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N° 77 mai 2019

ASPOMA

Carré La Pérouse N° 1 Carré Contre-amiral Vence N° 2

Carré Capitaine Le Tellier N° 3 Carré Latouche Tréville N° 4

Carré Contre-amiral Lavaud n° 5

Beatus Gerona

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Mes très chers Amateurs Eclairés de l’Histoire Maçonnique et Maritime,

« Réunir ce qui est épars » !

Quel bel idéal pour un Maçon, qui plus est pour un maçon marin !

Notre ASPOMA donne à ceux qui ont eu la chance de vivre la solidarité de l’Equipage dans nos
marines professionnelles, de l’Etat, de la Marine Marchande, de la Pêche, de la Gendarmerie,
des Douanes, …, l’occasion d’en faire partager l’esprit aux marins de cœur de la Belle
Plaisance, des métiers maritimes et d’une manière générale à tous celles et ceux que
passionne la Mer.

Elle donne aux « profanes » en matière maritime la chance de se former à ce monde très
particulier

Nous sommes, « Unis comme à bord » et savons faire de nos différences une complémentarité
et une richesse.

Notre mode de pensée nous permet d’accueillir toutes les bonnes volontés, de leur
transmettre notre savoir et de partager avec eux cet attachement profond et mystérieux que
nous éprouvons pour la Marine.

Loin de nous, s’il en existe, les éventuels malotrus, les donneurs de leçons, les inélégants, les
mesquins, méchants, et autres rancuniers à l’esprit obtus : les marins d’ASPOMA sont
rigoureux dans leurs engagements moraux et joyeux dans leur comportement. Aimer et
donner sans compter leur va bien !

Qu’ils soient expérimentés ou non, s’ils sont sincères, ouverts et fraternels, « nous
reconnaissons comme tels », comme marins, les Maçons qui nous rejoignent.

Oui, « C’est curieux chez les marins ce besoin de faire des phrases ! ». Alors, bonne lecture et
un très bel été pour tous et rappelez-vous : « c’est encore dans la marine qu’il y a le plus de
marins… ».

Bien amicalement et fraternellement.

Damien

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A l’écouté dé …
ASPOMA :

Notre F Jean Vaudandaine et notre S⸫ « Choupette », ont organisé à l’occasion de


l’Armada 2019, le dimanche 16 juin 2019, un méchoui, dans leur très belle maison.

Tout près de chez eux, les marins de cœur ont


pu admirer la parade des navires.
La chaine d’union, très émouvante, a soudé tous
les participants avec nos chers absents, après
notre rituel de table.
Ensuite, chacun a pu se régaler à l’envi.
Ce fut une journée exceptionnelle, pleine
d’émotions, de joie, de rires et de fraternité.
Un grand merci à nos hôtes qui avaient tout
prévu pour notre plus grand plaisir!

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La Pérouse n°1

Nous sommes en communion de pensées avec notre BAF⸫ Yannick qui a subi une nouvelle
intervention chirurgicale le 13 juin.

Contre-amiral Vence n°2

Notre F⸫ Maurice Borsa nous a représenté à ICOM avec notre F⸫ Cédric Bernat de Latouche Tréville.

ICOM 2019 s'est tenu à Bordeaux sur les quais sur de très beaux emplacements mis à disposition par
la Mairie

De nombreuses personnalités, dont le Maire de Bordeaux, GM⸫ et passés GM⸫ de nombreuses


obédiences et de nombreux intervenants représentant une quinzaine de pays dont un grand nombre
sont des références mondiales dans le domaine de la recherche maçonnique.

Avec notre F⸫ Cédric nous avons représenté dignement ASPOMA devant une assistance d'environ
quatre-vingts personnes. J'ai présenté ASPOMA, puis différents aspects des bateaux des négriers, etc.
du XVIIIe siècle. Cédric nous a présenté avec brio Latouche Tréville.
De nombreux contacts ont été pris.

Cette manifestation unique en son genre regroupant les principales loges de recherche dans le monde,
bénéficiera, je pense, d’une encore plus grande aura auprès de toutes les obédiences représentées.

Capitaine Le Tellier n° 3

Latouche-Tréville n° 4
Gémissons, gémissons, gémissons, mais espérons !

Jean-Jacques OLHAGARAY (1947-2019)

Notre T⸫C⸫F⸫ Jean-Jacques avait été initié au Rite français traditionnel, à La Parfaite Sincérité n° 24
(Loge Nationale Française), le 5 mai 2011.
Ce frère, très attachant, entier, au caractère bien trempé, était un infatigable chercheur, qui nous a
laissé quelques planches mémorables. Il était très attaché à sa liberté de pensée. Ses recherches et ses
appréciations tenaient toujours de la rigueur et de la précision qui sied aux articles universitaires. Il

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aimait les références littéraires, notamment. Et il fut un Secrétaire de loge, remarquable de précisions
dans ses planches tracées. De plus, il a fourni un travail remarquable dans la création et
l’enrichissement du site de la loge bleue.

Il avait rejoint ASPOMA en 2017, m’ayant manifesté son amour pour la Mer et son passé maritime. Et
il participait toujours avec appétit, à nos travaux, dirigés par notre Cher Pierrick.

Au plan pratique, l’ensemble des loges bordelaises travaillant à l’Orient de Bègles-Bordeaux et le Cercle
Renaissance, lui savent gré de sa très grande implication dans l’installation de ce lieu, qui accueille
désormais plusieurs dizaines de loges.

Jean-Jacques était également impliqué auprès de tous ses FF⸫ et SS⸫, via l’association loi 1901
Adelphe Solidarité Emploi, dite ADELPHE, qui a pour but de permettre des rapprochements entre des
FF⸫ et SS⸫ en recherche d’emploi ou de formation d’une part, et des FF/SS qui auraient des postes à
pourvoir, ou des formations qualifiantes à proposer.

Jean-Jacques était une personnalité riche et complexe, profondément généreuse et sincère.

Il a franchi la ligne d’horizon, vendredi 14 juin dernier. Mais il est toujours présent dans nos cœurs et
dans notre chaîne d’Union Fraternelle et Universelle.

Une tenue maçonnique funèbre est organisée au Temple de Bègles-Bordeaux le mercredi 19 juin 2019
à 19h30. Ses obsèques auront lieu à Mérignac le vendredi 21 juin à 11 heures.

Cédric Bernat
Carré Latouche-Tréville

Contre-amiral Lavaud n°5

Voyage n° 4 de l’Arche contre-amiral Lavaud. Samedi 23 mars 2019 l’Arche, gréée


conformément aux usages de notre Rite, est
amarrée à quai au port de Papeete.
L’embarquement autorisé est conduit par le
Capitaine d’Armes, les sœurs et frères visiteurs
sont invités à prendre place sur les bordées,
guidés par le Maître d’équipage. Nous avons la
joie et le bonheur de constater que nombre de
visiteurs sont présents pour ce voyage
d’équinoxe de mars (soixante-quinze sur les
bordées).

S’ensuit, l’appel au poste de manœuvre, les amarres sont larguées, Contre-amiral Lavaud s’écarte du
quai et se dirige vers la mer libre. Le pilote débarqué, l’Arche rallie un point, qui à cet instant, est seul
connu du Père Noé. La prise de mouillage se fait par λ 17°38’54’’ Sud - φ 149°25’46’’ Ouest à quelques
encablures de la côte.

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Deux maillons sont filés, l’Arche fait tête, le frein serré, le Père Noé annonce : « terminé pour la plage
avant ». La chaloupe du Père Noé restée à quai, attend l’arrivée de notre conférencière.
Dans cette attente, les travaux débutent selon notre rituel. Après quelques mots de bienvenue aux
visiteurs de marques et sur les bordées, le Père Noé, évoque ce qu’est « le voyage ».
La vocation des marins et le chemin initiatique que tous aujourd’hui nous avons parcouru,
s’apparentent à ce que les écrivains et poètes ont décrit et écrit depuis fort longtemps.
Vient la lecture du rapport de mer du troisième voyage. Après son approbation, il est procédé à
l’embarquement de nouveaux Maîtres MM de Noé et d’un Passager de l’Arche.
Initialement inscrit sur la feuille de service, vous devions embarquer quatre MMMMde N, hélas
l’un de nos F retenu n’a pas pu se présenter à la coupée, il rejoindra l’équipage lors de notre prochain
voyage.
Parmi nos nouveaux MMde N nous « touchons » une fois encore un Fde Nouvelle-Calédonie,
ce qui porte à trois sur la fiche de rôle le nombre de nos FF venus d’un autre secteur du Pacifique,
nous nous en réjouissons.
Puis vient l’embarquement de notre Passager de l’Arche, qui n’est autre que notre S Jeannine, veuve
de notre regretté F Alain Bardon. Notre F Alain, Navalais, est passé derrière la ligne d’horizon
quelques semaines avant l’allumage des feux de navigation du Carré n° 5. Alain était du groupe des
membres fondateurs. Nous sommes heureux de pouvoir accueillir son épouse, qui n’a manqué à ce
jour aucun de nos voyages depuis l’allumage. Suit le tuilage et la prestation de serment. Après la remise
des médailles, les nouveaux embarqués rejoignent les bordées.
Japhet informe que la chaloupe du Père Noé a quitté le quai pour rejoindre l’Arche Contre-amiral
Lavaud avec notre conférencière. Pendant qu’elle se range le long de notre bord, Le Père Noé rappelle
les principes du « voyage blanc fermé » selon notre rite.
Après quelques paroles de bienvenue dans cette enceinte (où certains illustres personnages qui vont
être évoqués par la suite ne se seraient pas trouvés étrangers à l’assemblée réunie aujourd’hui), notre
invitée, Mme Corinne Raybaud, Docteur en histoire et auteur d’ouvrages sur le Pacifique, est conduite
à la demande du Père Noé, par le F bosco à la place qui lui est réservée.
Pendant quarante-cinq minutes, la conférencière, expose, décrit et relate sans aucune note écrite, le
contexte des missions et de « la quête » de ces grands navigateurs. En soulignant les origines qui ont
stimulé leurs audace et témérité à venir dans le Pacifique sud.
Le contexte géopolitique et commercial de l’époque (compétition entre les grands royaumes) a
largement favorisé l’armement de navires et la constitution des équipages, pour partir à la recherche
de nouvelles routes et de l’hypothétique « terra australis incognita » continent supposé, apparaissant
sur les cartes européennes entre le 15ème et le 18ème siècle.
Puis, la parole circule sur les bordées et à la passerelle. Les interventions et questions de nos frères et
sœurs trouvent réponse dans les échanges avec notre conférencière. Le Père Noé après avoir laissé les
mots de conclusion à Mme Raybaud la fait raccompagner par le Maître d’Équipage à la chaloupe qui
la reconduira à terre.
Les travaux du quatrième voyage reprennent ; les questions diverses, l’appel à la générosité avec
circulation du Tronc de Bienfaisance dont le montant sera entièrement reversé à l’association la Saga
qui fait découvrir la voile aux enfants défavorisés du fenua.
Le Père Noé demande si une Sœur ou un frère a quelque chose à proposer pour le bien de la franc-
maçonnerie en général ou de ce Carré de recherche maritime de Maîtres Marins de Noé en
particulier… la parole est accordée sur les bordées et à la passerelle.
Fermeture des travaux au poste de navigation, en la forme accoutumée. Retour à quai pour les agapes.
Selon notre rituel de Table, le boujaron est servi avant le combat et l’abordage. L’équipage
préalablement au poste de manœuvre remet sabres au fourreau et tapes de bouche aux canons.
L’amarrage terminé et avant de débarquer, nous enlaçons nos mains pour une chaîne d’union dédiée
aux marins de tout horizon et Francs-maçons de toute obédience, sur les Sept Mers.
Le cinquième voyage est prévu pour la fin du mois de septembre, dès que la route tracée sera
déterminée, nous transmettrons les informations nécessaires.

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Par lé bout dé la longué-vué
Envoi de notre F  Jean-Marie Marcireau :

La Maçonnerie à Guantanamo Bay.

L’enclave américaine de Guantanamo Bay, à la pointe sud est de Cuba s’est acquise ces dernières
années une célébrité douteuse, depuis que l’autorité fédérale y a installé une prison réservée aux
terroristes ou suspects de l’être, une prison quelque peu en marge des réglementations habituelles.

En fait les Etats-Unis sont installés sur le site


depuis 1903, une concession perpétuelle leur
ayant été accordée par l’Espagne alors
puissance coloniale en passe de se retirer.
L’état américain a créé une base navale qui
depuis n’a cessé de se développer.

Tant que les relations entre Cuba, devenu un


état indépendant, et Washington furent au
beau fixe, la circulation entre la base et le pays
hôte ne connut pas d’autres restrictions que
celles liées à la protection de toute installation
militaire. De très nombreux civils cubains
travaillaient sur la base navale et les militaires
américains et leurs familles fréquentaient
Guantanamo City, la capitale de la province
cubaine du même nom.
C’était notamment le cas des francs-maçons
qui étaient les visiteurs assidus de la loge
cubaine de cette ville.

Tout changea avec la révolution cubaine et l’arrivée au pouvoir de Castro.


La base se vit interdire l’embauche de cubains puis une véritable frontière fut construite entre les
installations américaines et le territoire cubain, chacun y allant de ses réseaux de barbelés et de ses
champs de mines, ces dernières années remplacés du côté américain par des défenses plus
sophistiquées.

Du coup il n’était plus question pour les frères américains de se rendre dans les loges cubaines, même
si Castro n’a jamais remis en cause l’existence de la Maçonnerie cubaine qui perdure, dans des
conditions parfois difficiles il est vrai.

Quelques frères en poste à Guantanamo Bay décidèrent alors de demander une patente à la Grande
Loge du Massachusetts, une des premières Grandes Loges des colonies anglaises d’Amérique créée en
1733.
C’est ainsi que fut créée le 15 décembre 1965 la Caribbean Naval Lodge, installée le 3 juin 1967 dans

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son temple de Guantanamo Bay.

Vue extérieure du temple l’Orient du temple.

La loge travaille au Rite d’York, le plus pratiqué de la maçonnerie américaine. Elle accueille volontiers
les visiteurs le premier mercredi de chaque mois, s’ils sont « réguliers », au sens « britannique » du
terme, mais encore faut-il au préalable être admis sur la base navale !

Comme toutes les loges américaines, la Caribbean Naval Lodge a une importante activité caritative et
s’associe souvent et très publiquement aux actions charitables.

Maçons et scouts unis dans l’action charitable. (2014)

La Maçonnerie anglo-saxonne et américaine en particulier n’a pas la discrétion propre à d’autres,


notamment à celles du vieux continent, ce qu’explique assez bien l’Histoire, et la Caribbean Naval
Lodge se manifeste en émettant divers types de jeton :

Avers et revers du jeton

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Jeton usuel de la loge émis pour son 25° anniversaire.

Mais plus encore en érigeant une stèle en l’honneur des frères de la loge :

Les bonnes intentions n’étant pas forcément synonyme de bon goût !

Envoi de notre S  Anne-Marie Bouvart, membre du LINK Belgium

Une histoire oubliée… : LA MALEDICTION DU GRAND SAINT ANTOINE…

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« LE GRAND SAINT ANTOINE » était une Flûte, un voilier trois-mâts carré.

Le navire quitte Marseille le 22 juillet 1719 pour la Syrie et relie successivement Smyrne, Larnaka
(Chypre) et Sidon au Liban. C’est dans cette ville qu’il embarque des tissus de soie et des sacs de cendre
destinés à absorber l’humidité des cales pour assurer une meilleure conservation des précieuses
étoffes.
A Damas, le consul Poullard qui ignore que la peste sévit dans la ville délivre une patente nette,
certificat prouvant que tout va bien à bord, alors que le chargement est probablement déjà contaminé.
La cargaison est estimée à une valeur de cent mille écus, elle se compose essentiellement d’étoffes de
soie et de balles de coton infestées de puces porteuses du bacille de Yersin.
Le navire arrive à Tyr et complète sa cargaison par de nouvelles étoffes probablement aussi
contaminées.
Le navire reprend la mer mais, pour réparer des dégâts causés par une violente tempête, il doit faire
escale à Tripoli (Liban) où le vice consul Monhenould délivre également une patente nette. Le 3 avril
1720 le navire se dirige vers Chypre après avoir embarqué quatorze passagers. Le 5 avril un passager
turc meurt à bord et son cadavre est jeté à la mer. Les passagers descendent à Chypre et le navire
repart le 18 avril 1720 en direction de Marseille. En cours de route meurent successivement cinq
personnes dont le chirurgien de bord.
L’alerte est grave et le capitaine Chataud décide de s’arrêter alors dans la rade du Brusc à proximité
de Toulon. Les raisons de cette escale restent mystérieuses mais certains historiens estiment que
Chataud a voulu prendre l’avis des propriétaires de la cargaison pour fixer la conduite à tenir.
Les propriétaires font alors jouer leurs relations pour éviter la grande quarantaine qui aurait
considérablement retardé la livraison des marchandises. Tout le monde considère que la peste est une
histoire du passé et les événements sont pris avec détachement. Les autorités marseillaises
demandent au capitaine de rejoindre Livourne pour y retirer une « patente nette »
Le Grand Saint Antoine fait alors demi-tour pour rejoindre Livourne où il arrive le 17 mai. Les Italiens
interdisent l’entrée du navire dans le port mais le laissent repartir, avec ledit certificat, n’ayant pas
envie de s’encombrer du navire.
Entre-temps trois autres personnes décèdent à bord.
Le navire retourne alors vers Marseille : il y a eu depuis le départ de Tripoli neuf décès à bord il touche
le port de Marseille le 25 mai.
A son arrivée, le capitaine Chataud se rend au bureau de santé faire sa déclaration. Il produit les
patentes nettes et informe le bureau des décès « pour cause de mauvais aliments. » Le 27 mai un
matelot meurt à bord. Le bureau de santé décide après plusieurs délibérations d’envoyer le navire à
l’île de Pomègues dans l’archipel du Frioul, mais décide, de faire débarquer aux infirmeries toutes les
marchandises.
Il est probable que des interventions ont lieu, liées aux Intérêts des notables locaux : une partie de la
cargaison appartient à plusieurs Notables de Marseille, dont le premier échevin Jean-Baptiste Estelle
et le capitaine du navire Jean-Baptiste Chataud.
Chataud n’a qu’une hâte : arriver à temps pour livrer sa cargaison avant le début de la foire de
Beaucaire qui doit se tenir le 22 juillet 1720. La foire de Beaucaire attirait en effet à l’époque de
nombreux marchands de tous les points de l’Europe, les statistiques indiquent qu’il y venait une
moyenne de cent mille vendeurs et acheteurs par an.
Le 13 juin, veille du jour de sortie de quarantaine des passagers, le gardien de santé du vaisseau meurt.
Le chirurgien de service du port, Gueirard, examine le cadavre et conclut à une mort par vieillesse, sans
observer des marques de peste
Un mousse tombe malade et meurt le 25 juin. À partir de ce jour plusieurs portefaix qui ont manipulé
les ballots de coton décèdent. Le bureau de santé s'inquiète très sérieusement et décide de transférer
le vaisseau à l'île de Jarre, de faire brûler les hardes des personnes décédées et d’enterrer les cadavres
dans de la chaux vive. Mais ces mesures arrivent trop tard car des tissus sortis en fraude des infirmeries
ont déjà transmis la peste dans la ville.

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Le 20 juin 1720, rue Belle-Table, venelle étroite et sombre des vieux quartiers, une femme, Marie
Dauplan, meurt en quelques heures. À ce moment les médecins doutent que ce décès soit vraiment
dû à la peste. Il semble en effet qu'un premier foyer pesteux au sein de l’équipage ait été contenu
jusqu’au déballage des balles de coton qui allaient répandre les puces porteuses de la maladie
Le 28 juin, un tailleur, Michel Cresp, meurt subitement. Le 1er juillet, deux femmes, Eygazière et
Tanouse, demeurant rue de l'Échelle, autre quartier déshérité de la ville, meurent avec des bubons,
signes évidents de la peste
À partir du 9 juillet il est évident que la peste est présente ; ce jour-là Charles Peyssonnel et son
fils, tous deux médecins, appelés au chevet d'un enfant d'une douzaine d'années rue Jean-Galland,
diagnostiquent la peste et avertissent les échevins. Les morts sont enterrés dans de la chaux vive et
leurs maisons sont murées. Les échevins espèrent toujours qu’il s’agit d’une contagion limitée. La
cargaison du navire est transférée des infirmeries à l'île de Jarre. À partir du 21 juillet le nombre de
décès ne fait que croître
Les mesures prises, telles que la combustion de soufre dans les maisons, sont peu efficaces. L'épidémie
de peste progresse dans la vieille ville. Les gens aisés quittent Marseille pour se réfugier dans leurs
bastides situées dans les environs. Le corps des galères, à la demande du médecin des galères qui
affirme qu'il s'agit bien de la peste, se retranche dans l'arsenal qui s'isole de la mer par une estacade
faite de poutres flottantes. Les personnes modestes créent un immense campement sur la plaine Saint-
Michel, actuellement place Jean-Jaurès. Le 31 juillet 1720 le parlement d'Aix fait interdiction aux
Marseillais de sortir de leur terroir et aux habitants de la Provence de communiquer avec eux.
À partir du 9 août, il meurt plus de cent personnes par jour. Les infirmeries ne peuvent plus recevoir
les malades et les cadavres sont jetés dans les rues.
Fin août tous les quartiers de Marseille sont touchés, y compris le quartier de Rive-Neuve séparé de la
ville par le port et le vaste arsenal des galères. Malgré les mesures prises par le chevalier Roze qui est
alors capitaine de ce quartier, il a été impossible de couper toute communication avec la vieille ville
contaminée d'où l’extension de la contagion. Il meurt alors trois cents personnes par jour. Des familles
entières disparaissent, aucune rue de la vieille ville n'est épargnée. Les églises ferment leurs portes les
unes après les autres : il meurt alors mille personnes par jour.

Dès le début du mois d'août 1720 les caveaux


des églises ou les cimetières ne sont plus
autorisés à recevoir les corps des pestiférés qui
doivent être emmenés aux infirmeries par les
« corbeaux » (croque-morts). À partir du 8 août
l'ouverture de fosses communes s'impose. Une
compagnie de grenadiers enlève de force des
paysans dans les campagnes pour creuser à
l'extérieur des remparts une quinzaine de
fosses.
Le 9 août, les civières ne suffisent plus et apparaissent les premiers tombereaux pour l'enlèvement des
cadavres. Les chariots viennent à manquer ; les échevins font prendre d'autorité des attelages dans les
campagnes. Les tombereaux ne pouvant circuler dans les rues étroites du quartier Saint-Jean de la
vieille ville, des civières sont confectionnées pour apporter les cadavres jusqu'aux chariot. Pour
conduire les chariots et enlever les cadavres, il est alors fait appel aux forçats de l'arsenal des galères,
choisis parmi les plus médiocres rameurs. Mais cette main d'œuvre pour le moins indisciplinée
nécessite une surveillance étroite. L’échevin Moustier en personne, précédé et suivi de quatre soldats
baïonnette au canon, conduira lui-même chaque jour un détachement de forçats.
Si les échevins arrivent à nettoyer la ville d'une grande partie des cadavres, le quartier de la Tourette
n'est pas dégagé. Ce quartier habité par des familles de marins et situé à proximité de l'église Saint-
Laurent a été totalement ravagé par la peste. Seul le chevalier Roze qui s'est distingué dans le
nettoiement du quartier de Rive-Neuve, accepte la mission de débarrasser de ses cadavres le quartier

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de la Tourette. À la tête d'un détachement de cent forçats, il fait jeter dans deux vieux bastions un
millier de cadavres qui sont recouverts de chaux vive. C’est l’épisode le plus célèbre de cette lutte
contre la peste. Parmi les forçats cinq seulement survécurent.

De nombreuses réglementations sont mises en place par les diverses autorités locales. Le conseil d’état
prend le 14 septembre 1720 un arrêt qui annule toutes les mesures prises, prononce le blocus de
Marseille et règle la police maritime. Mais il est déjà trop tard : le bacille s'est répandu dans l'intérieur
des terres et il faudra encore deux années de lutte pour éradiquer la peste du Languedoc et de la
Provence, car c'est le 22 septembre 1722 que la dernière quarantaine est ordonnée à Avignon. Un
cordon sanitaire est mis en place pour protéger le reste de la France, avec le mur de la peste dans le
Vaucluse prolongé jusqu’à la Durance, puis jusqu’aux Alpes.
Marseille n'est pas la seule cité provençale
attaquée par l'épidémie qui touche
également Arles, Aix en Provence et Toulon.
Les petites communes situées dans le voisinage
de ces grandes villes sont également atteintes
par la peste. Seule la commune de la Ciotat
protégée par ses murailles, est épargnée par la
Mur de la peste dans le Vaucluse, édifié en 1720 pour
peste.
isoler les régions atteintes.
Le Languedoc et le Comtat sont également touchés avec les villes d’Alès et d’Avignon. La ville de
Beaucaire est épargnée, probablement grâce à la sage précaution de supprimer la foire traditionnelle.
Au total, l'épidémie fait entre quatre-vingt-dix mille et cent vingt mille victimes environ, Marseille y
compris, sur une population de quatre cent mille personnes. Les derniers foyers s'éteignent à la fin de
1722 dans les communes d'Avignon et d'Orange
À partir du mois d'octobre 1720 la peste se met à reculer dans Marseille et les personnes atteintes
guérissent plus facilement ; la mortalité journalière tombe à une vingtaine de personnes. Cette baisse
se poursuit au début de l'année 1721 avec une mortalité journalière d’une ou deux personnes. Les
boutiques rouvrent, le travail reprend sur le port et la pêche est de nouveau pratiquée.
Cependant tout n'est pas inutile. L'accoutrement des médecins avec leur tablier de cuir ou de toile
cirée diminue les risques de piqûre des puces. Les parfums utilisés pour désinfecter les habitations à
base de soufre et d’arsenic peuvent avoir un impact sur la destruction des puces. En revanche le
fameux vinaigre des quatre voleurs n'a aucun effet. L’origine de cette potion est la suivante : quatre
voleurs sont arrêtés alors qu'ils détroussaient les pestiférés au cours de l'épidémie de Toulouse en
1628-1631. Afin d'avoir la vie sauve, ils révèlent le secret de la composition d'un remède qui leur
permettait de se préserver de la contagion. La préparation se faisait à partir
d'absinthe, sauge, menthe, romarin, rue, lavande, cannelle, girofle et ail. Malgré la révélation de ce
secret les voleurs auraient été pendus. Ce vinaigre antiseptique connut des heures de gloire et ne
disparut du Codex qu’en 1884.

Près de deux cents squelettes ont été exhumés entre août et septembre 1994 et ont fait l'objet
d'études anthropologique Les archéologues ont constaté que la fosse a été inégalement remplie. Trois
zones apparaissent : à l'est une zone à forte densité avec empilement des corps, au centre une zone à
faible densité avec individualisation des inhumations et enfin à l'ouest une zone à densité presque
nulle. Cette variation traduit les phases successives de l'épidémie qui va en décroissance rapide.
Le décès par peste des individus inhumés dans ce charnier ne fait aucun doute puisque l'ADN du bacille
de la peste a été mis en évidence. Les corps étaient systématiquement recouverts de chaux vive. À
l'exception d'un corps possédant une boucle de ceinture, il n'y a aucun élément de parure. Des
fragments de draps démontrent que les cadavres ont été enterrés nus dans des linceuls. Une épingle
en bronze plantée dans la première phalange du gros orteil a souvent été trouvée : il s'agit d'une
pratique habituelle à cette époque pour vérifier la mort effective de l'individu

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LES DIVERSES RESPONSABILITES
Le Grand-Saint-Antoine aurait dû effectuer sa quarantaine à l'île de Jarre conformément à une
instruction de 1716 et n'aurait jamais dû débarquer directement ses marchandises aux infirmeries car
le navire a connu plusieurs décès à bord durant son retour vers Marseille
À l'époque, la première personne mise en cause est le capitaine Chataud. Il sait très probablement que
la peste est à bord de son navire mais il fait une déclaration conforme à la réglementation, sans cacher
les décès survenus durant la traversée. Il est cependant écroué le 8 septembre 1720 au château d'If et
ne sera libéré que le 1er septembre 1723, bien que sa non-culpabilité ait été admise depuis longtemps
Le deuxième personnage qui fait l'objet de nombreuses controverses est le premier échevin de la ville
de Marseille, Jean-Baptiste Estelle, qui est propriétaire d'une partie de la précieuse cargaison. La
responsabilité éventuelle de certaines personnes dans l'origine de l'épidémie ne doit pas faire oublier
le grand dévouement des échevins et celui de leurs collaborateurs. Les intendants sanitaires ont
probablement une lourde responsabilité. En effet ils sont juges et parties : non indépendants par
rapport aux négociants et au pouvoir municipal, ils se sont probablement laissés fléchir pour adopter
des règles moins rigoureuses pour la mise en quarantaine des marchandises du Grand-Saint-Antoine
Par ailleurs le laxisme généralisé peut s’expliquer par la non-propagation de maladies contagieuses
pendant une soixantaine d'années. Le manque de discipline au sein des infirmeries a entraîné une
sortie en fraude de tissus contaminés provenant notamment de diverses pacotilles appartenant à
l'équipage. Ce sont très probablement ces tissus sortis en fraude des infirmeries qui ont propagé la
peste
Parmi les personnalités civiles, la figure qui se détache le plus est celle du chevalier Roze qui, nommé
capitaine du quartier de Rive-Neuve, organise le ravitaillement et engage tous ses biens pour trouver
du blé. L'épisode du nettoiement du quartier de la Tourette est le plus célèbre. La modestie
du chevalier Roze l’empêchera de faire valoir ses mérites.
Enfin parmi les personnalités civiles il ne faut pas oublier les médecins qui, malgré une science
balbutiante à l'époque, se sont sacrifiés. Le nom du docteur Peyssonnel doit être rappelé et il faut aussi
se souvenir que vingt-cinq chirurgiens sur trente moururent. De même une centaine d'adolescents
servirent comme infirmiers et succombèrent en grand nombre.
La personnalité religieuse la plus connue est l’évêque de Marseille, Mgr de Belsunce, qui se signala
notamment par son zèle et son dévouement à secourir les malades. Face à cette épidémie sans
précédent, il décide de rendre visite aux malades en leur administrant les derniers sacrements. Le 31
décembre 1720, il organise une procession générale sur les fosses communes situées pour la plupart
à l'extérieur des remparts ; la bénédiction est donnée à chacune de ces fosses. Afin d'apporter une
aide matérielle aux malades, il aliène une grande partie de son patrimoine.
Sur plus de deux cent cinquante religieux, un cinquième d'entre eux, comme le père jésuite Millet
succombent à l'épidémie en soignant et portant secours aux pestiférés. Ces attitudes courageuses ne
sont pas généralisées. Ainsi les moines de l'abbaye Saint-Victor se renferment derrière les murailles de
leur monastère et se contentent d'envoyer quelques aumônes De même les chanoines de l'église
Saint-Martin se réfugièrent à la campagne.
Pour l’économie, le coup d’arrêt est brutal car le port est fermé trente mois et les fabriques arrêtées.
Il est évident que la paralysie du port a eu des répercussions multiples sur l'économie. À cela s'ajoute
une méfiance des ports envers celui de Marseille qui ne prend fin qu'en 1724, bien après la fin de
l'épidémie en 1722.
Le navire fut brûlé et coulé au large de Marseille pour essayer d’enrayer l’épidémie. Son épave fut
retrouvée en 1978, elle gît enfouie dans une crique de L’îlot Jarron entre dix et dix-huit mètres de
profondeur,
Après plusieurs siècles passés sous l’eau (et la vase), l’ancre du Grand-Saint-Antoine a été remontée
et installée au Musée d’histoire de Marseille. Longue de 3,80 mètres elle pèse près d’une tonne, c’est
l’un des rares vestiges du Grand-Saint-Antoine,

13
Pagés d’Ecumé

Envoi de notre F Jean-Marie Blanchet :

Les Marins Parisiens du 1er siècle, offrent un Cadeau à l’Empereur :

LA COLONNE DES NAUTES

La Colonne des nautes est une colonne monumentale gallo-


romaine érigée en l'honneur de Jupiter par les Nautes de Lutèce au
Ier siècle, sous le règne de l'empereur Tibère.

Ses différentes parties sont exposées dans la salle du frigidarium


des thermes de Cluny accompagnées de la magnifique reproduction
(de taille réduite) visible ci-contre.

Les quatre blocs ou autels qui la constituent ont été mis au jour lors
de la construction d'une crypte sous la cathédrale Notre-Dame de
Paris le 16 mars 1711 lors des fouilles entreprises pour la
réalisation du Vœu de Louis XIII.

La Colonne ou Pilier des Nautes


La colonne est constituée d’un piédestal et de quatre blocs de forme cubique, en pierre de l'Oise, ornés
de bas-reliefs représentant diverses scènes, ainsi que des divinités gauloises et romaines. L'un de ces
blocs comporte une dédicace.
La structure de pilier ne fait pas de doute, et c'est à ce jour le plus ancien monument autochtone daté
de Paris.

14
Elle porte, en outre sur l’une de ses faces, une dédicace à l'empereur Tibère, fils adoptif d'Auguste qui
permet également de la dater précisément.

TIB CAESARE « À Tibère César Auguste, à Jupiter très bon, très grand, les Nautes du
AVG IOVI OPTVMO territoire des Parisii, aux frais de leur caisse commune ont érigé… [ce
MAXSVMO monument]. »
NAVTAE PARISIACI
PVBLICE POSIERVNT

Quelques photos donnant une idée de la taille de la colonne, qui mesurait plus de cinq
mètres de haut.

15
La colonne des Nautes également appelées Pilier des Nautes était constitué de quatre dés ou autels
de pierre, disposés sur un socle et ornés de bas-reliefs sculptés sur les quatre faces.
Elle mesurait plus de cinq mètres de haut.

Les bas-reliefs finement sculptés sur les différentes faces représentent des dieux des panthéons
Romain et Gaulois.

Sont représentés pour le panthéon latin :


• Jupiter, portant le foudre, accompagné de l'aigle,
• Mars, le guerrier, cuirassé et armé, son manteau de général, le paludamentum, replié sur le bras,
• Le forgeron Vulcain,
• Mercure, protecteur du commerce,
• Fortuna, qui donne chance,
• Vénus, qui favorise la fécondité,
• Les Dioscures Castor et Pollux, patrons de la cavalerie.

Sont représentés pour le panthéon gaulois :


• Ésus,
• Smertrios,
• Tarvos trigaranus,
• Cernunnos.

Selon l'historienne Anne Lombard-Jourdan, les Nautes Parisiens cherchaient en édifiant le pilier à
montrer aux peuples de la Gaule la voie de la coopération, qu'il était désormais raisonnable de suivre
avec l’envahisseur Romain.

En dédiant le pilier à Jupiter, ils montraient qu'ils agréaient la religion des Romains tout en affirmant
leur fidélité aux cultes indigènes par la mention de dieux gaulois.

La construction du pilier est en outre contemporaine de l'interdiction des assemblées de druides.

16
En donnant une figure humaine aux dieux gaulois, les Nautes contribuaient à ruiner la position
d'intermédiaires des druides entre les dieux et les hommes… Ce qui était un signe profond de
soumission aux désirs de l’occupant romain.

Les Nautes de Lutèce étaient une confrérie de riches armateurs mariniers qui naviguaient et
commerçaient sur la Seine.

L'inscription latine montre que les Nautes Parisii avaient une caisse commune et donc une personnalité
morale, ce qui en fait la première « Société » dont on ait trace à Paris.

Un indice de leur puissance est donné par une des sculptures de la colonne qui les représente défilant
en armes avec boucliers et lances, privilège exceptionnel octroyé par les Romains, qui plus est moins
d'un demi-siècle après la conquête de la Gaule par Jules César.

Sculpture représentant les Nautes PARISII Armés

Un projet de reconstitution du Pilier des Nautes sur l'île de la Cité a été lancé en 2017 par l'association
Gladius Scutumque.
*****
Qui étaient ces « Nautes » Gaulois ?
Les Nautes étaient une confrérie d'armateurs mariniers qui naviguaient et commerçaient sur les
fleuves et rivières de toute la Gaule.
Ils constituaient une confrérie puissante, puisque c'est dans leurs rangs que les autres confréries
navigantes (dendrophores, utriculaires) choisissaient habituellement leurs patrons.

Un peu d’étymologie…
Le mot « Nautes » vient du grec ancien ναύτης (naútês) signifiant « marin, matelot ». Il existe
également une forme latine nauta, de même signification.
Le terme grec naútês vient de la terminologie grecque naus, correspondant du latin navis, qui donne
en français "navire" et "navigation".
Le terme grec naus a une racine indo-européenne très ancienne : « nau », que l'on retrouve dans de
nombreuses langues et en particulier dans la langue gauloise qui emploie le mot « naua » (« bateau »).
Naus a donné nausum (« barque gauloise »).
Le terme "Nau" est encore utilisé aujourd'hui concernant une typologie de barque à fond plat présente
sur le Léman.

17
Les Nautes transportaient les marchandises par voies d'eau dans toute la Gaule centrale, alors que
diverses inscriptions du Haut-Empire citent, à côté des Nautae, les Nauvicularii dont l'activité était
maritime. (Histoire de Bretagne p. 100 - J. Delumeau - Privat, 1969).

Puis, un peu d’histoire…


La majeure partie du transport s’effectuant par les fleuves et rivières, les confréries de nautes furent
très prospères.
Ils furent également les moteurs du développement de la construction navale fluviale.
Bien que la plus célèbre de leurs confrérie soit celle des nautes parisiens « nautae parisii » qui, sous
Tibère, ont élevé notre fameuse colonne, de nombreuses autre traces de leurs activités subsistent.

Une corporation des nautes du Rhône, dénommés les « nautae lacus lemani », dédié au transport
fluvial de Genève à Lyon, est également bien connue.
Elle était placée sous l'autorité d'un curateur. Ils relayaient en Gaule sur le fleuve les activités de la
confrérie des nautes du lac Léman, dont le collège se réunissait au sein d'un édifice, sous la forme
d'une schola, et situé dans l'agglomération de Lousonna (actuelle Lausanne). Ils possédaient
également une succursale à Genava, l'ancien site antique de Genève.

Au cours du Ier siècle apr. J.-C., ces riches bateliers, devenus maîtres de l'espace économique du lac
Léman, ont initié la construction de nombreux bâtiments publics et religieux. Au terme du Ier siècle,
cette confrérie aurait financièrement contribué à l'élévation, au cœur de la cité de Lousonna, d'un
temple gallo-romain aux ornements ostentatoires.
Des prospections archéologiques, entreprises au cours années 1930 dans le quartier de Vidy, ont
permis d'exhumer une inscription épigraphique qui témoigne de l'existence de cette corporation
lausanienne. L'inscription a été mise en évidence à proximité d'un temple dédié à Mercure. Cette
dédicace comporte, entre autres, les termes suivants :
« [...]nautae [lac]u lemanno qui Leso[nn]ae consistunt[...]. »

Parmi les autres corporations connues ou soupçonnées, il y a les bateliers de l'Ardèche et de l'Ouvèze
ou encore ceux de l'Aar, les nautae Aruranci, et de la Durance.
Le géographe grec Strabon évoque également un fort trafic fluvial sur la Loire.
Certaines hypothèses conçues au XIXe siècle font des nautes des bateliers adorateurs de la déesse
égyptienne Isis.
*****

Enfin un peu d’archéologie…


Navires et autres vestiges archéologiques laissés par les « Nautes »

Plusieurs découvertes d'épaves de chalands gallo-romains ont permis de se faire une idée de la forme
des bateaux qu'ils utilisaient. Ceux-ci étaient généralement construits sur sole, c'est-à-dire à fond plat,
sans quille, procurant un faible tirant d'eau, selon un principe de construction appelé « monoxyle
assemblé ». Les bois utilisés étaient, selon les pièces, du chêne ou du sapin.

Le chaland d'Abbeville compte parmi les épaves remarquables. Ce bateau, découvert en 1808 dans
l'ancien lit de la Somme, est le premier chaland gallo-romain découvert en Europe. Daté du IIème siècle
apr. J.-C., il mesurait 12 m de long sur 3 m de large et pouvait embarquer jusqu'à 7 tonnes de fret. Il a
fait l'objet d'une reconstitution.

18
Le chaland Arles Rhône 3 au Musée de l'Arles antique.

Le chaland « Arles Rhône » a été l'objet d'une couverture médiatique significative. Découvert en 2004
en rive droite du Rhône à Arles, il a été fouillé à partir de 2008, puis, en 2011, il a été remonté à la
surface et a fait l'objet d'études et de mesures de conservation.

Il est aujourd'hui exposé au Musée de l'Arles antique. Mesurant près de 31 m de long pour 3 m de
large, il date du Ier siècle et sa construction montre des traces d'une influence méditerranéenne.

Les fouilles du parc Saint-Georges, au pied de la colline de Fourvière à Lyon, en 2003, ont mis en
évidence six épaves de chalands gallo-romain, construits entre le Ier et le IIIème siècle de notre ère.
L'une des épaves est en cours de restauration depuis 2013 en vue d'une exposition au musée gallo-
romain de Fourvière.

On peut mentionner enfin le chaland du IIe siècle découvert en 1970 dans le lac de Neuchâtel, en
Suisse. Celui-ci mesurait 20 m de long et a été le sujet d'un projet d'archéologie expérimentale, la
fabrication d'une réplique nommée Altaripa. Cette réplique est exposée au public au Laténium.

19
La réplique de la barque Altaripa

En Belgique, deux chalands et une pirogue monoxyle ont été découverts lors d'une fouille de sauvetage
à Pommerœul, en 1975. L'un, très dégradé, mesurait encore 15m de long. La seconde épave mesurait
12,7 m de long sur 3m de large. Ce site a également permis d’exhumer les restes de l'installation
portuaire et des bâtiments associés qui sont datés du IIe siècle apr. J.-C.

*****

La construction Navale des premiers siècles.

D’une façon générale l’ensemble de ces bateaux sont conçus de la même façon.

Un exemplaire très représentatif est la barque de Bevaix.

20
La barque de Bevaix

Elle a été trouvée en Suisse dans le lac de Neuchâtel qui se jette dans l’Aar, affluent du Rhin. Elle date
du 1er siècle après J.-C., comme celle d’Yverdon, elle a donc été conçue bien avant.

La forme générale et les dimensions, profondeur en particulier, rappelle fortement les pirogues
monoxyles. Toutefois elle constitue un gros progrès par rapport aux pirogues, en effet, il faut noter
l’usage de membrures, qui sont dédoublées, ce qui assure une résistance mécanique plus importante
et une plus grande rigidité permettant à ces bateaux de transporter des charges plus importantes.

Un arbouvier « Mat de halage » de faible section existe, implanté au tiers avant de la coque. Il
permettait le halage humain ou animal à partir des berges et permettait également sur certain bateaux
l’usage d’une voile.
Le gouvernail est une empreinte : long aviron.

21
Au fil dés vagués vagabondés

Envoi de notre FJean-Marc Van Hille, notre « Mathusalem », « copyright revue Ars
Macionica ».

LES BALEINIERS QUAKERS DU NANTUCKET A DUNKERQUE EN 1786,

UN PIONNIER : WILLIAM ROTCH

par Jean-Marc Van Hille

Le cachalot découvert par les Nantuckais est un animal vif et féroce qui réclame de la part des pêcheurs
une adresse extrême et de la témérité.

Rapport de Thomas Jefferson sur la pêche à la baleine, présenté au Ministère de France en 1778.

Quiconque a lu le roman d’Hermann Melville Moby Dyck (souvent considéré comme une œuvre pour
adolescent alors qu’il met en scène le fanatisme et la cruauté humaine) et vu le beau film qui en a été
tiré, où Grégory Peck incarne le capitaine Achab et Léo Genn son second Starbuck, aura sans doute
gardé en mémoire le combat dantesque d’un homme contre un immense cachalot responsable, dans
le passé, de la perte de sa jambe.
Ces marins venaient de Nantucket, une petite île au large de New Bedford, pépinière de baleiniers
jusqu’à une époque pas tellement ancienne. Leur navire, le Pequod, était propriété d’armateurs
quakers que l’on aperçoit furtivement dans le film, avec leur costume et leur chapeau noir, mais qui
sont décrits beaucoup plus longuement dans le roman.

Un quaker

Ils exerçaient le plus dur des métiers : des campagnes qui duraient parfois jusqu’à trois ans, dans
l’isolement des océans hostiles où, sauf exception, les capitaines s’évitaient sur les zones de pêche
pour ne pas avoir à dévoiler leurs prises ; une alimentation frugale, une hygiène plus que douteuse,
une promiscuité souvent intolérable, une pression incessante car lorsqu’un banc de baleines était
signalé, les canots aussitôt mis à l’eau et les harponneurs en position, la chasse pouvait durer plusieurs
jours, au mépris des dangers qui guettaient les équipages etc. Ils appelaient Nantucket Sleigh Ride le

22
fait pour leur baleinière d’être entraînée à toute vitesse par un cachalot harponné fuyant en surface,
avec impossibilité de couper la ligne au risque de voir leur prise s’enfuir et de perdre le harpon qui
était propriété de son utilisateur et avait une grande valeur.
Combien d’entre eux ont perdu la vie en cours de campagne ? Immergés le plus souvent au large,
inhumés sommairement quand la terre n’était pas trop éloignée…

Sépultures de baleiniers à Longyearbyen (Spitzberg)


Photo de l’auteur
L’île de Nantucket est située dans l’État du Massachusetts. Avec New Bedford, Nantucket était le fief
absolu des baleiniers depuis la fin du XVIIe siècle. Certains irréductibles utilisèrent leurs bateaux
pendant la guerre d’Indépendance ; sous le nom de whaleboat warfare ils pratiquaient la course et les
opérations de guérilla sur les côtes du New Jersey et de Long Island, pas toujours d’ailleurs au service
des Insurgents.
La franc-maçonnerie avait été implantée à Boston le 30 avril 1733, année où la première Grande Loge
des Modernes fut fondée sous le numéro 126 et la Grande Maîtrise d’Henry Price (1697-1780), sur
mandat de la Grande Loge de Londres.
L’Union Lodge, Free and Accepted Masons de Nantucket ouvrit ses Travaux le 27 mai 1771, cinq ans
avant la guerre d’Indépendance, munie d’une patente signée par le Grand Maître adjoint Richard
Gridley et ses deux Grands Surveillants John Cutler et Abraham Savage. Le premier Vénérable fut le
capitaine William Brock. Le Premier Surveillant était Joseph Dennison et le Deuxième, Henry Smith. Ce
soir-là furent initiés les Frères Nathaniel Coffin, Tristram Barnard et Andrew Worth. Un rapport envoyé
à la Grande Loge le 19 octobre 1772 précise que la loge compte à l’époque une majorité de marins
désargentés, qu’elle est installée sur une île et qu’il est difficile de rejoindre le continent en hiver.
La loge semble avoir géré ses finances avec une certaine légèreté. Alexander Starbuck signale… « qu’en
plusieurs occasions, la loge a voté des investissements dans des projets spéculatifs. Le 3 février 1777,
un comité a décidé d’envoyer vingt livres sterling par plusieurs navires partant à l’aventure sur les
mers, au bénéfice de cette loge, et d’en faire l’usage qu’ils jugeraient convenable1.

1
STARBUCK Alexander, A Century of Free Masonry in Nantucket.
23
La ville se distinguait, sur le plan religieux, par le grand nombre de quakers. Le mouvement religieux
qui portait ce nom, ou « Société des Amis », s’y était implanté depuis le début du XVIIIe siècle. Branche
libérale du protestantisme sans s’y référer officiellement, il avait été fondé en 1651 en Angleterre par
George Fox2. Sa doctrine fut prêchée par Robert Barclay (1648-1690) et les adeptes prirent rapidement
le surnom de Fils de la Lumière. Leurs prénoms sont fréquemment empruntés à des personnages de
l’Ancien Testament : Benjamin, Enoch, Isaac, Nathanael, Elisha, Samuel, Nathan, Noah etc.
Chrétiens ou postchrétiens souvent, même si l’expression n’existait pas encore à l’époque, les quakers
étaient pour la plupart des libéraux. Mais comme dans tous les rameaux issus de la Réforme, il existait
aussi des courants conservateurs. Le quakerisme ne prétend pas être une Église, encore moins une
religion.
Partant de ce constat, quelles pouvaient être les « balises » de la démarche spirituelle des quakers ?
L’acceptation du pluralisme des opinions et le respect total de la liberté de conscience ; la croyance en
la fameuse « lumière intérieure » qui est en chacun de nous et qui n’est autre que la présence de
l’Esprit divin qui peut se manifester, se « révéler » au compte-gouttes, sans préavis, et que cette
révélation est en fait la véritable et la seule « incarnation ». Ils n’avaient besoin ni de rites, ni de
liturgie, ni de symboles, ni de clergé, ni de sacrements et rejetaient toute forme de violence, tout en
prenant leurs distances avec le protestantisme qui est basé sur l’affirmation sola fide, sola scriptura.
Ils pensaient, bien avant l’école théologique libérale allemande du début du XXe siècle avec Bultmann,
Tillich ou Schweitzer, que les Évangiles devaient être relativisés et démythologisés.
Tels étaient les armateurs et capitaines baleiniers qui quittèrent Nantucket en 1786.
L’appellation Fils de la Lumière qui leur était dévolue n’est pas sans nous rappeler quelque chose !
Lorsque la guerre éclata, après la déclaration d’indépendance du 4 juillet 1776, dans leur grande
majorité, à l’opposé de Philadelphie où nombre de faits d’armes de la guerre d’Indépendance se sont
déroulés, les Nantuckois se distinguèrent par leur refus de la violence et affichèrent une neutralité
sans ambiguïté, neutralité qui leur valut la saisie de leurs navires et la séquestration de leurs
marchandises.
Le fondateur de leur religion écrivait dans son Apologie de la vraie théologie chrétienne… « Faire la
guerre n’est absolument pas permis […] car prétendre accorder ses préceptes sur l’amour des ennemis
avec les abominables pratiques des guerres, c’est vouloir concilier Dieu avec le diable »3. L’armateur
baleinier William Rotch, dont nous ferons la connaissance plus loin, est sans aucune ambiguïté à cet
égard. Dans ses Mémoires de 1814, il écrit… « Quand survint la guerre d’Indépendance en 1775, j’ai
clairement vu que la seule ligne de conduite à suivre par nous, les habitants de l’île de Nantucket, était
de ne prendre aucune part dans le conflit et de ne porter préjudice à aucun des belligérants ». En
diplomatie, on appelle cela « ménager la chèvre et le chou ». Rotch croyait-il alors que l’Angleterre
gagnerait la guerre ? Toujours est-il que sa position fut appréciée des Britanniques, tout au moins
pendant les premières années du conflit. Rotch tentait de négocier l’échange des prisonniers enfermés
sur les sinistres pontons. Sa demande fut acceptée et les prisonniers qui n’avaient pas été pris les
armes à la main furent aussitôt relaxés. Il est indéniable que la position sociale de Rotch et sa
réputation d’homme intègre lui valurent de rencontrer l’état-major ennemi au plus haut niveau. Son
but était de préserver, de la part des deux parties, l’activité des baleiniers sans avoir à craindre leur
hostilité.
Pendant cette guerre, un armateur quaker anglais de Falmouth, Joseph Fox, co-propriétaire des
goélettes Greyhound, Dolphin et Brilliant, apprit que ses associés attaquaient et saisissaient des navires
français, faisant de nombreuses victimes. Il s’en offusqua en sa qualité de non violent et voulut
dédommager sur ses biens personnels les familles des marins français tués ou capturés.
Tous n’avaient pas les mêmes scrupules. Les archives de la Société des Amis, nom habituel des
Quakers, citées par Alexander Starbuck, donnent les noms de huit de leurs coreligionnaires - David
Coffin, Jonathan Cartwright, Siméon et Robert Folger, Reuben et Alexander Gardner, Paul Hussey et
Reuben Starbuck –, tous francs-maçons, qui furent désavoués pour avoir navigué sur des navires armés

2
LOUIS Jeanne-Henriette, Les Quakers, Éditions Brepols, 2005.
3
Chapitre XV, paragraphe 14.
24
au cours de la guerre d’Indépendance. On voit que le conflit d’intérêt que ces Frères ont vécu, leur a
fait donner la priorité au patriotisme plutôt qu’à la doctrine quaker. Nombre d’entre eux furent
d’ailleurs emprisonnés sur les sinistres pontons britanniques à New York, tels George et Benjamin
Bunker, Levi Gardner et William Cartwright, pendant que le Frère Paul Hussey était nommé
commissaire par le Conseil du Massachusetts, chargé de négocier les échanges de prisonniers de
guerre. Tous étaient membres de l’Union Lodge.
A priori le climat de violence qui régna à partir de 1775 aurait dû éloigner les quakers de la maçonnerie.
Il semble que ce fut le cas des armateurs baleiniers quakers qui constituaient ce qu’on appellerait
aujourd’hui la « bonne bourgeoisie » et exerçaient une sorte de domination sociale. L’île comptait
plusieurs armateurs qui prirent la tête des opposants à la violence, refusant de soutenir tant les
Insurgents que les partisans de l’Angleterre, si bien qu’ils furent persécutés par les deux adversaires4.
On sait qu’ils ne furent pas suivis par beaucoup de leurs capitaines. Il ne peut donc avoir aucun doute
sur le patriotisme de ces Frères, plus enthousiasmés par leur volonté d’indépendance que par leur
attachement à la doctrine de Robert Barclay. Mais pendant qu’ils combattaient les vaisseaux de la
Royal Navy, la pêche à la baleine en subissait les conséquences. Or elle constituait, avec la culture de
la pomme de terre, la seule activité économique de l’île qui comptait en 1785 sept mille habitants.
William Rotch se plaignit amèrement de cette situation… « De 1775 jusqu’à la fin de la guerre, nous
avons connu des ennuis incessants. Nos navires furent saisis par les Anglais et les plus petits d’entre
eux qui faisaient la liaison avec le continent5 se virent refusés et renvoyés à vide au prétexte que nous
commercions avec les Anglais, ce qui est totalement faux ». Rotch avait perdu plus de soixante mille
dollars pendant la guerre, mais il eut l’honneur de voir son navire Bedford arborer le pavillon américain
dans les eaux britanniques, après le traité de Versailles de 1783.
William Rotch, désigné comme négociateur entre le monde des armateurs baleiniers, le gouvernement
provisoire et les Anglais, le risque de tout perdre était énorme6. La mission n’était pas sans danger et
sa propre vie fut souvent menacée.
La guerre avait coûté très cher à l’économie locale. La paix revenue, les Anglais s’en prirent à la flottille
et à ses équipages, allant jusqu’au pillage illégal. Les armateurs s’en plaignirent et obtinrent
heureusement satisfaction au terme d’un procès.
En peu de temps le chiffre d’affaires s’effondra. L’huile de baleine qui était vendue 30 livres la tonne
avant-guerre et ne dégageait déjà que 5 livres de bénéfice, se traitait alors à 17 livres ! En 1783 l’île
était ruinée, les exportations d’huile arrêtées suite à la défaite des Anglais qui avaient drastiquement
augmenté les droits de douane à l’importation au Royaume Uni. Or ils avaient été les principaux clients
jusqu’alors. Les baleiniers du Nantucket étaient exsangues. Il était dès lors indispensable d’envisager
une reconversion.
William Rotch est né le 4 octobre 1734 à Nantucket, d’une riche famille d’armateurs baleiniers, connue
pour ses actions caritatives pour avoir aidé à s’enfuir de nombreux esclaves7. Il épousa le 31 octobre
1754 Elisabeth Barney. Son frère Francis opérait également des navires de commerce ; deux d’entre
eux, les Dartmouth et Beaver, faisaient partie des trois navires impliqués dans le célèbre Boston Tea
Party8 du 16 décembre 1773, où une cargaison de thé fut jetée à l’eau dans le port de Boston, en
réaction contre les nouvelles taxes imposées par les Anglais. Neuf francs-maçons dont sept de la loge
St. Andrew et deux de la Massachusetts Lodge s’étaient chargés du travail9. Les Rotch, armateurs pour
le compte de l’Angleterre, s’opposèrent aux Insurgents, en particulier – physiquement - à John

4
A la veille de la guerre, on comptait près de 300 navires baleiniers pour le seul Nantucket !
5
Rappelons que Nantucket est une île.
6
ALLEN William, Nantucket Quakers, Wales and the Revolutionary Wars.

7
New Essays on Phillis Wheatley, The University of Tennessee Press, 2011, page 316.
8
Voir Une escale mouvementée à Boston en 1773, in Travaux de la loge maritime de recherche La
Pérouse, Volume III, 2007.
9
RÉVAUGER Cécile, Le fait maçonnique au XVIIIe siècle en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis.
25
Hancock10, dont ils ignoraient évidemment la qualité de franc-maçon et surtout qu’il serait, trois ans
plus tard, l’un des neuf maçons signataires de la Déclaration d’Indépendance.
La France, vainqueur des Anglais en 1783 mais dont la balance commerciale était au plus bas du fait
de la guerre, vit dans cette situation un moyen de développer ses activités baleinières. Le traité de
Versailles du 3 septembre 1783 stipulait d’ailleurs, dans son article V… « Sa Majesté le roi de Grande-
Bretagne consent de son côté que la pêche assignée aux sujets de Sa Majesté très chrétienne,
commençant audit cap Saint-Jean, passant par le nord et descendant par la côte occidentale de l’île de
Terre-Neuve, s’étende jusqu’à l’endroit appelé Cap-Raye […] Les pêcheurs français jouiront de la pêche
qui leur est assignée par le présent article » etc.11
Louis XVI, beaucoup plus intéressé par les questions maritimes que ne le laisse croire l’imagerie
populaire, se préoccupait ainsi de l’avenir de la pêche française et de celle de la baleine en particulier.
Le 26 septembre 1786 fut signé un traité de réciprocité commerciale avec l’Angleterre. Les édiles de
Dunkerque réalisèrent rapidement que pour ce qui concerne la pêche à la baleine, ils avaient un
sérieux handicap face à Milford Haven où les Anglais entretenaient une flottille de 30 navires
baleiniers. Pour cette raison, à l’instigation du contrôleur général des finances Calonne, ils lancèrent
un appel aux Nantuckois et de 1786 à la veille de la Révolution, une colonie de cinq cents d’entre eux
s’établit dans le grand port flamand, femmes et enfants compris. Le trésor royal était même allé
jusqu’à subventionner les frais de voyage des baleiniers, à hauteur de six mille livres tournois !
Pourquoi Dunkerque ? La pêche à la baleine y est très ancienne : dans les archives du Conseil de
Flandre et du Conseil privé à Bruxelles, on trouve quatre documents12 concernant la période 1616-
1619 où un certain John Klarke arme deux navires pour le Groenland13. Les autorités avaient décidé un
vaste plan de remise en état du port dont le budget s’élevait à près de quatre millions de livres. Il
s’agissait de déblayer les bassins mis à mal par les guerres successives, de construire des quais là où
précédemment les navires s’échouaient, et de les équiper en grues.
Encore fallait-il établir les contacts nécessaires. Le hasard voulut qu’à Dunkerque un entrepreneur
portuaire nommé François Coffyn14, d’origine nantuckoise et gérant de la société Aget-Kueny-Coffyn,
après avoir entretenu une volumineuse correspondance avec Calonne et l’Intendant des pêches, mit
en route son réseau relationnel et contacta quelques amis, dont l’armateur William Rotch qui avait
pris la tête de la croisade pour la neutralité dans le conflit anglo-américain.
Rotch, après avoir hésité entre une implantation en Angleterre avec ses 25 navires parmi les 150 que
comptait la flotte baleinière nantuckoise, où il aurait pu concurrencer l’ancien ennemi plus
directement, après s’être rendu avec son fils Benjamin en Angleterre pour tenter de se faire entendre,
mais sans succès, décida finalement quelques partenaires, capitaines armateurs comme lui, Thubael
Gardner, Benjamin Hussey, Richard et Paul Coffyn, à transférer leurs activités à Dunkerque. Les Anglais
n’avaient en effet jamais répondu à ses propositions. Gardner fit un séjour à Paris puis, avec Husseys,
s’installa en 1786 à Dunkerque avec mission royale de ressusciter la pêche baleinière dans ce port.
François Coffyn15 avait avancé une partie des frais d’installation à hauteur de 1800 livres en toute

10
BOUDAUD Marie-France, Comparaison entre le rôle des Hancock et celui des Rotch dans la naissance
des États-Unis d’Amérique à travers les industries morutière et baleinière (1755-1815), thèse de
doctorat, Université d’Orléans, 2006.
11
Les Grands Traités du règne de Louis XVI, cité par M. Vergé-Franceschi in Chronique maritime de la
France d’Ancien Régime, p. 701.
12
Archives communales de Dunkerque, série 48, registre 13, f° 91, 28, 298 et registre 14, f° 7.
13
CAILLAUD Jef, Documents inédits sur la pêche à la baleine dunkerquoise au XVIIe siècle, in Revue
historique de Dunkerque et du littoral, n° 34, 2000.
14
Ou Coffin, selon les sources. Selon Augustine Jones, Paul Coffyn, né près de New Bedford en 1759,
était le fils d’un esclave né en Afrique et d’une mère indienne.
15
Coffyn est un nom connu dans les milieux du commerce dunkerquois : Benjamin Coffyn (1778-1869)
était armateur à Islande avant d’être maire puis sous-préfet. Jules Coffyn (1808-1887) fut directeur de
26
confiance, cette s’ajoutant à l’aide financière apportée par le roi ; peut-être ce Coffyn avait-il un lien
de parenté ou d’affaires avec les frères nantuckois Richard et Paul16. On fit venir de Nantucket les
meilleurs harponneurs, condition absolue du succès, et l’on négocia l’exemption des droits sur les
huiles. En contrepartie, les Nantuckois durent naviguer sous pavillon français.

Un baleinier du Nantucket
The Nantucket Whaler Atlas, tous droits réservés

Les avantages (liberté de culte, déménagement remboursé, logement accordé, prime de 50 livres par
tonneau, exemption des droits d’entrée sur la pêche, choix des équipages et construction d’un chantier
de radoub17) ne suffisant pas pour lancer l’aventure, Rotch se rendit à Paris pour plaider sa cause, et
obtint un prêt de 30 000 livres du gouvernement en donnant sa flotte en garantie, sur trois ans.
Sachant qu’il avait l’appui de Versailles, Rotch posa ses conditions : d’abord la libre pratique de leur
religion « selon les principes du peuple nommé quaker » ; et surtout l’exemption totale de toute
réquisition militaire, quelle qu’elle soit. Sur le compte rendu de séance, Rotch note simplement :
« accepté ». Comme en Amérique ou lors de son récent voyage à Londres, il rencontre d’importantes
personnalités politiques comme Calonne, contrôleur des Finances, Vergennes, secrétaire d’État aux
Affaires étrangères, Castries, ministre de la Marine etc. Après un court voyage à Londres – à nouveau
Rotch soigne ses arrières – il revient à Paris pour apprendre que le roi a donné son plein accord au
projet. La convention est signée le 16 mai 1786. Apprenant la chose, les Anglais se formalisent et lui

la Banque de France. Grand amateur de tableaux, il fonda une galerie de peinture qui porta son nom.
La famille était originaire d’Angleterre, émigrée aux Etats-Unis en 1642 ou elle s’impliqua dans la pêche
à la baleine pendant près de deux siècles. Il existe encore de nos jours une famille Coffin à Dunkerque.
16
DEMOLIÈRE Pierre, Les Nantuckois, in Mémoires de la Société Dunkerquoise, Volume 50, 1909.
Dans Moby Dick, Hermann Melville utilise la forme Nantuckais.
17
PFISTER-LANGANAY Christian, Ports, navires et négociants à Dunkerque.
27
font de nouvelles propositions. Rotch repartit alors pour le Nantucket pour y chercher son épouse et
ses filles Lysia et Mary. Après un voyage de trente-huit jours, ils arrivèrent à Dunkerque pour trouver
leur entreprise florissante.

William Rotch Sr. (1734-1828)


Nantucket Historical Association, tous droits réservés
En trois ans l’industrie baleinière dunkerquoise avait repris force et vigueur. Depuis l’arrivée des
premiers émigrants du Nantucket – les équipages devant parfois commencer comme harponneur ou
matelot chez des armements français - les baleiniers américains mirent en ligne jusqu’à trente-six
navires en 179218, ce qui entraîna l’embauche de plusieurs centaines de matelots.
Les Nantuckois – neuf familles totalisant trente-trois personnes - s’installèrent provisoirement avec
familles, armes et bagages dans les bâtiments de l’ancienne corderie, dans l’attente d’une
implantation définitive dans le quartier dit « de l’île Jeanty ». Rotch avait fait école : deux de ses
concurrents nantuckois le suivent à Dunkerque dès 1786 ; d’autres l’imitèrent jusqu’en 1792.
Le 18 septembre 1786 eut lieu le premier départ pour les côtes brésiliennes, avec les baleiniers Canton,
Marie et Etats-Unis. Le succès fut immédiat, ce dernier navire rapportant à lui seul l’huile de treize
baleines et trois cachalots. En réaction les Anglais n’hésitent pas à contre-attaquer par des méthodes
frauduleuses, déclarant par exemple de l’huile de baleine comme « huile de veau marin », pour
bénéficier de droits de douane plus réduits.
L’expérience professionnelle des Nantuckois dépassait de loin celle des Français. Le 15 août 1787
l’Intendant de la Marine à Dunkerque s’extasiait en ces termes… Vous avez bien raison de croire que
les Nantuckois s’entendent infiniment mieux que nous à la pêche à la baleine. Bientôt en effet ils prirent
le pas sur les Français, tant quant aux résultats des campagnes sur les côtes du Brésil que dans la
commercialisation des huiles, allant jusqu’à mettre en danger les armateurs baleiniers locaux
Debaecque, Gannau ou Morel. Leurs méthodes de pêche connurent un véritable succès. Diverses
mesures protectionnistes les avantagèrent plus encore… aussi longtemps qu’il y avait de l’argent dans
les caisses du Royaume.

18
DU PASQUIER Thierry, Les baleiniers français au XIXe siècle, Terre et Mer Grenoble, 1982.
28
Les relations entre les Américains et le secrétaire d’État à la Marine, le duc de Castries, commencèrent
à se dégrader en 1789, et les profits à fondre au point que Rotch dut mettre en vente quatre de ses
navires, sans y parvenir. Les mauvais coups et les mesures malveillantes se multiplièrent et les
Nantuckois sentirent le vent de l’opinion dunkerquoise se retourner contre eux. Les Anglais n’étaient
pas étrangers à ce revirement et jouèrent le jeu de la concurrence parfois à la limite de l’honnêteté.
William Rotch qui fit plusieurs allers et retours entre l’Amérique et la France, revint à Paris en 1790
pour une entrevue avec La Fayette, le secrétaire d’État à la Marine, le comte de La Luzerne, et Thomas
Jefferson, entrevue qui ne se passa pas bien, Jefferson étant persuadé que Rotch cherchait à saper les
intérêts américains au profit des Nantuckois et de leur situation de quasi-monopole à Dunkerque19.
En 1791 il y eut encore treize départs en campagne, l’année suivante trois et en 1793 seuls deux
baleiniers nantuckois partirent.
L’année précédente Rotch avait rencontré le délégué d’un mouvement pacifiste méridional nommé
« Les Inspirés », Jean de Marcillac qui, lors d’un séjour en Angleterre, avait découvert le mouvement
quaker et avait regagné le continent via Dunkerque, accompagné de quelque quakers anglais et
irlandais. La rencontre avec Marcillac donna son essor au quakerisme en France, qui eut toujours des
effectifs très modestes mais existe encore de nos jours bien que ses pratiques endogamiques n’aient
pas favorisé son développement. L’aide des quakers américains après les deux guerres mondiales lui a
permis de survivre.
William Rotch, son fils Benjamin et Marcillac, grâce aux relations qu’avait ce dernier chez les Girondins,
décidèrent de lancer un appel à la paix devant l’Assemblée Constituante, ce qui fut fait le 10 février
1791 devant un Parlement où la foule se pressait, intriguée par l’étrangeté de l’intervention. Les
visiteurs renouvelèrent leurs exigences… « qu’il leur fût permis de continuer à suivre leurs usages
religieux, et surtout d’être dispensés du serment et de la profession des armes » et « plaidèrent en
faveur d’une révolution non violente qui s’inspirerait de l’expérience sacrée de la Pennsylvanie et de
la neutralité de Nantucket pendant la guerre d’Indépendance des Etats-Unis 20». Mirabeau leur avait
alors rétorqué que… « l’usage des armes ne blesse pas la conscience lorsqu’il s’agit de défendre la
liberté »21.
C’est le seul écho que rencontra leur demande. La seule arme que s’autorisaient les baleiniers était le
harpon ; quant à la notion de liberté elle leur était chère puisque, protestants libéraux, la liberté de
penser était le fondement de leur religion, qu’ils pratiquaient assidûment si l’on en croit le Journal de
William Savery, quaker américain qui sillonna la France pendant la Révolution. Le 8 février 1797 il
écrivait… « Nous arrivâmes vers 5 heures à Dunkerque et descendîmes chez notre Ami22 Benjamin
Husseys. David s’y installa, mais Benjamin Johnson et moi-même allâmes chez une veuve, Judith
Gardners, qui dirige une pension de famille. Elle est de Nantucket. C’est une Amie dont le mari est
mort en mer depuis leur établissement ici […] et le 12 février… Nous avons eu un culte quaker chez
Benjamin Husseys. Il y avait de la place pour 70 à 80 personnes, mais nous n’étions qu’environ 30. La
moitié était des Amis, vieux et jeunes. Il y avait plusieurs Américains et quelques Dunkerquois »…
Le lendemain de leur intervention devant l’Assemblée nationale, Rotch, Marcillac et leurs amis
rendirent des visites de courtoisie à diverses personnalités dont
Talleyrand, évêque catholique dont ils ne perçurent pas la duplicité et l’affairisme et qui se
désintéressa totalement de leur projet, et Jean-Paul Rabaud Saint-Étienne (1743-1793), pasteur
protestant de Nîmes - deux francs-maçons mais les Rotch l’ignoraient. William estime que ce dernier
est… « un homme de grande valeur et une bénédiction pour ceux qu’il a sous ses ordres ».
Survint la Révolution dont les excès choquèrent leur conscience. En 1790 ils demandèrent à repasser
sous pavillon américain. Ils avaient jusqu’alors armé 52 navires qui avaient rapporté cinquante mille

19
ALLEN Richard C., Nantucket Quakers, Wales and the Revolutionary Wars.
20
LOUIS Jeanne-Henriette, Relations entre les quakers de France et la coordination française pour une
culture de non-violence et de paix, assemblée générale de Congénies, 2013.
21
Abbé Grégoire, Histoire des sectes religieuses, cité par Henry van Etten, in Chronique de la vie quaker
française.
22
Les Quakers formaient la “Société des Amis”, ce qui justifie la majuscule systématique.
29
barils d’huile de baleine et cinq cent mille livres de fanons au cours de campagnes qui les avaient
amenés en Islande, au Groenland, dans l’océan Indien et au large du Chili. En février 1792 une
insurrection eut lieu à Dunkerque, fondée sur une rumeur selon laquelle le blé était exporté. Plusieurs
maisons appartenant à des négociants furent attaquées, leur mobilier entièrement détruit ; quelques
familles quakers perdirent des biens mais il n’y eut pas de victimes.
L’atmosphère restait néanmoins tendue ; à la suite de la victoire sur l’Autriche, le maire de Dunkerque
ordonna d’illuminer les façades mais Rotch refusa au prétexte que, s’agissant d’une victoire militaire,
leurs principes s’opposaient à toute réjouissance. Le maire ne s’avoua pas battu et fit ériger un mât
illuminé devant la porte de notre armateur au motif que… « si la maison lui appartient, la ville est
propriété de la mairie ».

Harpons de baleiniers
(Source : Michel Barré, Manière de pêcher la baleine…)

La poule aux œufs d’or avait été tuée… Rotch, estimant sa mission terminée et craignant une nouvelle
guerre contre l’Angleterre et la saisie de ses navires, repartit pour les Etats-Unis le 19 janvier 1793 avec
le Swan et le Canton, après une halte de sept mois à Londres. Implanté dans le nouveau port baleinier
de New Bedford, il y relança la pêche alors que son fils Benjamin, qui avait préféré rester en Europe,
fit de même à Milford Haven au Pays de Galles, où son autre fils William Junior allait développer la
pêche baleinière dans des proportions qui firent de ce port le plus florissant d’Europe. D’autres
restèrent à Dunkerque et y firent souche comme ce Nantuckois qui commandait encore L’Aimable
Nanette en 1830. Chez ces derniers, les équipages se souvenaient de la vie très dure que leur
imposaient les capitaines quakers. Leur religion leur interdisait l’alcool. En 1787 l’équipage du Comte
de Vergennes s’était révolté contre son capitaine qui avait fait remplir de moitié d’eau les tonneaux de
rhum, le maltraitant par une nourriture insuffisante. Deux ans plus tard c’est l’équipage de William
Rotch qui se mutina et débarqua en Islande. Qui se révolta ? Les matelots américains, habitués à
l’abstinence en tant que quakers, ou leurs collègues dunkerquois ?

30
La pêche à la baleine ne reprit avec succès que vers 1820 avec le départ du brick L’Aimable Nanette,
dont le capitaine s’adjoignit comme second le dernier Nantuckois dunkerquois, Hussey, peut-être le
fils du Benjamin dont nous avons fait la connaissance plus haut, encore qu’il s’agisse d’un patronyme
extrêmement répandu à Nantucket.
Les baleiniers quakers s’étaient parfaitement intégrés à la population dunkerquoise où leur religion
était cependant totalement inconnue23. Le protestantisme calviniste s’était implanté dans la région
dunkerquoise dès 1534 mais personne n’avait jamais vu ces hommes entièrement vêtus de noir et
portant un large chapeau de même couleur, la Bible sous le bras, et qui ne se réclamaient d’ailleurs
pas du calvinisme mais revendiquaient une indépendance et la liberté de penser24.
On s’est demandé s’il y n’avait pas d’incompatibilité entre l’appartenance à la religion quaker et celle
à la franc-maçonnerie. En effet cette dernière implique un engagement solennel, voire un serment,
pris sur la Bible ou tout autre Livre de la Loi Sacrée. Les quakers qui ne se rattachaient à aucune école
notoire de pensée et dont la spiritualité n’était axée que sur la liberté de conscience et le contact
personnel avec le divin, étaient défavorables à toute forme de serment. Ils s’en tenaient à l’Épître de
Jacques25 qui disait… Avant toutes choses, mes frères, ne jurez ni par le ciel, ni par la terre, ni par aucun
autre serment. Mais que votre oui soit oui, et que votre non soit non, afin que vous ne tombiez pas sous
le jugement. Leur totale indépendance d’esprit et leur rejet de toute structure ecclésiale – ils n’avaient
ni pasteurs, ni liturgie, ni dogmes, ni sacrements – faisaient qu’ils n’abordaient le symbolisme que par
l’exégèse des textes bibliques sous le contrôle de l’Esprit, et rejetaient toute influence externe sur leur
pensée. A priori on pouvait donc parler d’incompatibilité avec la maçonnerie. Les quakers
considéraient que l’intolérance était contraire à la raison et à la loi naturelle. Ils refusaient
l’esclavagisme, le mariage hors de leur communauté et les autres dérives de la société américaine
qu’ils considéraient comme pervertie, jusqu’à limiter au maximum tous contacts avec elle. Ils n’avaient
donc aucune raison d’être attirés par la maçonnerie, bien que selon certaines sources26, William Penn
(1644-1718), fondateur de la Pennsylvanie en 1682 et l’un des plus célèbres quakers, aurait été franc-
maçon, bien qu’il ne reste aucune trace de son appartenance. Plusieurs loges américaines portent son
nom, ce qui ne constitue pas une preuve.
En Angleterre il semble que la qualité de quaker fut diversement interprétée par la Grande Loge. Ainsi
Sir Joseph Dinsdale, éminente personnalité londonienne des années 1900, initié le 19 janvier 1880
dans la Grand Master’s Lodge était quaker27 alors que la candidature de William Martin28, sans doute
simple marin, dans la Lodge of Industry de Londres fut rejetée parce qu’il était quaker !
Parmi les capitaines ou armateurs nantuckois dont nous connaissons les noms, noua n’avons donc pas
été surpris de constater qu’aucun n’apparaissait sur les Tableaux des loges Amitié et Fraternité ou La
Trinité de 1785 à 1793. Seuls apparaissent des visiteurs, tous capitaines baleiniers, comme Jean
Musschert, John Percy White, John Coffyn Whitney, tous de l’Union Lodge de Nantucket, ou Ferger
Neeskeel et High Williams, capitaines new-yorkais. Ce n’était certes pas le problème de la langue qui
en était un obstacle puisqu’ils s’étaient bien intégrés dans la société dunkerquoise. Les quakers étaient
non seulement non-violents mais ils étaient également opposés à toute forme de réunion secrète et il
semble qu’avant la guerre d’Indépendance, il n’y eut que très peu de maçons parmi eux. Dans
Yesterday’s Island du 20 août 200929, il est toutefois fait mention d’un certain Jethro Hussay qui était
à la fois quaker et franc-maçon et fut même Vénérable à cinq reprises de l’Union Lodge de Nantucket

23
Le droit d’exister ne fut reconnu aux protestants qu’avec l’Édit de Tolérance de 1788. Un registre
d’état-civil réservé aux « non-catholiques » fut aussitôt ouvert à Dunkerque.
24
Pour les quakers de tendance libérale. Il existe une autre tendance, dite « évangélique », beaucoup
plus traditionaliste et dogmatique.
25
Jacques 5, 12.
26
Masonry in US History (http://web.mit.edu/dryfoo/Masonry/Essays/jdcarter.html) ; Texas Grand
Lodge Magazine n° IX, 2000.
27
Archives de la Grande Loge Unie d’Angleterre, GBR 1991 P 10/5/25.
28
Archives de la Grande Loge Unie d’Angleterre, GBR 1991 ANT 1/1/4.
29
www.yesterdaysisland.com/archives/articles/16.php
31
après la Révolution, mais qui fut vivement blâmé par les « anciens » de son assemblée religieuse pour
avoir loué une salle de réunion à la loge !
Comme pour beaucoup de marins, la longueur des campagnes qui dépassaient souvent deux ou trois
années, en était la cause réelle. Le dépouillement de nombreux Tableaux de loges portuaires montre
clairement que si certains capitaines ont bénéficié d’un passage au degré de Compagnon ou d’une
élévation à celui de Maître particulièrement rapide pour cause d’appareillage prochain, d’autres sont
restés Apprentis plusieurs années simplement pour cause de longue absence. Ainsi le 20 juillet 1780
la planche tracée de la loge Tun Tavern de Philadelphie relate-t-elle que… « le Frère Worrell, du fait de
l’appareillage immédiat de son navire, fut élevé au degré de Maître Maçon ». Ou encore ce Frère John
Marsh de Portsmouth écrivant au Frère Abraham Savage de Boston que… « la loge de Portsmouth ne
pourra pas être représentée à la Tenue de Grande Loge car le temps et la navigation en cette saison
de l’année sont très incertains et la grande hâte qu’ont nos Frères de livrer leurs marchandises aux
Antilles fait qu’ils ne pourront pas être présents pour l’occasion »30.
Les quakers américains auraient cependant trouvé bon accueil auprès des loges Amitié et Fraternité
ou La Trinité au sein desquelles la profession maritime était largement représentée.
Il va nous falloir attendre de nombreuses années avant de retrouver un William Rotch, Benjamin
Hussey et Paul Coffin sur les Colonnes de l’Union Lodge de Nantucket.
Le bibliothécaire de la Grande Loge du Massachusetts nous a envoyé copies de trois fiches
signalétiques de cette loge : celle de Benjamin Hussey, initié le 4 août 1823, passé le 5, élevé le 6 et
décédé en 1844 ; Paul Coffin a reçu les trois degrés bleus le 3 février 1806. On peut être surpris de ces
dates à un double titre, d’abord l’extrême rapidité de l’accession au degré de Maître – on sait qu’elle
est une pratique courante aux Etats-Unis - mais aussi l’âge d’entrée en maçonnerie : admettant que
Benjamin Hussey, qui était déjà armateur baleinier en 1785, a dû naître vers 1760, il avait 63 ans lors
de son initiation. Quant à William Rotch, sa fiche ne mentionne curieusement aucune date mais on
peut supposer que s’il fut initié, ce ne put être qu’après 1802 car une Planche tracée du 13 mars de
cette année-là dit… « […] Voté que nous achetions un terrain appartenant à William Rotch, dont il
demande 1200 livres »31. Si Rotch avait déjà été maçon, la planche eût sans doute précisé « le Frère
William Rotch »32. Son nom n’apparaît toutefois pas dans la suite du Livre d’Architecture de la loge et
il n’était pas présent à la Tenue du 27 décembre 1802 dont tous les noms des assistants nous sont
connus. Un autre détail rend sa fiche suspecte : elle porte la mention « a signé la déclaration de Boston
en 1831 ». Or William Rotch (père) était décédé depuis le 16 mai 1828, à l’âge de 94 ans, à New Bedford
où il s’était retiré.
Nous devons donc retenir l’hypothèse selon laquelle il s’agit de son fils William Junior (1759-1850).
Nous savons par Augustine Jones que de 1788 à 1818 il fut administrateur du Congrès annuel des
quakers en Nouvelle-Angleterre et son premier président. Il est donc le seul Rotch à avoir pu signer la
« Déclaration de Boston ».
Nous constatons que sur sa fiche apparaît à droite du prénom l’initiale « R » (pour Rodman),
conformément à l’usage qui veut qu’aux Etats-Unis, sur les documents administratifs, l’initiale centrale
apparaisse après le prénom.
Il y avait à l’époque peu de loges à New Bedford, et leur fusion avec des loges plus récentes n’a pas
permis de retrouver sa trace. William Rotch (fils) a donc connu l’affaire Morgan33 et les effets
désastreux qu’elle eût sur la maçonnerie américaine, essentiellement à New York, en Nouvelle-
Angleterre et à Nantucket34. Il signa l’appel désespéré que mille neuf cents Frères du Massachusetts

30
Rapports de la Grande Loge du Massachusetts, 1792-1815, in Transactions of the American Lodge
of Research, Volume I, n°1, page 27.
31
STARBUCK Alexander, A Century of Free Masonry in Nantucket.
32
Ce terrain a d’ailleurs servi à construire le nouveau temple de la loge.
33
Sur l’affaire Morgan, on lira avec intérêt la communication de Ronald M. Goldwin, membre de
l’American Lodge of Research, publiée par la Lettre du Cercle de Correspondance Thomas Dunckerley
n° 12 de février 2008.
34
Le quotidien Nantucket Explorer en particulier se déchaîna en propos antimaçonniques.
32
lancèrent dans la presse locale35, connu sous le nom de « Déclaration de Boston », pour tenter de
rétablir la vérité aux yeux de l’opinion publique.
Il ne faisait pas bon à l’époque d’être franc-maçon dans les États de la côte Est. La désertion des
Colonnes entraîna rapidement des problèmes de trésorerie dans les loges. Dans le Massachusetts on
tenta d’interdire aux maçons tout emploi public ; on leur interdit même d’être juré lors d’un procès
car leur conception du serment avait été mise à mal dans l’affaire Morgan.
Jusqu’au 7 février 1842, l’Union Lodge de Nantucket ne se réunit plus qu’une seule fois par an et ne
retrouva ses pleins effectifs, soit 47 Frères, qu’en 1856 ! Tombée en décrépitude, elle connut plusieurs
déménagements, un incendie dont ne furent sauvés que le Livre d’architecture et les bijoux, elle vit
ses effectifs s’effondrer, une école occuper ses locaux, les chandeliers vendus pour cinquante dollars
et sa mise en sommeil pour dix ans36. La Charte constitutive qui avait disparu dans l’incendie dut être
renouvelée.

Certificats d’initiation, passage et élévation de Benjamin Hussey et Paul Coffin


(Source : archives de la Grande Loge du Massachusetts)

35
Salem Gazette du 8 novembre 1831. Le manifeste fut signé par 6000 maçons de Nouvelle-Angleterre
dont 1469 du Massachusetts et 437 de Boston.
36
DOLIBER Ronald, History of Philanthropic Lodge of Marblehead
http://www.marbleheadmasons.org/lodgehistory/expandedhistory.pdf

33
William R. Rotch (fils) (1758-1850)

William Rotch fut un homme d’affaires avisé et profondément honnête – sa foi quaker l’y obligeait -,
dévoué au bien de sa ville et de son métier, diplomate quand il le fallait et armateur consciencieux qui
légua à ses fils William et Benjamin une affaire saine et bien gérée. Digne héritier du fondateur de la
Pennsylvanie, William Penn, adepte de ce qu’on a appelé « La Sainte Expérience », laboratoire d’une
révolution non violente mais qui a néanmoins glissé vers une guerre d’Indépendance qui fit des milliers
de victimes ; résident d’une ville comme Nantucket dont les deux tiers des habitants étaient quakers,
William Rotch a entraîné son île sur la voie de la neutralité ; il est aujourd’hui pratiquement ignoré
sous nos latitudes.
Comme l’écrit son biographe Augustine Jones avec sans doute un peu trop d’emphase... La carrière
d’un homme à la personnalité forte mais tempérée par des convictions religieuses sincères et
profondes, une conscience faite de sensibilité, qui, par des coups de maître, établit et développa une
grande industrie et influença le commerce mondial, ne devra jamais être oubliée. Son digne exemple
est l’héritage de l’humanité qui devra être chéri à tout jamais dans les annales de l’histoire des
hommes37.
Nous avons simplement tenté de le sortir de l’oubli.

*
**
***

37
JONES Augustine, William Rotch of Nantucket.
34
SOURCES CONSULTÉES

ALLEN Richard C., - Wales and the Revolutionary Wars, University of South Wales.
- Nantucket Quakers and the Milford Haven Whaling Industry, c. 1791-1821. Quaker Studies n°
15/1, 2010.
BARRÉ Michel, Manière de pêcher la baleine, transcription du manuscrit inédit d’un capitaine baleinier français de la
première moitié du XIXe siècle, tapuscrit inédit, 2003.
BONNEL Ulane, Les Quakers pêcheurs de baleines à Dunkerque et Lorient sous Louis XVI, in Neptunia n° 94, 2ème semestre
1969.
CABANTOUS Alain, La mer et les hommes, pêcheurs et matelots dunkerquois de Louis XIV à la Révolution, Westhoek-
Éditions, 1980.
DEMOLIÈRE P., Les Nantuckois in Mémoires de la Société Dunkerquoise, volume 50, 1909.
DERODE Victor, Histoire de Dunkerque, Reboux, imprimeur à Lille, 1852.
DOLIBER Ronald, History of Philanthropic Lodge of Marblehead.
JONES Augustine, William Rotch of Nantucket, The American Friends Pub. Co. Philadelphie 1901.
LEACH Robert et GOW Peter, Quaker Nantucket: The Religious Community Behind the Whaling Empire, Mill Hill Press,
1997.
LEMAIRE Louis, Histoire de Dunkerque, Éditions Culture et Civilisation, Bruxelles, 1976.
LOUIS Jeanne-Henriette, Les Quakers, Éditions Brepols, 2005 ; La pétition de 1791 à l’Assemblée Nationale, in Actes du 1er
Colloque du Centre Quaker de Congénies, octobre 2008 et L’Amérique et la France, deux révolutions, Publications de la
Sorbonne 1990, pp. 205-210.
PFISTER-LANGANAY Christian, Ports, navires et négociants à Dunkerque (1662-1792), Éditions du CNRS, 1985.
RÉVAUGER Cécile, Le fait maçonnique au XVIIIe siècle en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, Edimaf, 1990.
ROTCH William, Memorendum written by William Rotch in 1814, in the eightieth year of his life, archives des Quakers (Les
citations de William Rotch sont extraites de ce Journal).
STARBUCK Alexander, A Century of Free Masonry in Nantucket, 1903, réédition Amazon.
VAN ETTEN Henry, Chronique de la vie quaker française, Éditions Ampelos, 2009.

Tableaux des loges dunkerquoises Amitié et Fraternité et La Trinité, Bibliothèque Nationale Paris, Fonds maçonnique FM2 228
et 229.
Tableaux (partiels) de l’Union Lodge de Nantucket.

BIBLIOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE
Travaux universitaires disponibles

BOUDAUD Marie-France, Comparaison entre le rôle des Hancock et celui des Rotch dans la naissance des Etats-Unis
d’Amérique à travers les industries morutière et baleinière (1755-1815), thèse soutenue le 6 juillet 2006 à l’université
d’Orléans sous la direction de Jeanne-Henriette Louis, 850 pp.
LOUIS Jeanne-Henriette, William Rotch, quaker américain, et les anabaptistes-mennonites de Salem, avocats de la liberté
intérieure pendant la Révolution française, in Revue de littérature comparée n° 4, 1989, pp. 577-592 ; La pétition présentée
par Jean de Marsillac et William et Benjamin Rotch à l’Assemblée Nationale le 10 février 1791, L’Amérique et la France, deux
révolutions, Publications de la Sorbonne (1990), pp. 205-210 ; Le pacifisme des quakers américains, substrat d’une promesse
presque évanouie ? in Matériaux pour l’histoire de notre temps, juillet-septembre 2004, n° 74, pp. 86-95.
Mc DEVITT Joseph L., The House of Rotch, Massachusetts Whaling Merchants, 1734-1828, thèse, Garland Co., 1986.

REMERCIEMENTS

Prof. Richard C. Allen, University of Wales, Newport, Pays de Galles.


Cynthia Alcorn, bibliothécaire-archiviste de la Grand Lodge of Masons in Massachusetts.
Jeanne-Henriette Louis, agrégée d’anglais, maître de Conférences à l’université d’Orléans, (Centre Quaker de Congénies,
France).
Mark E. Furber, ingénieur civil de l’US Navy, membre de l’Anniversary Lodge of Research n° 175, Portsmouth, New
Hampshire, USA.

35
Envoi de notre F Yves Montel, Savorgnan de Brazza (suite)

A la découverte de l’Ogooué 1875-1878. A bord de la Vénus

La Vénus (©Musée de la Marine)


Mis à la disposition de l'amiral du Quilio, commandant des forces navales de l'Atlantique sud, Brazza
découvre l'embouchure de l'Ogooué. Ce voyage détermine sa volonté d'explorer cette tache blanche
sur les cartes de l'Afrique, "quello spazio bianco superiore in estensione a tutta l'Europa". En juin 1874,
à bord du navire la Vénus, il rédige un rapport à l'attention de l'amiral de Montaignac. Brazza pense
que l'Ogooué est le déversoir des grands lacs africains et une voie de pénétration vers l'intérieur :
"Je compte le remonter aussi loin que possible. S'il n'a pas un cours aussi considérable que je le pense,
je le quitterai, et sans penser au retour je m'enfoncerai vers l'Est-Nord-Est ; à bout de ressources je
m'arrêterai chez les différentes peuplades et apprenant leur langue, lentement il est vrai, je pourrai
peut-être continuer ma route à la recherche des lacs ou du fleuve par où doit s'écouler la grande masse
d'eau qui tombe sous l'Equateur...".
Dans l'exaltation de sa jeunesse, il s'imagine même trouver la mort.
Il pense rencontrer dans le haut du fleuve "des peuples inconnus et peut-être plus hospitaliers que ceux
qui avoisinent les Blancs". Il est certain que sa demande sera écoutée.
La préparation du voyage
Le rapport de Brazza est accueilli favorablement par l'ingénieur Ploit en juillet 1874 qui pense
nécessaire d’encourager les hommes jeunes "qui avec une certaine témérité se lancent dans des
régions qui n'ont pas été encore parcourues". Brazza envoie un rapport complémentaire le 15
décembre, très détaillé sur l'itinéraire, la liste des effectifs, les moyens et les approvisionnements
indispensables. Le Contrôle central de la Marine est contre le projet. Le retrait de la France du Gabon
avait même été envisagé peu de temps avant. C’est le début d’une hostilité qui durera jusqu’à la fin de
la vie de Brazza.
Brazza est français depuis 1874. Mais est-ce suffisant pour confier à un homme de 23 ans qui n'a pas
encore fait ses preuves, qui n’a jamais commandé de navire, une mission avec des moyens
relativement importants ? Brazza est toujours le protégé de l'amiral de Montaignac, alors ministre de
la Marine et des Colonies : "j’ai décidé en conséquence que vous effectuerez ce voyage dans les
conditions énoncées dans votre travail et que le département de la Marine vous prêtera en personnel
et matériel le concours que vous avez demandé".
Brazza part pour Dakar où il arrive le 29 août 1875 : des démarches ont déjà été faites pour recruter
des laptots. Alors qu’il rêvait de voyager seul comme Livingstone, il part avec trois compagnons de
route : Noël Ballay, docteur en médecine, le quartier maître Hamon qu'il a connu à bord de la Vénus
et le naturaliste Alfred Marche.

36
Forêt équatoriale (©CAOM)
De Libreville à Lambaréné
Brazza arrive à Libreville le 20 octobre 1875 avec 13 laptots, quatre interprètes et le matériel : "90
caisses en tôle soudée pesant chacune environ 22 kilogrammes, 26 caisses en fer blanc pesant environ
50 kilogrammes renfermaient nos menues marchandises, étoffes, perles, couteaux, glaces etc., poudre
et cartouches. Dans 40 autres colis étaient empaquetées nos marchandises encombrantes telles que
cuivres, sabres, fusils de traite". Parmi les objets de pacotille qu'il emmène pour impressionner les
populations locales on trouve " des feux de Bengale, pyramides d'Egypte, étoiles pour pistolets,
bouquets de couleur ". Le 3 novembre, le vapeur le Marabout commence à remonter l'Ogooué jusqu'à
Lambaréné qu'il atteint le 13 novembre. Lambaréné est le point extrême des établissements
européens. C'est aussi le village des Inenga et du roi aveugle Rénoqué décrit par le lieutenant de
vaisseau Aymès. Brazza lors de son voyage sur la Vénus avait étudié avec soin la région, y compris le
monopole commercial des tribus de l'Ogooué. La navigation sur le fleuve était en effet très
réglementée : les Galois et les Inenga remontaient jusqu'à Lopé, pays des Okanda. Plus haut à Sam
Quita on trouvait les Bakalais qui accompagnaient chez les Adouma et les Ossyeba. Brazza reste deux
mois à Lambaréné avant de pouvoir repartir, essayant à force de palabres et de cadeaux d'obtenir des
pirogues et des pagayeurs, promettant aux tribus de leur fournir des produits européens. Il quitte
finalement Lambaréné le 11 janvier avec neuf pirogues.

Carte de l’Ogooué, de l'Alima et de la Licona (© CAOM)


Des Okanda aux Apfourou
Brazza arrive à Sam Quita le 16 janvier, puis à Lopé, pays des Okanda, le 10 février où il rencontre
l'explorateur autrichien le docteur Lenz, bloqué là depuis un an. Lopé est un des principaux centres du
commerce des esclaves. De là il va aller pendant plusieurs semaines dans les villages environnants faire
des palabres, distribuer des cadeaux, user de ses pouvoirs de " magicien " dans l'espoir de pouvoir
continuer sa route. Sa patience force l'admiration. Le chef Mamiaca et son neveu Zabouré acceptent
de le conduire jusqu'au pays des Adouma. Il va y rester plusieurs mois, malade, en butte à l'hostilité
des Adouma qui ne veulent pas le laisser repartir, ou encore faisant des allers-retours incessants entre
ses différents points d'étapes. En juillet 1877 il fait de Poubara son quartier général. La déception est
grande : l'Ogooué n'est pas le grand fleuve qui pénètre à l'intérieur de l'Afrique.

37
Malgré leur déception Brazza et ses compagnons décident pourtant de poursuivre leur route dans les
pays Umbété et Batéké.
Les vivres commencent à manquer et les hommes marchent sans chaussures. En continuant vers l'Est
ils atteignent l'Alima, affluent de droite du Congo, et le pays des Apfourou.
La fin du voyage
Brazza et ses compagnons commencent la descente de l'Alima, monopole des Apfourou qui
rapidement hostiles les attaquent. Brazza rebrousse chemin, évitant de justesse l'embuscade et une
mort certaine. Ils doivent abandonner des caisses de marchandises. Il apprendra plus tard que les
Apfourou se sont battus vraisemblablement avec Stanley.
Hors d'atteinte ils affrontent encore la famine : "les fatigues et les privations que nos hommes
enduraient depuis longtemps les avaient mis en bien triste état ; la plupart d'entre eux souffraient de
plaies et retardaient singulièrement notre marche". Brazza prend dix porteurs et six hommes valides
pour pousser une dernière reconnaissance. Les autres redescendent sur l'Ogooué. Il continue vers le
nord. Il traverse le Lebai Ngouco et rencontre la Licona. "Mes pieds étaient tellement enflés que je dus
rester trois jours au même point avant de pouvoir me remettre en route. C'est en vain que le soir au
campement je demeurais de longues heures les pieds dans l'eau pour diminuer l'inflammation et que
je dormais les jambes en l'air et soutenues par des fourches". Il finit par rebrousser chemin devant
l'imminence de la saison des pluies. Il ne sait pas encore qu'à quelques jours de là il aurait rencontré
le Congo. Il retrouve ses compagnons sur l'Ogooué le 9 septembre. Le 6 novembre 1878 ils sont à
Libreville et le 6 janvier 1879, après trois ans d'absence, en France. L’été suivant il rédige pour le
ministre de la Marine un long rapport de trois cents pages sur son expédition.
A l’origine du Congo français 1879-1882. Avant le départ
A son retour en France, Brazza donne des conférences à la Société de géographie de Paris, à celle de
Rome, au congrès de Sheffield en Angleterre. Il est nommé enseigne de vaisseau, est décoré de la
Légion d'honneur. En août 1879, il est reçu en audience par le roi des Belges Léopold II qui lui expose
ses desseins pour l'Afrique et lui demande de participer à ses projets. "Sire, lui dit Brazza, je suis officier
français ; si vous désirez quelque chose de moi, c'est au gouvernement de mon pays qu'il faut que
votre Majesté s'adresse". En rentrant à Paris, Brazza fait part de son inquiétude.
Il sait par Léopold II que Stanley est déjà parti avec instruction de recruter des hommes, de fonder des
stations, de passer des traités avec les populations. Ce dernier a débarqué le 31 août à Banane. Brazza
vient d'envoyer son rapport au ministre de la Marine.

Brazza en tenue d'officier de marine

38
Dans une lettre du 8 septembre son ami Ballay s'impatiente : "Qu'y-a-t-il de nouveau ? As-tu vu les
ministres ? Sommes-nous autorisés à repartir ? ...Tu pars en Italie, ce qui me fait supposer que tout est
arrêté, car si nous avions dû repartir il y aurait urgence à le faire rapidement". Les événements
s'accélèrent. Brazza part le 27 décembre fonder deux stations scientifiques au nom de l'Association
internationale africaine. Il a reçu des subventions de la Société de géographie, du Comité français de
l'AIA, une promesse de crédits du gouvernement ; le personnel est fourni par la Marine. Mais la mission
n'est pas officielle.
L'Association internationale africaine
Très tôt le roi des Belges Léopold II rêve d'un empire colonial. Mais son pays est de tradition libérale
et libre-échangiste. En septembre 1876 il réunit à Bruxelles une conférence géographique africaine. La
France est représentée par de La Roncière Le Noury, président de la Société de géographie et Charles
Maunoir son secrétaire, par le marquis de Compiègne et Duveyrier. L'Angleterre compte parmi ses 10
représentants Verney Lovett Cameron ; l'Allemagne les explorateurs Nachtigal et Schweinfurth. Pour
le souverain, il s'agit "d'ouvrir à la civilisation la seule partie du globe où elle n'ait point encore pénétré,
percer les ténèbres qui enveloppent des populations entières". La conférence aboutit à la création de
l'Association internationale africaine (AIA) qui a pour but d'explorer les parties inconnues de l'Afrique
entre le bassin du Zambèze et le Soudan et de créer des "stations hospitalières, scientifiques ou
pacifiques". L'AIA est relayée dans les différents pays par des comités nationaux. Mais l'AIA n'est qu'un
paravent pour le roi. Léopold qui se méfie de Brazza engage Stanley déçu par l'indifférence de la
Grande-Bretagne. Un Comité d'études du haut-Congo, sorte de société financière, indépendant de
l'AIA, est constitué en août 1878. Le 17 novembre 1879 le Comité est remplacé par l'Association
internationale du Congo dirigée par Léopold II.
Le Comité français de l'Association internationale africaine
La section française de l'Association internationale africaine, créée en octobre 1876, compte dans ses
membres Antoine d'Abbadie , Duveyrier , Grandidier, Maunoir , le marquis de Montaignac, le baron de
Watteville, Marius Fontane. Elle est présidée par Ferdinand de Lesseps. Convoqué en novembre devant
la commission, Brazza explique son objectif. "M. de Brazza exposa un vaste plan d'occupation du Congo
dans lequel les stations devaient simplement lui servir de base d'opération. La société n'ayant pas de
fonds suffisants et craignant de faire œuvre politique ne voulut pas le suivre dans cette voie... Celui-ci
insistant sur la rapidité nécessaire au succès de l'entreprise dit alors dans un moment d'enthousiasme
: qu'on me donne 10 000 francs et dans mois j'aurai planté le pavillon français sur les rives du Congo.
Par la demande de M. Quatrefage il lui fut accordé 20 000 francs. Mais en même temps pour rattacher
ce voyage au but de la société internationale il fut décidé que M de Brazza choisirait l'emplacement de
la ou les stations à créer". Brazza a usé de tous les modes de persuasion : il a parlé d'apporter la
"civilisation", évoqué des perspectives de commerce et même de gloire pour la France.
Objectifs et méthodes
Brazza quitte Liverpool le 27 décembre 1879. Il est accompagné de l'élève mécanicien Michaud, du
deuxième maître de manœuvre Hamon et du matelot Noguez. Le ministre de la Marine, Jauréguiberry,
s’est engagé à lui fournir quatre interprètes et douze laptots et à faire acheminer le personnel. Ballay
doit le rejoindre plus tard avec deux vapeurs et du personnel.

39
Libreville dans P. Bory, Les explorateurs de l’Afrique (©CAOM)

Brazza arrive en mars 1880 à Lambaréné. Cette mission prévue pour huit mois devait durer deux ans
et demi. Aussitôt arrivé il remonte l’Ogooué. A-t-il compris qu’il ne devait que choisir l’emplacement
des stations et non s’occuper de leur fondation et de leur administration, celles-ci revenant au
lieutenant de vaisseau Mizon détaché de la Marine et désigné par le Comité ? Dans son rapport de
février 1880 à bord du Biafra il explique ses objectifs : « quant au choix des stations à établir, si leur
emplacement est encore à définir, je puis déjà néanmoins le circonscrire dans certaines limites, c'est-à-
dire que la première station sera établie dans le haut-Ogooué de manière à se trouver en
communication avec les dernières factoreries européennes de l'Ogooué… La seconde sera établie dans
le bassin du Congo dans un point favorablement choisi pour servir de base à l'action que nous voulons
exercer dans cette contrée ». Brazza ne veut surtout pas perdre de temps ; il s’agit d’arriver avant
Stanley. Pendant de longs mois il va rester sans nouvelles de la France.
La fondation de Franceville
Brazza remonte l'Ogooué et fonde Franceville le 13 juin 1880 au confluent du fleuve et de la rivière
Passa. "Monsieur le secrétaire général, j'ai l'honneur de vous informer qu'aujourd'hui à environ 1
heure de l'après-midi j'ai, au nom de la France, planté ici le pavillon de la première station que j'ai
fondée dans l'ouest africain... j'ai planté le pavillon en présence des chefs des environs qui ont reçu un
cadeau. Le pavillon a été salué par dix décharges de mousqueterie, quand j'ai dit : "Au nom de la
France, je plante ici le pavillon. Vive la France ! Vive la République !" Les hommes ont ensuite mis genou
en terre et j'ai dit "Que Dieu protège la première station française fondée dans l'ouest africain."

Case du commandant à Franceville (Paris, bibliothèque de l'Institut, photo RMN, © Gérard Blot)

Brazza à cette époque n'a reçu aucun courrier du Comité. Il pense que Ballay et Mizon ne vont pas
tarder à arriver. Mais il a hâte de repartir pour devancer Stanley. Le 25 juin il quitte Franceville et se
dirige vers le Congo. Il emmène avec lui celui qui est le chef de ses laptots, le sergent Malamine .(à
suivre)

40
Le langage des marins : par notre F Jean-Charles Meyer :

41
42
43
44
Le parler matelot par Pierre Sizaire

45
Le saviez-vous ?
Derrière beaucoup de coutumes, usages, traditions et expressions militaires se cachent bien souvent des anecdotes insolites,
amusantes ou historiques. Nous allons vous en livrer au fil de vos bulletins.
Et pour débuter l’histoire étonnante du bull-terrier Stubby, chien le plus décoré de la Première Guerre mondiale.
Il aurait pu être Maître-Chien de Noé !
Stubby : héros canin de la Grande Guerre

À son actif, dix-sept batailles et quatorze distinctions militaires pour ses divers actes de bravoure. Un
palmarès plus que respectable pour ce héros de la Première Guerre mondiale. Toutefois, ce soldat hors
pair n’est pas un combattant comme les autres, car il s’agit… d’un chien : du sergent Stubby, un jeune
bull-terrier américain.
Son histoire débute en 1917. Sur le campus de l’université de Yale, où s’entraînent les soldats avant de
partir sur le front, le caporal John Robert Conroy trouve un chiot errant. Attendri par les grands yeux
de ce bull-terrier, il l’adopte et le baptise Stubby en référence à son gabarit (stubby signifiant trapu en
américain). Inséparable de son nouveau compagnon, Conroy le ramène clandestinement au
102e régiment d’infanterie. Rapidement, l’animal devient la mascotte du régiment. Les soldats le
dressent et lui apprennent à faire le salut militaire, en posant sa patte au-dessus de son œil.
Mais l’unité de Conroy est désignée pour rejoindre les tranchées du nord de la France. Ne voulant pas
que Stubby soit abandonné une seconde fois, Conroy le cache dans ses bagages et l’embarque avec lui
à bord de l’USS Minnesota.
En février 1918, le 102e bataillon d’infanterie atteint les lignes de front et le chemin des Dames. Très
vite, Stubby s’habitue aux explosions et aux tirs constants, ainsi qu’à la vie dans les tranchées. Si la
plupart des soldats sont ravis de son arrivée, leur commandant l’est beaucoup moins. Ce dernier va
toutefois finir par changer d’avis, après que Stubby l’ait salué de la patte comme lui avait appris son
maître.
Stubby n’est pas une exception. Au cours de la Première Guerre mondiale, il n’était pas rare de trouver
des chiens sur le front. En effet, plus de cent mille participèrent au conflit. Ils servaient de réconfort
psychologique et de mascotte, mais permettaient aussi de prévenir les soldats des arrivées d’obus, de

46
gaz, pour trouver des blessés ou transporter des messages. Ainsi Stubby, grâce à son expérience et son
odorat, pouvait prévenir les attaques au gaz moutarde. Il pouvait également repérer le bruit des obus
bien avant que les soldats les entendent ou encore entendent les cris des blessés dans le no man’s
land pour que les équipes de brancardiers aillent les chercher.
Mais c’est un autre exploit qui va faire de lui une célébrité : dans une tranchée, aux côtés de son maître,
Stubby entend un homme murmurer quelques mots d’allemand. Il se met alors à aboyer, se précipite
sur lui et le neutralise en lui mordant le mollet. Arrêté par les soldats américains, l’homme avoue
rapidement être un espion allemand ! Grâce à cette capture, Stubby obtient le grade de sergent,
devenant plus gradé que son maître, caporal. Il est le premier chien à obtenir une telle distinction.
Après dix-huit mois au service du 102e régiment d’infanterie, Conroy et Stubby rentrent au Etats-Unis.
Le bull-terrier est alors accueilli en héros. Il rencontre trois présidents américains, participent à de
nombreuses cérémonies commémoratives. Il défile même dans les rues des plus grandes villes
américaines. Chien le plus médaillé de la Grande Guerre, ses décorations étaient piquées dans un petit
manteau en peau de chamois, confectionné par des Françaises. On y trouve, entre autres, la très
prestigieuse « Purple Heart », mais aussi la médaille de Verdun.
Stubby meurt en 1926. Son nom figure sur le monument dédié aux héros de la guerre à Kansas City. Sa
dépouille naturalisée est exposée au Smithsonian Institution à Washington.

Le Bleuet de France
Il symbolise la mémoire et la solidarité envers les anciens combattants, les victimes de guerre, les veuves et les
orphelins. Chaque année, les 8 mai et 11 novembre, cette fleur est au cœur de la campagne de l’Office National
des Anciens Combattants qui récolte des fonds au profit des blessés de guerre.
En 1925, Charlotte Malleterre, fille du commandant de l’Hôtel national des Invalides et Suzanne
Leenhardt, infirmière major, créent un atelier à l’Institution nationale des Invalides.

Les pensionnaires y confectionnent des bleuets en tissu qu’ils vendent sur la voie publique : un moyen
de leur fournir une occupation et une source de revenus.
Dix ans plus tard, l’État français officialise la vente du Bleuet de France chaque 11 novembre. Un choix
d’une forte valeur symbolique puisque qu’il rappelle l’uniforme bleu horizon des “Poilus” de la Grande
Guerre, précédemment surnommés “Bleuets” lorsque, jeunes soldats sortis des classes, ils rejoignaient
le front.
En 1957, un second jour de collecte est créé le 8 mai, date anniversaire de la capitulation de
l’Allemagne nazie.

Sources : Ministère des Armées

47
La mér émbraséé
Il y a 100 ans exactement
Chronique Navale de la Première Guerre Mondiale
Juin 1919 : un triste épilogue en rade Scapa Flow

Depuis la mi-novembre 1918, la flotte de Haute Mer allemande (Hochseeflotte) est mouillée en rade de
Scapa Flow ; pas moins de soixante-quatorze bâtiments : onze cuirassés, cinq croiseurs de bataille, huit
croiseurs et cinquante destroyers L’artillerie des bâtiments a été démontée ou neutralisée. Ils sont sous
la menace des forces considérables de la Royal Navy rassemblées. Les équipages réduits y croupissent
en attendant que les Alliés se mettent d’accord sur le sort de la marine allemande.

La Hochseeflotte au temps de sa gloire

La plupart des sous-marins se sont déjà livrés, essentiellement aux Britanniques, dès le lendemain de
l’armistice. Une petite poignée s’est rendue dans les ports français, un bon nombre se sont sabordés, en
particulier ceux que l’armistice et l’abandon par l’Autriche de ses bases navales de l’Adriatique ont
piégés.

Il reste donc à régler le sort de la flotte de haute mer qui a tenu la dragée haute à la Royal Navy lors de
la bataille du Jutland. Les Britanniques souhaitent qu’elle soit livrée à la Royal Navy pour être détruite.
En revanche, Français, Américains et Italiens qui souhaitent étoffer leurs puissances navales demandent
une répartition équitable entre les vainqueurs, libre à chacun d’en faire ce que bon lui semble. Le
Royaume Uni dispose de la première marine de guerre et ne veut en aucun cas assumer le coût
supplémentaire que lui imposerait un accroissement des autres marines européennes. Sa doctrine
ancestrale est de disposer d’une force navale au moins égale à la somme des deux autres marines les
plus puissantes. Les discussions traînent et aucun accord ne se profile.

48
La flotte allemande en rade de Scapa Flow

L’immense escadre en rade de Scapa Flow comporte


soixante-quatorze bâtiments dont les plus beaux fleurons
de la marine allemande : beaucoup se sont illustrés lors de
la bataille du Jutland où la Royal Navy, si elle est restée
maître du « terrain », a subi plus de pertes que l’ennemi.
Les forces allemandes ne se sont retirées qu’en raison du
nombre écrasant de bâtiments qui étaient lancés à sa
poursuite.

Le cuirassé Baden

49
Le cuirassé Bayern ne datait que de la fin 1916

Le croiseur de bataille Derfflinger, l’un des héros du Jutland

50
Le croiseur de bataille Von der Tann fut au cœur de l’action lors de la bataille du Jutland

Le croiseur de bataille Seydlitz avait été durement touché lors de la bataille.


Il avait été remis en état. Il est ici photographié à son arrivée à Scapa Flow.

51
Le croiseur de bataille Moltke avait participé à toutes les batailles dont celles du Dogger Bank, du Jutland et du golfe
de Riga.

Le croiseur léger Brummen


Après avoir participé à la bataille du Jutland, en compagnie de son homologue le Bremse, il avait en octobre 1917 coulé
neuf des douze transports d’un convoi ainsi que ses deux destroyers d’escorte les HMS Mary Rose et Strongbow.

52
Torpilleurs allemands.

Cela fait maintenant sept mois que les marins allemands se morfondent à l’ancre – il leur est interdit
d’aller à terre – et le moral est au plus bas. L’amiral Ludwig von Reuter a bien du mal à maintenir un
semblant de discipline dans ses équipages réduits, d’autant que les nouvelles des insurrections qui
agitent l’Allemagne et qui ont pris leur départ dans la marine de Kiel suscitent des mouvements de
mutinerie.
Von Reuter est excédé par cette attente humiliante. Deux transports sont autorisés à reconduire en
Allemagne une partie des équipages de garde le 15 juin. Ne conservant sur chaque bâtiment que les
hommes les plus sûrs, il donne discrètement l’ordre de préparer un sabordage général pour le 21 juin,
jour prévu pour la signature du traité de Versailles.
Le 21 juin, l’ordre est donné à 11h20 d’y procéder le plus rapidement possible pour que la surprise ne
permette pas aux bâtiments de la Royal Navy d’intervenir. Sous les yeux médusés des Britanniques les
uns après les autres, plus de soixante-dix bâtiments allemands, pavillon haut – ce qui leur était en
principe interdit – coulent les uns après les autres. Le dernier à disparaître est le croiseur de bataille
Hindenburg à 17h.
Les Britanniques interviennent tardivement et réussissent à échouer une vingtaine de bâtiments,
essentiellement des torpilleurs et destroyers. Les seuls gros bâtiments qu’ils échouent in extremis sont
le cuirassé Baden et les croiseurs légers Emden38, Frankfurt et Karlsruhe. Cinquante-deux bâtiments
sont coulés.

38 Il s’agit d’un croiseur léger mis en service en 1916. Son nom commémorait les succès du
croiseur Emden dans l’océan Indien au début de la guerre.
53
Localisation approximative des principales épaves le soir du 21 juin 1919
Une douzaine d’hommes sont morts lors des opérations de sabordage. Les bâtiments de la Royal Navy
recueillent mille cent soixante-quatorze marins et officiers allemands qui sont déclarés prisonniers de
guerre car ayant rompu les principes de l’armistice.

Une équipe de sabordage se rend

54
Le croiseur de bataille Hindenburg

Le destroyer G102.
Après renflouement, il fut remis à la mariné américaine qui l’utilisa comme cible en 1922

55
Le cuirassé Bayern en train de sombrer.

Le Seydlitz chavire

56
La fin du glorieux Derfflinger.

Un destroyer inconnu en train de couler

Au-delà d’un mécontentement de façade – la Royal Navy a été quelque peu ridiculisée – les autorités
britanniques se réjouissent en fait de la disparition de la marine allemande : l’amiral Wemyss, First Sea
Lord (chef d’état-major de la Royal Navy) déclare à qui veut l’entendre : « I look upon the sinking of
the German fleet as a real blessing. It disposes, once and for all, the thorny question of the redistribution
of these ships. »39 Même si les Alliés reçoivent quelques maigres dépouilles échouées: l’Emden est
attribué à la France (il sera ferraillé en 1926), ainsi que trois destroyers, les V46, V100 et V126. Les

39 Je considère la disparition de la flotte allemande comme une vraie bénédiction. Elle règle
une fois pour toute la question épineuse du partage de ces bâtiments.
57
Américains reçoivent le croiseur léger Frankfurt et deux destroyers, les Japonais trois destroyers. Les
Italiens sont oubliés. Les Britanniques se réservent le cuirassé Baden, seul bâtiment majeur sauvé par
échouage : il ne les intéresse guère et sera rapidement ferraillé, mais il n’était pas question qu’une autre
puissance, même « alliée », en bénéficie…

Le sauvetage du cuirassé Baden

Quant à l’amiral Fremantle qui commandait l’escadre britannique de Scapa Flow, après avoir reçu
froidement von Reuter en le déclarant prisonnier de guerre, il reconnut : « I could not resist feeling some
sympathy for von Reuter, who had preserved his dignity when placed against his will in a highly
unpleasant and invidious position. »40

40 Je ne pouvais m’empêcher d’avoir de la compassion pour von Reuter qui avait sauvé sa
dignité quand il s’était trouvé, contre son gré dans une situation déplaisante et injuste. (cité
par David Howarth in The Dreadnoughts, Time-Life Books, 1979).
58
Dans les années 1920 et 1930, une entreprise de ferraillage fut
chargée de récupérer le maximum d’épaves qui rendaient la
navigation dangereuse dans toute la zone.

Le renflouement de l’épave du cuirassé Bayern en 1934

Et celui du Derfflinger en 1939

59
Il fallut quatre ans pour remonter l’épave du Hindenburg.

Aujourd’hui, il reste tout de même sept épaves qui font la joie des plongeurs. Elles sont classées comme
monuments historiques et protégées en tant que tels : il s’agit des cuirassés König, Kronprinz Wilhelm
et Markgraf et des croiseurs Cöln, Dresden, Karlsruhe et Brummer,

Un bien triste épilogue pour une grande marine.

Nous laisserons le dernier mot de cette Chronique Navale de la Première Guerre Mondiale à l’amiral
Reinhard von Scheer qui conclut ainsi son ouvrage consacré à La Flotte de Haute Mer Allemande
Pendant la Grande Guerre41:

« Le marin anglais peut maintenant se croire autorisé à nous toiser avec arrogance et mépris ;
pourtant, dans son sentiment de supériorité, demeurera toujours cette épine : il n’a pas été victorieux
au combat. »

41 Deutschland Hochseeflotte im Weltkrieg, 1920. L’ouvrage a été publié en allemand et en


anglais mais il ne semble pas qu’il y ait eu de traduction en français.

60
La Tape de bouche d’ASPOMA et de ses carrés.

L’âme des canons d’ASPOMA et de ses « carrés », si souvent sollicités…, méritaient bien une
protection contre les embruns : suivant les usages de la Marine, une « tape de bouche » en bronze
a donc été réalisée.

Sa symbolique allie notamment l’ancre, la chaîne d’union, la colombe et le rameau d’olivier.

Fort symbole de notre double appartenance au monde marin et au monde maçonnique, élément
de décoration de belle facture, beau cadeau à offrir, elle est disponible auprès de la rédacteur en
chef du bulletin : scariot-dulac@wanadoo.fr Son prix ? 40 €+10€ de frais de port.

61
La cravaté ASPOMA ét lé badgé sont
arrivés !

La cravate, en soie s’il vous plait, et gros plan sur le motif : 30€ pièce + 5€ de frais de
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Le badge recto/ verso : 20€ pièce + 5€ de frais de port

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Sylvie Cariot Dulac : scariot-dulac@wanadoo.fr
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62
Notés dé la vigié
Envoi d’un F⸫ sympathisant :

63
Les mots croisés du « Bouchon Gras », Alain Devrand

Grille n° 75 – Juin 2019

Horizontal :
1 2 3 4 5 6 7 8 9 (1) Elles ont été présentées dans les cahiers –//--
(2) Eprises –//--
1 (3) Elle doit prendre garde – Pas lent –//--
(4) Aguicheras –//--
2 (5) Nuiras –//--
(6) Epoux – Avec lui, Paris est mis en bouteille –//--
(7) Retirées – Lettre grecque –//--
3 (8) Dans les fouilles japonaises –
Elles ont servi le 26 mai 2019 –//--
4 (9) Elle achemine les plis

5 Vertical :
(1) Exista – Tendre couche dans la carrière –//--
6 (2) Triangulaires chez l'humain –//--
(3) Ratèrent –//--
(4) Deux continents unis –//--
7 (5) Début d'armée – Règle de l'architecte – Renversement de
fus –//--
8 (6) Sa botte est réputée – Ile ou note –//--
(7) Friraient –//--
9 (8) Envoyas en justice – Passe à Prades –//--
(9) Canton de l'Orne –Babille à tort et à travers

Grille n° 74 - Mai 2019

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1 F L I B U S T E S
2 O I S E L I E R E
3 R E E M A T E S
4 B U S M O T
5 A S S U R A N C E
6 N E A I N I R
7 S P I G A C
8 T T R I I L E
9 E N T E R R E E S

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La rédaction souhaite à tous les carrés d’ASPOMA
un très bel été

Rédaction : Sylvie CARIOT DULAC

Pour vos envois (articles, photos, remarques, lettres à l’éditeur, etc.) pour le prochain numéro :

Dernier délai : le 25 juin 2019.

à scariot-dulac@wanadoo.fr
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