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LE MANGUIER,
LE FLEUVE
ETLA SOURIS
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©1997, éditions Jean-Claude Lattès


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Denis Sassou N'Guesso

LE MANGUIER,
LE FLEUVE
ET LA SOURIS

JCLattès
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Ala mémoire de mesparents


et au Peuple congolais
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Plus le trouble est grand, plus ilfaut gouverner.


Charles de Gaulle, Mémoires de Guerre
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PROLOGUE

Pendanttrois ans, retiré dansmonvillage natal ou


exilé volontaire, loin duCongo,je fus contraint deres-
ter physiquementéloigné demonpeuple. Laforce des
événements et le retrait qu'elle m'imposait en avaient
décidé ainsi. Douze années durant, j'avais dirigé les
destinées demonpays. Elles avaient été les plus exal-
tantes de monexistence.
Chaque soir, dans la solitude de maretraite, mes
pensées allaient vers les Congolais. Je leur parlais en
silence. Je savais qu'ils souffraient et n'avaient que le
doute et l'inquiétude pour seul horizon. J'étais triste
de n'être pas au milieu d'eux, d'être séparé, pour la
premièrefois, decequej'avais deplus cheraumonde,
de ne plus voir le visage de leurs enfants. Soir après
soir, je leur ai confié mes rêves et mes espoirs, ma
colère et marévolte. Je leur ai dit, dans le secret de
monâme,commentje voulais lestirer decettepériode
difficile de leur histoire.
Jamais je n'ai désespéré. Je savais qu'un jour
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viendrait où nous nous retrouverions, eux et moi,


qu'un jour je pourrais enfin leur exprimer, autrement
queparl'esprit, le fruit desméditations qu'ils m'inspi-
raient.
Ce moment est arrivé. Une nuit d'hiver, je me
suis attablé, une feuille depapier devantmoi, un stylo
à la main, etj'ai laissé maplumetransformer enphra-
ses ces réflexions silencieuses. Avec des mots de tous
les jours, des mots de vérité et de foi qui ne peuvent
tromper. Commeje parlais à monpeuple, j'ai décidé
de lui écrire : avec simplicité et sincérité. Yavait-il
meilleure façon de lui dire que, pas un instant, il
n'avait quitté mespensées et delui décrire quel avenir
je souhaitais pour lui ?
C'était il y a bien longtemps. Je marchais sur la
piste. Il faisait chaud et je venais de quitter mamère
pour aller à l'école. Le chemin était difficile et la dis-
tance àparcourir, très longue : cent kilomètres àpied.
Tel était le prix à payer, alors, pour continuer
d'étudier.
L'école de mon village s'arrêtant au cours pri-
maire,je devaismerendreàcelleduchef-lieuderégion
pourpoursuivre mascolaritéjusqu'au cours moyende
deuxièmeannée. Il fallait emprunterlapiste quitraver-
saittoutelaplaineetjen'avaisd'autremodedelocomo-
tion que mesjambes. C'est donc à pied, d'un bout à
l'autre, que j'ai parcouru les cent kilomètres qui me
séparaientdusavoir. J'avais àpeinedixans.
Au moment du départ, j'ai embrassé mon père
qui m'a dit simplement : «Va. Puisque tu as décidé
d'apprendre, va. »Mamère, elle, ne supportait pas de
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mevoirpartir. Elle voulutm'accompagnerpendantles


premières heures de marche, porter mon maigre
bagage et mon sac de provisions. Elle refusait de me
quitter et marchait avec moi, sans cesser de meparler
avec inquiétude. Dans le petit groupe d'enfants, une
dizaine en tout, qui, comme moi, rejoignaient cette
école du bout du monde, j'étais le seul qu'une mère
accompagnait, enlarmes. «Commentvas-tutenir bon,
là-bas ? demandait-elle. Qui te donnera à manger, qui
te fera vivre, qui s'occupera de toi ?» Je ne connais-
sais pas la réponse. Je savais simplement quej'allais
étudier. Je voulais apprendre et devenir quelqu'un.
Aumilieudelaplaine, après quelqueskilomètres,
je lui ai dit qu'elle nepouvaitpas continuerplus long-
temps avec moi et qu'elle devait retourner au village,
auprès demonpère, car saplace était là-bas. Elle s'est
arrêtée,j'ai repris monpanier et elle m'a laissé partir.
Undernier signe de la main, un dernier regard sur sa
silhouette égarée au milieu du chemin et, d'instinct,
j'ai pris la tête de notre petit cortège.
Lesoleil était déjàhaut dans le ciel. Lacampagne
devantmoisemblaitsans fin. J'avais l'habitude deslon-
guesmarchesdepuismapetiteenfance,maiscelle-ciétait
plus épuisante que je ne pouvais l'imaginer. Il fallait
avancer,toujours avancer sans s'arrêter, saufpourman-
gerunpeu,àl'ombred'unarbre.Certainsdemescompa-
gnonsétaient silencieux, d'autres peinaient déjà. Quitter
sesparents, marcherpendantdesheures vers l'inconnu,
apprendre à économiser ses maigres forces, c'était une
redoutableépreuvepourdesenfantsdenotreâge.
Seul,jemesentaispourtantemportéparunecertaine
ivresse. Lepremierfrissondelaliberté. Unepagedema
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vievenaitdesetourner. Jeneseraiplusjamaislemême.
J'allais vers l'école avec émerveillement et c'était mon
destin queje commençais à forger. Il mesemblait qu'il
pouvaitaller aussihautquele soleil. Encheminantainsi
aumilieudecettenatureàlabeautépuissante,parmimes
camaradesduvillage,accompagnéparfoisparunpassage
d'oiseauxfilant, dansungrandbruissementd'ailes, vers
laforêt,je sentaisauplusprofonddemoiquejenefaisais
qu'unaveccetteterre,cecielsansnuages,cesgarçonsqui
nepouvaientêtre quemesfrères. J'étais leplusjeune du
groupe, mais c'était moiqui imprimais sonrythme à la
marcheet ils mesuivaient. J'étais leurcadetet,pourtant,
j'étais àleurtête.
Comme s'il volait devant moi, je sentais mon
esprit me guider. Amoins que ce ne fût autre chose,
uneforce supérieure quimedisait decontinuerd'avan-
cer sans prendre garde à la fatigue ni aux crampes, et
sans me décourager. Je ne le savais pas encore mais,
ce jour-là, je suis, pour la première fois, allé au bout
de moi-même.
Quand la nuit fut tombée, nous nous sommes
arrêtés dansunvillage. Autourd'un grandfeu debois,
nous avons à peine eu le courage de manger avant de
nous endormir, épuisés. Ce n'est que le lendemain,
dans la nuit, que nous sommesparvenus aubut.
Ces deuxjours m'ont marqué pour la vie. Mar-
chantcentkilomètres,j'avais grandidedixans. J'avais
appris la saveuramèredela séparation, goûtéla sensa-
tion inconnued'une extrêmeliberté, connuleprixphy-
sique de l'engagement et découvert les vertus de la
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persévérance face à l'inconnu. J'avais surtout pris


conscience d'une réalité inattendue : le sentiment très
vif que le Congo serait toute mavie et queje devrais
lui consacrer monexistence.
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Quel homme admettrait de voir son pays plongé


dans le désordre et la ruine ? Quel homme tolérerait
de voir les siens souffrir de conditions de vie de plus
en plus précaires, privés des droits démocratiques les
plus élémentaires ? Quel homme supporterait de voir
détruit enquatre ans, parfois defaçonirrémédiable, ce
qu'il apatiemment édifié avec l'aide de tout sonpeu-
ple ?Aucunhommedigne de ce nom.
Monpays est beau, il regorge de ressources, il
est peuplé d'hommes et de femmes pleins de talents,
d'énergie et de sagesse et, pourtant, on l'a saccagé. Il
possède tout, le soleil, une terre féconde, de l'eau à
profusion, des richesses naturelles et, pourtant, il se
désagrège. Monpaysest libre, indépendant,nemenace
aucunde sesvoisins et, pourtant, onyvit dans lapeur
des milices et de l'arbitraire. Depuis quatre ans, trois
mille de mes compatriotes, au moins, l'ont payé de
leur vie tandis que cinquante mille autres étaient chas-
sés de chez eux.
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J'aime passionnément le Congo. Je lui ai donné


toute mon énergie, tous mes espoirs. Depuis majeu-
nesse, je n'ai eu d'autre vocation que d'en faire un
Etat respecté, ignorant l'injustice et offrant à chacun
de quoi mangerà sa faim. Cecombat a mobilisé cha-
cun demesinstants, de monengagementdans les for-
ces armées jusqu'à la magistrature suprême. Durant
toutes ces années, j'ai pu matérialiser monrêve d'en-
fant : commencer à faire du Congo une Nation
moderne. Après les périodes d'instabilité qui ont suivi
l'indépendance, en 1960, il connut la paix, la crois-
sance et le progrès de 1979 à 1992.
Aujourd'hui, quatre ans après avoir quitté mes
fonctions, je constate avec tristesse que ce n'est plus
le cas. Cette situation m'amène à poser une question,
une seule, àmescompatriotes : êtes-vousplus heureux
aujourd'hui qu'en 1992?
Je sais, malheureusement, que la réponse est
négative. Je sais que, dans tout le pays, les Congolais
sontmécontents deleur sort. Etje sais qu'ils redoutent
l'avenir. Or, rien n'est plus grave, pourunpeuple, que
de perdre foi dans son avenir. C'est souvent parce
qu'on l'a trompé.
Decequej'ai accompliautrefois, tout oupresque
est à reconstruire.
Beaucoup éprouveraient un certain décourage-
ment devant l'énormité de la tâche. Pas moi. Ce que
j'ai entreprisunefois,je suis capabledelerefaire avec
la même énergie et la même passion. Sur les terres
d'Afrique centrale, la nature sechargedenousappren-
dre que rien n'est jamais acquis et qu'il faut être prêt
àrecommencerle travail qu'on vient d'achever. Carsi
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l'homme n'y prend pas garde, s'il ne fait pas, jour


aprèsjour, ce qu'il faut pour repousser les dommages
du climat et les assauts de la végétation, son ouvrage
sera détruit, enseveli, oublié. Ettout seraàrecommen-
cer... J'y suis prêt.
Aubout dujardin qui entoure mamaison à Oyo,
à quelques kilomètres de monvillage natal, un grand
fleuve s'écoule, lent et majestueux. Il porte un beau
nom, Alima, et j'aime regarder ses flots puissants.
Quandj'étais enfant, je rêvais qu'il m'emportait der-
rière l'horizon, vers des pays inconnus et mystérieux.
L'Alima est à l'image du temps qui coule entre nos
doigts, entre nosvies, commede l'eau, en laissant des
tracesquiparaîtraient dérisoires si elles n'étaient desti-
nées à offrir une vie meilleure à ceux qui nous succé-
deront. Méandres après méandres, l'Alima va sejeter
dans les eauxplus tumultueuses duCongoqui adonné
sonnomàmonpays. Quandje lecontemple, assis sous
monmanguier, quandj'admire la forêt qui s'étend de
l'autre côté en direction de la lointaine Brazzaville,
c'est toutmonpaysqueje vois, tous ceuxqui ontfoulé
son sol depuis l'aube de l'humanité, qui ont inventé,
siècle après siècle, une civilisation et un art de vivre,
tous ceuxqui ontsouffertetespéré desjours meilleurs,
une société plusjuste. Etje medis qu'il est temps de
redonnerespoir à mescompatriotes.
Elle estmagnifique, mapatrie. Ladiversité deses
paysages et ses beautés naturelles sont saisissantes.
J 'ai tout mis en œuvre pour les préserver, avec les
moyens dontje disposais lorsque j'étais Président. Je
ne crois pas que l'écologie et l'environnement sont le
luxe des pays riches. Même pour les Etats les plus
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démunis, la protection de la nature et des espèces


vivantes doit être unepriorité ou, à défaut, unparamè-
tre du développement à ne pas négliger.
Labelle plaine couverte de mangroves qui borde
la côte atlantique, la vallée duNiari, lesplateauxBaté-
kés, les forêts tropicales oula savane ont marquétous
ceuxqui onttraversé le Congodepuis dessiècles. Qui-
conque les avus une fois nepeutplus les oublier. Nul
nepeut sesoustraire àlabeauté sauvagedecesespaces
qui évoquent la splendeur des origines.
Les hommes et les femmes qui vivent sur cette
terre ont développé une culture remarquable. L'art
congolais ainspiré, chacunle sait, les créateurs del'art
moderne en France, Braque et Picasso. L'Afrique fai-
sait alors irruption, àtravers sa sculpture traditionnelle
—ses masques, ses statuettes, ses objets usuels —,
dans les milieux artistiques des colonisateurs. C'est un
puissant germe qu'elle planta là puisqu'il influencera
tout l'art du XXsiècle. Qui sait si l'école de Poto-
Poto, l'école depeinture laplus fameuseduCongo,ne
fascinerapas à sontour les artistes de demain?Ondit
aussi que le Congo est le «Quartier latin de l'Afrique
centrale ». Desécrivains remarquables commeSylvain
Bemba, Sonny Labou Tansi, Tati Loutard, Tchicaya
U'Tamsi ou Guy Menga lui ont fait cette réputation.
Plus de soixante-quinze pour cent de la population, il
est vrai, est alphabétisée. Qu'en sera-t-il dans dix ans
si onlaisse les choses se détériorer dejour enjour ?
Ici, les traditions ancestrales sont restées vivaces.
C'est un patrimoine unique qu'il faut protéger à tout
prix. Or, malgré leurvaleur sociale, elles onttendance
à disparaître sous la poussée de la civilisation. C'est
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«Je marchais sur la piste. Il faisait chaud etje venais de


quitter mamère pour aller à l'école. Lechemin était difficile
et la distance àparcourir très longue :cent kilomètres àpied.
Telétait le prix àpayer, alors, pour continuer d'étudier. »
Qui peut, comme cet enfant pauvre et sans relations,
prendre la tête deson pays, bien des années plus tard?Quia
la force, une fois chef d'État, d'installer la démocratie, de
respecter ses principes, et, lejour venu, des'effacer devant le
verdict des urnes ? Qui, enfin, possède le courage de tout
recommencer pour revenir au milieu de ses compatriotes et
leur poser la seule question qui vaille : « Êtes-vous plus
heureux qu'il yacinq ans ? »
ÀBrazzaville, les foules qui se pressent pour le retour de
Denis Sassou N'Guesso apportent la réponse. Président du
Congo pendant douze ans, ami des plus grands chefs d'État,
porteur d'un message forgé dans l'exil, il raconte et propose
des solutions. Son livre est une réflexion éclairée sur le
Congo, l'Afrique et son avenir. Il est aussi l'histoire d'un
destin exemplaire. Celui d'un hommequi s'est consacré àson
pays et dont les convictions rencontrent à nouveau l'attente
detout unpeuple.
Lemanguier, lefleuve et la souris ou l'itinéraire d'un enfant
d'Afrique :unevie etunepenséequi ferontégalementréfléchir
ceuxqui, enFrance, cherchent desraisons d'espérer.
110,00 FFTTC
97.04.45.2729.7
7096 - 1792 - 7
Photos:D.R.
ette : B L E U T
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