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ESTIMATION DE L'IMPACT DE L'INTERNALISATION DES COÛTS

EXTERNES DU TRAFIC DE FRET INTERURBAIN EN BELGIQUE

Bart Jourquin

De Boeck Supérieur | « Reflets et perspectives de la vie économique »

2004/4 Tome XLIII | pages 77 à 87


ISSN 0034-2971
ISBN 2-8041-4441-0
DOI 10.3917/rpve.434.0077
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-reflets-et-perspectives-de-la-vie-
economique-2004-4-page-77.htm
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Estimation de l’impact
de l’internalisation
des coûts externes du trafic
de fret interurbain en Belgique
Bart JOURQUIN*

Abstract – The strong expansion of freight road transports throughout Europe is an


important source of congestion and pollution, as well as a cause of many accidents. To
be solved this problem will require the conjunction of many different remedies. One
element of solution would be the promotion and the substitution of transportation mo-
des with less negative effects. This paper is focused on this solution. It presents some
results obtained from a detailed modeling of the Belgian multimodal freight transport
network inserted within the overall trans-European network. It outlines the results of a
simulation of the flows over the Belgian network in 1995 which allows to estimate some
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of the costs of several external effects of freight transports : the costs of pollution,
congestion, accidents, noise and road damages. The paper provides also the simulated
impacts on modal choice of a marginal external cost internalization, and an estimation
of the corresponding external costs savings.
Keywords – External costs, transportation costs, freight transport, networks.

1 INTRODUCTION ET PORTÉE DE LA RECHERCHE


L’expansion importante des transports routiers de fret dans l’ensemble de l’Eu-
rope est une source importante de congestion et de pollution, ainsi que la cause
d’un grand nombre d’accidents. Tous les observateurs s’accordent pour dire que
cette croissance va continuer dans les prochaines années.
Ce problème ne pourra être résolu par le recours à une solution simple et
unique ; il exigera la conjonction de beaucoup de remèdes différents, dont la pro-
motion de modes de transport produisant moins d’effets négatifs. Cette substitu-
tion pourrait être encouragée par la mise en place d’une politique de prix qui inclurait
les effets externes de chaque mode.

* Bart JOURQUIN est professeur aux Facultés Universitaires Catholiques de Mons (FUCaM, Groupe
Transport et Mobilité) et au Limburgs Universitair Centrum.

Reflets et Perspectives, XLIII, 2004/4 — 77


BART JOURQUIN

Nous présentons dans cet article quelques résultats obtenus à partir d’un
modèle détaillé du réseau belge de transport de fret. Après une brève présentation
du modèle de réseau, nous évaluerons les coûts correspondant à la pollution, à la
congestion, au bruit et aux accidents, ainsi qu’aux dommages causés aux infras-
tructures. Nous présenterons ensuite les impacts simulés d’une internalisation de
ces coûts sur les flux de transport.
Le lecteur intéressé trouvera une présentation complète du modèle et des
méthodes employées, ainsi que des résultats détaillés, dans External costs of the
Belgian intercity freight traffic : a network analysis of their internalisation, par Beuthe
M., Degrandsart F., Geerts J.-F. et Jourquin B., publié en 2002 dans Transportation
Research.

2 NODUS ET LES RÉSEAUX VIRTUELS


Le modèle de réseau utilisé est basé sur la méthodologie du « réseau virtuel »
(Jourquin 1995), mise en œuvre dans le logiciel Nodus. Ce logiciel permet de mini-
miser le coût généralisé d’une tâche de transport définie dans une matrice d’origi-
nes-destinations (O-D) affectée sur un réseau virtuel dans lequel chaque opération
de transport particulière est représentée par un lien virtuel spécifique.
Un réseau de transport est en effet constitué d’un certain nombre de nœuds
et d’arcs, ce qui correspond à une vision spatiale des infrastructures de transport.
Calculer sur base de cette représentation particulière un chemin de coût minimum
pose un certain nombre de problèmes. Ainsi,
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• Un arc particulier (route, voie d’eau…) peut être utilisé par des moyens de
transports (véhicules) variés dont le coût d’exploitation est différent (camions
de types ou de capacités différentes, péniches et barges de différents gaba-
rits…).
• Un nœud dans un réseau géographique peut être associé à des opérations
très différentes comme le simple transit ou, lorsque ce nœud correspond à un
terminal, à des manutentions diverses.

La méthodologie du réseau virtuel permet de générer, à partir d’un réseau géogra-


phique digitalisé auquel est associé un certain nombre de caractéristiques, un
réseau « virtuel » qui représente l’ensemble des opérations de transport possibles,
pour tous les modes et moyens de transport disponibles. Dans ce réseau, chaque
arc virtuel correspond donc à une opération particulière à laquelle un coût unique
peut être associé.
La Figure 1 illustre cette décomposition. Le réseau réel très simple qui est
représenté en haut à gauche est constitué de quatre nœuds Xa, Xb, Xc et Xd, et trois
arcs U1, U2 et U3. Le nœud Xb est un terminal. Les arcs U1 et U2 sont des voies
d’eau, U3 une route. L’arc U1 est une voie à grand gabarit. Admettons que nous
avons à notre disposition un seul type de camion, et deux types de péniches
(300T et 1350T). Seule la voie d’eau à grand gabarit permet le passage des

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ESTIMATION DE L’IMPACT DE L’INTERNALISATION DES COÛTS EXTERNES DU TRAFIC DE FRET INTERURBAIN

Figure 1 : Illustration du concept de réseau virtuel

U1 (W2) U2 (W1)
Xa Xb Xc

U3 (R1)

Xd Terminal
U1 (W2 = 1350 T)

U1 (W1 = 300 T)

U3 (R1 = Camion)

bateaux de 1350T. Le second réseau de la Figure 1 représente une décomposi-


tion schématique des différentes opérations de transport en « réseau virtuel ». Ainsi,
l’arc U1 a été dédoublé, permettant ainsi d’avoir un arc spécifique pour chaque
type de bateau qui peut y naviguer. Le nœud Xb se retrouve éclaté en divers nou-
veaux nœuds virtuels, entre lesquels des arcs virtuels sont générés pour les diffé-
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rents types d’opérations possibles (lignes continues pour les transbordements
possibles, ligne pointillée pour le simple transit et flèches pour les (dé)chargements).
Une description complète de la méthodologie peut être trouvée dans, par exem-
ple, Jourquin et Beuthe (1996).
La méthodologie du réseau virtuel présente donc un double avantage :
• pouvoir calculer un chemin de coût minimum basé sur une chaîne d’opéra-
tions de transport dont les coûts peuvent être objectivés ;
• combiner, lors de la seule affectation, les étapes de « choix-modal » et
d’« affectation » du modèle classique à quatre étapes. De plus, un chemin de
coût minimum peut très bien combiner l’utilisation de plusieurs modes de trans-
port différents, ce qui rend la méthode particulièrement bien adaptée à la mo-
délisation du transport intermodal.

3 LA SIMULATION DE RÉFÉRENCE
La première étape de la recherche a consisté à établir un modèle validé des flux
interurbains existants de fret en Belgique pour 1995, cette année étant la plus
récente pour laquelle les données suffisantes étaient disponibles. Ce « scénario de
référence » a été construit en trois étapes :

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BART JOURQUIN

1. Des enquêtes auprès des expéditeurs et des observations du trafic de fret ont
été employées, en conjonction avec des données statistiques agrégées, pour
construire des matrices O-D pour chaque mode de transport et pour les dix
chapitres de marchandises de la nomenclature NST-R. Ces matrices sont
détaillées jusqu’au niveau communal pour ce qui concerne le territoire belge.
Les régions proches de la Belgique sont détaillées au niveau NUTS 3, alors
que le niveau NUTS 2 a été retenu pour le reste de l’Europe.
2. Toutes ces matrices ont été alors affectées mode par mode sur leurs réseaux
respectifs et les flux estimés ont été comparés aux comptages observés le
long des routes, des chemins de fer et des voies d’eau. Des vitesses sur
quelques liens ont été adaptées afin d’obtenir un meilleur ajustement entre les
flux calculés et observés, en particulier dans la périphérie de grandes villes.
Des « exclusions » ont également été introduites pour certaines gares et ports
intérieurs, afin d’y empêcher le (dé)chargement de marchandises pour les-
quelles il n’y avait pas d’équipement de manutention adéquat.
3. Dans une dernière étape, les matrices modales ont été fusionnées pour obte-
nir dix matrices agrégées correspondant aux différents groupes de produits.
Elles ont été employées pour affecter les flux de transport sur le réseau multi-
modal en minimisant les coûts généralisés. Les fonctions de coût ont finale-
ment été calibrées afin d’obtenir une répartition modale conforme à la réalité.

Le modèle affecte donc les flux non seulement aux modes, mais également aux
moyens de transport. Dans cette application, les performances du modèle ont été
assez bonnes. Ainsi, les types de bateau utilisés (300 t, 600 t, 1350 t et 2000 t ou
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plus) ont été très bien répartis sur base de leurs différentes fonctions de coût, de la
capacité de chaque voie navigable et des exclusions mentionnées ci-dessus. De
même, les informations sur les exclusions et les fonctions de coût ont permis
d’obtenir des résultats satisfaisants pour les trains complets et les wagons isolés.
Malheureusement, l’utilisation de différentes fonctions de coût pour les camions
légers et lourds (7 tonnes et 40 tonnes respectivement) n’a pas mené à une discri-
mination réaliste entre ces deux types de véhicules. En fait, les deux types de
camion sont employés sur de longues et courtes distances selon la taille des ex-
péditions mais aucune information n’était disponible à ce sujet. Nous avons résolu
ce problème en réalisant les affectations uniquement sur des grands camions.
Des données de distribution des quantités transportées par type de camion, en
fonction de la distance et du type de marchandises ont alors été utilisées pour
distribuer les flux affectés entre les petits et les grands camions.
La validation du modèle s’est faite selon deux critères :
• Le Tableau 1 montre les parts modales observées et estimées par le modèle
pour l’année de référence ;
• Les coefficients de corrélation entre les flux observés et estimés sont de 0,92
pour les voies d’eau, 0,86 pour les chemins de fer, et 0,87 et 0,93 respective-
ment pour les petits et grands camions.

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ESTIMATION DE L’IMPACT DE L’INTERNALISATION DES COÛTS EXTERNES DU TRAFIC DE FRET INTERURBAIN

Tableau 1 : Parts modales observées et estimées en 1995 (tonnes)

Pourcentage observé Pourcentage estimé

NST-R Eau Fer Route Eau Fer Route

0-9 11,28 8,99 79,73 11,06 9,05 79,89


0 7,18 2,24 90,58 7,56 1,67 90,77
1 5,06 2,44 92,70 5,61 2,13 92,26
2 25,33 43,51 31,16 25,11 43,81 31,08
3 28,65 6,23 65,12 28,89 9,08 62,03
4 25,06 49,07 25,87 18,66 50,24 31,10
5 7,44 26,22 66,34 7,32 26,77 65,91
6 15,37 1,74 82,89 15,44 1,33 83,23
7 23,70 5,25 71,05 24,09 5,39 70,52
8 8,00 6,56 85,44 7,85 6,05 86,10
9 0,53 11,40 88,07 0,88 11,35 87,77

4 MESURE DES EFFETS DES POLLUANTS


ET COÛTS ASSOCIÉS
La méthodologie appliquée pour évaluer les effets des polluants sur la santé en
Belgique suit la ligne tracée par Mayeres et al. (1996), qui combine les résultats
publiés dans diverses recherches. Les informations dont nous disposons permet-
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tent de prendre en compte les effets de la concentration des micro-particules
(PM10) et de l’ozone qui sont provoqués par quelques polluants : VOC, NOx et
SO2.
Selon Small et Kazimi (1995), les effets sur le nombre de décès de la concen-
tration de PM10 peuvent être obtenus en liant la concentration des particules dans
l’air aux émissions des polluants. Ceci est fonction du nombre de t-km produit par
les différents modes. Les effets sur la santé sont alors obtenus en appliquant le
taux de mortalité approprié à la concentration et en multipliant par la population
concernée. Avec un taux de mortalité de 0,66 par cent mille habitants, et une
valeur de la vie estimée à 4.452.841 ECUs en 1995, nous avons obtenu un coût
de 84,5 mECU par gramme de PM10 émis, de 1,5 par gramme de VOC, de 7,6
par gramme de NOx, et de 95,4 par gramme de SOx.
Étant donné que moins d’information était disponible sur les effets de la con-
centration des particules sur le nombre de maladies, nous avons repris les valeurs
publiées par Hall et al. (1992) et Krupnick et Portney (1991), ajustées en ECUs de
1995 : 4,17 mECU par gramme de PM10, 0,06 par gramme de VOC, 0,36 par
gramme de NOx et 4,52 par gramme de SOx.
Les effets sur la santé de la concentration de l’ozone troposphérique (O3) ont
pu être analysés avec beaucoup plus de précision. En effet, recueillant les résul-
tats de diverses études spécifiques, le rapport de l’étude ExternE (1997) donne un

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BART JOURQUIN

ensemble de coefficients de dose-réponse liant le nombre de décès à la concen-


tration d’ozone provoquée par des émissions de VOC. Ces informations nous ont
permis de calculer que la perte résultant d’un gramme de polluant s’élève à 1,419
mECU.
Étant donné qu’aucune information ne semble être disponible sur le lien entre
l’émission de NOx et la concentration de l’ozone, nous nous sommes basés sur
les résultats de l’analyse empirique réalisée dans le cadre du projet ExternE pour
évaluer un coût de 5,537 mECU par gramme de NOx.
Les émissions ont également un impact négatif sur les cultures et les forêts.
Pour prendre ces effets en considération, nous avons employé des évaluations
fournies par Mayeres et al. (1996) qui sont basées sur des résultats de Frankhauser
(1995), du rapport ExternE (1997) et de Nilsson (1991). Exprimé en ECU95, les
pertes dues aux émissions de CO et de CO2 sont évaluées respectivement à
0,009 et 0,006 mECU par gramme ; la perte de NOx s’élève à 1,167 mECU par
gramme et à celui du SO2 à 1,834 mECU.
Le calcul des émissions pour le transport routier est basé sur le travail d’A.J.
Hickman dans le rapport du COST 319 (1999). Il fournit une relation entre les
émissions et la vitesse moyenne des camions pour calculer les émissions des
camions légers et lourds. Le rapport TRENEN (1995) fournit les émissions moyen-
nes pour les bateaux. Pour le transport de fret ferroviaire, des émissions moyen-
nes ont été trouvées dans le rapport RIMV (1998) pour les trains électriques et
dans Jorgensen et Sorensen (1997) pour les trains diesel.
Sur base de tous ces éléments, nous avons estimé que, en 1995, le coût de la
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pollution du transport interurbain routier était de 18,2 mECU par t-km, alors qu’ils
étaient respectivement de 5 et de 9,8mECU pour le rail et les voies d’eau. À partir
des flux estimés dans la simulation de référence, les coûts totaux peuvent être
estimées à 571 millions d’ECU pour les transports routiers, à 36 millions pour des
chemins de fer et à 54,8 millions pour des transports par voies navigables.

5 COÛT DE LA CONGESTION
Le trafic routier est ralenti durant les heures de pointe, de sorte qu’il y a une perte
de temps qui induit un coût supplémentaire. Notre modèle de référence nous a
permis d’estimer que la valeur moyenne pondérée du temps pour une t-km s’élévait
à 23 mECU95. Cette valeur inclut tous les coûts liés au fonctionnement d’un ca-
mion (travail, carburant, assurance, entretien et amortissement du véhicule) plus le
coût d’opportunité lié aux marchandises transportées et les coûts de
(dé)chargement des véhicules.
Il y a également quelques problèmes de capacité sur le réseau ferré mais il
peut être argué qu’au moins une partie du coût correspondant est internalisé dans
les opérations ferroviaires. De toute façon, nous n’avions pas assez d’information
pour aborder ce problème, dont l’analyse complète exigerait une méthodologie
tout à fait différente, basée sur la modélisation fine des opérations ferroviaires.
Enfin, il n’y a pas de réelle congestion sur les voies d’eau belges, excepté à

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quelques écluses. Notre analyse de la congestion s’est donc limitée au seul trans-
port routier.
Nous avons estimé la perte de temps liée à la congestion en calculant les
différences de vitesse sur les arcs du réseau entre les heures creuses et les heures
de pointe. Cette différence de vitesse, associée aux flux de camions qui circulent
pendant les heures de pointe a permis d’estimer le temps total qui a été perdu sur
le réseau à cause de la congestion. En 1995, le coût s’est ainsi élevé à 743 millions
d’ECU pour les seuls transports interurbains routiers de marchandises.

6 COÛTS EXTERNES LIÉS AUX ACCIDENTS


Pour estimer les coûts externes des accidents, nous avons suivi l’approche de
Jansson (1994). Les risques ont été calculés sur la base des statistiques des acci-
dents qui ont eu lieu en 1995 (INS 1996 et SNCB 1996) et le nombre de t-km par
mode estimé par la simulation de référence. Les accidents dans le transport par
voies navigables sont négligeables (pas d’occurrence en 1995).
Nous avons obtenu un coût externe moyen d’accidents de la route de 12,95
mECU par t-km, alors que les coûts externes moyens d’accidents pour rail sont
égaux à 2,44 mECU. Ces évaluations mènent à un coût externe total d’accidents
de la route qui s’élève à 406 millions d’ECU en 1995, alors que le coût d’accidents
ferroviaire s’élève à 17,5 millions d’ECU.
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7 LE COÛT DU BRUIT ET DES DOMMAGES
AUX INFRASTRUCTURES
Le coût du bruit peut être estimé par une analyse statistique liant les loyers payés
avec différentes caractéristiques du logement, c.-à-d. par la méthode des prix
hédoniques, ou par les dépenses visant à diminuer la perception du bruit (double
vitrage, etc.). Dans cette recherche nous avons calculé les moyennes des valeurs
publiées par diverses études se fondant sur l’une ou l’autre de ces approches
(OCDE 1997). Elles s’élèvent à 6,6 mECU par t-km pour le trafic routier et à 3,1
mECU par t-km pour le trafic ferroviaire. Les nuisances sonores pour les trans-
ports par voie navigable ont été considérées comme nulles. Sur cette base, nous
avons obtenu un coût total de 208,51 millions d’ECU pour le bruit produit par les
camions et de 22,403 millions pour le chemin de fer.
Le coût de dommages provoqués aux routes par les camions a été estimé
par la méthode proposée par Newbery (1988). Les dommages causés par un
camion sont fonction du nombre d’essieux et de la charge par essieu. Il nous a été
possible d’estimer séparément les dommages causés par les camions de 40T
chargés et vides, d’une part, et les camions légers (10T au plus) chargés et vides,
d’autre part. Pour les camions chargés, ces dommages s’élèvent à 51,043 mECU
par véhicule-km pour les camions lourds et à 4,4436 mECU pour les camions
légers ; pour les camions vides, ils s’élèvent respectivement à 0,0415 et 0,02635

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BART JOURQUIN

mECU par véhicule-km. Ainsi, en 1995, les dommages totaux provoqués par les
camions peuvent être évalués à 63,982 millions d’ECU.

Tableau 2 : Récapitulatif des coûts externes estimés (millions ECU95)

Route Eau Fer

Congestion camions 743,08 – –


Pollution 570,742 54,807 36,324
Accidents 406,1 – 17,55
Bruit 208,51 – 22,403
Dommages 63,982 – –

TOTAL 2 123

Le Tableau 2 reprend tous les coûts pour les différentes catégories d’effets exter-
nes tels qu’estimés pour le transport de fret interurbain sur le territoire belge sur
base de la simulation de référence.

8 SIMULATION DE L’INTERNALISATION
DES COÛTS EXTERNES
La simulation vise à estimer l’impact sur les parts modales et les effets externes
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d’une politique d’internalisation des coûts externes dans les prix de transport. Elle
est basée sur un ajustement des coûts de transport par t-km en tenant compte
des coûts externes marginaux de chaque mode tels que présentés plus haut.
Le coût par t-km de transports routiers a tout d’abord été réduit de 13,2 %
pour exclure l’effet des impôts indirects levés sur les carburants sur les coûts,
alors que le coût de transports par voie navigable était réduit de 12,07 % pour les
mêmes raisons. Ces pourcentages sont basés sur une étude publiée par De Borger
et al. (1997). Aucun ajustement n’a été appliqué pour le rail1. Notons également
que nous avons gardé des matrices O-D fixes, ignorant ainsi les effets de l’aug-
mentation des coûts de transport sur la demande globale et que les mêmes ajus-
tements de coût ont été appliqués en dehors du territoire belge afin d’éviter une
substitution des flux sur le territoire belge par des flux de contournement du terri-
toire.
Si l’on compare les parts modales globales à celles de la simulation de réfé-
rence, l’internalisation induit une réduction importante des transports routiers (de
71 % à 54 %) au profit du transport ferroviaire (de 16 % à 21 %) et un impact plus
fort encore sur la voie navigable (de 13 % à 24 %). Cet impact global n’affecte pas

1. Selon l’étude de De Borger et al.(1997), il faudrait ajuster positivement les coûts ferroviaires à
cause des subventions accordées à la SNCB. Ce point de vue étant parfois controversé, nous
avons choisi de ne pas appliquer cet ajustement. Ceci implique qu’il peut y avoir un biais en faveur
du rail dans notre simulation.

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ESTIMATION DE L’IMPACT DE L’INTERNALISATION DES COÛTS EXTERNES DU TRAFIC DE FRET INTERURBAIN

toutes les catégories de produits de la même manière. Les variations les plus
fortes affectent les produits métallurgiques (5) et les produits manufacturés divers
(9), de la route principalement vers le rail, et les produits chimiques (8) vers des
voies d’eau. Un autre transfert important peut être attendu pour le transport de
produits agricoles (0). Le transfert modal pour les produits pétroliers (3) et les mi-
nerais (4) s’opère uniquement vers la voie navigable.
Nous avons ensuite calculé (Tableau 3) les coûts externes totaux des flux es-
timés après l’internalisation de ces mêmes coûts.

Tableau 3 : Coûts externes estimés après internalisation (millions ECU95)

Route Eau Fer

Congestion 412,827 – –
Pollution 419,654 88,166 51,943
Accidents 298,600 – 25,075
Bruit 153,313 – 32,013
Dommages 46,396 – –

TOTAL 1 528

Dans ce scénario, le coût total de pollution s’élève à 560 millions ECU, c.-à-d. 102
millions de moins que dans la situation de référence, soit une diminution 15,4 %.
Le coût de congestion diminue encore plus, de 743 à 413 millions (44 %) résultant
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d’une diminution de 26 % du transport par camion. Les autres coûts externes
diminuent également de manière significative : il y a une diminution de 24 % des
coûts externes liés aux accidents, de 20 % pour le bruit et de 27 % pour les dom-
mages aux infrastructures routières.
Notons que, selon nos calculs, la nouvelle configuration modale qui serait le
résultat d’une telle internalisation totale des coûts externes réduirait la consomma-
tion d’énergie de 21 %.

9 CONCLUSIONS
Cette analyse des effets externes des transports interurbains de fret fournit une
évaluation des coûts sociaux principaux qu’ils imposent à la population. Elle inclut
les impacts sur la santé provoqués par la pollution, le temps perdu sur les routes
encombrées, les pertes en vies humaines et les impacts sur la santé dus aux
accidents et aux nuisances sonores ainsi que les dommages causés aux routes.
Nous estimons que les coûts externes liés au transport interurbain de mar-
chandises se sont élevés à plus de 2 milliards d’ECU en 1995. Les résultats de la
simulation d’un scénario d’internalisation des coûts externes marginaux corres-
pondants suggèrent qu’une politique des prix intégrant ces facteurs pourrait être
très efficace en limitant la congestion sur les routes, la pollution globale aussi bien

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BART JOURQUIN

que les autres effets externes. Dans un tel scénario, l’économie de coûts externe
s’élèverait à environ 500 millions d’ECU.
Une telle politique ne serait cependant pas faisable au niveau de la seule Bel-
gique mais pourrait toutefois être appliquée dans le cadre d’une politique com-
mune concertée de tous les pays européens. C’est ce qui a été assumé dans nos
simulations mais pas encore par nos décideurs politiques…

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