Dynamiques territoriales & Développement local

Chapitre 01 -L’émergence de la notion de territoire :

Introduction

Déjà, en 1990, Jean-Louis Guigou, Ingénieur de l´École nationale supérieure agronomique de

Montpellier, agrégé et docteur ès sciences économiques, professeur d'université et haut
fonctionnaire français, spécialiste de l'aménagement du territoire, disait que « les territoires
ne sont plus les cadres où des choses se passent, mais où les choses s’inventent ». À la
différence de la régionalisation et de sa logique administrative, nous comprenons alors que
le territoire évoque mieux la dimension sociétale.

01 - Enjeux et défis

Le territoire est l’aboutissement d’un processus de construction sociopolitique et plusieurs

éléments apportent la preuve de cette spécificité du territoire par rapport à la région :

- Le territoire est le fruit d’un lien fort entre une construction politique, un espace reconnu
et des activités humaines ;
- Il suppose l’existence d’une volonté collective tournée vers un projet portant sur un
espacebien délimité ;
- Il traduit l’expression d’une volonté politique qui vise un développement équilibré à
l’échelle de l’espace sociopolitique ;
- Le territoire représente pour le développement territorial plus qu’un espace ; il s’agit d’un
cadre de vie et le produit d’une demande des populations qui aspirent à un
environnement de vie enrichissant et durable ;
- Et en fin, plus que le territoire lui-même, les acteurs sociaux territorialisés, dans leur
engagement pour leur territoire, sont les éléments clefs du développement local.

Il apparait donc clairement que le territoire national est en réalité un objet

composite. Cettedimension hétérogène de notre territoire national sera ici l’objet de ce
chapitre introductif.
Une nation demeure une construction sociale et le territoire national en est un
élément clefs. Au fil des années, des conflits et accords le territoire national évolue et se
recompose par des entités territoriales ayant des spécificités historiques, sociologiques,
économiques et environnementales bien identifiables. La compréhension des formes et
forces de ces ensembles qui composent le territoirede la nation est déterminante afin de
bâtir un consensus fort autour des opportunités de développement qu’offrent ces entités
éco-géographiques. Le processus de réinvention des territoires est le préalable auprojet de
développement du terroir. Ainsi c’est une fois que les territoires sontrecomposés et que le
projet de territoire est formulé et soutenu par un consensus, que les SDT (Stratégies de
Développement Territorial (chapitre 4) vont par la suite participer à la création d’un

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équilibre interne à chaque territoire facilitant ainsi les initiatives de développement local.
En guise d’exemple, la politique d’Aménagement du territoire pourra à partir de ce
momentse concentrer sur l’équilibre interne et la cohérence d’ensemble d’entre les
différentes entités territoriales, ce qui participera à un développement durable de
l’ensemble du territoire national.
D’ailleurs, c’est conscient de ce fait qu’au Québec, le Centre de Recherche sur le
Développement Territorial (CRDT) qui regroupe près de 50 chercheurs et 4 universités
canadiennes a identifié 3 axes de recherche sur le territoire qui sont tous en lien avec le
Développement économique local : Il s’agit de la recomposition socio-territoriale, des
dynamiques socio-productives en ancrage avec les territoires et de la gouvernance
territoriale en lien avec les politiques publiques.

02 - Le paradigme scientifique du Développement territorial

Le paradigme du développement territorial insiste sur le côté dynamique des territoires. Il

propose une compréhension différente et plus complète de l’interaction entre les formes et
les forces des territoires, les structures et les acteurs dans l’optique d’un développement
espaces socio-économiques.
Trois éléments se combinent pour former une approche différente de celle dite régionale.
Dans un premier temps, les territoires sont considérés comme multifonctionnels, ensuite
leur gouvernance est centrale et revient aux acteurs territorialisés ;et enfin le respect des
principes du développement durable est primordial. C’est la conscience de l’importance de
la multifonctionnalité des territoires que le Québec a opté pour un fonds régional de
diversification économique. Toujours dans cette optique de développement territorial, la
politique québécoise sur la ruralité a fortement été décentralisée pour accroître cette
dimension multifonctionnelle avec notamment le mangé local. La notion de
multifonctionnalité implique entre autre le lien fonctionnel et solidaire ente ruralité et
urbanité au sein d’un même territoire. Le monde rural apportera ainsi une contribution aux
enjeux en milieu urbain et à l’inverse et cela au nom du Développement Territorial
Solidaire. Comparé au développement régional, la rupture que propose le Développement
territorial en comparaison est profonde.Alain RALLET faisait un rappel en ce sens : «
Développement régional, développement territorial sont deux notions distinctes. Elle[s]
renvoie[nt] à deux manières d’appréhender l’espace géographique dans son rapport au
développement économique (…) Le développement territorial fait référence à un espace
géographique qui n’est pas donné, mais construit. Construit par l’histoire, une culture et des
réseaux sociaux qui en dessinent les frontières. Le contenu définit le contenant : les frontières
du territoire sont les bornes (mouvantes) de réseaux socio-économiques. Là où s’éteint le
réseau se termine le territoire. L’initiative ne vient pas tant d’une instance planificatrice que
d’une mobilisation des forces internes (RALLET, 2007, p. 80)»

Ainsi en recomposant, en reconstruisant et en fortifiant les formes et les forces du territoire

afin de solidifier son réseau d’ensemble, le paradigme du développement territoire qui
s’appuie ainsi sur les dynamiques territoriales permet un meilleur impact des initiatives de
développement des collectivités locales.

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03– Les fondements du Développement Territorial?

La problématique de la fonctionnalité des territoires occupe le centre du questionnement

avec le défi majeur de l’usage du territoire comme le cadre propice de la formulation de
l’action publique. Le territoire et sa multifonctionnalité démontrent que nous ne pouvons
plus concentrer nos moyens publics sur 10 ou 20 localités au nom d’une approche fondée
sur les établissements humains et occulter l’approche par les territoires. L’approche par les
territoires accorde autant d’importance au milieu urbain qu’au milieu rural, elle concentre
son attention sur dynamique en vigueur et la potentialité de développement économique
qu’offre chaque entité. Revenons, à l’exemple du Québec ou les municipalités en milieu rural
y sont étendues (pour compenser la faible densité et leur donner suffisamment
d’administrés pour une viabilité de l’offre de service) et responsabilisées en terme de
compétence régionales, contrairement au Sénégal ou l’espace rural est émietté en autant de
gros villages que de commune rurales. De ce fait, les communautés rurales suscitent peu
d’intérêt et n’ont pas les moyens administratifs et organisationnels pour faire face aux
enjeux du milieu rural. C’est en ce sens que la communalisation universelle se doit de ne pas
être un simple changement nominal, mais permettre l’émergence de municipalités fortesen
milieu ruralporteuses de la politique de ruralité et de modernisation d’une part et d’autre
part elles doivent apporter leur contribution au projet du territoire dans la double optique
de développement durable et de développement économique.
La volonté étatique d’une approche du développement par les territoires se systématise
autour de deux liens fonctionnels structurants : le territoire en rapport avec l’identité
collective, et toujoursle territoire en lien cette fois-ciavec la question du développement
économique. Cette approche va ainsi au-delà de la question de l’occupation spatiale et ouvre
la possibilité d’aller vers un projet de territoire. Les territoires dotés d’une structuration
sociopolitique affirmée deviennent alors le point de départ de l’incubation et de la cible de
la politique publique territoriale. Ainsi les carences de la politique d’aménagement du
territoire devant la complexité des projets d’envergure territorialesont de ce fait résolues
par l’approche du développement territorial. Les territoires sont ainsi le fruit d’une
fabrication par les acteurs eux-mêmes et qui s’y identifient à travers un projet de territoire.
En résumé, nous pouvons rappeler les10 enjeux suivants que Bruno JEAN propose dans son
étude « Réussir le développement des communautés rurales : dix conditions gagnantes » dans
Organisations & Territoires 12 (2), 2003, pp. 19-31 (Université du Québec à Chicoutimi, ISSN
1493-8871), comme des axes déterminants pour un développement territorial durable,
solidaire et approprié :

1- reconnaître que nous pouvons apprendre de la ruralité ;

2- Protéger la socio diversité à laquelle contribue la ruralité ;
3- Favoriser une approche de développement territorial durable ;
4- Reconnaître la multifonctionnalité de la nouvelle économie rurale ;
5- Mobiliser le capital social et les infrastructures sociales entrepreneuriales ;
6- Soutenir le développement des capacités des communautés ;
7- Soutenir l’émergence d’une nouvelle gouvernance citoyenne ;
8- Rendre intelligible l’interdépendance rurale-urbaine ;
9- Soutenir une nouvelle solidarité rurale-urbaine ;

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10- Mettre en œuvre une politique publique appropriée.

L’idée principale est que nous devons considérer le lien entre ruralité et urbanité comme
une richesse et par une démarche territorialeaxée sur les dynamiques qui déterminent les
formes et les forces des territoires. C’est en sens que des communes fortes et vastes doivent
être érigées et dotées de compétences en lien avec les activités du milieu.
La place des acteurs est ici visible et implique un recul de l’État-Providence et la fin d’un
comportement attentiste vis-à-vis des enjeux et du futur du territoire en question. Le
développement territorialisé entraine un recul souhaitable du développement sectoriel qui
se retrouve ainsi pris en charge à l’intérieur de chaque territoire, mais avec une approche
adaptée aux exigences du milieu.

04– Le Sénégal des déséquilibres

Après ce bref rappel du contexte idéologique dans lequel nous baignons, et si nous
regardons maintenant la situation nationale, le constat est unanime et le maître mot qui
résume la situation de nos territoires est unique et sans appel : le déséquilibre.
Ce déséquilibre interne aux territoires (le sentiment d’exclusion en Casamance, La
concentration de Dakar, l’exode rural et la cassure entre ruralité et urbanité avec la ruralité
synonyme de pauvreté) et entre les territoires affecte le principe de la continuité du
territoire national et fait naître un sentiment d’exclusion qui, au final, va miner le sentiment
d’appartenance à une nation unie. En somme l’intégrité des territoires, leur équilibre
interne et la cohérence nécessaire entre eux, sont une nécessité pour la consolidation du
sentiment d’appartenance l’unité nationale. Nous comprenons alors la nécessité d’avoir une
approche territoriale portant sur des territoires entiers et viables avec l’établissement
d’indicateurs objectifs et vérifiables portant sur l’ensemble des secteurs des territoires en
question. L’idée est d’avoir une lecture claire des dynamiques en cours, une bonne
connaissance des formes et forces de chaque territoire et des tendances lourdes qui y sont à
l’œuvre. In finé, il s’agit d’infléchir les tendances jugées négatives et promouvoir celles
considérées comme profitables pour les populations.
Cela implique une logique d’incubation et de préparation de l’action publique et le refus du
copier-coller qui entraîne des conséquences fâcheuses sur la pertinence et l’efficacité de
l’action publique. Nous avons tout aussi à apprendre des pays du sud (Kenya, Afrique du
Sud, Brésil) et du continent nord-américain qui ont montré leur capacité d’organisation, de
structuration et à soutenir les dynamiques territoriales ayant un impact en terme de
politique municipale, de politique rurale et de politique agricole.

Conclusion

En substance, la dimension centrale des territoires, pour une réussite de l’action

publique pour le développement, se trouve dans le fait que les territoires doivent d’une
part inspirer l’action publique, ensuite ils doivent être les réceptacles de l’intervention
publique, et d’autre part le développement durable de ces mêmes territoires doit demeurer
la finalité de l’action gouvernementale pour le développement. Nous disons alors que les
territoires sont au début, au milieu et à la fin de l’action publique. La centralité de la

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question du territoire fait que l’Aménagement du Territoire a dépassé les simples
techniques d’intervention sur l’espace, pour s’imposer comme un secteur stratégique et
décisif pour la réussite de la Planification étatique. Ce regain d’importance de
l’Aménagement du territoire est directement lié au rapprochement qui est aujourd’hui
établi et accepté entre la notion de Développement et celle de Territoire. Selon la Banque
Mondiale, le territoire et les régions sont les « deux grands oubliés » du développement et
qui gagnent en importance.

Aujourd’hui, le territoire est considéré par les experts comme une «ressource active
et fondamentale » notamment par les travaux et la réflexion sur le développement durable.
De ce fait les acteurs du milieu de la décentralisation deviennent les alliés du gouvernement
central. L’approche par les territoires doit consacrer ce qu’on peut appeler l’avènement de
la dimension territoriale des compétences municipales. Ainsi une décentralisation axée sur
le territoire doit permettre l’érection de collectivités territoriales apprenantes, cohérentes,
fortes et équilibrées.

Moussa bala fofana

23-07-2018

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