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NOTES DE LECTURE

Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur


MORIN, Edgar, Les sept savoirs nécessaires à l’éduca-
tion du futur, Paris, Seuil, 2000, 129 p.

des circonstances qui ne peuvent jamais pertinente ne remettent pas en cause les
être complètement contrôlées, sur le tra- savoirs eux-mêmes mais leur mode d’or-
vail d’êtres humains dont l’intelligence ganisation et la façon dont ils sont en-
comporte sa part d’affectivité. Ce sont seignés. Selon Edgar Morin, les progrès
Christian Morin tous des éléments par lesquels peut s’in- importants effectués dans plusieurs dis-
Conseiller pédagogique troduire l’erreur. L’illusion est de croire ciplines au XXe siècle sont menacés si les
Cégep de Sainte-Foy qu’il ne peut y avoir d’erreur. Le déve- modes d’organisation du savoir ne sont
loppement des sciences et des technolo- pas revus. Actuellement, ces avancées dis-
gies a diminué d’un certain point de vue ciplinaires sont souvent coupées de leur
À la demande de l’Unesco 1, Edgar le risque d’erreur. Toutefois, ce dévelop- contexte et, par le fait même, ne révè-
Morin proposait, il y a quelque temps, pement véhicule sa part d’illusion. Com- lent pas la complexité de la problémati-
ces sept savoirs qu’il présente comme bien de fois s’est-on fait dire qu’il ne peut que dans laquelle elles s’insèrent. Leur
fondamentaux et qui relèvent pour une y avoir d’erreur parce qu’un dossier est sens et leur portée en sont ainsi rédui-
bonne part de l’épistémologie, de l’exer- géré par un système informatique ? Pour- tes. Cela étant, les savoirs n’ont pas à être
cice du jugement, de l’éducation à la ci- tant, la réalité est tout autre. Edgar Mo- en opposition, mais : « Il s’agit de com-
toyenneté et de l’éthique. À travers ces rin nous engage à prendre conscience des prendre une pensée qui sépare et qui ré-
sept savoirs, Edgar Morin nous convie à possibilités d’erreur et d’illusion et à duit par une pensée qui distingue et qui
une réforme de la pensée qu’il juge ur- adopter une attitude lucide face à elles relie2. »
gente, réforme apportant un nouveau en nous interrogeant systématiquement
point de vue sur les savoirs et une nou- sur toute entreprise de connaissance. Le
velle façon de structurer ces derniers. passé donne plusieurs exemples d’er- La condition humaine
Étant donné la riche réflexion qu’il a reurs : n’a-t-on pas déjà cru que la Terre L’être humain, un tout complexe, est
menée sur l’éducation, il m’a paru inté- était plate ? l’une des premières victimes de la
ressant d’essayer de rendre compte de la compartimentation des savoirs. Ensei-
pensée du sociologue. gner la condition humaine, c’est tenir
Les principes d’une
compte de cette complexité et remonter
connaissance pertinente au plus loin que l’état de nos connais-
Les cécités de la connaissance :
Une connaissance pertinente est une sances le permet : des milliards d’années,
l’erreur et l’illusion connaissance intégrée à un réseau qui en relatant son épopée cosmique. L’être
Le premier savoir relève d’une entre- permet d’en voir la globalité, les multi- humain se définit certes à travers son
prise d’ordre épistémologique orientée sur ples dimensions et la complexité. Edgar corps, son intelligence et son affectivité,
ce qu’est une connaissance et sur ce qu’elle Morin fonde son explication sur le fait mais également à travers ses productions,
peut comporter d’erreur. Une connais- que, les réalités et les problèmes du ses coups de génie et ses délires. L’être
sance est une construction qui s’appuie monde étant complexes et multi- humain a avancé tant avec sa mesure
elle-même sur d’autres connaissances, sur dimensionnels, ils doivent être abordés qu’avec ses excès et parce que cette me-
comme tels. Il pointe de ce fait l’inadé- sure et ces excès se sont rencontrés. La
quation d’un enseignement disciplinaire
1. Organisation des Nations Unies pour axé sur des savoirs morcelés et comparti-
l’éducation, la science et la culture. mentés. Les principes d’une connaissance 2. MORIN, Edgar, op. cit., p. 21.

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complexité de la condition humaine tou- des plus importantes caractéristiques des caractère ternaire. Cette conscience doit
che sans doute d’abord la biologie et la prédictions, c’est qu’elles ne se réalisent ensuite conduire aux deux grandes fina-
psychologie, mais aussi la philosophie, pas. L’incertitude est plus vaste que la lités éthico-politiques du nouveau mil-
la littérature, les sciences humaines, en connaissance, le devoir de lucidité nous lénaire : assurer une régulation entre l’in-
interaction. Enseigner l’être humain, conduit à en prendre conscience et à dividu et la société par la démocratie et
c’est enseigner l’espèce, l’individu, la so- s’initier à la stratégie. La stratégie se dif- développer une réelle communauté pla-
ciété, l’histoire, tout en rendant explici- férencie de l’action programmée parce nétaire comme accomplissement de
tes les liens entre ses différentes compo- qu’elle tient compte des incertitudes, l’Humanité.
santes. prévoit différentes actions et s’adapte
selon l’information recueillie, les hasards
ou les contretemps. Face à la réalisation
En guise de conclusion
L’identité terrienne de certains événements, il convient de Les sept savoirs nécessaires à l’éduca-
L’être humain habite la Terre et devrait développer des attitudes liées à la straté- tion du futur veulent engager le monde
en être fier comme il est fier de sa patrie. gie pour éviter le risque de l’intransi- de l’éducation dans un vaste chantier qui
Il doit également en assumer certaines geance. peut paraître déborder n’importe quel
responsabilités, ce qu’il a eu et a encore programme d’études. Mais ce chantier
tendance à oublier. Certains commen- n’est-il pas tout autant fascinant que per-
cent à s’en rendre compte. C’est un
La compréhension tinent ? N’est-il pas possible de mener
truisme, mais on a vite fait de le mettre Romain Gary écrivait en boutade qu’à une réflexion qui déboucherait sur des
de côté : s’en prendre à la Terre, c’est s’en partir du moment où il y a compréhen- applications concrètes ? Celles-ci pour-
prendre à l’espèce et à soi-même. La pro- sion, il y a incompréhension ou, en bref, raient aider les jeunes et les moins jeu-
blématique planétaire est un grand un problème. S’il a raison, cela ne veut nes à se réaliser, à vivre heureux et à
exemple de situation complexe et diffi- pas dire que le problème ne peut être maîtriser leur destin, grâce à la compré-
cile qui ne peut être abordée que d’un solutionné, et ce, par une nouvelle com- hension de la complexité de notre
seul point de vue. Vaut-il la peine de fer- préhension. Les obstacles à la compré- monde.
mer une usine qui pollue si cette ferme- hension sont nombreux et engendrent
ture jette des dizaines ou des centaines toutes sortes de situations conflictuelles christian.morin@cegep-ste-foy.qc.ca
de personnes à la rue ? La vie sur Terre que de manière générale on juge indési-
concerne donc le grand domaine de la rables et qui persistent pourtant : ra-
biologie avec ses sous-disciplines, mais cisme, sectarisme, guerres… Compren-
les écologistes ont beau crier – et pas au dre l’autre exige souvent un changement
loup –, ils sont peu entendus. Pourquoi ? de point de vue désintéressé et difficile à
Parce que cette question ne peut être en- opérer mais indispensable. Difficile par Christian MORIN est conseiller pé-
visagée que dans sa globalité qui com- égocentrisme, ethno ou sociocentrisme, dagogique au Cégep de Sainte-Foy de-
porte des aspects économiques, politi- généralisation ou réduction abusive. puis l’automne 2001. Il a été aupara-
ques, sociaux, culturels. Comprendre demande du temps, des vant professeur de littérature pendant
efforts intellectuels, pour envisager la près de 15 ans au même collège. Au
L’identité terrienne est constituée de complexité d’une situation et une maî- cours de ces années, son intérêt est allé
toutes les civilisations qui ont passé, de trise de soi. À celui qui comprend, qui tant à sa discipline qu’à la pédagogie,
toutes les œuvres que celles-ci ont pro- s’en est donné la peine, s’ouvre bien des ce qui l’a conduit entre autres à s’en-
duites, y compris les horreurs – les plus portes. gager en 1997-1998 dans la démar-
grandes étant souvent les plus récentes che d’évaluation de la formation gé-
– dont il importe de se rappeler afin
d’éviter de les reproduire. Elle devrait
L’éthique du genre humain nérale et deux fois à la coordination
du département de français. Parallè-
également être constituée d’une cons- Le septième savoir est en quelque sorte lement, il a poursuivi ses recherches lit-
cience écologique et civique qui recon- une application de la pensée exprimée à téraires par l’obtention en 2000 d’un
naît notre unité et notre diversité. travers les six autres. Edgar Morin pro- doctorat en littérature française et par
pose ainsi un enseignement de la com- la publication d’articles et d’ouvrages
plexité par la considération du caractère
Affronter les incertitudes ternaire intégré de la condition hu-
portant sur la littérature québécoise.
On a l’habitude de dire que plus on maine : l’individu, la société, l’espèce, le
sait de choses, plus on se rend compte tout, donc, toujours en interrelation.
de l’étendue de ce que l’on ne sait pas. Il L’éthique intervient ici dans la mesure
faut bien se rendre à l’évidence que l’une où est visé un éveil à la conscience de ce

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