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Double jeu

ou Comment la destinée de l’Ancien Monde aurait pu basculer

Une nouvelle dans le monde de Titan

de Laurent « Nico du dème de Naxos » Duquesne

Crédits :

Illustration de couverture : Jidus


Illustrations intérieures : Gaël Henri
Frise : Jidus (avec utilisation de dessins de John Blanche et Russ Nicholson)
Relecture : Yaztromo
Maquettage : Fabrice Laffont
Chef de projet Accompagnement des publications de livres dont vous êtes le Héros par Gallimard
Jeunesse : Yaztromo

Double Jeu est une préquelle non officielle aux Collines Maléfiques, premier volume de la série
Sorcellerie ! de Steve Jackson

Retrouvez d’autres textes et documents exclusifs pour approfondir votre expérience des
Collines Maléfiques de Steve Jackson et d’autres titres publiés par Gallimard Jeunesse sur le site
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«  Une aventure dont vous n’êtes pas le héros  » est une collection de nouvelles non officielles
prenant place dans les univers de livres dont vous êtes le héros et écrites dans un souci de parfaite
cohérence avec les sources.

Scriptarium, 2015
L
a nuit se blottissait entre les murs
des ruelles étroites des bas quartiers
d’Arkleton. Tout à leur aise, les ombres
avalaient la terne réalité diurne,
noyant la crasse et la vétusté des lieux.
A l’exception de quelques flammes souffre-
teuses qui éclairaient au travers des jours de
volets de guingois, nulle lumière n’éclairait
le pavé. Un vent frais, presque froid, soufflait
sans discontinuer, faisant frissonner les amon-
cellements de détritus qui gênaient le passage.
Au loin, quelques chats miaulaient et des
chiens grognaient, menaçant d’improbables
marcheurs nocturnes.

Sous leur apparence ensommeillée, les bas


quartiers ne dormaient pourtant pas. Des pru-
nelles inquisitrices veillaient depuis le couvert
des ombres, aussi immobiles que des statues,
guettant l’imprudent venu s’aventurer dans
ces lieux mal famés pour y chercher quelque
plaisir interdit ailleurs.

Talys marchait tranquillement, sa haute


silhouette floue dans sa large cape d’un gris
terne, ses traits invisibles sous le profond
capuchon qui les couvrait. Nulle crainte ne
faisait battre son cœur plus vite, nul doute ne
traversait son esprit alors qu’elle progressait
vers l’endroit de son rendez-vous. Elle rit en
silence. La perspective d’une telle aventure lui
aurait paru autrefois complètement incongrue.
Mais aujourd’hui, elle se sentait vraiment bien
au cœur de l’obscurité, là où toute comédie
devenait inutile, là où le mensonge ne trouvait
aucun cœur dans lequel instiller ses douceurs
tentatrices.

Encore petite, depuis sa chambre éclaboussée


de lumière, assise sur une chaise, elle contem-
plait la nuit qui régnait dehors avec une
étrange mélancolie. Pressée contre le verre,
luxe coûteux, sa peau goûtait avec un plaisir
exquis le froid de l’hiver qui imprégnait la sur-
face transparente derrière laquelle se jouait
une vie inconnue d’elle.

Les seules fois où elle s’était aventurée de nuit


hors du manoir où elle vivait, c’était entre les
portes aux fenêtres masquées de rideaux du
carrosse familial. Conduit par un cocher mu-
tique et escorté par des hommes en armes aux
visages austères, le véhicule se frayait un che-
min indifférent au milieu des ténèbres. Talys
avait interdiction de soulever les rideaux pour
regarder le monde mystérieux qui l’attendait

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Double jeu

de l’autre côté. Il ne lui restait plus alors que des hommes se posaient, papillons attirés par
la possibilité de communier avec l’obscurité la trop vive brillance d’une flamme. A son
via la grande porte-fenêtre de sa chambre, qui contact, la plupart des discours maintes fois
donnait sur un large balcon en arc de cercle répétés de ses admirateurs se consumaient,
gardé par une balustrade d’où elle pouvait tandis qu’elle se montrait d’une impeccable
admirer, de jour, la splendeur des édifices correction, réservant des mots et des sourires
alentours. charmants, désarmant de
gentillesse.

De jour, tout lui paraissait


trop lisse et déprimant.
L’aspérité du danger
qu’elle devinait dans les
ténèbres, au contraire,
lui était une séduction
quotidienne. La vie que
lui réservait l’évidence
de la lumière solaire lui
paraissait toujours plus
détestable. Et c’est pour-
quoi elle avait fui.

Le son de ses pas réson-


nait à peine plus qu’un
froissement d’étoffe
contre les pavés humides
de la ruelle. Elle devinait
les guetteurs invisibles
qui se tenaient à quelques
mètres d’elle. Mais elle ne
les craignait pas. Ils n’agi-
raient pas contre elle, car
elle était protégée et qu’ils
avaient reçu quelques
solides pièces d’or pour se
tenir tranquilles.

Et même dans le cas


contraire, elle était
capable d’assurer sa sé-
curité. Sa seule et unique
Maîtresse, Elle qui en
plein jour régnait sur
un monde de faux-sem-
blants, lui accordait le
pouvoir suffisant pour
se prémunir contre les
importuns. En un instant,
Elle qui savait comme nulle autre comment d’un cœur faible, elle ferait un cœur grondant
briller sous les feux de Glantanka, la déesse d’une rage inextinguible, qui ne demanderait
aux cheveux ignés qui prodiguait sa force qu’à s’épancher en de furieux mais vains as-
bienfaitrice à l’Ancien Monde, avait toujours sauts. Elle caressa le pommeau incrusté d’une
ressenti un puissant désir pour la nuit. La opale de belle taille de la dague à lame courbe
jeune fille de la noblesse convenablement qu’elle portait à la ceinture, ses lèvres dessi-
éduquée était rapidement devenue une très nant sous les ombres du capuchon le même
belle femme sur le corps de laquelle les yeux tracé acéré.

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contre l’huis décrépit
dont la peinture s’écail-
lait en bandes noirâtres,
telles des griffes factices
menaçant les visiteurs.

La porte s’ouvrit après


quelques secondes d’at-
tente et Talys engouffra
souplement sa silhouette
longiligne sous la voûte
suintante d’humidité.

« Bonsoir gente dame »,


la salua le petit homme
chauve et grassouillet
qui venait de lui ouvrir
la porte. A la lumière des
bougies qui toussotaient
une fumée grisâtre, son
front luisait de sueur.
Talys ne prit pas la peine
de répondre au tenan-
cier et longea le couloir
qui aboutissait dans une
petite pièce carrée dont
la seule ouverture, close,
donnait sur une petite
cour arrière flanquée de
murs borgnes.

Comme prévu, il l’atten-


dait, un sourire éclatant
plaqué sur ses dents à
la blancheur ivoirine,
ses yeux bleus brillant
d’espièglerie, les longues
boucles de ses cheveux
brillant comme de l’or.
Pour les mijaurées de la
Avisant une enseigne rouillée qui représentait noblesse, cette vision entraînait souvent une
une généreuse matrone frottant le dos d’un pâmoison durable. Elle trouvait cet étalage de
garçon dénudé qui faisait ses ablutions dans beauté écœurant.
un baquet, Talys ralentit le pas. Le Jeune
Chenapan était une taverne qui ne payait Réprimant un mouvement de recul, elle vint
pas de mine et encore moins de réputation. s’asseoir à son côté d’un mouvement fluide,
Fréquentée presque exclusivement par des au terme duquel elle fit délicatement glisser
abrutis avinés et des brutes sans cervelle qui le capuchon afin qu’il dévoilât sa figure. Une
ne réagissaient qu’au tintement de l’or, la bâ- fugace étincelle dans l’œil du chevalier la ras-
tisse avait heureusement un deuxième visage. sura quant à la fascination qu’elle continuait
Si on empruntait la contre-allée qui longeait d’exercer sur lui et qui lui avait permis de
le côté droit de la taverne, on parvenait à une collecter tant de précieuses informations.
volée de marches ébréchées qui conduisait à
une porte voûtée, qui obligeait à se plier en «  Ma chère Talys, vous êtes absolument res-
deux pour la franchir. Talys frappa trois coups plendissante. Comparée à vous, Anna de Lyn
courts suivis de deux longs, du bout des doigts, paraît bien fade ! »

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Double jeu

où nous nous sommes vus. Vous me semblez


ce soir d’excellente humeur. Je me trompe ?

- La seule perspective de vous retrouver était


déjà pour moi le gage d’une soirée réussie.
Mais il est vrai que certaine nouvelle apprise
très récemment a pu améliorer encore les
dispositions dans lesquelles je me trouvais.

- Oh, quel vilain cachottier vous faites, mes-


sire. Une nouvelle qui possède une si forte
influence sur vous doit certainement être
extraordinaire.

- Je n’irais sans doute pas jusque-là, mais il est


vrai que depuis la tristement célèbre Nuit de la
Lune Noire, le peuple d’Analand n’a guère eu
d’occasion de se réjouir.

- Que Libra, dame Libra, nous vienne enfin en


aide, implora soudain Talys, levant les yeux
vers le plafond bas encrassé par des décennies
de fumée dégagée par les bougies.

- Notre déesse tutélaire ne devrait pas manquer


de nous venir en aide, répondit le chevalier,
un petit sourire en coin.

Anna de Lyn, riche héritière à la beauté tant - Je vous sens très joueur aujourd’hui, che-
vantée ces derniers temps dans la capitale, valier. Vous vous plaisez à me cacher votre
était le parangon de ce qu’elle exécrait  : une secret.
savante pimbêche aux formes et traits parfaits,
qui jouissait d’un tempérament d’une rare - C’est qu’il s’agit d’une information très sen-
constance. Douce, attentionnée, mais l’esprit sible. Je ne puis la dévoiler librement. Il en va
redoutable, elle se baignait comme une sirène de bien plus que du sort de ma petite personne.
dans le lac enivrant des mondanités. Où qu’elle
aille précédée d’une horde de prétendants, Talys connaissait bien le chevalier : flamboyant
madame prenait le temps de faire son choix, et immodeste au possible, le jeune Arthis se
tout en laissant à chacun l’espoir de lui être plaisait à étaler son charme de manière tout à
plus que le faire-valoir d’un soir. Talys songea fait indécente. Se qualifier de petite personne
avec amertume quel gâchis Anna faisait d’un était une façon pour lui de faire se récrier ses
si haut potentiel. Si seulement elle avait pu interlocutrices qu’il n’en était rien. Talys avait
voir au-delà de la surface lisse des apparences parfois joué le jeu, mais elle refusa ce soir de
et frissonner comme elle au doux contact des lui complaire.
ténèbres.
- Cher Arthis, vous me faites languir, avec un
« Talys !? Vous vous sentez bien ? plaisir non feint, je le constate. Vous avez éveil-
lé ma curiosité. Ne pourriez-vous me donner
- Chevalier ? l’interrogea Talys sans répondre au moins un indice ?
à sa question.
- Vous le donner, je ne sais pas. Et si vous ve-
- Oui ? niez me le prendre, sourit-il en se levant de sa
chaise et en désignant de l’index l’escalier qui
- Puis-je me permettre de vous dire que vous grimpait péniblement à l’étage.
êtes encore plus séduisant que les autres fois
- Pourquoi pas », fit Talys en lui emboîtant le
pas.

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* fête où étincelaient les bijoux aux bras et au
** cous des élégantes invitées par ses parents ;
les flûtes de cristal renvoyaient la lumière ful-
Elle n’avait pas eu besoin de se montrer aussi gurante des immenses lustres à pendeloques,
persuasive qu’elle le craignait pour amener qui semblaient pleurer leurs larmes d’or en
Arthis à lui révéler son secret. Ainsi qu’elle fusion sur l’insouciance des convives occupés
s’en doutait, sur la foi des rumeurs plus ou à converser, manger ou danser.
moins proches de la vérité qu’elle avait pa-
tiemment glanées ces derniers jours auprès Personne ne l’avait remarquée tandis qu’elle
de ses informateurs habituels, un individu se glissait furtivement derrière les grands
s’était porté volontaire pour tenter de re- rideaux qui barraient la route à la froidure de
prendre la Couronne des Rois à l’Archimage l’hiver pour gagner le péristère dont les hautes
de Mampang. Il avait obtenu une audience colonnes de pierre aussi blanches que neige
auprès du roi Stein et, s’il recevait son appro- gardaient l’entrée du manoir. Il lui avait fallu
bation, quitterait demain dès l’aube le palais pour cela se soustraire à l’attention agaçante
royal d’Arkleton pour se rendre à Scarton, de soupirants assidus puis éviter leurs regards
puis, de là, à l’Avant-Poste d’où il franchirait la qui la cherchaient désespérément tout autour
Porte de Cantopani. d’eux. La caresse glacée des frimas hivernaux
l’avait comme régénérée tandis qu’elle avait
Talys eut envie de rire, mais il lui fallait traversé la capitale, drapée dans la nuit ainsi
prendre les choses au sérieux. Le fou furieux que dans son épaisse cape doublée d’hermine.
qui s’était porté volontaire pour reprendre
le bien confié par Chalanna au roi d’Analand Elle s’était faufilée jusqu’au port puis dans la
devrait voyager au travers des collines de barge de son oncle, au sein de laquelle elle
Shamutanti, franchir Kharé, et réussir l’ex- s’était dissimulée dans un réduit inoccupé dont
ploit de résister aux innombrables dangers elle avait subtilisé la clef quelques jours aupa-
des Terres des Fins Fonds, où jour et nuit se ravant. Elle avait pris soin de faire quelques
bousculaient sans aucune logique apparente. réserves de denrées non périssables. Et c’est
Après cela, il devrait gravir les contreforts des ainsi que, seule dans l’obscurité, ballottée par
Monts Zanzunu et s’introduire au sein de la les flots de la mer du Kalkhabad puis par le
forteresse de l’Archimage pour lui dérober la cours parfois agité du fleuve Jabaji, elle avait
Couronne des Rois. gagné Kharé sans que personne ne s’en doute.

Non, la chose était impossible. Il faudrait Une nouvelle fois, elle avait attendu la nuit
bien plus qu’un individu seul pour défier pour quitter le navire de son oncle et s’enfoncer
la puissance du maître en magie qu’était dans les rues traîtresses de la Cité des Pièges.
l’Archimage. Ce dernier, secondé par ses Sept Il ne lui avait pas fallu une heure pour tomber
Serpents, reliquats vivants de son titanesque entre les mains de marchands d’esclaves. Ceux-
combat contre l’Hydre découverte dans le ci avaient longuement palabré quant au sort
Xamen et ensorcelés de sa main, ne craignait qu’ils allaient lui réserver tandis que, ligotée et
rien. D’autant qu’il pouvait compter sur la sa- bâillonnée, elle goûtait régulièrement à leurs
pience contenue dans la précieuse Couronne coups de pieds sous une table où ils l’avaient
des Rois, cet artefact probablement confié au poussé. Le lendemain, avec plus de chair que
monde des hommes par les Sorciers de l’In- d’étoffe exposée à la vue de tous, elle avait fait
framonde, retranchés dans leur inexpugnable grimper les enchères jusqu’à une somme jugé
retraite des monts de Roquenpointe. Avec cet très satisfaisante par ses ravisseurs.
objet, le maître de Mampang continuerait à
lever le voile sur des arcanes celés depuis des Son acquéreuse était une vieille femme
siècles et pourrait sans doute approcher la enveloppée dans une cape grise, aux longs
puissance des dieux, voire rivaliser avec elle. cheveux brillant comme de la soie. Sa sécurité
était assurée par deux colosses à la mâchoire
Ces réflexions la plongèrent peu à peu dans le prognathe, dont l’intelligence ne semblait
passé turbulent qui avait été le sien. Depuis la pas la qualité principale. Pour autant, mieux
nuit où elle avait pris la décision la plus im- valait ne pas tenter de les énerver et elle se
portante de sa vie, très exactement. Elle avait tint tranquille durant tout le trajet qui la mena
quitté la propriété familiale à la faveur d’une devant un long bâtiment de deux étages, à

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Double jeu

la façade lépreuse. L’Orphelinat, comme le des quatre vers du poème qui permettait de
nomma la vieille femme, serait sa nouvelle franchir la Grande Porte du Nord, seul point
demeure. Après le luxe ostentatoire du manoir de passage vers les étranges Terres des Fins
d’Arkleton, le dépouillement des lieux lui fut Fonds. Talys s’était ensuite employée prudem-
comme un apaisement. Les couloirs comme ment à les recueillir au fil des mois. Ainsi,
les pièces étaient plongés dans une perpétuelle lorsqu’elle était parvenue au pied de la porte
pénombre qui obligea ses yeux à s’habituer au monumentale taillée dans le chêne, Talys
peu de lumière qui y subsistait pour s’y diriger. avait murmuré le précieux sésame, tandis
que les gardes préposés à sa surveillance se
Syshelle était le nom de la vieille femme. Son disputaient au sujet de leur partie de Dix-Dix.
regard perçant mettait Talys mal à l’aise, mais Puis elle s’était engouffrée dans les ténèbres,
paradoxalement, sa présence était comme quittant pour toujours l’étouffante Cité des
un remède à la mélancolie dont le lancinant Pièges.
refrain résonnait en elle depuis son enfance.
Pendant les premiers temps, Talys vit Syshelle *
une fois par semaine. La vieille femme lui po- **
sait quelques questions puis la laissait libre de
quitter l’Orphelinat pour s’aventurer dans les Un mouvement attira son attention. A côté
rues de Kharé ou aller à la rencontre des autres d’elle, le chevalier remuait faiblement dans
pensionnaires, toutes de la gent féminine. les draps. Il prononça son nom d’une voix
pâteuse et se rendormit presque aussitôt.
Puis, un jour, Syshelle lui demanda si elle com- Cet imbécile ne comprendrait que trop tard
prenait où elle se trouvait vraiment. Talys la qu’il avait été joué, offrant à Talys son heure
surprit en lui annonçant qu’elle avait deviné de gloire. L’air frais du dehors s’immisçait au
que l’Orphelinat était un temple déguisé voué travers des planches mal jointoyées des cloi-
au culte de Tanit, déesse de l’envie et de la ja- sons de la chambre. La jeune femme frissonna
lousie et qu’elle comprenait ce qu’on attendait délicieusement. La nuit continuait son règne
d’elle : semer le trouble dans les mariages heu- sans partage sur la ville. L’aube ne viendrait
reux et tenter tous ceux qui pouvaient l’être de que dans quelques heures encore, mais d’ici là
toutes les manières possibles. elle serait plus que prête à frapper.

Durant trois années, Talys se montra une Sa main caressa l’opale sertie à l’extrémité
élève appliquée, défaisant de nombreux de sa dague, effleurant lentement la surface
vœux prêtés devant Asrel, divinité de l’amour, lisse de la pierre précieuse. Le contact raviva
répandant les germes de la tentation partout de nouveaux souvenirs. Elle était parvenue à
autour d’elle, causant le désordre, la peine et le traverser les Terres des Fins Fonds et à gravir
désespoir. Elle gravit rapidement les rangs de les pentes abruptes des Monts Zanzunu. Cela
la hiérarchie informelle du culte et s’imposa l’avait épuisée, mais Tanit avait veillé sur elle,
comme la seconde de Syshelle. Ce qui lui attira et, bien qu’elle se fût sentie constamment ob-
nombre de jalousies dont elle n’avait cure. servée par des yeux invisibles, elle n’avait pas
fait de mauvaise rencontre.
Car au fond d’elle-même le même refrain
languissant continuait de se faire entendre. Un maudit groupe de Gobelins avait failli ré-
Elle n’était toujours pas satisfaite et aspirait à duire ses espoirs à néant alors même qu’elle
un destin plus grand. Récemment, les rumeurs parvenait enfin en vue du titanesque chantier
évoquant la mort et la désolation causées par de la forteresse de Mampang. Les stupides
les troupes de l’Archimage s’étaient faites plus humanoïdes avaient bondi sur elle sans crier
insistantes. Un plan avait germé dans l’esprit gare, sans doute dans la perspective de faire
de Talys. Une nuit, vêtue de la robe noire un bon repas, quand la lanière d’un fouet
qu’elle ne portait normalement que pendant avait claqué. Un Ogre, visiblement plus futé
les cérémonies se déroulant à l’Orphelinat, elle que la moyenne, s’était interposé entre les
quitta Syshelle et ses consœurs. créatures vicieuses et Talys. Puis trois Yeux-
Rouges s’étaient approchés, leurs visages aux
Lortag l’Ancien, un érudit bien connu à Kharé, paupières closes barrés par le pli moqueur de
était une de ses connaissances intimes et il lui rictus. Ils avaient longuement scruté la jeune
avait révélé le moyen d’entrer en possession femme avant de l’interroger.

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La prêtresse de Tanit avait expliqué avec un re- L’apparence de l’Archimage la décevait pro-
marquable sang-froid qu’elle était venue pour fondément. Mais dès qu’il parla, elle comprit
prêter main forte à l’Archimage et qu’elle sou- pourquoi il était le maître tant craint de
haitait mettre les dons prodigués par la déesse Mampang. Son verbe était empreint d’un
à sa disposition. Les Yeux-Rouges s’étaient reti- magnétisme puissant, porteur d’une connais-
rés pour se concerter, la laissant sous la garde sance et de secrets presque infinis. Chacun de
vigilante de l’ogre qui ne l’avait pas quitté du ses mots était comme un présent qu’il lui fai-
regard un instant. Ils étaient revenus pour lui sait. Derrière les sons se cachaient la vastitude
signifier qu’elle était la bienvenue en ces lieux, d’autres mondes, qui ne demandaient qu’à
mais que pour lors l’Archimage était absent et être explorés. Ses phrases dissimulaient autant
que l’on ignorait quand il serait de retour. qu’elles révélaient, tels des astres infimes per-
dues dans la noirceur des immensités célestes.
Talys fut logée avec des égards réservés aux
hôtes de marque et patienta quelque temps Il lui parla des étoiles et des mondes sous le
avant de faire la rencontre de Colletus, celui que monde, attisant sa soif de savoir. Il était une
l’Archimage avait désigné comme son héraut. source prodigue qui semblait ne jamais devoir
L’homme, dans la force de l’âge, lui avait fait se tarir. Sous son apparence presque ridicule,
forte impression : il émanait de lui une éner- contaminée par le pouvoir des démons de
gie extraordinaire et dans ses yeux dansaient l’Inframonde, se trouvait l’un des plus grands
comme des lumières dorées, quasiment hyp- sorciers de tous les temps, sinon le plus grand.
notiques. Ils s’étaient entretenus longuement,
et il avait semblé à Talys que Colletus voyait au
plus profond d’elle-même. Pour la
première fois de sa vie, elle s’était
sentie totalement impuissante.
Durablement impressionnée par
cette rencontre, elle n’était jamais
parvenue à oublier Colletus.
Parfois, il lui apparaissait en rêve
et elle tentait de le chasser, trou-
blée par sa présence.

Quelque temps après, alors


que Colletus était parti au loin
prendre des nouvelles des ar-
mées de l’Archimage, l’Ogre qui
lui avait épargné un mauvais
sort entre les mains des Gobelins,
était venu la chercher pour la
conduire auprès de son maître.
Ils empruntèrent les escaliers
récemment construits d’une tour
encore inachevée, qui aboutis-
saient à une pièce aux murs don-
nant sur le ciel. Près d’une lunette
astronomique se tenait un drôle
de personnage au visage pas com-
plètement humain, aux longues
mains terminées par des ongles
griffus, vêtu comme un magicien
d’un ample vêtement ainsi que
d’une sorte d’étole portant des
symboles astronomiques et aux
extrémités de laquelle pendaient
des crânes minuscules.

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Double jeu

Sous la barre noire de ses épais sourcils, ses vils meurtriers aux plus apprêtés des nobles, à
yeux brillaient d’une intelligence démoniaque force de charme et de largesses. Elle se tenait
dans laquelle Talys se noyait avec délectation. ainsi au courant de tout ce qui pouvait agiter
L’Archimage parla pendant ce qui sembla des la capitale, des règlements de compte les plus
heures à la jeune femme avant de s’adresser sordides aux secrets d’alcôve les plus coquins.
directement à elle :
Le chevalier Arthis, un noble désargenté mais
« Des choses prodigieuses sont sur le point aux manières élégantes et aux compétences
d’advenir ici et j’aurais besoin de vous pour martiales indéniables, était son informateur
m’aider. Comme vous êtes native d’Arkleton, le plus fiable. Il était beau et imbu de sa per-
votre soutien me sera très précieux. J’aimerais sonne et Talys détestait tout ce qu’il incarnait.
que vous y retourniez pour me servir d’es- Pour autant, il était une pièce maîtresse de son
pionne et me prévenir si jamais une menace jeu et elle l’avait cajolé constamment, l’incitant
devait se dresser sur ma route. En effet, je sais à se confier toujours plus à elle. Apprécié à la
que le jeu des forces antagonistes du Bien et cour, poursuivi par une horde de soupirantes
du Mal est fait de patients mouvements sur un transies de passion, bénéficiant de la consi-
échiquier trop grand pour qu’un seul individu dération de ses pairs, Arthis avait ses entrées
puisse les surveiller. Vos yeux et vos oreilles, partout où il était important d’être vu ainsi que
votre discrétion et votre charme, seront des pour d’autres endroits plus discrets. Il était
atouts sans égal pour me seconder dans cette une mine de ragots et de rumeurs et pouvait
tâche. » passer des heures à raconter des anecdotes
croustillantes sur les courtisans et les jeunes
Talys s’était sentie flattée par la proposition de femmes de la noblesse.
l’Archimage, qu’elle avait aussitôt acceptée. Le
maître de Mampang lui avait alors remis une D’ordinaire complètement insouciant, le
pierre de communication, qu’il avait déguisée chevalier s’était montré inquiet du vol de la
sous la forme d’une grosse opale. Celle qui Couronne des Rois lorsque celui-ci avait été
était aujourd’hui sertie dans le pommeau de sa révélé publiquement. Pour Talys, cet évène-
dague. Elle ne pourrait s’en servir qu’au-delà ment signifiait que les choses s’accéléraient
des limites de la Grande Muraille d’Analand, et qu’elle ne devrait plus tarder à passer à
qui, bien qu’inachevée et écroulée par en- l’action. Elle s’était montrée extrêmement
droits, dressait un réseau de runes magiques vigilante, s’efforçant de rester à l’affût de la
qui perturbaient voire bloquaient les sorti- moindre bribe d’information, même la plus
lèges. insignifiante.

Talys avait regagné son pays natal en bateau, Dans quelques heures, elle allait enfin récolter
descendant le Kharabak, voyageant sur les les fruits de sa longue attente.
flots tumultueux de la mer du Kalkhabad
avant d’accoster à Arkleton. Avec l’or remis *
par l’Archimage, elle loua un appartement **
dans un quartier discret et commença à tisser
sa toile d’influence, prenant garde à ne pas Talys referma doucement la porte de la
être reconnue par les nobles qu’elle avait chambre. Alors qu’elle descendait les pre-
fréquentés avant son départ nocturne. Quatre mières marches, il lui sembla entendre un
ans avaient passé et tout le monde la croyait faible bruit venant de l’intérieur de la pièce.
morte. Ses parents avaient été profondément Sans doute Arthis se retournait-il dans les
affligés par sa disparition et sa mère avait draps. La jeune femme gagna la petite salle où
interdit qu’on touchât à sa chambre ou à ses elle avait retrouvé le chevalier la veille au soir,
affaires, sans doute persuadée qu’en laissant ses pieds effleurant les lattes rongées d’humi-
les choses en l’état elle provoquerait le retour dité du parquet, ne leur arrachant pas même
de sa fille. un geignement.

Mais Talys ne comptait pas s’exposer au grand Le petit homme grassouillet et au front tou-
jour. Ses plans nécessitaient ombre, silence et jours couvert de transpiration s’inclina obsé-
patience pour se déployer. Elle avait gagné la quieusement devant elle et la reconduisit dans
confiance de nombreux informateurs, des plus la contre-allée. Une lueur naissante dissipait

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les ténèbres au levant. L’aube, ce premier bai- s’avança dans l’allée. De là où elle était, Talys
ser d’une lumière encore timide, révélait très ne pouvait distinguer ses traits. L’individu était
imparfaitement le relief des pavés inégaux d’une taille moyenne et marchait d’un pas vif.
et les façades rongées par la moisissure. Au La jeune femme quitta son poste d’observation
loin s’entendait le chant des premiers oiseaux pour le suivre tout en restant à bonne distance.
diurnes, fraîchement éveillés par les soupirs
du matin. L’Homme d’Analand se dirigeait vers les
portes nord de la cité, s’apprêtant sans doute
Talys progressait d’un pas sûr et décidé, mais à voyager en direction de Scarton. Talys savait
sans aucune hâte, certaine de son fait. Un qu’il aurait été plus simple d’attendre la nuit
homme débraillé et imbibé la salua d’un geste prochaine pour l’égorger pendant son som-
grandiloquent, décrivant avec son couvre-chef meil, mais elle avait décidé qu’il devait mourir
miteux des arabesques dans les airs. La jeune ici, tout près du centre du pouvoir du royaume.
femme lui adressa un infime signe de tête et Son assassinat frapperait les esprits et plonge-
poursuivit son chemin. rait l’Analand dans le doute et l’effroi. Et ainsi
Talys servirait tout à la fois les desseins de sa
Peu à peu, la mince bande d’obscurité trouée déesse et de l’Archimage, semant les graines
d’étoiles visible entre les toits en encorbelle- du désordre au sein de la civilisation.
ment se dissipa, se changeant en une écharpe
d’un jaune pâle. Talys quittait les bas quartiers Tandis que les ténèbres mouraient sous les
et commençait l’ascension de la colline boisée assauts du feu triomphant de Glantanka,
au sommet de laquelle s’élevaient les hautes l’Homme d’Analand traversa les portes qui
tours du palais royal. Il lui fallut environ un menaient vers la ville basse, produisant un
quart d’heure pour parvenir sous les grilles document qui provoqua les hochements de
qui délimitaient les abords du parc au sein du- tête des gardes. Talys montra un parchemin
quel se nichait le magnifique édifice. Au lieu porteur du sceau d’un puissant et s’engagea
de se diriger vers l’entrée principale, Talys à sa suite. Les rues descendaient lentement,
longea les grilles en sens inverse. serpentant en boucles paresseuses pour ga-
gner le pied de la colline. Au-delà de l’enceinte
L’allée qui bordait le parc était patrouillée extérieure, les eaux du Flot-d’Or étincelaient.
de soldats en armes. Vêtue comme une bour- Le ciel était d’un bleu limpide. C’était une par-
geoise, les traits dissimulés sous un chapeau à faite journée pour la mort d’un héros.
large bord, ses cheveux blonds teints en noir,
elle n’attirait pas l’attention. A l’exception Talys sourit en découvrant les lieux où elle
de quelques groupes de gardes, peu de gens allait commettre son crime. L’allée qu’ils em-
empruntaient le même chemin qu’elle. pruntaient passait sous une longue et étroite
galerie couverte, délimitée par les façades des
Elle parvint sans difficulté en vue d’une habitations qui se pressaient de chaque côté.
petite porte ceinte d’une arche de pierre Plongée dans une pénombre continuelle, elle
gravée du visage souriant de Libra. C’était représentait l’endroit parfait pour un meurtre.
par là que l’Homme d’Analand devait quitter Au moment où l’Homme d’Analand s’engouf-
discrètement les lieux. Afin de maintenir son frait dans la galerie, Talys pressa le pas de
anonymat, le roi avait ordonné que l’individu manière à le rattraper. Bientôt, elle fut à trois
téméraire qui s’était porté volontaire pour tra- mètres derrière lui. Le moment était venu.
verser les terres inhospitalières du Kalhabad
afin de remettre la main sur la Couronne des Le héros semblait ne se douter de rien et la
Rois quittât le palais par cette issue rarement jeune femme referma la main sur la garde
utilisée. de son poignard à la lame incurvée. Elle
hâta encore le pas et s’apprêta à porter un
Talys se posta sous le porche d’une habitation unique coup mortel dans le dos de l’Homme
située au coin d’une rue qui faisait angle droit d’Analand. A cet instant précis, un sifflement
avec le parc et attendit patiemment. Au bout métallique résonna sous la voûte basse de la
de quelques minutes seulement, des bruits se galerie et elle fit un bond de côté pour éviter le
firent entendre et la porte s’ouvrit. Quelques coup d’épée dirigé vers sa gorge.
mots furent échangés à voix basse et un indi-
vidu drapé dans une pelisse beige à capuche

10
Double jeu

Quelle ne fut pas sa stupeur quand elle dé- ses yeux et elle sombra dans les limbes de
couvrit le sourire d’Arthis. Le chevalier, soli- l’inconscience.
dement campé sur ses deux jambes, la fixait
d’un air ravi. L’Homme d’Analand se retourna
et Talys chercha à distinguer ses traits brouil-
lés par la faible lumière ambiante. Arthis lui
adressa un signe de la main et l’individu conti-
nua son chemin comme si de rien n’était. La
jeune femme siffla de rage et amorça le geste
de lancer son poignard. Aussitôt, l’épée ondula
comme un serpent, fusant vers sa jugulaire.

« Tss, tss. Si j’étais toi, je n’en ferais rien. Allez,


reconnais-le, Talys, les jeux sont faits. Tu as été
battue par plus fort que toi. »

La jeune femme le regarda avec une rage


meurtrière, mais elle était réduite à l’impuis-
sance. Au moindre geste qu’elle esquisserait,
la pointe de l’épée la transpercerait et c’en
serait fini de ses ambitions.

« Je sais que tu m’as pris pour un fat, un odieux


personnage tellement vain qu’il serait aisé à
manipuler. Mais pour ton malheur, sache que
je suis un agent royal et que cette image que
je donne de moi n’est qu’un leurre destiné à
endormir la méfiance. La comédie que je joue
me rend souvent détestable, j’en ai conscience.
Mais c’est là un moindre prix à payer pour
les précieux services que je peux rendre au
royaume. Tu sais, toutes tes questions, j’ai vite *
trouvé ça louche. Je me suis renseigné sur toi **
et j’ai fini par apprendre qui tu étais vraiment.
Je suis l’un des seuls à te savoir vivante Talys, Talys baignait dans une pénombre conti-
ou devrais-je dire Phyllia, car c’est là ton vrai nuelle. La jeune femme aimait les moments
nom, n’est-ce pas ? où lumière et ténèbres se mêlaient en une
confusion délicieuse, comme à l’aurore et au
- Espèce d’immonde porc, comment oses-tu ! crépuscule, et si l’endroit n’avait pas été aussi
humide et inconfortable, elle aurait presque
- Bah. J’ai l’habitude de ce langage fleuri. Ça pu s’y sentir à l’aise.
ne m’atteint plus depuis longtemps. Allez,
rengaine ton venin et admets ta défaite. Tu vas Assise sur un banc de bois à moitié pourri et
croupir pour le restant de tes jours dans les retenu contre le mur par des chaînes rouillées,
culs-de-basse-fosse du palais, ce qui devrait te elle goûtait la solitude et le silence de sa geôle.
passer le goût de la trahison. » Par intermittence résonnait le bruit infime
de grattements. Les rats pullulaient dans le
Les yeux de Talys étincelaient d’une haine labyrinthe suintant qui reliait les cellules des
absolue. Au loin, l’Homme d’Analand n’était prisonniers, jamais avares d’une cavalcade
plus qu’une silhouette avançant paisiblement impromptue, exhibant leurs petites dents
au milieu de la foule. Elle avait échoué. Toutes pointues sous leurs vibrisses frétillants. Après
ces années de préparation pour échouer si les avoir côtoyés pendant des semaines, elle
près du but. C’était à hurler  ! C’est ce qu’elle avait appris à les trouver presque beaux. Passé
fit avant que l’épée d’Arthis ne s’abatte sur son le dégoût qu’ils lui inspiraient et la peur de se
crâne. Une douleur fulgurante éclata derrière faire mordre, elle les avait observés et s’était
rendue compte à quel point ils étaient malins.

11
Les rongeurs venaient la voir sans crainte
et elle partageait avec eux les miettes de ses
repas infâmes. Mais eux avaient l’air de les
apprécier.

Talys avait rapidement perdu le compte


des jours. Ses geôliers lui apportaient de
quoi manger et se désaltérer deux ou trois fois
par jour, oubliant parfois un repas s’ils étaient
d’humeur taquine. Ils ne parlaient pas, se
contentant de glisser le plateau dans l’espace
amovible situé à la base de la porte, tournant
les talons aussi sec, manquant déraper sur la
pierre ruisselante, comme s’ils redoutaient le
moindre contact avec la prisonnière.

Cette absence de toutes paroles lui convenait.


Elle s’était mise à méditer. Au fond d’elle-
même, elle savait qu’elle aspirait à la quiétude
d’une nuit piquetée d’étoiles. Depuis toute
petite, elle se plaisait au milieu des ombres. Ici,
contrairement aux autres prisonniers, elle se
sentait renaître et recouvrer toute son énergie.
Bientôt, elle le savait, Tanit la rappellerait afin
qu’elle sème de nouveaux germes de chaos.
Le monde était ainsi fait que nuit et jour
continueraient sans cesse à se bousculer sans
jamais parvenir à retrouver leur équilibre.

Talys était la nuit, pure et glacée en hiver,


douce et chantante l’été. Elle défierait le jour
aussi souvent qu’elle le pourrait, se réjouissant
de voir s’éteindre lentement les feux ronflants
de l’amour et de la passion.

Un grattement la tira de sa flânerie entre rêve


et éveil. Un rat se tenait tout près d’elle, levant
son museau vibrant, la fixant depuis les billes
noires de ses prunelles luisantes. «  Tiens-toi
prête mon enfant, je vais venir te chercher. »
Les mots semblaient sortir de la minuscule
bouche du rat.

Talys sourit. Son emprisonnement était sur le


point de s‘achever et elle allait reprendre de
l’ouvrage. Arthis ne perdait rien pour attendre.
Il n’allait pas tarder à se rendre compte que les
jeux n’étaient pas encore faits ! 

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