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Trouble schizoaffectif
N. Franck, C. Demily
Le trouble schizoaffectif est une entité nosographique caractérisée par l’association de symptômes schizo-
phréniques et d’épisodes thymiques. Il doit être distingué, d’une part, de la schizophrénie dont le pronostic
est plus défavorable et, d’autre part, du trouble bipolaire dont la rémission dans les périodes intercritiques
est de meilleure qualité. Son traitement repose sur l’utilisation de thymorégulateurs et d’antipsychotiques
(devant être associés à des antidépresseurs lors des accès schizodépressifs), en monothérapie ou en asso-
ciation, combinés à des mesures psychothérapiques, psychoéducatives, remédiatives et médicosociales.
Poser un diagnostic de trouble schizoaffectif a, en particulier, un intérêt thérapeutique. Les critères des
grandes classifications diagnostiques (dont le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders
[DSM] V) sont explicités. Le projet de soin et de réhabilitation doit être établi en tenant compte des
spécificités du mode évolutif de cette maladie et des capacités des patients hors épisodes thymiques.
© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
EMC - Psychiatrie 1
Volume 11 > n◦ 2 > avril 2014
http://dx.doi.org/10.1016/S0246-1072(13)65249-9
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schizomanies, Bleuler et Stransky ont noté la présence de symp- décrits : bipolaire (se caractérisant par une succession d’épisodes
tômes thymiques dans la schizophrénie et Kleist a développé le schizomaniaques et, éventuellement, schizodépressifs) et dépres-
concept de Randpsychosen ou psychoses marginales. La nosogra- sif (où seuls des épisodes schizodépressifs sont observés).
phie assez touffue de Kleist (qui comprenait cinq groupes distincts Le trouble schizoaffectif est une affection hétérogène dans
de psychoses marginales) a été simplifiée par son élève Leon- laquelle tous les symptômes de la schizophrénie, du trouble
hard [2] . Pour ce dernier, les psychoses cycloïdes n’appartenaient bipolaire et de la dépression peuvent être observés. Des symp-
ni à la schizophrénie ni au trouble bipolaire et regroupaient trois tômes positifs ou négatifs peuvent ainsi être associés à une
formes cliniques : les psychoses de motilité, les psychoses confu- désorganisation et à des symptômes thymiques. Toutefois, la
sionnelles et les psychoses d’anxiété–excitation. Leur évolution symptomatologie est orientée, le cas échéant, par le type d’épisode
était proche de celle du trouble bipolaire, malgré la présence de thymique en cours : elle est désorganisée ou positive lors des
symptômes schizophréniques. Leonhard a par ailleurs insisté sur épisodes schizomaniaques et négative avec des éléments de désor-
le caractère polymorphe de ces troubles. ganisation lors des épisodes schizodépressifs.
Une étude sur 60 sujets présentant les caractéristiques cliniques De manière exhaustive, les domaines cliniques suivants doivent
attribuées aux psychoses cycloïdes a été réalisée par Perris en être explorés pour poser le diagnostic de trouble schizoaffectif
1974 [3] . Elle a mis en évidence une surreprésentation du sexe fémi- ou psychose dysthymique : l’humeur (euthymie en période de
nin, un début précoce et aigu, une évolution récidivante, ainsi stabilité, manie ou dépression lors des accès), les symptômes posi-
qu’une bonne adaptation prémorbide et intercritique. tifs (délire polymorphe de type paranoïde et hallucinations), les
symptômes négatifs (retrait et apragmatisme, en particulier lors
des accès schizodépressifs). Les fonctions cognitives doivent éga-
Psychose schizoaffective aiguë de Kasanin lement faire l’objet d’un examen clinique minutieux, à travers
C’est à Kasanin que l’on doit le terme « schizoaffectif ». Cet une évaluation neuropsychologique complète. Le déficit neuro-
auteur a introduit en 1933 la notion de psychoses schizoaffectives cognitif, présent en phase résiduelle et aggravé lors des accès, est
identique à celui qui est décrit dans la schizophrénie : diminution
aiguës [4] . Il a été soutenu par l’École française, probablement parce
des performances mnésiques, altération des fonctions exécutives
qu’il avait en partie repris le concept de schizomanie de Claude. Le
et trouble attentionnel.
tableau qu’il a décrit est également proche de celui des psychoses
Le diagnostic de trouble schizoaffectif est associé à un risque
cycloïdes de Leonhard.
de décès précoce élevé, puisque plus de 10 % des patients qui en
Selon Kasanin, la psychose schizoaffective aiguë se caractérise
souffrent meurent par suicide [8, 9] .
par une bonne intégration sociale prémorbide suivie de l’éclosion
brutale, après un événement de vie stressant, d’un délire de type
schizophrénique associé à une note thymique [5] . L’évolution se Diagnostic catégoriel
fait vers une résolution des troubles après quelques semaines ou L’utilisation de critères opérationnels pour poser le diagnostic
quelques mois, les patients recouvrant un état psychique nor- de schizophrénie, de trouble bipolaire ou de trouble schizoaffectif
mal et conservant une vie sociale et intellectuelle de bonne est une nécessité admise à ce jour. Cependant, aucun symptôme
qualité. n’est pathognomonique de l’un ou l’autre de ces trois troubles.
En 1966, Astrup a utilisé l’expression trouble schizoaffectif Selon la Classification internationale des maladies (CIM)-10 [10] ,
pour désigner des patients présentant les critères bleulériens de le trouble schizoaffectif consiste en des « troubles épisodiques,
la schizophrénie associés à des symptômes de nature confu- dans lesquels des symptômes affectifs et des symptômes schi-
sionnelle ou thymique [5] . Sa description ne préjugeait pas zophréniques sont conjointement au premier plan de la
du pronostic, même si l’évolution du trouble s’avérait plutôt symptomatologie, mais ne justifient pas un diagnostic ni de schi-
favorable. zophrénie, ni d’épisode dépressif ou maniaque ». Les critères du
Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM) V [11]
figurent dans le Tableau 1.
Épidémiologie
Sous-types de trouble schizoaffectif
La prévalence sur la vie du trouble schizoaffectif est estimée
à 0,32 % de la population [6] . Le rapport homme/femme varie de Marneros et al. [12] ont proposé de distinguer, parmi les troubles
1/1 à 1/2 selon les auteurs. Les femmes sont plutôt atteintes par schizoaffectifs, ceux de type « simultané » et ceux de type
le sous-type dépressif que bipolaire. L’âge de début est inférieur à « séquentiel », selon que les symptômes schizophréniques et les
25 ans dans 25 % des cas (contre 50 % des cas dans la schizophré- troubles affectifs surviennent simultanément ou de façon alter-
nie et 33,7 % dans le trouble bipolaire). née. L’objectif de cette sous-classification est de mieux catégoriser
Fabrega et al. [7] ont montré que les personnes souffrant de les patients qui alternent épisodes schizophréniques, épisodes
trouble schizoaffectif sont le plus souvent des femmes, mariées dépressifs et épisodes maniaques avec variation symptomatolo-
et/ou divorcées, appartenant à un niveau socioéconomique gique au cours du temps. Ces auteurs ont également insisté sur
moyen ou élevé. Ces caractéristiques distinguent le trouble schi- l’intérêt de distinguer des troubles affectifs unipolaires, bipolaires
zoaffectif de la schizophrénie d’un point de vue démographique. et mixtes (20 % des cas), à l’instar des troubles bipolaires clas-
De plus, le trouble schizoaffectif est associé à une meilleure inser- siques. Ils considèrent en effet que l’évolution et la réponse au
tion sociale que la schizophrénie et à des troubles formels de la traitement de ces différentes formes sont différentes comme cela
pensée de moindre intensité. est observé dans les troubles bipolaires.
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Tableau 1.
Critères du trouble schizoaffectif selon le Diagnostic and Statistical Manual
Pronostic et évolution du trouble
of Mental Disorders 5 (DSM-V) [11] . schizoaffectif
Critère A. Période ininterrompue de maladie répondant à la fois aux
Le pronostic du trouble schizoaffectif est intermédiaire entre
critères d’épisode thymique caractérisé (dépressif ou maniaque) et au
celui de la schizophrénie et celui du trouble bipolaire : il est
critère A de schizophrénie
Note : en cas d’épisode dépressif caractérisé, le critère A1 (humeur
meilleur que celui de la schizophrénie, mais moins bon que
dépressive) doit être présent celui du trouble bipolaire [21] . Globalement, les patients présen-
tant un trouble schizoaffectif sont plus régulièrement hospitalisés
Critère B. Idées délirantes ou hallucinations pendant au moins
que les patients bipolaires et souffrent d’un retentissement
2 semaines sur toute la durée de la maladie, en dehors des épisodes
fonctionnel plus sévère (en particulier en termes d’intégration
thymiques caractérisés (dépressifs ou maniaques)
professionnelle). À l’inverse, le retentissement fonctionnel est
Critère C. Les symptômes répondant aux critères d’épisode
moins sévère que dans la schizophrénie [21] . Certains auteurs ont
thymique caractérisé sont présents pendant la majeure partie de la
retenu les paramètres suivants en tant que facteurs pronostiques :
durée totale des périodes actives et résiduelles de la maladie
le fonctionnement social, les performances professionnelles,
Critère D. La perturbation n’est pas due aux effets physiologiques l’intégration familiale, l’intégrité physique et le comportement
directs d’une substance (par exemple une substance donnant lieu à
suicidaire.
un abus, un médicament) ou d’une affection médicale générale
Le pronostic du sous-type bipolaire du trouble schizoaffectif
Spécifier s’il s’agit : est comparable à celui du trouble bipolaire de type I, alors que
– d’un type bipolaire : ce sous-type est retenu lorsqu’un épisode celui du sous-type dépressif se rapproche de celui de la schizo-
maniaque fait partie du tableau clinique. Des épisodes dépressifs phrénie. Toutefois, il s’agit là de données moyennes provenant
caractérisés pouvant aussi être observés
d’études statistiques, le devenir d’un patient donné étant toujours
– d’un type dépressif : ce sous-type est retenu lorsque seuls des
conditionné par de multiples paramètres et difficile à anticiper
épisodes dépressifs caractérisés font partie du tableau clinique
précisément. Généralement, un pronostic favorable est associé à
Spécifier, le cas échéant : un bon fonctionnement prémorbide, à un début franc, à l’absence
– avec catatonie (se référer aux critères de catatonie associée à un de facteurs favorisants toxiques, à la prédominance des éléments
autre trouble mental)
thymiques, à l’absence de symptômes négatifs, à une évolution
Spécifier, le cas échéant : par épisode et à l’absence d’antécédents familiaux de schizophré-
(les caractéristiques évolutives suivantes doivent exclusivement être nie.
utilisées après au moins 1 an de maladie et si elles ne sont pas en Kasanin faisait du retour à l’état prémorbide l’un des principaux
contradiction avec le critère d’évolution de la maladie) critères de diagnostic du trouble schizoaffectif [4] . Selon la concep-
– premier épisode, actuellement en phase aiguë : premières
tion actuelle (cf. supra), le trouble schizoaffectif se distingue
manifestations d’un trouble répondant à la définition clinique et
des épisodes thymiques délirants par la persistance de symp-
diachronique. Un épisode aigu désigne une période durant laquelle
tômes schizophréniques intercritiques. L’évolution du trouble est
les critères symptomatiques sont remplis
– premier épisode, actuellement en rémission partielle : une
variable selon les études. Selon certains auteurs, le trouble schi-
rémission partielle désigne une période durant laquelle une zoaffectif évoluerait sur un mode plutôt proche de celui du trouble
amélioration s’installe après un épisode antérieur et durant laquelle bipolaire ; pour d’autres, l’évolution serait proche de celle de la
les critères du trouble sont seulement partiellement remplis schizophrénie ; pour d’autres encore, le trouble schizoaffectif se
– premier épisode, actuellement en rémission complète : une distinguerait nettement de ces deux entités nosographiques et
rémission complète désigne une période durant laquelle, après un pourrait être considéré comme une entité intermédiaire à part
épisode antérieur, aucun symptôme spécifique du trouble n’est plus entière ; enfin, le trouble schizoaffectif peut être envisagé dans
présent une perspective dimensionnelle pure, la schizophrénie se trou-
– épisodes multiples, actuellement en phase aiguë : cette mention vant à une extrémité d’un continuum s’étendant jusqu’au trouble
peut être retenue après au moins deux épisodes (c’est-à-dire après un bipolaire en passant par le trouble schizoaffectif.
premier épisode, une rémission et au moins une rechute) Les sujets schizobipolaires évolueraient comme des sujets
– épisodes multiples, actuellement en rémission partielle maniaques et présenteraient fréquemment une histoire familiale
– épisodes multiples, actuellement en rémission complète de trouble de l’humeur. Le sous-type schizodépressif est consi-
– continu : les symptômes remplissant les critères cliniques du déré comme peu stable cliniquement, la symptomatologie n’étant
trouble sont présents durant la majeure partie de l’évolution, les pas univoque et les antécédents familiaux pouvant s’inscrire dans
périodes infracliniques n’occupant qu’une très faible durée de toutes les catégories diagnostiques.
l’évolution totale
Marneros a suivi pendant 25 ans une cohorte de 72 patients
– non spécifié
présentant un trouble schizoaffectif [16] . Il a observé en moyenne
Spécifier la sévérité actuelle cinq épisodes et demi par patient, répondant dans 76 % des cas à
La sévérité est évaluée à travers une quantification des principaux un facteur déclenchant. Les rechutes sont survenues en moyenne
symptômes psychotiques, dont les idées délirantes, les tous les trois ans, avec une tonalité plutôt affective que schizo-
hallucinations, un discours désorganisé, un comportement
phrénique et de fréquentes tentatives de suicide. Cette étude a
psychomoteur anormal et des symptômes négatifs. L’intensité
mis en évidence une association entre la survenue de symptômes
actuelle de chacun de ces symptômes (sévérité la plus forte durant
maniaques lors du premier épisode et un âge de début tardif (avec
les 7 derniers jours) peut être évaluée par une échelle en 5 points
allant de 0 (absent) à 4 (présent et sévère)
cycles plus courts) avec une évolution plus défavorable. Plus du
Note : le diagnostic de trouble schizoaffectif peut être posé sans tiers des épisodes processuels s’étaient avérés productifs avec idées
spécifier la sévérité délirantes et hallucinations. Dans 94 % des cas, les thématiques
délirantes étaient non congruentes à l’humeur des patients.
Les modalités évolutives du trouble schizoaffectif sont hété-
a montré que rien, en termes de symptomatologie positive, ne rogènes, ce qui n’est pas sans conséquence sur les incertitudes
permet de différencier la schizophrénie du trouble schizoaffectif quant à sa situation dans la nosographie. De nombreuses études
et du trouble bipolaire. montrent que ce diagnostic est peu stable dans le temps. Selon
Les symptômes négatifs sont pertinents pour discriminer une une étude longitudinale consacrée aux deux premières années de
schizophrénie en phase aiguë ou un trouble schizoaffectif [15] d’un suivi d’une cohorte de patients, moins de 36 % d’entre eux conser-
épisode thymique. Dans le trouble schizoaffectif, les dysfonc- veraient le diagnostic de trouble schizoaffectif après deux ans,
tionnements cognitifs et le manque d’insight sont considérés par alors que la stabilité diagnostique sur une même durée serait de
certains auteurs non comme des marqueurs de trait, à l’instar 92 % pour la schizophrénie et de 83 % pour le trouble bipolaire [17] .
de la schizophrénie, mais comme des marqueurs d’état. En réa- Une étude prospective portant sur un échantillon de 33 patients
lité, une altération cognitive peut persister en dehors des épisodes schizoaffectifs [18] a montré qu’après dix ans d’évolution, 50 % des
thymiques du trouble schizoaffectif. patients ont conservé ce diagnostic, les autres ayant évolué vers
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Symptômes schizophréniques
À évolution cyclique ou
Brefs et isolés
partiellement cyclique
une schizophrénie ou un trouble bipolaire. Dans cette étude, les ils rechuteraient plus fréquemment et les épisodes seraient plus
patients schizoaffectifs ne différaient pas des patients bipolaires longs. Chez les patients schizoaffectifs déprimés, des symp-
en termes évolutifs et adaptatifs. Ils bénéficiaient moins souvent tômes négatifs de schizophrénie seraient présents. Maj [26] a
d’une allocation pour adulte handicapé, avaient moins de diffi- observé par ailleurs qu’une évolution bipolaire pure serait asso-
cultés de socialisation, avaient plus souvent un enfant et étaient ciée à un meilleur pronostic social qu’une évolution constellée
moins fréquemment hospitalisés que les patients souffrant de d’épisodes schizodépressifs et/ou schizophréniques. De plus,
schizophrénie. lorsque l’épisode initial est dépressif, l’évolution se ferait vers la
La même instabilité diagnostique est rapportée par l’étude du récurrence d’épisodes schizodépressifs.
devenir d’enfants souffrant de troubles psychotiques. Alors que les
diagnostics de schizophrénie infantile et de trouble bipolaire chez
l’enfant sont confirmés à l’âge adulte dans 80 % des cas, la stabi- Étiologie et étiopathogénie
lité du diagnostic de trouble schizoaffectif posé chez l’enfant ou
l’adolescent n’excède pas 35 % [19] . À l’inverse, des troubles affec- L’étiologie du trouble schizoaffectif est probablement multifac-
tifs sont fréquemment retrouvés dans les antécédents d’adultes torielle. Il semble que des facteurs environnementaux précoces
souffrant de schizophrénie [19] . (malnutrition, infection virale, complications obstétricales) ou
Pope et al. [20] ont rapproché l’évolution du trouble schizoaf- tardifs (facteurs de stress psychologiques, consommation de
fectif de celui du trouble bipolaire avec composante maniaque. cannabis [27] ) puissent précipiter une vulnérabilité génétique sous-
Ces auteurs n’attachent pas de signification pronostique parti- jacente.
culière à la présence de symptômes résiduels. Jager et al. [21] ont Il est probable que certains facteurs de vulnérabilité sont
conduit une étude prospective sur 15 ans impliquant 241 patients. communs au trouble schizoaffectif, à la schizophrénie et à cer-
Ces auteurs ont mis en évidence une évolution moyenne proche taines formes de troubles thymiques. En effet, une prévalence
de celle du trouble bipolaire, avec une bonne insertion et élevée de schizophrénie, de trouble schizophréniforme et de
l’absence d’évolution déficitaire. L’étude prospective sur 25 ans troubles affectifs, à l’exception des dépressions unipolaires sans
de 101 patients schizoaffectifs [22] a montré, d’une part, que ce caractéristique psychotique (la traçabilité génétique étant moins
trouble n’est pas corrélé à une bonne adaptabilité à long terme, lisible) a été mise en évidence chez les sujets apparentés aux
à l’instar de la schizophrénie et, d’autre part, que le nombre patients souffrant de trouble schizoaffectif [28] . D’un autre côté,
moyen d’hospitalisations de ces patients est proche de celui des chez les sujets apparentés aux patients ayant présenté un trouble
patients qui souffrent de schizophrénie. Une autre étude por- dépressif avec caractéristiques psychotiques non congruentes à
tant sur 114 sujets souffrant de troubles schizoaffectifs [23] indique l’humeur, il existe une augmentation de la prévalence de la schi-
que 71 % des patients schizoaffectifs évoluent sur un mode plu- zophrénie, du trouble schizophréniforme et du trouble bipolaire.
tôt chronique avec coexistence d’un déficit dans 81 % des cas. Enfin, le risque de schizophrénie et de trouble schizoaffectif est
Evans et al. [24] ont étudié l’évolution de 29 sujets présentant un presque deux fois supérieur chez les sujets apparentés aux patients
trouble schizoaffectif, 154 présentant une schizophrénie et 27 un souffrant de trouble schizoaffectif comparés aux apparentés de
trouble bipolaire (les sujets appartenant à ces trois échantillons patients présentant un trouble de l’humeur [28] .
n’ont pas bénéficié d’un appariement strict). Ils ont montré que Dans une perspective étiopathogénique, Tsuang a réalisé une
les sujets schizoaffectifs étaient proches de ceux qui souffraient de étude rétrospective sur huit ans [29] à partir des dossiers de
schizophrénie, en termes de fréquence des hospitalisations et de 510 patients considérés comme souffrant de schizophrénie. Cet
fréquence de prescriptions des neuroleptiques et des anticholiner- auteur a cherché à savoir si ces patients répondaient réelle-
giques. Par ailleurs, les sujets appartenant à ces deux échantillons ment à des critères stricts de schizophrénie. Dans cette cohorte,
ont présenté des épisodes dépressifs d’intensité moins sévère que 310 patients ne correspondaient en fait pas à ces critères et le
les sujets bipolaires. diagnostic retenu pour eux devait plutôt être celui de « psychose
Selon Maj et Perris [25] , l’évolution du trouble schizoaffectif atypique ». Ce groupe hétérogène de patients a été subdivisé en
se distinguerait de celle du trouble bipolaire essentiellement sous-groupes plus homogènes, définis en fonction de caractéris-
quant à la nature des épisodes dépressifs. Les patients schizoaf- tiques cliniques et en ne prenant pas en compte les antécédents
fectifs présenteraient en effet une symptomatologie plus sévère : familiaux. L’un des sous-groupes s’apparentait à la schizophrénie
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et le second au trouble bipolaire ; quant au troisième (comprenant qu’il en soit, les critères cliniques actuels ne permettent pas de
57 patients), qui différait à la fois de la schizophrénie et du trouble délimiter les troubles schizoaffectifs de manière satisfaisante.
bipolaire, il a été défini comme schizoaffectif. Les apparentés du
premier degré des patients de ce troisième groupe présentaient
un risque accru de trouble schizoaffectif et de trouble thymique, Absence de frontière clinique nette
leur profil de risque se distinguant de celui des apparentés des entre schizophrénie et trouble bipolaire
sujets des deux premiers groupes. D’autres auteurs ont étudié
118 patients schizoaffectifs déprimés avec caractéristiques psycho- Une étude rétrospective [35] sur 266 patients présentant un diag-
tiques, diagnostiqués selon les critères du DSM-III-R [30] . Parmi nostic de psychose atypique, de trouble schizophréniforme ou de
les 475 apparentés du premier degré de ces patients, le risque de trouble schizoaffectif a montré que l’évolution des symptômes
trouble schizoaffectif était de 13 %, alors que le risque de schizo- sur le long terme ne permettait pas de valider la dichotomie habi-
phrénie était évalué à 6,6 %. tuelle entre schizophrénie et trouble bipolaire. Les auteurs ont
Franzek et Beckmann [31] ont étudié la concordance diagnos- proposé de scinder les patients en trois groupes : schizophrènes,
tique au sein de paires de jumeaux hospitalisés en psychiatrie. Ils bipolaires et un troisième groupe qui représenterait une variante
ont utilisé pour cela d’une part les critères du DSM-III-R et d’autre de la schizophrénie, du trouble bipolaire ou de l’intrication des
part la classification de Leonhard (distinguant les psychoses deux entités.
cycloïdes des psychoses non systématiques) [2] . La concordance Une autre étude [36] portant sur 96 sujets schizoaffectifs,
diagnostique selon le DSM-III-R était très forte pour les monozy- 245 schizophrènes et 203 sujets bipolaires a mis en évidence que le
gotes (85 %) et en moyenne très supérieure à celle retrouvée chez trouble schizoaffectif emprunte aussi bien à la schizophrénie, en
les dizygotes (25 %). Cependant, ce résultat n’a pas été retrouvé ce qui concerne les symptômes positifs ou négatifs, qu’au trouble
lorsque la classification de Leonhard était utilisée. Cardno et al. [32] bipolaire quant aux manifestations affectives.
ont examiné l’intrication des facteurs génétiques de susceptibilité En 1970, Kendell et Gourlay [37] ont montré, à travers l’étude
à la schizophrénie, au trouble schizoaffectif et à la manie dans une clinique minutieuse d’un large échantillon de patients souffrant
autre étude consacrée à des paires de jumeaux. Lorsque l’un des de schizophrénie et de troubles bipolaires (n = 146 dans chaque
jumeaux de leur échantillon était schizophrène, l’autre présentait groupe), qu’une répartition bimodale des troubles n’était pas pos-
un risque accru, non seulement de schizophrénie (40,8 %), mais sible avec ces patients. Ces auteurs ont consécutivement proposé
aussi de manie (8,2 %). De même lorsque l’un des jumeaux pré- une répartition trimodale avec nécessité de créer une entité cli-
sentait une symptomatologie maniaque, l’autre avait un risque de nique intermédiaire entre le trouble bipolaire et la schizophrénie.
manie de 36,4 %, mais aussi de schizophrénie de 13,6 %. Enfin,
lorsque l’un des jumeaux présentait un trouble schizoaffectif,
l’autre présentait un risque de manie ou de schizophrénie de
Individualisation progressive
26,1 %. Ces observations sont en faveur d’une vulnérabilité géné- du trouble schizoaffectif
tique partagée. dans les classifications diagnostiques
Mendlewicz et Rainer [33] ont interrogé les parents – biologiques
et adoptifs – de 29 sujets adultes bipolaires ayant été adoptés et Il a fallu attendre une décennie après l’étude de Kendell et
de 22 adoptés témoins, ainsi que les parents de 31 sujets bipo- Gourlay [37] pour que la version révisée du DSM-III [38] entérine
laires n’ayant pas été adoptés et les parents de 20 sujets atteints de la création d’une catégorie diagnostique pour le trouble schi-
poliomyélite. Les résultats de leur étude montrent que les troubles zoaffectif. Dans le DSM-III-R [38] , l’accent était mis sur l’existence
de l’humeur (bipolaire, unipolaire, cyclothymique et schizoaffec- conjointe de symptômes schizophréniques et thymiques. Le
tif) sont plus fréquents chez les parents biologiques (31 %) que trouble schizoaffectif, d’une durée minimale de sept jours, y était
chez les parents adoptifs (12 %) des sujets bipolaires adoptés et défini comme survenant à l’âge adulte, d’évolution chronique et
que chez les parents biologiques d’adoptés sains ou souffrant de de meilleur pronostic que la schizophrénie. Dans cette version
poliomyélite. du DSM [38] , les troubles schizoaffectifs constituaient une véritable
Les données précédentes montrent que des facteurs génétiques catégorie d’attente, aux critères diagnostiques peu précis, à réser-
pourraient jouer un rôle dans le développement du trouble schi- ver aux cas où le clinicien ne pouvait établir avec certitude le
zoaffectif. Toutefois, ses bases génétiques précises sont encore diagnostic de trouble affectif, de trouble schizophréniforme ou
inconnues. Seul le gène PRODH a été incriminé dans la genèse de de schizophrénie.
ce trouble en tant qu’entité catégorielle propre. Il est situé dans Ultérieurement, la quatrième version du DSM [39] a autono-
la région 22q11 et est impliqué dans le métabolisme de la pro- misé le trouble, tout en proposant une définition plus restrictive
line (acide aminé non essentiel). Des mutations délétères de ce puisque la notion de durée minimale de l’épisode a été étendue à
gène entraînent une accumulation de proline avec une potentielle un mois. Malgré tout, le DSM-IV [ 39] ne proposait pas de critères
neurotoxicité secondaire [34] . opérationnels pour le diagnostic du trouble schizoaffectif. Celui-
ci y avait donc toujours pour seule place celle que l’on réserve aux
patients inclassables dans la schizophrénie ou les troubles bipo-
laires. La description du DSM-IV [39] était finalement assez proche
Place du trouble schizoaffectif du tableau de Dementia Praecox avec troubles affectifs, décrit en
1910 par Kraepelin dans la huitième édition de son Traité.
dans le continuum de la psychose La définition du trouble schizoaffectif a évolué avec le
DSM-V [11] (Tableau 1). Dans le critère A, l’expression « symptômes
La question de la place du trouble schizoaffectif dans la nosogra- thymiques marqués » a été remplacée par « épisode thymique
phie date de son individualisation. Bien qu’une indéniable réalité caractérisé » et, dans le critère C, les symptômes thymiques
clinique rende son existence incontestable, un éventuel rattache- doivent s’exprimer pendant la majeure partie de la durée (plus
ment aux groupes des schizophrénies ou des troubles bipolaires de 50 % de la durée totale) de la maladie, en prenant en
est toujours débattu. compte aussi bien les phases actives que résiduelles. L’objectif
Deux conceptions s’opposent quant à la nature du trouble est que le diagnostic de trouble schizoaffectif devienne longitu-
schizoaffectif. Il peut en effet être conçu soit comme une forme dinal, afin d’augmenter sa fiabilité et sa stabilité par rapport aux
hybride entre schizophrénie et trouble bipolaire (combinant des versions antérieures du DSM dans lesquelles la frontière entre
troubles de la cognition proches de ceux qui sont associés à schizophrénie et trouble schizoaffectif était seulement décrite
la schizophrénie à la dysrégulation affective du trouble bipo- qualitativement [40] . Il avait été envisagé de supprimer la caté-
laire), soit comme une entité intermédiaire. Certains auteurs gorie « trouble schizoaffectif » dans le DSM-V et d’ajouter les
n’admettent aucune de ces deux conceptions et considèrent que symptômes thymiques en tant que dimension de la schizophré-
le concept de trouble schizoaffectif n’est pas validé, voyant plus nie et du trouble schizophréniforme ou encore de définir une
cette entité diagnostique comme un simple regroupement de catégorie correspondant à la co-occurrence de symptômes psycho-
patients souffrant de schizophrénie et de troubles bipolaires. Quoi tiques et thymiques [40] . Après d’intenses débats, cette option a été
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Au total, les études cliniques plaident en faveur de l’aspect les deux groupes. Cette étude a par ailleurs montré que l’efficacité
dimensionnel du concept de psychose. Dans cette perspective, le de la carbamazépine était supérieure à celle du lithium chez les
trouble schizoaffectif reste, encore à ce jour, une entité nosogra- patients schizodéprimés, mais identique chez les patients schizo-
phique aux limites floues, où la notion de chronicité se combine maniaques selon les critères RDC.
à la cyclicité. Ces éléments ne sont pas en contradiction avec Il semble que le lithium et la carbamazépine présentent une
l’observation fondatrice de Kraepelin que la schizophrénie est efficacité équivalente en tant que traitement de fond des troubles
avant tout un trouble d’évolution chronique alors que la psy- schizoaffectifs définis de manière large. La prescription en mono-
chose maniacodépressive évolue de manière cyclique. En accord thérapie des thymorégulateurs peut être envisagée en première
avec cette conception, le trouble schizoaffectif doit être consi- intention dans les formes principalement thymiques. Outre, ces
déré comme une forme intermédiaire, partageant nombre de deux médicaments, le valproate a démontré une utilité prophy-
symptômes avec les deux entités princeps. Une trop stricte caté- lactique dans les troubles schizoaffectifs, mais seulement sur la
gorisation est ainsi remise en cause. base de séries de cas ou d’essais non contrôlés [52–54] .
Antipsychotiques
Traitement Étant donnée que l’efficacité antimaniaque et prophylactique
des antipsychotiques de seconde génération est bien documentée,
Généralités leur indication dans la prise en charge du trouble schizoaffectif
La prise en charge des patients allie en pratique toutes les est indiquée en première intention, que ce soit en phase aiguë
mesures classiquement utilisées dans le traitement des psychoses ou à titre de prévention des rechutes. Ils peuvent dans certains
chroniques de l’adulte. Un traitement pharmacologique au long cas être utilisés en monothérapie (ce qui est favorable en termes
cours est indispensable afin de prévenir les accès. L’utilisation de d’effets indésirables). En ce cas, le choix de l’antipsychotique pres-
chacune des autres mesures est décidée au cas par cas en fonction crit doit être guidé par son profil de tolérance [55] . Toutefois il est
du degré d’altération du fonctionnement de chaque patient. fréquemment judicieux de leur associer un traitement thymoré-
gulateur. Dans une combinaison entre un antipsychotique et un
thymorégulateur, le lithium et le valproate sont les médicaments
Traitement pharmacologique de première intention selon les recommandations actuelles. Enfin,
la clozapine est un antipsychotique de choix dans la prophylaxie
Les données sur le traitement pharmacologique du trouble des troubles schizoaffectifs [56–58] , avec une efficacité supérieure à
schizoaffectif proviennent presque exclusivement des données celle de l’halopéridol [59] .
fournies par des analyses de sous-groupes issues des essais dans
la schizophrénie, presque aucun essai clinique n’ayant été mené
exclusivement sur cette population. Outils non pharmacologiques
En pratique, il faut viser la monothérapie lorsque cela est
possible, afin de limiter les effets indésirables. Toute déci- Électroconvulsivothérapie
sion thérapeutique doit par ailleurs être guidée par le rapport L’électroconvulsivothérapie d’entretien pourrait également être
bénéfice–risque attendu pour un patient donné. indiquée dans le trouble schizoaffectif, selon une étude prospec-
tive sur un an réalisée avec un faible effectif de patients [60] .
EMC - Psychiatrie 7
37-282-A-25 Trouble schizoaffectif
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Service universitaire de réhabilitation, Centre hospitalier Le Vinatier, 95, boulevard Pinel, 69500 Bron, France.
Centre de neuroscience cognitive UMR 5229, CNRS et Université Claude Bernard Lyon 1, 67, boulevard Pinel, 69675 Bron cedex, France.
C. Demily.
Unité de diagnostic, d’évaluation et d’intervention précoce dans les psychoses (UDEIP), pôle est, Centre hospitalier Le Vinatier, 95, boulevard Pinel, 69500
Bron, France.
Centre de neuroscience cognitive UMR 5229, CNRS et Université Claude Bernard Lyon 1, 67, boulevard Pinel, 69675 Bron cedex, France.
Toute référence à cet article doit porter la mention : Franck N, Demily C. Trouble schizoaffectif. EMC - Psychiatrie 2014;11(2):1-9 [Article 37-282-A-25].
EMC - Psychiatrie 9
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