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SOCIÉTÉ
Un Etat qui obéit aux marchands est un Etat faible, peureux et incapable.
Si vous voulez connaître à quel point une nation s'intéresse à ce qu'elle fait, si vous souhaitez
saisir à quel degré elle s'applique dans son travail et si vous voulez savoir le niveau de solidité
de ses principes, ne regardez ni sa population, ni ses produits, ni même le nombre de ses
universités, mais allez d'abord à son marché, puis jugez. C'est à ce voyage au souk particulier
des valeurs que nous invitons aujourd'hui le lecteur pour mieux comprendre notre nation et,
surtout, pour mieux expliquer son état.
Le quart? C'est quoi le quart?
De notre temps, on achetait l'huile au quart de litre et, pour ceux qui ne pouvaient pas se le
permettre, au 1/8 de litre. Lorsqu'on entrait chez l'épicier, la bouteille vide à la main, on
annonçait, tout comptant, notre commande et le vendeur se mettait à nous servir, dans un
geste naturel, sans commentaire, ni ironie, ni colère. Nous achetions le pain au kilogramme,
au demi-kilo et, lorsque nécessaire, au quart de kilo. Tout était normal et personne ne trouvait
rien à dire. Chez le boucher, nos commandes variaient de la livre aux 250 g et tout était aussi
normal et naturel.
Cela fait longtemps que le quart de litre d'huile n'existe plus. On vend par bouteille d'un litre
et plus. Les temps ont changé et l'unité de mesure n'est plus la même. Cela fait longtemps
aussi que le quart de kilogramme n'existe plus ni chez le boulanger ni chez le boucher. Non
pas que le poids n'existe plus, mais parce que les hommes ne daignent plus s'en servir comme
si cela les déshonorait quelque part ou leur faisait honte.
Vers la moitié des années 1980 (déjà!!), une vieille pauvre femme voulait prendre 250 g de
viande, mais le boucher l'a renvoyée tout simplement. Sans honte ni gêne. Cela se passait au
marché couvert de Batna. C'était au mois de Ramadhan pourtant et la femme, qui paraissait
incapable d'en acheter plus, jurait qu'elle n'avait pas goûté à la viande depuis longtemps. Rien
à faire, le boucher avait parlé!
Les choses évoluent, bien sûr et ceux qui refusaient de vendre au quart de kilo se sont mis
dans la tête de ne plus vendre au demi-kilo. Pas tous encore, mais certains se sont vraiment
mis cela en tête. Pas plus tard que ce mois de Ramadhan, à quelqu'un qui voulait prendre 500
g de beurre, le laitier de Djerma, à une vingtaine de kilomètres de Batna, lança d'abord un
éclat de rire avant de décliner, du haut de son arrogance, un vulgaire «je ne vends pas au
demi-kilo». La suite ne nous intéresse pas ici, mais le fait est qu'il n'ait pas accepté de
«descendre» au demi-kilo. Croyait-il que cela allait ralentir son accumulation de richesse?
Possible.
De toute façon, ces marchands qui refusent de vendre au quart de kilogramme n'ont aucune
raison d'agir de la sorte, car les balances actuelles n'ont aucune gêne, pour leur part, à peser
bien au-dessous. Seules l'impunité et l'absence de contrôle ont pu aiguiser une telle arrogance
et laisser apparaître, puis se généraliser, des comportements aussi blâmables que ceux dont
nous venons de présenter un exemple.
Mais les comportements anormaux de certains commerçants dans notre société sont légion. Ils
ne s'arrêtent pas au beurre, à la viande, à l'huile et autres nourritures.
Tel du sable déchaîné, ils ont tout envahi, y compris ce qui ne devait pas l'être comme la taxe,
oui la taxe que nous payons à l'Etat est, de nos jours, sujet à «manipulation» malhonnête par
certains commerçants qui en prélèvent «leur part». On veut pour exemple le timbre fiscal.