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Jean-Paul Aubert

Université Côte d’Azur

Analyser un extrait de film ou de document audiovisuel

Remarques préliminaires

L’Objet de ce fascicule est de vous aider à analyser un document audiovisuel.


Prévenons d’emblée que les quelques éléments rassemblés ici ne visent pas à établir une
méthode normative. On rappellera avec Jacques Aumont et Michel Marie qu’il « n’existe pas
de méthode universelle pour analyser les films ». Autrement dit, on ne peut espérer établir une
grille d’analyse définitive applicable à tout type de film. Par ailleurs, ces quelques pages en
guise de trousse de secours ne prétendent évidemment pas rivaliser avec les ouvrages infiniment
plus complets dont les références figurent en bibliographie.

L’analyse d’un extrait de film devrait en principe nous permettre à la fois d’ébaucher une
réflexion sur le monde que le cinéma nous donne à voir et de nous interroger sur la façon dont
il nous le montre et le reconstruit pour nous. Notre présentation, qui s’inspire de ce que propose
Laurent Jullier dans son très recommandable ouvrage L’analyse de séquence (Paris, Nathan,
coll. « Cinéma », 2003), s’articule selon trois axes, correspondant aux trois objectifs
fondamentaux d’une analyse :
- caractériser le document ;
- démontrer la spécificité du medium cinématographique ;
- émettre des hypothèses d’interprétation.

Caractériser le document

La caractérisation du document audiovisuel proposé ne peut se limiter à la lecture de la


légende ou du texte d’accompagnement qui généralement se contentent de préciser un titre, un
auteur et une date. Il vous appartient donc d’identifier avec la plus grande précision possible le

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document. Il convient de dire d’emblée si l’on est en présence d’un film de fiction ou d’un film
documentaire, d’un reportage (de type NoDo ou destiné à la télévision), d’un clip vidéo ou d’un
spot publicitaire. S’il s’agit d’une fiction, on doit pouvoir déterminer le genre dont elle relève :
film policier, film noir, fantastique, anticipation, mélodrame, film en costumes, etc. La tonalité
générale de l’extrait ne doit pas nous échapper. On relèvera donc sa noirceur ou sa légèreté, son
inscription dans une veine tragique ou au contraire comique, etc. On constatera que l’on est en
présence d’un extrait ou d’une œuvre dans son intégralité (ce qui reste possible pour les
reportages, les clips vidéo, les spots publicitaires ou les brefs courts-métrages). S’il s’agit d’un
extrait, un certain nombre d’indices permettent peut-être de le situer au sein de l’œuvre. On sait,
par exemple, qu’il est généralement assez aisé de repérer les débuts et fin de films.
Ces premières constatations qui permettent de caractériser le document avec une relative
précision relève d’une simple observation. Elles font appel à un savoir minimum et au bon sens.

Montrer la spécificité du médium cinématographique

L’analyse doit mettre à jour les principales articulations qui donnent au fragment sa
cohérence. On montrera selon quelle logique s’organise la suite d’événements portée à la
connaissance du spectateur et comment cette suite d’événements est reliée à un centre qui peut
être un personnage, un lieu, un objet, etc. On devra également insister à chaque instant sur les
moyens mis en œuvre par le réalisateur afin de porter à la connaissance du spectateur un certain
nombre d’informations ou les événements d’une histoire. En d’autres termes, il s’agit de mettre
en lumière la spécificité du médium cinématographique. À cet instant de la préparation, une
connaissance minimale de ce qu’il est convenu d’appeler le « langage cinématographique »
devient nécessaire.

Le plan

Le cinématographe, c’est l’écriture du mouvement. Un film est fait d'une succession


d'images fixes, que l'on appelle encore photogrammes, projetées à une vitesse standard de 24
images par secondes. Autrement dit, un film de 90 minutes est constitué de pas moins de 129
600 images ou photogrammes. Le défilement de la pellicule et la loi de la persistance rétinienne
font que le spectateur ne perçoit pas ces images en tant qu'unité identifiable. Ce qu’il perçoit,
ce sont des plans. Au moment du montage du film, le plan prend valeur d'unité. On peut le

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définir comme « la découpe d’un moment unique du tournage » (Emmanuel Siety, Le plan. Au
commencement du cinéma, Paris, Cahiers du cinéma/Les petits cahiers/SC ÉRÉN-CNDP, 2001,
p. 15) ou comme le morceau de pellicule situé entre deux collures. L'assemblage des plans, au
cours de la phase de montage, produit le film. Dans le cadre d’une analyse filmique, il est
préférable de parler de plan plutôt que d’image car le plan renvoie à la réalité de la fabrication
du film et aux deux étapes fondamentales que sont le tournage et le montage. Le plan correspond
à la saisie d’une fraction de temps et d’espace. On apprécie un plan selon divers critères. Nous
avons retenu les principaux.

La durée

C'est le nombre de photogrammes qui composent le plan. On l'évalue en minutes et


secondes. La perception de la durée est importante car elle induit une notion de rythme. La
publicité le sait bien. Notamment lorsqu’elle vante des produits destinés aux jeunes, elle joue
très souvent sur une succession rapide de plans très brefs avec la volonté de traduire le
dynamisme du produit et du public auquel il s’adresse.

La mobilité

On oppose le plan fixe (lorsque la caméra est immobile sur toute la durée du plan) à
d'autres types de plans qui impliquent des mouvements d'appareil. Pour simplifier,
distinguons deux types de mouvements de caméra : le travelling et le panoramique.
Le travelling (qu’il soit avant, arrière, ou latéral) est un mouvement du pied de la caméra,
au cours duquel l'axe de prise de vue reste parallèle à une même direction. Dans la pratique, on
installe la caméra sur des rails ou à bord d’un véhicule.
Dans le cas du panoramique, le pied de la caméra reste fixe. C'est la caméra elle-même
qui pivote horizontalement, verticalement ou dans n'importe quelle direction. Lorsqu'un plan
combine travelling et panorama, on parle de pano-travelling. Ce cas de figure est devenu de
plus en plus fréquent au fur et à mesure que se sont perfectionnés les systèmes de grues et de
bras articulés et que les caméras ont gagné en légèreté et donc en maniabilité.
Les plans en caméra portée à l’épaule sont également à porter au bénéfice d’une plus
grande maniabilité des appareils de prise de vue. Ils sont souvent repérables à une certaine
instabilité de l’image qui donne une sensation de vérité, de saisie sur le vif.

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Il faut ajouter à ces mouvements de caméra le zoom ou travelling optique, apparu dans
les années soixante, qui se pratique à l'aide d'objectifs à focale variable selon un principe que
connaissent tous les photographes même amateurs.

Le champ

L’élaboration d’un plan implique la définition d’un champ. On appelle champ tout ce qui
entre dans le cadre de vision de l’objectif. Déterminer le cadrage de la caméra, c’est décider de
ce que l’on inclut dans le champ mais également de ce que l’on exclut du champ, autrement dit
ce que l’on relègue au hors-champ. On peut définir le hors-champ comme « la prolongation
imaginaire de l’espace au-delà des frontières du cadre » (Emmanuel Siety, p. 34). Dans les films
fantastiques ou les films de terreur le hors-champ est un espace mystérieux et inquiétant d’où
provient le danger.
Les caractéristiques optiques de la caméra autorisent le cinéaste à jouer sur la netteté des
différents objets placés dans le champ de la caméra. La profondeur de champ définit la plage
de netteté autour de l’objet sur lequel le point a été fait. Une faible profondeur de champ permet
de limiter la netteté à un point précis. On doit alors s’interroger sur la stratégie qui consiste à
maintenir certains objets ou une partie du décor dans le flou. Lorsque, au contraire la profondeur
de champ est maximale, tous les objets disposés dans le champ sont nets quelle que soit leur
distance par rapport à l’objectif de la caméra. La profondeur de champ permet ainsi de jouer
sur l’illusion de profondeur.

L’échelle

On évalue l’échelle d'un plan selon les divers cadrages possibles d'un personnage ou d’un
objet. Plus les plans sont rapprochés, moins le champ est étendu. La distance entre la caméra et
l’objet filmé va déterminer le rapport du spectateur aux personnages ou aux objets présents dans
le plan. On distingue les principaux types de plans selon leur taille :
- Le plan général, à valeur parfois descriptive, qui contient l'ensemble d'un site naturel
ou d'un décor ;
- Le plan d'ensemble qui montre l'ensemble de la scène dans laquelle se meuvent les
personnages ;
- Le plan moyen qui englobe la moitié du corps d'un personnage ;

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- Le plan rapproché qui comprend la tête et les épaules du personnage et permet donc
de mettre en valeur l'expression du visage ;
- Le gros plan qui se centre sur le visage d'un personnage ou sur un objet avec pour
effet d'intensifier encore l'expression ;
- L'insert qui s'arrête sur le détail du corps humain ou d'un objet.

Lorsque l’on décrit un plan, l’on doit également s’intéresser à l’angle de prise de vue.
Une même scène peut être vue de près ou de loin, mais aussi bien de face, de côté, d’en haut ou
d’en bas et les personnages, de profil, de dos ou de trois-quarts. Une prise de vue faite depuis
le haut vers le bas est dite en plongée. Dans le sens contraire, on parle de contre-plongée.
La composition plastique retiendra toute notre attention. Comme on le fait parfois pour
un tableau, on pourra tenter de déceler les lignes géométriques qui organisent le plan et guident
le regard du spectateur. On sera sensible au travail sur les couleurs, chaudes ou froides ou plus
ou moins saturées, au fait que le directeur de la photographie et le réalisateur ont voulu mettre
à profit leur harmonie ou leur dissonance. Pour un film en noir et blanc, on pourra remarquer
des effets de contraste et de luminosité.
Il convient de s’interroger sur l’organisation spatiale des différents objets à l’intérieur du
champ. La construction du plan exprime-t-elle une relation entre les personnages ? Crée-t-elle
un sentiment d’intimité par le biais de cadrages resserrés ou crée-t-elle, au contraire, une
distance par une vue d’ensemble qui englobe les personnages, ou par des mouvements
panoramiques nous faisant glisser de l’un à l’autre ?
De la même façon, on sera attentif aux déplacements des personnages à l’intérieur du plan
et à la relation qui s’établit entre eux et la caméra. Les personnages traversent-ils l’écran ?
Semblent-ils venir vers nous ? La caméra va-t-elle au-devant d’eux ou les accompagne-t-elle ?
En jouant sur les différents paramètres que nous avons décrits sommairement, le
réalisateur établit une certaine forme de relation au réel, aux personnages, à l’espace. C’est cette
relation qu’il importe de faire apparaître dans le cadre d’une analyse.

Le personnage filmique

Le dix-neuvième siècle a fait du personnage la pierre angulaire du récit romanesque. Le


cinéma, tout au moins dans sa dimension la plus classique, a continué à le placer au centre du
récit. On sait que le personnage est le siège d’une puissante illusion réaliste qui fait qu’on le

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confond parfois avec une personne. Cette confusion entre le réel et la représentation est un
danger qui guette l’analyste. Il faut donc se convaincre que le personnage, qu’il soit romanesque
ou filmique est un être de fiction, un être de papier dans le premier cas, de celluloïd dans le
second.
Une étude du personnage sera attentive à son identité (l’onomastique permet par exemple
d’investir le nom de significations contextuelles), à ses attributs (costumes, coiffures,
accessoires), à ses actions, à ses paroles, à sa gestuelle, aux relations qu’il entretient avec les
autres personnages du récit, avec les lieux qu’il fréquente.
Ce qui distingue fondamentalement le personnage filmique du personnage romanesque,
c’est la médiatisation de l’acteur. Au cinéma, sans acteur il n’y a pas de personnage. C’est
également vrai au théâtre et dans les arts de la scène d’une manière générale. Cependant au
théâtre, il est fréquent que le personnage, en tant que rôle, préexiste à l’interprétation de l’acteur.
Souvent les acteurs de théâtre sont amenés à revêtir des costumes que d’autres ont portés avant
eux. Au cinéma, en revanche, hormis les cas très particuliers de rôles comme ceux de Tarzan
ou de James Bond qui ont donné lieu à plusieurs films, le personnage est indissociable de
l’acteur qui l’incarne. Ils ne font qu’un. Le personnage filmique d’Amadeo, le vieux bourreau
de El Verdugo (Luis García Berlanga, 1963), est définitivement associé (à moins d’un remake)
au visage de José Isbert. Il semble très difficile de tracer une limite entre ce qui appartiendrait
en propre au personnage et ce qui appartiendrait à l’acteur. Sans doute, peut-on considérer que
la présence du comédien apporte une sorte de plus-value au personnage. Car le comédien n’est
pas une page blanche sur laquelle viendraient s’inscrire les traits d’un personnage inédit. Il est
porteur de tous les rôles qu’il a pu interpréter auparavant et aussi de l’image publique qu’il a
donnée de lui-même, notamment dans les médias. La starisation des comédiens n’a fait
qu’amplifier ce phénomène. De sorte que la stratégie du metteur en scène peut consister soit à
convoquer les souvenirs que le spectateur conserve éventuellement de précédents, soit à confier
au comédien un rôle en rupture avec l’image plus ou moins convenue que le spectateur a de lui.
Le metteur en scène peut encore faire appel à des comédiens non professionnels (et inconnus
du grand public) dont la présence ne risque pas d’être « parasitée » par des données extra
filmiques ou extra cinématographiques.

Le point de vue

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En littérature, la problématique du point de vue (c’est-à-dire la réponse aux questions
« Qui raconte ? Qui voit ? Qui sait ») a été abordé par Gérard Genette sous l’angle de la
focalisation. Genette distingue trois types de focalisation :
- la focalisation zéro : le narrateur est omniscient et les faits semblent racontés de
façon neutre. Le narrateur en sait plus que les personnages.
- La focalisation interne : le narrateur accompagne le personnage et ne raconte que ce
que celui-ci sait ou voit.
- La focalisation externe : le narrateur en sait moins que le personnage. Il le décrit
extérieurement.
La confusion qui s’opère dans le cadre du récit écrit entre savoir et voir peut sembler
légitime. Ce n’est que métaphoriquement que l’on peut parler de vision. Cette confusion est
plus difficile à admettre lorsqu’il s’agit d’un art visuel comme le cinéma. Si l’on prend le cas
de la focalisation interne, le narrateur peut ne raconter que ce que sait tel ou tel personnage,
mais il n’empêche que ce personnage sera vu de l’extérieur. C’est pourquoi, on a imaginé pour
le cinéma le concept d’ocularisation. Le terme renvoie à l’œil, celui de la caméra bien sûr. La
question que l’on se pose désormais est : « d’où voit-on ? » On va distinguer l’ocularisation
zéro de l’ocularisation interne. Lorsque l’image n’est vue par aucune instance diégétique, par
aucun personnage (les américains parlent de nobody’s shot), on parlera d’ocularisation zéro.
En revanche on parlera d’ocularisation interne lorsque l’image est vue par une instance
diégétique. Dans ce cas on distinguera la vision subjective (ou vision par…) de la vision semi
subjective (ou vision avec). Dans le cas de la vision subjective, le spectateur voit par les yeux
du personnage. C’est le cas classique du champ/contre-champ. Les indices de cette vision
subjective sont variés : lorsque le cadre semble épouser l’angle de vision du personnage par
exemple. Il est extrêmement rare que tout un film soit construit sur ce procédé de la caméra
subjective où en principe le personnage par lequel on voit demeure quant à lui invisible de bout
en bout. On en connaît un exemple qui fut un échec : La Dame du lac (1947) de Robert
Montgomery.
La vision semi-subjective est plus fréquente. L’on voit avec le personnage. Nous ne
voyons pas par ses yeux mais nous voyons tout ce qu’il voit et entend. Le cas le plus fréquent
est celui où le personnage apparaît en amorce, c’est-à-dire que l’on distingue son bras, son
épaule, une partie de son dos.
L’analyse du point de vue est essentielle. Elle peut conduire à une réflexion sur la place
du spectateur et sur sa possible identification à tel ou tel personnage. Il convient pour le candidat
de se familiariser avec elle.

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Le montage

Le passage d’un plan à un autre relève de l’art du montage. Il peut se faire sans transition,
d’une manière presque brutale : on appelle cela un cut. Par opposition, on distinguera plusieurs
types de transitions possibles. Le fondu correspond à la disparition progressive de l’image
grâce à la fermeture du diaphragme. Il est généralement suivi du noir. On parle alors de fondu
au noir. S’il est suivi d’un écran blanc, on parle de fondu au blanc. Dans certains cas, le
réalisateur choisit le fondu enchaîné. C’est le remplacement progressif d’une image par une
autre image avec surimpression momentanée des deux images. Dans le cinéma dit « classique »
(nous reviendrons sur ce terme dans les pages suivantes) les fondus servent souvent de
ponctuation des séquences et de signalement d’une ellipse temporelle. Le passage d’un plan à
un autre peut également se faire par le biais d’incrustations progressives. On parle de volet
lorsqu’une image en fait glisser une autre ou d’iris lorsque la substitution se fait par une
ouverture ou une fermeture circulaires. Restent enfin les innombrables déformations
transitionnelles : pages qui se tournent, mosaïques, morphisme …
On retiendra que le montage ne répond pas qu’au souci de faire progresser le récit selon
une plus ou moins grande cohérence. Il organise la matière cinématographique et lui donne un
sens. En associant deux plans, on parvient à donner à chacun d’eux un sens qui dépasse celui
du donné représenté. En d’autres termes, le rapprochement de deux ou de plusieurs plans est
susceptible de leur octroyer une valeur qu’ils n’auraient pas hors de cette association. Cette
conception du montage, évidemment essentielle, fonde l’écriture cinématographique. Là
encore, l’analyse préparatoire de la séquence doit en tenir éminemment compte.

La séquence

Des modalités de raccord entre les plans va dépendre la fluidité de la narration filmique.
Ajoutés les uns aux autres, les plans constituent des séquences. "Une séquence est une suite de
plan liés par une unité narrative". Nous empruntons cette définition à l'ouvrage de J. Aumont et
M. Marie, L'Analyse des film (Nathan Université, Paris, 1988). Il peut arriver qu'une séquence
ne comporte qu'un seul plan. On parle alors de plan-séquence. Une séquence, c'est donc une
unité de sens comparable à la "scène" au théâtre. Elle implique souvent une unité de lieu et
d'action.

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Le son

Un film ne se résume pas à des images mouvantes. On ne peut négliger cette autre
composante qu’est le son. Les trois matières de l’expression sonore au cinéma sont la musique,
les bruits et les paroles. On distingue trois types de rapport entre image et son :
- Le son in dont la source est visible
- Le son hors-champ : la source du son est invisible, mais le son est diégétisé, c’est-à-
dire qu’il appartient à l’univers de la fiction
- Le son off ou extradiégétique.
La musique de fosse relève de cette dernière catégorie. Il est toujours intéressant d’essayer
de déterminer le rapport qu’elle entretient avec l’image. Il arrive que la musique soit seulement
redondante (les violons accompagnant un premier baiser sur fond de soleil couchant !). Mais
parfois, s’établit une relation subtile entre le son et l’image. La musique perd alors sa seule
fonction d’illustration pour prendre une dimension suggestive.

Émettre des hypothèses d’interprétation

L’observation de la séquence doit déboucher sur la formulation d’hypothèses quant à sa


cohérence et à ses enjeux. Les lignes qui suivent offrent quelques pistes. Des pistes et non des
recettes…
Lorsque l’on est en présence d’un spot publicitaire, les enjeux sont assez facilement
identifiables. Si la dimension esthétique n’est pas absente, reconnaissons qu’elle est secondaire
par rapport à l’objectif principal d’une publicité qui est de vendre un produit à un spectateur-
consommateur. En d’autre terme l’efficacité d’un tel film se mesure à sa capacité à convaincre
le consommateur d’acheter le produit dont il fait les louanges.
L’interprétation d’une séquence filmique s’avère parfois plus complexe…
Parce qu’il repose sur une cohérence interne, qu’il est aisément détachable du reste du
film et qu’il obéit à des codes relativement précis, le générique s’offre comme un fragment dont
on décèle sans trop de difficulté les enjeux. Il est un seuil du film, une sorte de passage obligé
d’un monde (le monde réel, celui de la fabrication du film et de sa réception dans l’espace
concret de la salle de cinéma) vers un autre monde (le monde fictionnel, le monde diégétique).
C’est donc une zone quelque peu indécise où le spectateur se situe entre l’univers fictif du film

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et la réalité. Le générique fait le lien entre ceux qui ont fait le film et ceux qui vont le voir. Il
est ce que l’on nomme un « métadiscours ». Extrêmement codifié, il produit un discours sur le
film tout en faisant partie du film. Il est à la fois un commentaire et un reflet du film à venir.
Le début d’un film, qui n’est pas nécessairement le générique, se prête également à
l’analyse. On sait que l'incipit correspond au moment particulier de l'entrée du spectateur dans
la fiction.
Nous dirons, pour simplifier qu’une séquence inaugurale se doit d'assurer deux fonctions
au moins :
- une fonction d'exposition ;
- une fonction contractuelle.
La première fonction consiste à donner au spectateur les informations dont il a besoin
pour comprendre la suite du récit. En vertu de cette exigence, il n’est pas rare que les débuts de
film aient une valeur descriptive. Entendons-nous bien. Toutes images est, par nature,
descriptive et il serait bien périlleux de vouloir séparer trop strictement le narratif du descriptif.
On admettra cependant que les plans d'ensemble ou de demi-ensemble, les longs panoramiques
qui ouvrent très souvent un film ont pour fonction évidente de faire découvrir au spectateur le
cadre dans lequel va se dérouler l'action. La deuxième fonction consiste à proposer au spectateur
un contrat, s'assurer, en d'autres termes, sa collaboration, lui donner la possibilité de juger ce
qu'il voit par rapport non pas nécessairement à l'expérience vécue mais aux genres dans lequel
s'inscrit le film. À ces deux fonctions, vient s'ajouter une troisième : créer une attente chez le
spectateur, autrement dit lui donner envie d'aller plus avant.
Reconnaissons qu’il n’est pas toujours aisé de tenir un discours esthétique ni de dégager
le « style » du fragment analysé. On peut tenter d’évaluer les stratégies d’écriture
cinématographique au regard de ce que l’on sait des principaux courants esthétiques qui
jalonnent l’histoire du cinéma, en évitant toutefois les classifications hâtives.
À partir de la fin des années 10 et du début des années 20 du vingtième siècle, s’instaure
une forme de classicisme cinématographique qui va s’imposer durablement aux Etats-Unis et
en Europe. Il s’agit d’un cinéma narratif, préoccupé de raconter une histoire, selon une logique
de l’action héritée de la littérature romanesque du XIXe siècle et en particulier du réalisme. Le
récit réaliste s’élabore sur une logique de l’action fondée sur la relation de cause à effet. Tel
événement A entraîne telle nouvelle situation B qui entraîne à son tour tel nouvel événement
C. Le montage classique respecte cette construction logique. Soit deux plans A et B qui se
succèdent. On veillera par exemple à ce qu’un élément figurant dans le plan A se retrouve dans
le plan B. Ce peut être un élément visuel ou sonore. La relation entre les plans A et B peut obéir

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à un principe de dynamique. Un personnage se déplace dans un sens dans le plan A ; il se
déplacera dans le même sens dans le plan B (c’est ce que l’on appelle un raccord dans le
mouvement). La relation de plan à plan est également structurelle dans le sens où elle doit
respecter la position respective des personnages dans l’espace. On parlera également de raccord
sur le regard lorsque dans le plan A, un personnage regarde et que, dans le plan B, on voit ce
qu’il voit. Lorsque le plan B correspond à ce que voit un personnage situé en vis-à-vis dans le
plan A, on utilise l’expression « champ/contre champ ».
Ces différentes modalités de raccord visent à donner le sentiment de la continuité de
l’action. On parle parfois de « montage transparent » pour désigner cette succession de plan
harmonieuse et naturelle, qui facilite une jouissance tranquille du spectacle cinématographique.
Par ailleurs, signalons que la narration classique (en conformité avec le récit réaliste tel
que le pratiquent les grands romans du dix-neuvième siècle) va s’élaborer autour d’un
personnage principal ou d’un couple, aux caractères très marqués et qui va être placé au cœur
de situations conflictuelles. L’essor du star system n’a fait que contribuer à affermir cette règle
scénaristique.
Ce modèle classique va perdurer jusqu’à aujourd’hui et l’on peut dire que c’est lui qui
domine le cinéma contemporain. Cependant, il est régulièrement contesté. De nombreux
courants avant-gardistes s’inscrivent notamment dans une sorte de rébellion à l’égard de ce
classicisme. C’est le cas du cinéma soviétique des années 1920, du « cinéma pur » (avant-garde
française des années vingt), de l’expressionnisme allemand, du surréalisme ou de la Nouvelle
vague.
Disons quelques mots du cinéma surréaliste incarné en Espagne par Buñuel et Dali et
dont l’œuvre emblématique demeure Un chien andalou (1928). Ce film met en place une
narration qui se distingue fondamentalement du récit classique. La succession des événements
n’obéit plus à une construction fondée sur la relation de cause à effet. Les images se rencontrent,
s’affrontent, se heurtent. Le surréalisme cultive les ruptures, l’onirisme, les images mentales,
les visions provocantes. Chacun a en mémoire la séquence d’ouverture d’Un chien andalou. Le
montage chaotique défendu par le surréalisme met à contribution le spectateur, crée chez lui
une sensation de malaise, perturbe la compréhension du récit.
Dans les années cinquante et soixante se développe un cinéma dit de la modernité qui
emprunte quelques-unes de ses caractéristiques aux cinémas d’avant-garde énumérés plus haut.
Ce cinéma met en place des récits plus lâches, plus lacunaires, moins dramatisés, souvent
ambigus. On ne peut discerner ce qui est réel de ce qui ne l’est pas. Les personnages sont
souvent moins dessinés que dans le récit classique. Ils subissent plus qu’ils n’agissent. Par un

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certain nombre de procédés sonores ou visuels, le cinéma de la modernité brouille les frontières
entre la subjectivité du personnage ou de l’auteur et l’objectivité de ce qui est montré. Par
exemple, les rêves, les hallucinations ou les fantasmes sont au même niveau que les images du
présent objectif. Deux cinéastes espagnols illustrent parfaitement ce brouillage des sens : Luis
Buñuel et Carlos Saura.
Le cinéma de la modernité, tel qu’il s’expose dans les premières œuvres de Jean-Luc
Godard notamment ou dans le cinéma de l’Ecole de Barcelone (avant-garde qui apparaît à
Barcelone au milieu des années 1960) se caractérise également par une affirmation de la
puissance de l’auteur. Le commentaire en voix-off, les mouvements de caméra extrêmement
marqués, les ruptures stylistiques brutales, les faux raccords, les regards caméra par exemple
témoignent de la présence d’un énonciateur. C’est un cinéma qui ne cesse de rappeler au
spectateur qu’il est au cinéma. C’est donc un cinéma réflexif, c’est-à-dire un cinéma qui
s’intéresse à lui-même et au processus de création cinématographique. Une figure
caractéristique de ce cinéma est la mise en abyme comme exaltation de l’art cinématographique.
Prenons garde toutefois de ne pas enfermer les films dans des catégories trop rigides. Du
reste, le cinéma actuel, peu soucieux des étiquettes, produit des œuvres souvent hybrides qui
multiplient les emprunts à divers courants esthétiques.
À cet égard, rien n’interdit de considérer la transcendance textuelle de la séquence
analysée. L’intertextualité est l’un de ses aspects. On s’efforcera de repérer les éléments qui
dans la séquence étudiée peuvent constituer une allusion, un renvoi, un commentaire, une
parodie ou un pastiche. On pourra voir dans cette pratique qui est monnaie courante dans le
cinéma post-moderne l’hommage à une œuvre ou à un genre ainsi que le désir d’établir, sur un
mode ludique, une relation de complicité avec le spectateur. On peut également s’efforcer
d’évaluer le film au regard du genre cinématographique dans lequel il s’inscrit et vérifier dans
quelle mesure et dans quel but il en respecte les codes ou, au contraire, s’en détourne et les
subvertit.

Pour conclure

Il est vrai que l’approche du cinéma suppose la connaissance de certains outils d’analyse
qui lui sont propres. Beaucoup de réticences ou d’inquiétudes proviennent de cette impression
qu’ont parfois les étudiants de ne pas maîtriser ces outils ou de méconnaître un certain langage
spécifique à l’analyse filmique. On peut assez facilement faire tomber ces barrières en montrant

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qu’un bagage minimum permet de se lancer dans l’analyse filmique et en rappelant que
l’important, bien évidemment, n’est pas de savoir nommer tel ou tel procédé mais d’être en
mesure de le rapporter à du sens. Quel est l’intérêt de signaler un paramètre technique (un
mouvement de caméra par exemple) si on n’est pas en mesure de le relier à une interprétation ?
De même que l’étude d’un poème ne peut se borner à un examen de la métrique, l'analyse d'une
séquence ne peut se limiter au repérage des procédés rhétoriques ou stylistiques qu’elle met en
œuvre. C'est une étape sans doute nécessaire. Mais elle n'a d'utilité que dans la mesure où elle
permet de montrer comment ces procédés concourent à l'élaboration d'un sens.
Synthétiser en quelques pages ce qui fait l’objet de volumes entiers relevait bien
évidemment de la gageure. C’est pourquoi, je vous engage à consulter la bibliographie placée
à la fin de ce fascicule. Rappelons surtout qu’une approche théorique de l’analyse filmique ne
saurait remplacer la pratique effective. Et enfin, allez au cinéma… (dès que vous le pourrez !!)

Bibliographie

Analyse filmique

AUMONT, Jacques, MARIE, Michel, L’Analyse filmique, Nathan, coll. « Université »,


Paris, 1988.
Un livre qui définit l’analyse filmique, en détermine la visée et en propose diverses
modalités.

JULLIER, Laurent, L’Analyse de séquences, Nathan, coll. « Université », Paris, 2003.


« Trousse de secours » destinée aux étudiants préparant des épreuves à divers examens et
concours (cinéma du bac, option cinéma des agrégations de lettres et d’arts plastiques, concours
d’entrée à la FEMIS, etc). L’auteur développe des outils d’analyse utilisables pour tout type de
film et conclut son ouvrage par sept analyses de séquences. Hélas, aucune n’est extraite d’un
film espagnol.

TERRASA, Jacques, L’Analyse du texte et de l’image en espagnol, Nathan, coll.


« Université », Paris, 1999.
Cet ouvrage consacre un chapitre à l’analyse filmique et propose l’étude d’une séquence
de Femmes au bord de la crise de nerf de Pedro Almodóvar.

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VANOYE Francis ; GOLIOT-LÉTÉ Anne, Précis d’analyse filmique, Nathan, coll.
« 128 », Paris, 1992.
Ouvrage synthétique qui envisage les différents « outils » d’analyse filmique et constitue
un complément indispensable à ce fascicule.

Signalons encore une série d’ouvrages synthétiques, édités par les Cahiers du cinéma et
le SCÉREN-CNDP et consacrés à divers aspects du cinéma :
GUÉRIN, Anne-Marie, Le Récit, Paris,
HAMUS-VALLÉE, Réjane, Les Effets spéciaux, Paris, 2004.
LOISELEUX, J. La Lumière en cinéma, Paris,
MAGNY, Joël, Le Point de vue, Paris,
MAGNY, Joël, Vocabulaires du cinéma, Paris,
MOUËLLIC, Gilles, La Musique de film, Paris,
PINEL, Vincent, Le Montage. L’espace et le temps du film, Paris, 2001.
SIETY, Emmanuel, Le Plan. Au commencement du cinéma, Paris, 2001.
VASSÉ, Claire, Le Dialogue, Paris,

Connaissance du cinéma espagnol

Coll., Historia del cine español, Cátedra, « Signo e imagen », Madrid, 1999.
Panorama détaillé du cinéma espagnol des origines à nos jours, par les meilleurs
spécialistes espagnols.

LARRAZ Emmanuel, Le Cinéma espagnol des origines à nos jours, Editions du Cerf,
coll. « 7°Art », Paris, 1986.
Premier ouvrage français consacré à l’histoire du cinéma espagnol. Evidemment, il ne
traite pas des vingt dernières années.

SEGUIN Jean-Claude, Histoire du cinéma espagnol, Nathan, coll. « 128 », Paris,


1994.
Ouvrage synthétique qui met en perspective les principaux auteurs et mouvements tout
en évitant l’écueil de la liste ou de l’accumulation.

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Connaissance du cinéma latino-américain

BLAQUIÈRE-ROUMETTE, Monique ; GILLE, Bernard, Films d’Amérique


latine, Editions du Temps, Paris, 2001.
Un panorama des différentes cinématographies nationales et des fiches analysant les
œuvres majeures.

Site Internet sur le cinéma espagnol

http://grimh.org : Site du Groupe de Recherche sur l’Image dans le Monde Hispanique.


Un site, régulièrement actualisé, consacré à l’image en général. Propose des bibliographies et
de nombreux liens.

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