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L’atmosphère est lourde.

L’assemblée est riche d’une dizaine de


têtes mûres, mais le silence est plus que plat. Même des sages
assoupis auraient bruit d’une voix plus haute. De vrais adultes assis
et qui ne pipent mot ! Pendant un instant, j’ai pensé qu’il s’agissait
d’un rite d’initiation de mon oncle à une secte. Car c’était le seul à ne
pas être assis mais agenouillé en face de sa femme, la seule dont je
pouvais voir le visage. Et justement, ce visage ne renseignait pas sur
ce qui se tramait, pas plus que ce silence indescriptible. Pis, la stupeur
qu’offre ce visage habituellement doux et souriant, n’a fait que
renforcer mon inquiétude quant à l’instant d’après.

Caché derrière la porte de ma chambre qui donne sur le salon,


les hypothèses défilèrent dans ma tête. Indiscret pressé, j’avais hâte de
connaître les raisons de ce rendez-vous mystérieux. Etait-ce vraiment
une initiation ? Pourquoi c’est Tonton qui est à genoux et non Dada, la
femme ? Pourquoi cette assemblée familiale déroge aux précédentes où
l’agenouillée était toujours Dada, lorsqu’elle y était invitée ? Et
d’ailleurs pourquoi les beaux-parents sont-ils représentés dans une
réunion familiale ? Car, il y avait deux des oncles de Dada, ceux-là
mêmes, qui n’apportent jamais de bonnes nouvelles. Je les surnomme
d’ailleurs « les messagers du mal ». Toutes les fois qu’ils sont venus
dans notre concession, c’était pour annoncer à Dada soit un accident
soit un décès. Mais ils sont déjà venus pour sa maman et pour son
papa.

Que font-ils donc ici ? Le mystère dure et je remarque la


présence de Tonton Lou-Lou. Etonnant, mais alors surprenant ! Celui-
là ferait du bruit même en dormant. Craint par tous, c’est vraiment le
loup de ma famille. Intrépide, la voix comme le bruit d’une grosse
caisse, robuste et géant avec une paire de membres inférieurs qui pèse
le poids d’un bœuf de dix ans, Tonton Lou-Lou fait plier les plus
récalcitrants. Sa persuasion est silencieuse et puise ses armes jusque
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dans ombrage qui paraît tel un animal vorace s’apprêtant à sauter sur
sa proie. Tonton Lou-Lou, croyez-moi est le cauchemar vivant. Et dire
qu’il est à cette réunion de muets ? Je commence vraiment à avoir
peur des motifs de cette réunion. Si celui-là est réduit au silence, il
faut croire que nul ne parlera. Ce qu’il ne peut pas dire, ne se dit
certainement pas. En tout cas pas par mes cinq autres oncles qui pour
la plupart du temps ne disent rien mais se contentent d’acquiescer
tout avis. Jamais je ne les ai entendus prendre la parole dans une
réunion familiale. Même s’il se dit que le silence habituel de frère
Sassi est porteur de sagesse. Il serait le dernier recours pour dénouer
les nœuds les plus confus. Sassi et Tonton Lou-Lou, c’est deux
tonneaux, le premier serait rempli, et le second vide, à en croire mon
Tonton.

Quoi qu’il en soit, et s’il en est vérité, alors, c’est bien un dosage
de marteaux durs qui se présentent en cette soirée pour casser un
« caillou », certainement, très dur. De quoi me rendre encore plus
anxieux. Qu’est-ce qui ne va pas enfin ? Ils y sont depuis bientôt trente
minutes et aucune voix ne se propose de dépuceler ce silence, dont la
chasteté m’est répugnant. Attendez ! Je pense à une chose ! Tenez, j’y
suis ! Tonton a enceinté une fille ! Et, je pense que c’est la nouvelle
bonniche. Cool ! Je m’y attendais moi et Dada aussi devrait s’y
attendre.

La fermeté de la paire de fesses de cette villageoise, n’arrive pas à


se dissimuler à travers ses accoutrements paysans. Et je n’ose pas
vous parler de ses seins, débout, comme deux papayes régulièrement
mûrs suspendus perpendiculairement au mur. Et pas à n’importe quel
mur, croyez-moi. Cette fille, Dieu l’a conçu sur un support particulier.
Ses accessoires ne tiennent pas sur un simple corps. Non, le sien
donne l’apparence d’une toile, faite d’argent, de diamant et d’or,
apprêtée par l’artiste pour y poser une œuvre inspirée des dieux.
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Chaque matin, depuis ma chambre, dans ma position actuelle, je la
contemple pendant toute la durée de son ménage. Et lorsqu’elle
s’apprête à rejoindre une autre pièce, je passe laisser quelques saletés
pour la faire rester encore un peu. En fait, dans les creux de ses yeux ;
vous pouvez voir à la fois, un beau paysage, une rivière, des allées
champêtres, des feuilles sur lesquelles reposent de fines gouttes de
rosée, le ciel bleu clair et…la nature. Elle s’appelle Koulé, moi je
l’appelle Kool’Nature ! Vous n’y résisterez pas vous aussi. Et, si
Tonton, l’a fait, je pense qu’il est pardonné par avance. Car même
étant sa bonne, Dada ne dédaignera pas d’avoir Koulé comme
coépouse.

J’espère que vous ne pensez pas comme moi, mais je vous le


redis, personne ne peut se faire réprimander pour avoir succombé à la
nature de la nature, Koulé. J’entends un bruit, je vous parle de Koulé
plus tard. Oh non ! C’est juste Tonton Lou-Lou qui tousse. Ne pensez-
vous pas qu’il aurait mieux faire de briser le silence par un mot au lieu
d’une toux, manifestement forcée ? En vérité, il m’épate aujourd’hui.
Savez-vous pourquoi mon hypothèse est plausible ? Eh bien parce que
c’est lorsqu’une nouvelle épouse veut faire son entrée dans le foyer que
le mari est à genoux et la femme assise et les familles jouant la
comédie d’une personne atteinte d’une grande affliction. C’est ainsi
dans nos sociétés. C’est un moyen de diplomatie antique pour essayer
de réduire la colère de l’ancienne qui devient tout d’un coup, une
femme sage, une maman adorable au grand cœur pouvant aimer le
monde entier selon leurs mots. C’est souvent à ces seuls et rares
instants que sont reconnues à l’épouse les qualités dont personne ne
lui avait jamais fait mention. Selon moi, c’est une flatterie insultante
qui ridiculise l’intelligence de son destinataire.

Mais mon instinct me rassure que ma pensée sera trahie. Qu’il


ne s’agit pas d’une histoire de nouvelle épouse, mais d’une affaire bien
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plus compliqué. Heureusement, il n’y a plus que moi qui m’impatiente.
Sassi, n’a de cesse que consulté sa montre depuis. Il semble être prêt à
en découdre. La tête enfin relevée, il semble chercher dans le regard de
ses compaires, l’approbation pour y aller. Mais pour le moment il ne le
trouve pas. Lou-Lou lève en fin la tête. Le mouvement est presque
collectif. Ouf, j’approche du but. En fait, pas vraiment, ils viennent
tous de les rebaisser, comme exécutant un geste chorégraphique. Je
me lasse d’eux, Mahou ! Il n’y a rien de facile dans cette vie enfin !
Voler, « congosser » et même travailler ! Mes genoux me font mal, j’ai
envie de m’en aller, les laisser à leur mystère mais j’y arrive pas.
Comment pourrai-je ? Alors que l’adage « les murs ont des oreilles » se
confond à moi dans cette concession ? Le mal c’est que j’en suis fier.
Priez pour moi pauvre oreille.

Lou-Lou se lève, j’espère que cette fois-ci, ce n’est pas pour se


rasseoir comme un robot. Avec ce qu’il pèse, s’il essaye cela, je pense
qu’il se retrouvera parterre, vous la légèreté du divan. S’il vous plait ne
lui dites rien, sinon je suis dans la merde.

- « quelle que soit l’épaisseur de la parole, elle ne se coupera pas


avec un couteau1 », avance enfin Lou-Lou. Le long silence a beau
fait croire que nous sommes à une réunion sans objet, il n’en est
pas le cas. Je présente au nom de la collectivité, mes excuses à
nos hôtes pour ce comportement indigne de nous et immérité par
vous. La cause de notre invitation est bouleversante, nous nous
devons de vous le dire d’entrée. Et, compte-tenu du déshonneur
personnel qu’elle me cause, je ne dirai pas davantage, c’est Sassi
qu’il revient d’en faire l’exposé. Merci. Il se rassit.

Sassi ? Pourquoi lui-donc ? Aussitôt s’être rassit, Sassi se leva


comme prévu et prit la parole. Après avoir réitéré les excuses aux

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beaux-parents et à Dada, il se mit à reprocher virulemment Tonton. Il
lui reprocha sa cruauté, sa froideur de cœur et lui dis même qu’il
risque le bannissement de la famille pour avoir osé tenir secret à tous,
sans exception une information aussi importante que celle-là. Il a
aussi regretté la disparition du châtiment du fouet de notre tradition
familiale. Et, sur ce point, il s’en est même pris aux aînés qui ne
veillent plus à la sauvegarde de certaines de nos pratiques, qu’il juge
lui-même de rétrogradés, mais somme toutes nécessaires dans des cas
similaires.

Je ne pus vous retranscrire tout le déballage verveux et


invectivant qu’a offert Sassi, parce qu’en le faisant, il confirmait mes
soupçons. Et sachant que ce genre de discours est purement dilatoire,
j’avais plutôt commencé par nourrir le remords que Koulé ne sera plus
jamais à moi car Tonton s’en est chargé déjà. Je commençai à trouver
des explications à son insensibilité à la puissance lyrique et
romantique des nombreux poèmes, écrits dans sa langue maternelle,
que j’ai glissé sous porte jusqu’à hier nuit encore. Je me culpabilisais
aussi. Au lieu de me contenter du théâtre qu’elle m’offre, contre gré,
dans la salle de bain, j’aurais peut-être dû me montrer plus direct,
plus pugnace, voyez-vous ? Or, pendant que je proclamais idiotement
ma « tigritude », Tonton lui, il a bondi dessus, et pian pian pian, il a
dévoré le truc. Comment ai-je pu être aussi bête ? Est-ce qu’à quatorze
ans, j’ai le droit de l’être autant ? Mais oui, idiot ou pas à quatorze
ans, je n’ai pas encore plus de droit que de contempler en faisant ce
que je fais quand le la regarde sous la douche et jamais de toucher.
J’aurais pu quand même lui dire au lieu de gribouiller des textes
incompris de moi-même que je balance sous sa porte. Peut-être aurait-
elle été d’accord d’attendre jusqu’à mes dix-huit ans ? Au loin de mes
pensées d’amant en retard, la mention du nom de Dada me ramenait

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au salon du mystère. En ce moment, se retournant vers elle, sur un
ton foncièrement supplicatif, Sassi baissa enfin la voix.

- Dada, tu es toi-même témoin de tout l’amour que te porte cette


famille. Tu sais que tu ne t’es jamais marié à Tonton, mais à
nous. Nous t’avons également adopté comme fille et t’avons
toujours traité comme telle. Aujourd’hui donc, si un bonheur
nous atteint, il t’embrase et s’il nous arrive malheur, tu es
préjudiciée au même titre. Hé bien, ton frère, ton mari, nous a
causé du tort. Et, il nous revient de le réparer toi et nous, car il
n’en a pas seul, les moyens. Nous espérons ainsi que tu apportes
ta contribution pour que nous sauvions cette cause en perdition.
Il y a environ vingt-ans, pendant qu’il étudiait, et avant votre
rencontre, Tonton a entretenu une amitié de jeunesse avec une
de camarades étudiantes. Celle-ci serait tombée enceinte mais
Tonton a nié, par insouciance, être l’auteur de cette grossesse et
c’est alors détourné de la fille. Ayant changé d’école à la rentrée
suivante, il est resté sans nouvelle jusqu’à ce que, quinze ans
plus tard, il rencontre fortuitement la copine d’antan. De cette
nouvelle rencontre qui coïncide à l’année de votre mariage, il
apprit que la grossesse avait permis de mettre au monde une
fille. Déchiré entre regret, dépit et ton amour, il convint avec la
mère de sa fille de compenser les années passées en numéraire et
de commencé à subvenir aux besoins de son enfant dès ce jour.
Mais, pour toi, il posa une condition, en rien elle ne doit
s’autoriser à bouleverser l’heureuse vie que tu lui permettais de
vivre et doit par conséquent, se tenir bien à l’écart. Elle accepta
la condition sans discuter parce qu’elle-même avait eu le temps
de reconstruire sa vie. Mais un évènement survint. Et puis un
autre et puis un autre encore. Il y a deux ans, la dame perdit son
boulot, l’année suivante elle divorça et cette année elle décédée

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dans un accident de circulation, submergée par les problèmes. A
sa mort, le mari divorcé est revenu et a mis sa fille et celle de ton
mari aussi, au dehors. C’est seulement à ce moment que ton
mari a senti le devoir de nous informés de l’histoire. Et
pourquoi ? Parce qu’il souhaiterait que tu puisses faire de cette
fille la tienne, que tu la couvres d’affection et la guider dans ses
choix. Il ne souhaiterait pas l’installer dans un endroit où elle
sera sans aucune autorité, c’eut été uniquement une
consultative. Mais avant, il a souhaité resté à genoux pour cela
d’ailleurs, il implore sincèrement ton pardon pour avoir été
capable d’une dissimulation aussi monstrueuse. Après l’avoir
sérieusement réprimandé, nous avons parlé à tes parents qui
nous encore témoignés de ta grande disponibilité d’esprit et nous
ont rassuré que tu sauras nous comprendre et nous accorder à
la fois ton pardon et cette faveur.

Inspirez ! C’est que moi j’ai lorsqu’il a fini ce discours dont la


qualification m’échappe. Repenti ou foutaise ? A sa place, qu’aurai-je
fais ? Je ne sais pas, mais si je dois ressembler à ma mère, je l’aurai
étranglé sur place. Comment a-t-il pu vivre avec cela sans jamais le
faire voir ? Même moi, ne suis pas arrivé à m’en douter. Mais je
relativise et je me dis des enfants accidentels, nul ne peut rien contre.
Ce qui me semble par contre, extrêmement, gênant, c’est ce qu’il
espère en voulant imposer cette doublure de sa vie à Dada ? S’il a
commencé par en faire un secret, pourquoi ne le garde-t-il pas secret ?
D’accord, ce n’est certainement pas difficile à digérer pour une femme
ordinaire, mais pas pour une femme qui s’est contentée d’être aimée et
de ne pas demander plus. Et puis, est-ce vraiment son enfant ? Vingt
ans ? Tonton n’est quand même pas si vieux ! La vie que de surprises !

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A cet stade, vous en avez marre de moi, n’est-ce-pas ? Eh bien
tant pis pour vous. Le service d’un « congossa2 », va avec ses
accessoires. C’est un service complet. Vous en demandez un et vous en
avez cent. Mais lisez, sérieusement, il me semble nécessaire de vous
dire pourquoi Dada n’est pas une femme ordinaire à mon sens. En
effet, si je vis avec Tonton, c’est en partie parce qu’elle n’est pas
ordinaire. Au bout de la quatrième année de mariage, sans aucun
geste de maternité, ce comité familial, dont elle est subitement
devenue, la fille, a subitement surgit ici un après midi. Tonton Lou-
Lou, en bon loup, dirigeait l’opération commando. Ils se mirent à jeter
ses effets par la fenêtre, il fallait qu’elle s’en aille. Elle était alors une
mégère, une profiteuse, une sale infertile qui n’attend que le décès de
leurs fils pour hériter de ces biens. Ce jour-là j’ai pleuré comme je ne
l’avais jamais fait. Elle fût insultée, humiliée, lynchées en public.
L’intervention de Tonton arrivé fortuitement du service a à peine calmé
l’atmosphère sans les empêcher de la traîner jusqu’au portail.
Lorsqu’ils firent Tonton demanda à Koulé de retourner les affaires à
l’intérieur, puis il se mit à s’excuser. Mais il l’a beaucoup remercié de
subir tout cela pour lui. Et, j’avoue que ce remerciement interminable
a aiguisé ma curiosité.

Je me suis donc mis à en chercher le sens jusqu’au jour où j’ai


surpris une dispute entre Dada et sa seule amie. La leçon de cette
dispute était que Dada ferait mieux de divorcer si cliniquement les
spermatozoïdes de Tonton développent des disfonctionnements et
qu’ainsi ses chances de procréer sont minimes. Mais Dada est
amoureuse et Tonton l’aime. Pour elle, le divorce est tout sauf une
option ; elle préfère « regarder la face de Dieu3» auprès de son mari.

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Voyez-vous donc l’insulte que cette nouvelle représente ? En
mesurez-vous l’affront. Moi je l’aurai vécu comme une ingratitude
effarante. Pendant qu’elle s’est condamnée à ne jamais connaître la
maternité, ils viennent gaillardement lui imposer un enfant sorti de
nulle part. Vraiment moi je l’aurais mal pris et je suis sûre qu’elle fera
pareille. Et d’ailleurs, ont-ils vraiment mûri leur acte ? Connaissant
notre société, ils devraient quand même avoir peur du mal dont elle est
sans nulle doute capable. Elle a beau avoir les croix au cou, les
gravures de Marie partout, elle n’est pas forcément une sainte. Savez-
vous ce qui se dit ici ? « On ne voit pas le sang dans la bouche d’une
sorcière4 ». En tout cas, ça craint ! Je suppose que la seule chose qui
lui reste à faire, c’est se lever, faire sa valise et s’en aller. C’est ce que
ferait toute autre femme, à mon avis.

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