques, les grands-parents maternels de Lélia, sa tante
et son oncle, avaient été déportés deux ans avant sa naissance. Ils sont morts à Auschwitz en
1942. Le fait que leurs noms resurgissent dans une boîte aux lettres soixante-et-un ans plus tard
est horrifiant. Les parents d’Anne, Lélia et Pierre rangent cette carte dans un tiroir et ils ne
parleront plus de cet accident si troublant.

Dix ans passent. Sur le point d’accoucher, Anne demande à sa mère de lui raconter la vie des
quatre prénoms présents sur la carte anonyme. Lélia raconte alors à sa fille que tout ce qu’elle va
entendre est dû à un travail de recherche méticuleux et basé sur des livres lus, des lettres trouvées
et des photos très anciennes.

Grâce à l’histoire d’une famille Russe, les Rabinovitch, se raconte aussi la grande Histoire. Le
père de famille Nachman et sa femme Esther vivaient dans un grand luxe avec leurs enfants :
Boris, Sarah, Éphraïm, Emmanuel et Belle. Un jour Nachman réunit sa famille pour lui demander
de quitter la Russie. Les années passent, Paris était la dernière station, parmi tant d’autres, où la
famille d’Ephraïm habite avant la déportation. Le soir du 13 juillet, la police demande de
récupérer deux des trois enfants d’Ephraïm. Mais pourquoi deux et non pas trois ? Pourquoi
Myriam, la mère de Lélia (donc la grand-mère d’Anne Berest) ne sera-t-elle pas déportée ?
Pourquoi est-elle la seule à avoir survécu ? L’histoire continue pour donner des réponses à toutes
les questions posées par le lecteur.

D’une génération à une autre, d’un pays à un autre, d’une année à une autre, les aventures
racontées par A. Berest sont à couper le souffle, avant d’arriver à une fin inattendue !
L’usage des prolepses et des analepses met en valeur le génie d’Anne Berest qui a pu situer les
actions de manière à garder l’attention du lecteur en alerte malgré la profusion des paragraphes
descriptifs, longs mais captivants. Pour cette raison, le lecteur reste suspendu au livre, d’autant
plus que l’auteure ne fait part au lecteur du fameux secret caché derrière la carte postale anonyme
qu’aux dernières pages du roman.

Ce roman est beau, bouleversant, intéressant ; le lecteur pleure, sourit, s’extasie ou se révolte, il
est contrarié, soulagé, triste, heureux, choqué. En même temps, ce livre est violent surtout lors
des descriptions minutieuses de la situation des déportés juifs et les façons utilisées pour les tuer
(viol, humiliation, chambres à gaz …).

C’est un roman unique et authentique ! Bonne lecture !

Rita Daniel

Département de Langue et Littérature Françaises

Faculté des Lettres et des Sciences Humaines-Section2

Université Libanaise
Anne BEREST

La Carte Postale

Éditions Grasset, 2021 (512 pages)

Une survie éblouissante

« Et je me rends compte aujourd’hui que j’avais l’âge de ma mère, le même âge que ma grand-
mère, au moment où elles avaient reçu les insultes et les jets de pierres. L’âge de ma fille quand,
dans une cour de récréation, on lui avait dit qu’on n’aimait pas les Juifs dans sa famille. Il y avait
ce constat que quelque chose se répétait. Mais que faire de ce constat ? Comment ne pas tomber
dans des conclusions hâtives et approximatives ? Je ne me sentais pas capable de répondre. »

C'est à cause de cette carte que tout commence. Carte qui « Parmi le courrier, très ordinaire en ce
début de mois de janvier, elle était là. La carte postale. Glissée entre les enveloppes, l’air de rien,
comme si elle s’était cachée pour passer inaperçue. » Cette carte anonyme reçue par la mère de
l'écrivaine pousse celle-ci à mener une enquête afin d'en connaître l'expéditeur dont l'identité est
tout à fait inattendue.

Nous sommes ainsi face à une autobiographie ou encore une saga qui nous emmène en voyage
pour vivre et éprouver les atrocités commises pendant la Deuxième Guerre mondiale.

Passionné par les histoires de guerres et de massacres, j'ai survolé un tas de livres traitant de
l'époque où les Nazis était les souverains de l'Europe. Cependant, je ne suis jamais tombé sur un
tel document, qui décrit très minutieusement les moments d’angoisse et de persécution de cette
période de guerre.

S'il y a quelque chose qui pourtant m'a un peu épuisé, ce serait sans aucun doute cette longueur
exhaustive et, dans une certaine mesure, un peu ennuyeuse.

Je proclame à voix bien vive que c'est absolument mon premier coup de cœur littéraire, que je
recommande avec insistance. Et ce n'est, à mon sens, qu'avec de tels génies que l'on a le droit
d'utiliser l'expression "se plonger" au lieu de lire ou feuilleter.

Mohammed Alwaleed

Département de Français,

Facultés des Lettres

Université de Khartoum
Anne BEREST

La Carte Postale

Éditions Grasset, 2021 (512 pages)

Le mystère se révèle au grand jour

L’histoire commence en 2003 lorsque la mère de l’héroïne découvre une lettre


anonyme dans la boite aux lettres, où il est écrit quatre prénoms d’ancêtres « Ephraïm,
Emma, Noémie et Jacques ». Toute la famille a essayé de déchiffrer son énigme et de savoir
qui en était l’expéditeur : peine perdue, ils ont seulement su que la lettre était très ancienne.
Par la suite, la lettre est déposée dans un tiroir et oubliée. Dix ans plus tard, sur le point
d’accoucher, leur fille décide de rester avec sa famille dans l’attente du jour J.

C’est à ce moment-là que sa mère lui a raconté l’histoire de ses ancêtres (les quatre
prénoms de la carte postale). Ce récit est le déclic qui décide Anne à chercher à percer le
mystère de cette carte. Le roman relate l’enquête à laquelle elle s’est livrée pour remonter
jusqu’à l’expéditeur et découvrir l’histoire des ancêtres de sa mère. À travers cette quête, la
romancière a ainsi pu esquisser le destin de la famille juive Rabinovitch en remontant cent
ans en arrière. Elle revient sur les circonstances de leur fuite depuis la Russie jusqu’en
Lettonie puis en Palestine et enfin à Paris ; les camps de la mort en Allemagne et la
déportation y figurent. À travers l’histoire d’une famille (cinq générations), c’est l’histoire de
toute une humanité qui se trace. Un témoignage à la fois passionné et passionnant.

            Le roman est très captivant puisqu’il montre l’importance de la famille en premier
lieu. Le fait de chercher à élucider le mystère de la carte postale incite le lecteur à chercher et
à creuser pour en savoir plus sur ses origines, ses aïeux et son identité. La romancière a
raconté l’histoire d’une manière vive, ce qui aide le lecteur à imaginer les différentes
situations socio-politiques, à vivre la même expérience et à partager avec les héros des
moments critiques (de peur, de souffrance, d’exil et de menace de mort).

De plus, le lecteur lit et lie les deux histoires avec aisance et sans s’embrouiller. Les
dialogues constituent un facteur crucial dans le roman dans la mesure où ils le dynamisent.
Ce livre est en effet écrit avec une sincérité et une sensibilité qui touchent le lecteur dès le
premier moment de lecture.

Les chapitres sont courts, rédigés avec un style simple qui raconte les histoires
parallèles avec des transitions simples entre le présent et le passé (des analepses et des
prolepses). En somme, la romancière a pu dessiner le trajet historique de sa famille en
montrant enfin qu’elle est une enfant survivante et qu’il faut se libérer du poids du passé pour
se réconcilier avec le présent.
Sara Nader SAAD
Faculté de Langues (Al-Alsun)

Université Ain-Shams
Anne Berest

La Carte postale

Éditions Grasset, 2021, (512 pages)

À travers l’histoire des Rabinovitch

Faire le tour de la France pour Anne Berest ou encore récupérer, pour Lélia sa mère,
d’anciennes archives concernant sa famille déportée à Auschwitz n’aurait jamais été possible
sans la volonté de retrouver l’auteur d’une carte postale anonyme où sont inscrits les quatre
noms de leurs ancêtres. Ephraïm, Emma, Jacques et Noémie… des destins qui font froid dans
le dos. Ces Juifs ont été victimes de la Seconde Guerre mondiale, un conflit dévastateur.
Pitié, émotions fortes mais aussi tendresse sont suscités par ce récit. L’Histoire s’incruste
dans l’histoire des Rabinovitch.

Alors que le roman familial biographique est un thème récurrent de ses œuvres, notre autrice
s’engage à se confronter à un passé douloureux et à reconstituer l’histoire particulière des
Juifs dans les années quarante. C’est bien le sang maternel des Rabinovitch qui coule aussi
dans ses veines. Myriam, la grand-mère d’Anne, échappe aux camps d’extermination tandis
que son père, sa mère, son frère et sa sœur suivront le destin malheureux de nombreux Juifs à
travers toute l’Europe. L’histoire de ces héros est un témoignage des crimes commis lors de
la Seconde Guerre mondiale. Restée des années dans l’attente d’une nouvelle de sa famille,
Myriam incarne l’image du désespoir et de la nostalgie, sentiments universels qui forcent
l’identification. L’éloignement de sa famille, la perte d’un proche donnent l’impression que
c’est toute l’humanité qui disparaît.

La Carte postale d’Anne Berest est un petit bijou de la littérature pour ses divers enjeux.
Comme l’aurait fait un vrai historien, Anne Berest adopte une rédaction qui mêle actualité,
dialogues et péripéties. Le roman transporte le lecteur vers une époque connue du monde
entier mais qui regorge encore de bien des mystères. Une lecture qui nous fait voyager et
parvient à nous faire vivre intensément le moment, rien qu’en parcourant les lignes
d’écritures.                                                            « L’indifférence concerne tout le monde.
Envers qui, aujourd’hui, es-tu indifférente ? »        Racisme, intolérance pour les différences
de religions et de cultures, toutes ces postures  ne sont-elles pas toujours les raisons pour
lesquelles les conflits persistent dans nos sociétés ? Les actes de Hitler, la fin des Rabinovitch
ou le souvenir de la terreur qui hantent à tout jamais les survivants de l’histoire évoquent ce
que le monde vit encore aujourd’hui. Les conflits demeurent, des peuples sont toujours
discriminés, les massacres existent encore dans les régions occidentales et orientales ; une
bonne raison pour laquelle ce roman tient sa place dans l’actualité. Ce n’est pas à un simple
voyage dans le temps qu’invite cette lecture ; réflexions et projections dans ce passé
nostalgique pourraient bien nous transporter vers un futur probablement prévisible.

Darine El Sayed Ali

Université Saint-Joseph, Saïda
Anne BEREST

La Carte Postale

Éditions Grasset, 2021 (512 pages)

                                                          S'adapter est un choix

Ce sont ces vieilles pierres autour de la maison qui narrent, ici, et aucun des protagonistes
ne porte un nom.

Un jour, dans une famille des Cévennes, est né un enfant différent, inadapté, voué à une
courte vie. Il s’agit donc de l'histoire d’un petit frère fantôme, traçant une frontière invisible entre
sa famille et les autres, et de sa place dans la famille et dans la fratrie. L’auteure représente la
rencontre de l’enfant successivement avec l'aîné, la cadette et le petit dernier qui ne l’a jamais
connu mais qui a été marqué par le souvenir de sa disparition au point d’en être traumatisé.

C'est aussi l'histoire d'un amour fraternel entre l'aîné et le petit handicapé ; cet aîné qui
s'investit totalement au service de son frère. Ce dévouement le sépare de ses camarades de classe,
l’isole et finit par le confronter à la désocialisation. Quant à la cadette, elle éprouve dégoût, colère
et rejet vis-à-vis de cet enfant handicapé aspirant au soutien et à l’amour de ses parents. En se
réfugiant auprès de sa grand-mère, la cadette montre sa volonté de survivre malgré tout. Enfin, le
dernier enfant, qui est censé remplacer le pauvre handicapé décédé, vit dans l'ombre des fantômes
familiaux tout en portant la renaissance d'un présent hors de la mémoire.

Comme dans un conte, les pierres de la cour témoignent de cette histoire qui nous a appris
beaucoup de choses : il ne faut jamais vraiment s’attacher à quelqu'un et personne ne nous
appartient. L'aîné est ainsi resté prisonnier dans la cage du passé.

"La fragilité engendre la brutalité comme si le vivant souhaitait punir ce qui ne l'est pas
assez ".

Je vous conseille fortement de lire ce livre lumineux et éblouissant. L'écriture en est


magnifique et favorise les émotions. Chaque mot sonne juste mais demande de l'attention pour
parvenir à saisir les sous-entendus émotionnels et moraux. C'est un coup de cœur dont je me
souviendrai longtemps. Ce roman peut être considéré comme un miroir reflétant la vie de chacun
de nous et il touche à l’humanité.

Finalement, je vous laisse avec la phrase de la mère qui clôture ce livre magnifique :

 « Un blessé, une frondeuse, un inadapté et un sorcier. Joli travail. »


Youmna Ahmed
Département de Français

Faculté de Langues (Al-Alsun), Université de Ain Shams, Egypte  


Anne BEREST

La Carte Postale

Éditions Grasset, 2021 (512 pages)

Traces
 
À mesure que se dessinent les dernières lignes de ce livre, je prends soudain parfaitement
conscience de l’éphémérité du moment. C’est cette idée qui s’impose à mon esprit alors que je
comprends enfin qui est l’auteur de cette fameuse carte postale anonyme qui hante les pensées de
l’écrivain jusqu’à hanter la couverture de son livre. Ce personnage secret qui ne se révèle qu’à la
toute fin, et dont la main a tracé en lettres incongrues sur cette carte énigmatique ces quatre noms
familiers : Ephraïm, Emma, Noémie, Jacques. Alors, c’était toi ?
Dans son roman, Anne Berest ne nous le cache pas : comme ceux qui nous précèdent, nous
laisserons place à ceux qui nous suivront. Rien n’est éternel. Cette réalisation s’accompagne d’un
intense sentiment de responsabilité, d’une quasi-urgence : comment faire compter ce temps qui
s’écoule ? Ces vies qui s’épuisent ? L’écrivain trouve par ce livre le moyen d’immortaliser
l’histoire de son arbre de famille, un arbre qu’elle va reconstituer à quatre mains avec sa mère.
Par sa plume honnête à la sensibilité désarmante, elle parvient à ranimer pendant un moment
fugace mais vivide, ses ancêtres aux vies riches, éteints dans la souffrance de la Shoah, lors d’une
poignante réunion de famille à laquelle elle invite gracieusement le lecteur à participer.
Qu’est-ce qui inspire donc cette rencontre à travers les générations ? Au départ, la grossesse
d’Anne, qui réveille en elle l’envie d’en savoir davantage sur sa grand-mère Myriam, son arrière-
grand-mère Emma, et toutes ces figures maternelles qui, avant elle, mirent au monde la vie. Sur le
point d’accoucher de sa fille Clara, l’auteur se réfugiera auprès de sa propre mère Lélia, fille de
Myriam, qui peindra pour elle un véritable album familial touchant et douloureux, faisant
intervenir dans ses récits, des témoins encore vivants d’un temps antérieur : des lettres, des
journaux intimes, des rapports médicaux et policiers, documents méticuleusement collectionnés,
et preuves palpables que ces incroyables histoires qui s’y dévoilent sont bel et bien réelles… Ces
témoins de papier racontent la vie des Rabinovitch, ancêtres de l’écrivain, depuis Nachman, le
plus ancien, jusqu’à sa petite fille Myriam, grand-mère de l’écrivain. Fille d’Ephraïm et d’Emma,
sœur de Noémie et de Jacques, elle est l’unique survivante de sa famille, ayant échappé à la
déportation de justesse, alors que ses parents, sa sœur et son frère, ont trouvé la mort dans les
camps de concentration nazis. Si le riche récit de Lélia s’achève lorsqu’elle perd la trace de
Myriam, un incident affligeant qui touche Clara à l’école va pousser Anne à poursuivre les
recherches de sa mère. Incapable psychologiquement de discuter avec sa fille de ce qui lui est
arrivé, elle va soudain se souvenir de cette fameuse carte postale reçue par ses parents seize ans
plus tôt. Postée dix ans après son écriture et auréolée de mystère, perçue à l’époque comme une
sorte de menace, cette lettre éveille chez Anne le besoin absolu de retrouver son auteur. Même
s’il faut pour cela aller voir un détective privé ou discuter avec un criminologue. La réalité dans
ce roman nous apparait en effet comme étant mille fois plus captivante que les fictions les plus
épicées… Ainsi, l’auteur se lance dans des descriptions marquantes du nazisme et du traitement
inhumain que subissent les membres de sa famille faits prisonniers par les Allemands,
contrebalançant l’horreur de la guerre par le récit de fuites incroyables, notamment celle de
Myriam qu’on cache dans un coffre de voiture à double fond pour l’aider à s’échapper. Si
l’histoire des personnages raconte l’Histoire de la shoah, elle dénonce aussi l’antisémitisme
encore vivace de nos jours. Cette persécution des Juifs semble itérative, puisqu’elle touche tour à
tour plusieurs personnages de différentes générations. L’œuvre de Berest est à la fois engagée et
informative, brossant le portrait de toute une culture. Pour le lecteur amoureux de détails, c’est
l’occasion d’aller à la découverte de toutes ces riches traditions et des symboles religieux
judaïques : Les tsitsits, les papillotes, le phylactère, le cholent, ou encore certaines fêtes comme la
Pessah censée rappeler aux juifs qu’il faut se méfier du confort : « En Égypte, insistait Nachman,
les Juifs étaient esclaves, c’est-à dire : logés et nourris […] La liberté, elle, […] s’acquiert dans la
douleur. L’eau salée que nous posons sur la table le soir de Pessah représente les larmes de ceux
qui se défont de leurs chaînes […] Mon fils, écoute-moi, dès que tu sentiras le miel se poser sur
tes lèvres, demande-toi : de quoi, de qui, suis-je l’esclave ? » (p. 13).
Il faut aussi mentionner ces phénomènes étranges que vivent Anne, sa sœur Claire, ou sa mère, et
qui feraient fléchir le lecteur le plus cynique. Lorsqu’Anne ressent la subite et dominante envie de
rentrer au lycée Fénelon, ce même lycée que sa grand-mère avait rêvé d’intégrer avant elle. Ou
lorsque Claire devient du jour au lendemain bénévole à la Croix-Rouge, à l’âge où son ancêtre
Noémie revêtait l’habit de soignante dans un camp de concentration allemand. De même pour
Lélia, qui retrouve intuitivement la maison de ses grands-parents qu’elle n’a pourtant jamais
visitée auparavant... Ces phénomènes que la science tente de cerner en leur donnant le nom de
“mémoire des cellules” révèlent un lien plus fort que la mort et témoignent de l’existence d’un
temps cyclique où les lignes sont floues entre passé et présent et où les descendants répètent sans
s’en rendre compte les actions de leurs ancêtres. Le lecteur ne peut s’empêcher de se demander
lui aussi, lesquelles de ses actions sont guidées par des mémoires ancestrales...
Que dire alors de ce livre ? Innovateur ? Poignant ? Profond ? Ce ne sont que de pauvres
adjectifs, qui sont bien pâles face à cette tâche impossible : décrire toute l’ampleur de l’émotion
que suscite le récit. Une émotion humaine, imprégnée de l’implacabilité du temps qui passe, et de
la valeur des liens de sang que ni le temps ni la mort ne peuvent totalement rompre. Une émotion
intime et secrète que nous ne pouvons décrire, mais dont nous pouvons faire l’expérience en nous
lançant aux côtés d’Anne et de sa mère dans leur enquête… A. Berest est d’autant plus
authentique qu’elle écrit sans prétention aucune, ni fioritures, comme si elle racontait au lecteur
son histoire de vive voix, ainsi qu’elle l’a entendue sans doute de la bouche de sa mère. Sa
simplicité n’est jamais froideur mais sincérité, et ses courts chapitres révèlent l’urgence qu’elle
ressent de tout coucher sur papier. Véritable coup de cœur, ce livre insuffle au lecteur la brûlante
envie de partir lui aussi à la rencontre de ses ascendants, d’aller serrer chaudement la main de ses
grands-parents, de ses arrière-grands-parents même, d’écouter leurs voix d’outre-tombe… À une
époque où le Liban subit le pire, et où ses habitants se voient pour la plupart déracinés, éparpillés
à travers différentes contrées, comment ne pas ressentir le besoin de retourner vers ses origines ?
Comment ne pas détacher son regard un moment des branches et des feuilles de l’arbre familial et
se mettre à creuser dans le sol opaque du passé pour y retrouver ses racines ?
 
   Rackelle Tebechrany
Département de Langue et Littérature Françaises
Faculté des Lettres et des Sciences Humaines-Section 2
   Université Libanaise

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