Vous êtes sur la page 1sur 100

Le magazine

à l’écoute
du numérique 03

Oct. Nov. Dec. 12€

Va, vis
et apprends
2
Un nouveau souffle
N
ous ne sommes plus les mêmes. notre smartphone ou de notre ordinateur,
La crise sanitaire a transformé alors que le savoir est à portée de pouce :
notre rapport à l’autre. Nous ne l’obligation de « devenir intelligent ».
sommes plus les mêmes parce Y sommes-nous seulement parvenus ?
que les technologies ont changé et Pour beaucoup, nous sommes encore
changent notre rapport à nous-mêmes et dans l’étape de la perte, dans cette étape
aux autres. Y avons-nous perdu notre ca- de transition qui nous demande de passer
pacité à apprendre, notre envie d’ap- à un nouveau mode d’apprentissage, à un
prendre ? Ou y avons-nous gagné de nou- nouveau mode de transmission du savoir
velles facultés ? menant à la créativité et à l’inventivité.
C’est sur ce questionnement, sur fond de
Covid-19, que nous avons souhaité ancrer Apprendre à apprendre
notre troisième numéro de Chut ! pour un
voyage que nous vous proposons au pays C’est là qu’il devient évident que sim-
de l’apprentissage à l’ère des nouvelles plement apprendre ne suffit plus. Il n’est
technologies. plus seulement question d’accumuler les
savoirs, les MOOC (Massive Open Online
Perte de mémoire Courses), les COOC (Corporate Open
Online Courses), les tutos en ligne et
Les nouvelles technologies entraî- autres Zoom ou webinaires. Il est ques-
nent-elles la perte de notre capacité à tion d’apprendre à nous adapter à ces
stocker, à mémoriser ? C’est ce qu’affir- nouveaux modes d’apprentissage, d’ap-
mait il y a quelques années le philosophe prendre à garder une plasticité cérébrale,
Michel Serres : « Nous perdons de plus « d’apprendre à apprendre », comme le
en plus la mémoire. La mémoire, au lieu dirait Stanislas Dehaene, neuroscienti-
d’être une activité subjective portée fique et président du conseil scientifique
par le cerveau, est portée par un objet de l’Éducation nationale. Et ce, pour ne
extérieur au corps, le papier, le papyrus, le pas tomber nous-mêmes dans l’obsoles-
livre, puis la mémoire de l’ordinateur. […] cence programmée, pour qu’à 40 ans,
Les nouvelles technologies externalisent 50 ans, 60 ans et plus, il reste cette en-
les facultés cognitives. » (Conférence vie de comprendre, d’aller plus loin, de
à l’École polytechnique, 1er décembre se projeter et de se transformer tout au
2005.) long de sa vie grâce à la connaissance.
Loin d’y voir la fin des temps, le philo- D’autant que dans ce monde d’infobésité
sophe espérait y voir une évolution. Et où il devient de plus en plus difficile de
une obligation forte devant l’écran de distinguer le vrai du faux, il est essentiel

4
de comprendre ce qu’est la connaissance, voire « la François Taddei, chercheur et directeur du Centre
connaissance de la connaissance », selon les termes de Recherches Interdisciplinaires, nous invite ensuite
d’Edgar Morin, sociologue et philosophe français : dans cette société apprenante faite d’intelligence col-
« Aussi la connaissance de la connaissance doit-elle lective qu’il espère voir émerger. Les artisan·es du sa-
apparaître comme une nécessité première qui servi- voir, professeur·es et formateurs·trices livrent ensuite
rait de préparation à l’affrontement des risques per- leur vision de la pédagogie numérique, tandis que les
manents d’erreur et d’illusion, qui ne cessent de pa- apprenant·es en disent un peu plus sur leur façon d’ap-
rasiter l’esprit humain. Il s’agit d’armer chaque esprit prendre et sur leurs devoirs d’apprendre à l’heure de
dans le combat vital pour la lucidité. » (Les sept sa- la connexion Internet. De quoi prendre ensuite un peu
voirs nécessaires à l’éducation du futur, Edgar Morin, de hauteur sur nos usages, sur le nouveau visage des
Unesco, 1999.) musées post-Covid, puis sur notre rapport à l’autre
par le numérique au cours d’un entretien avec la cher-
Fracture et inégalités cheuse Laurence Allard, avant de s’interroger aussi sur
le poids de la fracture numérique dans notre société.
Apprendre est un enjeu fort dans notre société et va Ce temps de recherche, d’analyse, d’échanges, ce
bien plus loin qu’apprendre à savoir lire et écrire. Voilà temps de transmission que nous vous livrons au-
que nous devons apprendre tout le temps, pas seu- jourd’hui sur papier, nous avons pu le réaliser grâce
lement dans un principe d’expérience et de sagesse, à vous, vous qui nous soutenez depuis le début, vous
mais aussi dans le but de rester à la page, de coller qui nous avez soutenues lors de notre dernière cam-
aux nouveaux logiciels, aux nouvelles pratiques, à ce pagne de financement participatif, vous qui nous dé-
monde qui change et se transforme sans cesse à toute couvrez. Merci pour cette confiance, cet engagement
vitesse, au gré des débits d’Internet. Dans ce contexte, partagé, pour ces petits mots, ces encouragements,
comment faire pour que la tech soit un outil d’égalité, ces échanges qui nourrissent le magazine.
puisqu’apprendre, avoir la liberté d’apprendre, est En ces temps incertains, prenez soin de vous et de vos
aussi un enjeu social ? proches, et à bientôt !
Apprendre, c’est accéder à un métier. Continuer d’ap- Bonne lecture.
prendre, c’est évoluer dans son métier, c’est parfois
changer de métier. Apprendre, c’est se forger de nou- Aurore Bisicchia & Sophie Comte,
velles opportunités. Or l’école n’est pas le seul théâtre cofondatrices de Chut ! magazine
où les inégalités sociales pèsent sur l’apprentissage :
l’entreprise poursuit cette scission, notamment à l’en-
contre des femmes. Là encore, si elles accèdent elles
aussi à la formation, elles sont moins nombreuses à se
voir proposer les formations « qui comptent », celles
qui permettent d’accéder aux fameux postes à res-
ponsabilités.
Et voilà qu’apprendre, distinguer, connaître, analy-
ser, discerner deviennent des mots clés essentiels de
notre société, et que les nouvelles technologies y ont
leur rôle à jouer. Un rôle de stockage, un rôle de lien,
un rôle de soutien, tout comme un rôle d’égalité.

Du temps au temps

À quoi cela ressemble-t-il d’apprendre à l’ère des


nouvelles technologies ? Nous avons tenté de l’illustrer
au travers de témoignages et d’interviews de ceux et
celles qui apprennent aux autres et des autres. Ce par-
cours découverte commence avec Claudie Haigneré,
médecin, astronaute, ministre. Elle nous livre un for-
midable témoignage sur sa carrière, sur son insatiable
curiosité et son envie de transmettre ce qui l’a ame-
née à viser les étoiles.

5
30
DOSSIER

Va, vis
Édito et apprends
04
Culture numérique
08
16
POINT DE VUE SNCF
« L’innovation ferroviaire doit nous
projeter dans notre siècle »

20
#G R A N D E N T R E T I E N
32 François Taddei :
Entretien avec « Partager nos
Claudie Haigneré : connaissances dans
« Quels enfants l'espace et dans le temps »
allons-nous laisser 36 Le jeu, une affaire sérieuse
à la planète ? » POINT DE VUE IDLI
40
Garder en éveil nos capacités
d’apprendre

42 L’IA pour personnaliser


les apprentissages

46 Pascal Plantard : « Le


numérique pour la forme,
la pédagogie pour le fond »

50 Les campus connectés


face à l’inégalité
des territoires

6
76 Laurence Allard :
« Le confinement
a révélé un Internet
54 Ces professions altruiste »
qui se forment
tout au long de la vie

58 Toutes et tous profs ? 79 P O I N T D E V U E M O M E N T T EC H


Trois règles pour (bien) utiliser l'IA

62 POINT DE VUE DOCEAS & FORMATIONS


« Digitaliser la formation,
une opportunité
à saisir ! »
80 De la Game Boy
à la Game Girl

84
Le musée déconfiné joue la carte

64
#P O RT F O L I O
de la proximité
La tech est dans le pré

88
#V R A I-FAU X

Numérique : la
fracture de trop ?

92
P O I N T D E V U E C O D E.S TO R E
Le code dans les nuages

7
Cult
ure
8
C U LT U R E N U M É R I Q U E

Pages réalisées par :


Aurore Bisicchia
Thomas Bossy
Sophie Comte
Sylvie Lecherbonnier
Natacha Lefauconnier
Maï Trébuil

Images. chilli drop.

9
C U LT U R E N U M É R I Q U E

#lesmotsducovid

On se zoome ?
plus fort de la crise sanitaire. Fin juin, l’Assurance mala-
die en dénombrait encore près de 400 000 par semaine.
Renouvellement d’ordonnances de patient·es connu·es,
consultation d’anesthésie pour des opérations bénignes,
écoute psychologique… La téléconsultation a prouvé son
utilité sur le long terme au cas par cas. Laure Dominjon,
médecin généraliste et présidente du syndicat REAGJIR
(REgroupement Autonome des Généralistes Jeunes Ins-
tallés et Remplaçants) en est convaincue : « Cet outil ne
va pas modifier notre pratique au quotidien. Mais il peut,
sans être massif, avoir toute sa place. »
Autre « télé » parti pour durer : le télétravail. Selon une
enquête de la mutuelle Malakoff Humanis de juin 2020,
73 % des télétravailleur·ses sont satisfait·es de cette ma-
nière de travailler et 84 % souhaitent demander à en bé-
néficier régulièrement après la crise sanitaire. Moins de
transport, plus de souplesse… Beaucoup de salarié·es
voient de nombreux avantages à travailler depuis leur
domicile un ou plusieurs jours par semaine. Certaines
entreprises, comme PSA en France ou Google aux États-
Unis, proposent même à une partie de leurs collabora-
teur·trices de passer à 100 % de télétravail. Venir au bou-
lot devient alors l’exception.

« Tu télétravailles ? », « je vais Besoin de déconnexion


téléconsulter », « on se zoome ? », « prêt·e
pour un apéro-Skype ? », « scanne le Attention à la surchauffe néanmoins. Dans nos vies
QR code pour avoir accès au menu » … connectées, la chambre est devenue bureau, le canapé
La crise sanitaire, et singulièrement le est squatté en permanence, les outils de visio servent
confinement, ont fait émerger de nouveaux tout à la fois aux rendez-vous clients, aux apéros avec
mots dans notre vocabulaire. Pas sûr que le les potes et aux classes virtuelles avec les enseignant·es.
Vie professionnelle et vie privée s’entremêlent jusqu’à
Larousse ou notre bon vieux Petit Robert
se confondre plus ou moins joyeusement, et les risques
les homologuent tous, mais ils démontrent
de burn-out ne sont pas si loin. « Paradoxalement, plus
l’irruption ou l’amplification de nouveaux il y a de télécommunications, plus le face-à-face phy-
modes de vie... à distance. Gestes barrières sique manque. Et c’est l’une des grandes leçons de cette
obligent ! Deuxième vague ou pas, le mode période, note le sociologue Francis Jauréguiberry. Les
« télé » est parti pour durer. gens sont arrivés à un trop-plein médiatique, et il est
apparu plus fortement ce besoin d’apprendre à gérer la
La télémédecine est en plein essor. De quelques milliers connexion et la déconnexion. » Une envie d’appuyer sur
par semaine avant le confinement début mars, le nombre pause et de se retrouver « in real life ». Alors, on se voit
hebdomadaire de téléconsultations a atteint le million au bientôt, on se fait un Doodle pour trouver une date ? S.L.

10
C U LT U R E N U M É R I Q U E
#viepro

Webinar
superstar
Avec le confinement, les webinaires ont
montré leur pertinence pour se former et
s’informer. Une tendance qui va bien au-delà
de l’univers de la formation et semble partie
pour durer.

« Pourquoi pas moi ? » C’est en assistant à des we-


binaires (version française de l’anglais « webinar »,
mot-valise associant « web » et « seminar ») sur la santé,
le bien-être ou encore la communication durant le confi-
nement que la créatrice de contenus Cécile Strouk a eu
envie de se lancer : « Ce format gratuit se veut très ac- #lehashtag
cessible. Les participants n’ont pas des exigences très
hautes si ce n’est se divertir, s’informer, et surtout ne
pas s’ennuyer. » Elle a donc organisé deux sessions « En
quête du mot juste » pour montrer son expertise sur la
Black Lives
langue française. La plume en est persuadée : « Les we-
binaires vont perdurer. Cela devient tellement simple
de prendre une heure de son temps pour acquérir des
Matter
connaissances sur un sujet qui nous intéresse ! »
Il suffit de consulter les hashtags #webinaire ou #we- Un sentiment d’horreur nous a saisi devant les images
binar sur les réseaux sociaux pour se rendre compte de la mort de l’Américain George Floyd. Il a été le dé-
que Cécile n’est pas la seule intéressée par ce format. clencheur d’un hashtag magnifique et terrible à la fois,
Le webinaire a, depuis la crise sanitaire, largement un hashtag qui a secoué le monde et qui s’est propagé
dépassé le monde de la formation. Entreprises, mé- partout, avec les réseaux sociaux pour caisse de réso-
dias, associations, collectivités, tout le monde s’y est nance. Au jour où nous écrivons ces lignes, Instagram
mis. Le format privilégié : quelques intervenant·es qui recense plus de 24 millions de publications avec le hash-
échangent pendant une heure, avec des questions des tag #blacklivesmatter, qui revient aussi régulièrement en
participant·es formulées par tchat. Le webinaire devient « trending topics » sur Twitter.
une vitrine, un outil marketing, une manière de fédérer Pour autant, si l’activisme est devenu numérique, il prend
une communauté et de faire des affaires. Avec les sta- et prendra toujours ses racines dans le monde physique.
tistiques du nombre de participant·es et la collecte des « Aucun mouvement social ne vient que du numérique. Il
adresses mails, les retours sont immédiats. Marc Gui- y a aussi des enjeux sociaux, raciaux, et on le voit dans
raud, le président-fondateur de News Tank Network, a #BlackLivesMatter. De même avec #BalanceTonPorc ou
testé le format pour ses agences d’information. Il est lui #MeToo : les hashtags existent depuis peu de temps,
aussi conquis : « Il y a du rythme, une tension comme mais ce sont des problèmes de société qui remontent
dans des émissions audiovisuelles, alors que l’on peut à bien avant la création d’Internet. Le web permet sim-
parfois s’ennuyer dans de longues conférences. » plement de les faire gagner en visibilité : les réseaux so-
Aurélien Gohier, senior digital manager chez Dassault ciaux notamment permettent de faire parler de la cause
Systèmes et entrepreneur, parle ainsi d’une « vague de et de se faire connaître des médias », précise le cher-
webinaires ». Une vague qui ne semble pas prête à re- cheur Baptiste Kotras, sociologue du numérique à l’Uni-
tomber. S.L. versité Paris-Nanterre. A.B. et L.M.

11
C U LT U R E N U M É R I Q U E

#économiecirculaire

Mieux consommer
avec l’occasion
Ces dernières années ont été marquées échanges, le site français Vestiaire Collective choisit
par une réelle prise de conscience de d’investir dans l’emploi afin de repérer les contrefaçons
l’impact écologique de nos habitudes de avant même qu’elles n’atterrissent entre les mains des
consommation. Elles furent aussi celles de acheteur·ses, même si cet effort supplémentaire se ré-
percute par une commission plus importante – le prix de
la montée en puissance de l’achat de biens
la qualité, mesdames et messieurs !
d’occasion, y compris sur des marketplaces
La meilleure solution est-elle plutôt technologique ou
ou plateformes en ligne, comme le souligne humaine ? Pas de réponse simple, coupons la poire en
une étude du Crédoc, selon laquelle 60 % des deux. Un algorithme permet d’affiner le service, de fa-
Français·es ont acheté d’occasion en 2019 ciliter la montée à l’échelle et donc de permettre à plus
contre 17 % en 2005. de monde d’accéder à une qualité de service supérieure
– tant que les requêtes restent simples. Une équipe de
Aujourd’hui on s'empare de son « nouveau » smartphone salarié·es chargée de lutter contre les contrefaçons et
reconditionné, puis on complète sa garde-robe en swi- une autre pour gérer les relations vendeur-acheteur
pant sur une appli. Les plateformes de revente de vê- complexes revalorisent des expertises clés que l’on
tements d’occasion proposent de concilier fièvre de pensait menacées par l’automatisation et le machine
la mode et conscience écologique tout en faisant des learning. Pour le meilleur ou pour le pire, on ne se dé-
économies. Qui dit mieux ?! fait pas si facilement de la complexité humaine. En at-
Quand pour l’application lituanienne Vinted, un algo- tendant, longue vie à l’anti-gaspillage et aux secondes
rithme est mis en place pour mieux gérer le flux des mains ! A.B. et M.T.

#cestdéjàdemain

Technologie haptique :
le virtuel devient palpable
Imaginez-vous le casque sur les yeux : un décor de plus immersifs. Équipée sur les manettes de la nouvelle
plage déserte apparaît à perte de vue, et lorsque vous console PlayStation prévue pour la fin d’année, cette
touchez le sable fin, vous le sentez couler entre vos technologie permettra de moduler la force des coups à
doigts. La technologie haptique va ainsi pouvoir com- l’écran ou de créer une impression de résistance. Pour
pléter votre expérience de réalité virtuelle, en ajoutant le moment, elle se retrouve principalement sous forme
un sens essentiel : le toucher. Du souffle, du vent dans de gants, mais des vêtements moulants se développent
votre dos à la sensation de l’herbe sous vos pieds, les déjà. Ces habits permettent de ressentir une matière ou
possibilités sont infinies ! un contact et de manipuler des objets virtuels. De quoi
Simulant le contact par pression ou vibration, la tech- bouleverser nos perceptions et trouver une utilité qui
nologie haptique interagit avec nos récepteurs sen- dépasse le divertissement, par exemple dans l’automo-
soriels pour créer des environnements 3D de plus en bile ou la santé. T.B.

12
C U LT U R E N U M É R I Q U E
La place des femmes dans la tech est un sujet essentiel pour Chut ! Plus qu’un engagement,
c’est une véritable position militante. Et heureusement, nous ne sommes pas seules à vouloir
faire bouger les lignes.

Un do tank pour l’emploi Renforcer l’entrepreneuriat au féminin

Les Digital Empower’Her


Ladies & Allies « Formation, sensibilisation, orientation… il existe de
nombreux leviers pour ouvrir les portes du monde de
Les Digital Ladies & Allies font entendre leur voix de- la tech, et surtout, il n’y a pas d’âge pour se former et
puis plus de deux ans déjà. Aujourd’hui le « do tank » se lancer. » Ce sont les mots de Julie Telfour de l’orga-
concentre son action sur SWIIT Pledge, en collaboration nisation Empower’Her qui œuvre depuis 2011 pour l’au-
avec Simplon, un réseau de formations solidaires aux tonomisation des femmes dans le monde, en renforçant
métiers du numérique. L’idée est de développer l’em- leur liberté et leur capacité à entreprendre. L’association
ployabilité des femmes dans les métiers de la tech, afin diffuse une culture entrepreneuriale et numérique plus
de proposer des profils adaptés à des entreprises qui inclusive et valorise les femmes qui bâtissent la tech de
s’engagent à les recruter. Présidente du « do tank », Me- demain et deviennent ainsi des rôles modèles. L’orga-
rete Buljo nous rappelle son objectif : « Il faut rappro- nisation propose des programmes de formation, d’ac-
cher l’offre et la demande et aider les femmes dans leur compagnement ainsi que le festival Empow’Her à la Cité
émancipation, leur employabilité et aussi les sortir de Fertile (du 18 au 20 septembre), dédié à celles qui font
la précarité. » bouger les lignes du digital.

Penser la mixité à travers les générations Ouvrir la voie

WoMen’Up Femmes@
WoMen’Up est la première association mixte mêlant su-
jets de genre et de générations. Elle est composée de
Numérique
huit femmes qui partagent les valeurs d’inclusion, de « Tous les chemins ne mènent pas au numérique mais,
diversité et de mixité. Des femmes persuadées qu’en- sans aucun doute, le numérique ouvre la voie à presque
semble, nous pouvons faire bouger les lignes. L’asso- tous les métiers ! », affirme Laure Castellazzi, secrétaire
ciation a pour objectif de faire progresser la mixité en générale de la fondation Femmes@Numérique, qui
agissant en priorité sur les décideur·ses de demain : les œuvre pour plus de femmes dans les métiers de la tech
représentant·es des jeunes générations. Leurs actions se en donnant une meilleure visibilité des parcours d’édu-
déclinent au travers d’un think tank, avec lequel l’asso- cation et de formation aux métiers du numérique. Cette
ciation produit des études, enquêtes internationales et fondation, créée sous l’égide de la Fondation de France,
évènements précurseurs ; un do tank, fruit de leurs col- regroupe 42 entreprises fondatrices, et se compose aus-
laborations avec leurs partenaires ; et un incubateur de si de 50 associations qui agissent pour qu'il y ait plus
talents : La Fusée. de femmes dans les métiers du numérique, à l’image de
Cyberelles ou de Becomtech.

13
#livres
C U LT U R E N U M É R I Q U E

Les coulisses Journal intime Obsolescence


du jeu vidéo d’une IA programmée
qui rend accro
Elle nous parle de ses cours Récit d’anticipation foisonnant
Docteure en psychologie, Celia d’histoire, de biologie et et mélancolique, au graphisme
Hodent met son expérience dans d’informatique, de ses premiers bluffant, Carbone & Silicium est
le secteur du jeu vidéo – le succès pas vers l’homme et de ses une réflexion philosophique sur
de Fortnite, c’est elle ! - au service interrogations pour l’avenir. Elle, le sens de l’existence de l’espèce
de toute personne intéressée, c’est Mève, une intelligence humaine et des robots. C’est aussi
au choix : par l’UX (expérience artificielle née le 14 décembre une histoire d’amour de plusieurs
utilisateur), le cerveau, les jeux 2020, qui raconte ses sept siècles entre deux intelligences
vidéo… ou par tout cela à la fois ! premières années d’existence et artificielles : Carbone, au corps de
Dans une première partie aussi leurs enseignements dans Quand femme, et Silicium, à l’apparence
instructive qu’agréable à lire, elle l’Intelligence Artificielle s’éveillera. masculine. Chacune fera ses
démonte les mythes sur nos petites Troublant récit à la première propres choix de vie dans ce
cellules grises et explique, schémas personne, cet essai de prospective monde cyberpunk constamment
didactiques à l’appui, comment scientifique explore d’une nouvelle instable et menacé. Comme le dit
fonctionnent la perception, la manière les questions d’éthique Alain Damasio en postface, cette
mémoire, la motivation, l’émotion… et de numérique. Chercheur sur B.D. aborde « un sujet universel :
Tout cela sert de base à la seconde ces questions, Jérôme Béranger notre rapport au collectif, et la
partie du livre, consacrée à livre par ce biais des solutions façon féroce dont le numérique
l’approche UX dans le gaming. concrètes pour des technologies le reformate en chacun et le
Un manuel captivant et accessible responsables. redistribue pour nous tous. »
aux novices. Brillant !
Quand l’Intelligence Artificielle
Dans le cerveau du gamer, Celia s’éveillera, Jérôme Béranger, Le Carbone & Silicium, Mathieu
Hodent, éditions Dunod, juin 2020, Passeur Éditeur, septembre 2020, Bablet, éditions Ankama, août
304 pages, 32 euros. (Guide) 344 pages, 21,90 euros. (Essai) 2020, 272 pages, 22,90 euros.
(B.D.)

14
#expos

C U LT U R E N U M É R I Q U E
Dessinez, Lumières ! Corps et âme
c’est animé ! Culturespaces se pose Une exposition expérience. Voilà
à Bordeaux dans l’ancienne base ce que proposent Adrien M et Claire
sous-marine pour proposer ses B avec « Faire Corps » à la Gaîté
Coup de projecteur sur les cahiers expos numériques et immersives Lyrique. Le visiteur circule parmi une
de dessin animé, ou comment monumentales qui ont connu le dizaine de dispositifs entre ombre
allier le plaisir du coloriage à la succès à Paris et aux Baux-de- et lumière. Il peut jouer avec les
joie de voir son dessin prendre Provence. Aux Bassins de Lumières, lettres, les chiffres, les traits... L’idée
vie ! Le principe : avec ses crayons, plongez jusque début janvier dans est de changer de posture pour
feutres ou pinceaux, l’enfant (dès les tableaux de Gustav Klimt, changer de regard sur le monde
4 ans) colorie la page. Puis il la de Paul Klee ou dans les créations qui nous entoure. Des événements
photographie avec une tablette contemporaines d’Anitya et d’Ocean liant arts vivants, musique et danse
ou un smartphone via l’application Data. Les projections numériques viennent amplifier l’expérience,
gratuite Blink Book (sur Google se reflètent sur les murs de la base comme les « visites augmentées
Play et App Store). La technologie sous-marine et dans l’eau. Des en mouvement » tous les jeudis soir,
fait le reste : le dessin s’anime passerelles permettent de naviguer ou les ateliers pour enfants « Faire
en musique et paroles, parfois entre les différents espaces. de l’art avec du code ». Puissant !
avec la voix enregistrée de Une autre manière de s’immerger
l’artiste en herbe. Dix-huit thèmes dans l’histoire de l’art. « Faire Corps - Adrien M & Claire B »,
disponibles (à partir de 12,90 €) : jusqu’au 3 janvier 2021 à la Gaîté
Les Schtroumpfs, Les Dinosaures, Les Bassins de Lumières, Lyrique, à Paris.
Picasso... Un usage du numérique à Bordeaux. ▶ Toute la programmation
créatif, court et personnalisé, tout ▶ Toute la programmation sur gaite-lyrique.net
ce qu’on aime ! sur bassins-lumieres.com

Cahier de dessin animé Les


Schtroumpfs, Peyo, éditions
animées, septembre 2020,
32 pages, 20 euros. (Coloriage)

15
POINT DE VUE

Le point de vue de notre partenaire SNCF

« L’innovation ferroviaire
doit nous projeter dans
notre siècle »

Carole Desnost, directrice


de l’innovation et de la
recherche pour le groupe
SNCF, nous apporte sa vision
disruptive du train du futur
et de l’innovation.

Image. chilli drop.

uels sont vos champs de

Q
et connecté. Et pour l’inventer, nous avons dans nos
recherche et d’innovation, équipes aussi bien des expert·es en sciences cogni-
et peut-on en déduire tives que des physicien·nes, des énergéticien·nes, des
à quoi ressemblera le train spécialistes de la localisation ou de l’intelligence artifi-
du futur ? cielle. Le résultat est très concret : nous travaillons aus-
si bien sur l’acoustique en gare, le confort des sièges
Le train du futur sera forcément à mettre au pluriel, et « l’habitabilité » des rames, que sur les probléma-
car les besoins divergent profondément selon les ter- tiques globales de fluidité, de sécurité, de ponctualité,
ritoires, et que c’est une demande profonde des Fran- de flexibilité. Et bien entendu, d’optimisation à la fois
çais·es. Le train du futur sera écologique, autonome économique et écologique.

16
On dit souvent que le train est un mode

POINT DE VUE
une filière qui doit se structurer. Il faut comprendre
de transport vert. Quels sont les enjeux qu’un train a une durée de vie de quarante ans : nous
pour vous, de ce point de vue ? sommes dans une industrie qui mise sur la durabilité et
la transformation en continu, on est loin du scandale
Nous avons des belles marches à franchir, c’est le grand de l’obsolescence programmée !
sujet des années à venir. Si beaucoup de nos trains
sont déjà électriques, comme tous les TGV, c’est un Quelle est votre vision de l’innovation ?
vrai challenge en matière d’innovation industrielle que
de sortir du diesel d’ici à 2035, comme nous nous y Au XXIe siècle, l’innovation dans le ferroviaire doit être
sommes engagés. Il faut mixer toutes les solutions pensée en mode résolument ouvert. Nous devons an-
technologiques. Trains bimodes, trains hybrides, trains ticiper les évolutions de société, bien sûr, c’est notre
à batterie, biocarburant, hydrogène : nous avançons sur alpha et notre oméga. Mais aussi toutes les avancées
tous les fronts. Y compris, dans un autre ordre d’idées, technologiques : or, à l’échelle industrielle, notre fi-
sur celui de l’autonomie ! lière est trop étroite pour s’autosuffire. C’est donc
grâce à nos collaborations avec l’automobile, avec
Entre métro autonome et Google Car, le spatial et avec l’international que nous avançons…
comment penser le train autonome ? Mais il y a un troisième pilier : dans notre secteur, inno-
vation rime avec optimisation des coûts. L’innovation
Technologiquement parlant, le train autonome est frugale, ce n’est pas un vain mot. C’est ce qui nous a
bien plus proche de la voiture autonome du point guidés quand nous avons proposé de nouveaux mo-
de vue de la complexité. Mais nous avons un poten- des d’électrification des lignes, qui permettent à cer-
tiel énorme : c’est que nous pouvons aussi mettre tains endroits de réduire les coûts par deux.
une grosse part d’intelligence dans l’infrastructure.
Nous travaillons sur le sujet à plusieurs échelles et à Les « petites lignes » entrent-elles dans
plusieurs horizons de temps, mais une infrastructure vos champs de recherche ?
plus intelligente et un train plus autonome, cela signi-
fie une bien plus grande performance économique et Oui, nous travaillons sur des formats modulaires, plus
environnementale de tout le système. légers, des concepts de micro-gares et de modules
connectés pour les zones rurales et péri-urbaines.
Suivez-vous les pas de vos confrères L’enjeu est de proposer partout des alternatives col-
américains avec l’Hyperloop d’Elon Musk lectives à la voiture individuelle, avec le ferroviaire
et son train façon « tube » ? comme colonne vertébrale. Nous tenons à une vision
de l’innovation multifacette et qui nous projette dans
Tout à fait, cela fait maintenant quatre ans que nous notre siècle.
collaborons avec la start-up Hyperloop One. Ce n’est
pas du train, pas de l’aérien, les technologies sont en Quelle est votre vision de femme
développement et les usages à inventer : suivre tout dirigeante dans ces secteurs plutôt
cela et collaborer nous permet de nous questionner masculins ?
autrement. Et puis, quand ce rêve deviendra réalité,
SNCF en tant qu’opérateur aura son mot à dire et son En tant qu’ingénieure, dans l’automobile avant d’en-
expertise à apporter. trer à la SNCF, j’ai toujours évolué en environnement
masculin. Ma conviction, c’est que les femmes ont une
Quelles innovations verrons-nous vraie place à prendre dans l’innovation. Ici, nous avons
apparaître dans un futur plus proche ? des ingénieur·es, chercheur·es, designers, à parité.
Sans caricaturer, elles aiment le changement, elles
Le TGV modulaire, qui circulera en 2024, incorpore sont orientées « solutions », elles n’ont pas peur de
beaucoup d’innovations à des échelles différentes. la remise en cause et du parler-vrai. En général elles
Mais il y a une autre petite révolution que nous pilo- ont aussi une gestion plus humaine de leurs équipes,
tons avec nos partenaires, ce sont les trains hybrides, qui fait d’elles de bonnes managers. Et puis elles sont
les trains à batteries, à biocarburant, et les trains à très portées par le sens. Notre grand défi est souvent
hydrogène. Tous sont « sur les rails ». Pour le train d’arriver à concilier vie professionnelle et vie person-
à hydrogène, on vise 2023, et derrière c’est toute nelle. Et d’oser !

17
de
18
la
DE

LA

LENTEUR
19
NUMÉRIQUE

20
Claudie Haigneré :

GRAND ENTRETIEN
« Quels enfants
allons-nous laisser
à la planète ? »
Première astronaute européenne, deux fois
ministre, médecin rhumatologue, présidente
d’un musée scientifique… Le C.V. de Claudie
Haigneré impose le respect. Avec simplicité
et passion, elle assume d’être un « rôle modèle »
et nous livre sa vision d’un monde ouvert
et inclusif, avec la Lune et Mars pour horizon.

Comment devient-on tiales) où il était écrit qu’une sélection


la première astronaute allait bientôt avoir lieu. La petite étoile
européenne ? de mes douze ans s’est réveillée. « Pour-
quoi pas moi ? », me suis-je dit. Mes
Je fais partie de la génération Apollo. proches m’ont soutenue, j’ai foncé.
J’avais douze ans en juillet 1969, lors
du premier pas de l’homme sur la Lune. Qu’est-ce qui vous a le plus
Quand on est une petite fille curieuse marquée dans votre carrière
comme je l’étais et que l’on assiste à ce d’astronaute ? Qu’en avez-vous
moment fascinant, transformant, mer- retiré ?
veilleux, cela inscrit une marque pro-
fonde dans les rêves et les désirs. Mais Les deux missions spatiales de seize et
je n’ai pas décidé de devenir astronaute dix jours sont des moments extraordi-
à ce moment-là. Il n’y avait pas d’école naires car extraterrestres. Mais ce que je
Propos recueillis par d’astronautes, de toute façon ! En 1985, retiens de ma carrière d’astronaute, c’est
Sylvie Lecherbonnier à l’hôpital Cochin, à Paris, où j’étais rhu- toute l’aventure humaine, technologique,
Photos. matologue, j’ai vu une petite pancarte scientifique, de coopération internatio-
Ellen Barboza du CNES (Centre National d’Études Spa- nale que j’ai vécue pendant quinze ans.

21
Comment avez-vous vécu le fait
GRAND ENTRETIEN

J’étais loin de cocher toutes les cases


au départ. J’étais dans un monde plutôt d’être une femme dans ce mi-
masculin, militaire et pilote. Je suis par- lieu ultra masculin ?
tie en Union soviétique en 1987. J’ai vu
le pays s’ouvrir à la coopération et al- La sélection est la même, même si nous
ler jusqu’à la réalisation conjointe de la n’étions que 10 % de candidates. L’en-
station spatiale internationale avec cinq traînement aussi. Hommes ou femmes,
partenaires. Cela m’a donné de l’au- les astronautes possèdent des profils très
dace pour relever d’autres défis et aller différents. Moi j’étais chercheure et mé-
côtoyer d’autres écosystèmes. Je suis decin, certains sont ingénieurs, d’autres
proche aujourd’hui des milieux de l’édu- pilotes. Nous sommes sélectionnés pour
cation, de la culture, de l’économie, des pouvoir suivre un entraînement théorique
startupers, de l’innovation, de la géopo- et physique exigeant, et être à l’aise en si-
litique… Grâce à cette aventure spatiale, tuation complexe, multitâche. Je n’y allais
je suis devenue une militante de la diver- pas stressée mais confiante dans la for-
sité dans tout son spectre : de genre, de mation et dans l’équipe. J’étais désireuse
QUI EST CLAUDIE culture, d’origine, de génération. de découvrir comment j’allais m’adapter,
HAIGNERÉ ? en repoussant mes limites.
Et concernant vos deux
Médecin rhumatologue, missions en orbite en 1996 Quel a été l’impact de l’arrivée
Claudie Haigneré et 2001 ? des femmes dans le spatial ?
entre au CNES (Centre
National d’Études J’en garde trois moments importants. Concernant les équipements, le sca-
Spatiales) en 1985. En Tout d’abord, le premier regard par le phandre intravéhiculaire, celui que l’on
août 1996, elle effectue hublot vers la Terre. Je suis à 400 km de met pour monter dans le vaisseau, est
un vol de seize jours la planète, j’en fais le tour en 90 minutes. taillé à notre morphologie, comme le
à bord de la station Cette expérience permet de dézoomer, siège baquet qui est moulé sur notre
russe MIR et en janvier d’un seul coup on ressent ce qu’on ap- corps. Mais les scaphandres pressurisés
2001, un vol de dix jours pelle chez les astronautes l’ « overview des sorties extravéhiculaires continuent
au sein de la station effect », cette vue globale d’une planète à poser problème quand on est une
spatiale internationale. Terre porteuse de vie, une planète limi- femme, même si la question est prise en
En 2002, elle rejoint le tée et isolée dans un cosmos hostile. Je compte. À mon époque, ils étaient tous
gouvernement de Jean- perçois sa fragilité, sa beauté, sa vulné- de tailles masculines. Je n’ai pas fait de
Pierre Raffarin, en tant rabilité. Ce regard impose le respect et sortie extravéhiculaire, mais j’étais la dou-
que ministre déléguée la responsabilité. Il vous transforme. blure de mon mari [Jean-Pierre Haigneré,
à la Recherche et aux Le deuxième aspect, c’est l’apesanteur. lui-même astronaute, N.D.L.R.] au cas où,
nouvelles technologies Flotter, se déplacer quand il n’y a plus pour son vol de 1999. Je me suis donc en-
puis en 2004, en de poids, c’est beaucoup de plaisir et traînée pour le faire, et nous avions distri-
tant que ministre d’espérance en constatant la capacité du bué les rôles un peu différemment pour
déléguée aux Affaires corps à s’adapter. Lors de mon premier ne pas être gênés par les équipements.
européennes. Claudie vol, j’ai eu besoin de 24 heures pour être L’année dernière encore, la première ten-
Haigneré est choisie en à l’aise dans cet environnement. Lors du tative de sortie extravéhiculaire effec-
mars 2009 pour mener deuxième vol, j’étais chez moi dès l’arri- tuée par deux femmes, Christina Koch
le regroupement de la vée en orbite. Cela m’a donné le senti- et Anne McClain, a dû être annulée pour
Cité des sciences et de ment que nous avions énormément de cette raison, la sécurité optimale d’une
l’industrie et du Palais potentiel, de réserves invisibles. Le troi- des tâches les plus dangereuses d’un vol
de la découverte au sième élément qui m’a marquée, c’est spatial n’étant pas assurée. La sortie a fi-
sein d’Universcience. l’équipage. J’ai appris à vivre en équipe : nalement eu lieu avec Christina Koch et
En 2015, elle devient chacun son rôle, mais tous ensemble pour Jessica Meir quelques mois plus tard, une
conseillère du directeur résoudre des situations complexes. Les fois le problème des scaphandres résolu.
général de l’ESA (Agence astronautes sont des chercheurs de solu- La place des femmes dans le milieu spa-
spatiale européenne). tions et non des « listeurs » de problèmes. tial évolue peu à peu. Elles ont démontré

22
qu’elles étaient capables de tenir tous les rôles : pilote

GRAND ENTRETIEN
tion : « Vous qui êtes allée là-haut et avez vu la Terre
de la navette, commandante de la station ISS [la sta- depuis le hublot, quelle planète allons-nous laisser à nos
tion spatiale internationale]… Les dernières promotions enfants ? » Je réponds à chaque fois : « Quels enfants
des astronautes de la NASA [National Aeronautics and allons-nous laisser à la planète ? » Nous avons besoin de
Space Administration] sont quasiment paritaires. En Eu- passeurs d’expérience, d’accompagnateurs, et je sais à
rope, en revanche, nous sommes toujours autour de 10 à quel point cela peut être déclencheur d’avoir un modèle,
15 % de candidates. La prochaine sélection aura lieu en un mot d’encouragement, une écoute bienveillante.
2021. Avec Samantha Cristoforetti, l’astronaute de l’ESA -
l'Agence spatiale européenne - en activité, nous verrons Au sujet de l’éducation des filles :
si nous avons réussi à lever ces verrous de représenta- elles restent moins nombreuses que les
tion, par le témoignage de nos réussites professionnelles garçons à se destiner aux professions
et personnelles. technologiques et scientifiques, que ce soit
développeur·se ou astronaute. Comment
Comment vivez-vous le fait d’être un « rôle l’expliquez-vous ?
modèle » ?
Je n’ai pas vraiment d’explication et pas de recette mi-
J’ai quand même eu la chance de vivre des aventures racle non plus. Je fais simplement le constat que les
exceptionnelles. Elles m’ont beaucoup apporté. À mon métiers de l’ingénierie sont passés de 15 % à 25 % de
tour de redonner. Je suis convaincue que la transmis- femmes dans les années 1970–80 avant de redescendre
sion des connaissances, le partage d’expériences sont aujourd’hui autour de 20 %. C’est particulièrement criant
sources d’inspiration, de construction et de confiance. dans le numérique. Or, nous ne pouvons pas avoir un
Mon sujet principal aujourd’hui, c’est l’éducation de nos monde « codé » par les hommes, peu représentatif de la
enfants pour le XXIe siècle. On me pose souvent la ques- diversité des pensées et des talents.
Avant le décollage de la mission Andromède en octobre 2001 © ESA/CNES 2001-S. Corvaja

23
GRAND ENTRETIEN

« Lors de mon
deuxième vol,
j’étais chez moi dès
l’arrivée en orbite.
Cela m’a donné le
sentiment que nous
avions énormément
de potentiel, de
réserves invisibles. »
GRAND ENTRETIEN

Atterrissage de la mission Andromède


le 31 octobre 2001 au Kazakhstan.

© ESA/CNES
Je pense qu’il faut agir assez tôt. Jusqu’à
GRAND ENTRETIEN

8–9 ans, tous les enfants sont des curieux


sans barrière, des chercheurs, des astro-
nautes en puissance. Quand je m’adresse
plus tard à des lycéennes, je vois que des
blocages se sont déjà mis en place, struc-
turés par des clichés toujours véhiculés,
même inconsciemment. Nous arrivons à
donner l’envie et l’audace à quelques-
unes, mais bien d’autres ont du potentiel
et des talents !
Il nous faut davantage incarner les mé-
tiers, donner à saisir leur signification
tout autant que leur quotidien. Les mé-
tiers de l’ingénierie sont souvent pré-
sentés de manière sèche et abstraite.
Nous devons remettre du sens et de
l’engagement : vous êtes ingénieur·es,
vous allez être des acteurs d’un pro-
grès technologique qui peut apporter
du bien, mais qui peut aussi contenir un
danger, des dérives, donc vous devez
aussi acquérir une éthique de l’action. Le
métier d’ingénieur·e sera ce que vous en
ferez. Il vous donne un pouvoir d’agir et
une ouverture sur le monde de demain.
À la télévision, il n’y a pas de « rôle mo-
dèle » d’ingénieur·e. Il y a un manque
de représentations, voire des fausses
représentations. Le chercheur est tout
seul avec sa blouse blanche, sa barbe,
il ne sort pas de son laboratoire, il y a
de la moisissure et des champignons
qui poussent partout. Même chose pour
les geeks. Les quelques femmes repré-
sentées ont les cheveux rouges et des
couettes. Ce n’est pas très attractif. Ra-
conter les métiers, c’est aussi raconter
des expériences de vie, des rencontres,
la conciliation avec la vie privée, par
exemple. J’ai eu une fille entre mes
deux missions. Je me dois de le racon-
ter, tout comme les échecs, les vulné-
rabilités, les faiblesses… Les « superwo-
men » n’existent pas. Mais aujourd’hui
les portes sont ouvertes, il faut oser les
pousser.

Est-ce pour cela que vous vous


êtes engagée en politique,
en devenant successivement
en 2002 et 2004 ministre

26
déléguée à la Recherche et aux nouvelles
« Jusqu’à 8-9 ans, tous

GRAND ENTRETIEN
technologies puis aux Affaires européennes,
après votre carrière de spationaute ?

Le téléphone a sonné quelques semaines après la fin de


les enfants sont des
ma seconde mission. Ma profession m’avait fait côtoyer
le monde politique, lors de visites d’État en Russie no- curieux sans barrière,
tamment. Quand on vous fait la proposition de devenir
ministre, c’est une opportunité qui s’ouvre de contribuer
autrement à la marche de la cité.
des chercheurs,
Il y a des moments de la vie où des opportunités se
créent et où vous vous sentez en capacité, en confiance, des astronautes en
et d’autres moments où rien ne vous fait vraiment vibrer,
il faut alors avoir suffisamment de confiance en soi pour
se créer soi-même son opportunité. Quand on ne s’en
puissance. Quand je
sent pas tout à fait capable malgré le désir, et c’est peut-
être plus vrai pour les femmes que pour les hommes, on m’adresse plus tard à
a alors besoin de soutien, d’une main tendue, qui peut
prendre la forme de tutorat, de mentorat, d’entrer dans
un réseau pour surmonter cette période. Par exemple, des lycéennes, je vois
quand j’ai postulé pour devenir la présidente d’Univer-
science, qui regroupe le Palais de la découverte et la
Cité des sciences et de l’industrie, je suis allée dire : « Je
que des blocages se
pense que je peux le faire. » L’envie de réconcilier les
sciences et la culture pour chacun était portée par la sont déjà mis en place »
conviction forte que nous devons tous être des acteurs
éclairés, critiques et responsables dans la société du
XXIe siècle, complexe mais prometteuse. en coopération internationale classique et élargie, avec
les Chinois et les Indiens et d’autres acteurs émergents,
Si on fait un petit bond dans le temps : vous mais aussi avec des entreprises, pas nécessairement du
avez été conseillère auprès du directeur de spatial d’ailleurs, car il faudra construire des habitats, re-
l’ESA jusqu’à l’été 2020, en particulier pour cycler les déchets, utiliser des ressources locales, vivre
le projet du “Moon Village”, le village sur la en grande autonomie énergétique... L’idée est d’arriver
Lune. De quoi s’agit-il ? à embarquer le maximum de contributeurs, de façon à
imaginer cette phase d’expansion de notre humanité.
Avec d’un côté l’arrivée de nouveaux acteurs comme C’est de l’innovation « out of box », et même « out of the
Elon Musk ou Jeff Bezos [les dirigeants de SpaceX et Ama- atmosphere », qui pourra aussi être utile à tout un chacun
zon] qui ont « chamboulé » le paysage traditionnel, et sur Terre.
de l’autre côté, l’objectif ancré de longue date « un jour Il y a en outre beaucoup d’endroits lunaires inexplorés,
sur Mars », nous sommes en train de passer à une autre dont la mystérieuse face cachée. Les impacts des mé-
étape de l’exploration spatiale, de poursuivre le chemin téorites qui y sont tombées sont une archive de notre
de l’humanité. À l’horizon 2040 ou 2050, les missions système solaire. Une archive préservée magnifique à ex-
martiennes sont envisagées, elles dureront un ou deux plorer.
ans et nous n’en avons pas l’expérience, ni les solutions
pour le faire en sécurité. Quel a été votre rôle dans ce projet ?
Entre la Terre et Mars, la Lune est une étape. Nous y
sommes déjà allés de 1969 à 1972, mais pour des missions Je suis une médiatrice. J’ai fait en sorte de mettre autour
Apollo de quelques jours. Le village lunaire, concept pro- de la table des acteurs différents pour donner une im-
posé par le directeur général de l’ESA, envisage des in- pulsion, pour instiller l’idée dans un maximum d’esprits
frastructures permanentes sur cette banlieue de notre et susciter l’adhésion. J’en parle aussi à des jeunes dans
planète. Des séjours longs nous permettraient d’ap- des conférences, pour élever leur regard au-delà de
prendre à y vivre et y travailler. Ce projet doit se penser l’immédiateté du quotidien. Le grand public a aussi be-

27
GRAND ENTRETIEN

« Le village lunaire
envisage des
infrastructures
permanentes sur cette
banlieue de notre
planète. »
Expérience d'apesanteur pour des enfants et adolescent·es handicapé·es
dans le cadre de "Rêve de gosses" en 2017. © ESA/Novespace

soin de dézoomer. Ce projet permet de penser le long parcours, on se dit que le désir d’apprendre
terme, la responsabilité, la globalité, le faire ensemble, a constitué un fil rouge. Qu’est-ce que cela
le pacifique. Configurer l’avenir est moteur et inspirant, vous inspire ?
et l’Europe a bien évidemment une contribution essen-
tielle à apporter dans une vision d’avenir de l’humanité. Il La curiosité doit se créer, s’entretenir, se développer à
s’agit de donner l’envie de se réunir sur un grand projet chaque instant. Elle est essentielle, mais elle ne va pas
pour l’humanité, pour poser un autre regard sur la Terre. se déclencher de la même manière chez tous les enfants,
Ce nouveau regard, c’est ce qu’a apporté l’exploration au-delà des acquisitions fondamentales. L’éducation for-
spatiale. La conscience écologique est née en 1969 lors- melle de l’école doit être accompagnée par l’éducation
qu’on a vu les premières images de la Terre depuis l’es- informelle comme les musées de sciences, le multimédia,
pace. L’avoir vu si belle et si fragile nous a fait prendre les chaînes YouTube, la lecture, les projets expérimentaux
conscience de notre responsabilité. Saurons-nous faire de découverte collective... Tout ce qui permet de semer
mieux demain, ensemble ? les germes de la curiosité. Dans l’éducation aujourd’hui,
on doit accompagner les enfants à faire face à l’incer-
Il y a une forme d’idéalisme. titude, à « apprendre à apprendre » pour entrer avec
confiance sur de nouveaux chemins. Nous sommes dans
L’exploration nous oblige à nous questionner sur la glo- une période d’infobésité. L’éducation au, par et pour le
balité, les biens communs, l’homme face aux technolo- numérique est essentielle. C’est apprendre à distinguer
gies, l’homme face à la nature... La génération Apollo l’information de la connaissance, à se munir de tous les
aurait dit : « L’espace est à nous », « The sky is not the li- outils qui permettront à chacun d’agir en responsabilité
mit ». Aujourd’hui quand j’en parle aux jeunes, ils me font et non pas de subir. Je côtoie régulièrement les platistes
toujours la réflexion : « Mais tout ça coûte très cher et qui me demandent : « Vous qui êtes allée dans l’espace,
arrivera dans bien longtemps alors que nous avons telle- est-ce que la Terre est vraiment ronde ? » On ne me
ment de problèmes ici et aujourd’hui. » Or, l’exploration posait pas cette question il y a vingt ans. La démarche
spatiale nous est utile pour faire progresser notre huma- scientifique est un outil d’émancipation et de liberté. Ap-
nité. Nous vivons dans une « smart society » et j’aimerais prendre à apprendre, c’est savoir faire le tri, avoir du dis-
passer à la « wise society ». Il faut retrouver des éléments cernement, de l’esprit critique, c’est construire de l’intel-
qui vous donnent de la profondeur, de la sagesse, de ligence collective. Un état d’esprit qui va avec la culture
la réflexion. Le village lunaire nous permet de penser le du risque, de l’audace, de l’échec. Notre responsabilité
temps long et de s’ancrer sur des valeurs humanistes. est d’en permettre l’accès à tous, de réduire les inéga-
lités, d’éviter les fractures. Cela passe par le partage, la
Le numéro 3 de Chut ! s’intitule « Va, vis transmission et l’accompagnement, c’était et c’est mon
et apprends ». Quand on regarde votre engagement.

28
« Il faut

GRAND ENTRETIEN
Sa punchline

toujours viser
la lune, car
même en cas
d’échec, on
atterrit dans
Son livre de chevet les étoiles »
« Sept brèves leçons de physique © Napoleon Sarony — Oscar Wilde.
de Carlo Rovelli. Je le relis pour la
cinquième fois, car il raconte cette
physique révolutionnaire du début
du XXe siècle où l’on passe de
Newton au quantique. Je me nourris Son film fétiche
de cette vision du monde où tout
n’est pas blanc ou noir. L’auteur est « 2001 : l’odyssée de l’espace de
physicien et philosophe : une prise Stanley Kubrick. Je croyais à cette vision
de distance fondamentale. J’aime de l’espace la première fois que j’ai vu
aussi les livres de Christian Bobin. le film, mais nous nous n’y sommes pas
Cette phrase dans L’homme-joie m'a encore ! 2001 a été aussi pour moi une
marquée : "J'ai rêvé d'un livre qu'on odyssée de l’espace, mais pas du tout la
ouvrirait comme on pousse la grille même que celle de Stanley Kubrick ! »
d'un jardin abandonné". »

Son lieu « La Lune, évidemment ! » La femme


qui l'inspire
« J’ai un respect
et une admiration
profonde pour
Simone Veil. Elle
a toujours eu la
force de porter des
convictions et de
s’engager, de nous
dire que même
dans des moments
©Nasa

©Archives nationales très noirs, il y a une


néérlandaises espérance. »

29
Va, vis
VA , V I S E T A P P R E N D S

et apprends
Le numérique bouleverse notre rapport aux savoirs.
De 7 à 77 ans, en classe ou hors les murs, il est
plus que temps d’apprendre tout au long de la
vie, au risque de voir les inégalités s’accroître.
Profs branché·es, campus connectés, formations
personnalisées… Partons à la découverte de cette
nouvelle société de la connaissance.

30
31
VA , V I S E T A P P R E N D S

Image. Xoana Herrera


« Partager
VA , V I S E T A P P R E N D S

nos connaissances
dans l'espace
et dans
le temps »
Propos recueillis par
Sylvie Lecherbonnier
Image. chilli drop.

32
VA , V I S E T A P P R E N D S
Ne pas opposer intelligence individuelle,
collective et artificielle, mais les faire coopérer
pour mieux apprendre tout au long de la vie.
Tel est le défi exposé par François Taddei,
chercheur, directeur du Centre de Recherches
Interdisciplinaires et auteur d’Apprendre au
XXIe siècle.

En quoi le numérique change-t- ce que vous avez appris, si vous partagez


il nos manières d’apprendre ? votre code sur une plateforme comme
GitHub ou Scratch, vous allez permettre
On peut apprendre partout et tout le à d’autres de pouvoir utiliser de ce que
temps, au moment où l’on en a besoin. vous avez fait et vous allez vous servir de
Avant, il fallait aller chercher dans les ce qu’ont fait d’autres avant vous. Cette
livres. Si c’était une information assez démarche de partage instantané accé-
nouvelle, elle était dans les journaux, lère la diffusion d’informations et donc la
mais peut-être pas dans notre langue et mise en œuvre de l’intelligence collec-
peut-être pas accessible. Avec le numé- tive, même si ça n’empêche de devoir
rique, on peut aussi accéder aux derniers se protéger aussi de la bêtise collective
travaux de recherche, ce qui aurait fait (les fake news, les foules qui lynchent des
rêver tous les chercheurs des siècles pré- gens sur les réseaux sociaux…).
cédents. Il s’agit d’une accélération for-
midable, qui amène aussi tout un tas de Vous plaidez pour l’émergence
défis comme celui de la désinformation. de tiers lieux, à l’image des
FabLabs, pour développer
Dans ce cadre, comment cette intelligence collective.
les nouvelles technologies Apprendre hors les murs de
peuvent-elles aider à l’institution scolaire, est-ce là
l’intelligence collective que le défi du XXIe siècle ?
vous appelez de vos vœux ?
Les tiers lieux sont des endroits où on ap-
Le numérique permet de garder une trace prend différemment. Richard Elmore, un
et de la partager dans l’espace et dans le chercheur de Harvard, estime dans son
temps. Pour que quelqu’un à l’autre bout Mooc « Leaders of Learning : les pilotes
de la planète puisse se servir d’un travail du changement » qu’il y a deux dimen-
mené localement, il faut le documenter sions principales dans les manières d’ap-
et le partager. Aujourd’hui si vous mettez prendre : est-ce que vous apprenez ce
sur Wikipédia (ou Vikidia pour les enfants) que vous avez choisi ou ce que l’on vous

33
VA , V I S E T A P P R E N D S

QUI EST FRANÇOIS dit d’apprendre ? Est-ce que vous êtes les intelligences individuelle, collective
TA D D E I ? en situation de compétition ou en coo- et artificielle.
pération avec les autres ? J’en ajoute une
Chercheur en biologie troisième : est-ce que vous apprenez des Vous souhaitez l’émergence
et en éducation, choses que d’autres savent déjà ou que d’une société et même d’une
François Taddei a personne n’a appris, comme faire face à planète apprenante. Qu’est-
fondé et dirige le CRI la COVID-19 ou au réchauffement clima- ce qui bloque encore pour y
(Centre de Recherches tique ? arriver ? La formation tout au
Interdisciplinaires). Il Il existe énormément de lieux où l’on ap- long de la vie n’est-elle pas un
milite pour l’innovation prend ce que l’on nous dit d’apprendre et vœu pieu ?
en éducation et il est des lieux où l’on apprend en compétition
l’auteur d’Apprendre avec les autres. Mais on manque encore de On revient à la distinction de Richard El-
au XXIe siècle, paru ces endroits, comme les tiers lieux, où on more : est-ce qu’on apprend ce qu’on a
en 2018 aux éditions apprend avec les autres pour relever ces choisi ou ce qu’on nous dit d’apprendre ?
Calmann-Lévy. défis collectifs. Or, il serait utile que tout Dans la formation initiale comme dans la
le monde y ait accès. Dans les FabLabs, au formation continue, on apprend ce que
printemps, certains se sont ainsi réunis pour l’on nous dit d’apprendre. On donne en
mettre au point de nouveaux respirateurs général assez peu de libertés aux salariés
avec des imprimantes 3D pour répondre à en formation, et cette infantilisation leur
la crise sanitaire. Personne ne sait très bien convient peu. Alors que lorsqu’on de-
comment faire, mais tout le monde s’y met mande aux mêmes personnes ce qu’elles
et partage ses expérimentations. ont appris pour faire face à des défis
professionnels ou personnels, ils ou elles
Que peut apporter ont utilisé le web, ont regardé une vidéo
l’intelligence artificielle (IA) sur YouTube, lu un journal, discuté avec
pour apprendre au XXIe siècle ? un collègue, échangé avec un expert...
Il faut alors distinguer « apprendre tout
Si vous êtes dans des apprentissages au long de la vie » et « formation conti-
obligatoires, les « learning analytics » se nue ». Aujourd’hui, je ne peux pas dire :
développent. L’idée est de savoir ce que « J’apprends plus en tant que lecteur
vous savez déjà en fonction des résultats de journaux que dans une formation
à vos exercices précédents. L’IA peut et donc je voudrais donner l’argent de
alors optimiser le prochain exercice qui mon CPF [Compte personnel de forma-
vous sera donné. Un tas d’entreprises tion, N.D.L.R.] au Monde, à Wikipédia,
investissent dans cette direction. Mais ou même à tel ou tel blogueur. » Et c’est
deux questions se posent : quel respect bien dommage.
pour la vie privée ? Et est-ce que cet ou- Ce qui bloque encore pour aller vers
til est au service de l’apprenant ou de une société apprenante, c’est donc de
Big Brother et des GAFAM [Google Apple décloisonner mais aussi de systémati-
Facebook Amazon Microsoft, N.D.L.R.] ? quement documenter et partager. Nous
Mais l’IA peut aussi servir à catalyser l’in- n’avons pas de service public de l’ap-
telligence collective. Elle peut nous ai- prentissage tout au long de la vie, nous
der à rencontrer des gens qui possèdent n’avons pas de service public du web.
des compétences complémentaires aux Nous avons besoin, non pas de créer un
nôtres pour faire équipe et monter un bureau de la censure, mais de trouver
projet ensemble. Elle peut nous faire des un système de recommandations autre
recommandations quand on explore des que celui destiné au business d’Amazon.
Apprendre au XXIe siècle,
François Taddei, Calmann-Lévy, données inconnues. Le grand défi est de Quand vous arrivez sur une page web,
2018, 400 pages, 19,90 euros. jouer gagnant-gagnant-gagnant entre vous n’avez pas la trace de ce qu’en ont

34
« L’IA peut servir à de formations des élèves, d’équipements des uns et des

VA , V I S E T A P P R E N D S
autres... Un flagrant démenti a aussi été apporté à tous
ceux qui croient que le numérique peut tout remplacer.
catalyser l’intelligence Les meilleurs apprentissages, ce n’est ni le tout numé-
rique ni le tout présentiel, mais des formes hybrides à
consolider ou à inventer.
collective. Elle peut
Quel rôle pour les enseignant·es face à
nous aider à rencontrer cette nouvelle donne ?

Il est clair que l’enseignant n’a plus le monopole de l’ac-


des gens qui possèdent cès à la connaissance, mais il peut montrer la différence
entre une information et une connaissance. Il peut en-
des compétences seigner l’esprit critique, expliquer l’histoire de sa disci-
pline et comment elle a évolué. Car nous n’avons pas
seulement besoin de connaissances, nous avons besoin
complémentaires aux de connaissances sur la connaissance, comment elle se
bâtit, se critique, se démontre et s’infirme. Ce recul aide-

nôtres pour faire équipe ra les élèves à sortir des ornières dans lesquelles les lieux
communs peuvent les enfermer.
Il faut aider les enseignants à développer leur pédagogie
et monter un projet. » et leur réflexivité sur les apprentissages des élèves. Les
profs qui ont relevé le défi de la COVID-19 ont bien vu
que leurs élèves avaient des difficultés qui nécessitaient
une remise en cause de leurs pratiques. Cette crise a aidé
pensé les internautes qui y ont eu accès avant vous. Or, si beaucoup d’entre eux à travailler de manière plus collec-
je cherche une information sur une pathologie médicale, tive, à être plus à l’écoute, à apprendre de leurs élèves
par exemple, j’aurais besoin de savoir ce qu’en pensent qui parfois maîtrisaient mieux certains outils qu’eux-
les patients, mais aussi les médecins et les chercheurs. mêmes, voire à changer de relation avec les parents.
Si le contenu est triplement recommandé par ces diffé-
rentes personnes, il m’intéresse. Une société apprenante peut-elle amener
davantage d’égalité des chances ?
L’utilisation de nos données n’est-elle
pas un des enjeux majeurs de la société Notre société aujourd’hui est une société de compétition
apprenante ? scolaire. Nous avons besoin de beaucoup plus de coo-
pération dans les apprentissages, plutôt que d’ostraciser
La question préalable est : est-ce que ces données servent certains parce qu’ils réussissent moins bien que d’autres.
à vous vendre de la pub, à faire du profilage des services Le défi du coronavirus nous montre par exemple que
secrets ou des assurances ou est-ce qu’elles servent à personne n’a la solution, mais qu’on peut tous coopé-
mieux vous connaître vous-même et à apprendre ? Nous rer pour la trouver. Des études scientifiques ont prouvé
avons besoin de technologies socratiques, du « connais- que lorsque les élèves coopèrent les uns avec les autres,
toi toi-même », du questionnement, de la curiosité, de c’est aussi fructueux pour celui qui transmet – parce
l’exploration. C’est pourquoi nous avons besoin de ser- qu’il consolide son apprentissage –, que pour celui qui
vices publics sur tous ces aspects. apprend. C’est vrai à l’échelle de la classe, mais aussi à
En ce sens, la crise sanitaire a été un réveil abrupt où l’échelle de la planète, via le digital. Si tous les enfants de
chacun a pris conscience des défaillances de l’État, sur France se mettent à collaborer à Vikidia, ses ressources
les masques bien sûr, mais aussi de l’Éducation nationale, seront de meilleure qualité, tout en étant accessibles à
qui n’était absolument pas prête. Il n’y avait pas assez toutes et tous.
de contenus numériques, de formations des enseignants,

35
VA , V I S E T A P P R E N D S

36
VA , V I S E T D E V I E N S
Les technologies permettent de rendre les
apprentissages plus ludiques. Mais peut-on tout
apprendre en jouant, et à tout âge ? Comment
mesurer l’efficacité des « serious games » ?
Des expert·es nous expliquent les règles du jeu.

La démocratisation du numérique offre les prétendus jeux éducatifs est que, soit
un terrain de jeu infini pour les apprentis- ils ne sont pas véritablement éducatifs,
sages. Dans les entreprises comme dans soit ils ne sont pas vraiment fun à jouer.
l’enseignement supérieur, les « serious Voire ni l’un, ni l’autre ».
games » (« jeux sérieux ») ont le vent en Le jeu est avant tout – et doit rester –
poupe depuis plusieurs années. Avec le un divertissement : la finalité est de ga-
confinement dû au coronavirus, ce sont gner, ce qui nous procure du bien-être.
les applis éducatives en tout genre qui Pour qu’il devienne « sérieux », le jeu
ont été propulsées sur le devant de la doit aussi devenir un moyen d’atteindre
scène : Fin Lapin 3 pour découvrir les un objectif utilitaire, que ce soit pour ap-
maths, Syllabique pour apprendre à lire, prendre les couleurs ou à manager une
Conjugo pour conjuguer, etc. équipe. « De la maternelle à la formation
Les jeux vidéo ne sont pas en reste. professionnelle, on peut tout apprendre
Comme le détaille Celia Hodent, doc- par le jeu ! », assure Julian Alvarez, doc-
teure en psychologie, dans son ouvrage teur en sciences de l’information et de la
Dans le cerveau du gamer – Neuro- communication à l’Université de Lille et
sciences et UX dans la conception de président de l’association Ludoscience,
jeux vidéo (Dunod, 2020), « le jeu vidéo laboratoire de R&D dédié à l’étude du jeu
Disponible en podcast, étant l’un des types de jeux les plus po- vidéo et du jeu sérieux. Encore faut-il sa-
avec le soutien d’Epitech. pulaires, il est naturellement considéré voir s’y prendre.
comme un médium très intéressant pour
l’éducation ». Mais la psychologue estime Une soupe à l’oignon
aussi que « déguiser des exercices de pédagogique
maths en les arrosant d’une couche de
Texte. Natacha Lefauconnier jeu vidéo ne sera pas suffisant pour les Avec ses étudiant·es, Julian Alvarez uti-
Image. Xoana Herrera rendre engageants. Le problème avec lise le jeu vidéo Overcooked, où quatre

37
joueur·ses doivent collaborer pour cuisiner et servir des
VA , V I S E T A P P R E N D S

« car les jeux permettent de reproduire plusieurs fois le


soupes à l’oignon et autres plats à des client·es affamé·es. contexte avec des situations différentes ». Ainsi un·e sa-
Pour son objectif pédagogique, il ajoute un·e cinquième larié·e peut rejouer la même séquence de jeu avec un
joueur·se, qui tient le rôle du manager de l’équipe. « La profil de cadre ou d’employé·e, en jouant un homme ou
dimension utilitaire du jeu est de comprendre quelle est une femme, etc. « Le jeu permet alors de se questionner
l’utilité d’un manager dans une entreprise », explique sur des postures », souligne Hélène Michel.
l’enseignant-chercheur. De fait, ce cinquième membre
doit repérer qui dans son équipe est en sous-activité ou Le jeu vidéo, outil d’innovation
en suractivité et réaffecter les tâches en conséquence,
il doit faire preuve d’empathie envers chacun·e et être Autre avantage : les joueur·ses peuvent apprendre les
en capacité de communiquer. Le savoir-être à acquérir : un·es des autres, se transmettre des compétences, voire
trouver la meilleure organisation possible et la meilleure créer de nouvelles connaissances. « Le jeu devient un
occupation de l’espace dans la cuisine pour servir un outil d’innovation », s’enthousiasme la chercheuse gre-
maximum de soupes à l’oignon ! nobloise. Et ça marche ! En 2016, David Baker, professeur
Mais pour maximiser les chances d’atteindre les résul- de biochimie à l’Université de Washington, a lancé sur le
tats escomptés, l’utilisation du jeu doit répondre à cer- web le jeu vidéo Foldit (« Plie-la »), un jeu de pliage de
taines conditions. Selon le chercheur lillois, « on peut protéines. En trois semaines, plus de 50 000 joueurs ont
les encapsuler dans les trois temps pédagogiques de contribué à ce puzzle en 3D, dont l’objectif était d’aider
Nicole Tremblay [docteure en éducation, enseignante à les chercheur·ses à comprendre la structure d’une en-
l’université du Québec, N.D.L.R.] : introduire l’activité et zyme, afin de fabriquer un médicament. Un succès ! Pour
expliquer pourquoi on joue, laisser jouer en vérifiant que la première fois, la communauté des joueur·ses ayant
tout se déroule bien, terminer par un débriefing ». Cette apporté leur contribution intellectuelle a été reconnue
dernière phase est primordiale. Il s’agit de demander aux comme co-autrice de la découverte dans la revue scien-
participant·es leur ressenti pendant l’activité (excitation, tifique anglaise Nature Structural & Molecular Biology.
déception), ce qu’ils pensent avoir appris, si cela peut De plus en plus de jeux vidéo intègrent un volet éduca-
leur être utile, et enfin quelles pistes d’amélioration du tif à leur univers. Comme le raconte Stéphane Cloâtre,
jeu ils recommandent. Ainsi, l’enseignant·e pourra reca- professeur de technologie, dans une vidéo sur YouTube :
drer son activité si nécessaire. « Minecraft est un formidable outil éducatif ! » Il a par
exemple demandé à ses élèves de 6e, avec qui il avait
Un levier : la motivation traité en cours les différents types de matériaux, d’aller
dans Minecraft et de se promener par équipe au bord de
Quel que soit le type de jeu utilisé pour l’apprentis- la mer, en forêt ou à la montagne, chacune devant rap-
sage pédagogique ou professionnel, il faut utiliser des porter des matériaux et les classer dans les quatre caté-
leviers de motivation des joueur·ses pour le rendre en- gories vues en cours. L’une de ses collègues, professeure
gageant. « Les principaux leviers sont la compétition, le de latin, demande à ses élèves de reproduire un forum
dépassement personnel, la collaboration et la curiosité », romain. En voyage à Rome, les latinistes se sont montrés
détaille Hélène Michel, professeure à Grenoble École de beaucoup plus enthousiastes à visiter ce que les autres
management spécialisée dans l’innovation et la gamifi- élèves voyaient comme « des ruines où il ne reste rien ».
cation. « L’idée est de créer un "cercle magique" : c’est
l’endroit où le joueur se sent protégé, différent, où il peut Le plaisir avant tout
explorer de nouveaux savoir-être. Ensuite il faut le faire
revenir vers sa situation professionnelle ou d’élève pour Plus jeunes encore sont les enfants qui passent par les
qu’il puisse réutiliser ces apprentissages. » ateliers de COLORI, réservés aux 3-6 ans, qui s’inspirent
L’enseignante-chercheure confirme, en effet, qu’« on des méthodes de Maria Montessori. Parmi la quarantaine
peut tout apprendre par le jeu », mais que s’agissant d’activités proposées par la start-up, le jeu rigolo « C’est
des connaissances, les « méthodes classiques » font toi le robot » permet à l’enfant d’appréhender des no-
très bien l’affaire. Les serious games, qu’ils utilisent un tions de code grâce à des foulards de couleur (rouge au
support numérique ou pas, sont plus intéressants pour poignet droit, jaune au poignet gauche, vert au pied…).
l’acquisition de compétences ou de comportements, Un enfant donne les instructions (« le code ») grâce aux

38
couleurs, et celui qui joue le robot doit les exécuter. L’ob- dans le jeu », énumère la chercheuse. Il est primordial

VA , V I S E T A P P R E N D S
jectif est d’atteindre une ligne d’arrivée. « L’important est que « les jeux sérieux s’adaptent aux compétences des
que les enfants ne soient pas mis en difficulté. Ils doivent individus, en augmentant progressivement la difficulté
prendre du plaisir. On n’est pas dans une notion de pour qu’ils restent dans ce flow ». Sans oublier la notion
performance académique », énonce Amélia Matar, fon- essentielle de transfert des apprentissages, « c’est-à-dire
datrice et présidente de COLORI. l’extension de ce qui a été appris dans un contexte à un
C’est le même état de plaisir que recherche la méca- autre contexte », rappelle Celia Hodent, condition sine
nique d’un jeu vidéo. « L’objectif est de maintenir le flow, qua none pour que le jeu ne soit pas une « animation
c’est-à-dire cet état de concentration intense d’absorp- rigolote » mais un changement de cognition ou compor-
tion et d’engagement profond dans la tâche », décrypte temental applicable à une autre situation.
Séverine Erhel, maître de conférences en psychologie Bien utilisé et surtout bien encadré, le serious game
cognitive et ergonomie à l’Université Rennes 2. Dans un « crée de l’appétence pour aller acquérir d’autres
jeu vidéo éducatif, on cherche à combiner des buts et connaissances, estime Séverine Erhel. Il peut aussi être
des contraintes pédagogiques avec des challenges du un allié pour mettre en pratique des notions apprises,
jeu, le tout dans un subtil équilibre, pour motiver l’utilisa- mais il ne doit en aucun cas se substituer à l’ensei-
teur·trice. « Il faut aussi proposer des feedbacks, sous la gnant ». À vous de jouer !
forme de scores, de passages de niveaux, des éléments
marquant l’acquisition de compétences pour évoluer

Un « serious game »
pour chaque âge de la vie
5 ans : Bee-Bot. À partir de 14 ans : Tech it!
Une abeille-robot d’éducation programmable adaptée Le principe de ce jeu de rôle développé par Grenoble EM
aux classes de maternelle jusqu’en primaire, offrant un est d’incarner l’un des 20 personnages puis de combiner
support pédagogique notamment pour les professeur·es les cartes objets et les cartes technologies proposées
des écoles (repérage dans l’espace, programmation de pour devenir le ou la meilleur·e inventeur·trice de la
déplacements...). partie.
▶ 86 € sur www.generationrobots.com ▶ 39 € sur www.gemstore.fr

7 ans et plus : Compute it. Ados et adultes : Type:Rider.


Toxicode propose plusieurs jeux pour découvrir les Créé par Arte, ce jeu vidéo pour PlayStation 4 retrace
concepts de base de la programmation. l’histoire de la typographie dans un jeu d’aventure et de
▶ Accès gratuit sur http://compute-it.toxicode.fr puzzle où vous incarnez le caractère « : ».
▶ 7,99 € sur https://store.playstation.com
11-14 ans :
LEGO® Education SPIKE™ Principal.
Pour les établissements : une méthode d’apprentissage
des STIAM (Sciences, Technologie, Ingénierie, Arts et Ma-
thématiques) adaptée aux collégien·nes. Elle combine les
briques LEGO, le langage de programmation Scratch ainsi
qu’un HUB multiports programmable, et a pour objectif
de développer la confiance en soi de chaque élève.
▶ Kit de base à 400 € sur www.lego.com

39
POINT DE VUE

Le point de vue de notre partenaire ILDI

Garder en éveil
nos capacités
d’apprendre
L’alliance des neurosciences
et du digital permet
de renforcer attention,
motivation et mémorisation.
Image. chilli drop.

écouvrir, apprendre, se former, déve- Le monde d’aujourd’hui (qu’on dit VUCA : Volatile, In-

D
lopper et transmettre ses savoirs et certain, Complexe et Ambigu) s’accélère, rend rapide-
ses compétences sont des capacités ment obsolètes nos connaissances et oblige à garder
dont chaque être humain dispose en éveil nos capacités d’apprentissage.
dès sa naissance pour progresser Face aux contraintes de la formation telle qu’elle a
tout au long de la vie. Ces capacités toujours existé, et à cette pression quotidienne pour
d’autodidaxie naturelles redoutable- rester dans la course, les neurosciences et le digital
ment efficaces nous permettre d’apprendre à parler forment un duo qui permet de renforcer les leviers es-
sans même connaître l’existence de la grammaire, ou sentiels à une formation performante : l’attention, la
de maîtriser l’équilibre et la marche sans connaître les motivation et la mémorisation.
lois de la physique.
Votre attention s’il vous plaît !
La formation sous ses formes traditionnelles com-
plète cette autodidaxie par des dispositifs « de L’attention est à la base de tout apprentissage, sans
masse » : des classes de 30 élèves (ou plus), des am- attention, pas de compréhension, pas de mémorisa-
phis de 100 étudiant·es, des salles de stage de vingt tion. Mais pour l’obtenir, il y a un prérequis : en don-
personnes, avec son lot de contraintes : des lieux, ner ! Effectivement, commencez par porter attention
des dates, des programmes et des contenus iden- aux apprenant·es, vous obtiendrez alors leur attention,
tiques pour tout le monde. sans avoir à la réclamer.

40
POINT DE VUE
Pour renforcer l’attention, il existe deux puissants retrouver l’information stockée est une autre affaire.
leviers : Chaque petite information stockée laisse une trace
mémorielle. Avec le temps, si celle-ci n’est pas ren-
⟶ Stimuler plusieurs sens : chacun de nos sens ren- forcée, elle disparaît. Impossible alors de retrouver le
force les autres, alors ajouter un commentaire so- chemin, et donc de se souvenir.
nore à une image rendra celle-ci encore plus per-
cutante. En salle, n’hésitez pas à faire bouger les On a tendance à dire que la pédagogie est l’art de la
apprenant·es : les sensations physiques rendent répétition. Oui et non. Voici quelques clés de la mé-
notre cerveau plus performant. morisation à long terme :
⟶ Utiliser les émotions : les émotions fonctionnent
comme un activateur d’attention, alors soyez créa- ⟶ Répéter oui, mais sous des formes différentes
tif·ves pour les provoquer : racontez une histoire, pour enrichir l’information et multiplier les indices
utilisez un ton décalé, proposez une énigme, faites de récupération de cette information ;
un trait d’humour, utilisez une image choc, etc. ⟶ Associer les informations nouvelles avec les an-
ciennes pour faire se croiser les traces mémo-
On se motive ! rielles et faciliter les souvenirs ;
⟶ Faire restituer l’information à chaud, tiède, et à
Obtenir l’attention est une chose, renforcer la motiva- froid. Et c’est là qu’il faut particulièrement faire
tion en est une autre. En effet, c’est la motivation qui répéter, non pas l’information, mais sa restitution,
va permettre de « tenir » l’ apprenant·e dans la durée. c’est cet exercice de souvenir espacé qui va ren-
Avant de chercher à renforcer la motivation, voyons ce forcer la trace mémorielle et rendre durable l’in-
qui peut la freiner : formation stockée.

⟶ Notre tendance naturelle à nous économiser ; Être attentif·ve, être motivé·e et mémoriser sont les
⟶ Notre aversion au risque de se tromper ou de bases essentielles à la formation. Elle reste cependant
commettre des erreurs ; un processus complexe qui consiste à cloner une par-
⟶ Notre inclination naturelle à éviter les émotions tie du cerveau d’un sachant vers un apprenant. Cer-
négatives ; tain·es ont tenté de réduire les connaissances et les
⟶ Notre capacité attentionnelle limitée. pensées à des données et des principes physiques :
le téléchargement de l’esprit. Ce procédé pourrait
Renversons ces aversions en appuyant sur les leviers fonctionner si tous les cerveaux étaient identiques. Or,
de motivation : c’est ballot, ils sont tous différents.
Combiner l’alignement des formations et nos méca-
⟶ Résoudre des énigmes : pariez sur l’envie des ap- nismes naturels d’apprentissage, avec le potentiel de
prenant·es de trouver des solutions pour les mo- personnalisation et d’individualisation qu’offre le digi-
tiver ; tal, permet de résoudre l’équation de la formation de
⟶ Obtenir des récompenses : et oui, Pavlov avait masse avec l’individualisation de l’apprentissage.
raison : fournir des retours après chaque activité
renforce la motivation ; Philippe Lacroix
⟶ Susciter la curiosité : donnez de la liberté pour
provoquer l’envie de découvrir, explorer ;
⟶ Avoir des surprises : utilisez le décalage, les mé-
taphores, le storytelling... Cela provoque des sur- À P R O P O S D E L'A U T E U R
prises et renforce encore la motivation.
Philippe Lacroix est cofondateur avec Philippe Gil
Mémoriser n’est pas se souvenir du cabinet de conseil en stratégie de formation ILDI
(il-di.com). Avec Nadia Medjad, fondatrice de Neuro-
Bien, vous avez l’attention et la motivation, il ne reste Echology (medjad.com), ils ont coécrit Neurolearning
plus qu’à mémoriser. Et non, pas tout à fait. Car mémo- (Eyrolles, 2016), qui présente plus largement les
riser, nous en sommes tous et toutes capables. Mais notions exposées dans cette tribune.

41
VA , V I S E T A P P R E N D S

42
VA , V I S E T A P P R E N D S
L’IA pour personnaliser
les apprentissages

Utiliser l’intelligence artificielle pour permettre


un apprentissage plus fluide, personnel
et approfondi. C’est le pari de jeunes entreprises
françaises qui espèrent contribuer à réduire
les inégalités par ce biais. Mais attention
à mettre en place les garde-fous nécessaires.

Aurélia Onyszko-Leclaire est institutrice permet de mieux prononcer les sons, sa-
dans l’Est de la France. Depuis quatre chant que leurs parents ne peuvent pas
ans, elle n’apprend plus la lecture de la les aider à le faire à la maison », précise-
même façon à ses CP : elle utilise Lalilo, t-elle.
une solution numérique permettant via
l’intelligence artificielle de personnaliser Reconnaissance vocale
l’apprentissage de la lecture. « C’est un et adaptive learning
bon complément pour la lecture et la
phonologie, les élèves l’utilisent en classe Cette solution d’apprentissage intelli-
sur tablette et ordinateur, en autonomie. gente de la lecture vise la personnalisa-
L’avantage : je peux programmer les le- tion. « L’idée est de s’adapter à chacun :
Disponible en podcast, çons individuellement pour chaque en- grâce à l’adaptive learning, nous aug-
avec le soutien d’Epitech. fant, le ou la faire travailler sur un son mentons le temps de lecture à voix haute
sur lequel il ou elle bute, par exemple », dans la classe, ce qui est compliqué avec
détaille l’enseignante. Un avantage, sur- vingt élèves et un seul professeur. Via une
tout pour les plus en difficulté. « L’appli- technologie de reconnaissance vocale,
cation permet un vrai progrès pour les nous offrons un retour à l’enfant, s’il pro-
Texte. Laura Makary élèves dont les parents ne maîtrisent pas nonce une lettre muette par exemple », ex-
Image. Ollie Hirst la langue française. Elle les motive et leur plique Laurent Jolie, cofondateur de Lalilo.

43
L’outil pose aussi des questions à l’élève,
VA , V I S E T A P P R E N D S

corrélations, un optimum, pour obtenir


pour vérifier qu’il ou elle comprend bien la meilleure façon de faire apprendre le
le sens du texte lu. cours à la personne », souligne-t-il. Les
Le défi est de taille : un·e jeune Fran- chiffres avancés par l’entreprise sont élo-
çais·e sur cinq arriverait au collège avec quents : sur un panel classique d’appre-
un niveau de lecture insuffisant. « Celles nant·es, 80 % n’ont pas mémorisé les trois
et ceux qui n’ont pas le soutien suffisant quarts des éléments stratégiques donnés,
peuvent se retrouver bloqués, ce qui aura une semaine après la formation. « Et avec
un impact sur la suite de leur scolarité. notre solution, 93 % des personnes réus-
Notre outil se veut complémentaire de sissent le test. »
la pédagogie du professeur. La différen- Comment cela fonctionne-t-il ? Le système
ciation, grâce à l’intelligence artificielle, analyse les difficultés et insiste dessus.
permet de progresser et ainsi de réduire « L’utilisateur s’en rend à peine compte.
les inégalités », estime Laurent Jolie. Pour que la mémorisation se fasse, il faut
C’est justement l’une des raisons qui être actif, rester dans le questionnement.
poussent le ministère de l’Éducation na- Si l’on regarde passivement une vidéo,
tionale à autoriser ces solutions dans les cela ne crée pas de mémorisation. Il faut
salles de classe. « Elles permettent en enchaîner les questionnements pour dé-
effet de mieux cibler les spécificités de tecter ce que l’on a ou non compris. Le
chaque élève, et donc d’aider ceux en système va se caler en s’affinant en per-
difficulté. Cela réduit les inégalités au manence et ainsi permettre à l’apprenant
sein d’une classe : le très bon pourra de progresser le plus vite possible », dé-
poursuivre sa courbe d’apprentissage, clare-t-il. Une solution reconnue : Woo-
tandis que le moins bon ne sera pas dé- noz travaille avec 3 000 établissements
valorisé et pourra continuer à progres- scolaires, mais aussi 1 000 entreprises qui
ser », assure Jean-Marc Merriaux, direc- appliquent ces techniques à la formation
LE CHARABIA teur du numérique pour l’éducation des continue de leurs salarié·es.
DU WEB ministères de l’Éducation nationale et de Autre jeune pousse spécialisée dans
l’Enseignement supérieur. Il conçoit ces la personnalisation de l’apprentissage
Adaptive outils comme une aide pour l’enseignant grâce à l’intelligence artificielle : Evi-
learning dans sa pratique pédagogique. denceB. Son objectif : s’adapter à l’ap-
prenant·e, pour, encore une fois, lui
L’adaptive learning Chacun son rythme pour permettre de progresser à son rythme.
ou apprentissage apprendre « Notre solution est un site sur lequel l’en-
adaptatif permet fant va d’abord s’identifier. Il aura un test
d’ajuster la formation Cette personnalisation est efficace. C’est d’une quinzaine de questions, puis des
au niveau de l’élève l’argument de Woonoz, qui a créé le exercices, énoncés, interactions. En fonc-
ou de l’apprenant·e, « Projet Voltaire » pour améliorer l’ortho- tion de sa rapidité, de son mode de com-
le plus souvent grâce graphe de ses apprenant·es, quel que soit préhension, il aura accès à des exercices
à l’intelligence artificielle leur âge. Et pour mieux apprendre, selon personnalisés. S’ils sont trop simples, il
et au big data. Fabrice Cohen, son cofondateur, la répé- s’ennuiera, et il butera s’ils sont trop dif-
tition, essentielle à la mémoire, doit être ficiles. Or, l’objectif est d’avancer sans se
Autrement dit : individualisée. « On ne mémorise pas les décourager. Résultat : aucun parcours
C’est comme un choses de la même façon que son voisin, d’élève ne sera le même. Grâce aux in-
pantalon qui s’adapte l’un va relire son cours trois fois pour le formations récoltées, nous allons conti-
en permanence à retenir, l’autre une fois et le connaît d’em- nuer d’enrichir ce moteur pour ajuster ce
la morphologie de blée. Les rythmes de répétition doivent qui sera approprié pour l’enfant », com-
la personne qui le être différents d’une personne à l’autre. mente Thierry de Vulpillières, directeur
porte. Pratique ! L’intelligence artificielle va trouver des général d’EvidenceB.

44
« Ces technologies réduisent les inégalités

VA , V I S E T A P P R E N D S
au sein d’une classe : le très bon pourra
poursuivre sa courbe d’apprentissage, tandis
que le moins bon ne sera pas dévalorisé et
pourra continuer à progresser. »
Jean-Marc Merriaux, directeur du numérique pour l’éducation

Des données personnelles à protéger un assistant personnel d’apprentissage grâce à l’intelli-


gence artificielle, pour rassembler des contenus et res-
L’utilisation de l’intelligence artificielle dans l’apprentis- sources, afin de continuer d’apprendre tout au long de
sage, a fortiori dans les salles de classe, demande néan- la vie. À l’image de Netflix ou Spotify, un algorithme est
moins de la vigilance. À l’heure où 93 % des Français·es présent pour proposer de nouveaux contenus à l’appre-
estiment que leurs données personnelles devraient être nant·e. « L’apprentissage fonctionne lorsque vous sou-
davantage protégées (sondage OpinionWay de 2019), haitez progresser dans un domaine, que vous ressentez
certain·es s’inquiètent de voir les outils numériques dé- une émotion positive vis-à-vis de ce que l’on vous pro-
barquer dans les salles de classe. « Les données sont pose, selon vos centres d’intérêt. Le biais à éviter : se
anonymisées, mais nous avons aussi besoin, pour aider concentrer uniquement sur le domaine que vous appré-
l’enfant, de le reconnaître, même de façon anonyme, ciez et vous enfermer. Or, l’idée est aussi d’aider la per-
afin de lui envoyer les exercices qui lui correspondent. sonne à s’ouvrir à de nouveaux domaines. Nous allions
Cela peut être fait sur des séquences courtes, et non sur l’algorithme à la recommandation entre pairs, dans des
des années entières », explique Thierry de Vulpillières. groupes de confiance », précise Gilles Chételat, le fon-
Le ministère de l’Éducation nationale porte une atten- dateur. Les ami·es et contacts suggèrent des contenus à
tion accrue à ce sujet : « Nous devons offrir un cadre de l’utilisateur·trice, ce que l’algorithme prendra en compte,
confiance : la donnée doit rester dans un cadre pédago- évitant ainsi l’enfermement dans une bulle.
gique et ne peut être utilisée à d’autres fins. Il s’agit de Dernier garde-fou, qu’une machine aura du mal à saisir :
données de mineurs, il est de notre devoir de les proté- « Il faut aussi voir si l’élève est heureux d’apprendre à
ger », ajoute Jean-Marc Merriaux. Un comité d’éthique de lire. Sinon, l’école ne l’intéressera plus. Une machine,
la donnée d’éducation vient justement d’être créé, pour même perfectionnée, ne s’en rendra pas forcément
donner des recommandations sur ce sujet délicat. compte », pointe Laurent Jolie, confondateur de la start-
up Lalilo. L’enseignant·e reste donc central·e dans la salle
Ne pas enfermer l'apprenant·e de classe comme dans la formation continue, soutenu·e
par ces nouvelles technologies. Aurélia, la maîtresse de
Autre point de vigilance : ne pas enfermer l’apprenant·e. CP, l’a bien compris : la tablette, oui, mais ce sera quinze
La start-up Clind, qui vient de lever deux millions d’euros, minutes par séance, et pas plus.
en fait l’expérience. Sa solution : offrir à l’utilisateur·trice

45
«Le numérique
VA , V I S E T A P P R E N D S

pour la forme,
la pédagogie
pour le fond»

46
VA , V I S E T A P P R E N D S
Anthropologue des usages numériques,
Pascal Plantard analyse comment
les enseignant·es utilisent le numérique.
Selon lui, les trois quarts des professeur·es
ont des pratiques minimalistes, mais la crise
sanitaire fait bouger les lignes.

Que nous apprend votre breton à l’idéal de l’école républicaine,


enquête, réalisée avant le ainsi qu’une tradition d’académie de la
confinement, sur les pratiques réussite. Ce n’est donc pas le reflet de la
numériques des enseignant·es situation qui peut exister ailleurs, dans les
de la maternelle au lycée en quartiers nord de Marseille, par exemple.
Bretagne ?  En France, je pense que ce sont plutôt les
trois quarts des enseignants qui ont des
Une enquête ouverte, menée en ligne, en pratiques minimalistes. Espace numé-
décembre 2019 et janvier 2020, nous a rique de travail, tableau blanc numérique
permis de récolter un millier de retours qui se trouve dans la classe : une large
d’expérience. Les publications vont arri- majorité de professeurs utilisent ce que
ver courant de l’année prochaine, mais l’environnement leur propose sans choi-
de grandes tendances se dessinent déjà, sir telle ou telle technologie numérique.
qui permettent de catégoriser les ensei-
gnants. Une moitié d’entre eux possèdent Est-ce que les enseignant·es
des pratiques numériques minimalistes. étaient prêt·es pour assurer
Un quart est acculturé au numérique, une continuité pédagogique
donc très à l’aise avec les technologies. très numérique ? 
Un quart n’est pas usager des technolo-
gies numériques. Il y a, notamment chez Pour bon nombre d’enseignants, la
ces derniers, la peur de perdre ce qui préoccupation principale était de ne
reste du statut d’enseignant détenteur pas perdre leurs élèves pendant cette
du savoir. période. Ceux qui avaient de petits
usages du numérique ont pu utiliser
En quoi consistent ces différentes technologies, grâce à l’aide
pratiques minimalistes d’une de chefs d’établissement, de collègues,
majorité de professeur·es ?  ou même de proches, pour maintenir
Propos recueillis par ce lien. Une large solidarité s’est mise
Isabelle Maradan D’abord, il faut préciser que nos données en place. La formation de pair à pair, le
Image. chilli drop. sont bretonnes et qu’il y a un attachement collègue plus chevronné qui donne un

47
coup de main, la coformation, ont per-
VA , V I S E T A P P R E N D S

QUI EST PASCAL de vraies classes. Entrer dans le codesign


PLANTARD ? mis de bricoler en équipe. de solutions. Faire de la médiation numé-
Le confinement nous a fait basculer dans rique, dans la tradition de l’éducation po-
Professeur des le XXIe siècle ! Des enseignants se sont pulaire. Tout cela contribuera à redonner
universités en sciences révélés pendant cette période, comme du sens à des usages numériques recon-
de l’éducation, cette professeure des écoles qui a créé nectés avec l’environnement contempo-
codirecteur du réseau la chaîne YouTube « La maîtresse part en rain. Ce qu’on appelle les « outils numé-
francophone de live ». Lorsqu’un enseignant s’autorise à riques » ne sont pas des outils comme les
recherche sur les usages rentrer dans le monde réel des jeunes, autres. Ils sont ancrés dans un environne-
des technologies dans leurs pratiques privées, dans leurs ment social et culturel. Il me semble donc
numériques, le GIS univers culturels, en détournant l’usage très important que toutes les disciplines
(Groupement d’Intérêt de la plateforme de discussion Discord, qui s’intéressent à l’éducation et aux
Scientifique) par exemple, pour travailler avec ses usages des technologies puissent témoi-
M@rsouin, Pascal élèves, il fait ce que l’on appelle du bra- gner et être entendues lors des états gé-
Plantard travaille sur les connage. Le braconnage est un proces- néraux du numérique éducatif [organisés
questions d’e-éducation sus central dans les usages que les ensei- par le ministère de l’Éducation nationale
ou d’e-inclusion dans gnants font du numérique. Des lycéens, les 4 et 5 novembre 2020 à Poitiers].
une perspective appartenant par ailleurs à des commu-
anthropologique. nautés de gamers, ont « appris Discord » Des enseignant·es rejettent-ils
à des profs, qui l’ont intégré pour faire tout simplement les nouvelles
des visios. Cela suppose de sortir de la technologies ?
posture classique du professeur.
Le problème, c’est que le braconnage Chez les enseignants se joue quelque
LE CHARABIA ne passe pas dans l’Éducation nationale. chose de plus complexe qu’un rejet des
DU WEB L’usage de Discord a ainsi très vite été li- technologies. Ils réagissent notamment à
mité, au détriment de la compréhension une vision solutionniste et technocentrée
Discord du processus d’appropriation par les en- des technologies numériques. Quand
seignants. L’institution n’est pas capable une technologie arrive, elle est remplie
Ce site de discussion de soutenir ce type de démarche qui se d’imaginaire et survalorisée. Une bonne
à l’écrit et à l’oral, du situe au plus près de l’interaction avec les partie des idéologies qui circulent sur
même type que Slack, familles. Très loin des lourdeurs adminis- les questions numériques sont mises en
a d’abord été utilisé tratives et hiérarchiques... scène par le marketing, les médias. Il
par les communautés faut se placer du point de vue de l’an-
de joueur·ses de Comment le ministère de thropologie culturelle. Dans les familles
jeux vidéo avant de l’Éducation nationale peut-il populaires, le courrier électronique vient
connaître une utilisation favoriser cette appropriation seulement d’arriver avec la dématéria-
plus large : militant·es des outils numériques ?  lisation. Pour elles, il est surtout un ins-
de partis politiques trument de contrôle, lié à l’administratif
et associatifs, et, Il doit sortir du centrage sur l’apprentis- et à des problèmes d’accès aux droits. Si
depuis le confinement, sage s’il veut qu’une vraie bascule ait lieu, un personnel de direction les convoque
enseignant·es et élèves. comme dans les pays nordiques il y a une par ce biais, cela aura une connotation
dizaine d’années. Cela revient à mettre négative. Il faut donc observer ce que
Autrement dit : l’élève au centre du système, au centre font les familles, les usagers, avant de
Loin de semer la de l’apprentissage. Il est important de massifier un usage. Entre celui qui a, celui
zizanie, Discord permet partir de ce que font les enseignants. Les qui n’a pas, et la manière dont on utilise
de se connecter à sa soutenir, les aider, les accompagner. Il telle ou telle technologie numérique, des
communauté, que faut hybrider l’environnement tech avec normes et des inégalités se créent par les
ce soit pour jouer la pédagogie. Expérimenter, avec de usages. Quant aux edtech, elles ne seront
ou pour travailler. vrais enseignants, de vrais élèves dans capables d’avoir un effet que lorsqu’elles

48
VA , V I S E T A P P R E N D S
seront coconstruites avec les usagers. Il faut cesser de vronné·e, à l’aise, avec dix ans d’expérience, et il ou elle
croire qu’on va révolutionner la pédagogie dans les bu- va se préoccuper du décrochage de ces élèves. Quand
reaux d’une start-up ! cela ne marche pas, les professeurs savent rebondir dans
l’interaction. En devenant numériques, les processus de
Faut-il compter sur une « génération Y » communication et d’apprentissage n’ont pas changé sur
de professeur·es pour enseigner avec les le fond mais sur la forme. La pédagogie est l’art du brico-
technologies numériques ? lage. Dans les coopératives pédagogiques numériques de
Bretagne, ces lieux ouverts aux enseignants pour échan-
Il n’y a pas de fracture générationnelle, mais autant de dif- ger, concevoir de la pédagogie, coopérer et découvrir du
férences d’usage dans une classe d’âge qu’entre généra- matériel numérique et innovant, on voit des enseignants
tions ! Les jeunes qui entrent à l’Inspé - l’Institut national de 35-45 ans, et d’autres, brillantissimes, qui sont à deux
supérieur du professorat et de l’éducation, où sont formés doigts de la retraite. Leurs expérimentations vont de l’ac-
les enseignants –, vont plutôt intégrer la forme scolaire cessibilité (handicap, troubles de l'apprentissage...) à la
classique, où il n’y a pas de place pour l’innovation et les collaboration en classe (avec des cartes mentales ou des
nouvelles technologies. Je pense à des étudiants gamers, clouds pédagogiques...), en passant par l'évaluation avec
qui vont peut-être penser révolutionner la façon d’ensei- le numérique.
gner avec le jeu vidéo et qui, une fois profs, n’en font rien.
L’enseignant ou l’enseignante qui innove est plutôt che-

Les profs en mode test


La géographie version augmentée d’anglais au collège Léonard-de-Vinci à Saint-Brieuc (22)
a choisi un modèle de grand bureau pour le regroupe-
Professeure d’histoire-géographie et référente numé- ment, et de petits bureaux permettant à ses élèves de
rique du collège de Lavans-lès-Saint-Claude, dans le 4e d’aller faire des activités en groupes. « Les élèves sont
Jura, Géraldine Duboz est membre du groupe numérique représentés par des capsules, et lorsque l’un d’eux se
« Histoire-géographie » de l’académie de Dijon depuis rapproche d’autres capsules, il entend plus nettement le
vingt ans. « Pour la géographie, il y a vraiment un avant son des élèves les plus proches de la sienne », détaille-t-
et un après Internet, assure-t-elle. Avant, on avait une ou elle. L’enseignante leur a notamment proposé de recons-
deux photos de villes ou de paysages dans les manuels. tituer un dialogue à partir d’un extrait de livre en anglais.
Maintenant, avec Google Street View, on peut aller voir Régine Ballonad-Berthois prévoit désormais de pérenni-
et comparer différents lieux dans le monde entier. » ser cet espace pour en faire « un lieu d’entraînement ».
Dans sa classe, elle utilise les iPad fournis en 2014 par
le Conseil général pour faire produire, par exemple, une L’oral de français en replay
frise chronologique par ses él èves, un Padlet (mur vir-
tuel collaboratif) sur lequel ils peuvent regrouper divers Le numérique offre l’opportunité de faire travailler l’oral
documents multimédias, un outil de mise en page et de en dehors du temps de parole individuel, très limité en
graphisme pour réaliser un dépliant sur « New York, ville classe. Françoise Cahen, professeure de lettres au lycée
monde » ou encore des capsules vidéo, dans lesquelles Maximilien-Perret d’Alfortville (94), propose à ses élèves
les élèves commentent des documents. de première d’enregistrer des commentaires linéaires
des textes au programme de l’épreuve orale du bac. Ils
L’anglais en classe virtuelle utilisent Vocaroo, site qui permet à chacun·e de créer son
fichier audio et d’en partager le lien avec l’enseignante.
Pendant le confinement, Régine Ballonad-Berthois a dû « Quand ils se réécoutent, ils se rendent très bien compte
créer une classe virtuelle en 3D sur Frame VR. Parmi les des moments où ils ne sont pas très expressifs, voire en-
modèles de mondes virtuels proposés, cette professeure nuyeux. C’est très formateur pour eux », confie-t-elle.

49
VA , V I S E T A P P R E N D S

50
VA , V I S E T A P P R E N D S
De Nevers à Carcassonne, des campus
connectés ont vu le jour depuis un an dans le
but de réduire les inégalités géographiques
d’accès à l’enseignement supérieur. Une
nouvelle manière d’apprendre sans la force du
collectif mais avec un suivi individuel renforcé.
Après deux ans de licence en sciences Treize villes de taille moyenne - Autun,
de l’éducation à l’Institut national supé- Bar-le-Duc, Cahors, Carcassonne, Chau-
rieur du professorat de l’éducation de mont, Le Vigan, Lons-le-Saunier, Mon-
Nevers, Camille Balleret, 20 ans, a dû tereau-Fault-Yonne, Privas, Redon, Saint-
changer ses plans pour la rentrée 2019. Brieuc, Saint-Raphaël, et donc Nevers
La troisième année de sa formation n’a - ont expérimenté la labellisation « cam-
pas ouvert dans l’établissement, et deux pus connecté ». Une centaine de lieux
choix se sont présentés à elle : soit elle devraient être labellisés d’ici à la rentrée
poursuivait ses études à l’université de 2022, dont une vingtaine de nouveaux
Bourgogne, à Dijon, soit elle optait pour espaces dès septembre 2020.
la formation à distance, en restant dans Le plus souvent pris en charge par des
la Nièvre. « J’ai beaucoup hésité mais collectivités ou des associations, elles-
Disponible en podcast, Dijon est mal desservi depuis Nevers, la mêmes aidées par des universités parte-
avec le soutien d’Epitech. route est compliquée et, en train, on en naires, ces tiers lieux prennent des formes
a pour deux heures et demie. Cela fai- différentes. Quatre jours par semaine, Ca-
sait des frais pour seulement quelques mille se rendait dans un espace réservé
mois », explique la jeune étudiante. Elle a de 140 m² au sein de l’Inkub, un incuba-
finalement préféré une solution intermé- teur de start-up créé dans une ancienne
Texte. Eva Mignot diaire en rejoignant le campus connecté caserne rénovée. Dans une première
Image. Maïté Franchi de Nevers. salle, les élèves utilisent des tables et des

51
fauteuils à roulettes qu’ils peuvent facile- tion avec un job, la proportion apparaît
VA , V I S E T A P P R E N D S

ment déplacer ou s’assoient devant une encore plus importante sur les campus
table haute dans l’esprit bar. Ils peuvent connectés. À Carcassonne, on en comp-
amener leur propre ordinateur ou s’en tabilise un tiers.
faire prêter un dès le début de l’année Quand les élèves en présentiel sont obli-
par le campus. Un espace détente, équi- gé·es de s’adapter à l’emploi du temps
pé d’un canapé, d’un baby-foot et de de leur formation au risque d’arriver
poufs géants leur est aussi consacré. Une totalement épuisé·es en cours, les ap-
autre salle est dédiée aux ateliers col- prenant·es de ces nouvelles structures
lectifs. À Bar-le-Duc (Meuse), le campus construisent individuellement le leur.
connecté s’est installé dans une classe « Quand ils travaillent à McDo tard le soir,
du lycée Raymond-Poincaré. Les effectifs nous ne les faisons pas venir à 8 heures le
varient en fonction de chaque lieu : ils matin. On peut avoir cette souplesse-là »,
étaient trois étudiant·es à dans l’espace explique Mathilde Cotini, directrice du
mosan, dix-neuf à Nevers. Le nombre de campus d’Autun. Si un minimum de douze
places doit augmenter au fur et à mesure heures de présence est requis, les étu-
des années. diant·es peuvent s’y rendre quand ils le
Ces tiers lieux ont un seul et même objec- souhaitent, sur les horaires d’ouverture
tif : réduire les inégalités géographiques des campus. Des plages horaires peuvent
et économiques d’accès à l’enseigne- cependant leur être imposées en fonc-
ment supérieur. Des jeunes éloigné·es des tion des impératifs des tuteur·trices.
grands centres universitaires disposent La façon d’appréhender les études n’est
tout au long de l’année d’un espace pour donc plus la même. Cet enseignement à
suivre leur licence, leur master, leur DUT distance laisse plus de liberté. « Je suis
(diplôme universitaire de technologie) ou quelqu’un de très organisé de base.
leur BTS (brevet de technicien supérieur) Je recevais mes cours chaque mois, je
à distance, que leur formation soit pro- me créais un planning en prenant en
LE CHARABIA posée par une université, un lycée ou le compte les devoirs, les contrôles conti-
DU WEB CNED (Centre National d’Enseignement nus, les dossiers à rendre et des épreuves
à Distance). Ils peuvent aussi bénéficier écrites de fin d’année », explique l’étu-
au quotidien des conseils de coachs, au diante Camille Balleret. Finalement, pour
Synchrone / nombre d’un pour dix élèves, généra- Nadia Jacoby, ancienne vice-présidente
Asynchrone lement fonctionnaire territorial, forma- numérique à l’Université Paris 1 Pan-
La formation teur·trice ou enseignant·e, capable de les théon-Sorbonne, aujourd’hui fondatrice
à distance distingue aider sur le plan méthodologique. de l’agence Simone et les Robots, « les
les moments synchrones premières années de licence demandent
(où l’étudiant·e et Aménager son emploi du aux étudiants d’apprendre à se débrouil-
l’enseignant·e sont réunis temps ler, à se repérer. La formation à distance
en même temps) des exacerbe encore davantage cela ».
moments asynchrones Ces tiers lieux regroupent des profils di-
(où l’étudiant·e vers : étudiant·es ne pouvant pas se lo- Apprendre sans les profs
apprend seul·e). ger sur un campus universitaire, jeunes
en situation de handicap ou gravement Le campus connecté et l’enseignement à
Autrement dit : malades, ayant besoin d’une assistance distance numérique changent aussi radi-
Synchrone, c’est quand au quotidien, bacheliers refusés de leurs calement la manière d’apprendre. Alors
tu regardes Top Chef vœux Parcoursup... Une grande partie que le numérique et les réseaux sociaux
en direct. Asynchrone, d’entre eux travaillent à côté de leurs favorisent l’instantanéité, la formation à
c’est quand tu préfères études. Si, selon l’Insee, près d’un quart distance entraîne paradoxalement une
le visionner en replay. des étudiant·es couplent leur forma- certaine asynchronie.

52
« Les premières années

VA , V I S E T A P P R E N D S
Quand il suffit de lever la main dans une salle de classe
pour obtenir une réponse à une question, les étudiant·es
en formation à distance doivent attendre plusieurs
heures, voire plusieurs jours, avant d’en recevoir une par
e-mail ou sur la plateforme dédiée aux échanges. « Avec
de licence demandent
la licence de psychologie de l’université Paris 8, il faut
être très patient. Certains professeurs ne répondent pas aux étudiants
forcément tout de suite. D’autres pas du tout. Cepen-
dant, il y a une certaine entraide des étudiants. Nous
passons par des forums et il y a toujours quelqu’un pour
d’apprendre à se
répondre à nos questions ou pour envoyer une vidéo qui
peut nous aider à comprendre », raconte Camille Gillot, débrouiller, à se repérer.
élève au campus de Chaumont.
Les étudiant·es font donc leurs recherches sur Internet
pour trouver des réponses ou aller plus loin que le cours.
La formation à distance
« Dans un tel contexte, nous devons les sensibiliser à l’es-
prit critique pour leur permettre de prendre du recul sur
ce qu’ils lisent, de vérifier la véracité et l’objectivité des
exacerbe encore
propos et d’apprendre à discerner le vrai du faux ou en-
core d’aller à la source », explique Valérie Campillo, maî- davantage cela. »
tresse de conférences et chargée de mission numérique
à Aix-Marseille Université.
Nadia Jacoby, fondatrice de l'agence
Peu de travaux en groupe mais des ateliers Simone et les Robots
collectifs

Néanmoins, à distance, l’apprentissage se fait de manière


d’autant plus autonome que peu de travaux de groupe pour le dire. Mais Camille Balleret dresse déjà un bilan
sont proposés. « Malgré l’existence d’outils de travail col- mitigé. « Nous ne connaissons pas autant les attendus
laboratifs permettant aux étudiants de coconstruire des des professeurs sur les devoirs. À l’écrit, il y a très peu de
documents et des projets, il paraît difficile pour ces der- consignes, c’est souvent flou, explique-t-elle. Mais nous
niers de réaliser un travail entièrement à distance, sans avons un avantage non négligeable : nous sommes en-
se mettre au préalable ensemble autour d’une table », cadrés et nous bénéficions d’un suivi individuel. »
explique Valérie Campillo. « Travailler à distance avec Avec la crainte d’une deuxième vague d’épidémie de
d’autres est très compliqué, confirme Camille Balleret. On coronavirus à l’automne, le campus connecté pourrait
doit se débrouiller pour trouver des personnes avec qui se apparaître comme une opportunité. D’autant plus que le
mettre en groupe. Cela reste une grande perte de temps. » confinement a révélé encore davantage la fracture numé-
Les campus connectés cherchent à compenser l’isole- rique dans la population estudiantine. « À l’Université de
ment propre à l’enseignement à distance. Même si les Bourgogne, nous avons organisé du prêt et du don maté-
étudiants suivent des formations très différentes, ils se riel. Nous avons distribué 320 PC ou Ipad, mais ce n’était
retrouvent régulièrement pour discuter voire s’entraider. pas suffisant. J’avais encore une liste de 80 étudiants
Surtout, ils assistent à des ateliers collectifs dans les lo- en attente », raconte Alexandre Fournier, vice-président
caux organisés par les coachs ou des intervenant·es ex- en charge du numérique. Par le matériel mis à disposi-
térieur·es sur des thématiques transversales qui prennent tion et la connexion au wifi facilitée, le campus connecté
la forme de débats, de conversations en anglais ou en- pourrait en partie pallier ce problème. Mais compte tenu
core de formations pour construire son C.V. ou aider à la des faibles effectifs qu’il rassemble, il ne pourra à lui seul
recherche de stage. porter l’enseignement supérieur.
Ces étudiant·es ont-ils les mêmes chances de réussir que
leurs camarades en présentiel ? Il est trop tôt encore

53
VA , V I S E T A P P R E N D S

54
Ces professions

VA , V I S E T A P P R E N D S
qui se forment
tout au long de la vie
Simulation, webinar, colloque ou module
en ligne, tous les moyens sont bons pour
approfondir ses connaissances. Certains métiers
ont déjà pris l’habitude d’utiliser les outils
numériques en ce sens.

Il n’a jamais été aussi facile de se for- des cursus liés aux « soft skills », les com-
mer. En quelques clics, des milliers de pétences comportementales comme l’in-
modules, de cours et de contenus sont telligence émotionnelle, le management,
disponibles et permettent d’apprendre ou encore la résilience. Quelques métiers
de nouvelles compétences profession- sont déjà en première ligne dans cette
nelles. « Le numérique offre une accessi- volonté de formation permanente. En
bilité 24 h/24, 7 j/7, sur n’importe quelle voici trois, mus par la nécessité de rester
thématique. Cet outil hyper puissant à la page.
accélère la possibilité de se former tout
au long de la vie », se réjouit Charlène Développeur·se : rester à la
Friang, instructional design manager pointe
pour OpenClassrooms. Dans son ca-
talogue, ce sont les cours liés au code, « Entre le moment où j’ai décidé de de-
aux technologies de l’information et à la venir développeuse, il y a vingt ans, et
data qui fonctionnent le mieux. « Nous aujourd’hui, les technologies ont totale-
Disponible en podcast, voyons aussi émerger tous les métiers ment changé. » Voilà qui a le mérite d’être
avec le soutien d’Epitech. traditionnels transformés par le numé- clair. Aurélie Guillaume est responsable
rique : marketing, comptabilité, RH… du pôle développement web de la plate-
Face à l’obsolescence des compétences forme Creads. Malgré des années d’ex-
techniques, il est nécessaire de continuer périence, elle continue assidûment de se
à apprendre », pointe-t-elle. Les cata- former en ligne, pour s’assurer de rester
Texte. Laura Makary logues en ligne développent de plus en à la pointe des nouvelles technologies.
Image. Aurélien Jeanney plus, à côté des formations techniques, « Pour moi, cela passe principalement

55
Air France, la consigne est prise au sé-
VA , V I S E T A P P R E N D S

par des conférences vidéo et des articles


techniques. La majorité des colloques rieux. « Chaque pilote doit suivre deux
enregistrent leurs conférenciers, sur des séances de simulateur tous les six mois.
sujets qui peuvent aller du généraliste Les scenarii de vols au simulateur sont
au très pointu. La veille est essentielle : fidèles aux conditions pouvant être oc-
il faut toujours regarder ce qui se fait, casionnellement rencontrées en ex-ploi-
échanger avec d’autres développeurs. tation avec des anomalies, pannes,
Ce métier est basé sur l’auto-formation conditions météorologiques dégra-
et la curiosité », détaille-t-elle. Ses prin- dées… », énumère Eric Prévot, comman-
cipales sources : Twitter, Feedly, YouTube dant de bord. Au fil de ses trente années
et GitHub, plateforme sur laquelle il est de pilotage, il en a vu l’utilité : « Un jour,
possible de partager son code. le pli extérieur du pare-brise s’est brisé
« C’est un métier en mouvement, en per- en croisière en haute altitude. Ce type
pétuelle recherche », confirme Soumia d’événements étant étudié au simulateur
Malinbaum, présidente de la commission et largement documenté par notre retour
formation de Syntec Numérique. « Les d’expérience, j’étais préparé le jour J.
développeurs apprennent de leurs pairs, Le simulateur est donc précieux pour
nous aguerrir en toutes situations. Il per-
met de partir en confiance, avec notre
plus haut niveau de compétences et de
« Le drame est que la formation connaissances. » Thierry de Basquiat ac-
quiesce. Chef de la division instruction à
l’École nationale de l’aviation civile, il voit
continue est statistiquement l’avantage de l’arrivée du numérique dans
la formation de pilote et de la place qu’y
tournée vers les cadres occupe la simulation. « Vous ne pouvez
pas dégrader un avion volontairement,
juste pour explorer des pannes. Le simu-
supérieurs » Benoît Anger, Neoma BS lateur permet de générer des situations
et de s’y préparer : feux moteurs, fuites
de carburant, pannes, procédures d’ap-
proches particulières… Bref, n’importe
de leur communauté, ils se doivent de quel scénario de vol », explique-t-il, pré-
rester dans un processus d’auto-appren- cisant qu’un tiers des 195 heures néces-
tissage pour préserver leur employabi- saires à l’obtention de la licence de pilote
lité. Les entreprises ont elles aussi com- de ligne peut se faire sur simulateur.
pris qu’il s’agit d’un enjeu stratégique et
qu’il est nécessaire d’investir massive- Coach sportif :
ment dans la formation continue : elles un perfectionnement continu
y consacrent jusqu’à 5 ou 6 % de leur
masse salariale », précise-t-elle. Un enjeu Un seul diplôme est obligatoire pour
aussi individuel que collectif, en somme. exercer en tant que coach sportif : le
brevet professionnel de la jeunesse, de
Pilote : du simulateur au réel l’éducation populaire et du sport. En réa-
lité, rares sont ceux qui se contentent de
Impossible d’y couper : tout·e pilote de cette ligne sur leur C.V. Et pour se former
ligne a l’obligation de continuer à se for- au fil de leur carrière, le numérique est
mer. Une obligation édictée par l’Agence d’une aide précieuse. Jessica Sanki est
européenne de la sécurité aérienne. Chez coach sportive spécialisée dans le Cross-

56
Fit. À ses yeux, continuer à apprendre est indispensable.

VA , V I S E T A P P R E N D S
Chaque année, elle se fixe une « grosse » formation, di- La formation, une autre
plômante ou certifiante, souvent coûteuse, et quelques inégalité femmes-hommes
modules complémentaires, le tout en ligne. Exemples :
nutrition, coaching mental… « Se former a un coût : celui L’accès à la formation ne serait pas aussi aisé pour les
du cours, mais aussi le temps passé à étudier, qui n’est femmes que pour les hommes. C’est en tout cas l’une des
pas rémunéré. Le point positif ? On peut suivre les forma- conclusions du rapport de Catherine Smadja-Froguel sur
tions à notre rythme : pratique, lorsque l’on a rarement le sujet, rendu au gouvernement en 2018. « Tout se passe
un emploi fixe. En tout cas, j’ai le goût de l’excellence et comme si, lorsqu’il revient aux entreprises de décider [de
la volonté de toujours apprendre. Il n’y a pas beaucoup la formation des femmes], elles arbitrent en faveur des
de coachs, surtout dans le CrossFit, qui restent sur leurs hommes pour décider des bénéficiaires de formation. »,
acquis », relève-t-elle. Continuer ainsi ? Une évidence. précise le rapport. Et pourtant l’enjeu est de taille, car ce
« C’est indispensable si l’on veut être un bon coach et sont bien souvent ces formations qui permettent ensuite
le rester ! » d’accéder aux promotions. Selon Sophie Dancourt, fon-
Kevin Joseph est dans la même dynamique : webinaires, datrice du média en ligne dédié aux femmes quinquagé-
cours en ligne, contenus vidéo, ce coach sportif conti- naires J’ai piscine avec Simone, le problème de la forma-
nue d’apprendre. « Cela m’apporte du bagage pour ap- tion touche en particulier les femmes de 45 ans et plus,
puyer mes propos, mais aussi de la confiance en moi et qui se retrouvent « débarquées » ou mises de côté au
de la légitimité vis-à-vis des clients. La préparation phy- sein des entreprises. « L’idéal serait d’être formé·e très
sique n’est pas une science morte, nous sommes dans le régulièrement pour ne pas arriver à cette obsolescence
partage de connaissances et devons, en tant que pro- programmée des plus de 50 ans, parce qu’il n’y a pas
fessionnels, continuer à nous perfectionner », souligne- eu la formation en amont. La formation est justement
t-il, profitant de ses déplacements en transports pour importante pour effacer ce clivage sur l’âge », confie-t-
engloutir des podcasts spécialisés sur les techniques de elle. « Les femmes, encore plus après 50 ans, souffrent
musculation. Toutes ces connaissances ont évidemment de stéréotypes sur tout ce qui a trait au numérique. Le
un coût : cela peut aller de quelques dizaines d’euros digital représente pourtant une opportunité incroyable
pour un séminaire à plusieurs centaines d’euros pour des de se former à tout âge et une nécessité pour rester
modules plus importants. dans la course pour toutes et tous. »
Pour ces coachs, indépendant·es ou salarié·es, la for-
mation grâce aux outils numériques est omniprésente.
« Dans nos salles, nous créons nos propres cours. Les
coachs reçoivent donc les nouvelles trames et un accom-
pagnement en ligne continu à chaque trimestre. Cette
mise à jour du contenu leur permet de s’exercer dessus Une appli pour gérer
et de faire des retours », confirme Thomas Mendonça, di-
recteur général en charge du numérique pour le réseau ses droits
Fitness Park, qui compte plus de 220 clubs en France. à la formation
Une soif d’apprendre qui va gagner tous les secteurs. Se-
lon une étude du think tank californien Institute for the fu- Apprendre a un coût. Le CPF (Compte Personnel de For-
ture réalisée en 2017, 85 % des métiers de 2030 n’existent mation), mis en place en janvier 2019, permet à chaque
pas encore. Benoît Anger, directeur général associé de professionnel·le de disposer de ses droits à la formation
Neoma Business School, ne dit pas autre chose : « Avec (24 heures par an), contrairement au dispositif précédent
les nouveaux métiers qui se créent, il faut que chacun dé- géré par l’employeur. Une appli vient faciliter l’accès des
veloppe des compétences, notamment grâce aux forma- salarié·es à toutes les démarches. Objectif : simplifier les
tions à distance. Le drame est que la formation continue recherches et éventuelles inscriptions, mais aussi les bi-
est statistiquement tournée vers les cadres supérieurs, et lans de compétences. Dix millions de compte ont déjà
l’on oublie toute une partie des collaborateurs, alors que été activés sur les 28 millions potentiels. De quoi élargir
tous les métiers sont concernés par cette nécessité. » les horizons de tout un chacun.

57
VA , V I S E T A P P R E N D S

58
VA , V I S E T A P P R E N D S
Les plateformes de médias sociaux ont
révolutionné le rapport aux connaissances et
à l’apprentissage. Amateur·es passionné·es ou
chercheur·euses pointu·es peuvent transmettre
leur savoir sans filtre. Jusqu’à remplacer
les enseignant·es ? Les vulgarisateur·trices
d’Internet n’ont pas cet objectif.

YouTube est bien plus que le juke-box « Leur succès s’explique notamment par
géant de la planète. Certes, la musique la politique de la plateforme », explique
reste la meilleure garantie de « perfor- Jean-Baptiste Viet, auteur du livre Youtu-
mer » sur la plateforme de partage de beur (Eyrolles, 2019). « Environ 70 % des
vidéos de Google. Certes, ces dernières vues proviennent des recommandations
années, le « gaming » y a le vent en en page d’accueil, les “tendances”. You-
poupe. Mais depuis cinq-six ans, un autre Tube valorise le travail de ces vidéastes
phénomène ne cesse d’enfler : la vulga- car il est de qualité, notamment sur la
Disponible en podcast, risation de connaissances scientifiques. forme, et parce que ces derniers publient
avec le soutien d’Epitech. En tout genre : physique, biologie, géo- régulièrement. »
logie, histoire, etc. Les vidéastes de cette Mais au-delà de la stratégie d’audience
nouvelle spécialité étaient une quinzaine menée par le géant US, le public est au
en 2014. On peut désormais trouver, sur rendez-vous. « Beaucoup de gens ont
YouTube, plusieurs centaines de ces pas- une soif de connaissances, une curio-
Texte. Sylvie Fagnart seurs et passeuses de sciences, qui ras- sité scientifique et culturelle qui a au-
Image. Ollie Hirst semblent plusieurs millions d’abonné·es. jourd’hui les moyens d’être assouvie en

59
VA , V I S E T A P P R E N D S

un clic. Les bonnes vidéos de vulgarisation nourrissent Le succès des chaînes de découverte scientifique re-
cette curiosité et désacralisent le savoir, le rendent ac- pose sur cette précision. Les abonné·es sont prompt·es
cessible et même attirant, cool », constate Mathilde Hu- à pointer les erreurs. Manon Champier, dite Manon Bril,
tin, post-doctorante en linguistique, vidéaste amateure qui met en scène l’antiquité avec sa chaîne « C’est une
et autrice d’une recension de 350 chaînes culturelles ou autre histoire », a récemment coupé l’une de ses vidéos
scientifiques en français, pour le compte du ministère de consacrée à l’archéologie au prisme du sexisme. « J’y
la Culture. évoquais la théorie du dimorphisme, qui avance que
les différences physiologiques entre les femmes et les
Décontraction hommes proviennent d’une inégalité d’accès à la nour-
riture entre les sexes à la préhistoire. J’ai finalement en-
Le plus populaire de ces vulgarisateurs, Bruce Benamran, levé cette partie, parce que des abonné·es m’ont fait
taulier de la chaîne « e-penser », compte 1,12 million remarquer le caractère controversé de ces recherches »,
d’abonné·es. Et fait un carton - plus de 500 000 vues - explique-t-elle. Cerise sur le gâteau de la rigueur, cette
avec ses explications sur l’origine des trous noirs. Sa re- docteure en histoire signale la coupure à ses abonné·es
cette : la décontraction. « Je m’adresse au public comme en commentaire de la vidéo.
je parlerais à un pote », dit-il. Un ton familier qui n’est pas
pour autant synonyme de désinvolture ou d’approxima- Rigueur scientifique à l’épreuve
tion. Bruce Benamran est informaticien et passionné de
physique. Pour bétonner ses propos, il s’abreuve notam- C’est l’un des secrets de la bonne fortune de ces vi-
ment à des sources universitaires. déastes : produire pour leur communauté un corpus de

Instagram, haut lieu de La folie tutos


transmission féministe
Les sciences ne sont pas les seules à avoir les
honneurs des vulgarisateur·trices d’Internet.
« Sur Instagram, oui, je fais de la vulgarisation du Quiconque peut livrer le secret de ses talents.
féminisme. Parce que je suis militante et que mili- « N’importe quel créateur passionné peut émer-
ter implique de vulgariser des concepts. » Coline ger, à condition d’être clair et pas barbant et
Charpentier en connaît un bout en transmission : de proposer une belle qualité d’image. La de-
en plus de tenir, sur ses loisirs, le compte @taspen- mande est très importante », estime Jean-Bap-
sea, qui visibilise et décortique la charge mentale, tiste Viet, auteur de Youtubeur (Eyrolles, 2019).
elle enseigne l’histoire-géo dans un collège de la Les influenceur·euses beauté dispensent leurs le-
région parisienne. Elle fait partie de la sphère fé- çons de maquillage. Les reines et rois des four-
ministe qui a investi le réseau social, aux côtés de neaux postent des images pour réussir son pain
@tasjoui, @gangduclito et d’autres encore. « Insta maison ou des pâtisseries dignes du commerce.
permet de poster un message choc puis de le dé- Autre domaine où les professeur·es amateur·es font
cliner au long en story. C’est très efficace », juge un carton : les dépannages informatiques et autres
Coline Charpentier, qui a décidé d’aller plus loin explications de logiciels. La demande de ces tutos
dans la vulgarisation en invitant sur son compte en tout genre a encore augmenté avec le confi-
des sociologues à s’exprimer. « La recherche est nement et la nécessité de passer au « do it your-
foisonnante mais les chercheuses savent mal se self ». « Un tiers de la fréquentation de YouTube
vendre ; alors j’apporte ma pierre », explique la provient d’une recherche Google formulée avec
militante dans un sourire. la question "comment faire" », glisse le spécia-
liste, qui propose lui-même sur sa chaîne un « tuto
informatique tous les dimanches à 10 heures ».

60
« La curiosité du public

VA , V I S E T A P P R E N D S
« La curiosité du public pour ces sujets profite à la re-
cherche en général », pointe Mathilde Hutin. « C’est vital,
abonde Manon Champier. Si on suscite de l’intérêt pour
pour ces sujets profite à la recherche, on fait comprendre l’intérêt politique de la
financer. »
Certain·es profs du supérieur se sont donc lancé·es dans
la recherche en général » le grand bain. Sur Twitter, dont le format en « thread »
(« fil de discussion ») permet de dérouler une pensée
complexe de façon structurée, l’historienne Mathilde
Mathilde Hutin, post-doctorante Larrère, spécialiste des révolutions du XIXe siècle et maî-
en linguistique tresse de conférences à l’Université Gustave-Eiffel, ré-
sume à sa communauté l’état actuel des connaissances
sur des événements comme la prise de la Bastille, la
Commune ou dispense une « histoire sociale et politique
de la consommation d’alcool ». Des propos sérieux et ré-
férencés, qu’elle agrémente de gifs animés légers.
Tout autant que le contenu, l’habillage de cette vulgarisa-
tion via les réseaux sociaux importe. « Si ces comptes et
ces chaînes fonctionnent, c’est parce que celles et ceux
qui les animent ont compris les codes des plateformes,
principalement la reprise de ceux de la pop culture »,
décrypte Jean-Baptiste Viet. « Avec ma chaîne, je veux
sources scientifiques en description de la vidéo et adop- délivrer ce message : non, l’histoire n’est pas chiante
ter un raisonnement scientifique consciencieux. « Sur un et poussiéreuse. Ça passe aussi par un montage “jump
sujet éloigné de ma spécialité – la peinture dans le monde cut”, de la musique urbaine en bande-son et un langage
antique – je me sers de ce que j’ai appris en méthodolo- un peu cru », exprime Manon Champier.
gie pendant mes études universitaires et ma thèse. Pour La théorie de l’évolution de Darwin expliquée par les Po-
me pencher sur l’historicité de la vie de Jésus, j'ai sollicité kémon : c’est l’une des vidéos à succès de la chaîne Dir-
des conseils de lecture auprès de collègues de mon an- tyBiology. Toutefois moins plébiscitée que celle où il dé-
cien labo d’histoire ancienne », détaille Manon Champier. taille « à quoi sert un pénis ? », qui cumule 1,7 million de
Des sources citées et le respect du consensus scienti- visionnages. Les recettes du vieux monde fonctionnent
fique actuel : deux signes qui donnent du crédit à un toujours sur YouTube.
contenu. Parce qu’attention, YouTube - comme les
autres plateformes – pullule aussi de vulgarisation dan- Interaction
gereuse, de démonstrations pseudo-scientifiques au ser-
vice de discours complotistes. Les vidéos expliquant que Face au plébiscite du public, faut-il envisager de rem-
la Terre est plate ou l’humanité dirigée par les Illuminati placer les profs par des Youtubeur·ses ? « Je ne fais pas
cartonnent, même si le site américain assure ne plus les de l’enseignement dans mes vidéos. Je n’ai que l’ambi-
mettre en avant. Le titre académique ne suffit pas non tion de faire du divertissement culturel », précise Ma-
plus, comme le prouvent les nombreuses prises de po- non Champier. « Regarder des vidéos de vulgarisation
sition anti-vaccins du cancérologue Henri Joyeux, large- n’exige aucun effort de mémorisation. Quant à l’ensei-
ment diffusées sur YouTube ou Facebook. gnement, il repose sur une interaction entre les élèves
et l’enseignant·e, qui adapte son contenu à la compré-
Codes pop hension, en temps réel », ajoute Mathilde Hutin. Mais rien
n’empêche de s’appuyer, en classe, sur les films de Scila-
Dans le monde académique, la vulgarisation peut encore bus, Nota Bene ou Florence Porcel pour décomplexer les
sonner comme un gros mot. Mais une part de plus en élèves avec les sciences.
plus grande des universitaires a compris l’intérêt que
recèle cette médiation scientifique d’un genre nouveau.

61
POINT DE VUE

Le point de vue de notre partenaire Doceas & Formations

« Digitaliser la formation :
une opportunité à saisir ! »
Pour les organismes
de formation qui n’étaient
pas encore passés au
distanciel comme pour les
entreprises qui n’avaient
pas encore enclenché le
télétravail, la crise sanitaire
a permis de franchir un pas
décisif.
Image. chilli drop.

e secteur de la formation professionnelle une prise en main intuitive et simple. La transformation

L
se transforme depuis plusieurs années digitale nous permet même de toucher un plus large
avec l’essor des outils et des usages nu- public grâce à une diffusion nouvelle de nos parcours
mériques. Les organismes de formation de formation.
ont tout intérêt à suivre le mouvement, le
changement est même inéluctable avec Une opportunité de se transformer
la crise sanitaire que nous vivons actuellement. Mais
pas de panique, les outils sont aujourd’hui accessibles, Alors, prenons cette crise sanitaire comme une op-
l’offre en matière de plateformes LMS (Learning Mana- portunité de se transformer, parce que digitaliser son
gement System), ces logiciels de formation innovants, offre de formation est utile et bénéfique pour tout le
ainsi que toutes les applications mobiles proposent monde. Le numérique a modifié l’accès à l’information.

62
POINT DE VUE
N’importe qui peut se renseigner par lui-même sur In- Au contraire ! Il est plus que jamais essentiel de nous
ternet, trouver pléthore d’informations et se former concentrer sur l’accompagnement humain. Restons en
à n’importe quel moment de la journée grâce à son contact régulier avec nos apprenant·es, multiplions les
smartphone. Nous avons même accès à des forma- interactions, soyons à l’écoute de leurs besoins. Cer-
tions gratuites de type MOOC (Massive Open Online tain·es d’ailleurs ne sont pas à l’aise avec les techno-
Courses) et en tant qu’apprenant·es, nous sommes logies. On parle à ce titre d’illectronisme, contraction
devenu·es extrêmement exigeant·es, a fortiori lorsque des mots « illettrisme » et « électronique ». Et pour ces
nous devons payer une formation. personnes, le danger est tout simplement le décro-
Nous sommes toutes et tous des apprenant·es, même chage. Alors encore une fois, à nous, formateur·trices
moi, qui suis du côté des formateur·trices. La quali- et organismes de formation, de nous adapter, d’inté-
té et l’accessibilité doivent donc être au rendez-vous. grer ces problématiques à nos formations, de savoir
Je me replace du côté des organismes de formation : former aux outils du numérique, de faire le lien entre
à nous, donc, de créer des formations accessibles le contenu et les outils, pour que l’apprentissage se
ATAWAD (Any Time, Any Where, Any Device) qui per- passe le mieux possible. Je conseille également de
mettent d’apporter plus de fluidité dans les parcours rester vigilant quant à l’assouplissement des parcours
de formation, à nous de maintenir une dynamique de formation. Restons exigeants encore une fois quant
d’apprentissage continue afin de répondre au mieux à la valeur ajoutée pédagogique.
à l’obsolescence des compétences. Ce n’est qu’ainsi
que nous développerons notre croissance, notre ren- Sans opposer présentiel et digital, la digitalisation de
tabilité et notre image de marque. la formation permet aux cours en ligne et à la forma-
tion à distance de s’imposer comme des modèles du-
Plus que des formateur·trices, rables grâce à leur flexibilité et à leur contenu quasi
des facilitateur·trices instantané. Elle renouvelle le système pédagogique,
modifie les frontières espace/temps et répond à une
Alors certes les outils sont là et n’attendent que nous problématique qui se pose de plus en plus dans le
pour digitaliser la formation. Mais il va falloir aussi faire monde professionnel : le digital crée constamment de
preuve d’agilité, de créativité et de capacité d’adap- nouveaux savoir-faire, alors comment former des ac-
tation. L’incertitude de notre époque et l’accéléra- teurs compétents à temps ? Le digital augmenté, tel
tion des mutations que nous vivons quotidiennement que le met en œuvre Doceas & Formations, permet de
nous obligent à être réactif·ves et à rester informé·es construire des parcours de formation alliant tous les
nous aussi. C’est ainsi que notre métier lui-même se avantages du e-learning sans ses inconvénients, autre-
transforme. Plus que des formateur·trices, nous deve- ment dit en conservant des modalités collectives et
nons des facilitateur·trices. Cela signifie que nous ne synchrones.
sommes pas seulement là pour transmettre un savoir,
notre métier est d’accompagner, de sélectionner les Séverine Fingal
contenus, de les inscrire dans un parcours adapté et
personnalisé, en somme de permettre à nos stagiaires
d’apprendre à apprendre. La digitalisation de la for-
mation implique une approche globale, multimodale,
individualisée, elle invite à penser une consommation
de l’apprentissage fractionnée et instantanée. C’est À P R O P O S D E L'A U T R I C E
tout cela qui nous conduit également à enseigner dif-
féremment, en développant des usages participatifs Séverine Fingal est la fondatrice de Doceas &
et collaboratifs. Formations. L’organisme forme aux compétences
entrepreneuriales des créateur·trices et dirigeant·es
L'humain avant tout sur des thèmes aussi variés que la gestion de
trésorerie, l’optimisation de son organisation, le
Mais utiliser des outils numériques ne signifie pas de management, la stratégie, la règlementation RGPD
s’en remettre aux machines pour exécuter le travail. et la communication digitale et social média.

63
NUMÉRIQUE

64
PORTFOLIO
La tech est
dans le pré
L’Agritech est en pleine expansion.
La preuve avec Dominique Clyti,
céréalier dans l’Aube, qui utilise
au quotidien des appareils connectés
pour sécuriser son irrigation
ou évaluer la pluviométrie.
Une manière d’éviter les gaspillages,
de réaliser des économies
et de gagner en confort de vie.

Texte. Eva Mignot


Photos. Raphael de Bengy

65
PORTFOLIO

À droite.
Depuis son téléphone, l’agriculteur peut surveiller le fonctionnement de ses enrouleurs. Au moindre
incident, le boîtier situé sur la grande bobine de tuyaux envoie une alerte.
Sur son ordinateur, le céréalier peut aussi consulter le planning d’irrigation. Le tableau de bord
indique les parcelles récemment irriguées ou celles qui le sont actuellement.

66
67
PORTFOLIO
PORTFOLIO

En haut.
Basse pression, arrêt de l’enrouleur, tuyau percé… Au moins une fois par
semaine, il faut intervenir pour comprendre la cause du problème et
éviter de coûteuses pertes en eau et en énergie.
En bas.
La pompe est connectée : Dominique Clyti peut l’actionner à distance,
consulter, en envoyant un simple SMS, le débit ou encore être
rapidement averti en cas de dysfonctionnement.

68
69
PORTFOLIO
PORTFOLIO

70
71
PORTFOLIO
Dans son bureau, devant ses multiples
PORTFOLIO

écrans d’ordinateur et face à une im- « Avec ces outils


mense baie vitrée ouverte sur la cour,
Dominique Clyti consulte météo et rele-
vés d’évapotranspiration. À la tête d’une
connectés, je
exploitation de 330 hectares à Fonte-
nay-de-Bossery, près de Nogent-sur- maîtrise mieux
Seine (Aube) et prestataire de service sur
les terres d’un collègue, cet agriculteur
de 59 ans cultive oignons, colza, soja, blé,
mes coûts. »
betteraves, orge de brasserie, luzerne ou
encore pommes de terre. Des cultures
plus ou moins gourmandes en eau.
Chaque jour, d’avril à mi-août, s’il ne pleut cette nouvelle technologie. Il avait convié
pas, ses quatre ouvriers agricoles, ses la société Axe Environnement à présen-
« chauffeurs » comme il les surnomme, ter ce kit lors de l’assemblée générale de
déploient les fameux enrouleurs, ces 2016–2017 de l’Association des irrigants
grandes bobines de tuyaux longs de 400 de l’Aube, dont il est président depuis
à 800 mètres, pour irriguer ses terres. On plus de quinze ans et qui est chargée à
les voit au loin cracher de l’eau, arroser et la fois de fédérer les agriculteurs irrigants
créer, quand le soleil est au rendez-vous, et de parler d’une seule voix auprès des
de petits et éphémères arcs-en-ciel. Le administrations pour obtenir les quotas
lendemain, les ouvriers les installent sur d’eau nécessaires à leurs cultures. « Je
une autre parcelle. Ces appareils sont me souviens que nous avions eu une très
cependant capricieux. Cailloux dans les mauvaise année. Or, dépenser 1 300 à
tuyaux, usure, pression insuffisante… Un 1 400 euros pour un appareil, ce n’est
rien peut perturber l’irrigation. Et, lors- pas rien. Tout ça pour avoir quelque
qu’ils travaillent à plusieurs kilomètres de chose de connecté. Je ne me voyais pas
ces grands engins, patron et employés occasionner une dépense supplémen-
n’ont pas immédiatement conscience taire que je considérais comme une dé-
des dysfonctionnements de la journée. pense de confort », raconte-t-il.
Pour l’agriculteur, si l’intérêt de tels ob-
« Une connexion est faite tous jets connectés est certain, leur coût im-
les quarts d'heure » portant reste un frein. D’autant plus qu’ils
occasionnent un abonnement annuel.
Pour pallier ce problème, Dominique « Quand outre l’achat du matériel, vous
Clyti a installé des outils connectés sur payez 150 euros par an pour un enrou-
ses enrouleurs. Au moindre incident, leur, ça va. Mais quand vous devez en
l’agriculteur reçoit sur son smartphone équiper trois, cela mérite réflexion », jus-
un message d’avertissement. Lui ou l’un tifie-t-il.
Page précédente. de ses quatre ouvriers se déplace alors Il y a deux ans, après des mois plus fa-
Selon le céréalier, avant l’arrivée pour tenter d’en comprendre la cause. vorables, Dominique Clyti s’est pourtant
de la technologie GPS dans « Une connexion est faite tous les quarts décidé à le tester. Depuis lors, il a équi-
les tracteurs, la fierté d’un
agriculteur consistait à « semer d’heure. S’il y a le moindre souci, nous pé trois de ses quatre enrouleurs. « Cela
bien droit ». Désormais, la sommes rapidement avertis. Avant, nous ne me rapporte pas plus qu’avant, mais
précision est automatiquement pouvions nous en rendre compte seule- je maîtrise davantage mes coûts, la sur-
millimétrée.
ment le lendemain », explique-t-il. À rai- veillance étant plus facile. Cela évite un
Dominique Clyti a repris
l’entreprise familiale en 1983. son d’au moins un dysfonctionnement gaspillage d’énergie et d’eau », analyse-
Pour lui, l’agriculture est aussi par semaine, l’addition pouvait être salée t-il. Or le précieux liquide a un coût non
une affaire de gestion. Il faut à la fin de l’année ! négligeable : chaque année, l’agriculteur
évaluer les coûts et avantages
de chaque technologie que l’on Pourtant, cet agriculteur a préféré at- paye ainsi 4 500 euros de « redevance ir-
envisage d’acquérir. tendre quelques années avant d’adopter rigation », une taxe seulement applicable

72
PORTFOLIO
Désormais, Dominique Clyti
passe 70 à 80 % de son temps
dans son bureau, derrière ses
ordinateurs.

pour les consommateurs de gros volumes d’eau et pro- Les produits connectés n’apportent pas seulement plus
portionnelle à la quantité utilisée. de confort à l’agriculteur, ils peuvent lui permettre d’op-
Ces appareils ne sont d’ailleurs pas seulement un moyen timiser ses recettes. Le céréalier possède une application
d’éviter des gaspillages onéreux. Ce sont aussi de pré- grâce à laquelle il est possible de vendre en direct ses
cieuses récoltes potentiellement sauvées. « Avant, lors- céréales et ses plantes oléoprotéagineuses en fonction
qu’un incident se produisait, c’était parfois une journée du cours sur le marché. Pour la très grande majorité de
d’irrigation perdue. On devait alors recommencer à irri- ses récoltes, il choisit encore la méthode traditionnelle,
guer la parcelle. Par conséquent, les récoltes en fin de mais il fait parfois quelques expérimentations. Il a récem-
chaîne pouvaient en pâtir », explique le céréalier. ment utilisé l’outil pour vendre du colza. « Je sais exacte-
ment ce que cela me rapporte et je peux faire de bonnes
Le numérique, utile mais chronophage affaires. Mais je n’ai pas le temps de regarder tous les
quarts d’heure les variations de prix : je ne suis pas tra-
Même s’il ne se considère pas comme un agriculteur der ! », prévient-il. Le numérique peut, en effet, vite deve-
« geek » quand d’autres utilisent drones, capteurs ou nir chronophage. L’agriculteur l’avoue lui-même : il passe
sondes connectées, il cherche désormais régulièrement désormais 70 à 80 % de son temps dans son bureau.
à se « mettre à la page ». Ainsi, Dominique Clyti a choisi Le presque sexagénaire était déjà « dans le coup » il
de se doter également d’un pluviomètre connecté. Plus y a dix ans, en commençant à équiper ses tracteurs
besoin pour lui de prendre la voiture pour aller lire les de la technologie d’autoguidage GPS qui évite de re-
données : il peut le faire de chez lui. « Nous sommes un passer deux fois sur la même parcelle. « Avant, on ra-
petit nombre d’agriculteurs à utiliser ces pluviomètres joutait 10 à 15 % de semences et d’engrais pour être
et nous pouvons consulter les résultats des uns et des sûr de ne pas laisser une parcelle vierge, explique Do-
autres. De cette façon, si j’ai une parcelle proche d’un minique Clyti. Avec cette technologie, on passe 15 %
appareil d’un voisin, je peux regarder de chez moi la de temps en moins à semer, on utilise 15 % de fuel en
pluviométrie, évaluer les précipitations et donc adap- moins, etc. Cela nous coûte moins cher et va dans le
ter mon irrigation le plus précisément possible », ex- sens d’une meilleure préservation de l’environnement. »
plique-t-il.

73
pren
dre
PRENDRE DE LA HAUTEUR

74
75
« Le confinement
DE LA HAUTEUR

a révélé un Internet
altruiste »
Et si la crise sanitaire
avait mis en avant
un autre Internet,
loin des infox et des
bad buzz ? Groupes
Facebook d’entraide
ou visioconférences
familiales se sont aussi
développés pendant
le confinement. La
chercheuse Laurence
Allard analyse pour
Chut ! cette facette
moins médiatique
des réseaux sociaux.

Propos recueillis par


Sophie Comte
Image. chilli drop.

76
La crise sanitaire a accéléré

DE LA HAUTEUR
peer, qui s’inscrit déjà originellement
nos usages numériques, en dans l’échange de fichiers. Cette culture
particulier le recours aux de l’échange était première dans l’his-
réseaux sociaux. Comment toire d’Internet. Elle a longtemps été
expliquez-vous un tel rejetée par les institutions culturelles,
engouement ? qui craignaient qu’elles ne détruisent
leur modèle économique. Mais avec le
Nous avons observé un usage encore confinement, la gratuité est devenue la
plus intensif de ces outils. Alors que nous planche de salut de ce secteur, en lui
étions tous confinés, les réseaux sociaux donnant une visibilité et une audience
se sont présentés comme une fenêtre en ligne malgré la situation. Tout a été
ouverte sur le monde, sans frontière, mis à disposition gratuitement, y com-
transnationale, dans lequel nous étions à pris de nombreux contenus pédago-
l’unisson. Ils étaient en fait le seul espace giques pour les enfants.
non fermé, hormis les quelques magasins
restés ouverts bien sûr. A-t-on vu de nouveaux usages
Ils ont ainsi été le théâtre de nos échanges apparaître durant cette période ?
conversationnels, nous permettant de
maintenir le lien avec nos proches, mais On a clairement vu émerger de nombreux
aussi nos collègues de travail. Nous avons groupes et pages sur Facebook, qui ont
assisté à une forme de réinvention de la permis de créer et de fédérer des col-
sociabilité via des formats en ligne. Les lectifs et des communautés. On observe
outils de visioconférence comme Zoom un renouveau à ce niveau-là, une utilité
et WhatsApp ont été fortement plébis- très forte de ces réseaux. Les groupes
cités et ont rendu le télétravail possible sur Facebook font office de « secrétariat
pour de nombreuses entreprises qui y du pauvre », et s’avèrent très utiles pour
étaient encore réfractaires. La communi- ceux qui n’ont pas forcément les moyens
cation à distance fait partie des usages financiers de développer leur propre site
classiques de l’histoire des technologies, internet. Cette utilité a été clairement
mais elle s’est amplifiée pendant le confi- activée pendant le confinement et cette
nement. panoplie d’usages possibles perdure.
Les réseaux sociaux ne se sont pas limi- Ce sont par exemple toutes ces pages de
tés à cette fonction de communication lieux touristiques, mais aussi tous les pe-
interpersonnelle. Ils nous ont permis aus- tits commerces et restaurants qui se sont
si l’échange de savoirs, de données, de lancés dans la livraison pour continuer de
contenus d’une façon totalement inédite. servir leurs clients. Les groupes ont eu
Et comme la pandémie n’est pas termi- un rôle de structuration de collectif im-
née, nous restons dans le bain de ces ac- portant et ont permis au mouvement des
tivités en ligne. Nous sommes loin d’en « makers » de passer à la vitesse supé-
QUI EST LAURENCE avoir terminé avec ces usages de la com- rieure. Ces ateliers de manufacture locale
ALLARD ? munication à distance. et collaborative fortement imprégnés de
culture numérique et open source ont pu
Maîtresse de Ces échanges de données ont- en effet se populariser, en particulier au-
conférences en sciences ils changé de nature pendant le près des publics de proximité. Les makers
de la communication à confinement ? attiraient jusque-là un public plus confi-
l’Université de Lille et dentiel et alternatif. Avec le confinement,
chercheuse à l'Université Dans le domaine de la culture, puisqu’il les gens ont découvert qu’il y avait des
Sorbonne Nouvelle fallait pour beaucoup s’occuper, nous FabLabs dans leurs quartiers ou dans leur
Paris 3-IRCAV, Laurence avons observé des échanges de vidéos, ville. C’est un effet quelque peu para-
Allard est socio- d’ouvrages, de PDF. C’était un peu la doxal ce rapprochement de communau-
sémiologue des usages victoire de Netflix, mais pas seulement. tés de façon hyper locale via un réseau
numériques et mobiles. C’était aussi celle du logiciel peer to beaucoup plus large et global.

77
« Le confinement a aussi mis en avant
DE LA HAUTEUR

notre besoin d’équilibre entre une vie


en ligne et une vie plus tangible, faite
de rencontres et de contacts réels. »

C’est une véritable solidarité en ligne que proposent davantage un repli sur soi et une vie en autar-
vous avez observée… cie plutôt que l’échange et la communication.
Dans le même temps, le confinement a posé les limites
Cette solidarité était en effet inattendue. Les tendances du numérique et de la communication à distance. Beau-
Google sont à ce titre un bon observatoire. Deux grands coup ont dit que le tout en ligne leur était pénible, voire
thèmes de recherche se sont alors dessinés : « Com- par moments insupportable. Alors, il est peut-être temps
ment aider ? » et « Comment s’occuper ? ». Finalement, justement de repenser des technologies de communica-
cet élan de solidarité, c’est la rencontre de ces deux re- tion soutenables, à l’image des « low tech », ces basses
quêtes : nous avons pu faire preuve de solidarité à partir technologies qui prônent un usage responsable intégrant
du moment où nous avons eu du temps pour le faire. Ce le recyclage, la réparation et le « do it yourself », comme
contexte inédit a révélé un Internet altruiste et solidaire les makers. Le confinement a aussi mis en avant notre
où des actions d’entraide peuvent se mettre en place en besoin d’équilibre entre une vie en ligne et une vie plus
un temps record. Cette vision altruiste des réseaux de tangible, faite de rencontres et de contacts réels.
communication est peu vue, peu médiatisée. On parle
beaucoup plus de leurs aspects négatifs. Et pourtant, Comment cet « Internet altruiste » peut-
c’était bien la première requête. il se développer alors que dans le même
temps les discours de haine et les fake
Qu’est-ce que cela révèle de nous et de nos news se répandent sur les réseaux sociaux ?
relations ?
Alors que les fake news et autres discours haineux ou
Le confinement a été la démonstration qu’entre humains, complotistes sont surmédiatisés, tous les usages al-
le premier réflexe est d’abord l’entraide. C’est notre be- truistes du numérique pointés plus haut comme la
soin de lien aux autres, l’importance d’une relation de culture de l’échange, la relocalisation de la fabrication
soin et de bienveillance, ce qu’on appelle aujourd’hui et de la consommation, le recours au low tech... sont
le « care » qui était sur le devant de la scène. Chacun a trop peu mis en avant en cette période douloureuse pour
voulu soigner les siens en maintenant un lien à distance, l’humanité et son environnement. Or ces usages peuvent
par du bénévolat, de la couture pour celles et ceux qui architecturer une société du soin aux autres (humains
se sont lancés dans la fabrication de masques, de la cui- et non-humains) à bas bruit et à basse technologie, qui
sine pour celles et ceux qui ont aidé leurs voisins en leur semble plus que jamais nécessaire.
apportant des plats, celles et ceux encore qui ont mis à En éclairant cette face altruiste d’Internet et du numé-
disposition leurs savoirs pour aider les autres. Face aux rique, c’est une autre conception de l’expressivité digi-
difficultés, c’est bien cet Internet solidaire qui est activé. tale qui apparaît, non plus développée comme un mar-
Nous n’avions jamais eu l’opportunité de voir un tel Inter- ché de libres paroles mises en compétition. Ces usages
net émerger, même si la solidarité en ligne n’est pas nou- communicationnels en ligne, orientés vers la coopération
velle. Un constat plutôt rassurant pour la suite, si nous et l’intercompréhension, peuvent soutenir un autre mo-
étions amenés à vivre d’autres périodes comme celle-ci. dèle de société plus démocratique et soucieuse d’une
Cela va même dans le sens contraire des survivalistes, qui écologie du bien-vivre commun.

78
POINT DE VUE
Le point de vue de notre partenaire MomentTech

Trois règles
pour (bien)
utiliser l'IA
Image. Laure Dorin

L'
intelligence artificielle (IA) est ca- 1. Une fois votre attente « métier » bien identifiée, il
pable de prouesses techniques est indispensable d’échanger avec un·e expert·e
comme d’inventer des antibiotiques, IA pour se livrer à un rapide audit des données dis-
de battre des joueur·ses de poker, ponibles : on en déduira la faisabilité, la nature des
d’aider une banque à conserver ses algorithmes à utiliser, ainsi que les profils métiers
client·es… Mais autour d’elle subsiste que vous devrez mobiliser sur le projet.
beaucoup de flou, tant sur la nature de ses outils que 2. Exigez ensuite une preuve du concept en labora-
sur la façon de les appréhender. toire, qui permettra de sécuriser la suite, de préci-
L’IA s’inspire du fonctionnement du cerveau humain. ser vos attentes et de commencer à vous projeter
Pour le comprendre, tendons le micro virtuel à la dans l’intégration de l’outil à vos process.
joueuse internationale de basket-ball Céline Dumerc : 3. Si vous avez passé avec succès ces deux étapes,
« Comment avez-vous su que ce tir à trois points allait il vous faut maintenant choisir un·e partenaire ca-
rentrer ? » Réponse : « Je l’ai senti. » L’interprétation pable de développer, déployer et accompagner
couramment admise est que le cerveau avait, de lui- l’outil.
même, enregistré des milliers de tirs et, en raisonnant
par similarité, conclu que celui-ci avait la bonne tra- De tels acteurs se trouvent facilement en France, par
jectoire. Le modèle informatique reproduisant ceci se exemple via le Hub France IA, le DataLab Normandie,
base sur les réseaux de neurones artificiels. Gourmand l’OpenData Lab Occitanie, pour ne citer que les éco-
en ressources, il a dû attendre les années 2010 pour systèmes que je connais.
que les machines disponibles soient assez puissantes En suivant ces règles de base, vous vivrez des projets
pour l’utiliser. passionnants… et fort utiles !
Les technologies basées sur ce modèle, connues sous
les vocables d’« algorithmes », de « machine lear- Jean-Marc Deshayes
ning », de « deep learning »… varient selon deux para-
mètres principaux : la structure du réseau de neurones
(largeur, profondeur) et le degré d’implication néces-
saire des expert·es humain·es (apprentissage supervi- À P R O P O S D E L'A U T E U R
sé ou non).
Le carburant de ces algorithmes est la donnée. Si vous Jean-Marc Deshayes est l'un des fondateurs de
avez, sur un thème précis, un ensemble conséquent de MomentTech, société spécialisée dans les domaines
données, et sur ce même thème, un souhait d’amélio- de l’intelligence artificielle et de la téléphonie sur IP
ration de votre entreprise, commencez par vous poser (Internet Protocole), qui contribue activement à la
la question suivante : « Une analyse adéquate de ces popularisation et à l’appropriation par les acteurs
données m’aiderait-elle à améliorer mon dispositif ? » régionaux des technologies d’intelligence artificielle.

79
DE LA HAUTEUR

80
DE LA HAUTEUR
Les femmes sont de plus en plus nombreuses
à jouer ou travailler dans le secteur du jeu vidéo.
Mais elles font face à un fort sexisme du milieu,
voire à du harcèlement et des agressions.
La mixité est une conquête qui se paie cher.
Alors, comment remporter la partie ?

« Ça surprend encore mon entourage, titions. Sur 1,3 million de personnes qui
mais en tant que femme, je joue quatre pratiquent l’e-sport en amateur (avec
à huit heures par semaine sur console, classement et compétition en ligne ou
et trois-quatre heures par jour sur mon en réseau local), seulement 10 % sont
téléphone », énonce Delphine Vauchel, des femmes, selon le baromètre France
ingénieure pédagogique multimédia. Esport réalisé à l’été 2019. Même constat
À 40 ans, cette mère de deux enfants du côté du monde professionnel : elles ne
reflète pourtant le portrait du gamer en sont que 17 % à travailler dans l’industrie
France, tant du point de vue de l’âge du jeu vidéo. Les femmes sont davantage
que du genre. Aujourd’hui, un joueur sur présentes sur les plateformes de strea-
deux (48 %) est une femme, selon l’étude ming (Twitch en tête) ou sur YouTube,
« Les Français et le jeu vidéo », réalisée mais plutôt comme créatrices de conte-
en octobre 2019 par Médiamétrie pour le nus (présentation de revues de jeux,
SELL (Syndicat des éditeurs de logiciels infos sur les sorties, interviews…) que
de loisirs). « On a l’image des femmes qui comme joueuses. Quelques-unes font
jouent à Candy Crush sur leur téléphone, figure d’exception, à l’instar de l’icône
mais c’est un préjugé, car elles jouent Kayane, 29 ans. Depuis l’âge de 9 ans, la
aussi sur leur ordinateur ou sur console, championne en jeux de combat est arri-
et à tous les types de jeux », affirme vée dans le top 16 de plus de 100 tour-
Audrey Leprince, cofondatrice et prési- nois en France et à l’international, dont
dente de l’association Women in Games, un quart à la première place. « C’est sans
qui œuvre pour la mixité dans l’industrie doute la seule gameuse française à vivre
du jeu vidéo en France. de l’e-sport en tant qu’indépendante,
Si les joueuses sont bien représentées grâce à ses victoires en compétition et
Texte. Natacha Lefauconnier en version « loisirs », la donne change à ses sponsors », estime Servane Fischer,
Image. Matthias Orsi dès que l’on se penche sur les compé- ancienne joueuse professionnelle. Après

81
DE LA HAUTEUR

avoir obtenu son master en droit (« en ming et ils ont dit “Regardez celle-là !”
huit ans au lieu de cinq », précise-t-elle, et 80 personnes ont débarqué sur mon
car il y a une période où elle s’entrainaît stream pour m’insulter. Je me suis éner-
12 heures par jour à Counter Strike), elle vée, et c’est seulement une fois que mon
a rejoint Women in Games où elle a créé direct a été terminé que j’ai pleuré, je
l’incubateur de joueuses. « L’objectif est ne voulais pas me montrer en victime »,
d’intégrer des femmes dans les équipes confie la jeune joueuse.
mixtes de l’e-sport. » Assumer son genre féminin, c’est s’expo-
ser à se faire traiter de « e-girl » (sous-en-
« Retourne dans ta cuisine » tendu une fille qui joue uniquement pour
mettre en valeur ses atouts physiques),
Le sexisme et le manque d’ouverture ou à des propos misogynes tels que
expliquent en partie la faible proportion « retourne dans ta cuisine », « cougar »,
des femmes dans les compétitions de « sale féministe » ... quand il ne s’agit pas
top niveau. « Depuis quatre ou cinq ans, de drague : « Ça va, princesse ? », « Hé,
il y a une prise de conscience des com- tu me donnes ton Instagram ? »
portements toxiques dont sont victimes Presque tous les jeux en ligne proposent
de signaler ces mauvais comportements,
mais le nombre de « tickets » reçus par les
« Il est nécessaire que modérateur·trices est si important que
les « bans » de comptes sont longs à ve-

les éditeurs de jeux et les nir. Ce qui donne aux harceleurs, à l’abri
derrière leur pseudo, l’impression d’une
quasi-impunité. Certains vont même très
organisateurs d'événements loin, allant jusqu’à des menaces de mort
ou à tenter de pousser au suicide leurs

établissent un code de bonne victimes, comme l’a relaté la streameuse


belge Manonolita, dont la vie personnelle
et professionnelle a été bouleversée par
conduite strictement appliqué » des mois de harcèlement.

Harcèlement : de la Toile
Celia Hodent, docteure en psychologie au studio de jeux vidéo

Le mal s’étend au-delà du harcèlement


les femmes qui jouent en ligne, surtout en ligne, on l’a vu au début de l’été 2020
quand elles en font leur métier, dénonce avec « l’affaire Ubisoft ». Deux ans et demi
Audrey Leprince. Cela a un impact sur après le mouvement #metoo, le stu-
leur capacité à s’entraîner et à s’inscrire dio français au succès international a vu
en compétition. » Manon, 23 ans, étu- fleurir les témoignages de harcèlement
diante en master à l’IIM (Institut de l’In- sexuel et moral sur Twitter, avant qu’une
ternet et du Multimédia), confirme : « Sur enquête du journal Libération ne vienne
Twitch, quand une femme apparaît à confirmer l’ampleur et la gravité des faits.
l’écran, ça s’emballe tout de suite dans Des récits similaires concernent le studio
les commentaires. Une gameuse peut se Ubisoft de Caroline du Nord, où selon la
faire "sniper" : lorsqu’elle lance une par- Twittos @NinaDoesntCare « le service
tie d’un jeu, des gens mal intentionnés des ressources humaines aurait tenté
lancent le jeu en même temps pour être d’acheter le silence des employées en
dans la même partie. » En 2016, la jeune leur offrant des cartes cadeaux (sic) ».
femme a été victime d’un « raid », via le fo- Ubisoft s’est séparé mi-juillet de plusieurs
rum 18-25 hébergé par le site jeuxvideo. de ses dirigeant·es emblématiques, et
com : « Ils ont trouvé ma chaîne de strea- une enquête interne est en cours.

82
DE LA HAUTEUR
Si tous les studios de développement de jeux ne sont
pas aussi gangrenés, ils restent un univers très masculin :
on y trouve seulement 14 % de femmes, selon le baro- La Game Boy, un nom
mètre 2020 du jeu vidéo. « L’industrie du jeu vidéo n’est
malheureusement pas très inclusive et il peut donc être qui en dit long
difficile pour les femmes de s’y faire une place. Il y a
néanmoins beaucoup de solidarité entre les femmes et Joyeux anniversaire, Game Boy ! C’est en effet le 28 sep-
les minorités de l’industrie. Ainsi, réseauter avec d’autres tembre 1990 que la console portable emblématique de
femmes et trouver une guide peuvent grandement ai- Nintendo est arrivée en France, avec son célèbre jeu Te-
der », conseille la docteure en psychologie Celia Hodent, tris. Trente ans, déjà ! Mais pourquoi diable ce nom ou-
« rôle modèle » qui a débuté en 2008 chez Ubisoft, tra- vertement sexiste a-t-il été choisi par le constructeur ja-
vaillé pour LucasArts avant de devenir la directrice de ponais ? Tout simplement parce que Nintendo se serait
l’expérience utilisateur au sein d’Epic Games, où elle a inspiré du « walkman » de Sony, transformant « walk » en
contribué au succès du jeu Fortnite. Ainsi les réseaux « game » vu qu’il s’agit d’un jeu, et « man » en « boy »,
Girls in Tech, Duchess France et bien d’autres offrent puisque la console s’adresse aux jeunes... garçons. Voilà
des espaces de discussion entre femmes, où toutes les qui illustre à quel point la tech est devenue genrée à par-
questions peuvent être abordées ouvertement (salaires, tir de cette époque.
conditions de travail, etc.). Avec des résultats encoura-
geants : en 2019, les formations aux métiers du jeu vidéo
comptaient 26 % d’étudiantes, d’après le même baro-
mètre du SNJV (Syndicat National du Jeu Vidéo). une bibliographie et des contacts utiles. Parallèlement,
l’association a élaboré en 2019 avec le CNC (Centre Na-
Une lente évolution des mentalités tional du Cinéma et de l’image animée) une charte éga-
lité pour les écoles de jeu vidéo, qui vise à encourager la
Petit à petit, les mentalités du secteur et des joueur·ses mixité dans le secteur.
commencent à changer. « Pour cela, il est nécessaire que
les éditeurs de jeux et les organisateurs d’événements Favoriser la mixité en compétition
établissent un code de bonne conduite et qu’il soit stric-
tement appliqué », insiste Celia Hodent, qui aborde le Quant au dernier bastion du e-sport, il est encore « dif-
sujet sans tabou dans son livre Dans le cerveau du ga- ficile de se faire une place mais pas impossible ! »,
mer (Dunod, 2020). Du côté des éditeur·trices de jeux témoigne Angélique, 28 ans, qui a joué en compétition
vidéo, on imagine des jeux moins propices à la toxici- pendant quatre ans sur League of Legends avant de de-
té, par exemple en favorisant la mixité des personnages venir joueuse, puis manageuse de joueuses pour l’incu-
(« Zarya, la bodybuildeuse russe aux cheveux roses bateur de Women in Games lancé par Servane Fischer.
d’Overwatch, est beaucoup jouée par les hommes », Pour cette dernière, la constitution d’équipes féminines
souligne Servane Fischer). On invente des alternatives avec des compétitions dédiées est une fausse bonne
qui ne nuisent pas à la performance de la joueuse – ou idée. Il n’y a pas de données précises, mais on comp-
du joueur, d’ailleurs ! - qui préfère jouer sans micro pour terait une centaine d’équipes féminines environ, pour
éviter d’être embêté·e. Ainsi Rocket League propose un 10 000 équipes masculines ! « L’e-sport est un sport
« quick tchat » avec des messages pré-écrits, tel que mixte, où femmes et hommes peuvent s’affronter en
« nice shot » (« joli tir »). Une solution d’évitement qui a compétition, affirme la responsable de l’incubateur. On
le mérite d’être rapide à mettre en œuvre. Delphine et ne veut pas avoir des quotas de femmes en tournoi pro-
Manon constatent aussi qu’il est désormais plus fréquent fessionnel, ce serait contre-productif. On veut prouver
qu’un joueur qui parle mal à une gameuse se fasse rappe- notre habilité au jeu ! »
ler à l’ordre par un autre joueur masculin. Comme le souligne Angélique, « il faut montrer deux fois
De son côté, Women in Games propose de télécharger plus ses compétences quand on est une femme ». Mais
gratuitement via son site un « Guide pour agir face au les structures des tournois comme les équipes pros sont
cyberharcèlement ». Outre des conseils pratiques de de plus en plus ouvertes à l’idée de mixité. « Quel que
prévention (pour une chaîne de streaming : écrire ses soit le genre, c’est l’investissement et l’envie qui permet-
propres règles de tchat, modérer les commentaires, utili- tront d’aller loin ! », conclut la jeune femme. Les « boys
ser un chatbot…), la publication indique comment réagir clubs » n’ont qu’à bien se tenir...
et porter plainte, rappelle des articles de loi et propose

83
DE LA HAUTEUR

84
DE LA HAUTEUR
Le musée déconfiné
joue la carte
de la proximité
Les musées ont dû faire preuve
d’inventivité pour garder le
lien avec leur public malgré
leurs portes closes pendant la
crise sanitaire. Des pratiques
qui se prolongent aujourd’hui
et renouvellent l’expérience
muséale.

« Pendant le confinement, j’ai fait une vi-


site virtuelle magnifique du tombeau de Ramsès VI. On
rentrait dans le tombeau comme si on y était, avec la
possibilité de zoomer sur les parois… », décrit Françoise,
55 ans, encore émerveillée. Pour garder le lien avec ses
élèves, cette professeure documentaliste dans un col-
lège a cherché sur Internet des lieux culturels pouvant
attirer des ados et partagé quelques-unes de ses trou-
vailles sur le blog du CDI, créé pour l’occasion. Car le
ministère du tourisme égyptien n’est pas le seul à s’être
tourné vers le numérique pour conserver le lien avec son
public assigné à domicile. « Les musées se sont empres-
sés de rendre disponibles les ribambelles d’applications,
de ressources et d’expositions virtuelles qui existaient
déjà et d’en créer de nouvelles », note Gaëlle Crenn, maî-
Texte. Daphnée Leportois tresse de conférences en sciences de l’information et de
Image. Laure Dorin la communication au Centre de recherche sur les média-

85
tions à l’université de Lorraine, et experte Louvre, qui a cumulé plus de 10 millions
DE LA HAUTEUR

en muséologie. de visites virtuelles pendant ces deux


Gaëlle, 46 ans, directrice des relations ex- mois, impossible d’affirmer aujourd’hui
térieures dans une entreprise du numé- que cela se traduira par une augmenta-
rique et fondue d’Écosse et d’Irlande, a tion des visites en présentiel. La longue
depuis chez elle e-visité Belfast et ainsi période de fermeture généralisée a « lé-
complété le voyage qu’elle y avait fait en gitimé la visite à distance comme une
novembre 2019. Elle s’est aussi plongée offre de médiation en tant que telle et on
avec délectation dans la lecture du long peut s’attendre à ce que l’ensemble du
texte de présentation de l’exposition système d’offre de médiation soit repen-
« Soleils noirs », du Louvre-Lens. « Ça sé », estime Gaëlle Crenn, la chercheuse
m’a énormément nourrie », insiste celle spécialiste des institutions culturelles.
qui, en temps normal, fait deux à trois ex- Exemple marquant et nouveauté dans le
positions par mois. Après l’expérience du domaine muséal hexagonal : le Mémorial
confinement, elle envisage désormais de de Verdun propose une visite partielle
préparer et d’approfondir ses visites sur de cinq panoramas à 360 degrés dont
place par un détour sur le Net. La crise l’accès est gratuit, et pour trois euros,
sanitaire a ainsi mis au jour des solutions une visite complète de vingt panoramas.
numériques qui pourraient bien renfor- Gaëlle Crenn voit dans cette offre en
cer sur le long terme la proximité avec le ligne payante « une reconnaissance de
public, même si à court terme il peine à tout ce travail de conception, d’offre de
revenir dans les institutions culturelles et médiation numérique et de contenus de
muséales. haute qualité ».
Portes closes, les institutions ont aussi
Médiation légitimée joué la proximité « en partageant plus
largement leurs coulisses sur le Net »,
Si de nombreux musées ont constaté pen- observe Bérénice Kübler. Cette docto-
dant le confinement une fréquentation rante en sciences de gestion à Aix-Mar-
accrue de leur site internet, à l’instar du seille Université a passé en revue avec
une consœur 78 pratiques confinées en
ligne de musées français. Parmi les ten-
dances qu’elle a dénombrées et qui
pourraient perdurer : la « démystification
« Des offres se sont du musée ». Faute de pouvoir se rendre
comme prévu aux États-Unis pendant les

inspirées de l’émergence vacances d’été, Gaëlle, également pas-


sionnée d’art contemporain, a ainsi dé-
couvert en ce printemps confiné l’Art Ins-
du Web 2.0 dans les titute of Chicago, notamment au travers
d’une vidéo dans laquelle la mairesse de
la ville va à la rencontre des œuvres et
années 2000 et ont fait du personnel. « Sur place, j’aurais fait le
musée. Là, j’y vais régulièrement, plus en
place à l’interactivité, profondeur. »

Moins de distance,
l’échange mais aussi à la plus d’intimité

cocréation de contenus. » Ces tentatives de créer de la proximité


avec le public hors les murs sont parfois
allées plus loin que la diffusion numérique
Gaëlle Crenn, experte en muséologie de ressources patrimoniales ou la mise en

86
DE LA HAUTEUR
lumière de métiers méconnus. Les musées ont cherché
à engager pleinement les e-visiteur·ses, relève la cher-
cheuse Gaëlle Crenn. « Des offres se sont inspirées de
Trois visites
ce qui avait déjà débuté dans les années 2000 avec
l’émergence du Web 2.0 et ont fait place à l’interactivi-
té, l’échange mais aussi à la cocréation de contenus. »
dans et avec
Ainsi le musée de Pont-Aven (Finistère) a mis en route
une exposition participative entre le 1er mai et le 7 juin, en
demandant aux internautes de choisir parmi cinquante
tous les sens
œuvres celles qui seraient exposées à partir d’octobre.
« Il y a alors un vrai partage de l’autorité du musée avec
le public, estime la chercheuse. On lui donne plus de
place en tant qu’acteur et on resserre ainsi les liens avec Le Muséum des sciences naturelles d’Angers
l’institution. » 1 a créé un avatar dans le jeu Animal Crossing :
New Horizons. Léo Tessier, médiateur scientifique,
Devenir acteur·rice de la visite a donné rendez-vous dans cet e-bâtiment insu-
laire les mercredis et dimanches pendant le confi-
Autres orientations qui permettent de faire descendre nement pour une visite guidée collective (sept
un peu le musée de son piédestal comme de donner un joueurs maximum) de 45 minutes où l’on apprend
rôle plus actif aux visiteur·ses : la « gamification » et le entre autres que les araignées ne sont pas des in-
détournement des œuvres. « Ce n’est pas forcément sectes et que les dinosaures n’ont pas totalement
l’objet muséal et le patrimoine qui sont mis en avant, disparu. Les visites virtuelles ont été mises en pause
mais aussi tous les savoirs connexes avec de petits ate- au déconfinement, mais le muséum n’est « pas fer-
liers bricolage, ajoute Bérénice Kübler. Ce côté travaux mé à l’idée de reproduire cette initiative ».
manuels ôte l’aspect parfois "chichi-pompon" de l’objet
d’art enfermé dans son musée. » En plus d’avoir proposé une visite quasi pri-
À Paris, le musée des Plans-Reliefs, qui abrite des ma-
quettes historiques, est entré dans le jeu en créant des
2 vée du musée encore fermé en partenariat
avec Facebook, le MuséoParc Alésia, en Côte d'Or,
puzzles pour reconstituer en 2D et à domicile les ma- dont l’exposition « Dans les cuisines d’Alésia » au-
quettes de Rome, d’Antibes ou de Blaye ainsi qu’un me- rait dû ouvrir ses portes le 4 avril 2020, a pris le
mory. Sur son tout nouveau compte Instagram, il a aussi parti de partager au printemps des recettes gour-
lancé le #VaubanChallenge. L’objectif : reconstituer une mandes et antiques sur Internet. Galettes au sé-
citadelle à la Vauban avec des objets du quotidien. same, pains de Caton et autres saveurs culinaires
Rien à voir avec les visites scolaires, lors desquelles, té- romaines ont chaleureusement traversé le temps
moigne la documentaliste Françoise, « les élèves sont à (à condition d’avoir trouvé de la farine en rayon) et
nouveau en classe – il ne faut pas parler, pas bouger – rencontré les papilles des e-visiteur·ses. Sur Twit-
parce qu’on sacralise le musée et rentre dedans comme ter comme sur Facebook, Michel Rouger, son direc-
dans une église ». Le test de personnalité « Quel navire teur, relaie fréquemment photos et vidéos autour
es-tu ? » du musée de la Marine, que la professeure a des collections ainsi que des détails croustillants
relayé auprès de ses élèves, comme le jeu des dix dif- sur la vie gauloise et gallo-romaine.
férences autour d’un intérieur domestique gaulois lancé
sur Twitter par le musée de la civilisation celtique, en
Bourgogne, participent aussi de cette familiarité muséale
ponctuée de gifs et d’apprentissage récréatif. Cette pré-
3 Le Musée français de la photographie, à
Bièvres (Essonne), propose en ligne un « ate-
lier du regardeur » sur la couverture de livre. Idéal
sence sur les réseaux sociaux a aussi l’avantage d’être pour comprendre l’utilité d’une image d’illustra-
plus accessible financièrement que les visites virtuelles. tion et les rapports entre image et texte, comme
Pour Géraldine Froger, la community manager du musée pour se la jouer écrivain·e, photographe ou gra-
des Plans-Reliefs, « les réseaux sociaux peuvent être un phiste. On en prend plein les yeux et on met aussi
portail d’entrée sur nos collections spécialisées et peu les mains dans le cambouis, en choisissant le genre
connues ». De quoi laisser espérer un élargissement du de l’ouvrage, le titre et la photo de couverture
public. Un déconfinement muséal, en somme. à partir d’images conservées par le musée. Il ne
reste plus qu’à imprimer son œuvre !

87
DE LA HAUTEUR

88
DE LA HAUTEUR
Numérique,
la fracture de trop ?
L’immense majorité du territoire français est
désormais couverte par les infrastructures fixes
et mobiles d’accès à Internet. Néanmoins, des
lignes de fractures entre les connecté·es et les
autres subsistent. Que ce soit en termes de
géographie, de genre, d’âge, ces inégalités
se situent-elles là où l’on croit ? Chut ! démêle
le vrai du faux.

Sur le territoire français, de la France peut accéder à un débit de


on dispose, partout, d’un accès 30 à 100 Mbit/s. Pour les technologies
à Internet mobiles, l’Arcep estime à 99 % la cou-
verture par la 4G. Les zones blanches se
FAUX situent essentiellement dans les endroits
les moins peuplés et dont la géographie,
La couverture numérique du territoire en montagne par exemple, constitue un
est érigée en priorité de l’action pu- obstacle au déploiement des infrastruc-
blique depuis presque vingt ans ; le pre- tures. Mais les habitant·es de territoires
mier plan gouvernemental en la matière urbains ou péri-urbains peuvent aussi
date de 2002. Selon l’Observatoire haut pâtir de connexions défaillantes. C’est le
et très haut débit de l’Arcep, l’autorité cas dans certaines zones du Nord-Pas-
de régulation des télécommunications, de-Calais ou de la Manche, où les équipe-
0,3 % du territoire ne bénéficie d’au- ments n’ont pas toujours été entretenus.
cun accès fixe à Internet. Ainsi 100 000 Dans certains quartiers « prioritaires de la
Texte. Sylvie Fagnart foyers sont privés d’ADSL, avec des dé- politique de ville », les câbles n’arrivent
Image. Michelle Pereira bits inférieurs à 3 Mbit/s, alors que 90 % pas non plus dans toutes les barres HLM.

89
Une personne sur six n’utilise
DE LA HAUTEUR

précise Pascal Plantard, anthropologue


pas Internet des usages numériques et professeur à
l’Université Rennes 2.
VRAI
Pauvre ou riche, on utilise le
La statistique est issue de l’enquête me- numérique de la même manière
née chaque année par l’Insee sur l’utili-
sation par les ménages des technolo- C’EST PLUS COMPLIQUÉ
gies numériques. Entre 12 et 15 % de la
population française de plus de 15 ans Dans son ouvrage L’Internet des familles
n’ont pas utilisé Internet au cours des modestes, la sociologue Dominique
douze derniers mois. Ce recensement Pasquier constate que les taux d’usage
recouvre toutefois des réalités très dif- des plus modestes ont rejoint ceux des
férentes, puisqu’il place dans le même classes sociales supérieures, et que les
ensemble le cadre supérieur consultant usages en eux-mêmes diffèrent peu
les réseaux sociaux sur son smartphone d’une catégorie sociale à l’autre, comme
toutes les trois minutes et le chômeur la présence sur les réseaux sociaux ou la
qui galère, chaque mois, à actualiser consommation de vidéos, par exemple.
sa situation sur le site de Pôle emploi. « On peut observer des poches de spé-
Au-delà de la question de la couverture cificité, à explorer encore, en étudiant
en réseaux (ADSL, fibre, 4G), les exclu·es les habitudes des familles plus favori-
du numérique se retrouvent principale- sées, comme un refus d’utiliser l’e-mail
ment chez les personnes âgées - 64 % ou une obligation de transparence des
des plus de 75 ans n’ont pas utilisé Inter- pratiques entre les membres de la fa-
net au long de l’année écoulée, selon la mille », développe-t-elle, en insistant
même enquête de l’Insee - et les popula- sur l’opportunité d’une « école de la
tions précaires. « Des éléments de nature deuxième chance » que représente le
différente alimentent cette exclusion : le web et les informations qu’on y trouve.
niveau de pouvoir d’achat, face à des Néanmoins, les usages des enfants
technologies souvent très chères, et la peuvent être différents, en fonction des
capacité à prendre en main les outils », revenus de leurs parents et de leur caté-
gorie socio-professionnelle, comme l’a
montré l’étude « Grandir connectés » me-
née par Anne Cordier, enseignante-cher-
cheuse en sciences de l’information et de
Une fracture ou des exclusions ? la communication à l’Université de Rouen.
« Dès le plus jeune âge, les enfants des
CSP+ développent, par imitation, des
Pour l’anthropologue Pascal Plantard, il est temps d’agir Pour en finir compétences qui correspondent à des
avec la fracture numérique, titre d’un ouvrage qu’il a dirigé (éditions FYP, attentes de l’école, comme la réalisa-
2011). En 2009, déjà, Éric Guichard, maître de conférences à l’école na- tion d’un diaporama et l’utilisation d’un
tionale des bibliothécaires (Enssib) publiait un article intitulé Le mythe de tableur », démontre-t-elle. « D’autres
la fracture numérique : « Gardons en tête que l’expression a été utilisée compétences – la constitution et l’ani-
pour la première fois par Bill Clinton, au début des années 1990, quand mation d’une communauté ou l’écriture
seulement 4 % de la population américaine était alors connectée. » de fanfictions, par exemple – ne sont
Pascal Plantard et Éric Guichard font partie de celles et ceux qui dé- pas valorisées de la même manière
noncent un « concept politique creux », uniquement tourné vers l’équipe- par l’institution scolaire », ajoute-t-elle.
ment, sans se poser la question des usages et des cultures numériques. Le prisme du revenu ne rend que partiel-
Ils préfèrent, au terme de « fracture », celui d’ « exclusion ». Le reproche lement compte des différences d’usage.
est surtout adressé aux responsables politiques qui brandissent l’expres- « D’un territoire à l’autre, les lignes
sion « fracture numérique » mais prennent des décisions qui excluent, bougent », insiste Pascal Plantard, qui il-
comme passer au tout-numérique pour l’administration. lustre son propos avec l’exemple de cer-

90
DE LA HAUTEUR
taines régions acclimatées depuis long-
temps aux technologies numériques : « Les digital natives sont
celles de Lannion ou encore de Rennes,
dont les habitant·es ont expérimenté le
Minitel dès le début des années 1980. « À
une construction sociale.
Grenoble, qui bénéficie du rayonnement
de cette culture, des ouvriers font preuve On rencontre des geeks
de davantage d’aisance numérique
que certains cadres du Sud-Ouest, par
exemple », explique-t-il.
de 60 ans et des jeunes de
Les digital natives sont très 15 ans perdus avec certains
à l’aise avec les nouvelles
technologies
usages du numérique. »
FAUX
Anne Cordier, enseignante-chercheuse
La légende des prouesses numériques
des « digital natives », la génération née
après 1980, reste vive. Et pourtant. « Les
digital natives sont une construction so-
ciale. Des individus aux équipements et
usages différents sont envisagés comme les “maîtres du temps”. Les seconds ont
un tout homogène sous prétexte qu’ils tendance à déléguer ces apprentissages
ont le même âge. Or, on rencontre des aux temps extrascolaires », regrette-t-elle.
geeks de 60 ans et des jeunes de 15 ans
perdus avec certains usages du numé- Le genre a une influence
rique », martèle Anne Cordier. Parmi sur l’accès au numérique
les jeunes qu’elle interroge au cours de
ses enquêtes de terrain, certain·es ont VRAI, quoique…
développé une dextérité remarquable
pour se servir de logiciels de graphisme Les femmes souffrent un peu plus d’ex-
en ligne, mais s’avèrent désorienté·es clusion numérique que les hommes. 16 %
quand il s’agit de transformer un docu- des femmes n’utilisent jamais Internet,
ment en pdf. D’autres connaissent tout contre 14 % des hommes. Et les femmes
de la « boîte noire » d’un ordinateur, sont 49 %, contre 44 % d’hommes, à re-
mais se laissent convaincre par des connaître au moins une « incapacité
contenus complotistes parce qu’ils ou numérique ». Mais « plutôt qu’une diffé-
elles manquent de ressources pour croi- rence dans les usages, on constate une
ser une information. différence dans les représentations »,
Les compétences numériques sont di- souligne Anne Cordier. Les hommes bé-
verses et parfois sans lien les unes avec néficient d’une « prime à la compétence »
les autres. Difficile, dès lors, de consi- induite. Les réactions des vendeur·ses de
dérer que les plus jeunes les maîtrisent technologies ne sont pas les mêmes face
toutes sans difficulté. Pour la chercheuse, à un client ou une cliente. Chez les plus
cette idée reçue est en outre délétère. jeunes, tous les garçons sont censés être
« Elle entraîne une démission éduca- des amateurs de jeux vidéo, quand la re-
tive et pédagogique. Elle sous-entend présentation des usages des filles s’ar-
que les adultes, parents et enseignants, rête aux photos postées sur les réseaux
n’ont pas de place dans l’accompagne- sociaux. Or nombreuses sont en réalité
ment des apprentissages numériques. les « gameuses ».
Les premiers sont conduits à n’être que

91
POINT DE VUE

Le point de vue de notre partenaire Code-Store

Le code
dans les nuages
Le modèle des entreprises de services du
numérique connait une mutation profonde sous
l’impulsion du cloud computing et de la nécessité
pour de nombreuses entreprises de passer à la
vitesse supérieure de la transformation digitale.

e digital est devenu une « commodité

L
vitale » des entreprises. Alors qu’on
nous a vendu du « every company is
a tech company », cela tend enfin à
devenir vrai. Et si chaque boîte devient
de plus en plus tech, le digital, au cœur
stratégique du réacteur des entreprises, doit se do-
ter d’équipes internes, alignées sur les indicateurs
clés de performance de l’entreprise.

Pour accompagner ce changement, les « labs » et


« digital factories » voient le jour, notamment chez
les entreprises du CAC 40, et deviennent les leviers
de transformation. Parallèlement, Dior, Saint-Go-
bain, JCDecaux internalisent le digital et miment les
organisations des start-up pour attirer et retenir les
talents. Et ça marche !

La simplification est aussi au rendez-vous, appré-


ciable pour les plus petites comme pour les plus
Image. Laure Dorin grosses structures. Alors que l’intégration de solu-

92
POINT DE VUE
tions éditeur·trice nécessitaient un savoir-faire et des Ces entreprises et les agences emploient des cen-
expertises pointues, la bascule vers les SaaS (Software taines de milliers de développeur·ses de talent, créent
as a Service - « Logiciel en tant que service ») et la de nombreux projets digitaux, répondant à une infini-
multiplication d’éditeur·trices plus petits facilitent l’in- té de besoins métiers très spécifiques. La gestion du
tégration, au point de se passer, en interne, des com- stockage des eaux-de-vie de Cognac, le système d’in-
pétences des développeur·ses intégrateur·trices, par formation du SAMU ou le transport et la vente de tour-
exemple Worldline vs Stripe ou Shopify vs Magento. teau de colza ne vous parlent peut-être pas, mais sont
C’est encore naissant, mais la tendance est là. des projets très complexes créés par des ESN. Elles
résolvent des problèmes fonctionnels qui concernent
Et pour cause, les client·es préfèrent des dépenses potentiellement de multiples client·es, qui ne sont que
d’exploitation liées aux activités réelles de leur en- rarement couvert·es par des éditeur·trices de manière
treprise et des prestataires facilement interchan- satisfaisante.
geables, aux dépenses d’investissement pesant sur
les comptes, complexes à amortir et sans possibilité Imaginons un instant qu’une ESN développe, pour
de changement avant plusieurs années. Finalement, le compte d’un·e client·e, une fonctionnalité réutili-
ceux qui resteront en interne comme en externe sont sable pour d’autres, et qu’elle puisse tester, en mode
à la fois des expert·es à forte valeur ajoutée, aidant les « lean » (une gestion au plus juste des besoins), sa
grandes entreprises à gérer des plateformes digitales mise à disposition en tant que service XaaS (Anything
d’envergure sur les enjeux techniques d’aujourd’hui as a Service - « Tout en tant que service »), vendu avec
et de demain (IA, RPA, blockchain, edge computing, un abonnement ou à l’usage.
data, UX, sécurité, serverless, microservices) et des
régies offrant un accès quasi immédiat à un pool im- Améliorés et complétés au fur et à mesure des inté-
portant de ressources diversifiées aux grandes entre- grations, ces services seraient, à terme, une source de
prises (« Pouvez-vous monter un plateau avec 40 devs revenus récurrents stables pour l’ESN et une source
NodeJS et AngularJS ? »). d’économies pour les client·es, bénéficiant de briques
toutes prêtes pour construire et tester leurs projets
Vers le XaaS et au-delà digitaux.

Parmi ces acteurs et actrices de la transformation digi- Maxime Topolov


tale des entreprises, on retrouve les éditeur·trices de
logiciels et solutions de service, qui pour la quasi-tota-
lité sont désormais des plateformes SaaS.

Si les éditeur·trices ont rapidement couvert les be-


soins fonctionnels communs des entreprises (CRM, À P R O P O S D E L'A U T E U R
e-commerce, PIM, DAM, ERP, WMS, CMS…), il reste
une majeure partie de besoins fonctionnels très spé- Maxime Topolov est l’un des cofondateurs
cifiques aux métiers qui sont peu ou pas couverts, et de code.store (https://code.store), une plateforme
quand ils le sont, les éditeur·trices sont trop petit·es permettant de partager, réutiliser et monétiser des
et n’arrivent que rarement à suivre les dernières ten- fonctionnalités et services numériques. Auparavant,
dances du marché. C’est ici, de mon point de vue que il s’est forgé un nom dans le secteur de la tech avec
les agences et les ESN (Entreprises de Services du Nu- l’entreprise Adyax, une agence digitale spécialisée
mérique) peuvent tirer leur épingle du jeu. sur Drupal, vendue depuis à Smile Group.

93
Merci. Chut ! existe grâce à vous !
Adeline Carvalho ♥ Adeline Loury ♥ Adrien Debbah ♥ Agnès De Preville ♥ Agnès Louis ♥ Agnès Simillion ♥ Ahmed Timdouine ♥
Alain Brevet ♥ Alain Garnier ♥ Alain Goudey ♥ Alain Guillemier ♥ Alban Bastard-Rosset ♥ Alban Peleszko ♥ Alban Tiberghien ♥
Aldja Kateb ♥ Alexandra Besnard ♥ Alexandra Fleury ♥ Alexandra Foucaud ♥ Alexandra Lucas ♥ Alexandre Bochet ♥ Alexandre Lavissière
♥ Alexandre Mazurier ♥ Alexandre Pousse ♥ Alexia Dussud ♥ Alexis Cordero ♥ Alice Hammel ♥ Alice Nachbauer Denieul ♥ Alice Prinet
♥ Alice Rahmoun ♥ Alicia Couderc ♥ Aline Leonard ♥ Amandine Capelle ♥ Amandine Divay ♥ Amandine Grosse ♥ Amandine Serret
♥ Amandine Turpin ♥ Amélie Dupire ♥ Amélie Rimbaud ♥ Amélie Sigrist ♥ Anaïs Durand ♥ Anaïs Herbert ♥ Anaïs-Pascale Dattner ♥
André Georges Dubois ♥ Ange Kanza Mia Diyeka ♥ Angélique Figari ♥ Anissa Thevenard-Heddad ♥ Anna Choquet ♥ Anna Denet ♥
Anna Leckie ♥ Anne Bellon ♥ Anne Bioulac ♥ Anne Comte ♥ Anne Frye ♥ Anne Josselin ♥ Anne Laure Gogeon ♥ Anne Le Gall ♥
Anne Vonbank ♥ Anne-Claire Bouvier ♥ Anne-Lise Heinrich ♥ Anne-Sophie Thomas ♥ Anne-Sophie Tranchet ♥ Antoinet Van Dalen ♥
Armony Altinier ♥ Arnaud Demortière ♥ Arnaud Gave ♥ Arnaud Lemoine ♥ Arnaud Pronier ♥ Arnaud Senet ♥ Aroua Biri ♥
Astrid Lechipre ♥ Aude Serrano ♥ Aude Verdier ♥ Audrey Belhoste ♥ Audrey Berthet ♥ Audrey Bouchez Lompré ♥ Audrey Hespel ♥
Audrey Lucas ♥ Audrey Mahieux ♥ Audric Gueidan ♥ Aurélia Giffaut-Proust ♥ Aurélie Baulard ♥ Aurelie Lout Ponzio ♥ Aurélie Sannier
♥ Aurore Labed ♥ Aurore Southammakosane ♥ Aymeric Cattenoz ♥ Badra Kribi ♥ Barbara Dubois ♥ Barbara Heyd ♥ Batoul Hassoun
♥ Beatrice Beymond ♥ Beatrice Gabillet ♥ Beatrice Wattel-Bataille ♥ Bénédicte Didier ♥ Benjamin Pelus ♥ Benoît Clavier ♥
Benoit Lecomte ♥ Benoit Spittler ♥ Bernadette Marchetti ♥ Bertrand Wolff ♥ Beryl Bes ♥ Betty Bb ♥ Blandine Lanza ♥ Bouchra Benteta
♥ Bruno Decomble ♥ Bruno Galland ♥ Bruno Louis Séguin ♥ Caio Araujo ♥ Camille Guibert ♥ Camille Salanson ♥ Candice Hassani ♥
Carine Eynard ♥ Carine Verstraeten-Rieux ♥ Caro Prat ♥ Carol Patte ♥ Carole Benazza ♥ Carole Lavocat ♥ Caroline Baumont ♥
Caroline Catelas ♥ Caroline Delacroix ♥ Caroline Javit ♥ Caroline Lavaret ♥ Caroline Paroli ♥ Caroline Roussel ♥ Caroline Schlatter
♥ Caroufline V. ♥ Cate Herpson ♥ Catherine Besse ♥ Catherine Champeyrol ♥ Catherine Linget ♥ Catherine Techer ♥ Cathy Clément
♥ Cathy Versabeau ♥ Cécile Bergeret ♥ Cecile Bourrely ♥ Cécile Cathelin ♥ Cécile Flasaquier ♥ Cécile Hencky ♥ Cécile Prévost ♥
Cédric Menindes ♥ Cédric Teychené ♥ Célia Rosentraub ♥ Celina Vazquez ♥ Céline Authemayou ♥ Celine Corno ♥ Celine Guarneri
♥ Céline Meyrignac ♥ Céline Rousset ♥ Chantal Lacoste ♥ Charles Holderer ♥ Charlotte Bura ♥ Charlotte Cgondre78 ♥ Charlotte Licour
♥ Charlotte Rnnx ♥ Chirine Bourgerie ♥ Christel Desvignes ♥ Christelle Bordes ♥ Christelle Josselin ♥ Christelle Mandjiny ♥
Christiane Rousseau ♥ Christine Bossu ♥ Christine Damiguet ♥ Christine Inglessi ♥ Christine Sanchis ♥ Christine Soto ♥
Christophe Chalvin ♥ Christophe Schouler ♥ Cindy Garnier ♥ Cindy Lamamy ♥ Claire Ballini ♥ Claire Chauvet ♥ Claire Jeanroy ♥
Claire Lebras ♥ Claire Prieto ♥ Claire Romanet ♥ Clarisse Gratecap ♥ Claudine Joimel ♥ Clémence Gueidan ♥ Clemence Juignet ♥
Clémence Puzin ♥ Clément Vogt ♥ Coline Dejean ♥ Coline Renault ♥ Constance Frémond-Marsilli ♥ Corinne Aversano ♥
Corinne Et Fernand Inacio ♥ Corinne Korda ♥ Coryse Quibel ♥ Cyrielle Rech ♥ Damien Lanneau ♥ Damien S ♥ Daniella Tchana ♥
Daphné Sulkowski Vautherin ♥ David Lacombled ♥ De Bonfils Benoit ♥ Déborah Nsonde ♥ Delphine Morandet-Thouviot ♥
Delphine Sainsard ♥ Delphine Shi ♥ Dina Fawaz ♥ Domice Forget ♥ Dominique Briquet ♥ Dominique Descamps ♥ Dorothée Cavignaux
♥ Dubois Lucienne ♥ Dubrow Kristin ♥ Duc Ha Duong ♥ Edouard Boulon-Cluzel ♥ Eléonore Bougeant ♥ Eliette Lévy-Fleisch ♥
Elisabeth Bussenault ♥ Elisabeth Meur ♥ Elisabeth Roman ♥ Elise Carenau ♥ Elise Varin ♥ Elodie Dratler ♥ Elodie Duquesne ♥
Elodie Forestier ♥ Eloïse Kambrun Favennec ♥ Elsa Grangier ♥ Elsa Lelandais ♥ Elyette Roux ♥ Emilie Bolte ♥ Emilie Rembert ♥
Emilie Weynants ♥ Emily Tokar Daversin ♥ Emmanuel Vandamme ♥ Emmanuelle Arhodakis ♥ Emmanuelle Berthe ♥ Emmanuelle Durand-
Rodriguez ♥ Emmanuelle Elisabeth ♥ Eric Armet ♥ Eric Dodin ♥ Estelle Bekri ♥ Estelle Boullu ♥ Etienne Guillard ♥ Eva Tapiero ♥
Fabien Audat ♥ Fabienne Boudahout ♥ Fabienne Lancini-Olivier ♥ Fabrice Des Mazery ♥ Fahimeh Ponsonnaille ♥ Faïza Mekki ♥
Famille Ourry ♥ Fanny Gabas ♥ Fayole Moliere ♥ Fleur Cabeli ♥ Fleur Morel ♥ Florence Belzak ♥ Florence Canel-Nicolas ♥
Florence Mary ♥ Florine Deranty ♥ Francis Nappez ♥ Franck Alves ♥ Franck Barlemont ♥ Francois Gilles ♥ Françoise Lanore-Chatellier
♥ Fred Demarcq ♥ Freddy Pierrard ♥ Frederic Cheng ♥ Frederic Florent ♥ Frederic Lapeyre ♥ Frédéric Watine ♥ Frédérick Marchand
♥ Frédérique Larat ♥ Frédérique Lentiez ♥ Frederique Thiriet Smith ♥ Gabriel Lepadatu ♥ Gabriel Mahe ♥ Gabrielle Gueye ♥
Gaelle Gaili ♥ Gaëlle Guerin ♥ Gaelle Mangeon ♥ Gaëlle Picard-Abezis ♥ Gaëlle Roudaut ♥ Geneviève Bernard ♥ Geraldine Bretin ♥
Géraldine Milanesi ♥ Géraldine Montagnon ♥ Gil Moro ♥ Gilles Chetelat ♥ Gilles Vaillant ♥ Grégoire Hourlier ♥ Guillaume Bourgin ♥
Guillaume Briant ♥ Guillaume Charly ♥ Guillaume Laurie ♥ Guy Degeorges ♥ Gwen Weber ♥ Gwenn Pacotte ♥ Hana Khelifa ♥
Hanaé Loison ♥ Hannah Boularas ♥ Helene Allaire ♥ Helene Azevedo ♥ Hélène Comte ♥ Helene Deckx Van Ruys ♥ Hélène Hu ♥
Helene Michel ♥ Heloise De Nanes ♥ Héloïse Jodocius ♥ Herve Floree ♥ Hugo Brunon ♥ Inès Slama ♥ Irina Coyssi ♥ Isa Caire ♥
Isabel Bornet ♥ Isabelle Bouriaud Mehdi ♥ Isabelle Brancourt ♥ Isabelle Dezaniaux ♥ Isabelle Dremeau ♥ Isabelle Finger ♥
Isabelle Guenet ♥ Isabelle Kohl ♥ Isabelle Maradan ♥ Isabelle Masselot ♥ Isabelle Troucelier ♥ Isabelle Valadas ♥ Jacques Labidurie
♥ Jacques Leportois ♥ Jad Kfoury ♥ Jean Loup Fusz ♥ Jean Tourette ♥ Jean-Claude Balès ♥ Jean-Dominique Trouillard ♥
Jean-Louis Fradet ♥ Jean-Luc Peuvrier ♥ Jean-Marie Pommier ♥ Jeanne Peureux ♥ Jennifer Boukris ♥ Jennifer Elbaz ♥ Jennifer Kuhn
♥ Jennifer Merat ♥ Jérémy Martinetti ♥ Jérôme Caro ♥ Jérôme Clerc ♥ Jerome Goncalves ♥ Jerome Sulli ♥ Jérôme Valais ♥
Jessica Pontieux ♥ Joan Espejel ♥ Joanna Robic ♥ Joelle Ducouret ♥ John-Edwin Graf ♥ Jonathan Tessé ♥ Joris Maniquet ♥

94
Josephine Arrighi De Casanova ♥ Julia Bontempi ♥ Julie Asselin ♥ Julie Desbenoit ♥ Julie Deschamps Roult ♥ Julie Landes ♥
Julie Mermillon ♥ Julie Simoës Richard ♥ Julien Bouquillon ♥ Julien George-Lourdens ♥ Julien Marie ♥ Julien Moigno ♥ Julien Peslier
♥ Julien Sac ♥ Juliette Debrosse ♥ Juliette Jarry ♥ Juliette Moulin ♥ Justin Pander ♥ Justine Uribe ♥ Karen Silo ♥ Karine Cantin ♥
Karine Dolbec ♥ Karine Jacquier ♥ Karine Picard ♥ Karine Socik ♥ Katia Dethilloy ♥ Laetitia Cardi ♥ Laëtitia Cofflard ♥ Laetitia Ratier
♥ Laura Leick ♥ Laura Nasser ♥ Laura Schmitz ♥ Laure Boutouyrie-Violet ♥ Laure Carmes ♥ Laure Kallumannil ♥ Laure-Hélène Londaitz
♥ Laurence Bilotta ♥ Laurence Joly Baert ♥ Laurence Vandeventer ♥ Léa Charles ♥ Léa Mancuso ♥ Learn Assembly ♥ Leïla Kalife ♥
Lilie Kriloff ♥ Linda Betraoui ♥ Lionel Dony ♥ Lionel Lesguer ♥ Lionel Ploquin ♥ Lize Aubineau ♥ Ln Draoulec ♥ Lolita Loureiro ♥
Lorenzo Molisina ♥ Louis-Alexandre Louvet ♥ Louisa Slimani ♥ Louise Bautista ♥ Luc De La Fortelle ♥ Luc Mandula ♥ Lucas Attali ♥
Lucie Bermejo ♥ Lucie Zanolini ♥ Lucile Mellier ♥ Lucille Brune ♥ Lucille Guillet ♥ Ludivine De Alba ♥ Luis Arias ♥ Lya Akgun ♥
Lydia Berroyer ♥ Lyoko Miyoshi ♥ Madeleine Gancel ♥ Maéva Bectard ♥ Magali Barcelo ♥ Magali Beylie ♥ Magali Rofidal ♥
Mai Anh Phi Thi ♥ Maïmouna Becart ♥ Malee Coco ♥ Malicia Giroud ♥ Manon Roux ♥ Manuela Lachevrotiere ♥ Mar Thev ♥ Marc Jacobs
♥ Marc Ollitrault ♥ Marc Riedel ♥ Marc Serrat ♥ Marco Duclaux ♥ Maria Akbaraly ♥ Marianne Sytchkov ♥ Marie Coudié ♥ Marie Couve
♥ Marie De Castelet ♥ Marie Jouault ♥ Marie Krebs ♥ Marie Le Gac ♥ Marie Lecompte Douillard ♥ Marie Malachenko ♥ Marie Nicolas
♥ Marie Tors ♥ Marie Vallée ♥ Marie Wattinne ♥ Marie-Anne Nourry ♥ Marie-Anne Pain ♥ Marie-Astrid Brunel ♥ Marie-Cecile Goldblum
♥ Marie-Christine Waisse ♥ Marie-Claire Sissac ♥ Marie-Frédérique Ruyant ♥ Marie-José Marteau ♥ Marie-Laure Autier ♥
Marie-Laure Courcelle ♥ Marie-Laure Perez ♥ Marie-Michèle Vassiliou ♥ Marie-Odile Lhomme ♥ Marie-Pierre Dequier ♥ Marion Doussot
♥ Marion Pet ♥ Marion Thillou ♥ Marjorie Daniel ♥ Marlène Hamayon ♥ Marlène Thiers ♥ Mary Rauh ♥ Marylène Combe ♥
Marylene Khouri ♥ Mathias Murmylo ♥ Mathieu Cherubin ♥ Mathieu Fosse ♥ Mathilde Déom ♥ Mathilde Gaze ♥ Mathilde Murzeau ♥
Matteo Bisicchia ♥ Maud Franca ♥ Maud Funaro ♥ Maud Paré ♥ Maud Schneider ♥ Maxime Faguer ♥ Maxime Kouchnir ♥ Maxime Maton
♥ Maxime Taillebois ♥ Maxime Topolov ♥ Maxine Ficheux ♥ Mélanie Algrain ♥ Melanie Bertaud ♥ Mélanie Lascoux ♥ Mélanie Lopez Malet
♥ Mélanie Voisard ♥ Mélodie Bernard ♥ Mercedes Grota ♥ Merete Buljo ♥ Michel Simatic ♥ Michèle Cochet ♥ Mohamed El Idrissi ♥
Monique Lambelin ♥ Mumu Bias ♥ Muriel Alvarez ♥ Murielle Sitruk ♥ Mylène Boyrie ♥ Myriam Faucher-Pelletier ♥ Myriam Murat ♥
Myriam Rosenrib ♥ Nadège Grézil ♥ Nadège Rodrigues ♥ Nadia Albinet ♥ Nadia Coppi ♥ Nadine Roisin ♥ Najoua Abbaci ♥
Natacha Bradier ♥ Natacha Ordas ♥ Natacha Trouillet ♥ Natalia Leclerc ♥ Nathalie Frey ♥ Nathalie Goloubinow ♥ Nathalie Hutter-
Lardeau ♥ Nathalie Nicolai ♥ Nathalie Pannetier ♥ Nathalie Reyre ♥ Nathalie Soetaert ♥ Nicolas Chaunu ♥ Nicolas Cros ♥
Nicolas Dupain ♥ Nicolas Fromentoux ♥ Nicolas Martin ♥ Nicolas Turcat ♥ Nicolas Ziegler ♥ Nicole Anschutz ♥ Niels Mayrargue ♥
Noëlle Therin ♥ Noémie Guerrin ♥ Nora Yennek ♥ Océane Cordesse ♥ Odette Niang ♥ Olivier Chollet ♥ Olivier Gauvin ♥
Olivier Marchand ♥ Ophelie Negros ♥ Oriana Labruyere ♥ Pascal Boutinon ♥ Pascal Martin Pro ♥ Pascaline Gérard ♥ Patricia Allouche
♥ Patricia Boh ♥ Patricia Deschamps-Chevillard ♥ Patrick Damien ♥ Patrick Ok ♥ Paul Pieuchot ♥ Paul-Augustin Dennery ♥
Perle Perriet ♥ Perrine Cantin Michaud ♥ Perrine Chambon ♥ Perrine Grua ♥ Philippe Garnier ♥ Pierre Coing ♥ Pierre Lavenir ♥
Pierre Patanchon ♥ Pierre Violo ♥ Pierre-Alain Bex ♥ Pierre-Marie Duriau ♥ Quentin Brunel ♥ Quentin De Carne ♥ Quentin Durand ♥
Rachida Belarri ♥ Ramzi Ramrani ♥ Raphaele Poix ♥ Raphaele Puissochet ♥ Raphaëlle J ♥ Raphaelle Sochon ♥ Régis Foinet ♥
Renaud Euvrard ♥ Romain Gerardin ♥ Rony Germon ♥ Rose Lemardeley ♥ Roxane Chauvel ♥ Sabine Cantournet ♥ Sabrina Amir ♥
Sabrina Embarek ♥ Salima El Hadouchi ♥ Salomé Garlandat ♥ Salomé Soares ♥ Samia Aït-Hamouda ♥ Samir Boutaleb ♥ Sandra Salerno
♥ Sandrina Blin ♥ Sandrine Charpentier ♥ Sandrine Decroix ♥ Sandrine Delage ♥ Sandrine Desmurs ♥ Sandrine Fouillé ♥
Sandrine Franchet ♥ Sandrine Goessens ♥ Sandrine Henry ♥ Sandrine Hidalgo Vidal ♥ Sandrine Rade ♥ Saniya Al Saadi ♥
Sarah Daninthe ♥ Sarah Neumann ♥ Sébastien Bossoutrot ♥ Sébastien Brochier ♥ Sébastien Francois ♥ Sem Brundu ♥ Serge Akaeren
♥ Severin Prats ♥ Séverine Demarque ♥ Séverine Fingal ♥ Severine Ibanez ♥ Shirley Pollett ♥ Simmoni De Weck ♥ Soizic Poilve ♥
Solange Guenez ♥ Solène Garda-Krebs ♥ Solenne Bocquillo Bocquillon- Le Goaziou ♥ Solenne Moutier ♥ Sonia Bellouti ♥ Sonia Bonnet
♥ Sophie Bourgeois ♥ Sophie Coulibaly ♥ Sophie Folliet Haulbert ♥ Sophie Preault ♥ Sophie Sinnassamy ♥ Sophie Terrien ♥
Sophie Vernay ♥ Stella Bissessur ♥ Stéphane Caillaud ♥ Stéphane Dalmasso ♥ Stéphane Gaultier ♥ Stéphane Mirandelle ♥
Stéphane Singery ♥ Stéphane Taupin ♥ Stéphanie Bécoulet ♥ Stephanie Gay ♥ Stephanie Pelletier ♥ Stéphanie Regat ♥
Susana Sanchez Restrepo ♥ Sylvaine Joubert ♥ Sylvie Passat ♥ Thais Dol ♥ The Sorority ♥ Théo Ravat ♥ Thibault Paruit ♥ Thierry Cuirot
♥ Thierry Piguet ♥ Thierry Trabach Pro ♥ Thierry Ung ♥ Thomas Bossy ♥ Thomas Clozel ♥ Thomas Cottinet ♥ Timothee Boulanger
♥ Valentin Le Flem ♥ Valentin Worms ♥ Valentine Zeler ♥ Valère Sj’brnt ♥ Valérie Aguila ♥ Valérie Bonneville ♥ Vanessa François ♥
Véronique Bochaton ♥ Véronique Fima ♥ Véronique Lefèvre-Toussaint ♥ Véronique Legrand ♥ Vigdis Herrera ♥ Vincent Rebourcier
♥ Virginie De Barbeyrac ♥ Virginie Zouine ♥ Walid Hajar ♥ Willys Westphal ♥ Xavier Fisselier ♥ Xavier Hollebecq ♥ Xavier Peronnet
♥ Ximena Tromben ♥ Xine Bava ♥ Yanis Khalifa ♥ Yann Bonizec ♥ Yann Houdré ♥ Yann Mauchamp ♥ Yann Poirson ♥ Yannick Astesana
♥ Yoann Besnard ♥ Yolene Francois ♥ Yves Caseau ♥ Yves Maguin ♥ Zakariae Aloulen ♥ Zoé Aegerter ♥

Et merci aux entreprises Code.Store, Doceas & Formations, Epitech, IDLI, MomentTech et SNCF pour leur soutien.

95
Les
articles
sonores
Chut, on écoute... une autre
façon d’accéder aux articles
de notre magazine.
Nous avons imaginé un format audio qui
accompagne la découverte de ce magazine.
À mi-chemin entre le podcast et le livre
audio, nos articles sonores vous proposent
une expérience de lecture inédite, pour
plus d’accessibilité et de liberté dans la
consommation de l’information.
Ce numéro 3 compte cinq articles sonores
issus du dossier "Va, vis et apprends", réalisés
avec le soutien d'Epitech, l'école référente de
l'expertise informatique et de l'innovation.

Scannez ce QR Code pour retrouver


nos articles sonorores ou abonnez-vous
à notre chaîne de podcasts Chut !
en tapant Chut Magazine dans iTunes,
Google Podcast, Spotify, Deezer, Podcast
Addict ou Soundcloud. D'autres frissons
sonores sont à venir...

96
Lire Chut !

NUMÉRIQUE
pendant
un an,
ça vous
tente ?
42€ 4 numéros

Abonnez-vous à Chut ! pour un an.


Bulletin d’abonnement
Pour s’abonner en ligne, c’est facile sur Nom
echoppe.chut.media Prénom
Pour s’abonner par courrier, ce n’est pas non plus Rue
compliqué :
Code postal
□ Je m’abonne au magazine Chut !
Ville
pour 1 an (4 numéros, 42 euros)
Pays
Mode de paiement :
Téléphone
□ Chèque (à l'ordre de Chut !)
Chut Magazine, 152 rue du faubourg Saint-Antoine,
75012 Paris Signature obligatoire

□ Carte banquaire

Date d'expiration / Cryptogramme

Et si vous avez des questions, contactez-nous ! On reste à l’écoute : contact@chut.media

97
Un magazine créé par Aurore Bisicchia et Sophie Comte

Prix coup de cœur #FemmesDuNumérique du Groupe La Poste


Prix du jury Médias en Seine 2019
Prix du public Médias en Seine 2019

Rédaction Ont contribué à ce numéro :


Fondatrices. Aurore Bisicchia et Sophie Comte Textes
Directrice de la publication. Aurore Bisicchia Aurore Bisicchia @Madame_Aurore
Thomas Bossy
Directrice de la rédaction. Sophie Comte
Sophie Comte @Sophie_Chut
Rédactrice en chef. Sylvie Lecherbonnier Sylvie Fagnart @sylviefagnart
Directrice artistique. Stéphanie Violo a.k.a chilli drop. Sylvie Lecherbonnier @SyLecherbonnier
Secrétaire de rédaction. Natacha Lefauconnier Natacha Lefauconnier @Nat_Lef
Daphnée Leportois @dleportois
Laura Makary @laura_makary
Abonnements 42 euros par an pour 4 numéros Isabelle Maradan @leducentete
Tarif 12 euros par numéro
Eva Mignot @Mignot_E
Service diffusion
Agence Boconseil Images
Directeur — Otto BORSCHA / oborscha@boconseilame.fr chilli drop. @chilli_drop
Chargé de clientèle — Hindeley Mattard / hamattard@boconseilame.fr
Laure Dorin @laure.dorin
Distribution Maité Franchi @maite_franchi
Les Messageries Lyonnaises de Presse Xoana Herrera @xoana.herrera
Ollie Hirst @olliehirstillustration
Impression Aubin imprimeur
Chemin des Deux Croix Aurélien Jeanney @aurelienjeanney
CS 70005 Matthias Orsi @matthias.orsi
86240 Ligugé
Michelle Pereira @youngpapadum
Edité par Chut !
SAS au capital de 1 000 euros Photos
152, rue du faubourg Saint-Antoine, 75012 Paris Ellen Barboza ellenbarboza.photographie
contact@chut.media
Raphael de Bengy raphaeldebengy
Dépôt légal à parution
ISSN : 2681-3882 Articles sonores
CPPAP papier : 1121 K 94220 Voix : Sophie Comte et Irina Coyssi
CPPAP en ligne 39 BIS A : 1121 Z 94113 Mixage : Theodore Ravat

Suivez-nous
@Chut_magazine @chut_magazine
10-31-1601
@chut ! @ChutMagazine
pefc-france.org

www.chut.media

98
.

Vous aimerez peut-être aussi