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L’UNE PORTE UN PANTALON, L’AUTRE PAS

Isabelle Cambourakis

Éditions de Minuit | « Critique »

2022/6 n° 901 | pages 540 à 554


ISSN 0011-1600
ISBN 9782707347947
DOI 10.3917/criti.901.0540
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L’une porte un pantalon,
l’autre pas

Christine Bard

}
Les Garçonnes Paris, Autrement [1998],
Mode et fantasmes des
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rééd. 2021, 190 p.
Années folles

Une histoire politique


du pantalon } Paris, Éd. du Seuil,
2010, 400 p.

}
Ce que soulève la jupe
Paris, Autrement,
Identités, transgressions,
2010, 174 p.
résistances

}
Einav Rabinovitch-Fox
Dressed for Freedom Urbana, University of
The Fashionable Politics of Illinois Press, 2021, 262 p.
American Feminism

Les analyses que l’historienne Christine Bard a publiées


sur l’histoire culturelle du genre et plus particulièrement sur
le rôle de la mode dans les constructions genrées ont accom-
pagné et souvent précédé les évolutions des dernières décen-
nies en matière d’approche universitaire de la mode et du
vêtement en France. Entreprises à la fin des années 1990, ses
recherches sur les garçonnes 1 des « Années folles » se sont
prolongées la décennie suivante par l’étude sur le temps long
de l’histoire de deux pièces emblématiques de la construc-
tion des identités féminines et des rapports de pouvoir : le

1.  Les Garçonnes, titre désormais abrégé en LG.

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­pantalon  2 et la jupe 3. La parution des Garçonnes en 1998


participe alors d’un intérêt grandissant pour les objets de
mode sous un angle genré, que ce soit chez des historien·ne·s
de la mode 4 ou chez des historien·ne·s médiévistes 5, moder-
nistes 6 et contemporanéistes. Aux études des modernistes
publiées dans les années 1980 7 succèdent à cette époque,
notamment autour du séminaire de Dominique Veillon, les
recherches menées sur l’après-guerre et les années 1960 8.
Au sein de ce renouvellement, les textes de Bard ont la par-
ticularité de porter l’attention sur la fonction éminemment
politique des vestiaires et des objets de mode et rendent
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visible le rôle des minorités sexuelles et particulièrement des
lesbiennes dans les conquêtes vestimentaires. Cette polari-
sation sur le genre et la sexualité permet que se diffuse en
France une approche largement développée dans le milieu
universitaire anglophone, que ce soit au sein des material
studies 9 ou des fashion studies. Si du côté des sociologues
du genre on ne trouve jusqu’à aujourd’hui que de « rares

2.  Une histoire politique du pantalon, titre désormais abrégé en


HPP.
3.  Ce que soulève la jupe, titre désormais abrégé en CQSJ.
4.  F. Chenoune, Les Dessous de la féminité. Un siècle de lingerie,
Paris, Assouline, 1999 ; V. Steele, Se vêtir au xxe siécle. De 1945 à nos
jours, Paris, Adam Biro, 1998.
5.  O. Blanc, Parades et parures. L’ invention du corps de mode à
la fin du Moyen Âge, Paris, Gallimard, 1997.
6.  S. Steinberg, La Confusion des sexes. Le travestissement de la
Renaissance à la Révolution, Paris, Fayard, 2001.
7. D. Roche, La Culture des apparences. Une histoire du vête-
ment, xviie-xviiie siècle, Paris, Fayard, 1989 ; Ph. Perrot, Les Dessus et
les Dessous de la bourgeoisie. Une histoire du vêtement au xixe siècle,
Paris, Fayard, 1981 ; N. Pellegrin, Les Vêtements de la liberté. Abécé-
daire des pratiques vestimentaires en France de 1780 à 1800, Paris,
Alinéa, 1989.
8. Le séminaire « Histoire de la mode » est lancé par Dominique
Veillon en 1999 à l’ Institut d’histoire du temps présent.
9. L. Auslander, « Culture matérielle, histoire du genre et des
sexualités. L’ exemple du vêtement et des textiles », Clio. Femmes, genre,
histoire, n° 40, 2014, p. 171-195 ; « Consommation », dans J. Rennes
(éd.), Encyclopédie critique du genre, Paris, La Découverte, 2016,
p. 124-135.

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travaux 10 » sur la mode et le vêtement, les fashion studies


françaises, qui se sont largement développées ces dernières
années autour de séminaires  11
, de revues 12
et de plate-
formes  , ont intégré les questions de genre et de sexualité.
13

Néanmoins, alors que la question des vêtements et du fémi-


nisme agite de manière récurrente les controverses média-
tiques 14, les relations entretenues entre mode, vêtement et
féminismes restent encore sous-travaillées, qu’il s’agisse de
s’interroger sur le rôle joué par les mouvements féministes
à différentes époques dans les transformations du système-
mode et des vestiaires, des stratégies vestimentaires des
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féministes ou des théorisations féministes sur les vêtements
et le monde de la mode. Les discours et représentations anti-
féministes ont véhiculé le cliché d’une hostilité féministe à
la mode – souvent à partir d’images détournées de leur véri-
table signification, comme celle de ces manifestantes étasu-
niennes brûlant leurs soutien-gorge en 1968, j’y reviendrai –,
faisant ainsi écran à l’appréhension de la complexité des rela-
tions entre féminisme, mode et vêtement. Mais, finalement,
que portent les féministes d’hier et d’aujourd’hui ? Comment
ont-elles pensé le rôle des vêtements dans l’émancipation des
femmes ? Les critiques féministes d’hier sont-elles les mêmes
que celles adressées aujourd’hui à une industrie de la mode
traversée par de nouveaux questionnements ?

La politisation du vêtement
Dans sa postface à la toute récente réédition des Gar-
çonnes, dont la première édition date de 1998, Christine
Bard revient sur la genèse de ses recherches en histoire

10.  P. Barbier et al., « Vêtement », dans J. Rennes (éd.), Encyclopé-


die critique du genre, op. cit., p. 659-669.
11. « Anthropologie des mondes de la mode » d’Anne Monjaret ;
« Histoire et mode » de Maude Bass-Krueger et Sophie Kurkdjian.
12.  Modes pratiques.
13.  Culture[s] de Mode. Voir en ligne : culturesdemode.com.
14. Je pense par exemple aux controverses autour de la « mode
pudique » : affaires récurrentes autour du port du « burkini » et du voile,
mais aussi de certaines pièces vestimentaires comme le crop top dont le
port par les jeunes filles dans les établissements d’enseignement secon-
daire a fait polémique.

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culturelle du genre. À la suite de la parution de sa thèse sur


les féministes de la Troisième République, Farid Chenoune,
historien de la mode, lui commande un livre sur ces figures
emblématiques des Années folles : « J’étais enthousiaste »,
écrit Christine Bard : « Après l’immersion dans les archives
du féminisme militant, j’allais pouvoir évoquer autrement
l’émancipation des femmes par la culture, l’imaginaire social
et le trouble dans le genre. Je l’écrivis dans l’allégresse, en me
faisant plaisir » (LG, p. 155). Ce travail de commande, hors
des sentiers battus universitaires, amorce une recherche de
dix ans sur l’universalisation du pantalon qui sera doublée
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en mode mineur d’une réflexion sur la jupe, cette dernière
s’obstinant contre toute attente à résister à la banalisation
du pantalon et revenant sans cesse et de mille manières
(souvent politiques 15) sur le devant de la scène : « La jupe a
envahi l’actualité, bousculé mon agenda et pris le pas sur
un pantalon qui a beaucoup perdu aujourd’hui de sa force
subversive, lorsqu’il est porté par une femme » (CQSJ, p. 7).
Jupe et pantalon – leur adoption, leur rejet, leur retour, leur
banalisation – apparaissent ainsi comme les deux faces d’une
même histoire et l’étude conjointe de ces pièces, même si elle
s’est traduite par la publication de deux ouvrages différents,
permet de mieux comprendre les évolutions vestimentaires
dans leur ensemble 16.

Une histoire politique de la culture matérielle


Lorsque Christine Bard choisit comme objets la jupe ou
le pantalon, il s’agit pour elle de faire « une histoire politique
de la culture matérielle » inspirée par l’histoire du genre et
du féminisme. La recherche se veut « un peu expérimentale »
(HPP, p. 20) et il faut effectivement insister sur l’aspect nova-

15.  Christine Bard consacre une partie de son ouvrage à l’actualité


de la jupe au moment où elle écrit son livre : sortie du film La Journée
de la jupe, politisation de la jupe par le collectif Ni putes ni soumises,
médiatisation de la jupe pour homme…
16. Les deux ouvrages sont sortis à quelques mois d’intervalle,
l’un dans la collection « Mutations / Sexe en tous genres » dirigée par
Louis-Georges Tin aux éditions Autrement, l’autre dans la collection
« L’ univers historique » aux éditions du Seuil.

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teur, en 2010, d’une analyse qui tend à croiser histoire du


genre (dans la lignée de Joan Scott) et histoire de la mode,
tout en élargissant « le périmètre du politique […] à des ques-
tions qui en ont été exclues » (HPP, p. 19). En effet, il n’est
pas tant question pour Christine Bard d’analyser les vête-
ments avec les outils de l’histoire de la culture matérielle
(production, diffusion, consommation, matérialité, tech-
nicité des objets 17) que d’intégrer les objets et la culture à
l’histoire politique de l’accession à la citoyenneté. Les deux
ouvrages prennent pour base théorique une analyse des vête-
ments comme outils de contrôle social : « Le costume reflète
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l’ordre social et le crée, permettant, notamment, le contrôle
des individus » (HPP, p. 7) au sein d’une société genrée qui
repose sur des rapports de domination. Le port du pantalon,
longtemps refusé aux femmes, est alors abordé comme un
symbole de pouvoir – et de liberté à conquérir. Se « mascu-
liniser » ou se « viriliser » à travers l’usage de certains vête-
ments agit comme un opérateur de transgression de genre et
l’adoption du pantalon révèle tout à la fois un désir d’égalité
entre les sexes, une volonté d’ascension sociale et une envie
de troubler les frontières traditionnelles des identités. L’ his-
torienne retrace donc de manière chronologique et dans la
durée – de la Révolution à nos jours – les transformations
« politico-vestimentaires » (HPP, p. 25) de pièces qui sym-
bolisent l’accès des femmes à la citoyenneté. Recourir au
temps long permet de montrer l’enchevêtrement des avan-
cées et des reculs : la démarche historique adopte le rythme
syncopé des expériences, des transgressions, des empêche-
ments, des discours et des attaques antiféministes. Mais si
ces transformations sont souvent heurtées, controversées, il
n’en reste pas moins que cette histoire politique du pantalon
se présente comme une histoire linéaire qui accompagne en
partie la conquête de la citoyenneté et de l’émancipation des
femmes.

17.  Sur les études d’objets menées au prisme du genre, voir l’état
des lieux dressé en 2014 par Anne Monjaret : « Objets du genre et genre
des objets en ethnologie et sociologie françaises », Clio, n° 40, p. 153-
170. Voir en ligne : http://journals.openedition.org/clio/12161.

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Les féministes, actrices de ces transformations ?


Les raisons de ces transformations politico-vestimen-
taires sont nombreuses, se conjuguent et ne peuvent être
portées au crédit d’un seul groupe social, ni d’un segment
bien délimité de la population féminine. Si Christine Bard
s’intéresse tout particulièrement au rôle précurseur joué
par quelques personnalités hors du commun – George
Sand, Rosa Bonheur, Madeleine Pelletier –, elle met aussi en
lumière celui de certains groupes ou mouvements (membres
de communautés utopistes du XIXe siècle, archéologues
comme Jeanne Delafoye, comédiennes, écrivaines), ainsi que
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le rôle joué par les guerres… Surtout, elle montre l’impor-
tance des mouvements de réforme du vêtement, de la dif-
fusion du sport, des bouleversements dans l’industrie de la
mode. Si la conquête du pantalon est bien liée à l’émancipa-
tion des femmes et à l’action des mouvements féministes, on
ne peut en effet mettre cette évolution du vestiaire à l’actif des
seules féministes – et cela d’autant moins qu’elles montrent
peu d’intérêt pour la question. Christine Bard s’en étonne :
« Ça m’a frappé que dans l’histoire du féminisme et de la
pensée féministe, il n’y ait pas davantage de commentaires
sur cette différenciation genrée qui a longtemps été admise,
acceptée 18. » Elle montre que, pendant les « Années folles »,
les féministes sont hostiles aux garçonnes et « se dressent
contre la “virilisation” des femmes » en se fondant « sur une
mythologie du féminin valorisant les spécificités attribuées
aux femmes » (LG, p. 73). De la même manière, elle explique
que s’il existe bien dans les années 1970 un certain rejet de
la jupe, il n’y a pas en revanche « d’éloge féministe du panta-
lon ». Le rôle des féministes apparaît donc ambivalent – et
cela, quelles que soient les époques. C’est sur le rôle joué par
les lesbiennes que l’historienne met l’accent : ce sont elles
qui apparaissent comme les forces motrices de ces trans-
gressions de vestiaires.

18.  Conférence donnée récemment par Christine Bard, l’historien


Damien Delille et Manon Renault : « Genre et vêtements : des codes à
déconstruire », La Villette, 14 octobre 2021. Voir en ligne : www.youtube.
com/watch?v=VfMI41FvyBQ.

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La révolution du neutre
Au-delà de l’histoire politique du pantalon et de la jupe,
Christine Bard propose une lecture plus globale des trans-
formations vestimentaires, pour finalement esquisser un
horizon d’attente. Elle mobilise, pour appréhender les muta-
tions, le concept de « grande renonciation masculine », forgé
par l’Anglais John Carl Flügel dans les années 1930. En
employant ce terme, le psychanalyste freudien, militant de la
réforme vestimentaire, voulait caractériser la transformation
des apparences masculines visibles en Angleterre au début
du XIXe siècle, qui s’était traduite par l’abandon, chez les
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hommes, des parures et des décorations, désormais réser-
vées au vestiaire féminin. À partir de ce moment, le vêtement
masculin tend vers une simplification et une uniformisation
alors que celui des femmes se complexifie et s’orne de nom-
breuses parures et fioritures. « Les femmes restent engluées
dans l’Ancien Régime vestimentaire qui les condamne à la
compétition esthétique et aux folies de la mode » (CQSJ, p. 8).
La conquête du pantalon se double donc, dans le récit de
Christine Bard, d’une conquête non aboutie de la simplicité
vestimentaire. Force est de constater, nous dit-elle, que l’uni-
versalisation du pantalon n’a pas aboli le vieux régime du
paraître et que nous assistons depuis les années 2000 non
seulement à un piétinement mais à un retour politisé de la
jupe. Les femmes, écrit-elle, « renâclent face à la perspective
d’une Grande Renonciation aux parures féminines » (CQSJ,
p. 15) ; et face à ce constat, elle s’engage dans la défense d’une
universalisation de la jupe pour toutes et tous afin de remettre
en question la binarité de genre des vestiaires. Elle semble
appeler de ses vœux un nouvel horizon vestimentaire, avec
d’un côté l’universalisation de toutes les pièces, de l’autre
l’avènement d’un vestiaire neutre. « J’attends beaucoup des
prochaines années », nous dit-elle, « parce que j’ai l’impres-
sion que cette nouvelle révolution vestimentaire s’approche.
Ça doit être possible de trouver des formes qui évoquent du
neutre 19 ». Au cours de la même intervention, elle compare en
ces termes vêtement et langue : « C’est un débat qui ressemble
à un débat qu’on a sur la langue en ce moment ; parce que le
vêtement est un langage, on retrouve des questions i­ dentiques

19.  Ibid.

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L 'U N E P O R T E U N P A N T A L O N , L 'A U T R E P A S 547

sur : faut-il marquer, faut-il aller vers un neutre 20 ? » On pour-


rait reformuler la question en employant le terme forgé par
Lila Braunschweig dans un ouvrage récent 21 : faut-il « neutri-
ser » le vêtement ? Au-delà d’une histoire politique des objets
de mode, Christine Bard semble bien, entre les lignes, dessi-
ner un futur vestiaire féministe qui suspendrait les assigna-
tions.

Dressed for Freedom : la mode comme pratique féministe


Un peu plus d’une décennie sépare Dressed for Free-
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dom. The Fashionable Politics of American Feminism 22,
d’Einav Rabinovitch-Fox, des essais de Christine Bard sur la
jupe et le pantalon. Le livre, paru l’an dernier, porte lui aussi
sur les transformations du vestiaire féminin en se focalisant
sur l’influence exercée par le féminisme étatsunien sur les
mutations vestimentaires et sur la mode comme moyen effi-
cace de diffusion du féminisme dans la société.
Tout comme Christine Bard, Einav Rabinovitch-Fox est
historienne du genre et des femmes, travaillant plus parti-
culièrement sur l’histoire moderne des États-Unis. Leurs
travaux ont en commun de dépeindre les adeptes du « bloo-
mer 23 » des années 1850 comme les précurseuses radicales
des transformations vestimentaires ; on retrouve chez toutes
deux des époques et catégories pivotales : à la « Belle époque »,
au temps des « femmes nouvelles » et des « garçonnes », font
écho du côté étatsunien la « New Woman », la « Gibson girl »,
puis la « Modern Girl » et les « Flappers 24 ».
Si, dans les pays occidentaux, l’histoire de l’universali-
sation du pantalon ou de l’émancipation du vestiaire fémi-
nin s’inscrit dans une histoire transnationale partageant les
mêmes temps forts, la lecture croisée des deux ouvrages

20.  Ibid.
21. L. Braunschweig, Neutriser. Émancipation(s) par le neutre,
Paris, Les liens qui libèrent, 2021.
22.  Titre désormais abrégé en DFF.
23.  Le bloomer, du nom de la féministe Amelia Bloomer, est une
sorte de pantalon bouffant d’inspiration orientale qui fit scandale à son
époque.
24. La Flapper est à peu près l’équivalent de la garçonne.

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548 CRITIQUE

­ermet cependant de rendre visibles des caractéristiques


p
liées aux contextes nationaux. Les temporalités différentes
de l’accès à la citoyenneté pour les femmes (1920 aux États-
Unis, 1945 pour les Françaises) entraînent des répercussions
sur l’interprétation des différents mouvements de mode. Les
féminités de l’« entre-deux » par exemple (Modernas, Flappers,
garçonnes 25), si elles sont bien transnationales, expriment
des réalités situées dans des agendas politiques et féministes
différents. Par ailleurs, Dressed for Freedom, à la différence
d’Une histoire politique du pantalon, ne se focalise pas sur
une seule pièce du vestiaire venant symboliser à elle seule la
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quête de l’égalité, mais se penche sur les liens plus généraux
entretenus entre féminisme, mode et vêtement aux États-Unis
en optant pour une approche qui fait la part belle à la ques-
tion de la mode comme espace de négociation.

Le mythe de la féministe anti-mode


L’ ouvrage, son auteure nous l’annonce d’emblée, « exa-
mine les multiples façons dont les femmes se sont engagées
dans la mode au cours du long XXe siècle, afin de remettre
en question le mythe persistant selon lequel un engagement
en faveur de la liberté et des droits des femmes était incom-
patible avec les pratiques de parure et l’adhésion à la mode »
(DFF, p. 3, ma traduction). L’ objectif est clair : déconstruire
l’image de la féministe anti-mode en effet véhiculée par une
partie des mouvements féministes et caricaturée par les dis-
cours antiféministes.
La complexité des relations qu’ont entretenues le fémi-
nisme et la mode est souvent réduite à quelques images
fortes qui ont circulé de manière transnationale comme celle
de la féministe bra burner (brûleuse de soutien-gorge) dont
la mythologie perdure, alors même que de nombreux contre-
discours ont rétabli la réalité de l’évènement qui a suscité cette
imagerie : la manifestation organisée en 1968 à Atlantic City
contre l’élection de Miss America, au cours de laquelle quatre

25. Voir le colloque « “Modernas, flappers, garçonnes” ou com-


ment re-présenter la féminité dans les années vingt et trente. Les cas
espagnols, français et anglo-saxons », université de Limoges, décembre
2019.

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cents femmes ont jeté dans une « Poubelle de la Liberté » des


objets symbolisant les « instruments de torture des femmes ».
Ainsi lit-on sur le tract d’appel à cette action (lancée à l’initia-
tive de féministes new-yorkaises) : « Nous protesterons contre
l’image de Miss America, une image qui opprime les femmes
dans tous les domaines où elle prétend nous représenter. Il
y aura : […] une énorme Poubelle de la Liberté (dans laquelle
nous jetterons des soutien-gorge, des gaines, des bigoudis,
des faux cils, des perruques et des numéros représentatifs
de Cosmopolitan, Ladies’ Home Journal, Family Circle) ;
nous annoncerons également un boycott de tous les produits
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commerciaux liés au concours 26. » Or si les féministes pré-
sentes ce jour-là critiquent bien, en effet, une industrie de la
mode véhiculant une féminité hypersexualisée et oppressive,
on peut voir sur les photos de la mobilisation que les femmes
présentes sont loin de ressembler aux caricatures qu’on fera
d’elles par la suite, en les dépeignant comme de furibondes
hydres féministes : pour la plupart, commente l’historienne,
elles ont « adopté la mode dominante, apparaissant en mini-
jupes, cheveux longs et chaussures féminines, bien que la
plupart du temps avec des talons plats » (DFF, p. 155).
Contester cette figure « mythologique » de la féministe
anti-mode n’empêche nullement Einav Rabinovitch-Fox
de s’intéresser aux discours produits, au fil du temps, par
un certain nombre de féministes – notamment des fémi-
nistes radicales venues du marxisme et de la New Left – qui
remettent en cause l’industrie de la mode, la consommation,
les stéréotypes adossés à un vestiaire ultra-féminisé et objec-
tivant : son objectif est clairement de montrer la diversité des
stratégies féministes vis-à-vis des vêtements.

What a feminist looks like : stratégies féministes


« La diversité des organisations, des méthodes et des
causes féministes a également créé un vaste domaine
d’images, de looks et de modes », écrit Einav Rabinovitch-
Fox. « Elles [les féministes] n’ont pas rejeté la mode mais
l’ont transformée en une force émancipatrice » (DFF, p. 157).
Les stratégies et politiques féministes de la mode sont loin

26. ��������������
Redstockings, No More Miss America !, 1968.

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550 CRITIQUE

d’être monolithiques : Einav Rabinovitch-Fox en décrit plu-


sieurs, en s’attachant à l’étude des discours, des pratiques,
des images produites, notamment au cours des années 1970.
Selon elle, les féministes libérales comme Gloria Steinem,
Betty ­Friedan, membre de NOW (National Organization for
Women), ont adopté vis-à-vis des vêtements une stratégie
consciente de respectabilité. Pour obtenir une visibilité dans
le champ politique et faire en sorte que leurs revendications
d’égalité dans les domaines juridiques et économiques soient
prises au sérieux, elles n’ont pas voulu remettre trop en
question le vestiaire féminin « traditionnel ». Le vêtement joue
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dans ce cas un rôle tactique dans l’acquisition des droits et
se doit d’incarner une féminité respectable ou une féminité
colorée et pratique reflétant la place nouvelle occupée par les
féministes dans la société. À l’inverse, d’autres militantes ont
clairement poursuivi des buts plus radicaux à travers une
recherche vestimentaire alternative, en rupture ou créatrice
d’identité. C’est le cas des lesbiennes qui conçoivent le vête-
ment comme un espace de résistance et d’autodétermination.
L’ autrice s’appuie entre autres sur l’article de Liza Cowan,
« What the Well-Dressed Dyke will Wear ». Liza Cowan y défend
l’idée d’une mode qui se différencie des critères de féminité
et qui ne bénéficie pas au capitalisme ou au patriarcat. Elle
veut privilégier les vêtements de seconde main ainsi que l’au-
toproduction, synonyme à ses yeux d’« empowerment » et de
pratique féministe : « Nous devons commencer à fabriquer et
à concevoir des vêtements pour nous-mêmes », écrit-elle. « Si
vous savez coudre, vous pouvez créer vos propres vêtements
et apprendre à coudre à vos amies aussi… Ne laissez pas les
hommes devenir riches (plus riches) avec notre argent et nos
idées 27. » L’ un des fils rouges du livre d’Einav Rabinovitch-
Fox est la volonté d’inclure les stratégies des femmes non
blanches et des classes populaires. Elle insiste sur les points
de vue des femmes et des militantes noires : « Les femmes
noires, bien que n’étant pas nécessairement motivées par
l’anti-consommation, ont également vu dans la conception

27. ����������������������������������������������������
L. Cowan, « What the Well-Dressed Dyke will Wear », Cowrie,
n° 3, octobre 1973, p. 12. Le titre, que l’on pourrait traduire par « Ce
que doit porter la gouine chic », parodie les rubriques des magazines de
mode traditionnels.

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L 'U N E P O R T E U N P A N T A L O N , L 'A U T R E P A S 551

de vêtements d’inspiration africaine une source de fierté et


de créativité ainsi qu’une forme de résistance féministe et
raciale » (DFF, p. 169). Les stratégies vestimentaires des
femmes noires et des femmes des milieux populaires ne
rejoignent pas forcément celles des féministes libérales ou
radicales. Exclues de nombreux espaces de consommation
de la mode comme elles sont exclues des représentations de
la beauté et du style de la féminité blanche, les femmes non
blanches et les femmes des milieux populaires peuvent opter
pour des stratégies d’accession à la féminité, ce qu’avaient
déjà révélé les études de Beverley Skeggs portant sur les
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pratiques de mode ultra-féminisées des femmes ouvrières
anglaises 28.

La mode comme espace de négociation


Dressed for Freedom ne porte pas seulement sur les
mutations du vestiaire féminin et les stratégies vestimen-
taires féministes, mais consacre plusieurs chapitres au
rôle des femmes dans les transformations du système de
la mode. C’est le cas du chapitre 4, qui porte sur l’entrée
des femmes dans cette industrie en revenant sur l’histoire
du « Fashion group » fondé exclusivement par des femmes en
1930 : on y trouvait des journalistes de la presse de mode
(Edna ­Woolman Chase de Vogue, Carmel Snow de Harper’s
Bazaar), des créatrices (Clare Potter, Claire McCardell), des
industrielles de la beauté (Helena Rubinstein). The Fashion
group était tout à la fois une société professionnelle, un club
non mixte et un espace d’influence qui usait de son position-
nement pour défendre la place des femmes dans l’industrie
de la mode et promouvait le travail des femmes. À une époque
où se construit la figure de la femme au foyer, le monde de la
mode apparaît comme un espace d’opportunité de carrière
pour les femmes des élites et des classes moyennes supé-
rieures et il s’agit pour elles, sans remettre en cause le fonc-
tionnement de la société, de « creuser des espaces de liberté

28. B. Skeggs, Des femmes respectables. Classe et genre en


milieu populaire, Marseille, Agone, 2015 ; C. Tulloch, The Birth of Cool.
Style Narratives of the African Diaspora, Londres, Bloomsbury Visual
Arts, 2020.

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552 CRITIQUE

et de pouvoir à l’intérieur des frontières de la consomma-


tion » (DFF, p. 3). Ce groupement d’actrices économiques de
la mode est exclusivement blanc ; mais Einav Rabinovitch-
Fox, dont le propos est de rendre visible la question raciale
dans les rapports entre mode et féminisme, décrit aussi des
réseaux professionnels de créatrices noires, comme la Natio-
nal Association of Fashion and Accessory Designers (NAFAD)
fondée par Jeannette Welch Brown, dont l’objectif était de
promouvoir ces créatrices sur la scène de la mode blanche.
Ces exemples sont mis en avant afin de montrer « qu’en
utilisant leur position de créatrices, de consommatrices et de
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porteuses de mode pour négocier des positions d’agency et
d’influence, les femmes ont transformé la mode en un langage
culturel dynamique et une stratégie politique pour revendi-
quer la liberté » (DFF, p. 4). Sans rejeter la critique féministe
de la mode comme outil de catégorisation et de domination
entre les genres, l’historienne mobilise le concept d’agency
pour relire la modernité comme un processus qui ne serait
pas seulement imposé aux femmes, mais leur réserverait
des espaces de négociation 29 et leur permettrait de produire
des messages de libération via la création aussi bien que la
consommation. S’inscrivant ainsi dans une tradition de cri-
tique féministe de la consommation centrée sur la question
du plaisir 30, elle apparaît très éloignée de Christine Bard,
l’une et l’autre prenant toutefois leurs distances par rapport
une autre tradition critique féministe, celle qui envisage la
mode principalement comme un espace de production.

Comment continuer à aller habillé·e ?


Au cours d’une table ronde évoquée plus haut 31, à une
question portant sur l’aspect politique de la mode, Damien
Delille répondait qu’il faut dorénavant être conscient des
implications éthiques et écologiques des choix vestimen-
taires. Christine Bard propose une autre réponse : « Je me

29. ����������������������������������������
Voir I. Parkins et E. M. Sheehan (éd.), Cultures of Femininity
in Modern Fashion, Durham, University of New Hampshire Press, 2012.
30. �������������������������������������������������������������
Voir A. McRobbie, « Bridging the Gap : Feminism, Fashion and
Consumption », Feminist Review, n° 55, 1997, p. 73-89.
31.  Voir la note 15.

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L 'U N E P O R T E U N P A N T A L O N , L 'A U T R E P A S 553

dis souvent que si on était totalement conscient de tout le


sens de nos vêtements, de tous les signaux que nos vêtements
envoient et pas seulement les signaux de genre, je crois qu’on
ne pourrait plus s’habiller et qu’on a besoin aussi d’une cer-
taine inconscience pour continuer à aller habillé·e 32. »
Être conscient·e de ce que l’on porte mais aussi du
contexte de production de nos vêtements, comme de l’en-
semble du système de la mode, c’est pourtant ce à quoi nous
avaient déjà invités de nombreuses théoriciennes féministes,
notamment au cours des années 1980-1990 au moment de
la mondialisation d’une industrie en cours de structuration
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autour d’une division internationale du travail et de l’« impé-
rialisation de la mode 33 ». Pour bon nombre de féministes
marxistes comme Sheila Rowbotham  34
, il était plus que
nécessaire de prendre en compte les conséquences des délo-
calisations dans les pays du Sud de la main-d’œuvre essen-
tiellement féminine comme de l’exploitation dans les pays du
Nord d’une population issue des migrations. Aux yeux de ces
universitaires féministes, la question du vestiaire d’un côté et
de la consommation de l’autre ne sont pas aussi essentielles
que celles posées par l’exploitation de la main-d’œuvre. La
sociologue anglaise Angela McRobbie a dès cette époque
alerté sur la nécessité de faire tenir ensemble les différentes
critiques féministes de la mode en considérant le système-
mode dans son ensemble : la consommation (ses plaisirs,
ses offres d’évasion et de construction identitaire comme les
difficultés des classes populaires à y accéder) ; la production
dans les pays du Sud et dans certains territoires européens ;
la précarisation des stylistes 35 et la formation inadéquate

32. « Genre et vêtements : des codes à déconstruire », conférence


citée.
33. Voir G. Mensitieri, « Le plus beau métier du monde ». Dans
les coulisses de l’industrie de la mode, Paris, La Découverte, 2018,
p. 18-20. Avec ce terme, Giulia Mensitieri veut souligner l’importance
de l’expansion géographique et financière des groupes de la mode et du
luxe comme leur hégémonie symbolique.
34. ��������������������������������������
Voir S. Rowbotham et S. Mitter (éd.), Dignity and Daily Bread.
New Forms of Economic Organization Among Poor Women in the Third
World and the First, Londres et New York, Routledge, 1994.
35.  A. McRobbie, « Rethinking Fashion and Feminism » [en ligne],
conférence, 22 octobre 1996.

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554 CRITIQUE

donnée dans les écoles de mode. Elle proposait aussi d’ana-


lyser l’industrie de la mode comme un univers presque
exclusivement féminin et fondamentalement comme étant
une « feminist issue ». Aux féministes marxistes qui invitaient
au boycott d’une production réalisée dans des conditions
aliénantes, elle opposait la nécessité d’« alliances politiques
hybrides 36 » permettant d’intervenir à tous les niveaux du
système de la mode et ne faisant pas appel, via le boycott, au
seul sens moral individuel. Proposant de ne pas déconnecter
création, production et consommation, elle invitait les écoles
de mode à rendre centrale dans leurs curriculum la question
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de la production et de la division sexuelle du travail.
De nouveaux enjeux, liés aux bouleversements en cours,
d’ordre climatique et écologique, mais aussi éthiques, logis-
tiques ou encore liés aux reconfigurations à l’œuvre en raison
du Covid, sont posés par la mode aux générations féministes
actuelles. À la nécessité de ne pas oublier les coulisses de
la fabrique de la mode s’ajoute celle de prendre en compte
le coût environnemental de la production de matières pre-
mières comme celui des matériaux synthétiques. Les récentes
approches écoféministes 37 permettront-elles d’articuler ques-
tions de genre, critique de la production et prise en compte
des limites planétaires ? Comment s’habilleront demain les
féministes soucieuses des liens à construire avec le vivant ?

Isabelle CAMBOURAKIS

36.  Ibid.
37.  G. Pruvost, Quotidien politique. Féminisme, écologie, subsis-
tance, Paris, La Découverte, 2021.

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