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G3-1 LES ESPACES RURAUX : MULTIFONCTIONNALITE OU FRAGMENTATION ?

Introduction : Les espaces ruraux sont des espaces profondément modifiés qui se définissent par opposition aux
espaces urbains. Ils ont longtemps été définis principalement par leur fonction de production agricole et par leur faible
densité. Mais cette distinction n’a plus beaucoup de sens aujourd’hui : l’étalement urbain déborde largement sur les
espaces ruraux tandis que la pratique agricole reste présente dans certaines villes. Ces espaces ruraux sont, comme
les espaces urbains et les espaces productifs, soumis à des dynamiques fortes, fragmentant toujours plus l’image
traditionnelle du monde rural agricole.
Problématique : Comment les fonctions des espaces ruraux évoluent-elles de manière différenciée dans un monde
de plus en plus urbanisé ?

I. La fragmentation des espaces ruraux.

A. Un monde rural qui reste très présent sur la planète.

Recompositions démographiques : Le monde rural est devenu minoritaire sur la planète depuis 2007. Aujourd’hui, 45
% de la population mondiale vit dans un espace qualifié de rural. Mais dans le même temps, avec la croissance
démographique, le nombre de ruraux n’a jamais été aussi élevé : 3,4 milliards d’habitants vivent dans les espaces
ruraux. Dans certaines régions de la planète, comme en Afrique Subsaharienne et en Asie du Sud, le nombre de ruraux
augmente. La tendance mondiale reste cependant celle d’une diminution progressive et continue de la population
dans les espaces ruraux liée à l’exode rural et à la métropolisation.
De grandes inégalités de dynamiques rurales : Les pays les moins ruraux se situent en Europe et en Amérique Latine.
Dans ces pays, les espaces ruraux sont parfois touchés par une déprise rurale : vieillissement de la population,
disparition des services de base. Dans d’autres espaces, au contraire, les ruraux sont encore majoritaires : Afrique
Subsaharienne, Asie du Sud (Sri Lanka). A elle seule, l’Inde regroupe un quart des ruraux de la planète. Dans ces
espaces, la pression humaine est forte avec des densités très élevées (près de 300 hab/km2). Au contraire, certains
espaces ruraux sont marqués par de très faibles densités. Ainsi, les pays situés dans les milieux désertiques sont
marqués par une faible population rurale (Jordanie). Plus de 9 ruraux sur 10 vivent dans des pays des Suds ou
émergents.
Un monde rural qui reste agricole : Le monde rural reste fortement lié aux pratiques agricoles. L’agriculture reste
encore une activité centrale dans le monde rural. Elle structure et organise les paysages : un tiers des terres émergées
sont utilisées pour l’agriculture. L’agriculture est l’activité qui fournit le plus d’emplois dans les espaces ruraux, même
si, avec la mécanisation croissante, la part des agriculteurs diminue. Les aménagements agricoles définissent souvent
les espaces ruraux : rizières, terrasses de culture, bocage… et les identités culturelles de nombreux territoires.

B. Une fragmentation croissante des espaces agricoles.

Agriculture vivrière et familiale : L’agriculture vivrière ou agriculture familiale est une agriculture dont la production
est destinée à nourrir l’agriculteur et sa famille. Cette agriculture s’appuie sur des exploitations de petite taille, peu
mécanisées et utilisant principalement la main d’œuvre familiale. Les espaces de cette agriculture sont très divers et
se concentrent en Afrique subsaharienne, en Asie et dans les Andes. Elle est généralement peu productiviste et peine
à nourrir les populations, avec une population touchée par la malnutrition. Cependant, certains modèles vivriers
comme les rizicultures irriguées en Chine et en Inde permettent de nourrir une population nombreuse, supportant de
fortes densités. Dans les pays des Nords, l’agriculture familiale persiste mais reste limitée et se tourne davantage vers
l’agriculture biologique ou raisonnée.
Le modèle agricole productiviste se généralise : L’agriculture productiviste s’est largement développée dans le
monde. Elle s’appuie sur une forte mécanisation et l’ajout d’intrants (engrais, pesticides…). Les rendements sont élevés
et le besoin en main d’œuvre est plus faible. Avec la mondialisation, le modèle productiviste s’est largement développé
dans le monde, dans les pays émergents comme dans les pays des Suds et les PMA avec la céréaliculture, les serres,
l’élevage hors sol ou les plantations (palmiers). Cette agriculture produit l’essentiel des flux agricoles mondiaux et
participe à la mise en place d’un modèle d’agrobusiness dans lequel l’agriculture est totalement intégrée dans un
système économique avec une forte industrie chimique et mécanique en amont et des FTN agro-alimentaires en aval
de la production agricole. Ainsi, le groupe Nestlé est très présent en Côte d’Ivoire pour contrôler la production de
cacao, favorisant l’accès aux engrais et au matériel agricole pour augmenter les productions.

C. Des paysages ruraux qui se transforment.

Des modèles qui s’affrontent : Le développement de l’agriculture productiviste fortement subventionnée se fait au
détriment de l’agriculture familiale. Ainsi, acheter un poulet venant d’Europe sur un marché du Sénégal revient
souvent moins cher que d’acheter un poulet à un agriculteur local. Dans de nombreux pays, les politiques agricoles
favorables à l’agriculture productiviste creusent les inégalités : les terres agricoles sont achetées par des FTN, au
détriment des exploitations familiales dont les populations sont chassées. Ainsi, au Brésil, la déforestation de la forêt
amazonienne s’accélère, permettant à des FTN de produire davantage et de faire du Brésil la ferme du monde. Mais,
cela se fait au détriment des structures agricoles familiales dont les populations sont expropriées. Le mouvement des
sans-terre cherche à faire valoir les droits de ces populations mais le combat est difficile et dangereux (1700 morts
depuis les années 80). On assiste à un mouvement d’accaparement des terres (land grabbing) : des FTN ou des états
étrangers prennent des terres pour une production industrielle et l’exportation alors que les populations locales
souffrent de malnutrition… Partout, le modèle productiviste gagne du terrain sur l’agriculture vivrière.
Les recompositions paysagères : Les espaces ruraux subissent une uniformisation des paysages avec la disparition des
haies ou des paysages de bocage. Le modèle productiviste qui s’impose accélère ces dynamiques et fragilise les terres
agricoles. Les dégâts environnementaux sont très importants : pollution des sols et des nappes phréatiques, disparition
des écosystèmes, déforestation, salinisation. L’urbanisation et la métropolisation produisent une modification des
paysages agricoles à proximité des métropoles en favorisant le développement d’une agriculture de maraîchage
tournée vers la production de fruits et de légumes à destination de la ville voisine comme à Dakar ou à Hanoï.
II. Un monde rural qui ne se limite pas aux activités agricoles.

A. Une multifonctionnalité croissante.


Une industrialisation ancienne des espaces ruraux : Les activités industrielles ont toujours été présentes dans les
espaces ruraux, car elles y trouvent des avantages : main d’œuvre nombreuse et moins chère qu’en ville, matière
première à proximité. L’industrie rurale connaît un renouveau, en lien avec les ressources locales comme l’industrie
textile qui est présente dans les espaces ruraux indiens ou encore l’extraction de ressources minières en RDC.

L’agrotourisme : Le développement des activités de tourisme est plus récent. L’agrotourisme est une forme de
tourisme lié à l’agriculture et plus largement aux territoires ruraux. Ainsi, dans le Chianti, ce modèle devient la règle
pour les ruraux dont une partie croissante des revenus et des activités est liée à l’activité touristique. Dans les pays
des Suds, la tendance est elle aussi au développement de l’agrotourisme, avec parfois une folklorisation de l’identité,
à l’exagération des activités traditionnelles pour des besoins touristiques comme au Vietnam, dans les rizicultures où
au Kerala où les pêcheurs posent de manière traditionnelle pour offrir des photos typiques aux touristes en cachant
parfois leurs équipements modernes.

Des espaces de pluriactivité : Face à la précarisation des revenus agricoles, les populations rurales font souvent le
choix de la pluriactivité. Dans les pays des Nords, les agriculteurs développent la vente et la commercialisation de leur
production, le tourisme. Au Maroc, de nombreuses femmes participent au développement d’un artisanat autour de
l’argan en s’appuyant sur le tourisme.

B. Des campagnes résidentielles.

Étalement urbain et périurbanisation : L’étalement urbain transforme les espaces ruraux les plus proches des villes,
effaçant les limites entre villes et campagnes et aboutissant à la périurbanisation très présente en Europe et en
Amérique du Nord et en développement ailleurs. Les campagnes deviennent des espaces résidentiels ce qui signifie
que les populations urbaines s’y installent. Les paysages ruraux se transforment avec le développement de
lotissements ou d’immeubles à proximité des voies de communication. En Asie, certains espaces ruraux comme en
Indonésie sont appelés desakota. Ils se caractérisent par une densité très élevée, une pluriactivité importante et une
forte mobilité de la population en lien avec les espaces urbains. Ces espaces ne sont plus tout à fait ruraux et pas
encore urbains.

Interdépendance des villes et des campagnes : Dans ces espaces ruraux, le mode de vie urbain se diffuse et participe
au développement d’une économie résidentielle basée sur les services aux personnes et les commerces. Les
infrastructures de communication se multiplient, augmentant les échanges entre ces deux types d’espaces.

Les villes fournissent au monde rural des services pour les populations rurales (soin, éducation, commerce, culture).
En échange, les espaces ruraux fournissent des produits agricoles pour alimenter les marchés urbains. Ils sont aussi
perçus comme une réserve d’espace pour les activités récréatives et de loisirs (vélo, randonnées). Les relations en
espaces urbains et ruraux se caractérisent souvent par une domination et une relation centre/ périphérie.
C. Les conflits d’usage dans les espaces ruraux.

Partager les terres : La surface des terres cultivées dans le monde représente 1/3e des terres émergées. Mais face à la
croissance de l’agriculture et des besoins, l’érosion et l’épuisement avancé des sols conduit à la disparition de 10
millions d’hectare par an. L’ONU considère que 33 % des terres agricoles sont en danger, ce qui augmente la pression
sur les terres à toutes les échelles :

• Entre les états (land grabbing)


• Entre les agriculteurs et les grandes compagnies (Brésil).
• Entre l’agriculture et les autres activités économiques : mines, ports…
• Entre les campagnes et les villes : artificialisation des terres, création de routes, de rues…

Partager les ressources en eau : L’utilisation de l’eau pour développer l’irrigation et donc accroître la production est
un phénomène important. L’agriculture représente près de 70 % de l’eau consommée sur la planète. L’utilisation de
l’eau pour l’irrigation entre parfois en concurrence avec les usages domestiques ou touristiques comme à Marrakech
au Maroc ou agriculteurs et hôteliers s’affrontent souvent autour des allocations en eau. En Amérique du Nord, les
eaux du Colorado sont exploitées par les villes et les activités agricoles productivistes en Californie à tel point qu’il n’y
a plus suffisamment d’eau pour les agriculteurs mexicains dont les terres se salinisent. Dans certaines régions
agricoles, l’usage intensif d’intrants pour l’agriculture favorise la pollution des nappes aquifères (Bretagne).

Partager les usages : Avec l’installation de néoruraux, les espaces ruraux des pays des Nords se retrouvent revitalisés
et dynamisés. Mais la perception des espaces ruraux et leur représentation parfois caricaturale conduit à des conflits
d’usage opposant une partie de la population adoptant un mode de vie considéré comme traditionnel mais allant à
l’encontre des néoruraux (coq qui chantent, agriculteurs qui pratiquent l’épandage). La limite entre espaces communs
et privés, droit d’usage est parfois difficile. La création de parcs nationaux et d’espaces protégés fait parfois peser des
contraintes importantes sur les populations rurales comme en Slovénie autour de la sauvegarde des ours ou encore
dans la Kalahari où le peuple San a dû quitter son territoire d’origine.

CONCLUSION :

Les espaces ruraux, même s’ils sont en recul dans le monde, regroupent 3,4 milliards d’habitants qui vivent pour une
part importante de l’activité agricole. Les espaces ruraux voient s’affronter deux modèles principaux : le modèle
familial vivrier et le modèle productiviste qui gagne du terrain et se développe au détriment des populations rurales
les plus fragiles et aboutit à une fragmentation croissance des espaces ruraux. Les activités non agricoles se
développent dans les espaces ruraux du monde entier, aboutissant à une redéfinition des rapports entre espaces
ruraux et urbains et même à une redéfinition de l’espace rural en tant que tel. De nouvelles activités et des nouveaux
habitants modifient en profondeur les espaces ruraux, posant aussi la question des conflits d’usage autour de la
représentation de ces espaces.

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